OURS ET FOURS THÈATR.E EN CHAMBRE
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LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES PALAtS-RoYAL, t~-t~-tO, GALEUX D'OKLÉAUS
ÉMILE BERGERAT
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PARIS
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Droit'' 'ic tr~tuetion et LJc reproduction r<'5crv<'<.
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OURS ET FOURS
THÉÂTRE EN CHAMBRE TOME SECOND
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IMPRIMERIE EMILE COUN, A SAINT-'GERTtACt.
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ÉMILE BERGERAT
OURS ET FOURS
THÉÂTRE EN CHAMBRE
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PiR~F~dE~ Er ~rc/DES D~AMAr/Qt/ES ~TOME SECOND
PARIS
E. DENTU, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES PALAtS-ROTAL, t5-t7-t9, GALERIE D'ORLËAMS
ï886
Droits de traduction et de reproduction réserves
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LA LÉGENDE
DB
HERMINIE
Les jeunes martyrs de la foi théâtrale qui parlent de ce qu'ils ont enduré de tortures, d'humiliations et de dégoûts pour arriver à produire l'un de leurs ouvrages, me font rire Moi, j'ai eu Herminie 1.
Elle a même été jouée, Herminie. Vous allez voir.
Il faut vous apprendre d'abord que j'ai la manie fâcheuse de prendre des notes sur tout ce qui-m'arrive au théâtre; c'est pour les jours débrouillard. Je crains toujours d'oublier les belles choses qu'un directeur ou un acteur m'ont dites, et je les embaume dans leur fratcheur. De là l'exactitude vivante de mes récits, et leur attrait documentaire, peut-être.
Donc, oyez cette Passion, et dites si désormais quel- i
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Barah Bernhardt était alors à Vienne. Je lui écrivis que j'étais prêt, et lui demandai si elle était encore dans ses dispositions favorables du départ irrité pour l'Amérique, c'est-à-dire si elle voulait créer le rôle écrit, pour elle. Quelques jours après je recevais la dépêche suivante, que j'ai gardée bien entendu, et que je transcris, pour M. Sardou, d'abord, et ma gloire ensuite.
« Accepte tout mon cœur. Serai Lyon le i5, resterai trois jours, envoyez-moi rôle à lire ou pièce si possible.
< SARAHBERNHARDT. »
Fort de ce papier, je me présentai au Vaudeville. J'y trouvai M. Raymond Deslandes chez la buraliste, et assistant à la location. Il semblait morne. Je lui déclinai mes noms et qualités. Il m'avoua gracieusement qu'il ne me connaissait pas du tout et que c'était la première fois que mon nom frappait ses oreilles. Comme j'avais eu deux pièces jouées à son théâtre, je vis tout de suite que ce directeur péchait par l'érudition. Après avoir établi le but de ma visite, et comme quoi, même après Scribe. et les maitres, j'avais osé composer une œuvre de théâtre, je priai ce directeur de m'accorder lecture, nuitamment. Il me l'accorda pour le 26 janvier, à neuf heures du soir, dans ce cabinet directorial où tant de fois M~ Harmant m'avait donné des adresses d~actrices, et où plus tard Carvalho nous retenait jusqu'à une heure du matin, Silvestre et moi, pour jaboter et conter des histoires. Oh ce cabinet Il me semblait
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que tous ses meubles allaient danser lorsque j'y entrerais. Mais les meubles ne dansent point. Et ceux des cabinets directoriaux sont tristes. Ils en entendent de si bêtes, qu'ils finissent par prendre des aspects d'études de notaires.
Par un hasard curieux, le 26 janvier 1882 fut le jour où le grand ministère de Gambetta tomba avec bien des illusions et bien des espérances. Je tombai avec lui devant Raymond Deslandes. Cette corrélation fait encore ma joie.
A la vérité, il ne me fut pas plus possible de savoir pourquoi Raymond Deslandes ne voulait pas de mon ouvrage, qu'il n'était possible a Raymond Deslandes d'expliquer pourquoi le pays ne voulait plus du grand ministère. Ces deux faits restaient aussi mystérieux l'un que l'autre. Le grand ministère était un ministère comme un autre, et mon ouvrage était une pièce telle qu'on les fait couramment. Mais un malheur n'arrive jamais seul, et j'àvais porté la guigne à Gambetta. Raymond Deslandes était assisté de M. Bertrand junior, le frère de M. Bertrand major, et qui représentait les intérêts de son aîné dans l'entreprise. Ni l'un ni Faùtre n'avaient compris un traître mot de Herminie, et force me fut de m'en apercevoir quand ils me firent part de leurs impressions. Mais si l'un s'était cru en Egypte, l'autre avait été transporté aux Indes. La confusion était complète. J'avais du lire en dépit du sens commun. Alors j'essayai de leur expliquer par où ma pièce était la plus belle de toutes les pièces et j'y
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déployai une éloquence effrayante, si effrayante qu'ils en conclurent à une absence totale de modestie dans un si jeune auteur. Et ma foi ils eurent raison. Je n'étais pas du tout en humeur d'humilité ce soir-là, et j'avais en mon ouvrage une connance absolue. Je l'ai encore Enfin, je défendais un condamné à mort, hélas devant quels juges Des juges qui, non contents de vouloir me guillotiner, y employaient la persuasion et me vantaient leur infaillibilité à tirer le cordon du couperet sur les cous frais et un peu gras.
Je retrouve dans mes notes le souvenir de l'extase où ces deux directeurs entrèrent alors en me parlant de Victorien Sardou, comme aussi de la pièce qu'il leur avait promise pour l'hiver suivant Ils ne la connaissaient pas, cette pièce, mais qu'elle serait belle! Ils me communiquèrent leur exaltation, et pour un peu nous aurions formé une ronde à nous trois. Et puis ils me montrèrent des lettres de Sarah Bernhardt enthousiaste, elle aussi, du rôle ignoré qu'elle aurait dans cette pièce future. Ces lettres d'ailleurs étaient adressées à M. Bertrand ainé, celui des Variétés, ce qui tout à coup me fit penser à ma dépêche. Je la produisis.
Ça, c'était du théâtre.
Alors ils me prièrent de leur laisser mon manuscrit
pendant quarante-huit heures, pour le relire. J'y avais quelque méfiance. J'exigeai d'eux la promesse que nul autre qu'eux seul? n'en prendrait connaissance, et je partis en leur laissant la bête à qui le duvet d'ours commençait à pousser.
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son esthétique. Celle de M. Koning était d'un homme spirituel, mais profondément sceptique et ne cherchant pas à dépasser la moyenne- des idées générales. Je n'étais pas chez un oseur. Mais j'étais certainement chez un zélateur des succès consacrés, des réputations de boulevard et des esprits faciles. J'augurai mal de ma visite.
Heureusement que pour M. Koning je n'étais pas tout à fait l'inconnu que j'avais paru à Raymond Deslandes nous avions même collaboré ensemble à des journaux parisiens. Je lui rappelai une pelisse de fourrure magnifique qu'il avait eue autrefois au Paris-Journal et qui faisait mon admiration. Il me parla à son tour du désordre de ma chevelure. « Quelle tête de loup vous aviez! disait-il. Enfin, M. Koning prit mon manuscrit et me donna rendez-vous pour en causer à quarante huit heures après.
Je ne vous cacherai pas, fis-j e en me retirant, que la pièce vient d'être refusée au Vaudeville.
Par Raymond Deslandes, nt-il? fichtre! Alors je l'aurai lue ce soir. Venez dès demain matin. Cet accueil charmant me remplit d'espérances. Au moins, pensais-je, en voici un qui est gai et qui a de l'esprit naturel! S'il n'y avait pas cette diablesse de
collection
Le lendemain matin, j'allai rue Cambon. J'étais préalablement entré chez un coiffeur qui m'avait civilisé « ma tête de loup a, y avait dessiné des raies tout à fait boulevardières et même l'avait suiffée avec des essences
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généralement estimées. J'entrais dans la voie des concessions.
A ïa bonne heure s'écria M. Koning en m'apercevant, vous avez une tête à succès
D'ailleurs, reprit-il, votre pièce est excellente et j'ai pour elle une distribution comme aucun théâtre de Paris ne peut vous en offrir de comparable. Saint-Germain et M"' Magnier seront impayables dans le couple Virandot. Guitry et Marais semblent créé s pour les rôles de Georges et de Pierre. Il ne nous manque que le lièvre du civet, c'est-à-dire la comédienne de Herminie. (C'était le coup connu de la comédienne, j'y parai.) J'exhibai la dépêche de Sarah Bernhardt.
Bon s'écria M. Koning, partez pour Lyon, traitez avec elle pour l'acceptation du rôle; vous m~envoyez une dépêche, j'arrive, et le reste me regarde. Maintenant, asseyez-vous, il y a autre chose. Du moment que le rôle est pour Sarah Bernhardt, il faut modifier le dénouement. Dans votre manuscrit c'est le mari qui se sacrifie et qui meurt. D'abord je n'aime pas beaucoup cela, et ensuite Sarah ne l'aimera pas du tout. Depuis la Dame aux Camélias et Froufrou, elle veut toujours mourir en scène. C'est sa folie de se montrer en morte. Faites-la moi mourir avant d'aller à Lyon. Refuser cette concession quand j'étais couvert de pommade était-ce logique? D'ailleurs le dénouement de M. Koning valait le mien, sinon philosophiquement, au moins théâtralement, et je remaniai le dernier acte, que je lui portai et qu'il approuva dans sa forme nouvelle.
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Puis j'allai à Lyon.
Oh! ce voyage 'ou plutôt ce séjour à Lyon pendant trois jours, 15, 16 et 17 février 82, au Grand-Hôtel! Strictement M. Koning m'en devrait la dépense, puisqu'il m'en posa le lapin directoral; mais non, je reste son débiteur, et largement, car c'était bien drôle.
J'y fis connaissance avec Jacques Damala, être beau, doux et farce, qui ne voyait, dans tout ce qui lui arrivait, que le plaisir de jouer la comédie. Damala, d'ailleurs, s'embêtait toute la journée; il n'y avait que le soir, lor&qu'il se costumait dans sa loge, au théâtre Bellecour, pour jouer Hernani, que sa langueur orientale l'abandonnait. C'est alors qu'il faisait des charges aux vieux soupirants de la tragédienne dont les coulisses étaient encombrées. Il y en avait d'absurdes, d'impotents, de bizarres et d'horribles, un surtout, espèce de mannequin hoffmanesque dont la musculature était si faible que ses membres, après un geste, restaient levés ou tendus sur leurs charnières et ne pouvaient plus reprendre leurs places. Il fallait voir Damala lui rabaissér une jambe ou lui détendre le coude pendant une période expressive! Mais ces choses appartiennent à l'histoire.
Qu'il suffise, au lecteur, de savoir que durant les trois jours que je passai à Lyon, je ne pus arriver à causer une seule fois, sérieusement, de ce qui m'amenait, avec Sarah Bernhardt. Ce fut Damala qui me fit l'amitié de l~re mon manuscrit. Je ne puis me rappeler s'il en
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fut satisfait, mais je crois bien que oui. Le jour de mon départ, l'illustre comédienne se décida à m'avouer que son traité avec le Vaudeville lui interdisait de jouer à Paris une autre pièce que celle de M. Victorien Sar" dou.
Il fallait donc me le dire tout de suite, m'écriai-je. Laissez-moi toujours votre manuscrit, ajoutat-elle, je le lirai d'abord; puis je le jouerai avec ma troupe à Bruxelles, à Londres, en Suéde, partout où je vais aller, excepté chez M. Koning, car je le détester Il fallait donc encore me prévenir de cela! C'est comme pour Deslandes, reprit-elle. Il ne fallait pas lire à Deslandes, il fallait lire à Bertrand, des Variétés, et c'est lui le véritable directeur du Vaudeville.
Il fallait donc m'en avertir!
Et je revins à Paris, en compagnie du peintre Clairin., qui acheta, à la g-~re, un saucisson de Lyon colossal et haut comme la colonne Vendôme. Le bon Jacques Damala nous mit en wagon, avec un soupir. Je me rappelle qu'il était stupéfait de ma crédulité en affaires de théâtre, a Ainsi vous avez accepté d'être joué à Bruxelles,.me disait-il. Ah! que c'est curieux! » Le pauvre garçon! il croyait que j'étais un auteur cë~6re/ Ce que c'est que d'être né à Athènes Nous étions partis trois, Clairin, le saucisson et moi; nous n'arrivâmes que deux, mais nous avions soif pour trente. Telle est l'exacte vérité. Je reverrai Lyon avec plaisir. Ce fut la plus gaie station de mon calvaire.
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Eh bien, s'écria Koning, rue Cambon.
Eh bien, elle est toute à M. Sardou, d'abord Et ensuite elle ne peut pas vous souffrir!
Cherchons une autre interprète. Sans interprète point de rôle.sans rôle point de pièce, sans pièce point de réception D'ailleurs je ne vous cacherai pas que je ne vois que Sarah de possible pour votre affaire. Vous avez, repris-je sans défiance encore, M"" Mary Jullien, qui est très artiste. Elle est de votre troupe régulière. Prenons-la.
Jamais!
Ah? Voulez-vous que je prie La Rounat de nous prêter M"" Marie Laure On parle beaucoup d'elle en .ce moment, et Vacquerie m'en a. dit grand bien. Non.
Il y a M'~ Rousseil, qui est sans travail et disponible.
A aucun prix.
Sarcey, que je suis allé voir, me conseille une M"" Sarah Rambert qui a des triomphes en province. Sarcey ne sait pas ce qu'il dit.
Qui alors?
Cherchez, c'est votre affaire.
Jé me levai pensif. C'était le coup 123, le coup que m'avait jad~s fait M. Harmant pour Père et Mari. Je venais enfin de le reconnaître, distinctement. Alors c'est une défaite?
Mais, pirouetta le spirituel directeur, vous n'avez
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de moi aucune réception officielle, ni lettre, ni bulletin ni rien du tout.
Je ne suis donc pas reçu?
Mais non
J'éclatai de rire. Ah qu'elle est bonne! Ce dénouement changé, ce voyage à Lyon, ces visites que je vous fais, Damala, le saucisson, et les dépenses, tout cela c'est pour vous divertir? Permettez-moi de vous serrer la main.
Trouvez la comédienne que je rêve pour votre pièce.
Mais si vous ne rêvez que Sarah Bernhardt? Oui. Mais ça ne fait rien. Cherchez toujours. Vous devez, avec votre instinct infaillible, m'avoir -deviné un vrai génie de courtier d'engagements, si j'en juge du moins au métier que vous me donnez à exercer. Tenez, je vous propose M"' Dica Petit.
M. Koning resta silencieux un moment: -Vous la connaissez?
D'aucune façon.
Mais elle est à Pétersbourg?
Je puis lui écrire.
Soit, je n'ai rien contre Dica Petit. Qu'elle vienne ou qu'elle m'envoie quelqu'un pour traiter de son engagement avec moi.
Et si elle accepte, serai-je reçu?
Allons fit alors M. Koning, voulez-vous la vérité vraie, ce qu'on appelle le fin mot? Je ne veux pas vous
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recevoir officiellement à cause de l'indemnité que je serai forcé de vous payer si je ne vous joue pas. Vous craignez donc de ne pas me jouer?
Je le crains.
Pour le coup la drôlerie de la situation l'enleva luimême et nous nous mimes à rire tous les deux de si bon cœur que l'un des tableaux de la collection se détacha du mur et tomba. Les objets eux-mêmes étaient gais rue Cambon 1.
J'aime à pousser jusqu'au bout les aventures prodigieuses. J'écrivis donc à M"' Dica Petit, à Pétersbourg. Quelques jours après je recevais d'elle un télégramme par lequel elle acceptait de jouer le rôle, les yeux fermés, sur ma simple signature. Une lettre suivait,. où elle me confirmait cette confiance et me priait d'aller voir M. Got, son professeur et son ami, qui devait se charger des questions d'intérêt avec M. Koning, c'est-àdire de l'engagement et de ses clauses.
Got était prévenu, de son côté. Il me promit de voir le directeur du Gymnase. Et il tint sa promesse, ainsi qu'on le verra par les lettres suivantes
« Paris, 24 mars i882.
« Cher Monsieur Bergerat,
« Hier jeudi, je suis allé au Gymnase, sans réussir à rencontrer M. Koning. Je suis tellement occupé ces jours-ci par le théâtre et par d'autres besognes per-
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sonnelles qu'il me sera impossible de tenter une nouvelle démarche avant lundi. prochain. Mais alors serat-il encore temps pour vous-? Et puis, le trouverai-je à. mon heure? Et d'ailleurs, en y réfléchissant bien, à quel résultat utile pour votre affaire pourrai-je arriver avec cet être fluide et échappant qu'est en général tout directeur, et par tempérament et par destination N'importe, si vous le jugez à propos, et puisque je vous. l'ai promis, je risquerai encore l'aventure. Votre sympathique.
<t E. GoT. a
-Au reçu de la lettre incertaine et gênée du doyen des sociétaires, je courus au Théâtre-Français. Je serais beaucoup plus fort peut-être, et certainenement plus à mon aise, si je connaissais l'ouvrage, me dit-il.
Qu'à cela ne tienne, voulez-vous le connaître? Demain matin, chez moi, de neuf à onze, fixa Got. Je lus Hjr~mte à Got, ainsi qu'il le désirait et il fut visiblement frappé de quelques mérites de l'ouvrage, car il me demanda pourquoi je ne le présentais pas au comité.
Merci, je sors d'en prendre.
Vous êtes un enfant, reprit-il, on vous doit une compensation d'abord pour le refus inexplicable du Nom. Et puis, cette fois, j'ose vous le dire, vous passerez. Votre Herminie est un- coup de fortune pour
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un directeur si elle réussit, -et, dans tous les cas, ce sera une superbe bataille.
Vous direz cela à M. Koning?
Je le lui dirai textuellement, je m'y engage. Ah 1 si vous vouliez adoucir votre dénouement!
Il est de M. Koning lui-même, ce dénouement! Vrai? Eh bien alors, il n'a aucune raison de ne pas accepter la pièce, à moins d'être fou ou imbécile Êtes-vous bien avec lui?
Très bien. Il me fait faire des voyages.
Il fut résolu entre Got et moi que, si la seconde démarche auprès du directeur du Gymnase ne réussissait pas, je demanderais lecture encore une fois au comité de la rue Richelieu.
Le seul obstacle à la réception chez nous, m'assura-t-il encore, ce serait le dénouement. Et chez M. Koning c'est une chance de plus. Ce que c'est que le théâtre!
Actuel! soulignai-je.
« Paris, 30 mars i882, 3 h.
< Cher Monsieur Bergerat,
« Je suis retourné ce matin au Gymnase où l'on m'avait dit que M. Koning devait faire répéter une de ses pièces nouvelles. Mais j'ai vainement attendu de une heure à une heure et demie; je ne puis en somme m'en prendre à personne de ce contretemps i mais vous comprendrez, n'est-ce pas, que je ne risque
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pas de lui laisser encore inutilement'une troisième carte de visite?
« Votre pièce, d'ailleurs, est parfaitement de force, surtout avec son très bon premier acte et les portions tout à fait et sincèrement distinguées répandues dans tout le reste, à s'imposer elle-même à un directeur intelligent ou désireux d'un succès, fut-ce au prix d'une bataille possible. Et quant à moi, vous le savez, c'est ce que je me plais à vous souhaiter de tout mon cœur. a E. GoT. a
Cela devenait désopilant. Je pris donc la résolution de pousser l'épreuve jusqu'aux limites extrêmes du possible et d'approfondir les mœurs théâtrales de mon temps. L'idée du présent livre me vint alors et je préparai les matériaux dont il devait se composer. Il s'agissait désormais d'aller jusqu'aux colonnes d'Hercule de la mauvaise foi et de la bêtise. J'y suis allé. Jeunes gens qui, à votre tour, entreprendrez le voyage, munissez-vous du viatique de l'intrépidité, car si vous êtes accessibles au découragement, au doute et même à la misère, l'exploration n'est pas votre affaire. Il n'y a pas d'oasis dans ce désert, il n'y a que des chameaux, et l'on en revient sans avoir vu la Mecque. Je demandai lecture à la Comédie-Française. Mais il ne s'agissait plus pou r moi d'être reçu, joué, jugé, et d'autres inutilités. J'étais décidé à rire et à me payer la comédie du monde théâtral. Plein de ce projet
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canaille et charmant, j'allai voir Émile Augier, que j'avais connu à mes débuts, en 1866, et avec qui j'étais demeuré en relations littéraires. Je savais d'ailleurs que le maître aimait ce que je faisais et qu'il avait parlé de mes travaux très favorablement, par diverses reprises, à maintes personnes.
Voici, lui dis-je; je vais lire quatre actes chez Molière, et je désire savoir d'un homme dont je prise l'esthétique, la franchise et le bon sens, si ces quatre actes sont viables. Voulez-vous accepter cette corvée? Tout dt suite, fut la réponse d'Augier. Allez me chercher votre manuscrit.
Et Émil' Augier lut Herminie Tout lui en plut, sauf dénouement-Koning. Il m'indiqua les moyens de le -emanier, et avec une cordialité, un sens de la scè! le ses effets, et une netteté de vues philosophique me transportèrent. Puis il me prédit un bon a< Comité et alla jusqu'à se donner la peine de r~ '~MM~r l'ouvrage à M. Emile Perrin. J'avais, i idu, modifié mon dénouement d'après les av~ «~" sous les yeux d'Augier, et tout conformées" \t~-rience.
Cette t~ < ~Mïn c fut bien curieuse. Connaissant l'in niu<: f' art de ses membres et de son directeur M ~m~e r mn, et désireux de les taquiner
t
dans la mesura <*f tn~ moyens, j'avais demandé que tous les ~< urs assistassent à la séance, car tel était'ooil perrin avait été contraint de me le prcm~t -~nt jins trois d'entre eux manquè2
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rent. Oh les malins! Mais comme je'me promettais de les repincer par d'autres lectures imminentes, je me contentai des cinq victimes que j'avais sous la main, et je lus sans prendre haleine, cruellement, en enfonçant les beautés dans le tas. Ce fut horrible. ils s'épongeaient le front, ces hommes 1
Quand ce fut fini on m'enferma chez M. Emile Perrin et on me laissa seul vingt-cinq minutes. Trouvant le temps long, j'ouvris la fenêtre du balcon, et je me mis à fumer un cigare. J'avais envie de parler au peuple pour me distraire. Il y vait en face, dans un bureau d'omnibus, des gens qui prenaient des correspondances pour l'Odéon Les malheureux, ils me présageaient mon sort, que d'ailleurs je connaissais d'avance.
Le directeur parut enfin, nanqué de Got, et il ntune grimace en voyant mon cigare. Excusez-moi, dis-je en tirant ma montre, mais il y a vingt-cinq minutes 1 M. Émile Perrin m'a toujours détesté, d'abord parce mon nez lui déplaisait et ensuite parce que je l'avais malmené dans des feuilletons à cause de son autocratie, de l'absurde création de ses « mardis & et de son esthétique rétrograde. Je dois toutefois lui rendre cette justice qu'il avait conscience de sa partialité, et qu'il essayait de s'abstraire de ses rancunes lorsque je lui soumettais un ouvrage. Il revint donc avec Got, et voici le court et mémorable entretien que nous eûmes Notre doyen, dit M. Perrin, au jugement duquel vous paraissez avoir confiance puisque vous lui
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avez lu votre pièce avant de nous la lire, vous dira l'opinion du Comité.
Et il s'assit dans un coin.
Parbleu, fit Got, p~sez nerveux, dites-la-lui vousmême.
Soit. Et, sans se lever, M. Perrin, d'une voix lente et sentencieuse Le Comité allègue que votre pièce est un roman! t
Voilà, souligna Got.
Je restai assez ébahi. Je m'attendais à autre chose de plus naïf. Les vingt-cinq minutes s'expliquaient. Il faut bien vingt-cinq minutes, même à cinq ou six, pour trouver de ces traits de critique transcendante. Ma foi, m'écriai.je, vous êtes gens d'esprit, et celleci est supercoquentieuse. Cette pièce qui est un roman, c'est comme un cheval qui serait une vache. Maintenant je voudrais des raisons sérieuses, s'il y en a toutefois.
Eh bien, reprit le directeur, votre pièce~n'est pas telle que celles que le public nous demande a Voilà, souligna Got encore une fois.
La cocassité de l'arrêt se quadruplait de la succession singulière de pièces manquées que la Comédie faisait dénier depuis cinq ou six ans devant le public. Je le donnai humblement à observer à M. Perrin. Pour une de plus! lui dis-je. Votre direction n'avait rien à y perdre. Mais concluons. Suis-je reçu à correction, c'est-à-dire avec le respect du au travailleur, même quand il se trompe, ou suis-je refusénet?
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L'œil de mon ennemi brilla de joie Refuse net, fit-il.
Alors, utilisant le geste de Mirabeau parlant à DreuxBrézé (je l'avais étudié d'avance) Allez dire à votre Comité que, cette fois, j'ai travaillé avec Émile Augier et qu'en me condamnant c'est ce maitre qu'ils renient. L'effet fut beau, et tel que je l'avais souhaité. Got me pria de l'attendre sous les arcades, ayant à me parler. Il vint bientôt, en effet, et me prenant sous le bras, comme autrefois Regnier
Ne perdez point pied. Leur refus est inqualifiable, absurde, ridicule, et il empeste la rancune! Gardez votre pièce; ne l'imprimez pas, elle reviendra ici, c'est moi qui vous le prédis.
Mais elle est refusée net?
–Qu'est-ce que cela fait? Mais est-il vrai qu'Augier vous ait guidé dans ce travail?
J'exhibai les lettres d'Augier que j'avais dans ma poche.
Elle est raide, dit Got. Mais c'est bien joué, et nous en avons sur les doigts.
En quittant Got, je courus raconter l'aventure à l'illustre maitre du théâtre moderne.
Qu'importe ? raisonna-t-il, vous aurez votre tour. D'ailleurs, Emile Perrin m'a bien dit, à moi, que j'étais < vieux jeu! a Mais je verrai Koning, laissezmoi faire. Ils deviennent ineptes à la Comédie-Française, et je suis en train de leur retirer mon répertoire.
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Quelques jours après, je reçus la lettre suivante a Mon cher Bergerat, j'ai reçu votre livre et je vous en remercie. J~ l'emporte à la campagne où je le lirai à loisir, à travers ma loupe et mes lunettes. J'ai parlé d'Herminie à Koning. Il reconnaît toute la valeur de l'œuvre, mais il en voit aussi tous les dangers, et il ne veut décidément risquer l'aventure qu'avec Sarah. Je vous écris à la hâte au milieu de mes préparatifs de départ.
a Bien à vous.
<t E. AUGIER. a
M. Victor Koning s'obstinait dans son rêve facétieux. Je persistai dans mon exploration grotesque. Ce fut alors que La Rounat me mit en rapports avec M. Bertrand, des Variétés; on verra plus loin de quelle manière. Et me remémorant tout à coup ce que Sarah Bernhardt m'avait dit de son autorité d'Éminence Grise au Vaudeville, comme de ses reproches de ne pas m'être adressé d'abord à cet aimable homme, je lui contai mes mésaventures. La Rounat lui avait parlé de ma pièce. Il voulut la connattre. Je la lui envoyai. Sauf un détail du premier acte (la rentrée de Georges de Moussac ivre-mort) il trouva que c'était un travail excellent.
Je ne comprends pas que Deslandes vous ait refusé cela. Tel fut son mot, noté sur mes tablettes comme tous ceux que je reproduis.
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–M"~ Pierson, repartit M. Bertrand, vous jouerait très bien le rôle principal, soit au Vaudeville même, soit chez Koning, et Deslandes la lui prêterait certainement. Du reste, je lui en toucherai deux mots. Allez d'abord rendre visite à M"' Pierson.
Très aimable, très charmante et disposée à merveille en ma faveur, la comédienne me promit d'obtenir de son directeur l'autorisation de créer jHenruyne au Gymnase, si toutefois M. Koning y voulait consentir. Mais M. Koning n'y consentit pas. J'ai malheureusement égaré la jolie lettre que M"' Pierson m'écrivit alors et dans laquelle elle s'excusait de son impuissance à me venir en aide artistique. Mais je me rappelle d'elle un &ai conseil qu'elle me donna et que je transmets à ceux de mes confrères qui travaillent pour le Vaudeville.
Quand vous voudrez réussir auprès de Deslandes., me dit-elle, n'oubliez pas de fourrer des « petites ûeurs et des « petits oiseaux a dans votre ouvrage. Il ne résiste pas à cela: pour lui c'est la poésie Sur ces entrefaites, le charmant comédien SaintGermain, qui fait cependant profession de scribolàtrie mais qui hante les poètes, m'ayant rencontré chez l'éditeur Lemerre, voulut bien s'intéresser à son tour à Herminie. Je le mis au défi de la faire jouer, et lui narrai mes aventures qu'il connaissait d'ailler~ en partie.
Je la jouerai moi-même, avec des camarades, l'été,
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lorsque les directeurs sont aux champs Donnez-moi votre manuscrit.
Saint-Germain fut enchanté de l'œuvre, et s'occupa activement de la produire. Il remua le ciel et la terre, entreprit à nouveau Sarah-Bernhardt et même, aidé de Damala, tenta de reconquérir M. Koning. Il avorta, c'était prévu. Il ne put même recruter parmi ses camarades la petite troupe nécessaire à monter la pièce pendant les vacances, et dut renoncer à son aimable initia tive.
Mais il faut revenir sur nos pas et fixer le souvenir ineffable d'une polémique survenue entre M. Raymond Deslandes et moi au sujet de cette pièce vraiment extraordinaire en ceci qu'elle aura eu toutes les consécrations de l'infortune. Elle est vraiment le type de l'ours. Je Faimerai jusqu'à mon dernier soupir. Le 30 mars 1882, le jour même où Got rendait sa première visite à M. Koning pour le décider à profiter de la bonne volonté de Dica Petit en faveur de Herminie, le journal l'~ud~emenf publiait l'article suivant, sous la signature de Léon Chapron, l'un de mes confrères en chronique.
(ëuéneme~, jeudi 30 mars 1882).
M. Raymond Deslandes, directeur du théâtre du Vaudeville, m'adresse la lettre qu'on va lire, avec prière instante de la publier. J'ai d'abord hésité, en ce sens
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que j'ai un vif sentiment de la. solidarité, de la presse. Si M. Deslandes m'avait écrit une lettre blâmant, la façon de critiquer de mon confrère M. Émile Bergerat, je me serais fait un plaisir de jeter dans la boîte aux oublis Fépître du directeur du Vaudeville, estimant que la critique a le droit d'aller aussi loin qu'il lui plaits<t!ua dignitate s'entend. Sans compter qu'en ce qui touche l'~urëo~e je suis absolument, sauf un point unique, et le plus important il est vrai, de l'avis de M. Bergerat. L'Auréole est une piécette vieillotte, assez peu digne de M. Jacques Normand et qui, sans les amusantes singeries d'une très intelligente comédienne, M"' Réjane, aurait assurément fait long feu. Mais le cas est tout autre. J'ajouterai que je ne connais pas du tout M. Bergerat et que je n'ai avec M. Deslandes que des relations de pure courtoisie.
M. Bergerat, dans son feuilleton dramatique du Voltaire, attaque directement M. Raymond Deslandes, à propos du dénouement de l'Auréole. Je cite: <t .II parait, d'ailleurs, que c'est le directeur qui a imposé à l'auteur cette faute théâtrale de ne pas dénouer l'action. Il a trouvé cela plus nouveau, le directeur! Pourquoi n'y a-t-il pas introduit un Samoyède ou un Turc, pendant qu'il y était? Oh! quel désastre, mes amis, qu'un directeur qui se pique de littérature et en pince sur la lyre des autres Quand on pense, cependant, qu'il n'y a pas de tribunaux institués pour empécher de pareilles effractions, et que rien ne défend le producteur des castrations stupides auxquelles le théâtre succombe a
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Et plus loin: « L'art dramatique est un art où tout le monde compète, excepté celui qui en fait. Le droit à la pensée n'appartient qu'à ceux qui n'ont pas eu cette pensée. Présenter une pièce à un directeur, c'est lui ~onrir de quoi en faire w~c autre qt~tï ne signe pas, dont il n'est pas responsable e< dont il vous jette l'insuccès à la <e<e, si elle ~ombe. a Vous voyez le ton. Il est visiblement d'une singulière amertume.
M. Deslandes a senti là une agression personnelle. Le directeur du Vaudeville, avant de tenter la fortune d'une entreprise théâtrale, a longtemps été des nôtres. Il n'a pas de journal sousla main pour riposter et frappe à la porte de l'Événement. Nous marquerons les coups. Voici sa lettre
« Paris, le 27 mars i882.
« Mon cher monsieur Chapron,
Je viens faire appel à votre indépendance bien con« nue pour vous prier d'insérer la lettre suivante, ayant < d'ailleurs pleine confiance dans les libres allures de « l'Événement.
« Il existe de par le monde des lettres un journa« liste. (Je prends la liberté de biffer ici quelques qua« lincatifs, désireux d'éviter une rencontre à la hache or d'abordage entre MM. Bergerat et Deslandes.) et qui a de plus a des visées d'auteur dramatique, M. Emile a Bergerat pour ne pas le nommer. Il nous a lu récem« ment une comédie en quatre actes qui nous a procuré
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« une douce somnolence. Pour nous récompenser de « notre laborieuse attention, il trouve bon, à propos de « l'Auréole, de prendre à partie la direction du VaudeK ville dans son feuilleton dramatique.
« C'est le même personnage qui a imprimé tout vif « que le premier acte d'Odette était le pont aux ânes de « l'art dramatique. Il ne s'en est pas tenu là. Il nous a « dit, à Bertrand et à moi, que le Supplice d'une femme « était une INEPTIE Ne trouvez-vous pas, mon cher « monsieur Chapron, que le M. Bergerat, critique, lors« qu'il s'occupe d'un théâtre qui lui a refusé une pièce, « ferait bien de laisser au vestiaire ses rancunes d'au« teur dramatique? 1
<t Veuillez recevoir, je vous prie, avec mes remerciea ments anticipés, l'assurance de mes sentiments les « plus sympathiques.
« RAYMOND DESLANOES. a
Je ferai observer à M. Deslandes que M. Bergerat n'excède en aucune sorte les limites de son droit lorsqu'il apprécie à son sentiment le premier acte d'OdeMc et le Supplice d'une femme. Je respecte absolument son opinion, sans la partager une minute. Mais il est bien clair, sans qu'il soit besoin de lire entre les lignes, que M. D eslandes accuse nettement M. Bergerat de mettre le manuscrit sous la gorge des directeurs, fort de son feuilleton dramatique. Il ne s'agit plus ici de critique~ t mais d'un démêlé qui doit intéresser particulièrement
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notre monde. Encore-un coup, je ne prends point parti dans l'espèce, ignorant le bien ou le mal fondé des griefs articulés par M. Deslandes. Il sumt que M. Deslandes soit un homme de lettres pour qu'il puisse compter, non sans raison, tous droits de la critique réservés, surl'hospitalité de l'Événement. M. Bergerat, lui, dispose d'un grand journal parisien et aura loisir de répondre. Le public alors jugera en pleine connaissance de cause. Dans le même numéro M. Edmond Magnier, le directeur de l'Événement, faisait suivre la chronique de Chapron de la déclaration directoriale suivante
UN MOT
Je né veux rien retrancher de la Chronique de Paris, nnement humoristique et littéraire, que m'envoie mon collaborateur M. Léon Chapron cependant, tout en la donnant intégralement, je ne puis m'empêcher de dire mon mot dans le débat qui y est soulevé par la lettre de M. Raymond Deslandes en réponse à un feuilleton de M. Émile Bergerat publié ailleurs qu'ici.
Le directeur du Vaudeville croit devoir, dans cette lettre, renvoyer M. Emile Bergerat, critique dramatique, à M. Émile Bergerat, auteur dramatique. Cette manière de discuter et de procéder est absolument inadmissible. Quand M. Émile Bergerat aurait fait d'aussi mauvaises pièces que l'Auréole, ce ne serait pas une raison à opposer à son article. L'argument ad hominem invoqué en dernière ressource par M. Raymond Des-
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landes n'enlève rien à la force et à la portée"des griefs formulés par M. Emile Bergerat.
Au lieu de divulguer au public, pour la railler, la récente lecture faite au Vaudeville par M. Émile Bergerat, est-ce que M. Raymond Deslandes n'aurait pas été mieux avisé de s'expliquer sur le fait de castration qui lui est reproché?
Est-il vrai, oui ou non, que le directeur du Vaudeville ait imposé à l'écrivain de l'Auréole de ne pas dénouer l'action P
Au point de vue de l'art, de la censure exercée sur les pièces par les directeurs et du public, tout est là. Les rancunes de M. Bergerat auteur dramatique, si rancunes il y a, n'ont rien à voir en l'affaire. Je regrette donc que M. Raymond Deslandes ait évité le terrain réel du débat pour se placer sur celui des personnalités. Autant, je comprends qu'un directeur, dans une mesure discrète, intervienne extraordinairement pour se défendre d'avoir mutilé ou dénaturé un ouvrage qu'il avait le droit de ne recevoir qu'après avoir conseillé et même exigé de certaines <c coupures a, t autant je refuse d'admettre que, par représailles, ce directeur mette sur la sellette non le critique, seul en cause, mais l'auteur dramatique, qui n'est nullement en cause. Où irions-nous si, pareil exemple se généralisant, tous les directeurs de théâtre se vengeaient des feuilletonistes du Lundi en leur jetant à la tête leurs propres ouvrages? Est-ce que cela rendrait meilleures toutes les Auréoles qu'ils auraient commis la faute de
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recevoir à correction? Est-ce que cela les justifierait d'avoir plus ou moins habilement châtré les pièces que leur collaboration plus ou moins obligatoire n'aurait pas sauvées d'une chute remarquablement éclatante? Une observation encore, et celle-ci toute particulière au journal que je dirige: L'~ëneme?~ sans doute, comme le remarque M. Raymond Deslandes, a de a libres allures s mais cette liberté est contenue par l'observance de quelques bonnes habitudes qui subsistent encore dans la presse.
L'une de ces habitudes est que la riposte doit s'adresser au journal qui a produit l'attaque. Ce n'était pas à l'Éuénement, c'était au Voltaire que M. Raymond Deslandes aurait dû porter sa lettre. Je ne publie pas l'jÉoënemeni pour offrir à l'honorable directeur du Vaudeville, quelles que soient mon estime et ma sympathie, le moyen d'échanger des coups. de plume avec M. Emile Bergerat, qui écrit au Voltaire. Ce mode de polémique n'est pas plus dans nos traditions qu'il n'est de mon goût. Et, si la lettre fâcheuse de M. Raymond Deslandes ne m'était pas arrivée tout encadrée dans l'excellente chronique de mon collaborateur M. Léon Chapron, je ne l'eusse pas acceptée. Passe pour une fois. (Événement, 3i mars).
A PROPOS DE L'AURÉOLE
M. Raymond Deslandes m'apporte cette lettre, qui Tépondà mon article d'hier matin. Je l'insère volontiers,
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parce qu'elle traite, celle-là, la vraie question, la seule question posée. Le directeur du Vaudeville ne m'étonne pas quand il écrit, en excellent style, qu'il n'est « ni assez sot ni assez outrecuidant a pour imposer ses idées aux écrivains qui lui font l'honneur de lui présenter leurs pièces. Pas davantage je ne crois M. Emile Bergerat capable de s'inspirer de prétendues rancunes d'auteur en critiquant les directeurs parisiens et les pièces qu~ils jouent. M. Bergerat s'est trompé ou il a été trompé, voilà tout. Donc, la cause est entendue. Voici la lettre de M. Raymond Deslandes « Paris, le 29 mars i882. w
< M. Edmond Magnier, directeur du Journal <t l'Événement B
a Monsieur,
« Vous me reprochez, à propos de la lettre que M. Chapron a bien voulu insérer dans sa chronique parisienne, de ne pas avoir placé le débat sur son véritable terrain et de n'avoir pas répondu à ce chef d'accusation de M. Bergerat:
« Est-il vrai, oui ou non, que le directeur du Vaude« ville ait imposé à l'écrivain de l'Auréole de ne pas a dénouer l'action ? a
<t Monsieur Magnier, vous ne me croyez pas capable d'une pareille bévue? Imposer à un auteur un dénoue-
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ment qui ne dénoue pas ce serait le comble des combles! 1
a Non, monsieur, je ne suis ni assez sot, ni assez outrecuidant pour imposer mes idées aux écrivains qui nous font l'honneur de nous apporter leurs pièces, et si, parfois, je. prends la liberté de leur donner mon avis, j'y mets d'autant 'plus de discrétion que je ne voudrais pas qu'on vit passer, chez le directeur, le bout de l'oreille de l'auteur dramatique.
<t Maintenant, monsieur, vous ajoutez sous forme de conclusion
< Où irions-nous si, pareil exemple se généralisant, a tous les directeurs de théâtre se vengeaient des feuil« letonistes du lundi en leur jetant à la tête leurs pro< pres ouvrages?
« Eh bien! et nous, monsieur, où irions-nous si, pareil exemple se généralisant, les critiques qui font des pièces se retranchaient derrière leurs feuilletons et, pour se venger des déceptions qu'ils auraient pu éprouver, livraient aux directeurs une guerre sans merci, et avec impunité, puisque ceux-ci n'ont pas de journaux pour se défendre?
« Cela n'est possible ni d'un côté ni de l'autre, pour des raisons de convenance et de dignité qui s'imposent. Mais enfin!
« Quant à M. Bergerat, je l'ai visé personnellement parce qu'il a voulu me faire jouer le rôle d'un sot ou d'un prétentieux, parce que son attaque dépassait toute
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mesure et que j'étais édiné sur le sentiment qui l'avait inspirée.
« Je vous demande pardon, monsieur, d'encombrer ainsi votre journal de ma prose; ce n'est pas dans mes habitudes, vous le reconnaissez mais vous m'avez adressé un reproche auquel je tenais à honneur de ré-.pondre.
« Veuillez agréer l'assurance de mes sentiments distingués.
< RAYMOND DESLANDES, a
Je répondis dans le Voltaire, où j'avais l'honneur d'écrire alors, dans les termes qui suivent
RÉPONSE A M. LÉON CHAPRON
<t Mon spirituel confrère, M. Léon Chapron, me fait l'honneur d'insérer, dans sa chronique de l'Événement, une lettre à lui adressée par M. Raymond Deslandes, directeur du Vaudeville, au sujet de mon dernier feuilleton dramatique. Dans cette lettre, l'auteur des Domestiques m'appelle personnage, et il m'accuse de diverses choses.
« D'abord, il m'accuse de tomber sa direction, et cela, dit-il, parce qu'il m'a refusé une pièce dont j'avais voulu enrichir son répertoire. Cette pièce, écrit le directeur, <c nous a procuré une douce .somnolence. a
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a Eh bien, mais, si la somnolence a été douce, c'est déjà quelque chose. De quoi se plaint cet homme de bien? il a dormi, il fut heureux. Moi, je l'ai vu dormir, c'est un souvenir ineffaçable.
« Le directeur m'accuse encore d'avoir imprimé tout vif que le premier acte d'Odette était le pont aux ânes de l'art dramatique 1 Il a parfaitement raison telle est en effet mon opinion, et c'est parce qu'il ne la partage point que nous n'avons pu nous entendre évidemment. Est-ce qu'on est guillotiné parce qu'on n'admire pas
tout ce que fait Victorien Sardou? Mais alors on serait directeur du Vaudeville à peu de frais; il suffirait pour cela de manquer absolument de goût littéraire, de discernement artistique et de compétence. Ce n'est pas possible, mon Dieu!
« M. Raymond Deslandes, dans sa lettre, me reproche « de leur avoir dit, à Bertrand et à lui, que le Supplice d'une femme était une ineptie ». Je n'ai pas tout à fait dit cela à Bertrand et à lui; j'ai dit à Bertrand et à lui ce que j'ai toujours écrit sur cet ouvrage et ce que j'écrirai jusqu'à ce que ma plume se brise, à savoir que le Supplice d'une femme avait été un modèle fatal pour la littérature dramatique de notre époque, fatal en cela qu'il nous avait appris le mépris de la couleur, le dédain du pittoresque, et qu'il avait inauguré cette monstruosité d'art le théâtre sans poésie. Si Bertrand et lui ne m~ont pas compris, ce n'est pas ma faute. Bertrand et lui ne sont pas du bâtiment. Mais au moins M. Bertrand, lui, l'avoue. Car il me l'a avoué, dans cette soirée
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mémorable, et je l'ai vivement félicité de sa franchise, au nom de tous les auteurs.
« Venons au gros grief de M. Raymond Deslandes. Belon son interprétation, je n'aurais attaqué la direction du Vaudeville sur le chef de son intervention littéraire dans l'Auréole, de Jacques Normand, que pour me venger du refus de mon ouvrage. Mon. confrère, Léon Chapron, croit aussi que telle est la pensée exprimée par mon accusateur, et il m'invite à m'expliquer sur ce point. Très volontiers.
« J'en veux d'autant moins à M. Raymond Deslandes de ce refus, justifié par la plus douce somnolence, que je sais maintenant, par l'insuccès de l'-Aurëb~ ce qu'il fait des pièces qu'il reçoit. Il y met du sien. Il doit être pour quelque chose dans le premier acte d'Odette aussi. De telle sorte que je l'ai échappé belle, comme on voit. Loin de lui en vouloir, j'ai à le remercier, devoir dont je m'acquitte publiquement, comme dans les préfaces. <c Voici d'ailleurs en peu de mots comment et de quoi est né ce feuilleton dramatique qui a eu l'honneur de remettre une fois encore la vaillante plume de Tolède aux mains de l'auteur des Domestiques. Le lendemain de la représentation de l'Auréole, je rencontrai fortuitement Jacques Normand, chez l'éditeur Paul OUendorff. Mon jeune confrère, à tort ou à raison, semble accorder quelque crédit à mes jugements dramatiques. Il me demanda ce que je pensais de son travail nouveau et je lui reprochai d'avoir escamoté le dénouement de la situation traitée. C'est aussi l'opinion de Sarcey, me
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dit-il. Or, ce dénouement existait tel que vous le désirez, c'est la direction qui me l'a fait supprimer. Je suis irresponsable. Vous l'êtes, conclus-je. Et la conversation s'engagea sur cette irresponsabilité des auteurs, contraints pour être joués d'en passer par toutes les fantaisies des impresarios.
« J'émis cette proposition que la Société des auteurs, qui protège si bien nos intérêts commerciaux, devrait bien s'aviser un jour ou l'autre de garantir aussi nos intérêts intellectuels et artistiques, parmi lesquels l'originalité est au premier rang et qu'elle devrait former un jury auquel on pourrait en appeler des étranges turlutaines, des caprices bizarres et de la critique sans criterium des entrepreneurs de spectacles. J'observai que les éditeurs n'intervenaient point dans la fabrique des romans et que de là venait la supériorité de notre école de romanciers sur notre triste école de dramaturges, réduite à subir l'Art poétique de M. Scribe, à marcher sans cesse dans les vieilles ornières effondrées, à renier Shakespeare, à tordre le cou à toute audace et à s'entendre dire qu'Odette est un chef d'oeuvre et les Domestiques un modèle.
« Ces choses ne parurent nouvelles ni à Jacques Normand, ni à Paul Ollendorff, attendu que tous deux sont assez aimables pour vouloir bien suivre dans le Voltaire la campagne que j'y ai entreprise depuis deux années pour ces idées. Cette campagne, j'ose le dire, n'a pas été sans courage, et l'auteur se ressent un peu de la rancune que les directeurs ont vouée au critique.
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Mais peu m'importe. Ce qui doit être joué est joué, et ce qui ne doit pas être joué ne Fest pas. Que mon théâtre soit mauvais et qu'il endorme doucement M. Raymond Deslandes, il n'y a rien là que d'extrêmement possible. J'égorge si l'on veut le poète à la mission du critique, et je ne bataille que pour ma férule. « Quand je crie à M. Raymond Deslandes, corrigeant l'Auréole de Jacques Normand « Vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas, vous abusez et mésusez de votre situation pour gâter un produit intellectuel sans défenseur, qui a le droit d'être ce qu'il est et dont l'entité devrait vous être sacrée, a il ne faut pas que M. Raymond Deslandes me réponde « Vous êtes orfèvre, monsieur Josse a,– car cela ne signifie rien, oh! mais rien du .tout. C'est même bête. Car enfin, si la pièce que M. Raymond Deslandes m'a refusée est, un jour ou l'autre, par hasard, représentée quelque part, et si elle réussit, le voilà coulé comme directeur, comme auteur et comme accusateur. C'est bien lui qui l'aura voulu, et je n'ai été dire à personne qu'il avait doucement somnolé pendant que je la lui lisais. On a vu de si drôles de choses au théâtre, même avant les Domestiques
« Pour mon compte, je suis ravi que mon confrère Léon Chapron ait donné, avec son autorité d'homme d'esprit, une publicité inespérée à ce débat saugrenu, c'est la littérature qui en profitera. Je le supplie de laisser de côté ma modeste personnalité, qui ne vaut pas le tapage, et d'élever le débat au-dessus de ma tête.
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Le poète ici n'est pas en cause, et c'est la critique tout entière qu'il s'agit de défendre contre la sortie intempestive d'un impresario condamné au Sardou à perpétuité et naturellement aigri et désorbité. Cent représentations forcées d'Odette, il y a de quoi troubler un homme, surtout lorsqu'il est menacé de recommencer l'hiver prochain. M. Edmond Magnier me semble avoir placé la question sur son véritable terrain lorsqu'il écrit, sous l'inspiration de son clair bon sens « Au lieu de divulguer au public, pour la railler, la récente lecture faite au Vaudeville par M. Émile Bergerat, est-ce que M. Raymond Deslandes n'aurait pas été mieux avisé de s'expliquer sur le fait de castration qui lui est reproché? » Le voilà, le clou! il est là. Il s'agit de traiter cela, voilà tout. C'est la scène à faire. « Mon cher confrère, il s'agit de nous défendre et de sauver l'art dramatique français, qui roule et dévale dans la scribouillie. Un de ces jours vous écrirez, vous aussi, une pièce de théâtre, et vous y mettrez tout ce que vous savez et tout ce que vous pouvez; puis vous porterez ce travail consciencieux et digne de respect à un directeur, pareil à M. Raymond Deslandes, qui se vantera publiquement d'avoir roupillé en l'écoutant, et qui vous demandera comme à moi
« Pourquoi cet homme aime-t-il cette femme ? » Car, puisque M. Raymond Deslandes cite mes opinions, je vais vous citer ses paroles elles sont délicieuses, et elles ont sum à me consoler.
« Je ne comprends .pas, me disait M. Deslandes, que
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<t cet homme aime cette femme; car en&n, c'est un e héros, cet homme. Une femme n'aime pas un homme « parce qu'il est un héros D
<t Témoin Desdémona, lui dis-je.
« Ce sur quoi M. Bertrand prit la parole à sonJ:our et me tint ce langage « II y a dans votre pièce une a femme qui a un secret, et qui, à un certain moment, « le dévoile. Alors, ce n'est plus un secret a a Pardon, répliquai-je, comment sauriez-vous qu'elle a un secret si elle le gardait pour elle? Le propre des secrets au théâtre, c'est de produire leur effet par la révélation.
« Et c'est ainsi que vous serez jugé, mon cher confrère, le jour où vous entrerez dans la carrière, quand nos aînés n'y seront plus. Mais enfin, encore une fois, la question n'est pas là et peu importent ces âneries je ne vous les conte que pour vous dérider, et afin que vous sachiez que, dans le sommeil même, un directeur est sujet à méprises. M. Deslandes dormait, et M. Bertrand ronflait, mais la nature veillait pour eux. Elle ne perd jamais ses droits, la nature.
« Vous est-il démontré maintenant que je ne puis en vouloir à de pareils juges de m'avoir refusé mon ouvrage et que ce n'est pas par sentiment de rancune que je défends contre eux les droits de l'écrivain à l'expression totale de sa pensée. La France est le seul pays de l'univers où l'écrivain ne soit pas respecté par les exploitants en Angleterre, en Allemagne, à Madrid, un directeur n'oserait pas s'interposer entre l'auteur et
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le public. Il sent beaucoup mieux que chez nous l'honneur que cet auteur lui fait de vouloir bien courir avec lui les chances de la fortune théâtrale il reste à' sa place et garde son rang. Il a la déférence requise. Un directeur de théâtre doit être comme une courtisane à qui l'on fait la cour; elle a le droit d'écarter les entreprenants et de choisir entre les soupirants qui la pressent. Mais elle n'a pas le droit d'accuser d'impuissance ceux qu'elle a évincés, et moins encore celui de châtrer ceux qu'elle a admis à son commerce.
<t D'où il résulte que lorsque M. Raymond Deslandes me traite de personnage il ne m'offense pas le moins du monde, au contraire. Être traité de personnage par un simple individu, c'est proprement recevoir le salut que l'on attendait. Je n'exige pas que l'auteur des Domestiques me donne du cher maître. Bigre 1 on joue en ce moment au théâtre qu'il dirige un petit lever de rideau intitulé l'Avocat des Dames auquel il a collaboré si j'en voulais à M. Deslandes, ma vengeance serait bien simple je lui enverrais du monde pour voir ça. Mais je ne lui en veux pas du tout je le conjure simplement de s'en tenir, comme autéur, à son propre théâtre et de ne pas répandre son génie dans les conceptions des autres. Il s'y épuiserait.
a Mais c'est-à-dire que je lui en veux si peu à ce brave M. Raymond Deslandes que, s'il le veut, j'irai lui lire une autre pièce, en cinq actes cette fois, que je viens de terminer à son intention! 1
« EMILE BERGERAT. »
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Le lendemain le Voltaire publia la réplique du directeur, que j'escortai des réflexions qu'on va lire, car il faut rire.
rostre, tir avril 82.
Après s'être adressé à l'Événement, M. Raymond Deslandes frappe à la porte du Voltaire. Notre hospitalité ne lui aurait pas fait plus défaut hier qu'aujourd'hui. Il a eu tort s'il en a douté.
Dans le domaine littéraire nos collaborateurs sont entièrement indépendants; nous insérons donc avec impartialité la lettre de M. Raymond Deslandes, avec la réponse de M. Émile Bergerat.
« A Monsieur Émile Bergerat, critique dramatique au Voltaire.
Parl=, le 30 mars.
« Monsieur,
<f La lecture de votre pièce nous avait procuré une douce somnolence; votre article de ce matin nous a causé une douce gaieté. Certes, vous êtes un poète, le gendre d'un poète surtout Vous avez des coups d'ailes. vous planez! Vous avez tout ce qu'il faut pour ngurer, un jour ou l'autre, dans le musée Grévin, sur un fond de violettes; mais, croyez-moi, arrêtez-vous là. que cette gloire vous suffise. Ne tentez pas d'esquisser un cavalier seul. La jambe est lourde, la chute n'est pas
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heureuse, et lorsqu'on vous voit dégringoler des hauteurs du Parnasse dans le sous-sol des Domestiques, vous faites triste ngure, et les rieurs ne sont pas de votre côté.
« Vous remerciez M. Chapron de vous avoir fourni l'occasion de développer votre poétique sur les choses du théâtre. C'est moi qui dois des remerciements à M. Chapron et à M. Edmond Magnier. Grâce à leur courtoisie, grâce à l'indépendance de leurs allures, il m'a été permis de faire publiquement justice d'imputations puériles et de donner en même temps à la galerie le spectacle d'un homme fourvoyé qui, pour se défendre, se débat dans le vide de plaisanteries faciles trop faciles.
« Ainsi, vous me reprochez avec une nuance de dédain quelques vaudevilles oubliés; mais, moi aussi, monsieur, j'ai fait des comédies des comédies qui ont été jouées à l'Odéon presque aussi ennuyeuses que les vôtres et je n'en suis pas plus ner pour cela.
« Quant au dialogue charentonesque que vous nous prêtez, à Bertrand et à moi, si ce n'est pas le produit de votre imagination, ce ne peut être que l'évaporation de cerveaux troublés par la lecture capiteuse de votre pièce.
« Encore un grief à votre actif!
« Mais vous aurez beau faire, monsieur, vous ne sortirez pas de cette impasse. Vous avez attaqué le Vaudeville, non pas à cause du dénouement de l'Auréole,
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dont vous vous souciez fort peu, mais parce que votre vanité s'est cabrée contre le mauvais accueil fait à votre ouvrage. Vous avez attaqué le Vaudeville comme vous avez attaqué la Comédie-Française. Vous avez pris à partie M. Raymond Deslandes comme vous avez pris à partie M. Perrin, non pas pour soutenir les droits de la littérature violée, mais pour des raisons moins nobles et plus pratiques.
« Et maintenant, monsieur, l'incident est clos. Je n'y reviendrai pas, ne voulant pas prolonger, plus que de raison, une polémique qui n'a aucun intérêt pour les lecteurs de votre journal.
« Veuillez agréez l'assurance de ma considération distinguée,
t RAYMOND DESLANDES, »
RÉPONSE DE M. BERGERAT
« A M. Raymond Deslandes, directeur du Vaudeville. « Monsieur,
« S'il ne s'agissait entre nous que d'une lutte d'esprit, je vous céderais la palme sans combattre. Évidemment je ne suis pas de force et votre lettre m'accable Oh ce fond de violettes du Musée Grévin et ce cavalier seul que j'y esquisse, ce sous-sol des domestiques, cette lecture capiteuse d'une pièce qualifiée par vous de som-
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nifère, d'autres perles encore, vraiment, monsieur, -c'est charmant!
Mais vous prenez le soin superflu de nous apprendre que, en sus des Domestiques, vous avez fait encore des comédies pour l'Odéon, et des comédies, dites-vous,aussi ennuyeuses que les miennes. Vous m'étonnez, mais je vous crois.
a Toutefois, puisque vous faites des comédies ennuyeuses, vous aussi, pourquoi reprochez-vous à la mienne de l'être ? Ce n'est pas logique. Je venais à vous avecconnance. « Je me disais: « Ce Raymond Des« landes est spécial pour l'ennui, il compatira; il reconnaîtra l'école qu'il a fondée à l'Odéon; il me criera a Entre frère et confrère, je connais ça, c'est ma para tie. » Erreur funeste. Comme auteur, vous les voulez ennuyeuses comme directeur, il vous les faut amusantes. Je vous l'ai dit, votre esthétique est obscure. a Vous m'assurez d'ailleurs que vous vous êtes divertis de ma réponse d'hier matin dans. le Voltaire et qu'une douce gaieté vous a secoué les côtes, à M. Bertrand et à vous, tandis que vous en preniez connaissance. Entre nous; je vous devais bien ça. Si je suis triste dramaturge, je suis gai journaliste et j'ai cru devoir vous accorder une compensation. Vous avez ri, j'en suis aux anges; sans doute, le soleil donnait dans votre cabinet et le miroir était jaune.
« Consentez toutefois à croire, je vous en prie, que les critiques que je vous ai adressées au sujet du dénouement de l'Auréole ne m'ont pas été dictées par
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un sentiment de vanité froissée. Vous n'êtes pas en mesure de froisser ma vanité, d'abord parce que je n'en ai aucune, et ensuite parce que, si j~en avais, elle serait hors de votre portée. Nous ne travaillons pas pour les mêmes dieux, monsieur Deslandes, et ce que vous cherchez, je le fuis. Vous me parlez de mon beaupère, que probablement vous avez peu connu, et vous m'honorez de m'en parler. Sachez seulement que j'ai pris de lui des leçons de Beau, qui, si vous les aviez entendues, vous auraient fait. renoncer à la littérature.
<t Croyez-moi, et soyez humble en fait de lettres, vous n'y voyez que les trente-six chandelles de votre rampe. Vos directions sont simplement des parties de hasard, et vous mettez sur Sardou, comme on met à la rouge. Ne me l'avez-vous pas avoué vous-même, et ne vous souvenez-vous pas de m'avoir déclaré que Sardou voussumsait, que vous n'espériez qu'en Sardou, que, Sardou vidé, vous fermeriez boutique, et ne m'avezvous pas fait sentir une gêne singulière lorsqu'après la lecture de mon premier acte vous vous êtes écrié Mais c'est du théâtre comme on s'écrie Malheur qu'estce qu'il nous veut celui-là dans notre tranquillité ? « Vous m'appelez poète à présent mais vous avez eu rudement peur après ce premier acte, et vous n'en meniez pas large j'en ris encore.
« Allons, allons, finissons-en, car nous sommes les seuls, tous deux, que cette polémique amuse. Elle tournerait au cabotinage.
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« Et tenez, une preuve concluante de ma bonne foi et de mon impartialité de critique. Vous me reprochez d'avoir malmené M. Emile Perrin comme je vous malmène. Et c'est fort exact. Il n'empêche cependant que je dois lire au comité qu'il préside une autre pièce, peut-être la même, qui sait! la semaine prochaine. De telle sorte que si je ne puis plus vous éreinter ni avant ni après, je ne sais plus quand je vous éreinterai. Mais voilà M. Emile Perrin n'a pas autant d'esprit que vous, et il n'a rien fait jouer à l'Odéon.
« Dame voulez-vous cinq actes ? P
« EMILE BERGERAT. n
Cette polémique qui, après avoir été amusante, est devenue grâce au temps instructive et documentaire, car nous lui devons certainement Antoinette Rigaud, fit grand bruit dans le monde des théâtres. Trois mois après, Charles de La Rounat, avec qui je travaillais le Nom en ce temps-là (voir la préface de cet ouvrage) m'en reparla et m'en dit son opinion
Vous accuser d'abuser de votre situation de critique pour lui imposer des pièces, ce serait bien si vous lui aviez imposé la vôtre. Mais il se trouve que justement il vous l'a refusée malgré cette situation. Comment raisonne-t-il, ce Deslandes ? 2
Et à toute force La Rounat voulut que je lui lusse Herminie. J'obtempérai à ce désir, et voici (j'en donne
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ma parole d'honneur) le jugement qu'il en porta < C'est du Dumas fils qui serait très bon. a Les paroles somtextuelles. D'ailleurs il me reçut la pièce d'emblée pour la saison 83-84. A moins, ajouta-t-iL qu'on ne vous la joue ailleurs avant ce temps, car j'ai déjà ~e Nom pour cette saison, et je ne puis pas monter rien que vos ouvrages.
Il écrivit alors à M. Bertrand (des Variétés) de venir le voir et il lui fit un tel éloge de mon Herminie quecelui-ci se chargea de me réconcilier avec M. Deslandes. et me pria d'aller le voir ou de lui écrire.
C'est un bon diable, me dit-il, un peu irascible,. mais pas du tout vindicatif. Faites deux pas vers lui,. il en fera huit, et allez voir M°' Pierson pendant que je lirai votre travail. Entre gens d'esprit il n'y a pas de brouille sérieuse pour des questions de théâtre. Si cela peut vous être agréable, lui répondis-je, à vous qui êtes un charmant homme, j'en agirai à votre gré. Je ne demande pas mieux que de constater l'esprit d'un confrère et je comprends qu'il soit dur à M. Deslandes de confesser qu'il s'est trompé sur l'œuvre et mépris sur l'homme. Par profession il doit paraître infaillible.
Et je fis les premières avances, en bon naïf. Mais que l'esprit est rare 1 A ces avances M. Deslandes qui étai~ alors à Cauterets et à qui par conséquent j'avais dû écrire, ann de satisfaire M. Bertrand, me répondit comme il suit.
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« Cher monsieur Bergerat, votre lettre me trouve à Cauterets. Elle y est la bienvenue et je donne les. mains, de tout cœur, aux sentiments de cordial rapprochement qu'elle exprime. Puisque nous sommes en commerce de relations affectueuses, permettez-moi de vous donner un conseil. Ne vous irritez donc pas contre un directeur qui vous refuse une pièce, ce directeur fùt.i! un idiot Songez donc, il n'est pas subventionné. Il a sur les bras une entreprise périlleuse, il risque un gros enjeu; c'est. bien le moins qu'il choisisse ses atouts. Il peut se tromper, mais il est de bonne foi, et le meilleur moyen de lui prouver qu'il a fait fausse route c'est de chercher et de trouver le succès ailleurs que chez lui. Ne m'en voulez pas de ces conseils un peu prudhommesques, mais, comme vous, j'ai parcouru ces étapes de découragement et je me suis bien gardé de faire saigner mes blessures devant la galerie. Et puis à quoi bon se fâcher avec les directeurs de théâtre ? Une pièce ne leur convient pas, une autre a chance de leur plaire. Je vous assure, cher monsieur Bergerat, que je vous vois avec peine cingler de vos coups de plume les directeurs dont vous pouvez avoir à vous plaindre. Ceci dit, revenons à votre pièce. Vous vous estimeriez très heureux, me dites-vous, de faire les lendemains de Sardou; il n'y a qu'un malheur à cela, c'est que depuis que nous nous sommes vus, la place est prise. Après Sardou, Gogo, après Gogo, une pièce
<t Cauterets, hôtel des Princes.
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de Meilhac et Wolff, après Meilhac, les Rots en exil de Daudet. Vous voyez que la saison d'hiver est remplie et au delà. Puisque la Rounat a reçu votre Herminie jd'emblée et qu'il apprécie votre œuvre, laissez-la-lui jouer. Et cherchez un autre sujet pour le Vaudeville. Vous connaissez notre troupe à merve~le, vous êtes certain d'être défendu et vaillamment! Est-ce dit? En attendant le plaisir de vous voir, une cordiale poignée de main.
<t RAIYMOND DESLANDES. n
Il n'y avait rien à répondre, et le directeur s'en tirait par la tangente, il me demandait une autre pièce. Depuis cette lettre je lui en ai présenté TROIS, ~e Baron de Carabasse, le Viol et accent. Il ne m'en a reçu aucune. J'en étais sûr, et je l'avais prédit à M. Bertrand. Ah oui, l'esprit est rare.
Dès que La Rounat eut connaissance de cette lettre, il me renouvela par écrit la réception d'Her~tme à l'Odéon.
Enfin ma pièce était casée 1 Ouf 1
Il venait de me naître une petite fille, et c'était le 5 juillet i882, je lui donnai le nom de Herminie. Sur le bruit avant-coureur de succès que ~eNom produisait dans les coulisses bien avant sa représentation j'avais reçu diverses propositions d'acquéreurs à l'étrangerpour cet ouvrage. Le plus imprudent fut M. Candeilh,
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directeur du Parc, à Bruxelles, qui voulut signer tout de suite son traité avec la Société des auteurs. De telle sorte que lorsque le Nom eut reçu à l'Odéon l'accueil que l'on sait, le pauvre homme se prit à maudire sa fatale confiance. Je lui fis alors proposer par Adolphe Dupuis de monter Herminie à la place de ce Nom de malheur et il accepta avec empressement. Il fut simplement convenu que l'on prendrait M. Francisque Sarcey pour juge et pour conseil, car M. Candeilh avait une grande foi dans le goût du célèbre critique, et que si Francisque Sarcey ne trouvait pas l'œuvre viable et même bonne, le directeur serait libéré envers moi de tous engagements.
Rendez-vous fut donc pris chez Sarcey un matin pour déjeuner d'abord, et lire ensuite. Dans l'intervalle j'avais écrit à La Rounat, désespéré de la soirée du Nom, que s'il était désenchanté de ma signature et désirait ne pas risquer avec moi d'autre bataille, je le priais de me rendre .Hermtnie, ne voulant pas lui attirer des loups à l'Odéon. Et La Rounat m'avait, pour toute réponse, renvoyé mon manuscrit, sèchement. Il y avait à ce déjeuner chez Sarcey quelques amis à moi que j'y avais amenés, Paul Ollendorff, l'éditeur, Armand Gouzien, inspecteur des théâtres, Adolphe Dupuis, enfin Candeilh. Sur eux encore l'impression fut excellente, et Sarcey me taxa sur place de a génie a, car telle est sa marotte, mais de génie fumeux. Les trois quarts de l'œuvre « étaient admirables; "il regrettait seulement que le mari de Herminie ne prît pas le 4
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seul parti conforme à la vérité et à la situation, le parti que demanderait tout le public, celui de faire un enfant à sa femme. Il fut appuyé par toute l'assistance. Moi, j'avais bondi au plafond, et j'y restais suspendu! C'était affreux, ce moyen brutal, poncif, vulgaire, contre lequel protestait toute ma conception et surtout tout mon caractère de femme. Mais Candeilh me fit comprendre que la transaction était à ce prix et comme j'avais consenti à l'arbitrage de Francisque Sarcey, je dus donner satisfaction au directeur. Certes! j'aurais dû refuser et. rompre toutes négociations, mais j'étais harrassé de cette lutte titanesque et le doute commençait à émasculer ma force de résistance. Être joué, même à Bruxelles, me semblait une solution et peutêtre après tout Deslandes et le comité avaient-ils raison contre moi. L'angoisse me saisit de savoir si cette pièce était bonne ou mauvaise, et j'ajoutai à la fin du troisième acte .la scène réclamée par Sarcey, à savoir celle où Georges de Moussac entre en mari dans la chambre conjugale d'Herminie. Inutile de dire qu'on ne la trouvera plus dans le présent volume.
Tandis que j'étais à Bruxelles occupé à y faire répéter HermtnM, je reçus un jour la lettre suivante. Elle répondait à l'envoi que j'avais fait à Got de la brochure du Nom (côté face) celui de La Rounat.
a Cher Monsieur Bergerat,
< J'ai relu ~e Nom, et bien que, en toute conscience, j'en aimasse mieux la première version et l'ancien dé-
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nouement, j'y ai retrouvé les impressions fortes et souvent puissantes des deux lectures d'autrefois. Je sais qu'en ce moment vous tentez pour votre autre pièce l'épreuve d'une première à Bruxelles et comme, pour celle-là aussi, je reste de mon opinion, complètement favorable, aux premiers actes surtout, j'aime à croire que le succès aura enfin raison.
T Bien à vous.
« E. GoT »
Herminie fut jouée le 12 avril 1882 au théâtre du Parc. Voici ce qu'en écrivait le lendemain dans l'Indépendance belge le critique le plus autorisé de Bruxelles, M. Gustave Frederix.
THÉÂTRE ROYAL DU PARC. La première représentation d'~fermtnte, comédie inédite de M. Émile Bergerat, a été donnée hier devant une salle comble. On comprend que la curiosité du public de Bruxelles ait été vivement excitée par cette pièce qui n'a pas été soumise au public parisien, que le directeur du théâtre du Parc a eu l'honneur et l'audace de recevoir telle que l'auteur l'a écrite (1). Nous avons eu des opéras inédits de musiciens français. Voici maintenant une comédie inédite d'un écrivain français. Quelle que soit l'issue de pareilles tentatives, elles auront fait monter d'un cran, dans l'estime des amateurs de musique et de littérature, les théâtres de la Monnaie et du Parc, à qui elles sont dues. (i) Hélas! noa, mon cher Frcdcrix, et poiut du tout, au contraire t
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La salle était fort brillante hier à cette première représentation d'Herminie. Quelques critiques parisiens étaient venus voir l'œuvre de M. Émile Bergerat. Mais les rédacteurs ordinaires de soirées parisiennes, ceux qui notent les faits curieux, et les assistants de marque des premières représentations, ceux que M. Bergerat a qualifiés si dédaigneusement de soireux, n'auront pas voulu probablement faire à H~-m~te l'honneur de leurs historiettes et de leurs procès-verbaux.
La soirée n'en a pas moins été intéressante et agitée, qu'elle soit ou ne soit pas racontée dans les feuilles à racontars. Nous parlerons dimanche d'Herminie et notre Chronique dramatique aura à s'expliquer sur les qualités et défauts de la comédie de M. Bergerat. Mais il faut dire dès aujourd'hui que les impressions du public ont eu des variations très brusques.
Les deux premiers actes d'Herminie, où un sujet très dramatique est hardiment exposé, où des personnages épisodiques, d'une observation très parisienne, amènent des scènes de verve et des répliques piquantes, ont lancé le succès. Le troisième acte est plein de périls, et il se termine par une scène qui n'a pas passé sans protestation.
Il né s'agit pourtant dans cette scène-là que d'un mari qui va demander, pour une nuit, l'hospitalité à sa femme. Rien de plus légitime et rien de plus louable. Mais le mari a été posé de telle façon, sa femme a de si bonnes raisons d'avoir horreur de lui, enfin cette résolution de cet antipathique mari d'user de ses droits conjugaux
~œ
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est si complaisamment soulignée, que le public s'en est senti froissé, et l'a manifesté.
Au quatrième acte, il y a eu encore quelque trouble. Une belle scène d~amour qui précède le dénouement n'a fait que mieux ressortir le malaise, l'incertitude de ce dénouement. M. Bergerat n'est pas de ces auteurs qui tiennent à bien finir, à arranger les choses selon les désirs du public. Nous verrons si ces audaces sont justifiées et si elles lui ont fait traiter son sujet avec logique et vérité.
En tous cas, le public a reconnu la haute valeur de l'œuvre qu'il avait à juger. Ses étonnements, ses impatiences des deux derniers actes ne l'ont pas empêché d'accueillir avec de bruyants applaudissements, la proclamation du nom de M. Émile Bergerat.
L'œuvre est curieuse. Elle a de la vigueur, elle a beaucoup d'esprit. Il faut souhaiter que tout le monde aille la voir au théâtre du Parc.
Herminie a été fort bien défendue par ses interprètes. M"' Subra et M. Alhaiza ont deux rôles très difficiles, où ils ont eu des mérites de composition. M. Candé représente un amoureux chevaleresque, dont la chevalerie a de la réalité. M°" Harris a un rôle charmant où elle s'est taillé un vif succès. M"' Sigall, MM. Huguenet et Maudru ont très bien rendu leurs personnages. Mais nous reviendrons sur tout cela, sur la pièce comme sur les artistes. Ceci n'est que le bulletin d'une première représentation bruyante et intéressante. G. F.
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Le seul critique français qui assista à cette première et me fit l'honneur du voyage, M. Henry Baùer, que je ne connaissais pas et qui avait été très sévère pour le Nom, publia à son retour à Paris l'article suivant dans le Réveil du 14 avril 1883.
LE RÉVEIL A BRUXELLES
HERMINIE
Comédie en quatre actes, de M. E. BERGERAT
Ainsi que je vous l'annonçais hier dans ma dépêche, jpfermmfe, la nouvelle pièce de M. Bergerat, venge la défaite du Nom et désigne son auteur comme un écrivain dramatique. La partie comique de cette comédie est traitée avec une verve étincelante, semée de mots heureux marqués au bon coin qui frappent fort et sonnent juste. L'intérêt dramatique habilement développé d'acte en acte est porté à son comble au troisième dans une des scènes les plus originales et les plus hardies que je sache au théâtre. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, il n'est rien de vieux pour le talent toujours jeune. C'est sur l'adultère tant de fois exploité à la scène qu'est pris le sujet d'Herminie, sujet essentiellement humain puisqu'il se renouvelle chaque jour. Dans la réalité, ridicule, comique ou odieux, il n'est jamais
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banal. Le don de l'artiste est de montrer la passion sous sa forme saisissante et synthétique. Cette fois il n'y a pas failli.
Ce sujet, il tient en trois lignes. Une jeune femme, belle, charmante, honnête est mariée à un débauché cynique qui de chute en chute tombe à l'ivrognerie crapuleuse. Plus d'une fois on le rapporte chez lui ivremort. Herminie en arrive un jour à mépriser son mari autant qu'elle l'a aimé. Bientôt elle aime un autre homme à qui.elle est sur le point de céder. Mais à ce moment même, elle sent en elle les premiers tressaillements de la maternité. C'en est assez pour la garder de cette faute.
En un mot, c'est la femme sauvée de l'adultère par la maternité. L'idée est neuve et n'a pas encore ~té ainsi exprimée au théâtre. Je la crois humaine et conforme à la nature de la femme. Une martyre du mariage qui au lieu de l'amour partagé, n'y trouve que la lie des humiliations et des amertumes, peut se cramponner à cet espoir suprême et revivre par ce sentiment nouveau qui bruit en elle.
Mais trêve aux commentaires; examinons de près la comédie de Bergerat.
Herminie a épousé toute jeune le comte Georges de Moussac. Pour elle, ce ne fut pas une union banale, une affaire de convenance. Elle donna son cœur, elle se donna tout entière à un mari qu'elle aimait.
Le bonheur fut court; Moussac retourna vite à la fête où l'appelaient ses compagnons de plaisirs. L'un de ces
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derniers, le baron de Champoulay, personnifie la bêtise la suffisance et l'ignorance des gommeux de ce temps-ci. Une singulière vie, celle du comte de Moussac: lassé des femmes, il passe les nuits au jeu. Quand il a perdu cent mille francs en une séance, il boit pour s'étourdir, il boit jusqu'à rouler dans le ruisseau, en proie aux hasards de la rue. C'est là où le ramasse, pris de pitié, pour le reconduire à son domicile, M. Pierre de la Tournelle.
C'est ~ut, n'en doutez pas, c'est lui qui déterminera la crise. Non pas certes le premier venu, ce Pierre-là, un chevalier errant de la liberté, un Amadis des Gaules pleurant sur le tombeau de lord Byron à Missolonghi et toujours prêt à partir en guerre pour les malheureux et les opprimés. Dans les combats, au fplus fort de la mêlée, les insurgés dont il était le chef poussaient le cri de ralliement Herminia. Voilà ce qu'il conte à Herminie il l'a connue jeune fille, et femme il la couvrirait .à l'occasion de son corps de chevalier contre les entreprises d'un mari félon et abject. Pourtant ce Pierre de la Tournelle me paraît quelque peu blagueur avec son cri de guerre Herminia. Où trouver des rebelles pour proclamer comme une Marseillaise le nom de la maitresse de leur chef?
Telle est la matière de ces deux premiers actes d'exposition et de mise enjeu des personnages. Exposition est peut-être un terme impropre, car l'on entre vivement dans l'action et ces premières scènes sont adroitement menées et reliées. Il y a là comme de la manière
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de Sardou avec l'agrément de la langue originale et savoureuse de Bergerat. Les types comiques de second plan, Virandot, le beau-frère de Moussac et le gommeuxChampoulay, la gracieuse figure d'Agathe de Virandot sont finement étudiées; les scènes comiques semées de traits spirituels rompent la monotonie d'un début de drame tout en concourant au développement de l'action.
Donc, sauf le personnage tourlourou sentimental, de Pierre de la Tournelle, les pétarades d'enfantillages romanesques signalées plus haut, deux actes d'heureuse entrée.
Pierre de la Tournelle est parti courir les aventures héroïques en Irlande. Herminie garde au cœur son souvenir sans vouloir s'avouer à elle-même son amour pour l'absent. Un incident lui dessille les yeux. Elle apprend par un journal anglais que Pierre de la Tournelle est en fuite et que sa tête est mise à prix. A l'angoisse qui l'étreint, elle comprend comme elle aime. Les maris n'en font jamais d'autres. C'est le moment que Georges de Moussac choisit pour avouer à sa femme qu'il est ruiné. Complètement décavé, le comte, c'est bien nature, s'avise de reconnaître les hautes qualités de sa femme, confesse tous ses errements et implore son pardon. Herminie le méprise et le repousse et par un brusque retour elle lui jette au visage son amour pour Pierre. « Vous dites que vous m'aimez depuis une heure je sais que je ne vous aime plus et que j'en aime un autre. Défendez-vous a »
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Telle est la scène culminante du drame,* une des plus neuves et des plus originales du théâtre contemporain. La situation est vraiment belle parce que chacun est aussitôt frappé par ce cri d'une honnête femme aux abois. Eh bien reprend le comte, je lutterai contre cet amour avec toutes les armes que le mariage met à ma disposition, et il indique au public, en appuyant un peu trop sans doute, son intention de redevenir l'amant de sa femme.
Ah si Herminie eût été mère, elle se fût absorbée dans l'amour d'un cher petit être et n'eût pas connu toutes ses angoisses. Aussi quelle n'est pas son humiliation, sa colère quand une femme de chambre à l'enfant de qui elle s'intéresse lui avoue à genoux que le comte de Moussac est le père de cet enfant! t
C'est trop, la mesure est comble Herminie court à son secrétaire. Elle y prend un épi de blé, l'enferme dans une lettre, y met l'adresse à Pierre de la Tournelle. Cet épi est le signal convenu de son retour en France. Elle sonne la porte s'ouvre; elle croit donner la lettre à un domestique. Une main s'est tendue pour la recevoir. C'est celle de son mari. Elle le brave d'un mot méprisant et quitte la place.
Froidement le comte appelle le plus fidèle de ses. gens, Bob, et lui ordonne de partir pour l'Irlande et de remettre la lettre à Pierre de la Tournelle. Puis se tournant vers sa belle-sœur Agathe stupéfaite « Bonsoir, ma chère sœur, c'est l'heure du berger a et il entre dans l'appartement de sa femme.
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Cette nn brutale a excité les répugnances et soulevé les protestations d'une grande partie du public. Il semble que Bergerat se complaise à heurter son monde il eùt été si facile d'atténuer cette violence ou de tourner la dimculté. Je lui en veux d'avoir ainsi travaillé à détruire par un mot de la fin l'effet des beautés de ce troisième acte. Encore si cette audace était de mise. Mais imaginez-vous ce mari qui réintègre après plusieurs années le lit de sa femme, ce soir même où elle vient d'apprendre qu'il couchait avec sa bonne et lui fit un enfant?
Vous me gâtez mon troisième acte, vous me gâtez votre Herminie. Je ne pardonne pas (i) à cette héroïne de recevoir cet homme dans sa couche sous le coup du signal adressé à l'amant. Je ne lui pardonne pas d'accepter cette maternité tardive de ce coureur avéré de nlles de chambre. Ne me parlez pas de pacte; il n'en est point qui doive résister au mépris et au dégoût.
Le dénouement semble bizarre (2) il serait puissant s'il était expliqué, préparé, amené. Herminie s'est retirée au château de Francbourg. Le comte l'y a rejointe. Soudain il apprend que Pierre de la Tournelle
est de retour en France et se décide à tenter une épreuve décisive. Sous les yeux de Pierre et d'Herminie il feint l'ivresse et s'en va titubant vers un gouffre qui coule au bas du château. Herminie détourne la tête avec horreur. (i) BauBr, c'est la faute à Sarcey 1
(2) J'ai rétabli dans ce livre le premier dénouement conçu, le seul dont je suis tout à fait responsable.
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Déjà il touche au bord du précipice qu'Herminie hésitante n'a pas eu un mouvement de pitié. Tout à coup dans l'angoisse qui l'oppresse, elle sent en elle une sensation inconnue. Elle pousse un cri. Son mari se jette à ses pieds.
Misérable, dit-elle, tu es père
Voilà ce que j'ai pu vous rendre de cette œuvre originale et étrange, puissante et inégale. Je ne m'arrête pas au style la cause est entendue. Jamais banal, parfois tourmenté, toujours d'un écrivain de race. Pour le fond, qu'il y a dans cette comédie de talent, de trouvailles, de promesses pour le théâtre Que ce Bergerat est singulier! comme il recherche les écueils avec le soin que d'autres mettent à les éviter! L'allure du piéton lui répugne; pourtraverserlaplacede la Concorde, il attacherait un fil d'archal à l'obélisque. Il aime le danger pour le danger, il tient à nous prouver qu'il n'a point peur de se casser le nez.
J'en suis à hésiter pour mon jugement dénnitif. Ici des situations qui m'ont ému et secoué d'admiration, plus loin des enfantillages qui me dépitent, des maladresses surprenantes. Excellent autant qu'habile dans les scènes de haute comédie, il a la poussée entrainante, le coup de fouet des situations dramatiques, puis le voici, ne sais pourquoi, trébuchant sur un pépin, comme son héros ivre.
Eh bien! oui, c'est une œuvre remarquable e,t intéressante il eût été honorable pour un directeurparisien de ne pas lui laisser passer la douane, emportant la
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caisse vide, hélas! de l'Odéon au théâtre du Parc. Peut. être vous reviendra-t-elle, vous la verrez et vous vous convaincrez que ce Bergerat sera bientôt, le jour où il lui plaira d'être sage, l'un des premiers dramaturges du temps.
Le théâtre du Parc a une troupe qui vaut mieux que notre province. M"' Subra, la sœur de la charmante danseuse, a de l'élégance et une certaine distinction. Malheureusement une peur horrible lui étreignait la gorge. Nerveuse dans les deux premiers actes, elle fut inintelligible dans le trois et le quatre. Je ne puis la juger sans l'avoir entendue. Mme Harris a de la gaieté et de la grâce. Sa jolie frimousse blonde prête son charme à l'aimable rôle d'Agathe. M"" Siggall place au premier plan un personnage épisodique. Elle dit fort juste et montre au bon moment de la chaleur et de l'émo-
tion.
M. Alhaiza a mis du soin à composer son rôle il ne manque ni de convenance, ni de tenue dans le lourd personnage du mari.
Ainsi donc ce fut cette malheureuse scène du mari voulant imposer ses droits conjugaux, scène conseillée par Sarcey et exigée par Candeilh, qui empêcha la représentation de Bruxelles d'être un triomphe..Aucune de mes concessions ne m'a réussi au théâtre et je suis fermement décidé à n'en plus accorder à personne. Le temps où l'on écrit son œuvre est l'ère de la logique, et
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c'est toujours dans la première émotion du concept que l'on avoisine la vérité au plus près. Il ne faut jamais retoucher une œuvre de théâtre. Au théâtre il n'y a ni a repeints » ni <t repentirs a. La correction d'une pièce, c'est une autre pièce. Voilà ce qu'on apprend en voyageant.
Mes derniers efforts pour obtenir la représentation de Herminie à Paris datent de 1885. Ils sont restés vains.
M. Fernand Samuel, qui m'en semble encore aujourd'hui fort épris, me la reçut pour la Renaissance dès les débuts de sa direction. Mais, entraîné par des succès d'argent dans le genre du vaudeville, il n'ose plus présenter l'oeuvre à son public, qu'il craint- de dérouter, dit-il.
Tablant ensuite sur la réception précédente de La Rounat, j'ai tenté de revenir à l'Odéon et d'amadouer le farouche Porel. Gondinet m'avait engagé à cette démarche, ne croyant pas possible que Porel demeurât insensible et fermé à la valeur théâtrale de l'ouvrage, qui, selon lui, crève les yeux a J'ai échoué auprès de Porel.
Voici d'ailleurs mes notes sur cette lecture
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Dimanche, le i8 janvier i885.
Lu aujourd'hui Herminie à Porel.
Celui-là est le plus fort de tous. L'horreur instincuve de la littérature lui transpire de tout l'être, et il croit les aimer, les Lettres! Pauvre bougre! t Refus, dès la fin du troisième acte. N'a pas voulu entendre le quatrième~ Les raisons, voici
Le type du mari trop antipathique pour le théâtre. Il laisse auprès de sa femme une bonne à laquelle il a fait un enfant. Ce n'est pas observé. Pas de situations, rien que de la philosophie. La scène de la bonne est odieuse.
Porel me dit: Si l'ouvrage était d'un jeune, je le jouerais en septembre, car il y a des qualités. Mais vous êtes trop réputé, je ne veux de vous qu'un chefd'œuvre. A quoi les reconnaît-il?
Autre critique. Votre amant (Pierre) va trop loin. Un amant ne va pas en Irlande Au théâtre, l'amant c'est le monsieur qui est derrière la porte prêt à bondir! J'attaque les situations (il y en a donc !) de biais. L'étude que j'ai pu faire, sur le vif de la vie, m'a empèché de faire théâtre. Sujet d'ailleurs commun et pas renouvelé par l'intérêt.
Voilà En rentrant, je lui écris pour le prévenir que je vais éditer mon théâtre avec des préfaces et que je répugne, dans son intérêt, à consigner les vagues bêtises qu'il vient de me dire. Je le prie de m'écrire une lettre de refus pour être publiée.
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Il se borne à m'envoyer une carte avec dessus l'ukase que voici
« Le public n'a pas besoin de mon opinion pour avoir la sienne. II a plus d'esprit que Voltaire, vous le savez. POREL. Je vous ai dit nettement que je trouvais Herminie une pièce manquée et que je n'en voulais pas. 10, rue de Babylone. Ça ne me parait guère utile à imprimer. »
Vous voyez que si, ô Porel. Utile et amusant.
M. Albert Carré, codirecteur du Vaudeville, a eu
aussi, ces derniers temps, la pièce entre les mains. Il devait la lire sans en parler à M. Deslandes. Voici sa lettre:
« Ce 2 janvier 1886.
« Monsieur, j'ai le regret de vous renvoyer la pièce que vous avez bien voulu me confier. Nous possédons au Vaudeville une réunion d'artistes dont le talent particulier à la comédie se plierait difficilement aux exigences du drame et je ne puis guère me ngurer Dieudonné se brùlant la cervelle derrière une porte. Je crqis que M. Deslandes partagerait cette manière de voir, c'est pourquoi, fidèle à nos conventions, je m'abstiens de lui soumettre votre drame. Croyez, monsieur,
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que je me réjouis fort d'avoir eu l'honneur de faire votre connaissance et que mon plus vif désir serait de lire de vous une pièce plus en rapport avec le genre de notre théâtre. Recevez, je vous prie, mes salutations empressées. ALBERT CARRÉ, »
L'excuse était bonne, ô Albert Carré, juste après (îeo7-gette, qui fut un drame, ce me semble. Mais n'en jouez pas d'autre. D'ailleurs c'était pour m'amuser de la tête de Raymond Deslandes, quand, au bout de quatre années, il verrait reparaître IIerminie sur son bureau! Horreur!
Enfin j'ai revu M. Koning, et, avec l'obstination qui me caractérise, je lui ai reparlé d'~ennïme. Toujours ~enMuue/ Il a fait une grimace! Alors je lui ai fait parvenir le rouleau à domicile. Ce sont de bons moments tout de même. M. Koning, qui décidément a beaucoup d'esprit, a dù la juger assez bonne, car, depuis nos anciens rapports, Dica Petit s'est tuée, faute de trouver un rôle à créer à Paris, et puis la comédienne capable d'interpréter le rôle d'Herminie est enfin née au soleil de sa rampe. Voici comment il s'en est tiré « Mon cher Bergerat. J'ai lu. Il y a, vous le savez aussi bien que moi, beaucoup d'esprit. Quant au drame, je ne le crois pas appelé à réussir sur la scène du Gymnase. J'en ai long à vous dire sur lui, ce sera pour notre première rencontre. Si cela peut vous consoler un peu, je vous assure que je suis peut-être plus contrarié que vous de ne pouvoir cette fois en5
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core risquer avec vous une partie dans laquelle-j'aurais pleine confiance. Poignée de main.
cc VICTOR KONING. »
Ce n'est pas mal, vraiment, et le lapin est paré avec adresse. Mais je réussirai mieux une autre fois. A présent je connais ton jeu, Victor!
BILAN DE ~ERMZNIE
POUR CONTRE
Sarah Bernhardt. Raymond Deslandes.
Victor Koning. Victor Koning.
Damala. Le comité de lecture.
Bertrand (des Variétés).
Dica Petit. Bertrand (du Vaudeville). Got. Albert Carré.
Émile Augier. Porel.
E. Goudinet.
Blanche Pierson.
Saint-Germain.
La Rounat.
Francisque Sarcey.
Gustave Frederix.
La presse belge.
Henry Baûer.
Fernand Samuel.
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Le public.
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HERMINIE.
PIÈCE EN PROSE EN QUATRE ACTES
Représentée an théâtre du Pare, à Bruxelles, le n avril t883
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HERMINIE DE MOUSSAC,28ans. M'i" Suntu. AGATHE DE VIRANDOT,a5 ans. M-.H~~ts. LOUISE, 3o ans. MU' StCALL. PIERRE DE LA TOURNELLE, 35 ans. MM. CANDÉ. GEORGES DE MOUSSAC, 35 ans. AmA!ZA. CLAUDE DE VIRANDOT, 37 ans. HocuH.tT. DE CHAMPOULAY, 25 ans. MouDRU.
PERSONNAGES
DIVERS DOMKSTtQUES.
La scène, à P<!r~e nos jours.
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Le salon de l'hôtel de Moussac, à Paris, dans le faubourg de SaintGermain. Jt est sept heures du matin. Ameublement Louis XVI, mélangé de moderne. La porte d'entrée est au fond; elle ouvre sur un escalier intérieur, venant du rez-de-chaussée et dont on aperçoit la rampe dorée et les murs tendus de tapisseries. L'appartement de Herminie est & droite. L'appartement de Georges est à gauche.
Voici les ordres. (Au valet.) Vous, Léon, vous resterez au service de M. et M°" de Virandot pendant toute la durée de leur résidence à l'hôtel de Moussac. (Au cocAerJDe votre côté, Joseph, vous tiendrez, à leur disposition, jour et nuit, les équipages de votre écurie. (Au cuisinier.) Pour ce qui vous concerne, monsieur le
HERMINIE
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE
LOUISE, UN VALET DE CHAMBRE,
UN CUISINIER, UN COCHER.
LOUISE.
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chef, on s'en remet à vos talents, comme d'habitude. Vos gages, messieurs, seront doublés à cette occasion. LE VALET.
Pardon, mademoiselle Louise. De qui émanent les ordres? De monsieur ou de madame.
LOUISE.
Rassurez-vous, de madame. M"" Virandot est, vous le savez, sa sœur cadette. Elle l'aime tendrement. <t Je désire, m'a dit notre maîtresse, qu'Agathe se croie ici chez elle. a Telles sont ses propres paroles.
LE VALET.
Il suffit, nous ~aurons nous y conformer. A votre estimation, mademoiselle, combien de temps durera le séjour?
LOUISE.
C'est l'affaire d'une quinzaine. M. de Virandot vient d'être élu député. Forcé de résider à Paris, il cherchéra un hôtel à sa convenance, dans les quartiers nouveaux probablement. M. de Virandot est extrêmement riche..
LE COCHER.
Et de quelle nuance, ce père du peuple ? Rouge ou blanc?
LOUISE.
Oh! rose, je crois.
LE CUISINIER.
Nord ou midi? Huile ou beurre?
LOUISE.
Huile, monsieur le chef. Mais M' de Virandot est parisienne.
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LE CUISINIER.
Alors tempéraments incompatibles. Il. faudra composer. Je rêve le beurre d'olives et l'huile de lait. C'est faisable, en somme. D'ailleurs, en attendant, le homard sauve tout.
LE COCHER.
Quand nous arrive ce centre gauche ?
LOUISE.
Ce matin même. Quelle heure avez-vous ?
LE VALET, tirant sa montre.
Comme la Bourse, sept heures cinq.
LE CUISINIER.
Comme le soleil. Tiens elle est arrêtée.
LOUISE.
Le train du Midi est en gare depuis une demi-heure. Ils devraient 'être ici. Madame est levée, habillée et prête à recevoir ses parents; monsieur, sans doute, ne va pas tarder à sortir de la chambre. A-t-il sonné pour son déjeuner?
LE CUISINIER.
Oh! ouichel cette nuit encore, M. le comte n'est pas rentré.
LOUISE.
Est-ce possible? Depuis quarante-huit heures. Quelle honte 1
LE CUISINIER.
Son domestique anglais, celui qui le ramasse, enfin Bob, est venu ce matin me réveiller au petit jour pour me demander un bol de. consommé froid. Il a versé dedans un demi-litre d'eau-de-vie, pour se donner des
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forces. Quel mélange! Il parait qu'il court "les rues depuis minuit à la recherche de son digne maître.
LOUISE.
A sa recherche Pas si haut, je vous en supplie. Estce qu'il ne l'a pas trouvé ? Oh mon Dieu Que lui serat-il arrivé? Et madame qui le croit ici Et ces parents qui vont arriver
LE CUISINIER.
M. le comte ne ménage même plus les apparences. A son cercle, on a dit à Bob qu'on ne l'avait pas vu depuis la veille, où il avait perdu au jeu une somme énorme contre M. de Bolskoff. On parle de cent mille francs.
Cent mille francs!
LOUISE.
LE CUISINIER.
Oui, et sur parole. Après la partie il est descendu seul dans la rue, et on ne l'a pas revu, ni ici, ni ailleurs. Bob doit être en ce moment chez M. de Champoulay, le meilleur ami de M. le comte et son compagnon de débauche. S'il n'apprend rien là, il s'adressera à la police.
LE VALET, sentencieusement,
L'inconduite dans les hautes classes n'a point d'excuse.
LE COCHER.
Excepté enAngleterre, à cause du brouillard national. LOUISE, accablée.
Ma malheureuse maîtresse! La police, cent mille francs perdus sur parole'! Un suicide peut-être et le déshonneur!
LE VALET.
Ah! pour les dettes de jeu, on a quarante-huit heures,
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après cela, l'affiche au cercle. 1-1 vaudrait mieux avertir madame on sauverait au moins le nom. LOUISE.
Je n'oserai jamais. Ah! une voiture.
LE COCHER, écoutant ~e bruit.
Ça une voiture? Jamais de la vie. Un sapin, oui. C'est notre centre gauche rose.
LOUISE, regardant au dehors.
Non, c'est un jeune homme, que je ne connais pas. Il est seul. Il regarde l'hôtel, il entre, il monte. Ah j'ai peur! Que voulez-vous, monsieur? P
SCÈNE II
LES MÊMES, PIERRE DE LA TOURNELLE. PIERRE entre, s'adressant à Louise.
Mademoiselle, avez-vous ici trois gaillards vigoureux capables de porter un homme un peu lourd? LOUISE.
Un homme. mort?
PIERRE.
Non, ivre-mort seulement. J'en ai un en bas, dans mon fiacre, qui me gêne pendant les cahots, et dont je ne serais pas fâché de me débarrasser.
LOUISE.
Mais, monsieur, qui vous dit?.
PIERRE.
Pas d'enfantillages, mon enfant. Cette carte est bien
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celle du maître de céans. Je l'ai trouvée sur'lui, fort heureusement, car je n'aurais su où le réintégrer. Vite, n'est-ce pas? J'ai soixante heures de wagon dans les reins et je ne serais pas fâché d'arriver chez moi pour me reposer.
LOUISE, ceux domestiques.
Pour madame, je vous en prie. (Les domestiques sortent.~ J
PIERRE.
Il y a une M" de Moussac ? Diable Il est rudement saoûl
· I.OUISE.
C'est la première fois, monsieur, la première, je vous le jure.
PIERRE.
Mais ça m'est égal. Je ne connais ni votre maître, ni votre maîtresse, même de nom. En descendant de la gare, j'ai vu un homme bien mis qui allait être dévalisé par des escarpes, au coin d'une rue déserte. Ma destinée est de sauver les gens. Je m'appelle don Quichotte de la Manche. C'est pourquoi j'ai sauté dans le tas et j'ai fait cinq cents quelque part sur une tête, une épaule ou un torse, enfin quelque chose de dur. J'ai le poignet un peu foulé par exemple. C'est de la sorte que j'ai pu vous rapporter ce gentilhomme, car dans l'état où il se trouvait, il ne lui était permis de se défendre! Il ne lui manque rien, voyez! (Les domesliques passent en portant Geôles et ils entrent dans la chambre. Chut! sans bruit, camàrades (A Louise qui s'auance pour regarder le comte.) Non, mon enfant ne le regardez pas il a besoin d'un bout de toilette. Salut. (Il ua à la porter
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Monsieur, monsieur, votre nom! t
Je vous l'ai dit Don Quichotte. {7! sort.)
Le brave et beau jeune homme! Voici madame, il était ternes.
C'est étrange. J'ai cru reconnaître quelqu'un que je n'ai pas vu depuis bien des années. Mon mari est-il levé?
Ah Louise, est-il rentré cette nuit? A quelle heure ?
LOUISE, courant à lui.
PIERRE, disparaissant.
LOUISE.
SCENE III
LOUISE, HERMINIE.
HERMINIE, entrant par la droite.
Qui sort là ?
LOUISE.
Où donc, madame? Ah! le tailleur de monsieur. HERMINIE.
LOUISE.
Pas encore, madame.
HERMINIE.
LOUISE.
Mais comme d'habitude, madame.
HERMINIE.
Je ne l'ai point entendu. Je ne m'endors jamais sans
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avoir reconnu certaine petite toux. Et voilà deux jours.
LOUISE, vivement.
Madame était si lasse hier soir ?
HERMINIE.
Lasse? J'ai lu jusqu'à quatre heures du matin. Louise, je vous enprie, dites-moi siGeor s est rentré? LOUISE, allant à la porte de Gt /~es.
Que madame s'en assure elle-même monsieur est chez lui.
HERMINIE.
Vous êtes une bonne fille, Louise, bien dévouée, vraiment Comment va votre bébé ? En avez-vous des nouvelles ?
LOUISE.
J'attends une lettre de la nourrice par le courrier du matin.
HERMINIE.
Nous irons le voir un de ces jours, à Orsay, toutes les deux. C'est un garçon, je crois ?
LOUISE.
Oui, madame.
HERMINIE.
Vous êtes bien heureuse. (Roulement de voiture.) LOUISE.
Cette fois, ce sont les parents de madame.
HERMINIE.
Comment « cette fois » ? Il est donc déjà venu quelqu'un ce matin ?
LOUISE, interdite.
Mais..l des fournisseurs.
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SCENE IV
LES MÊMES, AGATHE, VIPANDOT, entrent. HERMINIE.
Ma chère Agathe
AGATHE.
Ma sœur chérie
.(Elles s'embrassent.)
HERMINIE, à Virandot.
Soyez le bienvenu, mon cher Claude. Monsieur le député (Elle lui tend la main.)
VIRANDOT.
Pourquoi vous êtes-vous levée, Herminie? Ce n'est pas une heure pour une jolie femme de sortir de sa corolle. Il fait nuit, mais nuit noire. Les réverbères brùlent encore.
HERMINIE.
J'avais hâte de vous voir, mes bons parents, mes meilleurs amis. Et la miochée~ mes neveux, sont-ils bien portants, gros, gras et gais ?
AGATHE.
Ils sont tout cela, tes neveux, tu les verras dans un mois, lorsque nous serons installés à Paris. En attendant je les laisse au bon air Broumm Quel froid ici!
HERMINIE.
Qu'est-ce que vous allez prendre ? Vous devez être éreintés?
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VIRANDOT.
Je vous l'avoue, je dors debout. Ce sont des wagons de Régulus que ces boîtes du Paris-Lyon.
AGATHE.
Le sexe fort le sexe députable nos maîtres t HERMINIE.
Toi, tu es fraîche et rose.
VIRANDOT.
Oh elle est Parisienne pur sang Elle dort en chemin de fer! Une dépravée, quoi! La voilà dans son élément.
HERMINIE.
Es-tu jolie Tu me fais honte J'étais mieux que toi. Oh que je suis contente Mon cher Claude, allez vous reposer franchement. Louise vous conduira à votre appartement. il est tout prêt.
VIRANDOT.
Je vous demande une heure, pas davantage. Je suis trop bête! J'oublie de m'informer des nouvelles de votre mari. Il va bien, Georges ? 2
HERMINIE.
Très bien. Mais il est comme vous, il lui faut ses neuf heures de sommeil. Excusez-le.
VIRANDOT.
Bon laissez-le donc reposer. (Il sort arec Louise.)
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SCËNE V.
HERMINIE, AGATHE.
HERMINIE.
Bien vrai, tu n'as besoin de rien?
AGATHE.
J'ai besoin de te voir, de causer avec toi, de savoir si tu es heurense, si tu m'aimes toujours. C'est très gentil le mariage, mais son défaut est de séparer les inséparables. Il devrait y avoir des congrégations de ménages où l'on vivrait ensemble. Quelle idée folle Bavardons, bavardons, bavardons
HERMINIE.
Parle-moi de toi, Agathe.
AGATHE.
Oh moi, c'est tout de suite fini je ne mérite pas mon bonheur. Tout me réussit. Mais toi, -si bonne, si belle, si courageuse! c'est toi qui m'intéresses! t Te rappelles-tu qu'on t'avait surnommée « mademoiselle Perfection a. Qu'est-ce que le mariage en a fait de (t mademoiselle Perfection? »
HERMINIE.
Rien de gai. Je n'ai pas d'enfants. Je n'ai pas de mari; je n'aurai jamais d'amants. Mais te voilà, je ne suis plus seule sur la te-re.
AGATHE.
Comment, pas de mari Et Georges? Est-ce qu'il ne t'aime plus?
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HERMINIE.
Autant qu'il lui est possible d'aimer quelqu'un. Retranche de l'amour la foi et le respect, ajoutes-y quatre ans de possession et pèse ce qui reste. Georges ne croit pas à l'honnêteté de la femme. Ce n'est pas sa faute. Tu sais ce qu'a été sa mère, dans quel triste milieu il a été élevé et quels exemples il a reçus! De ses deux sœurs, l'une s'est enfuie on ne sait où, avec un ténor à la mode l'autre cache ses dérèglements sous le masque dévot. Puis, il a été jeté très jeune dans la vie à une époque où il était de bon ton de ne croire à rien. n est de cette génération qui a appris à lire dans Rolla. Il doute pour douter. A ses yeux, la femme vertueuse est une citadelle qui n'a pas été habilement attaquée, voilà tout, mais qui ne demande qu'à capituler! Ah! le pauvre garçon! S'il savait cependant! car enfin, je ne suis pas encore un monstre
AGATHE.
Ma pauvre sœur! Je savais un peu tout cela. Mais encore une fois, je croyais que vous vous aimiez. HERMINIE.
Oh! l'amour des êtres de cette sorte! Ce serait pire! 1 Georges a le respect humain de Paris. Il vit avec des gens dont le métier est d'avoir de l'esprit à propos de tout, partout et sur tout. On presse le bouton, il leur sort un mot de la bouche, sur un ruban Il rougirait de ne pas faire partie d'un cercle au nom de légume, de n'y pas jouer, de n'y pas souper, de ne pas s'afficher avec des gardeuses de chiens verts Il se croit de la décadence! Il dit qu'il est de son temps! Il pose <t à l'enfant du siècle, Si encore il était d'une forte santé! Enfin le mariage a été pour lui ce qu'il est pour les viveurs précoces, quand ils se découvrent la tonsure de la dé-
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bauche, quelque chose comme un refuge au milieu de la boue des boulevards. Je suis sûre que ma triste vertu est l'objet de paris intéressants entre ses amis et lui, comme dans Boccace, quand ils sent gris. AGATHE.
Gris oh Herminie.
HERMINIE.
C'est parti Je ne le reprends point. Plutôt que de l'avouer à tout autre qu'à toi, je mourrais de confusion. Mais il en est là, Agathe, oui, il en est là! Ferme-moi les lèvres, je parle trop. Cette nuit, il n'est pas rentré, l'autre non plus. J'en suis sûre. Je suis allée dans sa chambre, à quatre heures, il n'y était point, son lit n'était point défait. Il vient de passer la ~dernière borne, et il y dort, dans le ruisseau! C'est fini. Je m'attends à tout maintenant, puisqu'il brave jusqu'au dégoût de nos domestiques! Et je n'ai pas même d'enfant
AGATHE se levant, et résolument.
Alors, venge-toi.
HERMINIE.
De quoi? du mariage ?
AGATHE.
Infortunée, tu l'aimes, toi.
HERMINIE.
Est-ce que je sais ? Mais non, je ne crois pas. Je ne sais pas. Mais je le méprise bien par exemple. Il se confond pour moi avec la vase où Bob le ramasse. AGATHE.
Écoute. Tu vois Claude, mon mari, celui qui a l'honneur d'être mon mari! Eh bien il y a un pacte entre
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nous, car il ne vaut pas mieux que les autres! Il s'est fait nommer député pour venir à Paris et par conséquent pour s'amuser! On ne vient à Paris que pour s'amuser ou pour faire fortune, et nous sommes riches. Il espérait que je resterais là-bas, à élever les enfants. Oh je l'ai deviné. Il est dans la crise conjugale. Je l'ai compris tout de suite à son programme électoral. Ça les prend à trente-cinq ans.
HERMINIE.
Il en a trente-sept, voyons.
AGATHE.
Oui, mais nous avons eu deux enfants. Le jour où M. de Virandot est venu m'annoncer sa députation, j'ai poussé le verrou et je lui ai tenu exactement ce langage « Honorable maître, vous cachez mal votre <t jeu, je vous perce. Mais je vous en avertis d'abord « je vous accompagne à Paris, puis, une fois là, c'est « œil pour œil et dent pour dent. Telle est ma devise « Pour une maîtresse, deux amants; pour un caprice, « deux folies Et maintenant, en route a voilà comment j'entends l'honnête femme au XIX° siècle.. HERMINIE.
Vous vous adorez, c'est clair.
AGATHE.
Jusqu'à ne point admettre les rêves douteux! t Défends-toi, ma noble Herminie. Mariage c'est combat, défends-toi donc 1
HERMINIE.
Je ne saurais, et je n'y tiens pas. Pour moi l'honnêteté consiste à être honnête, sans pacte, sans conditions, quand même Je souffre, je perds ma vie, ma force, ma jeunesse, mais le matin, lorsque Louise me coiffe
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devant la psyché, je me regarde dans les yeux et dans l'âme, et j'ai les yeux fixes et l'âme blanche. C'est l'important. J~aime mon honneur pour lui-même et tu me vois aussi nère peut-être de ma douleur que je l'eusse été du bonheur promis. Je m'étais fait du mariage une idée très haute. J'ai joué ma vie sur un dé, et j'ai perdu. Mais je montre bon visage et je fais bonne contenance. Quant à demander ma revanche aux tripots de l'adultère, jamais! j'aime mieux mourir t
AGATHE.
Herminie. Sais-tu avec qui nous avons voyagé dans le train qui nous amène? Nous avions un compagnon de route charmant, un élégant et beau jeune homme, qui nous a enchantés par sa politesse, ses manières exquises, et les étonnantes aventures de sa vie. Cherche un peu.
HERMINIE.
Le signalement est bien sommaire.
AGATHE.
Ce jeune homme qui porte un des plus beaux noms de l'aristocratie française, est une manière de chevalier errant, mais de chevalier errant des idées libérales. Partout où les opprimés appellent, où les persécutés pleurent, il y va. Il offre son épée, il propose sa vie n'ayant pas de fortune à donner, car son seul défaut, c'est d'être pauvre. Son père était à Venise avec Manin lui, il a été l'un des mille d'Aspromonte. En ce moment, il revient de Grèce où il a combattu avec les fils de Botzaris et il nous a conté qu'il s'échappait de prison. C'est un héros, mais l'être le plus simple, le plus doux, le plus rieur qui ait jamais fait mentir la légende des Almanzors mélancoliques que nous rêvons
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au couvent. Ajoute à cela qu'il est d'une beauté étrange et d'une force singulière. Devines-tu?
HERMiNiE, pensive.
Va, je l'écoute.
AGATHE.
Il a aimé une adorable jeune fille, créature d'élite, noble comme lui, comme lui nère et capable de toute belle action. Mais, comme il é:ait pauvre, le père de cette jeune fille s'est opposé au mariage. Elle en a épousé un autre, il reste fidèle à son unique amour; il ne se mariera jamais, mais il a donné sa vie à la liberté.
HERMINIE.
Je ne connais personne qui ressemble au portrait que tu me traces de votre compagnon de voyage, à moins que tu ne veuilles parler de M. Pierre de la Tournelle, et l'on a récemment annoncé sa mort dans les journaux.
AGATHE.
Ce n'est pourtant point avec un mort que nous avons causé toute la nuit, dans le wagon. Mon mari lui a même offert ses services de député, car M. de la Tournelle songe à passer en Irlande il a accepté l'offre, très cordialement, et cela est d'autant plus charmant que leurs opinions sont diamétralement opposées. Mais Claude est un bon garçon dont on ferait un républicain en deux heures. Je vous convertirai, lui a dit le voyageur en prenant congé de nous, si vous me permettez de vous rendre visite, avant mon départ A quoi rôves-tu?
HERMINIE.
C'est étrange. Ainsi M. de la Tournelle est à Paris
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depuis ce matin. Lui as.tu révèle qui tu es, et sait-il qu'il parlait à ma sœur?
AGATHE.
Non pas. Je te croyais heureuse, et- je l'ai vu tranquille.
HERMIXIE.
Mais.
AGATHE.
Quoi?
HERMINIE.
Rien. (Entre un domestique). Qu'y a-t-il ?
SCÈNE VI
LES MÊMES, UN DOMESTIQUE.
LE DOMESTIQUE.
M. le
baron de Champoulay prie instamment Ma-
dame de .le recevoir.
HERMINIE.
Mais il est neuf heures du matin.
LE DOMESTIQUE.
M. le baron m'a enjoint d'insister il s'agit d'une affaire des plus sérieuses.
HERMINIE, à Agathe.
Ce baron de Champoulay est l'un des compagnons de plaisir de Georges, son admirateur et sa doublure. Pour qu'il se présente ainsi, à cette heure et à moi, il doit y avoir quelque chose de grave. Reste avec moi, je t'en prie.
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OURS ET FOURS
AGATHE.
Je reste donc.
HERMINIE.
Introduisez M. de Champoulay.
SCÈNE VI!
HERMINIE, AGATHE, CHAMPOULAY. CHAMPOULAY, saluant.
Comtesse. (A Agathe). Madame.
HERMiNiE, présentant Agathe.
Madame de Vir andot, ma sœur.
CHAMPOULAY.
Je suis au désespoir de troubler votre entretien; mais si vous le permettez. je reviendrai dans cinq minutes.
HERMINIE.
Quelle que soit la nouvelle, monsieur, que vous ayez à m'annoncer et fût-elle aussi grave que je la suppose, vous pouvez parler devant ma sœur. CHAMPOULAY.
Croyez bien, madame, que le profond respect que vous m'inspirez, m'a seul déterminé à la démarche, hors de toutes les convenances, que je risque en ce moment. L'amitié d'ailleurs a des devoirs pénibles, et alors que l'honneur d'un grand nom est en cause. HERMINIE.
Coupons court; mon mari est déshonoré ?
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Oh! pas encore! mais il ne lui reste plus qu'une heure pour l'être certaines dettes se paient à Paris dans les quarante-huit heures, et avant dix heures, il en est neuf.
Georges a perdu sur parole.
Une somme sérieuse, madame, dont il ne se doute pas lui-même. Il n'a pas eu conscience de son entraînement, et l'ivresse du jeu, d'autres excuses encore. HERMINIE.
Votre démarche est vraiment d'un ami, monsieur. Combien?
Je n'ose vous le dire.
Cent mille francs ?
Juste.
Mais je le savais.
Ah?. C'est que le partenaire de Georges est un étranger, madame, il part à midi pour Pétershourg, où la cour le rappelle.
M. de Bolskoff, oui. Rassurez-vous, la dette est payée depuis une heure. Mon mari est passé chez M. de Bolskoff, n'est-ce pas, ma sœur ?
CHAMPOULAY.
HERMINIE.
CHAMPOULAY.
CHAMPOULAY.
HERMINIE.
CHAMPOULAY.
HERMINIE.
CHAMPOULAY.
HERMINIE.
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AGATHE.
Il en revient à l'instant, monsieur.
CHAMPOULAY, troublé.
C'est que. assurément. toutefois.
HERMINIE.
Quoi donc?
CHAMPOULAY.
Bob sans doute m'a induit en erreur, où je ne l'aurai point compris. Si j'avais su que Georges fùt ici, madame, je n'aurais certainement pas commis l'indiscrétion de vous déranger à cette heure matinale, surtout pour ce que j'avais à vous dire. Daignez m'excuser. (Herminie sonne)
SCÈNE VIII
LES MÊMES, LOUISE, puis BOB.
HERMINIE.
Louise, priez Bob de dire à mon mari que M. le baron de Champoulay le demande.
LOUISE.
Oui, madame. Voici Bob. (Entre Bob.)
HERMINIE.
Bob, entrez chez votre maître et priez-le de venir. Eh bien, vous ne comprenez donc pas? Avertissez M. le comte de Moussac que M. de Champoulay l'attend au salon. (Bob reste immobile, consterné et la tête baissée.) ~Ho'mmte ~ut renouvelle son ordre en an~ats.) Tell your master that want to speack to hem.
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BOB tombe aux pieds d'HermmtC.
Madame oh madame
HERMiNiE; recu~mt.
Qu'a cet homme ?
BOB.
Pas trouve Couru tout Paris. Pardonnez, c'est la première fois que cela m'arrive. Je viens de la Préfecture.
HERMINIE.
De la Préfecture! oh! imbécile! Retournez-y tout de suite et dites que votre maître est ici depuis huit heures du soir, qu'on cesse toutes recherches. M. le comte de Moussac a passé la nuit chez moi. Allez. ~Bob sort)..
CHAMPOULAY.
Je n'ai qu'une chose à vous dire, madame pour moi Georges est ici; je me ferais hacher pour le prouver.
LOUISE.
Mais, monsieur, c'est lavëritë. M. le comte est dans son appartement, je vais vous mener à lui, si vous le désirez. (Elle ouure la porte de Georges.)
CHAMPOULAY, regardant sur ~e seuil.
C'est pourtant vrai. Le voilà qui repose. Eh bien! j'ai fait là un assez joli impair. Mesdames! Oh quelle bourde (Il entre chez Georges.)
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SCENE IX
HERMINIE, AGATHE, LOUISE.
HERMINIE, & Louise.
Comment Est-ce qu'il est chez lui? A quelle heure est-il donc rentré?
LOUISE.
Je l'ai dit à madame, comme d'habitude.
HERMINIE.
Oh! voyons Je suis allée chez lui, cette nuit, il était quatre heures. Je sais à quoi m'en tenir. Qui est-ce qui l'a ramené? Ce n'est pas Bob, vous venez de le voir. LOUISE.
Cependant M. de Champoulay.
HERMINIE.
M. de Champoulay le savait tellement peu rentré qu'il est venu m'avertir de la dette contractée. Ah! je sais! Cet homme que j'ai vu sortir tout à l'heure et que vous m'avez donné pour un fournisseur. c'est lui! Oui, c'est lui. Il ramenait le comte. Comment s'appelle cet homme?
LOUISE, inconsciemment.
Je n'en sais rien, madame.
HERMINIE.
Vous voyez bien. Ce n'est donc.pas un fournisseur. Son nom? Vous ne lui avez pas demandé son nom? Mais vous êtes folle t
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LOUISE.
Je le lui ai demandé, madame, mais il m'a répondu par une plaisanterie.
HERMINIE.
Mais votre devoir était de m'appeler.
LOUISE, doucement.
Non, madame.
HERMINIE.
Mais si! t Vous ne comprenez donc pas qu'il y a désormais un étranger qui sait ce qui se passe ici, qui connaît ma honte, .qui a le droit de me plaindre. (A ~af/te.) Ah tu arrives bien, ma pauvre Agathe! 1 AGATHE.
Calme-toi, rien n'est perdu. Mais cet homme, Louise, il vous a parlé, il vous a dit quelque chose. Vous le reconnaîtriez ?
LOUISE.
Il m'a dit qu'il avait sauvé la vie à monsieur, qu'il avait trouvé la carte de monsieur sur lui et que c'est grâce à cette carte qu'il avait su son adresse.
HE'RMIME.
Tu vois il sait mon nom Et je ne sais pas le sien! C'est atroce!
AGATHE, à LOtUSe.
Et puis?. Rappelez-vous.
LOUISE.
Je crois avoir entendu. je suis bien troublée, madame. qu'il venait de faire soixante heures de chemin de fer.
HERMINIE, se dressant.
Hein! t
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AGATHE, à part.
Oh! ce serait extraordinaire! (Haut.) Comment est-il? Grand ?
LOUISE.
Oui.
AGATHE.
Moustaches blondes très fines ? les yeux noirs ? l~xpression souriante? la voix haute? des mains d'enfant? un air délibéré?
LOUISE.
Oui, tout cela! On dirait que madame le connaît. HERMINIE.
Le sort ne m'en épargne pas une. Viens, Agathe, je m'enbndre de honte. Georges ramassé par Pierre! Viens, cette fois je pleurerais.
(Elles rentrent chez Herminie.)
SCÈNE X
LOUISE, VIRANDOT.
LOUISE
Pauvre femme Et si elle savait tout encor e Quand je songe qu'elle veut. venir à Orsay, voir mon enfant. Oh jamais.
viRANDOT, entre en s'étirant.
Ah! ça va mieux! Quelle heure est-il donc? J'ai faim, moi; mademoiselle, est-ce que ces dames sont sorties ?
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LOUISE.
Le voici, monsieur, avec M. de Champoulay. (Elle sort.)
SCÈNE XI
VIRANDOT, CHAMPOULAY, GEORGES.
GEORGES,rats et souriant.
Mon petit baron, je. vous flanquerai un coup d'épée pour l'absurde service que vous m'avez rendu en venant ici. On n'est pas plus maladroit. Maintenant si vous voulez déjeuner avec nous, je vous présente mon beaufrère, M.deVirandot.
VIRANDOT.
Monsieur.
CHAMPOULAY.
Ah! monsieur Vous avez une bien jolie femme t GEORGES.
Agathe? Elle est charmante. Comment va-t-elle ? VIRANDOT.
.A merveille. Et vous? Vous avez l'air fatigué, Georges. Vous toussotez?
GEORGES.
L'abus du travail, beau-frère.
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Vous travaillez, vous?
D'abord je travaille. à mon salut. C'est très pénible! Tenez, je viens d'envoyer cent mille francs à un prince russe pour une fondation pieuse.
Ah! c'est très bien.
Quand je dis que je viens de les envoyer, c'est par la pensée, car je ne les ai pas. Vous n-auriez pas cent mille francs, vous Virandot ?
Sur moi, non.
Qu'est-ce que vous venez faire à Paris alors ? VIRANDOT.
Je ne suis pas encore très bien fait à l'esprit parisien, et je ne sais si vous plaisantez. Mais vous les faut-il, Georges ?
Baron, il l'a bien dit.
Comte, il l'a très bien dit.
Vous l'avez bien dit, beau-frère.
Je l'ai dit de mon mieux. A votre service. GEORGES.
Merci. A propos, vous êtes donc député? Pourquoi?
VIRANDOT.
GEORGES.
VIRAXDOT.
GEORGES.
VIRANDOT.
GEORGES.
GEORGES, à Champoulay.
CHAMPOULAY.
GEORGES, à Virandot.
VIRANDOT.
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VIRANDOT.
Comment, pourquoi? Mais pour l'être.
GEORGES.
Et puis pour l'avoir été. C'est comme les courses, on v va pour en revenir. Eh bien! non, vous savez, votre députation, je ne coupe pas dans le pont. Un homme politique, vous; ce n~est pas vrai. Vous êtes venu à Paris pour vous dégourdir. Malheureux! t Je vous recommande mon ami de Champoulay, un initiateur modèle, qui sait sa capitale sur le bout du doigt. 1 [ sera votre Falstaff, et vous mènera dans les bons cabarets. Champoulay est très goûté par nos impures. C'est mon élève, saluez.
VIRANDOT.
Mais je serai très natté. Je crois en effet que j'ai besoin de me dégourdir. Je ne suis pas au ton. Mais silence, on peut nous entendre.
GEORGES.
Oh! ce pauvre Virandot Vous en êtes là. Mais voilà qui change les choses. Conseil d'ami et de parent, mon cher Claude. Si vous aimez votre femme, démissionnez et filez. On ne fait pas de conutures ici.
CHAMPOULAY.
Ah! le mauvais conseil,. Georges. (Bas.) Taisez-vous donc, j'adore sa femme! 1
GEORGES.
Silence au chevalier Faublas! Ne perdez pas une minute, mari honnête, monstre de province, à la gare! t VIRANDOT.
Mon Dieu, je n'ai pas positivement l'intention de me rouler dans la débauche, non. D'ailleurs, je suis tenu par un pacte conjugal.
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CHAMPOULAY,~OM(mn~rOt.
Un pacte conjugal! Qu'est-ce que c'est que ça?
VIRANDOT.
Une.plaisanterie de M°*° de Virandot. En cas d'infidélité, elle se réclame de la loi du talion pour une maîtresse, m'a-t-elle déclaré, c'est un amant que je t'oppose. Vous voyez, messieurs, qu'il ne s'agit que de rire.
GEORGES.
Elle est si spirituelle que ça, ma belle-sœur ?
CHAMPOULAY, à Georges.
Mon ami, je ne le quitte plus. Làchez-le-moi, c'est un trésor. Ce pacte m'enivre.
GEORGES, à Virandot.
Beau-frère, vous avez de la chance. Je suis en veine de vertu ce matin, votre candeur m'intéresse. Sachez donc ceci, et répétez-vous-le à toute heuM du jour et de la nuit. A Paris, il n'y a jamais eu, il n'y aura jamais, il ne peut pas y avoir de femme honnête. Rendez le mandat.
VIRANDOT.
Pardon, Georges, et la vôtre? 2
GEORGES.
Oh la mienne, je l'honore profondément. C'est une créature hors ligne, pleine de cœur, de courage et d'honneur. Mais sa force consiste à ne pas se promener dans les jardins où il y a des pommes. Elle ne connaît pas le goût du fruit. Elle n'en a pas fini avec le diable. Loin de moi la sotte prétention de croire que je suis invulnérable; je ne mérite même pas d'avoir été préservé si longtemps, car je ne suis pas la fleur des pois et ma vie n'est pas des plus exemplaires.
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7
CHAMPOULAY..
Vous vous calomniez. Vous êtes meilleur que vous ne pensez. (A Virandot.) Il est de la Société protectrice des animaux.
GEORGES.
Tous les boulevardiers -en sont. Sensibilité des races décadentes! Nous sommes de la décadence.
CHAMPOULAY.
Parlez pour vous.
GEORGES.
Vous, baron, vous êtes de la pourriture.
CHAMPOULAY.
C'est possible, mais j'ai au moins ceci pour moi que lorsque je rencontre la vertu parfaite, je lui rends hommage. J'ai vu M°** de Moussac à l'œuvre, il n'y a pas une demi-I~eure, et je sais ce que c'est qu'une sainte. GEORGES.
Si j'apprenais que quelqu'un en doutât, baron, j'irais à l'insolent et je lui logerais de la main que voici deux balles'dans la tête.
VIRANDOT.
Vous allez donc vous suicider, Georges?
· CHAMPOULAY.
Bravo Mes compliments. C'est un mot. Mais vous irez très bien.
VIRANDOT.àGeor~M.
Franchement, mon cher ami, je vous le dis comme je le pense, votre aveuglement m'attriste. Vous ne méritez pas d'avoir Herminie pour femme. A vous entendre, on croirait que l'occasion seule lui a manqué pour forfaire et que vous~îh~pable de résister
( t t. t t
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à un entrainement. Elle vous donne depuis quatre ans un démenti quotidien. Conseil pour conseil, je vous avertis que vous n'avez pas les honnêtes gens pour vous. J'ai dit.
CHAMPOULAY.
De l'éloquence maintenant Ah! mais! ah! mais! GEORGES.
Honorable père conscrit, je n'ai pas parlé d'entraînement. J'ai parlé de l'amour. Où est l'honnête femme qui résiste à l'amour? Partons ensemble, et faisons le tour du monde, je veux bien. Que voulez-vous, j'en ai trop vu, je ne crois pas. Ce n'est pas ma faute. VIRANDOT.
Voulez-vous tenir un pari contre moi ?
CHAMPOULAY.
Un pari? Je vous baptise Parisien. L'épreuve est décisive.
GEORGES.
Quel pari?
VIRANDOT.
Combien vous faut-il de temps pour reconnaître et confesser l'honnêteté impeccable de la femme d'élite qui est la vôtre? Un an, un mois? Répondez.
GEORGES.
Un an, certes, au moins.
VIRANDOT.
Prenez-en deux; je vous joue les cent mille francs que vous me demandiez tout à l'heure.
GEORGES.
Contre quoi?
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VIRANDOT.
Contre rien. Contre l'aveu de votre erreur simplement.
GEORGES, gravement.
Non, contre ma vie, voulez-vous ?
VIRANDOT.
Oh! je n'en demande pas tant votre conversion me suffit.
GEORGES.
Ma vie ne vaut pas cent mille francs, Virandot. Songez d'ailleurs qu'un pari de cette espèce, ç'est presque un duel. Quelle qu'en soit l'issue, il ne doit être pour moi que mortel. Et c'est ainsi que je l'accepte. Ou j'ai raison d'être sceptique ou j'ai tort. Si j'ai tort, ma vie est celle d'un lâche et d'un imbécile il est donc fort inutile que je persiste à vivre. Si j'ai raison, et si Herminie elle-même ne doit pas résister & un amour digne d'elle, dont les plus sévères l'absoudraient, il est encore de mon devoir de disparaître en homme délicat et en gentilhomme. Je parle très sérieusement. VIRANDOT.
Diable! si vous le prenez ainsi, je retire la gageure. GEORGES.
Non pas, vous ne le pouvez plus. N~est-ce pas, baron? CHAMPOULAY.
Dam! vous êtes un homme mort, mon cher comte. VIRANDOT.
Je préfère vous prêter la somme sans conditions. GEORGES.
Allons, vous le voyez. Vous commencez à douter. Je table sur une doctrine formelle, voyez-vous, et sur une
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expérience sans erreur. L'honnête femme. c'est la femme laide et dans le désert encore. Vous me devez cent mille francs.
VIRANDOT.
Soit! 1
GEORGES.
Entrons saluer ces dames. (Il va à la porte d'Heaminie.)
SCÈNE XII
LES MÊMES, LOUISE.
LOUISE, sortant de chez Herminie.
Madame prie monsieur le comte de vouloir bien l'excuser, il lui est impossible de le recevoir aujourd'hui. Madame est souffrante.
GEORGES.
Elle ine ferme sa porte Tiens A propos. Comment donc suis-je ici, moi? Messieurs, si vous le voulez, nous continuerons notre causerie au café Anglais. Rendezvous dans un quart d'heure.
CHAMPOULAY.
Convenu. (A Vu-andof.) Parlons donc de ce pacte, çher monsieur, de cet adorable pacte.
(Ils sorfe~ bras dessus bras dessous.)
GEORGES, à Louise.
Qu'est-ce qui m'a ramené ce matin? Est-ce Bob? LOUISE.
Non.
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Ah Vous savez qui ?
Non.
Votre enfant va bien, Louise?
Non.
A-t-il besoin de quelque chose?
Non.
Pardieu, vous ne m'aimez pas, ma charmante? LOUISE.
Non. (Elle rendre chez jFf ermite.)
Je ne suis pourtant pas un méchant homme. Bonjour. Ah çà? quel peut être le chiffonnier bienfaisant qui m'a rapporté ici? (Il sort.)
GEORGES.
LOUISE.
GEORGES.
LOUISE.
GEORGES.
GEORGES.
GEORGES~
LOUISE.
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ACTE DEUXIÈME
ChezVîrandot.
SCÈNE PREMIÈRE
VIRANDOT, CHAMPOULAY
VIRANDOT.
Baron, baron, épargnez en moi le produit d'une majorité écrasante. Trainerai-je le représentant de quatre mille cinq cent vingt-quatre conservateurs sur le tapis d'une sirène?
CHAMPOULAY.
Ah le tapis de la sirène Des algues, des algues Soignez donc vos métaphores.
VIRANDOT.
Enfin, que vous a-t-elle dit de moi?
CHAMPOULAY.
Des choses à enflammer un bloc de neige. Celle-ci, par exemple. Pour un simple député, il n'est pas trop godiche, mais pour un député rural, il est inoul.
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VIRANDOT.
Cette Balsamine t Mais inouï a plusieurs sens. Il veut dire aussi inentendu. Est-ce une pointe contre ma réserve systématique à la Chambre ?
CHAMPOULAY.
Au contraire, elle aime les gens discrets. Elle m'a encore demandé quel âge vous pouviez avoir; je lui ai répondu que vous pouviez avoir tous les âges. EnAn elle m'a chargé pour vous d'une commission. mais je l'ai déclinée. Ça allait trop loin.
Quelle co
VIRANDOT.
Quelle commission, mon ami?
CHAMPOULAY.
Non, vous êtes encore trop. marié, trop vieux jeu, trop prix Montyon. Oh vos progrès sont immenses. Je l'ai dit à Balsamine ses progrès sont immenses.
Mais de là à un souper
VIRANDOT.
Il s'agissait d'un souper chez Balsamine? Mais, vous savez, baron, j'irais. si je voulais y aller. CHAMPOULAY.
Parbleu D'abord vous y seriez en famille. Georges en est, de fondation.
VIRANDOT.
Allons donc?
CHAMPOULAY.
Pourquoi n'en serait-il pas? Quand on est marié, on va partout. Ah vous avez de la veine, vous autres 1 Elles n'ont d'yeux que pour vous. Moi, malheureux célibataire, je suis obligé de m'imposer.
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VIRANDOT,- nant.
Baron, qu'est-ce qu'il dit à sa femme quand il soupe chez la Balsamine ?
CHAMPOULAY.
Qui, Georges? Il ne lui dit rien. Ça ne se dit pas, Virandot. A Paris, un homme du monde ne dit à sa femme que ce qui l'intéresse.
VIRANDOT.
Elle peut l'apprendre cependant ?
CHAMPOULAY.
Bah! par les journaux seulement.
VIRANDOT, bondissant..
Comment! par les journaux? Ils racontent ces choses?
CHAMPOULAY.
Que raconteraient-ils par ces temps gris? Supprimez de Paris le scandale, dix feuilles dumatin disparaissent, faute de texte. Aussi quel huis-clos pour un innocent dîner chez une comédienne!–car Balsamine est artiste. Elle a joué le rôle du « pavé en bois » dans une revue de fin d'année. Elle est célèbre. Ses soupers sont très courus. Représentez-vous un pétit hôtel mystérieux, au fond, tout au fond d'un jardin; pas de portes, pas de fenêtres! Vous pourriez chanter les Huguenots là dedans sans qu'il en transpire un bémol. Et quelle compagnie; mon cher! Rien que des. incognitos! D'ailleurs Balsamine est veuve. Elle a perdu son prince 1
· VIRANDOT.
Comment perdu? aux cartes?
CHAMPOULAY.
Joli. Je le recaserai. Enfin depuis huit jours que ce
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pauvre Bolskoff est parti, vous êtes le premier qui l'ayez fait-rire.
VIRANDOT.
Ah si j'en étais sur
CHAMPOULAY.
Naturellement on constate ces choses-là soi-même. VIRANDOT.
Baron?
CHAMPOULAY.
Quoi, cher ami?
VIRANDOT.
Nous avons les séances de nuit, pour des occasions pareilles.
CHAMPOULAY.
Vous les avez. Ce suffrage universel! il a tout prévu! VIRANDOT.
Vous me jurez qu'elle m'avait invité à ce souper? CHAMPOULAY.
Parfaitement. Mais soyez sans inquiétude. Je vous ai excusé. Je lui ai dit quel mari vous étiez! elle n'a pas insisté elle a dit simplement Ah
VIRANDOT.
Je ne veux p~ être ridicule. J'irai.
CHAMPOULAY.
Ne faites pas ça.
VIRANDOT.
On n'en meurt pas. Que diable! Pour une fois! CHAMPOULAY.
Et ce pacte, ce terrible pacte conjugal! Ah! que je regrette d'avoir parlé.! Sauvez-vous de vous-même, Virandot. Il y va d'une riposte de hallebarde.
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VIRANDOT.
J'aurai le bouclier de la diplomatie. Tout député contient un Talleyrand caché.
CHAMPOULAY.
C'est un vers Il parle en vers, mon Dieu 1 Qu'allezvous faire?
VIRANDOT.
Écrire. Je ne suis pas un député parlant. C'est devant ma table que je me possède. J'ai l'éloquence du papier. Où nous trouverons-nous?
CHAMPOULAY.
Au Cercle. Mais vous savez que je vais tout dire à M°" Virandot.
VIRANDOT.
Farceur de Champoulay.
CHAMPOULAY.
C'est mon devoir. C'est mon rôle d'ami.
VIRANDOT.
Ah! que c'est drôle! A tout à l'heure. (Il sort). CHAMPOULAY.
Il ne dira pas que je l'ai pris en traitre.
SCÈNE n
CHAMPOULAY, AGATHE.
AGATHE.
M. le baron de Champoulay! C'est dire que mon beau-frère n'est pas loin. Par quelle bonne chance, monsieur?
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CHAMPOULAY.
Je viens savoir, madame, s'il vous serait agréable d'assister ce soir à la nouvelle conception d'Hervé Louis III et Carloman, quatre actes, avec ballet. C'est une pièce historique. Je suis détenteur d'une loge que je me permets de mettre à vos pieds. Elles font. horriblement prime.
AGATHE.
Je vous remercie, je ne vais au théâtre qu'en payant. CHAMPOULAY.
Je vous croyais Parisienne Je me serais honoré de vous accompagner, madame.
AGATHE.
Tout l'honneur eût été pour moi. (A part). Qu'est-ce qui lui prend, à ce jeune ravagé ?
CHAMPOULAY.
J'aurai, je crois, au. moins le plaisir de vous rencontrer au prochain bal de la présidence. Voulez-vous m'autoriser à m'inscrire dès à présent sur votre carnet pour la première valse ?
AGATHE.
Croyez à tous mes regrets; elle est promise.
CHAMPOULAY.
Pour la deuxième, alors?
AGATHE.
Je n'en danse jamais qu'une.
CHAMPOULAY.
J'envie votre heureux cavalier.
AGATHE.
C'est mon mari.
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CHAMPOULAY.
Raison de plus.
AGATHE.
Oh! mais c'est une déclaration. Mais vous perdez votre temps, cher monsieur. absolument.
CHAMPOULAY.
Ce m'est un cruel déboire que de vous déplaire. Mais c'est d'abord ce qui m'arrive avec les femmes.. Seulement je ne perds jamais l'espérance. J'attends. AGATHE.
Sans doute il y a des ormes dans votre jardin? UN DOMESTIQUE, entrant.
Une lettre pour madame.
AGATHE.
Je connais cette écriture. Oh! par exemple oui, je la connais. Qui donc est-ce? Vous permettez? CHAMPOULAY, à part.
Voyons la diplomatie assise de Virandot.
A&ATHE, lisant.
« Ne m'attends pas ce soir, chère amie. Séance de « nuit. Je cUne à Versailles, a –Je n'avais pas reconnu l'écriture de Claude
CHAMPOULAY, riant.
Ah! ah!
AGATHE.
Vous riez de cette lettre, monsieur ?
CHAMPOULAY.
Je ris de la séance de nuit, le mercredi, il n'y a pas de Chambre, madame. (A part). V'lan le coup du pacte 1
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AGATHE.
C'est pourtant vrai. (Au domestique). Attendez. (Elle écrit). cc Mon cher mari, cela tombe à merveille. Je cc vais ce soir à la première de Louis III et Carloman; « M. le baron de Champoulay veut bien me tenir com<t pagnie et m'offrir une place dans sa loge. Il te rem« placera dignement auprès de ta languissante. « Agathe, n Portez cela. (Le domestique sort). CHAMPOULAY.
Oh! madame, quelle ivresse!
AGATHE.
A ce soir donc, et veuillez amener l'un de vos amis. CHAMPOULAY.
Un tiers, pourquoi?
AGATHE..
Ce n'est pas un tiers, c'est un deuxième. Il y a deux dans le pacte. A ce soir.
CHAMPOULAY.
Merci! 1 Et maintenant chez Balsamine! Il faut qu'elle me rende le service de garder le Virandot. (Il sort).
SCENE m
AGATHE, puis UN DOMESTIQUE, puis PIERRE. AGATHE, seule.
Un mensonge, déjà! Eh bien, je me mets en garde! Ah! si ma pauvre Herminie en avait fait autant dès le début! 1
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Le monsieur dont voici la carte prie madame de le recevoir.
< Pierre de la Tournelle. Ah! je crois bien. Faites entrer tout de suite
Madame.
Voilà qui est aimable de tenir ainsi ses. menaces. Je vous croyais parti, sans reproches.
Je pars demain. Et comment se porte notre cher réactionnaire malgré lui? J'aurais plaisir à lui serrer la main c'est peut-être la dernière fois.
Décidément, vous allez en Irlande?
Je devrais y être, madame. La révolte bat son plein. Les pauvres gens n'auraient qu'à être massacrés sans moi, je ne m'en consolerais pas.
Il est heureux que vous ne soyez pas marié, monsieur de la Tournelle.
Mais je le suis, madame.
Est-ce possible?
Oui, seulement je passe ma vie à courir après ma
UN DOMESTIQUE.
AGATHE, lisant.
PIERRE, saluant.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
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femme, une créature céleste qui ne sait où poser. Je la crois dans le Nord, elle est dans le Midi. On me. la signale du côte des Turcs en ce moment. Demain elle sera à Pétersbourg, à Madrid, à Rome, peut-être même à Paris. C'est une chasse folle 1
AGATHE.
Vous dites cela d'un air ravi.
PIERRE.
Le fait est que pour un Ménélas, j'ai l'humeur joviale. Mon Hélène diffère de l'autre en ceci qu'elle change d'Ilion tous les jours, ce qui fait que je change de cheval de bois à chaque Iliade. C'est la liberté, madame.
AGATHE.
Quel original vous êtes, vraiment! Un homme de votre nom, de votre race et de votre éducation s'adonner ainsi tout entier à la cause des peuples. C'est unique.
PIERRE.
Il faut bien que quelqu'un commence. Mais ne m'admirez pa:3 trop, je n'ai que cela à faire. Ma vie serait sans objet si je n'avais pas. cette profession. Tel que vous me voyez, je suis. incapable de quelque métier que ce soit, j'entends de ceux que reconnaît pour tels la société actuelle. Il y en a qui naissent chasseurs de panthères ma mère m'a fait chasseur d'injustice. Je n'y ai aucun mérite.
AGATHE.
t
C'est vous qui le dites i
PIERRE.
Mais non; on se fait une fausse idée des choses. Je subis ma destinée, voilà tout. En voulez-vous la
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preuve? A ma qualité de fils Aymon j'ajoute celle de quêteur.. Oui, je mendie. Quand M. de Virandot va arriver, je le prierai de racler ses tiroirs pour mes chers Irlandais. Et je serai plat comme un moine 1 AGATHE.
Vous ne doutez de rien. Claude siège à droite, mon cher monsieur.
PIERRE.
Bah En France, tout le monde est libéral, au moins en cachette. La conscience française est républicaine. L'esprit de réaction n'est que vanité ou poltronnerie. L'excellent Virandot serait bien embarrassé si on le priait de. réagir. Au fond sa minorité brûle .du désir d'être majeure. L'écrevisse ne marche à reculons que lorsqu'on la tire en avant en liberté elle va droit devant elle. Et c'est pourquoi je me suis permis d'inscrire l'excellent homme pour cinq mille francs. à vue d'estime et d'amitié.
AGATHE.
Merci. Mais pas sous son nom, au moins.
PIERRE.
J'ignore le vôtre, madame.
AGATHE.
Je suis née de Mailles.
PIERRE.
Ah!
AGATHE.
Vous connaissez notre famille ?
PIERRE.
Oui, madame. J'ai même eu l'honneur, il y a quelques années, d'être reçu à Francbourg par un comte de Mailles qui sans doute fut des vôtres.
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Mademoiselle Agathe! Je vous ai connue toute enfant, Madame! Voulez-vous me permettre de vous demander comment se porte votre sœur aînée, Mue Herminie ?
Ma sœur Herminie se porte fort bien. mais elle n'est plus demoiselle. Elle est mariée. Elle. s'appelle. PIERRE.
Je serais bien heureux de ne pas le savoir. Ne me le dites pas, vous m'obligerez.
Mais enfin vous pouvez la rencontrer, quand ce ne serait que chez moi.
C'était mon père.
Oh! je vous en prie, madame.
Vraiment, vous ignorez comment elle s'appelle ? PIERRE.
Je pars demain.
Vraiment, vous n'êtes pas curieux.
M" de Moussac.
Vous connaissez M"' de Moussac?.
Je vous en demande bien pardon c'est ma sœur. 8
UN DOMESTIQUE, annonçai.
AGATHE. °
PIERRE.
AGATHE.
AGATHE.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
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PIERRE.
Ah i
SCÈNE IV
LES MÊMES, HERMINIE.
AGATHE.
La bonne surprise. (Elles s'embrasser M. Pierre de la Tournelle.
HERMINIE.
C'était bien lui. monsieur. (Pierre salue sans mot dire.~ Oh! non, c'est trop bête bonjour, Pierre. (Elle lui tend la mam.~
PIERRE, machinalement et très ému.
Mademoiselle.
AGATHE, riant.
L'erreur est charmante, M"'de Moussac,vous dis-je. Quel sauvage vous faites! Ma chérie, je profite de ce que tu es en bonne compagnie pour aller m'habiller. M. de Champoulay vient me chercher à huit heures et il m'emmène au théâtre. Je n'ai que le temps de passer une robe. (A Pierre.) J'espère vous retrouver tout à l'heure, mon cher quêteur. Attendez-moi.
PIERRE.
Oui, madame.
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SCËfŒ V
HERMINIE, PIERRE.
HERMnnE, à part.
Est-ce lui qui a rapporté Georges? Je le saurai. (Haut.) Je vous assure que j'ai le plus grand plaisir à vous voir. Cela me rafraîchit Famé et me reporte aux belles années t (Elle s'assied.) Et puis vous m'appelez mademoiselle! Je suis très nattée! De telle sorte que vous ne saviez pas que je fusse depuis dix ans comtesse de Moussai
PIERRE.
Il y en a onze qu~ vis hors de France, madame. Excusez un chevalier c ~nt.
~INIE.
Vous êtes à Paris i~uis un mois? Je le sais par Agathe. Je regrette ~a maison ne se soit pas trouvée sur votre pMc~ tMM~ aurions été fiers, mon mari et moi, de voua y ~~{. ~Pterre salue sans répondre.) Mais à ce eu~ ~c donc avez-vous évité de me revoir? Est-~ ~mps de tant se bouder en cette tria~ me boudez depuis onze ans. Dam! on le <h ~nt«.
MMUM
J'ai accepté mon a«f<. ~il défendu de chercher à~l'adoucir ï~f F de que j e mène donne cela, l'oubli, du n~ ~n croire les romans. sérieux.
w
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HERMINIE.
Les romans ont tort entre honnêtes gens il vaut mieux se revoir. Le temps se charge de nos désillusions. Tenez, moi, je ne suis plus l'Herminie que vous fuyez. Cette Herminie-là est restée à Francbourg, dans le vieux château, aujourd'hui désert, où vous l'avez un jour rencontrée. Je la cherche aussi, mais je crois bien qu'elle est morte dans sa robe blanche.
PIERRE.
Non, madame, car elle est immortelle. Ses ans s'usent.sur l'image céleste qui resplendit là, entourée des cierges de mon culte et couronnée des.fleurs de ma jeunesse. Pour qu'Herminie fût morte, il faudrait donc que mon âme fut anéantie (Un stïence.~
HERMINIE.
Monsieur de la Tournelle, si vous aviez été cette Herminie, si j'avais été Pierre, et si votre père m'avait refusé son consentement, qu'auriez-vous fait ? -PIERRE.
Ce que vous avez fait j'aurais obéi à mon père. HERMINIE.
Eh bien, alors ?
PIBRRE.
J'aurais obéi, mais j'aurais peut-être attendu. HERMINIE
Mais je ne vous aimai? pas.
PIERRE.
C'est vrai, madame.
HERMINIE.
Ah! la ~condition des jeunes nlles, vous ne ,la con-
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naissez pas. Vous autres hommes, vous ne dépendez que de vous-mêmes; vous avez le temps de savoir et de juger! D'ailleurs, je vous aurais aimé, qu'il en eût été de même. Mon père avait 'Hspose de moi. Je ne suis pas de celles qui trichent avec le devoir filial par l'évasion de la majorité ou du cloître. J'aime le devoir. Ma foi se bornait alors au respect d'un père adoré, comme elle se borne aujourd'hui à l'honneur conjugal. Je serais malheureuse, trahie, et l'on m'ouvrirait la porte du divorce,.que je ne la passerais pas. Dans l'honneur, voyez-vous, je vais jusqu'à la perversion. PIERRE.
Vous n'avez pas d'enfants, madame.
HERMINIE.
Qui vous l'a dit?
PIERRE.
Personne. Voilà de longues années que je suis loin de vous, et mes pauvres diables d'insurgés n'ont rien à m'apprendre de vos joies ni de vos tristesses. Cependant ils savent votre nom. Oh! ne m'en veuillez pas, il est si doux dans leur langage Herminia Et puis vous ne les entendez pas, et vous portez bonheur à tous ces braves, qui sont d'honnêtes gens, eux aussi, comme vous êtes la plus honnête de toutes les femmes. HERMINIE.
A quoi le voyez-vous?.
PIERRE.
A la tristesse de votre sourire, Mes soldats l'ont au feu, madame.
HERMINIE, troublée.
Sans enfants, une femme peut être encore heureuse,
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si elle a un bon mari. Le mien est excellent. je vous assure.
PIERRE.
Mais je n'en doute pas.
SCËNE VI
LES MÊMES, LOUISE.
HERMINIE.
Qu'y a-t-il, Louise?
LOUISE.
Je viens demander à madame la permission de courir Orsay mon pauvre petit a une rechute.
HERMNÏE.
Vite, vite, allez.
LOUISE.
Madame, voilà le monsieur qui a ramené M. le comte.~EHe sor~J
HERMINIB.
Oh! lui!
SCÈNE VII
HERMINIB, PIERRE.
HERMINIE
Voua avez entendu ce qu'a dit cetLe fille? C'est vous
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qui avez rapporté M. de Moussac à l'hôtel, dans votre voiture.
PIERRE.
Je n'ai pas l'honneur de connaître M. de Moussac. HERMINES.
Ah! avouez-le, allez, qu'est-ce que ça fait! Eh bien oui, voilà où j'en suis. J'ai beau lutter comme un homme, je ne suis qu'une femme pourtant. C'est le dernier coup. Je suis à bout d'héroïsme. Il me semble que vous me voyez. couverte de boue! 1 Quelle horreur ï
PIERRE.
Encore une fois, je ne comprends pas ce qui vous désespère. Il y a confusion. Cette nlle se méprend. Remettez-vous, je vous en prie.
HERMINIE.
Vous n'avez jamais vu M. de Moussac, vous? Jurezle-moi.
· PIERRE.
Je vous le jure.
HERMINIE.
Sur votre honneur ?
PIERRE.
Sur mon honneur.
HERMINIE.
Ah comme vous m'aimez encore Vous croyez donc que je ne vous ai pas reconnu? Non, ne mentez pas c'est vous, puisque personne ne sait qui c'est. ~encedePterre.~ Quelle misérable vie que la mienne, et quel enchaînement de feintes, de terreurs et de hontes refoulées Mais c'est nni, je n'en peux plus. Mon orgueil est à bas, et mon courage aussi s'en va
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dans l'écroulement. J'étais parvenue, sinon à cacher mon martyre, du moins à me défendre de la p~tié. On n'avait pas le droit de me plaindre, et je tenais en respect la compassion banale des sauveurs de femmes et des professeurs de mariage Et il faut que vous reveniez de Grèce pour me convaincre de désespoir, vous, qui m'avez aimée, avant lui, et qui, après lui, m'aimez encore Ah ce n'est pas de bonheur
PIERRE.
Un secret dont dépend l'honneur d'Herminie n'est point compromis, madame, entre les mains de Pierre de la Tournelle. `
HERMINIE.
Oh je ne doute pas de vous. Mais comptez-vous pour rien d'être le confident de ce secret ? Car enfin vous m'aimez, et vous savez'ce que j'endure. Je ne suis plus seule devant moi-méme, vous vous interposez entre mon miroir et moi.
PIERRE.
Et vous dites qu'Herminie est morte dans sa robe blanche Mais je pars demain, madame. D'ici là que doisje faire, parlez?
HERMINIE.
Hélas! je n'en sais rien. Mais si, conseillez-moi. Oui, conseillez-moi, vous le devez maintenant, puisque vous savez tout et que vous êtes un brave. Chevalier de la liberté, vous qui passez, secourez-moi. PIERRE.
Ah c'est me mettre à une rude épreuve, vraiment, et il est cruel d'oublier à ce point que je vous aime. Vous êtes plus belle que jamais, Herminie, et je n'ai rien repris de ce que je vous ai donné, dès le premier regard, il y. a onze ans.
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HERMINIE.
Vous m'abandonnez alors? Et vous dites que vous m'aimez!
PIERRE, tirant un portefeuille et ~puwayK.
Reconnaissez-vous ceci, madame? (Il montre un épi de blé.)
HERMINYE.
C'est un épi de blë. Comment le reconnaîtrais-je ? PIERRE.
Vous l'aviez dans les-cheveux la première fois que je vous ai vue en ce monde. Il est tout ce qui reste d'une moisson disparue. Vous veniez de courir dans les champs à Francbourg~ et cet épi s'était accroché à vos tresses dénouées. Il tomba derrière vous, il ne m'a plus quitté. Eh bien, si jamais votre dernière espérance s'éclipse avec cette nerté qui vous soutient encore, si, un jour, vous avez besoin du dévouement absolu d'un serviteur, envoyez-moi ceci. Je viendrai. Et si je ne viens pas. vous n'aurez pas de peine à deviner pourquoi. c Herminia a m'aura consolé d' < Hermmiea. HERMIME.
Soit, j'accepte. Mais pourquoi retarder l'heure de ce dévouement?
PIERRE.
Parce que vous ne m'aimez pas, madame.
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S CÈNE Vil!
LES MÊMES, GEORGES, AGATHE.
AGATHE.
Mon cher Georges, M. Pierre de la Tournelle. C'est tout dire que de dire le nom.
GEORGES.
Enchanté, monsieur, de lier connaissance avec un homme célèbre dans les deux faubourgs, le noble et l'autre.
PIERRE.
Et moi, monsieur, avec un homme connu sur tous les boulevards, même les excentriques.
AGATHE, à Herminie.
Ils se haïssent à première vue. (A Pierre.) Voici l'offrande de mon mari, monsieur j'espère que vous ne in'en voudrez pas si je me suis permise de la doubler. (Elle ~ut remet une enveloppe.)
PIERRE.
Vous voilà créancière de la liberté, madame. C'est à fonds perdus. Que Jacques et Jacqueline acquittent notre dette avec leurs baisers d'anges. Je les remercie. GEORGES.
Ainsi ce n'est pas une blague de journalistes, l'Irlande? On souffre par là?
PIERRE.
On souffre partout. Il n'y a plus qu'à Paris qu'on s'amuse.
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GEORGES.
Ohi pas tous les jours! Les ressources du plaisir sont vite épuisées. Tenez, je sais un vieux Parisien qui n'a pas ri une seule fois depuis ce diable d'empire. Dire qu'il s'ennuie, c'est ne rien dire il se momine debout. Je lui conseille de temps en temps la vertu, mais il ne sait pas la manière de s'en servir. On ne nous l'apprend pas au collège. Vous pourriez peut être lui enseigner cela, c'est, je crois, votre spécialité. PIERRE.
Oui. Il n'a qu'à élever de petits chiens frisés. AGATHE, superposant.
Messieurs, je vous en prie.
PIERRE.
Mais point du tout, madame, M.le comte est charmant. GEORGES.
Alors, vous êtes heureux, vous, monsieur? Cette vie que vous menez, elle endort vos doutes? PIERRE.
Quels doutes?
GEORGES.
Mais ceux de tous vos contemporains, les nôtres, ceux de Musset, ici, de lord Byron, là où vous allez. PIERRE.
J'arrive de Grèce, monsieur, et ma dernière visite a été pour un tombeau, à Mistolonghi. Le plus beau poème de Byron, c'esL sa mort, il est signé d'un nom d'homme. Mais nous allons faire fuir ces dames. AGATHE.
Au contraire, n'est-ce pas, Herminie?
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GEORGES.
Allons, c'est le cas de répéter avec mon excellent ami Champoulay « Vous êtes né trop tard dans un siècle trop vieux, a Il abuse de ce vers, le malheureux 1 Mais vous n'avez pas souffert puisque vous ne doutez pas. J'aurais voulu vous voir décu en' amour, par exemple. Vous seriez moins moyen âge. Oui, cela seulement, déçu en amour.
PIERRE.
Oh! pas si haut, je vous en prie. (Mouvement d'HefmùHe).
GEORGES.
Ah?. Mais alors quelle éducation avez-vous reçue? Celle d'Achille chez le centaure ?
PIERRE.
Non celle d'une honnête femme, très simple, qui fut ma mère.
GEORGES.
Je vous envie. Et qu'est-ce qu'elle vous faisait lire? PIERRE.
Les lettres de mon père, mort pour la liberté.
GEORGES.
Soit. Mais tout le monde n'est pas en mesure de combattre pour des. Àraucanies!
PIERRE.
Erreur, monsieur, tout le monde, vous ou moi, par exemple.
· GEORGES.
Bast 1 allez, le monde finit.
PIERRE.
Il est plus doux de croire qu'il recommence. L'éternelle beauté des femmes en est la preuve.
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GEORGES.
Vous quêtez toutefois pour des persécutés.
PIERRE, aHemt&ïut.
Oui, et sous cette forme du moins, permettez-moi de vous tendre la main.
GEORGES, riant.
Ah j'aime les gens d'esprit. Mais il ne sera pas dit que vous aurez le dernier avec moi. {Honorez-moi de m'inscrire pour ce que vous voudrez. Vous m'avez fait rire, je reste encore votre débiteur.
PIERRE.
Merci, monsieur. Je -prends congé, mesdames, et je vous dis adieu. Daignez conserver le souvenir d'un homme qui emporte avec lui deux talismans, celui de vos grâces rivales et de votre égale bonté. (Il sort.)
SCËNËIX
LES MÊMES, moins PIERRE.
AGATHE, & Georges.
Eh bien, comment le trouvez-vous ?
GEORGES..
Mais. dangereux Ma chère Herminie, voulez-vous m'accorder la faveur de prendre mon bras? Le temps est superbe, nous ferons quelques pas, si vous le voulez, dans les allées du bois.
HERMINIE.
En téte-à-téte ? Mais on peut nous voir
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GEORGES.
Voilà un joli mot, comtesse. Mais couvre-t-il une défaite?. Je vous en prie, venez, ou je croirai que vous nreferez à notre lac. les montagnes d'Albanie. ou les lacs d'Irlande! 1
HERMIME, A Agathe.
A demain, dis. (Elle prend le bras de Georges.)
Je te le promets.
AGATHE.
SCËNE X
AGATHE, puis VIRANDOT.
AGATHE.
Ce pauvre Georges, la leçon est verte. On dirait qu'il l'a comprise. Il semblait frappé. Pourvu qu'il ne soit pas trop tard. Six heures moins le quart, le baron va venir. Il est vraiment bien ridicule, ce gentilhomme. Plus j'y songe, moins il me représente l'idéal d'une première faute. Tant pis! Georges Dandin, c'est toi qui l'auras voulu. Oh! ce Claude. mais viens donc, imbécile.
VïRANDOT, dons por~e e~e-MtMëe.
C'est moi. J'ai reçu ton petit mot. Ce n'est pas que je redoute Champoulay; c'est un ami d'abord, et puis enfin. D'ailleurs j'ai compris ton cri désespéré aller au théâtre seule avec le baron, c'était trop cruel, et j'ai lâché la séance de nuit.
AGATHE, riant.
Tu viens de la séance de jour ?
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VIRANDOT.
Oui. oui. c'est-à-dire pas tout à fait. Pourquoi ris-tu?
AGATHE.
Je ne ris pas, tu as manqué une aimable visite, celle de M. de la Tournelle. Il venait te demander cinq mille francs pour ses Irlandais.
VIRANDOT.
J'espère bien que tu ne les lui as pas donnés. AGATHE.
Non, je lui en ai donné dix. Dam, tu n'étais pas là, j'ignorais tes intentions. Il avait d'ailleurs choisi pour être sûr de te rencontrer un jour où tout chôme, même le Parlement.
VIRANDOT.
Comment? C'est aujourd'hui mercredi ?
AGATHE.
Est-ce que tu ne le savais pas ? Georges et Herminie sont également venus.
VIRANDOT.
Ah et Champoulay?
AGATHE.
Je l'attends, tu vois, je suis sous les armes.
VIRANDOT.
Oh! je vois bien. Mais ce n'est plus du décolletage, cela, c'est de la toilette de nuit. Tu vas bien, toi. AGATHE.
Mais, mon ami, c'est pour le souper, après le théâtre. VIRANDOT.
Comment le souper? Mais, madame de Virandott.
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.AGATHE.
Séance de.nuit~ mon ami, séance de nuit. C'es~ dans le pacte, tu n'as pas oublié le pacte, n'est-ce pas ? moi non plus. Tu soupes, je destine. et caetera.
VIRANDOT.
Et c'est avec Champoulay que?. Mais c'est précisément Champoulay qui. Ah ça, il connaît donc le pacte. Le traître Mais je vais le tuer alors
AGATHE.
Oh ce serait bien province.
SCÈNE XI
LES MÊMES, CHAMPOULAY, un DOMESTIQUE. LE DOMESTIQUE.
M. le baron de Champoulay. Madame est servie.
CHAMPOULAY.
Madame, je. Virandot Diable 1
AGATHE.
Votre bras, baron, et & table, mes sieurs.
f. VIRANDOT, SfUpë/Cttf.
Ah! c'est exorbitant. Lui, moi, elle, dîner ensemble, maintenant.
AGATHE, monffOî~ table servie.
Allons, viens donc, gros gourmand tu vois bien que j~ t'attendais: il y a des écrevisses.
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ACTE TROISIÈME
Chez Herminie.
SCENE PREMIÈRE
HERMINIE, LOUISE, UN DOMESTIQUE (Herminie est assise devant sa ps~/c/të. Louise la cot/~e/. LOUISE.
Madame désire-t-elle parcourir les journaux tandis que je la coine?
HERMINIE.
Merci, non.
LOUISE.
Madame est triste depuis quelque temps elle devrait se distraire.
HERMINIE.
Je me distrais. Je suis allée hier avec vous à Orsay voir votre petit garçcon. Il est bien joli. J'en aurais désiré un pareil.
9
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Il y a des journaux. anglais.
Quel âge a-t-il aujourd'hui?
Quinze mois.
Vous allez le sevrer bientôt. Il faudra le prendre ici nous l'élèverons, Louise.
Madame est bonne. Dans ces journaux anglais, il est question de l'Irlande.
Ah Vous lisez l'anglais ?.
Non, madame, c'est Bob qui nous les traduit, à l'office. Il ;paraît que le soulèvement est général et que. (Acec MTtcrt.) Ah! I
Qu'y a-t-il?
Rien.
Ne mentez pas, je vous ai vue dans la psyché. Donnez-le-moi, je veux le voir. C'est pourtant vrai, il est tout blanc! Comme ça va vite. Je n'ai pas trente ans, Louise, je vous assure.
Mais aussi madame mène trop triste vie c'est déraisonnable. Madame devrait voyager. L'été commence et la campagne est belle.
Louls$..
LOUISE.
HERMINIE.
LOUISE.
HERMINIE.
LOUISE.
HERMINIE.
LOUISE.
HERMINIE.
LOUISE.
HERMINIE.
LOUISE.
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HERMINIE, ÏrtSteTTMT~.
La campagne est belle à Orsay, pour vous ï LOUISE.
Pourquoi, madame n'irait-elle pas à Francbourg? Il parait que le parc est merveilleux en ce moment, tout est en fleurs, c'est féerique. Jean qui en revient, et qui est allé surveiller le curage des étangs, nous a conté que les hirondelles ont niché dans la fenêtre de madame madame sait que cela annonce le bonheur. La famille des cygnes a doublé; ils viennent frapper du bec aux contrevents de la vérandah qui surplombe la pièce d'eau dans le grand salon; on dirait qu'ils s'impatientent de leur maîtresse. Si madame allait à Francbourg ?
HERMINIE.
Non, pas là, non, pas à Francbourg.
LOUISE.
Madame me désole.
HERMINIE.
Dorénavant, ma bonne Louise, lorsque vous me trouverez encore de ces choses-là, arrachez-les-moi sans rien dire vous êtes femme, vous me comprendrez.
LOUISE.
Je regrette que madame ne veuille pas jeter les yeux sur les feuilles anglaises. On y parle beaucoup d'un ami de M*' de Virandot.
HERMINIE.
Ma sœur reçoit toutes les publications si quelque chose l'intéresse dans les feuilles anglaises, elle l'y verra. Qu'est-ce que vous en ferez, de votre nls, Louise?
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LOUISE.
Dans ma condition, madame, il n'est guère permis de rêver. Je rélèverai de mon mieux. Madame sait que certaines têtes de chefs sont mises à prix.
HERMINIE.
Ah!
LOUISE.
M. de la Tournelle est en fuite, dit-on il se cache chez des paysans. On ne le surprendra pas. Il est adoré des insurgés.
HERMINIE.
Qu'est-ce qui vous fait supposer que cette nouvelle m'intéresse? Voit-on sur mon visage que la vie de M. de la Tournelle me soit plus chère qu'une autre? Achevez de me coiffer, je vous prie.
LOUISE.
Oui, madame.
(Entre un domestique auec un bouquet.)
LE DOMESTIQUE.
M. le comte m'envoie prendre des nouvelles de madame et il la prie de vouloir bien accepter ces primevères elles viennent de Francbourg. M. le comte demande s'il peut avoir l'honneur de se présenter. HERMINIE.
Veuillez remercier M. le comte de son attention. Je ne sortirai pas de la soirée.
(Exit le domestique.)
LOUISE.
Madame a-t-elle besoin encore de mes services ?
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Non, merci, laisse-moi.
Suis-je donc si piteuse comédienne que ma femme de chambre me lise ainsi dans l'âme à livre ouvert?. Dieu sait ce qu'elle pense de moi, cette fille. Elle me jauge à sa mesure. Elle m'apporte des journaux anglais pour me distraire. pour me consoler! Me consoler! t Pourquoi ne les lirais-je pas ces journaux d'ailleurs? Est-ce que j'ai peur de moi? Allons donc M. de la Tournelle est presque un homme public, tout le monde a le droit de s'occuper de lui, de ses dangers, de son courage, tout le monde. Excepté toi, pourtant Herminia Je ne vois plus clair en moi-mémé. Mon cœur est troublé. Qui donc me rendra la clef de ma conscience ? (S'adressant à la psyché). Toi, peut-être, miroir dans lequel je n'ai jamais rougi. Voyons. (Elle prend <es journaux.) Sa tête est mise à prix. Mais il est accoutumé aux pièges de cette espèce. Il y joue sa vie tous les jours. Il s'est évadé d'une prison turque terriblement gardée. Ils ne le prendront pas. Comme ton sein bat, Herminie. Que dit-on de lui dans ces journaux?.(E~e lit.) Ah! son nom. son nom imprimé là! Pierre de la Tournelle! (Elle se regarde et se dresser J'ai rougi! Je l'aime alors? C'est fini ? Non, ce n'est pas possible, je n'en suis pas là Oh toi, glace
HERMINIE.
(Exit Louise.)
SCËNE II
HERMINIE, seule.
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perfide, je vais te briser. (On frappe & por~e.) Qui est là?.
VIRANDOT, du dehors.
Moi, Herminie. Votre beau-frère. C'est grave. (Il ouurej Puis-je entrer?.
SCÈNE 111
VIRANDOT, HERMINIE
VIRANDOT.
Sauvez-moi.
HERMINIE.
Que vous arrive-t-il, Claude ?
VIRANDOT.
Je suis perdu. Mon bonheur est brisé. Ma vie n'a plus de sens. Je suis la victime de l'épouvantable Champoulay, vous seule pouvez me tirer du guêpier. HERMINIE.
Disposez de moi.
VIRANDOT.
Merci. Il m'a entrainé dans une aventure satanique. Enfin j'ai découché! Agathe est impitoyable. Eh bien, je vous le jure, j'ai découché, oui, mais je suis innocent.
HERMINIE.
Pourquoi vous laissez-vous donc circonvenir par M. de Champoulay?
VIRANDOT.
Je n'en sais rien. Il me fascine. C'est le boulevard
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incarné, ce garçon-là. Son esprit de blague m'hypnotise. Lui seul sait me faire rire. Et le pis, c'est que je sais qu'il aime ma femme! Non, mais quelle drôle de ville que votre Paris! Tenez, je me confesse à vous, Herminie; quand je suis avec le baron, j'ai de l'esprit. Et il n'y a qu'avec lui que j'ai conscience d'en avoir. c'est peut-être qu'il est plus bête que moi. Ennn, je ne puis m'en passer, quoi. Et il aime ma femme. 0 Vauvenargues 0 Molière
Venons au fait, mon cher Claude.
Eh bien, voilà. Avant-hier, je sortais de la Chambre. La séance avait été cruelle. On y avait traité de l'indigo, de la cochenille et autres matières premières. Je n'y entends goutte. Mais dans ces cas-là, je vote avec le gouvernement, toujours. Le baron m'attendait à la porte, car il ne me lâche pas d'une semelle. Évidemment c'est à cause du pacte. Enfin, de fil en aiguille, je me laisse convaincre d'aller assister à un souper de centième. La pièce est d'un de mes compatriotes, un électeur. J'avais donc mon excuse. Un souper de centième, ma chère, est un souper.
Je sais. Passons.
Mais pas du tout, ce n'est pas ça. C'est très convenable. On y chante des chansonnettes, on se célèbre les uns les autres. J'ai fait là mon premier discours sérieux. Vous le lirez dans les feuilles du jour. Vous voyez donc bien. Mais voilà je suis rentré à six heures du matin, harassé, sans voix, ne tenant plus sur les
HERMINIE.
VIRANDOT.
HERMINIE.
VIRANDOT.
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plantes. Ah! quelle réception, bon Dieu! Elle n'a voulu croire à rien de rien, ni au souper, ni à la centième, ni au compatriote, pas même au discours. Elle m'a accusée des faits les plus monstrueux. Elle a pris ou feint de prendre mon éreintement pour de l'ivresse. Enfin,.je ne sais comment la convaincre. Elle parle de vengeance immédiate, de loi du talion. ce que cette canaille de Champoulay appelle. < mon talion d'Achille. » Oh! Herminie, si encore je m'étais amusé. HERMINIE.
Mais, mon cher Claude, si vous êtes vraiment innocent, Agathe le sait déjà ça se voit dans les yeux. vIRANDOT.
Des yeux limpides à six heures du matin, c'est rare. Mais je suis certainement innocent. Car enfin il est admis qu'en pareille circonstance, on boit un peu plus que de rigueur. C'étaient des vins du pays d'abord. Et puis je supporte plus qu'un autre. La preuve c'est que j'ai pu reconduire jusque chez elle l'une des reines du banquet, M"' Balzamine, sans cesser d'être galant ainsi que faire se doit. Je suis même monté un peu chez elle et nous avons. parlé politique. Enfin j'étais chez moi à six heures du matin, et quand un homme est chez lui à six heures du matin, on n'a rien à lui reprocher, quand le diable y serait.
HERMINIE.
Est-ce que le diable y était?
VIRANDOT.
Vous plaisantez, ma sœur, mais je vous jure qu'Agathe est très montée. Je crains un coup de tête. J'ai peur du pacte. Oh! j'ai peur du pacte. Mais la voilà. Par où sortir, mon Dieu? Cachez-moi, je vous prie, c'est une Furie!
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SCÈNE IV
LES MÊMES, AGATHE.
AGATHE.
Ah! il est ici! il ose se montrer chez les honnêtes gens. (A VM-ando~ C'est vous, monsieur?
VIRANDOT.
Oui, madame.
HERMINIE, à Agathe.
Calme-toi, Agathe. Le pauvre garçon est consterné. Il jure qu'il est innocent, ne va pas trop loin.
AGATHE, à Herminie.
Laisse-moi faire, et prends une leçon de mariage, pendant que tu y es, tu en as besoin. ~u~ Puisqu'il est acquis désormais que vous ne m'avez épousée que pour ma dot.
VIRANDOT.
Comment! pour ta dot, je suis plus riche que toi! AGATHE.
Raison de plus, et puisque l'incompatibilité entre nous va jusqu'à l'adultère, je me déclare libre. Je mets la clef de ma chambre à coucher au bout d'un fil, et je la laisse pendre dans la rue. Trop bonne encore de vous donner cette dernière preuve d'affection et de vous rendre cette indépendance dont vous êtes ivre. Nous ne sommes plus désormais que deux amis. Adieu, mon cher ami.
VIRANDOT.
Mais puisque je te dis. tu peux bien me pardonner
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puisque je ne suis pas coupable. Si j'étais coupable, je comprendrais que tu ne me pardonnasses point. Mais puisque je ne le suis pas, pardonne-moi.
1 AGATHE.
C'est captieux.
VIRANDOT.
Captieux Et puis enfin, il y a nos mioches, nos pauvres mioches. Agathe, tiens, à genoux, pitié, pardon, j'ai tort; je ne le ferai plus.
AGATHE.
Grande bête, va! (Elle l'embrasse.)
VIRANDOT.
Ah petite femme chérie Il n'y a que toi. Il n'y a que toi
AGATHE.
Sauve-toi maintenant, et à la Chambre; j'ai à causer avec Herminie, va.
VIRANDOT.
Si j'y vais? J'y parlerai! (Il sort.) J
SCÈNE V
HERMINIE, AGATHE.
AGATHE.
Eh bien, qu'en dis-tu? Est-ce dressé? Ah! si tu avais su t'y prendre 1
HERMINIE.
Je n'aurais pas réussi avec Georges.
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AGATHE.
Pourquoi pas tous les hommes ont un bout du nez. À ce propos, je viens te dire quelque chose. Il faut te montrer, tu tournes trop à la recluse. Ça unirait par donner à jaser aux mauvaises langues.
HERMINIE.
Tout donne donc à. jaser aux mauvaises langues! t Qu'est-ce que le monde peut trouver à redire en une pauvre femme confinée dans sa vie de ménage? je me le demande.
AGATHE.
Ma chérie, tu oublies trop que tu n'as pas trente ans et que tu es exceptionnellement belle et remarquée. Ta retraite ne s'explique pas dans ces conditions, ou du moins elle s'explique mal, je veux dire méchamment. L'entrevue de Georges et de M. de la Tournelle est connue; il s'est ébruité que ce dernier est ton servant d'amour votre roman court la ville. Enfin, l'on a remarqué que ta retraite a coïncidé avec son départ pour l'Irlande. Je te dis ce que je dois te dire. Fais attention, ma sœur, sois prudente.
HERMINIE.
Que les méchants sont sots et que les sots sont méchants 1
AGATHE.
Les apparences te sont contraires. Ton mari fait des efforts sincères pour reconquérir le terrain perdu. On ne connaît son bien quelquefois que lorsque d'autres le convoitent. Tout cela se chuchote discrètement encore. Montre-toi. Ta vertu hautaine te fait beaucoup d'ennemies parmi tes amies.
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Ce sont ces mots-là qui te les aliènent. Montre-toi, marche droit aux hostiles, sors au bras de ton mari, va aux fêtes, aux soirées, aux premières. Georges est, malgré vices et défauts, un cavalier charmant, spirituel et de compagnie précieuse. Son cœur n'est pas aussi pervers que je l'avais d'abord cru ses yeux se dessillent.
Il est bien tard.
Ne dis pas cela, j'en ai trop, trop peur! Et cependant il me semble bien que la place n'est pas encore enlevée. Oh! je la défends avec désespoir. Je ne me rends pas, je ne me rends pas. Non Mais il ne faut pas non plus que la trahison s'y mette et qu'on aide l'ennemi à escalader les remparts. J'aurais juré il y a une heure encore que personne au monde ne se doutait de ce qui ravage mon âme démantelée, mais il paraît que ça se voit. Ma femme de chambre qui m'adore, m'a appris tout à l'heure qu'il était en fuite qui, il? Lui! Toi, tu me parles de mon secret couramment, tu l'appelles l'autre. Et l'univers entier se promène dans ma conscience 1
J'espère bien n'avoir pas démérité de leur haine. AGATHE.
Tu ne l'aimes plus du tout?
Non, c'est fini.
Gare alors c'est que tu aimes l'autre
HERMINIE.
HERMINIE.
AGATHE
HERMINIE.
AGATHE.
HERMINIE.
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Que veux-tu? Cela devait arriver. Si tu veux là-dessus l'opinion d'une honnête femme pratique, écoute. La vie est courte pour nous, comme pour toutes les autres bêtes à bon Dieu. En pareil cas les mauvais conseils sont les bons. Pardonne à ton mari, il est encore temps, ou fais semblant de lui pardonner. HERMINIE.
Je ne sais pas jouer la comédie, ma sœur.
Alors c'est que tu aimes l'autre.
Ainsi, en ton âme et conscience, tu estimes que j'aime M. de la Tournelle.
J'en suis sûre.
Jure-le.
Sur quel évangile? L'amour n'en a pas.
Prouve-le seulement.
Et si je te le prouve?
Ah! si tr me le prouves, ma résolution est prise. AGATHE.
Quelle est-elle?
Mes actions, à moi, ne ressemblent pas à celles des
AGATHE.
AGATHE.
HERMINIE.
AGATHE.
HERMINIE.
AGATHE.
HERMINIE.
AGATHE.
HERMINIE.
HERMINIE.
------------------------------------------------------------------------
autres femmes. Je méprise les idées du, monde et les lieux communs de la morale banale. Ne crains rien, je serai logique.
AGATHE.
J'y compte. Je te disais tout à l'heure que les nouvelles allures de ton mari sont très commentées. Tu es la seule qui ne le sache point.
HERMINIE.
Je l'avoue, cela ne m'a pas frappé.
AGATHE.
Aplanis-lui le chemin. Montre-toi clémente, car enfin de sa part, c'est touchant, cet homme rendu à ta supériorité. Voyons.
(Elle lui parle bas à l'oreille.)
HERMINIE.
Jamais!
AGATHE.
Herminie, ma preuve est faite.
HERMINIE.
C'est vrai. La pJace est prise. (Elle sonne. Priez M. le comte d'entrer.
AGATHE.
Que vas-tu faire ?
HERMINIE.
Mon devoir, comme toujours.
AGATHE.
Redouté tes élans, ma sœur, ils t'ont perdue. 0 ma chère « Perfection », crains-toi.
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Bonjour, Agathe. Restez, je vous en prie. Votre présence adoucira le coup de la mauvaise nouvelle qu'il me faut annoncer à Herminie. J'ai vu notre notaire hier, et le cher homme n'a pas failli à sa mission noire. Je suis ruiné.
Vous deviez vous en douter, sans reproches.
Mais non, c'est une surprise. Eh bien, mais me voilà en situation d'imiter les bons modèles et de conquérir ma petite Araucanie. D'ailleurs tout est sauf, même l'honneur. M"" de Moussac n'aura rien à changer à sa vie. Francbourg vous reste, Herminie.
Obligez-moi de croire que je ne me prête pas à l'arrangement que vous faites des affaires communes. Quelle que soit la cause de la ruine, j'en veux ma part. Mariage, c'est partage. Nous partagerons.
SCÈNE VI
Et vous ?
Oh moi la terre est grande
Non, je ne puis l'entendre ainsi. D'ailleurs, cette
LES MÊMES, GEORGES.
GEORGES.
AGATHE.
GEORGES.
HERMINIE.
GEORGES.
HERMINIE.
GEORGES.
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ruine me charme. Je tiens à ma catastrophe. Laissezla-moi. J'ai bâti un plan sur elle. Après avoir tout exploré, excepté la misère, je mets quelque dandysme à savoir ce que j'aurais valu par moi-même, si j'avais été voué comme tant d'autres au travail quotidien. Merci donc de votre générosité.
HERMIN1E.
Générosité, moi?. Je n'en suis plus depuis longtemps qu'à la dignité. Partageons, allez.
GEORGES.
J'ai prévu toutes les ruses de votre grand cœur. Vous ne me surprendrez pas, même en vous dépréciant. Mais je prends ici occasion, madame, de rendre hommage à la vertu merveilleuse qui est la vôtre. Mon éducation ne m'avait pas préparé à une association dont je n'ai cessé d'être indigne. Je ne croyais pas. Je ne savais pas. Je n'avais pas vu. Daignez me pardonner notre mariage, vous le pouvez, car le monde se renverse, et je me châtie avec joie de mon aveuglement.
HERMINIE.
Vous avez de moi une idée trop haute. Je ne puis vous la laisser. Je ne la justifie point.
AGATHE, à part.
Que va't-elle lui dire
HERMINIE.
Voyons les choses telles qu'elles sont. Honnête femme, oui, si c'est être honnête que d'avoir pris au sérieux tous les engagements du mariage. Vous m'avez eue tout entière, Georges. Maintenant, franchement, en galant homme, répondez-moi m'avez-vous jamais aimée?
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Désirez-vous de moi une confession générale ? HERMINIE.
Notre vie commune est terminée. Parlez donc à cœur ouvert. Car j'ai, moi aussi, quelque chose de grave à vous avouer.
Je vous ai épousée sans vous connaître et sans vous comprendre, comme on se marie aujourd'hui dans notre monde, et un peu dans les autres, dit-on. Peutêtre ai-je pris un goût très vif que vous m'inspiriez pour de l'amour. Je ne savais point les différences. Je crois, Herminie, que je ne suis pas capable d'aimer comme vous désiriez d'être aimée. J'avais sur les femmes des principes très arrêtés et que rien ne démentait, hélas autour de moi. Mon crime est de ne m'être pas donné la peine de vous étudier. Je pensais qu'aucune de vous ne mérite cette étude et que vous êtes toutes la même. Je me suis trompé. Voilà pourquoi je disparais..
Disparaître?. Quelle est votre intention?
Ne craignez rien. Je recommence la vie, c'est plus dur que de mourir, vous en conviendrez.
Et c'est plus brave, Georges.
Encore une fois, votre sacrifice n'a pas d'objet et votre renonciation est sans cause et sera sans effet. Honnête femme, comme le monde l'entend, je le suis io
AGATHE, inquiète.
HERMINIE, bravement.
GEORGES.
GEORGES.
GEORGES.
AGATHE.
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toujours, mais femme honnête, comme je l'&ntends, moi, je ne le suis plus. Nous nous valons depuis une heure. AGATHE, effrayée.
Ma sœur, mais elle est folle. Ne l'écoutez pas, Georges.
HERMINIE.
Laisse-moi. J'ose faire ici ce que jamais femme peut-être n'a eu le courage de risquer devant le maitre que la loi lui donne. Depuis un mois, moi aussi, je ne vous aime plus, et depuis une heure je sais que j'en aime un autre.
AGATHE.
Ce n'est pas vrai. La pauvre fille, elle ment, vous dis-je.
GEORGES.
Vous auriez pu m'épargner l'anront, comtesse. Il est trop sanglant.
HERMINIE.
N'est-ce point mon devoirde vous parler de la sorte ? Qu'est-ce donc que le mariage si de tels aveux n'y sont point de mise? Aide et. protection; dit la loi. Obéissance et fidélité, ajoute-t-elle. J'obéis et je suis fidèle. Protégez-moi et aidez-moi.
GEORGES.
Oh! il valait mieux me laisser partir avec ma sainte illusion.
HERMINIE.
C'est précisément ce que l'honneur m'interdit de faire. Je suis votre femme, je porte votre nom. Si le fardeau me devient trop lourd, vous êtes mon soutien naturel. Qu'avez-vous à objecter à ma loyauté conjugale ? Me voilà maintenant éprise d'un autre, domptée
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par la nature, attaquée par l'adultère, défendez-moi. C'est votre devoir. Je chancelle, soutenez-moi. GEORGES.
C'est fort simple, je vais aller le tuer.
HERMÏNIE.
L'en aimerai-je moins?
GEORGES.
Il y aune autre solution encore.
HERMINIB.
Et quand tu seras mort, t'en aurai-je moins aime?. GEORGES.
Oh! comtesse! t
AGATHE.
Observez, Georges, que vous n'avez rien à craindre d'une femme capable de l'action qu'elle vient d'accomplir elle se défend déjà d'elle-même.
HERMINIE.
Je n'en sais rien. Je sais seulement que vous avez le droit de m'enfermer, de me séquestrer, de m'entourer de grilles et de pointes, et je sais que j'ai le devoir de me prêter à toutes ces précautions trop heureuse si vous me sauvez de moi-même en vous préservant. GEORGES.
Me croyez-vous capable d'user de pareils expédients! t Mais vous m'autorisez à user de toutes les armes défensives que le mariage, lui, met entre mes mains, je parle des plus douces, et des courtoises et des plus légitimes ?
HERMINIE.
Je vous appartiens par serment. Agissez.
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GEORGES.
Parmi ces armes, il en est une sur laquelle je compte, souffrez que je vous l'avoue. J'essaierai de cette arme, madame, et peut-être en vous sauvant, sauverai-je encore un infortuné.
HERMINIE.
Essayez. Essayons. Je veux bien.
AGATHE.
Ah! 1 malheureux, c'est un berceau qui vous a manqué.
GEORGES.
Je ne le regrette point, Agathe, nous serions trop à plaindre en ce moment. sort.~
SCÈNE VII
HERMINIE, AGATHE, puis LOUISE.
AGATHE.
Te voilà bien avancée! A quelle condition t'es-tu réduite par ton aveu insensé? Voilà que ton mari t'aime maintenant, et qu'il a pu te le dire Au moins tu ne l'aurais jamais su. Qu'est-ce que tu vas faire?. HERMINIE.
Mes malles d'abord. Je me sauve à Francbourg. AGATHE.
Et puis? Après?
HERMINIE.
Après? J'ai trente ans, ma. chère. Dans dix ans,
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j'en aurai quarante et ce sera fini. Dix ans passent vite.
AGATHE.
Et Georges ?
HERMINYE.
Ah! tant pis, chacun son tour. Ne vas-tu pas plaider pour lui après m'avoir prouvé que j'en aimais un autre? J'ai accompli mon devoir, les événements ne me regardent plus.
AGATHE.~
Tu ne pardonneras jamais à ton mari ?
HERMINIE.
Je lui ai pardonné.
AGATHE.
Tu ne l'aimeras plus ?
HERMiME, elle sonne.
L'amour n'est pas un volant entre des raquettes. Je ne dois plus compte à M. de Moussac que de son honneur. Quant à mon cœur, il parait que la nature l'a repris; c'est à elle à me le rendre. J'irai à Francbourg, c'est tout. (Louise entrer Il faut faire nos paquets, Louise, nous partons.
LOUISE.
Ah! tant mieux, j'en suis bien heureuse pour madame.
HERMINIB.
Allez chercher votre petit garçon, nous l'emmène-
rons avec nous.
LOUISE.
La bonté de madame me touche jusqu'aux larmes.
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Nous resterons à Francbourg cinq ans, dix ans, toujours peut-être. L'air est pur dans nos bois, et vous aurez votre enfant auprès de vous; vous le verrez grandir, hors des mains mercenaires. Cela me reposera d'aimer ce petit être.
Mais je vous le demande un peu pour moi. Vous savez quel chagrin j'ai de ne point avoir d'enfants, et combien je les aime. Le vôtre me donnera l'illusion de la maternité, j'en ai besoin, Louise, surtout en ce moment.
Qu'est-ce qu'il y a? Son père veut-il vous le reprendre ?
Ah! c'est dommage. Qui est-ce donc son père? Je n'ai jamais songé à vous le demander. Gardez votre secret, mon enfant. Je sais ce qu'on sôuffre. Mais n'y a-t-il pas moyen d'une manière ou de l'autre de le désintéresser? L'enfant est à vous; il a besoin de .vos
C'est impossible, madame.
Pourquoi, impossible?
Je supplie madame de ne pas insister.
Non, madame, non.
C'est cela, oui, son père veut s'en charger.
HERMINIE.
LOUISE.
HERMINIE.
LOUISE.
HERMINIE.
LOUISE.
HERMINIE.
'LOUISE.
HERMINIE.
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soins. Qu'est-ce qu'il en fera, lui, d'un petit de quinze mois? Il doit être retenu par un travail, cet homme, ses journées sont occupées, je suppose. Vous ne répondez pas, Louise?
AGATHE.
Pourquoi n'irait-il pas à Francbourg avec vous? Vous vous marieriez. nous vous doterons.
LOUISE.
Il n'y faut pas songer, madame.
HERMINIE.
Il est déjà marié? Pauvre nlle! Voulez-vous que je lui parle, moi. Où demeure-t-il?
LOUISE.
Pitié, madame.
HERMINIE.
C'est donc un être bien indigne. Où en êtes-vous tombée?
LOUISE tombe à ses pieds.
Moins indigne que moi, hélas Il n'a point trompé la plus sainte créature qui soit sur terre et la meilleure des maîtresses.
HERMINIE, à Agathe.
Que dit cette nlle ? Pourquoi est-elle à mes pieds? AGATHE.
Je n'ose comprendre, en effet.
LOUISE.
Pardon, pardon, je vous en supplie.
HERMINIE, comprenant.
Misérable. mon mari! Vous avez un enfant de mon mari, vous! Mais je n'en ai pas, moi! Sauve-toi, dis-
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parais, va-t'en, je te chasse, je t'exècre,"je voudrais t'anéantir.
AGATHE.
Ma'pauvre sœur! Mais regarde-la, elle est bien à plaindre, elle aussi.
HERMINIE.
A pl aindre, elle Mais elle est féconde mais elle m'a pris ma place, ma vie, mes droits. Il est à moi, son enfant. Il est joli, mon Dieu! Rends-le-moi, voleuse. Va, je te souhaite la misère, la torture, la mort, tous les désastres. Je sens ce que c'est que de haïr. Je te maudis. (Elle éclate en sanglots.) J
LOUISE.
.Et moi je vous bénis, madame, vous méritez toutes les joies et îous les bonheurs. Je comprends trop que vous ne puissiez me pardonner. Vous ne le pouvez pas. Adieu. (Elle se dirige vers la porte et elle sort.) J HERMINIE.
Ah! cette fois tout est bien fini. Tout m'échappe. Je n'ai plus rien. Jusqu'à cette poupée qui se brise. Menacée de l'amour de l'homme que je méprise le plus au monde et seule, mais seule à crier. Eh bien alors, je me suis trompée; c'est toi qui as raison, tu es la vraie honnête femme de ce temps et je suis une pauvre sotte. Ah c'est ça la vie ? C'est ça le mariage? Il fallait donc le dire. Très bien, j'en suis. (Elle va à son secrétaire, l'ouvre e< en tire une lettre, puis elle sonne. J AGATHE.
Que vas-tu faire?
HERMINIE.
Appeler mon sauveur, comme les autres. D'ailleurs,
<
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je l'aime. Tu vois cet épi de blé. Il part pour l'Irlande, ma chérie.
Tu appelles Pierre. Prends garde.
A qui? A quoi?
Mais à lui-même. Es-tu bien sûre qu'il t'aime encore?.
Oh! nous allons bien voir.
Portez cette lettre à la poste immédiatement.
A vos ordres, comtesse. Je vais précisément sortir. HERMINIE.
Soit. Vous savez à qui elle est adressée?.
Non. Mais dois-je l'ignorer?
Cela vous regarde. (Elle sort.)
AGATHE.
HERMINIE.
AGATHE.
HERMINIE.
SCÈNE VIII
LES MÊMES, GEORGES.
HERMINIE, sans voir Georges.
GEORGES, prenant la lettre.
GEORGES.
HERMINIE.
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SCÈNE IX
AGAT.HE, GEORGES.
AGATHE.
Ne l'envoyez pas, Georges, elle est folle de douleur elle n'a pas conscience de ses actions.
GEORGES.
Pourquoi donc? M. Pierre de la Tournelle est un ami d'enfance de M"" de Moussac. Il est tout naturel
qu'Herminie lui écrive.
AGATHE.
Vous avez deviné qu'elle écrit à Pierre ?
GEORGES.
J'ai même deviné plus encore, ma chère Agathe, faites-moi l'honneur de le croire.
AGATHE.
S'il en est ainsi, vous n'enverrez pas la lettre, je suppose.
` GEORGES.
Et de quel droit? D'ailleurs je ne dois aucune pitié à M. de la Tournelle. Je ne suis ni son ami, ni son obligé.
AGATHE.
En êtes-vous bien sûr?
GEORGES.
Oh! oh! pardon. Serait-ce lui qui m'a ramassé l'autre fois et ramené ici dans sa voiture J'en ai le soupçon depuis quelque temps.
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Ah! (Il M au fond et appelle Bob. Entre Bob.) Partez. Partez immédiatement pour l'Irlande, sans tarder d'un instant, et allez remettre en mains propres cette lettre à son destinataire. Il y a cinquante louis pour vous si vous le ramenez avant huit jours. (Bob sort.) Il est décidément un peu trop loin, ce poète de l'épée.
Vous lui devez l'honneur et la vie. GEORGES.
AGATHE.
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ACTE QUATRIÈME
La grande salle du château de Francbourg.'
SCÈNE PREMIÈRE
GEORGES, VIRANDOT.
VIRANDOT.
C'est vrai, dites?. Depuis cinq mois que vous vivez ici, à Francbourg, en tête à tête avec votre femme, vous ne vous ennuyez pas de Paris, vous, Georges ? Ça ne vous manque pas, l'asphalte, les premières, les essais de lumière électrique, les journaux et les accidents de voitures ? Vous n'avez pas la nostalgie de votre cercle ?. Vous ne tournez pas, en rêve, autour du lac et vous pouvez vivre sans fête de charité japonaise Savez-vous que c'est fabuleux!
GEORGES.
Est-ce qu'on en parle ?
VIRANDOT.
Partout, comme de toutes vos originalités
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GEORGES.
Sincèrement, on me blague, hein?
VIRANDOT.
Le terme exact serait plutôt. vous permettez?. On s'épate.
GEORGES.
Oh mais vous voilà formé. C'est le dernier style Eh bien, non, mon cher Claude, Paris ne me manque pas plus que je ne lui manque. A dire tout, je suis même surpris de l'aisance que j'éprouve à supporter ma ruine. Je chasse, je pèche, je vendange et moissonne, et cela m'amuse. C'est très curieux, la nature Je finirai par pousser des feuilles, comme Actéon. Mon cher, je me couche à neuf heures et j'aime la soupe aux choux. Mais parlons de vous, père conscrit. Vous voici donc en vacances parlementaires! Quel bon moment 1
VIRANDOT.
Peuh!
GEORGES.
Ah! je parlais pour vos électeurs! Je sais que, pour vous, il n'en va pas de même. Où en êtes-vous de votre essai de babylonisme?
VIRANDOT.
Toujours aumeme point! Je n'ai pas de chance Agathe a un ûair! C'est une mazette, votre Champoulay. Elle le roule à tout coup.
GEORGES, riant.
Bah? Toujours. <ï province » alors?
VIRANDOT.
Horriblement! C'est le pacte qui me chiffonne.
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L'autre jour cependant j'ai bien cru yie~e touchais à. l'initiation. C'était aux Champs-Elysées. J'étais avec le baron qui m'avait lancé sur une fausse piste, comme toujours, lorsqu'il me sembla, en levant.les yeux, qu*une femme me regardait avec intérêt Elle passait dans un coupé très élégant dont elle nt modérer le train, tout à coup elle me salua. Si j'étais intrigué, vous pouvez le croire. Je perdis le baron dans le paysage et m'étant approché. Fichtre qu'estce que je vous raconte donc là, moi? J'oubliais à qui je parle! 1
GEORGES.
Une ancienne à moi ? Ne vous gênez pas. On se les repasse de père en fils et de fils en père aujourd'hui. Il y en a qui ne sortent pas de la même famille Ainsi entre beaux-frères! Donc, vous vous approchez?. VIRANDOT.
Et elle me demande des nouvelles de. de qui, devinez?
GEORGES.
De moi, parbleu! l
VIRANDOT.
Non, de M°" la comtesse de Moussac.
GEORGES, sautant.
Hein?
VIRANDOT.
C'était Louise. Elle avait les larmes aux yeux. GEORGES.
Mordieu Elle en est la? La pauvre fille t
VIRANDOT.
Eh bien, non, j'en ai assez. Celle-là m'a défrisé. La
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province a de bons côtés. J'ai été injuste pour la province. Le diable, c'est d'y rentrer bredouille.
GEORGES.
Votre histoire m'a retourné. Allons faire un tour.
VIRANDOT.
Devenez-vous sensible au sort des femmes depuis que vous comprenez la vôtre ?
GEORGES.
Ne plaisantez point là-dessus, vous m'obligerez.
VIRANDOT.
Mais, mon cher Georges, sachez-le bien, nul plus que moi n'admire votre conduite et n'en est plus fier. Votre retraite à Francbourg est d'un brave. Donnezmoi la main.
GEORGES.
Elle est pourtant sans mérite, puisque j'aime Herminie.
VIRANDOT.
Ah ennn Vous voilà donc heureux
GEORGES.
Heureux? Mais elle ne m'aime plus. Mon flambeau s'allumait pendant que s'éteignait le sien. Trop tard. Nous sommes deux à Francbourg et nous restons isolés.
VIRANDOT.
Êtes-vous sûr de ne point vous méprendre ? L'amour que vous pouvez attendre d'elle après dix ans de mariage d'abord et, laissez-moi ajouter, après ce qui s'est passé entre vous aussi, ne peut pas être celui de Juliette pour Roméo. Ennn elle vous attend à quelque épreuve peut-être
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GEORGES.
Non; elle ne peut plus m'aimer. Elle me méprise. Mais le pis, Claude, c'est qu'elle ne s'est point encore aperçue que je l'aimais. Voilà ce qui fait souffrir. Vos enfants vont bien, Virandot ?
VIRANDOT.
Scandaleusement bien, mon cher ami. Ma fillette est une merveille. Je crois qu'elle me ressemblera. GEORGES.
Tant pis mais venez je veux vous montrer une plante très-drôle avec laquelle on fait du pain. VIRANDOT.
Le blé, oui j'en ai chez moi.
(Entre Champoulay.)
GEORGES.
Le baron Ah par exemple.
SCÈNE II
LES MÊMES, CHAMPOULAY.
CHAMPOULAY.
Excusez-moi, mon cher comte, de forcer votre solitude, je viens vous demander un service. (A Virandot.) Vous voilà, vous, lâcheur, c'est gentil de me planter là sans le moindre P.P.C. Le plongeon de Télémaque, quoi 1
VIRANDOT.
0 Mentor, les vents m'ont poussé dans Ithaqué.
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CHAMPOULAY.
Tout le monde, alors La mode est à la vertu Voici ce qui m'amène. J'ai besoin de deux témoins. J'ai compté sur vous, messieurs, car il me faut deux braves.
GEORGES.
Vous savez que je ne me dérange que pour les duels sérieux.
CHAMPOULAY.
Il y a mort d'homme, c'est un mariage.
VIRANDOT.
Vous vous mariez ? Oh à quelle distance? CHAMPOULAY.
Ecoutez donc, je m'ennuie, moi, devant ma glace. Et puis, cette année, les enfants légitimes sont très demandés pour les devants de voiture.
VIRANDOT.
Bigre Et, sans indiscrétion, quelle est l'heureuse mère de vos futurs petits Champoulay?
CHAMPOULAY.
On prend ce qu'on trouve. Je n'ai plus le sou, je ne suis pas joli, joli, et mes cheveux ressemblent aux coursiers d'Hippolyte en ceci que je les ramène. Une ange indulgente veut bien fermer les yeux sur ces défaillances et s'offre à me broder des pantoufles de quarante mille livres de laine. Je serais un sot de refuser. Au fond, qu'est-ce que le mariage moderne? L'échange de deux éreintements et l'union de deux magots. Elle a l'un et je suis l'autre. Qui me blâme, change la vie! Je n'ai'pour moi que d'être gentilhomme. Hip Hurrah! pour Balsamine! C'est entendu, vous m'assistez ?
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VYRANDOT.
Vous savez, baron, que je pars pour ma tournée de réélection
` CHAMPOULAY.
Suffit, j'ai compris. (A Georges.) Notre vieille amitié, mon cher de Moussac.
GEORGES.
Une question, d'abord. Vous allez à l'église?
CHAMPOULAY.
Comment donc Notre-Dame de Lorette! Tout l'Opéra-Comique chantera aux orgues! Mes aïeux étaient en Terre-Sainte, mon cher! t
GEORGES.
Que Dieu appesantisse leur sommeil! Ne comptez pas sur moi, Champoulay.
CHAMPOULAY.
Ah! c'est bien. Adieu, messieurs.
GEORGES.
Adieu! Et bonne chancej (Agathe entre.)
s.
CHAMPOULAY.
A propos. j'oubliais de vous prévenir. Je viens de rencontrer sur le chemin du chàteau, un véritable revenant. Il venait droit ici, un épi de blé à la main! (A part.) Ça s'appelle le trait du Parthe (H sort.) `
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SCÈNE III
GEORGES, VIRANDOT, AGATHE.
(Agathe sort de chez Herminie et regarde par la ~e<re avec attention.)
VIRANDOT, allant à elle.
C'est, lui aLora ? 2
AGATHE.
Hélas, oui. Vois comme Georges est pâle (Elle arrête Georges qui se dirige vers la porte.~ Où allez-vous? Qu'est-ce que vous allez faire?
GEORGES.
Le tuer, ma sœur.
AGATHE.
Est-ce qu'Herminie est adultère? (Georges s'arre~ GEORGES.
Mais il l'aime
AGATHE
Depuis onze ans. On ne tue pas après onze ans.
GEORGES.
Qu'est-ce qui en empéche?
AGATHE.
Le ridicule.
VIRANDOT.
Agathe a raison. Le duel est sans motif puisque l'amour est sans offense.
GEORGES.
Qui parle de duel?
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AGATHE.
Oh!
GEORGES.
On a toujours le droit de tuer quelqu'un. si on~sc tue soi-même après. Je veux en nnir.
AGATHE.
Vous déraisonnez, Georges.
GEORGES.
Je ne puis tolérer l'idée qu'Herminie aime cet homme
AGATHE.
Vous croyez qu'elle l'aime ?
GEORGES.
Puisque le voilà, oui.
AGATHE.
Pardon Qui est-ce qui a envoyé Bob en Irlande ? Elle ou vous ?. Ah vous n'avez pas voulu m'écouter lorsqu'il en était temps encore. Vous le faites revenir pour l'assassiner; pour un homme de votre esprit le guet-apens est assez Enfin, qu'en pensez-vous? GEORGES.
Ma sœur. je l'aime. et elle l'aime. Voilà toute la situation. Il faut la trancher. J'endure l'enfer depuis cinq mois
AGATHE.
Oh l'enfer?. le purgatoire seulement! Et vous ne l'avez pas volé! Mais vous dites qu'elle l'aime? Vous le croyez! Moi qui la connais bien et qui ai dans les veines le même sang qu'elle, j'en doute encore. VIRANDOT.
Hum ne va pas trop loin.
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Je te conseille de parler des femmes Voilà une question où tu es fort, mon ami (A Georges.) Oui, j'en doute et je vous expliquerais bien pourquoi si nous avions le temps de discourir. Nous sommes, Herminie et moi, les deux types de ce monstre qu'on appelle Le femme honnête. Elle, elle est malheureuse, et je ne le suis pas. Toute la différence est là, mais nos deux pouls battent à l'unisson, et lorsque j'écoute mon cœur, tandis que cet homme s'avance vers le château, il me dit que ma sœur n'aime pas celui qu'elle croit aimer.
Oh! ma sœur, la femme honnête!
Voilà votre mauvais sourire, mon pauvre Georges, le sourire de l'enfant du siècle Je vous jure qu'il y a d'honnêtes femmes encore! Si l'éducation n'en fait plus guère, la nature se charge (l'en perpétuer l'espèce, sans quoi le mariage deviendrait une drôle d'institution Tenez en un seul mot, la femme honnête, c'est la femme d'un seul amour.
Soit. Eh bien?
Eh bien, ce monstre ne se donne pas deux fois. Je défie homme vivant d'arracher un baiser à Herminie, comme je le défierais de me l'arracher à moi-même. Non pas que nous soyons invulnérables, mais parce que. Mais vous êtes des hommes, vous ne pouvez pas comprendre.
AGATHE, AVtrando~.
GEORGES.
AGATHE.
GEORGES.
AGATHE.
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Dis toujours.
Il n'est d'autre amant et d'autre mari que le premier qui nous a possédées, le seul, l'éternel, le dernier. Dès qu'un autre nous touche, rhermine se réveille.
Vous portez-vous garant de M" de Moussac ? AGATHE.
De ce qu'elle dira, non. De ce qu'elle fera, oui. Elle mourra avant d'avoir connu d'autres lèvres que les vôtres?
Vous pourriez le jurer?
Sur la tête de mes enfants.
Il n'y a donc danger pour personne à ce que j'assiste à leur entrevue. armé! (AfoMueme~ d~af/tej Ah! vous voyez.
Je m'y oppose formellement.
Tel est pourtant mon dernier mot.
Les mots ne sont que des mots et le crime commence au baiser.
C'est ainsi que je l'entends. Si leurs lèvres se rencontrent, il est mort, et elle est veuve.
GEORGES.
VIRANDOT.
AGATHE.
GEORGES.
AGATHE.
GEORGES.
VIRANDOT.
GEORGES.
AGATHE.
GEORGES.
------------------------------------------------------------------------
AGATHE, résoïumeïtt.
Eh bien. Allez (Elle se refuse, tremb~~e, dans les bras de Virandot.)
VIRANDOT.
Mais tu trembles ?
AGATHE.
Ah! dame! répreuve est terrible. Mais où serezvous ?
GEORGES.
N'en prenez point souci. Je verrai et j'entendrai tout. Mais je veux être seul.
AGATHE.
Rien avant le baiser ? Vous le jurez ?
GEORGES, il lève la main.
Sur mon honneur et devant Dieu!
(Il sort.)
SCÈNE IV
AGATHE, VIRANDOT.
VIRANDOT.
Il est clair que tu as la certitude de prévenir ce double meurtre? Quel est ton moyen?
AGATHE.
Herminie elle-même.
VIRANDOT.
Pas de plaisanterie. C'est grave. Tu vas avertir Pierre,hé ?
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AGATHE.
Pour l'enflammer davantage ? Ce serait adroit. Si jamais tu es ministre de quelque chose, tu feras bien de me consulter quand il s'agira de diplomatie. Ce que M. de la TourneHe aime le plus au monde; c'est le danger. Il brave la mort tous les jours pour une idée. Pour son amour, il se jettera comme un fou au-devant d'elle.
VIRANDOT.
Eh bien, alo':s?
AGATHE.
Eh bien alors quoi?
VIRANDOT.
C'est sérieux, cette épreuve du baiser? Tu prends cette responsabilité d'un assassinat suivi d'un suicide? AGATHE.
Préfères-tu qu'ils s'égorgent l'un l'autre à la porte ? Tu n'as donc pas vu l'ceil de Georges Il aime Herminie. Mais voici Pierre. Laisse-moi seule avec lui. viRANDOT, à part.
Minute! On joue trop gros jeu ici. Je le préviendrai. (~ sor~
<
SCÈNE V
AGATHE, PIERRE.
AGATHE, seule.
A nous deux, maintenant, monsieur le héros (Entre Pierre.)
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Comment se portent vos enfants, madame ?
Très bien, merci. AUez-vous-en!
Voilà ce qui s'appelle un accueil enthousiaste. Me permettrez-vous de m'asseoir cinq minutes!
Non, oh 1 non, allez-vous-en.
C'est que je suis un peu las. Le voyage est assez long et je relève de maladie, madame.
Qu'est-ce que vous avez eu?
Presque rien. J'ai avalé une baïonnette anglaise. Ça ne fait pas autant de mal qu'on l'imagine, mais ça dure cinq mois. Telle est la cause de mon retard.
Vous avez reçu la lettre ?
Parfaitement. Le fidèle Bob me l'a remise en mains propres. Il en est mort, car il a voulu rester ave'; nous et on l'a pris et pendu. Que de braves en ce monde! AGATHE.
Savez-vous qui vous l'a envoyé? Ce n'est pas Herminie, c'est Georges.
Et vous voulez que je m'en retourne oh madame 1
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
AGATHE.
PIERRE.
PIERRE.
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AGATHE. `
Georges aime Herminie il est jaloux. Comprenezvous ?
PIERRE.
Raison de plus. Et puis j'ai donné ma parole. M' de Moussac m'a déjà trop attendu, elle a pu douter de moi, daignez y rénéchir.
AGATHE.
D'abord, êtes-vous bien sùr qu'elle vous attende ? PIERRE.
Dam Elle m'appelle du moins.
AGATHE.
Vous croyez donc qu'elle vous aime ?
PIERRE.
Je n'ai point de telles fatuités. Je me contente d'être attendu. C'est assez déjà pour mon dévouement. AGATHE.
Et si je vous prouve que vous vous trompez Si je vous démontre qu'elle n'a obéi qu'à un accès de désespoir passager et que vous jouez le rôle du passant dont on invoque la protection dans les ténèbres, voudrez.vous abuser de son vertige, vous le plus honnête et le plus fier des hommes ?
PIERRE.
Non, certes? Mais alors c'est donc bien elle qui m'a dépêché le pauvre Bob et non plus M. de Moussac? AGATHE.
C'est elle, si vous voulez, ou moi, ou mon mari, ou le diable! Qu'importe! 1 Oh! allez-vous-en Vous ne voulez pas la perdre.
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Non, j'aime religieusement une créature d'élite, qui m'était due et destinée, que l'on m'a prise et que Dieu me rend. Ne me mettez pas, madame, dans l'embarras de vous refuser quelque chose, moi qui vous apporte les remerciements de tout un peuple.
Voyons, rien ne vous presse de vous montrer tout de suite, au débotté! Je vous demande dix minutes, au nom du service que vous évoquez. Ma sœur va venir ici, je causerai avec elle, vous l'entendrez, caché derrière cette tenture et vous jugerez vous-même de l'opportunité de votre apparition. Je m'en fie à votre droiture. Voulez-vous?
Soit. Je ne fais aucune difficulté de vous avouer que le seul sortilège dont je dispose pour le salut de M- de Moussac est mon amour inaltérable. S'il ne doit lui être d'aucune aide, il vaudra mieux en effet que je ne sois pas venu. Je n'aurai pas reçu la lettre.
La voici. Cachez-vous et paraissez si vous voulez paraître. (Pierre se cachet J
AGATHE, PIERRE (caché), HERMINIE. A&ATHE, à Herminie qui entre.
Comment es-tu ce matin, ma chérie? 2
PiERRE.
AGATHE.
SCÈNE VI
PIERRE.
AGATHE.
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HERMINIE.
Bien. Je suis si heureuse ici, enveloppée de mes souvenirs d'enfance Le passé s'efface dans ce grand calme profond de la nature. C'est le bonheur, ma solitude. Ah que je meure dans ce fauteuil où est mort mon père, je ne désire plus autre chose. En toute notre misérable vie, si courte et si longue, nous n'habitons vraiment qu'une chambre, nous ne peuplons qu'un coin. C'est entre ces quatre murs qu'Herminie aura vécu. C'est ici qu'ont passé tous les êtres que j'ai aimés, mon père, ma vieille nourrice, toi. et lui.
· AGATHE.
M. de la Tournelle est venu ici ?
HERMINIE.
Je parlais de Georges. Est-ce effrayant, la destinée! 1 Entre tant de jeunes hommes beaux, intelligents et épris, tomber justement sur celui qui doit vous faire souffrir
AGATHE.
Si tu l'avais bien voulu, tu serais aujourd'hui Mme de la Tournelle. Car enfin, quand on aime, on épouse, c'est de l'honnêteté aussi, cela.
HERMINIE.
Mais, ma sœur, j'aimais Georges.
AGATHE.
Tu aimes Pierre, à présent? HERMINIE.
M. de la Tournelle n'est plus de ce monde.
AGATHE.
Qui te l'a dit?
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HERMINIE.
Son absence.
AGATHE.
Tu ne penses plus à lui?
HERMINIE.
J'y pense toujours au contraire. Que ne suis-je avec lui, là où il est! Tu dis vrai, lui aussi, il a passé dans cette salle bénie. Je me rappelle que je venais de rentrer au château après une course folle à travers les moissons. On me dit qu'il était avec mon père. J'entre sans me douter de la gravité de leur entretien. Il lui demandait ma main. (Elle se lève.) C'est singulier comme les tableaux de mon passé renaissent dans leur cadre. Je le vois en ce moment. Il est debout, pâle, tremblant. Adieu, mademoiselle, me dit-il. Je l'entends, cet adieu. Je le comprends pour la première fois. Il signifiait. Je vais mourir. Ah! si j'avais su 1
AGATHE.
Calme-toi, tu as la âèvre! Qu'a-t-elle donc? Est-ce qu'elle l'aimerait vraiment?
HERMINIE.
Alors, il est sorti. mais il s'est arrêté une dernière fois et il m'a saluée. (Pierre apparait) Ah lui PIERRE, à Herminie.
Voici l'épi de blé, madame.
AGATHE.
Non. non! Je vous en supplie. Allez-vous-en. Oh! que j'ai peur Claude! Claude! Qu'ai-j e fait? (Elle sort en appelant son mari.)
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SCÈNE VII
PIERRE, HERMINIE, puis VIRANDOT, AGATHE et GEORGES.
HERMINIE.
Ah je ne vous attendais plus.
PIERRE.
Il est bon quelquefois de ressusciter. Disposez de votre revenant. Que dois-je faire?
HERMINIE.
Mais je ne sais pas! Je. c'est un rêve!
PIERRE.
Vous évoquiez tout à l'heure de chers souvenirs, mais douloureux aussi. Oui, c'est ici que le destin a trahi mon amour. Mais il ne l'a point vaincu. Toujours je vous aime, Herminie. La mort même s'est arrêtée devant cet amour et l'a jugé plus éternel qu'elle-même. Ayez conûance puisque me voilà. Dictez vos ordres. Dusse-je mourir ou tuer, ils seront accomplis.
HERMINIE.
J'écoute votre voix et elle me parait surhumaine. Ce que vous me dites, nul ne me l'a jamais dit. Quel amour est le vôtre qui me calme et m'exalte à la fois Parlez encore, je vous en prie.
PIERRE.
L'amour que je vous offre est fait de vaillance et d'abnégation. Il s'alimente d'une foi inextinguible. Je vous l'ai dit. Herminia, voilà onze ans que je vous associe à mes combats de liberté. Votre image flotte sur
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nos mêlées. Votre âme souBle dans les ordres que je donne. C'est votre messe que je dis lorsque je livre bataille à l'injustice. J'ai incarna en vous le bien, le droit, le beau, vous êtes ma divinité, je ne compte plus les vies que je vous ai sacrifiées et j'espère toujours que vous voudrez prendre la mienne.
HERMINIE.
Mais le voilà, l'amour. Ah! emmenez-moi. Je serai votre compagne. Oui, je me sens faite pour les grands devoirs. Mon âme étouffe dans les misères mesquines de la vie banale. Assez de hontes, assez de tortures. J'ai soif de grand air et d'actions nobles. Je dormirai sur votre cœur robuste et fidèle. En route, mon chevalier, voici votre Herminia!
PIERRE.
Ah! je vous aime!
(A ce moment Agathe et Virandot entrent. Avec un geste d'effroi ils indiquent tout de suite au spectateur à quel endroit est caché Georges et qu'il est armé. Résolument Agathe se place entre lui et le couple des amants, commepour faire à sa soBur un rempart de son corps. Virandot essaie d'attirer l'attention de Pierre. Cette pantomime tragique doit être réglée avec soin, de façon à faire planer visiblement sur la scène présence du r jri et l'angoisse du meurtre.)
HERMINIE.
Emmenez-moi, mon ami. Votre culte sera mon culte, et votre foi sera ma foi! Je mourrai heureuse si je
meurs dans votre manteau. PIERRE
(Pendant qtt'Hermtme dit les mots prëc~de~s, Pierre s'est retourné et il a compas au geste de Vtrandot que
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Georges est et le menace de son arme. Il fait un geste de dé/ï enthousiaste et revient à Herminie.)
Ah 1 c'est ainsi Eh bien partons, oui partons tout dé suite, sans tourner la tête, dans le transport de la première possession, car vous êtes à moi, n'est-ce pas, bien à moi, Herminie, dans l'ivresse du premier baiser (Il va pour la saisir; elle recule.)
HERMiME, recuit.
Oh! pas cela! oh! ~pas cela! Ne vous sufnt-il pas de savoir que je vous aime et que je suis à vous Pierre, je vous en prie
PIERRE, dépens en plus pressant.
Quelle femme êtes-vous donc? Et comment vous donnez-vous si vous ne vous donnez pas tout entière ? Nous allons vivre ensemble, côte à côte, tous les jours, jusqu'à la mort, dans une réunion indissoluble, et vous me marchandez la première caresse.
HERMINIE.
Ce n'est pas ma faute, mon ami! Mais je vous jure que vous me faites peur. Il me semble que vous êtes un autre homme
PIERRE.
Dites que vous avez peur de votre amour! Dites que vous ne m'aimez pas 1
HERMINIE, éperdue.
Si' je! Pardonnez-moi. je ne sais ce que j'éprouve. (Pierre va pour la saisir, Elle pousse un cri.) Si vous me touchez. je me précipite par cette fenêtre! AGATHE, intervenant.
Sauvée! (Elle va à Herminie.)
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PIERRE, & Agathe.
Vous aviez raison, madame, je ne suis pas aimé Mais je ne regrette point d'être venu, et c'est assez d'honneur pour un homme que d'être l'objet d'une pareille méprise
VIRANDOT, à Pierre.
C'est égal, vous êtes un brave, vous, il n'y a pas à dire Vous avez été dix minutes entre l'amour et la mort.
PIERRE.
Hélas monsieur, ni l'amour ni la mort ne veulent de moi, décidément i
HERMINIE, à Agathe.
Que disent-ils? La mort? Quelle mort?
PIERRE, à Virandot.
Pas un mot devant elle. (A Herminie.) Adieu. Herminia!
AGATHE, à Vtremdot.
Que fait donc Georges? Pourquoi ne parait-il pas? HERMINIE, à Pierre.
Pierre. Pierre Écoutez-moi. Vous dites que je ne vous aime point. Ne partez point avec cette idée. Je vous jure que j'envie celles qui peuvent se donner deux fois! Hélas! comment font-elles? Rien ne m'épouvante que cela, e~ s'il fa:lait mourir pour vous prouver que je vous aime, je mourrais de bon cœur en ce moment. Toute mon âme est à vous, vous y régnez en maître, et vous en aurez le dernier soupir. Mais être à vous, comme vous le demandez, sur ma droiture de femme, je ne le puis, non, c'est impossible, j'expirerais dans vos bras. vous n'auriez que le cadavre d'Herminie.
<2
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AGATHE, à Virandot.
Georges m'inquiète. Pourquoi n'intervient-il pas? HERMINIE.
Mais ce que je ne veux pas, c'est que vous accusiez mon cœur de lâcheté. Croyez-moi, Pierre, s'il ne s'agissait que d'un crime, je braverais le monde, la loi et l'enfer, pour être votre femme. N'être que votre maîtresse, ce n'est plus tenir tête à la fatalité, c'est mentir, c'est trahir, c'est m'avilir, c'est être indigne de mon amour et du vôtre. Marcher la tête basse, même dans le bonheur, quand on aime, et fièrement, honte à qui le peut! Encore une fois je ne peux pas.
PIERRE.
Vous aimerais-je, Herminie, s'il en était autrement! HERMINIE.
Alors pardonnez-moi! Oui, pardonnez-moi! Là où vous allez, vous êtes exposé à mourir à toute heure, et je comprends trop que je ne vous verrai plus. Pardonnez-moi si vous voulez que je vive encore.
PIERRE.
Vous pardonner, héroïque créature, et quoi donc? La destinée la plus injuste qui fut jamais? La noblesse, la fierté, l'honneur d'un martyre souffert dans le silence? Ah! si vous m'aimez, vivez et soyez heureuse, tandis que je mourrai pour vous. Si mon sort sur la terre est de racheter une victime telle que vous, il est glorieux, et je le bénis. Pour chaque minute de votre vie, que Dieu me prenne un jour de la mienne. Mais qu'allezvous devenir?
HERMINIE.
Ce que Dieu voudra Il me reste le devoir. Il y a
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dans le devoir un attrait pervers que les cœurs honnêtes connaissant seuls, Il fait vivre plus vite lui aussi et il tue plus tôt. Le devoir, Pierre. Je suis mariée 1 (On entend un coup de feu dans la coulisse.)
AGATHE.
Mon Dieu! Oh Georges (A Virandot). Va! VlRANDOT. Il M à ~endroit d'où est parti le coup de ~eu, et reuient bientôt, épouvanté.
Mort!Ilestmor~
HERMINIE, courant & soyt mari.
Adieu, Pierre Et pour jamais 1
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PRÉFACE
DE
L'ACCENT
L'Accent est comme les peuples heureux, les femmes honnêtes et les rois constitutionnels, il n'a pas d'histoire.
En outre, il ne répond à aucun besoin, à moins que ce ne soit un besoin que de se défendre un peu contre l'invasion du méridionalisme à Paris. Dans tous les cas, s'il y a néaurl'ouvrage n'est pas de force à l'enrayer. C'est une fantaisie badine, écrite au chevet d'un enfant malade, et ayant obtenu tout le succès auquel elle prétendait, puisqu'elle parvint à dérider le cher être attristé que Robinson lui-même n'amusait plus. La simple imitation du parler marseillais est une singerie irrésistible et j'avais pensé, je pense toujours, qu'elle aurait prise aussi sur le public, autre enfant malade que nous ont fait les cafés-concerts et l'opérette.
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Bien entendu aucun directeur ne voulut en essayer. L'Accent fut présenté successivement à tous les théâtres de notre sainte capitale, et je me rappelle que mon confrère Auguste Vitu, dont l'autorité cependant est grande en la matière, tint à honneur et à plaisir de l'offrir luimême à l'Odéon. Il la trouvait originale et amusante, cette bouffonnerie. Il ne parvint pas à faire partager son opinion à La Rounat ni à Porel. Chat échaudé.
Le dernier directeur chez qui j'aie trimballe mon rouleau est M. Marx, co-gérant du guignol Cluny avec M. Derenbourg. Il l'a encore. Je n'ai pas eu la force d'aller le retirer. On ne fait pas de ces voyages-là deux fois.
N'ayant donc rien à vous dire des mésaventures de cet ours, banales et régulières, je. vous demande la permission d'étudier avec vous une question d'esthétique théâtrale, celle de l'unité des caractères, qu'Aristote n'a jamais formulée ou posée, et qui n'en reste pas moins à sa charge. Lui en préte-t-on, à ce Grec! ÉTUDE SUR L'UNITÉ DE CARACTÈRE
Je ne suis pas de ceux qui pensent que le théâtre gagnerait a être désobstrué de toute convention, et il me semble Impossible qu'il se borne à reproduire exactement la nature. Le théâtre n'est pas le miroir de la nature, il n'en est que la boule de jardin. Il grossit, exa-
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gère et parfois déforme les modèles renétés, et ses efforts étant violents, il ne peut en emprunter les moyens à l'ordre naturel, qui procède par temps et par distance. Dans la nature un orage se forme lentement et nous avertit de nous garer; à la scène il éclate subitement et tire sa force de son improviste.
Mais parmi toutes les conventions qui régissent aujourd'hui le théâtre, il en est une du moins dont nous devons tendre à nous délivrer au plus tôt,, car elle est fatale à l'art dramatique et d'elle vient la stérilité qui nous envahit. Cette convention, c'est celle qui divise l'unité de l'action par l'opposition systématique des caractères. Je ne sais qui le premier a formulé ce principe que le personnage comique doit toujours être co: mique, se trouver placé dans des situations exclusivement comiques et être opposé au personnage tragique, confiné lui-même dans sa terreur sempiternelle. Mais je sais que ce principe est absurde, et que son principal résultat est de sevrer nos pièces de toute vertu de vraisemblance, et je sais encore que cette convention donne un démenti ridicule à.l'humanité.
Si vous connaissiez un homme qui pleurât toujours ou un autre homme qui ne cessât de rire, vous les fuiriez comme deux pestes. Il y a des accalmies dans les tempéraments, il.y a des intervalles entre les éclairs. Le théâtre, cependant, tel qu'on le pratique aujourd'hui, ne produit que des anomalies, contre lesquelles se révolte le bon sens. A droite d'une situation l'auteur place les Héraclites, à gauche les Démocrites, et il ne
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faut pas que la bouffonnerie des uns relaie dans la mélancolie des autres, il ne faut pas que Jean qui pleure empiète sur les attributions de Jean qui rit. D'où il résulte que la philosophie théâtrale partage l'humanité en deux espèces de singes bien distinctes, ceux qui ont une queue et ceux qui n'en ont pas. C'est arbitraire, à tout le moins.
J'ai fait une expérience, que sans doute vous avez faite vous-même dans les pièces bouffes, telles que celles du Palais-Royal ou des Variétés~ par exemple, les derniers actes, si la pièce en a quatre ou cinq, sont souvent pénibles à supporter, quelle que soit la verve comique que l'auteur y a déployée. Il y a lassitude, et cette lassitude se communique également aux comédiens. Pourquoi?,La raison en est de cette erreur que je signale dans le compendium de nos règles théâtrales, de cette convention par laquelle une œuvre bouffe doit être bouffe d'un bout à l'autre, et un personnage grotesque impitoyablement grotesque jusqu'à la fin. C'est l'horreur du chatouillement, c'est la mort dans les spasmes hilares. On sort de là brisé, vacillant, altéré de tragique.
Le fait qui devient l'action d'une conception dramatique n'est jamais par lui-même spécialement tragique ou spécialement comique il est ce qu'on le voit, dans une humeur donnée. Le jour sous lequel il se présente, selon les accidents qui l'expliquent, détermine seul son caractère facétieux ou terrifiant, d'après les êtres qu'il affecte et l'étal mental ou social où il se trouve. Il
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n'existe pas de drame sombre qui n'appelle sa parodie je ne connais point de comédie qui ne puisse aisément se métamorphoser en drame. Le père Provost, lorsqu'il jouait l'École des Femmes, nous réalisait, de deux jours l'un, un Arnolphe à gifler, puis un Arnolphe à pleurer, et l'on ne sait encore lequel de ces deux Arnolphe est celui que Molière a véritablement conçu. Les deux peut-être. L'amphibologie du type est flagrante. J'y ai toujours vu, pour ma part, une tentative du poète pour échapper à l'obsession de cette règle ridicule de la délimitation des genres, aveuglément prêchée par Boileau, le Louis XIV des pions, règle que transgressait victorieusement Shakespeare de l'autre côté de la Manche et du théâtre.
Ah l'homme qui a créé Arnolphe et Alceste, quel dommage qu'il ait vécu en des temps pédagogiques, dans l'esclavage des idées et des formes Il savait bien, celui-là, que la face de l'homme a son revers et que notre médaille est frappée à deux effigies. Quels types humains il eût donnés à cet art dramatique, épuisé de fictions vaines, si, comme Shakespeare, il avait ignoré Aristote et s'il n'avait point vu le jour à une époque où l'on écrivait des traités du Sublime 1
Il faut nous tirer de là. Il importe de nous jeter à la suite des maîtres, des grands poètes dramatiques, les Shakespeare, les Beaumarchais, les Victor Hugo, les Alfred de Musset, et de nous rapprocher de la nature, au moins par ce côté. Brisons le vieux moule théâtral
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composé de deux coupes ajustées, et conquérons enfin l'homme sur le personnage.
La vie est ainsi faite (ce n'est pas ma faute, ô La Harpe !) que l'on y voit éclater de rire tout à coup des hommes très malheureux, et que l'on y voit encore pleurer des hommes très gais. Tu déclares, toi, La Harpe, que les larmes sont plus nobles que le rire. Plus nobles en quoi? je me le demande. Hélas! il n'y a rien de noble et rien d'ignoble dans l'ordre désordonné des sentiments. On subit comme on peut ce qui vous arrive, et la destinée fait jouer à son gré les deux ressorts de notre armature de polichinelle. Le héros de tragédie qui roule des yeux sanglants, brandit des poignards parricides et gueule des alexandrins redoutables, m'inspire toujours le désir, presque le besoin de lui passer la jambe et de le faire tomber comiquement sur le derrière. Il m'agace, cet individu qui souffre autrement que moi, c'est-à-dire tout le temps et sans répit. Je juge qu'il pose, qu'il se monte le coup, et que son histoire n'est pas vraie. C'était bon du temps des Grecs où tout le monde était demi-dieu et descendait de Jupiter par les femmes. Mais nous ne sommes 'pas des Olympiens. Nous savons comment les malheurs et les hommes nous affectent, ce qu'un homme ressent, par exemple, de honte et de chagrin à se découvrir. sganarelle, mais quelle pinte de rire il se donne si le même accident arrive à son voisin! Un homme et une femme surpris en chemise, c'est lugubre, mais c'est aussi rudement drôle t
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En somme, allez-vous dire, où voulez-vous en venir et qu'est-ce que -vous désirez des auteurs nouveaux? C'est bien simple. Je voudrais que, lorsqu'un de ces auteurs s'entreprend à un ouvrage, il eut le courage de le traiter comme la logique lui prescrit de le faire et qu'il ne s'imposât pas, pour plaire à un directeur ou à un comédien, la tâche d'introduire dans sa pièce des personnages destinés à faire rire. Le personnage « destiné à faire rire t~at un monstre. Il n'est pas dans la nature. La nature n'a pas créé, entre les animaux, un animal appelé le loustic. Le loustic est une production hvbride et anti-artistique du génie des directeurs et des cabotins. On rit quand on peut, messieurs, et quand il y a de quoi rire. Voilà tout. Mais le comique de la pièce, celui qui vient dire des bêtises à côté de l'action et lancer des mots par-dessus la rampe, pour le plaisir de prouver l'esprit de l'auteur, le comique qui distrait, je n'en veux pas. Je n'ai pas besoin d'être distrait~au contraire, et même vous pouvez vous dire que si vous sentez la .nécessité de me distraire de votre ouvrage, c'est que votre ouvrage ne vaut pas la peine de me captiver et que par conséquent vous vous avouez impuissant à l'art du théâtre. Allez cirer des bottes. Soyez vivants, mais soyez exacts dans la vie. Ne mentez pas à l'harmonie des choses, et bornez-vous à copier le modèle effroyable, l'homme, tel qu'il vous est proposé dans sa multiplicité. Seulement copiez-le tout entier, et ne lui ajoutez pas un nez ou une jambe sous prétexte que deux nez et trois jambes sont plus co-
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miques. Adoptez une situation conforme à votre idée d'abord; imaginez pour la développer des êtres semblables à vous, que cette situation puisse remuer ou solliciter dans leurs intérêts, leurs passions ou leurs caractères, et marchez. Si, à un moment donné, cette situation se retourne, offre un contraste énergique, subit, profitez-en, et tirez de là cette gaieté qui est un moyen d'action très vif sur le spectateur, voilà votre comique. Il n'y en a pas d'autre. Au théâtre on ne met
pas de cheveux sur la soupe. <0n les y trouve, fortuitement, sans s'y attendre. Et puis ne vous arrêtez jamais à la crainte de faire rire s'il doit rire, ou pleurer s'il doit pleurer, l'homme variable, ondoyant, capricieux et mobile que vous représentez en pleine vie. C'est ainsi que cela se passe, vous dis-je. C'est ainsi que la nature nous a pétris et modelés, et tous les héros ont leurs heures de calembours. Shakespeare vous le dira.
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L'ACCENT
COMÉDIE EN TROIS ACTES Non représentée
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PERSONNAGES
GARSOULAS, députa 35 ans.
TESSEYRE, riche armateur, 60 ans. MARIUS RENARD, so ans.
ÉPATON, comédien comique, 35 ans. DU NEZ, comédien tragique, 40 ans. MALHEUX, tailleur.
ERMANCE, femme de Tess~yre, 40 ans. CÉSARINE, fille de Tesseyre, ï8 ans.
La scène à Marseille.
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ACTE PREMIER
Le salon chez Tesseyre.
SCÈNE PREMIÈRE
TESSEYRE à gauche, MARIUS, CÉSARINE à droite. MARIUS, à Césarine.
Notre sort se décide en ce moment, Césarine. CÉSARINE.
Hélas, Marius Lorsque maman va arriver de cette réunion électorale, nous saurons si je dois, oui ou non, m'appeler M"" Garsoulas ou M"" Marius Renard. MARius, avec amour.
Voudriez-vous, dites, vous appeler M" Marius Renard?
CÉSARINE.
Vous le demandez
MARIUS.
Ah je vous aime.
TESSEYRE, de sa place; il lit un journal.
Hein? Qu'est-ce que j'ai entendu?
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MARIUS.
Rien, monsieur Tesseyre.
TESSEYRE.
Bien. Continuez. Si Ermance croit que cela m'amuse de garder des amoureux. Je fais des efforts inouïs pour ne pas m'endormir. (Il reprend so~jowrM~J CÉSARINE, à voix basse.
J'ai pleuré toute la nuit, j'ai tant de chagrin. Mais je dois obéir à mes parents, ils sont si bons.
MARIUS, à part.
Et si bêtes
TESSEYRE, de sa place.
Un peu plus haut tout de même, mes enfants. Quel rôle, vingt dieux J'ai l'air d'un agami, parole d'honneur
MARIUS, à Cësart~e.
Si vous voulez me laisser agir, Césarine, je vous en débarrasserai, moi, de ce Garsoulas de malheur! CÉSARINE.
Ma mère en est folle. Elle dit qu'il sera ministre. MARIUS.
Bon, s'il est réélu d'abord comme député.
CÉSARINE.
Il le sera, Marius, il est trop populaire à Marseille. Et si il l'est, il faudra que je l'épouse. Maman veut un gendre ministre.
TESSEYRE, S~OUb~O~
Quand elle se met à. déralinguer, ta mère 1 CÉSARINE, courant à lui.
Eh bien alors, papa, refuse-le, son Garsoulas.
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MARIUS, même jeu.
Refusez-le, monsieur Tesseyre.
TESSEYRE.
Si vous croyez que c'est commode Refuse-le donc toi-même! Voilà vingt ans que nous sommes mariés, ta mère et moi, et je n'ai pas encore pu obtenir qu'elle mit une robe rouge. J'adore le rouge elle est toujours en bleu! Ah! elle est bien du Nord!
MARIUS.
Vous n'avez donc pas de caractère?
TESSEYRE, bO~dtSSCH~.
Moi? Va-t'en sur le port, petit, et parle de moi au premier que tu rencontreras musant. <t Tesseyre des Paquebots-Réunis? » Une volonté de fer! C'est mon renom. Ton pauvre père te le dirait, s'il vivait encore, mon excellent ami Spartacus Renard! Il en savait quelque chose. Dans notre association, Spartacus était la lame d'acier, moi j'étais la poignée de bronze. MARIUS.
Eh bien alors?
TESSEYRE.
Eh bien alors quoi?
CÉSARINE.
Petit père chéri, nous avons été élevés ensemble, Marius et moi nous nous aimons depuis l'enfance; il est le fils de ton meilleur ami, de ton associé des jours malheureux. et je l'aime, voyons!
TESSEYRE.
Vingt dieux! Qu'est-ce que tu veux que je fasse contre une femme du Nord! Je ne peux pourtant pas tuer Garsoulas, il est mon député. Il doit être mon gendre!
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CÉSARINE.
Ennn pourquoi?
TESSEYRE.
Est-ce que je sais Révolte-toi. Dis carrément « non » à ta mère. Je t'autorise à dire carrément « non D à ta mère.
CÉSARINE.
Ah! papa, c'est impossible!
TESSEYRE.
Impossible? Tu n'as donc pas de caractère? Prends exemple sur ma yie. D'où me vint ma fortune? De ma vo-lon-té im-pla-cable! Ma devise est Droit au but! Mais sapristi! vous autres, n'allez pas répéter tout cela à la patronne.
MARIUS.
Si encore il aimait Césarine, votre Garsoulas! Mais vous savez fort bien qu'il ne l'aime pas. C'est par ambition qu'il la recherche, à cause de votre fortune, simplement, et de votre crédit à Marseille. Ce sont les paquebots qu'il épouse, ce n'est pas votre fille. TESSEYRE.
Crois-tu donc que je l'ignore? Mais pour être ministre, il faut être riche, reconnais-le, Marius. Or Garsoulas est pauvre. Ce n'est pas sa faute à ce garçon CÉSARINE, désolée.
Ni la mienne, mon père.
TESSEYRE.
Ça, c'est encore vrai, ma fille. Que suis-je, moimême ? Un parvenu! Point d'orgueil, mademoiselle Tesseyre Un parvenu du labeur, mais un parvenu. Je n'ai pas le droit d'entraver la carrière de Garsoulas, -Marseille me regarde.
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MARius, à Césarine.
Il répète tout ce que lui dit votre mère 1
TESSEYRE, à MarmS.
Quant à toi, mon garçon, je t'aime comme mon propre fils, tu le sais. Tu es déjà de ma famille. Écoute mon histoire et fais-en ton profit. Moi aussi, j'aimais Ermance. On me la refusait. Elle m'a conquis! Je n'ai pas autre chose à te dire.
(Un domestique entre avec des cartes sur un plateau.) TESSEYRE.
01
Qu'est-ce que c'est?. (Il lit.) M. Épaton, du GrandThéâtre. M. Du Nez, du Grand-Théâtre. Faites entrer. (Le domestique sort. ) Vous allez voir deux grands comédiens, mes enfants. Ils n'ont pas leurs émules à Paris. Épaton, c'est Préviile Du Nez, c'est Talma. (Entrent Epalon et Du Nez.)
SCÈNE II
LES MÊMES, ÉPATON, DU NEZ.
ÉPATON.
M. Tesseyre, des Paquebots-Réunis?
TESSEYRE.
C'est moi, messieurs. Voici ma fille et M. Marius Renard, le fils de mon associé. Asseyez-vous donc, je vous prie.
ÉPATON.
Vous êtes, monsieur, une des notabilités de Marseille.
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DU NEZ.
Une notabilité phocéenne.
ÉPATON.
Parle, Du Nez, si tu veux parler.
DU NEZ.
Non. Dans la tragédie, on ne coupe jamais l'effet à un camarade.
TESSEYRE, à Du Nez.
Vous avez un beau talent, monsieur. Vous m'avez fait frémir, moi, Tesseyre, dans les Enfants ~Edouard. DU NEZ.
Monsieur! Mais je n'ai pour moi que ma diction. Je dis, voilà tout.
TESSEYRE, à Epaton.
Madame Tesseyre, elle, vous est dévote, monsieur. Vous la ravissez. Elle est du Nord.
ÉPATON.
Vraiment? Dans le comique, le naturel seul compte. Je m'efforce d'être naturel. Tout est là. Mais venons au fait. Nous donnons, mon camarade et moi, une soirée à notre bénéfice.
DU NEZ.
Nous devons bien cela au public de Marseille qui n'a cessé de nous honorer de sa bienveillance.
ÉPATON.
Et nous avons espéré, monsieur, connaissant votre sollicitude pour les artistes.
TESSEYRE.
C'est entendu. Inscrivez-moi pour une loge. Tesseyre des Paquebots-Réunis, une loge. Voulez-vous visiter ma propriété ?
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DU NEZ.
Avec le plus grand plaisir.
TESSEYRE.
Tiens! J'y pense, je vous amènerai Garsoulas. Ça fera bien; hé, Garsoulas dans une avant-scène, entre ma femme et ma fille.
DU NEZ.
Garsoulas? Parlez-vous du député?
TESSEYRE.
Je n'en connais pas d'autre. (Il cause auec Du Nez.) ÉPATON, à Césarine.
S'il y a dans mon répertoire, mademoiselle, quelque monologue qui vous plaise plus que les autres, je serais heureux de le connaître à l'avance pour le mettre sur l'affiche à votre intention.
CÉSARYNE.
Le plus charmant, monsieur, est toujours celui que vous dites.
TESSEYRE, à Du Nez.
Connaître Garsoulas? Rien n'est plus simple. Il est très abordable. Allez le prendre à la fln de sa réunion. D'ailleurs vous êtes l'un de ses électeurs. Il les travaille, ses électeurs, en ce moment. il veut être ministre.
ÉPATON, riant.
Ministre, qui, Garsoulas? Jamais 1
MARIUS, à Épaton.
Pourquoi, monsieur?
ÉPATON.
Parce que ce n'est pas possible.
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TESSEYRE.
Qui l'en empoche ? Il est orateur distingué, homme d'anaires éminent, bon patriote, et du Midi.
· DU NEZ.
Tu le connais, toi, Garsoulas? Tu ne me l'avais pas dit.
ÉPATON.
Si je connais Garsoulas? C'est mon élève.
MARIUS.
Votre élève?
ÉPATON.
Je l'ai guéri de l'accent. Ah! il Pavait d'une force terrible. Quand il fut élu député, pour la session qui s'achève, l'idée de discourir devant ces blagueurs de Parisiens lui donnait la chair de poule. Et de fait, lorsqu'il ouvrait la bouche, il charriait tout Paioli, les brandades et des bouillabaisses de notre incomparable Cannebière. Il vint me trouver, au bout de quinze jours je le débarrassai de son défaut. Au bout d'un mois, il grasseyait 1
DARIUS.
Mais cet accent, il l'a encore.
ÉPATON.
De temps en temps, lorsqu'il n'est pas convaincu de la vérité de ce qu'il dit. Mais seulement dans ce cas. MARIUS.
Il a donc l'habitude de mentir?
ÉPATON.
Oh monsieur. Y songez-vous ? Un homme politique? Des blagues seulement! Je dis seulement que cette particularité, ce désagrément, mettons ce défaut, si
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vous le préférez, lui barre la voie du ministère. Je m'étonne même que vous ne sachiez pas ce qu il en est, car les journaux de Paris lui ont monté une scie assez piquante à ce sujet. C'est au point qu'il n'ose plus aborder la tribune. Dès que Garsoulas. marseillise, ses collègues éclatent de rire. Ils savent qu'il ne tient pas à ce qu'il demande. Le voyez-vous, ministre, promettant- d'alléger les impôts par exemple. Permettezmoi de vous donner une idée de la scène. (Il imite Gar.0~~ Oui, messieurs, le gouvernement que jai l'honneur de représenter désire prendre l'initiative des réformes exigées par le corps électoral. Parmi ces réformes, il en est une (il gasconne), la réforme de l'impôt, qui s'impose ànotre libéralisme! (Reprenant.) La Bourse baisserait, monsieur.
MARius, à Tesseyre.
Vous l'entendez, monsieur Tesseyre.
ÉPATON.
Mais nous prenons congé. Mademoiselle, messieurs, Avec tous nos remerciements.
TESSEYRB.
Vous rie venez pas voir mes serres? Venez voir mes serres. ~es~re, Ep~on et Du Nez sorte~
SCÈNE III
IUS, CÉSARINE.
MARIUS.
Césarine, foi de Marins, vous ne serez pas Mme Garsoulas. J'en fais à présent mon affaire.
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d'agami. Et Marius?
Épouser un homme qui a le vice de mentir 1 Ah 1 mon père 1
De quoi te plains-tu, puisqu'il se trahit tout le temps? Va, va,' tu seras excessivement heureuse. On lui voit jusqu'au fond de l'âme, à ce pauvre Garsoulas. D'ailleurs dis carrément < non~à ta mère. Il est encore temps.
Où allez-vous?
A la réunion électorale, ~t sort.)
J'avais oublié que je les garde. Reprenons mon rôle
Hélas! Hélas!
Ne pleure pas, vingt dieux! Il ne sera peut-être pas réélu.
Ah! vous êtes trop débonnaire.
Débonnaire. Va à la Bourse, et dis simplement ce
CESARINE, TESSEYRE.
TESSEYRE, rentrant à la &dte.
CESARINE.
MARIUS.
§CÊNE IV
CÉSARINE.
TESSEYRE.
CËSARINE, pleurant.
TESSEYRE.
C~SARINE.
TESSEYRE.
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mot Tesseyre'–On te répondra. leqael? Est-ce celui qui ne fait que ce qu'il veut? C'est moi.
Je vois trop cependant que c'est maman qui vous dirige et vous dicte vos moindres actions.
Césarine!
Vous me sacrifiez à son ambition.
Ah! C'est ainsi. Tu ne veux pas de Garsoulas? Une, deux, trois?
Non. Je veux Marius.
Tu veux Marius? Une, deux, trois?
Oui.
Bon. Voici ta mère, vingt dieux Tu vas voir comment je m'appelle.
Ah papa! que tu es bon. (Elle l'embrasse et se sauve.) SCÈNE V
C'est un triomphe. Occupons-nous des noces, monsieur Tesseyre.
TESSEYRE, ERMANCE.
CÉSARINE.
TESSEYRE.
CÉSARINE.
TESSEYRE.
CÉSARINE.
-TESSEYRE. ·
CÉSARINE.
TESSEYRE.
CÉSARINE.
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Il parle encore. Je suis partie avant la fin la chaleur était étouffante. Mais inutile d'en entendre davantage. La réélection est assurée. Vous serez beau-père d'un ministre.
Oh! oh d'un ministre? Il ne l'est pas encore. Qu'estce qu'il a dit d'abord?
Il leur a promis un bassin nouveau pour le port, l'abaissement du tarif des douanes, trois rues nouvelles et la liberté de la presse.
J e te demande s'il a promis tout cela avec l'accent de Marseille?
Tu ne le ramènes point ?
Avec ou sans l'accent.
Quoi?
Non, c'était avec le « the x anglais peut-être. Vous devenez fou, monsieur Tesseyre ?
Ne te fâche pas. La question a sa valeur. L'accent est traitre chez Garsoulas. Je tiens d'Épaton, son professeur, que chez lui cet accent natal dénote l'absence de sincérité. Paris nous l'a un peu gâté, notre Garsoulas. Je crains que.
TESSEYRB.
ERMANCE.
TESSEYRE.
ERMANCE
TESSEYRE.
ERMANCE.
TESSEYRE.
ERMANCE.
TESSEYRE.
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Tu as fini?
Enfin Césarine n'en veut pas.
Elle te l'a déclaré?
'Oui.
Lorsque tu me faisais la cour, monsieur Tesseyre, tu avais un commencement de ventre, comme Garsoulas. Tu étais embarrassé de tes mains, de tes pieds, de ton chapeau, et tu te dandinais en disant des bêtises, comme Garsoulas. De plus, tu gasconnais comme Garsoulas. Mais tu n'avais ni son esprit, ni son talent oratoire, ni son avenir politique. Tu n'étais même pas conseiller municipal T'ai-je épousé de même ?
Permets.
Ce n'est pas la peine. Tu étais riche Garsoulas a 'honneur d'être pauvre. Tu étais déjà monsieur Tesse~ des Paquebots-Réunis, soit. Mais il est député sortant des Bouches-du-Rhône, et demain il le sera une seconde fois. Césarine lui apporte dans sa corbeille tout le parti libéral de Marseille, soit ton influence, c'est-à-dire la mienne. Ce mariage est très beau, très nécessaire et très habile. J'en suis l'auteur. Tais-toi, et va au cercle.
Je ne veux pourtant pas que ma fille soit malheureuse.
TESSEYRE.
ERMANCE.
TESSEYRE, énergiquement.
ERMANCE.
ERMANCE.
TESSEYRE.
ERMANCE.
TESSEYRE.
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Est-ce que je l'ai été, Adolphe ?
Son aversion pour Garsoulas est manifeste. Et elle aime Marius. Constate-le toi-même.
Je ne constate rien. Je suis mère, je fais mon devoir. TESSEYRE.
Encore un mot, et je cède. D'abord le crédit de Garsoulas baisse sensiblement à Marseille. A la dernière session législative, c'est à peine s'il a parlé. Nous aimons que nos députés parlent.
S'il n'avait rien à dire. D'ailleurs il a beaucoup interrompu.
C'est vrai. Mais, fait plus grave, il perd l'accent. Les libéraux autochtones, les décentralisateurs prétendent qu'il commence à grasseyer, comme à Paris. Enfin il tourne à la langue d'oil. Il fait des avances au nord, au moins par la prononciation.
Tesseyre, je vous écoute stupéfaite.
Sans doute, je suis pour l'unité absolue. Puisque le Parlement siège à Paris, Dieu sait pourquoi! il faut se conformer à la tradition. Nous blaguons les Parisiens les Parisiens nous blaguent, Garsoulas a raison de chercher une prononciation conciliante. Mais enfin Marseille est Marseille. L'accent est un signe de reconnaissance entre fils du soleil. Dans vos brouillards
TESSEYRE.
ERMANCE.
TESSEYRE.
ERMANCE.
ERMANCE.
TESSEYRE.
ERMANCE.
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de la Seine, le député efface et le phocéen s~évanouit. Enfin son rival, La Caminade, a des chances cette fois! ERMANCF,.
ERMANCE.
Père douteux et mauvais patriote! Monsieur Tesseyre, vous êtes complet.
TESSEYRE.
Mais ma bonne
ERMANCE.
Parce qu'il est l'élu de Marseille, il faut que Garsoulas ait toujours l'air d'un député de chansonnette! J'ai destiné ma fille à Démosthènes avant les cailloux après les cailloux il en est encore digne. D'ailleurs il l'aime. J'en suis fâché pour Marius, mais il l'aime. TESSEYRE.
Il ne le lui a jamais dit cependant. La pauvre enfant en est encore à le savoir.
ERMANCE.
Lui fais-tu aussi un crime de sa discrétion?
(Entre Garsoulas, suivi de Du Nez.~
SCÈNE ~1
TESSEYRE, ERMANCE, GARSOULAS, DU NEZ. GAnsouLAS, joyeusement.
Enfoncé Lacaminade
DU NEZ.
Madame, il a été sublime. Je suis du métier, je vous le dis, sublime! 1
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GARSOULAS, il lui serre la main.
Cher ami! C'est de la flagornerie! (1) Et vous, madame, êtes-vous satisfaite?
ERMANCE.
Ma fille vous répondra pour moi tout à l'heure. GARSOULAS.
J'ai regretté son absence, autant que je l'avais redoutée d'abord. Mais vraiment le succès a dépassé mes espérances. N'aurais-je point l'honneur de le mettre aux pieds de M"" Tesseyre ?
ERMANCE.
Si fait. Vous allez la voir. Je pense qu'elle se déshabille en ce moment. Vous nous restez à souper, n'est-ce pas?
GARSOULAS.
Impossible. Je suis retenu par le pré/et. Je n'ai que le temps de faire ma cour à uotre délicieuse fille. TESSEYRE.
Entre nous, vous ferez bien de la conquérir. ERMANCE, sévère.
Il a tout ce qu'il faut pour ça.
DU NEZ.
Tout.
GARSOULAS.
Cher c[mt/ (Il serre la main à Du VezJ J
ERMANCE, à Garsoulas.
Qui est ce monsieur?
(i) Tout ce qui est en italique doit être prononcé par l'acteur avec l'accent du Midi.
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GARSOULAS.
Je ne sais pas. Un électeur peut-être.
DU NEZ, à Tesseyre.
Veuillez donc me présenter, je vous prie.
TESSEYRE.
Comment donc! M. Du Nez, tragédien du GrandThéâtre.
DU NEZ.
Madame.
GARSOULAS.
Ce bon Du Nez Et quel talent
ERMANCE.
Je vais vous envoyer Césarine. (Elle entre à droite.) TESSEYRE.
Venez-vous. Tyrrel! Je veux vous montrer mes serres. Je parie que vous ne connaissez pas mes serres. DU NEZ.
Si. du moins non Flattons sa manie. (A part.) Je ne lâche pas le Garsoulas.-(Ils sortent.)
SCÈNE VII
GARSOULAS, seul, puis CÉSARINE.
GARSOULAS.
Ils me laissent seul avec la jeune fille. Fichtre! Il n'y a plus à tergiverser. C'est le moment, Garsoulas, mon camarade, a toi les fortes études; il retourne d'enfoncer les maîtres de la déclaration. J'aime mieux parler au peuple. 11 ne fait point attention à ma particularité. Au lieu que dans le tête-à-téte elle grossit! Bah! elle ne
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sait rien, je suppose. C'est curieux; elle est charmante cette jeune demoiselle, et je ne l'aime pas du tout. Elle sent le Nord Allons, fils de ta mère, il le faut.
CÉSARINE, entrant.
Monsieur.
GARSOULAS.
Mademoiselle.
CÉSARINE.
Ma mère m'apprend que vous désirez me parler. GARSOULAS.
Si je le désire part J Allons! voilà que ça commence. Mais asseyez-vous donc, je vous en prie. CÉSARINE.
Sera-ce long?
GARSOULAS.
Non, mademoiselle. Du moins je l'espère. (A part.) Qu'est-ce que je lui dis donc?
CÉSARINE.
Je vous écoute.
GARSOULAS.
Mademoiselle, vous êtes une ravissante jeune fille, et celui qui aura le bonheur de vous épouser pourra se proclamer roi de la terre. Mon rêve serait d'être cet heureux et vos parents sans doute ont dù vous le dire. CÉSARINE.
J'ai répondu à mes parents, monsieur, que je n'épouserais qu'un homme que j'aimerais et qui m'aimerait. GARSOULAS.
Je n'ai pas la prétention d'être le premier, mais certainement je suis l'aulre. N'êtes-vous pas le résumé de toutes les perfections, grâces, beautés et vertus de. la ville ? Souvent dans mes reces cous m'êtes apparue,
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obsédante image, rayonnante de gloire, escortée de votre respectable mère, et je me disais tu vois cette ange, elle est à tôt st tu sais la mérïfer' Ai-je eu tort, mademoiselle ?
CÉSARINE.
Mon Dieu, monsieur, excusez une fille timide. Mais si vous me faites l'honneur de m'aimer, je voudrais de bon cœur réaliser l'autre moitié du programme. GARSOULAS.
Merci. J'ai toujours apprécié stncërttë. Vous ne m'aimez pas, c'est visible. Mais peut-être un jour viendra-t-il où mon amour à force de tendresse.
CESARINE, se levant.
Je ne le crois pas, inonsieur. (Elle étouffe une envie de nre.~ J
GARSOULAS.
Elle rit Ce sera dur.
CÉSARINE.
Permettez-moi de me retirer.
GARSOULAS.
Oh/ déjà?
CÉSARÏNE.
Monsieur, je vous crois trop honnête homme pour vouloir épouser malgré elle une jeune fille engagée à un autre. Toutefois, s'il le faut, j'obéirai à mes parents. GARSOULAS.
Elle me quitte la place. Césanne vous me fuyez (Césarine entre rapidement chez elle, en riant; on entend des cris au dehors.) J
VOIX AU DEHORS.
Garsoulas Garsoulas
t4
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SCENE VIII
GARSOULAS, MARIUS.
GARSOULAS.
Flambé! Quels sont ces cris? Est-ce mon nom que l'on acclame; ou si j'ai encore dans l'oreille cette réunion de tantôt?
voix.
Garsoulas
GARSOULAS.
Non. C'est une sérénade! Cher peuple de Marseille! Je me consolerai dans ta fidélité.
voix.
Garsoulas au balcon.
MARIUS, entrant.
Monsieur, ce sont quelques-uns de vos électeurs, des jeunes gens. Il ne sont pas rasbasiés de vous entendre. va à la fenêtre qu'il ouvre.) Le voici, messieurs, le voici.
SCENE IX
LES MÊMES, ERMANCE, CÉSARINE, TESSEYRE, DU NEZ.
ERMANCE.
Une émeute. Défendons-nous. (Elle saisit une chaise.) CÉSARINE.
Oh j'ai peur. Mon père.
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TESSEYRE.
Bast! Dans le Midi, une émeute, c'est la vie normale de la rue. Ne crains rien.
GARSOULAS.
Du calme, mesdames, je vais les haranguer. C'est moi qu'ils demandent.
voix, sur l'air des lampions.
Au balcon' Au balcon! Au balcon!
MARIUS.
Monsieur, ils vous espèrent. (A Césarine.) Vous allez voir, Césarine, comment je travaille.
GARSOULAS, à Ermance.
Il n'est pas mauvais que je lui apparaisse un peu dans l'exercice de mes facultés oratoires. Cela peut remonter mes affaires, qui sont assez bas, madame, pour le moment. (Il va au balcon, le silence s'établit.) Peuple de Marseille, chers compatriotes, électeurs. UNE voix dans la foule.
Donne un peu de la voix, pécaïre!
GARSOULAS.
Après la brillante réunion de tout à l'heure, je croyais n'avoir plus rien à vous dire.
LA VOIX.
Parlè toujours.
GARSOULAS.
Je reviens donc à mon programme. Oui, les ré/bnnes que je vous ai promises sont urgentes. Je me /'<ens.~ort de vous les obtenir. Il vous faut un bassin de plus dans le port, vous aurez le bassin.
VOIX DU PEUPLE.
Tu blagues, Garsoulas, tu blagues 1
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Que dit-il? La liberté de la presse, cette &asef La liberté de la presse, ce fondement Cette reine des libertcs,' dont l'abus corrige la licence même, Marseille, grande cité, je te jure que tu l'auras.
As-tu fini, Parisien! A bas Garsoulas.
Jen~tpas entendu. Avez-vous entendu?
Ah! ils sont hostiles.
A bas Garsoulas. Vive La Caminade
C'est la lutte alors. Peuple, cher peuple! (Cris.) Électeurs de Barrabas. (Tumulte, on lui jette des oranges.) Qu'est-ce que c'est que ça? (Il recule.) Ils me. jettent des oranges!
Ferme la fenêtre, Marius.
Non, je les dompterai. Peuple, c'est un me~et~e~dM (On lui jette des ba~anes.~ Ils me jettent des bananes ERMANCE.
Sauvons-nous. (Ermance et Césanne soient J
Suppôts de La Caminade! (Ils lui. jettent des gousses d'ail.) Des gousses d'ail à présent.
Je crois qu'ils connaissent votre particularité. (Il sorf.~
GARSOULAS, stupéfait.
GARSOULAS.
VOIX DU PEUPLE.
TESSEYRE.
VOIX DE LA RUE.
GARSOULAS.
TESSEYRE..
GARSOULAS.
GARSOULAS.
TESSEYRE.
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MARius,&p<t~.
C'est moi qui la leur ai apprise. (Il sor~.) SCÈNE X
GARSOULAS, DU NEZ.
GARSOULAS, affaissé.
Les misérables Des gousses d'ail Et tantôt ils voulaient me porter en triomphe. Des gousses d'ail, d.evant elle 1 C'est à dégoûter de la politique. DU NEZ, s'approchant.
Mon cher maître, vous avez travaillé avec Epaton. GARSOULAS.
~ui.
DU NEZ.
~-la se voit. Epaton est un garçon de talent, dans sou ~nre. Mais il n'a pas de diction. Si vous voulez, je m' -harge, moi, de vous guérir en dix leçons du tiéf~ u vous perd.
GARSOULAS.
t tt .~tabien?
DU NEZ
\c ~'M* pas de ce détail. J'ai une méthode d'ortho~. uasale, dont je suis l'inventeur. Elle est
r < t
GARSOULAS.
A ..0 Je rderai cette gousse d'ail! C'est la coquille T \r\~Mc.
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1 ACTE DEUXIÈME
A l'hôtel des Indes, à Marseille. L'appartement de Garsoulas. Portes avec tentures. Deux sorties de fond.
SCÈNE PREMIÈRE
GARSOULAS, UN VALET DE L'HOTEL, puis DU NEZ. GARSOULAS, un papier à la main.
Vous avez bien compris, mon garçon? Voici t'a//ïc~. Dites à t'ùnpruneur que je veux un fond rouge. S'il a de ~écaW~e, qu'il en mette, Attendez que je relise encore. (Il lit à voix haute.) a Elections législatives. Réunion populaire et gratuite. Bonl Théophraste Garsoulas. des lettres ërtormes à Garsoulas! député sortant. Théophraste en plus petites. Je ne tiens pas à T/teophraste. parlera contraaictoirement. Isolez le a contradictoirement a. Bien au centre le « contradictoirement a. contre Virgile La Caminade. Des lettres minuscules pour La Caminade. 'Tout ce qu'il y a de plus petit pour La Caminade. C'est moi qui paie. Allez, mo)! ami (1).
LE VALET sort en annonçant.
Monsieur du Nez. (Du Nez entre.)
(i) Prononcez les parties en italique avec l'accent méridional.
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GARSOULAS.
Vous voilà, mon bon! Je vous attendais auec impatience.
DU NEZ, restant sur le seuil et de loin.
C'est drôle. Encore une fois, je vous prie, la phrase. GARSOULAS.
Doutez-vous que je vous attendisse avec impatience? P Nous avons à travailler. Ma séance contradictoire est proche, et je veux être guéri de cet accent funeste dont La Caminade et ses zélateurs se sont fait une arme contre ma rëétec~on.
DU NEZ,. qui l'a écouté curieusement.
Oui. Vous pensez ce que vous dites en ce moment? GARSOULAS.
Comment, si je le pense f Qu~est-ce que vous avez donc ce matin, Du Nez? P
DU NEZ, posant son chapeau.
Rien. (A part) Bizarre! Il y a des moments où l'on croirait que son défaut s'est retourné et que, maintenant, c'est quand il est sincère qu'il gasconne Voyons donc.
GARSOULAS.
Travaillons.
DU NEZ.
Travaillons. Qu'est-ce que vous avez là, sur votre bureau?. De la musique?.
GARSOULAS.
La Marseillaise. l Du Nez, quel c~-d'oeuuref 1 Lorsque je dois parler en public, je m~erce à la réciter.
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DU NEZ.
Vous voulez dire à la chanter, je pense.
GARSOULAS.
Non pas. & déclamer. -Rien que le texte.. Cest comme une gamme oratoire elle me donne le ton de l'assemblée populaire.
DU NEZ.
Procédons méthodiquement, si vous.voulez bien. Je n'ai pas besoin de vous demander, n'est-ce pas, si vous êtes républicain. Vous avez siégé à gauche. (Silence de Garsoulas.) Vous êtes républicain, cher martre? GARSOULAS, sans accent.
Comme Robespierre.
DU NEZ.
Eh bien, déclamez-n~i d'abord Vive Henri quatre. Vous savez Vive Henri quatre ?
GARSOULAS.
Moi ? Ma mère m'a bercé avec cette poésie. (Il déclame sans accent.) Vive Henri quatre Vive ce roi vaillant! DU NEZ.
Assez! A présent, s'il vous plaît, le beau Dunois? Vous savez le beau Dunois?
GARSOULAS.
Si je le sais Mon père le chantait toute la ;ournëe. (Il décime ~ans accent) Honneur à la plus belle et gloire au plus vaillant
DU NEZ.
Suffit. (A part.) Aucun accent C'est extraordinaire Enfin, nous allons voir. (Haut.) Maintenant, je vous prie, la Marseillaise.
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GARSOULAS.
La MarsetMotse? Bon! (Il déclame sans accent.) Allons, enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé. DU NEZ, &ëa<.
Alors, cher maître, quelle est votre opinion ?
GARSOULAS.
Mats. bonne. Du Nez! Quel exercice me faitescous donc /<ure ? Est-ce que ça ne va pas ?
DU NEZ.
Ça va très bien. Ça va même trop vite, je crois 1 GARSOULAS.
Trop vite! Jtfats ma réunion contradictoire est pour demain.
DU NEZ.
Je plains La Caminade.
GARSOULAS.
Pauvre La Caminade.
DU NEZ.
Oui. Mais il peut vous interrompre, vous couper la parole, chercher à vous embrouiller. Parons à ce dan?.er. Tenez je suppose que vous preniez ces trois chan.sons nationales. Si vous en mêlez le texte, vous avez en abrégé toutes les espèces d'interruptions l'interruption blanche, l'interruption rouge et l'interruption tricolore.
GARSOULAS.
Vous croyez P
DU NEZ.
Enfin, c'est une méthode. Mêlez les textes sans vous arrêter. Voulez-vous? Allez.
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GARSOULAS.
Vous avez pensé à tout dans votre système voco-nasal. (Il déclame fanMi sans accent et tantôt auec accent.) Allons, enfants de la patrie
Vive Henri quatre
Et gloire à la plus belle
C'est le sort le plus beau
Tu n'auras pas ma rose
Aux armes t
En a~ous assez? Je suis guéri, ~é?
DU NEZ.
Radicalement. Vous en êtes à la fusion.
GARSOULAS.
Je puis a/~o~fer les électeurs ? P
DU NEZ.
De toutes les couleurs, cher maître.
SCÈNE II
LES MÊMES, MALHEUX.
MALHEUX, cantonade.
Pardon. permettez! J'ai besoin de parler à M. Gar-
soulas. M. Garsoulas est un homme. public, et nous sommes ici dans un hôtel. Je me moque de la consigne.
GARSOULAS, sans accent aucun.
Qu'est-ce? Laissez, je vous prie. Que vois-je? C'est cet excellent Malheux, mon tailleur pour la vie. Entrez, Malheux. Qui vous amène ?
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MALHEUX, trapue.
Ma facture 1
nu NEZ, à part.
Cette fois, l'épreuve va être décisive. Je vais connaître le véritable effet de ma cure.
GARSOULAS, il regarde longuement la facture.
Qui est-ce qui a écrit cette note-là?..
MALHEUX.
Moi, monsieur Garsoulas.
GARSOULAS.
Parbleu vous pouvez vous vanter ~d'avoir la plus belle écriture que j'aie jamais vue. Vous ne pouvez pas rester tailleur avec ce talent-la, mon cher. Je vous retiens pour mon ministère. Dès à présent je vous attache à ma correspondance. Mais regardez donc, Du Nez, vous qui êtes connaisseur. Quelle calligraphie!. DU NEZ.
Ah! vous trouvez?. (A part.) Et tout cela, sans le moindre accent. Diable
MALHEUX.
Je préfère vous le dire la note est de la main de ma femme. Mais je ne puis attendre plus longtemps. La fourniture date des calendes grecques. Ce sont vos habits de stagiaire.
GARSOULAS.
Souvenirs de jeunesse. Les plus doux, Malheux! 1 MALHEUX.
Depuis ce temps-là, j'ai trois enfants, moi.
GARSOULAS.
Je le sais. C'est l'aîné, n'est-ce pas, qui a eu la variole ?
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MALHEUX.
Vous êtes trop bon, monsieur Garsoulas. Non, c'est le petit.
GARSOULAS.
Oui, c'est vrai. (A Du Nez.) Il parait que la mère a été intrépide. Elle ne l'a pas quitté d'une minute au risque d'attraper la contagion. La brave créature, hé, Du Nez ?
DU NEZ.
Oh! ~Apar~ Je croyais ma méthode meilleure. GARSOULAS.
Aussi, lorsque je vais ~tre au pouvoir, je me propose de récompenser ces dévouements obscurs de la famille. On décore à chaque instant des gens qui n'ont pas des femmes de cette trempe. Quel âge avez-vous, Malheux?.
MALHEUX.
Cinquante-quatre, monsieur Garsoulas.
GARSOULAS.
Il est. temps! Écrivez-moi cela sur votre facture. Mettez ici: cinquante-quatre ans. De cette façon, je suis sûr d'y penser. (Malheux ëcntj Bien. Vous avez été militaire?.
MALHEUX.
Non. J'étais fils unique de veuve.
GARSOULAS.
Ajoutez cela fils unique de veuve. C'est très-intéressant. Cela me forcera d'avoir toujours votre facture sous les yeux, car dès que vous aurez fourbe les talons, je ~aurat totalement oubliée, votre facturel
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MALHEUX.
Ah! je vous en prie, monsieur Garsoulas. Si je n'en avais pas besoin.
GARSOULAS.
C'est entendu. Elle ne me quittera pas. Je la garderai sur mon bureau, avec les placets que j'apostille. A tantôt, Malheux, et embrassez vos petits.
MALHEUX.
Merci, Mais.
GARSOULAS.
Excusez-moi. Cette réélection. ennn mes occupations sont débordantes. Adieu, cher ami.
w MALHEUX
Diable d'homme A tantôt alors.
GARSOULAS, le rappelant.
Malheux! Malheux! J'oubliais le principal. Où donc ai-je la tête ? (Il s'assied à son bureau et ouvre un tiroir.)
MALHEUX, tendant la main.
Je me disais aussi: il oublie le principal.
GARSOULAS, lui donnant un papier.
Voici un bulletin de vote. Il m'en reste quelques-uns pour mes amis. Ne vous trompez pas. L'autre c'est La Caminade. Une canaille qui ne paie point ses dettes. Au plaisir. Vous avez intérêt à voter pour moi
(haineux sort sans pouvoir dire un mot.)
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SCÈNE III
GARSOULAS, DU NEZ.
GARSOULAS, à Du Nez qui le regarde ébahi.
gtExpëdté/ Qu~est-ce que vous avez à me re~ardt' bouche ouverte ? Je le paierai. On paie toujours.
DU NEZ.
Mon cher maître, êtes-vous brave?
GARSOULAS.
Cela dépend. Qu'est-ce qu'il y a? S'agit-il de vos honoraires ? P
DU NEZ.
Il y a que votre. particularité.
GARSOULAS
Ma parttCM~nfë ? P
DU NEZ.
Elle n'a pas résisté à mon traitement, non mais elle a fait volte-face. Je l'ai écrasée d'un côté, elle est ressortie de l'autre. Tout est à recommencer.
GARSOULAS.
Comment?
DU NEZ.
C'est dans l'expression de la vérité que vous gasconnez maintenant.
GARSOULAS.
Mille tombereaux de branlade Et ma réunion contradictoire, c'est demain.
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J'y songe. Voyons, ne bougez pas d'ici. J'ai une idée. (Il prend son cnapeau.)
Vous vous en allez?
Attendez-moilà. Atout àl'heure. (Il sort en courant.) J GARSOULAS, seul.
Il se s<tw?e/ n me plante là, avec ma particularité uù'ée de bord. Canaille de ~édten/ 1 Je ne peux plus me porter nulle part, ni dans le Midi ni dans le Nord 1 (Il va montrer le poing à Du Nez au fond et rencontre Ermance qui entre.) Ah 1 madame et belle-mère. SCÈNE IV
Chut 1 Fermez toutes les portes.
Eh 1
ERMANCE.
Obéissez donc 1
Qu'est-ce g~eHe'me veut P (Il ua fermer porte.
Je n'ai que cinq minutes. Vite 1
Quoi?
GARBOULAS, ERMANCE.
DU NEZ.
GARSOULAS.
DU NEZ.
ERMANCE.
GARSOULAS.
GARSOULAS.
ERMANCE.
GARSOULAS.
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ERMANCE.
A Marseille, vous êtes brûlé. Mais vous êtes frais dans le Nord. Allez à Lille.
GARSOULAS.
En Flandre? P
ERMANCE.
Il n'y a pas deux Lille. J'y ai toute ma famille. C'est mon pays. Allez à Lille.
GARSOULAS.
Quoi faire, madame, sans indiscrétion?
ERMANCE.
Vous ne comprenez pas ? Il y a un siège vacant à Lille. Partez
GARSOULAS.
Mais je ne connais pas Lille.
& ERMANCE.
Ne mentez donc pas! A quoi cela sert-il? GARSOULAS.
Je vous jure.
ERMANCE.
Vous voyez bien L'accent vous trahit. A votre arrivée à Lille, allez droit chez mon père. Il vous attend. Il vous présentera aux principaux manufacturiers qui sont les influences de là ville. Et puisque vous connaissez Lille, le reste vous regarde.
GARSOULAS, à part.
7nuf~e de la convaincre, avec le virement de ma par(tcu~rtM. Tant pis Prenons la vie comme e~e se présente. Je n'osais vous le confesser, madame, mais Lille a toujours été la ville de mes rêves, et puisque vous en êtes, elle me devient plus chère encore.
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Pas de madrigaux. Le temps presse. Filez 1 &ARSOULAS.
En Flandre donc
Adieu, mon gendre.
Je te conseille d'en !parler, de ton gendre! Pour avoir un gendre, il faut, primo une fille. Tu n'as plus de fille, Ermance, ou peu s'en faut. Lis ce qu'elle m'écrit, M"' Tesseyre des Paquebots, lis EMtANCE, lisant.
« Mon père, décidée à ne point me sacrifier à un a homme que je n'aime point et qui ne m'aime point, « je fuis la maison paternelle, e Partie, Césarine C'est ainsi que tu la gardes 1
Continue.
« La maison paternelle, pour n'y rentrer que femme « de Marius ou, du moins, libre de mon cœur B. GARSOULAS, à part.
Elle aime Marius 1 Que ne le e~M~-cJ~
SCENE V
(Entre Tesseyre.)
LES MÊMES, TESSEYRE.
ERMANCE, continuant.
ERMANCB.
ERMANCE.
TESSEYRE.
TESSEYRE.
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ERMANCE.
< Lorsque vous voudrez me revoir, daignez m'en a avertir par l'organe du Sémaphore. Votre nlledésolée, mais résolue. Césarine. Ce n'est pas elle qui a écrit cette lettre.
TESSEYRE.
A moins que ce soit le pape.
ERMANCE.
Alors vous revenez de la gendarmerie, monsieur Tesseyre ?
TESSEYRE.
Ça nous ferait une belle jambe de revenir de la gendarmerie. J'aime bien mieux écrire au Sémaphore. Et c'est ce que je vais faire maintenant. (Il s'assied pour écrire.)
ERMANCE.
Vous la rappelez Vous cédez, vous son père ? TESSEYRE.
Je suis un homme de bronze. Va sur le port et prononce mon nom. tu sais ce qu'on te répondra. (Il ëcntj a Ma chère enfant. n
GARSOULAS, il est très ému et parle avec beaucoup d'accent et l'éloquence de la plus grande sincérité. Non, monsieur Tesseyre, je ne le souffrirai pas. Je suis un honndte homme. Il ne sera pas dit que la plus cbarmante jeune fille de Marseille et de la terre, un ange de candeur, de ~rdce et de beauté, le portrait vivant d'MMC mère re~ec~&~e, aura été malheureuse à cause de Théophraste Garsoulas.
TESSEYRE.
Vous feriez mieux de vous taire, vous, que de vous moquer du monde.
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GARGOULAS, redoublant d'accent.
moquer, moi Oh! monsieur Tesseyrel ;'e renonce a ~'Mpotr d'être votre gendre. Je ne veux pas être un su jet de discorde entre ~OM~ et M°" Tesseyre, un objet de haine pour ~f* Césarine. Je retire ma de~KtM<fe.
ERMANCE, à Tesseyre.
Tu vois comme il l'aime
GARSOULAS.
Non, madame, non, je n'aime point votre fille. Ce ~j:OtM< ma faute, mais je ne l'aime point.
ERMANCE.
Quel héroïsme Il me brise le cœur. N'ètes-vous point électrisé par cette abnégation cornélienne ? On ment ainsi dans le martyre.
GARSOULAS, à part.
Elle croit que je mens. C'est atrocel Canaille de tragédien 1 (Haut.) <SM)' la ~e~ de ma mère, madame Tesseyre, je vous jMre que mon désir formel est de rester célibataire. Je ne suis pas créé pour le mariage. Au contraire. Vat des manie, cortacM. ~fbM caractère est intolérable. Tenez, je suis couvert de dettes, M ERMANCE.
Brave garçon 1 Si vous en aviez, et cela serait tout naturel, il nous appartiendrait de les payer.
GARSOULAS.
Enfin, je passe pour menteur. e< je le suis, oA/j'e le suis co~t~te tous les dentistes de Gascogne.
ERMANCE.
Vous voyez bien que non.
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Ermance a raison. il se déprécie, il l'aime.
GARSOULAS, à part.
Les grands moyens alors. Qu'est-ce que je pOMrrcM donc inventer pour qu'elle me McAe? Ah 1 une idée. (Haut.) Écoutez. Je ne voulais pas vous le dire, mais vous m'y contraignez. J'ai. une liaison.
Sans accent, tu entends. Sincérité, générosité, il a tout C'est le gendre idéal
Je suis ébranlé, vingt dieux 1
Et trois enfants, madame Tesseyre, et trois enfants, hélas
Je les adopte.
Les adopter! Et leur mère?.
Je la caserai. à Lille.
Elle est de Lille.
Ce sera donc à Marseille. Votre bras, mon gendre, jusqu'à ma voiture.
On ne m'accusera pas de captation. (~ sort avec Ermance.)
ERMANCE, à resserre.
TESSEYRE.
TESSEYRE.
GARSOULAS.
ERMANCE.
GARSOULAS.
ERMANCE.
GARSOULAS.
ERMANCE.
GARSOULAS, à part.
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TESSEYRE, CÉSARINE, MARIUS.
Ma pauvre Césarine. Il t'aime.
Eh bien, monsieur Tesseyre?
Eh bien, mon père?
Eh bien, notre ruse tourne contre nous. La fausse lettre de Césarine a produit un effet aussi inverse qu'inattendu. Elle n'a servi qu'à nous prouver son amour pour toi. Voilà.
Son amour? Allons donc!
Je l'ai touché du doigt, son amour. C'est même une passion héroïque, cornélienne, qui va jusqu'à l'abandon d'une femme et de trois enfants. J'en reste confondu.
Ah Marius, mon père déserte t
Où vois-tu que je déserte? Je fais tout ce que vous voulez que je fasse. Je lutte avec ta mère de mon mieux. Je porte les lettres que tu m'écris, mais il t'aime et je ne suis pas un Géronte.
CÉSARINE, à Marius.
SCENE VI
TESSEYRE.
MARIUS.
CÉSARINE.
TESSEYRE.
MARTUS.
TESSEYRE.
TESSEYRE.
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MARIUS.
S'il l'aimait, il ne voudrait pas l'épouser de force et contre elle-même.
1 TESSEYRE.
Aussi se sacrine-t-il. Il nous a rendu notre parole. MARiBS, joyeusement.
Vous l'avez reprise?.
TESSEYRE.
Moi, Tesseyre des Paquebots Ce serait la première fois, mon garçon. D'ailleurs, je ne la lui ai pas donnée. CÉSARINE.
Nous sommes sauvés alors.
TESSEYRE.
Je le croyais avant de l'avoir entendu. Mais lorsqu'il s'est écrié avec l'accent, l'accent de la mère-patrie. MARIUS.
Celui qu'il a quand il ment ?
TESSEYRE.
Tout juste. (Imitant Garsoulas.) « Je n'aime pas votre e fille, madame, je ne veux pas l'épouser, je veux res« ter célibataire a, ma délicatesse n'a fait qu'un tour. Malheureuse enfant, il t'adore.
CESAHINE.
Vous le croyez? Mais si je vous démontre que cela n'est pas vrai, si je vous le fais voir et entendre, vous engagez-vous à l'évincer ?
TESSEYRE.
Si tu veux.
CÉSARINE.
Et à me laisser épouser Marius.
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TESSEYRE.
Si cela te fait plaisir. Je me prête à tout ta fais de moi un père de comédie. Il n'y a qu'à ta mère que je tiens tête.
CÉSARINE.
Le voici. Cachez-vous tous les deux et écoutez bien. (Ils se cachent.)
SCENE VII
TSARINE, GARSOULAS TESSEYRE
ET MARIUS, cachés.
GARSOULAS.
Ce n'est pas une belle-mère, c'est une madone. Vous ici, mademoisellel Votre bras, je vous prie, et que je vous reconduise. Votre famille est dans les larmes. CÉSARINE.
Non, monsieur. Un entretien avec vous est devenu nécessaire.
GARSOULAS.
Mais vous vous compromettes horriblement 1 Cet M~~ est public. Mot-t~ ~t, M~~MMeperM~~te chez un garçon qui passe pour son fiancé. 'S'o~y. 7~t'ett faudrait pas davantage pour que nous fussions contraints de nous épouser.
CESARINE.
Peut-être.
GARSOULAS.
Peut-être. Vous avez dit peM<rC. Mais vous aimez
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~f. Marius Renard, je le sais. Et mon intention n'est point de t70M~ ett séparer. Ce n'est point, non plus, la
cd~.
C~SARINE.
Cela dépend.
GARSOULAS.
Tiens 1
CÉSARINE.
Monsieur, s'il est vrai que [vous m'aimez ainsi que mon père et ma mère m'en assurent, vous devez être prêt à me faire un sacrifice.
&ARSOULAS.
Lequel, mademoiselle?
CESARINE.
Celui de votre avenir politique. J'ai des goûts très simples. Je ne serai jamais la femme d'un député–d'un ministre encore moins.
GARSOULAS.
Renoncer à la po/t'~Mc~ ~t!e ne suis pas capable de faire autre chose.
CÉSARINE.
Même d'être un heureux mari?. Je voulais dire un bon mari.
GARSOULAS.
Parlez-vous du t?d<rc
CÉSARINE.
J'avais pensé que dans certaines situations de bienêtre. lorsqu'on trouve, par exemple, dans une famille tout le bonheur possible, le repos, l'affection de tous, il pouvait être facile de renoncer aux joies de l'ambition, et que certaines compensations devaient suffire. Je me serai trompée.
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GARSOULAS, à part.
Attention, fils de ta mère, voilà du nouveau (Haut.) ~t-ce ce que vous désiriez me dire?
CÉSARINE, coquettement.
On n'a point un cœur de marbre à Marseille, et puisque vous m'aimez, paraît-il.
GARSOULAS, à part.
Brûlé à Marseille! Inconnu à Lille! Particularité mobile. Approches de la maturité et débuts du ventre. Allons-y (~~M~ et M~ tïcc~.) Si je vous aime, mademoiselle Ah! tenez, laissez-moi vous en faire rnveu éternel!
cÉSAMNE, e/yra~ëe, à part.
Ah! mon Dieu! il ne gasconne plus! 1
GARSOULAS.
Jamais je n'aurais osé lever les yeux sur vous, étoile rayonnante, moi humble limace. Votre mère se~ûe daignait m'armer de courage Aveugle hélas elle ne voyait en moi que le député passé, le ministre à venir, peut-être, elle n'y voyait pas l'homme présent, l'homme épris, celui qui ne ment pas, celui qui pour vous mériter, bravait les flots changeants de la vie publique et qui n'aspirait qu'au port de la vie d'intérieur. Ah la vie d'intérieur, mademoiselle, auprès d'une femme adorée.
CÉSARIKE.
Monsieur! 1 CÉSkrtlNE.
GARSOULAS.
Avec douze enfants échelonnés.
MARIUS, bondissant.
Assez, monsieur Vous n'en direz pas davantage.
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TESSEYRE, à Césanne. `
Tu vois ce que}e t'avais dit, il t'aime!
&ARSOULAS.
C'était un traquenard.
CÉSARINE.
Emmenez-moi, mon père.
TESSEYRE, à Garsoulas.
Vous avez fait un pas immense Il faut être élu maintenant. (Il sort avec Césarine.)
MARIUS.
Voici ma carte, monsieur. J'aime M"' Césarine. Vous l'aimez aussi. L'un de nous deux sera mort au petit jour. (Il sort. J
GARSOULAS.
Un duel Mt~ï/t<~t! en pleine période électorale.
SCÈNE VIII
GARSOULAS, puis DU NEZ et ÉPATON.
GARSOULAS, seul.
Je ne peux pas me battre avec cet enfant; si je me bats, ~e l'effondre. Canaille de tragédien 1
DU NEZ, avec ~pafott.
Me voici. Je n'ai pas été long.
GARSOULAS.
jS~oM~ ce que vous me valez, avec votre méthode voco-nasale? Un duel
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Excellent. Cela pose.
Mais ~e ne veux pas de réclame.
Songeons d'abord à la réunion contradictoire. Il s'agit d'écrabouiller La Caminade.
Af~~ ~ï~e ~o~Me~Ma? de rnorM~, si mon acce~~ dévié, j'en suis au Mt~~e point qu'il y a un mois. DU NEZ.
Aussi vous ai-je amené Épaton.
Encorel Pourquoi faire?
Vous allez voir. (A Epaton) Mets-toi à gauche, moi, je suis à droite. (A Garsoulas) Asseyez-vous, cher maître, nous allons rétablir l'équilibre. Reprenons la Marseillaise.
GARSOULAS.
GARSOULAS.
ÉPATON.
GARSOULAS
'DU NEZ.
DU NEZ.
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ACTE TR~LSIËME
Chez Tesseyre.
SCÈNE PREMIERE
CÉSARINE, MARIUS.
cÉSARiNE, habillée, prête à sortir
Comment avertir Marius ?
MARius, apparaissant derrière elle. Voilà.
CÉSARINE.
Ah vous m'avez fait peur 1.
MARIUS.
Vous sortez ?
CËSARINE.
Oui, avec maman. Elle .m'emmène à la messe, pricr pour l'élection de M. Garsoulas.
MARIUS.
Dépêchez-vous. On commence à voter.
CËSARINE.
Vous riez, Marius S'il allait être élu
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MARIUS.
Il ne le sera pas. Je m'en suis mêle. En passant dans les rues, jetez un coup d'œil sur les murs. Je ne vous en dis pas davantage.
CÉSAJMNE.
Qu'avez-vous fait?
MAMUS.
Vous verrez. Mais vous m'aimez, Césarine. Répétezle-moi, je vous en prie.
CÉSARINE.
Depuis l'enfance et pour toujours. Avec vous seul je désire vivre sans vous je ne tiens plus à rien. MARIUS.
Ah! chère petite femme. (Il lui baise les mains.) CËSARINE.
Voici maman.
SCENE II
LES MÊMES, ERMANCE, TESSEYRE.
ERMANCE.
Es-tu prête, Césarine
CÉSARINE
Tu vois, maman, je t'attends.
ERMANCE.
Venez-vous, Marius ?
MARIUS.
Oh 1 moi, j'ai déjà voté ce matin. Le bon Dieu n'y peut plus rien.
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Je ne veux pas être influencé. J'irai aux urnes après le déjeuner.
Est-ce que vous ne voterez pas pour votre gendre? Ce serait violent.
Est-ce qu'on sait! Vous êtes si faible En route, ma fille. (Elles sortent.) J
Faible, moi Va, va, je te laisse dire parce que tu es une bonne femme. Faible, moi, Tesseyre des Paquebots rit.) Alors, tu as déjà voté, toi? Pour qui? MARIUS.
Naturellement, tu ne peux pas, c'est ton rival. Mais, mon pauvre garçon, tu seras le seul. La réunion contradictoire a été un succès prodigieux pour Garsoulas. Ah! il le connaît, son Marseille, il sait le prendre. MARIUS.
Et vous, monsieur Tesseyre?
Pour qui diable veux-tu que je vote ?
Pas pour Garsoulas, comme vous pensez bien. TESSEYRE.
Hum hum ce n'est pas fini.
TESSEYRE, MARIUS.
ERMANCE.
TESSEYRE.
ERMANCE.
TESSEYRE.
ERMANCE.
SCÈNE III
TESSEYRE.
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TESSEYRB.
Ennn si tu espères Il a pourtant anéanti La Caminade. Cette idée de ne parler que par gestes, pour éviter le double effe t de sa particularité, c'est très fort. Il a simulé une extinction de voix, et il les a enlevés par la pantomime. Tu ne l'aurais pas trouvée, celle-là, pitchoun 1
MARIUS.
J'ai trouvé autre chose.
TESSEYRE.
Ah la puissance du geste à Marseille On a beau dire l'éloquence est un don du Midi. Nous avons ça dans le corps.
MARIUS.
Il faudra bien qu'il finisse par parler cependant autrement qu'avec les bras et les jambes l'extinction de voix ne dure pas toujours.
TESSEYRB.
Bon l'élection faite, le perroquet aura sa langue. Une fois à la Chambre, on ne lui demandera.plus de quelle poche il tire son accent. Il sera à son gré élève de Du Nez ou élève d'Épaton, et même élève des deux si bon lui semble. Il en a pour quatre ans à tutoyer le budget. Ainsi, tu as voté pour La Caminade?
MARIUS.
Mais il y a d'autres candidats.
TESSEYRE.
Lesquels donc?
MARIUS.
Il y a eu des manœuvres de la dernière heure. On parle d'un notable, très estimé à Marseille, qui aurait
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fait placarder des affiches pendant la nuît. Il a beaucoup de partisans.
TBSSEYRB.
Un notable tu n'as qu'à me dire son nom, je te compterai ses voix d'avance.
MARIUS.
C'est un nom en eyre, je crois.
TËSSEYRE.
Alors, ce n'est pas un noble de Marseille. A Marseille, nous ne sommes que trente-sept notables. notables et je suis le seul dont le nom finisse en eyre. (Entre un domestique.)
LE DOMESTIQUE.
Il y a dans le petit salon deux messieurs qui demandent à parler à M. Marius.
TESSEYRE.
Qu'est-ce qu'ils veulent?
MARius, à part.
C'est mon duel. Faites entrer.
TESSEYRE.
Faut-il que je m'en aille ?
MARIUS.
Mais point du tout. Je n'ai rien de caché pour vous. ~Entre~~ ~pafon et Du NM.)
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Eh ce sont nos grands artistes 1 Asseyez-vous donc. ÉPATON, soïeMeL
Merci. Nous venons pour une mission pénible.
Très pénible.
Parle, Du Nez, si tu tiens à parler. D'ailleurs, j'aime mieux cela le duel est dans tes attributions.
Un duel? Entre qui?
Entre M. Garsoulas et moi.
Entre mes deux gendres ? Vous êtes fous 1
Je vous écoute, messieurs. Vous êtes les témoins de mon adversaire.
Nous avons cet honneur douloureux. M. Garsoulas accepte en principe la rencontre. Mais étant l'offensé, il a le choix des armes.
Il a ce choix.
LES MÊMES, DU NEZ, ÉPATON.
SCÈNE IV =
TESSEYRE.
DU NEZ.
TESSEYRE.
ÉPATON.
MARIUS.
TESSEYRE.
MARIUS.
ÉPATON.
DU NEZ.
iR
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Va.
Non, va, toi.
Quelle est l'arme, messieurs?
L'urne.
Vous dites ? 1t F.
You.s dites ?
L'urne. C'est la seule qu'il ait appris à manier. MARYUS.
Je ne comprends pas très bien.
C'est.
Pourtant bien simple. Voici le duel que votre ami vous propose. Vous resterez chacun chez vous, un pistolet à la main.
Ce n'est pas ça du tout. Quoiqu'il ne nous appartienne pas de connaître les motifs d'une rencontre aussi grave, nous savons cependant qu'une rivalité amoureuse peut seule en justifier. L'un des deux rivaux doit disparaître. M. Garsoulas défère, comme pour tout le reste, au suffrage universel.
C'est-à-dire que s'il est 6'u, je devrait disparaître et s'il ne l'est pas, c'est à lui de se faire sauter la cervelle.
ÉPATON, & Du Nez.
ÉPATON, continuant.
nu NEZ, ~ut coupant la parole.
DUKE~
MARîua.
DU KEZ.
TESSE~!E.
ÉPATON.
ÉPATON.
MARIUS.
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C'est cela.
J'accepte.
Ah! monsieur, ce n'est pas possible.
C'est une plaisanterie, un duel de Cafres! Au nom de mon vieil ami, Spartacus Renard, tonpère, je m'oppose à cet absurde assassinat.
Pardon, vous n'avez que le droit au vote. Votez pour lui, voilà tout, ou ne votez pas, selon vos préférences.
Notre mission est donc remplie.
Et nous n'avons plus qu'à nous retirer.
Messieurs.
Attends un peu que je m'en mêle. ~u~ Voulezvous visiter mes serres? Venez donc visiter mes serres. (Il tire une clef de sa poche.) Je les y emprisonne jusqu'à demain matin, parmi les rosés! Tout de même, il est brave, ce Garsoulas (Il sort auec Épaton et Du Nez.)
ÉPATON, M levant.
TESSEYRE, àpart.
DU NEZ.
MARIUS.
BPATON.
TESSEYRE.
MARIUS.
DU NEZ.
KARIUS.
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SCÈNE V
MARIUS, puis GARSOULAS ET MALHEUX. MARIUS.
Ah! çà, pour me proposer un pareil duel, il est donc sûr d'être nommé. Mais le voici. Il est écarlate de fureur. Il aura lu mes affiches. Il vient demander une explication à M. Tesseyre, l'accabler de reproches, l'accuser de trahison On va le flanquer à la porte et le tour sera joué. (Il sort à gauche.)
(Entrent Garsoulas et Afa~eux.)
MALHEUX.
Vous aurez beau faire, monsieur Garsoulas, je ne vous quitte pas au moins sans un acompte. On va me vendre, me jeter dans la rue. J'ai trois enfants. Il me faut de l'argent.
GARSOULAS (panfomtme).
(Il fait signe qu'il ~a ~en dans sa poche e< qu'il ne peut rien donner à Ma~eujc. Il ~ut o/e sa montre.)
MALHEUX.
Qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse de votre montre? Elle est en aluminium. Elle ne vaut pas vingtcinq francs.
GARSOULAS.
(Il fait signe qu'il est désolé, qu'il ne peut pas parler qu'il a une extinction de voix.)
MALHEUX.
Si vous ne pouvez pas parler, vous pouvez écrire. Signez-moi des billets que je négocierai.
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GARSOULAS (pantomime).
(Ils n'auratent point de ~eur. Attendez que je sots élu. On vote en ce moment.)
MALHEUX.
Que j'attende votre élection. Mais vous ne serez pas nommé. C'est M. Tesseyre qui sera député de Marseille. J'ai voté pour lui. Tout le monde vote pour lui. Il aura une majorité écrasante.
GARSOULAS (pantomime).
(Il fait signe qu'il est f urieux du tour de Tesseyre, qu'il vient pour le lui reprocher. C'est une manoeuvre indigne. Ça ne se passera pas comme ça. H montre le poing.)
MALHEUX.
Vous êtes furieux, c'est possible. Mais quelle confiance avoir en vous lorsque celui-là même dont vous deviez épouser la fille, vous discrédite ainsi publiquement et vous jette entre les jambes sa propre candidature ?
GARSOULAS, s'oubliant.
C'est une canaille.
MALHEUX.
Quoi ?
GARSOULAS.
(Fait signe qu'il n'a rien dit.)
MALHEUX.
On sait très bien que M'" Tesseyre aime M. Marius Renard et que c'est lui qu'elle doit épouser. J'ai pris mes renseignements.
GARSOULAS.
(Fait signe qu'il tuera Martus.)
------------------------------------------------------------------------
MALHEUX.
Vous le tuerez, soit. En attendant, moi, je ne vous lâche pas. (Il s'assied.)
GARSOULAS.
(Fait signe Faites ce que vous voudrez, il s'assotf aussi. Entre Tesseyre.)
SCÈNE VI
LES MÊMES, TESSEYRE.
TESSEYRE.
Ils sont sous clef. Ah! vous voilà. Eh bien, on vote. Quel est ce monsieur?
~ARSOULAS.
(Fait signe qu'il ne peut pas le présenter, qu'il est aphone.) MALHEUX.
Malheux, tailleur, pour vous servir.
TESSEYRE.
C'est votre ami?
GARSOCLAS.
(Fait signe que oui.)
TMSEYM.
Est-ce que v~os~eies réenemer~t aphone? Vous n'avez pas besoin de vous contraindre ici. Il n'y a point d'électeurs dans ce salon.
~AMOULAS, éclatant. (1)
Monsieur Tesseyre, c'est une indt~ntM. Je n'aurais (i) Dans cet acte it gasconne ou dégasconne au hasard, sans ordre ni suite.
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jam~s cru cela d'un homme tel que vous. Me refuser uofre fille, c'est bien, mais entraver ma réélection par cette manœuvre de la dernière heure, sans me prévenir, sans me crier gare, le piège est abominable. MALHBUX.
Vous parlez donc maintenant. Alors vous êtes un blagueur, vous.
GARSOULAS.
(Fait signe que de temps en temps cela lui revient. avec une peine énorme.)
TESSEYRE.
Je pense que vous avez une attaque de démence, Garsoulas. Vous voulez tuer Marius dans un duel de Patagon, vous venez m'injurier chez moi, qu'est-ce qui vous prend?
GA~SOULAS.
Est-ce que vous niez cette manœuvre de la dernière heure? Ces affiches posées cette nuit, resseure, candidat libéral, est-ce moi qui les ai collées sur les murailles ?
MALHEUX.
A ce que je vois, vous êtes aphone quand vous voulez.
GARSOULAS.
(Faitsigne que non, en ce moment par exemple. La voix vient de ~ut partir. Il ne peut plus dire un mot.)
TESSEYRE.
On a collé sur les murailles des affiches au nom de Tesseyre?. de Tesseyre des Paquebots?. On me porte à la députation de Marseille ?. Allons, voilà que vous vous mettez à mentir.
------------------------------------------------------------------------
MALHEUX.
Quand je pense que j'ai voté pour lui, il y a quatre ans Mais cette fois vous avez eu ma voix, monsieur Tesseyre, je vous l'ai donnée tout à l'heure. TESSEYRE.
A moi? C'esLdonc vrai?
GARSOULAS.
Comment, si c'est vrai, que vous vous êtes porté contre moi? Quelle est cette comédie?
TESSEYRE.
Pardon! ce n'est pas vous que j'interroge. On ne sait plus quand vous mentez et quand vous dites vrai. Votre accent est désordonné. Tantôt vous gasconnez, tantôt vous grasseyez. Là vous êtes muet, puis vous éclatez en paroles Vous ne m'inspirez plus aucune confiance. GARSOULAS.
Mais.
TESSEYRE.
Je vais aller voir mes affiches. (A Malheux.) Venezvous, mon cher électeur?
MALHEUX.
Et moi je vais aller crier partout que votre extinction de voix n'était qu'une insolente scapinade. Je vous suis, mon cher député.
(Ils sortent.)
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SCENE VII
GARSOULAS, puis DU NEZ, et ÉPATON.
GARSOULAS, seul.
Il ne me fera pas croire pourtant que ces affiches se sont posées toutes seules. Je suis la victime d'une in/ame machination. (Entrent Du Nez et Epaton.) Ah vous arrivez bien.
ÉPATON.
M. Tesseyre nous avait fait une plaisanterie assez drôle.
DU NEZ.
Hum 1 pas très drôle.
ÉPATON.
Moi, je la trouve drôle. Il nous avait enfermés dans
ses serres.
GARSOULAS.
Pour vous empêcher d'aller voter!
ÉPATON.
Oh! nous avons déjà vote. La Caminade est un de mes vieux amis, un camarade d'enfance, et vous comprenez
DU NEZ.
J'ai beaucoup d'obligations à M. Tesseyre; c'est à lui, cher maitre, que je dois de vous connaître. C'est lui qui m'a présente à vous, et naturellement.
GARSOULAS.
Alors je suis perdu. Et mon duel 1
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DU NEZ.
Accepté, oh! sans réserves. A la pointe du jour, si vous n'êtes pas élu, vous n'aurez qu'à presser la gâchette, vous volerez dans un monde meilleur. CARSOULAS.
C'est ça, enterrez-moi tout de suite. Vous tiendrez les cordons du po~e. (Entre Ermance.) Voici celle qui va me sauver. Ah madame.
SCÈNE VIII
Las MÊMES, ERMANCE, CESARINE.
ERMANCE.
Où est-il, où est-il, que je l'embrasse!
OARSOULAS, allant à elle.
Le voilà, madame.
ERM AKCE ~Ut ~Ott~a~ le dos).
Mon mari, mon cher Adolphe Ah que je suis nèrc de cet homme-là! Il sera ministre, ton père. Ce machiavélisme le prouve.
Est-ce qu'il est
GAMOULAS.
nommé?
ERMANCE.
Du moment qu'il se présente. Tesseyre des Paquebots réunis se présente Il s'est présente Et sans me le dire encore Ah il se révèle 1
GARSOULAS.
Serait-ce une indiscrétion, madame, de vous demander L'adresse de uo~père, à Ltiïe? P
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à Adolphe! Dans mes bras.
Ma &Ue Je ne sais pas comment cela s'est fait. Il y ~ballottage! 1
r Que dites-vous de ma Tuée, Cëssrme ?
Ah! Marius. Mais ce pauvre monsieur! C'est un bon homme au fond. Et puis il peut faire le bonheur d'une autre.
LES MÊMES, TESSEYRE, MARIUS.
Voici le triomphateur!
Ermance! Mon père
Ballottage ?
Que serait-ce si je m'étais vraiment porte!
Entre qui le ba~o~a~e ? P
Mais entre vous et moi, mon cher.
MARius, & Cësartne..
SCENE ÏX
EPA.TON.
ERMANCE.
TESSEYRB.
CESARINE.
TESSEYRE.
&AMOULAS.
TB8SEYRE.
CÉSARINE.
GAUSOULAS.
TESSEYRE.
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Je ne me désiste pas!
Pardon. J'ai une voix de plus que vous. La discipline électorale
Oui, mais vous n'avez pas voté. Je proteste contre votre abstention, et je vous demande la main de M"' votre fille.
Jamais. Elle aime Marius.
Arrangez-vous.
Ce Tt'es~ pas pour moi, chère madame. C'est pour mon adversaire, M. Renard. Pour moi, je le reconnais, je suis indigne d'une aussi charmante personne, et je renonce à la politique. Ma carrière est terminée. Pour prix de mon sacrifice, je vous demande simplement une place de commis dans vos bureaux.
Je vous en nomme l'interprète, entre le nord et le midi.
GARSOULAS.
TESSEYRE.
GARSOULAS.
ERMANCE.
TESSEYRE.
GARSOULAS.
TESSEYRE.
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PRÉFAC E DE
LE BARON DE CARABASSE
EDMOND GONDINET
Je me rappellerai toute ma vie la stupeur d'un directeur de théâtre devant lequel Edmond Gondinet dit un jourà un jeune auteur:
Mon ami, pour faire du théàtre, il faut être un. peu bête.
A ce mot charmant, l'un des plus fins de l'auteur du Plus heureux des trois, le directeur ouvrit des y eux énormes sur une bouche démesurée Ont fit-il en son langage.
Et Gondinet de rire. A Fy bien chercher, il est tout entier dans cette malice. Je la prends pour exergue du portrait que je crayonne.
Il y a deux hommes en Gondinet, celui qu'on le contraint d'être, et celui qu'il serait seulement si on le laissait tranquille. Quand on le laisse tranquille il
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donne Libres! ChnsKaKe, le Homard, Le plus heureux des trois, perles de fantaisies serties dans l'or de l'observation. Quand on l'embête, il collabore.
Le Gondinet tranquille vit à la campagne, avec des chiens, des oiseaux, bêtes trop spirituelles pour faire du théâtre. Là, il cultive son jardin de Lettres, le bon sécateur à la main, échenillant ses arbres à fruits et chassant les limaces. C'est l'artiste. Au-dessus de son petit bonnet de velours noir, les heures volent et enchaînent les couchants aux aurores. La création lui est clémente et si, pour d'autres, les choses ont ces « larmes dont parle Virgile, elles n'ont pour lui que les « sourires a qu'y voit Horace. Tels devaient être, aux siècles derniers, les écrivains de race optimiste, conservateurs de l'esprit national, les clairs, les gais, les sains, dont il continue la veine et la nlière. De telle sorte qu'en cet âge de névropathes où tout le monde a du génie et personne n'a plus de talent Gondinet charme par sa figure aimable d'esprit bien portant, souriant à la danse macabre. Il ressemble à ces philosophes musards des vieilles lithographies, que l'on voit, les mains dans les poches, un brin d'herbe aux lèvres, regarder une partie de boules et décider d'une querelle. Il a la tête, les allures et l'attraction de ceux que l'on choisit pour juges, sans les connaître. C'est le dernier des modérés.
En cette partie de son œuvre qui lui est nettement personnelle, Gondinet est à Labiche comme Regnard est à MoUère. Le rire de Labiche cingle et parfois laisse
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sa cicatrice. Gondinet se sert d'un fouet dont le manche est précieux, fragile et finement ciselé il craint de le rompre en frappant trop fort, car ce manche est Fœuvre et le don d'une muse, la Fantaisie, une bonne amie de sa jeunesse, à laquelle il a fait bien des traits, mais qui reste son unique amour. Ce je ne sais quoi qui vient en surplus de la vérité et qui la colore d'un reflet d'idéal, Regnard en eut le secret. A des intervalles plus modestes, Gondinet reproduit cet avantage artistique sur son maître on sent vibrer en lui le poète assassiné par Scribe.
Mais c'est un assassiné récalcitrant. Ce serait une erreur de croire que Gondinet accorde à ce Bouddha des cabots l'infaillibilité professionnelle devant laquelle s'agenouillent les gens dits de théâtre. S'il l'adore, c'est comme un mal nécessaire, et parce qu'il y a des caissiers sur la terre. a Il faut être un peu bête pour faire du théâtre.. » Et pour y réussir?. oh! cachezmoi, profondes nuits
Et voici l'autre Gondinet, car il y en a deux, je vous l'ai dit. Celui-ci se manifeste à Paris dans un appartement spécial, sis rue de Rivoli, à des hauteurs carrément Piranésiennes. Pour qu'un directeur un peu bedonnant se décide à escalader les degrés infinis d'une pareille rampe, il faut qu'il en soit vraiment arrivé aux confins de la faillite. Gondinet, d'ailleurs, ne leur oppose point d'autre défense une fois sur le palier ils poussent la porte et ils entrent. C'est l'atelier de reboutage.
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Le second Gondinet, en effet, est un rebouteux. C'est à lui que l'on s'adresse pour redresser les bossus dramatiques, les difformes, les bancals, les paralysés aussi. En trois ou quatre séances d'exercices orthopédiques, il les met en état de plaire et d'avoir des succès dans le monde, car on se fait une si curieuse idée aujourd'hui de ce qu'on appelle une pièce, qu'on en est arrivé à croire qu'il y a une formule pour l'obtenir et que cette formule est un secret qu'on se transmet entre initiés comme un remède contre l'épilepsie.
Gondinet lui-même a beau jurer à tous les directeurs qu'il ne sait faire que « le Gondinet, les directeurs refusent de le croire, et ils lui apportent tous les manuscrits qu'ils reçoivent, afin que, dans ses moments perdus, il change celui-ci en Eschyle et celui-là en Aristophane. Les trois quarts du temps il n'y a rien, que le papier, dans ce que les directeurs lui apportent. Il le leur fait observer doucement, mais ils secouent la tête et sourient de sa manie cc Ah mon cher maitre, un homme de théâtre tel que vous. »
Pendant quelques années, Gondinet a essayé de résister il refusait de faire les civets sans lièvre. Alors les directeurs grimpèrent ses escaliers à genoux, la corde au cou en gémissant miserere. Ils lui offrirent sur des plateaux des traités en blanc, tout signés, par lesquels ils s'engageaient à l'envi à jouer, à des dates fixes, n'importe quoi et même rien du tout pourvu qu'il le signât. Il apprit de la sorte que le théâtre est un commerce et non pas un art, ainsi qu'il se le figu-
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rait naïvement, et il vit venir à lui la procession lamentable des éconduits que l'ombré de Scribe chassait de* vaut elle. Alors il eut pitié et il ouvrit son atelier de reboutage.
Or, celui qui n'a pas vu cet atelier de reboutage ne sait pas ce que c'est que l'art dramatique à Paris. Figurez-vous cinq ou six salles, meublées de sièges et dé tables, et à chacune de ces tables, un auteur assis, la plume en main et flanqué de son directeur respectif. Celui-ci travaille pour le Vaudeville, cet autre pour la Comédie-Française, un troisième pour rOpéra-Comique, un autre pour le Palais-Royal et le dernier pour les Folies-Bergère. L'aimable et bon Gondinet, le front penché, les yeux perdus dans une quintuple rêverie, va, vient, se promène et marche de l'un à l'autre, en se frottant les mains. Il indique une scène au premier, jette un mot au voisin, crayonne une réplique pour celui du fond, et, au milieu d'une leçon de métier, va ouvrir la porte à des visiteurs. Comment il ne marie pas l'Arthur de l'un à l'Ernestine de l'autre, voilà ce qui me passe 1
Les directeurs halètent auprès de leur auteur personnel. Ils trouvent que Gondinet reste trop longtemps à la table du confrère ou qu'il est trop long à recevoir sc~ visites. Si leur auteur personnel, pour gagner du temps, se hasarde à écrire quelque chose de son cru sur le papier, vite ils le lui font raturer < ce n'est pas du théâtre! b Gondinet sonne pour demander un bouillon,. les cinq auteurs croyant qu'il. dicté, écrivent le bouil' n
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Ion, et les directeurs sont ravis. < C'est dm théâtre! A Gocdînet a ensuite la plus grande peine à les désabuser et à leur faire comprendre que ce bouillon n'est que de la vie réelle et qu'il est destiné à son usage. Parfois, lorsque les directeurs, lassés, retournent à leur direction, les cinq auteurs forment la ronde et dansent avec le patron. Il fait monter une bouteille de vin de Ténérinê, quelque chose de délicieux et de collaboratoire qu'il a derrière ses fagots, et tous apportent leurs papiers sur la même table. Ils travaillent côte à côte et ils abattent de la besogne. Gondinet, pendant ce temps-là, va échanger quelques verbes avec son frère, son neveu, des parents et des amis quirattendent dans sa chambre à concher, et, quand il revient, c'est du théâtre! 1
Car il a ce principe bizarre, et dont Scribe pleurerait, que, même au théâtre, celui qui a conçu une idée est plus propre à la réaliser que celui qui ne l'a pas conçue. Et c'est ainsi qu'en ses collaborations il a obtenu des effets nouveaux, variés, originaux, dont les directeurs se pourlèchent les babines Ses conseils y sont pour un tiers, son respect des individualités pour un autre tiers, et le vin de Ténériffe pour le dernier.
Gredin de vin de Ténérinê, en a-t-il sauvé de ces directeurs qui croient encore que le théâtre est un art qu'on enseigne! Jamais Gondinet ne leur a dessillétesyeux, mais il leur a glissé de la sorte un tas de je~mes auteurs, dont ils ne voulaient pas entendre
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parler et qui sont maintenant la fleur de leurs corbeilles.
A six heures du soir, l'atelier de reboutage fe~'me, et les reboutés escortent le plus aimé de tous les rebouteux jusqu'au fiacre qui l'emporte à la gare. Hiver ou été, quelque temps qu'il fasse, jamais Gondinet ne couche à Paris. Il a besoin de revoir ses bêtes, celles qui ne croient pas en Scribe; ses chiens, ses chats et sa volière, un tas d'êtres qui estiment que toutes les scènes sont à faire; il se retrouve en les caressant, en leur parlant ce plaisant langage que La Fontaine, un de ses aïeux directs, professe. Il apprend d'eux à con-
naître les hommes par le contraste de leurs passions rudimentaires, il les consulte sur les instincts communs à tous les animaux, civilisés ou non, et il s'exerce de plus en plus à leur commerce dans la pratique de cette bonté qui est sa seule philosophie.
Mais j'y pense tout à coup, mon cher Edmond, c'est peut-être là ce que vous vouliez dire avec votre Il faut être un peu b~e pour faire du théâtre Tout ceci est pour dire que le Baro~ de Carabasse est sorti de l'atelier de reboutage de la rue de Rivoli. Les part es heureuses et bien venues de cet ouvrage, improvisé en quinze jours, constituent la parade collaboration anonyme de Gondinet, et les gens du métier y reconnaîtront son expérience, son esprit de ressources et sa fantaisie. Le vin de Ténériffe est responsable, du reste. Je le bois mieux que je ne le supporte, et je crains fort qu'il y paraisse.
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LE BARON DE
CARABASSE
COMÉDIE EN TROIS ACTES
Représentée au théâtre du Palais-Royal, le 6 déeembre t885.
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PERSONNAGES
RÉGINET. MM. DAUM~v. THÉRÉBIN: RAYttOttc. BÉVEAU. C~m. PAUL ASSART. NOM*. UN CHASSEUR. HTACMT~. JOSEPH. Hu~TtcAU. CÈPmSE RÉGtNET M-" MjtTHtLM. GUDULE. LAVtCKZ. BLANMfnE. BMoi. ÈPONÏNE. Dzscottvjn.. DEUX COMMISSIONNAIRES.
La scène de nos toura. Le premier et le troisième actes à Paris.
Le domieme acte, à t'hote) de la Corne-d'Or à Fontttmebteaa.
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LE BARON DE CARABASSE ACTE PREMIER
Un salon. Porte au fond. Porte, latéral Au premier ~P~ une cheminée. Au premier plan à droite, la chambre de CéphiM. SCÈNE PREMIËRE
ÉPONINE, jMtK BÉVEAU..
~PONINE.
Les souliers de noce de mademoiselle Elle a un petit pied, mais pas plus petit que le mien. 84 un peu. Elle sera gênée tout de même pour dire oui a M. le maire. (B~M entre et l'embrasse sur la nuque. Sans se re~rmT.) Que vous êtes bête, Auguste
BÉVEAU, etMpë/~Ht.
HeLnÏ
~pONM!E,~yetottrna~.
Tiens! un monsieur que je ne connais pas. J'ai cm que c'était le coiffeur.
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BËVEAu, interloqué.
Ce n'est plus Victoire!
ÉPONINE.
Non, monsieur, c'est Éponine Je ne suis ici que depuis hier pour le jeun 3 ménage.
BÉVEAU, & part.
J'ai compromis le sérieux de mon caractère. (Haut et très gravement.) Je désirerais parler tout de suite à M"" Réginet il y a urgence.
ÉPONJNE.
Oh! monsieur, ce n'est pas possible. M"" Réginet s'habille. Elle met un nouveau corset.
BËVEAU.
Alors, dites-lui que M. Déveau, jurisconsulte, lui fait demander si elle tienL absolument à ce que la consultation qu'elle réclame lui soit remise avant midi. Le temps serait bien court.
ÉPONINE.
J'y vais, monsieur si monsieur désire que je lui envoie M"* Victoire!
BÉVEAU.
Mais non. Pas du tout. Pourquoi donc? (Éponine sort.) J'ai été imprudent. (Dépliant une lettre et lisant.) « Mon cher jurisconsulte et ami. Le mariage étant toujours enrayant pour les jeunes filles, je veux que Blandine, en allant à la mairie prononcer le oui fatal, ait dans sa poche une instruction sur le divorce, » C'est une idée de mère que je comprends, mais.elle aurait dû. y penser plus tôt. Une instruction sur le divorce. quand on veut y mettre quelque style.
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ÉPONiNE, revenant.-
Madame fait répondre à monsieur qu'elle veut absolument ce qu'elle lui a demandé avant midi. BÉVEAU.
Sapristi! J'ai à peine deux heures. Voulez-vous me donner du papier, de l'encre et une plume ? ÉPONINE.
Oui, monsieur.
BÉVEAU.
Je ne veux pas déplaire à une cliente qui est presque veuve, mais pour un homme qui est habitué à travailler dans le silence du cabinet.
ÉPONINE.
Voilà, monsieur. (EM~ met le papier et les plumes.) BÉVEAU, derrière elle.
Jolie taille! Elle est beaucoup mieux que Victoire. (Il s'avance pour lui prendre la taille au moment. où Rlandine paraît.)
8CËNE il
LES MÊMES, BLANDINE.
BLANDINE.
Éponine t
ËPONÏNE.
Mademoiselle?
BÉVEAU, à part,
J'ai encore failli compromettre le sérieux de mon caractère.
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B~NMM~Om~aMMt.
MessMdie~SQnt~sM~és~ `~
ÉPOMN~ q~t ut «H~jMWïMÏre MttKe~.
Les voici, mademoiselle. (BNe entre dans la chambre de B~a~H~.)
Ah! M. Déveau!
Mademoiselle 1
Voo~travatiïez?
Je travaille pour vous, mademoiselle.
Pour moi?
Je prépare une consultation sur les moyen? usuels les plus simples pour divorcer.
Divorcer? LAND fNE
Divorcer?
Madame votre mère a pensé que cela vous rassurerait.
Au contraire, ça me fait peur. (Eponme revient.) BÉVEAU.
Libre à vous, mademoiselle, de ne pas causer, sivous aimez votre mari.
Si je l'aimais. j.e n'aurais pas peur.
BLANMNK.
BÉvEAU, saluant.
BnàNM~ëtMOM~
BÉTEAIT.
BEANBBMr, ëfomtëe.
BÉVKAC.
BLANDME.
BÉVEAU~
BLANMNE.
BLANDINS, éfOtU'dtmCMt.
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Alors,M.Thér6bin?
BLANDINE.
Je ne sais pas, je le connais a peine.
Il est cependant repoux de votre choix.
Du choix de papa et de maman séparément. Quand je vois papa, le vendredi, il me dit M. Thérébin est le gendre que gavais rêvé, il a tontes mes idées et il connaît bien ta mère. Et maman me répète testes jours Il est charmant ce M. Thérébin, il a toutes mes idées, et il connaît bien ton père. Ce mariage sera peut-être la cause d'un rapprochement entre eux.
Ne dites pas ça, monsieur Béveau, surtout ne dites pas ça. (A ~ntne.) Danne~-moL mes souliers. BPONmB.
Je viens de les porter dans votre chambre, mademoiselle.
Vous croyez?
Je l'espère. J'en serais si heureuse 1
Alors, vous vous sacrmez pour vosparents?
N'est-ce pas le devoir d'une ALle?
Si cependant vous aviez~ quelque préférence?
BÉVEAC.
BÉT~UT.
BLANDtNB.
BÉVEAU.
ULANDtNE.
BÉVEAU.
BLANnUUE-
B~VEAO.
BLANDÏNE.
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Eh bien, elle en a une, de préférence, monsieur le jurisconsulte, elle en a une 1
J'en suis sûre. Je m'y connais. Quand M. Thérébin est venu hier, elle baissait les yeux, comme qui dirait par pudeur c'était pour ne pas le voir. Elle en aime un autre, la pauvre demoiselle, et elle ne le dit pas. BEVEAU, à part.
Ne parlez plus. Art. 227. Le mariage se dissout par la mort de l'un des deux conjoints.
Je vous prie de respecter le code. Qui sait le code sait tout! Parle divorce!
C'est bien. Continuez votre ouvrage.
Vous croyez?
Serait-ce moi? (Haut.) Ne me dérangez pas.
C'est bien dur de se sacriaera ses parents. BÉVEAU.
Parbleu cette bêtise en voilà une nouvelle BÉVEAU, sévère.
BLANDINE, en sortant.
BÉVEAU, ÉPONINE.
SCENE III
ÉPONINE.
BÉVEAU.
ÉPONINE.
ÉPONINE.
ÉPONINE.
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Est-ce que le père et la mère de mademoiselle sont sépares depuis longtemps ?
Depuis trois ans. C'est moi qui étais le conseil de M"" Régine t Elle me doit sa séparation.
Madame a trompé monsieur?
Non. C'est une simple incompatibilité d'humeur. Ce sont nos séparés les plus féroces. Madame a des idées rétrogrades et monsieur est un athée pratiquant, c'est assez l'usage dans la moyenne bourgeoisie. Art. 229. Le mari pourra demander le divorce.
Vous aimez le divorce, vous?
Jj l'aime comme avocat d'abord et comme homme ensuite: nous sommes aux premières loges pour épouser nos clientes quand notre éloquence les a charmées. ÉPONINE.
Elle n'a pas divorcé, M"" Réginet?
Pas encore, mais ça ne peut pas durer.
Et alors quand elle aura divorcé, c'est vous qui. BÉVEAU.
Laissez-moi donc travailler. (Le code tombe.) ÉPONiNE amasse le code et le ~ut dcTmp.
C'est ça. la loi ?
ÉPONINE, bOt~SO~ la voix.
ÉPONtNE.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
ÉPONINE.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
ÉPOXINE.
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BÉVEAU.
Oui, c'est çaï Vous me troublez avec vos questions. Je ne serai jamais prêt à midi.
ÉPON'NE.
C'est àmidi et quart, et la mairie est à deux pas d'ici, il n'y a que la rue à traverser. Je n'ai pas encore vu M. Réginet. Est-ce qu'il viendra ce matin?
BEVEAU.
C'est son devoir de père. Sa présence est indispensable.
ÉPOMNE.
Lorsque monsieur et madame vont se revoir, est-ce qu'ils ne se mangeront pas ?
BÉVEAU.
Oh ils se mangeront peut-être, mais le vœu de la loi sera comblé.
(~ travaille.)
SCENE IV
LES MÊMES, 1HÉRÉB!N.
(TTtër~mjMraM & la porte au fond..
ÉPONINE.
Le voilà! le beau fiancé 1
THÉRÉBIN.
Mon peintre est-il arrivé?
ÉPONINE.
Quel peintre, monsieur?
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Mon peintre d'histoire?~ 1m avais donne rendezvpuscheziMbeUe-mèrea~heures.
Je ne l'ai pas vu, monsieur. monsieur fait peindre quelque chose ?
C'est une surprise que ~e ménage! (~perce~ Bëueau.) Tiens, maH-re Béveau!
Monsieur Thérébin 1
Qu'est-ce que vous faites donc là?
Je travaille pour vous
Pour moi ?
Je rédige une consultation sur le divorce.
Heiu?
Que ma cliente veut mettre dans la corbeille de noce. THERÉBK, a/<Mrf.
Pourquoi?
Pour que les futurs sachent à quoi ils s'exposcnt et comment on y remédie.
Dites donc, vous n'êtes pas gai.. vous.
BÉVEAU, s&ÏMa~ sans se dër&n~er.
THERÉBtN, ~ttpë/'att.
THÉRÉBÏN.
ÉPCMNB.
THÉRÉBIN.
TH~RÉ~N.
BETEAU.
THÉnÉBIN.
BEVEAC.
BEVEAU.
BÉVEAU.
TMÉRBBÏN.
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BÉVEAU.
H est toujours bon de savoir. Qui sait le code sait tout. (Écrivant.) Le mari peut demander le divorce pour cause d'adultère de ?a femme.
THÉREBIN.
Comment, d'adultère?
BÉVEAU, gracieusement.
En ce cas, c'est vous qui seriez demandeur?
THÉRÉBIN.
Je serais demandeur. us je serais autre chose aussi et ça ne m'amuserait p; ~savez-vous? On ne parle pas de ces choses-là, le jour. où. non, non, vous n'êtes pas gai.
ÉpONiNE, à part en riant.
J'étoufTe. moi. Il faut que je m'en aille
(Elle se dirige vers la porte du fond.)
THÉREBiN, rarrdfayt~.
Ne partez pas, mademoiselle, je vais avoir besoin de vous. Me trouveriez-vous un mètre ? Je voulais en apporter un. Je l'ai oublié sur ma table.
ÉPONINE.
Je vais voirsila cuisinière en a un. (Elle sort par ~e/bnd.) THÉRÉBIN, revenant à Béveau.
Eusèbe Thérébin, de la grande maison de connse.' rie, Thërébin, Balistrac et C", n'cs~ pas homme à se laisser. oh mais non. et je ne suis pas seulement un industriel vulgaire. je fais un noble usage de ma fortune, je protège les arts, j'ai même un peinlre attaché à ma personne et si, avec ça, je devais. ah! mais non. Quelle drôle d'idée elle a eue ià, belle maman' Vous n'écrirez pas ça.
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BÉVEAU, se levant.
Je vous prie de respecter le sérieux de mon caractère.
THÉRÉBIN.
Du reste, moi, j'adore ma femme. Depuis que je l'ai vue, un dimanche devant Saint-Augustin, j'en rêve Je suis entré derrière elle. J'ai pris une chaise. Elle a une chute de cou. et une taille. Je suis en ébullition depuis ce jour-là. Je me suis arrêté à la porte. En sortant, la mère m'a souri. Je l'ai saluée, et le lendemain, je faisais une visite.
BÉVEAU.
Et le père
THÉRÉBIN. ·
Ils sont séparés
BÉVEAU.
Je sais bien.
THÉRËBIN.
Ils s'exècrent.
BÉVEAU.
Je sais aussi.
THÉRÉBIN.
Alors. J'ai été habile. Vous savez dans le commerce on flatte le goût des clients, et j'ai une chance Je vous confie tout ça, comme à un ami 1
BÉVA.U.
Vous le pouvez. La discrétion est un devoir professionnel.
THÉRÉBIN, CtUCC~rau~é.
J'ai un tic quand je suis ému, je me frotte 1s nez, comme ça. (Il se passe le doigt sous les narines.) i8
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Ce n'est pas désagréable!
Non. Eh bien mon ami, c'est un signe maçonnique Réginet l'a compris.
Il est donc franc-maçon?
Naturellement, puisqu'il a compris. Il paraît que cesigne dit tout. Depuis ce moment, Réginet m'adore, et il ne donnerait pas sa ûlle à un autre qu'à moi. BÉVEAU.
Et il autorise le mariage religieux?
Je ne lui en ai pas parle.
Mais M"" Réginet y compte Que lui avez-vous dit? THÉRÉBIN.
Rien du tout.
C'est du machiavélisme
Mon ami, si j'avais dit un mot à l'un ou à l'autre, tout était rompu, et je suis amoureux.
Mais qua~d ils vont se voir?
Oui, j'aurai moment difficile à passer, mais vous m'aiderez, mon ami, mon bon ami ?
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
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BÉVEAU.
Certes. J'interposerai la dignité de mon caractère. THÉRÉBIN.
Il faut s'arranger pour qu'ils ne s'expliquent pa3 avant le mariage à la mairie; nous n'aurons à les occaper que pendant une demi-heure. J'ai un moyen. BÉVEAU.
Ah!
ÉPONINE, revenant.
Voici un mètre, monsieur I
THÉRÉBIN, le prenant.
Très bien. Ne vous en allez pas Le voilà, mon moyen.
(Il montre le mètre.)
BÉVEAU, allant se mettre à table.
Mais je n'aurai pas nni ma consultation, moi. THÉRÉBIN.
J'ai commandé à mon peintre une série de douze tableaux représentant ma vie entière, clôturée par mon mariage.
BÉVBAU.
Ah! 1
THËRËB N.
C'est gentil. hein?. d'offrir à sa femme le jour de ~es noces
ÉPONINE.
Oh oui c'~st gentU ob 1 pour c~, c'est gentLl ? 2 THÉRÉBIN.
Je pense que cela sumra pour faire diversion, Bas à Béoeau Et une fois que je serai marié légalement, je ne penserai plus qu'à la nuit de n;ces. Je n'ai même
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jamais pensé qu'à ça. Je vais prendre mes mesures. (A Eponme.~ Tenez la chaise pour que je ne tombe pas. Ce serait désastreux en ce moment.
ÉPONINE.
Soyez tranquille, monsieur, je suis forte.
THËRÉBIN, montant sur une chaise et prenant des mesures.
Le peintre accrochera ses tableaux lui-même, mais il faut que je lui désigne des emplacements. ÉPOMNE, tenant la chaise.
Alors, c'est la vie de monsieur?
BÉVEAU, de la table.
Ce doit être intéressant.
THÉRÉB!N, modeste.
Ce n'est pas tout à fait la vie d'un Henri IV, vous ne le voudriez pas Ma:s c'est celle d'un homme honorable, bien posé et fabricant de bonnes pralines et de bons fondants. Je mettrai ici le premier tableau de la série « La naissance de Thérébin. »
ÉPONINE.
Et comment est-ce, monsieur?
THÉRÉBIN.
Elle est traitée en allégorie. (Il trébuche.)
ÉPONiNE, se levant.
Vous allez tomber, monsieur.
BÉVEAU, se levant.
En allégorie ?
THÉRÉB!N, descendant de la chaise.
En allégorie Deux négresses, l'une verte, l'autre grise, représentant la pistache et la vanille, bercent
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l'enfant dans une gousse émnne de cacao. Des anges éperdus s'élancent dans le ciel et y déroulent une banderole sur laquelle on peut lire en lettres gothiques « Tu espouseras Blandine Réginet. n
ÉPONINE.
Ah que c'est bien
BÉVEAU.
Et le peintre aurait pu ajouter Et sa mère sera ta belle-mère.
THÉRÉBIN.
Nous n'y avons pas pensé. A côte, deuxième composition « Thérébin adopte un chien perdu, ou bonté naturelle de Thérébin. n
BÉVEAU.
Est-il indiscret de vous demander comment l'artiste a pu exprimer l'adoption par la peinture ?
THÉRÉBIN.
Avec génie. Thérébin rencontre le chien devant un mur. Sur ce mur, il y a une affiche, et sur cette affiche on lit Cinquante francs de récompense à qui rapportera, etc. Thérébin, de la main droite caresse le chien, et de la gauche il fait un geste de refus indigné à l'affiche comme ceci Jamais Jamais ÉPONtNE.
Ah monsieur, que c'est beau oh monsieur, que c'est beau
THÉRÉBIN.
N'est-ce pas ?
BÉVEAU.
Et ça exprime l'adoption ?
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Qu'est-ce que voulez que ça exprime ?
C'est un jocrisse 1
Où mettrai-je le troisième tableau? C'est un tableau voilé!
Voilé
Voilé! Pourquoi?
Il le fallait! 1
Qu'est-ce que c'est donc?
Titre Thérébin enterre sa vie de garçon.
Et l'on voit l'enterreme n t ?
Non!
Qu'est-ce que l'on voit alors?
Mais la vie de garçon! (Cherchant.) Mais ils ne pourront pas loger dans ce salon. Ils le seront mieux dans la chambre nuptiale.
Ah oui, monsieur, ce sera plus gentil pour mademoiselle.
THÉRÉBIN.
BÉVEAU,àparf.
THÉREBiN, cherchant.
BÉVEAU.
ÉPONINE.
THÉREBiN, pudique.
ÉPONINE.
THÉRÉBIN.
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
ÉPONINE.
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BÉVEAU.
Mais la vie de garçon dans la chambre nuptiale. THÉRÉBIN.
Oh! c'est très chaste! Rien que des bâtons de chaises 1
BÉVEAU, à part.
C'est un crétin!
SCENE V
LES MÊMES, PAUL ASSART, puis DEUX COMMISSIONNAIRES, chargés de tableaux.
(Paul entre triste.)
THÉRÉBIN.
Ah! c'est vous entin. Et mes tableaux?
PAUL, ~ubre.
Ils me suivent.
THÉRÉBIN.
Les douze?
PAUL.
Les douze. La vie complète. (Faisant un signe au dehors.) Venez.
BÉVEAU, qui était p~o~ë dans son code.
Tiens ce cher Paul Assart!
PAUL.
Maître Béveau!
THÉRÉBIN.
Vous vous connaissez ?
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1
BEVEAU.
Beaucoup. Mais M. Paul Assart connaît aussi Mme et M"" Réginet.
= THÉnÉBiN, étonne.
Vous ne me le disiez pas
PAUL.
Il vous fallait vos tableaux à jour fixe, je n'avais pas le temps de causer.
THÉREBI~.
Quel artiste Tout à son art! (Deux commissionnaires chargés de tableaux parenssant au /b~d.) Ah les voilà Dites donc, cher maître, j'ai réfléchi! Je viens d'avoir une idée Nous allons les mettre dans la chambre nuptiale.
PAUL.
Ah! 1
THÉRÉBIN.
Je vais voir si nous aurons l'emplacement convenable. Attendez-moi cinq minutes avec Béveau! Oh! la chambre nuptiale, le soir, au milieu de l'histoire de ma vie Que je voudrais y être Venez, Éponine. ÉPONINE.
Oui, monsieur! Il a l'air tout chose, le peintre! (Elle sort à lasuite de Thérébin et des commissionnaires.)
SCENE VI
BÉVEAU, PAUL ASSART.
BÉVEAu, ahuri, s'approchant de PaM/. C'est un idiot!
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PAUL, /'nneu.<e.
Un idiot, lui! Vous pouvez bien dire deux idiots! trois idiots! l'idiotie même Et quand je pense que ce confiseur, stupidement riche et richement stupide, épouse cette adorable jeune fille. J'en deviens enragé! (Il secoue Bëueau par L'habit.) Enragé, Béveau! BÉVEAU.
Vous l'aimez donc ?
PAUL.
Si je l'aime 1
BÉVEAU, allant s'asseoir à droite.
Je vous demande pardon, cher maître, j'ai un travail urgent.
PAUL.
Je ne vous dérangerai pas, Déveau, continuez. BÉVEAU.
Merci
PAUL, avec exaltation.
Si je l'aime! C'est elle que je fais dans tous mes tableaux. Vénus, madones, nymphes, Madeleines au désert. Partout enfin. Tenez, je l'ai mise encore, ô ironie du sort, dans les douze allégories imbéciles que ce marchand de sucre m'a commandées! Et il ne l'a pas reconnue
BÉVEAU.
La loi nouvelle. Il faudrait là un peu d'éloquence. PAUL.
Et il veut que ce soit moi qui accroche ces insanités dans la chambre nuptiale! Comprenez-vous ça?
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BÉVEAU, sans ~ut répondre.
L'indissolubilité du mariage est condamnée par la nature même.
pAUL,/ttneux.
Mais, je veux y entrer dans leur chambre nuptiale. Je veux voir le lit, leur lit. J'y attraperai peut-être un coup de sang, mais ça m'est égal. ça me fait plaisir de souffrir.
BÉVEAU, de même.
Nous émancipons la femme.
PAUL.
Et je ne lui ai pas dit que je l'aimais!
BÉVEAU.
Mon cher maître, vous êtes un peu agité. Ça me trouble. Je vais achever mon travail dans une autre pièce, (Il se lève et sort ouvrant la porte.) Tiens il y a Victoire
PAUL, reprenant seul.
Non! Je ne le lui ai pas dit Je n'aurais jamais osé! Un peintre qui barbouille pour vivre. la vie entière d'un conûseur, ça ne s'épouse pas.
(Blandine entre du fond à droite.)
SCÈNE ~I!
PAUL, BLAKDINE.
PAUL.
C'est elle 1
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BLANDINE, très gracieuse.
Ah M. Paul Assart! Que je suis heureuse de vous voir aujourd'hui!
PAUL.
Pourquoi, aujourd'hui, mademoiselle?
BLANDINE, naïvement.
Parce que je me marie
PAUL.
J'oubliais de vous en féliciter.
BLANDINE.
Il n'y a pas à m'en féliciter.
PA.UL.
Cependant, votre futur mari est très bien!
BLANDINE.
J'aurais peut-être trouvé mieux pour moi, mais je ne pouvais pas choisir.
PAUL.
Pourquoi donc, mademoiselle?
BLANDINE.
Parce que le mari que j'aurais choisi n'aurait jamais pu plaire à la fois à papa et à maman.
PAUL.
Alors ce n'est pas M. Thérébin que. Si on vous avait laissé choisir.
BLANDINE.
Oh si, monsieur, si. Je suis très contente de l'épouser parce que j'obéis à mes parents, et une jeune fille est toujours heureuse d'obéir à ses parents.
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PAUL, froidement. `
Ce sont des sentiments qui vous honorent, mademoiselle
BLANDINE.
J'espère que vous viendrez nous voir quelquefois, n'est-ce pas?
PAUL, de même.
Mais certainement. Comment donc! avec plaisir. BLANDINE.
Nous resterons avec maman et nous ne quitterons pas cet appartement.
PAUL.
Ah! je le sais, mademoiselle! Je sais tout. Je travaille depuis deux mois pour M. Thérébin.
BLANDINE.
Vous?
PAUL.
Il m'a fait peindre son existence entière pour vous l'offrir.
BLANDINE.
Oh par exemple
PAUL.
Je l'ignorais si j'avais su qu'il s'agissait de vous, j'aurais refusé!
BLANDINE, naivement.
Pourquoi ?
PAUL.
Parce. parce que je trouvais cela.
BLANDINE.
Ah 1 vous trouviez que mon fiancé.
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Pas du tout' Je le trouve très bien. Il protège les arts en commandant sa vie complète, et il gagne beaucoup d'argent dans la sucrerie. Ce n'est pas à la portée de tout le monde.
Je vous aurais cru plus généreux pour moi, au moins.
Pour vous. Oh! pour vous. Je vous ai chagrinée!
A la bonne heure. (Lut tendant la mamj Il me semblait bien que vous n'étiez pas méchant.
Ce n'est rien!
Je ne voudrais pas, à aucun prix.
Oh! non! non (On entend le bruit d'une chute.) BLANDINE.
On est tombé f
C'est lui
Ah! mon Di~u!
B LANDINE, <rès émue.
PAUL, remontant.
PAUL.
PAUL.
BLANDI~E.
PAUL.
BLANDINE.
PAUL.
BLANDINE.
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LES MÊMES, THÉRÉBIN, ÉPONINE, pu~ BÉVEAU.
THÉRËBiN, entrant, soutenu par Époni ne. Vous ne teniez pas bien la chaise 1
Monsieur, elle a craqué.
J'ai le pied foulé! Aïe! Aïe! Ma fiancée 1 Oh 1 pas
devant elle
Vous êtes donc tombé ?
Non, au contraire. (Saluant.) Je suis si heureux de vous voir, ma belle nancée.
Mais vous boitez.
Pas du tout. C'est la joie.Je me dandine. ÉPONiNE, à part.
Il a du courage, le pauvre monsieur
Je ne veux pas être ridicule devant elle! Aïe
aie!Permettez-moi de vous présenter mon peintre PaulAssart!
J'avais déjà le plaisir de connaître monsieur
SCENE VIII
ÉPONINE.
THÉRÉBIN.
BLANDINE.
THÉRÉBIN.
BLANDINE.
THÉHÉBIN.
THÉRÉBIN,àPat~.
BLANDINE.
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Ah! oui! Béveau me l'a dit. Beaucoup de talent. Il expose 1 Charmant garçon 1
Vous souNrez vraiment?
On vous mettra des compresses.
Des compresses Un jour pareil (On sonne.)
Madame m'appelle. f~e sortj
Mon travail est terminé! Tiens! le fiancé qui boite Fâcheux présage
Mais non, Béveau, je danserais, si vous vouliez! Aïe! BÉVEAU.
Il faut aller chercher de l'arnica
Mais ça n'est rien! Ç~ ne sera rien (A Paul.) Soutenez-moi
Avec plaisir.
Mais vous me secouez. Aïe Aïe Aïe (Ils sortent à gauche.)
Il est amusant le fiancé.
BÉVEAU.
THERÉBIN.
BLANDINE.
PAUL.
THERÉBIN.
ÉPONINE.
BÉVEAU, entrant.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
PAUL.
THERÉBIN.
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BLANDINE.
Mais non, monsieur! Il souffre Je vais dire qu'on s'occupe de lui. (Elle sort.)
BÉVEAU.
Voilà qu'elle est émue! Le cœur des femmes est insondable
SCÈNE IX
CÉPIIISE, BÉVEAU, ÉPONINE. CÉPHISE~ entrant suivie d'Éponine.
Béveau! A quelle heure ce monsieur doit-il venir? BÉVEAU.
M. Réginet? Je l'ai engagé par prudence à ne se présenter qu'une heure avant la cérémonie. CÉPHISE.
Une heure! Mais nous avons le temps de nous entredévorer.
BÉVEAU.
J'espère, madame et chère cliente, que vous prendrez sur vous de rester calmes tous les deux. Voici la consultation que vous m'avez demandée. C'est un petit chef-d'œuvre!
cÉPHiSE, prenant.
Merci! (A Éponine.) Vous mettrez ça dans la corbeille. L'idée de me retrouver face à face avec le père de ma fille, me donne des crampes dans le coude. Ah! Dëveau! Après trois ans de bonheur, c'est-à-dire de pure séparation, avoir là, devant moi, et tout un
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jour, M. Réginet, ce type du mari, cette incarnation informe du devoir Voilà un supplice J'en grince à l'avance. (Éponine sort et revient ensuite.)
Vous le haïssez. délicieusement.
Un esprit sec, un cœur étroit, égoïste, un de ces hommes qui n'ont de culte que pour leur propre ventre BÉVEAU.
Rien pour le ventre d'aut! ui 1
Tous les hommes sont les mêmes! Ce que je les connais
Athée comme Rousseau! Franc-maçon comme Voltaire.
Ah! Voltaire! Dieu! qu'il a écrit de jolies choses CÉPHISE.
Taisez-vous, polisson
Où ça se vend-il ?
Ah il est heureux pour Blandine que grâce à votre éloquence, le tribunal m'ait chargé de l'élever jusqu'à son mariage! Mais pourquoi lui accorder un jour par semaine ?
C'est bien peu.
Le misérable a choisi le vendredi pour faire faire 19
ÉPONiNE, à Bducau.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
ÉPONINE.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
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gras a cet ange. Je la marie pour la soustraire à ce martyre. Car c'est un ange, Béveau. Avec son père elle serait devenue une madel-onnette. Mon gendre pourra me remercier du trésor que je lui donne BÉVEAU.
Ah! que je voudrais être le gendre d'une femme aussi belle que vous l'êtes
CÉPHISE.
À quoi cela vous avancerait-il, mon ami? (Allant f't la glace.) Mais si vous croyez que c'est amusant de dresser une fille de faire litière de ses propres aspirations, de fouler son cœur révolté, de réprimcises rêve& de femme, ah! j'ai bien souffert! Mais ennn 1. On pourra du moins écrire sur mon mausolée Ci-gît Céphise Réginet, née Chnmat, mère, épouse, victime du devoir conjugal. Réginet n'a jamais étc beau. Eh bien, mon ami, j'ai toujours été vertueuse, vertueuse jusqu'à l'héroïsme. Pas ça, Béveau, pas ça. BÉVEAU.
Pauvre femme mais c'est fini vous allez cueillirla palme du martyre maternel 1
CÉPHISE, de même.
Non pas encore!
BÉVEAU.
Est-ce que vous comptez prolonger votre surveillance, je veux dire votre dévouement, jusqu'après la cérémonie de tout à l'heure? 2
CÉPHISE.
Cette cérémonie, Béveau, n'est encore que le mariage civil, je dois couvrir ma ûlle jusqu'à l'église; c'est là un devoir auquel M. Réginet se soustrairait peut-être; mais moi, je vais jusqu'au bout. Je n'ai pas
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sucé le lait des matérialistes. Je ne quitterai ma fille que lorsqu'elle partira pour le petit voyage.
ÉPONIXE.
Si madame n'a pas d'endroit préféré, je me permettrai de lui recommander la Corne-;d'Or, à Fontaihebleau, spécialité de nuit de noces. C'est un petit hôtel, pas très connu, bon marché et bien tenu, on y est tout à fait tranquilles, et le principal garçon est mon cousin. Il s'appelle Joseph! Il sera aux petits soins pour les mariés. (Elle h~ remet des cartes J
CÉPHISE.
Merci, Éponine.
ÉPONINE.
J'espère que M. Réginet ne s'y opposera pas ?
CÉPHISE.
M. Réginet ne peut s'opposer à rien. Je l'attends de pied ferme. Puisqu'il doit signer à la mairie en qualité de père, qu'il vienne Puisqu'il doit donner le bras à sa fille devant le peuple, qu'il entre! (Éponine sort par le /b~dJ La loi exige ce rapprochement.
BÉVEAU, vivement.
Elle n'exige pas qu'il soit complet!
CÉPHISE, avec un-grand geste.
Il ne manquerait plus que cela, par exemple! Moi vivante, M. Réginet n'aura que mon cadavre.
EPOxiNE; ren~'et~.
Madame, on monte l'escalier Un gros monsieur que je ne connais pas.
CÉPHISE.
C'est M. Réginet?
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ÉPONINE.
Je ne sais pas. on ne voit que son dos.
CÉPHISE.
C'est lui! (A DëueauJ Prêtez-moi votre canne BÉVEAU.
Mais je n'en ai pas! 1
CÉPHISE, froissée.
Bien gardez-la Mais c'est vous qui allez recevoir M. Réginet. Vous me préviendrez lorsqu'il sera assez calme pour supporter ma colère. (Elle sort.y ÉPOMKE, prenant la canne.
Comme je la comprends Tenez. si c'était moi! Voilà comment je le recevrais. Oh! le voilà! /F~e se sauve à gauche.)
SCENE X
BÉVEAU, RÉGINET.
RÉGiKET, entre de dos comtqitemeTtf, le chapeau sur le coin de Foret~e, une canne à la main e< s'avance sans se retourner.
Avant que je me retourne, madame, répondez-moi 1 Êtes-vous décidée à clore votre bec? Au moindre mot plus haut que l'autre. je vous en avertis, je ne réponds plus de moi. (Il.brandit M canne.)
BÉVEAU, parant avec sa canne.
Donnez-vous donc la peine de vous asseoir, monsieur Réginet, vous êtes chez vous.
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Vous êtes seul, Béveau?
Oui.
Comment?. Vous êtes seul et vous ne me prévenez pas?
Du calme C'est l'affaire d'un quart d'heure RÉGINET, se retournant.
Vous en parlez à votre aise un quart d'heure de Céphise, c'est un quart d'heure au Jardin des Plantes, dans la cage aux serpents
Ah! 1 monsieur! comptez-vous donc pour rien la splendeur de sa maturité ?
C'est donc que vous les aimez blettes, Béveau! Je ne sais pas si je mourrai avant elle, mais ne l'épousez pas, Béveau, c'est le conseil que je vous donne.
Je n'en avais pas l'intention!
Atrabilaire, despote, superstitieuse, jalouse, bigo'e, insatiable, ignorante, bavarde, chipoteuse et folle, les dix doigts. Tenez, Béveau, je n'ai jamais eu de jeunesse. Et pourtant j'ai des passions violentes. Je m'en aperçois depuis que je n'ai plus ma femme mon sang rebouillonne. Je fais des vers.
C'est grave
RÉGiNET, comptant sur ses doigts.
RÉGINET, sans se retourner.
BÉVEAU.
RÉGINET.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
RÉGINET.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
------------------------------------------------------------------------
Mais aujourd'hui, toute la journée, je suis père, rien que père. Ma fille est adorable, n'est-ce pas ? BÉVEAU.
Adorable 1
Vous avez vu mon gendre
C'est un cré. Oh! il est très bien!
Libre penseur, franc-maçon, tout ce qu'il faut pour la rendre heureuse.
Vous êtes franc-maçon, monsieur Réginet ? · RÉGINET.
IIëlas! non J'aurais voulu l'être! Mais mon gendre m'a fait un signe maçonnique. (Il le fait.) Je l'ai reproduit! et il m'a compris. Ça me suffit. Ce qui m'étonne! c'est qu'il ait pu plaire à ma femme. BÉVEAU.
Il faut se faire des concessions. Je vais prévenir M"' Réginet.
Déjà! Mon vieux cœur, contiens-toi 1
REGINET.
RÉGINET.
BÉVEAU.
REGINET.
BÉVEAU.
REGINET.
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SCÈNE XI
Las MÊMES, CÉPHISE.
BÉVEAU, va à la porte et cogne du doigt.
Madame! 1
CÉPHISE, à rtntëneur.
On n'entre pas. Elle n'est pas prête, qu'on attende. BÉVEAU, Il la porte.
C'est vous qu'on demande, madame Réginet cÉPHYSE, entre-odtitant porte.
Quoi? (Elle aperçoit Réginet.) Horreur! (Elle referme.)
BÉVEAU, & porte.
Il est temps, madame Les témoins vont arriver avec les voitures. Venez 1
CÉPHISE, très e~rat/ëe.
Tenez-moi. Tenez-moi ferme!
BÉVEAU.
Je ne demande pas mieux. Venez. ne craignez rien. Je serai là tout le temps. ~ène au milieu de la scène et va chercher Ré~efJ Monsieur Régmet, votre main, là, doucement, ne regardez pas. Bien 1 (Il prend la main de Céphise et runtt à celle de Réginet. Tous deux en se touchant retirent leurs mains v.:olemment et reculent loin l'un de l'autre.) Choc électrique fApartJ Il faut ouater rentrevue! (Haut.) Voyons! monsieur Rég'net, n'ayez pas peur Voyez, monsieur, comme elle est encore belle 1
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Madame et honorée cliente (A TïëotnetJ Ma chère partie adverse. Ce jour est le plus beau des jours Le code sourit à la vue des familles unies. Si quelques légers nuages.
RÉGINET, regardant sa montre.
Si des nuages légers et déjà dissipés ont obscurci un instant.
La Concorde, mère de la paix, a dit Cujas.
Je vois que je suis inutile. je me retire. J'ai fait mon devoir, tout est ouaté. (Il sort à gauche.)
RÉGiNET, la regardant du coin de ~oe~.
Elle a doubla Il y en a deux pour une, voilà tout! CÉPHISE.
Poivre et sel A quoi faire ?
Est-il bientôt l'heure, Béveau ?
Vous avez encore dix bonnes minutes.
Je suis venu trop tôt. (Il s'en va d'un autre côté.) BÉVEAU.
Les voitures font en bas, Déveau?
Oui, Béveau, oui.
BÉVEAU, à Céphise.
BÉVEAU.
RÉGINET.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
RÉGINET.
BÉVEAU.
------------------------------------------------------------------------
SCËNË XH
RÉGINET, CÉPHISE.
RÉciNET, de loin, rageur.
On se tromperait étrangement, madame, si on croyait que par ma présence, je reconnais avoir eu le moindre tort. Pas un Pas un (Il s'assied à droite.)
CÉPHISE, même jeu de ~au/re côté.
On se glorifie, monsieur, de ce qui est arrivé, on mourra plutôt que de'céder! On est heureuse! heureuse (Elle s'assied.)
RÉGINET.
Certes Il fallait un événement tel que celui-ci pour que l'homme qui s'appelle Réginot consentit à l'acte pusillanime qu'il connaît en ce moment. Mais il n'a qu'une fille, ce Régine!, une seule, et c'est fichtre bien assez!
CÉPHISE.
Celle qui répond au nom de Céphise et dont le nom de famille est Chomat. saura ajouter ce nouveau sacrifice à tous les autres. Céphise Chômât ne pardonne pas, elle subit.
RÉGINET.
Je ne vous demande qu'une seule chose. Le jour est grave, l'heure est solennelle, et l'on nous regarde 1 CÉPHISE.
Je n'avais pas besoin de cette leçon Je serai digne comme il convient à une mère'
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RÉGINET.
Il y a des femmes qui retrouveraient au fond dè leurs souvenirs des heures. plus que des heures. peutêtre. où, l'illusion aidant. on s'est cru l'un à l'autre. Mais ces femmes-là sont rares et maigres.
CÉPHISE.
Ma grand'mère avait connu des hommes que le seul aspect de leurs filles rajeunissait encore. sous les cheveux blancs. (Avec émotion.) Ma pauvre grand'mère, elle est morte.
RÉGINET, ëmu.
Pauvre bonne femme! C'est pourtant elle qui nous a mariés C'est la seule erreur de sa vie 1
CÉPHISE.
Ah! si on lui avait dit que sa petite Céphise resterait un jour pendant trois ans à la fois veuve et mère, et stupidement fidèle f~ refour~an~J Oui, monsieur! fidèle comme une oie.
RÉGiNET, continuant.
Et que son cher Réginet, son Réginet aux cheveux bouclés en serait réduit à chercher dans la gastronomie un dérivé à toutes ses tendresses méconnues Qu'est-ce que je fais depuis trois ans? Je mange 1 CÉPHISE.
Moi, j'ai élevé ma fille. notre fille. votre fille Ta nlle misérable 1
RÉGINET.
Pardon! Est-ce que j'ai eu un nls à élever, moi?. A l'heure où je parle, il serait peut être, oui, madame. ambassadeur. Mais ça ne se fait pas tout seul, un fils
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Est-ce que vous aviez songé à m'en imposer d'autres, monsieur Réginet?
Mais certainement. mademoiselle Chomat. (Entre Thérébin.)
En tête à tête! Et on ne m'avertit pas! Ils vont s'avaler. Il faut que je les sépare. (A Céphise.) Hum 1 Belle-maman 1
Ah! 1 c'est vous? Savez-vous ce qu'il me veut, votre beau-père? Douze enfants!
Non pas. C'était à vous à me les demander 1 CÉPHISE.
A vous les ?. A les lui?.Oh! 1
LES MéMEs, THÉRÉBIN, puis BLANDINE. THÉRÉBIN.
Pourquoi pas ?
Fat, va
Non, beau-père, non. Elle exagère. calmez-vous.
CÉPHISE. sans l'écouter.
THËRÉBiN, à Réginet.
CÉPHISE.
RÉGINET.
RÉGINET.
SCÈNE XIII
RÉGINET.
CÉPHISE.
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Est-ce que mes moyens ne me permettent pas de les élever? Vous avez une dot énorme, Thérébin!
Qui vient de la mienne.
Je l'ai fait fructifier, madame, par mes sueurs! CÉPHISE.
Vous n'avez fait fructifier que ça?
Madame
Monsieur
Belle-maman, je vous en prie. un si beau jour. Pensez au pardon des injures. Vous vous souvenez bien, à Saint-Augustin?.
Je ne me rappelle rien du tout.
Quel souvenir! C'est la première fois que j'ai vu votre fille, cette fleur de grâce voix basse) et de piété.
Silence devant. ce Turc sans conviction?.
Beau-père, je vous en prie, un si beau jour
Je ne veux pas, devant mon gendre, être appelé Turc sans conviction. Non, non, je ne le. (Thérébin lui fait
THÉRÉBIN, entraînant Céphise.
THÉRÉBIN.
RÉG1NET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
RÉGINET.
CÉPHISE.
CÉPHISE.
THÉRÉBIN.
CÉPHISE.
RÉGINET.
------------------------------------------------------------------------
le signe. Réginet refroidi.) Bien, j'ai compris. (H se frotte le nez.) Mais nom d'une culotte de bronze
THÉRÉBIN.
Il vont recommencer Je cours chercher Blandine 1 (Il va a la chambre de Blandine.)
CÉPHISE.
Eh bien, je l'attends, la culotte de bronze
RÉ&tNET.
Madame
CÉPHISE.
Monsieur 1
BLANDINE, ett~ont ef courant à ses parents.
Ensemble! et d'accord! Oh! quel bonheur! Vous vous aimez maintenant. Vous êtes si bons, chacun à part.
CËPHISE.
Embrasse ton père, mon enfant.
RÉGINET.
Non, ta mère d'abord.
BLANDINE.
Eh bien, tous les deux à la fois, voulez-vous ? RÉGINET, (t Céphise.
Non choisis.
BLANDINE.
Puisque c'est comme ça, ni l'un ni l'autre. Je m'en. vais.
RÉGINET ET CÉPHISE, retenant.
Reste
BLANDINE.
Je ne veux pas choisir. C'est vous qui m'embrasserez. Que celui qui m'aime le pius commence.
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C'est moi-.
Lui? Est-ce que c'est lui qui t'a mise au monde, allaitée, sevrée, mise au piano et aux arts d'agrément? Est-ce que c'est cet homme qui t'a élevée, ingrate? BLANDINE.
Mais, maman.
Va, va, embrasse d'abord celle qui t'a accaparée, oui madame, accaparée. Sur sept jours de toi, elle en avait six. et ton pauvre père un. Va, tout pour elle. BLANDIXF.
Mais, petit papa.
C'est ma ûlle, madame.
En est-elle moins la mienne, monsieur?
Ils ne se lâchent pas. Mon grand moyen. (~ftu~. Beau-papa, belle-maman, je vous ai préparé une surprise. Si vous voulez me faire l'honneur de passer dans la chambre nuptiale, j'y ai fait suspendre par un peintre à moi douze compositions représentant ma vie complète, y compris ce qui la couronne, mon mariage. RÉGIXE'i'.
Est-ce qu'on y voit ma femme?
De dos! oh! de dos seulement!
De dos elle ne me gêne pas.
RÉGINET ET CÉPH1SE.
THÉRÉB!N, aux CCU~ coups, (t part.
CÉPHISE.
RÉGI~ET.
RÉG!NET.
CÉPH1SE.
THÉRÉBIN.
RÉGIKET.
------------------------------------------------------------------------
Est-ce qu'on voit mon mari dans votre vie complète? THÉRËBIN.
De dos seulement.
Pas de face.
Ce n'est pas la vie d'un Henri IV, vous ne le voudriez pas.
Tu n'es pas coiffée à ton avantage, mon enfant. Non, j'aime mieux tes cheveux du vendredi. Je regrette que l'on t'ait empêchée de choisir ta coiffure du vendredi. C'est la seule, à mon gré, qui t'aille.
J'ai encore le temps, papa.
Fais-moi le plaisir de ne pas bouger. Tu es admirablement coiffée.
Madame 1
Monsieur
Voilà que ça recommence
REGRET, !'t~en-ompt~ à Blandine.
THÉRÉBIN, cont inuant.
cÉpmsE, se levant.
THÉnÉRiN, ù par~.
cÉpmsE.
CÉPHISE.
BLANDIXE.
CÉPHISE.
IŒGINET.
------------------------------------------------------------------------
Las MÊMES, PAUL ASSART.
Il vient de m'arriver un accident.
Oh'PaulAssart!
J'ai crevé la banderole
« Tu espouseras? Oh (A Céphise.) Mais ça se recolle 1 PAUL, apercevant Réginet.
Tiens, le baron
Chut! pas ici!
Hein, quoi, baron?
Vous êtes baron ?
Non, je n'ai pas cet honneur. Non, monsieur se trompe. Il y a de ces ressemblances! Tenez, sans lorgnon, je ne suis que Jean-Baptiste Réginet. Avec lorgnon, je vous ai paru noble. Je crois que l'heure est venue. c'est l'instant solennel. Debout, tous! (tous se dressant) et n'oublions pas que le temps est de l'argent pour les magistrats. Le maire attend l'écharpe au sein.
SCÈNE XIV
PAUL, entrant.
RÉGINET, à part.
PAUL.
THÉRÉBIN.
RÉGINET, bas.
CÉPHISE.
THÉRÉBIN, à Réginet.
RÉGINET.
------------------------------------------------------------------------
Mon gendre
H est d'usage que ce soit le père qui donne le bras à sa fille.
Et la mère à son gendre.
Partons
Mais la mère sort la première.
Je ne crois pas, madame
Si, monsieur.
Non, madame. Je m'en rapporte à mon gendre. THÉRÉBIN.
Non!
Vous dites! (Ils disparaissent.)
Cette petite Victoire est charmante. Plus personne. Est-ce qu'ils se sont mangé??
PAUL, ÉPONINg, BÉVEAU.
SCÈNE XV
BÉVEAU, entrant.
CËPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
RÉGINET.
20
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Pourquoi donc?
Parce qu'il ressemble à une personne de mes amis, le baron de Carabasse.
Non, monsieur, ils viennent de partir pour la mairie. BÉVEAU.
sans moi Ils m'ont oublié. (Il se sauve.)
Ce gros monsieur qui donne le bras à M"' Réginet? ÉPONINE.
C'est M. Réginet.
Ta parole?
Oui, monsieur.
C'est le père de Blandine?
C'est le père de M"' Réginet.
Ah! que c'est drôle! Ah! mon Dieu que c'est drôle! 1 ÉPOMNE.
Carabasse. C'est un joli nom.
PAUL, ÉPONINE.
SCÈNE XVI
ÉPONINE.
PAUL.
PAUL.
ÉPONINE.
PAUL.
ÉPONINE.
PAUL.
PAUL.
ÉPONINE.
------------------------------------------------------------------------
Ah! qu'il est bon de rire, quand on a du chagrin. C'était M. Réginet.
Je veux dire c'est étonnant comme ils se ressemblent. au physique. car au moral.
Il parait que M. Réginet est un être abominable. Madame dit qu'il a sucé le lait de Voltaire.
Le baron, lui, a sucé le lait de Florian, et il est superstitieux comme sa maîtresse, qui est Espagnole. Et il lui a promis de l'épouser. Pauvre Gudule ÉPONINE.
Non oh non. Mais je crois qu'elle commence à avoir des soupcons, elle le guette. (Entre Gudule.)
Qui est célibataire
Ah! mon Dieu, M. Réginet c'est tout comme 1 PAUL.
Et qui est amoureux d'un de mes modèles.
Ah! ah!
Comment
Et il ne l'épousera pas.
PAUL.
ÉPONINE.
ÉPONINE.
PAUL.
ÉPONINE.
PAUL.
ÉPONINE.
PAUL.
PAUL.
------------------------------------------------------------------------
SCÊCŒ XVII
ÉPONINE, GUDULE, PAUl~.
GUDULE, en~ra~.
Pardon, est-ce ici la femme honnête?
PAUL.
Oh! c'est elle!
ÉPOMNE.
Quelle femme honnête, madame?
GUDULE.
J'ai demandé à la concierge quelle était la femme honnête de la maison, elle m'a répondu Voyez au deuxième. Eh bien, m'y voilà, au deuxième
PAUL, s~uançant.
Il y a peut-être un entresol, mademoiselle Gudu:c. GUDULE.
Tiens, Paul Assart! Qu'est-ce que vous faites do.tc ici!
PAUL.
Et toi?
GUDULE.
Moi? Je viens pincer le baron de Carabasse!
PAUL.
Le pincer? 2
GUDULE.
En flagrant délit de blague.
PAU t..
Oh! le pauvre baron!
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GUDULE.
Depuis quelque temps il était tout chose. Il m'a dit avant-hier qu'il partait pour Londres.
PAUL.
Eh bien, c'est tout simple, ça.
GUDULE.
J'ai couru chez ma somnambule particulière. Elle est extra-lucide.
PAUL.
Tu y crois, à ta somnambule?
GUDULE.
Si j'y crois! Elle a failli me faire gagner le gros lot. Il ne s'en est fallu que d'un chiffre, mon cher. Elle m'a dit Mène-toi, Gudule, mène-toi. L'homme que tu idolâtres est une canaille. Il te lâchera pour épouser une femme honnête.
PAUL.
Elle se fiche de toi, ton extra-lucide.
GUDULE.
Attends. Le baron n'est pas à Londres. On l'a vu ce matin avec une cravate blanche.
PAUL.
Eh bien, il allait prendre le chemin de fer.
GUDULE.
En cravate blanche? Est-ce qu'on voyage en cravate blanche maintenant ?
PAUL.
Oh! Tu sais, en Angleterre. C'est une monarchie. Il y a une tenue.
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Fiche-moi donc la paix.
Et puis ça impose le respect aux employés des chemins de fer. La cravate blanche est le premier symptôme de la décoration.
Eh bien, je l'ai fait suivre, le baron. Je l'ai fait suivre par un enfant exilé des montagnes et sais-tu ce qu'il m'a dit (Imitant le p~rïer auvergnat.) Cha n'est rien pour chette fois, mademoichellè, il n'est que chez une femme honnête
Où est-elle sa femme honnête que nous nous assommions un peu toutes les deux.
C'est qu'il m'a promis de m'épouser, tu sais, il me l'a promis.
Pourquoi vient-il chez une femme en cravate blanche avant midi?
Tu parles toujours sans m'écouter.
Mais si, au contraire, je t'écoute.
Te voilà donc rachurée?
Voyons, calme-toi.
Eh bien, si tu as sa parole.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL. l'
GUDULE.
------------------------------------------------------------------------
Si tu étais venue dix minutes plus tôt, tu l'aurais vu en fonction, dans l'escalier.
Parce qu'il est témoin?
Témoin de quoi?
Témoin d'un mariage.
Allons donc 1
Eh bi~n, mon ami, cette idée ne m'était pas venue. PAUL.
Les bonnes idées ne viennent jamais seules. GUDULE.
Je n'en ~is pas, je rêvais de choses bêtes, des couteaux oix, des salières renversées, des glaces cassées, d auves-souris. Tout ce qui porte malheur enfin. A~ se marie pas lui-même? PAUL.
Je te j J
Sur ~t
8~ ÏA! a '<tC vage: 1
Et tu < ~t .~me ?
S< que je le jure?
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
GUDULE.
GUDULE.
PAUL.
PAUL.
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Ah! mon petit! mon petit, que tu me fais plaisir! Embrasse-moi.
A ton service.
Pourquoi donc que tu ne m'as jamais fait la cour ? PAUL.
Pour ne pas te faire perdre ton temps.
Tu le peux, à présent. puisque je me marie. PAUL.
Je n'y pensais pas.
Si madame a besoin d'un hôtel tranquille. où il n'y a pas trop de monde. dans les bois. (Elle lui o/yyedes
cartes.)
cartes.) GUDULE, & Éponine.
Dites donc, petite, allez donc voir à la cuisine si vous y êtes.
Bien, madame! (Elle sort.)
Tiens, elle est drôle 1
La Corne-d'Or, à Fontainebleau 1
Dites donc, Paul?
Quoi?
1 PAUL.
GUDULE.
GUDULE.
GUDULE.
ÉPONINE.
ÉPONINE.
GUDULE.
PAUL, lisant.
GUDULB.
PAUL.
------------------------------------------------------------------------
Si nous y allions.
Et le baron? qui t'adore.
Tiens, oui, je l'oubliais.
Pour rien au monde, je ne voudrais tromper le baron.
Oh! à la campagne. du plein air!
Ni en plein air, ni en clair-obscur.
Que t'es bête
Je respecte toujours mes modèles.
Peintre intentionniste, va
Des mots, alors
Tu me fais poser dans un costume d'un décolleté. PAUL.
Diane chasseresse. C'est classique.
Des jupes longues comme ça, et encore le vent les soulève.
Parce que tu cours.
&UDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
&UDULE.*
PAUL.
&UDULE.
GUDULE.
PAUL.
------------------------------------------------------------------------
GUDULE, a~antA~c/iemmëe.
Ce n'est pas que je le trouve beau, le baron, mais ça me fera une position. Baronne de Carabasse! Tu m'as décoiffée, tu sais 1
SCÈNE XVIII
LES MÊMES, RÉGINET.
RÉGINET, emmitoufle dans des cache-nez.
Nous sommes retardés par un divorce. J'ai pu m'échapper cinq minutes. J'ai vu rôder Gudule. (Il s~rrête en voyantGudule.) Elle est ici! Je suis pincé GUDULE.
Le baron
RÉGINET.
Oui, oui, c'est moi. vous voyez. tu vois.
GUDULE.
Vous n'êtes donc pas à Londres, monsieur de Carabasse ?
RÉGINET.
Mais si. tu vois.. du moins.
PAUL, intervenant.
J'ai tout expliqué à madame.
RÉGINET.
Parbleu. c'était si simple.
PAUL.
On devait se marier à Londres r
RÉGINET.
Voilà.
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PAUL.
Et on ne s'y marie pas
RÉGINET.
Ça arrive tous les jours.
GUDULE.
Je vous emmène, alors.
RÉGINET, même jeu.
Mais ce n'est pas fini. On est retardé par un divorce. Je ne sais pas ce que dure un divorce.
PAUL, à Gudule.
Laissez-lui au moins achever sa corvée.
RÉGINET.
Oui, ma corvée.
PAUL.
Quand on est témoin.
RÉGINET.
N'est-ce pas ? Quand on est témoin.
GUDULE, s'asseyant.
Alors, je vous attends.
RÉGINET, effrayé.
Pas ici. (A Paul.) C'est que je ne peux pas rester. PAUL.
Que ferait-elle ici?
GUDULE, séuère.
Je surveillerai le baron de Carabasse.
RÉGINET.
Pourquoi me surveiller ?
GUDULE.
Parce que j'ai de la méfiance. On ne se cache pas
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d'être témoin. C'est honorable. (Menaçante.) Il y a du louche, du louche.
Quelle idée Où en vois-tu du louche? (Bas à Paul.) Aidez-moi donc.
Voyons, Gudule, c'est bête, tu chagrines ce pauvre baron, il ne demande qu'à rester à tes genoux.
Pas autre chose, tu le sais, mon ange. Va m'attendre chez toi.
Non, je ne peux plus y rester chez moi.
Pourquoi? (Regarde sa montre.) Déjà dix minutes. GUDULE, s'étirant.
Je m'ennuie. J'ai la névrose. la grande névrose. (Elle se tord.) J
Oh pas ici.
J'ai du vague à l'âme. Emmène-moi à Fontainebleau.
Hein?
A l'hôtel de la Corne-d'Or.
En voilà une idée 1
RÉGINET, a pat<.
RÉGINET.
PAUL.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
------------------------------------------------------------------------
Je vais arranger cela. (A Réginet.) Vous, courez marier vos gens.
Oui, oui, c'est ça.
Pendant ce temps-là, j'accompagne Gudule chez Bignon.
Ah! oui, oui.
Chez Champeaux, c'est plus campagne.
Vous nous rejoignez.
Jamais.
Taisez-vous donc.
Le jour où je marie ma fille.
Je vous quitte après le café et vous allez à la Corned'Or.
Jamais
Je vous en débarrasse. (J~ut.) Maintenant, allez où le devoir vous appelle.
Oui. ~[n'~an~ Tu permets, n'est-ce pas ? (Bas <t rau~ Vous vous rappelez mon nom? Baron de Cai\-
PAUL, à Réginet.
RÉGINET, de même.
PAUL, continuant.
RÉGINET, s'ë~nçanf.
PAUL.
RÉGINET.
PAUL.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET, bas.
PAUL.
RÉGINET.
PAUL.
------------------------------------------------------------------------
basse pour elle. Agénor de Carabasse. Ne vous trompez pas. Et Réginet ici. Carabasse là-bas et Réginet ici. PAUL.
Soyez tranquille. (Réginet sort.)
SCÈNE XIX
PAUL, GUDULE, ÉPONINE.
GUDULE.
C'est égal, il est bizarre! Il y a du louche. du louche. du louche.
PAUL.
Il n'a peut-être pas l'habilude d'être témoin. C'est très difficile. Il y en a qu'on paie.
GUDULE.
Non, décidément, il est bizarre.
PAUL.
Nous allons chez Champeaux, hein ?
GUDULE.
Tu sais, je pose, mais je n'aime pas qu'on me fasse poser. Quand on me fait poser.
PAUL.
Eh bien, s'il le trompe, tu te vengeras.
GUDULE.
Mais je me vengerai bien sans. ça.
PAUL.
J'aurais quelque scrupule à tromper Carabasse, mais pourtant, au dessert, s'il était gris.
------------------------------------------------------------------------
Scélérat. Oui hein, nous le griserons. Tu me laisseras commander les vins. Je connais ceux qui le démoralisent.
Viens vite.
Non, c'est trop farce Ma névrose fiche le camp. PAUL.
Faisons comme elle.
Voilà la noce
Fichtre! où est l'escalier de service?
Tenez, par la chambre des futurs.
Passons par là.
Pourquoi?
C'est plus court. Il y a un étage de moins. (Sortent par la gauche.)
Ah il était temps.
GUDULE, dansant.
ÉPONiNE, terrant.
GUDULE.
PAUL.
PAUL.
ÉPONINE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
ÉPONIXE.
------------------------------------------------------------------------
ÉPONINE, RÉGINET, CÉPHI8E, THÉRÉBIN, BLANDINE, BÉVEAU. (Entrent sans rien dire. Blandine au bras de T~ërëbm, Céphise au bras de Réginet, pleurant fous.)
Pourquoi pleurons-nous?
Je ne sais pas.
On pleure toujours dans les mariages. et puis, l'émotion. Gudu. le calorifère, cette lecture du Code! Quand j'ai signé tout tournait.
C'est bon l'émotion 1
Oui, c'est bon
Délicieux 1
Je n'ai pas envie de pleurer, moi, mais ça m'est égal. BÉVEAU.
Est-ce bète un homme de loi qui pleure
Ça doane envie de se marier. (Effusion générale.)
THÉRËBiN, après un temps.
SCÈNE XX
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
HÉGINET.
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
ÉPONINE.
------------------------------------------------------------------------
Ne soyons pas égoïstes, chère amie. N'entravons pas le bonheur de ces enfants. Souvenons-nous 1 CÉPHISE.
Tu vois, je fais le possible.
Oui, mais laissons-les seuls tous les deux. BLANDINE, e/~rot/ëe.
Ah! mon Dieu' Déjà!
Du courage, chère madame.
Mais non. mais non. Il faut attendre le mariage religieux.
Aïe!
Vous dites, madame Rëginet?
Je dis qu'il reste le mariage religieux.
Mon gendre ne va pas à l'église.
Le mien y va.
Il serait la risée de nos coreligionnaires.
Ça c'est son anairc.
BÉVEAU, à Céphise.
THÉRÉBiN, a part.
RÉGiNET s'auance menaçant.
RÉGINET.
RÉGINET.
CÉPHISE.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGtNET.
CÉPHISE.
21
------------------------------------------------------------------------
Parlez, vous C'est à vous à parler.
Mais. mon Dieu, si c'était une toute petite église. RÉGINET.
Vous canez?. (Il fait le si~tM.)
Non!
Aujourd'hui, il est trop tard!
Il faudra attendre à demain.
Demain, c'est un dimanche.
Deux jours Tonnerre 1
Bravo!
Monsieur, on ne jure pas chez moi. Sortez 1
Comment que je sorte, elle est forte celle-là. Mais je veux ma femme 1
Prenez-la, Thérébin, je vous l'octroie.
Ne touchez pas à ma fille.
Ma chère cliente 1
RÉGixET, à rhërëbm.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
CÉPHISE.
THÉRÉBIN.
CÉPHISE.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
CÉPHISB.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
CÉPHISE.
BÉVEAU, à Céphise.
------------------------------------------------------------------------
Courez me chercher une voiture.
Ce n'est pas légal. Mais c'est amusant. (Il sort en courant.)
Consultons au moins Blandine.
Appelez-la mademoiselle, je vous prie.
Et la loi?
La loi ne compte pas pour une mère.
En voilà une qui défendle sexe, au moins. (Elle sort en courant.)
Je veux ma femme.
Vous n'en avez pas. (Pousse Blandine e< ferme lu porte.)
Elle l'emmène.
Eh bien ramenez-la
CÉPHISE, à Béveau.
THÉRÉBIN.
La porte est fermée 1
Ouvrez-la.
RÉGINET.
BÉVEAU.
THÉRÉBIN.
CÉPHISE.
THÉRÉBIN.
CÉPHISE.
ÉPONINE.
THÉRÉBIN.
CEPHISE.
THÉRÉBIN.
RÉGtNET.
------------------------------------------------------------------------
Fermée à clef. (Allant à Réginet.) Le temps passe. et vous ne bougez pas. nÉGINET.
Est-ce que ça me regarde, moi. Je vous donne ms fille, prenez-la. culotte de bronze
Mais je ne peux pas. on nous enferme.
Comment, on nous enferme?
Enfermés.
Nous sommes enfermés.
Ce3 dames vont à Fontainebleau
11 faut les en empêcher.
Mais comment sortir?
Il faut enfoncer la porte.
Cela ne va pas être long.
Eh bien est-ce fait?
Mais je ne peux pas, beau-père.
Comment vous ne pouvez pas enfoncer une porte? un j our comme celui-ci! Et ça se dit franc-maçon! Culotte de bronze.
(Il le pousse, la porte cède.)
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
ÉPON1NE.
RÉGINET.
THÉRÉBIX.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
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ACTE DEUXIÈME
Hôtel de la Come-d'Or à Fontainebleau. La pièce centrale d'un hôtel de province, sur laquelle s'ouvrent six portes latérales, numérotées 1, 2, 3, t, 5, 6. Porte au fond.
SCÈNE PREMIÈRE
JOSEPH, puis UN CHASSEUR.
JOSEPH, seul.
Onze heures et demie. H reste le direct de minuit et l'omnibus de minuit trente-cinq. Je vais baisser le gaz en attendant. (Il monte sur une chaise e< baisse le gaz.)
UN CHASSEUR ouvre une porte et (ait tomber &~u!/a)nmcn/ ses bottes.
Oh! on é!eint le gaz! Il ne viendra plus personne. Tant mieux! Je vais pouvoir dormir! (A Joseph en ~ut montant ses boMes.~ Pour quatre heures du matin, n'est-ce pas, mes bottes?
JOSEPH.
Oui, monsieur le comte Comme d'habitude
------------------------------------------------------------------------
LE CHASSEUR, remontai. `
Joseph! J'ai enfin trouvé le terrier de mon lapin. Il ne faudrait pas qu'il fût éveillé avant moi. Pensez-y. JOSEPH, à part.
Crânement ennuyeux, ce chasseur! Il ne vient que pour dormir 1
LE CHASSEUR.
Garçon. s'il vient des voyageurs, ne mettez personne à côté de moi. Je vous donnerai six sous. JOSEPH.
Merci, monsieur-le comte! (A p~ Grigou! va 1 LE CHASSEUR.
Et j'ajouterai quinze centimes, si vous voulez arrêter le coucou! Quand il chante les heures, il me réveille. Coucou. coucou.
JOSEPH.
Il me réveille aussi, moi, cet animal d'oiseau. l arrête le coucou.) Voilà! Ça y est!
SCÈNE II
CEPHISE, JOSEPH.
cÉpmsE entre sous un voile, /tés~a~e.
Il n'y a personne?
JOSEPH, rallumant le gaz.
Voilà, madame, je suis à vous
CÉPHISE, toujours gfende.
Avez-vous des appartements librea?
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JOSEPH.
Madame désire une chambre ?
CÉPHISE.
Oui, monsieur, s'il est possible.
JOSEPH.
Quel genre de chambre ?
CÉPHISE.
La plus modeste me suffira.
JOSEPH, àpart.
Oh! oh! une bourgeoise honnête. pas le sou. U faut la renvoyer. (Haut.) Je vais tout dire à madame. L'hôtel a une spécialité. Nous n'aimons pas les femmes isolées, cela fait mauvais effet en province 1
CÉPHISE, perdant la Mte.
Mais je ne suis pas une femme isolée 1.
JOSEPH.
Madame n'est pas seule ?
CÉPHISE.
Mon Dieu, je vais vous dire.
JOSEPH, changeant de ton.
Oh! alors, madame, c'est autre chose. si madame attend quelqu'un. Je demande bien pardon à madame d'avoir pu me méprendre (A part.) C'est une adultère (Haut.) Je vais conduire madame au 5. Le 5 est est la meilleure chambre de l'hôtel, capitonnée. chaude! C'est un petit nid. Notre clientèle n'en veut pas d'autre. Si madame veut attendre un instant ici, je vais aller l'aérer un peu. (Il sort avec la lumière.)
------------------------------------------------------------------------
SCENE III
CÉPHISE, puis BÉVEAU, puis BLANDINE, puis JOSEPH.
CÉPHISE, seule.
La voilà donc cette Corne-d'Or où rien de ce qui est écrit ne sera consommé. La Providence a pris les traits d'Éponine, une humble servante, pour me conduire dans cette solitude de province. C'est ici qu'on verra ce que peut le Code contre une mère, résolue à ne pas livrer sa fille à un marchand de berlingots. C'est ici qu'il va la danser, l'article 148. Si j'étais partie avec Blandine, comme l'eussent fait toutes les mères, quand on aurait demandé dans la gare, à l'octroi, aux buffets Avez-vous vu passer une mère et sa fille2. C'était fini nous étions pincées. (Elle marche.) Ah! Jean-Baptiste Réginet! la lionne, née Chomat, est déchaînée! (Montrant la rue.~ Elle est là, ta fille, là. à vingt pas derrière moi, sous la garde de l'austère Bévcau! Ils me suivent Je les ai précédés, pour ne pas avoir l'air de les connaître La consigne est Étrangers l'un à l'autre. Mon plan. BÉVEAU, enfre-Mt~a~ porte.
Psitt! Psitt!
CÉPHISE.
Hein? Béveau? Vous?. Et le plan?.
BËVEAU, à mt-VOMC.
Je n'ai pas très bien compris, madame, si je dois entrer d'abord seul, ou tout de suite, avec Blandine. Cette partie du plan est obscure.
------------------------------------------------------------------------
Avec elle. Mais où est-elle?.
Tranquillisez-vous. Je la tiens! (Il referme la porfe.) CÉPHISE, seule.
Il m~a fait peur
Entrez, mademoiselle 1
Pas mademoiselle!
Entrez, madame.
Pas madame
Comment. alors ?.
Mais il n'y a personne. Nous pouvons causer librement, maman.
Librement? Et ces portes?. Sait-on qui elles cachent ces portes?. Non, à voix basse. de loin. Voilà la prudence. (Elle s'écarte et va au bout de la scène.) BÉVEAU emmène Blandine de l'autre bout.
Venez! Épouse!
Je suis contente de vous, Béveau vous êtes un peu lent d'esprit mais.
Madame, vos instructions étaient obscures!
BÉVEAU, faisant e~~rer Blandine.
BLANDINE, regardant dans la salle.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
------------------------------------------------------------------------
Mais je vous surveillais du compartiment des dames seules..L'œil fixe au triangle de verre, la main sur le bouton d'alarme, comme une mère romaine.
Vous avez dù voir, madame, que j'ai gardé une réserve éloquente 1
Vous avez été très convenable. vous. vous avez dormi chastement. Continuez!
Comment! Continuez?. Certainement. le sommeil donne une attitude.
Mais non, maman, M. Béveau n'a pas dormi, nous avons causé tout le temps
Causé! de quoi?.
De mon mari
Hein?
C'était de circonstance ·
Comment de circonstance?. Vous ne comprenez donc rien à la situation! (~ part.) Faut-il que je me sois flanquée d'un serin pareil
La chambre de madame. est ventilée. on se croi-
CÉPHI8E.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
BLANDINE.
CÉPHISE.
BLANDINE.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
CÉPHISE.
JOSEPH, entrant.
------------------------------------------------------------------------
rait à présent dans la forêt. Ce qu'il en est venu de ces bêtes qui piquent! (Apercevant Blandine et Béveau.) Oh! des voyageurs nouveaux 1
Où donc?.
Il parait que madame est un peu myope. Si madame veut prendre la peine de passer chez elle, voici son bougeoir. Je prie madame de remarquer que j'ai mis deux oreillers au chiffre de la Cor~e-d'Or. Oh! nous ne lésinons pas ici. (A Blandine.) Monsieur et madame sont avec madame.
Mais non. pas du tout.
Ah! oui. c'est juste, madame attend quelqu'un. BÉVEAU.
Madame est sans doute arrivée avant nous ?
Vous ne l'avez pas vue ?
J'avais bien remarqué en entrant une forme confuse. BLANDINE.
Voulez-vous bien vous taire?
Mais c'est la consigne.
Si monsieur et dame veulent que je les présente l'un à l'autre 1 Nous aimons que nos clients se lient. C'est une famille ici.
JOSEPH, revenant.
CÉPHISE.
JOSEPH.
BÉVEAU.
JOSEPH.
JOSEPH.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
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Occupez-vous donc de ce qui vous regarde.
Bien, madame ce que j'en disais n'était que pour faire prendre patience à madame. Quand on attend. (Allant à Béuettu et à D~udme.~ Monsieur et madame désirent une chambre isolée ?
Hein ?. Je n'avais pas pensé à ça.
Je conseille à monsieur le n" 1. C'est le meilleur lit de la maison. C'est celui où je couche quand le patron est en voyage. Monsieur m'en dira des nouvelles BÉVEAU.
Non. non. Je préférerais deux chambres JOSEPH, à part.
Hein ?. C'est un rafnné! (Haut.) Qui communi.quent ?
Jamais. Je.
Madame me parle ?
Non! rien, rien
Le 1 et le 3, alors. deux chami res siamoises. BÉVEAU.
Eh bien voulez-vous nous montrer vos siamoises ?.
CÉPHISE, furieuse.
cÉPHiSE.A part en sautant
CÉPHISE, s'oubliant.
JOSEPH.
JOSEPH.
JOSEPH.
CÉPHISE.
JOSEPH.
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CÉPHISE, d'une voix forte.
Garçon?. B~ueau et à Blandine.) Pardon! madame. Pardon! monsieur!
BÉVEAU, révérencieux.
Faites, madame
BLANDINE, saluant gentiment.
Nous ne sommes pas pressés, madame
cÉPHisE, à Joseph.
J'ai l'habitude d'avoir une veilleuse. Je ne peux pas dormir sa~s voir claii.
JOSEPH.
Un lampion au 5. Loum (Il so~J
CÉPHISE, courant à Béveau.
Pourquoi ne lui avez-vous pas dit que vous étiez son père ? Vous n'avez donc pas d'imagination? BÉVEAU.
Son père! C'eùt été bien invraisemblable
CÉPHISE.
En quoi?. Vcus n'avez pas d'âge, Béveau! BÉVEAU.
Mais, madame.
CÉPHISE.
Ou bien, il fallait trouver autre chose, alors. BÉVEAU.
Quoi ?
BLANDINE, gaiement.
Mais ça ne fait rien, maman. C'est très amusant! Lui, mon mari! C'est si diôle!
BÉVEAU.
Drôle n'est peut-être pas le terme exact
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CÉPHISE.
Des chambres qui communiquent, mais où avezvous la tête?.
1 BÉVEAU.
Pourtant, c'est le minimum de la vraisemblance. BLANDINE.
Je fermerai de mon côté, si tu veux, maman. Mais c'est bien inutile.
CÉPHISE.
Voilà de ces mots qui épanouissent une mère 1 Tu as raison. C'est inutile! Allez, Béveau, continuez à faire joujou. Soyez le pseudo-mari de cet ange. Mais n'exagérez pas
BÉVEAU.
Je m'appliquerai, madame, à justiner votre confiance 1
CÉPHISE, voyant revenir Joseph.
Oh (Elle s'éloigne et affecte d'être très occupée à remonter le coucou.).
JOSEPH, à Céphise.
La veilleuse est allumée
CÉPHISE.
Bien. Je réglais ce coucou. Il m'est impossible de vivre à côté d'un cadran qui ne va pas.
JOSEPH.
Allons bon voilà qu'elle le remonte Le même tic que défunte la patronne
~Cep/use se dirige vers sa chambre n" 5, <res ~njeTeuse, tenant'son bougeoir. Elle fait un salut très cérémonieux à Blandine et ~Béceau qui le lui rendent oeec la înetne cérémonie.)
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Je suis à vous, monsieur et dame 1
Oh! nous ne sommes pas pressés!
Non 1. pas du tout 1
Décidément, ce sont des ramnés (Il sort derrière Céphise.)
BÉVEAU, BLANDINE, puis CÉPHISE, puis LE CHASSEUR, puis JOSEPH.
Attendons! 1
Monsieur Béveau, vous êtes jurisconsulte, expliquez-moi ce qui se passe. Selon papa, je suis mariée, et selon maman, demoiselle! Comment voulez-vous que je m'y reconnaisse?.
La justice seule est compétente..< qui sait le code. BLANDINE.
Elle pourrait rompre mon mariage si j'échappais à M. Thérébin?
Distinguons Si vous lui échappiez totalement.
JOSEPH, à Blandine et à Bëceatt.
BLANDINE, riant.
JOSEPH, & part.
SCENE IV
BÉVEAU.
BÉVEAU.
BLANDINB.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
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C'est bien ainsi que je l'entendais 1
Nuptias, mademoiselle!
Je ne sais pas le latin, monsieur Béveau. Mais estce que je pourrais épouser une autre personne? BÉVEAU.
L'union légalement rompue, rien ne s'opposerait à votre convolement.
Oh! que je serais contente. Seulement, ma situation est bien embarrassante!
Votre situation, mademoiselle? Mais c'est la mienne qui est extraordinaire!
La vôtre?. mais elle est toute simple, la vôtre! Vous n'avez qu'à faire semblant d'être mon mari! BÉVEAU.
Oui, justement. faire semblant 1.
Mais ce n'est pas dimcile pour un homme 1
Non. seulement.
Seulement. Quoi?.
Seulement. Mon éducation n'a pas été dirigée dans ce sens-là!
BLANDINE.
BÉVEAU.
BLANDINE.
BLANDINE.
BÉVEAU.
BLANDINE.
BLANDINE.
BÉVEAU.
BLANDINE.
BÉVEAU.
------------------------------------------------------------------------
BLANDINE.
Eh bien! voulez-vous que je vous dise Vous vous en tirez assez bien. mais vous n'êtes pas assez empressé, auprès de votre femme. surtout pour ce premier jour.
BÉVEAU.
Ah! pas assez empressé?.
BLANDINE.
Tenez. j'ai vu le mari d'une de mes amies. il ne s'occupait que d'emmitoufler sa femme. Ce n'est pas difficile
BÉVEAU.
D'emmitoufler?. non. je vais essayer. (Il ~ut arrange son manteau.)
BLANDINE.
Pas mal. C'est cela. Soyez très aimable. pour avoir l'air d'être mon mari!
BÉVEAU.
Je ne demande pas mieux
BLANDINE.
Prenez-moi les mains. quelquefois.
BÉVEAU, ~ut prenant les mains.
Comme ceci ?
BLANDINE.
Très bien! appelez-moi aussi: ma chère amie par-ci. ma chère amie par-là! C'est comme cela qu'on fait.
BÉVAEu, gauchement.
Ma chère amie.
BLANDINE.
Vous êtes très gentil, monsieur Béveau, embrassezmoi.
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BÉVEAU, ~enë et ravi.
C'est que mon éducation n'a pas été dirigée dans ce sens-là. (Il l'embrasse fumdeme~.)
CÉPHISE, paraissant.
Ai-je la berlue, Bévcau?
BÉVEAU.
Je fais joujou, madame, joujou!
CÉPHISE.
Mais, vous exagérez. C'est trop.
BLANDINE.
Ah! laisse-nous, maman 1 Si tu savais comme je suis contente! Moi qui étais si triste. J'ai envie de chanter. de danser.
CÉPHISE.
Mais Blandine Je ne reconnais pas ma ûllc 1 BLANDINE.
Veux-tu danser, maman?.
CÉPHISE.
Oh! Diandine?.
BLANDINE.
Monsieur Béveau, je veux que vous dansiez avec moi 1 BÉVEAU.
C'est que mon éducation n'a pas été dirigée! BLANDINE.
Tra la la. On ne refuse rien à sa petite femme, le jour de ses noces. Tra la la. (Elle le fait tourner. Il renverse un meuble, le chasseur ouvre la porte et passe la tête.)
CÉPHISE, effrayée.
Ah! (A part.) Quel est ce monsieur?
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LE CHASSEUR, très poli.
Monsieur et madame, je n'ai pas le plaisir de vous connaître, mais je vous serai infiniment obligé de faire moins de bruit. Je dois quitter le lit à quatre heures du matin pour lever un vieux lapin que je connais, et j'ai besoin de sommeil! C'est ma nature. (Il disparaît)
BÉVEAU, ahuri.
C'est un simple chasseur qui parle.
BLANDINE.
Ah'
JOSEPH, rentrant.
La double chambre de monsieur et madame est pré~e. J'ai ouvert la porte de communication.
BÉVEAU.
Merci.
L'HOTELIER, de l'intérieur.
Éteignez le gaz t
JOSEPH.
Voilà voilà
BLANDINE.
J'ai peur maintenant. Rentrons, voulez-vous? BÉVEAU.
Passez, chère amie je vous en prie.
BLANDINE, mëtïtC jeu, haussant la voix.
Oui, cher ami! (Béveau fait entrer Blandine au puis avec un soupir il entre au 3.
JOSEPH, qui les a regardés.
Drôles de mariés.! (Il éteint.)
w
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SCÈNE V
RÉGINET, THÉRÉBIN, JOSEPH.
RÉGINET, de la porte.
Il n'y a personne d'éveillé dans cette baraque ? JOSEPH.
Si, monsieur! Baraque! (IL allume le ~az.)
THÉRÉBIN.
Monsieur, avez-vous vu une mère et sa fille ?.. RÉGINET.
N'allez donc pas si vite, Thérébin.
THÉRÉBIN.
Oui, beau-père
RÉGINET.
Si vous m'appelez beau-père, vous allez me faire passer tout de suite pour un crampon Un mari incapable de retenir sa femme au domicile conjugal. THÉRÉBIN.
Puisqu'on nous avait enfermés!
RÉG1NET.
Un homme qui n'est pas assez fort pour enfoncer une porte le jour de ses noces! Il a fallu que je m'en mêlasse! THÉRÉBIN.
Et tout était fermé.
RÉGINET.
Un gendre qui fait passer son beau-père par un vasistas comme en 48! Et vous m'appelez crampon?
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Je vous appelle beau-père.
C'est la même chose
Je n'y pensais pas, monsieur Réginet
Vous ne pensez à rien
C'est bien naturel, en ce moment.
Garçon. Nous désirons savoir quelles sont les personnes qui logent ce soir dans votre hôtel
Mais. monsieur, ça ne vous regarde pas (Réginet lui donne un ~outsj Alors c'est diNerent
Qui avez-vous ?
D'abord, un chasseur
Ça ne m'intéresse pas!
Ici, une nuit de noces
Ce n'est pas ça, au contraire
Une nuit de noces oh dérision 1
THÉRÉBÏN.
RÉGINET.
THERÉBIN.
RÉGINET.
THERÉBIN.
RÉGINET.
JOSEPH.
RÉGINET.
JOSEPH.
RÉGINET.
JOSEPH.
RÉGINET.
THÉRËBIN.
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Ne faites donc pas de rénexions bêtes, vous 1
1 THERÉBIN.
Pardon, beau-père (Se reprenant.) Pardon, monsieur Réginet.
Et après?
Nous avons une adultère t
Ce n'est pas encore ça. Et puis?
Puis plus rien (Il sort par le /bnd.)
ElLee ne sont pas ici.
THERÉBIN, tombant anéanti sur une c~tse.
C'est le treizième hô.tel que nous visitons! Nous ne faisons que patauger dans la boue
Remettez-vous, Thérebin! 1
On m'accorde une jeune personne que j'adore; depuis quinze jours je me morfonds à attendre la nuit de noces. Ma ûancée va a la mairie elle dit oui. Toutle monde dit oui ma femme est à moi. et le soirj'en suis réduit à la chercher dans les hôtels de Fontainebleau. Et elle n'y est pas.
C'est qu'elle est ailleurs nous la retrouverons.
RÉGiNET, & Joseph.
JOSEPH, avec tru/stère.
RÉGINET, à Thérébin.
THERÉBIN., avec désespoir.
.REGINET.
RÉGINET.
JOSEPH.
RÉGINET.
.RÉGINET.
------------------------------------------------------------------------
THÉRÉBIN.
S vous croyez que ça m'amuse de m'embourber dans les rues de Fontainebleau, en bottines vernies?. RÉGINET.
Et croyez-vous que ça m'amuse, moi, qui avais ce soir une partie. je veux dire un rendez-vous d'affaires?. THÉRÉBIN.
Vous n'allez pas comparer?. (Avec des larmes.) Beau-père! je suis désespéré 1
RÉGINET.
Voyons, Thérébin, il faut avoir de l'énergie! 1 THÉnÉBIN.
Je ne peux pas
RÉGÏNET.
Garçon ï
JOSEPH, au /0~d.
Monsieur 1
RÉGINET.
Apportez à monsieur un verre de cognac
THÉRËBIN.
Je ne l'aime pas.
RÉGINET.
Vous avez tort!
JOSEPH, à part.
Ils sont venus pour causer, ceux-là. Ils ne consomment pas.
RÉGÏNET.
Quelle mauviette faites-vous donc?
THÉRÉBIN.
Une mauviette (Il se frotte le nez.)
------------------------------------------------------------------------
RÉGINET.
Oui, je comprends! (Il se frotte aussi le nez. A part.) Le signe! Pourquoi toujours ce signe à propos de bottes?.
THÉRÉBIN.
Je devrais être à cette heure-ci dans un bon lit, avec ma petite femme, mon trésor de petite femme, et me voilà 1
RÉGINET.
Nous avons encore à visiter le Grand-Cerf.
THÉRÉBIN, se redressant.
J'espère que ma belle-mère n'aurait pas eu l'idée d'aller au Grand-Cerf! (A brû~e-pourpomtj Pourquoi vous êtes-vous brouillé avec votre femme ?
RÉGINET, bondissant.
Comment? Pourquoi?. Vous m'avez déclaré cent fois que vous la trouviez insupportable
THÉRËBIN, auec embarras.
Oui, certainement. mais sa fille
RÉGINET.
Sa fille est à moi
THÉBÉBÏN.
Oui. certainement, mais sa mère. Vous auriez peut-être pu vous entendre.
RÉGINET.
M'entendre avec Céphise?. ~fe~aça~J Est-ce que vous devenez fou, Thërëbin? (Thérébin recule en se /ro<fannenexJ Oui. Est-ce que vous êtes fou?. Ma femme qui m'a absorbé, qui m'a éteint, qui m'a plongé pendant quinze ans dans l'obscurantisme? Si je n'ai pas eu de seconde jeunesse, à qui la faute?. Si
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je suis encore ravagé par des passions inassouvies qui me font faire des bêtises A qui la faute ? A M"' Réginet, à l'abominable M' Réginet!
THÉRÉBIN.
Alors, si je voulais essayer de la ramener par la douceur?.
RÉGINET.
Je vous renierais. Je ferais casser votre mariage. Je suis le maître, Thérébin je suis le maître. Article 148 du Code. C'est moi seul qui peux vous donner Blandine.
THÉRÉBiN, se jetant dans ses bras.
Ah! beau-nere! Oubliez ce que j'ai d:t. Il n'y a que vous que j'aime -w
RÉGINET, à part.
Je vois que mon gendre sera un véritable toton 1
THÉRÉBIN.
Je ferai ce que vous voudrez
RÉGINET.
Cherchez votre femme. Trouvez-la. Enlevez-la au nez de sa mère. et vous aurez la bénédiction de son père!
THÉRÉBïN, avec bravoure.
Allons au Grand-Cer~
RÉGINET, de me~e.
Allons au Grand-Cerf.
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SCÈNE VI
LES MÊMES, GUDULE.
GUDULE, paratssant au /bnd.
o Tiens!
nÉGi~ET, it part.
Gudule!
GUDULE, Réginet.
Ah! Tous êtes arrivé avant moi! 0
RÉGiNET, & part.
Comment, arrivé avant elle! Qu'est-ce qu'ello veut dire?. (A Thérébin.) Allez au Grand-Cerf, je vous rejoins!
THÉRÉBtN.
Quelle est cette dame?
RÉGINET.
Rien. C'est la femme du préfet. Allez vite THÉRÉBIN.
La femme du préfet Elle peut nous être utile! (A Gudide.) Madame, je suis sûr que vous êtes bonne Quand vous connaîtrez ma situation. Je suis confiseur, ami des arts. J'ai le cœur tendre, et les mœurs douces. RÉGixET, l'éloignant.
N'ennuyez pas madame!
THÉRÉBIN.
Et de plus très inu.immabic
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Ah! Il est bête, mon gendre 1
Madame, je suis marié depuis midi.
Ah mon Dieu
Ne cherchez pas à comprendre. Il est inutile de continuer.
RÉGiNET, faisant passer.
Allons, allons.
Vous êtes bonne, madame. Mettez-vous à la place d'un pauvre mari qui le soir de ses noces.
Avec une femme ravissante. Et ce soir. ce soir. GUDULE.
Il fallait vous-entraîner.
THÉRÉBIN.
M'entraîner ?
Je n'ai encore rien dit On m'a enlevé ma femme. GUDULE.
Déjà?. Vous êtes déjà?.
Oui, madame la préfète.
M°" la préfète?.
RÉGiNET, à part.
GUDULE, à part.
GUDULE, à part.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
------------------------------------------------------------------------
J'expliquerai tout à madame, allez vite au Grand-Cerf et à l'hôtel de la Carpe savante. Il doit y avoir un hôtel de la Carpe savante, vous vous informerez. (Il le pousse vers la porte.)
Vous mettez-vous à ma place, madame ? (Il sort par le /<md.)
Oui, monsieur, j'y suis.
Merci, madame la préfète (Il sort tout à fait.)
RÉGINET, GUDULE, puis le CHASSEUR, puis JOSEPH.
Quel idiot que mon gendre (Haut.) Son accident le timbre un peu. Mais ne parlons que de nous. (A part.) Comment diable est-elle ici?
Pourquoi m'appelle-t-il M°" la prëfète
Parce que je lui ai dit que tu étais la femme du préfet. Il fallait bien dire quelque chose.
Il fallait dire la baronne de Carabasse. Quand on voyage.
RÉGINET, revenant à Gudule, à part.
THËRÉBiN, reparatManf.
SCÈNE VII
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
GUDULE.
GUDULE.
RÉGÏNET.
GUDULE.
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Je n'y ai pas pensé. Gudule! Cette chère Gudule, quelle joie!
Ah Paul Assart Ce scélérat de Paul Assart. (A part.) Pourquoi Paul Aspart?.
Seulement?. seulement au dessert?. C'est impardonnable
Une jambe! Est-il bête! Une jambe! Ce ne serait rien. Tandis que le bras. Le bras droit.
J'aurais bien voulu arriver la première.
Et moi donc! Et moi!
C'est la faute de Paul Assart.
Il ne m'a parlé de ta dépêche qu'au dessert!
Ça n'a pas été grave, hein ?
Quoi?.
L'accident du marié
Oh oh! non rien un bras cassé
Il m'a dit que c'était une jambe
RÉGÏNET.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE, avec u~érët.
REGRET.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGIKET.
------------------------------------------------------------------------
Il ne pourra pas l'offrir à sa belle.mère!
Voila'C'est terrible!
Pourquoi ne m'as-tu pas envoyé la dépêche à moimême ?
Parce que j'avais peur de t'impressionner.
Nous en étions aux écrevisses quand Paul Assart m'a dit tout à coup Voua ne savez pas, j'ai reçu une dépêche d'Agénor. -Nous n'allons plusàlaCorne-d'Or, à Fontainebleau? Au contraire. Il y est dé}a 1 RËGINET, à part.
Il a voulu s'en débarrasser
Et alors, il m'explique comme quoi tu ne pouvais plus te montrer chez Champeaux, après ce déplorable accident! 1
Tu le comprends, n'est-ce pas? Un ami de la famille Un témoin!
Je respecte toujours les convenances entre hommes Mais à présent. nous sommes loin. on ne nous connaît pas.
Oui, oui.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGI~ET.
GUDULE.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET.
------------------------------------------------------------------------
Il fait froid ici. Donne-moi donc ma couverture de voyage.
Voilà. (A part.) Ah ç'< Est-ce qu'elle va s'installer ?. (Il va prendre couusr~ure prés de la por~e. -Au public en la dëp~mn~ Gredin de Paul Assart! Mais il ne pouvait pas se douter que je serais à la Corne-d'Or. à la recherche de M"' Réginet et de ma fille (Reuena~.)
Qu'as-tu donc à ronchonner tout seul ?
Je ne ronchonne pas, tendre amie, voici la couverture. (A part.) Comment vais-je m'en débarrasser? (Haut.) Voici ta couverture
Je me suis enrhumée dans le wagon.
Tu tousses ? Il faudrait demander une chambre.
Sais-tu ce qui me fait tousser, Agénor ? 2
C'est le rhume.
Ce n'est pas seulement le rhume. C'est le doute que j'ai eu tantôt sur ta fidélité.
Tu as douté de moi, Gudule ? Pourquoi ? Parce que je devais aller à Londres et je ne suis pa-s allé a.
CUDULE, sans ~ut répondre.
GUDULE.
RÉGINET, avec tn~ërë~.
RÉGINET.
GUDULE.
RËGIKET.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET.
------------------------------------------------------------------------
Londres, mais c'est la destinée. On part et on n'est pas parti. on revient et on court encore. Que d'affaires ont été manquées ainsi! Mais je ne vois pas là de quoi -rendre une femme malheureuse.
GUDULE, enrhumée.
Ah! si du me drombais, Agénor?
RÉGiNET, à part.
Elle s'enrhume davantage.
GUDULE, avec violence.
Ah! si du me drombais Hou! 1
LE CHASSEUR, passant la tête.
Madame. Monsieur.
GUDULE.
Qu'est-ce que c'est que ça?
LE CHASSEUR, continuant.
Je n'ai pas le plaisir de vous connaître, mais je vous serais infiniment obligé de faire moins de bruit. Je dois sortir du lit à quatre heures du matin pour lever un vieux lapin que je connais, et j'ai besoin de sommeil c'est ma nature.
GUDULE, à Réginet.
Qu'il aille se faire fiche avec son vieux lapin. RÉGINET.
Je comprends ça, monsieur, j'ai la même nature. LE CHASSEUR, saluant.
Monsieur
RÉGINET.
Monsieur ~Le chasseur disparaît. A Gudule.) Nous parlerons bas.
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Je ne peux pas, je suis trop enrhumée.
Et Thérébin qui va revenir?. Garçon. (A part.) Je ne peux pas la laisser ici. (Haut.) Garçon LE CHASSEUR, revenant.
Monsieur. Madame.
Oui, monsieur. Nous avons la même nature. LE CHASSEUR, saluant.
Monsieur 1 (Il sort.)
Monsieur (Appelant.) Garçon, vous êtes donc sourd?
Monsieur! (A part.) Ah! il y aune dame Très bien.
Garçon, une chambre.
Le n" 6, mais il faut l'aérer.
C'est inutile!
Ah! monsieur, elle sent le moisi.
C'est très sain
Mais non, je ne veux pas
RÉGINET, appelant.
JOSEPH, accourant.
GUDULE.
RÉGINET.
RÉGINET.
RÉGINET.
JOSEPH.
RËt.INET.
JOSEPH.
RÉGINET.
GUDULE.
M
------------------------------------------------------------------------
Alors, donnez-m'en une autre.
JOSEPH.
Oh! monsieur, c'est la même chose. toutes les chambres ont besoin d'être aérées, et puis, il y a des toiles d'araignée.
Des toiles d'araignée! Horreur! Jamais! (Elle éternue.)
Il faudrait à madame quelque chose de chaud. Un sirop. un punch. du vin chaud. un lait de poule. mais dans ce moment nous n'avons qu'un bouillon. RÉGINET.
Eh bien donnez un bouillon. donnez-en deux. (A part.) Ça me grippera peut-être.
Bien, monsieur! voilà! voilà! ·
Mais taisez-vous donc
Bien, monsieur. (Il sort.)
JOSEPH.
JOSEPH.
Il va réveiller le vieux lapin 1
Agénor! 1
Gudule
Mon petit Agénor! 1
RÉGtNET.
GUDULE.
RÉGINET.
LE GARÇON.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGmET.-
(HJDULE.
------------------------------------------------------------------------
RÉGÏNET.
Ma petite Gudule GUDULE.
C'est gentil, n'est-ce pas, ce téte-à-téte à la campagne BÉGINET.
Si c'est gentil Je crois hien que c'est gentil
GUDULE.
Venez là, plus près,–là!
RÉGiNET,apart.
Je dois être parfaitement ridicule.
GUDULE.
Et maintenant donnez la patte.
RÉGINET, (t part.
Allons bon il ne manquait plus que ça.
GUDULE.
L'autre!Ah! le beau chien-chien à sa petite mëmére? 2
RÉGINET~ aôot/an~.
Ouah ouah ouah
GUDULE.
Ah que tu es donc drôle, mon gros loup
REGINET.
Oh! les jo~s petits pétons. (A part.) Si les francs-maçons me voyaient H
GUDULE.
Pourquoi es-tu si beau, Agénor?. Pourquoi les yeux te font-ils le tour de la tète? Pourquoi es-tu le seul homme que j'aie aimé?. Dieu que j'ai mal dans
le cou Frotte-moi un peu l'épine dorsale
Frotte~-moi un peu eplne dorsale!
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RÉGtNET, frottant, à part.
Si Thérébin allait entrer
GUDULE.
Là, merci, ça fait du bien. Te souviens-tu? REGÏNET.
Si je me souviens Je ne me souviens pas d'autre chose.
GUDULE.
Un soir, à Robinson, je grimpais aux arbres et le vent indiscret soulevait légèrement. Enfin, nous rentrâmes vite ce soir-là.
HÉGtNET.
Tais-toi, je t'en prie. Tu avais des bas rouges. GUDULE.
Une autre fois, c'était à Bougival.
RËGINET.
Ah! oui, à Bougival! (A part.) Il ne viendra donc pas, ce garçon
GUDULE.
La chaleur était accablante nous étions étendus sur l'herbe tous les deux, seuls parmi les libellules heureusement que personne n'est passé, Agénor! RÉGINET.
Personne! absolument personnel. c'est comme maintenant (A part.) Coquin de garçon avec son bouillon (Haut.) Tu avais des bas zébrés? (A part.) Thérébin va revenir.
GUDULE.
Mais mon meilleur souvenir, mon petit baron, celui que rien n'a encore effacé de mon cœur, c'était dans
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cet hôtel à Compiègne, un hôtel pareil à celui-ci, avec des portes, du gaz et un garçon stupide aussi! Quarante-huit-heures de paradis sans nuage.
JOSEPH, entrant avec deux ;couverts.
Voici le bouillon
RÉGiNET, & part.
Enfin
GUDULE.
Oh les couteaux en croix ça porte malheur RÉGIXET.
Voyons, garçon! des couteaux en croix?. Vous savez bien que ça porte malheur?. Et puis des couteaux, pourquoi faire ?. Pour couper le bouillon.
GUDULE.
C'est un bouillon à couper au couteau? (Ils boivent.) TOUS LES DEUX, & la fois.
Pouah ?
JOSEPH, tic part
Ça produit toujours cet effet-là. Mais je le replace. (Haut.) Le 6 est aéré.
RÉGï~ET, a part.
Enfin! (A Gudule.) Entrons vite!
GUDULE.
Soutiens-moi. Ça tourne au lombago! Frotte-moi encore dans le dos.
RÉGiNET, frottant.
Sapristi! que c'est désagréable! 1
GUDULE.
Tu dis?
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RÉGDŒT.
-Je dis Ah! je te plains bien, va. je t'assure que je te plains bien.
GUDULE.
Oh! ne fais pas de mouvements brusques!
RÉGINET.
Non. non. La!
(IL entre dans la chambre n" 6.)
SCÈNE VIII
JOSEPH,BÉVEAU.
BÉVEAU, entrant.
Un verre d'eau
JOSEPH, rallumant le ~a~.
VoUà, monsieur voilà voilà voilà
BÉVEAU.
Je ne peux pas dormir, ma situation de mari fictif me trouble et m'agite. L'idée que je représente un heureux époux pendant sa nuit de noces, me fait venir des pensées dont je ne me croyais pas susceptible. JOSEPH.
Voici, monsieur
BÉVEAU, après avoir avalé le uerre d'un trait
en lui donnant.
Donnez-m'en un autre 1
JOSEPH, étonné.
Oh!
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Je suis incendié, il faut m'éteindre 1.
Ordinairement les jeunes maries!
Ça ne vous regarde pas.
Je voulais dire que monsieur aurait tort de se plaindre d'être incendié. C'est trop naturel.
Je ne me plains pas. Je ne me plains pas du tout. Seulement mon éducation n'a pas été dirigée dans-ce sens, je vais faire un tour dans la forêt. (Il sort vivement, laissant Joseph ébahi.)
Eh bien par exemple J'ai bien vu bien des nuits de noces, c'est notre spécialité, mais jamais je n'avais vu ça.Pauvre petite femme. Pauvre petile femme! (Il va pour éteindre le gaz.)
Ah ah ah Pouah ah ah ah! 1
Calmez-vous. calmez-vous!
GUDULE, RÉGINET, JOSEPH.
GUDU~E, sortant de sa chambre effarée
et tournant autour du salon.
RÉGINET, sortant derrière elle.
JOSEPH, seul.
SCÈNE IX
BÉVEAU.
JOSEPH.
BÉVEAU.
JOSEPH.
BÉVEAU.
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Une chauve-souris
Ah! bien! oui, une chauve-souris.
Il y a une chauve-souris dans ma chambre! ça porte malheur!
Garcon! Garçon! IL y a une chauve-souris dans la chambre de madame
C'est une habituée!
Mais ça porte malheur!
Faites là partir, je reste ici!
Comptez sur moi. (A Joseph.) Avez-vous une arme à feu?.
Vous avez votre canne.
C'est vrai, j'ai ma canne. (Au moment d'entrer.) Ça m'impressionne! (Entrant.) Comptez sur moi. (Il entre au 6 suivi de Joseph.)
RÉGiNET, à Joseph.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
JOSEPH.
RÉGINET.
GUDULE.
RÉGINET.
JOSEPH.
RÉGINET.
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SCÈNE X
GUDULE, CÉPHISE, puis le CHASSEUR. CÉPHISE, en ca~tso~e, passant la tête.
Qu'est-ce qui se passe?
GUDULE.
C'est une chauve-souris
cÉPHiSE, e/y!'a!/ëe.
Ah! (E~e tourne affolée autour df la pièce.)
LE CHASSEUR, apparaissant.
Monsieur! madame!
CÉPHISE.
C'est une chauve-souris! (Le chasseur disparaît. Ouurant la porte de Blandine.) Rassure-toi, ce n'est pas ton mari. C'est une chauve-souris.
LE CHASSEUR, reue~a~ auec un veston de chasseur et son. fusil.
Oùest-elle?
GUDULE.
Là! monsieur! là. Dans cette chambre!
(Le chasseur ouvre la porte et on entend Joseph qui cne.) JOSEPH.
Elle ne veut pas s'en aller.
LE CHASSEUR.
Où est-elle?.
JOSEPH.
Ne tirez pas, vous abîmeriez la tapisserie!
(Le chasseur entre au 6.)
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Fermez la porte. Elle pourrait sortir'
N'ayez pas peur, madame, je vais mettre le verrou! (~ déparait.)
L'affreuse bête!
Ne m'en parlez pas, madame, j'en tremble encore. et vous étiez seule ?
Oui, madame, mais le baron est accouru!
Le baron?
Mon mari. Le baron Agénor de Carabasse, une grande famille de la Saintonge. Il est aux petits soins pour moi!
Vous êtes bien heureuse, madame t
Oui, c'est un mariage d'inclination
Et on dit qu'ils ne réussissent pas 1
GUDULE, à Joseph.
CÉPHISE, GUDULE.
cÉPHiSE, avec ùtMrët.
GUDULE, pudique. y
JOSEPH.
SCËNEXt
GUDULE.
CÉPHISE.
GUDULE.
GUDULE.
cÉpniSE.
CÉPHISE. J
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Mais les bons quarts d'heure sont si rares dans une année, madame.
Le baron, madame, est toujours aimable à quarantecinq ans.
Moi, je n'ai pas à m'en plaindre
Laissez-moi vous féliciter, madame! c'est exceptionnel
Vous êtes aussi mariée, madame?
Oui. un peu. Je me faisais, quand j'étais jeune fille, une idée de l'état conjugal. que rien ne réalise GUDULE.
Cependant, s'il a de dures années, il a de si bons quarts d'heure!
Moi, je ne trouve pas, madame
Moi, madame. ce sont des choses qu'on peut se dire entre femmes. mon mari a toujours été monstrueux. GUDULE.
C'est l'âge du mien. Quarante-cinq ans deux mois dix-sept jours I
A vous voir, on ne le dirait pas, madame.
CÉPHISE.
&UDULE, galamment.
GUDULE.
CÉPHISE.
GUDULE.
CÉPHISE.
GUDULE.
CÉPHISE.
CÉPHISE.
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Elle est charmante. Oh les grandes manières. Pour tout dire en un mot, il est matérialiste 1
Quelle abomination! Le mien, au contraire, a toutes mes superstitions!
Un exemple entre mille. Il ne peut pas digérer la tête de veau, madame. Eh bien! il lui en faut tous les vendredis, parce que c'est plus gras que le reste. &ODULE.
Chez moi, le maigre est de rigueur. et on jeune dans les occasions solennelles.
Je vous admire, madame. Comment avez-vous pu obtenir un pareil résultat?. Moi, je n'ai jamais pu avec mon impie.
Mais, je les dresse. (Se reprenant.) Ça se dresse. Le baron n'avait qu'un défaut, l'habitude du cercle. CÉPHÏSE.
Le mien y vivait, madame I
Je l'en ai guéri, madame, radicalement.
Oh! que je suis heureuse, madame, d'avoir fait votre connaissance.
Et généreux! Large 1. Il se ruinerait pour moi si je voulais.
CÉPHISE.
GUDULE.
CÉPHÏSE.
CÉPHISE.
GUDULE.
GUDULE.
CÉPHISE.
GUDULE.
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Quel contraste avec mon mari
Mais alors, c'est à décourager d'être honnête femme! CÉPHISE.
A qui le dites-vous? Je me suis souvent demande à quoi cela nous sert de rester vertueuses et je me suis toujours répondu: à jicn, grande bête! à rien. Les femmes légères sont peut-être dans le vrai, madame. GUDULE, s'oubliant.
Croyez qu'elles ont aussi leurs pépins f
Leurs pépins?
C'est une expression héraldique pour dépeindre ce qu'elles endurent. (On entend un coup de fusil.) SCÈNE XII
LES MÊMES, JOSEPH, puis LE CHASSEUR. cÉpHisE et GUDULE, effrayées.
Qu'est-ce?
Oh! là là! oh! là là là!
Qu'avez-vous?
M. le comte m'a mitraillé 1
JOSEPH entrant et se frottant les cuisses.
CÉPHISE et GUDULE.
CÉPHISE.
GUDULE.
cÉpmsE.
GUDULE.
JOSEPH.
------------------------------------------------------------------------
LE CHASSEUR, entrant satisfait.
Je l'ai tuée!
JOSEPH.
Mais non, monsieur. c'est moi (Cnan~ Oh là la oh là là! 1
LE CHASSEUR.
Ce ne sera rien. c'est du petit plomb. (Sa~ua~f les dames.) J'espère maintenant que je pourrai dormir. (Il entre chez lui.)
JOSEPH.
Je vais me :mettre de l'eau salée (Il sort.)
&UDULE.
Enfin elle est morte, la vilaine bête! Vous me permettez bien de vous présenter le baron, madame CÉPHISE.
Mais je n'oserai jamais dans ce costume.
GUDULE.
Ah quel enfantillage Le baron est tout à fait sans façon. vous verrez. Je dois vous prévenir qu'il ramène un peu.
CÉPHISE.
Mon mari aussi. Mais je ne veux pas me montrer en camisole. Que penserait M. le baron de Carabasse? Je reviens à l'instant. (Elle rentre dans sa c~amb~c.) · GUDULE.
Allons prévenir Agénor!
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1
SCÈNE XIII
RËGINET, -GUDULE, puis CÉPHISE
RÉGiKET, entrant eït nage.
Il l'avait manquée, le vieux lapin. Mais je suis parvenu à la chasser. s'eponge.) Ce n'est pas sans peine. Enfin, j'ai refermé la fenêtre. Tu peux entrer.
GUDULE.
Je ne coucherai jamais dans cette chambre-là.
RËGINET.
Il fallait donc le dire. J'y aurais laissé la chauvesouris. Je vais demander une autre chambre.
GUDULE.
Attends un instant, baron. Je veux te présenter à une femme de la plus haute distinction.
RËGINET.
Ici?
GUDULE.
Je lui ai fait un tel éloge de toi, comme mari, qu'elle désire te connaître.
RÉGINET.
Elle est bien bonne mais nous pourrions remettre à demain.
GUDULE.
La voici.
RÉGINET.
Elle (Il se retourne vivement pour s'essuyer le front. Céphise entre en baissant les yeux.)
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Le baron Agénor de Carabasse.
M. le baron! 1 IRÉGINET. Ensemble.
Madame!
Hein?.
Ma femme! Culotte de bronze 1.
Mon mari (Ils rentrent tous les deux effarés, Céphise dans la chambre de B~ndme, Réginet dans celle du chasseur.) J
Quoi?
Mais enfin, monsieur 1
Oui, monsieur, ~e sais, nous avons la même nature. GUDULE, s'emparant de Réginet.
Tu connais cette dame qui vient de s'enfermer? RÉGINET.
Si je la connais 1
Ça lui a fait un drôle d'effet de te voir
Je crois bien. Je lui ai fait peur i
Pourquoi ?
RÉGiNET et cÉpmsE, se reconnaissant.
RÉGiNET, sortant de la chambre.
GUDULE, proses <<M~ Rë~tnet.
GUDULE, stupéfaite.
LE CHASSEUR dans la chambre.
CÉPHÏSE.
RÉGINET.
RÉGINET.
CÉPHISE.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
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C'est une ancienne. Elle ne reparaîtra plus! Je l'ai pétrifiée. Mais, c'est égal, nous ne pouvons pas rester dans cet hôtel.
Parce qu'il y a trop de bêtes. des chauves-souris, des chouettes. des chats-huants. tout un Jardin des Plantes! Partons!
Tu m'en achèteras une autre tout de même. Mais je tiens à celle-ci. C'est mon fétiche J'ai du le lai~cr dans la chambre.
Pourquoi?
Ah! mon porte-bonheur? ma corde de pendu. HËGIXET.
Eh bien?
Je l'ai perdue!
J'en achèterai une autre.
Allons le chercher, allons vite Passe devant. GUDULE.
Pourquoi ?
Je vais refermer la porte
Tu as peur de cette dame ?
Non. j'ai peur des courants d'air!
HËGtNET.
GUDULE.
RÉGINET.
GUDULE.
GUDULE.
KEGIHET.
GUDULE.
RÉG!NET.
IŒGINET.
GUDULE.
RËGINET.
(Ils disparaissent.)
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SCËNE XIV
CÉPHISE, BLANDINE.
CÉPHISE, entrant avec précaution e~ conduisant Blandine par la main. Elle tient un énorme paquet.
Ton père est plus abominable encore que je ne le pensais.
BLAXDI~
Qu'est-ce qu'il a donc fait, maman? 2
CÉPHISE.
Je ne peux pas te le dire, mon enfant! Il faut que je le ménage devant toi. Voilà à quoi ce monstre expose une mère! (A part.) Baron de Carabasse (Elle est allée frapper doucement à la porte de Béveau en tenant toujours Blandine.) Béveau' Béveau! (Elle ouvre la porte.) Béveau!(Atterrée.) Il n'y est pas! Ou est-il?. Béveau, lui-même, nous a lâchées Il ne te reste quemoi, mais ça sumt! Oh! oui, ça suffi L
BLANDINE.
Calme-toi, maman 1
CÉPHISE, mo~ra~ son pistolet.
Je suis calme parce que je suis armée!Maintc~nt, viens, sortons de cet antre
(Elles s'avancent vers la porte du fond et'reculant toutes deux e/yarées.)
BLANDINE.
M.Thérébin 1
CÉPHISE.
Ton mari! Viens. viens. cache-toi, mon enfant. (Elles rentrent toutes les deuxd~s chambre de/3~Mdtnc, Thérébin parait au fond, il est ir's ~tc.)
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SCÈNE XV
THÉRÉBIN, puis RÉGINET.
THÉRÉM~ seul.
Je n'ai pas ma femme, mais j'ai un duel! J'étais sûr que cet hôtel du Grand-Cerf me porterait malheur! Où trouverai-je M. Réginet?. J'ai vu une dame énorme, j'ai cru que c'était ma belle-mère. que la colère avait encore enflée. Je me précipite, je l'empoigne par la taille en criant Rendez-moi ma femme. Elle s'évanouit. Je ne peux pas la soutenir, elle tombe, un monsieur accourt et me flanque un soumet. Ce n'était pas ma belle-mère, c'était la tante d'un cuirassier. Où trouverai-je M. Réginet?. Il m'a remis sa carte. Cuirassier? C'est au saBre, alors? mais je ne sais pas le sabre, moi, ni autre chose. D'ailleurs on n'apprend pas cet art d'agrément dans la confiserie. Et pourtant je ne veux pas caner. Un mari ne peut pas caner le jour de la nuit de noces. non. non. Je ne canerai pas Au sabre V'lan v'ian! (Il porte des bottes au coucou.)
RÉ&iNET, sortant du 6, à part.
Elle ne trouve pas son porte-bonheur. Si elle apprend que je m'appelle Carabasse. je veux dire Réginet. et que je suis en puissance de femme! Quel tapage, grand Dieu
THÉRÉBiK, ~apcrceuant.
Monsieur Réginet
RÉGINET, désolé.
Thérébin! Thérëbiu, maintenant!
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Je vais me battre au sabre!
Ça m'est égal THÉITÉBIN.
Comment? ça vous est égal! avec un cuirassier. RÉGINET.
Je suis occupé, cher ami
Vous êtes mon témoin.
Encore! Mais je ne fais que ça d'ètre votre témoin. THÉRÉBIN.
Je ne veux pas caner pendant la nuit de noces. RÉGIKET.
Fichez-moi la paix!
Beau-père (Il fait le geste du nez.)
Oui. (A part.) Encore. Pourquoi toujours ce signe a propos de bottes. Il est quelquefois bien désagréable d'être franc-maçon! Comment vais-je me dépêtrer de cetanimal-là?0h' uneidée!Ilestsibête!(H~j Therébin, je sais où ~5t votre femme.
Ht vous ne le dites pas?
11 faut aller chez le commissaire 1
Que lui dirai-je?
THÉHÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉ&~NET.
THÉRÉBIN.
------------------------------------------------------------------------
RÉGiNET, tirant son carnet et écrivant.
Je vais vous donner un mot.
Il me rendra ma femme?
REGRET, arrachant la feuille de son carnet et la lui donnant.
Oui, contre ce papier. Allez!
Ah beau-père
Allez vite! ~art.~ J'aurai toujours le temps de m'échapper
Baron de Carabasse.
Quj, baron de Carabasse?
Vous avez signe Baron de Carabasse.
Moi, pas du tout.
Ah c'est donc ça que mon peintre vous a appelé Baron?
Eh bien, oui, je n'ai plus rien à vous cacher.c'est bien permis, quand on a une femme comme la mienne. Mais. f /att le cigne.)
J'ai compris. Et voilà comment vous cherchez votre Bile? 2
THÉRÉBiN, regardant le papier.
RÉGiNET, reprenant le papier.
THÉRÉBfN.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
RÉGINET.
THÉRÉniX.
RËCIXET.
THÉHÉBIX.
THÉHÉBI~.
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RÉGINET.
Est-ce que je sais ce que je fais depuis une heure? THÉRÉBIN.
Et vous m'envoyez chez le commissaire sous un faux nom?.
RÉGINET.
C'est une distraction. Depuis quelque temps je perds la boule. je signe à tors et à travers THÉRÉBIN.
C'est pour vous débarrasser de moi! Je ne vous lâche plus.
RÉGINET.
Thérébin, encore une fois, fichez-moi la paix et laissez-moi partir avec Gudule.
THÉRÉBIN.
Quelle Gudule ?
RÉGINET, trouvant le sac sous le coucou ou ailleurs et sautant de joie
Voici le porte-bonheur, j'ai le porte-bonheur! Voyons, chère amie, arrivez vite (Il ouure la porte du 6.)
THÉRÉBIN, regardant.
Mme la Préfète
(Entrée de jBëueau.~
SCÈNE XVI
LES MÊMES, BÉVEAU, GUDULE, puis JOSEPH. BÉvEAU, parait & porte.
Je me suis retrempé dans le sein de la nature!
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Béveau! (Il repousse Gudule dans la chambre et ferme la porte à clé.)
Béveau
Le mari
Et M. Régmet (Il va s'échapper, Thérébin le sai.Stt.~
Ah vous m'enfermez
Vous savez où est ma femme ?
Je ne sais rien, lien du tout, au contraire
RÉGiNET, Me/tant aussi Gudu!e et revenant à 'T/K'rebtn, Ne faisons pas de scandale dans l'hôtel
Oui, monsieur, pas de scandale.
Allons causer dans la forêt.
THÉnÉBiN, secouant encore Béveau, malgré Réginet. Je veux que vous me rendiez ma femme
Mais, je ne l'ai pas, monsieur, je ne l'ai pas.
Il ne l'a pas, cher ami, soyez calme! (Il fait le signe.) THERÉBIN.
Non, non, non, non. Je veux ma femme
RÉGINET, sortant du n" 6 avec Gudule.
GUDULE, dans la chambre.
THÉRÉBIN.
BÉVEAU, ahuri.
BÉVEAU.
THÉnÉBiN, à Bëfecut,
BÉVEAU.
BÉVEAU.
RÉG!XET.
UÉGINET.
BÉVEAU.
------------------------------------------------------------------------
RÉGIXET.
Je vais faire sauter Gudule par la fenêtre. (Il OMurc le 6.)
BÉVEAU, yurteuv.
Voulez-vous bien, monsieur, ne pas me secouer comme ça ?
THÉRÉBtX.
Je vous secouerai, jusqu'à ce que vous me disiez oa est ma femme.
BÉVEAU.
Ça ne se passera pas ainsi. « Injures et sévices graves envers un jurisconsulte!n
RÉ&tNET, entrant.
Elle n'y est plus Qu'est-elle devenue? (Il re~-de de/tors.~
THÉRÉBIX.
~Je ne vous lâcherai pas.
JOSEPH, accourant à 7~tëré6m.
Monsieur, ce n'est pas lui. Monsieur est venu pour la nuit de noces.
THÉRÉBHS.
Comment, pour la nuit de noces?
BÉVEAU, à Joseph.
Taisez-vous donc, vous
RÉGINET.
Mais non, ce n'est pas une nuit de noces.
JOSEPH.
Je croyais.
THÉRËBIX.
Qu'est-ce qu'il appelle votre nuit de noces?. ~«
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sephj Monsieur est venu ici avec une grosse '!un~. n'est-ce pas?
Non, monsieur, avec une petite dame.
Gudule 1
Très jolie, mince et blonde.
Blandine Hein?. Béveau! oh oh 1
Qu'est-ce que vous dites, vous?
De quoi vous mêlez-vous ?
C'est la grosse dame qui trompe son mari.
Comment, c'est la grosse femme ?
Où est la dame blonde. où est-elle?
Ne dites rien, je vous le défends.
La grosse dame me trompe?
Oh! ma foi, qu'ils s'arrangent! (Il sort à gauche.~ THËHÉBIX.
Dis-le, ou je t'étrangle!
JOSEPH.
RÉGI~ET, TCUCTtfCnf.
JOSEPH.
THÉRÉBIN.
RÉGINET, à Joseph.
BÉVEAU. à Joseph.
JOSEPH, bas A Réginet.
RÉGINET, bondtssan~.
THÉRÉBiN, saisissant Joseph.
BÉVEAU, de l'autre côté.
RÉGiNET, à Joseph.
BÉVEAU, à part.
------------------------------------------------------------------------
JOSEPH.
Elle est au 1.
THÉRÉBIN.
Au 1. (Il court au Céphise en sort braquant u~ pistolet. )
SCÈNE XVII
RÉGINET, THËRÉBIN, CÉPHISE, JOSEPH, puis GUDULE, LE CHASSEUR, puis BLANDINE.
CÉPHISE.
On n'entre pas.
THÉRÉBIN.
Ma femme. ma femme.
cÉPHiSE, brandissant le pistolet.
N'avancez pas.
LE CHASSEUR, dans la chambre.
Mais enfin, madame.
GUDULE, sortant de la chambre du chasseur.
Mais, monsieur, n'ayez donc pas peur, ce n'est pas ma faute, la porte a cédé. les chambres communiquent.
RÉGiNET, atterré.
Gudule, maintenant.
GUDULE.
Enfin, voici mon mari!
CÉPHISE.
Non, madame, c'est le mien 1
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Ah il était marié, le monstre.
Garçon soutenez-la
Il avait une maîtresse
A qui la faute, madame? (Thérébin est entré dans la chambre et entraîne Blandine par la porte du fond.) BLANDINE, se débattant.
Maman! maman t
Ma nlle; il enlève ma fille (Elle cherche à aller au secours de sa fille, Réginet lui barre le chemin en plaçant la table devant elle.)
Il l'enlève! c'est son droit. c'est son devoir 1. Article. enfin l'article bien connu!
Tu me le payeras, Agénor
Je me vengerai, monsieur
(Le c~asseur~ est entre sur ces derniers mots et, exaspère de tout ce tapage, se met à sonner du cor de chasse auec fureur. Tableau.)
GUDULE, dans les bras de Joseph.
GUDULE, poussant un cri.
RÉGiNET, à Joseph.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
------------------------------------------------------------------------
ACTE TKOrS~ÈM
L'atelier de Paul. Un atelier de peiuturc.
SCÈNE PREMIËKE
PAUL, seul.
Pas mèche de travailler. Je ne sais pas ce que je fais. J'ai la tête ailleurs. Pauvre petite Blandine, quel mariage absurde! Il est consommé à présent. Broum! Si j'en grillais une! (Il ua (t ~o)t râtelier de pipes. Toutes mes pipes. J'en ai pour toutes les situations de la vie, comme Béveau des articles du Code. Je vais fumer celle de l'oubli! (~ fume.) Au moins, j'en ai fait une bonne à Gudule. Le coup de la dépêche est drôle. Elle y a cru et elle s'est sauvée à Fontainebleau! Il fallait m'en débarrasser, elle devenait trop nature. (Riant.) Ah! ah! je vois d'ici sa tète quand elle se sera trouvée seule à la Corne-d-'Or! Où est le baron ? Pas de baron. Ni vu ni connu, Agénor! (Entre Gudule.) SCËNE II
PAUL, GUDULE.
GUDULE.
C'est moi, ne vous dérangez pas.
------------------------------------------------------------------------
Tiens! C'est toi? Tu viens de Fontainebleau ? GUDULE.
Oui; avez-vous du laudanum?
Est-ce que tu es malade? l
Non! Mais j'en ai plein le dos.
De quoi?
De tout. L'homme est la plus vilaine bête de la création. Aussi je veux en nnir.
Ne dis donc pas de niaiseries.
Si tu crois que c'est drôle ce qui m'arrive! PAUL.
Oui, la ch M-gc éait peut-être un peu violente. GUDULE.
Quelle charge?
De t'envoyer comme c~ à Fontaineb'.eau, la nuit. GUDULE.
Non. Tu ne pouvais pas savoir ce qui arriverait. Mais il est bien canaille.
Qui, l'hôtelier?
Non, le baron. Agénor est marié, mon cher.
GUDULE.
GUDULE.
GUDULE.
PAUL.
PAUL.
PAUL.
PAUL.
PAUL.
PAUL.
GUDULE.
------------------------------------------------------------------------
C'est à la Come-dO'r que tu l'as appris?
Je rai pincé avec sa femme.
Il y était donc?. Oh! qu'elle est bonne. (Il rit.) GUDULE.
Ça vous fait rire, vous?. Oh! la somnambule! PAUL.
Ah ça, par quel hasard extraordinaire, M. Réginet?. GUDULE.
Il s'appelait Réginet? J'aurais dù m'en douter. Mais c'est égal, c'est un rude polichinelle!
Console-toi, va, tous les bourgeois sont les mêmes. Et puis, il y en a d'autres.
GUDULE.
Non, c'est fini. Je deviens sérieuse.
Pas encore! Dis. Tu as bien le temps.
C'est peut-être amusant, la vertu?
Hum! 1
On peut toujours essayer.
Oui. Tiens, veux-tu me poser une Minerve? Ce sera une préparation.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
PAUL.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
------------------------------------------------------------------------
Avec le casque ?
Oh rien que le casque si tu veux.
Alors, tu me vois en Minerve?.
Je ne t'~ vois pas. Je t'y rêve.
Eh bien, mon petit, tu as raison. Je m'étais habituée, moi, à l'idée d'avoir un mari. J'avais tant fait son éloge d'avance, que ça m'a monté l'imagmation. En lisant. dans un journal, en chemin de fer, l'adresse d'une agence matrimoniale: « Beaux partis pour veuves et demoiselles. a On m'a oiïcrt un monsieur très bien, avocat. Il sera député. On m'a donné sa photographie. J'ai donné la mienne. Ah! si tu sava s comme je suis impatiente Je vais poser pour tuer le temps. PAUL.
Entre là. Tu vas te préparer, et je vais fermer ma porte pour que personne ne nous dérange.
Tu me jures que c'est sage ce que nous faisons? PAUL.
Certainement, puisqu'il y a un casque. (Gudule disparait. Paul seul.) Où est ma craie? Je vais écrire sur ma porte « Fermé pour cause de modèle (Entre r/tëré&ùt.)
GUDULE, e~fra~.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
PAUL.
GUDULE.
------------------------------------------------------------------------
Vous êtes seul?
Monsieur Thérébin
Oui, cher maître, j'ai un service à vous demande)'. PAUL.
Tout à vous. Mais, en ce moment.
Je sais, vous travaillez. Mais c'est grave. Enfin, c'est un service d'ami. Prètez-moi votre appartement. PAUL.
Mon appartement ?
Oh! j'en aurai soin. Nous ne casserons rien. PAUL.
Comment nous? Vous êtes donc plusieurs?. THÉRÉBIN.
Je vous revaudrai ça. Elle n'est pas finie la vie complète de Thérébiu. Je vous promets qu'elle n'est pas finie.
Je dois m'en aller, alors ?
Non, pas du tout, au contraire. Je vais aller vous la
scËi\E m I
PAUL, THËRÉBIN.
THÉRÉBIN.
PAUL, rec~~n~.
THÉRÉHIN.
THÉRÉBIX.
THÉRÉBIN.
PAUL.
THÉRÉBIN.
------------------------------------------------------------------------
chercher. Elle est dans un fiacre, en bas, toute tremMan'e 1
PAUL.
Qui, elle?. C'est donc une femme?
THÉRÉB1N.
Je ne peux pas l'emmener à mon magasin de confiserie, parce qu'on l'y pincerait. Je ne peux pas la conduire au domicile conjugal parce que ça ferait scandale.
PAUL.
Je crois bien.
THÉRÉBIN.
Elle ne peut pas s'échapper, parce que sa toilette a eu des accrocs f'ans la bagarre.
PAUL.
Quelle bagarre ?
THÉRÉBIN.
Vous acceptez ? Merci, mon cher ami. Je cours la chercher. (~ sort.)
PAUL.
Comment! lui aussi Et le lendemain de son mariage!C'est de la dépravation! En voilà une i'amitle.
SCËNE IV
GUDULE, PAUL.
GUDULE, passant la /6/c en calque de ~tucrue.
C'est un enlèvement. Méfie-toi. Tu seras complice. PAUL.
Vcux-t.u bien te cacher ? Ça ne te regarde pas.
------------------------------------------------------------------------
GUDULE, sortant.
Mais tu sais que je le connais. C'est le confiseur malheureux. Il était à la Corne-d'Or hier soir.
PAUL.
Qui, Thérébin ?
GUDULE.
Ah! il s'appelle Thérébin? Je suis bien aise de le savoir.
PAUL, à part.
Allons, bon, voilà que je lui apprends son nom maintenant. (Haut.) Quand je dis qu'il s'appelle Thérébin, j'exagère. Il prend ce pseudonyme pour venir faire la noce à Paris. Aussi, tu ne dois pas le savoir, va te cacher dans ma chambre. (Il la pousse dans la cAûTMbre.)
GUDULE.
Tiens Tiens C'est ici qu'il casse son sucre.
PAUL.
Dépêche-toi donc 1
GUDULE.
Est-ce qu'elle est jolie ?
PAUL.
Non. C'est la belle-sœur de son ministre.
GUDULE.
C'est pour l'avancement.
PAUL.
L'avancement dans la confiserie Enh'c donc. (Il ~en~crme.~
------------------------------------------------------------------------
SCËNE V
PAUL, THÉRÉBIN, BLANDINE.
THÉRÉBIN.
E ntrez ne craignez rien. Nous sommes chez un ami. PAUL.
Blandine
BLANDINE.
Monsieur Paul!
PAUL, & part.
Ah ça, il m'amène sa femme. Mais il est aliéné. BLANDINE, it part.
Me conduire chez lui. Est-ce qu'il se douterait? THÉRÉBIN.
Voilà. Vous voyez que cela était grave. Je savais avant tout éviter le ridicule. J'ai pensé à vous qui êtes un véritable ami. Il n'y a que Paul Assart, me suis-je dit, qui puisse me garder Blandine. Et je vous l'amène.
PAUL.
Je suis très honoré, madame.
BLANDINE.
C'est bien malgré moi que je suis ici. Monsieur est un homme abominable.
THÉRËBIN.
Blandine, ma petite Blandine, j'ai fait tout ce que vous avez voulu.
BLANDINE ·
Vous auriez dù me ramener à ma mère.
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Jamais, jamais Vous êtes ma femme, vous m'appartenez, je ne vous lâche plus.
Que h'est-il donc passe?
J'ai enlevé ma femme
Enlevé ?
Mais oui, à la Cor~e-J'O)', à Fontainebleau. PAUL.
Comment, à la Corne-d'Or? Tout le monde y était donc à la Cor~e-d'O~
Tout le monde Ah mon ami Si vous saviez quel tapage! C'est là que ma belle-mère avait caché Blandine.
Cachée?. Pourquoi cachée?.
Cachée pour me la ravir. A cause du mariage religieux. Mais, s'il avait eu lieu, c'était mon beau-père qui aurait caché ma femme. Alors, je l'ai prise. Ils s'arrangeront entre eux. J'ai ma petite femme. (Il veut ~ut prendre main.)
Ne me touchez pas.
Ça a été comme ça tout le long du voyage! Ah! quel
THERESE.
PAUL.
THÉRËBJN.
PAUL.
THËRÉUIX.
THËRÉniN.
PAUL.
THÉRÉBIN.
BLANDiKE, riuement.
THÉRÉBIN.
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voyage, mon ami! Un wagon plein de réservistes et qui se fichaient de moi Ils auraient voulu être à ma place, quoique.
PAUL, Ft~errompa~.
Je veux être de l'Institut si je comprends un mot à ce que vous me racontez.
THÉn~ntx.
Vous en serez, cher ami, vous en serez à la con'Ution de me garder Blandine pendant que je vais aller m'occuper de notre avenir.
PACL, le )Y(ppe~m<.
Monsieur Théreij m?
THÉRÉBIX.
Quoi, cher ami? 2
PAUL.
Vous feriez peut-être bien de demander à madame si cela lui convient de rester ainsi dans un atelier où il y a des pipes.
THÉRÉBIX.
N'est-ce pas, chère amie, elles ne vous font pas peur, les pipes?
BLAXDiNE, auec pudeur.
Puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement.
THÉRÉBIX.
Vous le voyez! Quel trésor, mon cher, qu'une p:ireille femme! Je vous demande son portrait prononçant ce mot-là cc Puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement, » Il est à peindre. A tout à l'heure. (Il sor~ )
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SCÈNE VI
PAUL, BLANDINE.
PAUL, à part.
Que le diable emporte cet imbécile. En voilà une situation.
BLANDINE.
Monsieur, il faut tout de suite envoyer une dépêche à maman.
PAUL.
Je veux bien, moi. Que mettrons-nous dedans? BLANDINE.
Il faut la ménager, ma pauvre mère. Mettez votrb fille est en sûreté.
PAUL, s'asseyant.
Très bien.
BLANDINE.
M. Paul Assart vous renseignera.
PAUL.
Vous croyez qu'il faut parler de moi ?
BLANDINE.
Pour qu'elle vienne ici.
PAUL.
C'est qu'elle sera peut-être étonnée.
BLANDINE.
Pourquoi?
PAUL.
Pour rien. Tenez, Blandine, ne me cachez rien.
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BLANDINE.
On ne vous cache rien, monsieur Paul. Que voulezvous savoir?
PAUL.
Faut-il vous appeler madame ou mademoiselle?. BLANDINE.
Comme vous voudrez, monsieur Paul. Que vous êtes drôle Que vous êtes donc drôle
PAUL.
Elle est adorable quand elle rit. Vous êtes adorable 1 BLANDINE.
Vous n'envoyez pas la dépêche à maman ?
PAUL.
Si, si, je l'envoie! Ah! Blandine.
BLANDINE.
La dépêche.
PAUL.
Si vous saviez ce qui se passe là.
BLANDINE.
Je le savais.
PAUL, éperdu.
Vous le saviez. vous le saviez. (Il lui pre~ la moût.)
UNE VOIX EN DEHORS.
Ouvrez, au nom de la loi
BLANDINE.
Ah! mon Dieu! mon mari!
PAUL.
Ah c'est trop fort C'était un piège pour nous surprendre. Serait-il moins bête qu'il n'en a l'air ?
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Ouvrez donc 1
Vite vite Entrez dans cette chambre. Ouvrez l'autre porte. Vous pourrez vous enfermer à clé. Enfermezvous. Ne bougez pas. Je le recevrai et j'irai moi-même chercher votre mère.
Oh! que vous êtes bon. (Elle sort.)
Alors, vous ne voulez pas m'ouvrir?.
Eh on y va (Ouvrant.) Béveau
Oui, c'est moi! C'est drôle, hein, cette plaisanterie. Au nom de la loi. Vous avez eu peur, je parie. Ça fait toujours peur, même quand on ne craint rien. C'est la force du Code.
Vous êtes gai, vous?
Toujours, quand je n'exerce pas.
Et qu'est-ce qui vous amène?
(Blandine a disparu. Paul va à la por/ej
SCËNE VII
PAUL, BÉVEAU.
BÉVEAU, du dehors.
BÉVEAU, entrant.
LA VOIX.
PAUL.
BLANDINE.
PAUL.
PAUL.
BÉVEAU.
PAUL.
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Je viens visiter votre atelier.
Vous ne le connaissiez pas?
Si, mais c'est égal.
Alors, hàtez-vous, je suis pressé.
Vous sortez?
Oui, je sortais.
Ne vous dérangez pas pour moi.
Accompagnez-moi.
Ah! non! Je suis éreinté. Savez-vous qu'à trois heures du matin je me promenais dans la forêt de Fontainebleau Et puisque vous sortez, je garderai votre atelier. (Il s'assied it gauche.)
C'est que je n'aime pas ça!
C'est drôle! ça sent la chair fraîche chez vous. PAUL.
C'est la pipe.
Farceur! Ah! les peintres! qu'ils sont heureux' Vous aviez une femme, hein?
BÉVEAU, re~t/ïa~.
BÉVEAU.
PAUL.
BÉVEAU.
l'AL'f..
BÉVEAU.
PAUL.
BÉVEAU.
PAUL.
BÉVEAU.
PAUL.
bÉVEAU.
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Non.
Allons donc! est-ce que je m'y trompe?. Elle est la derrière ce paravent.
Regardez
C'est vrai qu'il n'y a personne. Eh bien, j'aime mieux cela. Je suis dans un état tout à fait hétéroclite. Cette nuit de noces honoraire à la Corne-d'Or.
Vous étiez aussi à la Corne-d'Or ?
Mais oui. rétais le gardien de Blandine. Sa mère me l'avait confiée. C'est un rôle dur.
Elle a cette confiance en vous, sa mère ?
Seulement ça m'a bouleversé, bouleversé au point qu'au chemin de fer j'ai lu l'adresse d'un agent matrimonial. de jolies dots et de grosses femmes. non, de jolies femmes et de grosses dots. J'y ai couru en arri. vant. On m'a offert une femme qui n'a pas le sou, mais qui est très agréable, dit-on. L'éducation est parfaite. Tous ses diplômes. On m'a donné sa photographie. J'ai donné la mienne. Elle doit venir ici sous prétexte de visiter votre atelier. Vous permettez.
Mais oui. Alors, vous ne venez pas?
BÉVEAU, regardant.
PAUL.
BÉVEAU.
PAUL.
PAUL.
BÉVEAU.
PAUL.
BÉVEAU.
PAUL.
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Non.
Eh bien, je vous laisse, Bév eau. Ne faites pas de bruit à cause des voisins. Je reviendrai vite. (En sortant.) Que lui dirai-je, à la mère? (Il sort par le fond.) BÉVEAU, seul.
Ah oui, il y a ici un parfum de chair fraiche. Décidément, je traverse une crise, moi! (Entre Gudule.) SCÈNE VIII
Je me fais vieille là dedans, mon petit.
Hein?. quelle est cette divinité?
Tiens! ce type! (Elle s~n~mce avec une lance sur Dcueau.) Jeune mortel, si tu veux voir Minerve, la voila! Parle sans trembler. Qu'est-ce que tu fricotes sur la terre ?
Déesse de la sagesse! je suis jurisconsulte.
Es-tu marié, veuf ou célibataire? P
Tout ce que vous voudrez. ne me transpercez pas.
GUDULE, passant la tête, en Mm crue.
BÉVEAJ.
BÉVEAU, GUDULE
BÉVEAU.
PAUL. ·
BÉVEAU
GUDULE.
BÉVEAU.
GUDULE.
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Ah!
Quoi donc? P
J'ai vu cette tête-là à la Cor~e.d'Or. Si j'ôte mon casque je suis fichue. Et il me gène.
C'est singulier. J'ai comme un sentiment de vous avoir déjà vue quelque part.
Je produis toujours cet effet-là, la première fois que j'apparais. Ce n'est qu'après que l'illusion tombe. Elle vient du casque, l'illusion.
Décidément, beau casque, je te connais.
Bas les pattes, téméraire.
Voyons, Minerve, suppose que je sois Hercule. GUDULE.
As-tu fini ?
Madame, sous ce costume noir bat un cœur rose Je suis avocat par profession et amoureux par vocation. J'ai deux éloquences.
Je n'ai pas, veuillez le croire, l'habitude de me promener dans les rues dans cet appareil mythologique. Mais ici je pose pour une apothéose de mon père. un
GUDULE, te?'e<yard~
BÉVEAU.
GUDULE.
BÉVEAU.
GUDULE.
BÉVEAU.
GUDULE.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
GUDULE.
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savant, inconnu toute sa vie, à qui l'on doit la découverte posthume de la pondeuse artificielle.
0 France encore un génie incompris.
Mort sans fortune, hélas, et laissant sa fille à la merci des flots.
Quel océan que la vie Oh je vous plains!
Mais on a tous ses diplômes
Ses diplômes! Oh! permettez! (Il fouille dans ses poches c~ prend une photographie.) Voyons donc que je confronte.
Un avocat Voyons donc que je compare
Celle de la photographie c~t plus blonde
Ce serait lui. un peu cocasse.
La photographie aura été repeinte. à la mode. GUDULE.
Le photographe l'aura chatouillé
Je crains et je brùle de vous reconnaître
Mon cœur n'en croit pas mes yeux.
GUDULE, fièrement.
GUDULE, même jeu.
BÉVEAU.
GUDULE.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
GUDULE.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
GUDULE.
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Elle! 1
Lui Cette fois, c'est le mariage. Tenons-nous bien. BÉVEAU.
Madame, par métier et par principes, je considère le mariage comme un acte sérieux.
Ça va ça va 1
Quarante-cinq ans. sans famille. 6,000 francs d'affaires. Spécialité de divorces. J'ai l'honneur de vous demander votre main.
Monsieur, vingt et un ans. à peine majeure libre. dot dix billets de loterie. et de la veine. (Lui donnant la main.) Vous ne faites pas une mauvaise auaire.
Permettez-moi de sceller notre union par un baiser chaste et respectueux.
Je vais ôter mon casque.
Ne l'ôtez pas Il vous couronne
Je ne demanderais pas mieux, cher ami, mais c'est lui qui me quitte. (Entre Céphise abattue.)
BÉVEAU.
GUDULE.
GUDULE.
BÉVEAU.
GUDULE.
BÉVEAU.
GUDULE.
BÉVEAU.
GUDULE.
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Ah Béveau
Madame Réginet
La légitime de feu Agénor. (Elle passe derrière le parafent pour ôfer son casque.~
Béveau, je ne sais plus ce que je fais! Je vais comme un cerf-volant Donnez-moi la main, je n'ai plus de nerfs.
Madame.
Je vais revoir ma fille. On doit me la ramener ici. Je me serais faite franc-maçonne pour la reconquérir. (Elle s'assied.)
Si elle lui-dit quej~ai été baronne de Carabasse, tout est flambé. (Haut.) Dites donc, mon mari, comment vous appelez-vous ?
Isidore Béveau.
Isidore, va me chercher un fia( rc.
GUDULE, sans casque réméré le paravent.
SCËNE IX
Las MÊMES, CËPHISE.
CÉPHISE, entrant.
BÉVEAU.
GUDULE.
CÉPHISE.
DÉVEAU.
CÉPHISE.
BÉVEAU.
GUDULE.
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J'y vais. ma chère. Comment donc? GUDULE, scnomm'
Gudule Pluvier.
J'y vole, Gudule. (Il .so)/
Il faut que je lui parle.
Dévt'au. Ah! ça, mais où est-il passé? Il n'est plus la.–L'hétaïre de Jean-Baptiste. Ne tremblez pas. madame la baronne, non, je ne vous dispute pas. GUDULE.
Croyez, madame, que si je vous avais connue plus tôt! Mais il m'avait dit qu'il était garçon. Les célibataires nous reviennent.
Il était fait pour le rester. Je ne vous le dispute pas. Je vous plains.
Vous y avez passé, madame. agréez mes condoléances.
Dans ce temps-là, il pouvait encore faire illusion, et
CÉPHISE, GUDULE, pum BËVEAU.
BÉVEAU.
BÉVEAU.
SCËNE X
GUDULE. 6[p<
CÉPHISE.
CÉPHISE.
GUnULE.
CÉPHISE.
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je n'ai pas d'autre excuse. Mais, vous, madame, a-t-il fallu que vous n'en trouvassiez pas d'autres 1 CUDULE.
Ce n'est pas qu'il en manquât, madame, mais aucun d'eux ne réalisait mieux l'idéal du mari tel que nous le rêvons. Voilà ce qui me justifie. Mais, il ne sera pas dit que j'aurai asticoté une personne de votre distinction. Reprenez-le. Je vous le rends.
C'est moi, madame, qui vous le cède.
Je n'en ferai rien, madame. J'en ai jusque-là, madame.
Et moi, jusqu'ici, madame.
Pardon, madame.
Relevez-vous et gardez-le.
Impossible, j~ me marie! Et entre femmes honnêtes
Vraiment ?
J'épouse un jurisconsulte, M. Isidore Béveau. CÉPHISE.
Béveau Allons donc.
C'est une longue inclination.
GUDULE: <om&a~ à genoux.
CÉPHISE.
GUDULE.
CÉPHISE.
CÉPHISE.
GUDULE.
CÉPHISE.
GUDULE.
GUDULE.
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CÉPHISE.
L'austère Béveau. A qui se fier?
BÉVEAU, à la porte.
La voiture est là, chère amie.
GUDULE.
Je vous suis, cher époux.
BÉVEAU.
Je suis ivre de joie. (Ils sortent.)
CÉPHISE.
Béveau Je n'en crois pas mes yeux
SCÈNE XI
CÉPHISE, BLANDINE.
BLANDINE, accourant.
Maman, j'ai entendu ta voix.
CÉPHiSE, avec une émo~tOTt exagérée.
Ah mon enfant ma pauvre enfant Te voilà don; rendue à ta mère 1
BLANDINE.
Je suis bien contente, maman
CÉPHISE.
Comment s'est comporté M. Thérébin ?
BLANDINE.
Oh! M. Thérébin (Elle baisse les yeux.) J
CÉPHISE.
N'achève pas. Je lui pardonnerais une indifférence de bon ton, et puisque tu l'aimes.
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Mais non, maman, je ne l'aime pas.
Tu ne l'aimes pas. Tu es donc toujours ma fille ? BLANDINE.
Oh! maman, plus que jamais.
Et tu ne veux pas être la femme de Therébin? BLANDINE.
Oh non, maman, je t'en prie.
Eh bien nous divorcerons toutes les deux, le même jour.
Tout de suite ?
Non, dans deux ans.
Deux ans ?
Il faut deux ans à cause des formalités. Tu as une instruction dans ta corbeille de noca. J'avais tout prévu.
Maman. deux ans, c'est bien long.
Tu aimes donc quelqu'un ?
Oui, maman, M. Paul Assart.
Et cet imbécile de mari t'a amenée chez lui. Ah t
BLANDINE, noe~e~.
CÉPHISE.
CÉPHISE.
CÉPHISE.
BLANDINE.
CÉPHISE.
BLANDINE.
CÉPHtSE.
BLANDINE.
CÉPHISE.
BLANDINE.
CÉPHISE.
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c'est bien là l'instinct de cette espèce! (On entend Réginet.) Ton père la lutte recommence.
RÉGINET, entrant avec Thérébin et faisant le moulinet. Assez, monsieur, assez!
Je vais vous expliquer.
Pas d'explications Comment, monsieur, vous conduisez ma fille chez un peintre, et un peintre moderne encore?
Je ne savais où aller!
Vous deviez la mener chez son père.
J'ai eu peur de Gudule.
Vous avez eu raison, mais ce n'est pas une excuse. Je suis exaspéré.
D'abord, je suis prêt à faire des concessions!
Pas de concessions 1 Je suis le père.
Je suis le mari! Ah! ah!
LES MÊMES, RÉGINET, THÉRÉBIN.
SCÈNE XÏI
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBJN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
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Je n'ai pas besoin de Béveau pour savoir le code. J'ai l'article 148, je le brandirai!
Moi, j'en brandirai un autre.
Culotte de bronze culotte de bronze 1
J'ai commandé une messe do première classe! avec de la musique I
Une messe Prenez la porte!
Moi! 1
Une messe! un franc-maçon! Je ne veux pas de caméléon dans ma famille. vous resterez marié comme vous l'êtes 1
Comme je le suis, ce n'est guère.
Voilà le gendre que vous avez choisi
C'est à vous, monsieur, qu'il plaisait.
Il me plaisait parce qu'il vous déteste.
Et moi je l'aimais parce qu'il vous exècre. THÉRÉBIN.
Ce sont des nuances.
RÉGINET, grtnç<mt des dents.
RÉGINET, à Céphise.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
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RÉGINET et CÉPHISE.
Taisez-vous!
RÉGINET.
Vous êtes mon gendre. il n'y a plus à vous en dédire. Contentez-vous de ça.
THÉRÉBtN.
Je m'en contente.
RÉGINET, après un silence.
Ce serait une erreur de croire que je m'avoue responsable de l'absurde situation où nous sommes. Je m'en lave les mains.
CÉPHISB.
Il est évident que c'est moi qui suis franc-maçonne et que j'ai égorgé ma fille sur l'autel triangulaire de la libre-pensée.
RÉGINET.
.Je ne sais pas si l'autel de la libre-pensée est triangulaire, mais je sais que si j'avais été mère, j'aurais trouvé dans mon cœur le moyen d'empêcher un pareil mariage.
THÉRÉBIN.
Et pourquoi ça?
RÉGINET.
Il était visible que Thérébin est un imbécile.
CÉPHISE.
D'accord!
THÉRÉBIN.
Comment! imbécile! moi qui me ruine pour les intentionistes.
cÉPHiSE, l'attirant à part.
Si j'avais été père, moi, je n'aurais pas épuisé chez
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les hétaïres les restes d'un bon sens qui était déjà trop malade.
Oh ça, il a eu tort, je le lui ai assez dit!
Taisez-vous 1
Des hétaïres! Elle me les reproche I! J'ai eu des torts de ce côté, soit. Mais vous êtes la seule qui n'ayez pas le droit de me les faire sentir. L'unique but de ma vie est d'aimer.
oui oui!
Ça s'affublait pour séduire d'une noblesse de contrebande. Oh! là là! Tiens, Jean-Baptiste Réginet, je te pardonne.
Elle ua à sa fille et fait pirouetter Thérébin
Le grand triangle nous jugera!
Il y a le divorce.
Le divorce 1
Il faudrait, alors, que je cherchasse un autre francmaçon.
Mais non! mais non!
C'est inutile Elle aime Paul Assart
CÉPHISE, RÉGINET.
THÉRÉBIN, avec élan.
qui se trouve près de Blandine.
THÉRÉBIN~ bondissant.
CÉPHIS&, allant à Réginet.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
THÉRÉBIN.
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REGINET.
Le peintre?
CÉPHISE.
Oui.
· THÉRÉBIN.
Mais pas du tout! Vous vous trompez. La preuve c'est que moi, le mari, je la lui ai connée Ah ? RÉGINET.
Un rien! Un homme qui expose des madones! Jamais jamais jamais
CÉPHISE.
Mais si je le veux, moi
RÉGINET, furibond.
Si vous le voulez! Encore une fois ce mot, madame, et je massacre, je brise et je chambarde tout (Tout le monde recule.) On veut donc me pousser à bout. Culotte de bronze 1. Culotte de bronze! (Il s'assied ejMMpërë.)
THÉRÉBIN.
Il devient enragé holà! holà: 1
CÉPHISE.
Je cède devant la violence. Courbe le front, pauvre Céphise.
BLANDINE, allant à Réginet, ~ut passant le bras autour du cou.
Mon petit papa. Tu me fais beaucoup de chagrin. Sais-tu?
RÉGtNET.
Je te fais du chagrin. Quel chagrin?
BLANDINE.
Si tu savais que de fois j'ai pleure!
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Tu as pleuré, toi Et on ne me le dit pas Ma fille pleure et ta mère. ton abominable mère ne me le dit pas.
Tu ne veux pas que je m'emporte quand j'apprends que tu as pleuré.
Ma faute, à moi. Et tu pie res encore! Ah! non! r je ne veux pas, Blandine. Je ne veux pas que tu pleures. Voyons. Est-ce que tu pleurais le vendredi? Dis-moi ce qui te chagrine.
Alors, tu ne veux pas de T~ Mon Dieu ce n'est pas que j'y tienne! au i ad..
Tu t'emportes encore f
Mais papa. c'est ta faute! 1
Je ne veux pas rester la femme M. Thérébin, na! CÉPHISE.
Voilà!
Taisez-vous, madame, je suis < ~.aii~ THÉRÉMN
A la bonne heure. Il est le aeu!
Hein?.
A la bonne heure
RÉGINET.
BLANDINE.
RÉGINET.
BLANDINE.
RÉGINET.
BLANDINE,
RÉGINET.
RËGïNtT
THËMWtt
CEPHI~
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Madame! n'approuvez pas. (A Blandine.) Que ~cuxtu que je fasse? Faut-il que j e le tue? –Donne-moi un sabre.
Permettez. Permettez.
Ah! non! papa! i
Alors, il faut te résigner.
Papa, je serai bien malheureuse.
Malheureuse Toi Je voudrais voir ça. qu'il vienne donc celui qui te rendra malheureuse.
Ce n'est pas moi, au.contraire.
C'est M. Paul que j'aime 1
Elle se trompe aussi.. Elle ne l'aime pas!
Tu aimes Paul Assart. Et on ne me le dit pas. CÉPHISE.
Mais si, on vous l'a dit.
On me l'a mal dit~ Tu l'aimes bien, alors?
Oui,papa:
Il y a les madones et la musique.
RÉGÏNET.
THÉRÉBIN.
BLANDINE.
RÉGINET.
BLAND1NE.
RÉGINET.
THËRÉBIN.
BLA~DINE.
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
RÉGINET.
BLANDIKE.
RËGINET.
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La musique d'église. l'orgue.
Je l'adore, moi, l'orgue. Je ne sais plus ce que je dis. Il se fait en ce moment une bouillie de principes dans ma conscience. Mais je tourne aux ganaches, moi. Je suis en train de renier ma vie entière.
Oh: petit papal Petit papa! Tu es si gentil comme ça.
Elle est jolie 1 Elle te ressemble, Céphise 1.
C'est toi à vingt ans, à faire frémir.
Tu trouves ? 7
Tu sais que maman t'aime bien, au fond.
Elle te l'a dit?
Tu sais que papa t'adore au fond.
Il te l'a dit ?
il faut faire ce qu'elle veut, n'est-ce pas ?
Tu trouveras quelque chose, Jean-Baptiste, tu es si ingénieux.
(Elle fait signe que oui et va « Céphise.)
RÉGiNET, avec complaisance.
BLANDINE, à Réginet.
(M6yne jeu de Blandine.)
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
BLANDINE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
RÉGINET.
BLANDINE.
CÉPHISE.
RÉGINET.
CÉPHISE.
------------------------------------------------------------------------
RÉGINET.
Moi. Pas ingénieux du tout. C'est toi qui étais la forte tète du ménage.
CÉPHISE.
Je ne trouve rien. Je ne vois que le divorce. dans deux ans.
ÉPONiNE, entrant.
Monsieur, je cours après vous depuis hier soir pour une lettre.
RÉGINET.
Si vous croyez qu'une lettre peut m'intéresser en ce moment. (Il prend la lettre.) J
PAUL, entrant.
Je vois qu'on s'est retrouvé.
THÉRËBIN, à Paul.
Ah! vous voilà! Comment, je vous confie ma femme. et vous en prontez pour vous faire aimer. PAUL.
Moi! aimé
THÉRÉBIN.
Et vous comptez sur le divorce. mais je n'en veux pas de divorce. On ne peut pas divorcer sans motif. et il n'y en a pas. Il n'y en aura jamais. Je serai irréprochable jusqu'à mon dernier cheveu blanc. Ah! ah 1 ah!
CÉPHISE.
Il en a le droit, Blandine.
BLANDINE, avec des larmes.
Alors. je serai sa femme.
RÉGINET, ~tSGnf.
De la mairie. < Si vous ne voulez pas que le mariage
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de votre fille soit entaché de nullité, veuillez venir rectifier votre signature n. Ah! mes enfants, le mariage n'est pas valable.
TOUS.
Comment!
THÉRÉBIN.
Comment?. (Il prend la lettre.) a Parce que le père de la mariée a signé baron de Carabasse. a RÉGiNET. abasourdi.
Ah! quelle distraction!
THÉRÉBIN, à Réginet.
Il faut aller rectifier.
RÉGIXET.
Jamais Je n'ai pas signé Je n'ai pas consenti Je n'y étais pas 1
THÉRËBIX.
Comment vous n'y étiez pas
RËGIXET.
Taisez-vous
CÉPHISE.
Taisez-vous donc 1
RÉG:NET.
Ma fille, tu es libre libre tout de suite.
THËRÉBIN.
Le v oilà le comble de la déveine le voilà (Se levant furieux et allant à Réginet.) Monsieur Réginet. (Il se frotte le ne~.)
RËGINET.
Ce signe est inutile. Je n'ai jamais été franc-maçon.
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Moi non plus.
Hein?. De quel droit, alors. vouliez-vous être mon gendre?
THÉRÉBIN.
RÉGINET.
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FLORE DE FRILEUSE
Cette pièce a été présentée d'abord à M. Émue Perrm qui m'a dissuadé de la lire « dans mon intérêt! a Puis à M. Koning, par l'éditeur Paul Ollendorff, aidé et appuyé en cette aventure par Georges Ohnet, le triomphant auteur du Maitre de forges. Ils convinrent tous deux de n'en pas révéler l'auteur au directeur et lui laissèrent le manuscrit comme l'œuvre d'un jeune explorateur de la mission Savorgnan de Brazza, qui n'en faisait pas son métier. S'ils lui avaient laissé entendre qu'elle était de Savorgnan lui-même, j'avais des chances. M. Koning. fut d'ailleurs fort intrigué. Il aimait beaucoup le type de la vieille comtesse. Mais l'étude lui parut trop dangereuse, et il finit par rendre le rouleau à mes deux amis, ayant esquivé le lapin. Puis à M. Deslandes par le comédien Pierre Berton qui était venu en entendre lecture chez moi, s'en
P R ÈFAC E
DE
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était épris fortement et l'eût créée avec joie. Lorsqu'il emporta le manuscrit pour le lire lui-même à son directeur je lui demandai s'il n'allait pas compromettre le crédit que son originalité d'acteur lettré lui avait acquise.
« Jeudi.
cr Mon cher Bergerat, voici le texte du jugement rendu par Deslandes. Surtout n'ayez pas de remords, vous n'avez pas pu compromettre mon crédit sur lui. Je n'en avais pas, l'événement l'a prouvé. Cordialement à vous.
« PIERRE BERTON. a
Ce billet en contenait un autre, que voici, et qui était adressé à Berton.
« Paris, le 28 avril 1884.
e Vous me demandez mon impression sur l'ouvrage intitulé le Viol. La voici, très nette. Je crois la pièce injouable. L'écrivain distingué .qui a voulu dramatiser cette donnée impossible, s'est dépensé en efforts stériles. Ajoutez à cela que son inexpérience des choses du théâtre jette de la confusion et de l'obscurité dans les développements du sujet. Il a oublié d'éclairer la lanterne Compliments anectueux.
Ge RAIMOND DESLANDES. »
M. Worms, de la Comédie Française, eut aussi connaissance de Flore de Frileuse et il me déclara que si
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M. Perrin ne s'opposait pas à la réception, il voterait pour l'œuvre des deux mains, attendu que depuis de longues années il n'en avait pas entendu d'aussi dramatique.
Ensuite Edmond Gondinet en prit connaissance et il me conseilla de m'appuyer de l'autorité deM. Alexandre Dumas fils. Je renouai donc avec l'auteur de la Princesse de Bagdad des rapports brisés par une critique violente de cet ouvrage, et je lui soumis mon travail. « Mon cher confrère,
< Gondinet avait raison. Je n'ai aucune rancune, surtout en matière esthétique. Chacun fait comme il peut et la terre tourne tout de même. J'ai donc lu votre pièce. C'est,, à mon avis, rempli de talent, d'esprit et d'observation; mais à partir de la scène trois du dernier acte ça ne va plus du tout et le public ne comprendrait plus. C'est de la psychologie quintessenciée dont le théâtre ne s'accommode pas; c'est du domaine du livre. Sans compter que le public a horreur du viol au théâtre. Barrière a fait une pièce remarquable, l'Outrage, qui n'a jamais pu réussir à cause de la donnée. La Haine de Sardou avait cu le même sort pour la même raison et je suis venu me casser le nés, dans Balsamo, contre la même dimculté. Cela ne serait.rien cependant et vous pourriez parfaitement réussir là où d'autres ont échoué si vous apportiez à ce fait brutal du viol une solution nouvelle.
« Il n'y en a qu'une, celle que Barrière avait trouât
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~éc ~e ~doleur tué par le mari au pied du ht où le ~c~me:a~Bit été consommé et en présence de la femme, .tendant tl'épée au mari et lui disant a Tue-le Mais le dénouement purement psychologique, non! Et le marigui~esteen face d'une femme enceinte, et'endeemte de qui? d'un laquais, et qui va élever cet enfant Le saint Vincent de Paul des cocus! Jamais vous .ne ferez accepter tout cela. (Ici M. Alexandre Dumas ae trompe, Gilberte n'est pas enceinte de Brutus dans la pièce, mais bien de son mari même, et dans le roman aussi !)
< ~Votre comparaison de la poire dans laquelle le goujat a mordu est tellement juste que vous ne pouvez plus en sortir. On n'a plus sous les yeux qu'un ange ~ouiMe'par un ignoble larbin et tant que je n'aurai pas écrasé ce larbin devant le public, cette femme me dégoùteta et ce mari me fera rire. Si vous le faites tuer, <voœ recommencez la pièce de Barrière avec un peu !phN oeiïànge dans les autres matières qui ont participé ML~cznne.
<<Quant à du talent, il y en a énormément, dans le ~ôle déflore et jusqu'au commencement du troisième <M:te.te ne ~m'explique pas les résistances des direc~euN. A partir de la scène trois, je les ai comprises :et<pa<tagéea. Voilà, mon cher confrère, mon opinion thien:amceM, telle que vous me la demandez et telle (qae~e«cous'la dois. A vous.
< ALEXANDRE DUMAS nls.
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Je fis du Viol un roman, qui parut dans !eGtïGf<M, et qui obtint un gros succès de librairie chez Ollendorff. Dans une préface qui précédait ce roman j'offrais pour rien le manuscrit de ma pièce à celui ou ceux qui voudraient tenter l'aventure de sa représentation et j'abandonnais la majeure partie de mes droits d~auteur à ce hardi impresario imaginaire et fabuleux. Il s'en présenta plusieurs, et, par déveine, je choisis le plus mauvais. Emile Rochard lui loua l'Ambigu et les répétitions commencèrent. r"
Quelles répétitions, seigneur! Nous répétions de neuf heures du matin à onze heures, dans la poussière, les bruits de marteaux, et les courants d'air, sans décor, avec un petit bec de gaz imperceptible dont s'augmentait l'obscurité. Nos pauvres artistes, dévoués, héroïques, stoïquea, pleins de foi et de gaieté déployaient un zèle et une patience extraordinaires. A onze heures les machinistes nous flanquaient à la porte. Cela dura quinze jours, c'est-à-dire trente heures.
Tout à coup l'impresario avec lequel on devait faire la tournée de province déclara qu'il ne voulait pas payer la location du théâtre à Rochard, et que ce détail me regardait. Notez que je lui avais abandonné mes droits, ainsi qu'il était écrit dans la préface du roman. Laisser ces braves gens qui s'éreintaient depuis quinze jours, sans autre espérance que de gagner leur vie par une tournée, les laisser dis-je, le bec dans l'eau et sur la fatigue gratuite de ces répétitions abominables, je
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ne pus y consentir. Je montai donc chez Rochard et je pris la location de la salle à ma charge.
La, première était pour le lendemain.
On m'avait promis deux décors, on ne m'en donna qu'un, de telle sorte qu'avant le lever du rideau, je dus couper des indications topographiques indispensables à la clarté du drame.
Le souffleur du théâtre, celui qui nous avait aidé aux répétitions, se trouva décommandé, on ne sait par qui. Heureusement ce brave homme avait l'honneur et la fierté de sa profession; il vint tout de même et de luimême, ne voulant pas être complice d'un égorgement. Je n'en finirais pas si je racontais tous les traquenards que l'hospitalité de l'Ambigu offrait à mes artistes et j'espère que Rochard n'en a jamais rien su. Ah! on ne m'aimait pas dans son personnel.
Jusqu'à la fin du troisième acte, le succès fut considérable et me donna gain de cause contre tous les détracteurs de mon ouvrage. Ce fut le dénouement qui gâta l'affaire. Ce dénouement je l'avais fait pour la province et on me le reprocha dans toute la presse. Sur la foi du roman on s'attendait à une autre conclusion. Dans le roman en effet la grossesse de Gilberte dissipe le cauchemar de Maxime et l'enfant emporte la souillure. Je regrette d'autant moins d'avoir modifié cette solution que si j'avais donné l'autre on m'eùt d'abord simé à outrance, car on m'attendait là et puis, à mon gré, le dénouement nouveau est, au point de vue du théâtre, infiniment supérieur à celui du livre, qui
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lui est meilleur pour le livre. L'hypothèse du viol, reconnu une aberration naturelle d'un mari extrêmement épris et sujet par métier aux crises d'imagination, pose beaucoup plus puissamment au public le problème de la situation. Enfin cette hypothèse rend la pièce jouable, et partout, ce qui est bien quelque chose.
C'est ainsi qu'un Edgar Poe ou un Hoffmann l'eussent présentée, cette situation insoluble qui n'est dénouable que par surprise, à la scène s'entend. Le viol est une fatalité, et comme telle relève de la tragédie. Les fatalités n'intéressent que par les passions qu'elles développent chez l'homme, par la lutte qu'il soutient contre elles, et la force de caractère qu'il y dépense. Maxime est cet homme. Vouloir que sa femme ait été réellement violée pour lui accorder le droit de souffrir, c'est une puérilité de spectateur d'amphithéâtre, qui demande que les choses soient < arrivées, » c'est une cruauté de cirque.
J'ai pensé etje pense encore qu'il est normal en art et logique de répondre à un fait de hasard par un autre fait hasardeux, et qu'il m'était permis d'opposer une fortuité à une autre fortuité. Il m'est indifférent que Maxime souffre encore après le rideau baissé, si j'ai exprimé de lui toute sa souffrance lorsque la toile était levée. J'échappe par mon dénouement à surprise à l'exception psychologique, je généralise, et la philosophie de mon œuvre pénètre plus profondément, par l'hypothèse même, dans l'esprit de ceux qui pensent.
Voilà pourquoi je le maintiens.
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FLORE DE FRILEUSE COMÉDIE EN PROSE EN TROIS ACTES
Représentation unique t. théâtre de t'Amb:<a. le to décembre tMS
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PERSONNAGES
LA COMTESSE FLORE, Go ans. M-" B. VMTtutL. GILBERTE MÉNORVAL, M ans LwBTM. MAXtME MÉNORVAL, 3oans. MM. LAUciM. XAVIER, 3o *M. GAvoMT. LE DOCTEUR LIVOURNET, 60 an< EML~r. UN COMMISSIONNAIRE.
VAUTS <T DOMMTtQOt:.
La scène à Pam, de noa jours.
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FLORE DE FRILEUSE
ACTM PRHMU~K
Oh.ez la comtesse Flore
Un salon de vieil hôtel, le soir, lampes aHumées. Feu dans l'àtre. Ameublement ancien, mais mêlé. Flore est assise sur une bergère, auprès du feu, et Xavier à ses pieds sur un pouf bas.
SCÈNE PREMIÈRE FLORE, XAVIER.
FLORE.
Sais-tu à quoi je pense, mon neveu? Il est minuit, voi!à deux heures que nous taillons bavette, et tu n'as pas encore éprouvé le besoin. de fumer 1 Si j'étais une femme moderne, je croirais que tu me fais la cour.
XAVIER.
Il n'en tient qu'à ceci, ma tante, c'est que vous êtes la dernière grande dame de France. J'aime votre esprit prompt, vos reparties vives et votre gaieté inépuisable. S'il ne dépendait que de moi, je resterais toute la vie, là où je suis en ce moment, sans boire ni manger,
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à vous entendre; oui, comme autrefois, lorsque nous étions enfants, Gilberte et moi, et que vous nous contiez des histoires de souris blanches
FLORE.
Es-tu resté assez gamin C'est unique Tu n'as donc pas de maitresse ?
XAVIER.
Au pluriel ou au singulier?
FLORE.
Au pluriel, au pluriel. On sait les égards que l'on vous doit, monsieur le comte.
XAVIER.
Je vous jure que je suis très raisonnable. Je fume, je joue, je soupe, j'ai des duels, des dettes, des liaisons et je m'amuse comme il convient, c'est-à-dire à me décrocher la mâchoire.
FLORE.
Toi, tu n'es pas mon neveu, tu es mon fils. On ne m'ôtera pas de l'idée que ton père a songé à moi en te faisant. Qu'est-ce que tu veux que je te donne? XAVIER.
Votre gaieté et votre bonté (Il se ~we du pouf.) Mais sérieusement, ma tante, à quelle heure vous couchezvous ?
FLORE.
Comme toujours. De très bonne heure. le lendemain. C'est une habitude de ma jeunesse.. Sous Charles X on ne savait pas dormir. Aussi vieillissait-on beaucoup moins.
XAVIER.
Comment cela?
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FLORE.
On rattrapait le soir la vie qu'on avait perdue le matin. Vous vous alitez, vous autres! Qu'arrive-t-il? A trente ans vous en avez soixante, trente de jour et trente de nuit. Je suis ta cadette, Xavier.
XAVIER.
Qu'est-ce que le docteur Livournet pense de votre hygiène ?
FLORE.
Mon vieil ami le docteur Livournet n'est pas un médecin ordinaire. Il prétend qu'on ne guérit que les gens bien portants. Pour les autres, il se récuse. Quel honnête homme tout de même! Sais-tu bien qu'il me soigne depuis. Charles X 1 Et tous les dimanches encore.
XAVIER.
Tous les dimanches ? 2
FLORE.
Je ne te l'ai pas dit? Il arrive à quatre heures, il s'assoit, il bat les cartes, je coupe et le piquet commence. A six heures je vais mieux et c'est lui qui est malade. Mais voici le chocolat. (Un domestique apporte le chocolat.) Cependant il ne faut rien exagérer. Ta sœur lui doit la vie, à Livournet. Il me l'a sauvée d'une maladie en « epsie a, comme dans Molière, avec cette particularité plus moderne qu'il est resté trois jours au chevet de son lit en lui tenant la main. Je l'ai couché sur mon testament, je t'en avertis.
XAVIER.
Ainsi, tante Flore, vous n'avez jamais été malade ? FLORE.
Dam 1 Ton oncle l'était pour deux. Il avait cette
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charge dans le ménage. (Elle trempe un biscuit dans son chocolat.) Cependant j'ai eu une fois un grand mal de tête 1 Oui, le jour de son enterrement! Ah je l'aimais bien, malgré tous mes torts envers lui.
XAVIER.
Vous dites?
FLORE.
Mais je les reconnais. Je te confesserai même que je me rends très bien compte aujourd'hui de ce qu'il a dû souffrir. Mon mal de tête a été une révélation. XAVIER, & part.
La voilà partie (Il remonte la lampe.)
FLORE.
C'est gentil ce que tu fais, de remonter la lampe 1 Dans ce tamps-là la mode était certainement à la vertu, comme aujourd'hui; mais ce n'était, pas la mé~ie. Quant aux vices, si vous vous ûgurez que vous en avez inventé un seul depuis les Ordonnances!
XAVIER, à la lampe.
Tante Flore, je vais éteind e.
FLORE.
Non, c'est vrai aussi; à vous entendre, on dirait que les Pénélopes courent les rues aujourd'hui, leur tapisserie à la main! Tiens, voici Gilberte. Tu sais si je l'aime. Je l'ai élevée d'abord. Elle m'inquiète. On n'idolâtre pas son mari comme ça. C'est surhumain. Maxime mérite ce fanatisme, sait. Mais sous Charles X, Gilbertc n'aurait pas été comprise. Enfin, lis les romans de l'époque.
XAVIER.
Ils sont mariés depuis trois mois, voyons! l
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FLO~'E, naivement.
Eh bien ?
XAVIER.
Cela ne fait que quatre-vingt-dix jours.
FLORE.
D'abord cent quatre-vingts, s'il te plait. Quatre-vi~gtdix de jour et quatre-vingt-dix de nuit. Trois lunes de miel l'une sur l'autre! On n'en voit pas la fin de cet amour-la! Xavier, ça fait mourir! Tu ne bois pas ton chocolat.
XAVIER.
Si Gilberte est la créature tendre, angélique, brave au devoir, la femme idéale et parfaite que l'on rêve aux heures de foi; si Maxime trouve en elle. le bonheur dont il est digne, absolu, éternel, à qui la faute? Qui est-ce.qui a développé e elle ses qualités enchanteresses ? A qui doit-elle toutes ses vertus et tous ses (harmes? Ce n'est pas à notre mère, qui nous a quittés presque au berceau. Ce n'est pas à notre père, tué loin de nous, pour sa patrie. A qui alors ? Tante Flore, je vous le demande.
FLORE.
Baisse la lampe, Xavier, baisse la lampe. La nature avait presque tout fait pour Gilberte. Quant au reste. On dit que les meilleurs agents de police sont les anciens voleurs. Il n'est peut-être tel que d'avoir trop vécupour apprendre à préserver ceux qu'en aime de la vie. Mais mon vrai chef-d'œuvre, c'est toi! Quel vaurien! Embrasse-moi. (Il l'embrasse.)
XAVIER.
Ma tante, il vous reste une coquetterie, celle de vous
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calomnier. Moi, je suis sûr que vous avez toujours été une très honnête femme.
FLORE.
Ton oncle l'a prouvé- dans trois duels, mon gai çon. XAVIER.
Je me contente de Gilberte pour preuve.
FLORE.
Soit, Gilberte est mon œuvre, mais Maxime est la
tienne. Te plairait-il de m'expliquer ennn ce que c'est que l'homme imprévu dont tu as enrichi ma famille, et qui se trouve être mon neveu de ce fait qu'il m'a pris le cœur de ma nièce? Car c'est à peine si je le connais, et je ne le comprends pas du tout. Il n'est pas de ma race. Mais tu en étais féru, il a fallu que Gilberte en devint folle. Vous n'avez à vous deux qu'une seule paire de lunettes, pour quat-z-yeux.
XAVIER.
Maxime est un homme loyal et droit. Je l'ai vu à l'épreuve, je sais ce qu'il vaut. En outre, il est doué d'une intelligence remarquable né fort bas, et venu ~iu peuple, il s'est créé par le travail une situation d'écrivain enviable .et qui grandira encore. On commence à le dire, mais je l'avais deviné, et cela dés le collège. Il n'était pas le premier, mais il était le plus fort. Je me suis attaché à lui comme on s'attache, par admiration, à l'homme qu'on aurait voulu être. FLORE.
A ce point ?
XAVIER.
Vous l'avez jugé vous-même, il m'en Eouvient, très favorablement, lorsque je vous l'ai présenté. Vous étiez très touchée de sa pauvreté nère et surprise de ses
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manières fines et nobles. Ennn, vous l'avez aimé tout de suite et vous l'aimez encore, car il rend ma sœur heureuse autant qu'il est possible, et sa passion pour elle survit à l'extinction de trois lunes de miel qui en valent six de Charles X au bas mot! 1
FLORE.
Et tu en conclus?
XAVIER.
Qu'il est une heure du matin, et que je vais me sauver.
FLORE.
Oh! Déjà?
XAVIER.
Déjà est charmant.
FLORE.
Reste. Paris est infesté de voleurs, et tu n'as pas pris ton chocolat. D'aitleuM j'avance. C'est une vieille pendule, une radoteuse comme moi. Tu disais donc que Maxime?.
XAVIER.
Si vous me parlez de Maxime, je couche ici, c'est clair.
FLORE.
Je ne lui adresse qu'un reproche, à ton Maxime il est trop parfait. C'est hors de civilisation. J'aurais préféré pour Gilberte un mari plus dégagé, moins arcadien, ayant un peu vécu, pas autant que toi, mais un peu. Il lui reste trop de cheveux.
XAVIER.
Il en repassera à ses enfanta.
FLORE.
Combien crois-tu qu'ils en auront?
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XAVtER.
Dam leur jardin est tout petit, et leur maison nette est modeste. Ils n'ont que trois chambres à coucher Le problème est là.
VLORE.
Une question de train, selon toi. Écoute donc, Xavier, est-ce que tu n'entends pas marcher?
XAVIER, écoutant.
Si, ma foi. A cette heure de nuit, c'est étrange. (Il ua ouvrir la porte.) Qui va là?
MAXIME, dans la coulisse.
Ne vous effrayez pas, c'est Maxime.
~Mojcùne entre.)
SCÈNE II
LES MÊMES, MAXIME.
XAVIER.
Qu'est-ce qui t'arrive ?
MAXIME, une valise à la main.
Mais rien du tout. Bonsoir ma tante. J'ai manqué l'express du Havre. Mon imbécile de cocher était gris il a injurié des agents, qui l'ont mis à pied et conduit au poste. Pendant ce temps, mon train niait. Tête du voyageur, comme on dit dans les caricatures.
FLORE.
Et pourquoi revenez, vous ici?
MAXIME.
En traversant le jardin j'ai vu de la lumière à vos fenêtres et j'ai pensé que Xavier était avec vous. Je
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n'ai pas résisté au plaisir de prendre de vos nouvelles. Ai-je été si mal inspiré?
FLORE.
Et Gilberte?
MAXIME.
Justement. J'ai scrupule de la réveiller par ma brusque rentrée. Les femmes croient tout de suite à un accident Ses palpitations ont recommencé. Le docteur l'a mise au bromure tous les soirs un demi-gramme dans une tasse de lait avant de se coucher. Mais elle dort si mal encore et si peu, que ce serait cruauté que de lui voler cinq minutes de bon repos pour si peu de choses.
XAVIER.
Qui est-ce qui la garde dans ce pavillon ?
MAXIME.
Mais Catherine d'abord, la femme de chambre. Elle couche dans une pièce contiguë, lorsque je m'absente. C'est une brave créature, qui adore Gilberte, comme tous ceux qui l'approchent. Mais, toi qui es connaisseur, tu as bien remarqué Catherine, une Normande superbe, avec des bras de marbre.
FLORE.
Elle n'a pas de cousin dans la Garde?
MAXIME.
EUe? C'est la vertu même. D'ailleurs ses parents sont très sévères. Enfin elle a une inclination au pays. C'est une tête sérieuse; elle ne veut que le mariage. XAVIER.
Et ton domestique?
MAXIME.
Qui, Brutus? Je ne l'ai plus.
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XAVIER.
Tu n'as plus Brutus, ton fidèle Brutus?
MAXIME.
Je ne te l'avais pas dit? Oh! c'est sans importance! Imaginez-vous que le maraud. Enfin croyez-vous à Ruy-Blas ?
XAVIER.
Pas possible.
MAXIME.
Si. Il en tenait pour « la patronne ». Il lui faisait des vers J'avais d'abord cru que ses poésies s'adressaient a Catherine. Mais elle ne sait pas lire. Quoi qu'il en soit, comme il n'avait aucun talent d'abord et qu'ensuite je craignais que Gilberte comprit son rêv e de ver de terre, je l'ai, sous un prétexte, dispersé dans le paysage. Croiriez-vous que Turc l'a pleuré trois jours. Pauvre bête
FLORE.
Ainsi Gilberte est seule dans votre petit pavillon? Vous ne pouviez pas nous le dire ?
MAXIME.
Mais, tante Flore, elle n'est pas seule. D'abord vous êtes ici tous les deux, à trois cents mètres de sa chambre. Puis Catherine, auprès d'elle. Ensuite, il y a Turc, mon chien de montagnes, qui veille dans le jardin. Une bète terrible, le bon Turc. Enfin, vous le savez, j'ai gardé de mes voyages l'habitude d'avoir mon revolver auprès de moi, la nuit. Gilberte l'a sous la main en cas d'alarmes.
FLORE.
Enfin, si vous êtes tranquille. Mais je ne veux pas de vous ici. Nous sommes en tête à tête. Allez-vous-en.
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MAXIME.
Pour deux heures, ma. tante ?
FLORE.
Ni pour deux heures, ni pour deux minutes! Un jeune mari, qui n'a pas encore d'enfant de sa femme et qui découche Je vous trouve scandaleux. MAXIME.
En trois mois, voy ons ?
FLORE.
De mon temps, monsieur Décampez, vous me faites dire des sottises.
MAXIME.
Allons, bonsoir, tante inhospitalière! Mais je vous assure que vous avez tort de vous inquiéter. Turc tiendrait tête à quatre hommes. Il ne connaît que moi et les gens de la maison. Il n'y a pas de dragon qui lui soit comparable.
FLORE.
Bonsoir, bonsoir. Et une autre fois, lorsque vous irez en voyage, envoyez-moi Gilberte ici. Le meilleur dragon, c'est moi. Vous en savez quelque chose XAVIER, à Meuctme.
Je t'accompagne.
MAXIME.
Pourquoi faire?. Reste, je t'en prie. (Il sort.)
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Très noir. Les boulevards extérieurs, sans un passant, c'est sinistre
Oui, ça doit être l'opinion des sergents de ville du quartier. On en voit peu par ici, à l'heure du crime! XAVIER.
Mais je ne redoute pas les maraudeurs, vous le savez. L'exercice de la boxe et de la savate est une des
Tu ne prends pas ton chocolat?
Quoi?. Si. si.
A quoi penses-tu ?
A rien.
Moi non plus Quel temps dehors ?
Bonsoir, ma tante.
Oh ne t'en va pas. Reste ici, Xavier.
Y~ instant de silence.)
FLORE, XAVIER.
SCÈNE III
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
FLORE.
XAVIER.
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lois de la grande vie, et je suis un viveur consommé. Cependant, si vous avez peur?.
FLORE.
Pour moi, non. Tu penses bien qu'à mon âge on n'a rien à craindre.
XAVIER.
Qu'est-ce que vous dites donc, ma tante ?
FLORE.
Rien du tout. Je plaisante. Tu sais bien qu'il faut toujours que je plaisante. Si j'étais sérieuse, il faudrait m'enterrer tout de suite, parce que je serais morte. Finis donc ton chocolat.
XAVIER.
Non, si vous voulez. j'ai besoin de prendre l'air. FLORE.
Tu me rappelles Colimart. Toutes les fois que ça n'allait pas, Colimart éprouvait le besoin de prendre l'air. C'était sa solution, à cet homme
XAVIER.
Qui, Colimart?
FLORE.
Colimart, l'homme au voleur.
XAVIER.
L'homme au voleur?
FLORE.
Comment! Est-ce que je ne t'ai pas encore raconté l'histoire de Colimart, de sa femme et du voleur? Mais si tu t'en vas. tu comprends! 1
XAVIER.
Est-ce qu'elle est longue?
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FLORE.
Courte et drôle. Je l'ai beaucoup connu cet excellent baron de Colimart. Il m'avait fait deux doigts ou trois de cour; peut-éti'e même la main tout entière. Mais n'importe. C'est pour te dire. Enfin, je l'ai beaucoup connu. Mais il fit la bêtise de se marier, et. XAVIER.
C'est donc une bêtise de se marier?
FLORE.
Toujours 1 Ça ne sert à rien.
XAVIER.
Pourquoi? 2
FLORE.
Veux-tu savoir, oui ou non, l'histoire du baron de Colimart, de sa femme et du voleur?.
XAVIER. ·
Certes 1 Mais expliquez-moi d'abord par où il ne ser à rien de se marier?.
FLORE.
Ça ne sert à rien parce que ce n'est pas utile, godiche 1.
XAVIER.
Je vois qu'il descend de la Palisse, votre Colimart. FLORE.
Pardon. Est-ce que tu n'as jamais été l'amant d'une femme mariée?
XAVIER.
Si, une fois, comme tout le monde.
FLORE.
Et tu ne l'es plus? 2
XAVIER.
Non, heureusement 1
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Pour qui?
Pour les trois 1
Tu vois donc bien que le mariage n'est utile à personne, ni au mari, ni à sa femme, ni à l'amant. A quoi sert-il alors? Figure-toi que Colimart.
Ainsi je ne dois pas me marier? 2
Décidément, tu t'intéresses peu à Colimart.
Enfin, répondez. Dois-je me marier?
Cela dépend des idées que tu as sur l'adultère. XAVIER.
Ah mon dieu
Mais certainement. Il n'y a pas d'autre question. Astu sur le nommé adultère les idées d'aujourd'hui ? ou celles d'autrefois ?
Est-ce qu'il y a deux écoles ?
Il le demande! Il y a celles d'avant le code et celles d'après le code. Ceux d'après le code tuent leurs femmes, m'a-t-on dit. Si tu en es là, sois clément, ne te marie pas.
Je n'avais pas entendu dire que, sous Charles X, on décernât au beau sexe des prix Montyon d'inûdélité.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
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Et vous écrivez des romans Si ce n'est toi, c'est donc ton beau-frère. Lorsque je le lis, ton beau-frère, j'ai toujours envie de lui crier Mais, triple homme que vous êtes il est le salut de l'institution 1
Qui il?.Le?.
Parfaitement. Veux-tu que je te prouve que la seule chose qui rattache le mariage à l'amour, c'est. c'est le.
Oh! Prouvez!
Ah on en voit de toutes les couleurs en cinquante ans d'existence! 1 Tiens 1 tous les Colimart que j'ai rencontrés, tous, entends-tu, bénissaient le. parfaitement. Ils avaient compris. Il s'agit de comprendre. XAVIER.
Je ferai donc bien de ne pas me marier, car je ne comprends pas du tout.
Je le vois bien. Quand on songe pourtant que les femmes se sont mises a écrire, et que pas une n'ose nous défendre. Dés qu'elles ont la plume aux doigts, elles oublient tout, et deviennent aussi bêtes que les hommes.
Mais.
Xavier.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
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XAVIER.
Ma tante ?
FLORE.
Ne le dis pas. Ne l'avoue jamais. Nie le même enrontément au besoin Mais il y a des cas où il s'impose (Coups de ~eu.~ J
GILBERTE, au dehors.
Ma tante! Ouvrez.
XAVIER.
Grands dieux C'est la voix de Gilberte. (Il court au /bnd et reçoit Gilberte dans ses bras.)
SCÈNE IV
LES MÊMES, GILBERTE.
XAVIER.
Qu'as-tu?
FLORE.
Oh je pressentais si bien quelque chose Ma pauvre enfant, que tu es pâle
XAVIER.
Parle, je t'en supplie. (Il l'assied.) Que t'arrive-t-il? GILBERTE.
Je ne sais pas. Je dormais. (Avec un geste comme pour arracher un voile.) Mais je dors encore 1 C'est affreux. Sortez-moi de cette ombre. Réveillez-moi. Mais réveillez-moi donc.
FLORE, à Xavier.
Il y a des sels dans ma corbeille. (Ils lui passent un flacon sous les narines.)
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GILBERTE.
C'est cela. Encore. Je suis morte.
FLORE.
L'étrange somnolence!
XAVIER.
Que t'arrive-t-il? sœurette. c'est moi. ton frère. Xavier. Parle
FLORE a sonné, un domestique entre.
Le docteur, tout de suite. (Exit le domestique.) GILBERTE, ci Xavier.
Je ne puis rien te dire. Je dormais. Je croyais Maxime à mes côtés. Je l'ai vu, tout à coup, debout, devant le lit, décomposé, livide, pareil à un fantôme. Il tenait le revolver sur mon front. Pourquoi?. Pourquoi ?. Pourquoi me tuer?. Puis il n'était plus là. J'ai entendu crier Catherine. Des cris de folle. Il la jetait à la rue Je me suis levée. Le chien hurlait. J'ai compté six coups de feu. Oui six. Alors. me voilà Réveillez-moi, par pitié Ah (Elle s'endort.) XAVIER.
Elle est narcotisée.
FLORE.
Emporte-la sur mon lit.
(Xavier emporte sa sœur, aidé de F~ore..Majctme paraît à la porte du fond.)
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Maxime C'est toi
Oui.
Qu'est-ce qui se passe ?
Ce n'est rien. Elle est ici, n'est-ce pas ?
Cela dépend. Qu'est-ce que tu lui veux? MAXIME.
A Gilberte? Tu es fou, je pense.
Dam! Tu es armé.
C'est vrai. (Il jette !ereuo~'cr.)
Explique alors.
Rien n'est plus simple. J'ai tiré sur des voleurs. XAVIER.
Ah ce n'était que des voleurs ?
Que veux-tu que ce soit?
SCÈNE V
MAXIME, XAVIER.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
MAXIME.
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C'est vrai. Pourquoi ne serait-ce point des voleurs en effet? Le quartier en est infesté.
Infesté. J'ai manqué les miens, voilà tout. XAVIER, respirant.
Tu me rassures.
Quelle idée avais-tu donc ? P
Aucune. Un mot de tante Flore seulement. Mais quand son imagination romanesque l'emporte, eUe vous ferait perdre le bon sens Et le sommeil léthargique ?
Elle se sera empoisonnée avec du chloroforme. Catherine a confondu les fioles, je suppose.
Tu avais du chloroforme chez toi ?
J'en ai toujours pour mes névralgies.
Il est curieux que Turc n'ait pas aboyé.
Aussi je l'ai tué.
Tué.
Je n'aime pas les serviteurs infldèles.
Et Catherine ?
XAVIER.
MAXIME.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
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MAXIME.
Catherine a eu peur. Elle s'est enfuie. Mènemoi à Gilberte.
XAVIER.
Voici ma tante.
(Entre Flore.)
MAXIME.
Elle est dans votre chambre, n'est-ce pas?
FLORE.
Oui, elle dort.
~MeLXtme entre chez Flore.)
SCÈNE VI
FLORE, XAVIER.
MAXIME, rentre de la chambre.
Qui vient donc à cette heure ?
XAVIER.
C'est le médecin.
MAXIME.
Ah vous l'avez fait appeler?
FLORE.
Mais, sans doute, Maxime.
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SCÈNE VII
FLORE, XAVIER, MAXIME, L1VOURNET. LIVOURNET.
Est-ce pour vous, comtesse?
FLOUE.
Non, mon cher ami. C'est pour Gilberte.
LIVOURNET.
Voyons. Où est-elle ? 2
MAXIME.
Mon cher docteur, je regrette que l'on vous ait dérangé au milieu de la nuit pour une alerte.
LIVOURNET.
Qu'appelez-vous une alerte ?
MAXIME.
Voici. Des malfaiteurs se sont introduits dans notre petit pavillon pendant mon absence. Le bruit que j'ai fait en rentrant leur a permis de s'évader. J'ai tiré, sans résultat d'ailleurs, mais Gilberte a pris peur et elle s'est enfuie à travers le parc jusque chez sa tante. LIVOURNET.
Diable. Cela ne va guère avec mon bromure. Je vais la voir.
MAXIME.
Cela ne vous servirait à rien. Elle repose.
LIVOURNET.
N'importe. Le pouls bat quand on dort. Conduisezmoi.
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MAXIME.
Vous voulez donc la réveiUer!
FLOUE, it part.
C'est étrange. Il ne veut pas que Livournet la voie. LIVOURNET.
Etes-vous médecin ? Non; eh bien, laissez-moi la voir. Dans certains états, la terreur peut déterminer des désordres graves que je dois prévenir. Je la connais, n'est-ce pas? c'est mui qui l'ai mise au monde et même qui l'y ai maintenue, dit-on.
MAXIME.
Demain, je vous en prie. Elle est très calme, voyez. (Il soulève la tenture de la porte.)
LIVOURNET.
Je ne fais pas de médecine à distance. Bonsoir. Qu'est-ce que cela signifie, comtesse?
FLOnE.
C'est le mari. Je n'ai rien à dire.
nvounxET.
J'aurais donc mauvaise grâce à me montrer plus inquiet que vous ne l'ètes tous. Bonsoir, et dormez bien. Je vais aller en faire autant.
MAXIME.
Permettez-moi de vous reconduire.
XAVIER joyeux.
Ah ma tante, c'est concluant, ce refus de la lui laisser voir. C'est qu'elle n'a rien.
FLORE.
Concluant dans quel sens?
XAVIER.
Dans le sens des voleurs. Si l'horrible soupçon qui
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vous a traversé l'esprit et que vous m'aviez presque communiqué était fondé.
FLORE.
Eh bien, Xavier ?
XAVIER.
Le médecin serait nécessaire.
FLORE.
Tu crois?
XAVIER.
Comment, si je crois. Maxime n'est pas un monstre. FLORE.
Non, mais c'est peut-être un brave.
XAVIER.
Soyez claire.
FLORE.
Moi, j'aurais préféré qu'il la lui laissât voir, voilà tout. Mais ce sont des idées de vieille femme. Je croirais davantage. aux voleurs. Je veux dire que je n'en douterais plus du tout.
XAVIER.
Vous en doutez encore ?
FLORE.
Je te dirai cela dans un mois. (Maxime rentre.) MAXIME.
.Je vous en prie, allez vous reposer tous les deux. Je me charge de veiller Gilberte. Bonsoir, tante. Bonsoir, Xavier.
FLORE.
Bonsoir, Maxime. Décidément c'est un brave! Viens, Xavier. (Ils sortent.) J
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Voyons! J'avais peut-être mieux compris d'abord. Cet homme qui s'est enfui par la fenêtre, c'était un amant! Je l'ai poursuivi dans la rue sans pouvoir l'atteindre. ô désespoir! Et sans le reconnaître Un amant, Gilberte! Est-ce que c'est possible ? Non, non, mille fois non puisqu'lelle m'aime. D'ailleurs, quand je suis revenu auprès d'elle, ce sommeil léthargique, ce narcotique au fond du verre! Un amant n'endort point! Enfin cette femme de chambre éperdue, folle, échevelée, demi-nue, qui me criait grâce. Grâce? Elle était donc complice. C'est elle qui avait préparé la boisson. Oh! je l'ai jetée à la rue. Je l'aurais jetée à l'égout. Je suis environné d'horreur! Mais qeul peut être cet homme? Comment Turc n'a-t-il pas aboyé?. Il la connaissait donc?. Brutus! ~s~uanou~.)
SCÈNE VIII
MAXIME, MnJ.
29
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ACTE DEUXIÈME
Chez Maxime
SCÈNE PREMIÈRE
FLORE, GILBERTE
(Elles viennent du fond.)
FLORE.
Elle est charmante votre nouvelle installation. L'ameublement surtout m'en plaît; il me rappelle celui qui était chez mon père. On en revient donc à ce bon vieux rococo dont on a tant médit. C'est du Louis XVI tout cela! Quel est votre tapissier?
GILBERTE
C'est Maxime. Il a tout choisi, tout disposé lui-même. Il a tant de goût. Moi, je suis entrée ici comme un voyageur chez une fée, sans savoir où j'étais. Maxime m'avait ménagé cette surprise. Je m'explique maintenant pourquoi il a voulu que je restasse chez vous, ma tante, après cette nuit terrible. Il me préparait ce joli nid.
FLORE.
Vous n'avez plus rien de votre ancien mobilier ?
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GILBERTE.
Hélas il paraît que tout a été consumé par cet incendie. On n'a pu sauver que les manuscrits de Maxime et mes colifichets de jeune fille. Que de choses je regrette Ce que je tenais de vous et de mon frère surtout.
FLORE.
Il est encore heureux que tu ne te sois pas trouvée là, tu rôtissais, et cela ne s'assure pas, des anges tels que toi. Ah çà! mais qu'est-ce que représente cet atelier ? Maxime compte s'adonner à la menuiserie? GILBERTE.
C'est le salon, ma tante.
FLORE, lorgnant.
Ça?. Quelle drôle d'idée vous vous faites d'un salon français: Mais on est dans la rue. Où cause-t-on dans ces hangars? Sous les tables?. Et ça, qu'est-ce que c'est que ça?
GILBERTE, troublée.
Un lit de camp, ma tante.
FLOUE.
Vous couchez des militaires?
GILBERTE.
Maxime travaille ici, et souvent fort tard dans la nuit. Il se jette là tout habillé.
FLORE.
Ah ah! déjà?– Et toi?
GILBERTE.
Nous avons une chambre ravissante. Voulez-vous la voir? (Elle va <( droite et ~on~ue une joor~reJ FLORE.
Voyons. Oui, très jolie. J'aimais m:eux l'autre.
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9 1
Moi aussi.
Viens ici, toi. Qu'est-ce que tu as?
Rien, ma tante.
Tu es brave. Mais moi, on ne me trompe pas. GILBERTE.
Notre pauvre petite maison, où il m'aimait tant Où est-elle? Quel vent l'a emportée à jamais dans la fumée! Pourquoi ne suis-je plus heureuse! Qu'ai-je fait? Je me tue à le deviner. J'enlaidis peut-être. Mais ce n'est pas ma faute, c'est la sienne, il ne m'aime plus
Ta ta ta ta. D'abord, tu n'as jamais été plus adorable, pour ta gouverne. Et puis, s'il ne t'aimait plus, il serait un imbécile il n'est pas un imbécile, du moins on le dit. Mais il n'y a pas moyen de causer dans cette cathédrale la voix y réveille des orgues. Virns prcs de moi épancher ta misère. Je suis de bon conseil quoique ou parce que folle, et j'en ai sauvé plus d'une que j'aimais moins que toi, ma fille.
Xavier et le docteur peuvent entrer. Je ne veux pas qu'ils me croient malheureuse.
Malheureuse ? Il ne te bat pas, je suppose. GILBERTE.
Oh! tante Flore.
FLORE, se retourne vivement.
GILBERTE, regardant au fond.
GILBERTE, <rtSfem6T~.
GILBERTE.
FLORE.
FLORE.
FLORE.
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Est-ce qu'il te trompe?
J'en mourrais.
Il n'y a donc que le lit de camp. Raconte-moi le lit de camp.
Mais.
Va donc. J'ai tout vu.
Jamais il n'a été plus prévenant, plus attentif à mes moindres désirs, plus inquiet de ma santé même. C'est presque excessif. Je ne formule plus un souhait qu'il ne soit réalisé une heure après. C'est au point que je n'ose plus rien dire devant lui. Tenez, ce matin à déjeuner je lui contais que j'avais vu des poires extraordinaires chez Chevet. Il ne m'a rien répondu, mais je suis sùre que tout à l'heure les fruits seront ici. Jugez du reste par ce détail.
Ne vous moquez point, ma tante. Si je me fais mal entendre, c'est que j'ignore moi-même la cause mystérieuse de mon chagrin.
Imaginez l'ami le plus doux auprès d'une malade car il a l'air de me soigner. Sa tendresse est comme
Horrible
Je t'écoute de toute mon âme.
FLORE.
GILBERTE.
FLORE.
GILBERTE.
FLORE.
GILBERTE.
FLORE.
GILBERTE.
FLORE.
GILBERTE.
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une veillée. C'est presque de la pitié. Si je me heurte ou me pique, il entre dans de grandes colores. Il s'en rend responsable. Il me gronde de ne pas assez me distraire, de ne rien dépenser, de n'avoir aucun caprice, et de ne vouloir vivre que de l'air qu'il respire. Tout cela c'est encore de l'amour, mais ce n'est plus le même, celui de la chère maisonnette incendiée. FLORE.
Un bon baiser ferait mieux ton affaire.
GILBERTE.
Je vois que ma plainte est ridicule, puisque vous, qui êtes femme, vous ne me comprenez pas.
FLORE.
Qui, moi? mon cher mouton! Écoute. Auparavant, même lorsqu'il était loin, tu le sentais auprès de toi. Maintenant, tout près de lui, tu en es à cent lieues. Quelque chose s'interpose entre lui et toi, méchamment, comme dans ces jeux d'enfants où l'on tourne autour d'un arbre sans s'atteindre.
GILBERTE.
C'est cela, c'est cela.
FLORE.
Tu crois donc que je n'ai jamais aimé Eh bien, cela ne serait rien, Gilberte, si toi, tu ne l'aimais plus follement que jamais. Car tu l'aimes dix fois plus qu'avant ton mariage. Pas un atome de ton cher être céleste qui ne tende vers cet animai! Et ce sera ainsi toute ta vie. Voilà le pérU, il est là. Veux-tu me laisser faire? GILBERTE.
Si vous devez me le rendre, oh oui.
FLORE.
Encore une question. Depuis quelle époque as-tu
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remarqué ce changement?. Avant ou après le soir des voleurs ?
GILBERTE.
Après, ma tante.
FLORE.
Don. Et le lit de camp ? De quand date-t-il, le lit de camp ? De l'incendie du pavillon ?
GILBERTE.
Oui, ma tante.
FLORE.
Il y a déjà tout un mois, alors, que tu es veuve? GILBERTE.
Silence, ma tante, je vous en prie. Si on nous entendait
FLORE.
Alors il n'y a pas de temps à perdre. J'entends ton frère. Va m'attendre dans ta chambre. Je suis à toi dans cinq minutes.
(Elle l'amène à sa chambre.)
SCÉNM il
FLORIN, XAVIER.
XAVIEH.
Le docteur est impayable il est en train de prouver à Maxime que les jardins sont nuisibles à la santé et que.
FLORE, de sa place.
Psitt! psitt!
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Qu'est-ce qu'il y a ?
Qu'est-ce que je t'avais dit? Le mois est passé. et c'est uni.
Qu'est-ce qui est fini ?
Ce n'étaient pas des voleurs.
Oh mon Dieu qu'est-ce que vous me dites ? FLORE.
Je te dis qu'il ne l'aime plus. Maxime n'aime plus ta sœur.
Pourquoi?
Parce que ce n'était pas des voleurs.
Alors votre soupçon terrible ?.
Ce n'est plus un soupçon, c'est une certitude. XAVIER.
Non, non, je ne vous crois pas. Votre imagination. vous emporte.
A ton aise. Je la sauverai donc à moi toute seule. Ce ssra plus difficile qu'avec ton aide. Mais je m'eu passerai. Va à tes affaires.
Enfin, quelles preuves avez-vous ?
t
XAVIER, allant vite à Flore.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
FLORE.
XAVIER.
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FLORE.
Mon garçon, les poètes sont bien gentils, mais quand ils nous chantent que deux êtres qui s'adorent et qui sont jeunes, peuvent se priver de toute possession et vivre de la rosée des fleurs, les poètes sont des poètes. Regarde où il couche, le tien, de poète. Là, sur un lit de camp. Pourquoi pas dans le lac de Lamartine? XAVIER.
Mais.
FLORE.
Non. ne cherche pas. Elle est perdue. Il ne l'aime plus. Il y a entre eux. la fatalité.
XAVIER.
Soit. Mais Maxime est un cœur généreux, un esprit loyal, une raison droite.
PLORE.
Au diable tes grands mots
XAVIER.
Il ne peut pas la rendre responsable d'une fatalité. Ou bien alors c'est un misérable, et je le lui dirai. FLORE.
Tu parles en frère; il éprouve en mari.
XAVIER.
Alors, c'est bien. J'aurai mon rôle en cette affaire. FLORE.
Tu vas te tenir tranquille et me laisser agir. L'important est qu'elle continue à. dormir. La révélation de son malheur la tuerait net.
XAVIER.
Quelle ressource avez-vous ?
FLORE.
Une. La plus terrible de mon bissac, par exemple.
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Mais elle est sûre. Écoute. Arrange-toi en sorte que Maxime demeure ici.
XAVIER, résolument.
Il demeurera.
FLORE.
Livournet aussi peut-être.
XAVIER.
Ah 1 le docteur aussi? C'est dangereux alors? FLORE.
Imagine-toi que Gilberte succombe à une fièvre cérébrale et que nous la plongions toute brûlante dans un bain d'eau glacée. Voilà tout.
XAVIER.
Eh bien?
FLORE.
C'est ce que nous allons faire, à nous deux.
XAVIER.
Allez. Mon rôle?
FLORE.
Très simple. Approuver tout ce que je dirai. Appuyer ce que je vais faire, sans hésiter, sans réfléchir et sans faiblir aussi, mon cher enfant.
XAVIER.
Expliquez-moi.
FLORE.
Non. Tu ne voudrais plus. Ce n'est pas un moyen d'homme que j'emploie c'est une ressource de femme. C'est un peu lâche, mais c'est très sur. Es-tu décidé? XAVIER.
Oui.
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SCË~E Mi
LES MÊMES, UN COMMISSIONNAIRE.
LE COMMISSIONNAIRE.
Faites excuse. Est-ce ici, M* Attendez donc que je regarde les étiquetées. J'ai deux paquets. M"" Maxime Ménorval 1
XAVIER.
Oui, c'est ici. Qu'avez-vous pour elle?
LE COMMISSIONNAIRE.
Espérez un peu. C'est pour elle les poires, les fleurs sont pour l'autre. Ne confondons pas autour avec alentour.
FLORE.
Vous avez des fleurs pour une autre personne? LE COMMISSIONNAIRE.
Oui, « M"' Olga du théâtre de. a je ne peux pas lire ce mot'ia.
FLORE.
C'est la même personne qui envoie ces deux présents ?
LE COMMISSIONNAIRE.
Naturellement, avec sa carte.
FLORE.
Eh bien, vous avez mal compris. Ceci est pour M"' Ménorval et ceci pour l'autre. Rétablissez les cartes, tenez, comme cela. (Elle intervertil les cartes.) LE COMMISSIONNAIRE.
C'est bon. Mais alors qu'est-ce qu'il faut laisser?
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C'est bien simple, les poires de l'une et l'adresse de l'autre. Voici votre pourboire.
J'emporte les fleurs alors.
Allez.
C'est que je vais vous dire. Pour les poires. il faisait si chaud. Enfin j'en ai entamé une. je voudrais la rembourser.
Allons, sortez. Vous m'agacez.
Lis, Xavier < M'" Olga, du théâtre du Gymnase, de la part de (EMe retourne la carte) Maxime Ménorval. » XAVIER, marchant à grands pas.
Vous aviez raison cet homme-là n'est pas de notre race. C'est un manant.
Remets la carte sur la table. Maintenant, mon cher enfant, sois tranquille. Ta sœur est sauvée. (Elle entre chez Gilberte.)
LE COMMISSIONNAIRE.
LE COMMISSIONNAIRE.
SCÈNE IV
FLORE, XAVIER.
FLORE.
FLORE.
XAVIER.
(E~tt le cotTurusstO neutre.)
FLORE.
FLORE.
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FLORE DE FRILEUSE
46i
SCÈNE V
XAVIER, MAXIME, LIVOURNET.
MAXIME.
Eh bien, docteur, je ferai planter des arbres en ferblanc et des tulipes en tôle. De cette façon, nous n'aurons pas à craindre les exhalaisons morbides des fleurs.
LIVOURXET.
Et vous ferez bien autant de fleurs, autant de poisons. La nature est une grande Locuste.
MAXIME.
Ah! les fameuses poires sont arrivées. Julie m'a raconté l'histoire de cet ivrogne. Le goujat en a attaqué une! Gilberte va être contente. (A Xavier.) Qu'est-ce que tu as? Tu es tout pâle.
XAVIER.
Éloigne Livournet.
MAXIME.
Mon cher docteur, Xavier a quelque chose à me dire en particulier. Voulez-vous nous attendre ici un instant ?
LIVOURNET.
Mais non, j'aime mieux aller fumer un cigare dans le jardin, pour le désinfecter. (Il sort.)
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Qu'est-ce qu'il y a?
Je t'ai aimé comme un frère. Je t'ai admiré comme un brave. J'ai cru en toi plus qu'en moi-même. Tu étais pauvre, isolé, sans famille; la vie n'ouvrait devant toi que des chemins arides. Tu étais destiné à la misère, à l'obscurité, au désespoir peut-être. Je t'ai donné une famille je t'ai sorti du néant et je t'ai fait le travail heureux et facile. Tu as, grâce à moi, réalisé un rêve de gloire, de fortune et d'amour. Et voilà ce que tu as fait de ma sœur 1
Ah! Xavier. Le chagrin t'égare, toi aussi! t J'y ai passé, je te pardonne.
Ma pauvre Gilberte Tu sais qui c'est que Gilberte 1 Il n'y a pas sur les sommets des montagnes de lac plus pur et plus transparent que cette âme. Je pouvais la donner à des princes, à des hommes illustres, je pouvais choisir dans l'élite pour elle. Elle avait tous les dons beauté, grâce, candeur, noblesse, fortune et séduction infinie. Elle est à toi. Elle t'aime a en mourir. MAXIME.
Si elle ne m'aimait pas, crois-tu que je serais encore en vie. Tu sais tout alors?
XAVIER, MAXIME.
SCÈNE VI I
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
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C'est doncvrai?
Ah! Xavier, voilà un étrange piège. Je pourrais m'en venger en te révélant le nom du misérable. Mais tu souffrirais trop.
Non. Je veux garder au moins cette moitié de ma torture pour moi seul. J'avais rêvé de vous épargner l'autre, à notre tante et à toi. Mais j'avais compté sans le pénétration de la comtesse. C'est elle qui t'a instruit, n'est-ce pas? Elle a deviné?
Je vous plains tous les deux de tout ce que j'endure. Mais l'important est que Gilberte vive dans l'éternelle ignorance de son malheur. Tant qu'elle ne saura rien, je pourrai écouter tes reproches. Émousse-les un peu cependant, si tu m'aimes.
Soit, mais par où la catastrophe, qui nous atteint tous à des degrés différents, si tu veux, nous liberet-elle de nos devoirs envers Gilberte, moi de mes devoirs de frère, toi de tes devoirs de mari? En quoi justiûet-elle une trahison?
Quelle trahison? Je ne suis pas l'amant d'Olga. XAVIER.
Dis-le-moi.
Oui.
-Jure-moi que tu ne le seras pas avant huit jours.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
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Hélas Xavier, c'est possible.
C'est là ta réponse?
Où as-tu pris que je fusse un demi-dieu? Je suis un homme comme toi. J'ai fait des efforts inouïs pour me dompter. Tu n'en sais rien et n'as pas à le savoir. J'ai mis moi-même le feu à ma maison, espérant qu'avec les témoins disparaîtrait le témoignage. Mais la mémoire est un livre où rien ne s'efface. Il y a deux Gilberte, celle qui est ici et celle qui est morte. Rends-lamoi, celle-là, et tu retrouveras Maxime.
Cela veut dire que tu ne l'aimes plus?
Je ne l'aime plus, moi Mais j'en meurs.
Alors si tu l'aimes, pourquoi la délaisses-tu?. Enfin réponds. nous sommes des hommes et nous pouvons tout nous dire. Gilberte est adorablement jolie. et vous n~avez pas d'enfant.
Oh je t'en conjure Pas cela. C'est à me précipiter par cette fenêtre.
Est-ce que je n'aurai jamais de neveu, Maxime? MAXIME.
Tiens, tu me tenailles sans pitié. Souffre à ton tour. L'infâme. c'est Brutus! 1
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
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Oh! (n fait un effort pour n~ pas tomber et se domine p?u à peu.) Eh bien, qu'importe, tu dois épargner ma sœur. Épargne ma soeurette, Maxime.
Tu ferais ce que tu me demandes, toi ?
Oui.
Jure-le.
Je le jure.
Ah! Tu vois ce fruit. Il était exceptionnellement beau et savoureux. Un goujat y a mordu. Finis-le. XAVIER, reculant.
Qui?. moi? Pourquoi?
Je n'ai pas autre chose à te dire. Je vais rejoindre Livournet. (~ sort.)
Que répondre? Rien. Son argument est concluant. Moi-môme, moi, le frère, je ne trouve rien à lui dire. Je ne peux pas la défendre. 0 honte de ma conscience, je le comprends, et je sens que j'agirais comme lui. De quoi est-ce fait 1 amour de l'homme, s'il ne résiste pas à l'épreuve d'une fatalité si évidente et si irresponsable. Il ne s'agit plus de conventions, c'est la nature 30
MAXIME.
SCÉ~E VII
XAVIER, seul.
XAVIER.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
MAXIME.
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qui se révolte. C'est vrai tout de même qu'il me serait impossible de finir ce fruit, après cette brute qui y a mis les dents. Pourquoi? Est-ce que je sais? Non, c'est plus fort que moi. Un homme de ma race et de ma condition, passe encore. Mais ce portefaix! Pouah Ma pauvre sœur! 1
SCENE VIII
XAVIER, GILBERTE, FLORE.
GILBERTE.
Non, oh non, ma tante. Un autre moyen. Pas celuilà. Je ne pourrais pas.
FLOUE.
Mais ce n'est qu'une feinte, te dis-je. Nous sommes là, ton frère et moi, pour savoir quel ange tu es, et si nous te conseillons cela, c'est que tu n'as pas d'autre moyen de le ramener à toi c'est une simple ruse de guerre conjugale.
GILBERTE.
L'idée d'avoir trompé Maxime n'entre ni la, ni là. Je ne comprends pas. Et puis, il ne me croirait pas. FLORE.
Essaie.
GILBERTE.
Sais-tu, frère, ce que ma tante. Je ne puis même pas te l'expliquer. Laisser croire a mon mari que je l'ai trahi? Est-ce qu'une femme peut faire cela? XAVIER.
Si c'est une feinte en effet.
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Non, décidément, je refuse. Trouvez autre chose. J'aime mieux souffrir.
N'en parlons plus. Mais je te sauverai, mâtine, maigré toi-même. (A Xavier.) Aide-moi. Voici le bain d'eau glacée.
Que va-t-elle lui dire ?
Du moment que tu préfères accepter..
Oui, tout plutôt que cela, ma tante.
Même qu'il te trompe?
Vous dites?.
Oh! c'est terrible, ma tante!
Du courage, mon enfant.
Alors Maxime me trompe? Vous ne répondez rien, ni l'un ni l'autre ?
Voyons, es-tu brave ? 2 Es-tu forte ? P Veux-tu te venger?
Me venger? Vous voulez dire le reprendre.
FLORE, allant au panier de poires.
XAVIER, à part.
GILBERTE, effarée.
FLORE, <t X~Uter.
GILBERT E.
FLORE.
FLORE.
GILBERTE.
FLORE.
XAVIER.
GILBERTE.
GILBERTE.
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FLORE.
Oui, le reprendre, si tu veux. Lis. (Elle tend la carte à Gilberte.)
GILBERTE, lisant la carte.
C'est vrai. dis, frère ? (Xavier se retourne.)
FLORE.
Voici ton mari.
GILBERTE.
C'est bien. Votre conseil est bon. Laissez-moi seule avec lui.
FLORE, à Xavier.
Tu vas voir le joli animal que vous êtes, ô mon neveu, et quelle bonne arme de défense que l'adultère, lorsque l'on sait s'en servir.
SCÈNE IX
GILDERTE, MAXIME.
MAXIME.
Tu es seule Xavier et ta tante sont partis ? GILBERTE.
Oui.
MAXIME.
Qu'est-ce que tu as? Est-ce que tu souures?. Livournet est encore là, il faut l'appeler.
GILBERTE.
C'est inutile. Mais je souure un peu en effet. A peu près les mêmes troubles que le soir du voleur. MAXIME, inconsciemment.
Quel voleur?
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GILBERTE, regardant.
Comment, quel voleur? Est-ce que ce n'était pas un voleur ?
MAXIME.
Si, si. Je pensais à autre chose.
GILBERTE.
Tu m'as fait peur. J'ai cru que tu en doutais. MAXIME.
Il n'y a pas à en douter.
GILBERTE.
Les mauvaises langues ont si vite fait de déshonorer une femme.
MAXIME, avec angoisse.
Qu'est-ce qu'on dit?
GILBERTE.
Tu le devines, n'est-ce pas ?
MAXIME.
Non, vraiment.
GILBERTE.
Oh c'est pour te moquer. La première et la dernière accusation qu'on jette à une femme mariée, est celle d avoir. un amant.
MAXIME, respirant.
Oh si ce n'est que cela. (A part.) Elle m'a fait trembler.
GILBERTE.
Si l'on te disait que j'ai un amant, Maxime, qu'est-ce que tu répondrais ?
MAXIME.
Moi? Je rirais.
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Et si on te le prouvait ?
Est-ce que tu deviens folle ?
Me voilà rassurée.
Il se passe en toi quelque chose d'extraordinaire. Je ne te connais pas sous ce jour agressif. Tes yeux brillent tes mains brûlent.
C'est comme l'autre fois, quand tu m'as surprise. MAXIME.
Je t'ai surprise, moi ? 2
Ah tue-moi, tue-moi, et que ce soit fini. Je l'aime encore.
Gilberte' 1 (Changeant de ton.) Allons, voyons, tu parles dans la fièvre. Tu ne sais ce que tu dis. Mon cher ange, remets-toi.
Il ne me croit même pas je ne sais pas mentir MAXIME, roulant un fauteuil.
Il faut t'asseoir ici, pendant que je vais chercher Livournet. (Il l'accommode sur le fauteuil.) Je t'en prie, je le veux. (Puis il va vers la porte.)
Est-ce qu'elle est jolie, cette Olga du Gymnase ? MAXIME, revenant d'un bond.
Quel est le misérable qui t'a appris ce nom ?
MAXIME, allant t't elle.
GILBERTE.
MAXIME.
GILBERTE.
GILBERTE.
GILBERTE.
MAXIME.
GILBERTE, à part.
GILBERTE.
------------------------------------------------------------------------
GILBERTE.
Ne te fâche pas. C'est le hasard. (Elle jette la carte <t ses pieds.) (Ma~me saisit la carte et la lit.) Je suis bien aise que tu t'amuses. J'en ai moins de remords. Au fond, ma tante a raison les ménages d'autrefois étaient plus sages que les nôtres. La tolérance vaut mieux. On ne s'en estime que davantage.
MAXIME.
Tu rcuéchis à tout ce que tu dis en ce moment? Tu t'en rends compte?
GILB3RTE.
Lorsque, en arrivant ici, j'ai vu que tu t'étais réservé un lit de campagne, j'en ai éprouvé comme un soulagement. Tu as bien fait aussi de chasser Catherine il faut toujours se débarrasser de ces gens, faciles à la trahison, qui peuvent parler à un moment donné et attester qu'ils ont vu.
MAXIME.
Elle avait vu le voleur?
GILBERTE. rï~t<.
Quel voleur? 2
MAXIME.
Si ce n'est pas une etiroyable comédie, machinée entre ta tante et toi, regarde-moi bien en face, dans les yeux, comme ceci, et réponds. L'homme qui sortait de ta chambre et qui s'est sauvé par la fenêtre a mon arrivée, c'était.
GILBERTE.
Qui?
MAXIME.
Ton amant?
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S'il sortait vraiment de ma chambre, je ne vois pas, à moins d'être ce que tu dis, ce qu'il y était venu faire. MAXIME.
Et tu as l'impudence d'en convenir? Les yeux fixes?. Quelle femme es-tu?
Qui sait? Une Olga peut-être
MAXIME, por~ï:~ la main à gorge et à ses yeux.
Ah ah! ah! Je vois rouge.
Maxime.
Son nom?
Mais.
Vite, son nom.
Je ne sais pas. je. je mentais. Ce n'est pas vrai.
Son nom, tout de suite.
Tu y crois donc ?
Il me faut le nom de ton amant. Je veux l'avoir. Entends-tu. Ah! tu le diras, misérable! (7~ ~MM~ la gorge. Entre ~tpjMr~.)
GILBERTE, <ray~.
GILBERTE, perdant la ~c.
MAXIME, COM~M~
GILBERTE.
GILBERTE.
~dAXI hIE
MAXIME.
GILBERTE.
MAXIME.
GILBERTE.
MAXIME.
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SCËNE X
TOUS LES PERSONNAGES.
LIVOUHKET.
Qu'est-ce que vous faites donc? Vous assassinez votre femme?.
MAXIME.
Un amant C'était un amant. Je deviens fou! (Il <'eM/M~.)
GILBERTE, à ~0"
Ah! ma tante, merci. Il me tuera. Il me tuera. H m'aime encore.
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ACTE TROISIÈME
SCÈNE PREMIÈRE
FLORE, puis LIVOURNET.
FLORE, seule.
Qu'est-ce qu'ils ont donc à me laisser seule aujourd'hui ? Personne n'arrive, ni mon neveu, niLivo~net. Oh! ce Livournet, il prétend qu'il m'a aimée et il oublie ma partie de piquet Comme si je pouvais me passer de ma partie de piquet! (Lico urnet entre.) Ah 1 vous voilàl ce n'est pas malheureux! J'allais jouer devant ma glace.
LIVOURNET.
Mais je ne suis pas en retard, vous avancez. J'ai de vrais malades en ce moment. (~ ~Mtec! table.) FLORE.
Eh bien et moi?
LIVOURNET.
Oh! vous: Je voudrais bien que Gilberte fùt aussi solide que vous l'êtes! Comment va-t-elle depuis cette incroyable aberration de son mari ?
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FLORE.
Beaucoup mieux. Ça nous fait du bien d'être étranglées. J'ai six cartes.
LIVOURNET.
Elles ne valent rien.
FLORE.
Trois valets.
LIVOURNET.
Non. Est-ce tout?
FLORE.
Comment si c'est tout? Qu'est-ce que vous voulez donc qu'on ait quand on est veuve ?
LIVOURNET, riant.
J'ai sept cartes, dix-septième majeure et quatorze d'as, total 97. Je joue 98 si vous le permettez. FLORE.
Miséricorde Dites tout de suite que vous allez vous marier; ce n'est pas une chance de garçon! 1
LIVOURNET, jouant.
99, 100, 1, 2, 3, 4,5, 6, 7, 8, 9, la dernière 10 et 40 de capot 150. A présent, comment vous portez-vous? FLORE.
Et vous appelez ça: jouer aux cartes 1 Tenez, Livournet, je vous méprise (~~ lui jette son jeu à la ~~) LIVOURNET, r!M<.
Bien, bien. Est-ce que Xavier ne vient pas aujourd'hui ?
FLORE.
Ce serait complet, mon ami, et je n'aurais plus qu'à me jeter à l'eau, ou à vous épouser, pour en finir.
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A votre disposition. Voulez-vous votre revanche ? FLORE.
Nous avons tout le temps, ce me semble.
Non, aujourd'hui je serai forcé de vous quitter de bonne heure. J'ai une malade très intéressante.. FLORE.
Elle va mourir ?
La pauvre nlle! C'est une femme de chambre du quartier, chassée par ses maîtres, et qu'on a trouvée dans la rue, la nuit; demi-nue et à moitié folle. Elle n'a voulu donner son nom à personne.
Ah 1 pourquoi?
Elle se meurt de honte.
Qu'est-ce qu'elle a fait ?
Je n'en sais rien. Mais parlez-moi donc de Maxime. Qu'est-ce qui lui a pris ?
Uu simple vertigo. un accès de jalousie furieuse. de l'othellisme.
Ah Ça n'a pas le sens commun. Gilberte ne vit qu'en lui et pour lui.
Raison de plus. Vous êtes comme cela, vous autres. Plus on vous en donne et plus vous en voulez.
LIVOURNET.
LIVOURNET.
LIVOURNET.
FLORE.
LIVOURNET.
FLORE.
LIVOURNET.
FLORE.
LIVOURNET.
FLORE.
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Mais. pour se remettre de l'étranglement d'abord. Quand ils commencent à étrangler, ils en prennent l'habitude. C'est un parvenu, ce garçon-là
Décidément, on me cache quelque chose. (Apercevant Xavier qui entre.) Ah voici Xavier.
C'est bizarre.. FLORE.
Allons, ma revanche. (Ils jouent.)
Et où est-il en ce moment?
Qui? le guignon? toujours chez moi.
Non, Maxime ?
Où voulez-vous qu'il soit? Chez lui, je pense.
Avec sa femme ?
Non, Gilberte est ici, dans sa chambre de jeune fille. LIVOURNET, jetant les cartes.
Ici?. Pourquoi?
LIVOURNET, pCTM~.
LIVOURNET.
FLORE.
LIVOURNET.
FLORE.
LIVOURNET.
FLORE.
FLORE.
LIVOURNET.
------------------------------------------------------------------------
Arrive donc Livournet porte le diable en terre aujourd'hui.
Bonjour, ma tante. (Il l'embrasse.) Bonjour, docteur.
Qu'est-ce que vous avez, vous? Votre main est brùlante ?
Ce n'est rien. La fatigue du voyage.
Tu viens de voyager ?
Oui. Comment va ma « sœurette a ?
Très bien. ~B~ Je te parlerai d'elle tout à l'heure, quand Livournet ser? parti.
D'où venez-vous donc?
De Londres.
De Londres, toi ?
Qu'y a-t-il là de si extraordinaire ?
SCÈNE II
LES MÊMES, XAVIER. FLORE.
LIVOURNET.
LIVOURNET.
XAVIER.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
FLORE.
XAVIER.
------------------------------------------------------------------------
FLORE.
Mais tu ne me l'avais pas dit?.
XAVIER, souriant.
Je ne vous dis pas tout. (Il se détourne.)
FLORE.
Ah! bien!
LIVOURNET, à Flore.
Vous ne le trouvez pas singulier, votre neveu. Regardez donc ses yeux. Ils sont comme égarés. FLORE.
C'est vrai. Qu'est-ce qu'il est allé faire à Londres XAVIER, de loin.
Ma sœur est ici ? (Il frissonne.)
FLORE.
Oui. Mais qu'est-ce que tu as, mon enfant Tu frissonnes de tout le corps.
XAVIER.
Mais rien du tout. C'est la fatigue du voyage. FLORE.
Livournet, voyez donc.
LIVOURNET.
Oui. j'observe.
XAVIER.
Je vais embrasser Gilberte. (Il entre à gauche.) nvouRNET, Flore.
Ah çà, que se passe-t-il donc ici depuis quelque temps? On m'appelle la nuit et on me renvoie. Le feu prend dans le pavillon. Maxime tue des chiens et veut assassiner sa femme. Xavier va à Londres mystérieusement et en revient avec une figure décomposée. Est-ce qu'on ne m'aime plus qu'on ne me dit plus rien ?
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Je vous expliquerai tout cela plus tard. Allez à vos malades, mon cher ami, et revenez tantôt, nous causerons.
Voici Maxime qui entre dans Fhôtel.
Que devons-nous faire ?
Mais le recevoir, je suppose.
Et s'il recommence? Il est éperdument jaloux. LIVOURNET.
De qui?
Ceci n'est pas de votre ressort.
Pardon, pardon, mais je désire savoir de qui Maxime est jaloux. J'ai charge d'âme et de corps, et Gilberte m'inquiète un peu.
Eh bien, puisqu'il faut tout vous dire, Maxime est jaloux d'un amant imaginaire que je lui ai jeLé dans les jambes pour sauver Gilberte.
La sauver de quoi?. Mais vous êtes folle Et il croit à cet amant?
Vous avez bien vu. Il l'étranglait!
C'est à cause de cela? Vite, vite! Il faut le désabuser tout de suite.
XAVIER, <or<aM<~c chez Gilberte.
LIVOURNET, étonné.
FLORE.
FLORE.
FLORE.
FLORE.
LIVOURNET.
LIVOURNET.
LIVOURNET.
FLORE.
FLORE.
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Ce sera pire.
En quoi pire ?
Allez à vos malades, Livournet. J'ai les miens. LIVOURNET.
Vous allez laisser Maxime dans cette erreur horrible ? FLORE.
Il le faut.
Mais jusqu'à quand?
Jusqu'à ce que je sois grand'mère, Livournet. scË~E m
Ah! vous voilà. Qu'est-ce que vous devenez? MAXIME.
J'ai erré, je ne sais où, c'étaient des bois. Mais laissons cela. Elle est ici.
Qu'est-ce que tu lui veux?
Encore? Je veux la voir.
Pardon, si je le permets.
LES MÊMES, MAXIME.
FLORE.
LÏVOURNET.
FLORE.
LIVOURNET.
FLORE.
LIVOURNET.
XAVIER.
MAXIME.
LIVOURNET.
31
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Mais je suis son mari, docteur.
Mais je suis son docteur, mari.
Vous me défendez de voir Gilberte ?
Je ne dis pas cela. Mais vous étranglez, mon cher. MAXIME.
Oh! Livournet. C'est à peine si je me tiens debout Je ne suis pas bien redoutable, mon ami. Et puis je l'aime tant
S'il en est ainsi! Mais je dois vous avertir, Maxime, et ici c'est le médecin qui parle. Votre femme a le cœur malade. il faut être d'une prudence extrême avec elle. La moindre émotion un peu violente peut lui être fatale, vous m'entendez bien, fatale. J'ai une responsabilité avec un homme de votre violence.
Je m'en vais!
Maxime.
Ainsi, vous me la reprenez, celle que vous m'aviez donnée tous les deux. Je n'ai plus le droit de l'aimer, d'entendre sa chère voix, de m'enivrer de ses regards, de m'embaumer de son souffle 1. Soit, mais je vous jure, moi, que je ne puis pas vivre sans elle. FLORE, à Xavier.
L'aime-t-il à présent?
MAXIME.
LIVOURNET.
MAXIME.
LIVOURNET.
LIVOURNET.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
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Adieu.
Allons, on va vous l'envoyer. Mais voici les conditions de la Faculté Pas un reproche, pas un cri, pas un geste mcme qui puisse précipiter le battement du pouls. Donnez-m'en votre parole d'honneur.
Je vous la donne, et sans peine, car je vendrais ma vie pour lui épargner un pli au front.
Votre tame va vous la chercher. Moi, je vais à mes malades. A tantôt.
Merci.
Ne me dis rien, va. Je suis une brute. C'est le sang plébéien qui m'a monté à la gorge. Mais j'espère qu'elle me pardonnera.
Te pardonner?
Je n'ai que ce que je mérite. Elle avait cru que j'aimais cette O'ga. Les apparences étaient contre moi. D ailleurs, c'est vrai au fond. Olga m'avait un peu
XAVIER, MAXIME.
MAXIME.
LIVOURNET.
MAXIME.
LIVOURNET.
MAXIME.
SCËNE IV
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
(Flore rentre.)
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troublé. Les honmtes .femmes ont raison de se défendre. œil pour œil et dent pour dent. Il y a un serment dans le mariage.
Il me fait mal 1
Dieu! qu'on souffre, mon pauvre Xavier! J'en ai décrit des tortures de mari amoureux, mais je ne savais pas ce que c'était! Oui, je t'entends. Tu me trouves lâche. Mais la doctrine de l'inexorabilité est odieuse et stupide. Quand j'aurais tué Gilberte, où en serais-je, si elle était morte, puisque je l'aime?
Alors tu crois vraiment?.
Qu'elle s'est vengée? Elle a bien fait.
Maxime, j j'ai tué Brutus.
N'était-ce pas l'unique solution. De quelle justice ressortait ce misérable? Devant qui pouvait-on'le tradu:re sans divulguer notre honte de famille, sans foudl oyer Gilberte Nous sommes d'une race de justiciers. Je me suis souvenu de nos aïeux. Si j'ai eu tort~ il3 me le diront, l'heure venue. Je suis prêt et tranquille. MAXIME.
Qui, toi?. Pourquoi?
Ah: Malheureux!
Quoi?
XAVIER, à part.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
XAVIER.
------------------------------------------------------------------------
Qu'as-tu fait là, Xavier? Ce n'était pas lui qu'il fallait tuer. C'est un autre.
Qui donc?
Oh! si je le savais! Mais patience! L'homme qui m'a pris le cœur de ma' Gilberte peut se cacher au bout du monde. je le trouverai. et ce jour-là! Oui, je le trouverai. Je le reconnaîtrais 1
Oh! tante Flore, que vous êtes forte! ~au~ Voici Gilberte. Souviens-toi de ce que tu as juré à Livournet. MAXIME.
Tu me jures que tu crois ce que tu dis ? 2
Je te le jure.
Me crains rien.
Maxime veut te voir, viens.
Que vais-je lui répondre s'il m'interroge ?
Ce que Dieu t'inspirera, mon ange. Je vous laisse.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER.
MAXIME.
XAVIER, à part.
XAVIER, à Gilberte.
GILBERTE.
XAVIER.
(Gilberte entre.)
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Gilberte
Maxime
Ma chérie, ne crains rien, je t'aime! Tu ne p~ux t'imaginer à quel point j'ai horreur de ma brutalité. J'étais fou sans doute, archi-fou. Je t'ai fait du mal, mon trésor. Je t'ai broyé les doigts. Donne-les-moi que je les baise un à un.
Mais Maxime.
Non, ne parle pas, je t'en prie. Ne me réponds rien. Viens. (Il la fait asseoir.) Reste lit bien paisiblement. Pose tes chers petits pieds sur ce coussin et laisse.moi te contempler a mon contentement. Je n'ai besoin que de te sentir vivre près de moi. Je suis heureux. (~7/t ~7e?ïcc.)
Dis-moi quelque chose pourtant.
C'est à cette place même que je t'ai avoué pour la première fois que je t'aimais. T'en souviens-tu, Gilberte ? Ta tante jouait avec Livournet. Xavier s'était mis au piano pour faire du bruit et couvrir ma voix.
SCÈNE Y
MAXIME, GILBERTE.
GILBERTE.
GILBERTE, troublée.
MAXIME.
MAXIME.
MAXIME.
GILBERTE.
MAXIME.
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J'ai cru mourir lorsque le consentement est tombé de tes yeux pleins de larmes. Car tu m'aimais alors. Tu m'as aimé, Gilberte, ne le nie pas. Mais ne réponds pas. J'ai juré de ne t'adressser aucun reproche, de ne pas me plaindre. Nous avons été heureux ensemble. Nous le serons encore. Tout va recommencer si tu le veux.
GILBERTE.
Mais certainement.
MAXIME.
Que tu es bonne de me pardonner! J'ai perdu la raison un moment. On ne sait d'où ces éclipses vous viennent. Mais je te le jure, mon ange, je n'ai jamais aimé cette fille, jamais.
GILBERTE.
Je n ai pas besoin que tu me le jures. Il suffit que tu me le dises.
MAXIME.
Eh bien, alors, pourquoi avoir douté si vite de moi Oh si vite. C'est ma faute, je le confesse. J'aurais dù mieux te connaître, prévoir ce que tu devais endurer. Tu ne m'en disais rien, de ta jalousie? Peut-être aurais-tu mieux fait de t'en ouvrir franchement avec moi. Je t'aurais tout de suite rassurée, je t'aurais donné des preuves.
GILBERTE, se dressant.
Maxime.
MAXIME, la rasseyant.
Parlons d'autre chose. M'aimes-tu encore ? 2
GILBERTE.
Qui veux-tu que j'aime, si ce n'est toi ?
MAXIME.
Mais n'aimes-tu que moi?
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GILBERTE;
Sans doute, mon ami.
MAXIME, s'oubliant.
Et l'autre ?
GILBERTE, stupéfaite.
Quel autre?
MAXIME.
Oh Quel autre?. Laissons cela. Je t'en conjure! Je t'aime et je t'adore Qu'importe le passé, ce sera le passé, ce qui s'efface, ce qu'on oublie! Je ne veux pas savoir son nom. Je ne te le demanderai jamais. Mais tu es à moi, à moi seul. entends-tu, Giloerte? à moi. (il ~wpare d'elle et la presse violemment.)
GILBERTE.
Mais tu me fais mal. Maxime.
MAXIME, la laissa)zt aller.
C'est vrai, je ne me contiens pas. Te voilà tout oppressée Non, calme-toi. Rentre dans ta chambre. Va, je demeurerai ici. Cela vaut mieux pour tous les deux. Oh je souffre (Il <o~e assis.)
GILBERTE, lui prenant la
Tu souffres, mais moins que je n'ai souffert, méchant. Par quels combats terribles j'ai du passer avant de me décider à ce que j'ai fait. Mais tu ne m'aimais plus. C'était trop visible, et tout le monde s'en apercevait bien. Il semblait que ma présence, ma personne te fissent horreur. Chaque jour te séparait de moi de plus en plus. C'etait effrayant. Sans ma tante, cependant, je n'aurais jamais pu me résigner à te rendre malheureux.
MAXIME.
C'est elle qui t'a conseillé cela. Elle n'est pas scru-
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puleuse, ta tante Flore, avec les pauvres maris il les lui faut aveugles, infaillibles et parfaits.
GILBERTE.
Je te jure que je ne l'aurais point écoutée, si Xavier lui-mômc ne l'avait approuvée. Xavier est un homme, lui. C'est ce qui m'a décidée.
MAXIME.
Quoi, Xavier aussi ?
GILBERTE.
Oui. D'ailleurs, il avait le premier découvert l'erreur du commissionnaire, ta carte pour cette actrice. MAXIME.
C'est lui qui te l'a montrée.
GILBERTE.
Non. Mais qu'importe, je ne suis plus jalouse d'Olga. Au fond, je ne l'ai jamais été, je crois. Je savais bien que tu ne pouvais aimer que moi. Seulement, je ne comprenais pas pourquoi tu me fuyais comme la lèpre. MAXIME.
Ma pauvre enfant ne le comprends jamais.
GILBERTE.
Tu changes de visage. Mais qu'est-ce qu'il y a donc, mon Dieu (Elle va à la porte et appelle.) Xavier. MAXIME.
N'appelle point Xavier. Restons seuls, je t'en prie. Je te parlerai doucement, car je sais que tu es malade et que tes étouuéments sont revenus. Passons sur tout cela. Vrai ou faux, je te pardonne. Si j'avais pu le tuer seulement.
GILBERTE.
Le tuer? le tuer 1 mais qui donc ?
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MAXIME.
Ne te bouleverse pas ainsi. Il y va de ta santé qui m'est plus chère que tout au monde.
GILBERTE.
Tu as voulu tuer quelqu'un à cause de moi, Maxime, quand donc ?
MAXIME.
Personne. Jamais. Je pensais à Turc! Appelons ta tante.
GILBERTE.
Non, je ne veux plus maintenant.
MAXIME.
Je t'en prie.
GILBERTE.
Je ne comprends rien à tout ce que tu dis. Ma santé ne court pas plus de dangers que ma conscience. MAXIME.
J'en suis sûr.
GILBERTE.
Et j'espère bien que tu n'as jamais cru à cette sotte invention d'amant.
MAXIME.
Hélas!
GILBERTE.
Hélas! (Elle va aux portes.) Venez tous, ma tante Flore de Frileuse, Xavier de Frileuse, mon frère; je veux que cet homme me demande pardon à genoux. Je le veux, il m'a soupçonnée d'adultère
MAXIME.
Non, non, jamais! J'en atteste ma douleur.
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LES MÊMES, FLORE, XAVIER, LIVOURNET. LIVOURNET, entrant.
Ah parbleu! vous faites bien, vous! de demander pardon à tou~ le monde La pauvre fille est morte! 1 FLORE.
Qui?
Mais Catherine, parbleu
Catherine ?
Ma femme de chambre ?
Brutus était son amant.
Son amant ?
Comme il fallait qu'il passât par votre chambre pour arriver à sa maîtresse, ils endormaient Gilberte les jours où Maxime n'était pas là.
Oh mon Dieu 1
Lorsque vous êtes rentré inopinément, l'autre soir, Brutus a dù se sauver par la fenêtre de votre chambre, n'ayant pas d'autre issue.
LIVOURNET, à Maxime.
SCÈNE VI
LIVOURNET.
TOUS.
GILBERTE.
LIVOURNET.
XAVIER.
LIVOURNET.
MAXIME.
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Et c'est lui que Maxime avait pris pour un?. MAXIME.
Ah pardon 1
Et elle est morte?
Oui. en criant grâce à ses parents.
Moi, j'ai tué Brutus, ma tante.
Total deux meurtres pour un m~ri! Quelle jolie bête que l'homme civilisé 1
GILBERTE.
FLORE.
LIVOURNET.
XAVIER, &as, à Flore.
FLORE, à Xavier.
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LA CLÉ DES SONGES
On promet pour l'année prochaine des féeries qui ne le céderont en rien aux précédentes comme magies de l'invention. Les enfants pour qui ces choses sont composées, y auront les hallucinations requises devant des défilés de bretelles respectueusement chronologiques et des apothéoses de légumes savantes par lesquelles ils apprendront que le choufleur n'est pas la fleur du chou et que le chouberski est un poéle. Si cela les fera rire, vous n'avez pas besoin de le demander. L'enfance française est folle de ces à-peu-prés vulgarisateurs qu'illuminent les feux de Bengale. Elle sent tout le mal que. l'excellent Christian se donne pour l'instruire, sans qu'il y paraisse, et quand elle apprend qu'un directeur a dépensé cinq cent mille francs à cette union de Rêve-Lapin et de la Carpe-Science,
PRÉFACE
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quel enthousiasme Elle voudrait voir la ~éte du directeur, et connaître ses enfants pour savoir s'ils lui ressemblent.
Souvenirs ineffaçables que ceux du premier spectacle où l'on nous a menés pour nous récompenser d'avoir été bien sages Vous rappelez-vous? Il avait été décrété en famille que décidément il n'y a pas dans la vie que le boire, le manger, le dormir et tout le tintouin qu'on se donne. La « poésie devait avoir son rôle. Le petit, disait-elle, vit trop à la cuisine, avec les bonnes! La veille encore, disait-il, il a assisté à une scène nettement conjugale entre ses parents vénérables. Il est un peu triste. Peut-être s'ennuie-t-il déjà. Menonsle voir une féerie.
Quel poète oriental décrira l'extase de l'attente chez l'enfant à qui l'on a promis une féerie? Quelle musique ren dra les chevauchées de son imagination? Toutes les nuées roses qui passent dans le ciel bleu l'emportent. Des fées! des fées! il va en voir et en entendre! Enfin, rappelez-vous, vous dis-je.
Le voilà assis à sa place, au théâtre, et le rideau se lève sur le monde des enchantements. Sa petite âme s'ouvre immensément. Apparaissent des gens cousus d'or et de fil blanc qui, pour commencer, discutent entre eux du meilleur. cirage à reluire Oh! non, ce n'est pas encore cela, la féerie promise Attendons un peu.
Voici un ballet. L'enfant « qui vivait trop à la cuisine, avec les bonnes n, voit arriver des casseroles vi-
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vantes et des chaudrons à quatre pattes. Deux groupes les casseroles bien rétamées personnifient la vertu; les vert-de-grisées représentent le mal. Car il faut toujours être moral et scientifique. Or, la bonne fée est pour le cuivre. Le méchant génie est pour l'étain, et le nain Tripoli fait la navette. Surgit une jeune nlle ailée, un ange, qui dit: Arrêtez! je suis le métal anglais! et qui le prouve par ses attitudes.
L'enfant n'est pas sorti de la réalité. Il se croit encore à la cuisine, près de l'évier, à l'heure de la vaisselle. Le génie de l'étain ressemble à sa bonne, et la fée du cuivre parle comme elle. Il a vu Tripoli cent fois en pompier. Alors où est la féerie? Patience. Survient le roi. Il est tellement étincelant qu'il semble habillé d'un diamant. Son dos rayonne et son ventre rutile. C'est le fameux Escarboucle-Dix. Sa première parole est une saloperie. L'enfant rougit et regarde son père. Cette ordure, il la connaît. C'est pour l'avoir proférée devant lui qu'un commis du magasin paternel a été Hanqué à la porte. Donc il regarde son père. Son père rit à se tordre. Elle est là, la féerie. La voilà. Jusqu'à présent elle n'est que là, lorsque le roi Escarboucle, vêtu de cent soleils, se décide à expliquer en quoi elle consiste.
L'enfant ouvre ses oreilles toutes grandes. Il sait que les auteurs de la pièce ont une grande réputation d'esprit. Ce sont des gens qui, lorsqu'ils ont pris un conte à Perrault, ne le rendent pas sans y avoir mis quelque chose. Enfin ils sont trois. Donc Escarboucle
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raconte qu'il a une fille et qu'il la donnèra en mariage à celui qui lui trouvera la pipe d'Artaxercès dans une salade de haricots rouges. 1/œuvre s'appelle Riquet à la Houppe.
Pour le coup, le père n'y tient plus. « Ça n'a pas encore été fait dit-il à son épouse. Tous deux applaudissent. Et l'on se remémore, pendant l'entr'acte, qu'à l'origine la féerie s'appelait « le Ris de veau enchanté a, mais qu'après un long débat dans les journaux pour la propriété du titre, les auteurs l'avaient fait répéter sous le nom de « la Machine à coudre magique a. A cette époque, Escarboucle n'était pas encore Escarboucle, il était seulement Elias Howe, et c'était Dumaine qui devait créer le rôle.
Et toi, fait la mère à l'enfant, t'amuses-tu Oh! 1 oui, maman, repart le doux être. Ce à quoi le père réplique Si tu ne t'amuses pas, dis-le Tu n'as pas l'air de t'amuser.
Alors ça recommence. L'enfant espère comprendre plus tard. Comment, dans une féerie, n'y aurait-il pas de belles apparitions, des princesses charmantes, des bêtes qui parlent et de ces nacelles d'argent qui voguent dans le ciel comme les nôtres sur l'eau? Il se dit que si les personnages qui font rire son père lui semblent bêtes, à lui, c'est que peut-être il est encore trop petit pour les comprendre. Aussi se promet-il de rire bien fort dès qu'ils ouvriront la bouche, afin de ne pas être puni par son père, car il avait l'air en colère tout à l'heure de voir que son fils ne s'amusait pas.
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Une forme imprévue sort d'une trappe. C'est la fille du roi. Sans sa perruque, elle serait entièrement nue. < Oh qu'elle est laide H s'écrie naïvement l'enfant, décidé à rire à tout prix pour contenter son père. Laide, la fille du roi, gronde celui-ci. Cet enfant ne comprend rien à rien de rien Le moutard a le cœur gros et il ne s'amuse plus du tout. Pourquoi cette fille du roi est-elle nue, et pourquoi, nue, m'a-t-elle fait rire ? Les féeries sont pourtant faites pour les enfants Tu vas voir, mon cher petit.
Fanfares, trompettes, tambours, grand tumulte! nous voici au fameux défilé qui a décidé du succès de l'ouvrage. C'est à cause de ce défilé (un clou !) que les mères de famille se disent entre elles <f Avez-vous mené votre petit garçon à la « Machine à coudre magique a, je veux parler du < Ris de veau enchanté, a ou du moins de cc Riquet à la Houppe? a Ah! ma chère, allez-y! c'est délicieux. Il y a le cortège des gilets de flanelle Mon petit Léon s'est tellement diverti qu'il en est malade. Le médecin est venu a
L'idée de ce cortège est l'une de celles en effet qu'il faut être trois hommes d'esprit au moins pour découvrir. C'est une procession ethnographique de tous les « vêtements de dessous a portés par l'humanité jusqu'à l'invention du gilet de flanelle, qui les dégote tous, et demeure le nec plus ultra des camisoles. Les débours de la direction pour ce tableau ont été énormes. Seul, le gilet de flanelle colossal, qui termine et couronne le cortège, revient à prés de huit mille francs, 32
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car iiTl'est pas en flanelle et ce n'est pas un gilet. Pour exprimer son triomphe sur tous les autres vêtements de dessous ethnographiques et le rendre plus clair à des esprits d'enfants, les trois collaborateurs, collaborant ferme, ont imaginé d'enrhumer abominablement tous ceux qui portent les autres camisoles imparfaites. De telle sorte que la bonne humeur s'empare tout de suite de la salle, lorsque, toussant, crachant, éternuant, les catarrheux, les pituitards, les bronchiteux des vieux tricots légendaires défilent devant le parterre d'enfants épanouis et préparent l'entrée du noble seigneur Gilet de Flanelle, qui seul ne tousse pas C'est le comble de l'imagination.
En général, après de pareilles fêtes, les enfants demandent à retourner au collège. C'est à eux que les vacances semblent trop longues. Et vous avez de la sorte de fortes générations de petits naturalistes qui trouvent qu'on exagère, dans la vie, la part de la poésie, et courent de bonne heure aux choses pratiques. Les renseignements qu'ils ont sur les fées, dès le bas âge, sont peu faits pour leur en inspirer le culte, et pour ce qui se passe d'extraordinaire dans l'empire du Bleu, la bonne vallée de larmes leur suffit. Je me rappelle que le joyeux Emile Rochard qui ne doute de rien. t m'entretenait un jour de son idée d'une féerie réaliste Qu'est-ce qu'il lui faut, grands dieux A nioin s de célébrer l'huile de ricin et de ressusciter sur la scène le héros hongrois Hunyadi Janos dans le rôle que lui pré-
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tent certaines bouteilles, je ne vois pas où est son rev< Tout est fait dans l'espèce.
Et maintenant, je vous interroge. Quelle nëcea&ité y a-t-il à ce que les féeries soient uniformément bétea, ennuyeuses et tristes parce qu'elles s'adressent à des enfants? D'où vient que la commande de l'un de ces ouvrages ait le privilège de tourner en bourrique les hommes d'esprit réputés auxquels cette commande échoit? Si l'on mesurait leur esprit même à la grosseur des insanités qu'ils produisent, Voltaire resterait leur cadet, car ils ont à la fois le génie de l'ineptie et ses chances. Se fait-on vraiment, sur les boulevards de Paris, une telle idée de l'intelligence enfantine, que l'on n'ose pas s'aventurer à lui offrir autre chose que l'apothéose d'un poireau Naïveté n'est pas sottise, et l'on traite nos chers petits en hydrocéphales. Que dis-je? en hydrocéphales libidineux.
Si j'étais directeur, tant d'esprit m'effraierait à la longue, car il touche au diabolique d'être, à trois ou quatre, aussi absurdes qu'un seul homme. Enfin, j'aurais peur pour l'année prochaine. Je tàterais, pour changer, de ces francs imbéciles qui croient sérieusement aux fées, qui en ont vu et touché et qui racontent sur elles des histoires aussi merveilleuses qu'invraisemblables. Il y en a, Charenton les réclame. Mais ils persistent à promener leurs illusions hors des atteintes de ce monument et à fourrer dans des livres, vendus cher ~près leur mort, et rien du tout pendant leur vie, des
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tas d'inventions dont le théâtre ferait ses choux gras les jours maigres.
Larochelle, à qui je suggérais cette idée confuse, me répondit une fois Des poètes, pour les féeries Plus souvent, pour qu'ils me ruinent par leur imagination! 1 Ils font trop cher! 1
–Non, lui dis-je, c'est précisément le contraire qu'il faudrait penser. Ceux qui ont de l'imagination ne font pas cher. Ceux qui font cher sont ceux qui comptent sur l'imagination des autres, celle des décorateurs, du costumier et du maître de ballet. Quant au texte, ils le confient à Christian qui n'attache pas ses calembours avec des saucisses. Eh bien, alors? Eh bien, alors. rien Et il s'en alla. Il était déjà vieux.
Figaro, 30 janvier 86.
(CAUBAN)
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LA CLÉ DES SONGES
GRANDE FÉERIE EN QUATRE ACTES ET UN PROLOGUE
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PERSONNAGES
ZÉNOBIE, princesse d'Oneiropolis
MAZIS, sa suivante.
ZINGA, reine des Amazones.
ERICHTO, la fée noire.
GENGIS, pêcheur de pépites d'or.
BEN-ACHÉRIB, prêtre d'Ormuzd et mage.
TÈTUFAR, ministre de t'intérieur, prêtre d'Arrhimane. BING-PACHA, ministre de la guerre, prêtre d'Arrhimane. ATCHOU M-PACHA, ministre du commerce, prêtred'Arrhimane. AZULI-PATHAN DOUZE-BIS, sultan d'Oneiropotis. MARZIN, valet de Ben-Achérib.
ORMUZD, Dieu du bien.
PEUPLE B'AMAZONM, PEUPLE DE MUETS (CLOWNS),
LES MKNDtAMTS O'OMEtROPOUS, PRÊTRES DE WtSCHNOU.
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LA CLÉ DES SONGES
PROLOGUE
La maison du mage Ben-Achérib
1
BEN-ACHÉRIB, MARZIN, GENGIS
Den-Achérib est prêtre d'Ormuzd, c'est-à-dire du dieu bon et favorable à l'humanité. Il a été ministre du souverain d'Oneiropolis qui a précédé AzuU-Pathan Douze-Bis, c'est-à-dire d'Azuli-Pathan XII, dévot à Ornmzd. L'usurpateur du trône est dévot à Arrhimane, dieu du mal et ennemi des humains. Cet usurpateur s'entoure de prêtres d'Arrhimane, qui, ministres, oppressent les peuples. Bcn-Achérib vit dans la solitude, s'abîme dans l'étude des livres sacrés, et n'a d'autre compagnie de sa disgrâce que Marzin, son fidèle domestique qui l'aime comme un père à cause de sa bonté. Ben-Achérib est très-populaire à Oneiropolis, et les pauvres gens aiment à venir le consulter sur leurs maux. Un jour un jeune homme demande à lui parler, et Marzin, frappé de sa beauté, de sa grâce et de son air de souffrance, l'introduit. C'est Gengis.
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Gengis est un humble pêcheur de paillettes d'or de la rivière du Brahmapoutre. Il a eu un songe extraordinaire. Il a vu en rêve une jeune fille, idéalement belle, vétue d'habits somptueux et royaux, qui lui disait Je t'aime. Elle lui ordonnait de quitter le métier de pécheur et d'aller à la pagode de Jaggernauth décrocher du trousseau de Wischnou la clé des songes qui y est suspendue, parmi cent autres clés tintinnabulantes. S'il décroche cette clé, la jeune fille sera à lui, et Gengis deviendra roi.
Peux-tu me décrire cette jeune fille ? demande Ben-Achérib.
Je peux mieux encore je puis vous la dessiner de mémoire. Il la dessine et Ben-Achérib est épouvanté en reconnaissant Zénobie, la propre fille du tyran AzuliPathan Douze-Bis.
C'est Ormuzd qui t'envoie ce rêve, il faut lui obéir. Tu dois aller à Jaggernauth. Les obstacles sont sans nombre. Il te faudra traverser des contrées terribles. le pays des Amazones ou femmes libres, et le pays des Muets, dont la fée noire Erichto est ,la reine. Je n'ai pas de talisman à te donner.
Alors il ne reste plus qu'à mourir, car j'aime cette jeune fille; si elle existe, je la veux; si elle n'existe pas, la terre est trop triste pour mon âme veuve et dépareillée
Entre un instant dans cette chambre, et attends que je te rappelle; je vais consulter mon dieu Ormuzd. Et Ben-Achérib évoque Ormuzd.
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H
BEN-ACHÉRIB, MARZIN, ORMUZD.
Quel Dieu méchant es-tu, dit Den-Achérib, d'envoyer ainsi des rêves troublants à ce jeune homme Il vivait heureux; le voilà comme démenté. 0 Ormuzd, tu disposes des rêves heureux, comme Arrhimane des rêves mauvais, mais si tu les envoies à tors et à travers, ton rôle est aussi triste sur les destinées de l'humanité que celui de ton rival céleste.
Qu'en sais-tu, mortel ingrat ? dit Ormuzd qui apparaît.
Épouvante de Ben-Achérib à la vue d'Ormuzd. Marzin ne voit pas Ormuzd qui n'est sensible que pour BenAchérib. De là quelques quiproquos de nature comique. Marzin croyant que son maître monologuise, lui fait des réponses hurluberlues et coq-à-Fâneuses. Ormuzd est fâché des doutes blasphématoires de son prêtre favori. 11 l'en punira. Gengis, lui dit-il, est le propre fils du roi ton maître, Azuli-Pathan, celui dont tu fus le ministre et qui fut détrôné par Douze-Bis, l'usurpateur actuel. On le croyait mort, etiln'avait qu'été perdu par les ordres de Douze-Bis, son oncle, et jeté dans le Brahmapoutre. Un des mages le sauva et l'éleva. Il est doué de la puissance du somnambulisme. Il voit à travers temps, espace et ténèbres. Les eaux.dufleuve sacré l'ont trempé. Il sera roi d'Onéiropolis, s'il épouse Zénobie, et la fusion, par ce mariage, sera faite. C'est écrit. Juges-tu maintenant que j'envoie mes songes à l'aveuglette ? Pour te punir, c'est toi qui accompagneras Gengis dans ses voyages, et pendant tout ce temps,
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non-seulement tu ne rêveras pas, mais tu ne dormiras plus. Ton insomnie sera le talisman du jeune homme. Si tu t'endors, il est perdu, lui, le fils de ton roi -L'insomnie, oh quelle horrible chose quel châtiment 1
Ce n'est pas tout, reprend Ormuzd; comme tu doutes de ma sagesse et de mon a opportunisme, » je te cliarge de choisir toi-même et de déterminer les rêves dont Gengis aura besoin pour atteindre à son but, car c'est par les rêves seulement qu'il doit y atteindre, et les rêves heureux encore Des obstacles nombreux vont s'opposer à sa marche vers Jaggernauth. Car Zénobie est aimée par Tétufar, le ministre de Douze-Bis qui veut l'épouser pour avoir la couronne. Or, Tétufar est le propre fils de la fée noire Érichto, reine de l'empire des cauchemars. C'est elle qui envoie les rêves affreux aux hommes. Tu auras à soutenir contre elle une lutte de chaque instant, car elle cherche à perdre Gengis par les visions effrayantes dont elle dispose. Il faudra que d'un coup d'œil tu devines quel rêve heureux tu dois opposer aux siens, et que tu fasses mon office de dieu par ta simple présence d'esprit et ton imagination. Quand Gengis aura décioché la clé des songes du trousseau de Wischnou, tu seras libéré, et tu pourras dormir et te reposer. Ton œuvre sera accomplie. Soit, dit Ben-Achérib, je subirai mon supplice. Je lutterai et ne dormirai plus. Mais quand Gengis aura décroché la clé, qu'est-ce qu'il en fera ?
La clé des songes, repart Ormuzd, c'est la clé du bonheur des hommes elle explique le passé, l'avenir, guérit tous les maux et fait l'homme parfaitement heureux et immortel. Elle ouvre les portes de tout idéal. Quand Gengis l'aura, il sera le monarque parfait, tous ses sujets le béniront, car il aura le mystère de la
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vie et de ses relations avec la destinée universelle. Et comment est-elle, cette clé ?
C'est à Gengis à la trouver dans le trousseau d'instinct, par la divination et la prescience du rêve. Age quod agis!
Et Ormuzd se tait, prêt à disparaître.
-Encore une question, dit Ben-Achérib. Si je devien s le distributeur des rêves heureux, je désirerais connaître au moins les éléments de la puissance dont je suis investi. De quoi est-ce fait les bons rêves, et où cela se fait-il ? La science n'en sait rien. La médecine l'explique par des c gestions
Je vais, dit Ormuzd, te conduire à la fabrique. Ce sera ton dernier rê~ avant la conquête de la clé des songes.
Et il évoqu la vi- de l'usine des songes heureux. Marzin se couche SL e côté droit.
«
°
LA FAbht- HEUREUX
Par des espec m' s qui communiquent avec la terre, à ~vcr~ de petits marmitons bleus, blancs. ruN' r<-< ~'tesuuances, enfournent des rêves av~ h' les Servez d'usage. Grande agitatioL s nx.
Un rêve de m pour Mirza, le poète, qui crève de fain ~') r « e 1. Voila Et on enfourne.
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Un rêve d'amour pour veuve. Boum!
Uu rêve de liberté pour un utopiste.–Français ou Allemand? Français. Voilà, envoyez.
–Petit commerçant et son épouse rêvent de voir la mer. Envoi d'une mer soignée.
Un repos absolu'pour casseur de pierres.
Un avancement pour employé. Par servilité ou par simple mérite? Il n'y en a plus.
Une légion d'honneur pour militaire.
Un litre d'avoine pour cheval de fiacre de la compagnie.
Un os à moelle pour un chien errant.
Un doublement de gages pour Marzin, domestique de Ben-Achérib. Et des lutins lui secouent une bourse devant le nez. Il gesticule et cherche à la saisir, etc.
Tout le tableau est éclairé par d'énormes vessies, qui sont prises pour des lanternes.
Au fond, une sorte de gigantesque fourneau, avec ses douze cuves de cuivre, pour les douze heures de la nuit. C'est là dedans qu'on perpètre les rêves.
Des marmitons dénient portant des fleurs, des plumes d'oiseaux, des nacres, etc., etc.
Il en vient qui jettent des nuées dans les cuves d'autres de l'or monnayé ceux-ci des tubes de couleur ceux-là des flacons de parfums; quelques-uns des lauriers, des drapeaux, des palais, des navires, des jardins en relief, etc., etc.
Enfin tout ce qui, dans cet ordre d'idées, pourra être réalisé par les moyens plastiques et objectifs de la mise en scène.
FIN DU PROLOGUE
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On est sur la terrasse du palais, d'où l'on domine toute la ville.et ses minarets aspect de ville orientale. Le ciel, d'un bleu d'ardoise. Sur la terrasse, des tapis, des tables chargées de sorbets, de boissons glacées, de fruits.–Des narghilés à terre. Douze-Bis est endormi. il rêve. Les muezzins des minarets entonnent de leurs voix de faussets le c El Salamalek. a Des femmes éventent le sultan dans des poses alanguies. Sur le premier plan, les trois ministres causent politique. C'est l'heure sacrée, dit Tétufar, l'heure où notre sultan gouverne. Quel grand homme! C'est la nuit qu'il s'occupe du bonheur de son peuple. Entre toutes les politiques pratiquées par Cyrus, Alexandre et Nabopolassar, il a vu qu'aucune ne satisfaisait les hommes. Jamais contents, ces diables de sujets! Alors il a imaginé de s'en remettre aux songes. Nous les lui interprétons, nous ses ministres, à notre manière,
ACTE PREMIER
Tableau
DOUZE-BIS, TÉTUFAR, BING, ATCHOUM
Le palais de Douze-Bis, à Onéiropolis, le soir.
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et tout va comme sur des roulettes. Si son peuple est ravi, on peut le dire
Certes, dit Bing, l'autre soir, c'était mon tour d'interpréter le songe du sultan. Il avait vu en rêve une bataille de pavots rouges contre des pavots blancs. Comme le parti des libéraux tombe mon ministère depuis quelque temps, je lui ai suggéré qu'il conspirait contre le trône; il a fait empaler trente-deux récalcitrants. Plus de danger qu'ils récalcitrent Mes enfants, dit Tétufar, vous savez, cette fois-ci, c'est mon tour, c'est moi qui explique ce soir le rêve du sultan. Je vous prie de ne pas me gêner dans mes effets. Je ne sais pas plus que vous ce qu'il va révère mais j'ai mon explication déjà prête. Elle s'y appliquera comme un gant. Douze-Bis est tellement gâteux qu'on lui fait tout avaler.
Quelle est ton explication, grande canaille? Vous verrez ça. Mais chut! voici le rêve attendu. Douze-Bis pousse ses pe its cris habituels.
En effet, le sultan se dresse sur son séant et regarde du côté de la ville.
II
Le ciel sombre s'est empli de femmes portant des étoiles filantes, qui le traversent avec des lumières et filent par ribambelles. Il en sort à la pointe des minarets. Il en naît des dômes et des terrasses, tantôt seules, tantôt accouplées, et même en groupes. Le système planétaire est comme saisi de vertige. Puis tout s'éteint et le chant des muezzins recommence: « EISalamalek! < sur la ville endormie.
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III
Douze-Bis saute hors du lit et sonne son conseil d'État. Entrent les mages, astrologues, brames, bonzes, arboribonzes, derviches, fakirs; yoghis et talapoins.
Étoiles filantes! dit simplement Douze-Bis. Allez!
C'est bien simple, fait Tétufar. Les livres sacrés d'Arrhimane sont formels.
Formels, dit le chœur des talapoins.
Qu'est-ce qu'il va inventer? se demandent les deux complices.
Sire, je lis Étoiles filantes. C'est-à-dire vous serez détrôné par votre fille, la princesse Zénobie, si elle épouse celui qu'elle aime. V'lan
Quel est. son plan? demanda Bing à Atchoum. Comprends pas. Mais c'est très fort.
Comment! ce n'est que ça? s'écria Douze-Bis. Ah bien par exemple, vous allez voir. Mais c'est-àdire que de la politique de cette ingénuité, c'est le jeu de l'oie diplomatique. Qu'on aille me chercher ma fille Zénobie et qu'on l'amène.
IV
Entrée de Zénobie, princesse de beauté.
Elle est accomp gnée de Mazis, sa camériste dévouée.
Tu é'udiais ton piano? demande Douze-Bis. La Rêverie de Rosellen, n'est-ce pas? C'est charmant; ou les Cloches du mo~as~ére? Oh! les Cloches du ~onos~re, voilà de la musique. <
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Non, mon père. Mazis me lisait Pot-Bouille. Très bien, j'aime Lamartine. Ma nUe, tu vois ici les grands dignitaires, les plus riches, les plus titrés, les plus puissants talapoins de mon royaume. Quel est celui qui te fait le plus horreur?
S'il faut choisir, bandez-moi les yeux, dit-elle. Je les condamne tous à mort, en ton honneur. C'est aller un peu loin.
Alor? je les gracie. Mais à la condition que l'un d'eux mourra. Il faut qu'il en meure au moins un. Choisis la victime.
Quel rôle affreux pour une jeune fille 1
C est à prendre ou à laisser. La politique l'exige. Ou tous indistinctement ou un seul.
Alors prenez ce monstre que voilà. C'est le plus laid. Et elle indique Tctufar.
Quel four, ce pauvre Tétufar 1 s'écrient les ministres.
Ainsi c'est Tétufar qui te semble la plus grande canaille du royaume?
–Oui.
Sonnez, trompettes tu l'épouses.
Qui, moi?
Toi, fillette, et plus vite que ça encore.
Diable font Atchoum et Bing, c'est rudement t fort 1
Tu as vingt-sept minutes pour épuiser tes rêves de jeune fille. Madame Tétufar, ton père te salue. Arrivez, vous autres. Je n'ai pas perdu ma journée, quoique je soL; coulé à la Titus.
v Et tou3 se retirent, laissant Zénobie et Mazis.
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v
ZÉNOBIE ET MAZIS
Ah 1 c'est ainsi? Une, deux trois, eh Mazis ? Mademoiselle, j'allais vous le proposer.
En route, et chez les femmes libres l
Et elles se sauvent parla terrasse.
« Cher papa et tyran vénéré, je ne me sens pas faite pour jouer les Iphigénie soit en Aulide soit en Tauride. Je cours chez Zinga, reine des femmes libres, à deux pas d'ici, soit de l'autre côté de l'octroi de votre royaume. Oubliez votre ~lle chérie. »
Mais quel est ce bruit, princesse? dit Mazis. Déjà l'aurore colore les sommets de la ville, qui se réveille. La place publique se couvre de population. Des gens courent, névreux, et l'on dirait une révolution. Allons voir, d:t Zénobie, et courons aussi sur la place. Si mon père était détrôné, Tétufar ne me poursuivrait plus de son amour odieux.
Elles sortent du palais.
VI
Tableau
LA PLACE PUBLIQUE D'ONEIHOPOLIS
Une place publique dans le caractère oriental. Au centre, une fontaine abritée par des palmiers. C'est 't jour de marché. Des ânes, des dromadaires, des cha33
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meaux chargés de fruits et de légumes melons d'eau, concombres, courges, tomates, oranges, citrons, limons doux, poivrons, piments, bananes. On vend des armes, de la sellede, des harnais. On vend du poisson et de la tortue de mer. Grande animation.
Tout à coup une cloche résonne. Terreur universelle. Ce sont les employés du Fisc qui viennent percevoir la dîme sur les marchandises. L'avant-deruier rêve de Douze-Bis, expliqué par Atchoum, ministre du com.c merce, a augmenté de vingt-cinq pour cent l'impôt sur les matières premières, deuxièmes et troisièmes. Tout le gain des commerçants va y passer. La fureur est au comble. On veut jeter les percepteurs dans la fontaine. On crie Mort à Douze-Bis, l'usurpateur! On est en pleine émeute.
Zénobie entre avec Mazis. La princesse est reconnue. On veut la rendre responsable des iniquités de son père. On l'entoure, on vocifère. Les jeunes filles sont épouvantées, et elles maudissent leur curios.te fatale.
Gengis parait il tire son cimeterre Arriére, méchants C'est la jeune fille de son rêve; il la redonnait. C'est elle qu'il aime. Tu l'aimes, toi, disent le commerçants furieux, cillons donc? Qui donc es-tu pour aimer la princesse d'Oneiropolis ?
–Elle, la fille de Douze-Bis, ô douleur! et moi, simple pêcheur du Brahm3po~tre. Rêve menteur, qui 1 me promettait sa main si j allais à Jaggernauth Tout est finit Je n'ai phis qu'à mourir. Ma vie pour la sienne, dit-il aux révoltés.
Brave jeune homme, dit Zénobie, et quil e-t t bea~ Jamais plus parfaite créature n'est sortie de la main d'Arrhimanc 1
Et le cœur de Zénobie est pris. Elle aime.
1
<
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Les insurgés acceptent l'offre de Gengis. II mourra à la place de Zénobie.
VII I
A la requête des femmes, fruitières, harengères et fleuristes du marché, on les laisse se dire adieu avant d'être séparés pour toujours.
Et ici scène d'amour d'un caractère nouveau et particulier. L'amour pour le peuple est toujours intéressant et curieux. Tandis que Gengis et Zénobie se parlent d'amour, les femmes se rapprochent de Gengis, et les hommes de Zénobie; ils écoutent et s'attendrissent. Enfin c'est une scène d'amour devant témoins et juges de camp, pour ainsi dire.
Vous êtes bon et généreux, dit Zénobie, d'avoir feint de me connaître et même de m'aimer pour me sauver la vie.
Je n'ai rien feint. Je vous aime. Je vous ai vue en rêve. Je dois aller à Jaggernauth décrocher la clé des songes et je vous obtiendrai. Ou du moins je devais vous obtenir, car ce rêve est menteur, puisque je vais mourir.
Est-il donc si menteur, puisque vous m'avez re< connue? Un rêve qui dit vrai pour une partie ne doit pas mentir pour l'autre.
Sont-ils gentils! disent les fruitières. Quel dommage
Quelle belle fille disent les hommes.
Adieu, Zénobie, n'oubliez pas Gengis.
Et le jeune homme exige qu'on rende la liberté à la princesse, qui lui crie
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AureyoirI 1
Zénobie et Mazis sortent.
VIII
On ligotte Gengis. Il va mourir. Arrivent Ben-Acner:b et Matzin.
Il faut sauver Gengis, le fils du vrai roi. Marzin monte sur une estrade et annonce au peuple que son maître, le célèbre Ben-Achérib, a découvert dans les livres sacrés d'Ormuzd la panacée universelle. Il offre 'de guérir tous les ma'ades qui se présenteront, et il demande pour toute récompense la liberté de Gengis. Alors arrivent en défilé tous les souffreteux, les douloureux, les marmiteux, les misérables, bancroches, buncals, manchots, paralytiques, invalides, culs-dejatte, une cour des miracles, une procession à la Jacques Callot.
Usant du pouvoir dont Ormuzd l'a investi, il leur ouvre le monde des songes.
R~vcz, s'écria-t-il.
Et les jambes renaissent aux culs-de-jatte, aux béquillards, les bras aux manchots, les aveugles voient et les sourds-muets parlent et entendent. Tous ont rêvé qu'ils sont guéris.
Gengis, relâché au milieu de l'enthousiasme universel, s'enfuit avec Ben-Achérib et Marzin et court à la poursuite de sa chère Zénobie.
IX
Pendant ce temps, au palais de Douze-Bis, de graves événements ont lieu. Ben-Achérib a trouvé et lu la
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lettre de sa fille, et il est entré dans une colère épouvantable. Il sonne sa cour, et sa première résolution est de faire empaler Tétufar sur un pal de son invention qui joue du Wagner pendant le supplice. TéLufar proteste contre le raffinement.
D'ailleurs, dit-il, l6 roi n'a le droit de rien faire avant d'avoir consulté ses songes. Il s'y est engagé dans la charte qu'il a promulguée le jour de son avènement. Soit, réplique Ben-Achérib, mais tu vas rester ici, enchaîné, jusqu'à ce qu'un songe m'ait instruit du sort que je te réserve.
Et les affaires pressantes ? objecte Tétufar. Il n'y a jamais d'affaires pressantes. Vous, venez, gens et princes de ma cour. Mon talapoin de la guerre et mon talapoin du commerce m'endormiront par des passes magnétiques.
Et Tétufar reste seul, enchaîné.
X
C'est alors que lui apparaît la fée noire, Erichto, sa mère.
0 ma mère, pourquoi suis-je laid, difforme et méchant, et pourquoi suis-je amoureux de Zénobie? Aidemoi de tes enchantements et donne-moi le pouvoir d'obtenir cette princesse.
Je suis la fée des cauchemars, lui dit Erichto. Je ne dispose que des rêves terribles. Les rêves heureux ont été donnés à Ben-Achérib, qui s'en sert au bénéfice de Gengis. Mais je suis ta mère et je combattrai avec toi.
Et elle fait surgir en un ballet tous les membres té-
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nébreux de son empire. C'est le grand ballet des Vampires, le- Sabbat.
Il se compose de pas dansés par les diversités de vampires, vêtus de noir sur un fond d'incendie infernal. D'abord les vampires proprement dits, vêtus de linceuls qu'ils traînent, et dans les plis desquels ils s'empêtrent. Ils ont le teint verdâtre et 1:). bouche sanglante; leurs ongles sont démesurés.Les brucolaques, âmes d'excommuniés, qui ne peuvent faire de croix en dansant des fagots de bûcher leur battent aux flancs. Les succubes et les incubes. L'incube, qui étreint une femme échevelëe; le succube, qui enlace un homme anéanti. Puis les larves et lémures, âmes des méchants qui dansent sous le fouet, comme les ours. Les ~évnitres portent sur la tête des couronnes de primevères elles ont des violettes au corsage, car elles naissent en mai. Les larves ont les jambes molles. Les stryges, qui sont coiffées de leurs cercueils. Les goules, qui vont à quatre pattes, cliquetant des os et montrant leurs dents d'hyènes. Les loups-garous, vé~us de peaux de fauves. Les dragons, vomisseurs de feu. Les psylles aux bras grêles où s'enroulent les serpents. Les aspioles, les lamies, les ~ampouses, etc.
Ballabile général.
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ACTE DEUXIÈME
Le pays des Amazones
1
Pareilles aux nymphes de Diane, les Amazones ou Femmes libres, vivent entre elles, autour de leur reine Zinga. Elles chassent, elles pèchent, et vont à cheval, et font tous les métiers des hommes en état de civilisation. On en voit qui scient, rabotent et charpentent, qui déchargent les bateaux de la rivière, qui passent en ramant, etc. Il en est d'enrégimentées, en costume militaire, qui dénient tambour et clairon en tête; d'autres en cavalières. Celles-ci en docteurs-médecins, en facteurs, en pompières, en gardiennes de la paix. Enfin le tableau de cette république est à mettre en œuvre par les moyens ordinaires du défilé et de la figuration costumée.
Il est rigoureusement interdit aux hommes de pénétrer dans les États de Zinga. Les rois voisins qui ont besoin de les traverser sont préalablement soumis au bandement des yeux et leur permis de circulation est visé à tous les relais. En mai cependant, les portes du royaume sont ouvertes pendant quinze jours pour les
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jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, désireux de participer à la reproduction de l'espèce. Ils arrivent par la rivière, sur des bateaux fleuris, et les Amazones se les partagent. Mais ils sont forcés à leur départ de se charger des enfants mâles de l'année précédente et de les emporter chez eux, car les Amazones ne gardent que les filles.
Il
Au lever du rideau, Zinga donne des ordres gouvernementaux et traite des afïaires d'État. Elle explique tout ce qui précède par les diverses instructions qu'elle donne.
Une messagère à cheval lui apporte un pli de son puissant voisin Douze-Bis.
<t J'ai perdu ma fille, grâce à cet imbécile de Tétufar; je sais qu'elle est chez vous. Permettez-moi de la chercher. Je vous envoie sa photographie. Je suis d'ailleurs accompagné de mon ministre du commerce, l'illustre Atchoum, et du terrible Bing, le ministre de la guerre, qui ne rêve que sang et massacre.
Zinga hésite et veut consulter son conseil des Ministresses, car une guerre serait grave en ce moment. On est à la fin d'avril et les Amazones languissent et sont rêveuses. Le printemps les travaille. On en a vu qui effeuillaient des pâquerettes dans les prairies. Si Zinga déclarait la guerre à des hommes elles seraient capables de passer à l'ennemi.
Le mieux est de rendre Zénobie à son père. Mais où s'est-elle cachée ?
Tout cela se passe sur une place publique ouvrant
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sur un port, rempli de navires, de felouques, et offrant le tableau d'une animation enchantée.
III
A ce moment, des Amazones-gendarmes et des sergentes de ville amènent un homme devant la reine. Horreur et épouvante toutes les Amazones accourent pour le voir, et délaissent leurs travaux. Cet homme, c'est Tétufar.
Qu'on aille chercher la femme-bourreau dit Zinga, car elle sent qu'il faut faire un exemple, à cause de l'amollissement printanier.
Pardon, fait Tétufar, mais je ne suis pas un homme. Je suis eunuque.
En est-il bien sur? demandent quelques Amazones naturalistes.
Soit, qu'on le livre aux Amazones-médecins. Les Amazones-médecins emmènent Tétufar et reviennent un instant après avec lui, le visage triste et consterné. Tétufar est désenchainé, car la loi n'a pas prévu le cas.
Grande Zinga, dit Tétufar, je suis venu pour vous rendre un service. Non seulement Zénobie est ici, mais son amoureux Gengis y est aussi. Comme il est jeune et beau, il a pu prendre un déguisement de femme et passer la poterne des remparts.
Jeune, beau, amoureux, avant le mois de mai, dit la reine, son châtiment sera exemplaire.
Je m'en charge, s'écrie Tétufar. J'ai été ministre de l'intérieur, je sais comment on embête le monde. Voyons votre idée.
Voici; nous le ferons assister au bain des six plus
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belles femmes du royaume, dans la piscine du palais. Et si à ce spectacle il fait le moindre geste, la moindre démonstration d'intérêt pour leurs attraits, il sera supplicié.
Mais c'est horrible clament les Amazones. Pauvre jeune homme. Le méchant eunuque 1
En quoi horrible ? puisqu'il n'aime que Zénobie, il n'a rien à craindre.
Zinga trouve l'épreuve à son gré, et elle charge Tétufar du recensement des Amazones. Il choisira les six plus belles femmes pour l'épreuve du bain.
Il n'y entend rien, objectent-elles.
Pardon, et vous ? réplique simplement Tétufar. IV
Nous sommes sous les remparts de la capitale de Zinga. On voit des Amazones. sentinelles monter la garde. À droite est un cabaret, desservi par des gnomes d'Érichto, déguisés en aubergistes chinois. Sur une plate-forme arrangée en tonnelle, des tables sont dressées, chargées de fruits glacés et de boissons diverses. Un Chinois fait le thé dans un samovar. A gauche est un caravansérail, à la porte duquel sont attachés les chevaux de Ben-Achérib et de Marzin. Des babouches sont alignées sur le seuil. Une fontaine au centre. Les deux gnomes (chinois et chinoise), préparent secrètement le haschich. Érichto leur a donné mission d'endormir Ben-Achérib et par conséquent de le déposséder de sa puissance. Ils tournent la pâte de chanvre et la versent dans les boissons.
Douze-Dis, Atchoum (surnommé Dieu vous bénisse)
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et Bing viennent s'attabler sous la tonnelle. Ils sont furieux de ne pas recevoir de réponse de Zinga. Bing veut monter à l'assaut des remparts, et Atchoum offre de corrompre les sentinelles à prix d'or. DouzeBis propose un domino avec un mort. On pioche. Garçon, une absinthe, dit Bing. Un mélé-cassis pour Atchoum et pour Douze-Bis. un soporifique avec un peu d'orgeat.
Arrivent des pifferaris (gnomes) qui se mettent à jouer des airs langoureux et endormants, « dodo, ~e~/e[~, do. »
Ben-Achérib et Marzin sortent à ce moment du caravansérail. Ben-Achérib est très fatigué. Il a peur de ne pouvoir résister à l'envahissement du sommeil. S'il s'endormait Gengis et Zénobie resteraient sans défense contre Erichto,la fée noire. Il recommande à son fidèle Marzin de le pincer jusqu'au sang, de le piquer, secouer, dès qu'il clignera des yeux. Jette-moi de l'eau glacée, tire le canon à mon oreille, mais que je ne dorme pas.
Mais voilà qu'aux airs des pifferaris, les joueurs de domino commencent à dodeliner de la tête. Douze-Bis est déjà parti. Bing ronfle sur son sabre. Atchoum tourne béatement ses pouces sur son abdomen. Puis les chevaux eux-mêmes vacillent et s'abattent, et bientôt les sentinelles s'endormiront dans leurs guérites, et sur les remparts.
Ben-Achérib lutte, pincé jusqu'au sang par Marzin. Alors vint un gnome en habit noir qui lui débite un monologue. Ben-Achérib flageole. Marzin lui tire un coup de pistolet près de l'orelHe. Aussitôt d'autres diables, terriblementvctus en tragédiens, s'avancent en récitant des récits de Théraméneetdes songes d'Athalie. Ils s'endorment eux-mêmes en les débitant. Marzin
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plonge la tête de son maître dans la fontaine. Puis ce sont des gnomes avocats et députés qui viennent traiter de la question du budget. Marzin chatouille la plante des'pieds de Ben-Achérib, lui chatouille le nez et l'oreille avec des barbes de plume.
Ah si j'avais du café noir ou du thé. dit le mage je sens que cela me ferait du bien Marzin aperçoit les Chinois et leur table servie. Ces Chinois sont euxmêmes endormis. Ils ont bu de leur breuvage et ils en sont à la période d'extase. Le haschich! s'écrie't-il, fuyons, mon maître.
Et Ben-Achérib, profitant du sommeil des sentinelles, passe la poterne avec Marzin et entre chez les Amazones. Erichto, la fée noire, est vaincue.
v
Gengis, costumé en Amazone, a été recueilli par une Amazone de charité, qui le cache. Mais il veut aller a Jaggernauth et il sort imprudemment, malgré les prières de sa bienfaitrice, qui voudrait bien avancer avec lui l'échéance amoureuse de mai.
Au moment où il lui dit adieu, Tétufar arrive pour le recensement. La chaumière est sur le seuil d'une forêt dans laquelle Zinga, suivie de sa meute de lévriers, chasse le cerf, au bruit du cor.
Du premier coup, l'horrible Tétufar a reconnu le jeune pécheur. Il le fait arrêter et garrotter, malgré sa résistance, par des Amazones détectives, aux bras d'acier. A ce moment, Zinga sort de la forêt, avec son arc et ses javelots héroïques, et escortée de ses compagnes chargées de gibiers de toute espèce.
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Tu as encouru la peine de mort, dit Zinga à Gengis.
J'aime Zénobie. Je voulais vivre pour elle, pour elle, j e saurai mourir.
Est-ce le mariage que tu cherches ?
Oui.
Mais c'est horrible Est-ce au moins le mariage libre?
Non. C'est l'esclavage à ses pieds.
Jeune homme, tu es vieux jeu. Ton supplice est tout prêt. On va t'enfermer jusque-là avec des aiguilles, du fil et un bas de laine, car ce sont les armes qui conviennent à ta passion bizarre et antique. Si tu résistes à l'épreuve que l'on te réserve, tu seras libre, car tu seras incurable, et par conséquent tu bénéficieras du cas d'exception.
Au moment où on va emmener Gengis, on entend dans le lointain la voix de Zénobie qui chante une cantilène plaintive. Elle s'écrie imprudemment Gengis. Mais on l'arrache à son exaltation amoureuse. VI
ZÉNOBIE ENTRE AVEC MAZIS SA SUIVANTE
Grande reine des Femmes libres, je te demande aide et protection. Je suis persécutée par l'horrible eunuque que voilà et qui veut m'épouser. Si je l'épousais, vingt-quatre heures après je le tromperais, et je suis honnête fille. Je veux attendre dans tes Etats l'issue de la mission de Gengis, qui va à Jaggernauth décrocher la clé des songes. D'ailleurs j'ai touché une terre libre, je m'abrite sous ses lois.
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Soit, dit Tétufar, mais encore faut-il leur obéir, à ces lois. Or la reine a décrété que les six plus belles femmes du royaume seraient vues par Gengis dans l'état où Gygés vit la femme de Candaule. Vous êtes l'une des plus belles, l'une des six. Je vous réclame pour l'épreuve.
Soit, j'accepte, dit Zénobie.
VII
LA PISCINE DU PALAIS. LE TABLEAU DU BAIN L'idée de ce tableau est de réaliser en tableau vivant les six types de beauté rêvés par les maîtres de la peinture, Véronèse, Rubens, Raphaël, Michel-Ange, Corrège et Titien.
L'exposition se fait au fond, dans le lointain, sous un effet de lumière changeant à chaque femme, clair-obscur, plein air, lumière de droite, de gauche, ou de dessous. A l'apparition de Zénobie, Gengis ne peut retenir un cri d'amour, et par conséquent il est condamné. L'infâme Tétufar triomphe par son piège scélérat. VIII
Pas encore s'écrie le bon mage d'Ormuzd. A moi, ma puissance de déterminer les rêves heureux! 1 Et toutes ces Femmes libres s'endorment. Elles rêvent qu'une multitude de bébés de tous les âges et de tous les costumes viennent à elles et leur tendent leurs
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petits bras, qu'ils leur font des sourires et qu'ils les appellent maman.
Ce sont des poupées vêtues à toutes les modes d'hier, d'aujourd'hui et de demain, et telles qu'on les voit aux vitrines des marchands de jouets au jour de l'an. Eperdues, les Amazones se précipitent vers ces enfants, chacune d'el.es saisit le sien et se met à le bercer follement.
En route, dit le mage, et il s'échappe avec Gengis et Marzin. Ils sortent du pays des Amazones.
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ACTE TROISIÈME
Le pays des muets
PANTOMIME
1
Erichto, la fée noire, montre à son fils Tétufar la borne où commence le pays des Muets. Dès qu'on la passe, on perd la parole. Il faut que Gengis la traverse pour arriver à Jaggernauth. « Tu sais le langage des muets, puisqu'avant d'être ministre tu étais chef des muets du sérail; poste-toi ici en interprète. Tes ennemis vont venir et tu les dérouteras aisément. L'important est d'arriver à faire dormir Ben-Achérib, et ça, je m'en charge.
Et Tétufar est travesti en interprète. Il entre dans sa petite boutique et il attend.
II
Les premiers qui se présentent sont Douze-Bis et ses deux ministres, Atchoum et Bing.
Où sommes-nous ici ? Bing, prenez votre carte d'état-major.
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Je n'entends rien à ces bêtes de cartes. Je suis un militaire du vieux temps. Je viens, je trouve une plaine, j'y livre bataille, je la gagne, le lendemain le pays a un nom. C'est comme ça que j'apprends la géographie.
Mais voici un interprète.
Pourquoi un interprète ? C'est étonnant ce qu'on parle de langues en Europe. Vous n'avez pas vu passer une jeune fille très belle et répondant au nom de Zénobie?
Tétufar fait signe que non.
Tiens, il est muet.
Non, dit Tétufar.
Mais vous savez le Muet, une rude langue Moi, je ne sais que le Chien Whou Whou Mes parents étaient pauvres.
Alors c'est ici le pays des Muets ? dit Douze-Bis. Et il passe la borne. Le mot qu'il disait se coupe en deux et fait un calembour indigne. Atchoum et Bing sont scandalisés et se cachent derrière leurs éventails. Douze-Bis est furieux et il les injurie. Mais on ne voit que ses gestes. Douze-Bis revient et envoie Bing de l'autre côté. Même jeu.
Nous voudrions aller vers le roi du pays. Il n'y a pas de roi, c'est une république. Ça va tout seul, dit Tétufar. Mais je puis vous conduire à la capitale, et par plusieurs moyens, soit en ballon, soit en tube pneumatique, soit en vélocipède. Ils choisissent le vélocipède.
Alors on attelle des coureurs (clowns), au nombre de dix, par échelle de grandeur. Tétufar monte sur le siège. Son fouet ne lend aucun bruit. Les grelots ne sonnent pas. On part.
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Par une illusion d'optique, ils traversent une grande étendue de pays sans bouger. Les clowns piétinent sur place et c'est la toile de fond qui se déroule derrière eux. Villages, bois, prairies, moulins, steppes, vallées, montagnes, intérieurs de villes, clochers, châteaux, toute une province, comme à travers la fenêtre d'un wagon en marche. A mesure qu'on approche du but, le jour tombe, le ciel se rembrunit, les murs se colorent et le crépuscule envahit l'étendue. On arrive à la capitale des Muets à l'heure où les réverbères s'allument silencieusement, où les boutiques s'éclairent pour la vie de la nuit. Là, le véhicule s'arrête, et les voyageurs en descendent. A l'heure du paiement, les clowns trouvent que Douze-Bis est pingre dans son pourboire. Alors il leur confère l'ordre royal de la Bretelle d'or. Ils se l'attachent au derrière et s'en vont avec.
Le royaume a été créé par la magie d'Erichto, qui y emploie tous ses diables. Rien que des clowns, mâles ou femelles. La rue s'anime.
A mesure que les réverbères s'allument d'un côté, des clowns les éteignent de l'autre. De même pour les magasins, dont les propriétaires sortent furieux sur
LA VILLE DES MUETS.
TABLEAU MUET.
III
IV
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leurs portes. La lune se lève, un clown monte sur un toit, la décroche et la met dans sa poche. Puis il va la jeter au fond d'un puits. Des femmes viennent tirer de l'eau et trouvent la lune dans le seau et s'enfuient épouvantées. Un qui la prend pour une crêpe !a ramasse et l'avale. D'autres décrochent les étoiles et les mettent à leurs cravates, à leurs manchettes. On en voit qui attrapent des reflets sur des vitrer comme on attrape des mouches. Douze-Bis et ses ministres restent atoniûés.
Des couples sortent enlacés, les clowns se glissent entre l'homme et la femme et les séparent; puis ils enlèvent la femme. Ils grimpent aux balcons et y pèchent à la ligne tous les chapeaux et parapluies. Puis ils se servent de ces parapluies comme de parachutes, et descendent avec dans les airs. Un régiment s'avance qui souffle dans le vide des cuivres et tape dans le silence des caisses. Des oiseaux s'envolent des trombones. On change les écritcaux des devantures, que sais-je, toutes les clowneries imaginables.
On a subtilisé à Bing son sabre, a Atchoum son caducée, à Douze-Bis sa couronne on a remplacé par des chapelets de saucisses, des lardoires avec leurs poulets embrochés qui battent encore des ailes. Bing a sur le dos une affiche de OidEngtand. Douze-Bis est coiffé d'une boite au lait. On fourre une lettre dans la bouche d'Atchoum ahuri, comme a une boite de po~tc. Enfin, par l'intermédiaire de Tétufar, ils prient t qu'on leu indique une auberge. Tétufar transmet leur requête par gestes. Ils répondent très poliment et montrent une maison vers laquelle Douze-Bis et ses ministres se dirigent. Mais la maison se retourne et n<~ présente plus qu'un mur, un crochet descend d'une poulie et enlève Bing, qui gigote. Atchoum est lié à
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un anneau de porte, et Douze-Bis est pris par un boulet de canon rivé à son pied. Exténués, ils demandent grâce et s'endorment. Erichto apparaît et ordonne qu'on les emporte dans le palais des cauchemars; ce qui est exécuté.
v
Tout à coup tous les clowns disparaissent et voilà la ville déserte. Tétufar reste seul en scène.
Arrive à droite Gengis, suivi de Marzin qui l'a rejoint.
Arrive à droite Zénobie, suivie de Mazis.
Les deux amants se rejoignent; mais, ô douleur! ils sont muets et ne peuvent s'exprimer leur tendresse. De même pour Marzin et Mazis, qui reproduisent comiquement les mêmes effets.
Tétufar leur offre son intermédiaire. Ils l'acceptent avec joie sans le reconnaître. Mais le perfide interprète donne un sens opposé à tous leurs gestes. Les amants sont désespérés et doutent l'un de l'autre pour la première fois.
Puis voici que sous leurs pas commence à se dresser une muraille de verre, qui monte graduellement et les sépare et au travers de laquelle ils s'aperçoivent sans pouvoir communiquer, Zénobie est séparée de Gengis et Mazis de Marzin. La double muraille se met ensuite à tourner doucement, réfléchissant les quatre personnages et les multipliant à l'infini. Étourdis à leur tour, ils tombent, et on les emporte eux aussi dans le palais des cauchemars.
Et maintenant à Ben-Achérib, s'écrie Erichto.
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VI
Le bon Ben-Achérib succombe de lassitude. Il n'a pas dormi depuis son départ d'Onéiropolis. Mais Gengis est l'héritier légitime de son roi; il luttera jusqu'au bout pour lui. Il a perdu son fidèle Marzin qui s'était mis à la recherche du jeune homme, à travers ce pays des Muets. Il erre et se traîne. Il arrive devant la porte du palais des cauchemars. Le décor représente cette porte.
La porte est tapissée d'une grande toile d'araignée. Au milieu de la toile la hôte est en observation. Une jolie mouche aux ailes bleues se prend à la toile, elle va être dévorée, le bon mage la sauve.
Mais il ne voit pas des diables qui par derrière lui font des passes magnétiques et l'hypnotisent doucement. Enfin, il tombe dans la toile d'araignée qui devient un hamac, dont les muets prennent les bouts et dans lequel ils le bercent frénétiquement pour le faire dormir.
Il est sauvé par la mouche reconnaissante, qui se met à voler sur sa tôte, à bourdonner, à le piquer et le tient en éveil malgré leurs efforts. Il saute hors du hamac et passe la porte du palais.
VII
LE PALAIS DES CAUCHEMARS
Vaste salle tapissée de chats-huants, de chauve-souris et de hiboux. Sur des couchettes ou sofas, les divers personnages de la pièce sont étendus.
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Sur chacun d'eux un diable est accroupi. Avec une lorgnette ces diables regardent dans la cervelle ou la poitrine des dormeurs, pour y prendre le thème du cauchemar.
Le diable de Bing, lui, bat du tambour avec un ran tan plan grandissant.
Le diable de Atchoum, lui, lit la cote de la Bourse sans prendre haleine et d'un trait baisse de dix centimes, baisse de vingt centimes. La Rente a deux. Les Consolidés offerts pour rien. L'Emprunt n'est pas couvert, etc.
Douze-Bis rêve qu'il est couché sur des bombes de dynamite. Son diable saute en l'air, en morceaux. Marzin rêve qu'il est pendu. Un clown imite la pendaison et tire la langue, qui devient énorme.
Mazis, poursuivi par un orang-outang, se suspend à une cloche et s'y balance en guise de battant.
Gengis rêve de sa clé des songes, qui danse devant lui sans qu'il puisse l'attraper.
Enfin Zénobie rêve que l'affreux Tétufar l'embrasse. Et tous ces cauchemars se fondent en un ballet pantomime, grotesque et échevelé. Les clowns font mille tours. Ils glissent sur des pentes à pic, escaladent des mâts de cocagne, déroulent des rubans sans fin, traversent des fils sans balancier, s'embrochent, se font cuire et se guillotinent. Aux uns les cous s'allongent démesurément. D'autres s'aplatissent comme des soles. Il y en a qui virent comme des toupies sur un pied. D'autres qui marchent sans têtes. On en voit qui ne sont que des moitiés d'hommes. Etc. Etc. L'invention ici est sans frein, et les albums japonais sont féconds en idées bonnes pour ce tableau.
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VIII
BIN&! DISPARAISSEZ, VISIONS FUNÈBRES'
C'est Ben-Achérib qui apparaît. Et le palais du cauchemar est maintenant une grande cage à singes où tous les diables sont pris. Ils sautent aux barreaux, font mille cabrioles de terreur. La cage s'enfonce peu à peu dans un lac où ils se noient.
Décor à la Wateau. Lac enchanteur, qui se remplit de gondoles traînées par des cygnes aux ailes gonûées. A Jaggernauth s'écrie la mage, et tous sautent dans les batelets enchantés, Zénobie avec Gengis, Marzin avec Mazis, et enfin les autres. On les voit disparaître au'milieu d'une musique délicieuse.
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ACTE QUATRIEME
La pagode de Jaggernauth
1
La pagode de Jaggernauth, qui est dans les Indes une sorte de Mecque sacrée du bouddhisme, est défendue par un bois sacré plein de caïmans-serpents, auxquels des prêtres brahmines jettent chaque matin en pâture un jeune homme et une jeune fille vierges. Depuis deux jours, les caïmans-serpents n'ont rien mangé. Ils sont furieux et grouillent formidablement. Mais les brahmines ne peuvent plus trouver de vierges dans la contrée, et les bêtes sacrées ne veulent point d'autre nourriture.
Zénobie et Mazis, sa suivante, arrivent dans ce bois et sont reçues par les brahmines qui les interrogent sournoisement pour savoir d'elles la vérité.
Pendant l'interrogatoire, les caïmans-serpents descendent des arbres, sortent du bois et rampent autour des jeunes filles. Mazis veut se sacrifier pour sa chère maîtresse. Elle se jette au milieu des crocodiles, des boas, qui reculent et ne veulent pas d'elle. HUe n'est pas dans l'état voulu évidemment.
C'est donc à Zénobie de mourir.
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II
Arrivent Douze-Bis et ses deux ministres. Sauvez-moi, mon père, s'écrie Zénobie. Tout de suite, dit le roi, j'ai justement là Bing, qui est ministre de la guerre, et qui va se faire tuer pour toi. Allons, Bing, tire ton sabre, et taille-moi ces peaux de reptiles.
On en fait des portefeuilles charmants, dit Atchoum.
Mais Bing est cn-pon. II a peur des serpents et il s'en tire par une ruse horrible.
Sire, ce que vous voyez n'est pas vrai, vous êtes le jouet d'un songe, comme à l'habitude, et je vais vous l'interpréter.
Trala la s'écrie Douze-Bis, je sens remuer mes entrailles de père. Si c'est un songe, c'est ce que nous allons voir. Et il tire son cimeterre A genoux, Bing, je vais te trancher la tête. Si nous rêvons, tu ne sentiras rien, et je me réveillerai.
Jamais de la vie, dit Bing. Et il prend la noble poudre d'escampette, suivi d'Atchoum, également dévoilé.
Je vous dégomme F~ux prêtres, racaille
Et Douze-Bis reste seul ~our sauver s3. fille
III
A moi, Gengis crie Zénobie.
Et Gengis parait. H se précipite, la massue au poing.
Mais les serpents-caïmans le saisissent, l'enroulent
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dans leurs gueules et l'emportent. Lui aussi il est dans l'état de grâce. Les brahmines se frottent les mains. Leurs serpents-crocodiles auront bien déjeuné.
IV
Alors on entend un son de uùte lointain et mystérieux et l'on aperçoit sur les hauteurs Ben-Achérib et Marzin, escortés de psylles ou charmeurs de bêtes, de serpents, qui remplissent les airs de leurs mélodies. Cette fois, c'est autour des bètes de r~ver, car elles rêvent aussi les bêtes comme les hommes.
La voix lactée apparait dans le firmament, les serpents-caïmans lâchent leurs proies, se dressent éperdus et se mettent à pleurer en bons crocodiles, et croient qu'ils vont s'enivrer dans une mer de lait. Ls escaladent les coteaux et suivent les psylles, qui les emmènent, et les flùtes s'éteignent au loin.
Zénobie et Gengis s'éloignent, suivis des autres, et Ben-Achérib et Marzin descendent, disposés à les suivre.
v
Mais la seconde enceinte qui défend l'accès de la pagode de Jaggernauth s'interpose entre lui et ses amis. C'est un vaste champ de pavots, de coquelicots et de plantes somnifères, créé par la malice de la fée noire.
Tétufar en est le jardinier.
Ben-Achérib est arrivé au comble de l'exténuement.
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Il se soutient à peine et ne peut presque plus parler. Il a les yeux comme des cavernes. Erichto emploie contre lui les grands moyens. Elle a réuni dans ce jardin enchanté toutes les plantes léthargiques. C'est le jardin du sommeil.
La belladone, le datura, le tabac, la ciguë, l'aconit, l'ellébore blanc, l'atropire, la cicutine, la seille, Fœmanthe, la digitale, le laurier-rose, la rue, le mouron des champs, naissent successivement sous ses pas et Tétufar les lui nomme. Des femmes sortent de leurs corolles dans des poses alanguies. La léthargie opère visiblement. Puis viennent les hypnotiques, les toxiques et les tétaniques, etc. Comment tirer le mage de ce piège terrible?
Mets le feu au jardin, dit Ben-Achérib en tombant.
VI
MARZIN MET LE FEU
Les poisons, décomposés par la flamme, se résolvent en précipités chimiques et donnent chacun leur feu de Bengale. La dissolution les colore des tons qui leur sont particuliers et qu'il est aisé de connaître dans tous les manuels de chimie. Puis tout s'éteint et dans la fumée on voit se dresser l'extérieur de la pagode de Jaggernauth.
VII
L'extérieur de la pagode est une sorte de haute tour sans jour ni fenêtres, qu'escalade une rampe en spirale.
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Car la pagode n'a pas de portes et l'on n'y pénètre que par l'orifice supérieur, assez large pour laisser passer un homme, mais point davantage.
Des lions se promènent à la base, sur un préau grillagé. Ils sont les suprêmes gardiens de Wichnou et de ses prêtres.
Ben-Achérib a rejoint sa fille. Il lui jure qu'il ne la forcera plus d'épouser Tétufar. D'ailleurs il a rêvé qu'il le ferait guillotiner, car sa politique est la bonne, et il y tient. Ses rêves font le bonheur de ses peuples. Si je connaissais quelqu'un qui dormit en plein midi, je lui donnerais ma fille et ma succession. Ce serait le roi idéal.
Eh bien, cet homme existe.
C'est Gengis. Harassé, lui aussi, par tant d'aventures, Gengis vient d'entrer en état de somnambulisme. C'est ce que constate Ben-Achérib, qui vient d'arriver à son tour.
Gengis se dresse, se met à marcher automatiquement, au grand effroi de tous, et il se dirige vers la cage des lions.
Ne craignez rien, dit le bon mage, les lions ont peur des somnambules.
Gengis traverse la cage, et escalade la tour rapidement et il disparait dans les frises. Tous tombent en prières.
VIII
L'INTÉRIEUR DE LA PAGODE
Par un artifice d'optique, l'intérieur de cette pagode semble infini, une tour de Babel gigantesque. L'orifice
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supérieur semble un point lumineux. Il en tombe un rayon qui éclaire d'aplomb la statue de Wichnou. La rampe de l'extérieur se reproduit à l'intérieur et tirebouchonne sur les murs du vaste cylindre. Elle s'étrécit en allant vers le haut et s'évase vers le bas. Le Wichnou, idole monstrueuse, étend ses deux bras, chargés de présents et de richesses.
Autour de lui des derviches extasés sont en adoration. Ils se livrent à leurs pratiques fanatiques et exécutent des danses sauvages. Personne d'impur ou de profane n'a jamais pénétré dans le temple sacré. Tout à coup, une ombre masque le rayon de l'orifice, et voici la pagode dans les ténèbres. Les derviches, saisis d'épouvante, se dispersent et regardent. C'est Gengis (figuré cette fois par un clown) qui commence à descendre rapidement par la rampe tournante en état cataleptique. Les derviches poussent des cris éperdus. Gengis va droit a l'idole, lui marche sur la tête et décroche la clé des songes, dans le trousseau, et sans hésiter, sans se tromper, puisqu'il est somnambule. Tout s'effondre.
IX
MARIAGE, APOTHÉOSE
Douze-Bis est ravi, car le meilleur des rois est celui qui dort le plus souvent possible.
Quel somme va faire Ben-Achërib (et l'auteur donc !) FIN,
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La légende de Henmnte. i BcrMtnfe. 67 Préface de L'~ccett< 18i L~ccen< i89 Préface de Le Baron de Cat'a&OMe. 253 Le Baron de Caracole. 261 Préface de Flore de Fn~eïMe. ti5 F~oredeFn~tMe. 423 Préface de La C~ede~Mn'ye~ 493 La c~de~ <on~M. 5(H t
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