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HISTOIRE -: LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE
OUVRAGE
COMMENCE PAR DES RELIGIEUX BÉNÉDICTINS DE LA CONGRÉGATION DE SAINT-MAUR
ET CONTINUÉ
PAR DES MEMBRES DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES).
TOME SEIZIEME TREIZIÈME SIÈCLE.
PARIS VICTOR PALMÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR 76, RUE DES SAINTS-PÈRES, 76.
M DCCC XCII
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HISTOIRE LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
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AVIS.
Cette réimpression du tome XVI de l'Histoire littéraire de la France est la reproduction textuelle et identique de l'édition originale.
Il n'y a été fait ni retranchement ni addition d'aucune sorte, ni modification autre que la correction des fautes typographiques qui auraient pu se glisser dans la première. Elle est donc absolument conforme à la précédente et y correspond exactement page par page, de telle sorte que les renvois et les indications des Tables s'appliquent également à l'ancienne et à la nouvelle édition.
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, U1STOIRI; I/i.:' 5. \\A -, LITTÉRAIRE 1 DEi:À FRANCE
OUVRAGE
COMMENCÉ PAR DES RELIGIEUX BÉNÉDICTINS DE LA CONGRÉGATION DE SAINT-MAUR
ET CONTINUÉ
PAR DES MEMBRES DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES).
TOME SEIZIÈME TREIZIÈME SIÈCLE.
PARIS
VICTOR PALMÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR 76, RUE DES SAINTS-PÈRES, 76.
M DCCC XCII
©
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AVERTISSEMENT.
LEs huit premiers volumes de l'Histoire littéraire de la France la conduisent jusqu'à la fin du onzième siècle. Elle est continuée jusques vers l'an 1150 dans les tomes IX, X, XI et XII : c'est à ce terme que l'ont laissée les savans Bénédictins qui l'avaient entreprise. L'Institut ayant été chargé par le gouvernement de reprendre ce travail, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres l'a confié à quelquesuns de ses membres, qui, en 1814, 1817 et 1820, ont publié les tomes XIII, XIV et XV, contenant la suite de cette histoire jusqu'à l'année 1200 : il leur avait été prescrit de se conformer au plan suivi dans les douze premiers volumes et de ne songer à le modifier que lorsqu'ils entameraient le treizième siècle.
Ce plan consiste à placer à la tête de chaque siècle un discours préliminaire sur l'état général des lettres, sur les établissemens littéraires, sur les progrès de chaque genre d'études; à composer ensuite une série de notices historiques sur tous les écrivains de ce même siècle, selon l'ordre des dates connues ou présumées de leur décès ; et à remplir les premières et les dernières feuilles de chaque tome par des tables bibliographiques, chronologiques, alphabétiques.
En exécutant ce plan, les Bénédictins ont fait un savant
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ouvrage, qui se distingue au milieu des excellens et nombreux services qu'ils ont rendus à la littérature. Il a obtenu l'approbation de la plupart des lecteurs instruits; mais c'est surtout en le continuant qu'on peut mesurer l'étendue et les difficultés de la tâche que ces laborieux écrivains ont si honorablement remplie. En de pareils travaux, quelques inexactitudes sont inévitables : celles qu'ils y ont laissées ne sont ni graves ni fréquentes ; et, le plus souvent, elles n'ont été aperçues et relevées que par eux-mêmes. La seule critique générale qu'ils aient essuyée tombe sur la longueur de l'ouvrage : douze volumes in-4° qui n'aboutissaient qu'à l'an 1150 semblaient en promettre plus de vingt-quatre autres pour les 350 années suivantes, c'est-à-dire avant d'arriver à l'époque où la littérature française commence à prendre les caractères qui lui sont propres et à se revêtir de l'éclat qui la distingue. Il paraît donc à propos d'adopter un plan plus resserré à partir de l'ouverture du treizième siècle.
On ne croit pourtant pas qu'il y ait lieu de supprimer ni même d'abréger les discours préliminaires : jusqu'à présent, ils n'ont point paru occuper trop d'espace ; c'est la partie des volumes précédens qui a eu et qui conserve le plus de lecteurs. On continuera donc d'offrir ainsi, de siècle en siècle, des tableaux généraux de l'état des lettres, d'y retracer leurs progrès, leurs vicissitudes, l'influence qu'elles ont exercée et celle qu'elles ont subie ; les bienfaits que les princes ont répandus sur elles, et les obstacles dont elles ont ou n'ont pas triomphé ; les connaissances acquises ou les opinions dominantes à chaque époque ; l'origine des écoles, des universités, des bibliothèques et autres établissemens d'instruction ; l'histoire des principaux genres de littérature, d'arts et de sciences, des différentes carrières où les talens se sont exercés, perfectionnés ou égarés.
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Toutefois, en rédigeant le discours contenu dans le présent volume, on a reconnu combien il était difficile d'esquisser ainsi le tableau de la littérature de tout un siècle, avant d'avoir pu en examiner scrupuleusement et l'une après l'autre toutes les productions. Ces exposés seraient plus complets et moins inexacts si on ne les entreprenait qu'après avoir vérifié tous les détails dont ils doivent présenter les résultats, s'ils terminaient et résumaient l'histoire littéraire d'un âge, au lieu de la commencer. Mais on leur a donné jusqu'ici le nom de préliminaires; et la place que ce titre leur assigne est en effet celle où ils peuvent le plus devenir utiles aux lecteurs : ils donnent un premier aperçu de toute la matière de plusieurs volumes, tracent d'avance les diverses routes qui seront à parcourir, et appellent l'attention sur les points qu'il importera le plus de bien observer. Nous suivons donc à cet égard la méthode établie par nos prédécesseurs ; mais ce n'est point sans prévoir qu'elle doit nous exposer à des erreurs. La suite de notre travail nous fournira les moyens de les reconnaître et les occasions de les corriger : jusque là, ce discours ne devra être considéré que comme une simple esquisse, comme un exposé provisoire, et, pour ainsi dire, comme une série de questions qui ne pourront être définitivement résolues que par les détails biographiques et littéraires relatifs à chacun des écrivains du treizième siècle.
Un second discours préliminaire concerne l'état des beauxarts, c'est-à-dire de la musique, de l'architecture, de la sculpture et de la peinture; matière spéciale, qui tient néanmoins au tableau de l'instruction générale, et qui a été, ce semble, trop négligée dans l'histoire littéraire des âges précédens. Aussi avons-nous eu besoin, pour la traiter, de remonter quelquefois au-dessus de l'an 1200. Il était d'ailleurs d'autant plus à propos de faire connaître les essais et les progrès de ces arts, que
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nous aurons peu de notices biographiquee à donner sur les hommes qui les cultivaient alors en France.
Ces notices particulières ne seront guère consacrées qu'à des écrivains; et ce sont les articles de ce genre qu'on reproche à nos prédécesseurs d'avoir trop multipliés et quelquefois trop étendus. Il y a lieu d'examiner 1° quels sont les auteurs sur lesquels il convient de rédiger de pareils articles; 2° en quel ordre il faut disposer ces notices ; 30 quels en doivent être les élémens, les détails et l'étendue.
Sans doute une Histoire littéraire de la France doit faire connaître tous les auteurs que la France a produits ; mais une liste faite d'après l'ancien plan ou plutôt d'après l'ancienne pratique présenterait plusieurs personnages auxquels pourrait être contestée ou la qualité de Français ou celle d'écrivain.
D'une part, sont-ils Français ceux qui ne sont pas nés en France, qui n'y sont pas morts, qui n'y ont point passé la plus grande partie de leur vie, mais qui seulement y ont étudié, ou enseigné, ou séjourné durant quelques années ?
A ces derniers titres, Albert-le-Grand, par exemple, et saint Bonaventure, et saint Thomas d'Aquin, et Roger Bacon, etc., trouveraient place dans l'histoire littéraire de la France, et y réclameraient des articles d'une étendue proportionnée à celle de leurs écrits. Nous n'hésiterions point à les leur accorder, si nous ne consultions que les exemples donnés dans les douze premiers tomes de l'ouvrage que nous continuons. En considérant la question en elle-même, nous ne la trouvons pas susceptible d'une solution générale dont l'application soit toujours sûre. Mais désormais nous n'entreprendrons de notices particulières sur de tels auteurs qu'après avoir reconnu qu'à raison de certaines circonstances, elles entrent nécessairement dans l'histoire des lettres au sein de la France. Cet examen écartera beaucoup
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d'articles, et fort souvent ne laissera paraître ces noms étrangers que dans le discours préliminaire, ou, par occasion, dans les notices consacrées à des noms véritablement français.
On peut diviser en trois classes les personnages sur lesquels il y a lieu de demander s'ils sont réellement des écrivains.
Cette question est à élever d'abord à l'égard de plusieurs prélats, pontifes, ministres, princes ou monarques qui n'ont, en effet, composé aucun ouvrage, et dont les noms ne s'attachent qu'à des actes publics, à des codes ecclésiastiques ou civils rédigés par leurs ordres, ou bien aux établissemens qu'ils ont fondés, aux bienfaits répandus par eux sur les lettres et sur ceux qui les cultivaient. Ces personnages seront indiqués dans le discours préliminaire, et leurs noms d'ailleurs ne pourront manquer de reparaître occasionnellement en divers articles particuliers destinés à leurs contemporains. Nous nous dispenserons donc d'en rédiger qui leur soient propres, sauf un très-petit nombre d'exceptions, par exemple, pour les rois de France PhilippeAuguste et saint Louis : ce que nous aurons à dire des lois de ces deux monarques, et de l'influence qu'ils ont exercée sur les études publiques, ne dépassera point les limites d'une Histoire de la littérature.
Une seconde classe à retrancher aussi de la liste des écrivains comprend ceux qui n'ont laissé que de simples lettres missives, lettres d'affaires particulières, d'administration civile ou eccl ésiastique. A la vérité, ces épîtres servent souvent à éclaircir des points d'histoire, et l'on doit de la reconnaissance aux savans qui les ont recueillies et publiées ; mais est-ce une raison de compter au nombre des écrivains ou littérateurs du moyen âge toutes les personnes à qui
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leurs intérêts propres, leurs démêlés, d'autres circonstances étrangères aux lettres, ont fourni l'occasion de s'adresser aux dépositaires des diverses autorités? On ne manquerait pas de résoudre négativement une telle question, si elle pouvait être proposée à l'égard des temps tout à fait modernes : pourquoi la résoudre autrement, parce qu'il s'agit d'une époque un peu plus reculée ? Ici néanmoins il y aura des exceptions à faire encore, soit lorsque ces épîtres seront fort étendues ou fort nombreuses, soit aussi quand l'art d'écrire y semblera montrer quelques progrès, ce qui sera extrêmement rare.
Quant aux personnages qui n'ont écrit qu'un petit nombre de lettres ou de billets pour leurs propres affaires, nous croyons qu'il suffira d'en offrir, à la fin des volumes, des notices très-succinctes ou même de simples catalogues avec indication des recueils où ces lettres sont insérées, sans autre détail biographique sur ceux qui les ont écrites, que leurs qualités, et les dates précises ou approximatives de leur naissance et de leur mort.
Il est, en troisième lieu, des auteurs dont il ne reste que des opuscules manuscrits dénués de tout intérêt. Quand les ouvrages inédits ont en effet de l'importance, ils sont précisément ceux qu'il convient le plus de faire connaître. Mais il y en a beaucoup d'autres dont nous ne pourrions nousmêmes prendre connaissance, attendu qu'ils sont recelés en des bibliothèques étrangères ou qu'ils ne se retrouvent plus depuis la suppression des établissemens où ils étaient conservés, et que nous ne savons qu'ils existent ou qu'ils ont existé que parce que leurs titres sont transcrits en certains catalogues. Nous devons dire aussi que parmi ceux qui nous restent accessibles, plusieurs ne nous présentent, à mesure que nous avons besoin de les parcourir, que des compilations, des extraits, des abrégés inutiles, ou du moins qui n'ont pu servir
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qu'aux personnes mêmes qui, pour leur usage particulier, y consignaient les résultats de leurs propres lectures. En continuant de faire mention de ces deux espèces de manuscrits, nous nous bornerons désormais à de simples indications bibliographiques, sans nous engager ordinairement dans aucun récit de la vie des personnes dont ils portent les noms.
Si nous ne consacrons plus d'articles particuliers à ces deux genres de productions inédites, ni aux personnages dont il ne subsiste qu'un très-petit nombre de lettres missives, ni à ceux qui n'ont réellement composé aucun écrit, ni enfin à ceux qui seront reconnus pour n'appartenir point assez à la France; si nous ne parlons de ces différentes classes de personnes que dans le discours préliminaire, ou bien dans les articles de ceux de leurs contemporains avec qui elles ont eu des relations, ou bien enfin en de simples catalogues rejetés à la fin des volumes, nous serons moins exposés à donner une étendue démesurée à l'histoire littéraire de la France durant le treizième siècle; et certaines modifications dans l'ordre et dans la rédaction des autres articles contribueront encore à les resserrer en des limites convenables.
On a proposé de substituer à l'ordre chronologique adopté jusqu'ici un ordre systématique ; de partager tous les auteurs de chaque siècle en deux classes, selon qu'ils ont écrit en français ou en une autre langue ; de distinguer, dans chacune de ces classes, les vers et la prose; de distribuer en beaucoup plus de genres les nombreux ouvrages composés en prose latine dans le cours du moyen âge; de faire successivement connaître ceux qui concernent la théologie, la jurisprudence, la médecine, les sciences physiques et mathématiques, la philosophie, l' histoire, les belles-lettres.
Nous avons cru apercevoir plusieurs inconvéniens dans cette disposition nouvelle, et d'abord celui de changer essentielle-
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ment la marche et le caractère d'un ouvrage qui a déjà quinze volumes. En effet, ce ne serait plus le continuer, mais le clore à la fin du douzième siècle, et en commencer un tout nouveau pour les siècles suivans.
En second lieu, si ces histoires successives de tous les genres de littérature restaient, comme on le suppose, précédées d'un discours préliminaire rédigé précisément sur le même plan qu'elles, ne sembleraient-elles pas le reproduire, en l'étendant, il est vrai, aux détails qu'il n'aurait pu comprendre, mais en ramenant sans cesse les lecteurs aux généralités qu'il aurait dû leur présenter?
Un troisième inconvénient plus grave serait de transformer l'histoire, qui, de sa nature, veut être chronologique, en un recueil de tableaux littéraires où le commencement, le milieu et la fin d'un même siècle reparaîtraient, à plusieurs reprises, rapprochés et presque confondus. Nous savons que les annales civiles elles-mêmes ont subi, dans des livres publiés au dix-huitième siècle, cette espèce de métamorphose ; qu'elles s'y sont distribuées en chapitres sur les guerres, sur les négociations, sur l'administration intérieure, sur les finances, sur les mœurs et les usages, sur les affaires religieuses, etc.; mais les ouvrages qui existent sous cette forme, quelque recommandables qu'ils soient à d'autres égards, nous paraissent offrir des considérations historiques, plutôt que de véritables corps d'histoire. Telle n'est point en effet la marche naturelle et positive des faits. Ils arrivent, quoique divers, simultanément, et leur coïncidence n'est pas la plus indifférente de leurs circonstances. Établir entre eux des distances artificielles, des intervalles systématiques, c'est souvent renoncer à les considérer sous leur plus véritable aspect. Ce n'est pas que l'historien ne parvienne quelquefois à les mieux enchaîner, et à les éclairer d'une lumière plus vive, en leur
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faisant subir de légers déplacemens : le fil chronologique n'est pas rompu, parce que le récit s'avance ou rétrograde d'un petit nombre de mois ou même d'années. Mais une classification par matières, quand elle veut être immédiate, générale et constante, quand elle prétend tenir lieu de plan, déplace tous les élémens de l'histoire et en décompose l'édifice. Or c'est véritablement une histoire que nous sommes chargés de continuer; et bien qu'elle soit spéciale, c'est-à-dire restreinte à des faits littéraires, elle n'en demeure pas moins soumise aux lois essentielles du genre historique.
Une quatrième et dernière observation va s'appliquer particulièrement à l'histoire même de la littérature. Il est des auteurs qui se sont exercés dans plus d'un genre. Le moyen âge en présente qui ont fait à la fois des chroniques et des traités de théologie, des poëmes et des livres en prose sur des sujets de métaphysique ou de morale; quelques-uns qui ont écrit une partie de leurs ouvrages en latin, et l'autre en langue vulgaire; plusieurs dont les oeuvres proprement dites sont suivies du recueil de leurs épîtres. La distribution par genres obligerait donc ou à parler plus d'une fois de chacun de ces écrivains, ou à les réunir tous, ainsi qu'on l'a proposé, sous le titre commun de polygraphes. Mais, pour peu qu'on réfléchisse sur le sens et sur l'emploi de ce mot de polygraphe, il est aisé de s'apercevoir de l'illusion qu'il peut causer. En effet, à l'exception des auteurs qui, comme Montaigne, ont composé de matières diverses un seul et même ouvrage, le nom de polygraphe ne s'applique point à une classe réelle d'écrivains, à un genre proprement dit de la littérature. Cest un terme de bibliographie, par lequel on est convenu de désigner des collections d'ouvrages trèsdivers sans doute, mais dont chacun appartient à un [genre distinct. Parce qu'un auteur a fait, outre un poëme, une
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histoire, il n'en est pas moins un poëte, pas moins un historien; il a pu obtenir des succès dans l'une et l'autre carrière ou du moins s'y faire remarquer; et les annales particulières de la poésie ou du genre historique resteraient incomplètes, si son nom et ses productions n'y figuraient pas. Il suit de là qu'en rejetant dans une prétendue classe polygraphique les écrivains très-nombreux et quelquefois très-estimables qui ont cultivé à la fois plusieurs branches de la littérature, on appauvrirait l'histoire de presque tous les genres et qu'on manquerait par conséquent le seul but auquel puisse tendre cette classification.
Ces réflexions nous ont déterminés à maintenir l'ordre chronologique, sauf les modifications que certaines circonstances pourront conseillerou permettre. Déja, dans les tomes XIII, XIV et XV, nous avons quelquefois rapproché des auteurs qui, ayant travaillé dans le même genre, avaient été contemporains durant la plus longue partie de leur vie, quoiqu'il pût y avoir une distance de dix à douze ans entre les dates de leur mort. Nous continuerons d'en user ainsi, surtout à l'égard de ceux dont les principaux ouvrages seront composés en langue vulgaire : ce rapprochement convient d'autant mieux aux écrivains de cette classe, qu'on ne sait pas bien les dates précises du décès .de plusieurs d'entre eux. En les réunissant à la fin de chaque tiers ou quart de siècle, nous pouvons espérer de mieux saisir et de mieux représenter l'état de la langue, de la versification et de la poésie françaises à des époques déterminées. Cette méthode aura aussi l'avantage de nous épargner des répétitions qui deviennent inévitables quand de pareils articles sont épars dans l'histoire à de trop longs intervalles.
Après avoir ainsi limité le nombre et fixé l'ordre des articles, il reste à examiner comment ils devront être traités;
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quels matériaux, quels développemens, quelle étendue ils pourront embrasser.
Il y a deux parties dans chaque article de l'histoire littéraire : l'une biographique, contenant des détails sur la personne et la vie d'un écrivain; l'autre analytique, donnant une idée de ses ouvrages.
On reconnaît généralement la nécessité de conserver dans la partie biographique les détails propres à éclaircir des faits mal connus, à rectifier des récits, à dissiper des erreurs historiques ou chronologiques. Ces recherches importantes sont de la nature de celles dont s'occupe l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres; elles ont le caractère qui convient à une Histoire Littéraire, rédigée en son nom et dans son sein. A mesure que de nouveaux monumens se découvrent ou sont mieux examinés, on acquiert les moyens de porter une exactitude plus rigoureuse dans tous les travaux historiques, et par conséquent dans les annales des lettres, des sciences et des arts.
Il semble impossible aussi d'exclure de ces annales les faits depuis long-temps connus et vérifiés, lorsque de leur nature ils sont purement littéraires; à plus forte raison, lorsque le personnage qu'ils concernent, doit exclusivement ou principalement à ses écrits ce qu'il a obtenu et conservé de célébrité : nous devons à nos lecteurs l'histoire de tous les littérateurs proprement dits de la France du moyen âge.
Mais dans leurs rangs ou autour d'eux, il se rencontre beaucoup d'hommes qui sont plus illustres ou plus fameux en leur qualité de princes, de ministres, d'officiers publics, de prélats, d'abbés ou de cénobites, que par les productions de leur esprit et les fruits de leurs études. Entreprendre, à l'occasion de leurs écrits, des récits détaillés de toutes leurs actions, ce serait transporter, reproduire dans l'histoire
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littéraire des parties considérables de l'histoire civile, ou ecclésiastique, ou monastique. Nous ne sommes pas les historiens de ces personnages, nous n'avons à les envisager que comme auteurs; celles des circonstances de leur vie qui les présentent sous cet aspect sont les seules que nous ayons à retracer : nous écarterons les autres, et s'il, est quelquefois indispensable de les rappeler, ce sera par des mentions fort succinctes, et en renvoyant aux livres où elles sont amplement exposées.
Nous considérons comme la partie la plus essentielle d'une Histoire littéraire l'analyse des ouvrages, le récit des faits relatifs à l'influence qu'ils ont eue, aux lumières ou aux erreurs qu'ils ont propagées, aux succès ou aux revers qu'ils ont mérités ou attirés à leurs auteurs. Il importe encore, à l'égard des livres célèbres ou fameux, de rappeler les jugemens qui ont été portés par les contemporains et dans le cours des siècles suivans. Nous userons quelquefois du droit d'y joindre nos propres observations.
On s'est plaint, non sans raison, de la prolixité de quelques-unes des analyses contenues dans les tomes précédens de cette histoire littéraire, surtout dans le dixième, le onzième et le douzième. Il en est qu'on aurait pu réduire, sans les rendre moins substantielles, à la moitié de leur étendue; mais si, en se prescrivant une rédaction plus concise, l'on se bornait à transcrire ou à paraphraser les titres de tous les traités comme de tous les opuscules, on ne satisferait aucunement aux désirs et aux besoins des lecteurs. Il faut en effet à la plupart des lecteurs des notices assez instructives pour les dispenser le plus souvent de recourir à tant de productions surannées, et pour leur désigner les livres ou les parties de livres dont il leur importerait de faire une étude immédiate. Une analyse proprement
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dite serait fort courte, même en occupant plusieurs pages, si elle était pleine d'idées et de faits; tandis qu'un sommaire en dix lignes pourrait être excessivement long, parce qu'il n'en résulterait aucune instruction positive, que les lecteurs n'y prendraient aucune connaissance ni des caractères du livre indiqué, ni des doctrines et des détails qu'il renferme, ni de l'usage qu'ils peuvent avoir occasion d'en faire.
Telles sont, sur le choix, la disposition et la rédaction des articles, les règles que nous nous sommes prescrites, après les avoir soumises au jugement de l'Académie. Leur effet sera de resserrer considérablement l'étendue de l'ouvrage, sans lui donner pourtant des dimensions trop inférieures à celles qu'il a eues jusqu'ici. L'histoire littéraire de la France au douzième siècle a rempli sept volumes : quatre suffiront probablement pour le treizième.
A la vérité, celui que nous publions en ce moment ne conduit encore cette histoire que jusqu'à l'année 1210; mais, outre qu'il contient les deux discours préliminaires dont nous avons parlé, les notices biographiques qui remplissent les 260 dernières pages concernent des auteurs qui, nés bien avant 1200, ont peu vécu, surtout peu écrit après ce terme ; qui, par conséquent, appartiennent au douzième siècle plutôt qu'au treizième, et pour lesquels il a fallu se rapprocher de la méthode suivie à l'égard de leurs contemporains.
Le tome suivant, dix-septième de l'ouvrage, est en partie composé et va être mis sous presse : il contiendra d'abord les articles relatifs aux écrivains qui sont morts depuis 1210 jusqu'à l'avènement de saint Louis en 1226 ; ensuite et dans la même forme, les annales littéraires des premières années de l'époque du règne de ce prince : le tome XVIII doit aboutir à 1270, sa mort, et le XIXe répondra au règne de Philippe-le-Hardi et aux quinze premières années de celui de Philippe-le-Bel.
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Les auteurs qui ont écrit en langue vulgaire, provençale ou française, soit en prose, soit en vers, seront, comme nous l'avons dit, rapprochés, mais distribués en trois sections qui correspondront aux âges de leurs travaux. La première sera comprise dans le tome XVII, à la fin du règne de Louis VIII ; la seconde terminera le tome XVIII, et la troisième, le tome XIX. Chacune de ces trois sections sera sousdivisée, selon qu'il y aura lieu, en quatre séries distinctes: Io les traductions en prose; 2° les compositions originales aussi en prose française ou provençale; 3° les trouvères; 4° les troubadours.
Les auteurs des discours et des notices que renferme le présent volume sont cinq membres de l'Académie royale des Inscriptions et BellesLettres, désignés par des initiales, à la fin de chaque article.
B. — M. Brial.
P. — M. le marquis de Pastoret.
D. — M. Daunou.
A. D. - M. Amaury Duval.
P. R. - M. Petit-Radel.
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, TABLE DES CITATIONS.
A.
De Bononiensi scientiarum instituto atque academiâ Commentarii. Bononiæ, 1731-91. 7 tom. 9 vol. in-4°.
Histoire et Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres. Paris, 1709-1809. 50 vol. in-4°.
Spicilegium, curâ L. d'Achery. Paris, 1655. 13 vol. in-4°.
Methodi medendi libri VI, autore Actuario, è græco latinè versi à Ruellio.
Venetiis, 1554, in-4°. Parisiis, 1566, in-8°.
Adami de Persenia Epistolæ V. T. 1 Miscellan. Baluzii. — Aliæ Epistolæ XXIII. T. 1 Anecdot. Edmundi Martenne. — Ejusdem Adami Mariale, sive Sermones de Mariâ Virgine, cum notis Hipp. Maraccii.
Romæ, 1652, in-8°.
Ægidii Corboliensis Liber de virtutibus et laudibus compositorum medicamentorum.— In Historiâ poematum medii ævi, à Polycarpo Leysero editâ. Halæ Magd., 1721, in-8°.Ejusdem Ægidii liber de Pulsibus et Urinis. Basileæ, 1529, in-8°.
Ægidii Parisiensis Carolinus. Fragmens des livres IV et V de ce poème dans le t. V, p. 323, 324 de la collection de Duchesne; le livre V entier dans le tom. XVII, p. 288-301 du grand Recueil des historiens de France.
JEneœ Silvii (Piccolomini; inter Pontifices, Pii II) Cosmographia. T. I, Operum Æn. Sil v. Helmstad., 1699, 1700. 2 vol. in-8°.
Alani de Insulis Opéra, edita à Carolo de Visch. Antuerpiæ, 1653, in-fol.
Alberici monachi Trium Fontium Chronicon, inter Accessiones historicas G. G. Leibnitzii. Hanoveræ, 1698, in-4°.
Alberti Magni (seu Groti), ord. Prædic., Opera omnia, collecta à Petro Jammy, ejusdem ordinis. Lugduni, 1651. 21 vol. in-fol.
Natalis Alexandri Historia ecclesiastica cum dissertationibus criticis. Parisiis, 1696. 8 vol. in-fol.
Michaëlis Alford Annales ecclesiastici Britannorum, Saxonum et Anglorum. Leodii, Hovius, 1663. 4 vol. in-fol.
Jacobi Alting Respublica Hebræorum scholastica, sive Historia academiarum et promotionum academicarum apud Hebræos. Amstelod., 1652, in-12.
Dell' Origine, de' Progressi e dello Stato attuale d' ogni letteratura, di Giov. Andres. Parma, Bodoni, 1783-97. 7 vol. in-4°.
Annales Bertiniani, dans le Recueil des historiens de France.
Histoire généalogique et chronologique de la maison de France et des grands officiers de la couronne (chanceliers, etc.), par le P. Anselme de Sainte-Marie. Paris, 1764.2 vol. in-4°. — Augmentée par Dufourny, par les PP. Ange et Simplicien. Paris, 1726-33. 9 vol. in-fol.
Acad. Bonon.
Acad. des Ins-.
crip.
L. Acherii.
Actuar. Meth.
med.
Adam Pers.
Ægid. Corbol.
Ægid. Parisiens.
JEneœ Silvii Cosmogr.
Alan. de Insul.
Alber. de 3 Font.
Chr.
Alb. Magn.
Alex. Natal.
Alford, Annal.
Alting, Resp.
Hebr.
Andres.
Annal. Bertin.
Anselme.
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Sancti Antonini, archiepiscopi Florentini, Summa historica. Norimbergæ, 1484. 3 vol. in-fol. ; — et tom. 1 de la collection de Pistorius.
Bibliotheca hispana vetus, sive Notitia scriptorum hispanorum usque ad ann. MD., autore Nicolao Antonio. Romæ, 1696. 2 vol. in-fol, — Matriti, Ibarra, 1788. 2 vol. in-fol.
V. Petr. de Apon.
Archæologia or Miscellaneous tracts relating to antiquity, published by the Society of antiquaries of London, 1770-1810. 17 vol. in-4°.
L'Art de vérifier les dates des faits historiques, des chartes, des chroniques et autres monumens, par des religieux Bénédictins. Paris, Joubert, 1783-92. 3 vol. in-fol.
Voyage d'Ascelin en Asie, dans la collection de Bergeron. La Haye, 1735.
2 vol. in-4°.
Bibliotheca orientalis Clementino-Vaticana, in quâ MSS. cod. Syriacos, Arabicos, Persicos, Turcicos, Arabicos, Samaritanos, etc., recensuit.
Jos. Sim. Assemanus. Romas, Typis Propag. Fid., 1719-1728. 4 vol.
in-fol.
Mémoires pour servir à l'histoire de la Faculté de médecine de Montpellier, par Astruc. Paris, 1767, in-4°; édition donnée par Lorry.
J. Aventini (Thurmaier) Annalium Boiorum libri VII. Ingolstadii, 1554, in-fol. — Curâ Hier. Gundlingii. Lipsiae, 1710, in-fol.
B.
Rogeri Baconi Opus majus ad Clementem IV, curâ Samuelis Jebb. Londini, 1733, in-fol. — Epistola de secretis operibus naturæ et artis, et de nullitate magiæ. Hamburgi, 1618, in-8°.
Jugemens des savans sur les ouvrages des auteurs, par Adr. Baillet, avec des remarques de La Monnoie et l'Anti-Baillet de Ménage. Paris, 1722-30. 8 vol. in-4°.
Histoire de l'astronomie ancienne, par Bailly. Paris, Debure, 1781, in-4°.
— Histoire de l'astronomie moderne, par le même. Paris, 1785. 3 vol.
in-4°. — Hist. de l'astron. orientale, par le même. Paris, 1787, in-4°.
Scriptorum illustrium majoris Britanniæ Catalogus digestus à Joanne Baleo (Bailey). Basileæ, Oporin, 1557, in-fol.
Fratris Joannis (Balbi) de Januâ, ord. Prædic., Summa quae dicitur Catholicon. Moguntiæ, 1460, in-fol. Augustæ Vindelic., 1469, in-fol.
Capitularia regum francorum collecta à Stephano Baluze. Parisiis, 1677.
2 vol. in-fol. — Rursus edita à P. de Chiniac. Parisiis, 1680. 2 vol.
in-fol.
Conciliorum Nova Collectio (incepta) à Stephano Baluze. Parisiis, 1683, in-fol.
Miscellanea, edita à Stephano Baluze. Parisiis, 1678-1715. 7 vol. in-8°.
— Novo ordine digesta et non paucis monumentis aucta sludio J. Dom..
Mansi. Lucæ, 1761. 4 vol. in-fol.
Voy. Fabliaux.
Recherches historiques sur le Temple. Paris, 1809, in-8°.
Histoire des Juifs depuis J.-C., par Basnage. La Haye, 1716. 9 vol. in-12.
Gasp. Barthii Animadversiones in Statium Papinium. Lugduni, 1660, in-4°.
S. Anton. Hist.
An t. Bibl. hisp.
De Apono.
Archæol. britan.
Art de vérifier les dates.
Ascelin, Voy.
Assemani.
Astruc, Mém.
Aventin. Ann.
Boior,
Rog. Bacon.
Baillet, Jug.
Bailly, Hist. de l'astr.
Balæus.
Balbi Cathol.
Baluz. Cap.
Baluz. Concil.
Baluz. Mise.
Barbazan.
E.-J.-J. Barillet.
Basnage, H. des J.
Barthius ad St.
Th.
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Bibliotheca magna rabbinica, ordine alphabetico, autore D. Julio Bartoloccio de Celeno. Romæ, typis congr. Propag. F., 1675. 4 vol. in fol.— Voyez Imbonati.
Dictionnaire historique et critique, par Bayle. Rotterdam, 1720, ou Amsterd., 1740. 4 vol. in-fol.
> Recherches subies théâtres de France, par de Beauchamps. Paris, 1735, in-4°. •
La Coutume de Beauvoisis (selon che que il couroit en l'an de l'Incarn.
nostre Seigneur 1283), par Beaumanoir, avec les notes de La Thomassière. Bourges et Paris, 1650, in-fol.
Johannis Beleth Rationale divinorum officiorum. Antuerpiæ, 1553, in-8°; ibid., 1570, in-8° — Cum Durandi Rationali. Lugduni, 1612, in-8°.
Les Grandes Annales de France, par Belleforest. Paris, Buon, 1579. 2 vol.
in-fol.— 1661, 2 vol. in-fol.
Benjamini de Tudelâ Itinerarium, hebraicè et latinè; cum notis Constantini Lempereur. Lugduni Batav., Elzevir, 1633, in 8°.— Voyages de Benjamin de Tudèle en Europe, en Afrique et en Asie, traduits en français par J.-B. Baratier. Amsterd., 1734. 2 vol. in-18; - et dans la collection de Bergeron.
Benvenuti de Sancto Georgio Historia Montis Ferrati. T. XXIII Scriptorum rer. ital. Lugd., Ant. Muratorii.
Voyages faits principalement en Asie dans les XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles, par Benjamin de Tudèle, du Plan Carpin, Ascelin, Guill. de Rubruquis, Marco Polo, etc.; précédés d'une introduction par P. Bergeron. La Haye, Neaulme, 1735. 2 vol. in-4°.
Speculum sanctorale, autore Bernardo Guidonis, seu à Castro Vincentii, ord. Prædicatorum, episcopi Lodovensis. — Ejusdem Genealogia seu Chronicon comitum Tolosanorum. Voyez des extraits du iel" de ces deux ouvr. dans le tome I de la Biblioth. MSS. nova de Labbe; et du 2e dans les Mémoires du Languedoc, par Catel.
Essais de médecine, par Jean Bernier. Paris, 1689, in-4°.
Le Moyen de parvenir (par Béroalde de Berville), nouvelle édition, 1757, 2 vol. in-12 min.
Essai sur les institutions de St. Louis, par Arthur Beugnot fils ; ouvrage couronné par l'Académie des Inscr. et B.-Lettr. Paris, Levrault, 1821, in-8°.
Bibliotheca Patrum Cisterciensium. Voyez Tissier.
Bibliotheca Cluniacensis, operâ Martini Marrier et Andreæ Duchesne.
Parisiis, 1 614, in-fol.
Bibliotheca codicummanuscriptorum D. Marci, studio A. M. Zanetti et Ant. Bongiovanni. Venetiis, 1740, 1741. 2 vol. in-fol.
Bibliotheca maxima Patrum, curâ Philippi Despont. Lugduni, Anisson, 1677. 30 vol. in-fol.
Bibliothèque universelle des romans. Paris, 1775-89, 224 part., 112 vol.
in-12.
Il Decamerone di M. Giovanni Boccaccio. Londra (Parigi), 1757. 5 vol.
in-8°. Londra (Livorno), 1789-90. 4 vol, in-8°.
Recherches historiques sur la ville et l'arrondissement de Saumur, par J.-F. Bodin. Saumur, 1812 et 1 814. 2 vol. in-8°.
Coutumes générales du duché de Bourgogne, avec des observations nouvelles, par le prés. Bouhier. Dijon, 1742 et 1746. 2 vol. in-fol.
Bartolocci.
Bayle, Dict.
Beauchamps, Rech.
Beaumanoir.
Beleth.
Belleforest.
Benjam. de Tud.
Benvenuti de S. G.
Bergeron.
Bern. Guidonis.
Bernier.
Béroalde de Berville.
Beugnotf., Inst.
de S. L.
Biblioth. PP.
Cisterc.
Biblioth. Cluniac.
Biblioth. S. Marci.
Biblioth. PP.
Biblioth des rom.
Boccacc., Decam.
Bodin, Rech.
hist.
Bouhier, Cout
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Œuvres de Boileau Despréaux (Satires, Épît., Art poétique, etc.). Paris Herban, 1810. 3 vol. in-8°.
Acta sanctorum omnium, curâ Joannis Bollandi et aliorum. Antuerpiæ, 1643-1794. 53 vol. in-fol.
Sancti Bonaventuræ Opera omnia. Romæ, typis Vaticanis, 1583-96. 7 t.
6 vol. in-fol.
Gesta Dei per Francos, sive de orientalibus expeditionibus et de regno Francorum Scriptores varii, collecti à Jac. Bongarsio. Hanovriae, 1611.
2 tom. in-fol.
Bonifacii VIII liber sextus Decretalium, cum glossis Joannis Andreæ. Moguntiæ, Schoeffer, 1476, in-fol.
Histoire des variations des Églises protestantes, par Bossuet. Paris, 1770.
5 vol. in-12 et t. III des Œuvres de Bossuet. Paris, 1743, in-4°.
Defensio Declarationis cleri Gallicani anni 1682, autore Jac. Ben. Bossuet, 1745. 2 vol. in-4°. — Défense de la Déclaration du clergé de France, par Bossuet, traduite en français, 1745. 3 vol. in-4°.
Histoire générale des mathématiques, par Bossuet. Paris, Louis, 1810.2 vol.
in-8°.
Les Sérées de Guillaume Bouchet. Lyon, 1618. 3 vol. in-8°.
Histoire aggrégative des annales et chroniques d'Anjou et du Maine, par J. de Bourdigné. Angers, 1529 (ou 31, ou 36), in-fol.
Breviarium Ecclesiæ Parisiensis. Parisiis, 1643. 3 vol. in-4°.
Jacobi Bruckeri Historia critica philosophiæ. Lipsiæ, 1742-67. 6 vol. in-4 0.
Il Tesoro di Brunetto Latino. Trévise, 1474, in-fol. Venise, 1533, in-80.— Voy. sur le texte français de cet ouvrage le t. V des Notices des manuscrits.
Germania topo-chrono-stemmatographica, sacra et profana, studio Gabrielis Bucelini Ulm. et Francfort, 1662, etc. 4 tom. in-fol.
J. Buxtorfii Bibliotheca rabbinica. Basileæ, 1640, in-8°.
Historia ecclesiastica, ex Baronii Annalibus excerpta, ab Abrah. Bzovio (Bzowski). Coloniæ, 1617. 3 tom. in-fol.
C.
Bibliothèque des auteurs de Lorraine, par dom Calmet, formant le t. IV de son Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine. Nancy, 1728, ou 1745-57. 7 vol. in-fol.
Opus Elementorum Euclidis ; in id. quoque Campani (Novariensis) Commentationes. Venetiis, Radtoltd, 1482, in- fol.
Mémoire pour les Frères conventuels de Toulouse, par Camus, avocat.
Paris, 1786, in-4°.
Mélanges de littérature orientale, traduits de différens manuscrits turcs, arabes et persans, par de Cardonne. Paris, 1776. 2 vol. in-12.
Guillelmus Carnotensis, ordinis Prædicatorum, de Vitâ sancti Ludovici.
V. Gauffrid. de Bello Loco.
L'Origine des jeux floraux de' Tolose, par Pierre de Caseneuve. Tolose, Bosc, 1669, in-4°.
Bibliotheca arabico-hispana Escurialensis, sive Descriptio librorum omnium quos arabicè compositos Bibliotheca Escurialensis complectitur; studio Michaelis Casiri. Matriti, 1760-70. 2 vol. in-fol.
Bibliotheca española, su autor D. Jos. Rodrigues de Castro. Madrid, 1781, in-fol.
Boileau, A. poét.
Bolland.
Bonavent.
Bongars. Gest.
Bonifac. VIII Sext.
Bossuet, H. des variat.
Bossuet, Def. Cl.
G.
Bossuet, H. des math.
Bouchet, Sérées.
Bourdigné.
Breviar. Paris.
Brucker.
Brunetto Latin.
Bucelin.
Buxtorf. Bib. rab.
Bzovius.
Calmet, Bibl. de Lorr.
Campan. Novar.
in Eucl.
Camus.
Cardonne.
Carnot, Hist. de S. Louis.
Caseneuve, Orig.
des j. fl.
Casiri.
Rodr. de Castro.
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Catalogus librorum manuscriptorum Angliæ et Hiberniæ. Oxonii, Sheldon, 1697. 2 vol. in-fol.
Cataloguscodicum MSS. Bibliothecæ Bernensis, studio J R. Sinner. Bernæ, 1760. 3 vol. in-8°.
Catalogus librorum impressorum Bibliothecæ Bodleianæ (operâ Th.
Hyde, etc.). Oxonii, è theatro Sheldoniano, 1674, in-fol.—Ibid., 1738.
2 vol in-fol.
Catalogue des livres de la bibliothèque du collège de Clermont. Paris, Saugrain, 1764, in-8°.
Catalogus codicum MSS. Bibliothecæ Mediceæ Laurentianæ, studio A. M.
Bandini. Florentiæ, 1764. 8 vol. in-fol. ;— 1791-93. 3 vol. in-fol.
Catalogus manuscriptorum Bibliothecæ regiæ Parisiensis (studio Aniceti Mellot). Parisiis, typ. reg., 1739-44. 4 vol. in-fol. — Catalogue des livres imprimés de la Bibl. du Roi (par Sallier, Boudot, Capperonnier). Paris, impr. royale, 1739-50. 6 vol. in-fol.
Catalogue des manuscrits de l'abbaye de Marmoutiers, 1764, in-8°.
Catalogue des livres de la bibliothèque du duc de La Vallière : première partie (manuscrits, premières éditions, livres rares, etc. ), par Guill.
Debure, et M. Van Praet. Paris, 1783. 3 vol. in-8°.
Mémoires de l'histoire du Languedoc, par Guill. Catel. Tolose, Bosc, 1633, in-fol.
Mémoires de Caylus sur la féerie des anciens, sur l'origine de la chevalerie et des anciens romans, sur les fabliaux, sur la Bible Guyot et la Bible du seigneur de Berze. T. XX, XXI, XXII, XXIII des Mémoires de l'Académie des Inscript, et Belles-Lettres.
Vita Arnaldi de Villanovâ, scripta à Symphoriano Champier; cum operibus Arnaldi de Villanovâ. Lugduni, 1520, in-fol.
Historia Ecclesiæ Leodiensis, studio Joannis Chappeauville. Augustæ Eburonum, 1612 et 1618. 3 vol. in-4°.
Nouveau Dictionnaire historique et critique, par Chauffepié, pour servir de supplément au Dictionnaire de Bayle. Amsterd., 1750-56. 4 vol. in-fol.
Fragments de littérature (Leçons à l'Athénée de Paris sur l'ancienne littérature française), par Mar.-Jos. Chénier. Paris, Maradan, 1818, in-8°.
Vesuntio civitas imperialis, Sequanorum metropolis. monumentis illustrata, autore J. J. Chiffiet, 2a edit. Lugduni, 1650, in-4°. 2 part.
Sancti Bernardi Genus illustre assertum ; accedunt opuscula ad historiam ■ eccl. spectantia; studio P. Franc. Chifflet. Divione, Chavane, 1660, in-4°.
Choix dé poésies allemandes (traduites en français), par M. Huber. Paris, Humblot, 1766. 4 vol. in-12.
Traité du domaine de la couronne de France, par Choppin. Paris, 1662, in-fol.
Histoire du Dauphiné, par Nic. Chorier. Grenoble, 1661, et Lyon, 1672.
2 vol. in-fol.
Chronicon Altissidorense scriptum à Roberto (Abolant) Præmonstratensi ad sanctum Marianum canonico, editum à Nicolao Camusat. Trecis, 1609, in-fol. — T. X, XI, XII et XVIII du grand Recueil des hist.
de France.
Chronicon Claravallense, in opere inscripto: Sancti Bernardi Genus illustre assertum, curâ P. Fr. Chifflet.
Alfonsi Ciaconii Vitæ et Res gestæ summorum pontificum et cardinalium.
Romae, de Rubeis, 1677. 4 vol. in-fol.
Catal. Angl.
Catal. Bern.
Sinn.
Catal. Bodl.
Catal. du coll.
de CI.
Catal. Bibl.
Laur.
Catal. Bibl. R.
Catal. de Marm.
Cat. de la Vall
Catel.
Caylus.
Champier, V.
Arn.
Chappeauv.
Chauffepié.
Chénier, Fragm.
J.-J. Chifflet.
P. Fr. Chifflet.
Choix de poés.
allem.
Chop., Dom.
Chorier.
Chronic. Altissiod.
Chronic. Clarav.
Ciaconius.
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Storia della scultura, dal suo risorgimento in Italia, etc., dal caval. Cicognara. Venezia, Picotti, 1816-1818. 3 vol. in-fol.
Pauli Colomesii Rupellensis Italia et Hispania orientalis, sive Italorum et Hispanorum qui linguam hebrasam vel alias linguas orientales excoluerunt, Vitæ; cum notis Chr. Wolfii. Hamburgi, 1730, in-4°.
Pauli Colomesii Rupellensis Gallia orientalis, sive Gallorum qui linguam hebræam vel alias orientales excoluerunt, Vitæ. Hagae Com., 1665, in-4°.
Ægidii Columnæ, Romani, Errores philosophorum. Vienne, 1472 (1482), in-4°.
Concilia Ecclesiæ Rothomagensis, studio Francisci Pommeraye, cum notis Antonii Godini. Rothomagi, 1677, in-4°. - Editio auctior, curâ Guillelmi Bessin. Rothomagi, 1717, in-fol.
Œuvres complètes de Condillac. (Édit. donnée par M. La Romiguière.) Paris, 1798. 23 vol. in-8°.
Histoire de la vie et miracles du roi saint Louis, par le confesseur de la reine Marguerite; à la suite de Joinville, édition de Capperonnier, 1761, in-fol.
Antiquités, chroniques, singularités de Paris, par Gilles Corrozet; augmentées par N. B. (Nic. Bonfons). Paris, 1586, in-8°; —1608, in-8°.
Traité historique et critique des principaux signes dont nous nous servons pour manifester nos pensées; ou le Commerce des esprits (I, signes humains; II, signes diaboliques; III, signes divins), par Alf. Costadau, dominicain. Lyon, 1717, 1720, 1724. 12. vol. in-12.
L'Istoria della volgar poesia, da Giov. Maria Crescimbeni, 1720-31. 7 vol.
in-4°. — Dans le tome II se trouvent le Vite de poeti provençali, traduites du français de Jean Nostradamus, et augmentées de notes.
Histoire de l'université de Paris, depuis son origine jusqu'à 1600, par Crevier. Paris, Desaint et Saillant, 1761. 7 vol. in-12.
D.
Mémoire de M. Dacier sur le Dolopathos et sur la Matrone d'Éphèse; Académ. des Inscript, et Belles-Lettr., t. XLI.
Histoire de l'art depuis sa décadence au quatrième siècle jusqu'à son renouvellement au XVIE, par J.-B.-L.-G. Séroux d'Àgincourt. Paris, 24 livraisons in-fol.
Tableau historique des sciences, des belles-lettres et des arts dans la province de Picardie, depuis les premiers temps jusqu'aujourd'hui, par le P. L.-Fr. Daire, célestin. Paris, Hérissant, 1768, in-12. — Histoire de la ville d'Amiens, depuis son origine, par le même. Paris, 175 7.2 vol. in-4°.
Opere di Dante Alighieri (Divina Commedia ; della Volgare Eloquenza ; Convivio, etc.). Venezia, 1757-58. 4 tom. 5 vol. in-4°.
États formés en Europe après la chute de l'empire romain en Occident par d'Anville. Paris, imprimerie royale, 1771, ^-4°.
Collectio judiciorum de novis erroribus, studio Caroli Duplessis d'Argentré. Parisiis, 1723, 33, 36. 3 vol. in-fol. V. Grandin.
Nouveaux Mémoires d'histoire, de critique et de littérature, par d'Artigny.
Paris, Debure, 1749-56. 7 vol. in-12.
Histoire de l'astronomie du moyen âge, par Delambre. Paris, 1819, in-4°.
Cicognara.
Colomies.
Ægid. Column.
Conc. Normann.
Condillac.
Confess. de la R. Marg.
Corrozet.
Costadau.
Crescimbeni.
Crevier.
Dacier.
D'Agincourt.
Daire.
Dante.
D'Anville.
D'Argentré, Coll.
jud.
D'Artigny.
Delambre, Astr.
m. a.
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Les Préjugés du public sur l'honneur, par de Nesle. Paris, 1766.2 vol. in-12.
Conseil que Pierre des Fontaines (ou Défontaine) donne à son ami, ou Traité de l'ancienne jurisprudence des Français. — A la suite de Joinville, édition de du Cange. Paris, 1668, in-folio.
Histoire critique de la philosophie, par Deslandes. Amsterdam, Changuyon, 1757.4 vol. in-12.
Continuation des Mémoires de littérature et d'histoire de Sallengre, par le P. Desmolets, de l'Oratoire, Paris, 1726-3 r. II vol. in-12.
Bibliotheca max. veterum Patrum. Lugduni, 1677. 3o vol. in-fol, Dictionnaire raisonné de diplomatique, par D. de Vaines. Paris, 1774.
2 vol. in-8°.
Historia Ecclesiæ Parisiensis, autore Ger. Dubois, congreg. Orator. Parisiis, Muguet, 1690-1710. 2 vol. in-fol.
Historia Uni versitatis Parisiensis, autore Caesare EgassioBulæo (du Boulay).
Parisiis, 1665-73. 6 vol. in-fol.
Théâtre des antiquités de Paris, par Jacques Dubreul, bénédictin. Paris, 1612-1739, in-4°.
Caroli du Fresne du Cange Glossarium mediæ et infimæ latinitatis (cum indice autorum). Parisiis, Osmont, 1733-36, 6 vol. in-fol.
A. Duchesne. Voyez Scriptores rer. gallic.
Histoire de tous les cardinaux français, par François Duchesne. Paris, 1660, in-fol.
Mémoire sur la langue française, par Duclos; au tome IX de ses Œuvres.
Paris, 1806. 10 vol. in-8°. — Mémoire sur les jeux scéniques, par le même. Ibid., tom. I.
Histoire de Paris, par Dulaure. Paris, 1822, etc. 7 vol. in-8°, fig.
Guillelmi Durandi Rationale divinorum officiorum. Moguntiæ, 1459, in-fol.
Guillelmi Durandi Speculum juris, cum Joannis Andréæ, Baldi, aliorumque theorematibus. Venetiis, Valgrisi. 3 vol. in-fol.
Piemontesi illustri. Torino, 1781-87. 5 vol. in-8°. Le tome IV, p. 245, etc., de ce recueil renferme un éloge historique de Henri de Suze, cardinal d'Ostie, par Jacques Durandi.
Recueil des rois de France, leur couronne et maison, par Jean du Tillet.
Paris, 1618, in-8°.
Mémoires pour servir à la fête des fous, par du Tilliot. Lausanne, 1741 ; ou Genève, 1745, in-40°.
Les Bibliothèques françaises de la Croix du Maine et de du Verdier sieur de Vau privas ; nouvelle édition, donnée par Rigoley de Juvigny. Paris, Saillant et Nyon, 1772. 6 vol. in-4°.
E.
Sancti Thomæ Summa suo autori vindicata, cum dissertatione de scriptis Vincentii Bellovacensis, præsertim de Speculo morali, autore Jac.
Echard. Paris, 1708, in-8°.
Scriptores ordinis Prasdicatorum, opus inchoatum à Jacobo Quétif, absolutum à Jacobo Echard. Parisiis, 1717, 1721, 2 vol. in-fol.
Dictionnaire historique de la médecine, par N.-F .-J. Éloy. Mons, Hoyois, 1778. 4 vol. in-4°.
Encyclopédie méthodique. Paris, 1782-1815, in-4° (Diction, de musique).
De Nesle, Préj, Des Fontaines, Cons.
Deslandes.
Desmolets.
Despont.
De Vaincs, Dict.
de dipl.
Dubois, Égl.
de P.
Du Boulay, H.
Univ. P.
Dubreul, Anti- quit. de P.
Du Cange, Gloss.
A Duchesne , Script.
Fr. Duch., H. des card.
Duclos.
Dulaure.
Durandi Rat.
Durandi Spec.
jur.
Durandi Piem.
Du Tillet.
Du Tilliot.
Du Verdier.
Echard, S. S.
Th.
Echard, Script.
Præd.
Éloy, Dict.
Encyclopédie.
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Establissemens de saint Louis, avec traduction et notes, édition de SaintMartin. Paris, 1786, in-8°. — T 1 du Recueil des ordonnances, in-fol., et t II du Recueil des anciennes lois françaises, publié par MM. Jourdan, de Crusy et Isambert. Paris, 1822, etc., in-8°.
Apologie pour Hérodote, ou Traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes, par Henri Estienne; nouv. édit., augmentée de remarques, par Le Duchat. La Haye, 1735. 3 vol. in-8°.
Directorium inquisitorum, autore Nicol. Eymerico ; cum scholiis, etc.
Romae, 1578, in-fol. — Venetiis, 1596, in-fol.
F.
Fabliaux et Contes français des XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles, publiés par Barbazan. Paris, 1756. 3 vol. in-12. — L'Ordene de chevalerie, ancien poëme, avec une dissertation sur l'origine de la langue française, par Barbazan. Lausanne et Paris, 1759, in-12. — Le Castoiement, ou Instruction d'un père à son fils, en vers français, avec des observations sur les étymologies, par Barbazan. Paris, 1760, in-12.
Fabliaux et Contes des poëtes français des XIIe et XIIIe siècles, recueillis par Barbazan ; nouv. édit., augmentée par M. Méon. Paris, Warée, 1808.
4 vol. in-8°, fig.
Fabliaux ou Contes des XIIe et XIIIe siècles, traduits ou extraits (par Le Grand d'Aussi). Paris, Onfroy, 1779. 3 vol. in-8°. — Contes dévots, Fables et Romans, traduits ou extraits, par le même. Paris, 1781, in-8°.
Joannis Alberti Fabricii Bibliotheca médias et infimæ latinitatis. Hamburgi, 1734. 6 vol. in-8°. — Cum notis Dominici Mansi. Patavii, Manfré, 1754. 6 vol. in-4°.
Joannis Alberti Fabricii Bibliotheca ecçlesiastica, in quâ continetur de scriptoribus ecclesiasticis libri plurimorum. Hamburgi, 1718, in-fol.
Mémoires sur les premiers traducteurs français (sur Brunetto Latini, etc.), par Camille Falconet. Dans l'Histoire de l'Académie des Inscrip. et BellesLettres, tom. VII.
Origine de la langue et de la poésie françaises, par Claude Fauchet. Paris, Mamert Patisson, 1581,in-4°.
Origine des dignités et magistrats de France, par le même. Paris, 1600, in-8°.
Œuvres de Cl. Fauchet. Paris, 1610. 2 vol. in-4°.
Histoire de Navarre, par André Favyn, avocat. Paris, Sonnius, 1612, in-fol.
Histoire de la ville de Paris, par dom Mich. Félibien et dom Lobineau.
Paris, 1725.5 vol. in-fol., fig.
Entretiens sur les peintres et architectes, etc. Paris, 1685. 3 vol. in-4°.
Dialogues sur l'éloquence, par Fénelon. Paris, 1774, in-12. — Et dans les Œuvres de Fénelon, t. III de l'édition in-4°. Paris, Didot, 1787-92; 9 vol. — T. VII de l'édition in-12. Paris, Briand, 1810. 10 vol.
Histoire du droit romain, etc., par Claude de Ferrières. T.VII de la Traduction et Commentaires des Institutes de Justinien. Paris, 1788, in-12.
Histoire du droit français, par Claude Fleury. Paris, 1674, in-12. — Et à la tête du tome Ier de l'Institution au droit français, par Argou. Paris, 1757. 2 vol. in-12.
Establ. de S. L.
H. Estienne , Apol.
Eymeric, Dir.
inq.
Fabliaux.
Fabric Bibl
Med. I.
Fabric Bibl
Eccles.
Falconet.
Fauchet.
Favyn.
D. Félib., H. de P.
And. Félibien.
Fénelon.
Ferrières , H
du dr. rom.
Fleury, Hist.
du dr. fr.
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Histoire ecclésiastique, par Cl. Fleury. Paris, 1691-1737. 36 vol. in-4° ou in-12.
Historiae Genuensium libri XII, autore Uberto Foglietta. Genuæ: 1 585, infol. — Traduction italienne, par Serdonati. Gênes, 1597, in-fol.
Bibliotheca dell' eloquenza italiana, da Giusto Fontanini, con le annotazioni di Apostolo Zeno. Venezia, 1753. 2 vol. in-4°.
Histoire du théâtre français, par Fontenelle. T. III de ses Œuvres complètes. Paris, 1758-66. 11 vol. in-12. — Éloges des académiciens, parle même. Ibid., t. V, VI.
Bibliotheca Belgica, sive Belgici Scriptores à Valerio Andréa, Auberto Miraso, Fr. Swertio recensiti, studio Francisci Foppens. Bruxellis, 1739, 2 vol. in.4 °
Histoire de la chimie, dans l'article Chimie, de l'Encyclopédie méthodique.
Paris, Agasse, 1796, in-4°
Le Champion des dames, par Martin Franc. (Paris, Nérard), in-fol, — Paris, Galliot du Pré, 1520, in-8° .— L'Estrif de fortune et de vertu, par Martin Franc. Paris, Lenoir, 1519, in-4° • History of physic from the time of Galen to te beginning of the XVI century, by J. Freind. London, 1725 et 26. 2. part. in-8° ; — 1651, 2 vol.
in-8° .— Histoire de la médecine, traduite de l'anglais de J. Freind, par Et. Coulet. Leyde, 1727, in-4° • Chroniques de France, d'Angleterre, etc., depuis 1326 jusqu'à 1400, par J. Froissart. Paris, Vérard (1498). 4 vol. in-fol. — Paris, 1074. 4 vol.
in-fol. — Nouv. édit., publiée par M. Buchon. Paris, 1824, in-8°.
G.
Discours sur quelques anciens poëtes et sur quelques romans gaulois peu connus, par Galland. Dans le Recueil de l'Acad. des Inscript. et BellesLettres, tom. IL Gallia christiana (nova), operâ Dionysii Sammarthani et aliorum Bened.
Parisiis, 1715-85. 13 vol in-fol.
De ducentis celeberrimis Augustinianis scriptoribus qui obierunt post magnam unionem ordinis eremitici usque ad finem concilii Tridentini ; autore Dominico Ant. Gandolfo Augustiniano. Romæ 1764, in-4°.
Chronologia sacra et profana, à M. C. ad annum mundi 5352 (Christi 1592), dicta Germen David; autore R. Dav. Ganz; latinè versa et observationibus illustrata à Guill. Henr. Vorstio. Lugduni Batav., 1644, in 40.
Series prœsulum Magalonensium-et Monspeliensium, autore P. Gariel.
Tolosse, 1562, in-fol. Ibid., 1665, in-fol.
Histoire de Gentchiscan et de toute la dynastie des Mongoux, par le P. Gaubil. Paris, 1739, in-4°.
Gauffridus seu Gaulfred us Claravallensis, sive de Altâ Cumbâ, de Vitâ S. Petri Tarentasiani; in Actis sanctorum Bolland., Mai, t. Il, p. 323.
Sancti Ludovici Vita, Conversatio et Miracula, per Gauffridum de Bello Loco (Geoffroy de Beaulieu), ordinis Prædicatorum, et Guil. Carnotensem, ejusdem ordinis, régis capellanum. T. V du recueil de Duchesne, pag. 444-466. — Et dans les Acta sanctorum des Bollandistes, 25 août.
Fleury , Hist.
ecclés.
Foglietta.
Fontanini Eloq.
ital.
Fontenelle.
Foppens, Bibl.
Belg.
Fourcroy.
Mart. Franc.
Freind.
Froissart.
Galland.
Gall. Chr. n.
Gandolfi Script.
August.
Dav. Ganz.
Gariel, Ser. Pr.
M.
Gaubil.
Gauffr. de Alta C.
Gauffr. de B.
L.
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Gualteri prioris S. Victoris Tractatus contra 4 labyrinthos Franciæ (Abæ- lardum, Gilbertum Porretanum, Petrum Lombardum et Petrum Pictaviensem).— Il y a des extraits de ce traité dans l'Histoire de l'université de Paris, par du Boulay, t. II, p. 629-660.
Gilberti Genebrardi et Arn. Pontaci Chronographiæ, ab exordio mundi ad ann. 1585, libri IV; cum chronologiâ Hebraeorum majore et minore.
Parisiis, 1609, in-fol.
J. Charlerii de Gerson Tractatus adversus Romantium de Rosâ. T. III Operum Gersoni, edit. curâ Ludovici Ellies Dupin. Antuerpiae, 1706.
5 vol. in-fol.
Gervasii Prærnonstratensis Epistolæ LXX, editæà Norberto Callier. Parisiis, 1663-138, in limine tomi primi Monumentorum sacræ antiquitatis, curâ Caroli Ludov. Hugonis.
Bibliotheca ordine alphabetico instituta, à Conr. Gesnero, 1545, in-fol. Recognita et aucta à Jos. Simlero, 1 574, in-fol. — Amplificata à J. J. Frisio. Tiguri, Froschover, 1583, in-fol.
Gesta Pontificum Leodiensi u m j'r - in Historia Ecclesias Leodiensis. Voy.
Chappeauville.
Dell 'Istoria del regno di Napoli, libri XI ; di Pietro Giannone. Napoli, 1723. 4 vol. in-4°. — Traduction française (par Desmonceaux). La Haye, 1742. 4 vol. in-4°.
Histoire littéraire de l'Italie, par P.-L. Ginguené. Paris, Michaud, 1811 et suiv. 9 vol. in-8°.lbid , 1824. 9 vol. in-8°.
Descriptio Cambriæ autore Giraldo Cambrensi (Gir. Rarri vel Barri),, in Cambdenianâ Sylloge incriptâ : Anglia normannica, hibernica, cambrica, etc. Francofurti, 1603, in-fol.
Vita Gaufridi archiepiscopi Eboracensis (ab eodem Gir. C.); apud Warton, Anglia sacra. Londini, 1691. 2 vol. in-fol.
Monarchia sancti romani imperii, sive Tractatus de jurisdictione imperiali seu regiâ, et pontificiâ seu sacerdotali, studio Melchioris Goldasti.
Han. et Francof., 1611-14. 3 vol in-fol.
Bibliothèque française, ou Histoire de la littérature française, par Gouget.
Paris, 1740-56. 18 vol. in-12.
Raggionamenti intorno alla letteratura greco-italiana, da Giov. G. Gradenigo. Brescia, 1759, in-8°.
Martini Grandini Opera theologica, cum variis disputationibus edita à Carolo Duplessis d'Argentré. Parisiis, 1710-12. 6 vol. in-40.
Gregorii XIII Decretales (collectæ jussu Gregorii XIII à Raymundo de Pennâ forti). Moguntioe, Schoeffer, 1473, in-fol. Romæ, 1474, i.n-fol.
Recherches pour servir à l'histoire du droit français (par Grosley). Paris, Estienne, 1752, in- 1 2.
Guillelmi Arverni, Parisiensis episcopi (ann. 1228-49), Opera, curâ Barth. Ferronii. Aureliæ, 1674. 2 vol. in-fol.
Gesta Philippi Augusti, Francorum régis, descripta à Guillelmo Britone seu Armorico. — Ej usdem Guillelmi Philippidos libri XII. — Dans le tome V du recueil de Duchesne, et dans le tome XVII de la grande collection des historiens de France.
Gesta Ludovici IX, autore Guillelmo de Nangiaco. — Dans la collection d'historiens de France donnée par Pithou. Francfort, 1596, in-fol.— Dans le tome V de celle de Duchesne. — Et en français à la suite du Joinville de du Cange, 1662, in-fol.
Gautier de S.Victor.
Genebrard.
Gerson.
Gerv. Epist.
Gesner, Bibl.
Gesta Pontif.
Leod.
Giannone.
Ginguené.
Girald. Camb.
Goldast. NJon.
* Gouget, Bibl. fr.
Gradenigo.
Grandin.
Gregor XIIl Decretal.
Grosley, H. du droit franc.
Guill. Arvern..
Guill. Brit.
Guill. de Nang.
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Gesta Philippi Audacis descripta à Guillelmo de Nangiaco. — Dans les collections de Pithou et de du Cange.
Guillelmi de Nangiaco Chronicon. T. XI et XII Spicilegii Dacheriani.
Guillelmi de Podio Laurenti Historia bellorum adversus Albigenses. —
Dans le tome V des Historiens de Fr. de Duchesne - ( et dans le tome XIX, actuellement sous presse, de la grande collection des mêmes historiens).
H.
De Partibus Orientis, seu de Tartaris, autore Haiton ( vel Hayton ). Hagenoæ, 1529, in-4°. — Berolini, 1671, in-4°. — T. II de la collection de Ramusia. — Et en français dans le recueil de Bergeron.
Cœsaris Heisterbacensis libri XII, miraculorum et historiarum memorabilium sui temporis. Antuerpiœ, 1604, in-8° ; et t. 1 Bibiioth. PP.
Cisterciensium. — Ejusdem Cæs. Heisterb. Dialogi. Ibid., t. II.
Historia ecclesiastica Anglias. Duaci, 1622, in-fol.
Helinandi monachi Chronicon. T. VII Bibliothecæ PP. Cisterciensium.
Histoire des ordres monarchiques, religieux ou militaires, etc. Paris, 17141719. 8 vol. in-4°.
De Scolis publicis earumque magisteriis dissertatio Claud, Hemeræi. Parisiis, La Périère, 1633, in-8°. — Ej usdem dissertatio de Academiâ Parisiensi, qualis primo fuit insulâ, et de scholis episcoporum. Parisiis, Cramoisy, 1637, in-4°.
Abrégé chronologique de l'hist. de France, par le présid. Hénault. Paris, 1768. 3 vol. in-8°.
Henrici Gandavensis de Scriptoribus ecclesiasticis ; in Bibliothecâ ecclesiasticâ J. Alb. Fabricii.
Menologium Cisterciense. Antuerpiae, 1630, in-fol.
Rogeri de Hoveden Annales ; inter rerum anglicarum scriptores, post Bedam, edente H. Saville, 1601, in-fol.
Joannis Henrici Hottingeri Promptuarium, sive Bibliotheca orientalis. Heidelbergae, 1658,in-4°.
Prolegomena in sacram Scripturam, autore Carolo Houbigant, Orat. presb.
Parisiis, 1746. 2 vol. in-4°.
Petri Danielis Huetiide Interpretatione libri 11, scilicet 1 de optimo genere interpretandi; II de claris interpretibus. Parisiis, 1661, in-4 0. Hagæ - Corn., 1683, in-8°.
Lettre de Huet à Segrais sur l'origine des romans, à la tête de Zayde, roman de madame de La Fayette. Paris, 1670, in-12. — Et au commencement du tom. 1er des Œuvres de mesdames de La Fayette et Tencin.
Paris, 1804. 5 vol. in-8°.
Monumenta sacræ antiquitatis, studio Caroli Ludovici Hugonis. Stigavii, 1725. 2 vol. in-fol. — Ejusdem Annales Præmonstratenses. Nanceii, Cusson, 1734 et 1736. 2 vol. in-fol.
Humberti de Romanis Epistola de tribus votis. T. XXV Bibliothecæ Max.
Patrum, 653-664.
I.
Bibliotheca latino-hebraica, sive scriptorum latinorum adversus judæos, autore Jos. Imbonato. Romæ, 1694, in-fol. ( Ce volume se joint aux 4 de Bartolocci ci-dessus. )
Guill. de PuyLaur.
Haiton.
Cæs. Heisterb.
Harpsfeldt.
Helinand. Chr.
Hélyot.
Héméré.
Hénault, Abr.
chr.
Henr. Gand.
Henriquez.
Roger de Hoved.
Hottinger. Bibl.
orient.
Houbigant, Prol.
Huet. de Interpr.
Huet, Orig. des rom.
Hugo. Monum.
Humbert.deRom.
Imbonati,
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Index funereus chirurgorum Parisiensium à regno Philippi Pulchri ad ann.
1714, studio J. D. V. (Joannis Devaux. Trevoltii, 1714, in-12.
Innocentii III Epistolarum libri undecim, collecti à Stephano Balluzio. Pa- risiis, 1 582. 2 vol. in-fol. — Autres Épîtres d'Innocent III, dans letome III du recueil publié par de Bréquigny et La Porte du Theil, sous le titre de Diplomata, chartæ, et alia instrumenta ad res Franc. spectantia. Pa- risiis, 1791, in-folio.
J.
Voy. Vitry.
Jacobi de Voragine Historia Longobardica, seu Legenda sanctorum aurea, 1747, in-fol. Parisiis, Gering, 1475, in-fol. - La Légende dorée, traduite en franc., par J. Batallier. Lyon, 1476, in-fol. Paris, Vérard, 1490, in-fol.
Jacobi de Voragine Sermones de Tempore. Lugduni, 1511, in-4° — Sermones dominicales (Norimbergæ), in-fol. — Mariale, seu Sermones de B. Mariâ. Parisiis, Pigouchet, 1503, in-8°.
Salomonis Jarchi Commentarius hebraicus in Pentateuchum Mosis, latinè versus atque notis illustratus à Jo. Frider. Breipthaupt. Gotha, 1710, in-4°.
Sal. Jarchi Commentarius hebraicus in libros Josue, Judicum, Ruth, Samuelis, Regum, Chronicorum, Esdræ, Nehemiæ et Esther; in Proverbia, Ecclesiasten et Canticum canticorum, latinè versus et notis illustr. à
J. Frid. Breipthaupt. Gotha, 1713, in-4°.
Sal. Jarchi Comment, hebr. in Prophetas majores et minores, in Jobum et Psalmos, latinè versus et notis illustratus à J. Fr. Breipthaupt. Gotha, 1714, in-.
Liber Corsi, continens colloquium seu disputationem de religione ; opus arabicè scriptum à Jehudâ levitâ, hebraicè versum à Jehudâ Abertybbon, latinè à Joanne Buxtorfio filio, qui et notas adjecit. Basileae, 1660, in-4°.
Joannis Andréas jurisconsulti Bononiensis in libros Decretalium Nov. Comment. Venetiis, 158 1. 5 vol. in-fol. — V. ci-dessus Durand.
Histoire de saint Louis, par Jean sire de Joinville, avec des observations, etc., par du Fresne du Cange. Paris, Mabre-Cramoisy, 1668, in-fol. — Histoire de saint Louis, par Joinville; Annales du règne de saint Louis, par Guill. de Nangis, etc. Édition de Melot et Capperonnier. Paris, imprimerie royale, 1761, in-fol.
Recherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions latines d'Aristote et sur des commentaires grecs et arabes, etc., par Jourdain, ouvrage couronné par l'Acad. des Inscript, et B.-L. Paris, 1819, in-8°.
V K.
Histoire de la musique, par Kalbrenner. Paris, 1802, in-8°.
Athanasii Kircheri Arithmologia, sive de abditis numerorum mysteriis, Romæ, 1665, in-4°, fig.
Tableau des révolutions de l'Europe, depuis le bouleversement de l'empire romain en Occident jusqu'à nos jours, par Koch. Paris, 18 (3.
4 vol. in-8°.
Ind. funer. chir.
Innoc. III Epist.
Jac. de Vitriaco.
Jac. de Vorag.
Jarchi.
Jehuda, Lib
Gosr.
Joann. Andr.
Joinville.
Jourdain.
Kalbrenner.
Kircher. Arithm.
1 Koch, Tabl.
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L.
Dissertation de La Bastie sur Ja Vie de saint Louis par Joinville. Dans le tome XV des Mémoires de l'Acad. des Inscr. et B.-L.
Nova Bibliotheca manuscriptorum codicum, curâ Philippi Labbe, jes.
Parisiis, 1657. 2 vol. in-fol.
Sacrosancta Concilia, collecta et edita à Philippo Labbe et Gabriele Cossart. Parisiis, 1671. 17 tom. 16 vol. in-fol.
Essai sur la musique ancienne et moderne, par La Borde. Paris, Pierres, 1780. 4 vol. in-40.
Histoire de la vie de saint Louis, en quinze livres, par Filleau de la Chaise. Paris, 1688, in-4°, ou 2 vol. in-12.
Bibliothèques françaises de la Croix du Maine et de du Verdier de Vauprivas; édition de Rigoley de Juvigny. Paris, 1772. 6 vol. in-4°.
Lycée, ou Cours de littérature anc. et moderne, par J.-F. Laharpe. Paris, Ledoux et Tenré, 1817. 16 vol. in-18.
Traité de la police, par de La Mare et Le Clerc du Brillet. Paris, 1719-38.
4 vol. in-fol.
Historia comitum Ghisnensium, autore Lamberto Ardrensi. Dans le tome VIII, p. 369-606, des Reliquiæ MSS. et Diplom. de Ludewig.
Précis de l'histoire de l'astronomie, par M. le M. de La Place. Paris, Courcier, 1821, in-8°. — Et tome II, p. 244-413 de l'Exposition du système du monde, 5e édit. Paris, Bachelier, 1824. 2 vol. in-8°.
Histoire généalogique de la maison de Harcourt, avec les preuves, par A.-G. de La Roque. Paris, 1662. 4 vol. in-fol.
Recherches sur les ouvrages des bardes de la Bretagne armoricaine, par M. de La Rue. Caen, Poisson, 1815, in-80.
Tractatus de variâ Aristotelis Jortunâ ; T. IV Operum Joannis Launoy.
Genevas, 1732, in-fol.
Bibliothèque du théâtre français depuis son origine (par le duc de La Vallière). Dresde, Groell, 1768. 3 vol. in-8°.
Mémoires contenant l'histoire d'Auxerre, par l'abbé Lebeuf. Paris, 1743.
2 vol. in-40.
Dissertations sur l'histoire ecclésiastique et civile du diocèse de Paris, suivies de plusieurs éclaircissements sur l'histoire de France, par l'abbé Lebeuf. Paris, Lambert, 1739.3 vol. in-12. Dans le tome II se trouvent les Mémoires de Lebeuf sur l'état des lettres en France, depuis le roi Robert jusqu'à Philippe-le-Bel.
Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, par l'abbé Lebeuf.
Paris, Prault, 1754. 15 vol. in-12.
Recherches sur les plus anciennes traductions en langue française, par l'ab.
Lebeuf. Dans les Mémoires de l'Acad. des Inscript, et Bel.-Let., t. XVII.
Traité historique des monnaies de France, par F. Leblanc. Paris, 1690, in-40, fig.
Discours sur la comédie, avec l'histoire du théâtre et les sentimens des docteurs de l'Église, par P. Lebrun, de l'Oratoire. Paris, 1694, in-12.
— Seconde édition (Traité historique et dogmatique des jeux de théâtre). Paris, 1731, in-12.
Fabliaux ou Contes des poëtes français du XIIo et du XVIIIe siècle, traduits ou extraits par Le Grand d'Aussi. Paris, Onfroy, 1779 et 1781.
4 vol. in-8°.
La Bastie.
Labbe, Bibl.
Labbe, Concil.
La Borde, Mus.
La Chaise.
La Croix du M.
La Harpe, Lycée.
La Mare, Tr. de la pol.
Lamb. Ard.
La Place, Hist.
de l'astr.
Laroq., M. de Harc.
De la Rue, Reçh.
Launoy, Arist.
La Vallière, Th.
Lebeuf, Aux.
Lebeuf, Diss.
Lebeuf, H. de Paris.
Lebeuf. M. SUl les trad.
Le Blanc, Monn » Lebrun , Disc.
sur la com.
Le Grand, Fabl.
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Accessiones historicæ quibus scriptores rerum Germanicarum continentur ; curâ Godofredi GuillelmiLeibnitzii. Hanoveræ, 1700. 2 vol. in-4°.
Historia episcoporum Virdunensium; in Spicilegio Acherii. Paris, 1655.
13 vol. in-40.
Histoire de la pairie et du parlement. Londres (Rouen), 1753. 2 vol.
in-12. On attribue cet ouvrage à Jean Le Laboureur, quoique l'auteur soit désigné dans le titre par les initiales D. B.
Joannis Lelandi Commentarii de scriptoribus britannicis. Oxonii, à theatro Sheldoniano, 1709, in-8°.
Bibliothèque historique de la France, par Jac. Lelong, de l'Oratoire ; nouv.
édit., augm. par Fevret de Fontette. Paris, Hérissant, 1768-1778. 4 vol.
in-fol.
Bibliotheca sacra in binos syllabos digesta, à Jacobo Lelong. Parisiis, Coustelier, 1723. 2 vol. in-fol. Eadem post iteratas C. F. Boerneri curas, emendata et aucta ab Angelo Gottl. Masch. Halae, 1778. 5 vol.
in-40
Musée des monumens français. Paris, 1800-1806. 5 vol. in-8°.
Polycarpi Leyseri Historia poematum latinorum medii asvi. Halae Mad.
geb., 1725, in-8°.
Martini Lipenii Bibliotheca realis theologica. Francofurti, 1685. 2 vol.
in-fol.
Poliorceticon libri V, autore Justo Lipsio, in tomo tertio Operum Justi Lipsii omnium. Antuerpiæ, Plantin, 1637. 4 vol. in-fol.
Bibliothèque Chartraine, ou Traité des auteurs et hommes illustres du diocèse de Chartres, par dom Liron. Paris, 1778, in-40.
Reliquiæ manuscriptorum omnis ævi, diplomatum, etc., collectae à J. Petro Ludewig. Francofurti et Lipsiae, 1720 et seqq. 12 vol. in-8°.
Sancti Ludovici Pragmatici, curâ Margar. de La Bigne. Parisiis, Mich.
Sonnius, 1578, in-8°.
M.
Annales ordinis sancti Benedicti, à Joanne Mabillon (et Renato Massuet).
Parisiis, Robustel, 1703-39. 6 vol. in-fol.
Joannis Mabillon de Re diplomaticâ libri VI, editit) 2a,cum prasfatione Rui- nartii. Parisiis, Robustel, 1709, in-fol., fig.
Traité des études monastiques, par dom Mabillon ; et Réflexions sur la réponse de l'abbé de la Trappe, Paris, 1691 et 92. 2 vol. in-40.
Histoire de la santé, et de l'art de la conserver, trad. de l'anglais de J.
Mackensie. Liège, Boubers, 1762. 2 vol. in-12.
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts (par A.-L. Millin, etc.). Paris, 1793-1813. io8 vol. in-8°.
Temples anciens et modernes. Paris, 1774, gr. in-8o.
De Morinis et Morinorum rébus, autore Jac. Malbrancq. Tornaci, 16391654. 3 vol. in-40.
Storia Fiorentina, da Malespini. T. VIII Script, rer. ital.
Antiquités de la ville de Paris, par Claude Malingre. Paris, Rocolet, 1640, in-fol.
Degli Occhiali de naso inventati de Salvino degli Armati, trattato istorico da Domenico Maria Manni. Firenze, 1738, in-40.
Leibn. Acc. hist.
Laurent de Léodio.
J. Le Laboureur, H. de la P.
Leland.
Lelong, Bibl.
hist.
Lelong, Bibl.
sac.
Lenoir.
Leyser.
Lipen. Bibl. th.
Lips. Poliorc.
Liron, Bibl.
chartr.
Ludewig, Reliq.
Sancti Ludov
Pragm.
Mabillon, Ann.
O. S. B.
Mabillon, Diplom.
Mabillon , Ét.
mon.
Mackensie.
Magas. encycl.
Mai.
Malbrancq.
Malespini.
Malingre.
Manni.
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Annales Cistercienses, autore Angelo Manrique. Lugduni (Anisson), 1642-53. 4 vol. in-fol.
Viaggi di Marco Polo ; Maraviglie del mondo da lui vedute. Venezia, Sessa, 1496, in-8°. — Dans la collection des voyages de Ramusio, — et en français dans le recueil de Bergeron.
Historias de Rébus Hispanis libri XXX, autore J. Mariana, cum continuatione à Fr. Jos. Emm. Miniana. Hagæ Com., 1733. 4tom. 2 vol. in-fol.
— La misma Historia general de Espana. (Traduction espagnole par l'auteur lui-même.) Madrid, Ibarra, 1780. 2 vol. in-fol. — Histoire générale d'Espagne, de Mariana, traduite en français par Jos.-Nic. Charenton. Paris, 1725. 5 tom., 6 vol. in-4°.
Poésies de Marie de France, publiées par M. de Roquefort. Paris, F. Didot, 1820. 2 vol, in-8°, fig.
Metropolis Remensis Historia, studio Guillelmi Marlot. Insulis, de Rache, 1666. 2 vol. in-fol.
Essai sur les romans, considérés du côté du moral, par Marmontel. Dans le tome XII de ses Œuvres. Paris, 1787, etc. 32 vol. in-12.
Histoire de l'Inquisition et son origine (par Marsollier). Cologne, 1693, in-12. — Et dans l'Histoire des Inquisitions (tirée de divers auteurs par Gouget). Cologne, 1759. 2 vol. in-12.
Thesaurus novus anecdotorum, complectens epistolas, diplomata, etc., studio Edmundi Martenne et Ursini Durand. Parisiis, Delaulnes, 1717.
5 vol. in-fol.
Veterum scriptorum et monumentorum Collectio amplissima, studio Edm.
Martenne et Urs. Durand. Parisiis, Montalant, 1724-33. 9 vol. in-fol.
Voyage littéraire de deux Bénédictins (Martenne et Durand). Paris, 1717 et 1724. 2 vol.
Martin Franc (voyez Franc).
Martini Poloni Chronicon à Christo nato ad ann. 1320. Coloniæ, 1616, in-fol.
Histoire de la poésie française, par Massieu. Paris, Prault, 1739, in-12.
De verâ Senonensium origine christianâ, cum catalogo episcoporum Senonensium, studio Hugonis Mathoud, bened. Parisiis, Sangronne, 1688, in-4°
Matthei. (v. Paris).
A. Symm. Mazzochi Tractatus de sanctorum Ecclesiæ Neapolitanae episcoporum cultu. Neapoli, 1752. 2 vol, in-40.
(Dizi-onario storico degli) Scrittori d'Italia, da Giammaria Mazzuchelli.
Brescia, 1752-63. Vol. I-VI, in-fol. (Lett. A. B.) Vita Ambrosii Traversari praepositi Camaldulensium generalis, autore Laur. Mehus; cum ejusdem Ambrosii Epistolis. Florentiœ, 1759. 2 vol.
in-fol.
Mémoires pour servir à l'histoire des sciences et des beaux-arts. (Journal de Trévoux, par Tournemine, Catrou, Buffier et autres jésuites.) 170162, in-12.
Vita Matthæi Menagii, primi canonici theologi Andegavensis, scripta ab Ægidio Menagio. Parisiis, 1674, in-80 ; 1692, in-12.
Histoire de Sablé, par Gilles Ménage. Paris, 1686, in-fol.
Menagiana, édition donnée par La Monnoye. Paris, 1715. 4 vol. in-12.
Méon, (v. Fabliaux).
Manrique.
Marco Polo.
Mariana.
Marie de France.
Marlot, Metr.
Rem.
Marmontel, Ess.
sur les rom.
Marsollier, Inq.
Martenne, Anecd.
Martenne, Coll.
ampl.
Martenn., Voy.
litt.
Martin. Franc.
Martin. Pol.
Massieu.
Mathoud. catal.
Matth. Paris.
Mazzochi.
Mazzuchelli.
Mehus. V. Amb.
Mém. de Trév.
Ménage.
Méon.
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Mercure de France, depuis 1672, in-12, etc.
Silva de varia lecion., por P. Mexia. Séville, 1552, in-8°. — Diverses leçons de Pierre Messie, mises en français par CI. Gruget. Tournon, Michel, 1616, in-8°.
Histoire de France, par Mézeray. Paris, 1643-51. 3 vol. in-fol.
Les Mille et une Nuits, contes arabes, traduits en français par Galland et par M. Caussin de Perceval. Paris, Le Normant, 1606. 9 vol. in-18.
Histoire littéraire des troubadours, par Millot (d'après les Mémoires de Sainte-Palaye). Paris, Durand, 1774. 3 vol. in-12.
Auberti Miræi (Le Mire) Auctarium de scriptoribus ecclesiasticis — in Bibliothecâ ecclesiasticâ J. Alb. Fabricii.
Mischna, sive Totius hebraeorum juris, rituum, etc. systema, cum Maimonidis et Bartenoræ comment, hebr, et latinâ versione Guil. Surenhusii.
Amstelod., 1738. 6 vol. in-fol.
Chronica del orden de Cisters et instituto de San Bernardo, por Barnaba de Montalvo. Madrid, 1602, in-fol.
Esprit des lois, par Montesquieu. Genève, 1755. 2 vol. in-40 ; - et dans ses Œuvres. Paris, Plassan, 1796. 5 vol. in-40. — Paris, Didot, 1795.
12 vol. in-18, etc.
Bibliotheca bibliothecarum Mss. nova, studio Bernardi de Montfaucon.
Briasson, 1739. 2 vol. in-fol.
Monumens de la monarchie française. Paris, 1729-33. 5 vol. in-fol.
Histoire des mathématiques, par J.-Fr. Montucla. Nouv. édit., donnée par Lalande. Paris, Agasse, 1799-1802. 4 vol. in-40.
Joannis Morini, congr. Orat. presb., Exercitationes ecclesiasticæ et biblicae.
Parisiis, 1669, in-fol.
J. Morini Commentarius historicus de disciplinâ in administratione sacramenti Pœnjtentiee ecclesiasticâ. Parisiis, 1651, in-fol. — Antuerpias, 1682, in-fol.
L'Histoire et la Lignée des rois de France, en vers français, par Philippe Mouskes, évêque de Tournay; la dernière partie (ann. 1220-1240) a été publiée par Ducange, à la suite de Villehardouin. Paris, 1657, in-fol.
Rerum Italicarum Scriptores collecti à Ludovico Muratorio. Mediolani, 1723-5 I. 25 tom., 29 vol. in-fol.
Delle antichità estensi ed italiane, da Lod. Ant. Muratori. Modena, 1717, 1740. 2 vol. in-fol.
N.
V. Guill. de Nangis.
Apologie pour les grands hommes soupçonnés de magie, par Gabr. Naudé.
Amsterd., 1712, in-12. — De antiquitate et dignitate scholas medicas Parisiensis, autore Gabr. Naudé. Paris, 1628, in-8°.
Nécrologe de Port-Royal des champs (publié par dom Rivet, le premier auteur de l'Histoire littéraire de la France, et par le P. Desmares, de l'Oratoire; avec un supplément par le Fèvre de Saint-Marc). Amsterd.
(Rouen), 1723, 1735. 2 vol. in-40.
Guillelmi Neubrigensis, Rerum Anglicarum libri V. Parisiis, 1610, in-8°.
Vies des anciens poëtes provençaux, par Jean Nostradamus. Lyon, 1575, in-8°
Merc. de Fr.
P. Messie.
Mézeray.
Mille et une Nuits.
Millot, Troub.
Mir. scr. eccl.
Mischna.
Barnaba de Montalvo.
Montesq., Esp.
des lois.
Montfauc., Bib.
bibl.
Montucla.
Morin.
Mouskes.
Muratori.
Nangis.
Naudé, Apol.
Nécrolog de P.-R.
Neubrigensis.
Nostradamus.
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Notice sur la Sorbonne, Paris, Le Normant, 1818, in-8°.
Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, publiés par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Paris, 1787-1813. 9 vol.
in-4°.
Nouveau Traité de diplomatique, par des religieux bénédictins (Toustain et Tassin). Paris, 1750-65. 6 vol. in-40.
O.
Observations sur les écrits modernes (journal rédigé par Desfontaines).
Paris, 1735-43. 34 vol. in-12.
Ordonnances des rois de France, recueillies par de Laurières, de Bréquigny. M. de Pastoret. Paris, impr. royale, 1728-1820. 17 vol. in-fol.
Synonymia geographica, seu Catalogus (alphab.) variorum cujusque loci nominum. Antuerpiae, 1578, in-40.
Othonis à Sancto Blasio chronica ab anno 1146 ad 1209. — C'est une continuation d'Othon de Frisingue, imprimée à la suite de cet auteur dans la collection d'historiens d'Allemagne de Wurtisen ou Urtisius. Basil., 1584.
Francof., 1610, in-fol.
Historia doctorum Mischnicorum, autore J. Henrico Ottone. Oxonii, 1672, in-12 ; et dans le tom. IV de la Biblioth. Hebrœa de J.-Ch.
Wolf.
Casimiri Oudini Commentarius de scriptoribus Ecclesiae antiquis, cum multis dissertationibus. Francofurti et Lipsiæ, Weidman, 1722. 3 vol.
in-fol.
P.
Antonii Pagi Critica historico-chronologica in universos annales Baronii.
Antuerpias (Genevoe), 1705. 4 vol. in-fol.; et avec les Annales de Baronius, édition de 1740, in-fol.
Bibliothèque des auteurs de Bourgogne, par Philibert Papillon. Dijon, Marteret, 1742. 2 vol. in-fol.
Traité de la gravure en bois, par J.-B.Papillon. Paris, 1766. 2 vol. in-80.
Histoire générale de Provence, par Papon. Paris, 1778-86. 5 vol. in-40.
Mathæi Paris, Angli, monachi Albanensis, Historia major, sive rerum anglicarum historia à Guillelmi adventu ad annum 43 Henrici tertii.
Londini, 1640. 2 vol. in-fol.
Parthenopex, roman en vers français, traduit en espagnol. Tarragon., 1488, in-40; — en danois, Copenhague, 1572, in-8°; — en anglais, par M. Stewart Rose. Lond., 1810, in-8°. — V. aussi Collect. de poés. allem., t. III ; — Collect. d'ouvrages critiques, t. III, 36-48 ; - Notices des Mss., t. IX, 2de part., 1-84., Recherches de la France, par Etienne Pasquier. Tom. Ier de ses Œuvres.
Amsterdam, 1723. 2 vol. in-fol. Ses lettres sont dans le tom. II.
Pauli Æmilii de Rebus gestis Francorum usque ad ann. 1488 libri X. Parisiis, Vascosan, 1539, in-fol. Basileae, 1601. 2 vol. in-fol.
Acta naturæ curiosorum, 1689, in-4° (recueil publié de 1670 à 1783, 60 vol.).
La très-élégante, délicieuse, melliflue et très-plaisante histoire du trèsnoble et victorieux roi Perceforest, roi de la Grande-Bretagne. Paris, Galiot-Dupré, 1518. 6 tom. en 3 vol. in-fol.
Notice sur la S.
Notices des MSS.
Nouveau tr. de diplom.
Observ. sur les écr. mod.
Ordonn., Laurières.
Ortelii Catal.
Otto à S. BI.
J. H. Otho.
Oudin.
Pagi Crit.
Papillon, Bibl.
de Bourg.
Papillon.
Papon. H. de Prov.
Mat. Paris.
Parthenopex.
Pasq., Rech.
Paul. Æmil.
Christ. Franc.
Paullini.
Perceforest.
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Monumenta coaventûs Tolosani fratrum prædicatorum è Mss. transcripta à J. J. Percin. Tolosae, Pech, 1692, in-fol.— Ce volume est terminé par une dissertation de Academiâ Tolosanâ du même J.-J. Percin, dominicain.
Rime (Sonetti, Canzoni, Trionfi) di Fr. Petrarca. Venezia, Zatta, 1756.
2 vol. in-40. — Parigi, Prault, 1768. 2 vol. in-12.
D. Bernardi Pezii Thesaurus anecdotorum novissimus. Augustae Vindelicorum, 1721. 7 tom.,6 vol. in-fol.
Petri de Apono (sive de Abano) Conciliator differentiarum philosophorum, et præcipuè medicorum. Mantuae, 1742, in-fol., — 1643, in-fol.
Petri Blesensis Opéra, edita studio Petri de Gussanville. Parisiis, 1667, in-fol.
Petri Pictaviensis de Sententiis theologicis libri V, ad calcem Rob. Pulli.
Paris, 1665, in-fol. - Genealogia et Chronologia sanctorum Patrum ab Adamo ad Christum, autoré Petro Pictaviensi, in fronte Historiae Veteris et Novi Testamenti, à Zuinglio Juniore editae. Basileas, 1592, in-fol.
Historia Albigensium et belli sacri adversus eos, autore Petro Vallis Sarnensis monacho. Trecis, Griffard, 1615, in-8°. — Dans le tome V de la Collée, des hist. de Franc, de Duch ; — et dans le t. XIX, actuellement sous presse, du grand Recueil des mêmes historiens.
Petri de Vineis Epistolæ ( tum suo, tum Friderici II nomine ). Basileas, 1539, in-8° ; — Basileas, 1740. 2 vol. in-8°.
August. Pfeifferi Critica sacra. Dresde, 1688, in-8°.
Voyages de Jean Du Plan Carpin en Asie, dans la collection de Bergeron.
La Haye, 1735. 2 vol. in-40.
J. Plantavitii Pausani Florilegium Rabbinicum, ordine alphabetico digestum. — Bibliotheca rabbinica, complectens omnes ferè rabbinorum libros, ord. alphab. Lodevae, 1644, in-fol.
Spectacle de la nature, par Pluche. Paris, 1732-50. 8 tom., 9 vol. in 12.
Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes, ou Mémoires pour servir à l'histoire des égaremens de l'esprit humain, par Pluquet. Paris, 1662. 2 vol. in-8°.
Histoire des archevêques de Rouen, par un bénédictin (Fr. Pommeraye).
Paris, Maurry, 1667, in-fol.
Histoire de l'anatomie et de la chirurgie, par M. Portai. Paris, Didot le Jeune, 1770. 7 vol, in-12.
Liber quorumdam privilegiorum sacro ordini Cistercienci concessorum.
Parisiis, Blaisot, 1620, in-8°.
Ptolemæi Lucensis Annales, ab anno 1060 ad ann. 1303. Lugduni, 1619, in-8°. — Inséré dans le t. XXV de la Bibliothèque des Pères et dans le tome XI de la Collection de Muratori.
Roberti Pulli cardinalis Sententiarum libri VII, editi studio Hugonis Mathoud. Parisiis, Piget, 1665, in-fol.
Q.
Della Storia e della Ragione d'ogni poesia, da Francesco Saverio Quadrio.
Bologna e Milano, 1739-52. 7 vol. in-40.
Percin.
Petrarca, Canz.
Pez, Thes.
P. de Apono.
t
P. Bles.
P. Pictav.
P. de VauxSernay.
P. de Vineis.
Pfeffer.
Plan Carpin.
Planiavit.
Pluche.
Pluquet.
Pommeraye.
Portai.
Priv. ord. Cist.
Ptolem. Luc.
Rob. Pull.
Quadrio.
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R.
Abrégé de l'histoire de l'abbaye de Port-Royal, par Jean Racine, deux parties dans le tome IVe de ses Œuvres, édition de Herhan, 1801.
5 vol. in-12.
Réflexions sur la poésie, etc., par Louis Racine fils. Dans le recueil de ses Œuvres Paris, 1752. 6 vol. in-12, min. Paris, 1808. 6 vol. in-80, et dans les Mémoires de l'Acad. des Inscrip. et Belles-Lettres.
Abrégé d'histoire ecclésiastique, avec des réflexions, par l'abbé Bonaventure Racine. Paris, 1746-56. 13 vol in-12.
Chronica de las tres ordenes y cavalleri as de Santiago, Calatrava y Alcantara, por F. de Rades y Andrada. En Toledo, 1572, in-fol.
Viaggi raccolti da Giov. Batt. Ramusio. Terza edizione. Venezia, Giunti, 1563-85. 3 vol. in-fol.
Histoire de la ville de Toulouse, par Jean Raynal, avocat. Toulouse, 1754, in-40.
Choix des poésies originales des troubadours (précédé des preuves historiques de l'ancienneté de la langue romane, de recherches sur l'origine et la formationdecette langue, des élémens de la grammaire romane avant l'an 1000, de la grammaire de la langue des troubadours, de dissertations sur ces poëtes et sur les différens genres de leurs ouvrages, etc.). Paris, Firmin Didot, 1816-1821. 6 vol. in-8°, dont le dernier contient une grammaire comparée des langues de l'Europe latine.
Hadriani Relandi Analecta rabbinica, complectentia libros quosdam singulares, etc. UltrajecLi, 1723, in-8°.
Gesta Philippi Augusti Francorum régis, descripta à magistro Rigordo.
Dans le tome V de Duchesne, et dans le tome XVII de la collection des Historiens de France, continuée par M. Brial.
Annales ecclesiastici, post Baronium producti ab anno 1198 ad 1565, ab Odorico Raynaldo (Rinald-i). Romæ, 1646-77. 10 vol. in-fol.
(Roberti Abolant) monachi Sancti Mariani Altissiodorensis Chronicon Altissiodorense usq ue ad annum 1212, editum à Nicolao Camusat. Trecis, Moreau, 1608, in-40.
Le Parnasse occitanien, ou Choix de poésies originales des troubadours, tirées des manuscrits nationaux, par M. de Rochegude. Toulouse, Bénichet, 18 19, in-8°.
Rogeri de Hoveden Annales ab anno 732 ad 1201. Pag. 401-429 Collectionis Savilianœ quæ inscribitur Scriptores rerum anglicanarum post Bedam prœcipui.
Recherches sur les prérogatives des dames chez les Gaulois, sur les cours d'amour, etc., par le président Rolland. Paris, 1787, in-12.
Le Roman de la Rose, par Guillaume de Lorris et Jean de Meung dit Clopinel. Paris, 1735. 3 vol. in-12; édition de Lenglet Du Fresnoy, avec le glossaire de Lantin de Damerey. Dijon, 1737, in-12. — Paris, Didot, 1798. 5 vol. in-8°. — Édition de M. Méon. Paris, Didot, 1814. 4 vol.
in-8°.
Glossaire de la langue romane, par M. de Roquefort. Paris, Warée, 1808.
2 vol. in-8°.
Racine, His. de P.-R.
Racine fils.
Racine, Hist.
ecclés.
F. Rades.
Ramusio.
J. Raynal., H.
de T.
Raynouard. Ch.
de P.
Reland. Anal.
rabb.
Rigord.
Rinald. Ann.
Rob. Chronic.
Altiss.
Rochegude.
Roger de Hoved.
Rolland, Cours d'amour, Roman de la Rose.
Roquefort, Gloss.
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État de la poésie française au XIIme et au XIllme siècle, par M. de Roquefort, ouvrage couronné par l'Académie des Inscript, et Belles-Lettres.
Paris, 1815, in-8°.
J. Bernardi de Rossi, Bibliotheca judaica anti-christiana. Parmæ, 1808, in-8°
Dizionario storico degli autori Ebrei più illustri, e delle principali loro opere, da Giov. Bern. de' Rossi. Parma, Bodoni, 1802. 2 vol. in-8°.
Manuscripti Codices hebraici bibliothecss J. Bern. de Rossi, ab ipso descripti et iliustrati. Parmae, 1803. 3 vol. in-8°.
Dictionnaire de musique, par J.-J. Rousseau. T. XVII et XVIII de ses Œuvres, édit. de Kehl, 1785, in-12 min.
Histoire eccl. et civile de la ville de Verdun (par Roussel, publiée par Lebeuf). Paris, 1745. 1 vol. in-4°.
P. J. Bern. Mariæ de Rubeis Dissertationes criticæ et apologeticoe de gestis scriptis et doctrinâ S. Thomæ Aquinatis. Venétiis, 1750, in-8°.
Voyage de Guill. de Rubruquis en Asie, en 1253 ; dans la collection de Bergeron. La Haye, 1735. 2 vol. in-40.
Fœdera, conventiones, litteræ et cujuscumque generis acta publica, inter reges Angliae et alios quosvis imperatores, reges, etc., studio Thomae Rymer. Haga-- Com., 1745. 10 vol. in-fol.
S.
Calila et Dimma, ou Fables de Bidpaï, en arabe; précédées d'un mémoire sur l'origine de ce livre et sur les diverses traductions qui en ont été faites dans l'Orient, etc., par M. Silvestre de Sacy. Paris, imprimerie royale, 1816, in-4°.
Mémoires sur l'ancienne chevalerie, politique et militaire, par La Curne de Sainte-Palaye. Paris, 1781. 3 vol. in-12. — Et dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres; recueil où se trouvent aussi les dissertations de Sainte-Palaye sur les Chroniques de Saint-Denis, sur Rigord, Guillaume le Breton, Guillaume de Nangis, etc.
Bibliotheca Belgica manuscripta, sive Elenchus universalis codicum manuscriptorum in celebrioribus Belgii bibliothecis asservatorum, digestus ab Antonio Sandero. Insulis, 1641, in-40
Ejusdem, Chorographia sacra Brabantias. Bruxelles, 1659. 2 vol. in-fol.
De claris archigymnasii Bononiensis professoribus à sæculo XI ad XIV; opus P. D. M. Sarti. Bononiæ, 1769 et 1771. 2 vol. in-fol.
Histoire et Recherches des antiquités de la ville de Paris, par Henri Sauval. Paris, 1724. 3 vol. in-fol.
Anglicarum rerum Scriptores post Bedam præcipui; editi ab Henr. Savilio.
Londini, 1596, in-fol.; Francof., 1611, in-fol.
De Historiâ Francorum ab anno 900 ad 1285, scriptores veteres undecim, è bibliothecâ Petri Pithæi editi. Francofurti, 1596, in-fol.
Historiae Francorum Autores, collecti ab Andreâ Duchesne. Parisiis, 1636.
5 vol. in-fol.
Rer. gallicarum et francicarum scriptores. Recueil des historiens de France, par dom Bouquet et autres bénédictins. — Depuis le t. XIV, par M. Brial, membre de l'Institut. Paris, 1736-1822. 18 vol. in-fol.
Roquef., État de la P.
De Rossi.
J.-J. Rouss., Dict. de musique.
Roussel.
De Rubeis.
Rubruquis.
Rymer.
S. de Sacy.
Sainte-Palaye.
Sander.
Sarti.
SauvaI. -
Saville, Scrip
rer. angl.
Script, rer. fr.
Pith.
Script, rer. fr.
Duch.
Scr. rer. gall.
Bouquet.
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Scriptores rerum germanicarum, collecti à Simone Schardio. Basileae, 1574. 3 vol. in-fol.
Scriptores de rébus germanicis ab Henrico ad ann. 1400, collecti à Christiano Urtisio (Wurtisen). Francofurti, 1670. 2 tom., 1 vol. in-fol.
Scriptores rerum germanicarum aliquot insignes, collecti à Pistorio. Editio 3a , curâ Burch. Gotth. Struvii. Ratisbonæ, Conr. Pez, 1726. 3 vol.
in-fol.
Inventaire général de l'histoire de France, par de Serres. Paris, Guillemot, 1608. 4 vol. in-8°. Rouen, 1660. 2 vol. in-fol.
Histoire critique du Vieux Testament, par Richard Simon. Amsterdam, 1785, in-40.
Histoire de l'origine et du progrès des revenus ecclésiastiques, par Jérôme Acosta (Richard-Simon), 1709. 2 vol. in-12.
Extraits des poésies desXIIme, XIIIme et XIVme siècles, publiés par Sinner, in-12.
De la Littérature du midi de l'Europe, par M. Simonde de Sismondi.
Paris, Treuttel et Wurtz, 1813. 4 vol. in-8°.
Sixti Senensis Bibliotheca sancta. Lugduni, 1576, in-fol. ; Parisiis, 1610, in-fol. ; Coloniæ, 1626, in-4°. ; Neapoli, 1742. 2 vol. in-fol.
A compleate system of optick, in four books, by Rob. Smith. Cambridge, 1738, gr. in-4°, fig. — Traité d'optique, par Smith, traduit en français par Pezenas Avignon, 1767. 2 vol. in-4°, fig. — (trad. par Duval le Roi). Brest, 1767, in-4° , fig.
Specimen sapientiæ Indorum veterum, sive liber dictus Kulila et Dimna; græcè et latinè, operâ Sebast. Gott. Starkii. Berolini, Rudiger, 1697, in-8° min.
Henrici Spelmanni Glossarium archæologicum. Londini, 1664, in-fol.
Spicilegium sive Collectio veterum aliquot scriptorum ; curâ Lucæ Dachery. Parisiis, 1655-77. 14 vol. in-4°. Parisiis, Montalant, 172 3.
3 vol. in-fol.
Henrici Spondani Annales sacri et ecclesiastici. Parisiis, Lanoue, 1639, 1641. 6 vol. in-fol.
Stephani Tornacensis Epistolæ, notis illustratæ à Claudio du Molinet. Parisiis, 1679, in-8o.
Fr. Swertii Athenæ Belgicæ. Anvers, 1628, in-fol.
Synodicon Ecclesiae Parisiensis, editum jussu et curâ Francisci de Harlay, archiepiscopi. Parisiis, Muguet, 1674, in-8°.
T.
Opere di Torquato Tasso; Gierusalemme liberata, etc. Firenze, Tartini, 1724. 6 vol. in-fol.
Voyages de Tavernier en Turquie, en Perse et aux Indes (Hollande), 1679. 3 vol. in-12.
Histoire de la jurisprudence romaine, par Ant. Terrasson. Paris, 1750, in-fol.
Tertulliani, de Prœscriptionibus contrà hæreticas liber ; inter ejus Opéra.
Parisiis, 1664, in-fol.
Histoire du Berry et du diocèse de Bourges, par Gasp. Thaumas de la Thaumassière. Bourges, 1689, in-fol.
Script rer.
germ. Sch.
Script rer.
germ. Urtis.
Script rer.
germ. Pist.
De Serres, Inv.
R. Simon, Hist.
du V. T.
R. Simon, Rev.
eccl.
Sinner.
Sismondi., Litt.
du Midi.
Sixt. Sen. Bibl.
Smith. Opt.
Specim sap.
Ind.
H. Spelman.
Spicil. d'Achery.
H. Spond.
Steph. Tornac.
Swert.
Synodic. Eccl.
Par.
T. Tasso.
Tavernier,Voy.
Terrasson, H.
de la juris.
Tertull., de Præscr.
Thaumassière.
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Coutumes de Beauvoisis ;'Assises de Jérusalem,et autres anciennes coutumes, avec des notes et un glossaire, par Thaumas de la Taumassière. Bourges, 1690, in-fol.
Theodori Cantuariensis episcopi Pœnitentiale, curâ Jacobi Petit. Parisiis, in-4°.
Poésies du roi de Navarre Thibault, avec des notes et un glossaire (par l'Évesque de la Ravallière). Paris, Guérin, 1742. 2 vol. in-8° min.
S. Thomas AquinatisOpéra omnia. Romæ, 1570, 71. 17 tom., 18 vol. in-fol.
Vitæ B. Jordani; — B. Lutgardis, monialis de Aquiriâ; — B. Mariæ Ogriacensis; — B. Christinæ dictae mirabilis, autore Thomâ Cantimpratensi.
Dans les Acta sanctorum des Bollandistes. Février, tom. II; Juin, t. III et IV ; Juillet, t. V. etc.— Ejusdem Thomæ Cantimpr. Bonum universale de apibus, editum curâ G. Colvenerii. Duaci, 1627, in-8°.
Disciplina ecclesiastica vetus et nova, autore Lud. Thomassin, congr. Oratorii presb. Paris, 1725. 3 vol. in-fol.
Storia della letteratura italiana, da Girol. Tiraboschi ; seconda edizione Modenese, 1787-94. 6 vol. in-4°.
Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, par le Nain de Tillemont.
Paris, 1693. 16 vol. in-4°.
Bibliotheca Patrum Cisterciensium, operâ Bertrandi Tissier. Bonofonti, 1660. 6 vol. in-fol.
Vie de saint Thomas, par Ant. Touron, dominicain. Paris, 1737, in-4°.
— Histoire des hommes illustres de l'ordre de Saint-Dominique, par le même. Paris, 1643. 6 vol. in-4 0.
Relazioni d'alcuni viaggi fatti in diverse parti della Toscana, da Giov.
Targioni Tozzetti, ediz. seconda. Firenze, 1768-79. 12 vol. in-8°.
Œuvres choisies de L. de la Vergne de Tressan. Paris, 1787-91. 12 vol.
in-12, fi g.
Joannisde Tritenheim (Trithème), abbatis Spanhemensis, liber de scri ptoribus ecclesiasticis, in Bibliothecâ ecclesiasticâ J.-Alb. Fabricii.
J. Trithemii liber de viris illustribus Germaniae; interejus opera historica.
Francofurti, 1601. 2 part. in-fol.
J. Trithemii Annales Hirsaugienses, sive monasterii sancti Galli. Typis ejusdem monasterii, 1690. 2 vol. in-fol.
Nicolai Triveth Chronicon ab anno II 36 ad 1307. Dans le tome VII du Spicilège de Dachery, in-4°.
Veterum Patrum latinorum Opuscula nunquam antehac édita, in lucem emissa curâ J. Chrysostomi Trombellis. Bononiæ, 1751, 1755. 2 tom.
La Diplomatica o l'Arte di conoscere l' età de codici, da Giov. Cr. Trombelli. Napoli, 1780, in-12.
U.
Ferdinandi Ughelli Italia sacra. Romæ, 1644-62. 9 vol. in-fol. — Editio secunda, studio Nicolai Coleti.Venetiis, 1717-722. 9 tom., 10 vol.
in-fol. — Tertia, Florentiæ, 1763. 10 vol. in-fol.
Thesaurus antiquitatum sacrarum, complectens selectissima clarissimorum virorum opuscula, in quibus veterum Hebraeorum mores, etc., illustrantur; studio Blasii Ugolini. Venetiis, 1744 69. 34 vol. in-fol.
Gravissimæ quaestionis de christianarum Ecclesiarum successione et statu, historica explicatio, autore Jacobo Usserio. Londini, 1613, in-40.
Thaumass , Ass.
Theodor. Pœnit.
Thibault, Poés.
Thom. Aquin.
Thom. Cantimp.
Thomassin.
Tiraboschi.
Tillemont.
Tissier, Bibl
PP. Cist.
Touron.
Tozzetti, Viag.
Tressan.
Trithem Scr
eccl.
Trith. ill. Germ.
Trith. Ann.
Hirs.
Triveth.
Trombelli Vet.
Scr.
Trombelli, Dipl.
Ughelli It. S.
Ugolin. Antiq.
heb.
Usserius, de Succ. Eccl.
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V.
Histoire générale de la province de Languedoc, avec les pièces justificatives, par (dom Claude de Vie, et) dom Vaissette. Paris, Vincent, 1730.
5 vol. in-fol.
Valerii Andreæ Bibliotheca Belgica. Lovanii. 1623, in-8°; 1643, in-40; et dans la Bibl. Belgica de Foppens.
Histoire de France, par Velly, Villaret et Garnier. Paris, 1770-89. 16 vol. in-4°, ou Paris, 1755, etc. 32 vol. in-12.
Storia Fiorentina di Giov. Villani. Fiorenza, Giunti, 1587, in-4°. — Le Storie Fiorentine di Giovanni, Matteo et Filippo Villani. Milano, 1729, 2 vol. in-fol ; — et dans les tomes XIII et XIV de la collection de Muratori.
Histoire de l'empire de Constantinople sous les empereurs français, par Geoffroy de Villehardouin. Edition donnée par Dufresne du Cange.
Paris, imprimerie royale, 1657, in-fol. ; et dans le tome XVIII du Recueil des historiens de France.
Œuvres poétiques de François Villon. Paris, Coustelier, 1723, in-8° min.
Vincentii Bellovacencis Opéra, seu Speculum quadruplex, naturale, doctrinale, morale et historiale, etc. Duaci, 1626. 4 vol. in-fol.
Anglicæ Historiæ libri XXVI, autore PolydoroVergilio. Basileæ, Simgryn, 1534, in-fol.; Londini, 1649. 1 vol. in-8°.
Jacobi de Vitriaco historiæ orientalis et occidentalis libri très. Duaci, 1597, in-8° ; - et dans le recueil de Bongars, intitulé : Gesta Dei per Francos.
Bibliotheca scriptorum ordinis Cisterciensis, autore Carolo de Visch. Coloniæ Agrippinæ, 1656, in-4°.
J. Ludovici Vives de causis corruptarum artium libri VII ; de tradendis disciplinis, V ; de artibus, VIII. Lugduni, 1551, in-8°.; et dans le t. Ier de la collection des Œuvres de Vivès. Bâle, 1555. 2 vol. in-fol.
Histoire du parlement de Paris, par Voltaire, dans les collections de ses Œuvres, t. XXX de l'édition de Kehl, 1785, in-12 ; t. XIX de l'édition de M. Beuchot. Paris, 1818, in-12.
Gerardi Joannis Vossii de historicis latinis libri III. Lugduni Batavor., 1651, in-4°, et t. IV de la collection des Œuvres de Vossius. Amst., Blaeu, 1695-1701. 6 vol. in-fol.
W.
Annales Minorum, seu Historia trium ordinum sancti Francisci, autore Lucâ Waddingo. Romæ, 1731 et ann. sqq. 17 vol. in-fol.
Anglia sacra, sive Collectio historiarum de archiepiscopis et episcopis Angliæ, curâ Henrici Warthon. Londini, 1691 et 92. 2 vol. in-fol.
Vaissette.
Valer. Andr.
Velly.
Villani.
Villehardouin.
Villon.
Vincent. Bell.
Polydor. Virgil.
Jac. de Vitri.
De Visch.
Vivès.
Voltaire, Hist.
du Parl.
Voss. de Hist.
lat.
Wadding.
Warthon.
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History of English poetry, byTh. Warton. London, 1773-81. 3 vol. gr.
in-4°
Les Antiquités de la Gaule belgique, royaume de France, Austrasie et Lorraine, par Richard de Wassebourg. Paris, 1549, in-fol.
Arnoldi Wion, Lignum vitæ, ornamentum et decus Ecclesiæ, sive de illustribus Cassinensibus libri V. Venetiis, 1585. 2 vol. in-8°.
Joannis Christ. Wolfii Bibliotheca hebræa, seu Notitia auctorum hebræorum. Hamburgi et Lipsiae, 1715-33. 4 vol. in-4°.
Z.
Historia et Veris et Novi Testamenti, studio Zuinglii Junioris. Basileæ, 1492, in-fol.
Warton., Engl.
P.
Wassebourg.
Wion.
J. Wolf. Bibl.
hebr.
Zuingl. Jun.
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TABLE
DES ARTICLES CONTENUS DANS CE VOLUME.
A VERTISSEMEMT Page v TABLEi DES CITATIONS. xj TABLE DES ARTICLES. xliij ERRATA. xlvij
DISCOURS SUR L'ÉTAT DES LETTRES EN FRANCE AU XIII° SIÈCLE.
I. Tableau général de l'état des Églises et des empires. 1 1 I. Aperçu particulier de l'histoire civile de la France en ce siècle. 9 III. Mœurs et usages. 12 IV. Considérations générales sur les hommes de lettres de ce temps. 20 * V. Protection accordée aux lettres par les princes, spécialement par les rois de France 31 VI. État des livres et des bibliothèques. 34 VII. État des écoles et des universités 39 VIII. Méthode et caractère de renseignement; la scholastique 59 IX. Disputes, sectes, hérésies et Inquisition 64 X. Théologie 69 XI. Jurisprudence canonique 74 XII. Jurisprudence civile 80 XIII. Médecine.,., 94 XIV. Philosophie, métaphysique et morale. 100 XV. Sciences physiques , ., 106 XVI. Sciences mathématiques 112 XVII. Géographie et voyages 120 XVIII. Chronologie et histoire 127 XIX. Études et usage des langues anciennes 138 XX. Langues vulgaires 146 XXI. Rhétorique et genre oratoire, sermons 162 XXII. Genre épistolaire 166 XXIII. Romans en prose 168 XXIV. Poésie latine. 183 XXV. Poésie provençale. 194 XXVI. Poésie française 208 XXVII. Spectacles 241 XXVIII. Conclusion.,. t. i «i.j 245-54
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DISCOURS SUR L'ÉTAT DES BEAUX-ARTS EN FRANCE AU TREIZIÈME SIÈCLE. , , .,. 255 ART MUSICAL. 257 I. La musique fut-elle moins cultivée au XIIIe siècle que dans les siècles précédens? - Les trouvères, ménestrels, etc., se multiplient à l'excès. - Rang qu'occupe dans les arts la musique.
au XIIIe siècle. 257 et suiv.
II. Musique des églises; adoption d'un nouveau système musical.
— Invention ou du moins introduction du contre-point. 258 et suiv.
III. Hymnes nouveaux ; fêtes dans les églises 264 IV. Auteurs de traités sur la musique 267 V. Musique profane. — Chansons des trouvères. - Auteurs de chansons, — Décadence de la classe des trouvères, ménestriers, etc. — Instrumens de musique. 268 et suiv.
VI. Caractères des compositions musicales. — J eqx scéniq ues.
, , .,.,.,. 274 et suiv.
ARTS DU DESSIN 280 I. Architecture. De l'architecture prétendue gothique. - Origine diverse attribuée à cette architecture. — Nouvelle hypothèse sur sa véritable origine. — Recherches sur l'époque où les églises des Gaules et de quelques pays au nord de l'Italie furent construites en pierre et dans le genre dit gothique. — Principales églises de style xyloïdique élevées en France dans le XIIIe siècle. — Hôpitaux, écoles, ponts, etc. 280-3 13 II. Sculpture. Emploi de la sculpture dans les édifices du XIIIe siècle. — Tombeaux. — Orfèvrerie. — Sceaux, médailles et monnaies III. Peinture. Tapisseries. — Peintures au blanc d'œuf et à l'huile.
— Miniatures des manuscrits. - Gravure sur métal et sur bois 320 et suiv.
IV. Quelques artistes du XIIIe siècle 327 V Parrallèle entre l'état des beaux-arts en Italie au XIIIe siècle et l'état des beaux-arts en France ., ',' 328 et suiv.
SUR QUELQUES RABBINS DU COMMENCEMENT DU XIIIe SIÈCLE.
Salomon J archi , , , , 337 Calonyme ou Kolonyme, fils de Juda. 355 Abraham, fils de Salomon Jarchi * 356 David, ben Joseph, ben Ki mchi , 36o
De quelques autres rabbins qui vivaient à peu près à la même époque.
Abraham, fils dlsaac$74 Abraham, fils de David » ibid.
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Eliezer, ben Nephtali 374 Jonathan Sceliach Tzibbur 375 Joseph Tou Alem, ben R. SamueL. 376 Isaac Bar Abba.-. 377 Isaac, fils d'Abraham. 379 Jehudad al Charizi ..,. ibid.
Judas bar Saül, Aben Tibbon. 381 Moïse Cohen, ou le Prêtre. 385 Ph régoras 386 Salomon, petit-fils de Schimschon ibid.
Samuel de Lunel ibid.
Samuel, fils de Salomon. 387 Si mson, fils d'Abraham 388
Simon, chanoine de Tournai, vers l'an 1201. 388 Guillaume de Bomy, abbé de Donmartin, mort en 1201. 395 Alain de Lille, surnommé le Docteur universel, vers l'an 1202. 396 ■ Garnier de Rocheforr, évêque de Langres, mort vers 1202. 425 Pierre, abbé de Pontigni et de Cîteaux, évêque d'Arras, mort en 1 203 , ,. , , 431 Élie de Coxida, abbé des Dunes, mort en i2o3.. 433 Adam, abbé de Perseigne, vers 12o3. 437 Guy de Bazoches, vers 1203 * 447 Absalon, abbé de Saint-Victor de Paris, mort en i2o3. 451 Saint Guillaume, abbé du Paraclet, mort en i2o3 454 Jean de Belmeis, évêque de Poitiers, puis archevêq ue de Lyon, vers i2o3 ., , '; ,., , , , , 477 Pierre de Poitiers, chancelier de l'Eglise de Paris, mort en 1205. 483 Hugues Camp-d'Avenne, comte de Saint-Paul, mort en 1205 ; et Jean de Noyon, mort en 1204 490 Gervais, prieur de Saint-Seneric, et Gervais, moine de Cantorbéry, vers 1206 494 Guy de Paré, abbé du Val, puis de Cîteaux, ensuite cardinal .évêque de Palestine, enfin archevêque de Reims, mort en 1206.
Hugues des Noyers, évêque d'Auxerre, mort en 1206. 504 Gilles de Corbeil, médecin et poëte, vers 1206 5o6 Thomas Rodolius ou Rodelius, moine d'Igni 5i2 Alexandre de Tlsle, moine de Corbie 5 15 Rostang, moine de Cluni, après 1206 5i 7 Baudouin, comte de Flandre et de Hainault, puis empereur de Constantinople, mort en 1207 521 Lambert d'Ard res, historien, mort après 1207. 528 Nevelon de Cherisy, évêque de Soissons, mort en 1207. 531 Gautier de Coutance, archevêque de Rouen, mort peu après 1207. 535 Pierre d'Auxerre, vers 1207 561 Albert de Hirgis ou de Herge, 58e évêque de Verdun, mort en 1208 , 563 Guibert, abbé de Gembloux et de Florenne, mort en 1208 566
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Odon de Sully, évêque de Paris, mort en 1208. ,. 574 Praepositivus, chancelier de l'église de Paris, mort vers 1209. 583 Amaury de Chartres et ses disciples. 586
Auteurs d'opuscules composés à la fin du XIIe ou au commencement du XIIIe siècle.
Hilduin, chancelier de l'Église et des écoles de Paris 5gr Jean Dalich ou d'Alich • 592 Pierre, chanoine de Saint-Martin de Troyes. ibid.
Gérard, abbé de Barbeaux ibid, Rodolphe ou Raoul, évêque de Nîmes 593 Anonyme, auteur d'une chronique et d'une généalogie des rois de France. i'bid.
Anonyme, auteur d'une chronique des comtes du Brabant. ibid.
Autre anonyme, moine d'Egmond, qui termine une chronique belgique 595 Anonyme, auteur d'une relation d'un miracle de sainte Geneviève 596 Gui, instituteur de l'ordre des Hospitaliers du Saint-Esprit de Montpellier. 599 TABLE ALPHABÉTIQUE DES PERSONNES ET DES MATIÈRES , 609
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ERRATA
PAGE 4, ligne 36, arêtèrent, lisez arrêtèrent.
P. 6,1. 5, Chitson, lisez Chi-tsou.
P. g, 1. 7, Après Leycester, ajoutez (fils de Simon de Montfort).
P. 15, 1. 24, 1206, liser 121 6.
P. 22, 1. 37, dix, User deux.
P. 23, 1. i5, Quoiqu'on, lisez Quoi qu'on.
P. 33, 1. 12, effacez le premier mot même.
P. 34, 1. 38 et 39, commençait, lisez s'appliquait.
P. 44, 1. 40, foent, lisez font.
P. 46, 1. 25, 1208, User 1209.
P. 51, 1. 12 et t3, effacez saint.
P. 53, 1. 3o, bizantins, lisez bysantins.
P. 55, 1. 3o, quoi-, lisez quoi.
1. 41, 1253, LISEZ 1254.
P. 62, 1. 8, effacez des séries.
P. 64, 1. 42, et. lisez ou.
P. 71, 1. 1, Gerson, lisez Gersen.
P. 74, 1. 27, atrribué, lisez attribué.
P. 77,1. 21, Battoni, lisez Boltoni.
P. 79,1. 23, Envain, lisez En vain.
P. 80, 1. 5, que pour, lisez qu'afin de.
P. 81, 1. 25, communauté, des, lisez communauté des (sans virgule).
P. 82, 1. 20, ou, lisez où.
1. 38, subsitait, lisez subsistait. Froissard, lisez Froissart.
P. 85, 1. 6, Envain, lisez En vain.
P. 86, 1. 4, quoiqu'en, lisez quoi qu'en.
P. 88, 1. 35, effacez trois.
P. 89,1. 27, Desfontaines, ce mot doit commencer un alinéa.
P. go, 1. 3 et 4, une assez grande différence pour, lisez des différences de rédaction qui autorisent à.
P. 96, à la fin des lignes 36 et 37, maié malgrs, lisez mais malgré.
P. 106,1. 41, a faits, lisez fit alors.
P. 109, 1. 23, Lesage, lisez le Sage.
P. 114, 1. 1, des, lisez les.
P. 115, 1. 8, et sur la, lisez et la.
P. 140, 1. 38, Thalmud, lisez Talmud P. 162,1. 25, treizième, lisez douzième.
P. 164, 1. 40, astidieux, lisez fastidieux.
P. 200,1. 13, poésies, lisez chansons.
P. 202, 1. 15, antres, lisez autres.
P. 203, 1. 36, après d'effacer, ajoutez en éclat.
P. 209, 1. 34, d'Angtererre, lisez d'Angleterre.
P. 227, 1. 7, quoiqu'on lisez quoi qu'on.
1. 27 et 28, Gugème, liser Gugemer.
P. 228, ligne dernière, XVIII, lisez XXVIII.
P. 240, 1. 14, un plus grand nombre de, liser de plus nombreux.
P. 249, I. 10 et II des livres, lisez de la lecture.
P. 262, première ligne, dès la fin du treizième siècle, lisez du onzième.
P. 266, ligne 4 de la note, du stye, lisez du style.
P. 266, 1. 33, de chaque saint, lisez de chaque église.
P. 257, 1. 16, un célèbre Michalus, lisez un certain Michalus.
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P. 274, 1. 1, cet instrument était absolument le même, supprimez absolument.
P. 296, 1. 12, le plus ou le moins de largeur, lisez d'épaisseur.
P. 3oo, dernière ligne, c'était surtout autour des chœurs, lisez c'était aussi sur les murs des chœurs.
P. 3o6, 1. 5, commencé, lisez commencée.
P. 5o2, 1. 10 et 11, reconnu, lisez reconnus.
P. 584, 1. 19, Hémeri, lisez Hémeré.
1. 27, effacez en 1237, et au lieu de Guinard, lisez Guiard.
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DISCOURS
SUR
L'ÉTAT DES LETTRES EN FRANCE AU XIIIe SIÈCLE.
LES événemens politiques et les institutions eccclésiastiques ont continué d'exercer durant le XIIIe siècle une telle influence sur les belles-lettres, les sciences et les arts, qu'il est impossible d'étudier avec méthode et avec fruit l'histoire littéraire de cette époque, si l'on ne commence par se former une idée générale de l'état des empires et des églises. Le tableau fort resserré que nous en allons tracer, nous dispensera de joindre à l'exposé des progrès de tous les genres de littérature, des explications qui seraient à-la-fois moins claires et plus longues.
De toutes les puissances qui régissaient alors le monde, la plus forte, la plus active, et bien souvent aussi la plus éclairée était celle des pontifes romains. Innocent III, quoiqu'il ne régnât immédiatement que sur une partie de l'Italie, domina, durant dix-huit ans, l'Europe entière. Sa vaste correspondance embrasse toutes les affaires importantes qui ont occupé les rois et les peuples depuis 1198 jusqu'en 1216. Il eut, dans le cours du siècle, dix-sept (1) successeurs qui n'héritèrent point de son génie, mais entre les mains desquels se perpétuait, quoiqu'en s'affaiblissant, la suprématie politique qu'il avait acquise. L'un des plus célèbres fut Grégoire IX, dont saint Louis, plus qu'aucun autre souverain, arrêta les entreprises, et qui a moins influé sur le monde
(1) Honorius, depuis 1216 jusqu'en 1227.—Grégoire IX, 1227-1241.
— Célestin IV, en 1241.— InnocentIV, 1243-54. — AlexandrelV, 1254-61.
— Urbain IV, 1261-64. — Clément IV, 1265-68, - Grégoire X, 1271-76.
— Innocent V et Adrien V, en 1276. — Jean XXI, 1276 et 1277. — Nicolas III, 1277-80. — Martin IV, 1281-85. — Honorius IV, 1285-81. —
Nicolas IV, 1288-92. — Célestin V, en 1294. —Boniface VIII, 1294-1303.
XIIIe SIECLE.
I.
Tableau général de l'état des églises et des empires au XIIIe siècle.
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par ses démêlés avec les rois, que par la publication d'un nouveau code ecclésiastique. Depuis le décret de Gratien, les décisions pontificales s'étaient extrêmement multipliées. Trois papes surtout, Alexandre III, Innocent III, et Grégoire IX lui-même, en avaient rendu un très-grand nombre. Grégoire les fit recueillir, sous le nom de Décrétales, en une seule collection, qui étendit à beaucoup de matières civiles la jurisprudence canonique. Peu après cependant, on vit Innocent IV, engagé dans plusieurs luttes politiques, principalement contre l'empereur Frédéric II, les soutenir avec plus d'activité que de succès; et déjà des prérogatives qu'on avait presque considérées comme des droits acquis, paraissaient n'être que des prétentions. Ce pontife avait entamé une négociation qui tendait à placer la maison d'Anjou sur le trône des Deux-Siciles, et qui se continua sous Alexandre IV et sous Urbain IV. Celui-ci était un Français, qui resta l'ami de ses compatriotes, et qui, ne devant son élévation qu'à son mérite personnel, continua de s'en montrer digne par sa modération et par sa piété sincère. Ce fut son successeur Clément IV qui acheva d'établir Charles d'Anjou sur le trône de Naples. Grégoire X acquit le comtat Venaissin; et après quelques autres pontificats de courte durée, la tiare, abdiquée par Célestin V, fut déférée à Boniface VIII, qui, plus qu'aucun de ses prédécesseurs, compromit la puissance du saint-siége par les efforts mêmes qu'il fit pour l'accroître. Il a laissé toutefois, sous le nom de Sexte, un sixième livre de Décrétales, qui, divisé lui-même en cinq livres, est un supplément considérable aux cinq que Grégoire IX avait publiés. Durant tout le XIIIe siècle, les papes entretinrent des légats en chaque royaume de la chrétienté, les uns pris dans les lieux mêmes où s'exerçait cette fonction, les autres expédiés du sein de la cour de Rome et distingués par le nom de légats à latere.
Il se tint trois conciles généraux: l'un à Rome, en 1215, sous Innocent III, c'est le quatrième concile de Latran ; les deux autres à Lyon, savoir, en 1245, sous Innocent IV, et en 1274, sous Grégoire X. Celui de Latran condamna les Albigeois, fit des statuts relatifs à l'administration des sacremens, et s'occupa des moyens de conquérir la Terre-Sainte. Une expédition qui tendait à ce même but, fut résolue dans le premier concile de Lyon ; le deuxième tenta de réconcilier l'Église grecque et l'Église latine. Nous avons vu naître, au XIIe siècle, l'hérésie des Albigeois; elle se prolongea dans le XIIIe, et
XIIIe SIÈCLE.
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s'y divisa en plusieurs sectes plus ou moins distinctes.
Celle des Parfaits soutenait que le règne du Saint-Esprit était advenu, qu'il remplaçait celui des deux autres personnes de la Trinité, et que désormais la grace se répandrait intérieurement dans les ames sans aucun signe extérieur, sans sacremens, sans prélats et sur-tout sans pontife romain. Les Stadings, dont le nom était celui d'un canton aux confins de la Frise et de la Saxe, furent particulièrement accusés de manichéisme. On condamna, sous les noms de Pastoureaux et de Ribauds, des bergers et des gens du peuple qu'un Hongrois nommé Jacob enrôlait en France pour la Terre-Sainte, et auxquels il enseignait en même temps des maximes contraires à quelques dogmes catholiques, mais particulièrement à l'autorité du pape et du clergé. La secte, beaucoup plus fameuse, des Flagellans, se forma vers le milieu du siècle : elle joignait à des austérités insensées une doctrine qui tendait a investir les laïcs du pouvoir d'absoudre. Plus tard parurent les Fratricelles, qui, se vantant aussi de donner l'absolution des péchés et de conférer le Saint-Esprit, déclamaient contre l'Église Romaine; et les Apostoliques, dont le chef, Gérard Ségarelle, avait annoncé le règne de l'EspritSaint, établi une prétendue règle des apôtres, et réduit tous les devoirs du christianisme à la seule charité. En général on peut dire que le XIIIe siècle n'a produit aucune, hérésie bien célèbre, puisque celle des Albigeois était née avant l'an 1200; mais elle entretint long-temps en France de violentes agitations, et l'Inquisition fut établie pour la réprimer.
Il est vrai qu'on peut découvrir dans une bulle de Lucius III, datée de 1184, la première idée de cette institution formidable; mais de fait, les premiers inquisiteurs qui se montrent dans l'histoire, sont les missionnaires qu'Innocent III envoya en Languedoc, en ordonnant aux peuples et aux princes de punir les hérétiques que ces zélés prédicateurs auraient dénoncés. Cette fonction fut ensuite exercée par les frères prêcheurs, ordre religieux dont saint Dominique jeta les premiers fondemens à Toulouse en 1216. Vers le même temps, saint Francois d'Assise instituait trois ordres de frères mineurs : le premier, qui s'est distribué en plusieurs congrégations d'observans ou de conventuels; le second, qui ne s'est composé que de congrégations de femmes; et le troisième, ou tiers-ordre, dans lequel ont été comprises diverses associations de pénitens et d'hospitaliers de l'un et de l'autre sexe. Ces trois
XIIIe SIÈCLE.
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classes de Franciscains ne forment que l'un des quatre ordres mendians : les trois autres sont les frères prêcheurs ou Jacobins, les Augustins et les Carmes. Les Augustins étaient des ermites que le pape Alexandre IV rassembla en 1256, en leur imposant la règle de saint Augustin. Les Carmes, qui s'attribuent une origine bien plus antique, ne remontent qu'à l'année 1209, époque où leur règle leur fut donnée par un patriarche de Jérusalem; quelques-uns d'entre eux furent amenés par saint Louis en France. Ce siècle, qui, outre l'ordre militaire des chevaliers de Livonie, vit encore naître les Célestins et se propager les Trinitaires, créés en 1198, devint si fécond en établissemens religieux, que Grégoire X défendit d'en augmenter le nombre. Une rivalité peu chrétienne commençait à se manifester entre le clergé régulier et le clergé séculier.
Mais la plus grande affaire de l'Europe, l'entreprise qui occupait le plus universellement les cours et les peuples, était la conquête de la Terre-Sainte. Il y avait eu une première croisade à la fin- du XIe siècle, une seconde au milieu, et une troisième à la fin du XIIe. La quatrième, projetée dès 1195" prêchée en 1202 par Foulques, curé de Neuilly, amena, pour principal résultat, la prise de Constantinople par les croisés.
Le comte de Flandre, Baudouin, fut déclaré empereur d'Orient; après lui, quatre autres Français occupèrent successivement ce trône, tandis que, retirés à Nicée, les empereurs grecs ne régnaient plus que sur quelques provinces.
Ce partage dura cinquante-huit ans, jusqu'à ce que Michel Paléologue, après avoir usurpé le faible empire de Nicée, vint s'emparer aussi de Byzance et en expulser pour toujours les Occidentaux. Le nom de roi de Jérusalem n'était qu'un vain titre, et les croisés @ ne parvenaient à s'établir solidement ni en Syrie ni en Egypte. Ils avaient pris Damiette; à peine en purent-ils rester maîtres durant deux années. Depuis, saint Louis reconquit cette place : ce fut le premier succès de la croisade qu'il entreprit après le concile de Lyon; mais la famine et la peste arrêtèrent bientôt le cours de ses triomphes. Tombé lui-même entre les mains des infidèles, il rendit Damiette, signa une trève, s'efforça d'établir et de fortifier les chrétiens dans la Palestine, et revint en France en 1254, n'ayant obtenu, pour fruit de cette expédition, que des hommages et un éclat qu'il ne cherchait point. Il repassa en Orient en 1270, et mourut dès cette année même, devant
XIIIe SIÈCLE.
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Tunis. Le pieux et judicieux Fleury (1) n'a presque rien laissé à dire sur ces entreprises calamiteuses. Il en a examiné les motifs et les moyens, démêlé les circonstances et déploré les résultats. Mais tous les grands mouvemens des peuples produisent indirectement, au milieu des désastres, quelques effets avantageux, sinon aux générations contemporaines, du moins à la postérité. Il est quelquefois réservé à de nouveaux siècles de profiter lentement des malheurs dont l'âge précédent fut accablé; et le prix excessif que de tels fruits ont coûté, n'est qu'une raison de plus de les reconnaître, de les observer, de les recueillir. Sans contredit, ce contact universel où se mettaient les nations occidentales, d'abord entre elles, puis avec les Grecs, avec les Arabes, avec l'Asie et l'Afrique, n'a pu manquer d'influer sur les langues, sur les idées, sur les arts, de rendre plus général et plus rapide le commerce de toutes les connaissances, et de préparer de loin les progrès de l'intelligence humaine. Nous aurons occasion de rendre sensible par un très grand nombre de détails la vérité de ce résultat : parmi tous les genres d'histoire, c'est à l'histoire littéraire qu'il est le plus permis de pardonner ou même d'applaudir aux croisades, en laissant aux historiens des empires, et surtout à ceux de l'Église, le droit trop incontestable de les juger sévèrement.
Ces expéditions des Européens se mêlaient aux causes qui ébranlaient la puissance des souverains de l'Orient. Cependant Mostanser, l'avant-dernier calife, fit fleurir chez les Arabes les sciences et les arts, rendit aux lois leur autorité, et obtint l'amour de ses peuples. Mais son fils Mostazem, plus vicieux encore que malheureux, fut mis à mort en 1258 : avec lui, la dynastie des Abassides et le califat s'éteignirent.
Les historiens du XIIIe siècle nous parleront souvent du sultan Méledin, opiniâtre adversaire des croisés en Egypte et en Palestine : après lui, Nodgemeddin acheta les Mamelucks, esclaves sortis de Circassie, et en composa sa garde; l'un d'eux, Ascraf Musa, usurpa le trône d'Egypte; et l'on distingue, parmi ses successeurs, Bondochar, qui se montra formidable aux Français, aux Syriens, aux Mongols et à la famille Nodgemeddin. Un autre, en 1291, acheva de chasser de la Palestine les Templiers, les chevaliers Teutoniques et tous les guerriers chrétiens. Dans l'Inde, la dynastie des
(1) Discours sur les croisades.
XIIIe SIÈCLE.
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Gaurides finit en 1212. Témugin ou Gengiskan, fils d'un khan des Mongols, conquit non-seulement l'Inde, mais une partie de la Corée, des provinces chinoises, l'Asie presque entière. Sous d'autres chefs, les Mongols pénétrèrent jusqu'en Pologne et brûlèrent Cracovie. Chitson, roi des Tartares, entreprit, à l'âge de soixante-quinze ans, la conquête de la Chine, l'envahit en effet en 1280, et fut le chef de la dynastie qui est comptée pour la vingtième.
Le XIIIe siècle est, dans l'histoire de l'Italie, le temps des plus violentes fureurs des Guelfes et des Gibelins. La Lombardie sur-tout était le foyer de ces agitations, le théâtre où éclatait la lutte engagée, depuis le siècle précédent, entre la faction dévouée à la puissance impériale et celle qui s'armait ou pour la suprématie de la cour de Rome ou pour l'indépendance de tous les États italiens. La famille des Torriani dominait depuis quarante années à Milan, lorsque, en 1295, les empereurs lui suscitèrent une rivale dans celle des Visconti. Les Vénitiens, enrichis plus qu'aucun autre peuple européen par les croisades, avaient à se défendre contre les Grecs révoltés sous la conduite d'Alexis Calerge, et contre les Génois qui leur disputaient Candie. Ils formèrent néanmoins avec les Génois et avec le pape une ligue contre l'empereur Frédéric II, et bientôt après une autre ligue contre Ezzelino, qui ravageait l'Italie septentrionale. Mais dès l'an 1254, la guerre se ralluma entre les Vénitiens et les Génois dans la Palestine même, dans l'île de Candie et dans le canal de Malte. En 1274, le doge Marc Gradenigo défit les Bolonais et leur ravit les fruits de la victoire qu'ils avaient obtenue l'année précédente. A la fin du siècle, la flotte vénitienne ayant été vaincue dans le golfe Adriatique par l'amiral génois Doria, une paix fut conclue entre les deux républiques. Celle de Gênes, agitée de troubles intérieurs, changeait perpétuellement les noms, les rapports, le système des magistratures.
L'Inquisition venait de s'établir à Venise, mais en y prenant une forme particulière : des assistans séculiers, adjoints aux juges ecclésiastiques, dirigeaient les recherches et les sentences contre les crimes d'État. Le doge Gradenigo, en abolissant les élections annuelles, avait établi l'aristocratie héréditaire.
Florence cessa en 1205 d'être gouvernée par des marquis ; cette cité et celles de Pise, de Sienne et de Lucques, formèrent quatre républiques, quelquefois liguées, plus souvent
XIIIe SIÈCLE.
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rivales, tout à fait distinctes en certains temps, presque confondues en d'autres, et dans chacune desquelles le systême des magistratures éprouvait de fréquentes variations.
En 1280, par exemple, Florence avait quatorze gouverneurs, sept du parti Guelfe et sept du parti Gibelin; deux ans après, ces magistrats étaient remplacés par trois prieurs, dont le nombre s'éleva depuis à huit, depuis le gonfalonier qui les présidait. Le Piémont et la Savoie obéissaient à des comtes de Maurienne; mais en 1268, Philippe, frère du dernier de ces comtes, prit le titre de comte de Savoie : de là une seconde série de princes, entre lesquels on distingue Amédée-le-Grand, qui commença son règne en 1285. Les Pisans et les Génois avaient conquis la Sardaigne sur les Sarrasins. Boniface VIII la donna aux rois d'Aragon; les Génois se maintinrent en possession de la Corse. Le trône des Deux-Siciles, quand Charles d'Anjou y montait, était occupé par Manfredi, qui n'avait d'abord régné qu'au nom de son neveu Conradin.
Manfredi, trahi par les Apuliens, fut vaincu; et le jeune Conradin, que les Gibelins avaient attiré en Italie, périt sur un échafaud en 1263. Cette iniquité, conseillée, dit-on, par Clément IV, rendit Charles et ses compatriotes de plus en plus odieux aux Siciliens, qui, le 3o mars 1282, égorgèrent à Palerme des milliers de Français. Après ce massacre, connu sous le nom de Vêpres Siciliennes, Pierre d'Aragon se proclama roi de Sicile; Charles II, dit le Boiteux, devint roi de Naples; et ces deux royaumes restèrent long-temps distincts.
Au contraire, l'Espagne avait vu, en 1230, le royaume de Léon réuni à celui de Castille sous Ferdinand III, dont le successeur Alfonse X, surnommé le Sage, cultiva les lettres .et fit rédiger par des juifs de Tolède les tables astronomiques surnommées Alfonsines. Après le règne de ce prince, presque tout ce qui restait de tribus maures vivait soumis aux rois de Castille, d'Aragon et de Navarre. Les Sarrasins perdaient aussi leurs établissements en Portugal; et la Péninsule, affranchie par la valeur de ses habitans, semblait tendre à un meilleur système d'administration.
En Allemagne, Philippe, fils de Frédéric Barberousse, ne régnait qu'au sein des troubles, menacé par des compétiteurs, méconnu de plusieurs États. Othon de Witelsbach l'assassina, et une nouvelle branche de la maison de Souabe parvint à l'empire. Pour s'y affermir, Othon de Brunswick, ou Othon IV, épousa la fille de Philippe; mais il régna sans
XIUe SIÈCLE.
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paix et sans gloire, et, vaincu par les Français à Bouvines, il abdiqua la couronne impériale et se confina dans ses terres de Brunswick. Frédéric II, issu de l'ancienne branche, se montra le bienfaiteur des Deux-Siciles, que son père Henri VI avait dévastées : le reste de l'Italie lui résista vivement; et il eut besoin d'une extrême activité pour se défendre contre les papes Grégoire IX et Innocent IV, qui l'excommunièrent, le déposèrent, ruinèrent sa puissance, suscitèrent une deuxième ligue lombarde, pareille à celle qu'Alexandre III avait opposée à Frédéric Barberousse. Conrad IV, fils de Frédéric II, et son petit-fils Conradin, victimes de la faction Guelfe, terminent l'histoire des princes de la maison de Souabe. Les souverains pontifes élevèrent à l'empire Guillaume comte de Hollande, puis Richard de Cornouailles, fils du prince anglais Jean-sans-Terre. C'était, en Allemagne, un temps d'anarchie, d'interrègnes, de dissensions et de désastres. Du sein de ces orages s'éleva la maison de Hapsbourg, dont le chef, Rodolphe I, vainquit Ottocare, roi de Bohême, et obtint par des concessions considérables la faveur ou l'indulgence de la cour de Rome. Son fils Albert ne régna qu'après avoir défait et tué à Spire Adolphe de Nassau, dont les infidélités avaient révolté l'Allemagne. C'est vers le milieu du XIIIe siècle qu'on aperçoit l'origine de l'association commerciale des villes anséatiques.
En Angleterre, ce siècle est rempli par les règnes de Jeansans-Terre, de Henri III et d'Édouard. Arthur duc de Bretagne, fils d'un frère aîné de Jean, semblait avoir des droits au trône, du moins selon la jurisprudence française. La France parut disposée à soutenir ces droits; mais Jean se défit d'Arthur, et fut cité, pour se justifier de ce meurtre, à la cour de Philippe-Auguste, dont il était, comme duc de Normandie, l'un des grands vassaux. Il ne comparut point, et l'on prononça la réunion de la Normandie à la couronne de France. Menacé par Philippe, Jean indisposa aussi et les barons anglais et le pape Innocent III, qui, après avoir concédé aux Français la Grande-Bretagne, ne tarda pourtant pas de se déclarer le protecteur du monarque anglais. Celui-ci, pour se réconcilier avec ses barons, signa la grande charte et se montra peu disposé à la maintenir. Par tant de faiblesse et d'injustice, Jean mécontenta si fort les Anglais, qu'ils allaient, lorsqu'il mourut, se livrer à Philippe-Auguste et prendre pour roi son fils Louis. Henri III, fils de Jean, battu à Taillebourg
XIIIe SIÈCLE.
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par saint Louis, trouva depuis dans ce prince un protecteur généreux et désintéressé. Les Anglais révoltés avaient contraint Henri à signer les statuts d'Oxford, par lesquels le pouvoir royal était encore plus limité. Le comte de Leycester, chef de cette rébellion, périt à la bataille d'Evesham, qu'il soutenait contre les Royalistes : selon toute apparence, c'est à ce Leycester que les Anglais doivent leur chambre des communes. Édouard I, durant le règne de son père Henri III, s'était distingué dans une croisade et en des combats contre les rebelles d'Angleterre, avec lesquels toutefois il avait commencé par se liguer. Sur le trône il montra fort peu de mo- dération : il persécuta les Juifs; on l'accuse d'avoir fait massacrer des bardes Gallois; il voulut soumettre l'Écosse et dévaster la France. Mais il subsiste plusieurs vestiges de ses statuts dans le système politique de l'Angleterre, spécialement en ce qui concerne les juges de paix, les deux chambres du parlement et la formation de la loi.
La France, dont nous avons à continuer l'histoire littéraire depuis l'an 1201 jusqu'en 1300, fut successivement gouvernée durant ce siècle par Philippe-Auguste, Louis VIII, S. Louis, Philippe-le-Hardi et Philippe-le-Bel. Philippe-Auguste régnait depuis 1180 : en 1202, après avoir condamné Jean-sansTerre, il conquit non-seulement la Normandie, mais la Touraine, l'Anjou, le Maine, tout ce que les Anglais possédaient en France, à l'exception de la Guienne. La réunion de l'Auvergne, du Vermandois, de l'Artois, datent du même règne, qu'il faut considérer comme l'une des' époques de l'agrandissement du pouvoir royal et de l'affaiblissement de la puissance des seigneurs. Philippe ne partit point pour la croisade de 1204 : il sentit le besoin de rester au sein de ses États. Il traita les Juifs avec plus de clémence que les Albigeois, contre lesquels néanmoins il s'abstint de prendre luimême les armes. Mais il laissa une libre carrière au zèle de Simon de Montfort, qui s'empara des possessions du comte de Toulouse. Avant de descendre en Angleterre pour détrôner le roi Jean, Philippe-Auguste voulut soumettre le comte de Flandre, le seul de ses vassaux qui se fût opposé à cette expédition ; mais tandis que Philippe envahissait la Flandre, une flotte anglaise, jointe à celle du comte, surprit et défit la flotte française. Il fallut ainsi renoncer à l'entreprise sur la Grande-Bretagne, entreprise que le pape avait d'ailleurs rendue plus difficile en se réconciliant avec Jean-
XIIIe SIÈCLE.
II.
Aperçu de l'histoire civile de la France au XIHc siècle.
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sans-Terre. La victoire de Bouvines, en 1214, vengea Philippe et du comte de Flandre, et du souverain pontife, et du roi Jean, et sur-tout de l'empereur Othon IV, que de frivoles ressentimens avaient engagé dans cette guerre : cinquante mille Français détruisirent l'armée trois fois plus nombreuse des alliés. Le prince Louis descendit en Angleterre et fut reconnu roi à Londres; mais l'inconstance des Anglais, plus encore que l'anathème prononcé contre lui par la cour de Rome, le força de repasser en France.
Il y succéda en 1223, sous le nom de Louis VIII, à son père Philippe-Auguste, et ne régna que trois années, qu'il employa presque tout entières en guerres contre les Albigeois : il consomma la ruine des comtes de Toulouse ; et Amaury de Montfort lui céda les territoires que Simon son père avait conquis sur eux. La meilleure action de Louis VIII est d'avoir affranchi les serfs. Sa mort prématurée donna lieu à des soupçons qui pèsent encore sur la mémoire de Thibaut, comte de Champagne, que nous rencontrerons parmi les hommes de lettres.
Louis IX n'avait que 12 ans. La régence de la reine Blanche, sa mère, est mémorable par les avantages qu'obtint le trône sur les princes et les seigneurs. Le comte de Toulouse lui-même, si maltraité durant les règnes précédens, se soumit avec franchise : il donna sa fille à Alphonse, frère de Louis IX; et ce mariage n'ayant produit aucun héritier, Toulouse fut réunie à la couronne, avec les pays déjà cédés par Amaury de Montfort. Les comtes de Bretagne et de Flandre persistaient dans leur révolte, et négociaient avec l'Angleterre : la régente sut les opposer l'un à l'autre, gagner leurs agens, amortir leur activité, déconcerter leurs projets.
En vain le roi d'Angleterre, Henri III, descendit en Bretagne, passa en Gascogne, revint en Bretagne : la valeur et les triomphes de Louis IX le contraignirent à se rembarquer; et Pierre Mauclerc, comte de Bretagne, convaincu du crime de félonie, ne dut son salut qu'à la générosité du jeune monarque. Peu d'années après ces troubles, la victoire de Taillebourg, remportée par Louis sur Henri III, valut à la couronne la réunion de la ville de Saintes et d'une partie de la Saintonge. Mais, tombé dangereusement malade, le roi fit vœu d'aller à la Terre-Sainte, et partit en effet en 1248, avec trois de ses frères, et avec la reine son épouse; laissant à sa mère, qui s'était opposée à cette entreprise, le gouvernement
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du royaume. Nous avons déjà parlé de ses succès, de ses revers et de sa captivité ; nous n'essayons pas d'évaluer ici la somme énorme que coûta sa rançon. Mais quelques plaintes que puissent exciter tant de malheurs publics, et lors même qu'il en faudrait attribuer une partie aux erreurs du mo- narque ou de son siècle, toujours devrait-on rendre hommage à l'honnêteté naturelle de tous ses penchans, à sa bonté, à sa justice, à sa loyauté magnanime, à son intrépidité dans les combats, à son courage plus héroïque encore dans l'infortune. Sa piété vive et sincère ajoutait au mérite et à la force de la résistance qu'il opposait à l'ambition de la cour de Rome. Il a énoncé ou indiqué dans une pragmatique-sanction des maximes salutaires, propres à réprimer au moins les plus grossiers abus de la puissance ecclésiastique. Nous reviendrons sur cet acte important, et nous ferons connaître aussi les lois qui portent le nom d'établissemens de saint Louis.
Les duels judiciaires furent abolis dans ses domaines : il obligea les plaideurs à prouver leurs droits par des raisons, non par des cartels, et ceux qui se croyaient mal jugés, à se pourvoir devant un tribunal supérieur. Cette réforme parut si sage, que des justices royales elle passa bientôt dans les justices seigneuriales, et entraîna la révision des affaires, de suzerain en suzerain, jusqu'au roi, qui recouvrait ainsi, dans tout l'État, la souveraineté judiciaire. Ce coup porté à l'anarchie féodale suffirait à la gloire d'un autre prince; et les heureux effets qui s'en suivirent, doivent affaiblir les reproches qu'on aurait à faire à quelques dispositions d'une sévérité peut-être excessive, que les opinions et les mœurs de ces temps ont pu introduire dans certains articles des ordonnances de Louis IX. D'ailleurs, quand il appliquait luimême les lois, quand il rendait immédiatement la justice, la droiture et la bonté de son cœur le ramenaient à une équitable modération. Les seize années qui s'écoulèrent depuis son retour de la Terre-Sainte en 1254, jusqu'à son départ pour une dernière croisade en 1270, sont, de tout le siècle, celles qui présentent le plus de régularité dans toutes les branches de l'administration intérieure; et lorsqu'on songe aux difficultés que laissaient à vaincre tant de restes du système féodal, on ne peut assez admirer la vigilance de ce monarque, ses lumières en de pareils temps, et son dévouement religieux aux intérêts de son peuple. Ce règne, qui n'est que trop plein de gloire militaire, l'est aussi de
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toute celle qu'un roi peut acquérir par les soins du gouvernement et par la direction suprême des affaires.
Philippe III, ou le Hardi, était en Afrique, auprès de Louis IX, son père, quand la mort de celui-ci l'appela au trône. Il fit une trêve avec les infidèles et revint en France.
On croit qu'il est le premier roi qui ait donné des lettres d'anoblissement. De nouveaux troubles, excités par l'ambition des seigneurs, agitaient le midi du royaume; et les monarques étrangers recommençaient à former des projets contre la France. Philippe essaya sans succès une guerre en Espagne, et mourut en 1285, en revenant de cette expédition.
Les quinze années suivantes sont les premières du règne de Philippe IV ou Philippe-le-Bel, règne dont les évènemens les plus importans appartiendront au XIVe siècle.
Toutefois une guerre fut entreprise, en 1292, contre l'Angleterre : on s'empara de la Guienne, qu'on avait commencé par confisquer, en déclarant Édouard coupable de félonie, pour avoir refusé de punir ceux, de ses sujets qui avaient insulté des vaisseaux normands. Boniface VIII érigea l'évêché de Pamiers sans le consentement de Philippe, et ce fut le premier germe des démêlés qui éclatèrent entre le pontife et le monarque, après l'an 1300.
Parmi les faits que nous venons d'indiquer si rapidement, il en est qui se reproduiront avec leurs circonstances dans les divers articles de l'Histoire littéraire du treizième siècle, et même dans ce discours préliminaire. Nous avons cru à propos d'en offrir d'abord une idée générale ; nous allons y joindre quelques autres observations, qui auront pour objets les mœurs et les usages de ce temps.
Les mœurs du clergé, particulièrement du clergé séculier, n'étaient pas très édifiantes. En supposant même que les écrivains de ce siècle, comme ceux de tous les autres siècles, aient exagéré le récit des désordres dont ils se plaignent, toujours serait-il difficile de n'en pas concevoir une affligeante idée. L'apprentissage des vices se faisait le plus souvent dans les écoles, et plusieurs causes concouraient à prolonger, dans le cours de la vie, les habitudes déplorables que les ecclésiastiques avaient contractées durant leur jeunesse.
Ces causes étaient pour les uns une ignorance profonde; pour les autres, la plus fausse science; pour presque tous, la licence universelle qu'avaient amenée les irruptions des
XIIIe SIÈCLE.
III.
Mœurs et usages du XIIIe siècle.
V. Epist. Inn.
III, édit. Baluz. t.
I, 1. 1, ep. 330.
Jac. Vitr. Hist.
occid. c. 7.
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peuples barbares et les expéditions tumultueuses des croisés; plus généralement encore, l'affaiblissement et la subversion de l'ancienne discipline canonique. Les élections tombaient à tel point en désuétude, que Philippe-Auguste les trouva tout-à-fait abolies en Normandie, lorsqu'il conquit cette province. Il les y rétablit pour les évêchés et pour les abbayes mêmes. Jean-sans-Terre s'était emparé du droit de disposer de ces dignités; et après les avoir laissées longtemps vacantes pour s'en attribuer les revenus, il les conférait à son gré à ses créatures. De leur côté, les papes se réservaient la nomination à plusieurs bénéfices, et les donnaient à des sujets qui ne résidaient point. Ce fut ainsi, par exemple, que, malgré les réclamations des chapitres, Innocent III disposa de la trésorerie et d'un canonicat de Lizieux, de plusieurs prébendes des églises de Laon et de Marseille. L'autorité des supérieurs immédiats ou ordinaires était entravée ou annullée par les mandats apostoliques et par les appels en cour de Rome. Un mandataire ou commissaire pontifical venait exercer au sein d'un diocèse une puissance supérieure à celle de l'évêque, et réformer ses jugemens. Un simple appel suffisait pour suspendre l'exécution des sentences épiscopales : des clercs usuriers, joueurs, libertins, n'avaient qu'à recourir au saint-siége pour mépriser les réprimandes et les menaces. Nous voyons un évêque de Limoges, entre plusieurs autres prélats, se plaindre amèrement de cet abus, et le pape Innocent III n'y apporter d'autre remède que de prescrire un délai après lequel les clercs, s'ils n'ont pas poursuivi leur appel, seront tenus d'obéir à leur supérieur immédiat. La cour de Rome, pour établir sa domination universelle, avait besoin de trouver par-tout des appuis, non-seulement dans la piété naïve de quelques ecclésiastiques, mais aussi dans les vices du plus grand nombre; et d'intéresser à sa cause tous ceux à qui leurs déréglemens scandaleux rendaient nécessaire une protection lointaine et suprême. Dépouillés ainsi de leur autorité immédiate sur leurs inférieurs, les prélats s'en dédommageaient en imitant le souverain pontife dans ses entreprises contre les princes.
Saint Louis vit ses officiers excommuniés, et des diocèses entiers mis en interdit par l'archevêque de Rouen et par l'évêque de Beauvais, à l'occasion de quelques démêlés sur des droits purement temporels. Ce pieux monarque sut opposer à ces excès une fermeté victorieuse; mais quelque effort qu'il ait fait pour confirmer les usages et les privilèges des
XIIIe SIÈCLE.
V. Pasquier, Rech. 1. VI, ch.
26.
Duchesn. Scr.
Fr. t. V, p. 105.
Epist. Innoc.
III, ed. Bal. t. 2, p. 254.
Epist., Innoc.
III, 1. I, ep. 55, 333.
Joinv. p. 13.
Dan. Hist. de Fr.
t. III, p. 198.
Velly, t. IV, p.
160 et suiv.
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églises, pour empêcher les exactions de la cour romaine, pour maintenir ou rétablir les élections, il ne faut pas estimer, dit Pasquier, qu'il v ait apporté médecine accomplie : car le mal avoit pris ses racines de trop loing, et encores Dieu vouloit affliger son Église d'une grande traînée de maux.
Le clergé régulier, moins plongé dans les désordres dont nous venons de parler, s'autorisait de l'apparence plus décente ou plus austère de ses mœurs, pour usurper les droits et les fonctions des ecclésiastiques séculiers. Les curés avaient à se défendre contre les religieux mendians, qui se prétendaient plus capables de conduire les peuples à la perfection.
Il en résultait de fréquentes contestations, que les papes décidaient presque toujours en faveur des réguliers, dans la fidélité desquels ils avaient, non sans raison, plus de confiance. C'était un second clergé, qui dépendait encore plus directement de la cour de Rome, et dans lequel elle trouvait des serviteurs et des agens plus affidés. L'habit laïc demeurait interdit aux religieux et aux chanoines réguliers, tandis qu'il paraît, par une épître d'Innocent III, que les ecclésiastiques séculiers - portaient librement des habits de toutes formes et de toutes couleurs.
Pour perpétuer dans les peuples, et même dans les ministres du culte, une ignorance grossière, on maintenait des cérémonies bizarres ou scandaleuses, telles que les fêtes des fous, des ânes, des innocens, des noircis. Eudes de Sully, évêque de Paris, fit de vains efforts pour abolir les deux premières; il parvint à peine à les suspendre : elles subsistèrent durant tout le XIIIe siècle et au-delà. En certains lieux même, s'introduisaient des pratiques, s'il se peut, encore plus étranges : d'ignobles animaux jouaient un rôle dans les processions religieuses, y paraissaient revêtus d'ornemens cléricaux, et attiraient seuls les regards et toute l'attention d'une sotte populace. On continuait aussi de prodiguer les indulgences autant que les excommunications; et ces deux ressorts de la puissance pontificale, quoique les plus vulgaires et les plus usités, semblaient ceux qui s'affaiblissaient le moins. Boniface VIII termina le siècle en accordant une indulgence plénière à tous les fidèles qui visiteraient le tombeau des saints apôtres durant l'année 1300 : c'est proprement là l'institution du jubilé, dont il n'existait auparavant que de bien faibles préludes.
Dans un siècle où le clergé exerçait tant d'autorité, les mœurs des laïcs ne pouvaient être meilleures que les
XIIIe SIÈCLE.
Rech. 1. III, C. 22.
V. Pluquet , Dict. des Hérés.
t. I. Disc. prél.
13e s. p. 252.
Innoc. III, 1. I, ep. 463.
Beleth. de div.
Offic. c. 72 et c.
120. Ducange, v.
Kal.; v. Fest. asinor. Du Tilliot, Mémoir. sur la f.
des F. D'Artig.
Nouv. Mémoir.
d'hist. etc. t. IV, pag. 278-322; Velly, Hist. de Fr.
t. III, p. 534. etc.
J. Villani, 1.
VIII, c. 36 ; Rayn.
an. 1300, n. 1-5; Ducan. v. Jubil.
Mezer. t. II, p.
787, 788; Velly, t. VII, p. 147-149.
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siennes. La dépravation générale nous est assez attestée par diverses lois de saint Louis, par le mélange, de dispositions sévères et de ménagemens qu'elles présentent. La puissance civile, divisée par le système féodal entre un si grand nombre de seigneurs, n'avait nulle part assez d'énergie pour garantir l'ordre public. Déjà néanmoins elle tendait à se concentrer dans les mains du monarque. Par un heureux usage de la force et de l'adresse, Philippe-Auguste avait amené ses grands vassaux à prendre quelque habitude de subordination et à sentir même la nécessité d'un pouvoir central et suprême. La reine Blanche et son fils Louis IX profitèrent habilement, pour atteindre ce but, des rivalités et des démêlés qui éclataient entre les seigneurs. Ils donnèrent une attention particulière aux mariages que contractaient ces redoutables sujets, et les empêchèrent de s'allier aux familles étrangères ennemies du royaume. Il fut réglé que ni le vassal ni ses enfans ne pourraient, sans l'agrément du roi, former de pareilles unions; et saint Louis, usant de ce droit, ne permit ni à la fille du comte de Ponthieu d'épouser le roi d'Angleterre, ni aux comtesses de Flandre et de Boulogne de se marier à Simon de Montfort devenu comte de Leycester. Les institutions monarchiques prenaient une forme plus régulière et plus constante. Par exemple, dès le règne de Philippe-Auguste, entre 1202 et 1206, le nombre des pairs paraît invariablement fixé à douze.
Les premiers actes qui commencèrent en France l'abolition de la servitude, remontent au règne de Louis-le-Gros; mais Louis IX et Philippe-le-Bel sont, dans le moyen-àge, les deux rois qui ont contribué le plus à ce bienfait. Louis IX autorisa et entraîna plusieurs seigneurs, tant laïcs qu'ecclésiastiques, à recevoir des sommes d'argent pour prix des affranchissemens. Et Philippe-le-Bel, en 1298, abolit expressément la servitude dans une partie du Languedoc, en la transformant en un cens annuel. Il fit plus dans les années de son règne qui appartiennent au XIVe siècle; mais il faut remarquer, dès le XIIIe, ces progrès de la civilisation, qui, bien que lents, faibles et partiels, rendaient néanmoins déjà quelque essor à l'esprit humain, ouvraient plus de routes à l'instruction, et concouraient à imprimer plus d'activité aux travaux littéraires.
Jusqu'alors, les ordonnances des rois, confiées au seul chancelier, avaient été adressées par lui d'abord aux comtes ou premiers magistrats des provinces., puis aux baillis et
xm. SIÈCLE.
Barre , Lettre sur l'unité de la mon. fr. dans le Merc. de Fr. mars 1762, p. 72 et 73.
Math. Paris, p.
406 et seq.; Invent. des Ch. t.
V; Fland. IV, p.
28; Dutillet, Mém.
p. 71.
Brial, Rech. sur l'orig. de la Pairie, p. XIV- XXVIII des prél. du t.
XVII des Hist. de Fr.
Malingre, p.
206. — Vaissette, Hist. du Lang. t.
IV, p. 28, et pr.
p. 121-123.
Capit. reg. fr.
t. I, col. 309; t.
II, col. 67.
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sénéchaux qui leur avaient succédé. Saint Louis les fit enre- gistrer au châtelet de Paris et aux autres auditoires des bailliages et sénéchaussées de son royaume. Recueillies en des registres, elles acquirent et conservèrent plus d'authenticité; les - plus anciens de ces registres sont connus sous le nom d'olim, et ne remontent qu'au règne de Louis IX. C'est, à proprement parler, le commencement des archives françaises. Jusqu'alors aussi, la conservation des actes particuliers n'avait point été assez garantie : tous les évêques, les seigneurs, les baillis même et les sénéchaux, s'attribuaient le droit de créer des notaires; et ceux-ci expédiaient les actes aux parties contractantes, sans en garder les minutes.
Ce soin ne fut exigé que vers la fin du règne de saint Louis.
Les actes publics et privés de cette époque montrent qu'on faisait commencer l'année à Pâques, ou plutôt au samedi saint, après la bénédiction du cierge pascaL: c'était, en France, pendant le XIIIe siècle, l'usage, général, à l'exception toutefois de plusieurs diocèses du Languedoc, où l'année com- mencait à Noël.
En certains lieux, dans le Rouergue par exemple, les peines afflictives étaient arbitraires et à la disposition des seigneurs, qui confisquaient, selon leur bon plaisir, les biens des condamnés. Saint Louis a publié plusieurs lois pénales, mais elles ne s'exécutaient guère que dans ses propres domaines, et non dans toute l'étendue de son royaume. Ce prince a joint quelques règlemens somptuaires à ceux qui existaient déjà; mais Philippe-le-Bel fit, en ce genre, une loi plus étendue et plus fameuse, datée de 1293. Elle règle, pour chaque condition, le nombre des mets, celui des habits, le prix des étoffes, la nature des meubles. Si elle ne donne pas une haute idée des lumières de ce temps, elle est du moins un monument du luxe qu'elle tendait à réprimer. Quelques années auparavant, un concile de Montpellier avait interdit aux femmes les robes traînantes, et aux hommes les habits fendus par bas. On voit, par des règlemens d'Alphonse, comte de Toulouse, que les peuples de la province narbonnaise, jadis appelée togata, avaient renoncé aux amples toges de leurs ancêtres, pour prendre des vêtemens plissés et serrés, à l'instar des Gascons et des Espagnols.
Malgré tout ce luxe, les Français se livraient fort peu au commerce, même intérieur : bien moins encore songeaientils à transporter eux-mêmes des Indes ou du Levant les mar-
XIIIe SIÈCLE.
Lamare, Tr. de la Police, t. I, p, 260-261. — Velly, t. IV, p.385-3go.
V. Mém. de Trévoux, juillet 1712, p. 1190.
Chorier, Hist.
du Dauph., t. II, p. 373.
Nouv. Traité de Diplom. t. V, p.
548, 549, 583, 847; t. VI, p. 40 et suiv.
L. Alfonsin. —
Vaîsset. Hist. du Lang. t. III. —
Velly, t. VI, p.
282, etc.
Trésor des Ch.
reg. 83, n. 465.
Lamare, Tr. de la Police, 1. III, p.
386 et 387. Velly, VII, 64-74.
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chandises dont ils faisaient usage, ils les achetaient fort cher des Génois et des Vénitiens. Un des principaux obstacles au commerce consistait dans la confusion des monnaies et dans l'incertitude de leurs valeurs. On doit encore à S. Louis de sages règlements sur cette matière, et on peut le considérer comme le restaurateur du système monétaire en France.
Cependant il est difficile aujourd'hui de se former une idée bien précise et bien sûre de toutes les espèces qu'il fit frapper et des rapports qu'elles avaient entre elles ; et les longues recherches dans lesquelles il y aurait lieu de s'engager sur ce point, deviendraient étrangères à l'histoire des lettres. Observons d'ailleurs que les évêques et les seigneurs continuaient de battre monnaie. Le fait le plus étrange que nous offre à cet égard l'histoire du treizième siècle, c'est l'image de Mahomet empreinte sur des Milarets frappés par l'ordre d'un évêque de Maguelone. Il paraît toutefois que le roi seul avait le droit de fabriquer des monnaies d'or et d'argent : celles des seigneurs étaient noires ou de cuivre ; il leur fallait du moins, pour employer à cet usage des métaux plus précieux, une concession expresse du souverain. Les monnaies des seigneurs n'avaient cours que dans leurs domaines; celles du roi circulaient dans tout le royaume, ainsi qu'il est réglé par une ordonnance de S. Louis. Enfin, on punissait de peines beaucoup plus graves la contrefaçon et l'altération des monnaies royales.
Le siècle était guerrier; la nation guerrière. Le droit de faire la guerre appartenait à tous les seigneurs fieffés, laïcs ou ecclésiastiques, aux villes, aux bourgades, à tout ce qui n'était point dans l'état de servitude. On la déclarait pour tout vilain méfait, c'est-à-dire pour tout crime qui en justice réglée aurait mérité la peine capitale..Les prélats et les abbés qui ne pouvaient porter les armes, employaient à guerroyer pour eux leurs vidames ou avoués. Quelquefois les hostilités commençaient d'elles-mêmes; plus souvent elles étaient annoncées par des lettres de défiement ou par le ministère des héraults ou roi d'armes. Tous les parents, tous les vassaux du chevetain ou quiévetain, c'est-à-dire de celui qui avait ainsi déclaré la guerre, y devaient prendre part, à l'exception néanmoins des femmes, des enfants, des ecclésiastiques, et de ceux qui se trouvaient engagés dans une expédition à la Terre-Sainte ou partis pour un pélérinage lointain. Ces guerres privées se terminaient ou par une paix authen-
XIIIe SIÈCLE.
Réglem. sur les monn., ann. 1261, 1265. — Le Blanc, pag. 145 et suiv.
Vaiss., Hist de Lang., III, 532.
Ducange , dis.
29 sur Joinv.
Beauman., Cout.
de Beauv., c. 5g; Est. de S. Louis, 1. I, c. 48.
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tiquement conclue, ou par un duel entre les deux principaux adversaires, ou par des actes réconciliatoires comme d'avoir bu ou mangé ensemble, ou par une sentence, ou enfin quand le plus faible et le plus raisonnable des deux chevetains requérait que son ennemi eût à donner assûrement, c'est-àdire assurance qu'il ne l'attaquerait point jusqu'à la décision juridique de la querelle. S. Louis, sous lequel ces usages subsistaient encore, déclara d'abord que tous les barons auraient droit d'obliger les parties contendantes à l'assûre- ment, qui jusqu'alors n'avait eu lieu qu'à la requête de l'une d'elles. Il fit plus : par divers édits, il défendit presque absolument, et sous des peines rigoureuses, toutes les guerres particulières. Mais la nécessité où se trouva Philippe-le-Bel de renouveler ces ordonnances, montre assez la tenacité des horribles usages qu'elles voulaient extirper : ils se prolongèrent, quoique reprimés et affaiblis, jusque dans les deux siècles suivants; et les rois avaient presque besoin de soutenir eux-mêmes des guerres, pour opposer un remède efficace à celles que leurs vassaux prétendaient se faire entre eux.
Une cruauté raffinée signalait ces guerres particulières.
Après avoir entendu la messe et pris un léger repas, on postait çà et là divers escadrons pour tenir l'ennemi en respect, et l'on détachait des pelotons armés d'instruments propres ou à démolir les maisons, ou à déraciner les vignes, ou à couper les blés et à ruiner toutes les espérances des cultivateurs.
C'était dans l'armée du roi qu'on distinguait des soldats appelés Ribauds, dont le nom exprime encore les désordres auxquels ils se livraient. Leur chef portait le titre de Roi des Ribauds; il y avait aussi alors un roi des Merciers, des Mé- gissiers, des Jongleurs. Celui des Ribauds a rempli à la cour, depuis le règne de Philippe Auguste jusqu'à Charles VI, des fonctions dont quelques-unes sont devenues depuis celles du grand prévôt de l'hôtel.
- Les institutions chevaleresques, dont l'origine remonte au commencement du onzième siècle, paraissent dans tout leur lustre durant le cours du treizième. Les fonctions de page C et d'écuyer servaient de degrés pour arriver au temple d'honneur, c'est-à-dire à la dignité de chevalier, et nous voyons que les princes mêmes n'étaient pas dispensés de cet apprentissage. Des fils de France sont qualifiés varlets ou
XIIIe SIÈCLE.
Guill. de Pod., c.
38. Vély, in-12, t.
IV, p. 120-122.
Très. des ch., reg. bq. — Ducange, Glossar., v.
Ribaldi. La Mare, Traité de la Pol., 1. 152.— Dulaure, Hist. de Paris, II, 107-109.
Math. Paris, ad ann. 841. — Ducange, Hist. de S.
Louis, part. 3, pr.
— Pasquier, Recher., 1. 2, c, 17.
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pages dans un compte de la maison de Philippe le Bel; et Villehardouin, en parlant d'Alexis, héritier de l'empire d'Orient, ne l'appelle que le varlet de Constantinople. Des jeûnes, des prières, des bains, des exercices de piété, des sacrements, préludaient à la cérémonie par laquelle un seigneur, une dame et souvent le monarque lui-même armait un nouveau chevalier de par Dieu, Notre-Dame et Monseigneur S. Denis. Le nom de Bachelier ou bas-chevalier désignait ceux qui n'avaient point assez de vassaux et de richesses pour fournir et entretenir 5o hommes d'armes. Les bannerets capables de payer ce tribut portaient une bannière carrée au haut de leur lance; ils jouissaient, quand ils étaient aînés de famille, du droit de cri d'armes (1) et pouvaient aspirer aux titres de Barons, de Comtes, de Marquis, de Ducs. Tous les chevaliers étaient qualifiés Dam ou Dom, Sire, Messïre ou Monseigneur ; et il n'y avait que leurs femmes qui fussent appelées Madame : les autres femmes ne prenaient que le nom de Demoiselle. On dégradait solennellement tout chevalier convaincu de lâcheté, de déloyauté ou foi mentie.
Le moyen âge n'offre point en France de spectacles plus fréquents et plus brillants que les tournois. Quoiqu'on n'admît* dans ces exercices chevaleresques que des armes courtoises, de courts bâtons, des épées gratieuses, rabattues et à pointes brisées, les accidents qui troublaient ces fêtes devinrent assez nombreux pour provoquer des plaintes et des anathèmes ecclésiastiques. Les papes excommunièrent ceux qui continueraient d'y assister et défendirent d'inhumer en terre sainte quiconque y perdrait la vie. Philippe-Auguste défendit à ses deux fils d'y paraître sans sa permission. Cependant l'un des fils.de S. Louis y reçut sur la tête un coup si violent que sa raison s'altéra. Le saint roi, sur la nouvelle d'un désastre essuyé en Orient par les croisés, interdit pour deux ans les tournois. Cette interruption ne fit que rallumer le goût de ces amusemens périlleux.
On rédigeait des relations de ces tournois : il subsiste des procès-verbaux de ceux qui eurent lieu à Compiègne en 1238, à Chevancy en 1285, près de Liége en 1289; et ces actes sont accompagnés des armoiries des chevaliers. On a de plus quel-
(1) Dieu le veut, Diex aie, dame Diex aie, passavant li melior, etc., étaient des cris d'armes,
XIIIe SIÈCLE.
Sainte - Palaye, Acad. des Inscr., XX, 632-670.
Vély, H. de Fr., IV, 207-220.
Innoc. III, 1. X, epist. 74.
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ques-uns des registres particuliers où les héraults d'armes étaient obligés d'inscrire les familles nobles de chaque province; et ces registres, qui contiennent aussi des armes blasonnées, sont au nombre des plus anciens monuments de la science héraldique.
C'est aux mêmes temps que remontent les associations chevaleresques qu'on appelait adoptions d'honneur en frère ou en fils. Elles prirent naissance dans les expéditions d'Orient : cc Nos gens, dit Joinville, furent obligés de se faire saigner avec les gens du seigneur de Toucy, mêlèrent leur sang avec du vin, et, après avoir bu cette mixtion, s'écrièrent qu'ils étaient frères de sang. » Quelquefois la cérémonie ne consistait que dans la collision ou dans l'échange des boucliers, des lances, des épées et en des serments mutuels qui faisaient prendre aux associés le nom de frères conjurés. On y substitua, depuis, des rites religieux. Tou- jours s'ensuivait-il que les frères d'armes devaient avoir désormais tous amis ou tous ennemis communs, s'aider réciproquement, ne contracter d'engagements que de concert, et faire bourse commune dans les expéditions guerrières.
Les cérémonies de l'adoption d'honneur en fils ont aussi varié : on coupait les cheveux de l'adopté, ou bien on le faisait passer sous le manteau de l'adoptant; ailleurs; on employait des cérémonies religieuses qui établissaient entre l'adoptant et l'adopté des relations à-peu-près pareilles à celles qu'expriment les mots de parrain et de filleul. D'autres fois ce n'était qu'une simple tradition d'armes, ou bien une communication d'une partie d'armoiries : S. Louis permit ainsi au jeune Boémond, prince d'Antioche, d'écarteler d'azur semé de fleurs de lis d'or.
On croit que les premières lettres d'anoblissement furent celles que Philippe le Hardi donna en 1285 à l'orfèvre Raoul.
Cependant il paraît qu'avant cette époque, les seigneurs jouissant des droits régaliens tentaient de s'arroger le droit d'anoblir; car en 1280 un arrêt du parlement déclare que le comte de Flandres ne peut ni ne doit faire un noble d'un vilain, sans l'autorité du roi. L'anobli était tenu de payer une somme d'argent comme indemnité des subsides dont sa lignée serait affranchie, et de distribuer une autre somme en aumône, en compensation de la surcharge que le peuple devait souffrir à cause de cette exemption.
Les usages et les mœurs dont nous venons de recueillir
XIIIe SIÈCLE.
Édit. de Duc., pag. 94; v. les Diss. 21 et 22 de Ducange.— Vely, V, 58-78.
Script, rer. gall., IV, 147. — Vély, VI, 431.
IV. Considérations générales
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quelques traits, ne supposent pas sans doute de bien vives lumières. L'instruction et même la fausse science demeuraient concentrées dans un-petit nombre d'hommes : à vrai dire, presque tous les laïcs croupissaient encore dans une ignorance grossière. Les seigneurs entendaient si peu le latin qu'on sentit la nécessité de rédiger leurs transactions en langue vulgaire. Il faut pourtant faire ici des exceptions, puisque nous savons que les talents des troubadours étaient appréciés, encouragés, quelquefois dirigés par les seigneurs et par les dames. Il se rencontrait dans les couvents, comme dans les châteaux, des femmes qui avaient fait quelques études. Un archevêque de Lyon établit en 1213 douze religieuses lettrées en un seul ministère; et le pape Clément IV attribue ce même titre de lettrée à une novice qu'il recommande à une communauté du diocèse d'Auxerre. D'un autre côté, l'on cite un marquis de Monferrand qui mourut centénaire vers l'an 1230, et qui depuis quarante ans rassemblait et lisait des livres latins de tout genre, même ceux des hérétiques.
Mais l'admiration et les hommages qu'attirait à quelques laïcs une instruction si élémentaire, montrerait à quel point elle était alors peu commune, si nous ne savions d'ailleurs qu'elle manquait même à une grande partie du clergé. En 1293, un évêque d'Angers, considérant que la plupart des prêtres sont illétrés (illiterati), déclare qu'il n'ordonnera plus personne qui n'ait quelque teinture de grammaire. Les études languissaient dans les chapitres et jusqu'au sein des monastères où elles semblaient s'être jadis réfugiées : plusieurs des écoles établies auprès des abbayes de l'ordre de S. Benoît avaient commencé de se fermer. On négligeait sur-tout les auteurs classiques, on avait presque oublié leurs noms, et Virgile était bien moins connu comme un grand poëte, que comme un magicien fameux, un grand maître en sorcellerie. Tous les hommes dont les talents ou les connaissances dépassaient la mesure commune, se voyaient exposés à des accusations de sortilège ou d'hérésie. En Italie même, où les esprits semblaient plus cultivés et où Dante allait paraître, Pierre de Apono fut condamné comme ayant appris les sept arts libéraux de sept esprits familiers qu'il tenait enfermés dans un cristal. On lui attribuait le secret de faire revenir dans sa bourse tout l'argent qu'il avait dépensé. Il ne faut presque jamais croire à la bonne foi ni à l'impéritie de ceux qui prononcent de pareils anathèmes; mais il est évident qu'ils ne t
XIIIe SIÈCLE.
sur les hommes de lettres de ce temps.
Acad. des Inscript., XVII, 435 ; XVIII, 362-369.
— De Nesle, Préjug. du Public, t, I, p. II, 12.
Gall. Chr. nova, IV, 136. — Le Bœuf, Mém. d'Auxer., t. II, p. 287.
Échard. Scr.
ord. Prædic., I, 190, 191.
D'Achery, Spicil., t. X, p. 322; Statuts du dioc.
d'Angers, p. 80.
Bayle, Dict., article Apono (Pierre d').
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les peuvent accréditer qu'au milieu d'un peuple stupide, et l'on doit avouer que le nombre et le succès de ces accusations en chaque siècle sont toujours des mesures assez justes de l'ignorance générale.
Toutefois, lorsque l'abbé Pluquet conclut qu'il n'y a pas de siècle où l'on ait moins cultivé que dans le treizième les sciences et les arts, nous croyons qu'il y a beaucoup trop de sévérité dans ce jugement : les détails que nous offrirons successivement à nos lecteurs, les mettront à portée de vérifier si cet âge n'a pas produit un assez grand nombre d'hommes instruits, même quelques esprits éclairés; s'il n'a pas parcouru, effleuré la plupart des branches des connaissances humaines; s'il n'en a pas étendu quelques-unes; si du moins il n'a pas légué aux âges suivants des essais, des traditions, des écoles qui à leur manière ont contribué peuà-peu aux progrès toujours lents de l'esprit humain.
Le père Hardouin, au contraire, faisait honneur au XIIIe siècle et au XIVe de plusieurs des anciens monuments de la littérature profane et sacrée : selon lui, l'Énéide et la plus grande partie des œuvres d'Horace seraient de cette époque, les auteurs de ces ouvrages y auraient attaché des noms antiques, et n'auraient inscrit le leur propre que sur des compositions assurément bien différentes. On ne saurait attribuer à la fois plus de talents, plus d'art et plus de modestie à des moines du moyen âge. Nous ne rappelons pas ce système pour le réfuter, mais afin que cette idée bizarre d'un savant moderne serve de contre-poids, et, s'il se peut, -d'excuse à toutes les extravagances que pourront nous offrir les véritables productions du XIIIe siècle.On a vu que dès le douzième les écoles de Paris attiraient un grand concours d'étudiants et de professeurs étrangers.
Deux Lombards y occupaient, sous Philippe Auguste, des chaires de théologie. L'un, nommé Didier, ayant pris parti contre les moines, fut traité par eux d'hérésiarque; c'est ainsi que le qualifie S. Thomas d'Aquin : l'autre, qui s'appelait Præpositivus, ne s'est point fait tant d'ennemis. Il devint chancelier de l'église de Notre-Dame en 1207, et mourut dix ans après, laissant divers écrits théologiques. Il en subsiste un plus grand nombre d'Alexandre de Halès, même en n'y comprenant pas ceux dont l'authenticité est douteuse. Ce docteur, surnommé l'Irréfragable, était né en Angleterre, dans le- comté de Rochester. Après avoir été archidiacre, il
XIIIe SIÈCLE.
Dict. des hérés., I, 55.
Du Boulay,Hist.
univ.,par. III, 678; Tiraboschi, IV, 140.
Contra impugn.
relig., c. 6.
Alberici Chr.
ann. 1217; Du Boulay, III, 36; Oudin, III, 3i; Tirab., IV, 139.
Vossius, de Hist.
lat., 1. II, c. 58.— Fabric., Bibl. med.
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s'engagea dans l'ordre des frères mineurs, vint étudier et enseigner à Paris, et y mourut en 1245; il a jeté beaucoup d'éclat sur l'école établie dans son couvent. Roland de Crémone se distinguait à la même époque : il avait abandonné une chaire de philosophie ou plutôt de médecine qu'il remplissait à Bologne, pour entrer dans l'ordre des dominicains.
Ce fut à Paris qu'il commença à enseigner la théologie, et l'on cite Hugues de S.-Cher parmi ses disciples. En 1231, Roland alla professer la même science à Toulouse et y combattre les Albigeois. Deux ans après, il rentra en Italie, habita successivement Plaisance, Crémone et Bologne, continuant de se livrer à son zèle pour l'enseignement et pour la controverse, jusqu'à sa mort, arrivée au milieu du siècle.
S. Bonaventure et S. Thomas d'Aquin lui ont survécu vingt ans. Quoiqu'on en ait dit, ni l'un ni l'autre n'ont pu recevoir à Paris les leçons d'Alexandre de Halès; mais la France a été le théâtre d'une partie de leurs travaux et de leurs succès. Né à Bagnaréa en Toscane, Bonaventure eut à peine embrassé la profession monastique dans un couvent de frères mineurs, qu'on l'envoya étudier à Paris : il y prit les degrés académiques, y compris celui de docteur, et y ouvrit une école où il expliqua d'abord les quatre livres des Sentences. Ce commentaire est l'un de ses principaux ouvrages ; la plupart des autres sont ascétiques : tous ont eu jadis de la renommée. Clément IV promut Bonaventure au cardinalat et à d'autres dignités qui l'arrachèrent à la France. S. Thomas était né du comte d'Aquino, non loin de la ville napolitaine qui porte ce nom. Après avoir fait ses premières études dans le monastère du Mont-Cassin et dans les écoles de Naples, il se fit, malgré ses parents, frère prêcheur vint écouter à Cologne, et, durant quatre ans à Paris, les leçons d'Albert le Grand, et ne tarda point à en donner lui-même dans l'une et l'autre de ces villes. Retourné vers 1251 en Italie, il n'y fit qu'un court séjour et revint briller dans l'université parisienne. Mais en 1260, on le voit ouvrir à Rome une école de théologie, qu'il transportait à Orvietto, à Anagni, à Viterbe, à Pérouse, selon que les papes dépla- çaient leur propre résidence. Il fit, pour assister à un chapitre général de son ordre, un nouveau voyage à Paris, et en repartit deux ans après pour rouvrir son école à Rome. Dans les dernières années de sa vie, c'était à Naples qu'il professait. Il faut qu'il ait employé à écrire tout le temps qu'il ne
XIIIe SIÈCLE.
æv.,1.169 -171. —
Oudin, III, 129137. — Brucker, Hist. Phil. 111, 778, etc.
Quétif, Scr.
ord. prædic., 1.
125. — Sarti, de Prof. Bonon. I, 447; Tirab., IV, 140.
Tirab., IV, 137; Bolland., 14 jul. ;
Wading., Ann.
min., n, ann.
1265 ; Oudin, III, 372-441.
Boll., 7, mart.
Script, ord. prtedic., 1, 221, etc. ;
Touron, Vie de S. Thomas ; P.
de Rubeis, de Gestis S. Th. dissertationes ; de Prof. Bonon., I, part. II, p. 25 Oudin, III, 256, etc. ; Du Boulay, Ill, 409 ; Crév.
Hist. de l'Univ., I, 457; II, 79, 288; Tirab., IV, 130-137, etc.
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passait point à enseigner dans les écoles ; car la collection de ses ouvrages surprend d'abord par sa vaste étendue, alors même qu'on la débarrasse des articles non authentiques dont les éditeurs l'ont surchargée. Tant de volumes, où sont traitées et souvent approfondies toutes les matières qui peuvent exercer l'esprit humain, toutes celles du moins dont on s'occupait alors, supposent une facilité prodigieuse et un zèle infatigable dans un professeur qui n'a vécu que cinquante ans, peut-être même que quarante-huit. S. Thomas a commenté plusieurs livres de la Bible, les Sentences de Pierre Lombard, et divers traités d'Aristote ; il a composé des sermons, des hymnes, des traités de controverse, une Somme contre les gentils, et une Somme théologique, qui seule suffirait à la renommée d'un autre docteur; car elle annonce une tête active, capable des analyses les plus profondes; et lorsque Fontenelle a dit qu'en un siècle moins barbare,
S. Thomas aurait été Descartes, cet éloge, quelque grand qu'il soit, n'a rien d'excessif. Albert le Grand, qui fut le maître de Thomas d'Aquin, et qui lui a survécu six ans, n'a pas droit aux mêmes éloges; mais il n'est pas non plus tout-à-fait étranger à l'histoire littéraire de la France : en effet, il quitta, jeune encore, l'Allemagne sa patrie, pour venir comme tant d'autres s'instruire à Paris; et en 1241, il y revint tenir l'école des dominicains, ses confrères. Il a fait même en France quelques autres voyages, mais tous d'une assez courte durée; il s'est trouvé avec S. Bonaventure au concile de Lyon en 1274, concile auquel se rendait aussi Thomas d'Aquin, quand la mort le surprit à Terracine. Du reste, après qu'on a mesuré et admiré l'incomparable étendue des œuvres d'Albert, il reste peu d'autres hommages à lui rendre. Fleury lui reproche d'avoir mis Byzance en Italie, d'avoir cru aux in- fluences des astres, d'avoir mêlé l'astrologie à la politique, et d'avoir proposé beaucoup d'étymologies absurdes, voulant expliquer les noms grecs, sans savoir le grec; ce qui, ajoute Fleury, lui est commun avec tous les docteurs du même temps.
Ceux dont nous venons de parler ne sont pas les seuls étrangers qui aient alors puisé et versé leurs lumières en France. Nous aurions à citer encore un autre dominicain, Annibaldo degli Annibaldi, qui a rempli une chaire à Paris depuis 1257 jusqu'en 1260, et qui fut rappelé à Rome sa patrie, où peu après Urbain IV le fit cardinal; Ambroise Sansedoni,
XlrIe SIÈCLE:
Eloge de Mar., sigli.
Sript. ordin.
Praed., 1, 162 194 ; Bayle, Diction., Alb.
Hist. ecclés. ,
1. 87, n. 49.
Tirab., IV, 141.
142.
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moine du même ordre et professeur en France, du moins on le croit ainsi, avant de l'être en Italie et en Allemagne; Albert de Gênes, professeur de théologie à Montpellier, après avoir été reçu bachelier à Paris, et depuis, supérieur général de ces mêmes frères prêcheurs; Remi de Florence, qui devint procurateur de cet ordre à son retour de Montpellier, où il avait donné des leçons publiques; mais sur-tout Jean de Parme, frère mineur, qui tenait une école de science ecclésiastique à Paris, quand ses confrères l'élurent pour général. Les professeurs séculiers et les frères prêcheurs ont accusé Jean de Parme d'avoir composé à Paris un livre fort peu orthodoxe, intitulé l'Évangile éternel, livre qui, selon les frères mineurs, et selon le Roman de la Rose, serait l'ouvrage des frères prêcheurs eux-mêmes. Tillemont et Crévier l'attribuent à Joachim, qui fut, au douzième siècle, abbé de Curatio en Calabre, et dont les autres écrits sont pleins, comme celui-là, de visions mystiques : c'est, selon Tiraboschi, une production de Gherardino, moine franciscain; mais, en tout cas, on a lieu de croire que Jean de Parme y joignit une introduction qui en renouvelait et aggravait les erreurs.
Les ouvrages de Roger Bacon, autre franciscain, n'ont pas eu de son temps, n'ont pas même encore la célébrité qu'ils méritent par les grandes conceptions qu'ils recèlent. Nul écrivain n'aurait, au sein des ténèbres de cet âge, jeté de plus vives lumières sur les sciences physiques et sur divers points des autres connaissances humaines, s'il lui avait été permis de propager ses découvertes. Mais, malgré le tribut qu'il payait à l'ignorance de son siècle en s'adonnant à l'astrolo, gie et à d'autres doctrines occultes, il devançait trop ses contemporains pour obtenir leur confiance et leurs hommages.
Ses confrères l'ont persécuté, emprisonné; ils ont fait plus peut-être; et nous aurions à nous occuper de la destinée de ce philosophe autant que de ses ouvrages, s'il n'appartenait à l'Angleterre, où il est né,, beaucoup plus qu'à la France. On dit pourtant qu'il prit à Paris l'habit de cordelier, qu'il y fut jugé, condamné et détenu dans les cachots de son monastère.
Le seul fait bien constant est qu'il a passé quelques années dans cette ville ; on ne voit pas qu'il y ait étudié, ni enseigné, ni acquis, de son vivant, aucune renommée. Il mourut en 1294.
Nous aurons occasion de parler des leçons de l'art de guérir données en France par Lanfranc de Milan. Cinq autres Italiens, dont trois sont aujourd'hui peu célèbres, se
XlIIe SIÈCLE.
Tirab , IV, 142.
Fabr. et Mansi, Bibl. med. æv., VI, 66.
Wading., Ann.
min., III, 1712 10; IV, 2, CtC.
Oudin, III, 241 ; Tirab., IV, 143.
R. de la R, vers 12410-12399.
Till., Mémoire ms. sur Guill.
de S.-Amour.
Cr., Hist. de l'Un., I, 4.13 ; II, 156.
Tir., IV, 146.'
Bayle, Dict. ;
Oudin, III, 190; Brucker, III, 817, etc.
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sont fait remarquer en France à la fin du treizième siècle.
Jacques de Viterbe, Gilles Colonne ou Gilles de Rome, et Triomphe d'Ancone, étaient tous trois de l'ordre des Augustins, tous trois aussi des disciples de saint Thomas. Le premier quitta la chaire qu'il remplissait à Paris, pour devenir évêque de Bénévent, puis de Naples : ses écrits, restés manuscrits, consistent principalement en commentaires sur Pierre Lombard, et en un traité de Regimine christiano. Gilles Colonne brilla dans les écoles parisiennes et comme élève et comme maître : il se fit plus d'honneur encore, soit en publiant une défense de saint Thomas d'Aquin, soit sur-tout en plaidant la cause du clergé séculier contre les moines mendiants, tout mendiant qu'il était lui-même, soit enfin en rétractant avec franchise certaines opinions théologiques qu'il avait hasardées. Ce fut lui qui, à l'avènement de Philippe le Bel, complimenta ce monarque au nom de l'Université : on a ce discours en latin et en français; mais il peut appartenir aux historiens qui le rapportent, plus qu'à l'orateur qu'ils mettent en scène. On ne lui conteste pas la gloire d'avoir inspiré le goût des lettres à Philippe IV, pour l'instruction duquel il composa un traité de Regimine principum, très distinct de celui qui porte le même titre dans les Œuvres de saint Thomas. Depuis, il perdit les bonnes grâces de Philippe, en prenant parti pour Boniface VIII. Ce pape, dont Gilles Colonne avait servi les intérêts, dès 1294, par un premier écrit sur l'abdication de Célestin V, le fit archevêque de Bourges; Gilles était déjà général des Augustins.
Son livre sur les deux puissances est resté manuscrit; car, si c'était l'opuscule qui porte son nom dans le recueil de Goldast, on ne concevrait plus comment l'auteur aurait encouru la disgrâce de Philippe le Bel, et obtenu du pontife tant de bienveillance. Gilles mourut à Avignon; et son corps, transporté à Paris, fut inhumé dans l'église des Augustins.
Un autre traité de la suprématie ecclésiastique est dû à Trionfo, mais n'a été composé qu'après l'an 13oo. Nous ne nommons ici cet autre théologien, qu'à cause de la carrière scholastique qu'il avait parcourue avec distinction à Paris, bien avant de composer ce livre. Il assista, quoique jeune encore, au second concile de Lyon. Les deux autres Italiens dont il nous reste à parler, sont Brunetto Latini, et Dante.
Brunetto Latini, noble Florentin, était engagé dans le
XIIIe SIÈCLE.
Tirab. IV, 153; Gandolfi, Scr
August. ; Mazzocchi de Sanct., Neapol. Eccl.
cpisc.
Tirab., IV, 147; Crévier, II, 106.
Paul. Æmil., de Gestis Franc., lib. VIII. - Du Boulay, III, 475- 477.
Mon. Imp.
Rom., 11, 96.
Tirab., IV, 151.
Tirab., IV, 483-494.
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parti des Guelfes. Les succès des Gibelins l'obligèrent à quitter sa patrie et à se retirer en France, où il fit un séjour dont il n'est pas facile de bien fixer la durée. On est sûr au moins qu'il est resté à Paris depuis 1260 jusqu'en 1266; ceux qui ajoutent qu'il y ouvrit une école de grammaire ou de philosophie, ne le disent que sur la foi de l'auteur anonyme d'un commentaire inédit sur le Dante. Ce qui est incontestable c'est qu'il y écrivit en français l'ouvrage intitulé le Trésor. A la vérité, ce livre s'annonce comme une traduction :.« Cy commence « le livre dou Trésor lequel translata maître Brunet Latin (l de Florence de latin en roman. Il Mais le sens de ce titre est assez fixé par la nature même de l'ouvrage, qui offre un tissu d'articles divers, extraits en effet et traduits, si l'on veut, de la Bible, de Pline l'Ancien, de Solin et de quelques autres auteurs latins. La impartie se compose de cinq livres, qui contiennent l'Ancien et le Nouveau Testament,- avec des éléments de géographie et d'histoire naturelle. La 2e partie, divisée en deux livres, renferme un abrégé de la Morale d'Aristote et un traité des vertus et des vices. L'art de parler et l'art de gouverner occupent les deux livres de la 3° et dernière partie. Cette compilation n'a réellement d'autre mérite que d'être un des monuments de notre ancienne langue, et une preuve de l'estime qu'elle obtenait déjà des étrangers : « Se aucuns, dit Brunetto, demandoit pourquoi (1 chis livres est écrit en Roumans, pour chou que nous « sommes ytalien, je diroie que ch'est pour chou que nous « sommes en France, et pour chou que la parleure en est « plus délitable et plus commune à toutes gens. » Ses autres écrits sont en langue italienne; c'est sans raison, et en le confondant avec Brunellus, qu'on lui attribue des productions latines. Il a traduit et commenté en toscan une partie de la Rhétorique de Cicéron et quelques-unes des Harangues de cet orateur. On l'a dit aussi auteur d'une version de la Consolation de Boëce et d'opuscules intitulés : Motti de' Filosofi antichi ; Povertà dé Stolti , Gloria dé Pedenti ignoranti; Trat- tato della Penitenza: mais on n'a point constaté l'authenticité ni même l'existence de ces écrits. Un poëme italien de Brunetto, imprimé pour la première fois en 1788, est d'un bout à l'autre aussi inintelligible que le titre Pataffio qu'il porte ; Tiraboschi avait félicité le public de n'en point avoir connaissance. Le Tesoreito a long-temps passé- pour un abrégé des neuf livres du Trésor : c'est une erreur que
XIIIe SIÈCLE: -
Mém. de Falconet, Acad. des Inscr., VII, 297,
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M. Ginguené a parfaitement dissipée : le Tesoretto n'est qu'un recueil de préceptes moraux; et ce qu'on peut y remarquer de plus précieux, c'est un premier germe, bien imparfait encore, de la grande composition du Dante. Brunetto s'égare dans une forêt; là, les animaux de toute espèce qui l'environnent, obéissent tous à une femme dont les bras atteignent le ciel; cette femme est la Nature. Elle lui explique la création et la reproduction des êtres, la chûte des anges, la chûte de l'homme, les règles de la morale ; et ne le quitte qu'après lui avoir indiqué son chemin, c'est-à-dire trois routes, dans l'une desquelles il trouvera la philosophie et la vertu ; dans l'autre, les vices; dans la troisième, le dieu d'amour. En parcourant ces routes, Brunetto rencontre Ovide, et ensuite Ptolémée, qui à leur tour le guident et l'instruisent. Brunetto Latini mourut en 1295; il avait donné des leçons de littérature au Dante, qui, dans son poëme, le trouve en enfer et le reconnaît pour son ancien maître.
A l'égard du Dante, il n'a fait en France qu'une ou deux apparitions si courtes, que nous ne devons faire ici qu'une mention fort succincte de ce grand poëte. L'historien Jean Villani et deux commentateurs du Dante disent qu'il vint à Paris dans sa jeunesse avant l'an 1300, qu'il y fréquenta les écoles et y soutint des thèses publiques. Si, à cet âge, le désir de s'instruire l'a entraîné jusqu'à Oxford, comme ces auteurs le racontent aussi, il est extrêmement probable qu'il n'aura pas négligé l'université de Paris, alors beaucoup plus célèbre. Son voyage en France après son exil est moins douteux : mais les circonstances n'en sont pas très connues ; et d'ailleurs, si elles tenaient à l'histoire littéraire, ce serait à celle - du quatorzième siècle. Rien dans le poëme du Dante ne concerne particulièrement la France, sinon trois vers sur Hugues Capet, que François Ier a rendus fameux par le courroux qu'il ressentit en les écoutant.
On voit, par les détails qui précèdent, quelle idée les étrangers s'étaient formée de l'état de l'instruction dans les villes de France et sur-tout dans la capitale. On voit quelle attention excitaient alors les Français par des travaux littéraires, aujourd'hui peu admirés, mais trop nombreux et trop étendus pour ne pas acquérir, dans leur nouveauté, .quelque importance. Nous présenterons d'abord une liste des principaux écrivains que la France a produits au treizième siècle, selon l'ordre de leurs décès, sous Philippe-Auguste et
XIIIe SIÈCLE.
Hist. Litt. d'I- talie, t. I, 385- 386,
- Inf , canto XV.
Baillet, Jug , IV, 263-266.
Tirabosc., V, part. H, 487513. — Ginguené, l, 437, etc.
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Louis VIII, sous saint Louis, sous Philippe III, sous Philippe IV. Cette table chronologique, dont on prévoit l'aridité, nous semble ici indispensable : elle doit précéder et éclaircir les tableaux moins resserrés où ces mêmes noms reparaîtront avec plusieurs autres, distribués selon les principaux genres de littérature ecclésiastique et profane.
Alain de Lille, Adam de Perseigne et Pierre de Poitiers ont si peu vécu après l'an 1200, qu'on peut considérer leurs travaux littéraires comme appartenant au douzième siècle.
Mais c'est depuis 1206 jusqu'à 1226, époque où finit le règne de Louis VIII, que termine leur carrière, parmi les théologiens, les disciples d'Amaury de Chartres, et Arnaud, abbé de Citeaux, parmi les historiens, Lambert d'Ardres, Pierre de Vaux-Cernay, Villehardouin, Rigord et Guillaume le Breton, qui écrivit en vers les annales de Philippe-Auguste; parmi les autres poëtes, ou latins, ou provençaux, ou français, et plus généralement parmi les littérateurs, Evrard de Béthune, Pierre de Riga, Gilles de Paris et Gilles de Corbeil; Arnaud de Marvelle, Raymond Roger, comte de Foix, Guillaume Faidit et Blacas; Hugues de Bercy, Guyot de Provins, Herleers et Jean de Haute-Selve.
Les principaux écrivains ecclésiastiques qui moururent en France, durant le règne de saint Louis, sont : Gautier Cornut, archevêque de Sens; Guillame d'Auvergne, évêque de Paris; Guillaume d'Auxerre, Hugues de Saint-Cher. Ils avaient pour contemporains le chancelier Guérin, le jurisconsulte Pierre Défontaines, l'architecte Pierre de Montreuil; les chroniqueurs ou historiens Jacques de Vitry, Guillaume d'Andres, Richer de Senones, Albéric de Trois-Fontaines ; le grammairien Alexandre de Ville-Dieu; Nicolas de Braia, poëte latin; un très grand nombre de poëtes ou romanciers en langue française ou en langue provençale, tels que, d'une part, Marie de France, Thibaut comte de Champagne, Gautier de Coinsy, Gautier de Metz, Adenez, Guillaume de Lorris; de l'autre, Folquet de Marseille, Isarn, Boniface de Castellane, plusieurs autres troubadours, et leur historien Hugues de Saint-Cyr ; enfin, Vincent de Beauvais, dont l'ouvrage s'étend à presque toutes les études sacrées et profanes alors cultivées.
Sous Philippe 111, c'est-à-dire depuis 1270 jusqu'en 1285, peuvent se placer les troubadours Giraud de Borneuil, Pierre d'Auvergne, Aimeri de Pégulain; les trouvères Robert de
XIIIe SIÈCLE.
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Xille SIÈCLE.
Blois, Jean le Bossu d'Arras, et Gautier de Belle-Perche ; Philippe Mouskes, qui a écrit en vers français des morceaux d'histoire; le jurisconsulte Philippe de Beaumanoir; beaucoup d'auteurs ecclésiastiques, entre lesquels nous ne nommerons ici que Guillaume de Saint-Amour, Thomas de Cantimpré, Étienne Tempier, évêque de Paris, et Gilbert de Tournay.
Les quinze dernières années du siècle nous fournirent d'abord un auteur à-la-fois distingué dans la classe des théologiens et célèbre dans celle des jurisconsultes, Guillaume Durand, évêque de Mende; ensuite plusieurs écrivains en langue vulgaire : par exemple, Guyard des Moulins, traducteur français de la Bible; Giraud Riquier, qui semble fermer la liste des troubadours; et parmi les conteurs en vers français, Haisiaux, Jean de Boves, et Rutebeuf. Nous pourrions joindre à ces divers noms ceux des historiens Guillaume de Nangis et Joinville; du chirurgien Pitard, des médecins Arnaud de Villeneuve et Bernard de Gordon, enfin du poëte Jean de Meung; car ils ont tous écrit ou brillé dans le treizième siècle : mais ils ont vécu au-delà de l'année 1300.
Tels sont les seuls noms que nous distinguerons en ce moment entre plus de sept cents autres (a). Ils suffisent pour montrer une suite non interrompue d'hommes voués aux études -.
profanes et sur-tout aux études sacrées. La plupart des lettrés étaient en effet des clercs ou des ecclésiastiques; et de là venait l'usage d'appliquer ce nom de clercs aux laïcs qui avaient quelque instruction, même à tous les officiers publics qui rem-.
plissaient des fonctions non militaires. Malgré la décadence que nous avons déjà remarquée dans les études monastiques;, c'était néanmoins encore au sein des abbayes et des chapitres réguliers que recevaient les premières leçons ceux qui de- vaient briller ensuite sur les bancs et sur les chaires des universités, et dans les grands emplois ecclésiastiques. Les moines continuaient de cultiver presque tous les genres d'e connaissances; ils s'occupaient même de chimie. On traduisait quel-
(a) Ce n'est que dans les notices biographiques qui suivront ce discours que nous pourrons établir avec quelque précision la chronologie des auteurs du treizième siècle. Celle des troubadours surtout est peu éclaircie encore et présente d'assez graves difficultés. Peut-être aurons-nous à rectifier quelques points de l'aperçu que nous venons d'offrir : il n'est destiné qu'à indiquer sommairement et d'une manière générale les 3 ou 4 générations littéraires qui se sont succédé en France entre 1190 et 1320.
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ques anciens livres, on renonçait à quelques croyances absurdes : par exemple, on commençait à soupçonner que la chronique de Turpin n'était qu'un amas de fictions puériles.
Mais Vincent de Beauvais, tout en admirant les lumières de ses contemporains, ne laisse pas de leur reprocher leur dédain pour l'histoire de l'Eglise. Il eût pu dire plus généralement qu'ils négligeaient l'histoire pour la dialectique; l'expérience pour la dispute, la théologie positive pour la scholastique, les auteurs classiques pour le seul Aristote, celui de tous qu'ils comprenaient le moins. Les progrès n' é- taient rapides en aucun genre; et l'on devait plus de découvertes aux simples tentatives des ouvriers qu'aux méditations et aux livres des savants de profession. Ajoutons que les croisades expatriaient beaucoup d'hommes de lettres et dépeuplaient même les écoles, moins pourtant en France qu'en Allemagne. Les chaires, les fonctions ecclésiastiques et l'état monastique étaient, pour les lettrés, les ressources les plus ordinaires : mais on prenait aussi l'habitude de les charger de certaines fonctions- civiles, particulièrement de l'éducation des jeunes princes. Nous verrons enfin plusieurs littérateurs laïcs, et sur-tout les poëtes, trouver dans les cours et dans les châteaux des asyles et des bienfaiteurs.
Plus puissants que tous les autres princes, les papes exercaient sur la direction des études une influence universelle, presque aussi remarquable en France qu'en Italie. Pour plaider par écrit ou de vive voix tant de causes publiques et particulières dont Innocent III s'était réservé la décision suprême, il fallait avoir acquis, outre la connaissance des lois, l'habitude de présenter une demande ou une défense sous un jour favorable. On avait besoin d'instruction et de talents pour réussir auprès d'un pontife qui s'était appliqué à donner à son esprit autant d'exercice et d'étendue qu'à son pouvoir.
Il avait, dans sa jeunesse, étudié à Paris, et y avait pris, encore plus qu'à Rome et à Bologne, le goût des lettres et une grande idée de leur importance. Devenu pape, il ordonna au clergé de les cultiver; il établit un maître de grammaire dans chaque église cathédrale, et plusieurs autres professeurs dans les églises métropolitaines. On remarque ces dispositions parmi les décrets du concile de Latran tenu en 1215; et 1 on voit d'ailleurs qu'en cette même année Innocent s'occupait particulièrement de l'université de Paris, lui accordait des privilèges, lui imposait des lois, et chargeait Robert de
XIIIe SIÈCLE.
Specul. hist., 1.
I, c. 2. - De Inst. erudit. filior. reg.
V Protection accordée aux lettres par les souverains, spécialement par les rois de France.
Tiraboschi, IV, 34-41.
Vita Innoc. III, in fronte epistolar., edit. Baluz.
-Script. rer. ital., Murât., III, part.
I, 486.
Du Boulay, III 23, 60, eic.
— Crévier, I,
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Courçon, son légat en France, d'y ranimer et régler les études. Plusieurs bulles d'Honorius III ont le même objet : un évêque fut déposé par ce pape, pour n'avoir pas lu Donat, c'est-à-dire pour ne pas savoir la grammaire. Grégoire IX montra plus de zèle encore pour le progrès des arts et surtout de la jurisprudence canonique. Il protégea, en 1229, l'université de Paris, que des troubles, dont nous parlerons bientôt, avaient mise en péril. Elle n'a pas été moins redevable à Innocent IV, qui fut aussi le bienfaiteur de celle de Toulouse : durant le séjour que ce pontife fit à Lyon, sa cour nous est dépeinte comme une sorte d'académie théologique et canonique. Alexandre IV, tout en prenant contre les universités de France le parti des religieux mendiants, rendit un hommage solennel aux écoles de Paris, en y envoyant ses deux neveux. En général tous ces papes, quoique Italiens, ont eu pour nos écoles une prédilection si marquée, qu'Urbain IV, Français de naissance, ne semblait presque, en la laissant éclater, que suivre l'exemple de ses prédécesseurs , et le souvenir des succès qu'il avait obtenus lui-même dans l'université de Paris, ne pouvait passer pour l'unique motif d'une si grande bienveillance. Il éleva à d'éminentes dignités Pierre de Charniac et d'autres français distingués par leur savoir. Nicolas IV, qui lui succéda, fonda des chaires à Montpellier, et à Gray en Franche-Comté : il choisit pour son vice-chancelier, Jean, doyen de Bayeux, dont on vantait les talents.
Parmi les princes d'Italie qui, à l'imitation des papes, secondaient le progrès des lettres, on cite Azzon d'Este, septième du nom, amateur, il est vrai,. d'astrologie judiciaire, mais protecteur des troubadours les plus fameux de cette époque. L'empereur Frédéric II cultivait tous les genres de littérature, étudiait toutes les langues, savait sur-tout le français, établissait des écoles de philosophie, encourageait les recherches à faire dans les écrits des Pères de l'Eglise, dans ceux d'Aristote et des autres anciens philosophes. En France, Philippe-Auguste, quoique trop peu lettré lui-même, sentit, plus qu'aucun de ses prédécesseurs, le besoin d'entretenir'et d'étendre l'enseignement public; et son empressement à rechercher la société des savants était d'autant plus louable, qu'il n'aspirait point à se montrer leur émule. Sous son règne, on ne parvenait aux places éminentes dans l'Eglise et dans l'administration civile, qu'après s'être distingué dans
XIIIe SIÈCLE 268, 284, 315, etc. — Thomassin. Eccl. Disc.
I, lib. I, c, 10.
Mart. et Dur., Veter. script., I, 1146. — Du Boulay, III, 93, 96, etc.
Script. rer.
ital., VIII, 1083; III, part. I, 575, 592.
Crévier, I, 343, 360, 363.
Du Boulay, III, p. 307.
Mathoud, Catal. Arch. Senon., 144.
Rinaldi, Ann.
eccl., 1289, 90, 91.
Nouv. Traité de Diplom., V, 298.
Muratori, Antich. Est, part.
II, c. 2. - Tirab" IV, 41, 42.
Malespini, Stor.
Fior., c. 112, t. 8 Script, rer. italie. — Giov. Vil- lani, 1. VI, ci. Dante, de Vulgari eloq., c. i3.
— Tirab., IV, 16, ,7Du Boulay, III, 109; II, 444, 769.
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la carrière des lettres. Louis VIII n'a eu le temps ni d'altérer - ni de perfectionner ce système, qui s'est développé sous saint Louis. Ce prince avait été élevé avec un soin extrême par sa mère, la reine Blanche, l'une des femmes les plus instruites de son temps, amie des lettres et de ceux qui les cultivaient.
Plusieurs maîtres, alors réputés habiles, avaient mis Louis IX en état d'entendre le latin d'église, et même d'expliquer les écrits de quelques saints Pères. Par ses propres réflexions il sentit la nécessité d'accélérer les progrès jusqu'alors bien lents de la langue vulgaire : il fit traduire en français diverses parties de la Bible et de quelques autres ouvrages; il paraît même qu'il s'est exercé quelquefois lui-même dans ce genre de travail. L'intérêt qu'il prenait à toutes les compositions littéraires en fit éclore ou achever un très-grand nombre dans le cours de son règne. Il encouragea particulièrement Vincent de Beauvais, qui avait entrepris un recueil immense de faits et de doctrines. Du reste, les livres des scholastiques n'étaient pas ceux que S. Louis goûtait le plus : la rectitude naturelle de son esprit l'entraînait à des études moins obscures et plus positives. Une attention constante à ne tenir compte dans la distribution des emplois que des bonnes mœurs et de la science, de nouveaux codes rédigés sous sa direction, de longs voyages faits par ses ordres en Tartarie et en d'autres contrées asiatiques, la création des premières archives françaises et de la première bibliothèque publique, la fondation du collège de Sorbonne, l'entretien vigilant de tout ce qui existait avant lui d'établissements d'instruction, presque tous les actes enfin de son gouvernement intérieur tendaient à ranimer le goût des lettres. Mais le succès n'a point couronné tous ses efforts. Il n'a point surtout réussi à transmettre ce goût honorable à son fils Philippe III, qui demeura fort illétré, malgré les soins donnés à son éducation, et dont le règne doit être considéré comme un.
temps de décadence. Toutefois les traditions se perpétuaient, les institutions subsistaient, et des études, quoique fort ralenties, n'avaient pas encore perdu toute activité, lorsque Philippe IV, par des faveurs nouvelles, les remit en crédit et en honneur. Il les fit aimer de ses courtisans même; à son exemple, des princes et des prélats fondèrent des collèges, rendirent hommage au talent et à la science, et l'on vit s'élever à la fin du siècle une nouvelle génération d'hommes instruits et d'écrivains.
XIIIe SIÈCLE.
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Mais pour rendre sensible la protection accordée aux lettres par Philippe Auguste, par S. Louis, par Philippe-le-Bel, et par quelques princes contemporains, il nous faut entrer dans l'histoire des établissements littéraires et des différents genres de littérature.
Ce fut en Orient que S. Louis conçut l'idée de se former une bibliothèque à Paris. Ayant appris qu'un soudan d'Egypte faisait de toutes parts rassembler, transcrire et traduire les livres des anciens philosophes, il s'affligea « d'apercevoir dans les enfans des ténèbres plus de prudence que dans les disciples dé l'Évangile », et résolut d'entraîner les chrétiens à suivre un exemple qu'ils auraient dû donner. Il fit donc copier les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, et plusieurs otlvrages des Pères de l'Eglise. « Il avoit »>, dit un de ses historiens, « la Bible glosée, et originaux de saint Augustin et « d'autres saints, et d'autres livres de la sainte Escripture, « esquex il lisoit et fesoit lire moult de fois devant lui el « tems d'entredisner et heure de dormir. » Il rassembla ces livres à la Sainte-Chapelle de Paris, et voulut que cette bibliothèque, où se trouvaient, avec la Bible, les ouvrages de S. Jérôme, de S. Ambroise, de S. Augustin, de S. Grégoire le Grand et de quelques autres écrivains ecclésiastiques, fût accessible aux savants, aux professeurs, aux étudiants même : elle était particulièrement à la disposition de Vincent de Beauvais. C'est en France, peut-être même en Europe, le premier exemple d'une bibliothèque publique, mais ce n'est pourtant pas le germe de la bibliothèque royale : car S. Louis, par son testament, décomposa cette collection modique, en la distribuant entre les Cordeliers, l'abbaye de Royaumont et les Jacobins tant de Paris que de Compiègne. On ne découvre aucun dépôt semblable sous Philippe III, et il n'est pas certain que celui qu'avait recommencé Philippe IV, se soit conservé après sa mort. Du reste, les autres princes chrétiens n'en possédaient encore aucun dont il soit fait mention dans l'histoire. La bibliothèque du Vatican n'était point commencée; mais il existait à Pérouse, dès 1208, une collection de livres de jurisprudence canonique et civile.
C'était seulement dans les monastères que l'on commen- çait à former, conserver, accroître des bibliothèques propre- ment dites. Entre tous les religieux, les dominicains et les franciscains, récemment fondés, montraient le plus d'ardeur à recueillir ces richesses littéraires. Les dominicains de Tou-
XIIIe SIÈCLE.VI.
État des livres et des bibliothèques.
Godefr. de Beaulieu, dans la Collect. de Duch.
Script, rer. gallic., V, 457- - Boll., 25 aug. — Reg.
442. — Félib., H.
de Paris, t. I, 1.
VIII, 358. — Racine, Abr. d'hist.
ecc.,V, 366, 367.
-Desl,Hist. crit.
de la Philos., III, 285. — Mart., Ampl. Coll., VI, 363. — Liron, Bibl. Chart., 112, 113.
Vinc. Belvac., de Consol., prolog.
Bolland., 25 aug., 500. — Testament. Lud. IX, inter Script, rer.
fr., Duch.,V, 438.
Tirab,, IV, 87.
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louse se construisirent une librairie qu'ils ouvraient aux autres ecclésiastiques de cette ville., tant réguliers que séculiers. Les soins à prendre pour l'entretien et l'augmentation de ces dépôts sont prescrits dans les actes des chapitres qu'ils tinrent à Paris en 1239, à Toulouse en 1258. Mais les communautés plus anciennes possédaient aussi beaucoup de livres, soit acquis de leurs propres fonds, soit transcrits par les religieux, soit enfin légués par des prélats ou d'autres personnes. Ces legs, dont nous allons citer quelques exemples, prouvent que plusieurs hommes de lettres avaient déjà de petites bibliothèques particulières.
En 1217, Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, donne à sa cathédrale un grand nombre de manuscrits, librariam supellectilem copiosam. L'année suivante, l'évêque de Paris, Pierre de Nemours, en partant pour la croisade, lègue à l'abbaye de S. Victor sa grande Bible en 22 volumes; à l'abbaye d'Olivet, son Psautier avec glose, les Épîtres de S. Paul, accompagnées d'une semblable paraphrase, et les Sentences, apparemment celles de Pierre Lombard; enfin, à l'église de Paris, tout le surplus de ses livres. Par un testament daté de 1238, Pierre Ameil, archevêque de Narbonne, donne sa bibliothèque aux écoliers qu'il entretient à Paris, à condition qu'ils n'en vendront ni dénatureront aucun article : il n'excepte de ce don que sa Bible; mais peu d'années auparavant, il avait fait présent aux dominicains de quelques autres volumes, et notamment d'une Bible glosée. Légataire en 1141 d'Hélie Chabot de Périgord, chanoine de Troyes, l'abbaye de Livry recueillit, outre des biens fonds, beaucoup de livres d'église et de théologie, avec une somme d'argent pour en acheter d'autres. L'évêque de Vence, Guillaume Riboti, lègue à l'abbaye de S. Victor de Marseille tous les manuscrits qu'il possède, à l'exception de son Bréviaire, qui sera vendu; et dont le prix doit servir à acheter des terres, ad emendas possessiones. Cet acte est de l'année 1257, et l'on a, sous la même date, celui par lequel Yves, abbé de Cluny, donne à son monastère les Évangiles expliqués, pour être lus au réfectoire, et vingt-deux autres volumes qui demeureront attachés par des chaînes scellées au mur du cloître. Une Bible glosée fut achetée en 1263 par Pierre, abbé de Saint-Maur, qui en fit présent au prieur et aux moines de ce couvent, en les obligeant de reconnaître par écrit qu'ils la tenajent de lui. En 1268, le testament
XIIIe SIÈCLE.
Mart., Thes.
anec., IV, 1677.
Gall. Christ.
nov., IX, 789 ; VII, go. - Félib., Hist. de Paris, t. I, 1. VI, 264.
Gall. Christ.
nov., VI, pr. 62, 64, 76.
Gall. Christ.
nov., VII, 372.
Gall. Christ.
nov., III, 194.
Bibl. Cluniac., 276.
Gall. Christ.
nov., VII, 297, 298.
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de Guillaume de Beauvoir destine soixante livres viennoises à l'acquisition de quelques volumes pour les couvents de Die et de Vienne. On remarque, vingt ans plus tard, un legs de manuscrits, y compris l'Ancien et le Nouveau Testament, fait à l'abbaye de Saint-Victor de Paris par Adelnuse d'Anagni, neveu du pape Grégoire IX. Plusieurs livres de théologie furent acquis, par un abbé de Couserans, pour l'abbaye de Condom. Guillaume de Haynaut, évêque de Cambray, avait donné une Bible en douze volumes aux Chartreux établis près de Valenciennes, qui s'étaient obligés à ne jamais la vendre, engager ni prêter. Le Nécrologe de Sainte-Geneviève indique en détail les bibles, les psautiers,, les ouvrages théologiques, les traités de médecine et spécialement ceux d'Avicenne, donnés à cette abbaye dans le cours du XIIIe siècle par l'abbé Odon, par Estienne et Barthélemy Berout, chanoines réguliers, par le diacre Robert, par Jean et Nicolas de Danemarck. On découvre aussi,, dès ces mêmes temps, les premiers commencements de la bibliothèque de Sorbonne. Une note faisant partie d'un manuscrit de la fin du XIIIe siècle porte qu'il appartenait aux pauvres maîtres de Sorbonne et qu'il avait coûté dix sols : c'est un manuscrit de quarante-quatre feuillets, contenant la Chronique de Martin de Pologne. La même bibliothèque reçut d'un chanoine d'Amiens une Bible du prix de vingt-six livres, et la seconde Seconde de saint Thomas; elle reçut de Geoffroy Desfontaines, chanoine de Liège et de Paris, un autre exemplaire de cette même seconde Seconde, valant douze livres, d'autres parties de la Somme théologique et la Somme contre les Gentils. Ce fut encore avant l'année 1300 que Pierre de Farbur, Clarin de Saulieu, Siger doyen de Courtray, Bernier de Nivelles donnèrent à la Sorbonne, entre autres livres, différentes parties de la grande Somme de saint Thomas d'Aquin. Le père Échard a fait un exposé de tous ces legs et de plusieurs autres, pour prouver que cette Somme était reconnue avant i3oi comme un ouvrage authentique du docteur dont elle porte le nom.
On a, sur les bibliothèques ecclésiastiques et monastiques qui existaient alors, des indications d'une autre nature. On sait que Vincent de Beauvais visita celle de Saint-Martin de Tournay et la trouva fort belle. A saint Alaars el biau librairie, dit Gautier de Coinsy, en parlant de l'abbaye de
XIIIe SIÈCLE.
Chorier, Hist.
du Dauph., t. II, p. 18.
Script, ord.
Pracd., I, 200. —
Gall. Chr. nov., VIII, 112.
Dachery,3picil., XII, 505.
Nouv. Traité de Diplom., V, 589.
Necr. ms. —
Gall. Chr. nov., 743.
Échard, Su m ma S. Thom. vindic.
Gall. Christ.
nov., III, 277.
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Saint-Médard de Soissons, où il était moine, et où, en 1230, il traduisait en vers francais un livre des Miracles de NotreDame. En 1288, les religieux de Sainte-Catherine-du-Val- des-Écoliers rédigèrent le catalogue des volumes qu'ils possédaient : Habebamus in nostro armariolo Parisiensi libros illfrà nominatos : entre trois cents articles, on peut citer la Somme de saint Thomas, le traité de Universo de Guillaume évêque de Paris, des écrits de Pierre de Tarentaise et de Gilles Augustin, autrement dit Gilles Colonne.
Le mot armarius désigne ordinairement le bibliothécairè d'un monastère ou d'une église. Tels étaient Raoul à l'abbaye de Maillezais, un autre Raoul à Saint-Florent-le-Vieil. Par un acte daté de 1261, Milon de Vergy, prieur de SaintMartin-des-Champs, augmente de vingt sols parisis le revenu du bibliothécaire de cette communauté. On exigeait de ces conservateurs le serment de ne vendre, ni engager, ni prêter aucun volume : nous avons déjà vu dans les actes testamentaires des dispositions pareilles, et que les soins qu'on prenait pour la conservation des livres, allaient jusqu'à les enchaîner. Il s'en égarait cependant quelques-uns, et tant de précautions le prouvent : des religieux en emportaient d'un monastère à l'autre, mais on veillait à ce qu'ils fussent restitués. Bertrand du Colombier, abbé de Cluny, recommande, avant de mourir, qu'on rende à l'abbaye de Saint-Seine des livres dont il se trouvait détenteur.
On a transcrit un très-grand nombre de livres dans le cours du XIIIe siècle ; mais il s'en faut que ces manuscrits soient d'une belle exécution. Née bien avant l'année 1200, du mélange des lettres onciales, capitales, minuscules et cursives, l'écriture gothique est devenue dominante et générale sous les règnes de Philippe-Auguste , de Louis VIII et surtout de Louis IX. Ce nom de gothique qu'elle porte n'indique aucunement son origine. Cette écriture n'est qu'un produit du mauvais goût qui régnait dans tous les arts. Ce qui la caractérise, c'est l'altération des formes simples, et une complication bizarre de contours superflus. Elle admet toutes les variations que peut suggérer le caprice. Aussi n'y a-t-il point de siècle dont les manuscrits présentent aussi peu d'uniformité que ceux de l'âge qui nous occupe. Nous rencontrons presque d'année en année de nouvelles écritures de plus en plus difformes. L'ancienne minuscule capé-
XIIIe SIÈCLE.
v Mss. no 7387 et 7589 de la Bibl.
du Roi.-Notes de Sainte-Palaye.
S. Th. Summa vinaic., p. 433.- Gallia Christ.nov., IV, 783.
Labbe, Bibl.
ms. nov., II, 247.
- Man., Ampl.
Coll., V, 11 36.
Nouv. Traité de Diplom., V.
589.
Gall. Christ.
nov., IV, 12S0, 1251.
La Mare, Traité de la Police, I, 260. — Pluche, Spect. de la nat., VII. 213.-23 r. -
N. Trai lé de Dipl., III, 303, 394, 450, 451, 670, 676,677.
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tienne dégénéra rapidement, et devint aussi barbare que la nouvelle cursive. Par surcroît, on négligeait la ponctuation : on ne distinguait par aucun signe les phrases et les membres de phrases. Cette omission, et les abréviations arbitraires et variables qu'introduisirent les praticiens et les scholastiques, achevèrent de rendre presque illisibles des manuscrits dont souvent la lecture est déjà bien assez pénible par la barbarie de la diction et par l'incorrection du style. Du reste, les copistes étaient plus nombreux que jamais : on en comptait en France environ quarante mille, dont la plupart habitaient les monastères. Nous voyons même des abbés se livrer à ce travail : par exemple, Odon, abbé de Condom, copia les Fleurs des saints et un commentaire sur la règle de saint Benoît. On ne transcrivait guère que des bibles et des livres d'église : ce siècle héritait de l'art inventé dans les précédents, de gratter et d'effacer d'anciens manuscrits classiques, pour employer le parchemin à des écrits religieux. Parmi les copistes de cet âge, nous devons nommer maître Cohen, qui, peu après l'an 1200, transcrivit le texte hébreu de l'Ancien Testament, mais surtout Jean Boulogne, de la main duquel il reste plusieurs manuscrits qui semblent être du tems de Philippe-leHardi ou de Philippe-le-Bel. Tels sont les romans de Carle et d'Almont, et d'Isorer le Salvage, dont chacun est terminé par ces deux lignes :
Qui scripsit, semper cum Domino vivat, Vivat in cælis, Johannes de Bononia, in nomine felis.
C'est-à-dire, selon M. de Sainte-Palaye, Jean de Bologne, dit le Chat.
On écrivait sur parchemin ou sur vélin ; le papier de chiffe n'apparaît qu'après l'an 1300: mais il en a été employé, dès 1309, pour certains actes du procès des Templiers, ce qui permettrait de conjecturer que ce papier avait été peut-être inventé avant 130 1) quoiqu'il n'en subsiste, à notre connaissance, aucun morceau d'une date authentiquement antérieure à cette époque. Quelquefois, mais bien rarement, on faisait usage de tablettes de cire. Les actes publics s'écrivaient sur des peaux qui, cousues et roulées ensemble, méritaient le nom de volume, et prenaient celui de rotula ou rotulus quand l'acte avait peu d'étendue. Les manuscrits d'ouvrages proprement dits, sacrés ou profanes,
XIIIe SIÈCLE.
Nouv. Traité de Diplom., III, 4.72.
Gall. Christ.
nov , II, 961, 962.
Houbigant, Proleg. in S. Script., part. I, 38.
Notes de SePalaye.
Accusation des Templiers, au Trésor des chartes.
Mém. de Lebeuf, Acad. des Inscript. , XX, 274-285.
V. Hist. litt.
de la Fr., IX, 13r, 168.
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se reliaient comme nos livres actuels, et se surchargeaient presque à chaque page d'ornements gothiques, vignettes, armoiries, dessins coloriés, initiales en op. Les marges se remplissaient de peintures, à tel point qu'on disait que les écrivains étaient devenus des peintres : Hodiè scriptores non sunt scriptores, sed pictores. Tracer ou peindre ces figures marginales s'appelait babuinare : ce luxe, porté plus loin en Italie qu'ailleurs, se répandait beaucoup en France; témoin, entre autres, deux manuscrits du Saint Greaal, dont l'un présente cent vingt-cinq miniatures dorées, et l'autre cent vingt-sept, outre les capitales ornées d'armoiries qui se rencontrent dans tous deux. Tels sont aussi les quatre Évangiles en lettres d'or qui furent achevés en moins d'une année, de 1213 à 1214, à l'abbaye de Haut-Villiers, sous l'abbé Pierre-Guy; l'exemplaire de la Bible exécuté vers 1239 à l'abbaye du Parc, et qui a servi, depuis, aux Pères du concile de Trente; enfin le Passionnaire, ou recueil de cent trente vies de saints, écrit à Haut-Villiers en 1282, sous l'abbé Thomas de Morimont, et qui se termine par une défense de l'aliéner. Quelques réclamations s'élevèrent contre cette magnificence : les dominicains défendirent aux copistes de leur ordre de faire des livres dorés, et leur ordonnèrent de s'appliquer plutôt à former des caractères plus lisibles.
Ces ornements avaient éleyé le prix des livres à un taux excessif, dont il nous est difficile, vu les variations du système monétaire, de concevoir une idée précise. Nous voyons toutefois que chaque miniature des manuscrits du Saint Greaal coûtait deux florins; qu'on payait quatre-vingts livres une copie de la Bible, et deux cents florins un missel orné. En général nous pourrions dire que le prix moyen d'un volume in-folio d'alors équivalait à celui des choses qui coûteraient aujourd'hui quatre ou cinq cents francs.
Cette cherté des livres montre assez que les collections n'en pouvaient être fort nombreuses, et que, par conséquent, les leçons orales étaient nécessaires, bien plus qu'aujourd'hui, pour propager l'instruction. Ce fut surtout au XIIIe siècle que les universités s'organisèrent. Mais avant de tracer l'histoire de ces établissements, il convient de jeter un coup-d'œil sur les écoles plus anciennes et plus petites qui se maintenaient au sein des monastères et auprès des églises cathédrales ou collégiales. Plusieurs lettres d'Innocent ÎI1 prouvent qu'il en existait Une à Sàint-Médard
- XUlc SIÈCLE.
Gall. Chr. nov., I, 991.
Acad. deslnscr., XVI, 175, etc.
Nos 6769, 6777, de la Bibl. du Roi.
— Notes 30-38 de Se-Palaye.
Gall. Christ, nov., IX, 251.
Ibid., V: 98.
Ibid., IX, 255, 256.
Mart., Thes.
anec., IV, 1677, 1712, 1719.
Gat. des mss.
du collège de CleÊmont.
VII.
État des écoles et universités.
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de Soissons. Ce pape y fit recevoir de sa pleine puissance, et malgré l'abbé, le fils d'une pauvre veuve; il enjoignit de l'instruire et de l'entretenir jusqu'à l'âge de quinze ans, et de l'admettre ensuite à la profession religieuse. Nous voyons qu'un évêque d'Angoulême, nommé Guilloti, avait été instruit au monastère de Saint-Maixent; et que Gilbert, abbé de Sithieu ou Saint-Bertin, avait reçu, dans cette abbaye même, une semblable éducation à titre de pauvre écolier. On formait aussi des élèves dans le prieuré de Saint-Martin du Mans et dans l'abbaye de Cisoin; l'un des règlements portait qu'ils y resteraient quatre années. Guillaume de Nangis indique une école dans l'abbaye de SaintNicolas-au-Bois, où les étrangers venaient apprendre la langue française. Sibrand, abbé de Notre-Dame-du-Jardin, près d'Utreçht, établit, au sein de sa communauté, une espèce d'académie, à laquelle il préposa un savant nommé Frédéric.
Là, des leçons d'histoire profane, l'explication des poëtes et des livres saints attiraient un grand nombre d'étudiants.
Il serait facile de citer bien d'autres exemples, quoique le goût des lettres se fût affaibli dans la plupart des anciens monastères. Les nouveaux moines, dominicains et franciscains, recherchèrent avidement la science et surtout la renommée qu'elle donnait. Parmi les statuts que fit à Lyon, en 1274, un chapitre général des frères prêcheurs, on remarque vingt-deux articles sur les professeurs et les étudiants de cet ordre. Ces religieux ne tardèrent point d'avoir à Paris deux écoles de théologie, l'une pour leurs propres élèves, l'autre pour des externes; et Jean de Saint-Gilles passe pour le premier dominicain qui y ait donné des leçons publiques : mais ces chaires tiennent au régime des universités, dont nous ne parlons point encore.
Urbain IV nous apprend lui-même qu'il a été l'un des élèves de l'école établie auprès de la cathédrale de Troyes.Guillaume de Flavacourt, archevêque de Rouen, témoigne la même reconnaissance pour les soins jadis donnés à son instruction dans le chapitre de cette métropole. Dans celui, du Mans, il y avait, dès 1209, sous l'évêque Hamelin, un maître des écoles. Un collège était ouvert à Reims pour les pauvres étudiants, dits les Bons Enfants. En 1245, l'archevêque de cette ville leur donne pour supérieur le scholastique ou écolâtre; et il règle, par de nouveaux statuts, le cours de leurs exercices. Un évêque de Senlis ordonne en 1263 aux
XIIIe SIÈCLE.
Innoc. Epist.,lib.
XII, 322, 313.
Gall. Christ.
nov., I, 1007.
Mart., Thes.
anec.,III,722-726.
Nécrol. mss. de rÉglo du Mans.
Dachery, Spi- cil.,XII, 527-528.
Guill, de Nang., p. 364.
Bibl. præm., l, 306, 307.
Mart., Thes-.
anec., IV, 17721774-
Touron, Hom.
ill. de l'ordre de S. Domin., II, 142.
Script, ord.
Præd., I, 100.
Mart., Thes.
anecd., II, 29.
Pommeraye.Vies des archev. de Rouen, 487.
Cartulaire de l'abb. de SaintVincent, fol. 22, 61.
Gall. Christ.
nov., 111, 112.
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maîtres établis près de la collégiale de Saint-Thomas, à Crépy, d'instruire gratuitement les enfants de chœur; plus tard , un autre prélat confie la direction des écoles de Senlis même à Odoard de Montmoliac. Il paraît qu'en certaines paroisses, les curés et les vicaires enseignaient à lire aux enfants du plus bas âge : c'est du moins ce qui est ordonné, en 1297, aux ecclésiastiques du diocèse de Carcassonne par l'évêque Pierre de la Chapelle, qui fut depuis cardinal.
Tout annonce aussi que des prélats avaient fondé et surveillaient les écoles que possédaient alors plusieurs villes.
Irvin était maître de celles d'Orléans en 1203. Si les. lettres florissaient à Châtillon-sur-Seine, autant que l'affirme Guillaume le Breton, il est impossible de n'en pas conclure qu'elles y étaient soigneusement enseignées. Les étudiants d'Auxerre portaient, comme ceux de Reims et de plusieurs autres lieux, le nom de Bons Enfants ; la comtesse Mahaut leur donna, en 1253, un terrain qui avait servi de cimetière aux juifs; à la fin du siècle, le pénitencier Jean Comin voulut lever sur eux un tribut annuel, et Jacques Grail, leur principal maître, s'y prêtait : ce fut l'objet d'un différend entre le pénitencier et les bourgeois. Les noms de plusieurs de ceux qui, en différentes villes, gouvernaient les écoles, nous ont été conservés, et nous voyons, par exemple, dans celles de Tournay, Michel Warenghien succéder à Jean Burchiel. En 1297, Jean Collembeni et maître Étienne Boyer, tous deux clercs, enseignent la grammaire et la logique à Riom, par permission de l'abbé de Saint-Amable; et vers le même temps, les habitants de Tarascon retiennent dans leur ville Pierre Cardinal pour instruire la jeunesse aux bonnes mœurs et aux belles lettres; ils lui assurent des émoluments honorables, et Robert de Naples les en indemnise, en les exemptant pour deux ans de tailles et de subsides. Mais plus on s'approche de l'année 1300, plus ces écoles particulières tendent à se rattacher au système des universités.
Les écoles établies près des églises cathédrales ont été, sans nul doute, les premiers germes de celles qui ont pris le nom d'universités. Ce nom avait été d'abord donné à de tout autres associations. Il ne s'agissait point d'écoles, lorsque Eugène III, s'adressant aux chanoines de Sainte-Geneviève, disait universitati vestræ, non plus que lorsque, au XIIIe siècle, Honorius III se servait précisément des mêmes ter-
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Christ.
nov., IX, 1418.
Gall. Christ.
nov.,VI, 892.
Gall. Christ.
nov., VII, 729.
Philippidos, 1.1.
Script, rer. fr., XVII, 130.
Lebeuf, Mém.
d'Auxerre, II, pr.
56.
Lebeuf, ibid., 296.
Gall; Christ.
nov , 111,220-222.
Gall. Christ.
nov., 11, 389.
Nostr.,Vies des poët. prov., 177.
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mes, en parlant à tous les prélats de la chrétienté. Mais quand les maîtres furent devenus très-nombreux dans une même ville et y eurent attiré une grande affluence d'étudiants, on employa le mot universi et ensuite univer- sitas pour désigner la totalité des uns et des autres. Les expressions scholares universi, universitas scholarium, comprenaient à la fois et indistinctement les maîtres et les disciples, tous les gens d'école. Appliqué d'abord aux écoles de Paris, le nom d'université le fut successivement à celles de Bologne, d'Oxford, de Toulouse, d'Orléans, d'Angers, de Montpellier, de Bourges. Les cinq dernières ne commencent réellement qu'au règne de saint Louis, qui dota celle de Paris, instituée avant son avènement. Les évêques conservèrent sur ces établissements l'autorité qu'ils avaient eue sur les écoles annexées à leurs églises : ils nommaient ou instituaient leurs professeurs; une bulle de Nicolas IV fait voir qu'ils exerçaient, par eux-mêmes ou par l'un des chanoines de leurs cathédrales, une surveillance' immédiate et une juridiction absolue sur les études. Le dignitaire qui les suppléait dans cette fonction s'appelait maître des écoles ou scholastique ou écolâtre, quelquefois aussi chancelier.
Les désordres des étudiants étaient punis par des peines ecclésiastiques, même par l'excommunication; ils allaient à Rome se faire absoudre. Pour éviter ces fréquents pèlerinages, qui, ordinairement, donnaient lieu à des dérèglements nouveaux, Innocent III conféra le pouvoir de prononcer ces absolutions à l'abbé de Saint-Victor : mais le pape n'avait prétendu parler que des écoliers de Paris; et l'abbé ayant absous des clercs qui étudiaient en d'autres villes, Innocent III l'en réprimanda sévèrement. Jacques de Vitry a tracé le tableau des désordres auxquels s'abandonnaient les étudiants de cette époque, et dont ils se faisaient un point d'honneur: ivrognerie, libertinage, rapines , querelles , batailles et quelquefois homicides. Le moindre scandale était celui qui consistait dans le conflit des opinions diverses et dans les rivalités dont les maîtres donnaient l'exemple aux disciples. Le nombre et l'âge avancé des écoliers de ce temps imprimaient à leurs désordres Un caractère plus alarmant et plus grave. On n'étudiait guère le droit canon ou civil que de vingt-cinq à trente ans, et dans les autres facultés, On comptait parmi les étudiants beaucoup de clercs, de bénéficiers et même de curés. On avait d'abord dispensé de la
XIIIe SIÈCLE.
Epist. lnnoc. III, 1. XIV, ep. 150.
Hist. occid., c.
2. — Touron, Homm. ill. de l'or- dre de S.-Dom., I, 320, 321;
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résidence les bénéficiers qui recevaient dans les écoles particulières de leurs diocèses ces leçons de théologie, bientôt, ce privilège fut étendu à tous les élèves des universités, à ceux mêmes qui n'étudiaient que la jurisprudence. Toutefois.) à Nevers, les jeunes chanoines absents pour raison d'études ne jouissaient que des petites rétributions; ils faisaient serment par eux-mêmes ou par leurs tuteurs où procureurs de ne point prétendre aux autres fruits de leurs bénéfices. L'un d'eux les ayant réclamés, le chapitre s'adressa au pape Innocent III, qui répondit qu'on avait dû, dans le serment, sous - entendre l'exception qui résulterait d'une dispense accordée par le Saint-Siège, et que ne pas prévoir un tel cas, c'était méconnaître l'autorité suprême du chef de l'Église sur toutes les choses et sur toutes les personnes ecclésiastiques dans tous les lieux de la chrétienté. Innocent ordonna donc de faire jouir ce chanoine de Nevers de tous les fruits de sa prébende. Il fut moins indulgent à l'égard de quelques chanoines d'Auxerre qui, sous prétexte d'études, ne s'absentaient que pour passer leur temps dans des châteaux ou dans des maisons de plaisance : consufté par l'évêque Guillaume de Seignelay, Innocent répond que cette absence est frauduleuse, et doit entraîner la perte de tout le revenu des bénéfices. Mais la fréquentation réelle des écoles exempta pleinement et sans aucun dommage de l'obligation de résider : c'est, entre autres preuves, ce que 'décide en 1294, Lantelme, évêque de Grasse, dans un statut où il est dit que deux chanoines de cette église seront habituellement envoyés aux études. Les supérieurs des monastères prenaient le même soin de l'instruction des jeunes religieux : ainsi Hervé, abbé du Bourg moyen à Blois, assignait des revenus pour entretenir à l'université de Paris des chanoines réguliers de sa communauté. Nicolas III et Boniface VIII permettent d'acquérir des maisons dans la ville et les faubourgs de Paris pour loger les religieux qu'on y enverra étudier la théologie et les arts libéraux. Nous verrons naître de cette manière plusieurs collèges.
Lorsque les écoliers se furent extrêmement multipliés dans chaque université, ceux qui venaient du même pays conservaient entre eux des relations très-étroites, et mettaient en commun quelques-uns de leurs intérêts. De là vint la division par nations ou provinces, savoir celles de France, de Picardie.) de Normandie et d'Angleterre. Cette dernière
XIIIe SIÈCLE.
Inn. III Epist., lib. X, ep. 61, 200.
Gall.Christ, nov., 111, 116 3.
Gall-Christ. nov., VIII, 391.
Martène, Hist.
manuscrite de Marmoutiers, p.
149, 150.
Rigord. Phil.
Br. Alb.Chr., ann.
1209. — Du Boulay, H, 491.
Crev., 1, 120.
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ne fut remplacée par celle d'Allemagne qu'au XVe siècle.
Dès le XIIIe, chaque nation était représentée, et à certains égards gouvernée par un syndic ou procureur : ces officiers tenaient des registres où ils inscrivaient, moyennant une rétribution, les noms de tous les étudiants dont ils devaient défendre les intérêts et surveiller la conduite. On apercoit dès ce même temps l'origine des grades. Le nom de bachelier, que portaient, comme nous l'avons dit, les jeunes ou bas chevaliers, non encore bannerets, fut appliqué à des professeurs dont on éprouvait les talents. Ils expliquaient les quatre livres des Sentences, jusqu'à ce qu'ils obtinssent du chancelier la licence ou la permission d'enseigner. Cette licence ayant été quelquefois obtenue abusivement, les chanceliers ou écolâtres furent astreints à faire serment de ne l'accorder qu'à juste titre et après s'être assurés de la capacité des aspirants. En général, l'enseignement n'était confié qu'à des hommes instruits, autant qu'alors ils pouvaient l'être, et que leur mérite élevait ensuite à des fonctions plus éminentes, par exemple, à celle de scholastique ou maître des écoles et à celle d'évêque. Ainsi l'évêque d'Angoulême, Guillaume de Blaye avait professé le droit; mais ces exemples, trop communs et trop nombreux pour être ici rassemblés, se présenteront assez d'eux-mêmes dans les divers détails d'histoire littéraire que nous aurons à parcourir. Des quatre facultés qu'embrassait le nom d'université, la théologie est la principale au moyen âge, et quelquefois la seule qu'on aperçoive distinctement ; la faculté des arts est désignée par les noms de grammaire et de philosophie, plus souvent par ce dernier seul; nous parlerons des écoles de médecine et de jurisprudence. Les papes cherchaient à restreindre cette dernière science au droit canon : une bulle d'Honorius III, en 1219, avait interdit l'enseignement des lois séculières dans Paris; mais nous verrons bientôt cette étude s'introduire en d'autres universités. Ces établissements prenaient donc, dès l'époque que nous considérons, l'organisation presque entière qu'ils ont eue depuis. On y discernait les quatre facultés, et dans chaque faculté, la division en nations, qui, par la suite, ne s'est guère maintenue que dans la faculté des arts. Les grades de bachelier, de licencié, de maître ou docteur, s'y font déjà reconnaître. Les nations avaient des procureurs, et l'université, des agents ou officiers de toute espèce, depuis le chancelier et le recteur,
XIIIe SIÈCLE.
Pasq., Rech., 1.
IX, c. 24.
Math. Paris, 891.
— Œuvr.. de Villon, 37.
Gall.Christ. nov., II, 1010-1012.
Bulle Super specula.
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jusqu'aux messagers et aux appariteurs ou bedeaux. On croit que ce dernier nom vient du nom saxon Bidèle, qui signifie proclamation ; mais ces détails vont devenir plus sensibles dans ce que nous avons à dire particulièrement de l'université de Paris et de quelques autres.
Hélinand, Vincent de Beauvais, et d'après eux, du Boulay, ont fait remonter au règne de Charlemagne l'origine de l'université de Paris. Pasquier a si victorieusement combattu cette opinion, que Lebeuf et Crevier n'ont point osé la soutenir et se sont bornés à chercher dans les annales du IXe, du Xe et du XIe siècles des vestiges de cette origine. S'il ne s'agissait que d'écoles isolées, il serait trop facile d'en trouver sous la deuxième race des rois de France. Mais si nous voulons voir celles de Paris réunies sous un même régime et formant un seul corps, ne portons pas nos regards plus loin que le XIIe siècle : ce ne sera même qu'au XIIIe que nous verrons cette association prendre de l'éclat, un nom, de la consistance. Il est vrai que l'authentique Habita de Frédéric-Barberousse reconnaît les privilèges des écoliers de Paris et fait mention de leurs messagers; que le roi d'Angleterre Henri II offrit de prendre pour arbitres ou la cour des pairs de France, ou le clergé gallican, ou les suppôts des écoles de Paris; que sous Louis-le-Jeune, un concile de Tours jugea contre les écoliers de Paris un procès entre eux et l'abbaye de Saint-Germain, concernant le Préaux-Clercs, contestation qui se renouvela sous PhilippeAuguste; qu'enfin Mathieu-Paris, en parlant de Jean de La Celle, abbé de Saint-Alban, dit qu'il avait été agrégé à la compagnie des maîtres, ad electorum consortium magistrorum.. Mais tous ces faits sont postérieurs à l'année i i 5o.
Dès-lors, sans doute, et bien auparavant, on distingue de grandes écoles auprès des églises de Notre-Dame, de SainteGeneviève, de Saint-Victor, au Petit Pont, au Grand Pont, sur d'autres points de la ville et des environs de Paris. Cependant ce n'est guère qu'après le règne de Louis VII qu'elles commencent à recevoir des statuts communs et à ressortir à un même centre. L'université de Paris est née principalement des écoles de Notre-Dame et de Sainte-Geneviève : les chanceliers de ces deux églises ont été ses premiers supérieurs, les seuls, à vrai dire, jusqu'en 1191, et la faible juridiction que de nos jours ces deux dignitaires exerçaient encore sur elle, était un reste et une preuve de celle qu'ils
XIIIe SIECLE.
Spelman. — Ducange.
Spec. histor., 1.
XXLV, c. 74. —
Hist. univ. Par., t. I.
Pasq., Rech., 1.
IX, c. 21-25.
Rech., 1. IX, c., 3,4.
Du Boulay. II, 278.
Pag. 357.
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avaient autrefois possédée. Alexandre III, dérogeant aux canons des conciles de Londres et de Latran, autorisa Pierrele-Mangeur, chancelier de l'église de Paris, à exiger un droit modique de ceux auxquels il accordait la permission d'enseigner. En ces temps-là, l'ensemble des écoles parisiennes était appelé studium generale bien plutôt qu'universitas : ce dernier nom leur fut appliqué, peut-être pour la première fois, dans l'affaire d'Amaury de Chartres et de ses disciples en 1209. Il n'est point employé dans le diplôme de PhilippeAuguste, donné en 1200, à l'occasion d'une rixe violente entre les écoliers et les bourgeois de Paris. Le prévôt s'était mis à la tête des bourgeois, et dans un combat sanglant, quelques étudiants avaient été tués, entre autres, Henri, archidiacre de Liège. Le roi condamna le prévôt à une prison perpétuelle, défendit aux juges laïcs d'instruire désormais aucun procès criminel contre les écoliers, et ordonna qu'à l'avenir, chaque nouveau prévôt jurerait de respecter les droits et les immunités des écoles. Ce privilège fut depuis confirmé par Louis IX, et les prévôts ont en effet prêté ce serment durant près de quatre siècles, jusqu'en 1592. En 1203 les écoles se donnèrent un syndic ou agent chargé de les représenter dans toutes les affaires.
Cependant le chancelier de l'église de Notre-Dame ne renonçait point à la surintendance des études, et l'on voit Jean de Candel, qui possédait cette dignité en 1208, en réclamer vivement les prérogatives. Son successeur, Philippe de Grève, s'efforça de les étendre; et l'évêque de Paris, Guillaume de Seignelay, éleva les mêmes prétentions; mais les papes réduisirent les droits des chanceliers de NotreDame et de Sainte-Geneviève à donner les licences, chacun dans son territoire. Des bulles d'Innocent III, en 1209 et 1210, supposent des réglements nouvellement rédigés : ce sont sans doute ceux qui furent faits par huit commissaires que les docteurs des arts avaient chargés de ce travail; règle- ments dont les dispositions principales consistent à prescrire la modestie dans les vêtements, le maintien de l'ancien ordre des leçons et des disputes, et l'exactitude à célébrer des services pour les clercs décédés. Des statuts plus importants furent donnés à l'université par le légat du pape, Robert de Courçon, né en Angleterre, et qui jadis avait achevé à Paris ses études commencées à Oxford. Courçon ne parle point des facultés de jurisprudence et de médecine. Il
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, II, 370.
Du Boulay, III, 1-3. — Crev.,1.
277-282.
Crev., I, 281.
Du Boulay, III, 23. — Crev., I, 284-285.
Crev., I, 286-292.
Ep. Inn. III, 1.
XI, ep. 274. —
Du Boulay, III,I52.
Crev., 1, 295.
Du Boulay, III, 81 et seqq. —
Crev.,I, 29G002.
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ordonne que dans celle des arts on explique la grammaire de Priscien et la dialectique d'Aristote ; mais il proscrit la physique et la métaphysique de ce philosophe autant que la doctrine d'Amaury de Chartres. Il veut qu'on ne puisse enseigner la philosophie qu'à l'âge de vingt-cinq ans et après six années d'étude; la théologie qu'après huit ans d'étude et à l'âge de trente-cinq ans. D'ailleurs, il limite, ainsi que nous l'avons dit, la juridiction du chancelier, et il maintient les écoles dans la possession du Pré-aux-Clercs. La médecine était interdite au clergé séculier et régulier; et Honorius III, qui avait étudié à Paris, défendit d'y enseigner le droit civil.
Cependant Rigord, Guillaume-le-Breton et Albéric de TroisFontaines disent expressément qu'on ne s'y bornait point au tvivium et au quadrivium; mais qu'on s'y occupait aussi de la jurisprudence civile et canonique, de l'art de guérir et de la théologie : Verùm et de quæstionibus juris canonici et civilis et de. corporibus sanandis et sanitatibus conservandis. et sacram paginam et quæstiones theologicas. Jamais, disent-ils, ni dans Athènes, ni en Egypte, ni en aucun lieu du monde, on n'a vu une telle affluence d'étudiants; ils sont attirés non seulement par les charmes du séjour et par les biens de toute nature qui y surabondent, mais surtout par la liberté, les immunités dont ils jouissent. On avait, à leur égard, porté la faveur jusqu'à modérer le prix de leurs logements par des taxes au-delà desquelles les propriétaires ou bourgeois ne pouvaient rien leur demander; et d'un autre côté nous venons de les voir soustraits, par Philippe-Auguste, à l'action des autorités civiles. Il convient d'ajouter qu'ils abusaient à tel point de ces privilèges excessifs, que l'official, en 1218, dut leur interdire le port d'armes.
Jean de Saint-Victor, en racontant les troubles arrivés en 1229, distingue aussi différentes nations d'écoliers. L'un des jours gras, une querelle s'était élevée entre un cabaretier et des étudiants de la nation picarde, qui ne voulaient pas payer les frais de leur débauche; le peuple s'attroupa, secourut le cabaretier, et mit en fuite les étudiants, qui revinrent plus nombreux le lendemain, et se livrèrent aux excès les plus coupables. L'évêque de Paris et le prévôt saisirent cette occasion de reprendre quelque empire sur cette jeunesse turbulente. La reine Blanche donna ordre au prévôt d'employer la force des armes pour la contenir, et l'on exécuta cet ordre avec tant de zèle, que plusieurs écoliers
XIIIe SIÈCLE.
Script, rer. fr., XVII, 82, 83. Alb., Chr., ann.
1209.
Du Boulay, III, 143. — FI., Hist.
eccl., 1. 80, n. 3.
Du Boulay, III, 95,96.
Bolland.,25aug., 303-316. — Du Boulay, III, 132.
—Cr., I, 337-35o.
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furent tués ou blessés : les maîtres s'en plaignirent, discontinuèrent leurs leçons, et l'université se dispersa. La nation anglaise se retira à Angers, d'autres nations à Orléans; mais le pape Grégoire IX négocia leur retour, ou plutôt il l'ordonna. S'attribuant à lui-même le jugement de cette affaire, il publia plusieurs bulles, dont l'une contient de longs réglemens pour l'université parisienne, qu'il appelle la mère des sciences, et une autre Cariath-Sepher, ou ville des livres.
Enhardie par ces éloges, l'université osait se dire elle-même le fondement de l'Église; Fleury ne manque pas de relever l'inconvenance de cette qualification. Les nations, leurs procureurs, leurs serviteurs et le recteur qui les gouverne toutes, sont désignées dans ces bulles de Grégoire IX, ainsi que dans celles où Innocent IV prodigue des faveurs nouvelles aux maîtres et aux disciples, les mettant à l'abri des censures ecclésiastiques, autres que celles qui émaneront du SaintSiège. Vers 1243, lorsque le Talmud est condamné par le chancelier, par les recteurs et régents en théologie, le mot de recteurs, employé au pluriel, ne semble pas désigner un chef unique et suprême ; mais il a ce dernier sens en 1249, époque d'une dispute pour la nomination du recteur entre la nation de France et les trois autres nations. Et le recteur, et les nations, et les facultés se montrent de la manière la plus sensible dans un réglement de 1251 : il y est parlé des écoles de théologie, de jurisprudence, de médecine, d'arts et grammaire. Ces deux derniers mots ne doivent indiquer ici qu'une seule et même faculté, comprenant la grammaire et la philosophie, laquelle, en cet acte et en quelques autres, reçoit le nom d'arts. Il n'est rien dit de la réthorique, qui, selon les apparences, n'était point alors l'objet d'un enseignement particulier; mais le réglement fait mention de Justinien, et par conséquent du droit civil, quoique la défense de se livrer à ce genre d'études eût été renouvelée par le Pape, en 1244. Comprises d'abord dans les nations, les facultés sont, depuis 1255, toujours distinctes et spécifiées : chacune d'elles, depuis 1267, est présidée par un doyen; mais les syndics, le greffier, le receveur et le recteur sont des officiers élus par les nations. ,
Un ordre de chanoines réguliers, celui du Val-des-Éco- liers, était né vers le commencement du siècle, du sein - de l'université parisienne : peu à peu d'autres religieux s'introduisirent au milieu d'elle. En 1229, les dominicains et les fran-
xi 11° SIÈCLE.
Hist. ec., 1. 83, n. 64.
Crev. I, 382, 383. — Du Boul., III, 176 - 191. —
Fleury, Hist. eccl., t. 17, 400-405.
Crev., 1, 373377.
Pasq., IX, c. 13.
— Du Boul., III, 240.
Crev., 1, 328.
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ciscains profitèrent des troubles qui l'agitaient et la dispersaient, pour établir à Paris des écoles de théologie. Déjà les dominicains avaient réglé, dans l'intérieur de leurs monastères, les formes de l'enseignement, fixé surtout le nombre d'années où l'on devait expliquer, comme bachelier, le Maître des Sentences, avant de professer ensuite comme licencié et docteur. L'Université leur céda une maison dans la rue Saint-Jacques, non loin de l'église Sancti Slephani ab egressu (Saint-Étienne du Grès ou des Grès); mais bientôt des querelles éclatèrent entre les professeurs séculiers et les professeurs mendiants; et il devait être aisé de prévoir que ceuxci, soutenus par les papes et favorisés aveuglément par saint Louis, sortiraient victorieux de ces démêlés, malgré les dissensions qui, dès-lors écloses entre les frères prêcheurs et les frères mineurs, semblaient devoir affaiblir la puissance des uns et des autres. L'Université réclama contre leurs entreprises : Aujourd'hui, dit-elle dans une épître adressée à tous les prélats, la ville de Paris ne comporte plus que douze chaires de théologie, depuis que les dominicains et les autres moines ont établi des professeurs de leurs ordres en différentes villes. Or, de ces douze chaires, sept sont occupées par les réguliers, frères prêcheurs et mineurs, religieux du Val-des-Écoliers, cisterciens, prémontrés et trinitaires; trois autres sont remplies par des chanoines de Paris, en sorte qu'il n'en reste que deux pour les professeurs séculiers qui ne sont pas chanoines de la cathédrale. Après s'être ainsi récriée contre l'inégalité de ce partage, l'Université fit, en 1252, un décret qui abolissait seulement l'une des deux chaires publiques des dominicains. L'année suivante, une violente querelle s'étant engagée entre des bourgeois et des écoliers, l'un de ceux-ci ayant été tué, et quelques autres emprison- nés quoique couverts de blessures, l'Université interrompit ses leçons, voulut exiger de tous ses membres le serment de ne les reprendre qu'après la réparation de l'injure qu'elle croyait avoir reçue, et prononça l'exclusion des professeurs franciscains et dominicains qui refusèrent de prendre cet engagement. Se venger des bourgeois n'était pas le point difficile : Alfonse, comte de Poitiers, qui gouvernait le royaume depuis la mort de la reine Blanche et en l'absence de saint Louis, fit pendre ou bannir quelques Parisiens qui s'étaient battus contre les étudiants, et les écoles se rouvrirent; mais et le comte de Poitiers, et saint Louis, et plusieurs évêques, et sur-
XIIIe SIÈCLE.
Martenn., Th.
anecd., IV, 177274, 1719-1731.
Félib., H. de Paris, II, 320. —
CR., I, 321-324,
Wading., ANN.
MIN., ANN. 25O1252. — DU Boul., III, 200-245. —
Cr., 1. 389-398.
— Félib., H. de Paris, 1, 339-340, 355-368, 402403.
DU BOULAY, III, 240, 25O-258. —
CREV.,1, 398-400.
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XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, III, 248. — Cr., I, 4IZ, 481.
Du Boulay, III, 282-286.
V. 12000 et s.
V. ci-dessus, p.
25.
tout les papes, se déclarèrent avec tant de constance et de zèle les protecteurs des religieux mendiants, que tous les efforts des professeurs séculiers pour éloigner' ou réprimer de si dangereux collègues demeurèrent inefficaces. Alexandre IV publia, en 1255, la bulle Quasi lignum vitœ, qui maintint les moines en possession de leurs chaires, et découragea tellement l'Université qu'elle se dispersa de nouveau.
Sa cause fut néanmoins plaidée dans plusieurs suppliques et par des députés qui se rendirent à Rome. De ce nombre était Guillaume de Saint-Amour, qui, dans son livre sur les périls des derniers tems, dévoila toutes les manœuvres des franciscains et jacobins, et prédit une partie des maux dont ils devaient affliger l'Église. Ce livre fut censuré, condamné, brûlé à Rome : l'auteur, après avoir subi des interrogatoires, resta long-temps exposé aux persécutions, et détenu loin de sa patrie, d'où le souverain Pontife. prétendait même le bannir pour jamais. Tillemont a laissé une histoire manuscrite de ces démêlés, qui nous fournira plusieurs détails
quand nous rédigerons un article particulier sur Guillaume de Saint-Amour. Ici, où il ne s'agit encore que de son siècle, nous dirons que, malgré le grand nombre et la puissance de ses ennemis, il trouva cependant, parmi ses contemporains, des juges plus équitables, qui rendirent hommage à ses lumières, à ses talents, à sa fermeté. Jean de Meung a parlé de lui dans le roman de la Rose : Car ge ne m'en teroie mie Se perdre en devroie la vie.
Ou estre bannis du roiaume A tort, cum fu mestre Guillaume De Saint-Amors, qu'ypocrisie Fist essilier, par grat nenvie.
Por vérité qu'il soustenoit.
Le ressentiment des moines contre Guillaume de SaintAmour durait encore en 1633, époque où ils obtinrent du conseil privé de Louis XIII un arrêt qui défend, sous peine de mort, d'imprimer, vendre ou lire le Traité des périls des derniers tems. Mais, pour revenir aux démêlés du XIIIe siècle, nous devons observer que la cour de Rome, en même temps qu'elle prononcait contre ce livre de si violents anathèmes, forcée de censurer aussi l'Évangile étemel et l'introduction qu'y avait jointe Jean de Parme, général des cordeliers, ne réprouvait les erreurs dont ces derniers écrits sont remplis,
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qu'avec toutes les précautions,, tous les ménagements nécessaires pour qu'il n'en résultât aucun préjugé défavorable à l'ordre séraphique, du sein duquel ils étaient sortis. En vain l'on tenta des moyens de conciliation entre l'Université et les mendiants, en vain un traité qui n'était que trop avantageux à ces derniers fut rédigé en 1256 dans un concile de Paris : le Pape, qui avait défendu au chancelier de Sainte-Geneviève d'accorder des licences à ceux qui ne se soumettraient point, sans restriction, à la bulle Quasi lignum, cassa l'accord, et, par trois nouvelles bulles, autorisa plus que jamais les prétentions et les entreprises de ces moines. L'Université fut contrainte de les admettre dans son sein ; saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure y brillèrent à cette époque, où déjà la faculté de théologie commençait à se former en un corps distinct; les docteurs réguliers prenaient de plus en plus de l'ascendant au milieu de cette faculté et y occupaient souvent la dignité de doyen. Tel fut, entre autres, Servais, qui devint depuis abbé du Mont-Saint-Éloy. Seulement, l'Université saisissait les occasions de donner des dégoûts aux docteurs mendiants : elle les reléguait aux derniers rangs dans la liste des professeurs, et soutenait contre eux les curés, dont ils s'efforçaient d'envahir aussi les fonctions, protégés dans cette entreprise, comme dans les autres, par Innocent IV et par presque tous ses successeurs. Il n'en faut guère excepter qu'Urbain IV, qui, par lui-même et par son légat Simon de Brie, essaya de rétablir l'ordre et la paix dans les écoles parisiennes. Mais Clément IV, mais Simon de Brie lui-même, qui devint le pape Martin IV, et enfin Boniface VIII, l'ennemi de toute puissance qui ne se déclarait pas émanée de la sienne, sacrifièrent aux intérêts monastiques, qu'ils regardaient comme les leurs propres, les intérêts des étudiants et des professeurs.
Outre les embarras que lui suscitaient les mendiants, l'Université était quelquefois agitée par des discordes intestines entre les nations qui la composaient. Deux recteurs, élus concurremment en 1269, furent destitués l'un et l'autre par le légat Simon de Brie, qui, peu d'années après, éteignit un nouveau schisme du même genre, et apaisa des troubles dont Gérard de Reims et saint Bonaventure s'étaient plaints dans leurs sermons : il régla les formes de l'élection du recteur; la réunion des quatre procureurs ou des quatre maîtres qui le choisissaient, se nomma conclave.
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, III, 295-297.
Ib., 297-299.
Crev., I, 466.
Crev., 1,471-472. -
Cr., 11, 1-4.
Du Boulay, III 369-375. — Crev., 11, 11-13.
Serm. 127,serm, 132. — Summa S.Th. vindic., p.
35-36.
Crev., 11, 91.
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Ce légat intervint encore dans une affaire avec l'official, dont les gens avaient maltraité quelques écoliers : l'official fut interdit, exilé, contraint de livrer ses propres domestiques à la justice. En 1281, pour obtenir la réparation d'une injure faite à un médecin, on interrompit le cours des leçons publiques; et en les reprenant, à la prière de Philippe-le-Bel, on eut soin d'observer que c'était un acte de condescendance, non d'obéissance: car, dans ces temps de ténèbres et d'anarchie, l'Université, qui recevait les ordres du Pape et de ses légats, se prétendait indépendante de l'autorité royale.
Elle exerçait sur les stationnaires ou libraires, comme sur les parcheminiers, des droits dont quelques vestiges ont subsisté jusqu'à nos jours. Le recteur, en 1290, appela au SaintSiége des abus que commettait, disait-il, le chancelier de Notre-Dame, en donnant ou refusant arbitrairement les licences. On ne connaît pas bien la suite de ces démêlés; mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, la jurisdiction du chancelier s'est affaiblie par degrés; et depuis l'époque dont nous parlons, l'Université, distribuée en quatre nations et quatre facultés, n'a plus cessé d'avoir des officiers institués et nommés par elle-même, et dont le premier a constamment porté le nom de recteur. Un acte de 1292, entre l'Université et l'abbaye de Saint-Germain, est daté du rectorat de Gérard de Nogent: Datum et actum Parisiis, apud S. Martinum, tempore rectoriœ magistri Gerardi de Novigento.
Nous avons eu occasion de nommer les plus célèbres docteurs qui ont professé à Paris dans le cours du XIIIe siècle : Alexandre de Halès, Albert-le-Grand, saint Thomas, saint Bonaventure, Guillaume de Saint-Amour, etc. Les noms qui continueraient cette liste seraient beaucoup moins célèbres. Les écrivains du temps parlent des leçons données par Gautier Cornut, par Henri Clément, par Jean Wardes de l'abbaye des Dunes, qu'on désigne comme le premier cistercien qui ait enseigné à Paris ; par Vautier de Flavennes, qui y avait expliqué les Sentences avant d'être abbé de Bonne-Espérance; par Jean qui fut depuis doyen de Laon; par Humbert qui devint ensuite archevêque de Milan, et qui a composé une Concorde de l'Ancien et du Nouveau Testament. Mais ce qui peut mériter plus d'attention que cette nomenclature, c'est la fastueuse singularité des titres que prenaient ces docteurs, et qui leur étaient particulièrement départis par l'université parisienne : elle les distinguait par
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, III, 384-389. — Crev., II, 30.
1
Ducange, v. Li- brarius. — Du Boul., 111, 419. —
Cr., II, 66-67, 130131.
Nouv. Traité de Diplom., V, 587.
Alberici Chr.
part. I, p. 42 1. -
Gall. Christ. nov., 111, 201 - IV, 141143 ; IX, 562.
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les qualifications d'universel, d'irréfragable, d'angélique, de sêraphique, subtil, admirable, solemnel, etc., titres gothiques dont la vanité ridicule quadrait parfaitement avec celle de la science et des leçons de la plupart de ses professeurs.
De l'université de Paris dépendaient quelques établissements particuliers qui dès-lors portaient le nom de collèges, mais qui n'étaient point encore ce qu'ils ont été depuis.
C'étaient alors des communautés, quelquefois appelées hôpitaux ou hospices, où l'on entretenait un petit nombre de pauvres écoliers. Le plus ancien est celui que Robert, comte de Dreux, fonda au XIIe siècle sous l'invocation de SaintThomas-de-Cantorbéry, et qui fut plus connu sous le nom de Saint-Thomas-du-Louvre. Nous ne rappelons ici cet établissement que pour ajouter que, vers 1217, les écoliers se séparèrent des chanoines institués dans ce même lieu, et allèrent occuper un peu plus loin une maison dont SaintNicolas-du-Louvre fut le patron. Il paraît que le collége des Dix-Huit remontait aussi au XIIe siècle : il était, au XIIIe, placé vis-à-vis l'Hôtel-Dieu; depuis, on l'a transféré près dé la Sorbonne, mais les boursiers ont continué d'être nommés par le doyen du chapitre de Notre-Dame. Nos prédécesseurs ont parlé du collége des Anglais, et d'un collége de Dace ou des Danois, créés, avant l'an 1200: en 1270, maître Jean, né en Danemarck, donna aux étudiants ses compatriotes une maison située dans la seigneurie de Sainte-Geneviève.
• Ce fut près de la place Maubert, au voisinage de la Seine, que s'éleva le collége de Constantinople, peu après la prise de cette ville par les Français en 1204: on voulait apparemment, en y instruisant de jeunes Byzantins, préparer la réconciliation des deux Églises. Le collége des Bons-Enfants fut fondé pour treize écoliers, par Étienne Belot, bourgeois de Paris, et par sa femme Ada. Construit dans le quartier Saint-Honoré, il ne doit pas être confondu avec un autre collége des Bons-Enfants établi en 1248 dans la rue de SaintVictor. L'un et l'autre sont désignés dans le testament de saint Louis, où l'on remarque aussi un legs en faveur des écoliers de Saint-Thomas-du-Louvre ; mais il paraît que le saint roi avait une bienveillance particulière pour les BonsEnfants du quartier Saint-Honoré : ils recevaient de lui beaucoup d'aumônes, et il les appelait auprès de sa personne, aux grandes fêtes, pour chanter l'office. D'autres colléges ont été
XIII- SIÈCLE.
Baillet, Jug., I, 108-116.
Crev., I, 268, 269. - Félib., H.
de Paris, I, 211. —
Du Boulay, III, 392.
• Du Boulay, I, 504. — Crev., 270, 271.
Manuscr. de Sainte-Gencv.
Crev., 1,487; II, 417-420.
Crev.,1, 489; 11, 39.
Crev., 1,492; 11, 39-113.
Félib., Hist. de Paris, t. 1, 1. VIII, p. 358.
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créés par les ordres religieux, jaloux de ménager à leurs propres élèves les moyens de suivre les leçons des professeurs de Paris : tels sont les colléges qui ont porté les noms des Mathurins, des Bernardins, des Augustins, des Carmes; de Saint-Denys, de Prémontré, et de Cluny. Celui des Mathurins précéda les autres : il s'ouvrit en 1209. La maison que bâtirent à cet effet les religieux, a servi long-temps aux assemblées de l'Université; il en a été cependant tenu plusieurs dans le collége @ des Bernardins, dont le fondateur fut l'abbé de Clairvaux, Étienne Lexington, Anglais de naissance, qui avait étudié à Paris. On reprochait aux Bernardins de négliger les études : Lexington voulut les en disculper, en créant pour eux plusieurs collèges, dont le principal est celui dont nous parlons. Alfonse de Poitiers, frère de saint Louis, accepta le titre de protecteur et même de fondateur de cet établissement, auquel il donna cent quatre livres de rente pour l'entretien de vingt religieux profès, dont treize seraient prêtres et étudieraient en théologie. Peu reconnaissants de ces services, les cisterciens, dans leur chapitre général de 12 55, déposèrent Lexington, qu'ils accusaient d'intrigues, et qui en effet travaillait à se rendre indépendant de ses confrères, en se plaçant sous la juridiction immédiate du Pape. Mathieu Paris le blâme même d'avoir établi un collége à Paris, et rappelle à ce sujet l'exemple de saint Benoît, qui, laissant là les études littéraires, s'ensevelit dans la solitude.
Le régime scolastique de ces communautés religieuses n'est nulle part mieux expliqué que dans les réglements donnés en 1269 au collége de Cluny, par l'abbé Yves de Vergy : les étudiants suivaient à la fois les lecons des maîtres de leur ordre et celles des professeurs du dehors; on s'assurait de.
leurs progrès par des exercices intérieurs et en les faisant prêcher. Ils consacraient deux années à la logique, trois à la physique et aux autres parties de la philosophie; quant au droit canon, ils ne devaient pas l'étudier à Paris, mais dans les villes d'Orléans, de Toulouse, de Montpellier, d'Avignon. Tous les monastères de l'ordre de Cluny étaient obligés de contribuer aux frais de leur collége de Paris, alors même qu'ils n'y envoyaient aucun élève. Le XIIIe siècle a vu naître encore les colléges du Trésorier, d'Harcourt, des Chollets, et de Calvi ; mais ceux-là n'étaient point monastiques. Le premier est dû à Guillaume de Saône, trésorier de l'église de
XIIIe SIÈCLE.
Crev., I, 396, 488 ; II, 130.
Math. Paris, ann. 1257. — Gall.
Chr. nov., IV, 806.
— Cr., 1,490-492; II, 76.
Félib., Hist. de Paris, t. I, 1. IX, p. 420. — Gall.
Christ.. nov., IV, 1149. - Cr., II, 157-161.
Félib., I, 3og339; 341-416; 421; 446-453; et Pr., t.
III, part. I, p. 28526 2.
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Rouen : il se composait de douze étudiants en théologie, dont le plus ancien remplissait les fonctions de supérieur, et de douze petits écoliers ès-arts. Ces vingt-quatre boursiers habitaient une maison de la rue de la Harpe : ils étaient de la nation Normande, ainsi que ceux du collége d'Harcourt, qui devint le chef-lieu de cette nation. Raoul d'Harcourt, issu de l'une des plus illustres familles de Normandie, fut fait chanoine de Notre-Dame, après avoir été archidiacre de Coutances, chancelier de Bayeux, grand-chantre d'Evreux et archidiacre de Rouen. Il destina à des élèves de ces quatre diocèses le collége qui porte son nom, et dont il n'eut pas le temps d'achever la construction. Son frère Robert, évêque de Coutances, en prit le soin et ajouta de nouveaux bienfaits à ceux de Raoul. De tous les collèges fondés au XIIIe siècle, c'est celui-là qui a le plus prospéré. La nation de Picardie a possédé depuis 1291 le collége des Chollets, où Jean Chollet, natif du diocèse de Beauvais, et devenu cardinal légat en France, ouvrit un asyle à seize étudiants des diocèses de Beauvais et d'Amiens. Les boursiers élisaient aussi entre eux leur supérieur, dont l'autorité fut étendue sur huit écoliers ès-arts, entretenus dans la même maison.
Quant au collége de Calvi, c'était une sorte de pépinière que Robert de Sorbon avait créée pour servir à un établissement plus considérable et plus célèbre, dont il est temps de parler.
Sorbon ou Sorbonne est le nom d'un petit village du Rhételois, où naquit Robert, fils de villain et villaine, dit Joinville. D'abord chanoine de Cambray, puis de Paris, il fut aussi clerc ou chapelain de Louis IX, qui l'admettait à sa table, mais dont il ne paraît pas qu'il ait été le confesseur, quoi qu'en aient dit quelques écrivains. Nous discuterons plus au long ce fait et quelques autres dans l'article particulier qu'il nous faudra consacrer à Robert, puisqu'il a composé quelques écrits. Du reste, il n'est fameux que par le collége dont on le considère comme le fondateur, et qui néanmoins n'a point porté avant 1300 le nom de Sorbonne. Vély a même prouvé que ce collége a été bien moins fondé par Robert que par saint Louis. Ce prince, voulant pourvoir au logement et à l'entretien de quelques pauvres clercs et pauvres maîtres, leur fit présent, non en 1250, puisqu'il était à Damiette, mais en 1253, d'un hôtel situé vis-à-vis le palais des Thermes, dans une rue appelée alors Coupe-Gueule ou Coupe-
XIIIe SIÈCLE.
Crev., II, 161.
Cr., II, 163, 166.
— Du Boulay, III, 450; IV, 152. —
Hist. de la maison d'Harcourt, etc.
Genebrard,Chr., IV, 658. — Félib., I, 463. — Cr., III, 167, 168.
Joinvillé, p. 8.
— Mart., Thes.
anecd., II, 585, 586. — Gall. Chr.
nov., IV, 735. —
Notice sur la Sorbon. Paris, 1818, in-8°.
Boll., 25 aug., 503-506-596. —
Joinville, 435. —
Pasq.,1. IX, c. 15.
— Du Breul., Ant.
de Paris, II, 169.
— Vély, VI, 20-
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Gorge ; il y joignit d'autres maisons de la rue des Maçons, en échange, dit-on, de celle que Sorbon possédait dans la rue de la Bretonnerie, et qu'il abandonna aux religieux de Sainte-Croix. C'est de cette manière et depuis, par divers legs portés en son testament, que Robert a réellement contribué à doter les sorbonnistes; ils s'honoraient alors du titre de pauvres ; il les gouvernait en. qualité de proviseur, nom qui est resté à ceux qui lui ont succédé. Il restreignit les études de cette communauté à la seule théologie. A quoi servent, disait-il, et Priscien, et Justinien, et Gratien, et Galien, et Aristote? Mais dès les premières années cette école théologique devint florissante. On y entendait les leçons de Guillaume de Saint-Amour, d'Qdon de Douay, de Gérard de Reims, de Gérard d'Abbeville, noms fameux dans ces temps-là, ajoute Vély, ensevelis aujourd'hui, avec leurs ouvrages, dans la poussière des bibliothèques. Une bulle de Clément IV détermina en 1268 les fonctions du proviseur, à l'élection duquel devaient coopérer l'archidiacre et le chancelier de Notre-Dame. Ce concours annonce l'importance que cette place avait déjà, et présage celle qu'aura la Sorbonne dans l'enseignement théologique et dans les disputes des.
siècles suivants.
Après l'université de Paris, celle de Bourges serait en France la plus ancienne, s'il fallait la considérer comme établie au moment où Innocent III écrivait à l'archevêque de cette ville en faveur de maître Petit, qui en avait gouverné les écoles : cette lettre est de l'an 1204, mais rien n'oblige ni même n'autorise à qualifier université les écoles dont parle Innocent III. La plupart des historiens du Berri se contentent de supposer que saint Louis leur a donné ce titre en 1227; ce qui même peut souffrir des difficultés : car on ne trouve rien dans le cours du siècle qui distingue ces écoles de celles qui éxistaient à côté de toutes les autres églises métropolitaines, et l'on suppose ordinairement qu'il n'y a eu d'université proprement dite à Bourges que depuis 1464.
L'université de Toulouse fixait son origine à l'année 1228, époque où le comte Raymond VII, traitant avec saint Louis, prit l'engagement de payer quatre mille marcs d'argent pour entretenir dans cette ville deux professeurs de théologie, deux de décret et quatre de grammaire et arts. Les premières quittances de ce paiement subsistent, et sont données en 1229 par les procureurs ou agents (actores) de l'Université.
XIIIe SIÈCLE.
24. — Du Boul., t. II et III.— Crev., t. I et II.
Crev., IV, 291, 292. — Alberici Chr., 629. - Pasq., Recherc., I. IX, c.
37. —Vaiss., Hist.
de Lang., t. III, 1.
XXIV, n. 51, 88, 100. — Vaiss., ibid., P. 388,
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Quelques-uns des écoliers qui, en 1229, se dispersèrent, comme nous l'avons dit, de Paris dans les provinces, se réfugièrent à Toulouse. On a vu aussi que Roland de Crémone y vint enseigner la théologie en 1231; il y eut pour successeurs Jean de Saint-Gilles et Laurent de Fougères. Mais le plein exercice de cette université ne date que de 1238, quand Grégoire IX lui accorda les mêmes priviléges qu'à celle de Paris. Toutefois cette bulle est adressée dilectis jiliis universitatis magistrorum et scholarium Tolosanorum; ce qui suppose, dit-on, qu'elle était déjà fondée. La vérité est que ses plus anciens réglements sont ceux que contient cette bulle.
Les études y sont distribuées sous les titres de théologie, décret, médecine, philosophie et grammaire, sans aucune mention du droit civil, qui néanmoins était enseigné à Toulouse vers 1250, par Jacques de Révigny, d'où Pasquier conclut que cette université, la seconde qui ait été créée en France, est la première de toutes au fait de la loi. Les dominicains, établis en cette ville dès l'an 1215, et les franciscains, qu'elle reçut en 1220, y furent, à ce qu'il semble, jusqu'après 1300, les seuls professeurs de théologie. C'est l'un des faits prouvés dans un mémoire pour les frères conventuels, composé, en 1786, par Camus, et dans un traité historique sur cette université, par J.-J. Percin, dominicain. Du reste, les professeurs des deux ordres mendiants restaient amovibles, à la volonté de leurs supérieurs, et ne pouvaient être nommés recteurs.
Mathieu Paris rapporte qu'en une sédition arrivée à Orléans en 1234, plusieurs écoliers de grande condition furent tués par les habitants. On n'étudiait dans cette ville que le droit civil et canonique, et l'on n'entendait par droit civil que le droit romain, quoique au fond les lois romaines n'eussent en France aucune autorité. Mais enfin cette école était fameuse ; il y avait jusqu'à dix chaires, dont l'une fut occupée par Pierre du Perche. Parmi les disciples, on peut citer Bertrand Gotte, qui fut depuis le pape Clément V : il avait pris à Orléans les degrés de licencié et de docteur. Les étudiants étaient nombreux, puisqu'ils se partageaient en nations : celle de Guienne eut pour procureur le prince Jean de Bourbon. Ces détails font attribuer à l'école d'Orléans, dès le milieu du treizième siècle, le régime d'une université proprement dite : Clément V, dans une bulle de 1306, dit qu'elle était depuis long-temps (ab antiquo) florissante. Cependant,
XIIIe SIÈCLE.
Trivet. Chr.,.ann.
1222.— Touron, Vie de S. Dominique, I. II, 189 ; 1.
VI, 681, 682; id., Hommes ill. de l'ord. de S.-Dom., 1. II, 1242, 1243.
Camus, Paris, in-4°. — Perc., ad calc. monum, conv. Tholos., 1693, in-fol.
Mat. Paris, p.
295. — Cr., II, 216. Pasq., Rech., 1. IX, c. 37. — Menagiana, I, 178.
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cette bulle même et les lettres patentes de Philippe-le-Bel, en 1312, portent expressément l'érection de l'école d'Orléans en université, comme si jusqu'alors elle avait été en possession plutôt qu'en droit d'en emprunter les formes et les usages.
Il est certain qu'en 1229, la nation anglaise de l'université de Paris s'est refugiée à Angers; que Guillaume Bergière était maître des écoles de cette ville, quand il fut appelé à Paris pour coopérer (vers 1240) à la condamnation du Talmud; que Guillaume Gélent avait été professeur à Angers avant d'en être évêque; que, revêtu de cette dignité, il. confia une chaire de jurisprudence à Étienne Bourgueil, qui fut depuis archevêque de Tours; que les études d'Angers furent dirigées par Marembert, puis par Dubois, qui devint ensuite évêque de Dol; qu'enfin le droit canon et même le droit civil, malgré la défense d'Honorius 111, étaient particulièrement enseignés dans la capitale de l'Anjou. Mais s'ensuit-il que cette école fût dès-lors une véritable université? C'est bien ce qu'en conclut l'auteur d'une dissertation imprimée en 1736, et, selon toute apparence, extraite d'un traité manuscrit de Rangeard (1). Mais ici, comme à l'égard d'Orléans et de Bourges, il faut s'entendre sur le sens du mot université. Il faut savoir si on veut l'appliquer à toutes les écoles considérables, ou le réserver à celles qui ont reçu une organisation plus complète et un régime plus académique.
La même question s'appliquerait aux études de Montpellier, du moins par rapport aux temps antérieurs à 1289. En effet, s'il nous est attesté que Jean de Saint-Gilles, médecin de Philippe-Auguste, a enseigné son art dans cette ville, si, en 1221, les écoles de médecine qui s'y trouvent établies, sont réformées par le légat Conrad, de l'avis des évêques de Maguelone, Agde, Lodève, Avignon ; si ce légat veut que les médecins fassent preuve de leur capacité devant l'évêque et les professeurs; si Louis IX, en 1230, confirme à l'évêque de Maguelone le droit de recevoir par lui-même ou par son officiai, ou vicaire, le serment de ceux qui voudront prendre à Montpellier les grades de licencié ou docteur en droit canon et civil; s'il est fait mention du recteur, du doyen et de la
(1) C'est mal-à-propos que, dans le tome XII de l'Histoire littéraire de la France, pag. 310, Pecquet de Livonière est indiqué comme auteur de ce manuscrit.
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, IV, 101-113. - Cr., II, 216-219.
Math. Paris, ann.
1229. — Chopin, de Doman., I. I, p.
499.— Bourdigné, Chr. d'Anjou, fol.
86. — Priv. de l'Université d'Angers. Disertat. sur son ancienneté, in-4°. — Ægid.
Menag., Vita Matthæi Men. — CI.
Menard, Hist. Andegav.
Vaisselle, III, 1. XXVI, n. 71 ; 1. XXVIII. n. 12, p. 350, 351. —
Gariel, Series pr.
Magal., p. I, 355, 356; 410, 411. —
Gall. Chr.nov.,VI, 754-756. — Mart., Thes. anecd., II, 603.
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faculté des arts dans un réglement de Jean de Montlaur, évèque de Maguelone en 1242 ; si le roi d'Aragon se plaint, en 1268, d'une excommunication lancée par l'évêque contre un professeur de droit civil ; et si le Pape répond que l'enseignement de toute science, de tout art, même de l'arithmétique, doit être surveillé par les prélats et leurs chanceliers, et non par des magistrats séculiers : tous ces faits pourraient n'indiquer qu'une grande et fameuse école, et laisser en doute si elle était appelée dès-lors université, ou même étude générale. Cette dernière dénomination lui est appliquée pour la première fois en 1289, dans la bulle de Nicolas IV, où sont distinguées expressément les facultés de droit canon et de droit civil, de médecine et des arts, sans aucune mention de la théologie. Mais, au nom près, l'on peut dire que l'université de Montpellier existait réellement avant le milieu du treizième siècle.
C'est avec bien moins de raison qu'on a prétendu ériger en université l'école d'Orange, en alléguant un accord passé en 1268 entre l'évêque et le prince de cette ville; accord qui suppose en effet que cette école avait dès-lors quelque importance, mais dont il n'y a aucune conséquence à tirer, à moins qu'on ne veuille en déduire de pareilles en faveur de beaucoup d'autres villes qui auraient à produire des actes du même genre. Paris, Toulouse et Montpellier sont, à notre avis, les seules qui puissent prouver péremptoirement qu'elles ont possédé au XIIIe siècle des universités proprement dites.
Mais il nous importe davantage de prendre une idée juste de l'enseignement pratiqué dans ces écoles. Il nous faudra bientôt parcourir les quatre branches de cette instruction : théologie, jurisprudence, médecine et philosophie; auparavant, fixons nos regards sur la méthode alors commune à toutes ces études, et que le nom de scholastique désigne ordinairement.
La théologie et la jurisprudence tant canonique que civile sont des sciences positives, dans lesquelles il ne s'agit, ce semble, que de vérifier l'authenticité des codes, de reconnaître le sens immédiat des textes, de recueillir les témoignages dont la série peut constater ou la révélation d'un dogme ou l'existence d'une loi. Dans l'une et dans l'autre, certaines propositions, une fois reconnues ou comme révélées ou comme promulguées, deviennent des règles irré- fragables qu'il n'est plus question d'examiner en elles-mêmes.
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Christ.
nov., I, pr. 134, 135.
VIII Méthode et caractère de l'ensei- gnement au treizième siècle. La scholastique.
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mais de classer avec méthode et d'appliquer avec justesse.
La médecine au contraire et la philosophie sont des études purement naturelles, où l'esprit humain, abandonné à ses propres lumières, ne s'éclaire en effet que par l'observation des phénomènes, par les résultats de l'expérience et par la précision du langage. Une même méthode employée à-la-fois pour deux genres d'enseignement si divers est par cela même vicieuse; elle est fausse pour l'un et pour l'autre, et peut-être pour tous les deux.
Il serait permis d'apercevoir les premiers germes de cette méthode dans l'alliance qui s'établit, dès le quatrième et le cinquième siècle, entre le platonisme et le christianisme.
Dès-lors on commença à chercher dans la philosophie l'explication et les motifs des dogmes religieux, et à mêler des doctrines révélées aux méditations philosophiques. Mais au huitième siècle, saint Jean Damascène, dans ses quatre livres de la Foi orthodoxe, prit à tâche de découvrir les raisons et les principes des mystères, et imprima aux études théologiques la direction qu'elles ont long-temps conservée. Durant les 3oo années suivantes, les auteurs ecclésiastiques n'ont guère composé de traités où la métaphysique et la théologie ne fussent confondues; et lorsqu'à la fin du XIe siècle, s'éleva la dispute des réalistes et des nominaux, elle se compliqua tellement d'applications et de discussions dogmatiques, qu'on se persuada qu'elle devait être terminée par les dépositaires des traditions religieuses.
L'importance de cette dispute ne saurait être sentie par ceux qui ne font attention qu'aux arguments également déplorables de l'un et de l'autre parti ; mais, au fond, la question était la plus grave qui pût s'agiter : il s'agissait de choisir, pour toute la carrière des études philosophiques, la bonne ou la fausse route. Si les universaux, c'est-àdire, les essences de Platon, les formes substantielles, et généralement les abstractions n'existaient que dans l'esprit et dans le langage, ainsi que le soutenaient les nominaux, dès-lors il fallait n'attribuer d'existence réelle qu'aux individus, et reconnaître dans les idées particulières ou singulières les éléments ou les commencements de toutes les autres. Si au contraire les natures, les qualités, les accidents, étaient des êtres positifs, ayant hors du discours et de la pensée une existence absolue, et même immuable
XIIIe SIÈCLE.
Fleury, Hist.
eccl., 1. XLII, c.
43.
Brucker, Hist.
phil., III, 673-708.
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comme le prétendaient les réalistes, la philosophie devenait la description d'un monde essentiel et intelligible, antérieur et supérieur à celui dont le spectacle frappe nos sens. Les écoles ne manquèrent pas de préférer ce second système : engagées dans ces ténèbres., elles s'y enfoncèrent et n'en sortirent plus.
Quelques écrits d'Aristote avaient pénétré en France dès le IXe siècle , et au Xe on expliquait déjà en certaines écoles les livres de l'Interprétation ou des Signes de la pensée. Les Arabes avaient traduit presque tous les ouvrages de ce philosophe; et l'on suppose ordinairement que ces versions ont servi à composer non-seulement les traductions latines, mais aussi quelques parties du texte grec. En examinant avec soin les versions latines, l'auteur d'une dissertation récente a cru reconnaître que la plupart, et particulièrement celles dont saint Thomas a fait usage, n'ont point été rédigées d'après l'arabe; mais elles n'en ont pas moins contribué à donner aux études une direction malheureuse. On s'attacha, non aux meilleurs livres d'Aristote, non à ceux qui traitent de la rhétorique, de la poétique, de la politique, des météores, de l'histoire naturelle des animaux, mais à sa dialectique, dont la lecture exigeait des connaissances qu'on n'avait point, et plus encore à ses livres de méthaphysique et de physique générale, livres profondément obscurs, soit qu'ils fussent déjà tels en sortant de la plume de l'auteur, soit plutôt que les copistes, les interprètes, les éditeurs, les aient incurablement défigurés. Cependant, moins ils étaient compris, plus ils acquéraient d'autorité; et fort souvent, sur des matières philosophiques ou même théologiques, la question se réduisait au seul point de savoir ce qu'ils décidaient. On ne tarda pas néammoins à les juger dangereux : condamnés, en 1209, par les professeurs de Paris, ils furent expressément exclus des écoles par le règlement que publia, en 1215, le légat Robert de Courçon. Depuis, ils ont repris une faveur dont ils furent sur-tout redevables à saint Thomas d'Aquin, et n'ont guère cessé, jusqu'au-delà du XVe siècle, de fournir des arguments et de prétendus principes aux différentes sectes dont les querelles composeront une si grande partie de l'histoire littéraire de cet âge.
Ces livres d'Aristote et l'influence des Arabes répandirent dans les écoles le goût des généralités et des abstrations, c'est-à-dire, d'un genre de science qui n'exige ni recherches,
XIIIe SIÈCLE.
Jourdain, Rech.
sur l'âge et l'orig.
des trad. lat. d'Aristote.
Du Boulay. III, 51, 52.
Ibid., 82.
Launoy, De variâ Aristotel. for- tunâ.—Tirab. I* V, 167.
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ni lectures, ni expériences, ni calculs, mais auquel suffit la vaine subtilité qu'il exerce et développe. Quoiqu'on répétât quelquefois, après Aristote, que rien ne parvenait à l'entendement qu'à l'occasion ou en conséquence de quelque affection sensible, on s'empressa néanmoins de rassembler, à l'entrée de chaque genre d'études, un amas d'idées universelles, de définitions par le genre et l'espèce, de divisions catégoriques, des séries de propositions plus ou moins abstraites.
Au-delà de ces principes et de ces notions préliminaires, qui, disait-on, s'établissaient par leur propre et naturelle évidence, on prétendait ne plus rien avancer sans preuve ou même sans démonstration, parce qu'on allait toujours se fondant sur ces généralités.
Quand nous avons intérêt de bien savoir quelque chose, de nous assurer de la vérité d'un résultat, il nous est indispensable de bien reconnaître le sens des termes qui l'expriment, et de vérifier, un à un, tous les faits ou tous les rapports qu'il embrasse ou qu'il suppose. Cette vérification peut quelquefois être longue et pénible; mais, une fois qu'elle .est faite, elle aboutit à une connaissance réelle, s'il y a lieu d'en acquérir une en effet sur la matière dont il s'agit. Dès-lors tous les mots correspondent à autant d'idées précises, et nous savons au juste en quoi ces idées diffèrent, ce qu'elles ont de commun, quelles sont celles qu'il faut réunir ou diviser pour obtenir l'équivalent d'une autre. De là ces déductions naturelles qui forment le tissu de tout discours proprement dit, et qui étendent indéfiniment la sphère de la véritable science. Voilà comment on sait, et voilà aussi comment on prouve : car prouver n'est autre chose que rendre compte de ce qu'on a fait pour savoir.
La scholastique, au contraire, prouve en combinant des propositions ou des phrases qui énoncent des jugements, qui déclarent qu'une idée est ou n'est point comprise dans une autre. Elle réduit même toutes ces combinaisons de phrases à une seule forme qu'elle appelle syllogisme, et qui consiste à rapprocher de telle sorte trois propositions que la troisième paraisse engendrée par les deux premières. En effet, les deux prémisses étant supposées vraies, la conclusion s'ensuit nécessairement, si l'on a observé certaines règles in- génieuses qui ont été recueillies dans les écrits d'Aristote.
Mais bien conclure n'est point prouver, et nous ne serions jamais tentés de regarder ces deux expressions comme synonymes; si l'enseignement scholastique ne nous avait habitués
XIIIe SIÈCLE.
Fleury, 5e Disc.
sur l'hist. eccl.
— Bruck., Hist.
phil., III, 709-912.
— Mabillon.Etud.
monast., 2e part.
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à les confondre. Les conclusions vicieuses sont rares, il est peu difficile de les éviter ; mais les vaines hypothèses, les abstractions creuses et les mots obscurs ont envahi le domaine des sciences, et, bien loin que la scholastique prémunisse contre ces illusions, elle accoutume à les prendre pour des données.
Elle trompe l'activité de l'esprit humain, en l'exerçant et en le fatiguant même, sans l'éclairer ni l'étendre. En vain enseignerait-elle par aventure quelques vérités, les formes dont elle les couvrirait seraient encore nuisibles : ses procédés, son langage monotone et barbare, ses syllogismes, ce moule éternel où elle jette tout ce qu'elle nomme preuves, objections et réponses, appauvriraient toutes les facultés intellectuelles, la raison, la sagacité, le goût, l'imagination, et jusqu'à la mémoire. Aussi avait-elle, dans les temps dont nous parlons , flétri et presque éteint, du moins dans les écoles, toutes les études profitables, littéraires, historiques et théologiques. La grammaire s'y réduisait à quelques notions confuses; et Crevier fait observer que le nom même de rhétorique avait disparu : une dialectique puérile et pointilleuse tenait lieu des arts de parler et d'écrire. L'histoire ne semblait pas digne d'entrer dans le plan d'instruction; enfin, l'on avait oublié que la théologie chrétienne ne peut avoir d'autres sources que les livres sacrés, les décisions des conciles et les ouvrages des Pères de l'Église.
De soi, le mot de scholastique ne signifie qu'enseignement d'école ; mais on l'applique particulièrement à l'enseignement usité au moyen âge, et c'est en ce sens que nous avons dû l'expliquer. On est même dans l'usage de diviser en trois périodes l'histoire de la scholastique. La première correspond à-peu-près au douzième siècle, depuis Guillaume de Cham- peaux jusqu'à Pierre Lombard, qu'on pourrait considérer comme ayant commencé la seconde. C'est lui en effet qui a multiplié les divisions et sous-divisions, étendu l'usage de la synthèse, et achevé d'imprimer à l'enseignement les formes les plus arides. Ses successeurs, entre lesquels on distingue Albert-le-Grand, saint Bonaventure, saint Thomas et Scot, ont expliqué ses quatre livres de Sentences; mais, quoiqu'ils aient souvent transformé leurs leçons publiques en commentaires, ils ont aussi composé, sous le nom de Sommes, d'énormes cours d'instruction théologique. On voit que cette seconde période n'est, pour ainsi dire, que le treizième siècle même, et nous n'avons rien à dire ici de la troisième, qui
XIII* SiÈCLE.
Hist. de l'Univ., I, 376-479; II, 450.
Fleury, S- Dise" n.8.
Deslandes, Hist.
crit. de la phil., III, 269-334. —
Mém. de Trév., déc. 1710, p.
1348, 1349,
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n'a commencé qu'après l'an 1300. Durand de Saint-Porcien l'a ouverte; et Guillaume Ockam y a reproduit le système des nominaux.
Ainsi, dans l'âge qui nous occupe, l'enseignement consistait en de longues séries de définitions, de divisions, de syllogismes et de gloses ou commentaires. Il embrassait l'examen ou plutôt la solution d'une multitude de questions obscures, dont plusieurs même ne présentaient aucun point accessible; par exemple : Si Dieu n'eût rien créé, qu'aurait été sa prescience? A-t-il pu faire autre chose que ce qu'il a fait?
Ses ouvrages auraient-ils pu être meilleurs? En quel sens peut-on dire qu'il a voulu sauver tous les hommes? Sa volonté ne s'accomplit-elle pas toujours ? Est-ce par sa volonté que le mal arrive? Quelle est la structure intérieure du paradis? Les vêtements avec lesquels se montra Jésus-Christ ressuscité étaient-ils véritables ou apparents ? Monta-t-il au ciel avec ces vêtemens? Que sont-ils devenus? Le corps de Jésus-Christ est-il nu ou habillé dans l'Eucharistie? L'eau se change-t-elle en vin, avant de subir, avec le vin, la transformation eucharistique? C'était par l'habileté à proposer ou à résoudre de tels problêmes qu'on acquérait alors de la renommée, du crédit et même de l'autorité.
De pareilles questions ne pouvaient manquer de provoquer des disputes interminables, des rivalités, des schismes, des anathêmes. Entre les diverses doctrines que ces controverses faisaient éclore, il fallait bien, pour l'uniformité de l'enseignement, n'en adopter qu'une seule, et réprouver toutes les autres. Aussi pourrions-nous faire une bien longue liste des propositions condamnées dans le cours de ce siècle par les papes, par les évêques, par les conciles, par les universités, par les généraux ou les chapitres d'ordres monastiques : car toutes ces autorités prétendaient prononcer irréfragablement sur ces matières. On condamna donc Amaury de Chartres, pour avoir dit que chaque chrétien était obligé de se croire membre de Jésus-Christ. On condamna ceux qui disaient que l'essence divine n'est vue en soi ni par les anges ni par l'homme glorifié; qu'étant la même dans les trois personnes de la Trinité, en tant qu'essence, elle ne l'est pas en tant que forme; que les âmes des saints et les corps glorifiés seront dans le ciel cristallin et non dans le ciel empyrée; que le mauvais ange a été mauvais dès le premier instant de sa création, et n'a pas eu, non plus qu'Adam, de quoi se sou-
X Ill. SIÈCLE.
Baluz., Epist.
Innoc. III, t. I, 1.
V, epist. 121.Boll., I Mart., p.
677. -Touron,Vie de S. Dom., 1. II, c. 15, p. 158.
IX.
Disputes, sectes, hérésies et Inquisition.
Duch., Script.
rer. fr., V, 50 — Du Boulay, III, 24, 25; 48, 49. —
Touron, H. ill., 1. II, n° 22, n° 24.
— Mart., Thes.
anecdot., IV, 163o.
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tenir dans l'état d'innocence : Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, l'université de la même ville; Jean-le-Teutonique, général des dominicains, défendirent d'enseigner ces propositions. A lui seul, Étienne Tempier, autre évèque de Paris, en condamna deux cent vingt-deux sur Dieu, sur l'âme, sur l'essence, sur l'accident, sur l'intellect, sur la génération et sur la corruptibilité. Dans ce nombre, il s'en trouvait de saint Thomas d'Aquin : aussi Tempier fut-il obligé de déclarer qu'il annulait la censure de ces articles, en tant qu'ils tou- chaient ou semblaient toucher à la saine doctrine de ce savant théologien.
Saint Thomas a laissé son nom à une secte qui est restée presque jusqu'à nos jours opposée à celle du franciscain Jean Duns Scot. Les disputes entre les premiers thomistes et les premiers scotistes roulaient sur plusieurs points, tels que la distinction des attributs de Dieu, l'immaculée conception de Marie, la manière dont les sacremens opèrent. Les scotistes distinguaient en chaque être autant de formalités ou même d'entités qu'il avait de qualités différentes. Les thomistes, quoique tout aussi péripatéticiens que leurs adversaires, s'étaient formé un autre système ontologique, ou plutôt un autre langage. Dans la suite, la prédestination et la grâce devinrent les principaux ou presque les seuls objets de controverse entre ces deux sectes. De ce que Dieu est la cause première et le premier moteur de toutes les créatures, les thomistes concluaient qu'il devait influer sur leurs actes, sans attendre leurs déterminations : ils donnaient à cette influence le nom de prémotion physique, et celui de grâce efficace, quand il s'agissait d'œuvres méritoires. Un exposé de cette dispute fameuse serait ici déplacé : car elle a eu fort peu d'éclat avant l'an 1300.
Presque toujours les censures imprimaient la qualification d'hérésie aux doctrines qu'elles avaient frappées. Toutefois, comme nous l'avons dit, aucune hérésie du treizième siècle n'a conservé une grande renommée, soit parce qu'on a pris des moyens efficaces pour en empêcher le développement, soit parce qu'au fond les sectaires de cette époque n'ont guère fait que reproduire et mélanger plutôt que combiner d'anciennes erreurs, celles surtout des Manichéens et des Vaudois. Ils y alliaient de l'astrologie, de la magie, des systêmes sur l'Ante-Christ et sur le règne de l'Esprit-Saint. Voilà la seule idée qu'il soit permis de prendre des opinions pro-
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, III, 433-443.
Crev., II, 79, 288-290.
Alber. Chron., p. 524,525.
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fessées par les Albigeois, par les Cathares, par ceux qu'on appelait Bulgri ou Bulgari, hérétiques qui n'avaient point de chef proprement dit, point de fondateur unique et véritable, par conséquent point de corps de doctrine bien déterminé. Si ceux qui habitaient les provinces méridionales de la France sont restés plus fameux, ils ne doivent cette triste célébrité qu'à la violence des moyens employés pour les réprimer.
En effet, quelque grossières que fussent toutes ces erreurs, la scholastique éteignait de plus en plus les lumières qui les auraient dissipées. L'obscurité qu'elle répandait sur les discussions rendait la vérité méconnaissable et la conviction presque impossible. Ceux donc qu'on ne savait pas ramener à la doctrine orthodoxe, il ne restait plus qu'à les persécuter : aussi n'y a-t-il point de siècle, dit Pluquet, où l'on ait lancé plus d'excommunications, et brûlé plus d'hérétiques; comme il n'y en a pas non plus, selon cet auteur, où l'on ait moins cultivé les sciences et les arts. Ici Pluquet nous semble trop indulgent envers quelques autres siècles; mais il est trop vrai que l'histoire du treizième abonde en proscriptions. Dès 1201, Euvrand ou Euvrade, intendant de Henri comte de Nevers, est accusé de professer l'hérésie des Bulgares : il comparaît devant un concile assemblé par Octavien, légat d'Innocent III ; on le renvoie rendre compte de son administration, et on le ramène à Nevers pour le jeter dans les flammes, en présence d'un peuple à qui, dit-on, ses extorsions l'avaient rendu odieux; mais ce n'était pas de ce crime qu'il subissait la peine. Cinq ans après, Guy Paré, à peine installé dans l'archevêché de Reims, condamne au même supplice Robert, comte de Braynes, la comtesse Yolande, et plusieurs habitans de Braynes, y compris un peintre dont le talent était renommé. En 1210, on exhume les ossemens d'Amaury de Chartres, pour les jeter dans le bûcher où périssent ses disciples, consumés avec les écrits de David de Dinant, l'un d'eux, et avec la métaphysique d'Aristote. En vain l'hérétique Tarricus se réfugie dans un souterrain, on le découvre et on le brûle, et quelques-uns de ses sectateurs partagent son sort. Nous aurions à parler aussi de cent quatrevingt-trois Bulgares, brûlés à Montrimer, en présence du roi de Navarre, des barons de Champagne, de Henri, archevêque de Reims, et de plusieurs autres prélats; mais laissons à l'histoire civile et à l'histoire ecclésiastique le soin d'exposer
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., part. II, 568-570.
Dict. des Hér., I, 55.
Chron. Altiss., anno 1201.
Gall. Christ.
nov., IX, 101 Fleury, Hist.
ec., 1. LXXVI, n.
-58.
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et de déplorer ces affreux détails : ils ne tiennent à l'histoire littéraire que parce qu'ils signalent l'ignorance et la barbarie du moyen âge; or ce résultat n'est que trop bien établi par les exemples que nous venons de citer, et nous croyons être dispensés d'en recueillir un plus grand nombre. Nous remarquerons seulement qu'Albéric de Trois-Fontaines et les autres chroniqueurs de ce temps là, en racontant ces sacrifices humains, paraissent n'en sentir, n'en soupçonner aucunement l'injustice et l'atrocité; c'est, à leurs yeux, une chose toute simple que de punir de mort une opinion erronée, une croyance absurde. Tant il est aisé à la fausse science d'éteindre toute tolérance, toute sensibilité morale, même en des esprits imbus des équitables et charitables maximes de l'Évangile! Mais ils est nécessaire d'ajouter que les provinces méridionnales étaient surtout le théâtre de ces proscriptions : là on déposait les princes, on incendiait les villes, on passait les habitans au fil de l'épée; on donnait à la guerre civile le nom de croisade, et, pour éterniser les vengeances, on instituait les tribunaux permanens qui devaient les ordonner.
Nous réservons encore ici beaucoup de détails soit aux annales politiques, soit aux notices particulières, qui, dans notre histoire littéraire, seront consacrées à certains personnages, par exemple, à Arnauld, abbé de Cîteaux, et nous nous bornerons à faire, en ce moment, un exposé général de l'origine et des premiers progrès de l'Inquisition.
On a désigné comme le plus ancien inquisiteur tantôt Pierre de Castelnau, tantôt saint Dominique : sur quoi le père Touron dit qu'à la vérité ces deux saints personnages étaient bien dignes par leurs vertus d'exercer et d'instituer un si auguste ministère, mais qu'il n'est pourtant pas possible d'en apercevoir l'établissement dès les années 1204 ou 1208, puisque alors les doctrines étaient proclamées par les conciles, et les censures contre les personnes portées par les papes ou par les évêques; qu'ainsi aucun jugement proprement dit n'était encore réservé aux missionnaires séculiers ou réguliers, qui n'intervenaient dans la poursuite des hérétiques que par la ferveur de leurs prédications et l'activité de leur zêle. Nous devons avouer que l'Inquisition, telle qu'elle est devenue, c'est-à-dire considérée comme un véritable tribunal, distinct de la jurisdiction ordinaire, poursuivant de son propre mouvement, jugeant de sa pleine autorité, n'a
XIIIe SIÈCLE.
Alb Chron ., 451-453. — Chr.
Altissiod., ann.
1198 et seqq.
Vaiss., Hist. de Languedoc, 1.
XXIII, XXIV, n.
63-87, XXV. —
Touron, Hist. de S. Domin., 1. 1, c.
6, p. 38-41; c. 13, p. 89-91. — Pluquet, Dict. des hé-
rés., disc, prél., 250, t. II, 27, 203-284. — Baluz.,Epist. Inn. III, t. I, 1. I, ep. 94.
Eymerici Dir.
Inquis. Limb., Hist. Inquis. —
Hist. des Inq., par Marsollier, 1. II.
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commencé d'exister qu'après le pontificat d'Innocent 111. Mais il n'est aucune institution du moyen âge qui soit née telle qu'elle est restée; toutes ont eu des développemens successifs, et la question de leur origine devra être fort diversement résolue, selon qu'on recherchera ou leur premier germe ou l'époque de leur organisation réelle. Dès l'an 1205 , le titre d'inquisiteur est donné par Innocent III aux trois religieux qu'il avait établis comme ses légats en Languedoc, savoir, Raoul, Pierre de Castelnau, et Arnaud, abbé de Cî- teaux. L'évêque d'Osma et saint Dominique leur sont adjoints en 1206, et les fonctions qu'ils se mettent à exercer en se distribuant les provinces méridionales, peuvent sembler encore celles de missionnaires ou de chefs de croisés, plutôt que de juges. Le Pape avait ordonné aux archevêques, aux évêques, aux princes, comtes et barons, de les aider de tout leur pouvoir à détruire les Albigeois et les fauteurs de cette hérésie. Exciter et entretenir la guerre civile, déposer les princes indociles, délier les sujets du serment de fidélité, promettre des indulgences aux persécuteurs, exhumer les morts, brûler les vivans, tel fut le ministère des envoyés d'Innocent III. Si ce n'était pas encore là l'Inquisition, c'était déjà davantage, et ces pouvoirs furent plutôt réglés qu'étendus, lorsqu'en 1229, un concile de Toulouse, présidé par l'archevêque Foulques, leur imprima un caractère judiciaire: Quatre ans après, Grégoire IX, considérant que les évêques avaient bien d'autres affaires, commit expressément aux frères prêcheurs l'exercice de l'Inquisition, c'est-à-dire la recherche, la poursuite et le jugement des hérétiques, et institua ainsi, dans le royaume de France, des tribunaux qui n'émanaient et ne dépendaient que de lui seul. En conséquence, Waultier de Mauris, évêque de Tournay et légat du Ssaint-Siège, installa, dans Toulouse, Pierre Collani et Guillaume Arnaldi, deux dominicains, qu'on peut regarder, si l'on veut, comme les deux premiers inquisiteurs proprement dits qui aient procédé en France. Il y en eut bientôt de pareils à Montpellier, à Cahors, à Carcassonne, à Alby, en toute ville où les frères prêcheurs avaient des couvens. Les personnes suspectes d'hérésie, de sortilége, de magie, de judaïsme, étaient citées devant ces tribunaux, et, quand ils les condamnaient, ce qui arrivait le plus souvent, livrées au bras séculier, pour être brûlées vives, ou renfermées à perpétuité,
XIIIe SIÈCLE.
— Hist. de Toulouse, par Raynal.
Manriq., ann.
1205, C. 3, n. 2. 3.
— Hist. Albig., c.
3. — Vaissette, 1. XXI, n. 22.
Fleury, Hist.
eccl., 1. XXIX, n.
57.
Fleury, Hist.
eccl., 1. XXX, n.
40.
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Tant d'iniquités, de proscriptions, d'anathêmes, tant de guerres entre les sectes, tant de dissensions dans les églises et de disputes dans les écoles, disposaient déjà les esprits à l'incrédulité. Albéric de Trois-Fontaines se plaint particulièrement de l'irréligion et du libertinage des étudians. Jacques de Vitry parle d'une manière plus générale de la tendance de ses contemporains à ne croire que ce qu'ils peuvent comprendre, à rejeter les prophéties et à traiter comme des songes ou des chimères les révélations des saints. Cet audacieux scepticisme chez un peuple ignorant et qui croyait à la magie ne peut s'expliquer que par les excès que se permettait l'autorité spirituelle, et par la direction fausse que la scholastique avait imprimée à la théologie.
L'étude d'une religion révélée est essentiellement historique : il ne s'agit point d'en discuter les dogmes, mais de vérifier s'ils sont énoncés dans les livres saints, ou établis par des décisions authentiques, ou consacrés par des traditions constantes. Le raisonnement ne doit s'appliquer dans une telle science qu'à la reconnaissance des textes, qu'à l'examen des témoignages, qu'à la recherche des faits; et c'est ainsi que la théologie se présente en effet dans les meilleurs ouvrages des anciens Pères de l'Église. Mais au moyen âge, on s'est beaucoup moins appliqué à étudier les textes, les versions et le sens littéral de la Bible, qu'à imaginer des interprétations mystiques. Les commentaires de l'Ancien et du Nouveau Testament deviennent un peu moins nombreux au treizième siècle ; ils sont néanmoins volumineux encore, parce qu'on prit l'habitude de les grossir des questions oiseuses qui se traitaient dans les écoles. Les textes sacrés n'y sont plus que des prétextes d'entamer des discussions et d'accumuler des syllogismes. C'est en général de cette manière qu'Albert-le-Grand, Jean de la Rochelle, Augustin Triomphe., saint Thomas et saint Bonaventure commentent l'Apocalypse, les Épîtres de saint Paul, les Actes des apôtres, les quatre Évangiles, les Prophètes., les Psaumes, Job et d'autres parties de l'Ancien Testament; seulement saint Bonaventure y mêle un peu plus de réflexions pieuses et de considérations morales. Tous ces travaux ne sont pas aujourd'hui d'un grand secours à ceux qui étudient l'Écriture sainte. On a tiré plus de profit des recueils d'un tout autre genre, qu'ont laissés Étienne Langton, le dominicain Hugues de Saint-Cher, Conrad d'Halberstad, Arlotto da Prato, général des frères
XIIIe SIÈCLE.
X.
Théologie.
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mineurs. On attribue à Étienne Langton la division de la Bible, ou du moins de plusieurs livres, en chapitres. D'un autre côté, il est bien reconnu que les premières Concordances en langue latine sont du treizième siècle, et les dominicains ont prouvé qu'on les doit à Hugues de Saint-Cher.
Il paraît qu'Arlotto da Prato et Conrad d'Halberstad n'ont fait que distribuer la Bible en lieux communs, que rapprocher les passages qui ont trait à certaines matières ; mais Hugues de Saint-Cher s'est proposé de rassembler tous les textes où un même mot est employé, et de les disposer dans un ordre alphabétique. Cinq cents frères prêcheurs l'ont aidé dans ce travail, qu'on a fort perfectionné depuis, mais dont les premiers essais méritent beaucoup d'éloges.
Des traductions de la Bible en langue vulgaire sont de la même époque. Alfonse en fit faire une en castillan, et celle de Guyart Desmoulins en langue française a été longtemps célèbre. On ne l'a même que trop copiée : car, à force d'en changer successivement les expressions, on a rendu fort difficile la recherche des leçons originales. Du reste, comme l'a observé Huet, c'est moins une version qu'une glose, qui n'a d'intérêt aujourd'hui que comme un monument de l'histoire de notre langue.
Ce qui semble indiquer le mieux quelque commencement de littérature sacrée, c'est qu'en 1240, lorsqu'on procédait à Paris à la condamnation du Talmud des Juifs, il se trouva deux docteurs de l'Université capables d'en traduire les textes.
Mathieu-Pâris parle d'ailleurs d'un Robert d'Arondel, qui savait l'hébreu, et qui mourut en 1246. Il eût mieux valu étudier cette langue, et recueillir, même dans le Talmud, quelques interprétations grammaticales de certains passages de la Bible, que de se livrer à un examen sérieux des im- postures et des absurdités entassées par les rabbins. Pouvait-on s'étonner que les croyances judaïques ne fussent pas conformes à l'Évangile? Quoi qu'il en soit, le Talmud fut solennellement condamné par Grégoire IX en 1230, par des théologiens et des évêques assemblés à Paris en 1240, par Innocent IV en 1244, et de nouveau en 1248 par Eudes de Châteauroux, légat en France, aidé, nous dit-on, des lumières de plusieurs docteurs en théologie et en droit canon.
Aucun fait ne serait plus remarquable dans l'histoire littéraire du treizième siècle que la composition des quatre livres ou des trois premiers livres de l'Imitation de Jésus-
XIIIe SIÈCLE.
Oudin, 11,1698- 1700.
Script. ord.
præd., 1. 194. —
Tirab , IV, 155.— Andres, VI, 432.
Mariana, Hist.
Hisp., 1. XIV, c. 7.
De Serres, In- vent. ann. 1227.
De Claris Interpr.
Boll., 25 aug., 359-361. — Du Boulay, III. 176- igi. - Fleury, t. XVII, p. 400405. — Crev., I, 382, 383.
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Christ. Mais, s'il était vrai qu'ils fussent de Jean Gersen, bénédictin et abbé de Verceil vers 1250, ainsi que plusieurs Italiens continuent de le soutenir, nous n'aurions pas le droit d'en parler, puisqu'ils n'appartiendraient point à la littérature de la France. Nous les avons déjà écartés de la liste des œuvres de saint Bernard, et il sera un jour de notre devoir d'examiner s'il convient de les placer parmi celles du chancelier Gerson. En attendant, laissons indécise entre Gersen, Gerson et Thomas-à-Kempis une question débattue à plusieurs reprises depuis deux siècles, et avec plus de chaleur que, jamais depuis vingt ans; elle a été traitée dans cent ouvrages ou opuscules, et si diversement résolue, qu'elle peut sembler encore neuve. Tout ce que nous en pouvons dire en ce moment, c'est que nous ne rencontrons dans aucun livre du treizième siècle l'inaltérable simplicité, la clarté parfaite et la piété affectueuse qui distinguent celui-là. Cet âge a produit beaucoup d'ouvrages mystiques, mais où l'on retrouve les subtilités et. l'obscurité que la scholastique répandait par-tout. Saint Bonaventure, le plus onctueux des théologiens de ce temps, est docteur encore dans ses contemplations les plus dévotes, et les artifices de sa science se mê- lent aux effusions de son âme. La théologie morale subissait elle-même une métamorphose : au lieu d'établir les préceptes et d'en exposer l'enchaînement, elle se plaisait à imaginer des hypothèses et à résoudre des problêmes épineux. L'art des casuistes naquit au sein des écoles de cette époque, et prit aussitôt dans le monde la place de la science des mœurs.
Morale et doctrine dogmatique, tout se rangeait dans un même genre et dans un seul corps d'enseignement, et y composait d'interminables séries de questions, d'argumentations, d'objections et de réponses.
On distinguait néanmoins quant au titre, et un peu même quant à la distribution des matières, deux principales espèces de grands ou longs ouvrages théologiques : les uns étaient des commentaires sur les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard ; les autres, des recueils didactiques qu'on appelait Sommes, et que, malgré leur énorme étendue, on semblait donner pour des abrégés. Commenter le Maître des Sentences était, nous l'avons dit, le premier essai de la fonction de professeur. Simon de Tournay, Gautier de Bruges, Albert-le-Grand, Augustin Triomphe, saint Thomas, saint Bonaventure et Jean Duns Scot ont tour-à-tour rempli
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cette tâche. Mais, imprimés ou manuscrits, leurs commen- taires et ceux de leurs' contemporains demeurent ensevelis dans la poussière des bibliothèques. Les Sommes sont plus consultées, parce qu'elles offrent des systèmes plus complets et qu'il est plus aisé d'y trouver les articles que l'on cherche.
Les premières après l'an 1200 furent celles de Prépositivus et de Simon de Tournay. Ce dernier théologien devint si téméraire à IJL fin de ses jours, qu'il est, comme l'empereur Frédéric II, du nombre de ceux à qui le livre des Trois Imposteurs a été, quoique mal-à-propos, attribué. Guillaume d'Auvergne n'est peut-être pas l'auteur de la Somme qui porte son nom; c'est une question que nous discuterons dans l'article qui concernera cet évêque de Paris, dont on a de meilleurs traités sur les sacremens et sur la morale. Jadis appelée Fontaine de vie, la Somme d'Alexandre de Halès n'en est pas moins, comme celle de Jean de la Rochelle et d'Albert-le-Grand, dénuée d'érudition ecclésiastique autant que de vraie logique et de bon goût : c'est un tissu de vaines subtilités, au milieu desquelles se montre à découvert la doctrine qui subordonne la puissance temporelle à la spirituelle, et qui dégage du serment de fidélité les sujets d'un prince hérétique. C'était l'un des systèmes du temps ; mais Alexandre de Halès rejette l'opinion qui exemptait Marie de la tache originelle. La Somme la plus fameuse est due à saint Thomas d'Aquin. Launoy, qui en a révoqué en doute l'authenticité, a été, a notre avis, solidenent réfuté par le père Échard. Ce grand ouvrage est divisé en trois parties : la première traite de la nature des choses, du Créateur et des créatures; la deuxième, de la morale; la troisième, des sacremens et de l'Incarnation. Mais dans la deuxième on distingue une partie générale et une autre qui, ordinairement appelée seconde, entre dans tous les détails relatifs à chaque vertu et à chaque vice : par-tout, Aristote est cité comme le maître par excellence, et l'on a peine à concevoir comment l'un des plus habiles théologiens du christianisme attribue, en de telles matières, tant d'autorité à un philosophe payen, dont l'Église avait déjà condamné quelque-fois les livres. Du reste, il convient de rendre hommage à l'étendue d'esprit que suppose dans saint Thomas un travail si vaste et si soutenu. Après cette Somme, il serait superflu de s'arrêter aux autres, même à celle que saint Thomas lui-même a composée contre les gentils : c'est un traité polémique contre les payens et contre les héré-
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Oudin, III, 6678.
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tiques; là, du moins, les citations des philosophes profanes sont mieux placées quand elles ont pour but de réfuter ces philosophes par leurs propres principes.
D'autres ouvrages de saint Thomas d'Aquin, intitulés Questions disputées, Questions quodlibétiques, sont des exemples d'une troisième espèce de livres de théologie scholastique. Simon de Tournay, Augustin Triomphe, Pierre d'Auvergne et d'autres docteurs ont composé de ces recueils, qui diffèrent peu des Sommes, quand ils sont ou paraissent méthodiques, et qui en prennent même quelquefois le nom, quand ils sont amples. Tous ces répertoires de problêmes et de syllogismes plaisaient fort aux étudians et alimentaient les disputes; c'étaient les jeux d'esprit du siècle. On pourrait aussi considérer comme une Somme les quatre Miroirs de Vincent de Beauvais, et particulièrement celui qui est qualifié doctrinal; mais cette compilation, qui embrasse toute la théologie, en excède les limites ; et si les quatre parties en étaient également authentiques, l'auteur aurait fait une sorte d'encyclopédie. Un livre de théologie qui se distingue tout-à-fait des Sommes, des Questions quodlibétiques et des commentaires sur les Sentences, est celui que Guillaume Durand, èvèque de Mende, composa vers la fin du treizième siècle, sur les offices divins, et qui fut, après la Bible, le premier ouvrage considérable sur lequel s'exerça, au quinzième, l'art de l'imprimerie. Malheureusement, il est plus plein de scholastique que d'érudition, il ne tient guère à l'histoire que comme monument de la liturgie contemporaine. Au lieu de remonter à l'origine des rites et d'en rechercher la tradition, l'auteur en explique les motifs, qu'il puise ordinairement dans les rêveries des mystiques et dans les argumens de l'école. En vain Gautier de Saint-Victor s'était plaint des théologiens qui se jouaient du vrai et du faux; en vain Grégoire IX les exhortait à se montrer non philosophes, c'est-à-dire sophistes, mais habiles dans la scienee de Dieu ; en vain ce pape les rappelait à l'étude de l'Écriture sainte et des saints Pères, et leur prescrivait de n'élever d'autres questions que celles que ces autorités pouvaient résoudre : les esprits et l'enseignement avaient pris une autre direction et ne devaient pas l'abandonner de sitôt.
On méconnaissait à tel point la véritable source de la science ecclésiastique, qu'en désignant par l'épithète de théologiens à Bible le petit nombre de ceux qui continuaient d'y recourir,
XIIIe SIÈCLE.
Durandi Rationale, Moguntiæ, 1459, in-fol.
Du Boulay, II, 404-553, 629. —
III, 129.
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on croyait leur dire une injure. C'était par l'art et l'abus des syllogismes que les écrivains dont nous venons de parler et divers professeurs alors presque aussi renommés qu'eux, Roland de Crémone, Jean de Saint-Gilles, Laurent de Fougères, Jacques de Revigny, Thomas, abbé d'Aulnes, et plusieurs autres, brillaient dans les écoles et y attiraient un si grand concours d'auditeurs ; c'était à de tels maîtres que saint Dominique envoyait ceux des moines de son ordre qu'il ne trouvait point assez instruits; c'était l'instruction que les frères mineurs fondaient à Beziers en 1254, et successivement dans tous leurs monastères; c'était eufin de pareilles leçons que Dante venait recueillir en France. Cet enseignement théologique se soutenait pour cela même qu'il entretenait les disputes et les sectes au sein des écoles, l'ignorance et la plus grossière superstition dans le peuple.
Beaucoup d'ecclésiastiques préféraient à l'étude de la théologie celle du droit canon, comme pouvant conduire à des fonctions plus lucratives. Il n'était plus question de chercher les lois de l'Église dans son histoire, de recourir aux actes des premiers conciles et aux plus anciens recueils de statuts généraux ou particuliers. La collection de Gratien, publiée sous le titre de Décret, au milieu du douzième siècle, avait substitué au régime primitif un amas de décisions pontificales, dont plusieurs forgées. au huitième siècle par Isidore Mercator, semblaient donner des dates anciennes aux nouveaux abus et aux usurpations nouvelles. Ce code ayant attribué aux papes un pouvoir immense, ils l'exercèrent en publiant, sur toute matière, un si grand nombre de bulles, ou, comme on disait, de décrétales, qu'il parut nécessaire de les recueillir et de les classer. Grégoire IX chargea de ce travail Raymond de Pennafort, dominicain espagnol, qui compila cinq livres, auxquels on a fait correspondre les cinq mots de ce vers :
Judex, judicium, clerus, sponsalla, crimen.
Une collection de décrétales ne pouvait jamais rester com- plète : car, plus on en rassemblait, plus s'étendait le pouvoir et se multipliaient les occasions d'en faire. Aussi les soixantetrois années qui s'écoulèrent entre Grégoire IX et Boniface VII suffirent-elles pour fournir la matière d'un nouveau recueil.
Celui que publia Boniface, est, comme le précédent, divisé en cinq parties; il porte le nom de Sexte ou sixième livre.
XIIIe SIÈCLE.
Baluz., Concil.
Narbon.,app., i55.
XI.
Jurisprudence canonique.
Fleury, Disc.
IV sur l'hist.
eccl.
Fleury, Hist.
ecc., 1. LXXX, n.
46. - Rich. Simon, Orig. et Pr. des revenus eccl. —Tirab., IV, 304-306.
Fleury, Hist.ee.,
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Les résultats de ces deux codes sont les mêmes que ceux du décret de Gratien : attribuer à l'évêque de Rome, non la simple primauté, mais une suprématie universelle; subordonner à sa puissance les décisions des conciles et la dignité des rois; l'établir juge de toutes les causes ecclésiastiques, soit par voie d'appel, soit même en première instance; confondre avec ces causes toutes celles qui concernent les mariages et par conséquent l'état des personnes; limiter la jurisdiction des archevêques et des évêques, en exempter les ordres religieux et même quelques autres corporations; soustraire de plus en plus à l'autorité civile les ecclésiastiques réguliers et séculiers; contenir le clergé, les princes et les peuples, par la crainte des excommunications, des interdits, des suspenses; soumettre enfin le plus possible les États à l'Église, et toutes les Églises au Pontife romain : voilà le droit canon, tel qu'il émanait de Rome, tel qu'il s'enseignait, sauf quelques modifications, dans la chrétienté entière.
Trois conciles généraux se sont tenus dans le cours de ce siècle : l'un à Saint-Jean de Latran, et les deux autres à Lyon. La France seule fournirait ici plus de cent soixante conciles particuliers, entre lesquels nous ne citerons en ce moment que ceux de Paris, en 1212, 1248, 1253 et 1255 ; de Melun, en 1216; de Rouen, en 1223 et 1231 ; de Toulouse, en 1229 ; de ChâteauGontier, en 1231, 1254 et 1258; de Compiègne, en 1235; de ) Tours, en 1236 et 1239 ; de Sens, en 1239 , 1256 et 1280 ; de Provins, en 1251 ; de Saumur, en 1253 et 1276; de Nantes, en 1264 ; de Rennes, en 1273; d'Angers, en 1279 ; de Bourges, en 1276 et 1284. Toutes ces assemblées, et celles qui ont eu lieu au sein des autres États chrétiens, ont fait des statuts qui, ce semble, devaient se recueillir dans les codes ecclésiastiques, du moins dans les codes particuliers des nations, des provinces et des diocèses. Mais, si l'on excepte les conciles présidés par les légats du Pape, comme l'ont été plusieurs de ceux qui furent tenus en Languedoc contre les Albigeois, les décisions de ces assemblées paraissaient n'acquérir de force et d'autorité qu'autant que la cour de Rome les confirmait expressément. Les collections de Gratien et de Raymond de Pennafort étaient, aux yeux des docteurs, les seuls dépôts des lois canoniques.
Ce n'est pourtant pas qu'on eût perdu en France toute idée de l'ancienne discipline ecclésiastique. Nous en retrouverons les principes dans la pragmatique sanction que saint Louis
XUle SIÈCLE.
1. LXXXIX, n. 59.
—Tirab , IV, 306.
308
Labb., Conc., I.
XIX. — Sirm., Conc. Gall.
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publia en 1268, après que Clément IV eut décidé que tous les bénéfices étaient à la disposition du Pape, et qu'il les pouvait donner vacans, par collation immédiate ; et non vacans, par survivance, ou, comme on disait, par expectative. Pour repousser ces entreprises, saint Louis déclara « Que les prélats, « patrons et collateurs, jouiraient pleinement de leurs droits, « que les cathédrales et les autres églises du royaume feraient « librement leurs élections, que le crime de simonie serait « extirpé du royaume, que les promotions et les collations « seraient faites selon le droit commun et les décrets des CI conciles; que les exactions intolérables par lesquelles. la e cour de Rome avait misérablement appauvri le royaume « cesseraient d'avoir lieu, si ce n'était pour @ d'urgentes néces« sités, du consentement du roi et de l'Église gallicane. »
Cet acte est si positif, que la cour de Rome et ses partisans en ont voulu nier l'authenticité ; mais ce doute que rien n'autorise a été dissipé par Bossuet et par Noël Alexandre, ou plutôt par les monumens et les témoignages qu'ils ont rapprochés. A la fin du siècle, Boniface VIII fournit à Philippele-Bel l'occasion de rappeler énergiquement les maximes de saint Louis sur l'indépendance du trône, sur les limites du pouvoir pontifical; et le Sexte, publié dans le cours de ces démêlés, ne put jamais être reçu en France. Auparavant, Pierre des Vignes, chancelier de Frédéric II, avait soutenu et propagé en Allemagne la même doctrine.
Mais la vérité nous oblige d'avouer qu'on enseignait en France le décret de Gratien et le code de Raymond de Pennafort, qui ne valent pas mieux que le Sexte. Toutefois, c'était en Italie qu'on cultivait le plus ce genre d'études, particulièrement encouragé par les papes, qui eux-mêmes s'y montraient fort versés. Innocent III tenait trois fois par semaine un consistoire public où il examinait les affaires les plus importantes, renvoyant les autres à des juges subalternes; les jurisconsultes les plus savants venaient à Rome pour l'entendre et se former sur un si grand modèle. Une étude profonde des lois ecclésiastiques et même des lois civiles aida Grégoire IX, Innocent IV, Urbain IV, Clément IV, à soutenir l'autorité pontificale. Cette connaissance ne manqua point à Boniface VIII, mais il n'y joignit pas assez de sagesse. Des écoles de droit florissaient sous tous ces pontifes, à Naples, à Modène, à Reggio, à Verceil, à Padoue, et principalement à Bologne. Pour en tracer l'histoire, il
XIIIe SIÈCLE.
Rec. des Ord., t. I, p. 97.
A
Boss., Def. cl.
Gall., 1. XI, c. 9, —Natal. Alex., H.
eccl., sect. XIII, c. 10, art. 3.
Trich., de Hist.
eccl., c. 434. —
Petri de Vincis epistoæ. Basil., 1720, 2 v. in-8°.
Baluz.,Vita Inn.
III, in fronte epist.
—Tirab., IV, 3436.
Tirab., IV, 316, 3I7.
Racine, Abr. de l'hist. eccl., V, 442.
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faudrait distinguer deux époques, l'une avant, l'autre après 1234, date de la publication des décrétales que Grégoire IX fit recueillir. Les canonistes de la première époque, tous professeurs publics, se sont livrés à trois différentes espèces de travaux : les uns, comme Bernard de Pavie, Jean de Wallia, Pierre de Bénevent, rédigeaient des supplémens au Décret de Gratien, et leurs compilations entraient à la suite de ce Décret, dans le corps du droit canon; les autres, comme Grazia d'Arezzo et Tancredi, consultés et employés par la cour de Rome, appliquaient leur science aux affaires et aux besoins du temps, d'autres enfin se bornaient à commenter Gratien, et, parmi ces glossateurs, Jean Sémeca en Allemagne et Barthélemi de Brescia en Italie acquéraient une réputation qui leur a long-temps survécu. Le travail de Raymond de Pennafort, érigé en code par Grégoire IX, rendit inutiles les trois recueils du même genre que Pierre de Bénevent, Jean de Wallia et Bernard de Pavie s'étaient hâtés de former, et devint un texte à de nouvelles gloses.
Malgré son étendue, on le trouvait trop succinct et quelquefois obscur. Les docteurs s'exercèrent donc à l'expliquer, et Bernard Battoni se distingua l'un des premiers dans cette carrière nouvelle, où Henri de Suze, cardinal d'Ostie, obtint les plus éclatans succès. Outre ce commentaire, Henri de Suze a fait une Somme de décrétales qui excitait une admiration encore plus vive. Dante l'a célébré comme le restaurateur de la jurisprudence, et l'a placé, dans le Paradis, à côté de Taddée, qui renouvela la médecine.
En France, Étienne de Tournay, Renaud de St-Gilles et Almanevus de Grisinhac, qui devint archevêque d'Aix, étaient, depuis l'an 1200 jusqu'en 1234, les canonistes les plus connus. Vers ce même temps, d'autres Français, Guillaume le Normand, Thibaut d'Amiens, Pierre Samson, enseignaient la jurisprudence ecclésiastique en Italie. Plus tard, le pape Clément IV, écrivant à Bertrand, évêque d'Avignon, le qualifie habile dans l'une et l'autre jurisprudence. On attribuait aussi ce mérite à Philippe, chanoine et official du Mans, depuis moine de Cîteaux. La France pourrait revendiquer Henri de Suze, parce qu'il fut archevêque d'Embrun, et, à plus juste titre, Jacques de Révigny, qui enseigna le droit à Toulouse, et mourut évèque de Verdun, en 1196 : nous l'avons déjà nommé parmi les théologiens ; mais il était du nombre de ceux qui, négligeant les textes originaux
XIIIe SIÈCLE.
Tirab., IV, 301304.
Ib., 312-314
Ib., 315, 316.
Ib-, 317, 3 1 S. Jac. Durandi Piemontesi ill., IV, 245.
Parad., c. XII v. 82, 83.
Script. ord.
prædic., I, 69, Gall. Christ.
nov., I, 991.
Tirab., IV, 314.
Mart., Thes.
anecd., II, 5oi.
Gall. Christ.
nov., IV, 808.
Ptolom. Luc., in ter Scrip. rer.
ital., XI, 1153.
Fabric., Bibi.
med.æv.,IV, 17.
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et méprisant les doctrines simples et claires, introduisirent dans la jurisprudence les formes et les subtilités de la scholastique. Il y aurait bien lieu de faire le même reproche à Durand, évêque de Mende, que nous avons déjà indiqué comme auteur d'un livre de liturgie : ses autres ouvrages concernent les lois ecclésiastiques et civiles. Professeur à Bologne, il avait commenté le Décret de Gratien et les Décrétales de Raymond de Pennafort; il a composé ensuite un commentaire sur les canons du concile de Lyon, un traité de la célébration des conciles, un répertoire et un abrégé de jurisprudence. Il est possible que quelques-unes de ces productions soient de son neveu Guillaume Durand le Jeune, qui lui a succédé sur le siège de Mende. Mais c'est à l'oncle qu'appartient indubitablement le Spéculum juris , principal titre de sa réputation. Il y traite, dans la première partie, de toutes les personnes qui interviennent dans les jugemens, juges, parties, témoins, avocats et procureurs ; dans la seconde, des causes civiles; dans la troisième, des causes criminelles; dans la quatrième et dernière, des suppliques, des contrats et autres actes judiciaires. Les deux jurisprudences, civile et canonique, y sont presque partout réunies ou même confondues, ainsi qu'elles se mêlaient alors en effet dans la plupart des affaires. Le nom de Durand est donc le plus célèbre que la France fournisse à l'histoire des canonistes du treizième siècle; et son ouvrage, plusieurs fois commenté dans le cours des suivans, avait encore à la fin du quinzième beaucoup d'autorité dans les écoles et dans les tribunaux. Laborieux et doué d'ailleurs d'une facilité extrême, que le bon goût et la sainte critique ne venaient jamais entraver, Durand a obtenu dans plusieurs genres les applaudissemens de ses contemporains; on dit même qu'il a cultivé la poésie, qu'il composait des vers agréables en langne provençale; mais il reste des doutes sur ce point, qui au surplus est étranger à l'objet qui nous occupe en ce moment.
Quoique l'esprit de chicane semble tenir de plus près à l'étude des lois, surtout des lois du moyen âge, ce fut néanmoins des écoles de théologie scholastique qu'il passa dans celles de jurisprudence. Nous avons vu Rigord et d'autres auteurs contemporains comprendre expressément l'étude des lois au nombre des exercices de l'Université de Paris dès les - premières années du treizième siècle ; convenons
XIIIe SIÈCLE.
— H. de Verdun, p. 313-316.
Tirab., IV, 320322.
Quadrio, Storia d'ogni poesia, II, 126.
V. ci-dessus, p.
47.
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cependant qu'il nous a été transmis bien moins de détails sur les élèves et les professeurs en droit alors établis à Paris, que sur ceux de Montpellier, de Toulouse, et principalement d'Angers. Grammaire, philosophie, médecine, théologie même, tout ce qui n'était pas jurisprudence semblait négligé, dédaigné dans l'école Angevine, tandis que les canonistes Jean Dubois, André de la Haye, Gervais Hommedey, Guillaume de Blaye, Etienne Bourgueil, Clément Adémar, y attiraient une multitude d'auditeurs, parmi lesquels on comptait plusieurs Anglais, particulièrement en 1229, après la dispersion des écoliers de Paris. L'effet de cet enseignement fut de multiplier en Anjou les procès de toute nature sur l'élection des abbés ou des évêques, sur les sermens d'obéissance, sur la validité des procurations. Les prélats, qui avaient continuellement besoin du service des légistes, les récompensaient par des prébendes et des dignités capitulaires. Ce n'était point là le seul appât offert aux ecclésiastiques qui se livraient à cette étude : il fallait s'y être appliqué durant trois ans pour devenir avocat, durant cinq pour être official. Chaque jour les tribunaux ecclésiastiques se multipliaient dans la province de Tours ; en chaque diocèse, outre l'officialité de l'évêque, il y avait celles des archidiacres, des archiprêtres, des doyens ruraux. En vain le concile de Château-Gonthier en 1231 et celui de Tours en 1239 voulurent abolir les officialités des campagnes : nous voyons en 1282 Gèlent, évêque d'Angers, quand il travaille à réduire le nombre des jurisdictions subalternes de son diocèse, obligé d'en maintenir vingt-une, sans compter l'épiscopale ni celles des corporations ecclésiastiques séculières et régulières. Il fallait donc beaucoup d'officiaux, et cette charge était d'autant plus briguée, que la plupart des causes civiles ressortissaient à ces cours d'Église.
Cependant les moines mendians méprisaient les légistes et les canonistes, et les représentaient comme dénués de tout véritable savoir; les papes prohibaient en certaines parties de la France l'étude du droit civil; le légat Robert de Courçon, dans le concile de Paris de 1212, interdisait aux abbés, aux prieurs, aux moines et aux prêtres, les fonctions de juges, d'assesseurs, d'avocats, de témoins, et tous les autres offices publics. Honorius III, Innocent IV, Alexandre IV, font l'un après l'autre les mêmes inhibitions; et en 1269, un concile d'Angers déclare qu'il est honteux de se charger de
XIIIe SIÈCLE.
Ancienn. et privil. de l'Un. d'An-
gers, 1736, in-4°.
—Rang., Hist. ms.
de l'Univ. d'Angers. — Dachery, Sp., I, 281-290 ; XI, 229. — Statuts du dioc. d'Ang., 50-75. — Math.
Paris, an. 1229, etc.
Labbe, Conc. ge ner., XI.
Stat. du dioc.
d'Angers. — Da- chery, Spic. XI, 229.
Fleury, Hist.
ec., 1. LXXXII, n.
47.
Labbe, Conc. gener., XI, 07-80.— — Nouv. Traité de dipl., V, 567.
Labbe, XI, 911.
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plaidoyeries et d'en accepter le salaire, quand on est bénéficier ou engagé dans les ordres sacrés. Mais partout, et en Anjou plus qu'ailleurs, les ecclésiastiques continuaient à s'enrichir par cette industrie, et leurs extorsions devenaient si criantes, que, pour ne les avoir ni pour juges ni pour avocats, des laïcs s'avisèrent de former une association qui tendait à se régir elle-même et à s'investir quelquefois d'une sorte de jurisdiction spirituelle. On réprima ces entreprises, et le clergé poursuivit les siennes. Quelques auteurs ont pensé que, de la part des papes, la défense d'étudier les lois civiles n'était au fond qu'une protestation contre l'autorité de ces lois, qu'un effort pour y substituer, en toute matière, les codes ecclésiastiques, et pour concentrer ainsi dans l'Église toute espèce de pouvoir législatif et judiciaire. Mais, avant d'adopter une opinion sur l'objet, l'étendue et les motifs de cette défense, il importe de bien connaître l'état de la législation civile en France, au commencement du treizième siècle.
La Loire partageait la France en deux régions : au midi de ce fleuve, on suivait le droit écrit; au nord, le droit coutumier. Mais quelle était cette loi écrite? quelles étaient ces coutumes? Il serait difficile de répondre avec une précision parfaite à ces questions. Il y aurait sur-tout de l'inexactitude à confondre le droit écrit avec le droit romain : car on n'avait réellement, ni au midi ni au nord de la France, aucune loi civile des Romains, soit ancienne, soit impériale. Seulement, le Code théodosien avait pénétré dans la Gaule méridionale, et fourni quelques dispositions générales aux codes gothiques auxquels cette contrée s'était peu-à-peu assujétie ou accoutumée. Le droit écrit n'était donc, comme l'a dit Pasquier, que le Code théodosien réformé par les Visigoths et tourné en coutume. Il est vrai que, depuis le milieu du douzième siècle, les recueils de Justinien avaient passé d'Italie en France, et déjà servi de textes à des leçons publiques de jurisprudence à Montpellier et à Toulouse, même avant l'érection des universités; mais ils ne s'étaient introduits que , dans l'enseignement, et n'avaient acquis nulle part la force de lois proprement dites. Nulle part ils n'avaient été ni publiés ni revêtus d'aucune sorte de sanction publique; et, s'il arrivait quelquefois qu'on y cherchât les motifs des jugemens, ce n'était là que l'un des désordres qu'amenaient dans l'administration de la justice l'ignorance des juges,
XIIIe SIÈCLE
Lebeuf, Mém.
d'Auxerre,II, 203.
1
XII.
Jurisprudence civile.
Fleury, Hist. du dr. fr. — Grosley, Rech. sur le droit fr., 123.
Rech., 1. IX, c.
36.
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la confusion et l'insuffisance des lois positives. Ainsi, à cette époque, les pays de droit écrit sont à considérer comme régis ou devant être régis par une même coutume générale, dont plusieurs bases étaient empruntées du Code Théodosien. Nous devons toutefois ajouter que par cela même, cette partie de la France était plus disposée à recevoir le droit justinien, qui commençait à devenir l'objet principal des études de plusieurs jurisconsultes. Voilà quelles lois romaines s'observaient en Languedoc, quand saint Louis les confirma dans les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne. Ce n'est pas qu'il n'y eût aussi en Languedoc des coutumes locales, propres à certains districts, au comté de Foix, par exemple, et au territoire de Montpellier; mais elles tenaient moins au droit civil qu'à l'administration publique, à la forme des jugemens et à certains usages particuliers.
Des coutumes plus diverses régissaient les pays situés au nord de la Loire; coutumes établies dès le neuvième siècle, selon Montesquieu, et retraçant, selon Grosley, les mœurs des plus anciens Gaulois. Grosley prétend que les Romains avaient maintenu dans la Gaule septentrionale les constitutions qu'elle possédait, et ne l'avaient point comprise au nombre des provinces romaines ; que les Francs, au cinquième siècle, respectèrent aussi les lois et les coutumes alors en vigueur dans cette même contrée. La communauté des biens entre les époux, le douaire, le retrait lignager, et, entre autres maximes, celle qui déclare que le mort saisit le vif, sont, aux yeux de Grosley, autant de traits caractéristiques qui distinguent notre législation gauloise ou coutumière, et qu'elle n'a empruntés ni des Romains ni des Francs. Bouhier conteste ces exemples : il trouve que les uns sont étrangers à plusieurs de nos coutumes, et que les autres se rencontrent aussi dans les lois romaines. Ce qui est certain, c'est que dès le onzième siècle on s'occupait de la rédaction de ces coutumes; quelques-unes furent écrites dans le cours du douzième: celles d'Abbeville en 1130, de Beauvais en 1144, de Bordeaux en 1187. On trouve ensuite sous les dates de 1203, 1234, 1276, 1285, des coutumes de Beaune, de Bar-sur-Seine, de Semur, de Beauvais, ou rédigées pour la première fois, ou retouchées, mieux disposées, traduites en un langage plus vulgaire. Mais les rédactions définitives et authentiques ne commencent qu'au quinzième siècle; et toutes ces coutumes, écrites ou non écrites, n'of-
XIIIe SIÈCLE.
Vaissette, 1.
XXVI, n. 93 ; 1.
XX, n. 83.
Espr. des lois, l. XXVIII.
Rech sur le dr.
rom. Ire section.
Ib., sect. II.
Ib.,sect. III,c.i.
Observ. sur la Coutumede Bourgogne.
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fraient encore durant le treizième qu'un mélange confus des diverses lois antérieures, romaines ou barbares, ecclésiastiques ou féodales. Alors Desfontaines les représentait comme incertaines, indécises, ignorées ou méprisées par les baillis et par les prévôts. Beaumanoir ajoutait qu'il n'y avait pas deux seigneuries gouvernées en tout point par la même loi. En un mot, dénuées presque toutes d'authenticité comme de consistance, elles contenaient peu d'articles et décidaient peu d'affaires. Leur crédit dut s'affaiblir à mesure que le droit justinien se propageait, et qu'à force d'être enseigné comme plus méthodique et plus complet dans les écoles, il tendait à prendre quelque autorité dans les tribunaux. Quoi qu'il en soit, Innocent III dit expressément qu'en France, in Gallicanis partibus, la coutume tient lieu de loi; et il veut bien approuver ce régime, qui, purement civil, n'avait, ce semble, aucun besoin de cette approbation, et qui la méritait d'ailleurs fort peu.
Étienne de Tournay se plaignit particulièrement de l'ignorance extrême des juges établis dans les provinces septentrionales, c'est-à-dire dans celles où les lois étaient plus confuses. Cependant les juges et les légistes portaient le titre de chevaliers ès lois : cette qualification est donnée à Pierre Desfontaines, que nous avons déjà cité et dont nous reparlerons bientôt encore. On rencontre aussi à cette époque des hommes de guerre qui ont en même temps une réputation d'hommes de loi. Guy Cap de Montfort, qui s'est distingué dans les combats contre les Albigeois, est célébré comme un très-noble et très-valeureux chevalier, et comme le meilleur légiste de la chrétienté. Dans le roman de Gérard de Roussillon, Pierre de Monrabel, blessé, ne peut plus ni monter à cheval ni juger les procès. Richard de la Tour, dans une transaction de 1270, prend les qualités de jurisconsulte et de damoiseau. Deux chevaleries sont distinguées dans le Roman de la Rose : i Ou s'il veut, pour la foi deffendre, Quelque chevalerie emprendre, Ou soit d'armes ou de lectures.
Cette distinction subsistait encore au temps de Froissard : les titres de sire, messire, monseigneur, s'appliquaient également aux chevaliers ès lois et aux chevaliers ès armes. Ces deux professions n'en formaient originairement qu'une seule,
XIIIe SIÈCLE.
Préf. du Con- seil.
Coutumes de Beauv., prol.
Epist. ad Cancell. Univ. Paris.
Epist. ad Will.
archiep. Senon.
Pasq., Rech., 1.
II, c. 17. — Du Cange, Hist. de saint Louis, part.
3, pr.
Se-Palaye, Mém.
sur l'anc. chevalerie.
AI. faim, v.
12092-3-4.
Hist ,1.1, c. 177.
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et les seigneurs en réunissaient l'exercice, sauf à se dispenser de la seconde, quand elle excédait par trop la portée de leurs lumières : ils l'abandonnaient alors aux baillis ou à d'autres officiers subalternes.
Dans la France entière, l'administration de la justice était partagée entre les juges royaux, les juges seigneuriaux et les juges eéclésiastiques; et, malgré les efforts de la première de ces juridictions pour restreindre les deux autres, il restait à la troisième trop de moyens d'attirer à elle le. plus grand nombre des causes. Toutes les matières criminelles, civiles et même féodales, devenaient peu à peu de sa compétence. Il fallait qu'un crimé fût de tout point étranger à la religion, pour qu'elle s'abstînt d'en connaître; et cette exception ne pouvait s'étendre bien loin, dans un temps où les accusations de magie et d'hérésie se mêlaient à la plupart des poursuites. Il était d'ailleurs à peu près convenu qu'un clerc ne pouvait, en aucun cas, être livré à la justice séculière que par la justice ecclésiastique elle-même. Toute la jurisprudence semblait comprise dans le Décret de Gratien et dans les volumineux recueils de décrétales. Les formes des jugemens y étaient beaucoup mieux réglées que dans les lois et les coutumes civiles, et l'on s'habituait à y recourir, quand on voulait mettre quelque régularité dans les procédures. Ainsi le droit canon tendait à régir le monde; et le droit civil, s'il n'avait commencé à se régénérer, aurait paru aussi superflu que barbare. Nous avons déjà dit que les évêques, comme les baillis et les sénéchaux, instituaient des notaires publics.
Maintenant, il nous faut examiner jusqu'à quel point les papes ont prétendu interdire, soit dans Paris, soit dans toute la France, l'étude des lois civiles. De toutes les bulles qui ont eu cet objet, la plus fameuse est celle d'Honorius III.).
qui, publiée en 1218 ou 1220, commence par les mots Super spécula et contient ce qu'on va lire : « Sanè licet sancta « Ecclesia legum secularium non respuat famulatum,. quia « tamen in Franciâ et nonnullis provinciis laici Romanorum « imperatorum legibus non utuntur, et rarô occurrunt eccle« siasticæ causæ tales quæ non possint statutis ecclesiasticis « expediri : ut pleniùs sacræ paginæ insistatur, firmiter « interdicimus et strictiùs inhibemus ne Parisiis seu aliis « locis vicinis quisquam docere vel audire jus civile præsu« mat, et qui contrà fecerit, non solùm à causarum patro-
XIIIe SIÈCLE.
1
Decret. Greg., 1. V, tit. 33, c. 28.
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« ciniis interdùm excludatur, verùm etiam per episcopum « loci excommunicationis vinculo innodetur. » Déchiffrez cette décrétale, disait Pasquier , à telle façon qu'il vous plaira, vous y trouverez un tel entrelas de paroles , que serez bien empêché de juger sur quel pied seront faites telles défenses. Cependant on y voit que le Pape, sans rejeter le service (famulatum) des lois séculières, se détermine à n'en permettre l'enseignement ni à Paris ni dans les lieux voisins, premièrement parce qu'en France et dans quelques provinces les laïcs ne font pas usage des lois romaines, secondement parce que le droit canon doit suffire dans presque toutes les causes ecclésiastiques, enfin pour qu'on se livre plus pleinement à l'étude de l'Écriture sainte. Un premier fait qui serait à conclure de cette bulle, s'il n'était prouvé par d'autres témoignages, c'est qu'avant 1220, avant l'interdiction qu'elle prononce, le droit civil était enseigné à Paris, quoique déjà repoussé par de pareils réglemens ecclésiastiques. Ensuite, il paraît nécessaire de n'entendre par les mots in Franciâ et nonnullis provinciis, que les pays situés au nord de la Loire et régis par le droit coutumier, puisqu'au midi de ce fleuve on suivait un droit écrit où s'étaient mêlées quelques dispositions des lois romaines, et puisque d'ailleurs la défense d'Honorius III ne s'applique expressément qu'à la ville de Paris et aux lieux voisins, Parisiis seu aliis locis vicinis. Ceux qui soupçonnent que Philippe Auguste avait lui-même sollicité cette bulle, hasardent une hypothèse qu'aucun monument n'autorise, et qui serait, de tout point, insoutenable, s'il était vrai que l'enseignement du droit civil se fût maintenu au sein de l'université de Paris dans tout le cours du treizième siècle. Or, c'est ce qu'on pourrait conclure, non seulement des témoignages de Rigord et d'Albéric de Trois-Fontaines, mais de quelques autres détails que fournit l'histoire. Lorsque les docteurs dispersés en 1229 reviennent à Paris en 123 1, il est fait une mention particulière de ceux qui professaient la jurisprudence civile. En 1251, la reine Blanche reçoit les sermens des docteurs en droits et des bacheliers qui lisaient sous eux les décrétâtes et les lois. En 1296, les bacheliers en droit civil sont indiqués non moins expressément que ceux qui professaient le droit canon. Toutefois nous devons avouer que, dans la plupart des actes de cette époque, la faculté de droit semble restreinte dans Paris aux seuls dé-
XIIIe SIÈCLE.
Rech., 1. IX, c.
36.
Terrasson, H.
de la jurisprud.
romaine, p. 442445. — Grosley, Rech., p. 170.
V. ci-dessus, p.
47-
Du Boulay, III, 140-147. — Ferrière, H, du Dr.
R., c. 29.
Du Boulay, III, 240, 241.
Statuta facultatis. Decr. ann.
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crétistes ou canonistes; il nous serait difficile de former pour l'Université parisienne de ce tems-là une liste de professeurs jurisconsultes distincts des maîtres en droit canon : il y a donc quelque apparence qu'on n'y enseignait de jurisprudence séculière que ce qui s'en glissait dans les leçons de jurisprudence ecclésiastique. En vain dirions-nous que la défense d'Honorius ne s'adressait qu'au clergé, qui avait, comme ce pontife le fait entendre, ses lois à part : elle est limite, et quoique au fond le Pape n'eût aucun droit d'interdire aux laïcs un genre d'études qui touchait de si près à leurs intérêts, ces tems d'ignorance et d'usurpation lui permettaient d'étendre jusque-là son pouvoir. Lorsqu'en 1579 il fut de nouveau défendu d'enseigner à Paris le droit civil, cette inhibition regardait sans nul doute les séculiers autant que les ecclésiastiques; et, soit que le chancelier de Chiverny ait inséré cet article dans la loi pour favoriser la ville d'Orléans, dont il était gouverneur, soit qu'il n'y faille apercevoir qu'une confirmation de la bulle Super specula, il est avéré que, depuis cette ordonnance jusqu'à celle de 1679, le droit civil est resté exclu des cours publics de l'Université parisienne.
Au treizième siècle, la jurisprudence civile, professée ou non dans la capitale du royaume, l'était bien certainement à Montpellier, à Toulouse, à Orléans, à Angers. On voit les professeurs d'Angers employés dans le procès interminable que l'évêque Michel Loyseau soutenait contre l'abbé de Saint-Florent. L'un d'eux, Othon des Fontaines, acquit une grande renommée; et tous, malgré l'extrême barbarie de leur langage, quoiqu'ils achevassent de dénaturer la langue latine, attiraient de nombreux élèves. L'interdiction d'Honorius III ne s'étendait donc pas sur toute la France, ou du moins n'était pas observée dans une 'grande partie du royaume.
Loin de proscrire universellement la jurisprudence civile et d'en rejeter partout le service, les papes lui permirent de faire en Italie tous les progrès que comportait l'état des lumières. L'école de Bologne, célèbre dès le siècle précédent, conserva tout son éclat. On enseignait aussi l'un et l'autre droit à Padoue, à Naples, à Pise, à Modène, à Reggio ; un collége de jurisconsultes se formait à Brescia. Pillio et Lothaire de Crémone, qui avaient brillé parmi les professeurs
XIIIe SIÈCLE.
1296.— Ferr., loc.
cit.
Ordonn. de Blois, art. 69.
Ferrière, H. du Dr. R., c. 30.
Vaissette, H. de Languedoc, 1.
XXVI, n. 71, t. III, p. 350, 351. —
Gall. Ch. nov , VI, 764.
Rangeard , H.
ms. de l'Univ.
d'Ang., p. 174.
Ib. et Hist. ms.
de St.-Florent, par dom Huynes, c 33.
Tirab., IV, 24-<i- 3oo.
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de Bologne, y furent éclipsés par Azzon, qui composa deux Sommes juridiques et un Apparat du Code; selon Tiraboschi, Azzon mourut en 1220, sans avoir jamais fait aucun séjour à Montpellier, quoi qu'en aient dit quelques auteurs français.
Après Azzon, parurent Jacques Balduin de Reggio, Roffredo de Bénévent, Martin de Fano; mais Acpurse, le plus illustre des disciples d'Azzon, devint le chef d'une école ordinairement regardée comme intermédiaire entre celle d'Irner et celle de Barthole. Accurse fit, sur les textes recueillis par Irner, des gloses dont il faudrait admirer l'étendue, si le siècle suivant n'eût produit dans Barthole un bien plus fécond glossateur. Attiré à Toulouse, Accurse y remplit durant quelques mois une chaire publique. Ses trois fils, Cervot, François et Guillaume, entrèrent dans la carrière qu'il avait agrandie; mais ils n'y acquirent point autant de réputation qu'Odofredo, qui, outre des explications du Code et du Digeste, composa, sur diverses matières juridiques, des traités alors estimés. Nous ne citerons plus qu'un seul jurisconsulte italien du treizième siècle, Dino de Mugello, que Boniface VIII s'attacha et qu'il fit travailler à la rédaction du Sexte. La France ne nous offrira point, à cette époque, tant de légistes renommés : cette infériorité des Français avait pour cause l'imperfection et la confusion de leurs lois, mais sans doute aussi les entraves données à ce genre d'études dans l'Université de Paris. Il était librement cultivé à Salamanque, où le Pape. avait permis à tout le monde, excepté aux réguliers, d'étudier le droit civil pendant trois ans.
L'état de la science des lois dépend toujours de l'état des lois elles-mêmes. Où les procès sont des batailles, où il n'existe que des procédures informes, guerrières ou chevaleresque, qu'une législation barbare, que des juridictions confuses et rivales, sans compétence déterminée, la jurisprudence ne saurait assurément jeter de vives lumières. Or, les épreuves et les combats judiciaires subsistaient en France après l'an 1200 : c'était ainsi que se décidaient presque toutes les affaires criminelles et même civiles dont la juridiction ecclésiastique ne s'était point emparée; et quelque effort qu'on veuille faire pour justifier ces pratiques, pour les rattacher aux mœurs nationales, il est sensible qu'elles maintenaient, tant qu'elles pouvaient, tous les habitans de la France, seigneurs et vassaux, nobles et vilains, dans cet état de guerre, contre lequel l'ordre social est institué. D'abord
XIIIe SIÈCLE.
Hist. litt. de la Fr., t. IX, p. 87.
Mazzuchelli, Scrittori d'Italia, I, 81-86. — Bayle, Dict., Accurse.
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Philippe Auguste, pour régler les compétences et pour réprimer les entreprises du clergé, publia son Establissement entre les clercs, le roi et les barons. Ce prince, après avoir conquis la Normandie, voulut que désormais l'appelant et l'appelé en duel subissent la même loi; jusqu'alors l'usage avait été de condamner l'appelé vaincu à une mutilation ou à la mort, et l'appelant vaincu à une simple amende pécuniaire. Pierre, roi d'Aragon, et Marie de Montpellier, sa femme, en confirmant les coutumes de Montpellier, déclarèrent qu'on suivrait le droit écrit pour tout ce qui n'était pas spécifié dans ces coutumes, et que désormais la cour n'ordonnerait le duel, l'épreuve du fer chaud ou de l'eau bouillante, et les autres pratiques condamnées par les lois et par les canons, que lorsque les parties en seraient d'accord.
Même déclaration en 1232, de la part de Maurin, abbé de Saint-Antonin de Pamiers, et de Roger Bernard, comte de Foix. Guy de Mello, évêque d'Auxerre, avait tant d'horreur du duel, qu'il aima mieux s'exposer à perdre plusieurs de ses sujets que de souffrir qu'on l'employât pour les revendiquer. Alexandre IV le félicita de sa modération, et lui conseilla de n'agir en effet contre les fugitifs que par voie d'enquête. Saint Louis réprouva non moins hautement les batailles judiciaires : par son ordonnance de 1260, il les abolit dans ses domaines, regrettant de n'oser en faire autant dans ceux de ses barons. Il réussit néanmoins à introduire dans la France entière l'usage de fausser sans combattre, c'est-àdire d'appeler sans demander le combat contre les juges par lesquels on avait été condamné. Ce changement, dit Montesquieu, fut une sorte de révolution : jusqu'alors les vilains, qui n'auraient pu demander le combat contre leur seigneur, n'avaient point été admis à fausser son jugement; mais, après 1260, on reçut leurs appels comme ceux des personnes franches.
Les appels amenèrent les adjudications de dépens au profit de la partie qui triomphait et à-la charge de l'autre. Malheureusement, les procédures criminelles devinrent secrètes : on supposa que, dès qu'il n'y avait plus de gages de bataille, rien n'obligeait à continuer d'entendre publiquement les témoins; leurs dispositions furent reçues et rédigées dans l'ombre. La France achetait ainsi, au prix de nouveaux abus, la réforme des anciens. Du reste, les duels continuaient de se pratiquer devant les cours seigneuriales, et tous les chanoines du Mans se rassemblèrent un jour pour en voir un que le juge
XIIIe SIÈCLE.
Vaiss., 1. XX, n. 83.
Vaiss., 1. XXVI, n. 93.
Lebeuf, Mém.
d'Auxerre, I, 387.
Duch., Script.
rer. Gallic.,V, 471.
— Laurière, t. II, p. 87.
Espr. des lois, 1. XXVIII, c. 29.
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de leur chapitre avait ordonné : tant la grossièreté des mœurs publiques résistait encore aux exemples et aux efforts d'un monarq ue révéré !
Tout en obligeant les officiers de judicature à jurer d'observer les us et coutumes, Louis IX faisait traduire le Code et le Digeste, non pour les ériger en lois du royaume, mais pour en répandre la connaissance et disposer par là les Français à une meilleure administration de la justice. Il permit ensuite et ordonna même, au moins dans les cas que le droit coutumier ne décidait point, de juger selon le droit romain, qu'il appelait simplement le droit. En peu de temps cette jurisprudence fit de tels progrès, même dans plusieurs cours seigneuriales, que Philippe-le-Hardi, en 1277, fut obligé de défendre d'alléguer le droit écrit, lorsqu'on devait s'en tenir aux coutumes. Malgré cette défense, le droit romain s'indroduisait peu à peu, et sous Philippe-le-Bel, qui suivit à cet égard les exemples de Louis IX, il avait acquis beaucoup d'autorité en France. Les contrats et tous les actes se surchargeaient de détails et de clauses : on les rédigeait avec une défiance plus savante; on cherchait à prévoir toutes les circonstances qui pourraient en modifier les effets. Dès lors il fallut, pour juger, plus de science et d'habileté; les jugemens par pairs devinrent plus rares, et les baillis furent moins souvent assistés de prud'hommes étrangers à la connaissance des lois. Au fond, saint Louis n'avait pas changé la jurisprudence, mais il avait donné les moyens de la renouveler.
Avant de parler du recueil connu sous le nom d'Establissemens de saint Louis, il en faut distinguer les statuts qu'il fit, sous ce même nom d'Establissemens, pour la province de Languedoc, et qui furent lus à Béziers en 1255, dans un concile ou une assemblée des prélats, des barons et des chevaliers du pays. Ils sont divisés en trente-cinq articles, dont les trois derniers n'ont été publiés que séparément et après les trente-deux autres. On y remarque des dispositions contre les Juifs accusés de blasphèmes, d'usure et de sortilèges. Il y est défendu aux sénéchaux d'empêcher sans nécessité de transporter hors du pays le blé, le vin ou d'autres marchandises.
Mais l'objet principal de cette ordonnance est d'obliger les baillis et les sénéchaux à rendre la justice avec une intégrité parfaite, et de réprimer les concussions et les malversations des gens de loi.
XIII" SIÈCLE.
Montesquieu, Espr. des lois, 1. XXVIII, c. 38, 42.
Pasq., Rech., 1.
IX, c. 37.
Montesquieu, Espr. des lois, 1.
XXVIII, c. 42.
Labbe, Conc., XI, 753.
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Les Establissemens qui portent date de 1270 ont beaucoup plus d'étendue : c'est un code partagé en deux livres, dont le premier a cent soixante-huit chapitres, et le second quarante-deux; en tout deux cent dix, quoiqu'il soit écrit à la fin : Ci a deux cent treize chapitres. Les matières qu'on y trouve successivement traitées, sont les actions personnelles ou réelles, les degrés de juridiction, l'application des peines aux crimes et aux délits; les donations, successions et partages; les douaires, la tutèle, la minorité; les affranchissemens, les fiefs et les droits féodaux. Mais il ne faut pas croire que ces matières soient distribuées avec méthode, ni clairement et complètement développées. Bien que la préface dise que saint Louis fit ces Establissemens pour être observés ès cours layes, par tout le réaume et seigneurie de France, ce n'est point, ce ne pouvait être une loi générale, imposée à toutes les provinces françaises. Fleury les considère comme un code coutumier de Paris, d'Orléans et d'Anjou; toutefois l'Anjou avait une coutume compilée avant saint Louis, et qui traitait des justices et mères d'icelles autrefois establies par les anciens, de la justice que les seigneurs justiciers ont en leur terre et sur les sujets d'iceux. Montesquieu, en rendant hommage aux intentions et à l'équité de Louis IX, est contraint d'avouer que le Code de 1270 est obscur, confus, ambigu, un mélange informe de droit coutumier, de droit ecclésiastique et de jurisprudence romaine. Le Code et le Digeste y sont cités et indiqués comme les sources où il faut recourir, quand il n'y a rien à puiser dans les coutumes. Desfontaines, qui est mort avant 1270, cite des Establissemens de saint Louis : ce prince n'avait donc pas attendu la dernière année de son règne pour s'occuper d'un recueil de ce genre, et pour employer à ce travail ce qu'il pouvait trouver de jurisconsultes ayant quelque connaissance des coutumes, des canons, des décrétales et des lois romaines. Ceux qui les premiers ont contesté l'authenticité des Establissemens de 1270, se sont fondés sur un texte de Guillaume de Nangis, qui dit que saint Louis partit d'Aigues-Mortes pour la Palestine à la fin de juin 1269; mais il subsiste un acte souscrit à Paris par ce monarque en juin 1270, et l'on sait qu'il n'était arrivé que depuis fort peu de temps à Tunis, quand il mourut le 25 août de cette année. Ainsi, l'on pourrait supposer qu'il a promulgué ces Establissemens dans le cours des six premiers mois, si on les voyait publiés, enregistrés dans un parlement ou dans quelque
XIIIe SIÈCLE.
A la suite de Joinville, édit. de du Cange, 1668, in-fol. - T. 1 du Rec. des ordonn.
— Establ. de S.
L. Paris, 1786, in-Sa.
Hist. du Dr. fr., c. 22.
Esp. des lois, 1. XXVIII, c. 28. (
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autre cour, ou bien adoptés par les barons et les seigneurs justiciers. Mais il n'y a nulle trace d'une telle publication, et l'on remarque dans les deux préambules de ce code une assez grande différence pour douter de leur authenticité (i). Montesquieu étend ce doute sur tout le recueil : selon lui, nous n'avons pas les Establissemens de Louis IX, mais une compilation qui les cite, et qui en est par conséquent distincte; fabriquée peut-être par quelque bailli, dans l'esprit des écrits de Desfontaines et de Beaumanoir. Ce fut, ajoute l'auteur de l'Esprit des lois, le destin des Etablissemens, qu'ils naquirent, vieillirent et moururent en fort peu de temps.
Plusieurs savans néanmoins ont persévéré à soutenir l'authenticité de ce code.
Pour achever d'en donner une idée, nous transcrirons ici le chapitre quatre-vingt-neuvième du livre premier : « Se « aucuns homs ou aucune fame avoit geu malade huit jours « et il ne se volust confesser et il morust desconfès, tuit li « muebles seroient au baron; mès se il moroit desconfès de
(I) L'an de grace 1270, li bons roys Loeys fit et ordena ces establissemens avant ce qu'il allast en Tunes, en toutes les cours layes du royaume et de la prévosté de France, et enseignent ces establissemens comment tous juges de court laye doivent oir et jugier et terminer toutes les querelles qui sont tretiées par-devant eux, et des usages de tout le royaume et d'Anjou et de court de baronnie et de redevances que li prince et li baron ont sur les chevaliers et sur les gentilshommes qui tiennent d'eux; et furent faits ces establissemens par grand conseil de sages hommes et de bons clers, par les concordances des lois et des canons et des décrétales, pour conformer les bons usages et les anciennes coustumesqui sont tenues le royaume de France, seur toutes querelles et seur tous les cas qui y sont avenus et qui chacun jour y aviennent. Et par cet establissement doit être enseigné li demanderres et li deffendierres à soy défendre. Et commence en la manière qui ensuit : Loeys roys de France par la grace de Dieu : à tous bons chrétiens habitans el royaume et en la seignorie de France et à tous autres qui y sont présens et à venir, salut en notre Seingnieur. Pour ce que malice et tricherie est si porcrue entre l'umain lignage que les uns font souvent aux autres tort et anuy, et meffés en maintes manières contre la volenté et le commendement de Dieu, et n'ont li plusours poor ni espouvantement du cruel jugement de Jésus-Christ, et pour ce que nous voulons que le pueple qui est dessous nous puisse vivre louyament et en pès, et que li uns se garde de forfere à l'autre, pour la poor de decepline du cors et de perdre l'avoir; et pour chatier et refrener les mauféteurs par la voye de droit et de la roideur de justice, nous en appellans l'aide de Dieu, qui est juge droicturier seur tous autres, avons ordené ces establissemens, selon lesquiex nous volons que l'on use ès cours layes, par tout le réaume et la seigneurie de France.
XII] e SIÈCLE.
V. Rec. des ordonn., t. I, pr. de Laurière ; el l'Essai sur les Instit.
de saint Louis, par M. Beugnot fils, p. 303-315.
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« mort subite, la justice ne la seignorie n'i auroit riens; et « se ceste chose avenoit en la terre à aucun qui eust toute « justice en sa terre, tout ne fust-il baron, si en seroit la « justice leur, et se li mors avoit fait son testament, car « nulle chose n'est si grande come d'accomplir la volenté « au mort, selon droit escrit au code de sacrosanct. Eccl.
« L. jubemus, où il est escrit de cette matère. » Ainsi, l'homme qui meurt subitement, sans avoir eu le temps de se confesser ni de tester, ne sera plus assimilé à l'intestat volontaire, qui, en ayant eu tout le temps, n'aura rien laissé à l'Église. Auparavant, tout déconfès, sans exception, était privé de sépulture, et ses biens demeuraient confisqués au profit des seigneurs hauts-justiciers, à moins que ses héritiers n'obtinssent la faveur de faire arbitrer le legs dû à une église ou à un monastère. Les Establissemens, sans abolir ce régime inique, y font au moins une exception.
Outre ce monument de la jurisprudence du treizième siècle, il reste, à peu près dans le même genre, un livre de Justice et de Plet, où l'ancien droit de France est comparé avec le droit romain. On a d'ailleurs quelques ouvrages de Desfontaines et de Beaumanoir, tous deux rédacteurs de coutumes : le premier, auteur du livre dit de la reine Blanche et d'un autre recueil de jurisprudence, intitulé Conseil, et fondé sur les coutumes anciennes; le second, qualifié jadis le Justinien français, et dont l'ouvrage le plus connu est le Coutumier de Beauvoisis, composé de 1265 à 1283. L'un et l'autre ont fait usage de quelques Establissemens de saint Louis et de versions du droit romain rédigées sous son règne. Il ne paraît pas qu'ils aient été professeurs de jurisprudence, non plus que Gilles, chancelier et garde des sceaux de France, qui devint archevêque de Tyr, et qui s'était distingué en Anjou comme jurisconsulte. C'est dans les charges publiques plutôt que dans les écoles, qu'il faut, à cette époque, chercher les hommes qui avaient, en France, le mieux étudié les lois.
Alors commençaient les parlemens : ce nom, qui avait été jadis appliqué à des assemblées nationales, ne désignait plus que des conseils chargés de juger de grandes causes. Saint Louis, après avoir institué les quatre grands bailliages de Vermandois, de Sens, de Saint-Pierre-le-Moûtier et de Mâcon, pour revoir, par appels, les jugemens rendus par les justices seigneuriales, convoqua dans Paris et ailleurs des canonistes et des légistes, nobles ou roturiers, clers ou laïcs, qui ju-
XlIIe SIÈCLE.
Du Cange, v, Ins- testatio. — Montesquieu, Esp. des lois, 1. XXVIII, c. 41.
Montfaucon, Bibl.
biblioth., H, 1668.
A la suite de Joinville, édit. de du Cange, Paris, 1668, in-fol.
Cout, de Beauv., imp. en 1690, avec des notes de la Thaumas, infol.
Guill. de Nang.
Anselme,Hist. des chanc. de Fr., p.
351. — Bodin, Hist. de Saumur, II, 214.
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geaient en dernier ressort et dont les actes semblent ouvrir l'histoire des parlemens. Desfontaines brilla dans ces assemblées., dont la renommée devint telle, dit Pasquier, que « l'empereur Frédéric Il ne douta de vouloir leur remettre « les différens qu'il avait avec Innocent IV, auxquels il n'y « allait que du nom et titre de l'Empire. Il Les premiers actes de ces conseils à Paris furent, au commencement du siècle suivant, consignés par le greffier Pierre de Montluc dans les registres olim que nous avons déjà indiqués. Mais l'organisation des corps judiciaires était si peu avancée, qu'on n'avait encore nulle idée du ministère que nous appelons la partie publique. Ajoutons néanmoins que Philippe-le-Bel, par son ordonnance de 1287, acheva de séparer l'ordre des magistrats de l'ordre ecclésiastique; il voulut que les baillis ne pussent être pris que parmi les laïcs. En 1298, il abolit la servitude dans plusieurs cantons du Languedoc, et la changea en un cens annuel.
Considérée dans les écoles, la jurisprudence civile jette en France fort peu d'éclat durant ce siècle; elle s'y allie à la jurisprudence canonique, qui la domine et qui l'éclipsé.
Nous avons dit jusqu'à quel point l'enseignement des lois séculières était circonscrit et entravé. Nous aurions cependant à citer, sous Philippe Auguste, Étienne de Tournay, qui joignit ce genre de connaissance à beaucoup d'autres.
Guillaume le Normand et quelques docteurs français ou anglais le cultivèrent aussi; mais ils allèrent le professer chez les Italiens. On doit distinguer Pierre de Belleperche, qui enseigna le droit civil à Orléans, où l'on montre encore sa maison, et vers le même temps Philippe de Vologniac, qui, dans son épitaphe rapportée par Pasquier, est qualifié professeur des lois, vir nobilis, legum professor. Le seul nom célèbre à proclamer ici serait celui de Durand, évêque de Mende, si nous ne l'avions déjà placé dans la liste des canonistes, à laquelle il appartient davantage. Il a néanmoins recueilli beaucoup de notions de jurisprudence séculière; son Speculum juris embrasse l'un et l'autre droit. C'est un compilateur; c'est même, si l'on veut, un plagiaire; mais ses écrits étaient utiles par le rapprochement, et, selon Jean André, par la distribution méthodiqne d'un grand nombre de matériaux jusqu'alors épars et peu eonnus.
La théologie et la jurisprudence étaient, dans les universités, les deux premières facultés, on comptait la médecine pour la
XIIIe SIÈCLE.
-^Yôlt., Hist. du pari, de Paris, c.
I, 2.
Rech., 1. II, c. 2.
Hénault, Abr.
chron.,1313.
V. les Establ., 1. I, c. 1 ; 1. II, c.
II et I - Beauman., c. Y et C. 61.
Montesquieu Espr. des lois, 1.
XXVIII, n. 43.
Vaisseite, IV, pr., p. III-113.
V. l'article d'Ét.
de Tourn., H. littér., t. XV, 526 et suiv.
Trombelli, Vet.
Opusc., t. II, part.
2, p. 305-317.
Du Boulay, IV, 118.
Pasq., Rech., 1.
IX, c. 28.
V. ci-dessus, p.
78.
( P.5g,Spec.,ed.
1547. >
XIII.
Médecine.
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troisième; mais il ne faut pas s'attendre à trouver ce genre d'études beaucoup plus avancé que le droit civil chez les Français du treizième siècle. La littérature grecque elle-même, si riche en médecins dans les âges précédens, n'en fournit plus que deux à cette époque, Actuarius et Myrepsus. On a de Nicolas Myrepsus une Pharmacopée où il a recueilli tout ce qu'on avait écrit jusqu'alors en grec et en arabe sur les médicamens; livre aujourd'hui presque inconnu, mais que nous devons noter ici, parce qu'il a eu long-temps de la vogue, presque de l'autorité. Actuarius n'est point un nom propre; c'était un titre alors commun à tous les premiers médecins de la cour de Constantinople, mais qui est resté personnel à l'un de ceux qui l'ont porté, savoir à Jean, fils de Zacharie : la doctrine de Galien, d'Aétius d'Amida et de Paul d'Égine, est le fond sur lequel cet auteur a travaillé, en y mêlant quelquefois ses propres observations.
Les médecins français ne lisaient point les textes de ces livres grecs; mais il paraît qu'ils en avaient quelques traductions informes, aussi bien que de plusieurs traités arabes sur cette même science. Dans le cours des quatre ou cinq siècles précédens, Mésué, Géber, Rhasès, Avicenne, Avenzoar, Averroès et d'autres Arabes, après avoir expliqué, commenté, traduit les médecins grecs, avaient ajouté en effet quelques notions et quelques pratiques à l'art de guérir. Quoiqu'ils n'aient point avancé les progrès de l'anatomie et de la physiologie, on est obligé de convenir que leurs travaux sont très-supérieurs à ceux des médecins occidentaux du moyen âge. On leur doit les premières descriptions de quelques maladies, par exemple, de la petite vérole, de la rougeole, de la carie des os ou spina ventosa, soit qu'en effet ces fléaux n'aient affligé l'humanité qu'après l'hégyre, soit que jusqu'alors la Grèce et l'Italie ne les eussent pas éprouvés, soit enfin qu'on eût négligé d'en étudier l'histoire et de rechercher les moyens d'y porter remède. Les Arabes ont introduit l'usage des purgatifs doux, appelés minoratifs, tels que la manne, le séné, la casse; ils ont extrait de la canne le véritable sucre, car c'était probablement à d'autres substances que les Grecs avaient donné le nom dec~dx/ap. Nous tenons des Arabes les syrops, les juleps, les confections, les électuaires, un grand nombre et trop sans doute de médicamens composés.
En un mot, ils ont multiplié les remèdes et fort étendu l'art de les préparer, en appliquant, plus qu'on ne l'avait fait
KIIl" SIÈCLE. -
Freind, Hist. de la méd. depuis Galien, 2e partie.
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encore, la chimie à la pharmacie. La distillation et d'autres opérations utiles sont nées, à ce qu'il semble, dans leurs écoles, dans leurs laboratoires, dans leurs hospices. Albucasis a décrit avec assez de détails les instrumens chirurgicaux, et l'on peut lui attribuer un manuel de pharmacie, intitulé, dans la version latine, Liber serviloris. Un juif, plus fameux comme théologien, Moyse Maimonide, qui mourut en 1209, est auteur d'un traité de la santé, adressé au sultan de Babylone, et d'aphorismes selon la doctrine de Galien et d'Hippocrate.
La qualification d'arabistes, ou disciples des Arabes, convient à la plupart des médecins du treizième siècle, et surtout à ceux d'Italie. L'empereur Frédéric II et Charles d'Anjou ont successivement secondé, dans les Deux-Siciles, l'activité de cette étude. L'école de Salerne continuait de fleurir : Musandin, Mauro, Plateario, Romoaldo, y donnèrent des leçons dont le souvenir s'est long-temps conservé. Naples possédait aussi une école déjà fameuse : Frédéric II ordonna qu'on y fit des démonstrations anatomiques, et que personne ne fût admis à exercer la chirurgie sans avoir acquis la connaissance du corps humain. Ce prince avait composé lui-même un traité de la chasse, qui présentait quelques notions d'anatomie comparée. Charles d'Anjou eut pour physicien (physicianus), c'est-à-dire pour médecin, Jean de Nigella, qui a été aussi chapelain du Pape. Par ordre de Charles, un Juif nommé Faragio traduisit Rhasès en latin. Il existait des colléges de médecins à Milan, à Ferrare, à Brescia, à Padoue; mais les professeurs de Bologne étaient surtout renommés : l'un d'eux, Taddeo d'Alderotto, fit une fortune considérable; avant lui, Jacques de Bertinoro, Hugues de Lucques, Roland de Crémone, n'avaient acquis que de la vogue. La chirurgie était redevable de quelques progrès à 'Roger de Parme, à Brunus, à Roland de Parme, à Théodoric, à Guillaume de Saliceto, à Lanfranc de Milan. Ce dernier passa en France, habita Lyon et Paris, et associa ses travaux à ceux de Pitard, dont nous parlerons bientôt. Un autre Italien, Jean Passavant, vint professer la médecine à Paris. Les écoles de cette ville et celles de Montpellier furent fréquentées par Jean-Pierre d'Espagne, qui a laissé, entre autres ouvrages, un Trésor des pauvres, ou Manuel de l'art de guérir, et qui, sous le nom de Jean XXI, a occupé la chaire de saint Pierre durant quelques mois des années 1276 et 1277. On remarquait
- XIIIe SIÈCLE.
Tirab., IV, 216, 217, 218.-Giannone, Hist. di Nap., l. XVI, c. 3; 1. V, c. I.
Ægid. Corbol., I. I, v. 91 ; 1. III, v. 467 ; 1. IV, v.
696. - Tirab., IV, 219-222.
Script, rer. liai., VIII, 495.
Tirab., IV, 222.
Tirab., IV, 222.
Astruc., Mém.
pour l'Hist. de la fac. de méd. de Montpell.
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dès lors en Italie Pierre d'Apono, qui, après avoir étudié à Paris, reporta dans son pays ce qu'il avait appris en France de philosophie, d'astrologie et de médecine. Il entreprit une Concordance des opinions des médecins; mais sa carrière et ses malheurs se sont prolongés au-delà de l'année 1300, ainsi que les travaux de Mundinus, l'un des plus habiles anatomistes de cette époque.
A tous ces noms, que la France ne peut guère revendiquer, l'histoire de la médecine associe ceux de Gilbert l'Anglais, d'Albert-le-Grand, de Roger Bacon, de Raymond Lulle, qui ne sont pas non plus des Français; mais on a beaucoup étudié, en France, l'Abrégé universel de médecine, composé par Gilbert, et les traités physiologiques et alchimiques d'Albert-le-Grand. Le génie de Roger Bacon, qui pénétra jusque dans la véritable chimie, eut peu d'influence sur ses contemporains. Raymond Lulle passe pour le premier qui ait parlé de la pierre philosophale : il crut avoir trouvé un remède universel. Cet Espagnol, dont l'esprit actif était digne de mieux étudier la nature, ne mourut qu'en 1315. Mais il nous faut rechercher enfin quel était, depuis l'an 1200, l'état de la médecine en France.
Gilles de Corbeil, chanoine de Paris, et Rigord, moine de Saint-Denis, s'étaient voués à l'exercice de cet art : le premier a laissé des traités de médecine en vers latins ; mais le seul ouvrage qu'on ait du second, est une Histoire de Philippe Auguste jusqu'en 1206, tout-à-fait étrangère à cette profession. Les auteurs du temps nous apprennent que Geoffroy d'Eu était à la fois médecin et théologien ou canoniste; que Jean de Saint-Gilles, Anglais de nation, après avoir enseigné la médecine dans son pays, vint la pratiquer et l'enseigner en France, qu'il fut médecin ordinaire de Philippe Auguste et finit par se faire aussi théologien; que Roger de Fournival, d'Amiens, prit soin de la santé de Louis VIII et de Louis IX; que ce dernier prince eut pour médecin et pour chapelain Robert ou Roger de Provins, chanoine de Paris; que Dudes ou Dudon, physicien et clerc de saint Louis, le traita dans sa dernière maladie à Tunis; que, de retour en France, Dudon tomba malade lui-même et fut guéri miraculeusement au tombeau du saint roi; qu'avant cette guérison, il avait été traité par Geoffroy de Clavi, chanoine de Tours; qu'Odon II, abbé de SainteGeneviève, était un médecin célèbre; que Jeanne, comtesse de Toulouse et de Poitiers, veuve d'un frère de saint Louis,
XIIIe SIÈCLE.
Conc. differ.
Phil., præc. Med.
Bayle, Dict.
Freind, p. 237, 238.
V. Gall. Christ nov., IX, 1083.
Touron, Vies des homm. ill., I, 138, 139.
Le conf. de la reine Marg., Vie de saint Louis, p. 468, 469. -
Guill. Carnot., apud Bolland., 25 aug., p. 567.
Cat. des abbés de Se-Gen., cité
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fit un legs à Maurice, son physicien; que Riboti, évêque de Vence, pour récompenser les services que lui avait rendus, durant sa maladie, Guillaume de Colebreriis, lui légua trente sous royaux couronnés; qu'enfin Ermengard de Montpellier, médecin de Philippe-le-Bel, possédait l'art de deviner les maladies à la simple vue et sans tâter le pouls. Mais, à l'exception de ce dernier, qui a laissé des traductions de livres arabes, il ne reste aucun monument de la science et de la doctrine de ces praticiens, et par conséquent ils ne four- nissent aucun détail bien essentiel à l'histoire de l'art qu'ils ont exercé, sinon que cet art était souvent compatible avec l'état ecclésiastique. Ainsi, les noms les plus recommandables que nous aurions à consigner ici, seraient ceux de Gilles de Corbeil, de Jean Pitard, d'Hermondaville, de Bernard Gordon, et d'Arnauld de Villeneuve; mais les quatre derniers ne sont morts que dans les premières années du quatorzième siècle, et il ne subsiste d'ailleurs aucun écrit de Pitard. On sait seulement qu'il fut premier chirurgien et de saint Louis, et de Philippe-le-Hardi, et de Philippe-le-Bel; qu'il obtint de saint Louis les priviléges dont le premier chirurgien du roi a continué de jouir, et que ces priviléges furent confirmés par Philippe-le-Bel; qu'il réunit les chirurgiens de Paris en corporation; qu'aidé de Lanfranc, il s'occupa des moyens de renouveler cette profession, de la faire mieux enseigner et mieux exercer; que cette réforme, commencée sous Louis IX, continuée sous Philippe-le-Hardi, fut consommée par un édit de Philippe-le-Bel en 1311 ; qu'ainsi s'établit à Paris une. communauté, une confrérie, une école de chirurgiens.
Hermondaville, premier médecin de Philippe IV, a laissé, avec un cours de chirurgie, resté manuscrit, treize dessins coloriés, monument du goût qu'on était disposé à prendre aux études anatomiques. Les ouvrages de Gordon sont plus nombreux et presque tous imprimés : ils embrassent la plupart des détails de la médecine pratique, puisés le plus souvent dans les livres arabes. Ceux d'Arnauld de Villeneuve concernent principalement la pharmacie et la chimie; mais ses consultations et ses autres opuscules annoncent, malgré la négligence de la rédaction, un - esprit pénétrant et des connaissances assez étendues. Arnauld savait le grec, l'hébreu et l'arabe, et s'asservissait pourtant moins qu'un autre aux doctrines des médecins orientaux; mais il s'est livré sans réserve à l'alchimie, et on lui a imputé des erreurs théolo-
XIIIe SIÈCLE.
par Lebeuf, État des lettres, 204.
Gail. Christ, n., III, pr., p. 194.
Vaissette, III, 592. — Gariel, Ser. præs. Mag.
— Astruc, Mém.
pour l'hist. de la f. de Montp.
Portal, Hist. de l'anat. et de la chir., I, 199-201
— Félib., H. de Paris, I, 438, 439.
Pasq., Rech., 1.
IX, c. 30. - Index funereus chirurgor. Parisiens.
Portal, ibid.) 201, 202.
Éloy, Dict. histor. de la m, II, 365-367. - Astruc, Mém. de la fac. de Montp.
) Vie d'Arn. de Vil., par Symph.
Champier. - Astruc, Éloy, etc.
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giques qui ont été condamnées après sa mort : vivant, il fut protégé par le pape Clément V. Il est du nombre de ceux auxquels on attribue le livre des Trois Imposteurs.
On ne connaît pas l'auteur d'un livre manuscrit, en langue hébraïque, qui traite des plaies et des ulcères, et qui a été terminé à Paris en 1295. Celui qui l'a composé était probablement un Juif; au surplus, il déclare qu'il s'est borné à y recueillir ce qu'il avait appris des plus savans médecins de Paris, entre lesquels il nomme Phasnano. Ces médecins étaient-ils professeurs? y avait-il au treizième siècle, dans l'université de Paris, une faculté de médecine? Pour le prouver, nous avons employé le témoignage de Rigord, répété par Albéric de Trois-Fontaines : et de eâ facultate quœ de sanandis corporibus et sanitatibus conserpandis scripta est.
Astruc conteste l'authenticité de ce passage: il le juge interpolé; il demande quels ont été, à cette époque, les professeurs de médecine dans l'université parisienne : nous pouvons citer au moine Jean de Saint-Gilles, Jean Passavant, Lanfranc, et peut-être Arnauld de Villeneuve.
Du reste, il faut accorder à Astruc que l'école de Montpellier était alors plus fréquentée et plus célèbre. Elle avait été particulièrement favorisée par le cardinal légat Conrad, évêque de Porto, auparavant abbé de Cîteaux. En 1220, ce légat fit, pour la réformer et l'agrandir, des statuts concertés avec les évêques de Maguelone, d'Agde, de Lodève et d'Avignon : il fut réglé que personne n'enseignerait la médecine, qu'après avoir fait preuve de capacité devant les professeurs et devant l'évêque. En 1201, Jacques, roi de Majorque et seigneur de Montpellier, fait un magnifique éloge de cette école, dans l'acte où il confirme les privilèges accordés par son père, Jacques d'Aragon, aux étudians et aux docteurs. Il charge son lieutenant ou ses autres' officiers de punir, à la réquisition du chancelier ou du vice-gérant, ceux qui exerceraient ou professeraient l'art de guérir, sans avoir été examinés et licenciés. Enfin, l'école de médecine de Montpellier compte aussi parmi ses professeurs Arnauld de Villeneuve, Lanfranc et Jean de Saint-Gilles.
Quoiqu'il y ait bien peu d'ouvrages de médecine composés en France durant ce siècle, surtout si l'on n'y comprend pas ceux de Bernard de Gordon et d'Arnauld, cependant plusieurs circonstances avaient concouru à donner quelques
développemens à ce genre de connaissances. Les livres d'Hip-
XIIIe SIÈCLE.
Catalog. mss.
Bibl. reg., I, 42.
V. ci-dessus, p.
47-
Vaiss.,1. XXIII, n. 49.
Vais., 1. XXVII, n. 65.
V. Mém. de Trévoux , août
N
Tome XVI.
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pocrate et de Galien, nouvellement traduits, attiraient beaucoup de lecteurs; on s'instruisait aussi dans les versions des livres arabes; on employait comme médicamens plusieurs substances apportées de l'Orient, auparavant inconnues en France, et l'on déplorait l'ignorance de l'âge précédent, qui n'avait pu en faire usage. Les médecins prirent le nom de physiciens, qui pouvait du moins les rappeler un jour à l'étude de la nature. Mais il se trouvait encore, entre ces docteurs, un trop grand nombre de charlatans, qui, par l'inspection des urines, jugeaient de la virginité, des tempéramens, des affections, des maladies. Il fallait, pour obtenir la confiance du peuple, s'en rendre indigne en la trompant.
Nous avons fait remarquer des médecins prêtres et moines.
Cependant Honorius III défendit aux archidiacres, doyens, curés, prévôts, chantres, prêtres et bénéficiers, d'exercer cette profession : c'était ajouter beaucoup aux décrets du concile de Latran, qui, en 1215, n'avait interdit aux prêtres, diacres et sous-diacres, que les opérations chirurgicales par le fer et le feu. Les dominicains, par un statut de leur chapitre tenu à Paris en 1243, s'interdisent généralement la médecine; ils ne veulent pas même qu'on s'avise, dans leurs monastères, de lire les livres de physique, ni d'écrire sur les curiosités de la nature : Non studeant in libris physicis, nec etiam scripta curiosa faciant.
Mais ce qui devait retarder bien davantage les progrès de la médecine, c'était le préjugé fort ancien qui interdisait comme sacriléges les dissections anatomiques. Par un décret inséré dans le Sexte, Boniface VIII menace, d'anathèmes ceux qui feront bouillir des cadavres pour en faire des squelettes. Les anatomistes étaient donc obligés de recourir et de s'en rapporter à Galien, sans pouvoir étudier immédiatement le corps humain, ni par conséquent avancer la science qui aspire à le conserver sain ou à le guérir.
L'hygiène, cette partie si précieuse de la médecine, restait dans l'état où l'avaient laissée les vers léonins de l'École de Salerne. Arnauld de Villeneuve s'en occupait néanmoins, mais avec peu de fruit. Moyse Maimonide et Albertle-Grand ont plus recherché les moyens de prolonger la vie, que d'entretenir la santé; Actuarius et Roger Bacon ont cru trouver des antidotes universels. Actuarius composait le sien de cannelle, d'euphorbe, de mandragore, de safran, de myrrhe, de pavot, de rue, de poivre et de miel : avec cette
XIIIe SIÈCLE: 1713, p. 1355- 1357.
Pasq., Rech., 1.
IX, c. 36.
Mart., Thes.
anecd., IV, 1685.
Method. med., I. V, c- 6. —
Mackensie, H. de la santé l, 2 II 212.
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drogue, il prétendait guérir ou prévenir toutes maladies, garantir même des sorciers et des esprits malins.
Lanfranc, qui écrivit à Paris des livres de chirurgie, se plaignait de l'ignorance grossière des chirurgiens de cette ville. Ils étaient illétrés, presque dénués de toute notion anatomique, et réduits à une pratique purement mécanique; simples barbiers auxquels il fallait pourtant avoir recours pour des opérations chirurgicales dont eux seuls avaient quelque habitude. Les réformes entreprises par Pitard, d'après les conseils de Lanfranc, n'ont pu avoir des effets rapides : aussi, excepté Pitard lui-même, on ne voit à Paris, avant 1300, aucun chirurgien renommé. Hermondaville, qui serait à excepter, était, selon toute apparence, médecin.
Quelquefois en effet la profession de chirurgien, plus souvent celle de pharmacien, s'unissait à la profession de médecin. Du reste, les pharmaciens français n'avaient à-peuprès pour guides que des livres composés par des étrangers, les écrits confus d'Albucasis, la Pharmacopée plus méthodique de Myrepsus, les remèdes secrets d'Albert-le-Grand, les dictionnaires pharmaceutiques de Simon de Gênes et de Pierre d'Apono. C'était pourtant beaucoup que les Arabes, tout en compliquant la pharmacie, l'eussent rapprochée de la chimie, et y eussent introduit l'emploi du sucre. A mesure qu'ils firent usage de médicamens composés, que les livres des anciens n'indiquaient pas, les nomenclatures s'étendirent.
La chimie ne présentait point encore un ensemble de phénomènes, un système de connaissances, ni même, dit Fourcroy, les premiers vestiges d'une doctrine. Cette science, qui était destinée à de si grands progrès, qui devait un jour éclairer et completter la physique, ne se rattachait encore qu'à la pharmacie, à la médecine, ou à de vaines et puériles tentatives. Aussi les dominicains rassemblés à Bordeaux en 1287 n'hésitèrent point à l'interdire aux religieux de leur ordre : ils enjoignirent, sous peine de prison, de remettre aux prieurs les livres qui la concernaient; de s'abstenir de toute lecture, de tout enseignement, de toute opération qui eût des rapports avec elle. Ce statut fut confirmé- dans un chapitre tenu à Trêves peu d'années après. Cependant le dominicain saint Thomas avait écrit sur l'alchimie ; les plus savans hommes de ce siècle, Albert-le-Grand, RQger Bacon, Arnauld de Villeneuve, Raimond Lulle, Pierre d'Apono,
XIIIe SIÈCLE.
Fourcroy, H. de la Chimie, dans l'Encycl. méth.
Mart., Thes.
anecd., IV, 1819.
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s'égarèrent tous dans cette route, et y entraînèrent un bien grand nombre de philosophes et de médecins des âges suivans.
A la théologie, à la jurisprudence, à la médecine, il faut, pour completter le système des études scholastiques, joindre une quatrième faculté, celle des arts, qui, au treizième siècle, était le plus souvent désignée par les noms de philosophie et de grammaire. Dans l'ordre de l'enseignement, elle devait précéder les trois autres; nous la plaçons ici la dernière, moins pour nous conformer à l'usage, que parcé qu'au moyen âge elle ne semblait pas la plus importante, et que d'ailleurs nous y rattacherons tous les genres de connaissances dont nous n'avons point encore parlé, même ceux qu'on ne cultivait pas ou presque pas dans les écoles.
On a déjà yu de quels hommages, de quels anathèmes, les livres d'Aristote furent successivement les objets. Quoi qu'aient pu faire les censeurs de ce philosophe, les habitudes scholastiques les ramenaient eux-mêmes, comme tous les autres docteurs, à la philosophie péripatéticienne; elle fournissait des argumens-aux orthodoxes et aux hérétiques, elle était en quelque sorte leur langue commune. Jadis Tertullien et d'autres docteurs avaient appelé Aristote le père des hérésies, et long-temps le platonisme, quoiqu'il en produisît bien autant, avaient dominé dans l'Église. L'aristotélisme reparut vers le neuvième siècle; il prévalut à mesure que les croisés transportèrent d'Orient en Occident les livres destinés à le répandre. Il ne s'éleva contre cette philosophie de réclamations bien vives qu'au moment où Amaury de Chartres et David de Dinant parurent y avoir puisé leurs erreurs.
Philippe-Auguste, en 1209, fit condamner Aristote par des prélats. Les livres qui portaient le nom de ce philosophe furent livrés aux flammes ; il fut défendu, sous peine d'excommunication, de les lire, de les transcrire, de les conserver. Il semble néanmoins que ces anathèmes ne frappaient irrévocablement que sa métaphysique : car la lecture de ses traités de physique n'était interdite que pour trois ans.
Le légat Robert de Courçon, qui, en 1215, défendit d'enseigner Aristote dans l'université de Paris, excepta la logique, si on pouvait la recouvrer. Des évêques et des docteurs assemblés en 1220 renouvelèrent ces censures, et bornèrent aussi à trois années le temps durant lequel la lecture des livres de physique ne serait pas permise. Grégoire IX, en
XIIIe SIÈCLE.
XIV.
Philosophie.
Launoy, de Var.
Arist. Fort. —
Guill. Arm., inter Scr. rer. Fr., X VlI, 84.
De Prsescript., c. 7.
Pluquet, Dict.
des hérés., t, II, p. 1-3.
Alber. Chron., Chr. Allissiod, ann. 1210.
Félib.,. H. de 0" Paris, I, 251.
Du Boulay, III, 81, 82.
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1231, n'établit point cette limite : il proscrivit à la fois la métaphysique 'et la physique, et les commentaires qu'en avait faits Averroès; mais il laissait prévoir un temps où ces livres, purgés d'erreurs, pourraient redevenir utiles à l'enseignement. La condamnation la plus absolue fut celle que prononça, un peu plus tard, Simon de Brie, cardinal de Sainte-Cécile et légat en France : il déclarait tous ces livres inutiles à des chrétiens, et contraires aux saintes Écritures.
Il serait superflu d'observer qu'un ancien philosophe grec ne pouvait inspirer tant de haine; mais ceux de ses sectateurs qui brillaient dans les écoles, avaient excité beaucoup d'envie.
Nous ne voyons pas que ces anathêmes aient produit d'autre effet que de piquer la curiosité, de provoquer la désobéissance, et de redoubler l'admiration fanatique dont Aristote, si mal traduit, si mal compris, était partout devenu l'objet. On ne disait pas tout-à-fait, comme les Arabes, qu'avant Aristote la nature n'était point achevée, qu'elle n'avait pris ses derniers développemens qu'à la naissance de ce philosophe; mais on était persuadé qu'elle n'avait pu être expliquée que par lui, que lui seul enseignait à la bien connaître : étrange idée qui, ainsi que l'a observé Vivès, accordait à l'autorité ce qui n'était dû qu'à la raison, dégradait l'esprit humain en l'habituant à penser par autrui, et favorisait la paresse en réduisant toutes les recherches à savoir quel dogme Aristote avait enseigné. Peut-être .cc point de fait était-il déjà trop difficile pour les docteurs de ce temps-là; il le serait souvent pour ceux du nôtre. Quoi qu'il en soit, les scholastiques les plus célèbres persistèrent à révérer Aristote, à le traduire, à commenter ses ouvrages, sans distinction de ceux qui concernaient la métaphysique, la physique ou la logique. Gilles Columna, le Romain, était qualifié archiphilosophiœ Aristotelis perspicacissimus commenlator. Pierre de Tarentaise et Pierre d'Auvergne étaient des péripatéticiens déclarés. Aristote est l'oracle d'Albert-leGrand et de saint Thomas d'Aquin, qui a contribué plus que personne à le réhabiliter dans les écoles de Paris. On se demande comment Albert et saint Thomas osaient expliquer et préconiser des livres condamnés par des conciles et par des papes. Il y a de la puérilité à supposer qu'ils avaient obtenu des permissions particulières de les lire et de les vanter. La vérité est que ces anathèmes ne purent jamais
XIIIe SIÈCLE.
Ib., 140, 142.
De Caus. corr., art., 1. V.
Desl., Hist. crit.
de la phil., III, 284-290.
Epitaph. ap.
Du Boulay, III, 672.
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s'accréditer, parce qu'ils contredisaient, non pas seulement des opinions, mais des habitudes déjà invétérées. Hors d'Aristote, il n'y avait plus d'enseignement, et il eût fallu fermer les écoles, si l'on avait voulu bien décidément l'en exclure. Il y fut d'ailleurs maintenu, en Allemagne, par Frédéric II, le prince le plus instruit de cette époque, et par son ministre, Pierre des Vignes; en Italie, par Manfredi, et même par le pape Urbain IV, qui excitait le zèle des traducteurs et des glossateurs.
A vrai dire, on empruntait des écrits du philosophe grec plutôt des formules que des doctrines. Cependant, sur son témoignage, on rejetait les idées innées, et l'on rapportait aux sensations les premiers germes de toute connaissance.
On regardait les bêtes comme des créatures intelligentes qui agissaient par leurs propres déterminations. On tirait l'univers, non des atomes d'Epicure, mais d'un chaos de matière première, et l'on supposait que cette matière, d'elle-même dépourvue de formes, était susceptible d'en recevoir une infinité. On distinguait quatre élémens, quatre qualités, quatre tempéramens, dix catégories. Selon quelquesuns, le monde existait de toute éternité, gouverné par les lois inflexibles du Destin, animé toutefois par une intelligence universelle. Dieu n'était que cette intelligence, et même que la matière première; et ceux qui soutenaient ces opinions, s'épuisaient en efforts pour accorder cette philosophie avee les dogmes du christianisme. Les Arabes enseignaient de plus que toutes les parties de l'univers correspondaient les unes aux autres, savoir les supérieures aux inférieures ; qu'elles participaient à la même ame, que cette ame subsistait divisée en autant de portions qu'il y avait d'êtres distincts dans l'univers, et qu'au moment de chaque décomposition ces portions rentraient dans la masse générale. Quelques points de cette doctrine servaient de fondemens à l'astrologie 3 admis ou combattus, tous exerçaient la. subtilité des docteurs, et les détournaient des études positives. La littérature classique n'avait point de charmes à leurs yeux; ils n'étaient sensibles qu'aux attraits des syllogismes, et rien de ce qui n'était pas obscur ne leur semblait digne d'attention.
Ce' n'est pas ici le lieu d'éclaircir l'histoire des traductions latines d'Aristote, puisque la plupart sont antérieures à l'année 1200. Les plus anciennes de celles qui ont été faites
XNIE SIÈCLE.
Tirab., IV, 168172.
V. Jourdain, Rech. sur les trad. d'Arist.
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sur le texte sont attribuées à un Boèce, distinct du philosophe de ce nom, à Victorin et à Hermannus Contractus.
Tiraboschi substitue à ce dernier Jacques, clerc de Venise.
Nous avons déjà dit que, selon toute apparence, les traductions latines d'après l'arabe n'ont pas eu autant d'influence qu'on le croit communément. Cependant il est certain que les croisés en rapportèrent plusieurs, et qu'il s'en fit quelques, autres dans les temps où les Arabes se répandaient dans les Deux-Siciles et sur les côtes d'Espagne, lorsqu'ils fondaient des écoles à Cordoue et dans le royaume de Naples. Ces versions servirent de supplémens aux versions latines faites immédiatement sur le grec, lesquelles demeuraient incomplettes, même depuis qu'on avait trouvé quelques livres de plus à Constantinople. Il y avait dès le douzième siècle des traductions francaises d'Aristote, et un manuscrit du treizième en contient une des trois livres de la Nature des choses.
Frédéric II et Urbain IV firent traduire plusieurs autres traités, soit d'après le grec, soit surtout d'après l'arabe; mais personne n'était capable de les apprécier et de sentir à quel point ces versions devaient nuire au progrès des véritables études philosophiques.
La logique, première partie du cours de philosophie, occupait quelquefois les étudians durant deux ou trois années.
On leur expliquait la Dialectique de saint Augustin, ou celle d'Aristote, ou enfin celle de Pierre d'Espagne. La première, la moins sophistique des trois, fut abandonnée comme insuffisante. La seconde, qui était, selon Condillac, mauvaise en elle-même, plus mauvaise dans les versions, pire encore dans les commentaires des Arabes, valait mieux qu'aucune autre pour alimenter les disputes. A proprement parler, il n'existe point de traité d'Aristote intitulé Logique : pour composer une Logique à laquelle le nom de ce philosophe pût être appliqué, il eût fallu la recueillir dans ses traités des Catégories, de l'Interprétation, de Anaylse, des Lieux communs et des Sophismes. Or on s'était contenté d'extraire à la hâte, et de traduire à l'usage des écoles, les parties les plus oiseuses et les moins intelligibles de ces différens livres. Il en résultait une dialectique éristique, c'est-à-dire disputeuse, qui, au lieu de fixer l'attention sur les idées, élémens de nos jugemens, s'arrêtait au mécanisme des propositions, et feignait d'enseigner l'art de raisonner, lorsqu'en effet elle u'apprenait que l'art d'abuser du raisonnement. Voilà ce que
xnre SIÈCLE.
IV, 166.
Mém. de Trév., déc. 1708, pag.
2037.
Montfaucon, Bibl. bibl., II, 1117.
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maintenaient dans les écoles les conciles de Paris, et Robert de Courçon, et Simon de Brie, en même temps qu'ils en bannissaient la métaphysique et la physique d'Aristote : c'était, en écartant de mauvais fruits, en cultiver la racine.
La Summula logica de Pierre d'Espagne avait l'avantage d'être la plus courte : tendant au même but, elle y arrivait plus vite. Une Dialectique de Jean Holywood ou Sacro Bosco était composée dans le même goût; pas un seul livre élémentaire n'imprimait alors une meilleure direction à l'intelligence humaine. Nous n'avons aucun traité de logique d'Amaury de Chartres; mais il passait, au commencement du treizième siècle, pour l'un des plus habiles maîtres en cette partie; il avait, dit-on, pour étudier et pour enseigner, une méthode qui lui était propre, quoique péripatéticienne et sophistique autant qu'aucune autre. Vivès et Brucker, en examinant la dialectique de ces docteurs, n'y trouvent qu'ignorance et barbarie; Condillac ne l'a pas moins fidèlement dépeinte : « Celui, dit-il, qui faisait le plus de syllo« gismes sur un sujet, était le plus habile, et il était censé « avoir raison, parce qu'il parlait le dernier. Or, cet art est « facile : il suffit de ne déterminer ni l'état de la question, « ni la signification des mots; et les scholastiques auraient « été bien embarrassés de faire autrement. Ils trouvaient « donc toujours dans des notions vagues et dans des termes « équivoques de quoi tirer continuellement de nouvelles » conclusions et de quoi soutenir toutes les thèses qu'ils « pouvaient avancer. Par ce moyen, ils multipliaient les dis« putes et ils n'en terminaient jamais aucune; parce que celui « qui soutenait une proposition et celui qui l'attaquait ne « faisaient, l'un et l'autre, que des sophismes, et qu'ils étaient « tous deux incapables de s'en apercevoir. C'est ainsi qu'ils « raisonnèrent d'après la Logique d'Aristote, que les Arabes « avaient commentée sans jugement et qu'ils défigurèrent « encore eux-mêmes. Cette Logique cependant devint la « principale étude. On négligea la grammaire et la rhétorique, « afin de l'apprendre plus promptement. A peine en avait-on CI goûté les délices, qu'on ne se lassait plus de l'apprendre. On CI la rendait tous les jours plus volumineuse, on avait du « regret à la quitter, et souvent les scholastiques s'y fixaient « pour toute leur vie. »
L'art de penser a sans doute des rapports intimes avec la métaphysique, si l'on comprend dans celle-ci l'analyse des
XIIIe SIÈCLE.
Montfaucon, Bibl. bibl., II, 1129.
Guill. Armor., inter Script, rer.
Fr., XVII, 83.
Bruck., Hist.
philos., III, 870- 872.
Œuvres de Condill., XVlI, 88-90.
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facultés intellectuelles, la classification de nos idées, et la recherche de leur origine. Mais lorsque la métaphysique ne consiste qu'en un amas d'abstractions et de subtilités, en se versant dans la dialectique, elle l'égaré et la déprave. Or, telle était la métaphysique dans les traductions des écrits d'Aristote, dans les commentaires arabes, dans ceux d'Alexandre de Halès et d'Albert-le-Grand. Il est heureux que tous ces dépôts de la plus vaine science soient depuis longtemps fermés. Le seul bon effet que le péripatétisme ait produit au treizième siècle, fut d'établir des relations quelconques entre les différentes branches de connaissances, et de suggérer le projet d'en former des systèmes encyclopédiques. Vincent de Beauvais tenta cette entreprise : il réunit et enchaîna la théologie, l'histoire sacrée et profane, les sciences physiques et morales; recueillant tout ce qu'on savait ou croyait savoir, et n'y ajoutant qu'une classification universelle. Ses contemporains, dont quelques-uns furent plus savans et plus pénétrans que lui, parcoururent les mêmes détails, en étendirent quelques-uns, et s'appliquèrent moins à les distribuer en un seul corps; mais ce qui étonne davantage, c'est de voir, au sein de ces ténèbres, un cordelier provoquer les progrès de l'esprit humain, et tenter, dans l'ouvrage intitulé Opus majus, cette même rénovation qu'entreprit, trois cents ans plus tard, un philosophe anglais comme lui, qui illustra une seconde fois le nom de Bacon. Les deux premières parties de l'Opus majus signalent les causes de l'ignorance, les obstacles qui s'opposent à la science utile et véritable; la troisième traite de l'usage des langues, de leur influence sur les pensées et les opinions; les trois dernières sont consacrées aux sciences physiques, à la mécanique, à l'astronomie, à la perspective, à l'optique; et, sauf ce qui concerne l'astrologie judiciaire, tout consiste en observations, expériences et analyses. Cependant, vers ces mêmes temps, un autre fransciscain, Jean Duns Scot, commençait à se rendre fameux par les plus déplorables subtilités : il portait la scholastique au dernier terme de la démence; il fondait une école qui est restée long-temps opposée à celle de saint Thomas d'Aquin; et, quoique bien plus occupé de théologie que de matières philosophiques, il écrivait une Grammaire spéculative, des Questions de logique, un traité du Principe des choses, quatre livres sur les Météores, parmi lesquels il comprenait les comètes, et un fastidieux commentaire de la Physique d'Aristote. Une telle époque ne
XIIIe SIÈCLE.
Bibliotheca mundi, sive Spec.
quadr.
Brucker, Hist.
phil., III, 817820.
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fournissait que trop la matière d'un livre sur les erreurs des philosophes : c'est le titre d'un traité de Gilles Colonne; mais cé traité, qui contient beaucop plus d'erreurs qu'il n'en signale, ne conserverait aujourd'hui aucune sorte de valeur, s'il n'était le premier livre imprimé à Vienne en Autriche, au quinzième siècle.
De toutes les parties de la philosophie, la morale était au treizième siècle la plus négligée. Nous n'aurions guère à citer d'autre production en ce genre que le sixième livre du Trésor de Brunetto Latini : c'est un abrégé de la Morale d'Aristote. Le Miroir moral de Vincent de Beau vais est bien plus considérable; mais la théologie revendique les trois parties qui la composent, et qui traitent des actes humains, des quatre fins de l'homme, des péchés et de la pénitence.
Les autres moralistes contemporains de Vincent ne seraient aussi que des théologiens; et l'on pourrait dire plus généralement, ainsi que nous l'avons déjà observé, que l'enseignement philosophique se confondait tellement avec celui des doctrines révélées, qu'ils n'en formaient réellement qu'un seul.
D'où il suit que si nous entreprenions de completter la liste des prétendus philosophes de ce siècle, nous recommencerions celle des docteurs en théologie. Tel serait Guillaume d'Auberive; tel aussi Robert Grosse-Tête, évêque de Lincoln, dont il faut pourtant dire qu'il joignit à la science des écoles des connaissances plus réelles : il avait bien étudié la langue latine et même la langue grecque. C'étaient encore des théologiens qu'Urbain IV rassemblait autour de lui pour leur proposer des problèmes de métaphysique et de physique, et les entendre disputer. La philosophie de Pierre d'Apono, de Raymond Lulle, d'Arnaud de Villeneuve, se donnait une carrière un peu plus libre; elle était plus profane et s'égarait davantage. Des spéculateurs encore plus téméraires ébranlaient les croyances universellement reçues : on vit paraître une secte de conceptualistes, qui inclinait à l'idéalisme, c'està-dire, à nier l'existence des corps; d'autres prenaient une direction toute contraire; déjà le scepticisme et même l'athéisme,, fruits trop ordinaires des subtilités et des controverses, s'insinuaient en secret dans quelques esprits.
Il n'y a pas lieu de faire un bien long récit des progrès de la physique au treizième siècle, si l'on se borne à ceux qu'elle a faits en France. Au lieu de recueillir des faits, d'étudier la nature par une suite méthodique d'observations et d'expé-
XIlIe SIÈCLE.
Wienne, 1472 (1482), in-4°.
V. ci-dessus, p.
27.
De Visch., Bibl.
cisterc., 325.
Fabric. Bibl. lat.
med. æv.,VI, 103105.
Epist. Camp.
Novar., ap.Tirab., IV, 170-171.
Brucker, Hist.
phil., III, 894- 908.
Ib., 828.—Thom.
Cantiprat.,1. II, c.
48. ,
XV.
Sciences physiques.
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riences, les scholastiques donnaient pour base à cette science des idées vagues qu'ils croyaient générales, et pour développemens les argumentations interminables de leur subtile dialectique. Au fond, ils ne voulaient que disserter ; et moins on observe, plus on disserte à son aise. Ils prenaient pour unique maître Aristote, si peu avancé lui-même dans ce genre de connaissances; Aristote, qu'ils ne pouvaient lire qu'en des versions encore moins intelligibles que le texte. Ils y trouvaient autant de mots obscurs, d'expressions équivoques, de notions confuses, qu'il leur en fallait pour réduire la science de la nature à des abstractions ontologiques ou à une cosmogonie plus vaine encore. Saint Thomas a écrit sur les principes de la nature, sur la nature de la matière, sur le mélange des élémens, sur le mouvement du cœur, sur la physique mystérieuse : partout sa doctrine consiste essentiellement à trouver dans les divers aspects des corps célestes les causes de la génération et de la corruption, à représenter toutes les propriétés et facultés des corps terrestres comme les résultats des formes qui leur sont imprimées par les astres ou par des vertus supérieures aux astres, par des substances intellectuelles. Veut-il, par exemple, expliquer la vertu magnétique? elle est inhérente à une force occulte que donnent à l'aimant les sphères célestes et les intelligences qui président à chacune d'elles. Saint Bonaventure, le moins barbare des physiciens scholastiques de cette époque, enseigne que l'élément est le principe simple des choses composées ou composables; que les corps élémentés sont des composés dans lesquels entrent les quatre élémens; que la quintessence est un corps qui par lui-même diffère de tous les élémens et de tous les élémentés, qui s'en distingue tant dans la matière que dans la forme, tant dans la nature que dans la vertu, et qui n'a en soi aucune cause de contrariété, ni par conséquent de corruption. Le langage d'Albert-leGrand sur ces matières est plus incompréhensible encore; il l'est même à un tel point, qu'il se refuse à peu près à toute traduction. Mais nous venons d'en dire assez pour montrer que sur de pareils principes il ne pouvait s'élever aucune véritable science. Voilà quelle était la physique des docteurs dont les livres subsistent, et vraisemblablement aussi de ceux dont il ne reste aucun ouvrage, par exemple, du chanoine Girali et de l'archidiacre Robert-le-Couvreur, auxquels les Archives de l'Église d'Angers donnent le titre de grands
XIIIe SIÈCLE.
De Occult. Operibus naturæ.
Comp. theol.
verit., c. 2, edit.
Lugd., Il, 728.
Rangeard, H.
mss. de l'univ.
d'Ang., p. 160, 16 1.
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physiciens. Quiconque essayait d'offrir des notions plus claires, de recueillir des faits, d'en déduire des conséquences positives; celui qui hasardait quelque hypothèse que ces faits avaient indiquée ou autorisée, se voyait bientôt réprouvé comme magicien ou comme hérétique. On ne pardonnait pas même aux absurdités, quand elles n'étaient pas précisément celles qu'on croyait lire dans Aristote ; et l'on avait un tel besoin de censurer des propositions, qu'on en recherchait jusqu'en des livres composés depuis plus de 300 ans. Ce fut ainsi qu'à la demande de Gautier Cornut, Honorius III condamna la Physique de Jean Scot Érigène, quoique le système émanatif, enseigné par cet auteur du neuvième siècle, n'eût réellement rien de commun avec le panthéisme, et fût très-digne, au contraire, par son obscurité profonde, des écoles du treizième siècle, de leur doctrine sur la génération et la corruption des animaux et des plantes, de leurs disputes sur le plein et le vide, de leurs formes substantielles, de leur aversion pour l'examen immédiat de tout phénomène particulier.
Hors des écoles, on s'occupait quelquefois d'études physiques un peu plus sérieuses. C'est ce que nous pouvons conclure d'abord de ce qu'il fut fait, entre les années 1200 et 1300, deux traductions de l'un des meilleurs ouvrages d'Aristote, savoir de son Histoire des animaux, l'une d'après l'arabe, l'autre sur le texte grec. Albert-le-Grand lui-même avait du penchant à recueillir des détails de zoologie et de minéralogie; mais il ne savait pas les choisir, et ne s'appliquait guère à les vérifier. Nous en pourrions dire autant de Vincent de Bauvais, dont le Spéculum naturale embrasse les trois règnes de la nature : il y amasse sans critique, et souvent aussi sans ordre, tout ce qu'il trouve de notions superficielles et vulgaires dans saint Isidore, dans Guillaume de Conchis, dans un manuel composé au douzième siècle et intitulé Physiologus ; il n'extrait rien du tout de Pline ni d'Élien, presque rien d'Aristote. Les traditions merveilleuses étaient celles qu'on se plaisait le plus à rassembler. Ainsi l'on disait que l'autruche couvait ses œufs de ses regards ; qu'après les avoir enterrés dans le sable, elle les oubliait, et ne s'en souvenait qu'à la vue d'une certaine étoile. Cet exemple suffirait pour montrer quelle était la science des naturalistes de ce temps-là : nous ajouterons seulement qu'imbus des mêmes idées, les chroniqueurs contemporains saisissent
# XIIIe SIÈCLE
Brucker, Hist.
phik, III, 622. —
Montfaucon, Bibl.
bibl.,11, 13 5 g.
Andrès, V, iog.
Aut. anonym.
XIII sæc. Journ. de Verdun, mai 1740, p. 340.
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les occasions de les entremêler à leurs récits, et sont d'ailleurs fort exacts à rapporter tous les phénomènes qu'accueillait la crédulité vulgaire. Vous lirez dans Rigord que depuis la prise de la sainte croix par les Sarrasins, en 1187, il ne poussait plus que vingt ou vingt-deux dents aux enfans au lieu de trente-deux. Vous rencontrerez dans Gervais de Tilberry des prodiges sans nombre observés en France, et particulièrement dans les provinces méridionales ; l'abbé Lebeuf en a donné un long extrait. Tant de merveilles physiques sont toujours, aux yeux de ces historiens, les effets ou les avant-coureurs des grands évènemens politiques, et pour l'ordinaire, suivant eux, elles tiennent à la fois au cours des astres, aux intérêts de l'Église, et aux révolutions des empires.
Le goût du merveilleux entraînait celui des qualités occultes, des vertus mystérieuses, et par conséquent des arts qui s'annonçaient comme surnaturels. De là était née la magie, qu'Albert-le-Grand ne dédaignait point, et que Roger Bacon ne regardait pas comme une pure chimère, quoiqu'il ait composé un traité de Nullitate Magiæ, et qu'il ait dit qu'on pouvait se passer d'elle en cultivant bien la physique.
Albert occupe aussi une place parmi les alchimistes, avec Roger Bacon encore, avec saint Thomas, Alphonse Lesage, Raimond Lulle et Pierre d'Apono. Mais il est juste d'observer que déjà ce genre de recherches aboutissait à quelques résultats utiles : on commençait à reconnaître et à séparer les ingrédiens qui entrent dans la composition des corps, les sels, le soufre, le mercure ; et ces premières analyses, quelques grossières qu'elles fussent, ont produit ou étendu l'une des trois découvertes célèbres qui semblent appartenir au treizième siècle, et qui sont : la poudre à canon, la boussole, et les verres convexes.
Le plus ancien monument français qui fasse mention de la poudre à canon, est le compte rendu, en 1338, par Barthélemi de Drach, trésorier des guerres, où se trouve compris un paiement à Henri de Faumechon pour poudres et aultres choses nécessaires aux canons qui étoient devant Puy-Guillaume. Selon Pierre Messie, les Maures n'auraient commencé d'en faire usage qu'en 1343, quand ils furent assiégés par Alphonse XI, roi de Castille. Cette invention serait moins ancienne encore, si, comme on l'a souvent dit, elle était due à un moine allemand nommé Berthold Schwartz ou le Noir.
XIIIe SIÈCLE.
Script. rer. Fr., XVII, 25.
État des sciences, etc., p. 1871 go.
De Secretis, Oper, 5.
Du Cange, v.
Bombarda.
L. div.
Pasq., Rech., 1.
IV, c. 24.
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Ces traditions retarderaient jusqu'au quatorzième siècle, jusqu'en 1366, même jusqu'en 1380, l'origine de la poudre à canon. Quelques auteurs pensent, au contraire, que cette poudre n'est que l'ancien feu grec ou grégeois, conservé en Egypte, et employé par les Sarrasins dans les combats qu'ils livrèrent à saint Louis en 1249 et 1250, et dont Joinville parle en ces termes : « Il faisoit tel bruit à venir, qu'il semIl bloit que ce fust fouldre qui cheust du ciel, et me sembloit « d'un grand dragon volant par l'air : et gettoit si grant « clarté, qu'il faisoit aussi cler dedans notre ost comme le « jour. « Pour confirmer cette origine, on ajoute que les Persans donnent à notre poudre à canon le même nom napleté, par lequel les Égyptiens désignaient le feu grégeois.
Ce que les anciens racontent des effets de ce feu, s'appliquerait mal-aisément aux élémens et à l'explosion de notre poudre, mais, en écartant ce rapprochement, les savans s'accordent aujourd'hui à penser que cette poudre avait été, bien avant le treizième siècle, successivement connue des Indiens, des Chinois, et des Arabes : c'est l'opinion de Tiraboschi, d'Andrès, de Koch ; et M. Langlès a prouvé que les Maures d'Espagne en faisaient usage vers l'an 1200, pour lancer des pierres et des boulets. Quoi qu'il en soit, Roger Bacon l'a décrite : il a dit que, pour imiter les éclairs et le tonnerre, il suffisait de prendre du soufre, du nitre et du charbon, qui, séparés, ne produiraient aucun effet, mais qui, mêlés ensemble, se dégageront, dès qu'on les enflammera, de la machine creuse où on les aura enfermés, et par leur explosion égaleront le bruit et l'éclat de la foudre. Nous présumons avec Koch que Bacon avait puisé cette connaissance dans des livres arabes, bien plutôt que dans l'ouvrage d'un Grec nommé Marcus, auteur dont - l'époque est tout-à-fait incertaine, et que, selon toute apparence, Bacon n'avait jamais lu. En toute hypothèse, nous croyons vraisemblable que le treizième siècle a vu s'introduire en Occident cette fameuse et terrible découverte, qui, au surplus, ne tient point assez à l'histoire littéraire de la France, pour qu'il y ait lieu d'en mieux éclaircir ici l'origine.
Nos prédécesseurs ont déjà parlé de la boussole comme d'une invention née au douzième siècle, et due à la France, ainsi que l'attestent, disent-ils, toutes les nations de l'univers, par la fleur de lys qu'elles mettent sur la rose au point du nord. Depuis le temps où dom Rivet écrivait ces lignes, il a
XIIIe SIÈCLE.
Bzovius, ad ann.
1366.
P. 3g.
Lachaise, H. de saint Louis, 621, 622.
Tavernier,Voy., II, I. III, c. 7, - Suppl. à la Bibl.
orient. de D'Her- belot, 118.- Gaubil, Hist. de la dynastie des Mong., 70, 71-93. — Casiri, I, 6. - Koch, Tableau des révol., cinquième périod.- Langlès, Mag. encyclop., IVe ann., 1798, t.
I, p. 333, etc.
Rog. Bac., de Nullitate Magiæ, etc.
Chauffepied, Suppl. au Dict.
de Bayle, art. Bacon.
Hist. littér. de la Fr., t. IX, disc.
prél., 199.
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été fait, sur le même sujet, de nouvelles recherches qui ont abouti à d'autres résultats. Le P. Gaubil ayant assuré que la boussole existait à la Chine deux mille ans avant l'ère chrétienne, Trombelli a soutenu qu'elle avait été apportée en Europe par des Vénitiens, et singulièrement par Marco-Polo.
Mais celui-ci n'est revenu qu'en 1295, et nous verrons bientôt que la boussole était auparavant connue en France et en Italie. D'ailleurs il paraît que les Chinois n'aimantent point le fer, et qu'ils emploient de tout autres moyens pour donner à l'aiguille une direction plus ou moins indécise vers le nord.
Albert-le-Grand cite un passage d'Aristote, qu'il traduit ainsi : Angulus magnetis cujusdam est, cujus virtus COllvertendi ferrum ad ,oru11l; et hoc utuntur nautœ. Il n'en faudrait pas plus pour attribuer aux anciens la connaissance de l'aiguille aimantée, si le li vre où Aristote en aurait ainsi parlé existait encore, et pouvait sembler authentique; mais on n'est pas même sûr que l'ouvrage où ce texte est traduit soit en effet d'Albert-le-Grand; et par-dessus tout on ne conçoit pas comment les anciens auraient pu posséder cette notion et cet instrument sans qu'il en subsistât la moindre trace, ni dans Pline, ni dans les autres écrivains grecs et latins. Le premier qui ait indiqué bien positivement cette découverte, est Guyot de Provins, ou l'auteur, quel qu'il soit, de la Bible Guyot. Après avoir parlé de l'étoile polaire, le poëte ajoute : Mes cele estoile ne se muet.
Un art font qui mentir ne puet Par la vertu de la manière (ou magnète, aimant), Une pierre laide et brunière (ou brunète) Ou li. fers volentiers se joint Ont; si esgardent le droit point, Puis c'une aguille i ont touchié Et en un festu l'ont couchié En l'eve (l'eau) la mettent sanz plus Et li festuz la tient dessus, Puis se torne sa pointe toute Contre l'estoile, si sanz doute Que jà nus hom n'en doutera Ne jà por rien ne faussera.
Qant la mer est obscure et brune, C'on ne voit estoile ne lune, Dont font à l'aguille allumer, Puis n'ont-il garde d'esgarer.
Si ces vers sont de Hugues de Bercy, comme on le croit communément, ils ne sont pas antérieurs au règne de
XIIIe SIÈCLE.
Comm. Acad.
Bonon., vol. II, part. III, p. 372.
De Mineral.
Fabliaux, édit.
de Méon, II, 328.
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saint Louis, ou du moins aux dernières années du règne de Philippe-Auguste. Vers le même temps, Jacques de Vitry écrivait qu'un diamant trouvé dans l'Inde attirait le fer, et il ajoutait : Acus ferrea poslquam adamantem contigerit, ad stellam septentrionalem semper. convertitur, undè valdè necessaria est navigantibus in mari. L'aimant est aussi qualifié diamant par Vincent de Beauvais, qui en connaît pareillement la propriété et l'usage nautique. A ces témoignages se joint un passage de Brunetto Latini, ainsi -conçu : « Prenez une pierre d'jamant, ce est calamite, vous trouverez « qu'elle a deux faces dont l'une gist vers l'une Tramontaine, « et l'autre gist vers l'autre. » Voilà donc la connaissance de l'aiguille aimantée bien établie au treizième siècle; et, pour la reporter au douzième, il faut prétendre que la Bible Guyot a été composée avant l'année 1200, ce qui nous paraît peu vraisemblable. Mais une opinion beaucoup moins admissible encore est celle qui retarde cette découverte jusqu'au commencement du quatorzième siècle, pour en faire honneur à Flavio Gioja d'Amalfi, ou à Pierre Pèlerin, qui l'ont seulement perfectionnée. Tous les textes que nous venons de rappeler réfutent cette opinion, qui n'est appuyée que sur ce que la ville d'Amalfi avait pour armoirie une boussole, circonstance qui montre seulement qu'au quatorzième siècle, peut-être même seulement au quinzième, les Amalfitains ont voulu accréditer par un emblème une prétention locale, dénuée, comme tant d'autres, de tout fondement réel. A notre avis, la fleur de lys qui orne la boussole ne prouve pas davantage en faveur des Français : car on ne sait pas du tout à quelle époque cet ornement s'est attaché à la boussole; il paraît qu'au treizième siècle on ne se servait encore que d'un morceau de fer allongé et placé sur l'eau dans une petite nacelle de liége. Or, dans l'absence de tout témoignage écrit, et même de toute tradition, un usage plus ou moins tardif ne saurait attester l'origine d'une découverte ni en indiquer le berceau. Andrès et Tiraboschi attribuent celle-ci aux Arabes; et si cette hypothèse n'est pas encore établie sur des preuves décisives, elle acquiert au moins quelque commencement de vraisemblance, par l'emploi que font des mots arabes zoron, aphron, pbar, les auteurs du treizième siècle qui décrivent la boussole.
Avant de parler de l'invention des lunettes, qui a tant contribué aux progrès de l'optique et de l'astronomie, il est
XIIIe SIÈCLE.
Mém. de Caylus, Acad. des Inscr., XXI.
Hist. Orient. I.
I, c. 89.
Hist. Orient., I.
I, c. 134.
Trésor, I. I, c.
49.
Tiraboschi, IV, 205-208.
XVI.
Sciences mathématiques.
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à propos de reconnaître plus généralement l'état des sciences mathématiques, tant pures qu'appliquées. Cet examen n'entraînera pas de bien longs détails : car ces connaissances si précieuses étaient les moins avancées de toutes, particulièrement en France, où elles entraient à peine dans l'enseignement public, quoiqu'on les eût autrefois comprises et rassemblées presque toutes sous le titre de Quadrivium.
On continuait néanmoins d'appliquer la science des nombres non-seulement aux usages communs de la vie, mais aussi à la géométrie, à l'astronomie, à la musique, à l'architecture ; une table de Pythagore aidait les calculs. La Rithmomachie d'Alain de Lisle et d'autres productions de ce temps attestent les soins qu'on donnait à l'étude de l'arithmétique.
Saint Edme en enseignait à Paris les élémens vers le commencement du treizième siècle ; et l'on raconte que pour les rendre plus accessibles à ses élèves, il s'appliquait particulièrement à tracer des figures; mais il reçut du ciel l'avis de se consacrer sans réserve à la théologie. L'abus que les astrologues, les métaphysiciens, les théologiens même faisaient du calcul, en l'appliquant à des théories et à des systèmes chimériques, l'avait rendu fort suspect, et provoquait les plaintes de plusieurs prédicateurs, notamment celles de Humbert de Romans, général des frères prêcheurs. Toutefois, au sein même de cet ordre, Albert-le-Grand commenta l'Arithmétique de Boèce ; Pierre de Mura, autre dominicain, fit un long traité de l'Art de calculer; le chartreux Hugues de Miramors rechercha les propriétés du nombre 4; et le franciscain Alexandre de Villedieu essaya d'exposer en vers latins quelques règles d'arithmétique. Un fait bien plus important fut l'introduction des chiffres arabes en Europe. Employés d'abord et dès longtemps par les Indiens; connus des Arabes peut-être sous Aaroun-al-Raschid, au plus tard sous Almamon, ces chiffres n'avaient certainement pas pénétré dans l'Occident avant l'an 1136, et de savoir si une traduction de Ptolémée, écrite sous cette date en Espagne, en présente réellement quelques-uns, c'est ce qu'on n'a point encore assez éclairci. Il n'en subsisterait du moins aucune autre trace dans les monumens européens antérieurs à l'année 1200 : les exemples qu'on citait en Angleterre, attentivement examinés par Ward, n'ont plus offert qu'une notation tout-à-fait distincte de celle des Arabes. Un Anglais, Jean de Basingestokes, rapporta d'Athènes, en 1252, les figures des chiffres grecs, c'est-à-dire la manière d'em-
XIIIe SIÈCLE.
(Arithmétique, géométrie, astronomie, musique.)
Vinc. Bellov.
Spec. Histor. Du Boulay, III, 101.
Biblioth. Patr.
XXV, 631.
Ms. de la Bibliot. du Roi, 4513. — Oudin, III, 50.
Lebeuf, État des Sc., p. g3.
Fabric. Bibl.
med. æv. I, 68.
Costadau,Traité des signes, II, 97.
— Andrès, I, 223225 ; IV, 41-55.
— Kircher, Arithmolog., part. I, c.4.
Observat, sur les écrits des mod., XVIII, 232.
Matth. Paris, p.
559, an. 1252.
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ployer à la numération des lettres de l'aphabet. Mais à l'égard des chiffres devenus vulgaires, Léonard Fibonaci, de Pise, est, selon toute apparence, le premier Européen qui les ai connus; il les rapporta de ses voyages en Orient, et les employa dès 1202, dans un traité intitulé Liber Abaci.
Nous en retrouvons ensuite dans les lettres de Jordano Nemorario, et, pour nous borner à la France, dans le traité de la Sphère qu'écrivit à Paris l'Anglais Sacro-Bosco ou Holywood, et dans l'Algorisme ou Arithmétique qu'un anonyme composa en langue française sous Philippe-le-Hardi, livre où l'usage des chiffres arabes est enseigné pour la multiplication, et même pour l'extraction des racines cu biq ues. En vain donc le P. Harduin, en vain Mabillon et quelques autres savans prétendent que l'emploi de ces chiffres était nul ou extrêmement rare chez les Français avant le quatorzième siècle : les auteurs du Nouveau Traité de diplomatique prouvent et par les deux exemples que nous venons d'indiquer, et par plusieurs autres monumens, que, dès le treizième siècle, ces chiffres furent employés d'abord dans des livres d'arithmétique, de géométrie et d'astronomie; ensuite dans les chroniques, dans les calendriers, dans les dates des manuscrits, et là, par exemple, pour désigner particulièrement les années 1233, 1245, 1292. Il est vrai qu'il faut descendre au-dessous de l'an 1300, pour en trouver sur des tables de pierre, sur les portes et les tours des églises, et dans les épitaphes; il est vrai aussi que les figures de ces chiffres éprouvaient beaucoup de variations ; mais il demeure incontestable que l'usage s'en est établi parmi nous sous le règne de saint Louis et de son successeur. Du reste, ils ne contribuaient pas encore beaucoup à la rapidité et à l'étendue des calculs; toujours était-ce, pour l'arithmétique, un bien grand avantage que d'avoir acquis un tel instrument.
Nous n'avons rien à dire ici de l'algèbre : l'Italien Fibonaci était, à peu près, le seul Européen qui en eût alors puisé quelque teinture chez les Arabes. L'exactitude de cette science, la sévérité de sa méthode, la concision de son langage, la rendaient fort peu attrayante aux yeux des scholastiques. Mais Roger Bacon, dont le génie embrassait tous les genres de connaissances, paraît avoir étudié les livres de Diophante et des autres analystes grecs. L'Italie, à cette époque, fournit un commentaire sur Euclide, par Campanus de Novare, l'un des protégés d'Urbain IV. On était moins
XIIIe SIÈCLE.
Tirab., IV, 177, 178.
Targ. Tozzetti, Relaz. d'alcuni viaggi, II, 58-68.
Cod. lat. Bibl.
S. Marci, 141.
Biblioth. de Sainte - Genev., cod. mss. BB 2, in-4°
III, 526-537.
Audras, Mém.
sur l'état des Sc.
chez les Arabes.
- Tirab., IV, 178.
Venet., 1472, fol.
Basil., 1558, fol.
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avancé en France, nos prédécesseurs ont même dit que la géométrie y était totalement négligée; on y semblait confondre cette science avec l'art des architectes : c'est du moins ce que nous pourrions conclure de quelques passages de la Chronique de Lambert d'Ardres. Cependant Hugues de Saint-Victor avait parlé de planimétrie et d'altimétrie; Pierre de Blois s'était plaint de l'usage qui s'introduisait de raisonner sur le point, la ligne et sur la surface, avant d'avoir bien appris la grammaire; Alain de Lisle définit la ligne droite, la courbe, la circonflexè, le triangle, le tétragone, etc. Il dit qu'on se servait d'une ligne de plomb longue et pliante, pour tracer ces figures, et que les maîtres expliquaient les élémens d'Euclide. Il existe à la Bibliothèque de Sainte-Géneviève deux manuscrits de géométrie composés en langue française, du temps de saint Louis, et où les triangles, les quarrés, les cercles, les figures les plus simples, sont toutes en or. Enfin, il fallait bien que les premiers élémens de cette science, quoique fort peu enseignés dans les écoles françaises, fussent devenus familiers aux auteurs qui s'occupaient de mécanique, d'optique et d'astronomie.
S'il était vrai qu'Albert-le-Grand eût fabriqué une tête parlante, ou du moins un automate à figure humaine, qui allait ouvrir sa porte quand on y frappait, et qui proférait quelques sons pour répondre à ceux qui entraient; si Roger Bacon avait fait des miroirs ardens, un pigeon volant, des statues parlantes, il serait impossible de ne pas concevoir une assez haute idée de l'état où se trouvait alors la mécanique : une pratique déjà si hardie et si heureuse supposerait nécessairement quelque théorie. Or les savans qui jusqu'à nos jours ont approfondi ou esquissé l'histoire des mathématiques, ont tous, y compris M. Bossut, répété ces faits sans trop les révoquer en doute. Ni Albert ni Bacon n'appartiennent assez à la France, pour qu'il y ait lieu d'entamer ici un examen plus mûr des récits et des traditions qui concernent les machines sorties de leurs mains. Nous dirons seulement qu'ils n'ont laissé, non plus que Némorarius ni un seul autre de leurs contemporains, aucun traité où les principes de la statique et de la dynamique soient méthodiquement établis et enchaînés.
L'optique était cultivée par Peccamus, et beaucoup mieux par Vitellion. Celui-ci, transplanté d'Allemagne en Italie,
XIIIe SIÈCLE.
— Huet, de Claris Interpr., 227,
Lamb., c. 46142.
Hug. Erud. didasc., I. I, c. 8 ; I. II, c. 14.
P. Bles. epist.
103.
Anti - Claud., 1.
III, c. 6 et 7.
- Mss. BB. 2.
Hist. des Mathém., I, 244.
Montucla, H.
des Math., I, 421.
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étendit les notions qu'il avait puisées dans l'optique d'Alhasen; il reconnut le premier l'influence combinée de la réflexion et de la réfraction dans la formation de l'arc-en-ciel. Il s'occupa des parhélies et des parasélènes, et en donna de premières explications fort remarquables à une telle époque, bien qu'elles n'aient pas toute la précision possible. Roger Bacon, qu'il faut nommer sans cesse dans l'histoire des sciences, avait lu l'Optique de Ptolémée, ouvrage aujourd'hui perdu ; il en cite le cinquième livre. De lui-même, Bacon avait observé les effets de la lumière, tant lorsqu'elle est réfléchie sur une surface polie, plane ou concave, que lorsqu'elle traverse un verre convexe. On lui doit la première idée de la chambre obscure, et peut-être aussi des lunettes et des télescopes; il disait, du moins, que par le moyen des verres convexes, on pourrait faire descendre, en apparence, le soleil et la lune, et qu'avec un instrument de cette espèce, Jules César avait pu, des rivages de la Gaule, apercevoir les ports et les villes maritimes de l'Angleterre. Il conçut, en un mot, que l'interposition d'un milieu dense et sphérique amplifierait les images. Nous devons avouer qu'il proposa seulement d'appliquer un fragment sphérique sur les objets qu'on voulait mieux voir, et qu'il y a loin encore de cette idée à celle d'un verre rapproché de l'œil même. Voilà pourquoi Smith, son compatriote, lui a refusé l'invention des lunettes, que les autres Anglais se plaisaient à lui attribuer. Les Italiens la revendiquent pour Alessandro da Spina, ou plutôt pour Sabino degli Armati, dont l'épitaphe, datée de 1317, porte, inventore degli occhiali. L'unique point que nous ayons à fixer ici, c'est que cette découverte est antérieuree à l'année 1300. Or, non-seulement Gordon et Chauliac en parlent en des écrits composés dès le commencement du quatorzième siècle, mais Redi possédait un manuscrit dont l'auteur se plaignait, en 1299, de ne pouvoir plus lire ni écrire sans le secours des lunettes imaginées pour les vieillards; et le dictionnaire de la Crusca cite un sermon prêché en 1305, où il est dit qu'il y avait à peine vingt ans qu'elles étaient inventées.
Nous n'aurions guère encore que des noms étrangers à citer, s'il nous fallait tracer le tableau des progrès de l'astronomie entre les années 1200 et 1300. Ce fut en ce siècle que Holagu-Ilecou-kan, conquérant de la Perse, fit construire un observatoire, et créa une sorte d'académie, dont le chef,
XIIIe SIÈCLE.
Opus maj., 357.
Traité d'optique, traduit par Pézenas, I, 57.
Manni, Tratt.
degli occhiali da naso, 64.- Tirab., IV, 196-199.
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Nassir-Eddin, composa une théorie des mouvemens célestes, un traité de l'astrolabe, et des tables qu'il appela ilécaliques, du nom de son protecteur. A la Chine, l'empereur Kobilaï, frère de Holagu-Ilecou, et fondateur de la dynastie des Yven, encourageait Cocheou-King et plusieurs autres observateurs attentifs des hauteurs solsticiales, des éclipses, des occultations d'étoiles par la lune, et des positions dé chaque planète.
Les Arabes continuaient d'étudier cette science, traduisaient l'Almageste de Ptolémée, essayaient de mesurer la terre, et donnaient des noms à divers instrumens qu'ils avaient ou inventés ou découverts dans les écrits des Grecs. En Italie, Campanus de Novare composait un traité de la sphère, et dans une théorie des planètes, il exposait les notions établies chez les anciens, et les corrections que les Arabes y avaient faites. Gérard de Sabionetta, confondu mal-à-propos, par M. Bossut, avec Gérard de Crémone, qui mourut en 1187, se livrait, du temps de l'empereur Frédéric II, à des travaux du même genre, mais en y mêlant, comme tous les astronomes de cet âge, des superstitions et des prédictions astrologiques. Ce travers contribuait à donner de la vogue aux écrits et aux discours du Florentin Guido Bonati, qui, vers 1260, jouissait d'une très-grande célébrité, Le goût de l'astrologie égarait alors les princes les plus zélés pour le progrès des sciences, tels qu'Ezzelino da Romano en Italie, Frédéric II en Allemague, Alfonse X en Espagne. Toutefois Fré■ déric faisait traduire l'Almageste en latin, et Alfonse rédiger les tables qui portent son nom. Entre les juifs, les chrétiens et les Arabes concurremment employés à la rédaction de ces tables, on distinguait le Juif Issac Habensid-Hazan ; il y avait eu la plus grande part, et y avait d'abord mêlé. dit Bailly, des rêveries cabalistiques et des erreurs de calcul.
qui furent rectifiées sous le règne même d'Alfonse. On sait d'ailleurs que ce prince, en considérant la complication des cercles imaginés par Ptolémée et par les Arabes pour expliquer les mouvemens des astres, disait que s'il eût été appelé au conseil du Créateur, il lui aurait donné des avis plus raisonnables; mot impie, ajoute Bailly, dont l'astronomie a depuis vengé la Divinité, en dévoilant la belle simplicité de la machine céleste. Mais ces détails ne tiennent à l'Histoire littéraire de la France que par le fruit que les Français commençaient à tirer de ces travaux étrangers. Malheureusement, c'étaient encore des Allemands, des Italiens, des
XIIIe SIÈCLE.
Précis de l'H.
de l'astron., par M. de la Place, 61.
Ibid., 63, 64.
Hist. des Mathéem., I, 243. Tirab., IV, 192194.
Mazzuch. v. II, p. III, p. 1559- 1562.
Tirab., IV, 179- 182.
Delambre, H.
de l'astron. du moyen âge, 248.
Hist. de l'astr., 299, 300.
Ibid , 299.
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Polonais, des Anglais, Albert-le-Grand, saint Thomas d'Aquin, Franco de Polonis, Robert-Grosse-Tête, Sacro-Bosco, Roger Bacon, qui s'occupaient le plus en France d'études astronomiques. En parlant de ce qu'Albert a écrit sur la sphère et sur les astres, Bailly ne craint pas de traiter de compilations toutes les œuvres de ce laborieux auteur. Nous ne retrouvons plus parmi celles de saint Thomas le traité sur l'usage de l'astrologie que lui attribuait Nicolas Triveth. Un livre composé à Paris, par Franco de Polonis, est resté manuscrit, et nous n'en connaissons que le titre : « Turketi Tractatus « qui dicitur Horison, sive de partibus instrumenti astrono« mici qui dicitur Turketus. ». Robert-Grosse-Tête, évêque de Lincoln, élève de l'université parisienne, a laissé des traités de la sphère et du calendrier; mais il est plus fameux par ses opinions théologiques et par les anathêmes que lança contre lui Innocent IV. La traduction latine de l'Almageste et les autres travaux des astronomes d'Espagne furent extrêmement utiles à Sacro-Bosco, qui fit en France ses traités du calendrier, de l'astrolabe et de la sphère. Ce dernier a eu long-temps une très-grande vogue; il a contribué, plus qu'aucun autre livre, à répandre les premières notions d'astronomie apparente, depuis le milieu du treizième siècle jusqu'au commencement du seizième. Il a été imprimé plusieurs fois, et le jésuite Clavius l'a commenté. On dut enfin à Roger Bacon non pas un meilleur ensemble des connaissances astronomiques, mais des observations judicieuses sur la réfraction et sur la grandeur apparente des corps célestes. Il s'aperçut d'ailleurs que leséquinoxes et les solstices ne correspondaient plus aux jours qui leur étaient assignés dans l'année civile, et proposa au pape Clément IV une réforme du calendrier Julien, pareille à celle qu'opéra, trois cents ans plus tard, Grégoire XIII. Il s'en fallait pourtant que Bacon fût pleinement détrompé des illusions astrologiques : seulement il rejetait les prédictions particulières, et voulait qu'on s'en tînt aux prédictions générales, fondées, selon lui, sur ce que le corps humain étant affecté par les causes extérieures, et soumis aux influences célestes, l'âme est sinon forcée, du moins portée, induite, excitée à certains actes, qu'il devient ainsi possible, non de déterminer, mais de prévoir.
Le peu que les chroniqueurs nous apprennent des observations astronomiques de cette époque, dénote beaucoup d'ignorance, Albéric parle des sauts qu'on crut voir faire au
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., 302.
Chron. in Spicil. t. VIII.
Catal. des mss.
de la Bibl. du Roi, IV, 325.
Montfaucon, Bibl. Biblioth., I, 89.
Delambre, H.
de l'astr. du moy.
âge, 241-247.
Op. maj ., 171172, 352.
Ann. 1212.
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soleil en 1212, et de l'altération de la couleur de cet astre en des momens où il n'était point éclipsé. Guillaume le Breton, dans la Continuation de la Chronique de Rigord, rapporte, sous l'année 1222, l'apparition d'une comète à l'occident, et ajoute qu'elle présageait la mort de PhilippeAuguste et l'affaiblissement du royaume. Il ne faut pas espérer de bien vives lumières des traités de cosmogonie que versifiaient, vers ce temps, Alexandre de Ville dieu, en latin, et Gautier de Metz, en français. L'éclipse de soleil du 29 septembre 1241 fut observée : Mencon, abbé de l'ordre de Prémontré, en parle, et paraît même en con- naître la cause naturelle; mais il ne veut pourtant pas renoncer à la considérer comme un prodige : il pense qu'elle a fort bien pu pronostiquer la mort du pape Grégoire IX ; c'est au reste un point qu'il n'ose pas décider, il en abandonne à Dieu le jugement suprême. Il est dit dans un livre en langue provençale que le soleil passe la nuit à éclairer tantôt le purgatoire et tantôt la mer; que la terre est soutenue par l'eau, l'eau par les pierres, les pierres par les quatre évangélistes, et ceux-ci par le feu spirituel, image des anges et figure des archanges. Quoique un peu moins déraisonnables, des cosmologies latines, composées sous Philippe-le-Hardi, comparent l'univers à un œuf: la terre est le jaune; l'eau, le blanc; et l'air, la pellicule; le tout est enveloppé par le feu, qui tient lieu de coque. Une opinion plus remarquable, qui acquérait alors beaucoup de partisans, était celle d'une période de trente-six mille ans, au bout de laquelle tous les corps célestes se retrouvaient dans leurs situations primitives, pour recommencer le cours de leurs révolutions, et ramener la même suite de phénomènes naturels. En réfutant ce système, Humbert de Romans en fait sentir les conséquences : il s'ensuivrait, dit-il, qu'il serait permis de supposer que le monde a déjà duré plusieurs fois trente-six mille ans, ce qui est contraire à la foi. Mais ces hypothèses téméraires faisaient bien moins de progrès que les doctrines astrologiques. L'astrologie n'était pas seulement une superstition du peuple; elle occupait les plus éminens personnages : nous en avons déjà nommé plusieurs, auxquels nous n'ajouterons ici que Bérald de Baux, et Talleyrand de Périgord. Ce dernier, qui fut évêque d'Auxerre, était auteur d'une Fleur des planètes, et engoué jusqu'à la démence de la manie des horoscopes. L'autre, gentilhomme et poète provençal,
XIIIe SIÈCLE.
Script, rer. Fr., XVII, 114.
Hugo, Sacr. An- tiq. Monum., 520.
Les Enseignemens de l'enfant sage, cités par Lebeuf, État des Sc., 193.
Mss. de la Bi- bliot. de SainteGénev. BB. 2.
1
Nostrad., H. des poèt. prov., 86.
Lebeuf, Mém.
d'Aux., I.
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devint tout à fait fou, quand il eut découvert une traduction espagnole ou catalane du Jugement des astres, ouvrage arabe d'Albohazen-Hali.
Entre les sciences physiques et mathématiques, l'astronomie est celle qui peut le plus immédiatement éclairer et diriger les deux genres de connaissances qui servent de préliminaires à l'histoire : la géographie et la chronologie. Une première observation à faire ici sur toutes les études historiques, c'est qu'elles entraient à peine dans le système d'enséignement; on n'en découvre presque aucune trace dans les écoles du treizième siècle, surtout en France; et nous pourrions ajouter que presque jusqu'à nos jours , ou du moins jusque vers l'an 1700, elles y ont été fort peu cultivées, quoiqu'elles soient en elles-mêmes plus accessibles et plus utiles que beaucoup d'autres. Cependant, ce qui se répandit de notions mathématiques avant l'année 1300, le cours des évènements publics et certains travaux particuliers contribuèrent à étendre la connaissance du globe, et à perpétuer l'étude des temps et des faits.
Les Arabes ont encore été, pour la géographie, les premiers maîtres des Européens de cet âge. Abulféda, qui mourut en 1332, après avoir rendu à cette science les plus importants services , et renouvelé surtout la géographie de l'Asie, Abulféda cite près de soixante géographes orientaux, dont plusieurs appartiennent au treizième siècle, et se placent entre l'Édrisi, qui, à la fin du précédent, décrivait la terre, et NassirEddim, qui, vers l'an 1300, composait une table qui est restée célèbre. On doit distinguer particulièrement dans cet intervalle la Perle merveilleuse d'Ibn-al-Ouardi., livre de géographie physique, composé en 1232, et où abondent les détails d'histoire naturelle sur l'Afrique, l'Arabie et la Syrie. En un mot, c'est par les Orientaux que les connaissances géographiques des Grecs, et singulièrement de Ptolémée, si altérées dans les écrits de Dicuil et de l'anonyme de Ravenne, ont été transmises aux peuples de l'Occcident. En France, jusqu'à la mort de Philippe-Auguste, la plupart des hommes de lettres se figuraient que la terre était quarrée, quoique Alain de Lisle l'eût déclarée ronde. Pour nous, disait Gervais de Tilbury, nous plaçons le monde quarré au milieu des mers.
Plusieurs ne distinguaient que deux parties de la terre, l'Asie et l'Europe dans laquelle ils renfermaient l'Afrique.
D'ailleurs, on composait fort peu de manuels de géographie,
XIIIe SIÈCLE.
XVII.
Géographie et Voyages.
Andrès, III, 444453.
In Anti-Cl. Et teretem mundi describere forVtam.
L. II, c. 2.
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les écoles n'en faisaient pas usage. Nous ne connaissons que par la mention qu'en fait Albéric de Trois-Fontaines le traité de Mundi regionibus, composé par Guy de Bazoche, qui mourut en 1203, chantre de l'église de Châlons-surMarne. Richard de Fournival, chancelier de l'Église d'Amiens, ne possédait, dans une bibliothèque qui passait pour riche, qu'un seul livre de géographie, savoir le Cosmographe de Bernard Silvester. Mais nous avons déjà nommé, et nous retrouverons parmi les poètes, Gautier de Metz, qui, en 1245, tracait en vers francais l'image du monde. C'est un amas de descriptions plus ou moins merveilleuses : il y est question de l'île de Méroès, qui a six mois de jour et six mois de nuit; de l'île perdue, que retrouva saint Brendam, et de l'Irlande, où l'auteur ne manque pas de placer le purgatoire de saint Patrice. Bernard Guidonis, qui vécut plus tard, sous le règne de Philippe-le-Bel, se trompe grossièrement, même en décrivant les Gaules. La Chronique de saint Marien d'Auxerre, ouvrage d'un religieux de l'ordre de Prémontré, commence par une description des trois parties du globe : on y voit, au centre de l'Asie, le paradis terrestre, d'où jaillissent les quatre grands fleuves, le Nil, le Gange, le Tigre et l'Euphrate, qui, après être rentrés sous terre, en ressortent sur d'autres points.
On parcourt la Judée, la Syrie, la Scythie, l'Arménie, l'Égypte ; où l'Égypte finit, l'Afrique apparaît, mais l'auteur n'en connaît que les côtes septentrionales. Il parle ensuite de l'Italie, de l'Espagne, de la France, et des rois de ce dernier pays jusqu'à l'éloquent et docte Philippe-Auguste.
Il place l'Hibernie entre l'Espagne et la Bretagne, et termine l'Europe au nord par la grande île Scanzia. Cet abrégé peut donner une idée de l'état des études géographiques en ce siècle-; mais ce serait bien plutôt encore dans l'ouvrage de Vincent de Beauvais qu'il conviendrait de chercher le tableau des contrées terrestres alors connues : non sans doute que ce tableau soit complet ni exact; il est par trop succinct, il représente mal la terre, mais il retrace fidèlement la géographie du moyen âge. Vincent s'applique et réussit à mettre en ordre les notions dispersées dans les Origines d'Isidore de Séville, et supplée, autant qu'il peut, à ce qu'elles ne contiennent pas. Il offre ainsi une nomenclature systématique des régions asiatiques, africaines, européennes, qu'il suppose avoir été distribuées entre les trois fils de Noé : il les divise et soudivise avec méthode, sans indiquer pourtant d'une ma-
XIIIe SIÈCLE.
Ann. 1203.
Catal. mss. Eccl.
Ambian.—Lebeuf, État des Sc., 176.
Ibid.
Du Chesn., I, 22.
Trecis., 1608, in-4°.
Specul. Nat. I.
xxx.
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nière précise les positions et les distances. On s'aperçoit, en le lisant, que les croisades ont fait un peu mieux connaître la Grèce, la Syrie, la Palestine; mais Vincent n'a point encore acquis une idée juste de la mer Baltique et des pays septentrionaux.
Il suppose que l'Océan termine l'Europe vers le soixantième degré de latitude, ou n'en sépare que des portions insulaires. Son contemporain Albert-le-Grand est mieux instruit sur ce point : il représente la mer Baltique comme un grand golfe ou sinus que le continent environne. A la vérité, c'est le seul article remarquable dans les notices géographiques qu'Albert rassemble, en commentant les livres d'Aristote sur le monde et sur le ciel; mais cet article est fort important, s'il est vrai qu'Albert soit le premier, comme l'assure Æneas Sylvius, qui ait bien connu ce golfe et les contrées qu'il limite.
Plusieurs savans modernes ont entrepris de débrouiller la géographie du moyen âge. C'est un travail que rendent fort difficile la barbarie, l'obscurité, l'incohérence des textes et des monumens. Il s'agit de rechercher ce qu'ont dit, ce qu'ont voulu dire des chroniqueurs et des légendaires qui, le plus souvent, ne le savaient pas eux-mêmes; de saisir, au milieu de tant de fictions, d'amphibologies et de méprises, des faits positifs et constans; de retrouver enfin dans ces ténèbres les hypothèses géographiques alors accréditées, et le système que présentaient les points du globe connus ou nommés en ce temps-là. Le moindre embarras est d'établir la synonymie des mots, tantôt latins, tantôt vulgaires, em- ployés pour désigner de mêmes lieux; de reconnaître en Europe des établissemens déguisés sous des noms empruntés de la Palestine, comme Béthanie, Josaphat, etc. ; appellations que les Cisterciens, les Chartreux et d'autres religieux se plaisaient à imposer à leurs monastères : ces difficultés, qui n'obscurcissent que certains détails, ne sont ni les plus profondes ni les plus graves. Selon Danville, on divisait l'Europe en cinq parties : l'Espagne, l'Italie, la Bretagne, la France et la Germanie, dans laquelle étaient comprises la Pologne et les autres nations slaves. Des chroniques esclavonnes, saxonnes, suédoises, danoises, découvertes ou publiées depuis Danville, ont étendu cette géographie du moyen âge à quelques autres contrées de l'Europe orientale et septentrionale ; et l'on voit d'ailleurs par les relations des croisés, qu'ils commençaient à visiter avec assez de curiosité, non-
XIIIe SIÈCLE.
Cosmogr.
Chifflet, II, 247.
- Ann. Bened.
VI, 691, etc.
États formés en Europe, du Ve au XIIe siècle.
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seulement l'Égypte et la Palestine, mais plusieurs autres portions des côtes africaines et asiatiques de la Méditerranée.
Les Génois, les Pisans, les Vénitiens, en général les Italiens , étaient alors les plus hardis et les plus habiles navigateurs.
C'était sur des navires italiens que les croisés français passaient en Orient et revenaient en Europe. Nous voyons saint Louis dépêcher, en 1249, des côtes de Saint-Jean-d'Acre, un petit bâtiment avec ordre de louer tout ce qu'on pourrait trouver de vaisseaux. Après 1261, les Génois, qui avaient contribué à rétablir les Grecs sur le trône de Constantinople, obtinrent plus de facilités pour leur commerce, et l'Égypte se r'ouvrit aux chrétiens. Les croisades avaient donné l'habitude et inspiré le goût des voyages lointains : ce goût, s'alliant au zèle apostolique, entraînait des religieux dans la Tartarie, dans l'Inde; et il en résulta plusieurs relations qui méritent d'occuper une place dans l'histoire des progrès de la géographie.
Émon, abbé de Werum, au pays de Groningue, a rédigé une chronique qui, sous l'année 1217, et à l'occasion d'une croisade en Palestine, contient les détails et presque le journal du voyage entier, la description de toutes les contrées traversées par les croisés, depuis les Pays-Bas jusqu'à la Terre-Sainte. De pareils détails se rencontrent dans la seconde partie des Annales de Roger de Hoveden. On avait aussi des mémoires particuliers sur l'Arménie, sur la Tartarie, sur les Indes, rédigés par divers voyageurs ; par un nommé Marc, dont parle Jean d'Ipres, par des missionnaires de l'ordre de saint Dominique. Nous avons perdu le Voyage d'André Lucimel qui, en 1245, alla prêcher le christanisme chez les Mogols; mais les récits d'Ascelin, de Plancarpin, de Rubruquis et de Marco-Polo subsistent, et sont comptés au nombre des plus curieux monumens du siècle qui nous occupe. De ces personnages, les deux premiers étaient des moines mendians, qu'Innocent IV envoya en 1246 et 1247 vers les khans tartares et mogols, pour les convertir. Ascelin, en cinquante-neuf jours, traversa la Syrie, la Mésopotamie, la Perse, et se rendit sur la rive orientale de la mer Caspienne ; il n'a presque rien écrit sur les pays qu'il a traversés, et n'a même rendu qu'un compte assez succinct de son séjour chez les Mogols : voilà du moins à quoi se réduit pour nous sa relation, qui ne nous est pas parvenue entière; ce que nous en avons, nous a été transmis par Vincent de Beauvais,
XIIIe SIÈCLE.
Hugo, S. antiq.
monum. I, 409504.
Script. rer.
Franc. XVII, 547.
- Duchesne, Script.
rer. Fr. V, 348 - Dachery , Spicil.
t. VII. - Du Bouiay, Hist. Univ.
Paris. III, 159.
Rec. de voy.
publ. par Bergeron, 1735, 2 vol.
in-4°.
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qui le tenait de Simon de Saint - Quentin, compagnon d'Ascelin. Le voyage de Jean de Piano Carpini dura six mois; et il en existe deux récits, l'un complet, l'autre abrégé.
Le premier contient des détails sur l'histoire et les mœurs des Mogols et de quelques autres peuples; on y peut recueillir aussi des renseignemens géographiques et topographiques. Le voyageur traverse la Bohême, la Silésie, la Pologne, pour se rendre à Kiow ; il donne aux quatre grands fleuves de la Russie les noms, auparavant peu connus de Dnieper, Don, Jaïk et Volga. Après avoir passé par la Cumanie, il visite le pays des Naymans, le Kitai Noir ou Carakitai, et plusieurs peuplades du Caucase. C'est à SyraOrda ou la Horde Dorée qu'il s'arrête; c'est là qu'il obtient du grand khan une audience dont il ne paraît pas que les résultats aient été bien mémorables.
Le bruit se répandait néanmoins que le grand khan des Mogols avait embrassé la religion chrétienne : à cette nouvelle, et par ordre de saint Louis, le cordelier Rubruquis ou Ruisbroeck partit en 1253, accompagné de trois jacobins et de quelques laïcs, et se rendit en Tartarie. On a peine à retrouver, à reconnaître aujourd'hui quelques-uns des lieux dont il parle. Ce qu'il dit de l'antropophagie des Comans et des Thibétains n'obtient plus aucune croyance, et ce n'est pas la seule fable qu'il rapporte sur la foi d'autrui. De luimême, et quand il raconte ce qu'il a vu, il est véridique, et pour l'ordinaire instructif, même intéressant. Sa relation renferme des particularités curieuses sur les usages des Tartares. Il nous apprend que le khan reconnaissait l'unité de Dieu et méprisait les disputes théologiques; que le luxe s'introduisait déjà sous les tentes de feutre que les Tartares habitaient; que parmi les ouvriers chinois, persans, européens, dont ils mettaient l'industrie à contribution, il rencontra un orfèvre de Paris, nommé Guillaume Boucher, qui avait fourni au khan une quantité considérable de lingots, et fabriqué un arbre d'argent soutenu par quatre lions du même métal. Comme Plancarpin, Rubruquis fait mention du prêtre Jean, de ce prétendu royaume chrétien établi au centre de l'Asie, et transporté plus tard en Afrique, énigme historique sur laquelle on a proposé beaucoup de conjectures qui ne sont pas encore éclaircies. Du reste, Rubruquis donne des détails sur la ville de Caracorum, sur les mœurs, la religion, la langue et l'alphabet des Igours; il recueille,
XIIIe SIÈCLE.
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chez les Mogols, ce qu'ils savent du Cathai, qu'il regarde comme le pays des Sérès : c'est la Chine septentrionale. Ce voyageur a long-temps servi de guide à ceux qui voulaient visiter ou connaître ces contrées lointaines. Il est le premier, au moyen âge, qui ait représenté la mer Caspienne comme un grand lac isolé; on croyait, quoi qu'en eût dit Hérodote, qu'elle s'unissait à la mer du Nord, et l'idée plus juste que Rubruquis en fit prendre est, à cette époque, l'un des plus importans progrès de la géographie.
Il serait permis de considérer comme une production du XIIIe siècle une Histoire des pays orientaux, par Haiton, prince de Gorigos en Cilicie, parent du roi d'Arménie, et qui devint supérieur d'une abbaye de l'ordre de Prémontré, à Poitiers. Cette Histoire, si l'on s'en rapporte aux intitulés, fut d'abord écrite en français, sous la dictée d'Haiton lui-même, par Nicolas Faulcon de Poitiers, qui, en 1307, la traduisit en latin. Nous n'avons plus que cette traduction latine, et une version française faite sur ce latin ; le premier texte français est perdu, et il n'y a pas grand dommage, s'il ne contenait, comme les versions, que des considérations sur la justice et sur l'utilité des croisades, sur le lieu où reposa l'arche de Noé après le déluge, sur les hommes et les femmes qui, au temps de l'auteur, descendaient en droite ligne de chacun des trois rois mages. La meilleure et la plus célèbre des relations de ce genre et de ce siècle est celle où le Vénitien Marco-Polo rend compte des voyages de son père, de son oncle et des siens propres. Si l'on peut lui reprocher, comme à bien d'autres voyageurs, des exagérations, des méprises, des noms estropiés, des positions mal déterminées, il est tellement exact sur un grand nombre de points importans, que les recherches de ses successeurs n'ont souvent fait que confirmer les résultats des siennes : il a créé la géographie moderne de l'Asie; son livre, l'un des premiers essais de la prose italienne, a été traduit en latin, et depuis, dans presque toutes les langues ; mais il est trop étranger à la littérature française, pour que nous ayons le droit de nous y arrêter plus long-temps, et nous ne devons plus ajouter ici que des observations générales sur les voyageurs du moyen âge. Nous dirons donc que le plus souvent ils parcouraient péniblement et périlleusement de vastes déserts, où ils ne trouvaient ni villes ni habitations fixes; qu'il leur fallait de nécessité s'associer à des hordes errantes ; endurer, avec elles, la faim, la soif, et les rigueurs
XIIIe SIÈCLE.
Voss. de Hist.
lat. 1. II, c. 31.
-Fabric. B. med.
lat. I, 34. - La Cr.
du Maine, I, 359360 Hagenoæ, 1529, in-4°. Berolini, 1671, in-4°.
Tirab., IV, 91110.
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des saisons; que, pleins de zèle, mais ignorans et crédules, la plupart des missionnaires de ce temps-là entreprenaient ces longs pélérinages, sans avoir recueilli les relations ni les remarques de leurs prédécesseurs, par conséquent sans aucun moyen d'en remplir les lacunes, ni d'en vérifier les résultats ; que, n'ayant pris sur les lieux mêmes aucune note, ils écrivaient leurs récits de mémoire à leur retour, au risque de confondre les noms, les lieux, les peuples; de prendre même les continens pour des îles, et les îles pour des portions de continent; qu'ils portaient rarement l'exactitude jusqu'à distinguer ce qu'ils avaient vu de leurs propres yeux, de ce qu'ils avaient seulement ouï dire, sûrs de plaire toujours assez à leurs contemporains, en leur offrant des narrations merveilleuses; qu'enfin, les originaux de plusieurs de ces relations sont perdus, en sorte que nous ne les connaissons que par des abrégés, des copies ou des versions plus ou moins infidèles. On peut conclure de ces diverses considérations que, malgré l'utilité de ces voyages, bien qu'ils aient contribué à rectifier et à étendre les notions géographiques, il faut s'attendre néanmoins à rencontrer, dans les livres qui en rendent compte, beaucoup d'articles obscurs, incomplets ou inexacts. Il s'est fait d'ailleurs, durant cet âge, des expéditions importantes, dont il ne subsiste aucune relation circonstanciée : par exemple, Pierre d'Apono atteste, et Pétrarque répète après lui, que les Génois, cherchant une route aux Indes orientales, à travers l'Océan, découvrirent, en 1291, les îles Canaries; et nous n'avons aucun détail sur cette découverte, que certains auteurs modernes croient plus ancienne.
On possédait quelques cartes informes de certaines parties du globe terrestre, et l'on continuait d'en tracer. Il y en avait même de deux espèces : les unes n'étaient que de simples copies de celles de Ptolémée; on insérait dans les autres les nouvelles contrées dont on avait reconnu ou conjecturé l'existence. L'Arabe Ouardi joignit une carte de ce second genre à son Traité de géographie physique. Un dominicain, auteur des Annales de Calmar, en Suède, dit, en 1265, qu'il a décrit le monde sur douze morceaux de parchemin. Des monumens de cette nature et du même temps se conservent à Saint-Pétersbourg, à Vienne, à Paris, à Parme, à Sienne, à Rome, et surtout à Venise. Des cartes, à la vérité bien grossières, accompagnent le poëme de Gautier de Metz, et l'abbé
1 XIIIe SIÈCLE.
Conciliat. 67.
De Vitâ solitariâ, 1. II, s. VI, c. 3.
Foglietta, H.
Gennens, 1. V.
Ortel. Catal.
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Lebeuf a fait connaître celle qui se trouve à la Bibliothèque de Sainte-Géneviève, et qu'il croit faite à la fin du treizième siècle : elle est jointe à une chronique qui finit avec le règne de saint Louis; mais les proportions y sont si mal gardées, et les positions si fautives, qu'elle ne peut servir qu'à montrer quelle était alors l'imperfection des connaissances géographiques. Nous ne voyons d'ailleurs produire aucune carte dans les démêlés qui s'élevaient concernant les limites des diocèses : les différends de cette espèce entre les évêques d'Auxerre et d'Autun, entre celui de Paris et ceux de Chartres et de Beauvais, furent, terminés par arbitrages, et d'après des traditions attestées par des vieillards; aucune sorte de renseignement géographique n'influa sur les décisions.
Quelques princes cependant et quelques auteurs commençaient à s'occuper de la description immédiate de certains pays européens. Le roi de Danemarck, Waldemar II, fit dresser, en 1231, un cadastre ou tableau topographique de son royaume. On entreprit en 1291, par ordre d'Edouard Ier, un tableau détaillé des possessions territoriales du clergé en Angleterre et dans le pays de Galles; tableau qui se conserve manuscrit à Oxford, et dont il n'a été encore publié que des fragmens. Mais on a imprimé les topographies de l'Irlande et de la principauté de Galles, rédigées par Giraud Rarry, ou Giraldus Cambrensis, qui mourut après 1220. La France ne fournit en ce siècle aucun travail, aucun essai de cette espèce. La géographie, purement civile s'y réduisait à des notions inexactes, incomplètes et peu répandues; rien n'y avait pénétré de la géographie physique, à peine ébauchée en Orient par Ouardi : ce qu'il y aurait eu de plus avancé, c'eût été la géographie astronomique, si l'on avait su appliquer au globe terrestre les idées exposées dans quelques traités de la sphère; mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, la sphéricité de la terre était encore ignorée du vulgaire, et méconnue même par la plupart des hommes instruits.
Nous avons parlé du projet formé par Roger Bacon de rétablir la coïncidence du calendrier civil et de l'année solaire : c'est, relativement à la connaissance des temps, l'idée la plus mémorable qu'on ait conçue au treizième siècle. Les traités du calendrier ou du comput, composés par SacroBosco, par Robert Grosse-Tête, par Arnaud de Villeneuve, perpétuaient la doctrine et les usages des siècles précédens.
XIIIe SIÈCLE Acad. des Insc., XVI, 185.
Lebeuf, État des Sc., 179-180.
XVIII.
Chronologie et Histoire.
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L'année commençait à Pâques dans la plupart des provinces de France ; à Noël néanmoins en Bourgogne, à Narbonne, à Foix, comme dans presque toute l'Italie; et au 25 mars à Cahors, à Rhodès, à Tulles, ainsi qu'en Aragon, et en général en Espagne. Les actes où le 1er janvier est considéré comme le premier jour de l'an sont extrêmement rares. On en cite un d'Amiens en 1274. Quelquefois on ajoutait à la date par l'année les mots avant Pâques ou après Pâques : à défaut de ces additions et de l'indication du mois, on est souvent obligé de rapprocher certaines circonstancee pour bien déterminer l'année dont il s'agit, c'est-à-dire pour établir une concordance précise entre les dates exprimées par les auteurs de ce siècle et notre manière actuelle de compter les années. Du reste, ils donnent ordinairement tous les renseignemens nécessaires pour fixer avec exactitude la chronologie des faits contemporains qu'ils racontent.
A l'égard des faits antérieurs, ils ne font aucune recherche nouvelle, ne s'éclairent par aucun nouveau monument, et suivent sans examen, sans défiance, le système de périodes, d'époques et de dates qu'ils trouvent établi. Toutefois les tables alfonsines portent à 6934 ans la durée du monde entre la création et l'ère chrétienne : on sait qu'Eusèbe n'en suppose que 5200. et que depuis, ce nombre a été réduit à 4004. Mais d'assigner à chaque fait le point précis qu'il doit occuper soit dans cet espace, soit dans les premiers siècles chrétiens, c'est une tâche que ne s'imposent point les auteurs du treizième siècle : ils n'ont corrigé aucun des anachronismes de leurs devanciers, et n'ont laissé sur l'histoire ancienne aucun travail qui soit recommandable par l'exactitude ou par l'élégance. C'est le jugement que porte Tiraboschi de ceux mêmes qui écrivaient alors en Italie, où toutes les études profanes avaient fait plus de progrès qu'ailleurs : Quand ils parlent des temps anciens, dit-il, telle est leur confiance dans les traditions les plus absurdes, qu'ils ne veulent pas nous permettre d'en douter; et le style de leurs chroniques est si bizarre, qu'on n'en pourrait pas souffrir la lecture, si l'on ne cherchait à s'amuser d'une crédulité si naïve. Ils n'avaient à leur disposition qu'un fort petit nombre de livres : Ricobalde de Ferrare, l'un des plus habiles d'entre eux, puise dans Tite-Live, Eutrope, Paul diacre, Paul Orose, Rufin, Prosper d'Aquitaine, saint Isidore, et dans la version latine
XIIIe SIÈCLE.
Art de vérifier les dates, 1, dissert. prél., p. inXII. Nouv.- Tr. de diplom., V. 548- 549, 847, 983, etc. ;
VI, 40.
Vaissette, IV, p. VII.
Ducange, I, 205.
IV, 328, etc.
Ibid., 334, etc.
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d'Eusèbe : il ne connaît ni les anciens historiens grecs, ni la plupart des latins; comment saurait-il donc reconnaître les faits et en établir la succession? Selon Tiraboschi, cette simplicité avec laquelle les chroniqueurs du moyen âge re- cueillent des fictions antiques, est un gage de leur sincérité, une raison d'ajouter foi à leurs récits, quand il s'agit d'évé- nements dont ils ont été les témoins. Nous penserions au contraire que l'enthousiasme qui altérait leur raison, pouvait aussi fasciner leurs yeux, et que des hommes si enclins à croire de vieux prodiges, n'étaient que trop capables d'en imaginer et même d'en voir de récens. Quoi qu'il en soit, nous donnerons dans la suite une attention particulière aux écrivains du treizième siècle qui ont rédigé des histoires de leurs temps, et dès ce moment nous allons indiquer ceux qui ont conservé le plus de renommée.
Le premier dans l'ordre des temps où ils ont vécu est Geoffroy de Villehardouin, maréchal de Champagne. Deux circonstances recommandent son Histoire de la conquête de Constantinople par les Français en 1204. D'une part, il raconte ce qu'il a vu, une expédition à laquelle il a eu part, et il en retrace les détails, sinon, dit Ducange, avec une élégance exquise, du moins avec toute la fidélité qu'on peut exiger d'un historien. D'autre part, il écrit en français, et son livre est un des anciens monumens de notre langage.
Toutefois, étant Champenois, et nourri en la cour du comte de Champagne, on peut croire, ainsi que l'a remarqué Pasquier, qu'il a écrit, non en naïf françois, mais en ra- ,mage de son pays. Pour jeter d'avance quelque jour sur ce que nous aurons bientôt à dire du langage vulgaire de ce temps, nous transcrirons ici les premières lignes de Villehardouin. « Sçachiez que mille cent quatre-vingts et dix« huict ans après l'incarnation de nostre seigneur Jésus« Christ, al temps Innocent III, apostoille de Rome, et « Philippe, roy de France, et Richard, roy d'Angleterre, ot « un sainct homme en France, qui ot nom Folque de Nuilly, « cil Nuilliz sy est entre Laigny-sor-Marne et Paris; et il « ere prêtre et tenoit le paroiche de la ville : et cil Folque « dont je vous dy, commença au parler de Diex par France « et par les autres terres, et entre nostre sire fist mains « miracles par luy. Sçachiez que la renommée de cel sainct « homme alla tant qu'elle vint à l'apostoille de Rome, In« nocent III, et l'apostoille envoya un sien cardinal maistre
XIIIe SIÈCLE.
Préf. de l'édit.
de Villeh. 1657, in-fol.
Rech., 1. VIII, c. 3.
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« Perron de Chappes Crôisie, et manda par luy le pardon « tel comme vous diray. Tuit cil qui se croiseroient et feroient « le service Deu un an en l'ost, seroient quittes de tous les Il péchés qu'ils avoient faits. Parce que cil pardon fut issy Il grand, si s'en esmuerent mult li cuers des gens, et mult « s'en croissièrent, por ce le pardon ere si grand. Il D'autres travaux historiques consacrés à un seul canton, à une principauté, à certaines familles, éclairent assez vivement différens points de l'histoire. Telles sont la chronique des comtes d'Ardres et de Guisnes, depuis l'an 800 jusqu'à 1200, composée par Lambert d'Ardres; et celle du monastère d'Andres, rédigée peu d'années après par l'abbé Guillaume, et dans laquelle il est encore question des comtes de Guisnes, ainsi que de ceux de Boulogne et de Flandres. Malheureusement, ces annales particulières portent souvent l'empreinte ou de la flatterie, ou d'une crédulité excessive. Nous voyons, par exemple, dans Lambert d'Ardres, que le comte de Guisnes, Arnold, donnait une pleine croyance aux fables de Roland et d'Olivier. Il convient de se défier encore plus des récits qui concernent les sectes religieuses, surtout de ce qu'a écrit sur les Albigeois, ou plutôt contre eux, Pierre de Vaux-Sernay, quoiqu'il fasse d'ailleurs une relation fort détaillée des guerres et des persécutions qu'ils eurent à soutenir de 1209 à 1218. L'histoire des Albigeois, alors appelés Albijots, fut racontée avec plus de modération et de fidélité par Guillaume de Puy-Laurent, auteur dont la latinité est bien aussi barbare que celle de Pierre de Vaux-Sernay, mais qui nous instruit mieux qu'aucun autre, de ce qui s'est passé en Languedoc entre les années 1170 et 1245.
Pour parler d'histoires moins particulières, nous avons à nommer Rigord, moine de Saint-Denis et médecin, qui prend le titre de chronographe ou historiographe du roi, à la tête de l'ouvrage où il a recueilli les principaux évènemens des vingt-huit premières années du règne de PhilippeAuguste : bien qu'il y ait mêlé, selon l'esprit du temps, beaucoup de visions et de prodiges, cette chronique est recommandable par l'exactitude des dates autant que par l'importance des faits. Elle a été continuée jusqu'en 1223, par Guillaume le Breton, écrivain plus connu par un ouvrage en vers, intitulé la Philippide, poëme historique qui embrasse, en douze livres, tout le règne de Philippe II,
XIIIe SIÈCLE.
Fragmenta, Paris, 1531, in-fol.
Oachery, Spicil., IX, 338.
Trecis, 1515, in-8°. — Du Ches- ne, V. - Bibl.
Patr. cisterc., VII.
Du Chesne, t.
V.
Script. Rer. Fr., XVII, 1-62.
Ibid., 62-117.
1b117-288.
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et qui méritera une mention moins succincte, quand nous traiterons des productions poétiques de cette époque. En commençant son livre en prose, c'est-à-dire, sa continuation des annales de Rigord, Guillaume le Breton prétend exposer l'origine des Francs, et, selon la fiction alors accréditée, il les fait descendre de Francion, fils d'Hector : il est persuadé que la ville de Tours doit son nom à Turnus, dont le corps reposait sous une pyramide voisine de cette ville. Gervais de Cantorbéry rapporte des fables du même genre, et appartient d'ailleurs à l'Angleterre; nous le citons néanmoins parce qu'il a particulièrement rassemblé les traditions relatives à l'histoire ancienne de la Normandie. Matthieu Paris, autre Anglais, est un auteur plus remarquable; son histoire, quelquefois satirique, est souvent instructive : elle contient ce qui s'est passé dans la Grande-Bretagne depuis l'an 1067, époque de l'arrivée de Guillaume-le-Conquérant, jusqu'en 1250. Le surnom de Parisius ou Parisiensis a fait placer Matthieu dans des catalogues d'auteurs français; mais il est tout-à-fait étranger aux annales de notre littérature.
Une seconde liste d'historiens véritablement francais du treizième siècle s'ouvre par le nom de Jacques de Vitry, qui s'est principalement occupé des affaires orientales. Son deuxième livre, qui traite de l'Occident, n'est pas d'un grand intérêt, et l'on a douté de l'authenticité du troisième, qui nous ramène en Orient ; nous aurons à discuter si Jacques de Vitry est véritablement l'auteur de ce dernier livre. Le premier remonte à Mahomet; c'est un recueil précieux des connaissances acquises par les Européens durant les croisades, sur ce qui s'était passé auparavant chez les Orientaux. Plusieurs articles relatifs à ces expéditions sont à distinguer dans la chronique de Senones, écrite par Richer, moine de cette abbaye. C'est lui qui raconte le premier que saint Louis avait résolu de se faire dominicain, et aurait accompli ce projet, si sa femme y avait consenti. Ce livre contient beaucoup d'autres particularités, et surtout l'une des relations les plus détaillées de la bataille de Bouvines : mais la partie de ces annales qui s'applique à des temps antérieurs à la vie de l'auteur, depuis 720 jusqu'en 1180, n'est à peu près d'aucune utilité; ce n'est qu'un monument de plus de la crédulité et du mauvais goût de cet âge. Richer entremêle de fictions l'histoire même de son temps ; il rapporte une apparition de saint Denis à Philippe-Auguste. Une chronique
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, Catal. ad calcem iomi III. Hist.
univ. Parisiensis., p. 5gg.
Duaci, 1597, in-8°. - Inter Gesta Dei per Fr., I.
Voss., de Hist.
Lat., 1. II, c. 57.— Oudin, III, 46.
Dachery, Spicil., VIII, 271.
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plus considérable porte le nom d'Albéric de Trois-Fontaines : elle commence à la création, et se termine en 1240. On la peut considérer comme un recueil d'extraits de la plupart des chroniqueurs précédens, tels que Sigebert, Luitprand, Anselme de Gemblours, Othon de Frisingue, Guy de Basoches, Hélinand, Guillaume de Malmesbury, Baudry, évêque de Dôle, et même le prétendu Turpin, archevêque de Reims.
Il nous restera des difficultés à éclaircir sur le véritable auteur de cette compilation ; mais nous pouvons toujours la désigner comme l'une des plus utiles à consulter sur ce qui concerne la France et les croisades. A bien des égards, on pourrait dire que la meilleure des histoires universelles, composées au moyen âge, est celle qui, sous le nom de Miroir Historial, forme l'une des quatres parties du grand ouvrage de Vincent de Beauvais : c'est aussi un tissu d'extraits ; mais le fond en est plus riche, les formes en sont moins arides.
On y rencontre de nombreux fragmens de livres perdus, et l'on y peut envisager, beaucoup mieux qu'ailleurs, l'ensemble et l'enchaînement de tout ce qui existait au treizième siècle de connaissances historiques. Elles étaient puisées à des sources si diverses et si défectueuses, si mélangées, et, en quelque sorte, si intermittentes, que nous ne devons pas être étonnés de trouver les récits de Vincent parsemés de contes et d'anachronismes. La plupart des monumens antiques lui étaient inconnus, et l'art de rapprocher ceux dont il pouvait disposer, lui manquait davantage encore. Il savait mieux recueillir qu'apprécier les traditions, les relations, les témoignages; et tel était le goût de ses contemporains et le sien propre, qu'il eût cru faire un ouvrage incomplet et décoloré, s'il ne l'eût enrichi de toutes les merveilles dont brillaient les légendes et les chroniques fabuleuses. Du reste, il n'est point à confondre dans la foule des compilateurs de cet âge; l'étendue de son plan et la clarté de son style l'en distinguent. Un de ses contemporains, Philippe Mouskes, a écrit l'histoire de France en vers français, et n'a réellement mérité de place que parmi les poètes ou les romanciers : après avoir raconté l'enlèvement d'Hélène et le siège de Troie, il suit dans les Gaules ce Francion ou Francus, fils d'Hector, duquel il fallait absolument que les Francs descendissent; se met ensuite à rimer tous les autres contes imaginés sur Pharamond, sur Pépin, sur la reine Berthe, sur Charlemagne et ses chevaliers; et n'est
XlIIe SIÈCLE.
Leibnitz, Access. historié., Il. Lips. 1698, in-40.
V. Menagiana, III, 158.
Ms. - Extr. publ. par Ducang.
Hist. de C. P.
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plus enfin qu'un fastidieux versificateur, lorsqu'à défaut de fables inventées par ses devanciers, il est réduit à rapporter des faits,, et à traduire des chroniques arides.
Deux autres historiens, Guillaume de Nangis et Joinville, n'ont terminé leur carrière que sous les successeurs de Philippe III. Religieux de Saint-Denis, Guillaume de Nangis est auteur d'une grande chronique depuis Adam jusqu'à la fin du treizième siècle; mais on n'en a publié que la dernière partie, celle qui commence à l'an 1113, attendu que ce qui précède n'est guère qu'une copie de Sigebert. On peut même dire que jusqu'à l'avènement de saint Louis, presque tout est puisé dans les chroniques antérieures. Le tableau des règnes de Louis IX et de Philippe III aurait plus d'intérêt dans cette chronique, si Guillaume n'avait, dans ses autres écrits, traité plus amplement cette matière. Nous avons de lui, en latin, des vies de saint Louis et de Philippe-le-Hardi, qu'il faut compter au nombre des monumens originaux de l'histoire de ces deux règnes. Il n'a toutefois rédigé la première qu'en profitant des travaux de deux autres historiens contemporains, Gilon de Reims, son confrère à SaintDenis, et Godefroy de Beaulieu, frère prêcheur, qui avait été, durant vingt ans, le confesseur de Louis IX. L'ouvrage de ce dominicain nous est resté; celui de Gilon n'avait point été achevé, et ne subsiste que dans le livre de Guillaume de Nangis, qui sans doute copie les relations et les expressions de Gilon, comme nous voyons qu'il transcrit celles de Godefroy de Beaulieu. Il n'en résulte, à vrai dire, qu'un ouvrage dénué d'élégance et souvent aussi de clarté, mais où l'on distingue des articles fort instructifs et fort exacts, particulièrement ceux qui ont pour objet la guerre de Simon de Montfort contre le roi d'Angleterre. La vie de Philippe III appartient plus en propre à Guillaume de Nangis. Il y parle de ce qui a frappé ses yeux, de ce qu'il sait immédiatement : ses liaisons intimes avec les personnes qui prenaient alors le plus de part aux affaires du royaume, l'avaient mis à portée d'en connaître et d'en éclaircir les détails. A l'égard des faits anciens, il est aussi crédule qu'aucun des historiens que nous avons nommés avant lui; il l'est à tel point qu'il ne doute pas que Jean des Temps n'ait vécu depuis Charlemagne jusqu'à l'an n3g, c'est-à-dire, au moins trois cent vingt-cinq ans.
Guillaume de Nangis avait traduit lui-même en français
XIIIe SIÈCLE.
Ab ann. 1112, in Spicil., XI, 405.
Mém. de Se-Palaye sur Guill.
de Nang. Acad.
des Inscr., VIII, 56o.
Du Ch., Script.
rer., Fr. V, 326.
Du Ch. V, 444.
Bolland. 25 aug.
Du Ch., V, 516.
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au moins une partie de ses propres ouvrages ; cette version est restée manuscrite. Pour Joinville, il n'a écrit qu'en langue vulgaire, et il est le plus renommé des historiens de saint Louis; mais il pourrait n'être point compris parmi les auteurs du XIIIe siècle, puisque, selon toute apparence, il n'a entrepris ses mémoires qu'au commencement du XIVe, et n'est mort qu'en 1317. Toutefois, il a vu de si près le héros qu'il célèbre et les faits qu'il raconte, que nous ne pouvons nous dispenser de faire ici mention de son livre, ne fût-ce que pour rendre hommage à la franchise et à la naïveté qui le caractérisent. Cette histoire est devenue beaucoup plus précieuse aux hommes de lettres, depuis qu'on en a publié le véritable texte, ou une copie moins altérée. Elle était du nombre de celles qu'on avait vues, dit Pasquier, « diversifiées en autant de langages, comme il y « avait eu diversité de temps; car les copistes copiaient les bons « livres, non selon la naïfve langue de l'auteur, ains selon la Il leur. » On n'a imprimé au XVIe et au XVIIe siècle que des versions de Joinville composées à différentes époques; et ce n'est que depuis 1761 qu'il est permis de rechercher dans son livre quel était, au temps de Philippe IV et de ses fils, l'état de la langue et de la prose française. C'est en même temps un monument historique de la plus haute importance, où abondent les détails et sur la vie privée de saint Louis, et sur ses expéditions en Orient. La vie de ce prince a été aussi écrite en français par le confesseur de la reine Marguerite, son épouse.
L'abbé Lebeuf a fait connaître une chronique anonyme, en vers français, qui s'étend de l'an 1214 à l'an 1296, époque qui semble être celle où fut composé ce poëme bien aride et bien barbare. Il doit d'autant moins nous arrêter ici, que nous serons obligés d'y revenir dans l'article que nous consacrerons bientôt aux poètes ou aux versificateurs.
Disons seulement que les dates n'y sont pas toujours bien exactes, et que les détails historiques y sont à peine indiqués. Un corps d'ouvrage d'une toute autre importance est désigné par le nom de grandes chroniques de France ou chroniques de Saint-Denis. Dès le temps de Charlemagne, on trouve les religieux de ce monastère occupés de travaux historiques, et ils n'avaient pas discontinué de s'y livrer, quand Suger conçut la pensée de former un recueil méthodique où toutes les chroniques rédigées avant le douzième siècle fussent enchaînées, fondues en un seul corps, et continuées par l'histoire de chaque nouveau règne. Les textes
XIIIe SIÈCLE.
Biblioth. du Roi, n° 191.
Paris, 1761, in-fol.
Rech., 1. VIII, c. 3.
Mém. de la Bastie, Acad. des Inscr., XV, 696- 736. Dissert sur l'Hist. de Paris, 1. CXLIII-CLVI.
Mém. de S'-Pa- laye, Acad. des Inscr., XV, 58o.
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originaux qui se rassemblaient ainsi étaient en latin, jusque vers 1270, époque où, pour en étendre l'usage, on s'avisa de les traduire en français. C'est à cette version modifiée et prolongée dans le cours des deux siècles suivans que s'appliquent les noms de chroniques de Saint-Denis ou de grandes chroniques de France. En ce qui concerne les règnes de Philippe-Auguste , de Louis VIII, Louis IX et Philippele-Hardi, les chroniques françaises de Saint-Denis ne sont à peu près que des traductions de livres que nous avons déjà indiqués, principalement de ceux de Rigord, de Guillaume le Breton et de Guillaume de Nangis; et ce dernier paraît avoir été le traducteur non-seulement de ses propres écrits, mais aussi de ceux de quelques-uns de ses devanciers. Voilà comment s'est formée une collection qui a servi de premier fond à toutes les histoires de France composées par des auteurs modernes depuis la fin du quinzième siècle. Sans doute elle a introduit, dans nos annales, un grand nombre de fables puériles, ainsi que le père Le Long l'a remarqué; mais elle n'en est pas moins un dépôt précieux d'anciennes traditions et de relations originales. Longtemps les connaissances historiques ne se sont perpétuées que par des transcriptions et des continuations de ce recueil ; et le soin même qu'on prenait, en le copiant, d'en renouveler le langage, ce soin dont nous nous plaignons aujourd'hui, parce qu'il nous rend plus difficiles les recherches relatives au premier état de notre langue, avait pour but et pour effet de rendre plus accessibles, à chaque époque, les sources primitives de ce genre d'instruction.
Nous ne pouvons faire ici qu'une mention générale d'une classe d'opuscules historiques, qui s'est fort multipliée durant le treizième siècle, quoique un peu moins peut-être que dans le cours du précédent : ce sont les légendes ou vies de saints et de saintes. On sent bien qu'elles ont dû se remplir, se surcharger de prodiges, étant composées dans un siècle qui a produit la plus énorme compilation d'histoires miraculeuses, la Légende dorée de Jacques de Vorages. Le succès rapide de ce recueil pourrait sembler miraculeux lui-même, si l'on ne s'était pas formé une idée de l'enthousiasme religieux,, de la piété naïve et de l'ignorance extrême de ce temps-là.
L'esprit humain trouvait alors des charmes dans ces fictions édifiantes dont il ne sent plus aujourd'hui que la grossière absurdité; mais dont il avait peut-être besoin pour se ra-
XIIIe SIÈCLE.
Bibl. Histor. de la France, Il, 43.
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nimer, s'exalter, et se rendre par degrés capable de productions plus heureuses et de plus véritables études. Parmi les biographes ou légendaires particuliers, Thomas de Cantirppré est l'un de ceux que l'on distingue : ce n'est pas que les fables qu'il débite soient ingénieuses, ni qu'il les ait imaginées ; il ne fait que les transmettre : mais il nous montre sur quelle aveugle crédulité avaient pu compter les inventeurs. On commençait néanmoins à soumettre à quelque critique certains monumens historiques. Les Cisterciens s'étaient aperçus qu'il y avait des falsificateurs de sceaux et de chartes; on songeait à punir les auteurs de ces fraudes, au moins lorsqu'elles n'étaient pas pieuses; et le pape Innocent III concourut avec Philippe-Auguste à établir les règles pour reconnaître les vrais et les faux titres. Par ces moyens, de prétendues lettres du saint-siège en faveur d'un curé de Lachy, une bulle produite par des moines du diocèse de Metz, des lettres frauduleusement munies du nom et du sceau de Gervais, abbé général de Prémontré, furent déclarées fausses. L'abbé Lebeuf, de qui nous empruntons ces derniers détails, ajoute qu'on devint encore plus clairvoyant sous le règne de saint Louis, et qu'on réprima divers quêteurs qui se répandaient dans le royaume, s'accréditant d'autorisations et d'indulgences mensongères. Les auteurs du nouveau traité de diplomatique ont donné sur ce point de plus amples éclaircissements, que nous nous abstenons de recueillir, parce que nous n'en saurions tirer la preuve d'un véritable progrès de la critique historique proprement dite, pendant le treizième siècle. Il ne s'agissait que de précautions un peu plus rigoureuses qu'auparavant contre des surprises particulières, tandis que de faux titres d'une toute autre importance, puisqu'ils décidaient du sort des empires, conservaient leur fatale autorité.
On ne s'appliquait sérieusement à aucune recherche des choses anciennes, même en réduisant ce terme à ce qui n'avait que deux ou trois cents ans de date. Il est à remarquer pourtant qu'en 1199, on avait, s'il faut en croire Rigord, trouvé dans une terre du Limousin un monument d'or massif, représentant un empereur assis avec sa femme et ses enfans. Quel était cet empereur ? quelles formes offrait ce monument ? C'est de quoi l'historien ne songe point à s'enquérir. Il raconte seulement que Richard, roi d'Angleterre, impatient de s'emparer de ce trésor, à titre de suzerain, assiégea le château du vicomte de Limoges, et y perdit la
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, III, 7 1 1 1. - Seri pt.
Rer. Fr., I, 250.
Mabillon, Diplom., 633.
Martenne, Ampliss.coll.,1, io31.
Ibid., io65.
Hugo, Sacr. antiq. monum.,t. Ill.
— Epist. 125 Gervasii.
État des Sc., 162-163.
VI, 183 et suiv.
Script. rer. Fr., XVII, 5o.
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vie; aucune description, aucune conjecture n'est jointe à ce récit. En 1290, des ouvriers qui creusaient les fondemens d'un édifice, découvrirent à Seaux en Gatinois, près de Château-Landon, un vase rempli de petites médailles. Ces pièces furent, partagées par poids égaux et sans égard à la matière, entre le prévôt de Château-Landon et l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés. Le procès-verbal qui fut dressé de cette découverte et de ce partage, suffirait pour prouver que ces médailles n'excitaient, comme monument antique, aucune sorte de curiosité. Il y a lieu de conjecturer qu'elles étaient de cuivre; il en circulait quelques-unes de ce métal alors appelé. mahon. Les médailles de cuivre ou de bronze sont nommées Quascuels dans un fragment de poésie française, du temps de saint Louis, conservé à la bibliothèque de Sainte-Gèneviève et cité par l'abbé Lebeuf.
Il n'y a donc pas lieu de se former une bien haute idée des connaissances et des travaux historiques du treizième siècle. Reproduire ou même transcrire, à peu près sans examen et sans discernement, les chroniques universelles rédigées dans les âges précédens, les continuer par un simple enregîtrement chronologique des faits contemporains, ou par des récits qui d'ordinaire ne. prennent de développemens qu'en se surchargeaut de détails merveilleux, inexacts, plus ou moins suspects ; dépouiller l'histoire des ornemens qui lui conviennent, et que la vérité souffre ou appelle, c'est-à-dire, de ceux dont jadis l'avait embellie l'art d'écrire : telles étaient les habitudes des chroniqueurs. Nous n'excepterions que Villehardouin, guerrier expérimenté; Joinville, dont la simplicité naïve est une sorte de talent; et avec-eux, s'il le faut, Rigord, Jacques de Vitry, Vincent de Beauvais, Guillaume de Nangis, qui sont quelquefois, sinon des historiens, du moins des annalistes instructifs, des témoins recommandables qu'il est à propos d'entendre. Nous n'ajoutons point Guillaume le Breton, que nous retrouverons mieux placé parmi les poètes. Mais si l'on n'oublie pas que les connaissances historiques n'entraient point alors dans l'enseignement public, et qu'elles étaient fort peu encouragées, on saura gré aux écrivains plus laborieux qu'habiles, dont les efforts particuliers nous les ont transmises, et les ont empêchées de s' interrom pre. Il nous reste à esquisser le tableau des genres d'études auxquels s'applique plus particulièrement le nom de belles-
XIIIe SIÈCLE.
Cartular. Fossatense. — Lebeuf, État des Se., 168-169.
1
BB 2. — Lebeuf, ib.
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lettres : nous y comprendrons la grammaire, la connaissance des langues anciennes, l'état de la langue. vulgaire, l'éloquence ou plus généralement l'art d'écrire en prose, la versification enfin et la poésie.
Nous avons vu Roger Bacon rechercher, dans la troisième partie de son Opus Majus, les rapports du langage avec la pensée, et - même l'influence que les langues, selon leurs différens caractères, peuvent exercer sur les opinions des peuples. Il n'est pas étonnant que ce grand homme se soit élevé à des idées de grammaire universelle; car il avait cultivé les deux genres d'études qui aboutissent à celui-là.
D'une part, il s'était livré à de profondes méditations philosophiques, remontant aux sources de toutes les notions humaines, simples ou complexes, fixes ou variables, vraies ou erronées; de l'autre, il savait plusieurs langues anciennes, avait lu un très grand nombre de livres arabes, hébreux, grecs, latins, et acquis ainsi la faculté de comparer les vocabulaires, les syntaxes, les formes variées et les divers mouvemens du discours. Nul n'aurait été plus propre que lui à donner une forte impulsion et une direction heureuse aux études grammaticales : aucun des grammairiens de profession, ses contemporains, n'avait assurément des conceptions si hautes ni si étendues. Il est vrai qu'en Italie, l'école de Bologne fournirait une longue liste de professeurs de grammaire, entre lesquels Tiraboschi veut qu'on distingue BuonCompagno jusqu'en 1221, et dans le reste du siècle, Ruono de Lucques, Gerard d'Amandola, Bertolluccio, Bena, Bonaccio de Bergame, et Galeotto ou Guidotto. Ils avaient pour émules Arsegnino à Padoue, Gualtero à Naples; l'évêque de Ferrare, Uguccione, auteur d'un dictionnaire long-temps fameux; et le Génois Balbi, autre lexicographe, encore plus renommé. Mais il faut avouer que tout cet enseignement et tous ces travaux n'avaient pour objet que la langue latine, et ne tendaient point du tout à la rétablir dans son antique pureté. En France, c'était aussi à l'étude du latin qu'on donnait le nom de grammaire, et quoique ce latin ne fût guère que celui de l'Église, il paraît que les ecclésiastiques mêmes, tant' séculiers que réguliers, négligeaient souvent cette étude, puisque plusieurs conciles s'en plaignent. Celui de Béziers, en 1234, ordonne de la ranimer dans les monastères; et, lorsqu'en 1286, celui de Mâcon défend aux abbés et aux prieurs de laisser sortir leurs religieux, il excepte ceux qui
XIIIe SIÈCLE.
XIX.
Grammaire, Étude et usages des langues anciennes.
IV, 463-483.
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ont besoin d'aller prendre, hors de leurs couvens, des leçons de grammaire. A Toulouse, le légat du pape et le comte Raymond exigent qu'il y ait en chaque monastère un maître de langue latine, afin de dissiper les ténèbres de l'ignorance devenues trop épaisses dans ces établissemens et dans toute la contrée, quia cœcitas ignoranliœ in partibus istis. nimiùm prœvaluit. A Rouen, l'archevêque Maurice, adressant aux doyens des lettres d'interdit, leur recommande de les expliquer en français aux prêtres, et de répéter cette interprétation deux ou trois fois, s'il est nécessaire, pour que ces lettres soient bien comprises. Matthieu Paris nous apprend qu'en général on désertait les écoles de grammaire pour se' porter en foule à celles de jurisprudence, comme s'il était possible de bien connaître les lois, d'en pénétrer le sens, d'en appliquer avec justesse les dispositions, sans avoir approfondi la théorie du langage qui les exprime ! Cet historien ajoute que l'office de grammairien avait cessé d'être lucratif, quoiqu'il continuât d'être honorable. Il était encore exercé par quelques personnages d'un @ rang distingué. Entre autres exemples, nous voyons qu'Érard de Lésigne, qui devint évêque d'Auxerre, avait, dans sa jeunesse, enseigné les humanités.
Les croisades devaient donner le besoin et fournir les occasions de prendre au moins quelques notions des langues orientales. Les dominicains surtout cultivèrent ce genre d'instruction. Ils comptaient le grec parmi ces langues, et apportaient à les étudier toutes un zèle que ne partageaient pas les religieux des anciens ordres : Humbert de Romans, leur général, les encourageait par ses statuts et par son exemple; il ne négligeait aucun soin pour fonder ou perpétuer dans leurs monastères l'enseignement des langues auciennes. Ce fut lui qui, en 1249, traduisit les lettres que le roi de France reçut du roi de Tartarie. Ricoldo, dominicain italien, réfuta l'Alcoran, dont il s'était mis en état d'entendre le texte. Guillaume de Meerbecke ou Morbeka, petite ville de Flandres, possédait parfaitement l'arabe; et s'il était vrai qu'il l'eût su même avant d'entrer dans l'ordre des frères prêcheurs, ainsi que l'avance le père Touron, il y aurait lieu d'en conclure qu'il existait dès lors une école de langues orientales à Louvain : mais il nous semble plus vraisemblable que Guillaume de Meerbecke ne les étudia qu'étant religieux, et pour se rendre propre à la fonction de mis-
XIIIe SIÈCLE.
Stat. ann. 12 30.
Duchés., Scr.
rer. Fr., V, 819.
Dachery, Spic., II, 528, 821.
Ann. i25o, et add., p. 124.
Lebeuf, Mém.
d'Auxerre, I, 400, 401.
Mart., Thes.
anecdot.,IV,i7o8.
Guill. de Nang , V. S. Lud.,347.— Dachery, Spicil., III, 216.
Script. ord.
praedic., I, 383.
Hist. des hommes il. de l'ordre de S. Dom., 1, 420.
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sionnaire, l'une de celles auxquelles se consacraient les dominicains. Quelques laïcs acquéraient par le simple usage, par des relations avec les Arabes, l'intelligence de leur langue : c'est ce qu'on rapporte particulièrement d'un soldat de Philippe-le-Hardi; mais l'attention donnée à ce fait prouve qu'il n'était pas ordinaire, et qu'en général cette connaissance n'appartenait qu'à un petit nombre d'hommes assez lettrés pour la cultiver, tels qu'Humbert de Romans et Guillaume de Morbeka en France, en Italie Ricoldo et Bonagiunta Cascina, qui traduisit, en 1265, un traité entre le roi de Tunis et la république de Pise; en Allemagne enfin ceux par qui Frédéric Il fit traduire plusieurs livres arabes traitant de matières philosophiques. Vers la fin du siècle, Raymond Lulle proposa d'établir des écoles de langues orientales : il en écrivit à Philippe-le-Bel et à l'université de Paris, exhortant le prince à doter des maisons où seraient enseignés les idiomes des infidèles, et invitant les docteurs parisiens à comprendre dans le cours des leçons publiques les langues arabe, tartare, chaldéenne, hébraïque et grecque.
Dans un temps où l'étude de la théologie occupait les esprits les plus actifs et dominait toutes les autres études, la langue hébraïque aurait dû) ce semble, être soigneusement étudiée, puisqu'elle est celle des plus anciens livres sacrés, et que le meilleur moyen de les bien expliquer est sans doute d'en rechercher le sens littéral dans les textes mêmes.
C'est l'idée qu'avaient conçue Roger Bacon, Raymond Lulle et l'évêque de Lincoln, Robert Grosse-Tête, qui tous trois ont étudié l'hébreu, et qui, malgré les écarts de leur imagination, doivent être comptés au nombre des hommes les plus éclairés ou les plus instruits de ce siècle. Mais la foule des théologiens ne se livrait qu'à la scholastique, qui, les dispensant de toute recherche laborieuse, leur promettait des succès bruyans et faciles. On ne rencontre à peu près aucun hébraïsant parmi les docteurs les plus fameux de cet âge : saint Thomas et saint Bonaventure eux-mêmes paraissent avoir dédaigné d'apprendre la langue du Pentateuque et des prophéties. Cependant nous avons vu que lorsqu'on s'occupa de la condamnation du Thalmud, depuis l'an i23o jusqu'en 1248, il se trouva dans Paris quelques théologiens qu'on crut capables d'en interpréter certains passages.
Mathieu Paris nous a fait connaître un hébraïsant nommé Robert d'Arondel ; et nous pourrions joindre à ce nom celui
XIIIe SIÈCLE.
Duchesn , Scr.
rer. Fr., V, bi i.
Triv. Chron.
Spicil., VIII.
V. ci-dessus, p.
70.
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de Jean de Capoue, qui, en 1262, sous Urbain IV, s'appliquait en Italie au même genre d'études. Mais ces exemples sont fort rares; et il ne nous reste aucun moyen d'apprécier l'étendue ni la solidité de l'érudition sacrée de ces personnages. En général, les Juifs étaient les seuls dépositaires de la littérature hébraïque, dans laquelle excella surtout le rabbin espagnol David Kimchi. Aucun israélite n'a mieux recherché le sens littéral de la Bible : Kimchi a renouvelé ou plutôt créé la grammaire des Hébreux. Aussi a-t-il servi de guide aux savans modernes, chrétiens ou juifs, qui depuis le commencement du seizième siècle sont entrés dans la même carrière ; mais il ne paraît pas que les chrétiens du treizième aient songé à profiter de ses travaux. Nous pourrions remarquer que les juifs contemporains de Kimchi prononçaient certaines lettres ou syllabes hébraïques d'une manière assez différente de celle que leurs descendans ont adoptée, mais les détails qu'exigerait cette observation deviendraient étrangers au sujet que nous avons à traiter ici.
L'étude de la langue grecque aurait secondé plus généralement encore le progrès de la littérature profane et même sacrée : mais ni les efforts de quelques princes, tels que Baudouin à Constantinople, Frédéric Il en Allemagne, Manfreddi en Italie ; ni le zèle du général des dominicains, Humbert de Romans, ni les conseils et les exemples de Roger Bacon, de Robert de Lincoln, ne parvinrent à inspirer aux étudians et aux docteurs le goût de ce genre d'instruction. Baudouin envoya de jeunes Bysantins à Paris, dans l'intention d'y mettre les Grecs en contact avec les Occidentaux. Frédéric II et Manfreddi contribuèrent à faire entreprendre des versions latines de livres grecs : on traduisit Aristote, Platon, l'Almageste de Ptolémée, divers ouvrages de jnathématiques et de médecine, les fables d'Ésope, quelques Pères de l'Église, particulièrement saint Grégoire de Nysse; et il y a lieu de penser que si plusieurs de ces versions furent faites d'après des traductions arabes, les textes grecs ont été quelquefois interprétés immédiatement. Un dominicain , Geoffroy de Vaterford, voulant rendre en francais un livre d'Aristote, s'aperçut, en recourant au texte, que la version arabe était inexacte. Montfaucon cite, sous la date de 1272, le manuscrit d'une traduction francaise du traité d'Aristote sur la nature des choses; mais depuis 1220 jusqu'à i3oo, la plupart des versions de livres grecs furent faites en latin. Du reste, il
XIIIe SIÈCLE.
Echard. Summa S. Th. Vindic., 572-600.
Du Boulay, III, 10.
Script, ord. pros- dic., 1, 468.
Bibl. Bibl., II, 1113.
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convient d'observer que le nombre n'en est pas très-considérable. On rapporte, et un tel fait serait fort remarquable, que Guillaume-Bernard de Gaillac, au diocèse d'Alby, traduisit de latin en grec les œuvres de saint Thomas d'Aquin.
Un pareil travail supposerait, dans un habitant de la France méridionale, une bien grande habitude de la langue grecque.
A cet exemple près, c'est plutôt au nord, et surtout dans la Belgique, que nous rencontrons quelques hellénistes, parmi lesquels doit être compté ce Guillaume de Meerbecke déjà indiqué comme ayant étudié l'arabe et les autres langues de l'Orient. Ce fut un Brabançon, Henri de Kosbein, qui, à la prière et pour l'usage de saint Thomas, traduisit les morales d'Aristote. Quoique la littérature grecque ne fût point enseignée dans les écoles de France, et qu'il n'y eût qu'un bien petit nombre de savans français qui en fissent l'objet de leurs travaux particuliers, les Italiens n'avaient guère pris d'avance sur nous en cette carrière. Gradenigo et Tiraboschi nomment, il est vrai, un certain nombre d'hellénistes italiens du treizième siècle ; mais ils placent dans cette liste et saint Thomas, qui, selon toute apparence, ne savait pas le grec, puisqu'il avait besoin, comme nous venons de le voir, qu'on lui traduisît les livres écrits en cette langue ; et Accurse, auquel, au contraire, on fait communément remonter l'usage de supprimer les passages grecs dans les leçons publiques; Accurse, qui employa, dit-on, le premier la formule, grœcum est, non legitur. Balbi de Gênes, l'un des plus célèbres grammairiens dont l'Italie put alors s'enorgueillir, avoue qu'il ne sait pas bien la langue d'Homère : mihi non benè scienti linguam græcam, expression qui permettrait tout au plus de lui en attribuer une légère teinture. Les Italiens seraient donc à peu près réduits à citer un Jean d'Otrante, qui passe pour avoir composé des vers grecs iambiques; un Niccolo d'Otrante, qui, à Constantinople, servait d'interprète entre les Grecs et les Latins; un Bonaccorso de Bologne, qui entreprit de réfuter les Grecs schismatiques, et un Barthelemi de Messine, que Manfreddi employait à traduire Aristote. Concluons qu'en Italie comme en France, cette importante étude avait fait fort peu de progrès, et qu'en général, la science grammaticale se réduisait presque partout à la connaissance et à l'usage d'une langue latine extrêmement corrompue.
Les livres de Priscien, grammairien du sixième siècle, ont été, depuis 121 5 jusqu'au delà de 1254, la principale source
XIIIe SIÈCLE.
Script. ord. proe- dic., I, 460.
A.ventin., Ann.
Boior., 1. VII.
Graden. Lett.
gr. ital., 83, io3.
Tir., IV, 355, 356, 357.
Cathol. praef.
Catal Bibl.
"Laur., I, 25.
Baccolta di monum. Pisani, 2i3
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où se puisait cette science : pour les accommoder à l'usage des écoles, on avait fait deux Prisciens, 'un petit pour les enfans, un grand pour les élèves plus avancés; il est question de l'un et de l'autre dans le statut de Robert de Courçon, pour l'université de Paris. Mais on composait aussi, d'après le même auteur, divers élémens de la langue latine, soit en prose soit en vers. A l'exception d'un premier prologue, tout le Grœcismus d'Évrard de Bethune est en vers latins, la plupart hexamètres ; et ce Grœcismus n'est qu'une grammaire latine divisée en quinze livres, dont Priscien fournit le premier fonds. Alexandre de Villedieu, franciscain breton, qui éclipsa Évrard, parle d'un livre de Maximien, qui s'était introduit dans les écoles, et qui ne contenait, selon lui, que des minuties épineuses. Cet Alexandre fit un doctrinal en vers hexamètres léonins, tirés encore de la prose de Priscien, mais qui ont servi de texte à de longs commentaires, et sont restés entre les mains des élèves presque jusqu'au temps de Despautère. Albert-le-Grand, -dont l'activité se portait sur tous les genres d'études, écrivit une exposition de Priscien et une somme grammaticale qui ne paraissent pas avoir obtenu beaucoup de vogue. Le traité de la manière d'enseigner les enfans, composé par Guillaume de Tournay, le confrère d'Albert dans l'ordre des frères prêcheurs, n'est point un livre de grammaire : il concerne l'éducation généralement considérée, et ne s'est conservé que manuscrit. Excepté un dictionnaire provençal-latin, et un manuscrit cité par Montfaucon, sous le, titre de Dictionarium locupleiissimum, et sous la date de 1286, nous ne trouvons aucune mention de lexiques composés en France dans le cours de ce siècle, au lieu que l'Italie nous présente, comme nous l'avons déjà remarqué, ceux d'Uguccione et de Balbi. Le Catholicon de ce dernier n'est pas seulement un très-long dictionnaire; des élémens de grammaire latine y servent d'introduction, et, puisque l'impression de toutes les parties de cet ouvrage a été, dès 1460, l'un des premiers essais de l'art typographique, nous avons tout lieu de croire qu'on en faisait, depuis la fin du treizième siècle, un très grand usage. Toutes les grammaires, et, à l'exception d'un seul, tous les lexiques dont nous venons de parler, sont rédigés en latin, et n'établissent aucune sorte de comparaison ou corrélation entre cette langue et l'idiome vulgaire. C'était en langue latine que la grammaire latine s'enseignait dans les livres et dans les
XIIIe SIÈCLE.
Du Boulay, III, 82.
Script. ord
praed., I, iS 1.
Bibl. Bibl., II, 1240.
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écoles; et cette pratique, qui a long-temps duré, faisait croire que les habitudes de la vie, et l'état même du langage commun donnaient aux étudians l'intelligence immédiate de quelques mots latins, avant même qu'ils commençassent d'étudier les règles de cette ancienne langue. Nous ne voyons pas qu'on leur fît faire de thèmes : selon toute apparence, on les exerçait immédiatement à s'exprimer et à écrire en latin, sans leur proposer de textes français. Cependant le goût des traductions de textes latins en langue vulgaire se répandait de plus en plus; et ces versions, soit en prose soit en vers, se sont multipliées à tel point depuis 1201, qu'il y a lieu d'en conclure, premièrement, qu'il existait plusieurs hommes de lettres qui avaient assez étudié la langue latine pour se croire en état de la traduire ; en second lieu, que l'idiome vulgaire avait assez fait de progrès pour exprimer au moins imparfaitement les idées des auteurs latins; troisièmement enfin, que parmi les personnes qui savaient lire, il y en avait déjà beaucoup qui, n'étant plus capables de comprendre les textes de ces auteurs, avaient besoin qu'on les leur traduisît ; qu'ainsi la langue latine n'était plus entendue des gens du peuple, ni en général des laïcs, ni même d'une partie du clergé. Quoi qu'il en soit, il parut des versions romanes ou françaises de certains opuscules d'Aristote, de la Chronique de Turpin, du traité de Guillaume de Saint-Amour contre les religieux mendians, d'un grand nombre de légendes ou vies des saints, d'homélies pour les dimanches et les fêtes. Montfaucon cite dans cette dernière espèce un manuscrit fait en juillet 1285, pour l'usage du diocèse de Metz.
Le dominicain Laurent, confesseur de Philippe III, traduisit les épîtres et les évangiles, recueil qui fut nommé la Sommele-Roy ; et Guyart des Moulins mit en français la Bible ou l'histoire sacrée. Déjà même on croyait trouver des inconvéniens à quelques-unes de ces traductions : on empêcha celle du Cantique des cantiques; un chapitre de Cîteaux chargea les abbés de Cercamps et d'Orcamps d'en rechercher les exemplaires dans un monastère de Châlis, et de les jeter au feu. Le chapitre des dominicains alla plus loin encore en 1242: il défendit aux confesseurs de religieuses de traduire pour elles aucun sermon, aucune conférence, aucune sorte d'ouvrages mystiques et ascétiques. Saint Louis néanmoins se ptaisait à expliquer en langue vulgaire à ceux qui l'environnaient, ce qu'il lisait dans les livres d'église et dans les
XIIIe SIÈCLE
Wading., Annal.
min., ann. 1259, n. 6.
Bibl. Bibl., II, 1383.
Concil., XI, part.
1,430. - Fleury, H. eccl., 1. XXIX, n. 57.
Martenn., Thes.
anecd., IV, 1294.
Ibid., IV, 1683, 1684.
Gauffr., de Bello loco. c. 23. Velly, III, 92.
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écrits des saints Pères, et il était du nombre de ceux qui encourageaient les traductions, quoiqu'il en eût moins besoin que bien d'autres. Du reste, il ne faut chercher dans ces versions ni élégance ni fidélité; presque tous les passages obscurs ou difficiles y sont rendus à contre-sens. La connaissance de la langue latine s'affaiblissait de jour en jour, et l'on s'en aperçoit encore mieux en examinant les productions latines de ce siècle. Les écrivains du précédent, Abélard, Jean de Sarisbéry, saint Bernard, Pierrre de Blois, quoique leur latinité soit loin d'être pure, pourraient passer pour des modèles, en comparaison d'Albert-le-Grand" de saint Thomas, de Scot, et de leurs contemporains. La scholastique avait achevé de corrompre le langage, de répandre sur tous les écrits et tous les discours la sécheresse et l'obscurité. La diction de Vincent de Beauvais est un peu moins barbare, non-seulement parce qu'il est moins scholastique, mais aussi parce qu'il copie beaucoup d'anciens textes et les fond dans le sien. On aperçoit dans les vers de Guillaume le Breton quelque empreinte des auteurs classiques qu'il étudiait et s'efforçait d'imiter ; et l'on sait d'ailleurs que Robert de Lincoln, Guillaume de Meerbecke et quelques autres, sans retrouver l'art de bien écrire en latin, avaient pourtant fait une étudeassez profonde de cette langue. Elle dégénérait moins rapidement dans les écoles de médecine et même de jurisprudence que dans celles de théologie, de philosophie et de grammaire. Mais, à vrai dire, la décadence est partout sensible; elle est progressive dans le cours des règnes de saint Louis, de Philippe 111 et de Philippe IV; et, quoique le français restât dans l'enfance, la latinité, déjà si vieille avant l'année 1200, vieillissait et dépérissait encore.
Elle se -surchargeait d'expressions et de constructions gothiques, admettait les formes les plus contraires à son génie j et, pour ne citer qu'un exemple, l'usage de substituer en seconde personne le pluriel au singulier, et de faire, comme dans les mots estis princeps, le plus incorrect alliage des deux nombres, cet usage contre lequel Pierre de Blois avait réclamé, était devenu presque universel. On commençait aussi à mélanger dans une même phrase des mots latins et français, bizarrerie qui a long-temps duré : l'on faisait des vers tels que ceux-ci :
Je maine bonne vie semper quantum possum; Li taverniers m'appelle : je di eccc assum ; A despendre le mien semper paratus sum, etc.
Xllle SIÈCLE. -
Des fames, des dez et de la taverne, 74, vers.
Fabliaux, t. IV, p. 485-488.
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La langue latine continuait d'être employée dans les actes publics, spécialement dans les testamens : on peut citer, entre beaucoup d'autres, celui de Marie d'Avesnes, comtesse de SaintPol, décédée en 1241; et il n'est pas nécessaire d'observer que des clauses coordonnées à des lois ou coutumes ecclésiastiques et féodales ne pouvaient être exprimées qu'en un latin bien barbare. En un mot, les auteurs classiques étaient ou perdus ou presque universellement négligés : on citait encore leurs noms, on ne lisait plus leurs ouvrages. A la vérité, Montfaucon indique un manuscrit du treizième siècle, contenant une glose sur Lucain ; mais rien n'assure qu'elle n'ait pas été composée avant l'an 1200. Au rapport d'Hélinand et de Gervais de Tilbury, Virgile passait pour un grand maître en magie ou sorcellerie, et n'avait pas d'autre réputation parmi les clercs, du moins si l'on excepte le petit nombre de ceux qui avaient conservé quelque goût ou quelque souvenir des bonnes études.
Avant d'examiner quel était alors l'état de la langue vulgaire en France, il n'est pas inutile de remarquer que nous ne retrouvons la trace d'aucun travail entrepris par des Français sur les autres idiomes modernes qui commençaient à s'établir chez les nations voisines, en Allemagne, en Espagne, en Italie. Les relations sociales et commerciales avaient immanquablement donné à plusieurs Français quelque connaissance usuelle de ces langues étrangères; mais aucune encore, pas même celle dans laquelle Dante écrivait son immortel ouvrage, ne semblait avoir acquis d'existence littéraire, ni pouvoir devenir un objet d'étude. L'espagnol, l'italien et le français, peu éloignés encore de leur origine commune, se confondaient presque en une seule et même langue vulgaire; et il s'était d'ailleurs formé, en faveur du langage français, un préjugé qui nous est attesté par Brunetto Latini, lorsqu'il dit, comme nous l'avons vu, que fi la « parleure en est plus délitable et plus commune à toutes « gens ». Il est temps de savoir jusqu'à quel point cette distinction était méritée.
Nous n'avons point à rechercher les origines de la langue française : nous la devons prendre ici telle qu'elle existait au treizième siècle. Nos prédécesseurs ont dit depuis quelle époque elle était en usage, et comment elle s'était modifiée selon les temps et les lieux. L'altération de la langue latine commence au moins à la chute d'Augustule1; elle est sensible et
XIIIe SIÈCLE.
Bibl. Bibl., Il, 1384.
Naudé, Apol.Acad. des Inscript., XVII, 435.
V. ci - dessus, p. 27.
XX.
Langues vulgaires
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presque générale entre les années 5oo et 600. Alors un langage barbare se répandait et s'établissait dans l'Europe occidentale, sous le nom de roman ou romain rustique; il était presque seul entendu de la multitude, spécialement en France, où dépérissait et s'éteignait toute instruction, selon Grégoire de Tours : Decedente, atque ima potius pereunte ab urbibus gallicanis liberalium culturâ liiterarum philosophantem rheiorem ïntelligunt pauci, loquenlem ruslicum multi. Cet idiome rustique ou roman était la langue latine corrompue, défigurée par la suppression des inflexions ou désinences, par l'irrégularité des constructions, par l'introduction des articles, par le mélange de beaucoup d'expressions étrangères. Que ce nouveau langage ait été partout le même, on a peine à le concevoir : les idiomes particuliers qui s'étaient, en chaque pays, alliés au latin, avaient dû lui communiquer des formes diverses. A la vérité, si nous n'envisageons le roman que dans les temps et les lieux où il était employé avec quelque soin, que dans les écrits où il tendait à prendre quelque apparence de régularité, il nous sera possible de le regarder comme une sorte d'intermédiaire entre le latin et les langues modernes de l'Europe occidentale; il pourra nous sembler le type commun de l'italien, de l'espagnol, du portugais, du français; mais en l'étudiant dans les monumens qui nous en restent, en y recherchant le système de grammaire qui pouvait le caractériser, il importe de tenir compte des variations qu'il a dû subir en deçà et au-delà des Alpes et des Pyrénées. Les Espagnols citent des monumens de leur langue vulgaire, qu'ils supposent antérieurs au moins à l'an mille. Les Italiens ne remontent pas si haut; ils avouent CjUe jusqu'après le milieu du douzième siècle, leur idiome était resté beaucoup trop barbare pour être écrit ; ils ne rapportent qu'à la fin de ce siècle ou au commencement du suivant les premiers essais de leur poésie; et chez eux, comme ailleurs, les vers ont devancé la prose. Mais on a vu dans nos précédons volumes de plus anciennes productions de la poésie, et même de la prose française; et déjà aussi l'on a pu discerner dans les provinces de la France deux idiomes toutà-fait distincts, le provençal et le français proprement dit.
Le nom de roman, quoiqu'il semble appartenir davantage au premier, a été néanmoins appliqué aussi au second par les écrivains du moyen âge, avant et après l'année 1200.
C'est ce qu'il nous serait trop aisé de justifier par un grand
XIIIe SIÈCLE.
Prwf.inter Script.
rer. Fr., II, 187.
M. Raynouard, Rech. sur la lang.
romane.
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nombre de citations : nous dirons seulement que Guillaume de Nangis déclare qu'à la requête des bonnes gens, il a translaté en roman l'histoire qu'il avait écrite en latin; or c'est en français, non en provençal, qu'il traduisait cet ouvrage.
Ainsi, le mot de roman est susceptible de plusieurs significations différentes. D'abord il sert à désigner le romain ou latin rustique, qui s'est propagé dans une partie de l'Europe, entre les années 5oo et iooo, et qu'on a quelquefois considéré comme le type immédiat et commun de toutes les langues modernes de l'Europe latine. Il s'emploie secondement pour indiquer la langue provençale ou des troubadours, soit qu'on la regarde elle-même comme le roman pur et primitif, soit qu'on la prenne seulement pour la principale et en quelque sorte l'aînée des langues qui en sont dérivées. En troisième lieu, ce nom a été étendu à tous ces nouveaux idiomes, et particulièrement au français qui se parlait et s'écrivait, entre les années iooo et i5oo, au nord de la Loire. Enfin, la dénomination de roman s'est appliquée et s'applique encore parmi nous à un certain genre de compositions ou histoires fabuleuses, dont ces idiomes du moyen âge ont offert les premiers essais.
Au treizième siècle, l'Aquitaine, le Languedoc, presque tous les pays situés au midi de la Loire, sont quelquefois désignés sous le nom de Provence, sans doute parce qu'on y parlait à peu près la même langue que dans les districts d'Avignon, d'Aix et de Marseille, savoir celle où s'était le mieux conservé le type du roman primitif. Elle nous fournira très-peu de productions en prose depuis l'an 1200 jusqu'en i3oo. On a pourtant lieu de croire que deux grammaires de cette langue ont été rédigées dans cet intervalle. L'une est anonyme, et a été traduite en latin, sous le titre de Donatus provincialis ; l'auteur de la seconde est Raimond Vidal, qui l'adresse surtout aux poètes. Ayant vu et reconnu, dit-il, que peu d'hommes savent et ont su la vraie manière de trouver, j'ai voulu l'enseigner par les exemples des meilleurs troubadours, et donner les documens de leur langage. Il est vrai aussi que beaucoup d'histoires fabuleuses ou romanesques avaient été mises en langue provençale, avant de passer dans l'idiome du Nord; mais c'était ordinairement en vers que les auteurs provençaux écrivaient ces récits; la plupart des romans en prose que nous rencontrerons dans le cours du treizième siècle, appartiendront à la littérature de
XIIIe SIÈCLE.
V. Pasquier, Rech., 1. vnr, c. I.
Raynouard, Choix des poés.
orig. des Troub., II, cl-cliv.
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la France septentrionale - c'est en français que nous les trouverons traduits, allongés ou composés. Il suit de là que, durant cet âge, la littérature vulgaire- du midi de la France ne nous offrira guère que les ouvrages des poètes ou troubadours : c'est une langue poétique dont nous ne pourrons bien étudier le vocabulaire et la grammaire qu'à mesure que ses productions passeront sous nos yeux. En général, elle ressemble plus à l'italien qu'au français qui nous est resté, au moins en ce qui concerne la formation et l'emploi des articles et des pronoms, les conjugaisons des verbes et la construction des phrases. Nous avons toutefois hérité d'elle beaucoup de locutions ou d'idiotismes, tels que ne pouvoir mais, s'en vouloir mal, n'avoir que faire, passer le pas, prendre garde, mettre en oubli, n'avoir ni fin ni pause. Il est juste de dire aussi que cette langue provençale ne manquait ni d'harmonie ni de noblesse ; mais, outre que ces deux qualités n'y étaient point assez constantes, la précision et la clarté s'y faisaient encore plus désirer : le vocabulaire avait peu d'étendue, il ne suffisait pas à la multitude des idées et à la variété des détails que la prose devait exprimer; il ne fournissait point assez d'expressi ons nobles des détails vulgaires, défaut qui s'est communiqué à la langue française et dont elle a eu beaucoup de peine à se guérir. Plus on décompose attentivement le langage des troubadours, plus on s'aperçoit que s'il avait prévalu, il aurait retenu l'intelligence des Français dans un cercle étroit de pensées vagues; il eût mis obstacle au progrès de toutes les connaissances réelles. Aussi ne lui verrons-nous produire, pendant les cent années dont nous entreprenons l'histoire littéraire, aucun ouvrage, aucun essai recommandable par un fond d'instruction solide; et si nous le comparons à ce qu'il était dans l'âge précédent, à ce qu'il devint dans le suivant, presque jamais il ne nous paraîtra se perfectionner. A proprement parler, il ne s'est point achevé, probablement il n'en était pas susceptible. Et cependant il demeurait variable et indéterminé à tel point que les versificateurs pouvaient, à leur gré, ajouter ou retrancher des lettres ou des syllabes au commencement, au milieu et à la fin des mots, selon les besoins de la mesure ou de la rime. Nous remarquons même beaucoup de variantes dans les tableaux qu'on a esquissés de ses inflexions pronominales et verbales. Du reste, ces observations ne tendent point à affaiblir les hommages que nous aurons à rendre aux talens
XIIIe SIÈCLE.
Rayn., Gramm.
de la langue des Trou b., c. VII, p.
337-342.
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de quelques poètes provençaux, quand nous examinerons leurs œuvres : en ce moment, nous ne parlons que de leur langue, et plus nous la trouvons naturellement défectueuse, plus nous devons d'éloges à ceux qui ont su en tirer parti, quoiqu'ils n'aient pas réussi ni peut-être songé à l'étendre et à l'embellir.
Nous ne rechercherons pas si le mot Languedoc a remplacé langue got, et s'il signifie originairement langue des Gots, ainsi que le soutient Pasquier, ou s'il désigne la langue et le pays où l'affirmation oui se prononçait oc, et non pas oil, comme au nord de la Loire. Cette seconde opinion est restée la plus commune. Il y aurait pourtant trop d'inexactitude à supposer que le cours de ce fleuve traçât la limite précise des deux langages. D'une part, la langue dite provençale, déjà modifiée dans les lieux voisins des Pyrénées, l'était bien davantage chez les Poitevins; de l'autre, il s'en fallait que l'idiome que nous appelons français fût employé d'une manière uniforme dans les provinces qui portaient les noms de France, Bourgogne, Champagne, Flandre, Picardie, Normandie et Bretagne. Ce n'est qu'en faisant abstraction de beaucoup de jargons particuliers, qu'on peut réduire à deux les langues écrites et parlées à cette époque dans toute l'étendue du royaume. Mais le point important à reconnaître, est que ces deux idiomes étaient alors tellement distincts, qu'il ne saurait être permis de les confondre en un seul, comme on l'a fait pourtant plusieurs fois. Fort peu d'exemples nous suffiront pour rendre sensible la différence essentielle qui les tenait séparés l'un de l'autre, presque autant que le sont aujourd'hui l'italien et le français. Nous avons donné une traduction abrégée des premières lignes de la grammaire provençale de Raimond Vidal; en voici le texte : « Per c so quar ieu Raimonz Vidais ai vist et conegut qe pauc « d'omes sabon ni an saubuda la dreicha maniera de trobar, « voill eu far aqest libre, per far conoisser et saber quais « dels trobadors an mielz trobat et mielz ensenhat ad aqelz « q'el volran aprenre com devon segre la dreicha maniera « de trobar. » Y a-t-il aucune apparence d'identité entre ce langage et celui de Villehardouin ou de Joinville ? Nous avons cité un texte de Villehardouin; voici comment s'ouvre l'ouvrage de Joinville, dans l'édition de Capperonnier: « A son bon « seigneur Looys filz du roy de France par la grace de Dieu « roy de Navarre, de Champaigne et de Brie, conte palatin :
XIIIe SIÈCLE.
Rech., 1, I, c. i 3.
V. ci-dessus, p.
i 29, j3o.
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« Jehan sire de Joinville son seneschal de Champaigne, salut « et amour et honneur en son servise appareillé. Chier sire, « je vous foiz à savoir que ma dame la royne vostre mère « qui moult m'amoit, à cui Dieu bonne merci face, me pria « si à certes comme elle pot que je li feisse faire des saintes « paroles et des bonz faiz nostre roi saint Looys, et je les y « oy en couvenant et à l'aide de Dieu le livre est assouvi en « deux parties. La première partie si devise comment il se « gouverna tout son tens selonc Dieu et selonc l'Église et au « profit de son règne. La seconde partie du livre si parle de « sa granz chevalerie et de ses granz fais d'armes. Sire, pour « ce qui est escript, fai premier ce qui affiert à Dieu et il te « adrescera toutes ces autres besoignes, ai-je fait escrire ce qui « afiert aus troiz choses desus dites, c'est-à-dire ce qui afiert « au profit des ames et des cors et ce qui afiert au gouverne« ment du peuple. Et ces autres choses ai-je fait escrire aussi « à l'onneur du vrai cors saint, pour ce que par ces choses « desus dites, en pourra veoir tout cler que homme lay de « nostre temps ne vesqui si saintement de tout son temps dès Il le commencement de son règne jusqu'à la fin de sa vie, etc. n Cete langue est-elle celle de Raimond Vidal?
La différence sera peut-être plus palpable encore si l'on compare des pièces versifiées. Des pastorelles composées par Giraud Riquier, de 1260 à 1270, contiennent ces vers :
L'autre jorn m'anava Per una ribeira Soletz delichan, Qu'amors me menava Per aital maneira Que pesses de chan, Vi guaya bergeira BelFeplazenteira Sos anhels gardan.
E fe mi belh semblan A1 primier deman, etc. ;
et ceux-ci :
L'autr'ier trobey la bergeira d'antan Saludei la, et respos mi la bella, Pueys dis : Senher, cum avetz estat tan Qu'ieu no us ai vist? etc.
Cherchez des pièces du même genre parmi les poésies françaises de la même époque, et vous lirez :
En une praele Trovai Tautrier Une pastorele
XIIIe SIÈCLE.
Rayn., Choix des poés. des Troubad., HI, 462, 463, 467.
M. Roquefort, État de la P. fr., p. 373.
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Lès son bergier.
Li bergiers la bele Voloit baisier, Mès ele faisoit Molt grant dangier, etc.
ou bien : Hui matin par un ajornant Chevauchai ma mule emblant, 1 Trovai cointe pastorèle et avenant Entre ses aignaus aloit joie menant.
La pastorèle moult m'agrée Mai ne sai dont ele est née Ne de quels parens elle est emparentée, etc.
Assurément, quoique ces deux langages aient des élémens communs, et qu'il soit facile de les ramener à une même origine, telle est la dissemblance des inflexions et des constructions, de la structure des mots et des phrases, qu'il fallait quelque étude pour les entendre à la fois l'une et l'autre; le peuple, en chaque pays, et même la plupart des hommes qui passaient pour lettrés, n'en parlaient et n'en comprenaient qu'un seul. C'étaient donc deux langues, de la même famille sans doute, mais dont chacune avait son caractère propre et une couleur distinctive.
Nous sommes obligés de reconnaître que celle du Nord faisait infiniment plus de progrès. Elle était cultivée par un plus grand nombre d'écrivains, qu'on pourrait trouver aussi plus habiles. Elle embrassait, tant par des traductions que par des compositions originales, tous les genres de littérature en vers et en prose. Elle nous présentera une liste de poètes plus longue et peut-être plus honorable que celle des troubadours du même âge : car c'est en cette langue du Nord que sont écrits les poëmes qu'on a réunis sous le titre de Fabliaux, recueil qui comprend, outre beaucoup de contes et de pièces fugitives, des morceaux plus étendus, tels que l'Ordene de chevalerie, le Castoiement, la Bible Guyot, la Bible au seigneur de Berze, etc. Hors de cette collection, nous trouverons encore les poésies de Marie de France, celle de Thibaut, comte de Champagne, et, pour n'ajouter qu'un seul exemple, le roman de la Rose, commencé et porté à plus de quatre mille vers par Guillaume de Lorris avant 1262, continué jusqu'au-delà de vingt-deux mille vers par Jean de Meung, avant i3o5. Nous verrons ces poètes français cultiver toutes les muses, s'exercer dans presque toutes les espèces de compositions épiques, didactiques, lyriques, élégiaques, pastorales et satiriques; rimer des histoires, des contes, des
XIIle SIÈCLE.
M. Roquef., p.
387.
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apologues, des complaintes, des chansons érotiques, bacchiques ou morales ; des lays ou romances, des jeux-partis ou controverses, des épîtres, des traités de physique et de géographie, et même enfin des codes comme les Institutes de Justinien et la Coutume de Normandie. Les productions des troubadours ne nous offriront point, à beaucoup près, cette diversité. Il n'est pas encore question d'apprécier tant d'essais : il nous suffit de concevoir que des travaux si nombreux et si variés, s'ils ne polissaient pas le langage, devaient au moins l'étendre et le rendre plus flexible. Plusieurs de ces poëmes français n'étaient guère que des traductions libres de morceaux latins ou de fables orientales ; mais les progrès d'une langue nouvelle commencent par les efforts qu'elle fait pour exprimer des idées qui lui étaient étrangères. Aussi les versions vont-elles abonder encore plus en prose. L'abbé Lebeuf en a fait connaître un grand nombre ; nous aurons à en indiquer bien davantage, lorsque nous suivrons d'année en année les détails de l'histoire littéraire du treizième siècle.
Déjà nous en avons désigné quelques-unes, en parlant de l'étude des langues anciennes : le catalogue des autres, si nous l'entreprenions dans ce discours, y serait incomplet, quelque long qu'il pût être. On traduisait en prose française les livres sacrés de l'Ancien et du Nouveau Testament, des légendes ou vies de saints, des sermons ou homélies, des lois romaines et des décrets ecclésiastiques, quelques ouvrages de médecins arabes et de philosophes grecs, beaucoup de narrations romanesques dont le fonds se prenait dans la littérature provençale ou dans celle des peuples orientaux.
Tous ces genres de traductions se continuèrent durant tout le siècle. En 1207, Michel de Harnes fait traduire en prose l'Histoire de Charlemagne, attribuée à Turpin. « Il est voirs « que pluisor ont oi dire et oent encore de Charlemaine « comment il conquist Espaigne et Gallice : mais quoique les « autres dient qu'il en ot été mie, ici poez oir la vérité d'Es« paigne, selon le latin de l'estoire que Michiels de Harnes « fist par grand estude cherchier et querre les livres Rainaut le « comte de Bologne, et por rafrescir ès cuers des gens « les œuvres et le nom del bon roi, le fist translater de latin « en romans à XII cent et sept de l'incarnation nostre sei« gnor Jhésus Crist, el tens Phelippe le noble roi de France « et Loey son aisné fils. Et pour ce que rimes servent à faitier « as mos conquestes fors d'estoire, velt Michiels que cis
XIIIe SIÈCLE..
Mém. de l'Acad. des Inscr., t.
XVII.
Ms. du coll. de Navarre, cité par Lebeuf.
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« livres soit fait sans rime selon le latin que Turpin l'arce- « vesque tira et escript l'estoire si comme il le vist. »
Personne n'a plus que saint Louis encouragé, occupé, multiplié les traducteurs; il n'a rien négligé pour faire passer dans la langue de sa nation tout ce qu'il connaissait de livres instructifs dans la littérature profane, et surtout dans la littérature sacrée. Sous le règne de son fils, Philippe-le-Hardi, la Sphère d'Abraham Abenezra est cc interprétée par maistre « Déaide de hébrieu en roman, et Ober de Montdidier « escrivoit le roman, et fut fait l'an de grâce 1273. » Il subsiste plusieurs exemplaires d'une version d'épîtres, d'évangiles et d'instructions analogues, c'est la Somme - le - Roy, dont nous avons déjà fait mention : la copie conservée à la Bibliothèque de Saintè-Géneviève finit par ces mots : « Cest « livre compila et perfit frère Lorens de l'ordre des prêcheurs « confesseres lou roi de France, à la requeste dou roi Philippe, « liques livres est de vices et vertus, des 7 dons dou saint cc esperit et de 8 beneurties, en l'an de l'incarnation mil « CC sexante et dix-neuf. Deu grâces. » Philippe-le-Bel, avant de monter sur le trône, avait reçu la dédicace d'une traduction du traité de Regimine principum, de Gilles de Rome.
Iérarchie est le titre d'un livre de piété, « translaté », dit le manuscrit, « de. latin en français, en 1287, par Jean de « Penthm, à la requeste la reine de Engleterre, Aliénore, CI femme le roy Edward. » Le langage en peut sembler remarquable : « Il est benuré qui en terre mène vie céleste, « ki peut dire ouche saint Paul : notre conversatiun e cc nostre vie k nus menumus en ciel : kar èle ne s'acorde « pas à la vie terrienne, mès à la vie des angles », etc. Enfin le livre de Darès le Phrygien sur la prise de Troyes, déjà traduit en vers, le fut en prose française, vers l'année 13oo.
Ces exemples, que nous choisissons entre beaucoup d'autres, montrent la persévérance des travaux de cette espèce; ils n'ont pas souffert d'interruption dans le cours des cent années; et ce qui mérite d'être particulièrement observé, c'est qu'on retouchait souvent les traductions faites dans l'âge précédent, ou depuis l'ouverture du siècle : preuve sensible sinon de progrès, au moins d'efforts pour modifier et rectifier par degrés la langue vulgaire.
Mais on ne se bornait point à traduire ; on composait aussi dans cette langue de nouveaux ouvrages : tels étaient, comme nous l'avons vu, les livres de Villehardouin, de Joinville et
XIIIe SIÈCLE.
Ms. de Sorb.
Voy. ci-dessus, p. 144.
Bibl. de SainteGeneviève.
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de quelques autres historiens ; ceux des jurisconsultes Desfontaines et Beaumanoir; ceux même de quelques théologiens catholiques ou dissidens. Telles étaient les lois elles-mêmes, particulièrement celle qui porte le nom d'Establissemens de saint Louis. Tels seront encore des sermons, divers essais littéraires, et surtout de très-longs romans,, sur lesquels nous jetterons bientôt les yeux. Dès ce moment , nous pouvons conclure que la langue française exprimait presque toutes les idées que les hommes instruits avaient alors acquises, et qu'à peu d'exceptions près,, tout ce qui s'écrivait en latin pouvait déjà s'écrire en français. Il n'en faut pas plus, ce semble, pour que le treizième siècle soit regardé comme une époque assez importante dans l'histoire de notre littérature.
Une langue vulgaire ne doit pas être seulement considérée dans les livres, mais aussi dans les actes publics où elle est employée, et dans le commerce familier qu'elle établit entre ceux qui la parlent. Dès 1189, le roi d'Angleterre, Henri II,, avait mieux aimé que son testament fut rédigé en français qu'en latin. Il en fut de même d'une ordonnance de Jean Sans-Terre, sous la date de 121 5 ; d'un traité de paix entre Henri III et saint Louis, en 1259, et de plusieurs chartes de ce Henri, conservées dans les archives de l'une et de l'autre Bretagne j seulement on y remarque une orthographe particulière; l'a y est presque toujours suivi d'un u dans les mots Fraunce, Irlaunde, etc. Quoiqu'à partir du dixième siècle jusqu'au règne de Philippe-Auguste, on ait en France employé la langue vulgaire dans un assez grand nombre d'actes, ce n'est pourtant pas sans raison que Ménage a dit « qu'on n'a commencé à faire ordinairement en français les « instrumens que sous saint Louis ». En effet, les auteurs du nouveau traité de diplomatique avouent que les chartes, soit en roman méridional, soit en français, ne se sont pas fort multipliées avant la fin du XIIe siècle; qu'elles sont rares encore au commencement du XIIIe; qu'elles ne deviennent communes que sous Philippe-le-Hardi. Mais dès-lors les archives s'en remplissent : Mabillon, Du Chesne et d'autres critiques en ont publié ou cité tant qu'ils ont voulu. C'est encore une preuve du soin que l'on avait mis à cultiver la langue vulgaire au temps de saint Louis. Après ce règne, si mémorable à tant de titres, on la trouva capable d'énoncer nettement les clauses de toutes les transactions, et de garantir les intérêts
XIIIe SIÈCLE.
Alford., ann., 1189, n. 8.
Dachery, Spic., XII, 575.
Rymer., I, 588.
Lobineau, II, 409.
Hist. de Sabbé, 1. IV, c. I, p. m.
T. IV, p. 51 g - 520.
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par des stipulations précises, genre de service qu'un idiome ne commence à rendre que lorsqu'il acquiert un vocabulaire un peu étendu et une syntaxe méthodique.
Il est difficile d'obtenir des notions très-exactes sur l'état de la langue parlée par nos aïeux, à une époque déjà si lointaine : car il n'en faut pas juger d'après la langue écrite ; et les documens par lesquels on serait éclairé sur un tel point, sont toujours assez rares. Toutefois nous voyons qu'à cette époque il existait dans la France septentrionale presque autant de dialectes ou patois que de provinces. Lebeuf, pour montrer que le langage vulgaire n'était point uniforme dans toute l'étendue du royaume, cite un passage de la Chronique d'Andres, duquel il résulte qu'on parlait dans le Boulonnais un tout autre jargon que dans le Poitou. Cet exemple ne prouverait point assez : car l'idiome poitevin était, bien plus que celui du Nord, mélangé de provençal. Ce qu'il faut observer surtout, c'est que les langues étrangères autrefois parlées ou apportées en Bretagne, en Bourgogne, en Normandie, devaient modifier sensiblement, dans ces provinces, le langage commun des Français. En Champagne même, où les invasions des peuples barbares étaient plus anciennes et avaient moins influé, on ne parlait pas le pur et 1laïf français de Paris : Pasquier nous a dit que Villehardouin, né Champenois, a écrit selon le ramage de son pays. Le continuateur du Roman de la Rose, Jean Clopinel, était de Meung ou Mehun dans l'Orléanais, et il avouait, dit-on, lui-même l'incorrection de sa diction : Si m'excuse de mon langage, Car ne suis pas de Paris, Ne si cointes que Paris; Mais me rapporte et me compere Au parler que m'apprit ma mère A Meung quand je l'aloitoie, Dont mes parlers ne s'en desvoye, Ne n'ai nul parler plus habile, Que celui qui keurt à no ville.
Ces vers de Clopinel, ou qui lui ont été prêtés, supposent que la parfaite pureté du langage vulgaire, si elle existait quelque part, ne se trouvait que dans la capitale du royaume.
Tant de variations que la langue française éprouvait d'un lieu à l'autre, et celles qu'entraîna successivement, dans tout le cours de ce siècle, le désir de la perfectionner, nous permettront peu d'en déterminer les règles et les caractères.
Duclos remarque avec raison que la diction des Ordonnances
XIIIe SIÈCLE.
Rech. sur les anc. trad. en fr. ,
fin de la première partie, Acad. des Insc., XVII.
Dachery, Spic., XIV, 430.
Rech.. 1. IX, c. 3. -V. ci-des., p. 129.
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et des Establissemens de saint Louis est plus polie que celle des écrits rédigés avant 1260. Mais ce qui contribue davantage encore à la difficulté de ces recherches, c'est la multitude des leçons diverses que nous présentent les différens manuscrits d'un même texte. Ainsi que les copistes du treizième siècle corrigeaient le langage vulgaire des générations précédentes, à leur tour ceux du quatorzième et du quinzième ont voulu rèctifier les livres français composés entre les années 1200 et 1300; en sorte que nous ne sommes sûrs de l'exactitude de nos observations grammaticales, qu'autant qu'elles se fondent sur des manuscrits de l'âge même où les ouvrages ont été rédigés. Encore, dans ces manuscrits, l'orthographe est-elle si variable, qu'on a souvent peine à démêler quelles étaientles règles essentielles de grammaire, en supposant qu'il y eût en effet déjà de telles règles. Vous rencontrez le même mot écrit de plusieurs manières, non-seulement en divers lieux, mais dans un même livre, dans une même page, dans une même ligne; et ces variantes orthographiques vous laissent incertain sur le système général des inflexions et des concordances, ou vous disposent du moins à penser que ce système était encore extrêmement mobile. Il y aurait donc de la témérité à vouloir composer aujourd'hui une grammaire française du treizième siècle, quoique ce travail pût d'abord sembler facile, si l'on ne considérait que le très-grand nombre des monumens qui en doivent fournir les matériaux : car il est vrai qu'on formerait plus de cent volumes de tout ce qui nous reste d'écrits français de ce temps, en poëmes, en romans, en histoires, en discours et traités divers, en traductions, en lois enfin, coutumes, traités, chartes et contrats. Toutes ces productions appartiennent à une même langue, véritablement française, mais, à tous égards, trop variable pour qu'il soit permis d'en bien déterminer les élémens, les procédés et la syntaxe.
Cependant nous ne craindrons pas de dire qu'elle manquait le plus souvent de noblesse et d'harmonie : sous ces deux rapports, on la trouvera fort inférieure à l'idiome des Provençaux. Elle exprime en vers plus de détails, mais elle n'en sait relever aucun; elle affaiblit toujours ce qu'ils pourraient avoir de dignité; elle ne laisse guère voir que ce qu'ils ont de trivial. Chez elle, ce qui est grand se déprime, et ce qui est simple devient bas; voilà l'une des causes de l'ennui profond qu'on éprouve en lisant les longs poëmes de cet âge, par exemple, le Roman de la Rose : l'expression y est toujours au-dessous
XIIIe SLÈCLE.
T. IX de ses œuvr. - Mém. sur la langue franç.
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XIIIe SIÈCLE.
IV, 358-361.
Dell'Eloq. ital., 1. I, c. VIII.
Acad. des Inscript., VII, 296.
de la pensée, quoique la pensée elle-même ne soit pas trèsélevée. On se lasse aussi du retour et du choc de tant de sons durs ou traînans. C'est en ce siècle, plus qu'en aucun autre peut-être, que notre langue s'est chargée de voyelles sourdes, de diphthongues épaisses et de consonnes discordantes. La fréquence excessive de l'articulation ch, de la diphthongue oi, de l'e muet, et des voyelles nazales, date surtout de cette époque. Il a fallu depuis beaucoup de temps et d'art pour tempérer ces défauts et quelques autres, ou pour les rendre supportables. Ils ne tenaient du reste qu'au matériel du langage, et si nous envisageons les mots, non plus comme sons, mais comme signes des idées, il sera juste de reconnaître que dès-lors notre langue commençait de tendre à cette clarté parfaite, à cette précision sévère qui la distingue aujourd'hui, et à laquelle nous sommes, en grande partie, redevables de ce que nous avons fait de progrès dans les beaux-arts et dans les sciences. La phrase s'asservissait de plus en plus à cette construction directe, qui permet peu d'inversions, et qui, par là, laisse, il est vrai, moins de mouvement au discours, mais qui semble, sinon représenter, du moins expliquer plus immédiatement les rapports et la liaison des idées. Les transpositions étaient moins rares dans l'idiome des troubadours et dans celui des Italiens; et c'est une des raisons pour lesquelles ils semblaient l'un et l'autre plus poétiques, ou le devenaient plus facilement. Mais la marche et le caractère que la langue française s'efforçait de prendre, devaient la rendre un jour indéfiniment perfectible, capable d'exprimer d'une manière rigoureuse, élégante, énergique, toutes les conceptions de l'intelligence la plus étendue.
Apparemment on sentait déjà dans l'Europe entière les avantages qu'acquérait cette langue, puisqu'une opinion générale lui décernait le premier rang. Brunetto Latini n'était point le seul qui en trouvât la parleure plus délitable et plus commode. Beaucoup d'Italiens, ses compatriotes, en jugeaient de même : ce point a été parfaitement éclairci par Tiraboschi. Je parle, dit-il, du français, non du provençal, deux idiomes qu'il ne faut jamais confondre, quoique Fontanini l'ait fait. Falconnet avait déjà réfuté Salviati, qui était tombé dans la même erreur, et qui supposait que Brunetto avait écrit son Trésor en provençal. C'était pour composer des poëmes que les Italiens du treizième siècle empruntaient quelquefois la langue des troubadours ; ils employaient la
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française pour écrire en prose. L'arrivée et le séjour de Charles d'Anjou à Naples n'ont pas seuls répandu ce goût, puisqu'il s'est étendu fort au-delà des pays sur lesquels ce prince exerçait de l'influence. Brunetto était Florentin; un Martino da Canale écrivait ou traduisait en français en 1275 un morceau d'histoire vénitienne, et il rendait aussi raison de son entreprise, en disant que lengue françoise corl parmi le monde et est la plus delitable à lire et à oir que nulle autre. Par le même motif, et pour complaire d'ailleurs au roi de France Philippe-le-Hardi, un dominicain de Florence,, appelé Guillaume., traduisit en français le traité des vertus et des vices qu'il avait d'abord composé lui-même en latin. L'hommage enfin que Dante a rendu à notre langue, montre assez à quel point elle avait fixé l'attention des hommes les plus éclairés de ce temps-là. Les Anglais surtout s'étaient empressés de l'étudier : elle était déjà, comme nous l'avons vu, celle de plusieurs de leurs lois; on la parlait à la cour du roi JeanSans-Terre; Girard Rarri ou Girardus Cambrensis avait traduit ses propres livres en français; il se plaignait, dans sa description du pays de Galles, de ceux qui négligeaient une langue si polie et si belle. Les croisés de 1202 l'ayant transportée à Constantinople, elle s'y maintint avec eux durant cinquante-huit ans, et même après eux jusqu'à la fin du siècle. Raymond Montanero, auteur espagnol, dit que de son temps, c'est-à-dire en 1300, on parlait français dans la Morée, dans la Grèce, à Athènes, aussi bien qu'à Paris. Peu s'en fallait que cette langue nouvelle ne remplaçât partout le latine qui, relégué dans les écoles, dans les cloîtres et dans les églises, disparaissait de plus en plus des usages communs de la vie. Il paraît même qu'on a eu l'étrange idée de prendre le français du XIIIe siècle pour la langue naturelle des humains, pour celle qu'ils parleraient d'eux-mêmes, si on ne leur en apprenait pas une autre. L'un des historiens de Louis IX rapporte qu'un jeune homme de 25 ans, né sourd-muet aux extrémités de la Bourgogne, vint à Saint-Denis, au tombeau du saint roi, et que, guéri miraculeusement, il entendit et parla aussitôt, non la langue de son pays, mais celle de la capitale. Ce miracle est raconté différemment dans une autre légende : toujours s'en suit-il que le français, tel qu'on le parlait à Paris, semblait alors aux hommes crédules, comme aux hommes instruits, la première et la meilleure des langues vulgaires.
Ce ne serait pas la vanter beaucoup que de la préférer au
XIIIe SIÈCLE.
Méhus,' Vit.
Ambr. Camald., p. 154.
Ibid.
Convivio, c. 8.
Du Cange,Gloss., præf., n. 17.- Acad. des Inscr., XXIV, 669.
Guillelm. Carnot.
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latin qui s'écrivait en France sous Philippe-le-Bel. Un langage qui se forme et se développe, vaut toujours mieux que celui qui achève de se flétrir et de se décomposer. Comparé au provençal, le français du treizième siècle a sans contredit tout l'avantage en prose : il l'aurait aussi en vers, si l'on tenait compte de l'étendue des idées et des genres; mais, à ne considérer que la pure diction, nous avons avoué que la poésie des troubadours était plus harmonieuse, plus élégante, moins triviale que celle des trouvères. Cependant la langue italienne faisait presque à son propre insu des progrès si rapides, qu'elle produisit, vers l'an 1300, le poëme du Dante, et dans le cours du siècle suivant les vers de Pétrarque et la prose de Bocace. Le Roman de la Rose et la Divine Comédie ont été composés presque en même temps, et la supériorité du poëme italien est immense, non-seulement quant au fond, mais encore dans les formes du langage. Il n'en est pas moins vrai qu'avant cet éclat soudain de la poésie toscane, la langue française passait pour plus avancée, de l'aveu des Italiens eux-mêmes. A l'égard de l'idiome provençal, loin de se perfectionner après l'an 1300, il n'a plus fait que déchoir; il n'avait point à tomber de très-haut. Le français se soutint par des efforts longs et pénibles. Plus de deux siècles s'écoulèrent, sans qu'un seul homme de génie vînt accélérer ses progrès ; mais telle était sa vigueur naturelle, qu'il ne perdit jamais rien de la consistance qu'il avait acquise, et que, s'améliorant toujours, il se transmit de générations en générations, jusqu'à celles qui devaient l'élever au plus haut degré de perfection et de gloire. L'opinion qui, dès le treizième siècle, proclamait sa prééminence, était prématurée sans doute, mais elle était instinctive et en quelque sorte prophétique : lorsqu'on analyse attentivement les idiomes vulgaires usités au temps de saint Louis, on reconnaît que c'était bien celui de la France septentrionale qui donnait en effet les plus heureuses espérances.
Entre les idiomes particuliers, distincts du français et du provençal, et parlés au treizième siècle en certaines provinces de France, aucun, ce semble, ne mériterait mieux d'être observé que celui des Bretons ou Armoricains. Mais il n'en subsiste, ou du moins il n'en a été publié presque aucun monument qui soit de cet âge. Nous ne connaissons la littérature armoricaine, que par des traductions dues à des trouvères anglo - normands, à des poëtes ou romanciers
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français. Il y a lieu de penser que ce langage des Bretons du moyen âge était, comme celui des Provençaux, incapable de suffire aux progrès futurs de la civilisation. On distingue ainsi en divers lieux, à différentes époques, des idiomes, pour ainsi dire, avortés, qui n'ont qu'on seul âge, celui de l'enfance, qui s'éteignent ou se flétrissent, qui ne laissent de vestiges que dans le langage populaire de quelques provinces. C'est l'imperfection naturelle et irrémédiable de leur vocabulaire et de leur syntaxe qui les empêche de devenir jamais nationaux. Ne pouvant fournir l'expression de toute les idées qu'amènent les révolutions et l'agrandissement des sociétés, ils ne servent plus qu'à perpétuer quelques traditious locales.
En écartant les idiomes purement provinciaux, la littérature de la France, au treizième siècle, ne consistera qu'en ouvrages écrits ou en latin, ou en français, ou en provençal.
De ces trois langues, nous n'avons guère distingué que les deux premières en parcourant les livres qui concernent la théologie, la jurisprudence canonique et civile, la médecine, la philosophie, les sciences physiques et mathématiques, la géographie, la chronologie, l'histoire et la grammaire. Il en va être de même encore à l'égard des productions oratoires, des correspondances épistolaires et des romans en prose; mais nous aurons à observer successivement chacun des trois langages, lorsque nous nous occuperons des compositions en vers. En attendant, nous avons cru à propos d'établir la différence essentielle qui existe entre le provençal et le français.
Ceux qui ont confondu ces deux idiomes, ont jeté beaucoup d'obscurité sur l'histoire littéraire du moyen âge. A notre avis, ce n'est pas dire assez que de les appeler deux dialectes principaux, à moins qu'on ne prenne aussi pour un dialecte l'idiome italien lui-même, en réservant au latin seul la dénomination générique de langue. Nous croyons, avec Tiraboschi, que le français et le provençal diffèrent trop l'un de l'autre pour qu'il soit jamais permis de les confondre; on sent combien ils sont distincts, lorsqu'on apporte quelque attention à confronter ce qui nous reste des poésies des troubadours, avec les livres écrits dans le même temps en langue française. « Certo è ch'esse furon troppo diverse l'una dall' altra, come chiaramente si riconosce al confronto delle poesie provenzali che ancor ci rimangono, co' libri scritti al tempo medesimo in lingua francese. »
XIIIe SIÈCLE.
IV, 358.
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Voilà les seules observations générales que nous puissions hasarder sur une langue dont l'état, au treizième siècle, ne nous est exposé dans aucune grammaire contemporaine.
Ce siècle ne nous fournit non plus aucun dictionnaire français, ni aucun traité français de littérature didactique ou de rhétorique.
Dans le cours des âges précédens, l'enseignement de la rhétorique s'était maintenu au sein des écoles; et par un discernement ou un bonheur qui mérite d'être observé, on avait assigné à ce genre d'étude sa véritable place, en le faisant succéder aux leçons de dialectique qu'il a, depuis, fort mal à propos, précédées. La logique doit servir à la fois de complément à la grammaire et d'introduction aux véritables règles de l'éloquence. C'est ainsi que s'étaient formés à l'art d'écrire ceux des auteurs du douzième siècle qui ont acquis et conservé quelque réputation : Abélard, saint Bernard, Jean de Salisbury, Arnoul de Lisieux, Pierre de Blois, Étienne de Tournay : on s'aperçoit, en lisant leurs livres, qu'ils avaient joint à l'étude des préceptes, l'étude plus profitable encore des grands modèles, ou du moins de quelquesuns. Ils connaissaient et savaient apprécier une partie des chefs-d'œuvre de l'orateur romain; ils avaient l'intention de le prendre pour maître. Alain de Lille disait que la rhétorique était fille de Cicéron, et qu'il aurait fallu l'appeler Tullia. Mais, dès ce treizième siècle même, une secte s'était élevée, orgueilleuse du plus faux savoir, ardente à propager le goût des sophismes, des paradoxes et des arguties les plus arides. Nous l'avons vue signalée sous le nom de Cornificiens dans les ouvrages de Jean de Salisbury; et nous devons ajouter ici que, malgré les efforts honorables de cet écrivain et de quelques autres bons esprits pour la plonger dans le mépris dont elle était digne, elle n'exerça que trop d'influence sur la direction des études, jusqu'à l'époque où la scholastique, de jour en jour plus accréditée et plus barbare, obtint sur les derniers restes du - bon goût un triomphe trop assuré. Alors le nom même de la rhétorique disparut de l'enseignement, et, comme nous l'avons dit, on le cherche en vain dans le tableau des cours publics ouverts au milieu des écoles les plus célèbres du treizième siècle. L'argumentation syllogistique tenait lieu de toute éloquence.
Le c style prend, en chaque siècle, le caractère des études dominantes. On le voit timide et presque servile lorsqu'après
XIIIe SIÈCLE.
XXI.
Rhétorique et genre oratoire : Sermons.
Lebeuf, État des Sc., p. 81.
Hist. litt. de la Fr., XIV, p.
114.
[V. ci - dessus, p. 48.
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de longues ténèbres, et aux premiers jours où se renouvelle une instruction saine et classique, l'imitation des anciens modèles semble être encore l'unique talent et la seule perfection possible. Il se hérisse de' citations et de science, aux époques où l'érudition récemment éclose, d'autant plus fastueuse qu'elle est moins riche, obtient de l'ignorance qu'elle étonne, de superstitieux hommages. Il se montre au contraire léger, précieux, maniéré, si c'est à la subtilité des pensées et aux expressions équivoques ou ambitieuses que les noms de talent et d'esprit s'attachent. Il devient figuré, passionné, emphatique, quand la poésie et les arts d'imagination, par la hardiesse de leurs premiers élans, séduisent et entraînent le plus grand nombre des lecteurs et des auteurs. Dans un âge plus heureux ou plus mûr, la politesse des mœurs publiques et le génie des grands écrivains lui rendent ses grâces naturelles, son énergique simplicité, ses couleurs antiques.
Bientôt les progrès de la raison et des connaissances exactes lui imposent des lois de plus en plus rigoureuses ; et s'il est vrai que ces lois trop inflexibles puissent quelquefois comprimer ou circonscrire ses mouvemens, il est encore plus certain qu'elles lui donnent une direction sûre, et qu'elles augmentent sa force et son élégance par la précision même et la justesse qu'elles exigent. Mais le style du treizième siècle n'a aucun des caractères dont nous venons de parler : on avait perdu jusqu'à ce goût des allégories, des allusions ou applications subtiles, qui s'était maintenu durant le douzième siècle, et avait en quelque sorte transformé le discours en un tissu de commentaires mystiques. L'empire de la scholastique s'étendit sur l'art oratoire ou même sur toutes les productions en prose, à l'exception tout au plus des histoires et des romans. Partout ailleurs c'étaient d'interminables séries de définitions, d'axiomes, de distinctions, d'argumens et de questions, d'objections et de réponses.L'étude de la jurisprudence ecclésiastique et civile s'était renouvelée sans ramener l'éloquence du barreau. A l'exemple des professeurs dont ils avaient suivi les leçons, les avocats discouraient sans précision, sans grâce et sans véritable méthode. Tout leur art se bornait à mêler de vaines chicanes et des déclamations injurieuses à des citations pédantesques le plus souvent mal appliquées. Du sein de tant de jurisdictions, il ne s'est alors élevé aucun orateur dont le nom soit resté célèbre ou même connu; et si quelqu'un obtenait
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encore, par le talent de la parole, des succès ou de la renommée, c'était, comme aux siècles précédens, dans la chaire évangélique.
Foulques, curé de Neuilly, quoique fort peu lettré, était sans doute éloquent : personne, au commencement de ce siècle, n'a opéré plus de conversions, ni envoyé plus de croisés à la TerreSainte; mais on n'a conservé, et il n'a écrit peut-être aucun de ses sermons. Un Albéric de Humbert ou. de Hautvilliers, qui fut fait archevêque de Reims en 1207, et qui se croisa deux ans après contre les Albigeois, acquit en Languedoc la réputation d'un très-habile missionnaire. En général, tous les inquisiteurs prêchaient : le nom même de frères prêcheurs, que portaiennt les religieux de l'ordre institué par saint Dominique, nous indiquerait assez qu'on exerçait concurremment la puissance de la parole et des pouvoirs plus formidables.
Les peuples de ce temps-là admiraient aussi l'éloquence du bienheureux Hélin, abbé de Floreffes, qu'Honorius III chargea de prêcher une croisade; et de Jean de Saint-Gilles, qui, après avoir enseigné la médecine à Montpellier, étudia la théologie, eut bientôt, dans les églises, plus d'auditeurs qu'il n'en avait attiré dans les écoles, et fit, par l'une de ses exhortations pieuses, une telle impression sur Alexandre de Halès, que celui-ci, dit-on, embrassa tout-à-coup la profession de franciscain. Jean de Saint-Gilles lui-même interrompit un de ses sermons, où il venait de faire l'éloge de l'ordre de saint Dominique, pour en prendre à l'instant l'habit, afin, dit Quétif, de prouver son dire par le fait. Le dominicain Jacques de Cessolles, fameux par un livre de morale, calqué sur le jeu des échecs, se signala aussi dans les chaires. Quétif et son continuateur donnent de très-longues listes des religieux de cet ordre qui, dans le cours du treizième siècle, se sont distingués par le même talent, et dont les sermons subsistent manuscrits, ou sont cités par les auteurs contemporains. On a publié ceux d'Albert-le-Grand, de saint Thomas, de Jacques de Vorages : ce sont des monumens d'une scholastique barbare et d'une crédulité grossière, aussi inconciliables l'une que l'autre avec la véritable éloquence.
Il y avait un peu plus de simplicité dans les prédications de Guillaume d'Auvergne, plus d'onction dans celles de saint Bonaventure. Mais si l'on compare aux sermons déjà bien fastidieux des théologiens du douzième siècle ceux que nous ont laissés la plupart des scholastiques du treizième, la décadence de l'art oratoire paraîtra sensible. Toutefois, la
XIIIe SIÈCLE.
Innoc. III, Epist.
I, 398. — Jac. Vitr., H. Occid., c. 6, 8. — Otto à S.
Blasio, c. 47. —
Fleuri, LXXV, 12, 13.
Gall. chr., n.
VIII, 1391; IX, 104.
Gall. chr., n-.
III, 611.
Script, ord. prae- dic., I, 100.
Ib.,1,471.
Ib., 1, 384-386,
Alb.Oper.,1651, t. XII.
Th. Aq. Op., 1570, t. XVI.
Jac. à Vorag., serm. 1589, 1602, 2 v. in-8°.
Guil. Arv. Op., 1674, t. II.
Bonav. Op , 1751, t. XI.
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prédication ouvrait encore la carrière des dignités ecclésiastiques, et nous voyons, pour n'en citer qu'un exemple, Nicolas de Flavigny appelé, par ses succès dans ce ministère, à l'archevêché de Besançon. Plusieurs abbés, tels que Gérard de Péronne et Jacques de Somalia ou Romalia, étaient loués pour leur zèle ou leur habileté à prêcher les dogmes et la morale de l'Évangile.
On prêchait en latin, on prêchait aussi en langue vulgaire.
Pierre de Limoges raconte que, la fête de saint Jean-Baptiste tombant le cinquième dimanche après la Pentecôte, un prêtre nommé Barthélémy prêcha en langue latine le panégyrique du saint, et un sermon du dimanche in vulgavi.
Il subsiste des restes de ces prédications en idiome populaire, dans un manuscrit légué en 1260 à la Sorbonne par ce même Pierre de Limoges. Le mélange du latin et du francais en un même sermon se fait voir dès l'année 1262: « Dœmoniacum mutum sonavit et tunc lo muz parle, lo « poples s'en maravilhet. » Sous Philippe-le-Hardi, et avant la canonisation de Louis IX, Gilles d'Orléans, prêchant dans la chapelle royale, s'exprimait en ces termes : Prædi- catores tenentur ramentevoir statum ecclesiœ. Et après avoir dit en français qu'il fallait prier Dieu pour le royaume de France et pour le feu roi Louis, il ajoutait : Licet enim
credam quod eum tantum fecerit nichare, nichier, ad portam paradisi, usque modo tamen securum et bonum
est ut pro ipso oremus. Ces prédications macaroniques deviendront de plus en plus fréquentes dans les âges suivans, jusqu'à ce que les langues vulgaires soient assez formées pour s'emparer des chaires chrétiennes, et n'y plus admettre que des citations latines.
Les actes d'un concile tenu à Rouen, en 1214, nous font connaître quelques-uns des abus qui avaient commencé de s'introduire dans cette fonction sacerdotale. Les prêtres l'exerçaient à prix d'argent, et faisaient payer le plus cher qu'ils pouvaient leur éloquence apostolique. Des laïcs même s'adonnaient à ce métier lucratif; ils se présentaient dans les villes et dans les campagnes, pour prêcher moyennant un salaire, à la place des ecclésiastiques trop peu instruits pour haranguer les fidèles. Il s'établissait ainsi des compagnies de prédicateurs laïcs qui affermaient, à l'année, tous les sermons d'une paroisse, d'un diocèse, d'une province, s'engageant à prêcher eux-mêmes ou à fournir des orateurs. Voilà, sans
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Alber. Chron., p. 527. - Gall.
chr., n. I, 128.
Gall. chr., n.
III, 178.
Ibid., III, 588.
Echard, S. Th.
Summa vindicata, p. 32.
Ibid.
Ib., P- 34.
CandI. Normann., p. 112, can. 9.
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doute, l'une des particularités qui montrent le mieux combien on était loin de la piété, du zèle et de l'éloquence évangélique des premiers âges de l'Église.
Nous ne remarquons plus guère, au treizième siècle, d'autres oraisons funèbres que les lettres circulaires, ordinairement fort courtes, que l'on appelait rotuli; quelquesunes néanmoins avaient assez d'étendue : les auteurs de la nouvelle Gallia christiana en ont cité une qui avait quatorze aunes de long, et qui fut expédiée à presque tous les monastères de France, à l'occasion de la mort de Hugues II, abbé de Saint-Pierre de Solignac, au diocèse de Limoges, Mais, en général, de telles pièces appartiendraient plutôt au genre épistolaire qu'au genre oratoire.
Le douzième siècle nous a fourni de très-riches collections d'épîtres : celles surtout d'Abélard, de Suger, de saint Bernard, de Jean de Salisbury, de Pierre-le-Vénérable, de Pierre de Blois, nous ont intéressés non-seulement par les documens historiques qu'elles renfermaient, mais aussi par les formes de leur rédaction. Il n'en sera pas de même au treizième siècle : les théologiens scholastiques y sont trop occupés des leçons qu'ils donnent, des volumineuses compilations qu'ils entreprennent, pour avoir le temps d'écrire avec soin des lettres missives. Nous n'en avons aucune ni des savans étrangers qui ont vécu, étudié, professé à Paris, comme Alexandre de Halès, Albert-le-Grand, saint-Thomas d'Aquin; ni de la plupart des docteurs qui appartiennent davantage à la France, tels que Simon de Tournay, Guillaume d'Auvergne, Pierre d'Auvergne, Hugues de Saint-Cher, Thomas de Cantimpré, Guillaume de Saint-Amour, Guillaume Durand, évêque de Mende. Pas une seule épître, pas un billet ne se rencontre dans les longs recueils des œuvres de ces théologiens. C'est un traité plutôt qu'une lettre que Vincent de Beauvais adresse à saint Louis pour le consoler de la mort de son fils aîné. Une instruction d'Humbert de Romans sur les trois vœux monastiques ne saurait passer non plus pour une simple missive, bien qu'envoyée sous cette forme aux religieux dominicains. Il en faut dire autant de plusieurs opuscules de Roger Bacon, par exemple, de sa lettre au pape Clément IV sur l'Écriture sainte. Si, en ces temps, le genre épistolaire fournit encore des recueils considérables, c'est hors de la France. Notre littérature n'aurait à revendiquer parmi les épîtres des papes que celles d'Urbain IV et de
XIIIe SIÈCLE.
il, 571.
xxii.
Genre Épisto- laire.
V. Hist. litt.
de Fr., t. XII.
Abélard et Suger.
-t. XIII. S. Bern.
et Pierre le Vénér.
-t. XV. Pierre de Blois, Étien. de Tournay, etc.
Cum aliis Vinc.
opusc. Basileæ , 1481, in-fol.
Humb. Epist. de tribus votis, in Biblioth. Patrum, XXV, 653-664.
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Clément IV; la correspondance si importante d'Innocent III ne nous touche que par ses rapports avec notre histoire.
Nous devons laisser à l'Allemagne le recueil des lettres mémorables de Pierre des Vignes, chancelier de Frédéric II, et nous n'avons presque aucun droit non plus sur celles de saint Dominique, de saint Bonaventure, d'Étienne Langton, de Robert de Lincoln; lesquelles d'ailleurs ne sont ni trèsnombreuses, ni d'une très-grande valeur. Ce que nous aurions à citer comme appartenant pleinement à la France dans ce genre de productions., se réduirait aux correspondances officielles des rois Philippe-Auguste, Louis VIII, Louis IX, Philippe III et Philippe IV; de la reine Blanche; de Baudouin, empereur de Constantinople; d'Odon III, duc de Bourgogne; de plusieurs autres princes ou seigneurs. On a conservé néanmoins aussi des lettres de Manassès, évêque d'Orléans; d'Arnauld, abbé de Citeaux; de Guillaume, d'Auxerre; d'André de Longjumeau, qui rend compte à saint Louis d'un voyage en Tartarie. Nous nous arrêterons plus longtemps à ces pièces dans les articles particuliers qui concerneront chacun de ces écrivains : elles sont peu dignes de figurer dans un tableau général de la littérature; elles n'auront pour la plupart qu'un intérêt historique, qui encore sera souvent assez médiocre. On distinguera toutefois, sous ce rapport, le récit de la prise de Constantinople, adressé par Hugues, comte de Saint-Pol, au duc de Brabant et à l'archevêque de Cologne. On pourra observer que les rois, s'adressant au Pape, lui disent au plurier : Recordamini, Pater sancte,. ignoscite,. invenietis. Vestra Paternitas beatissima,. Vestra Sanctitas; et qu'en leur répondant, il use, pour les interpeller, de locutions plus correctes et réputées alors moins polies : Debes pensare,. bona ecclesiastica facias
cutodiri,. te et tuos nostra protections suscipiemus, etc. En
général, on évitait le tutoiement en latin comme en français, à l'égard des personnes qu'on ne traitait pas familièrement, ou sur lesquelles on n'affectait point de prendre une supériorité tranchante. La reine Blanche, en écrivant à la comtesse de Champagne lui dit : Noveritis quod, etc., et se déclare son humble et dévouée sœur, humilis et devota soror ejus Blancha. Du reste, cette lettre de Blanche servirait à montrer avec quelle négligence se rédigaient les correspondances les plus sérieuses. CI Consilium fuit régis Castellse
« (de Castille), quod obsiderent castrum quod dicitur de
XIIIe SIÈCLE.
Duchés., Scr.
rer. Gall., V. —
Brial, Script, rer.
Gall. XVII, 771, etc.
De Visch, 28.
— Maurique, ad ann. 121 3, c. 3, n. 1. - Marten.
Thes. Anecd., IV, 165. — Vaissette, III, pr. p. 286289.
Andr. de Longiumello, Scr.ord.
Prasdic., I, 140, 141.
Duchesne, V, 272-276.
lb., 278 - 283, etc.
Ib., 426.
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« Salvâ Terrâ. Ad quod respondit rex Navarræ, quod castrum « erat fortissimum et melius esset quod transirent.
« et intrarent portum Saracenorum, et quærerent regem « Mimamoraclin. Dixit rex Castellæ quod sufficiebat quod « rex Miramoraclin non audebat comparere et quod sanius
« esset consilium quod redirent », etc. On voit que la conjonction quod est toujours substituée à l'infinitif, pour marquer la liaison et la dépendance des propositions. Beaucoup d'autres idiotismes, encore plus barbares, avaient passé des écoles dans tous les genres de discours et d'écrits. Il ne restait plus rien au genre épistolaire de l'aisance et de l'élégante simplicité qui lui conviennent. La lettre où Philippe III annonce la mort de son père saint Louis, est remarquable par les traces beaucoup trop visibles d'une rédaction travaillée. La diction peut en paraître plus pure, mais il y règne un embarras et une contrainte qui ne laissent rien de naturel à l'expression de la douleur. Au commencement du siècle, Évrard de Béthune avait composé des modèles de lettres, Epistolce secundum artem dictatœ; on n'a point publié cet opuscule, non plus que des épîtres écrites par ce grammairien en son propre nom, et citées par Montfaucon. Mais on voit trop, par le Græcismus et les autres écrits d'Évrard.) qu'il était fort peu capable de donner des leçons et des exemples de style épistolaire. Ce style, jusqu'en 1300, n'a plus fait que. se flétrir : la scholastique y a introduit de plus en plus ses formules et sa latinité, sa monotonie et sa sécheresse. On n'écrivait encore que bien peu de lettres en langue française, quoiqu'on fît déjà beaucoup d'usage de cette langue en des compositions plus étendues, et particulièrement dans les romans.
Huet, évêque d'Avranches, auteur d'un excellent traité de l'origine des romans, les définit des fictions d'aventures amoureuses, écrites en prose; mais il n'a pu en tracer l'histoire qu'en sortant des limites d'une définition si resserrée. D'abord il est forcé de convenir que plusieurs de nos vieux romans décrivent encore plus de combats que de scènes galantes; et il faut bien en second lieu qu'il reconnaisse que plusieurs de ces histoires fabuleuses ont été originairement composées en vers. On ne peut suivre, dans le cours des siècles, les annales de ce genre de littérature, qu'en remontant à des ouvrages versifiés, mais qui, n'étant presque plus connus aujourd'hui que par des traductions en prose.
XlIlo SIÈCLE.
Ib., 440-441.
Sander, Bibl.
mss. Belg., p. I, p. 203.
Bibl. Bibl., I, 119.
XXIII.
Romans en prose.
Lettre à Segrais sur l'Orig. des Rom.
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sont tout à fait redescendus de la classe des poëmes dans celle des simples romans. Au fond,, ils ne méritaient pas une autre destinée : la versification n'était qu'un accident qui déguisait mal leur nature prosaïque, et l'on n'a fait, en les délivrant de la mesure et de la rime, que leur restituer leur véritable caractère. Marmontel, qui suppose avec trop de précipitation que nos romans de chevalerie ont toujours été traduits de prose en vers, en conclut plus mal encore que les fictions en prose ont partout précédé les poëmes. Il est fort probable, au contraire, qu'en tous les genres les premiers livres des anciens peuples ont été composés en vers. Le langage. mesuré parut long-temps le seul propre à fixer de grandes pensées dans la mémoire des hommes, et surtout le seul capable de propager et de consacrer ces fables de toute espèce qui formaient la théologie, l'histoire, la littérature de l'antiquité profane. Les premiers historiens des dieux, des héros et des peuples furent des poètes; et les prosateurs qui leur ont succédé, ont recueilli, comme eux, beaucoup de fictions populaires. Presque en chaque pays, les plus anciens livres après les poëmes sont des romans intitulés histoires.
Huet démontre que l'invention des romans est due au génie oriental; qu'ils ont passé de l'Inde en Égypte, en Grèce, à Rome, et chez les nations modernes de l'Europe. Calila et Dimna est le titre d'une série d'apologues et de contes, par lesquels un philosophe répond à un roi qui lui demande des conseils. L'origine indienne de ce recueil a été particulièrement prouvée par M. Silvestre de Sacy : ce savant a tracé l'histoire des versions qui en ont été faites en pehlvi, en persan, en arabe; indiqué les interpolations qu'il a subies; et montré en quoi il diffère de l'Hitopadésa et du DjawidanKired, avec lesquels il a pourtant des ressemblances. On attache aussi à ce livre tantôt le nom de Bidpaï ou Pilpaï, tantôt celui de Sandaber, Sendebar ou Sendebad. Siméon, fils de Seth, l'a traduit de l'arabe en grec, à la fin du onzième siècle. On a lieu de croire qu'il existe ou qu'il a existé des versions de ce dialogue, en syriaque, en hébreu, en turc, dans toutes les langues de l'Orient, et il est fort probable que les croisés de 1198, de 1202, de 1248, de 1270, en ont eu connaissance. Jean de Capoue, juif converti, que nous avons déjà indiqué, en a fait, au treizième siècle, une version latine qui devint bientôt la source de plusieurs traductions ou imitations dans les langues de l'Europe occidentale.
XIIIe SIÈCLE.
Essai sur les romans, t. XII des Œuvres de Marmontel, in-12.
Mém. hist. à la tête de Calila et Dimna ou fables de Bidpaï.
Voy. Starck, Præfat. ad Specimen sapientiae Indor. — Huet, Orig. des romans.
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Syntipas, nom qu'il serait peut-être permis de rapprocher de Sendebad ou Sendaber, est le titre d'un livre grec, qui s'annonce comme traduit d'une version syriaque faite d'après un autre idiome asiatique. Ce Syntipas est un philosophe à qui un roi, nommé Cyrus, a confié l'éducation de son fils. Ce fils doit être, après six mois, ramené à son père, et se trouver consommé en toute doctrine et toute sagesse. Mais le philosophe, vers la fin du sixième mois, consulte les astres, et les astres lui disent que l'élève est perdu, si, de retour à la cour de son père, il ne garde pendant sept jours le plus profond silence, Le jeune prince se tait en effet, le roi se fâche; et, pour amortir son courroux, sept philosophes lui récitent de longs contes. D'histoire en histoire, la semaine s'écoule, et la langue du jeune homme se délie. Tel est le fond du roman, où l'on remarque de plus une femme qui se conduit avec l'élève de Syntipas comme Phèdre avec Hippolyte ou l'épouse de Putiphar avec Joseph. On ne peut hésiter à dire que ce livre est l'un de ceux que nous avons rapportés des croisades : car au treizième siècle il a servi de modèle à celui qu'un moine de l'abbaye de Haute-Selve écrivit en latin, comme à ceux qui furent composés en français, l'un en vers, sous le titre de Dolopathos, par Hébert le Clerc; l'autre en prose, sous le même titre, par un anonyme, peut-être par le moine de HauteSelve lui-même. Dans nos langues modernes, les Sept-Sages, le prince Érastus, la Mal-marâtre, sont des livres disposés sur cet ancien canevas, qui admet un grand nombre de variations. Le conte de la Matrone d'Éphèse s'y trouve compris dans les versions latines et françaises du treizième siècle. Voilà déjà dans notre littérature de ce temps un roman qui est resté fameux.
En ce même siècle vivait le poète persan Saadi, qui mêlait volontiers des narrations fabuleuses à ses lecons de morale.
Les Persans, qui, de bonne heure, avaient orné de fables la vie de leur Zoroastre, ne tardèrent point d'avoir aussi des romans de chevalerie. Un chevalier Rustani était leur Roland, et ils arrangeaient dans le même goût l'histoire du grand Alexandre. Les Arabes cultivaient encore plus cette branche de littérature, et, parmi leurs romans historiques ou chevaleresques, il y en avait d'antérieurs à l'année 1300, qui furent traduits en langue persane dans le cours du XIVe siècle. Il est difficile de démêler jusqu'à quel point les Occidentaux, et spécialement les Français, ont eu connaissance de ces fictions orientales, et ce qu'ils en ont emprunté. Mais que tous
XIIIe SIÈCLE.
M. Dacier, Mémoire sur le Dolopathos, Acad.
des Inscr. XLI.
— Bibl. des Romans, t. V.
Fauchet, 56o.
- Caylus, Acad.
des Insc. XX.
Mémoire sur la Matrone d'Éphè- se, et sur Dolop.
Huet, Orig. des Rom.
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les auteurs européens, depuis le règne de Philippe-Auguste jusqu'à nos jours, aient plus ou moins puisé à des sources si fécondes, on ne s'avise guère plus d'en douter. L'histoire de nos fabliaux, contes et romans du moyen âge s'est fort éclaircie par la publication d'un grand nombre d'ouvrages orientaux. L'une des causes de l'imperfection de cette histoire est la perte des textes grecs et des versions latines des fables milésiennes, jadis si avidement accueillies dans la Grèce et dans Rome : il est probable qu'il nous en reste, dans les écrits de nos anciens romanciers, des débris que nous ne pouvons plus reconnaître.
Les auteurs francais mettaient aussi à contribution les poésies armoricaines, les fictions septentrionales qui étaient restées dans la mémoire des peuples de la Bretagne. Marie de France nous apprend que les Bretons avaient coutume de chanter les évènemens héroïques, et d'en perpétuer ainsi le souvenir.
Moult ont été noble barun, Gil de Bretagne li Bretun.
Jadis suleient par pruesce, Par curteisie é par noblesce, Des aventures qu'ils oieent, Qui à plusurs gent aveneient, Fère les lais pur remembraunce, Qu'on ne les mist en ubliaunce.
Marie atteste qu'elle a entendu et lu tous ces anciens récits poétiques en langue armoricaine ; et son témoignage nous est confirmé par ceux de plusieurs trouvères français, ses contemporains : Reynaud, traducteur du lai d'Ignaurès; Pierre de Saint-Cloud, auteur d'une partie du Roman du Renard; un anonyme qui, en versifiant le lai de l'Épine, déclare qu'il le tire des histoires qui se conservent à Cardiff, dans l'église de Saint-Aaron, histoires généralement connues en Bretagne et en d'autres lieux. On a prouvé de même, par l'aveu de nos romanciers, qu'ils ont dû, en grande partie, à cette littérature bretonne le fond de plusieurs histoires fabuleuses, par exemple, des romans de Perceval le Gallois, de Lancelot du Lac, d'Érec, de Cligès, de Tristan de Léonnois, du Chevalier au lion ou d'Ivains, compagnon d'Artur. Tous ces héros avaient été célébrés en des lais armoricains avant de l'être en des romans francais en vers ou en prose. Au douzième siècle, Robert Wase disait :
Fist roi Artur la ronde table, Dont li Bretons dient mainte fable.
XHIe SIÈCLE.
M. De la Rue, Rech. sur les Bardes armorie.
Lai d'Équitan.
Œuvr., L, 114.
Rom. du Brut.
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Au treizième siècle., Giraldus Cambrensis nous dira que les bardes gallois avaient des histoires généalogiques , de leurs princes., qui remontaient, comme celle du Brut,, à Énée. Les prophéties de l'enchanteur Merlin, et les plus anciens contes de fées semblent avoir la même origine. Dans un poëme, composé au temps de saint Louis ou de Philippe-le-Hardie et intitulé les Privilèges aux Bretons, nous lisons que plusieurs familles de la Bretagne descendent des fées ; que Jacques Brian de Compalé est cousin de la fée Morgain.
Gautier de Metz, dans son Ymage du Monde, décrit particulièrement les merveilles de la forêt Brecheliant, où périt Merlin, victime d'un charme des fées bretonnes. Il paraît donc difficile de contester l'existence d'une mythologie septentrionale, transmise par les Armoricains et par les poëtes anglo-normands à tous les autres romanciers de la France; mais on est obligé de convenir que plusieurs élémens de ces fables et de ces féeries se retrouvaient aussi chez les Orientaux du moyen âge.
Il suit au moins de ces observations que les romanciers français qui écrivaient en prose, traitaient des sujets déjà connus, et n'avaient à inventer que des épisodes et des détails accessoires. Fort souvent ce genre de composition n'exige pas d'autre travail, et il y a du mérite encore à coordonner et à compléter d'anciens récits. Ce succès est si peu facile, qu'aucun de nos romanciers du treizième siècle ne l'a obtenu. Mais la crédulité commune, le goût général du merveilleux, les habitudes aventureuses que faisaient contracter les croisades, suffisaient, dans ces temps grossiers, pour que les productions les plus informes et les plus volumineuses ne manquassent jamais de lecteurs.
Presque tous les romans du treizième siècle, et plus généralement du moyen âge, étaient chevaleresques. Ce genre, quoique si monotone, se rattachait mieux qu'aucun autre aux usages et aux intérêts de ce temps. Il avait surtout avec la pratique des combats judiciaires, des rapports que Montesquieu a observés. « Je trouve dans la loi des Lombards », dit ce grand écrivain, « que si un des deux champions avait « sur lui des herbes propres aux enchantements, le juge les « lui faisait ôter, et le faisait jurer qu'il n'en avait plus. Cette « loi ne pouvait être fondée que sur l'opinion commune : « c'est la peur, qu'on a dit avoir inventé tant de choses, qui « fit imaginer ces sortes de prodiges. Comme dans les combats
XIIIe SIÈCLE.
Cambriædescr. ,
c. 3 et 11.
De la Rue, p.
49.
Ibid.
Espr. des Lois, 1. XXVIII, c. 22.
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« particuliers, les champions étaient armés de toutes pièces, c et qu'avec des armes pesantes, offensives et défensives, « celles d'une certaine trempe et d'une certaine force don« naient des avantages infinis, l'opinion des armes enchantées <r de quelques combattans dut tourner la tête à bien des gens.
« De là naquit le système merveilleux de la chevalerie, tous « les esprits s'ouvrirent à ces idées. On vit dans les romans, « des paladins, des nécromans, des fées, des chevaux ailés « ou intelligens, des hommes invisibles ou invulnérables, Il des magiciens qui s'intéressaient à la naissance ou à l'édu« cation des grands personnages, des palais enchantés et « désenchantés; dans notre monde un monde nouveau et le « cours ordinaire de la nature laissé seulement pour les c hommes vulgaires. Des paladins, toujours armés, dans une « partie du monde pleine de châteaux, de forteresses et de « brigands, trouvaient de l'honneur à punir l'injustice et à « défendre la faiblesse : de là encore, dans nos romans, la « galanterie fondée sur l'idée de l'amour jointe à celle de « force et de protection. Ainsi naquit la galanterie, lorsqu'on « imagina des hommes extraordinaires qui, voyant la vertu < jointe à la beauté et à la faiblesse, furent portés à s'exposer « pour elle dans les dangers, et à lui plaire dans les actions « ordinaires de la vie. Nos romans de chevalerie flattèrent ce « désir de plaire, et donnèrent à une partie de l'Europe cet « esprit de galanterie que l'on peut dire avoir été peu connu « par les anciens. Le luxe prodigieux de cette immense ville « de Rome flatta l'idée des plaisirs des sens; une certaine « idée de tranquillité dans les campagnes de la Grèce fit « décrire les sentimens de l'amour : l'idée de paladins pro« tecteurs de la vertu et de la beauté des femmes conduisit « à cellé de la galanterie. Cet esprit se perpétua par l'usage « des tournois, qui, unissant ensemble les droits de la valeur tl et de l'amour, donnèrent encore à la galanterie une grande « importance. »
Quelque justes que soient ces réflexions de Montesquieu, nous sommes portés à penser que les croisades ont contribué, plus qu'aucune autre cause, à répandre le goût des romans de chevalerie. Le but de ces compositions fabuleuses, si multipliées depuis l'avènement de Louis-le-Gros jusqu'à celui de Philippe-le-Bel, fut d'accréditer ces expéditions si romanesque elles-mêmes. Il fallait imaginer, établir des liens étroits entre la dévotion, la bravoure et cette galanterie
XIIIe SIÈCLE.
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dont Montesquieu vient de nous parler; de ces trois élémens composer des mœurs chevaleresques qui devinssent celles de tous les guerriers européens. C'est une grave erreur que de considérer les romans de chevalerie comme des productions purement françaises. Nous n'étions pas les seuls preux, les seuls croisés de la terre; et cette espèce de religion guerrière et galante que nos voisins professaient avec nous, devait avoir ses traditions et ses livres dans leurs langues comme dans la nôtre. Il est même assez difficile, au milieu de tant de romans en divers idiomes, de faire un triage exact des textes et des versions, des originaux et des copies, de reconnaître les inventeurs, et de les distinguer des écrivains qui n'ont fait qu'imiter ou traduire. A proprement parler même, il n'y avait point d'inventeurs : car on se bornait, en France comme ailleurs, à donner des formes nouvelles, de nouveaux développemens, aux histoires merveilleuses dont on avait trouvé le fond dans des fictions orientales et septentrionales, et dans des chroniques latines antérieures aux croisades. ,
Trithème, auteur du quinzième siècle, a rassemblé d'assez longs extraits de la Chronique d'Hunebauld ou Hunibaldus, contemporain de Clovis : ellle se termine à la mort de ce prince, en 512, et n'offre, comme Huet l'observe, qu'un amas de mensonges grossièrement imaginés. Hunebauld a précédé de quelques années Thélésin et Melkin, qui, dans le cours du sixième siècle, écrivirent l'histoire de l'Angleterre, leur patrie. Saint Gildas, moine anglais, dont l'époque n'est pas très-bien connue, passe pour l'auteur d'un épître sur les désastres de la Grande-Bretagne, et peut-être de quelques autres écrits où l'on pourrait prendre une idée des fictions de Melkin et de Thélésin. C'est à un autre Gildas, qui vivait, dit-on, vers 860, qu'on attribue les récits fabuleux qui concernaient Artur, Perceval et Lancelot. Si, comme on le croit, nos romanciers contemporains des croisades ont puisé dans ces anciens ouvrages, il en faut conclure avec Huet que les Arabes n'ont eu sur les romans européens du moyen âge qu'une influence secondaire. Cependant, comme les Sarrasins sont entrés en Espagne dès 712, leurs fictions, leurs féeries, leurs prestiges, avaient eu le temps de se répandre assez en Europe, pour s'introduire dans les romans composés quatre ou cinq cents ans plus tard; et si l'on tient compte d'ailleurs des voyages et des séjours des croisés ne
XIIIe SIÈCLE.
Schardii Scr.
rer. Germanie., I, 302. — Nicer., XXXVIII, 216, etc.
Fabr., Bibl. med.
et inf. Ibl. 111, 59-61, ed. Mans.
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Orient, depuis 1094 jusqu'en 1270, on concevra mieux encore comment nos fables occidentales ont pu s'enrichir par des emprunts faits à celles des Orientaux. En général, les idées humaines tendent à se communiquer et à se confondre.
La fameuse Chronique de Turpin serait du huitième siècle, si elle était véritablement l'ouvrage de cet archevêque de Reims ; mais elle raconte des faits moins anciens, et personne aujourd'hui ne la croit écrite avant le dixième siècle. Il est même beaucoup plus vraisemblable qu'elle n'appartient qu'à l'un des deux siècles suivans. Il se pourrait qu'elle fût l'un des premiers livres fabriqués pour exciter le zèle et l'enthousiasme des croisés. Peut-être y a-t-on recueilli ce qu'il y avait de plus merveilleux dans quelques chroniqueurs contemporains de Charlemagne, tels que Solcon, Hancon, Occon, petit-neveu de Solcon, lesquels écrivaient à peu près dans le même temps et dans le même goût que Gauffred, historien de Merlin l'Enchanteur.
Après avoir indiqué, autant qu'il nous a été possible, les sources diverses des romans de chevalerie, nous devons en distinguer les différentes espèces. Déjà nous avons vu qu'ils se divisaient en deux ordres, selon qu'ils étaient écrits en vers ou en prose. Il y a des romans versifiés en langue provençale, et beaucoup plus en langue française. Le douzième siècle nous a présenté, dans ce dernier idiome, plusieurs poëmes considérables : le roman du Brut et le roman du Rou de Robert Wace, les romans d'Érec et d'Énide, de Cligès ou Cliget, de Guillaume d'Angleterre, du Chevalier au lion, de Perceval le Gallois, de la Charrette ou de Lancelot, tous par Chrestien de Troyes, et le poëme ou roman d'Alexandrele-Grand, par Lambert-li-Cors et Alexandre de Paris. Cette littérature était donc riche ou volumineuse en vers françàis, avant l'année 1200. Nous la verrons continuée par Adenez, Robert de Blois, Gauthier de Belle-Perche et d'autres rimeurs.
Adenez fixera surtout notre attention par la fécondité de son talent : il a versifié les histoires d'Ogier le Danois, de Huon de Bordeaux, de Cléomadès et Clarmonde, d'Aymeric de Narbonne, de Berthe et Pepin. Mais nous n'avons encore en vue que les romans en prose, et il s'agit particulièrement de discerner ceux que le treizième siècle a produits en France.
Cette question n'est pas sans difficultés.
On a coutume de partager les romans de chevalerie en
XIIIe SIÈCLE.
Huet, Orig. des Romans. — Caylus, Acad. des Insc., XXIII.
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trois espèces : ceux de la Table-ronde, ceux de Charlemagne, ceux des Amadis; mais nous n'aurons point à nous occuper ici de ces derniers, qui n'ont commencé qu'au quatorzième siècle, et qui paraissent avoir pris naissance en Italie.
L'idée primitive de ceux de la Table-ronde consiste dans la conquête du Saint-Graal ou Saint-Hanap, c'est-à-dire, du ciboire dont s'est servi Jésus-Christ mangeant aves ses disciples : le Saint-Graal avait opéré tant de prodiges entre les mains de Joseph d'Arimathie, que Lancelot, Perceval et leurs compagnons d'armes ne pouvaient tenter trop d'aventures et courir trop de périls pour s'en emparer. Le premier nom de Lancelot était Galaad, amant de madame Genièvre, épouse du roi Artus. Les exploits de Galaad lui valurent le nom de Brise-lance, ou Lancirotto, comme l'appellent les Italiens. L'histoire et les prophéties de Merlin tiennent à ces fables de la Table-ronde; on peut presque également y rapporter ou en détacher les aventures de Perce-Forest. Il est dit au chapitre III de Perce-Forest, que son histoire a été d'abord écrite en vers grecs, puis traduite en latin sous le règne de Philippe-le-Bel. On lit de plus dans le cours de l'ouvrage que Cressus, contemporain d'Alexandre-le-Grand, composa sur les hauts faits de Perce-Forest des mémoires qui furent depuis recueillis par le hérault d'armes Paustonnet et continués par son fils Pousson. Il faut bien que Paustonnet et Pousson soient postérieurs au roi Artus, puisqu'ils font mention de lui; et néanmoins Paustonnet se donne pour témoin oculaire des actions de Perce-Forest, qu'il suppose couronné roi de la Grande-Bretagne par Alexandre-le-Grand.
mais dont il prolonge la vie au moins jusqu'au premier siècle de notre ère : car Perce-Forest est converti au christianisme par des descendans de Joseph d'Arimathie. Ces détails font assez connaître l'étrange chronologie qui règne dans cette classe de romans. Entre les histoires qu'elle embrasse, celle de Giron-le-Courtois, de Giglan, de Méliadus, sont un peu moins monstrueuses. Il y a dans celle de Tristan, lorsqu'on la débarrasse de toutes les bizarreries dont ses premiers rédacteurs ou traducteurs l'ont surchargée, un intérêt naïf qui ne se prolonge point dans celle d'Isaïe-leTriste, fils de Tristan et de la belle Iseult. Voilà les principaux romans de la Table-ronde, composés d'après d'anciennes chroniques, mais dont les rédactions en prose latine ou française ne remontent qu'au douzième et au treizième siècle.
XIIIe SIÈCLE.
Caylus, Acad.
des Insc., XXIII.
— Chénier, frag.
de Littér., p. 60.
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Il n'est guère plus aisé d'établir la chronologie de ces rédactions que celle des faits racontés dans ces livres. Parmi les romans de la Table-ronde, quelques-uns peut-être n'ont été mis en prose qu'après l'an 1300. Giglan est du nombre de ceux qu'on sait avoir été traduits de rime en prose par les sires-clercs du quatorzième siècle, principalement par Arrodian de Cologne. Mais il est certain aussi que la plupart des autres avaient été lus en prose française avant l'année 1301 j il en existe des manuscrits antérieurs à ce terme. Les rédacteurs de cette prose, les plus connus du moins, étaient Luce du Gaste, Gace-le-Blond, Gautier Map, et Rusticien de Pise, qui, tous quatre, ont été désignés dans notre quinzième volume comme des auteurs du douzième siècle. M. Ginguené leur a même associé Hélie de Borron et Robert de Borron.
En effet, on rencontre dans les livres de Rusticien de Pise un texte où il rappelle, comme antérieurs aux siens, les travaux des deux Borron, de Map, de Gace et de Luce du Gast. Or on suppose ordinairement que Rusticien écrivait sous le règne du roi d'Angleterre Henri IL qui mourut en 1189, quelquefois même on fait remonter Rusticien jusqu'à l'an 1115 : mais il reste beaucoup d'incertitudes sur tous ces points.
D'abord on sait que Gautier Map vivait encore en 1210; et il est permis d'en conclure que Rusticien de Pise, qui n'a travaillé qu'après lui, n'est pas très-bien placé sous le règne de Henri II, qu'il le serait mieux peut-être sous celui de Henri III, entre 1216 et 1272. Cette conséquence a été expressément énoncée par les bibliographes très-instruits qui ont rédigé le catalogue de la Vallière. D'ailleurs, quels sont ces textes latins sur lesquels Rusticien de Pise assure qu'il a travaillé, ainsi que ses prédécesseurs? Probablement il ne veut parler que des anciennes chroniques où se trouvait le premier fond de ces romans : car, s'il en avait été fait d'autres rédactions latines, ce n'aurait été qu'après l'avènement de Philippe-Auguste, et l'on n'aurait guère eu le temps d'en composer des versions françaises avant 1201. Les plus anciens manuscrits de toute cette prose française de Rusticien, de Gautier Map, même de Gace-le-Blond et de Luce du Gast, ne remontent qu'au règne de Philippe-le-Hardi, tout au plus. C'est en des manuscrits plus modernes, du quinzième siècle, par exemple, que se rencontrent les indications qui semblent assigner à ces traductions des dates antérieures au treizième siècle.
Or personne n'ignore qu'il arrivait fort souvent aux
XHIe SIÈCLE.
P. 494-500-
Fabric., Bibl.
med. et inf. lat., III, 117, edit.
Mansi.
MM. van Praet et Guill. De Bure.
T. II, p. 605606-614.
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nouveaux copistes, en même temps qu'ils corrigeaient le langage des textes, d'y ajouter aussi des notes plus ou moins inexactes ou hasardées. Par tous ces motifs, nous pourrions revendiquer, pour le siècle qui nous occupe, une grande partie des versions en prose française des romans de la Table-ronde; mais nous ne prétendons point décider ici des questions si peu éclairées encore par des renseignemens positifs.
C'est du moins, à ce qu'il semble, dans le cours du treizième siècle qu'ont été mis, on ne sait par qui, en prose française, les romans d'Isaïe-le-Triste, de Fier-à-Bras, et peut-être aussi de la Fleur des Batailles; mais les deux derniers appartiennent à la classe des romans de Charlemagne ou des douze pairs de France.
Les histoires chevaleresques de ce deuxième genre reposent toutes sur l'hypothèse d'une expédition de Charlemagne en Palestine. La Chronique de Turpin, qui leur sert de base, fut traduite en français, par Michel de Harnes, vers la fin du règne de Philippe-Auguste. On y a puisé les sujets d'un très-grand nombre de romans, mais dont quelques-uns seulement ont occupé les prosateurs français de ce siècle.
Nous ne savons auquel d'entre eux est due l'histoire de Fierà-Bras, où il s'agit des rois de France païens antérieurs à Clovis, puis de ce monarque, de son épouse Clotilde, de saint Remi, de la sainte Ampoule, de Pépin, de Charlemagne enfin, qui délivra la Terre-Sainte, et de sa mort miraculeusement annoncée à Turpin, qui mourut toutefois avant lui. La Fleur des Batailles, autre ouvrage anonyme, mais du même temps, rassemble les aventures de Doolin de Mayence, de Geoffroy son fils, d'Ogier le Danois, et de bien d'autres héros. Le treizième siècle paraît n'avoir produit aucune rédaction en prose des deux meilleurs romans de cette classe, qui sont Huon de Bordeaux et Guérin de Montglave, Tous les autres sont fastidieux et barbares; l'origine en est peu éclaircie, et ils ne pourraient servir qu'à faire admirer le génie de l'Arioste et du Tasse, qui ont su trouver, dans cet amas d'inepties, les germes de leurs poëmes immortels.
En dehors des deux classes qui viennent d'être indiquées, et de celle des Amadis, qui ne s'est formée que plus tard, il reste quelques romans de chevalerie dont les sujets demeurent plus isolés. Tel peut sembler, comme nous l'avons dit, Perceforêt. Tels étaient aussi le roman de Clamadès et
XIllo SIÈCLE.
V. Bibl. Hist.
de la France, II, n°16187.
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Claremonde, et celui de Partinuplès, dont la composition originale est attribuée à un poète catalan. L'un et l'autre ont été versifiés par les trouvères de ce temps; mais nous ne voyons pas qu'ils aient été mis en prose française avant le quatorzième ou le quinzième siècle. L'histoire d'Aucassin et de Nicolette, qui sort tout à fait du genre de la chevalerie, est mêlée de prose et de vers. Nous la croyons composée vers 1250 j on l'a quelquefois jugée plus ancienne : l'auteur n'en est aucunement connu. Chaque morceau de vers est précédé des mots, Or se cante, et les récits en prose sont annoncés chaque fois par la formule, Or dient, content et fabloient; c'est une des plus ingénieuses et des plus élégantes productions de cet âge. « Il y a, dit Chénier, de la véritable « passion dans Aucassin et Nicolette; et ce petit roman est « de beaucoup le meilleur de tous ceux qui paraissent avoir « une origine française. La captivité de Nicolette, sa fuite « nocturne, cette voix qui gémit et qu'elle reconnaît en « passant près d'une tour, les discours qu'elle tient au gentil « bachelier, la boucle de cheveux qu'elle lui jette et qu'il « reçoit avec transport à travers les barreaux de sa prison; « le soldat en sentinelle qui, du haut de la tour, et, dès qu'il « voit arriver ses camarades, l'avertit, dans une chanson « qu'il improvise, de prendre garde aux soldats méchans; « la petite cabane que Nicolette se construit dans la forêt, « tous ces détails sont charmans. La suite vaut beaucoup « moins. On voit avec peine les deux amans pris par les « Sarasins, ensuite séparés pendant plusieurs années; Ni« colette amenée à la cour du roi de Carthage, le roi recon« naissant en elle sa fille perdue en bas âge, et Nicolette « abandonnant son père qui veut la forcer d'épouser un « musulman, que l'auteur appelle un païen. Mais on retrouve « tout l'intérêt du commencement, lorsque Nicolette, dé« guisée en ménestrel, chante à Aucassin lui-même les amours d'Aucassin et de sa mie; ce qui amène, avec beaucoup de « naturel, la reconnaissance et le mariage des deux amans. »
Cet excellent conte est, à tous égards, ce qu'il y a de plus original parmi les productions romanesques de ce siècle; presque toutes les autres sont traduites ou empruntées, soit de rédactions latines, soit d'ouvrages français versifiés. C'est l'idée que nous avons dû prendre et du Dolopatos en prose française, et des deux romans où la Fleur des Batailles et l'histoire de Fier à Bras se présentent sous la même forme,
XlHe SIÈCLE.
V. OEuvr. de Tressan, VII, 271316.
Fabliaux, éd.
de M. Méon, I, 380-418.
Fragm. de Littérat., p. 101 - 102.
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et des romans de la Table-ronde, rédigés par Rusticien et ses prédécesseurs, s'il est vrai que ceux-ci n'aient écrit qu'après le commencement du treizième siècle, ce qui nous a paru fort probable. Bientôt, en parcourant les poésies de cet âge, nous le trouverons plus riche en narrations fabuleuses ; parmi les prosateurs, l'auteur d'Aucassin est le seul qui sache inventer et raconter. Tous néanmoins font des efforts pour acquérir ces deux talens; mais on voit qu'ils ont à satisfaire des lecteurs dont l'avidité est insatiable, et le goût fort peu sévère. Ces deux dispositions du public ont dû provoquer la composition d'une multitude de longs ouvrages médiocres. Dans les cours, dans les châteaux, dans les cloîtres, on voulait, à tout prix, des récits et des fictions. L'art historique ne faisant presque aucun progrès et les chroniques demeurant, en général, fort arides, le succès des romans était infaillible, puisqu'ils offraient plus de détails et ne contenaient pas moins de fables. Il paraît que dans les rangs les plus élevés de la société, les narrations récitées ou chantées faisaient le charme des entretiens. Les voix des ménestrels et des dames célébraient tant d'aventures guerrières et galantes ; chacun était invité ou même obligé à débiter, à son tour, une histoire. Les chevaliers ne dédaignaient pas de cultiver l'art de raconter : c'était un mérite de plus dont on leur tenait compte. Il fallait donc, pour - briller dans ces assemblées, avoir lu beaucoup de romans, avoir appris et retenu un assez grand nombre de récits merveilleux. Des clercs assermentés consignaient dans des registres les exploits de chaque chevalier, tels qu'il les rapportait et les attestait lui-même; cet usage, dont il est fait mention dans Perceforêt, s'est maintenu jusque sous Charles VII. Un genre de littérature qui tenait à tant d'habitudes, ne pouvait manquer de s'étendre.
Dans un mémoire sur l'utilité des romans de chevalerie, Sainte-Palaye s'applique surtout à prouver qu'ils contribuent à éclaircir l'histoire, non pas assurément celle des faits proprement dits, mais celle des mœurs publiques. Jean le Laboureur avait déjà fait cette observation, et, pour la rendre plus sensible, il avait remarqué particulièrement que les historiens du moyen âge s'étaient peu ttachés à peindre les coutumes de leur temps. Contens de suivre le cours des évènemens publics, ils ne pénétraient point dans l'intérieur de la vie domestique et des mœurs sociales. On n'apprend
XIHe SIÈCLE.
Ste-Palaye, second mém. sur la chevaler.
Ibid.
T. VI, fol. 67 et 68. — Note 88 du second mém.
sur la chev.
Acad. des Insc., t. XIII.
Hist. de la Pairie, p. 280.
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point, dans leurs livres, comment vivaient les Français, quels étaient les caractères habituels de leurs pensées, de leurs sentimens, de leur conduite. Ce que nous savons de cette importante partie de nos annales a été puisé en d'autres écrits, et spécialement dans ceux des romanciers : Fauchet, Pasquier et d'autres antiquaires y ont fait d'heureuses recherches. Un auteur qui n'est resté fameux que par son mauvais goût, et qui aurait pu le devenir par son érudition, Chapelain donnait le nom de grand coutumier au roman de Lancelot du Lac. Dom Vaissette et ceux qui ont composé, comme lui, de savantes histoires de nos provinces, ont eu souvent besoin de recourir à de pareilles sources. Nous hésiterions pourtant à les croire aussi fécondes et aussi sûres que Sainte-Palaye voudrait nous le persuader : car tous les temps et tous les lieux y sont confondus sans cesse; aucune notion n'y est précise, et il est peu facile de discerner, dans cet amas de fables, des souvenirs réellement historiques.
Y rechercher, comme le propose Sainte-Palaye, des faits, des généalogies et des situations géographiques, est une entreprise presque aussi aventureuse que celles des héros de ces vieux romans. A notre avis, la seule instruction qu'on y pourrait prendre avec quelque sécurité, est celle que Pasquier désigne, lorsqu'il dit que ces livres sont de vrayes images des mœurs qui lors estoient observées. Ils peuvent, jusqu'à un certain point, jeter du jour sur diverses pratiques militaires, féodales, religieuses; sur ce qui concerne les armures, les armoiries, les droits ou les us de la noblesse, les rapports entre les vassaux et les suzerains. Du reste, Sainte-Palaye lui-même est forcé de convenir que « la plu« part de nos vieux romans ne représentent que des guerriers « farouches, pleins d'une valeur brutale, féroce et sangui- « naire, autorisée et produite par le peu de subordination « qui régnait entre les différens membres de l'État; et que « ceux qui les ont composés sont souvent fastidieux par « leurs fictions, par le tour de leur esprit et la grossièreté « de leur style. »
Ce sera bien plus aux contes en vers qu'aux romans en prose, que nous aurons à reprocher la licence extrême des détails et des expressions. Caylus dit que les mots n'étant que de convention, c'est l'usage seul qui les fait trouver indécens ou honnêtes; qu'ainsi il ne faut juger de la morale d'un siècle que par les idées qui composaient le fond des discours
XIIIe SIÈCLE.
Orig. des dignités, etc., 1. II.
Rech., 1. VII, c. 5 ; 1. IX, c. 30.
Dialog. adr. au card. de Retz; Mém. de Litt. et d'Hist., t. VI, part.
I, p. 281-342.
Hist. de Langued.
Lettr., 1. XIX, 1. 16, p. 586.
Acad. des Insc., XX, 376.
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et des livres. Sous ce dernier point de vue, les conteurs du moyen âge seraient fort repréhensibles encore, Caylus n'en disconvient pas : mais, quelque variables que soient en effet les impressions que les mots produisent, selon la diversité des habitudes et les caprices des langues, il nous paraît certain que la décence des expressions donne une mesure assez juste de la morale et du goût de chaque pays et de chaque époque. L'honnêteté n'a pu être bravée avec tant d'excès que chez un peuple dont la civilisation demeurait fort imparfaite. Quand les conteurs modernes traitent les mêmes sujets et disent les mêmes choses, la réserve de leur langage annonce des mœurs plus polies, et par cela même moins perverses. Nous savons bien qu'on envisage quelquefois cette politesse comme un progrès du vice qu'elle veut déguiser, et, en quelque sorte, ennoblir : mais nous ne saurions donner à la grossièreté, à l'effronterie, le nom de franchise; et, à notre avis, la honte qui voile les désordres est un commencement de réforme.
Du reste, les romans en prose ne sont point, encore une fois, ceux des livres du treizième siècle qui décèleraient le plus la profonde corruption des mœurs. On y remarquerait plus souvent un tout autre genre de licence, quelques sentiments hardis, quelques idées téméraires, qui s'accordent mal avec l'orthodoxie et la piété de ce temps. Aucassin, par exemple, répond aux sages remontrances de son père, qu'il veut Nicolette et non pas le paradis, où il n'entre que des moines fainéans et de vieux hypocrites; qu'il aime mieux l'enfer, où il retrouvera Nicolette, au milieu d'une brillante et innombrable compagnie de rois illustres, de chevaliers intrépides, d'écuyers fidèles et de femmes tendres. On a peine à comprendre comment de telles impiétés pouvaient s'écrire et se lire sous saint Louis; mais, au fond, il n'y avait alors d'écrits exposés à la censure que ceux qui étaient destinés aux écoles, ou qui traitaient expressément des matières théologiques. La littérature purement profane jouissait et usait d'une trèsgrande liberté.
Tout encourageait et nul obstacle n'eût entravé le progrès de l'art des romanciers, s'ils avaient eu plus de goût, plus de génie et de talent. Entre les genres littéraires, celui-là n'est point assurément le plus recommandable; mais il est pourtant un de ceux qui peuvent montrer jusqu'où s'étend la puissance de l'imagination humaine : cette faculté, qui
XIIIE SIÈCLE.
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brille d'un éclat plus noble dans les fictions en vers, manifeste plus librement dans les fictions en prose son inépuisable fécondité. C'est là qu'on la voit s'emparer de tous les résultats de l'histoire, de tous les accidens de la vie, de tous les sentimens du cœur, de tous les mouvemens des passions; de tout ce que la société présente de vices, de caprices, de ridicules, de caractères, pour en diversifier à l'infini les effets, les rapports, les affinités, les contrastes. C'est là qu'on la voit s'élancer hors du système positif des choses physiques et morales, créer d'autres cieux et une autre terre, peupler de fantômes des lieux chimériques ou réels, rattacher à ce qui existe tout ce qu'elle fait exister, se jouer du possible et de l'impossible, et retrouver au-delà de toute vérité, et presque au-delà de la nature, un intérêt nouveau et une vraisemblance nouvelle. Mais les Francais du treizième siècle étaient bien loin de posséder ce qu'il faut d'instruction et de culture, pour réussir dans ces compositions hardies, d'autant plus difficiles que les règles et les limites en sont moins déterminées. Aucun chef-d'œuvre n'avait encore fixé ou ébauché la théorie de ce genre; et il paraît qu'on n'étudiait point du tout ce qu'il avait produit jusqu'alors de plus tolérable, savoir les romans grecs, composés vers le quatrième ou le cinquième siècle par Longus, Héliodore, Achilles Tatius, Xénophon le Jeune et Chariton. C'étaient des essais informes ou des chroniques barbares qui servaient de modèles et qui fournissaient les premiers matériaux.
Nous avons terminé l'exposé général de toutes les espèces d'écrits en prose ; les productions en vers dont nous devons esquisser le tableau, se diviseront en trois classes, selon qu'elles appartiendront à la langue latine, à la provençale JOU à la française.
Le douzième siècle a fourni à Leyser une liste de plus de cent poètes latins : ceux du treizième sont moins nombreux et plus inhabiles. Aucun d'eux ne serait comparable à Gautier de Châtillon, auteur de l'Alexandréide, s'il était vrai surtout que Gautier eût laissé ce poëme dans l'état où il a été publié. Quelques corrections qu'aient pu y faire les éditeurs, la composition de l'ouvrage et la noblesse du style mériteraient toujours beaucoup d'éloges. Il s'en faut qu'on retrouve ce talent dans les vers d'Alain de Lille, qui a osé pourtant déprécier Gautier et l'appeler un Mævius. Alain n'étant mort qu'après l'an 1200, l'examen de ses écrits n'est point encore
XIIIe SIÈCLE.
XXIV.
Poési latine.
Hist. poet. med.
ævi : XII s., p.
367-764; XIII s., p. 764-1002.
V. notre tom.
XV, 100-119.
Ibid., 119.
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entré dans notre Histoire littéraire, quoiqu'ils aient été composés presque tous avant ce terme. Quelques-uns sont en vers, car il appartenait au docteur universel de se faire aussi poète. On a sous son nom des paraboles en vers,élégiaques, des chants religieux en prose mesurée et rimée, et, pour ne plus indiquer que la principale de ses productions poétiques, un Anti-Claudien en neuf livres, comprenant environ quatre mille vers hexamètres. Mais ce titre a besoin d'explication. Claudien a montré tous les vices s'emparant de Rufin, et concourant à le pervertir : Alain rassemble toutes les vertus autour d'un homme qu'elles veulent perfectionner, et qui deviendra par là un anti-Rufin; mais l'auteur étant trop savant pour se contenir dans un plan si simple, la multitude et le désordre de ses idées amènent une telle confusion (ïè détails, que les admirateurs de ce poëme y ont trouvé une encyclopédie complète et lui en ont donné le nom. Barthius n'y a vu qu'un chaos d'énigmes et de sophismes; Quadrio en a jugé de même, et nous ne saurions être d'un autre avis. Pour apprécier la poésie d'Alain, son goût, sa latinité, il suffira peut-être de savoir que ses livres sont pleins de vers tels que ceux-ci :
Qualiter ex nihilo, sine formâ, semine, causâ, Materiâ, motu, sensu, ductore, ministro, Ingenium simplex, animabile, mobile, purum, Prodeat exterius, nullo mediante patrono, Sola Dei novit prudentia; cujus ab alto Pectore procedit quidquid procedit in esse.
Hîc elementa silent, languescunt semina rerum, Sidus abest, natura jacet, virtusque planetæ Deficit, et propria miratur jura silere.
Ergo cum nostra genituram regula talem Nesciat, et tantam superet pictura figuram, Non video, non concipio, non judico memet Scire modos, causas, rationes, semina, formas.
Ergo consilii super his libramina ferre Nescio, non valeo, dubito, desisto, retardo, etc.
i
Nous nous sommes permis d'écrire abest, au lieu d'habet, que Leyser a imprimé d'après une copie, selon lui, plus correcte de ce premier livre de l'Anti-Claudien. Au fond, l'on n'a guère apporté plus de soin à publier ces vers, que l'auteur n'en avait mis à les composer. On voit pourtant que les modèles classiques ne lui étaient pas inconnus. Il leur emprunte quelquefois des vers qu'il entremêle aux siens, comme pour
XIIIe SIÈCLE.
De Vich, Bibl.
cisterc. 14. Leyser, 1020, etc.
Animadv. ad Statii Thebaid., II, 401.
Storia d'ogni Poesia, I, 200201.
Anti-Claud., 1.
I, v. 279-296.
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rendre plus sensible la platitude de son propre style. C'est ainsi que nous lisons consécutivement ces deux lignes :
Ut primo medium, medio non consonet imum, Censetur turpe, fluitans, mutabile, stultum.
Mais c'en est trop sur de si médiocres poëmes.
Quelques étrangers cultivaient un peu plus honorablement les muses latines. Le toscan Henri de Settimello composait un poëme élégiaque sur les vicissitudes de la fortune, et sur les consolations que promet la philosophie. On n'en saurait louer l'élégance ni la régularité; mais il y a quelquefois du mouvement et de la verve, et toujours une clarté parfaite, à laquelle il paraît qu'Alain avait renoncé. L'Anglais Wireker écrivait son Brunellus ou Miroir des Fous, qui est longtemps resté fameux, et qu'on a voulu attribuer à Jean de Salisbury. Joseph d'Iske ou d'Excester chantait les exploits de Richard Ier en Orient, l'éducation de Cyrus, et surtout la prise de Troyes, d'après le livre qui porte le nom de Darès. Ce poète anglais appartiendrait à l'histoire littéraire de la France, s'il était vrai qu'il eût été archevêque de Bordeaux; mais cette hypothèse de quelques bibliographes a peu de fondement, et c'est dommage, car ses poésies, ainsi que celles de son compatriote Wireker, sont fort supérieures à celles de notre Alain de Lille. La Grande-Bretagne revendique encore les vers latins de Roger de Hoveden, de Giraud Rarry, d'Étienne Langton, de Robert Grosse-Tête, évêque de Lincoln, personnages que nous avons déjà vus prendre des places honorables dans d'autres genres de littérature. Giraud avait passé à Paris une partie de sa jeunesse; il y avait étudié la théologie sous Pierre le Mangeur, et enseigné ensuite les belles-lettres. Le nom d'Étienne de Langton se rattache aussi aux annales de l'Université parisienne; et c'est par un auteur français, Gilles de Paris, que nous sommes informés du succès que ses essais poétiques, aujourd'hui inconnus, avaient alors obtenu en France.
C'était à Paris encore que les talens de Robert Groot Head avaient commencé de mûrir : il eut, dit-on, celui des vers; nous n'en pouvons pas juger, ses poëmes sur Job, sur la Civilité, sur les Démêlés de l'ame et du corps, étant restés manuscrits dans les bibliothèques d'Angleterre. Geoffroy de Vinisauf, qui a vécu sujet de Richard Ier et de Henri III, était Normand d'origine. L'art poétique, dans lequel on le
XIIIe SIÈCLE.
Anti-Claud., I, 322, 323.
Tirab., IV, 44445O.
Leyser, 751 - 758.
Leyser, 771775. — Warthon, Engel. Poet., dissert. II.
Balæus, cent.
13, n. 55, Pits.
272.
Leyser, 775, 776.
Henr. Gandav., c. 27.
Carolin., 1. V.
Leyser, 996 - 998.
Bal., cent. 3, Il. 38. - Leyser, 855-986.
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croyait un très-grand maître, est le sujet de son principal ouvrage, qui est intitulé Poetria nova, et qui renferme deux mille cent quatorze vers. Il est dédié au pape Innocent 111, et débute par de mauvais jeux de mots sur le nom de ce pontife.
Papa stupor mundi, si dixero papa nocenti, Acephalum nomen tribuam tibi. Si caput addam, Hostis erit metri. Nomen tibi vult similari.
Nec nomen metro, nec vult tua maxima virtus Claudi mensurâ. Nihil est quo metiar illam : Transit mensuras hominum; sed divide nomen; Divide sic nomen : In præfer, et adde nocenti, Efficiturque comes metri : sic et tua virtus Pluribus æquatur divisa, sed integra nulli, etc.
Le traité qui suit cet exorde, sent un peu la scholastique du temps; mais du moins il est clair, et en général fort sensé.
Les préceptes y sont expliqués par des exemples que l'auteur compose tout exprès, et dans lesquels il laisse voir quelquefois son animosité contre la France. On y peut recueillir aussi quelques-unes des opinions alors communes; par exemple, en parlant des épithètes, il veut qu'on dise po- tatrix Anglia, textrix Flandria, jactatrix Normannia. Il a une très-haute idée du pouvoir, de la prééminence, de la perfection du pape; il ne veut pas qu'on lui résiste jamais : après avoir dans les dernières pages exprimé fort nettement plusieurs règles assez délicates relatives à l'harmonie de la diction, il revient, en finissant, à Innocent 111, et lui dit :
N eè Deus es nec homo ; sed neuter es, inter utrumque, Quem Deus elegit socium. Socialiter egit Tecum partibus mundum, Sibi noluit unus Omnia, sed voluit tibi terras et sibi coelum.
L'Angleterre vient de nous fournir jusqu'à sept poètes latins du treizième siècle, qui tous ont joui de quelque réputation. L'Allemagne ne nous en présente qu'un seul, qui encore a été pris tantôt pour un Français, tantôt pour un Génois ou Ligurien. Cette dernière erreur vient de ce que le poëme le plus considérable de Gonthier (Guntherus) est intitulé Ligurinus : c'est un récit des expéditions de Frédéric Barberousse contre les Liguriens et les Insubriens ou Milanais. Pierre Pithou y trouve une urbanité qui sent plus la cour que le cloître, où vivait cependant le poète; JusteLipse admire en un tel livre et en un tel siècle un talent si distingué. A vrai dire, ces éloges ne nous paraissent point
XIIIe SIÈCLE.
Leyser, 788 795.
Praef. ad Ligurin.
Poliorc., lib. 1, dial. 4.
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assez justifiés par les poésies imprimées de Gonthier; mais nous devons convenir encore qu'elles sont presque des chefs-d'œuvre en comparaison des vers d'Alain, le docteur universel.
La latinité n'est pas très-pure, ni la versification très- régulière dans les chants d'église composés par saint Thomas et saint Bonaventure; mais la poésie en est beaucoup plus élevée. Leyser attribue à saint Bonaventure la prose Lauda Sion; à saint Thomas, l'hymne Pange lingua : ces particularités auraient encore besoin d'éclaircissemens; mais nous avons dû faire mention de ces cantiques, parce que les deux docteurs auxquels ils sont attribués, avaient, comme on l'a vu, étudié et professé à Paris. La fête du Saint-Sacrement, d'abord établie à Liège, le fut en 1264 en France et dans toute l'Église, en vertu d'une bulle du pape français Urbain IV.
Maintenant nous n'avons plus à parcourir d'autres poésies latines que celles que la France a immédiatement produites dans le cours de ce siècle. Il est fort douteux que Pierre de Riga soit né en Angleterre ; il est certain qu'il a passé sa vie à Paris et à Reims, où il est mort chanoine en 1206. Il a versifié des extraits de la Bible, et donné le nom d'Aurore.
à cet ouvrage, dont la plus grande partie est inédite : il est pénible de dire que ce qu'il y a de plus remarquable dans les articles qui ont été publiés, c'est une suite de morceaux dont le premier est sans a, le second sans b, et ainsi de suite, jusqu'au dernier où il n'y a point de t. Chaque lettre de l'alphabet est à son tour éliminée, comme pour lui prouver qu'on peut se passer d'elle. Ces puérilités sont des symptômes sûrs de la décadence des bonnes études. Nous ne disons rien des détails fabuleux et des commentaires bizarres que ce versificateur ajoute aux textes sacrés. Leyser en a donné des extraits accompagnés de variantes, après avoir pris la peine de lire dans les manuscrits cette compilation tout entière, qui ne paraît avoir aucune sorte d'intérêt, et qui ne contient pas moins de quinze mille cinquantesix vers. Gautier Map, dont nous avons fait mention en parlant des romans traduits en prose française, a laissé aussi beaucoup de vers latins, dont il n'a été rien dit à l'article qui le concerne dans le quinzième volume de notre Histoire littéraire. L'auteur y déplore les malheurs de l'Église et les désordres du clergé. Si l'on veut un échantillon de
XIIIe SIÈCLE.
P. 1004-1006,
Fleuri, H. Ec., 1. LXXXV, n. 26, 27.
Leyser, 692736.
Leyser, 776 788.
P. 496, 497.
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sa poésie, voici ce qu'il se dit à lui-même avant de s'adresser au pape :
Tanto viro locuturi,
Studeamus esse puri, Sed et loqui sobrìè : Carum carè venerari, Et, ut simus caro cari, Careamus carie.
On voit trop que ce n'est point encore dans Gauthier Map qu'il faut chercher un successeur, nous ne disons pas de Virgile, mais de Gautier de Châtillon. Deux grammairiens se présentent, qui ont mis en vers les règles de la langue latine: ce sont Evrard de Béthune, et Alexandre de Villedieu; nous les avons annoncés plus haut, lorsqu'il était question de l'étude des langues anciennes. A l'exception de quelques chapitres, qui traitent des différentes espèces de noms, et qui contiennent des observations assez curieuses, des définitions assez précises, tout le Grœcismus d'Évrard de Béthune est d'une telle aridité, qu'il n'a pu se soutenir même dans les écoles, quoique Conrad de Mure, qui mourut vers 1281, y ait fait des additions qui portent le nombre des vers de deux mille deux cents à plus de dix mille. Une autre grammaire versifiée, le Doctrinal d'Alexandre de Villedieu, a été généralement préférée au livre d'Évrard, sans valoir pourtant beaucoup mieux. Le succès des livres dépendait, au moyen âge, du caprice de la fortune, ou, si l'on veut, de celui des maîtres, qui n'étaient guère moins aveugles qu'elle.
Henri de Gand, qui mourut en 1291, nous dit que, de son temps, toutes les écoles faisaient usage du Doctrinal; et Trithême, deux cents ans plus tard, nous apprend que cet usage durait encore. Alexandre, professeur de langue latine à Paris, vers 1209, avait deux collègues: Yson, qui enseignait les étymologies, et l'Anglais Rodolphe, qui enseignait la dyasinthétique ou la syntaxe, seconde partie de la grammaire. La troisième, qui se bornait à l'orthographe et à la prosodie, était d'abord l'unique objet des leçons d'Alexandre. Chacun d'eux était chargé de rédiger en prose un traité sur la matière qu'il professait; mais Yson mourut, Rodolfe devint évêque, et Alexandre se mit à versifier tout seul les trois parties de l'ouvrage. Telle est l'origine du Doctrinale puerorum, en trois livres : il a été, depuis 1472 jusqu'en 1521, fort souvent imprimé et commenté. L'auteur, qui était franciscain, a mis aussi en
XIIIe SIÈCLE.
Leyser, 795 854.
Leyser, 767- 771.
De Script. Ec., cap. 59.
De Script. Ec., n. 463.
Cod. mss. bibl.
Hehnstad.
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vers léonins les Actes des Apôtres et une table de tous les chapitres de la Bible. On peut juger de ce dernier travail par le premier vers :
Sex, prohibet, peccant, Abel, Enoch, et arca fit, intrant,
où Alexandre prétend indiquer la matière des six premiers chapitres de la Genèse, savoir : les six jours de la création, la défense de toucher à l'arbre de la science, le péché d'Adam, la mort d'Abel, l'enlèvement d'Enoch, la construction de l'arche, l'entrée de Noé et de sa famille dans ce vaisseau.
Alexandre est un versificateur de fort mauvais goût, et n'a pas plus qu'Évrard, il a peut-être un peu moins le sentiment du style poétique.
De plus importans sujets ont été traités en vers latins par quelques autres français du même temps. Le médecin-Gilles de Corbeil a fait des poëmes sur les battememens du pouls, sur les urines, sur les antidotes, sur les médicamens. Il est quelquefois surnommé l'Athénien, et Trithême en conclut qu'il était né en Grèce. D'autres l'ont déclaré Anglais; il est plus vraisemblable que la France était sa patrie, que son surnom de Corbeliensis vient du lieu qu'il habitait près de Paris, à moins qu'on ne le fasse moine de Corbie, en écrivant, comme en certains manuscrits, Corbeiensis. Nous éclaircirons, autant qu'il sera possible, ces questions dans l'article particulier qui lui sera destiné : ici nous n'avons qu'à indiquer le caractère général de sa poésie, et malheureusement il nous est impossible de la recommander beaucoup. Elle est cependant fort supérieure à celle des grammairiens et des théologiens français de la même époque : elle a plus de noblesse et plus de clarté, malgré l'aridité des matières, la complication des détails et la barbarie de la nomenclature. Dans une carrière si ingrate, le talent de l'auteur, s'il ne peut éclater, se laisse entrevoir au moins par l'enchaînement des idées, par des constructions faciles, des tours élégans et des expressions précises. L'un des poëmes de Gilles de Corbeil, celui des Médicamens, imprimé par Leyser, est divisé en quatre livres, et contient quatre mille cinq cent soixante-deux vers : il est hérissé de notions techniques; mais le poète y sait entremêler des pensées morales. Par exemple, il recommande aux médecins, s'ils profitent des largesses des riches, de les employer à soulager les pauvres, et, quand ils sont appelés dans les asyles de l'indigence, d'y
XIIIe SIÈCLE.
Wadding, Scr.
ord. min., 9, 10.
Leyser, 498692.
De Scr. Eccl., n. 241.
Leland, de Script. Britann., p.
251.
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répandre à la fois les bienfaits de leur art et ceux d'une compatissante libéralité : c'est là, dit-il, le plus légitime et le plus doux fruit de la médecine :
Ægris pauperibus et munimenta medendi, Largius impendas et subsidiaria vitæ Dona pluas miseris, qui justior est medicinæ Fructus et uberior.
De tels sentimens rachètent bien assez les incorrections du style et les irrégularités de la versification.
D'autres poètes, contemporains du précédent, portaient, comme lui, le nom de Gilles. L'un est distingué par l'épithète de Parisiensis : il est auteur du Carolinus, poëme en vers hexamètres, dont les quatre premiers chants célèbrent la prudence, la justice, la force et la tempérance de Charlemagne. Dans le cinquième, le seul qu'on ait imprimé, l'auteur ose examiner, du vivant de Philippe - Auguste, jusqu'à quel point ce monarque a pratiqué ou négligé ces quatre vertus. Ce dernier livre contient six cent cinquantesept vers, dont le mérite littéraire n'est pas très-grand : Guillaume le Breton, dont nous parlerons bientôt, et qui a loué le talent poétique de Gilles de Paris, aurait eu le droit d'être moins indulgent; mais ce livre est curieux par la hardiesse des réflexions et des censures. Le poète, après un éloge assez succinct des belles qualités et des bonnes actions de Philippe, lui reproche non-seulement son divorce, qu'il signale comme la cause des maladies contagieuses, des guerres, des famines et de tous, les fléaux dont la France est affligée; mais aussi sa fierté, sa dureté, sa rigueur extrême, qui indispose les hommes paisibles, qui provoque et entretient la résistance des rebelles. Un des derniers morceaux de ce poëme tient à l'Histoire littéraire, parce que le poète y célèbre quelques hommes de lettres ses compatriotes ou ses contemporains, les versificateurs Tiboldus et Leonius, morts avant 1200, ainsi que le jurisconsulte Philippe de Navarre et le théologien Pierre Comestor; ensuite Pierre de Riga, Guillaume le Breton et Gilles de Corbeil, qui est désigné par ces mots :
, , , Solo mihi junctus in usu Nominis, in reliquis major meliorque : 0 celeberrimus arte medendi.
Gilles de Paris nomme encore un Étienne d'Autun, un
XIIIe SIÈCLE.
Leyser, 991, 992. - Scr. Rer.
Gallic. , XVII , 288-301.
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Ansellus, un Anselme, évêque de Meaux, un Philippe Sarasin et d'autres professeurs ou auteurs dont aucun écrit ne subsiste aujourd'hui. Il ne fait pas mention de Gilles de Delft, qui vivait néanmoins à Paris dans ces mêmes temps, et qui passe pour avoir corrigé, augmenté, achevé l'Aurore de Pierre de Riga.
Dans une dédicace à l'évêque de Paris Odon, Gilles de Delft rend compte de son travail : il veut remplir les lacunes que Pierre a laissées dans le sien :
Vulnificabat enim defectio magna libellum;
il a fallu ajouter beaucoup de traits mystiques aux livres de Tobie, de Judith, d'Esther, des Machabées :
Insuper in libris Tobiæ, Judith et Esther, Et Machabæorum mystica multa dedi.
Ces supplémens sont trop dignes du corps de l'ouvrage. On ne sait pas si c'est à ce même Gilles de Delft, ou à Matthieu de Laon qu'il faut attribuer une pièce de vers latins sur les peines de l'enfer. Leyser l'a imprimée d'après un manuscrit qui commence par ces mots : « Tractatus de eo quod pœna « apud inferos non sit æterna; et rursum à contrario quod « sit æterna: benè enim potest utrumque sustineri. » Suivent des vers de Matthieu et de Gilles pour et contre l'éternité des peines infernales. Il nous paraît toutefois que c'est à Gilles que la pièce appartient principalement, et qu'il y a seulement inséré quelques vers de Matthieu; mais cette production ne saurait faire honneur ni à l'un ni à l'autre.
Guillaume le Breton en a laissé une de la plus haute importance par son étendue, par sa matière et même par ses formes : nous voulons parler de sa Philippide, qui est, à nos yeux, le plus précieux monument de la poésie latine de ce siècle. Guillaume avait, comme nous l'avons dit, continué en prose la Chronique de Rigord, depuis l'an 1208 jusqu'à la mort de Philippe-Auguste; mais il n'y laissait point apercevoir les germes du talent exercé qui brille dans son poëme.
Il connaît les modèles antiques, particulièrement Virgile, Ovide, Lucain et Stace : lors même qu'il altère leur goût par celui de son siècle, et qu'il mêle à leur langage des expressions barbares, il sait encore reproduire à tel point leurs tours, leurs constructions, leurs mouvemens, et quelquefois leurs couleurs, que les poètes latins plus modernes n'ont peut-être Sur lui que l'avantage d'une diction plus classique.
XIII" SIÈCLE.
Leyser, 736 742.
Fabric., Bibl.
med. et inf. lat., edit. Mansi, I, 21, 22.
P. 743-747.
Script. Rer. Gai- lic., XVII, 117287.
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Les douze chants de la Philippide contiennent ensemble neuf mille cent quarante vers., et embrassent les quarantetrois années du règne de Philippe-Auguste. Sans anticiper sur l'examen plus approfondi que nous aurons à faire de ce poëme, qu'il nous soit permis de remarquer d'avance qu'en général la marche en est historique,, chronologique même ; que les narrations, quoique l'auteur s'applique à les étendre et à les orner, ne sont point surchargées de circonstances fabuleuses; que les fictions y sont destinées à frapper l'imagination du lecteur et non pas à le tromper; qu'elles n'altèrent point le fond de l'histoire; que, par exemple, le tableau de la mort de Richard Ier demeure fidèle, malgré le discours que la parque Atropos adresse à ses sœurs, pour leur reprocher d'avoir filé trop long-temps les jours de ce roi d'Angleterre; qu'avant la mort d'Arthur, la description épisodique du flux et du reflux de la mer suspend et ne rompt point le cours des récits; qu'à la vérité, dans le livre suivant, la recherche des causes de ce phénomène est une digression moins heureuse; qu'on regrette encore plus de voir le poète partager le fanatisme des ennemis de la malheureuse secte albigeoise; que néanmoins ce sentiment lui dicte un éloquent discours qu'il prête à Simon de Montfort; que la bataille de Bouvines est habilement racontée; qu'il est conforme au genre de l'ouvrage autant qu'aux idées du siècle de faire annoncer par une comète la mort de Philippe-Auguste; qu'en un mot, il était difficile de mieux connaître et de mieux respecter la limite des libertés que l'histoire peut prendre, quand elle emprunte le langage des muses.
On a besoin, sans doute, d'annales plus sévères; mais il ne fallait pas un talent médiocre pour imprimer cette teinte poétique à des évènements récens, et pour les revêtir de couleurs brillantes, sans trop offenser la vérité. Ce n'est point un poëme épique : tout n'est pas réduit ou ramené à une seule action; c'est une suite de faits qui n'ont d'autre unité que celle du principal personnage auquel ils aboutissent; ce sont, à la manière d'Ennius, des annales non pas seulement versifiées, mais réellement poétiques. Beaucoup de poëmes anciens et modernes, qui ont plus de réputation que celui-là, en méritent peut-être infiniment moins.
Ce siècle nous offre un autre poëme historique : c'est un tableau des exploits de Louis VIII, en dix-huit cent soixantedix vers, par Nicolas de Braia; ouvrage fort imparfait, où il
XIIIe SIÈCLE.
Script. Rer. Gal-
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ne s'agit guère que de la prise de la Rochelle et du siège d'Avignon. La fin manque, et n'est pas fort à regretter pour l'étude de l'histoire, car le poète accumule le plus de fables qu'il peut; mais nous croyons qu'on n'a point assez loué son talent d'écrire en vers, l'harmonie, et, à certaines expressions près, la pureté de sa diction, le caractère pittoresque de son style. A tout prendre, on ne saurait le donner pour un émule de Guillaume le Breton, et cependant il n'est point à confondre avec la plupart des autres versificateurs latins du treizième siècle, par exemple, avec Thomas de Cantimpré, plus fameux par ses Vies de saints et de saintes, que par les hymnes prosaïques qu'il composait quelquefois en leur honneur. Nous n'avons plus à nommer qu'un Matthieu de Vendôme, que l'on distingue, ou qu'on ne distingue pas de Matthieu, abbé de Saint-Denis, personnage célèbre sous le règne de saint Louis. C'est l'une des questions biographiques que nous discuterons ailleurs; toujours existe-t-il sous le nom de Matthieu une Tobiade ou histoire de Tobie, en vers élégiaques, et une poétrie ou poétique mêlée de vers et de prose : l'une et l'autre composées entre les années 1200 et 1300. La première de ces productions ressemble à celle de Pierre de Riga; la seconde ne vaut pas celle de Vinisauf, sur le même sujet. A l'exemple de plusieurs versificateurs du moyen âge, Matthieu fait consister la précision dans la correspondance de certains mots rassemblés, les uns au commencement d'un vers, les autres à la fin, comme :
Schismata, probra, nefas, exterminat, arguit, arcet : Seminat, auget, alit, dogmata, jura, decus.
Il suit de tous ces détails, qu'il y avait alors deux écoles de versification latine. La plus nombreuse n'avait pas d'autre art que celui des plus vaines subtilités; elle négligeait ou ignorait les règles de la prosodie, et s'assujétissait en revanche à vaincre des difficultés puériles; sa latinité était celle de la Bible et de l'Eglise, elle donnait le nom de vers à des lignes incorrectes qui n'exprimaient que des idées communes ou bizarres, ignobles ou obscures. L'autre école, celle de Guillaume le Breton et du petit nombre de ses émules, sans se garantir assez constamment des travers de la première, étudiait les modèles antiques, et réussissait quelquefois encore à les imiter. En traitant des sujets plus graves, scientifiques ou historiques, elle s'élevait au ton de la véritable poésie, ou en
XIIIe SIÈCLE.
lie., XVII, 3II345.
Leyser, 1000, 1001.
Fabric., Bibl.
med. et inf. lat.
ed. Mansi, V, 54.
— Leyser, 765, 766.
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approchait du moins. Quelques poètes aspiraient donc encore à bien écrire en latin; mais ce que nous avons dit de la décadence de cette langue, est trop confirmé par les vers de ceux mêmes qui l'enseignaient, comme Évrard de Béthune et Alexandre de Ville-Dieu, bien plus encore par les vers d'Alain de Lille, de Pierre de Riga, de Gauthier Map et de tant d'autres. Ce qui pouvait subsister de talent poétique en cet âge barbare, s'exerçait de préférence dans les langues vulgaires, la française et la provençale.
La langue et la poésie des Provençaux ont précédé la langue et la poésie françaises. C'est au premier bien plutôt qu'au second de ces idiomes qu'appartient le poëme sur Boèce, que nos prédécesseurs et M. Raynouard font remonter au dixième siècle. Le onzième fournit aussi des monumens de la même espèce; et le douzième, bien davantage : environ quarante troubadours ou poètes provençaux ont figuré dans les neuf derniers volumes de notre Histoire littéraire. Les trouvères, qui ne paraissent guère qu'après l'an 1100, ne sont pas très-nombreux avant 1201. Il est vrai que dans le cours du XIIe siècle on a composé en français de très-longs poëmes, comme ceux du Brut ou du Rou; mais c'étaient les troubadours qui brillaient le plus dans les châteaux, dans les assemblées, dans les cours d'amours; et nous voyons que dès-lors ils jouissaient en France, hors de France, particulièrement en Italie, d'une réputation fort supérieure à leur mérite. Des Italiens même, à partir des dernières années du douzième siècle, s'exercèrent à rimer en langue provençale : c'était là le talent du marquis Albert Malaspina, de Percival Doria, d'un autre Génois nommé Calvi, du Mantouan Sordello, célébré par Dante; et, pour abréger cette liste, Ferrari de Ferrare, dont les bouffonneries faisaient les délices des princes et des princesses de la maison d'Este, ainsi que nous l'apprend un manuscrit daté de 1254. Les seigneurs ne donnaient aucune fête sans y appe- ler des giullari, c'est-à-dire, des bouffons ou troubadours, dont les chants improvisés, et le plus souvent érotiques, contenaient des récits d'aventures imaginaires. Chacun de ces poètes se faisait lui-même, le plus qu'il pouvait, le héros de ses propres fictions; il s'efforçait de l'emporter sur ses rivaux moins par la beauté de ses vers que par l'éclat des entreprises galantes, des succès ou des malheurs qu'il s'attribuait. Jean Nostradamus a pris au sérieux plusieurs de ces fables; ses successeurs les ont recueillies; et c'est ainsi que, selon l'observation judicieuse
XIIIe SIÈCLE.
XXV.
Poésie provençale.
Hist. Litt. de la Fr., t. VII, p xxx.
Choix des Poés.
des Troub., II, CXXVII - CXXXVI, et 4-39 ; - cxxxvii- CLXVIIJ et 73-151.
Tirab., IV, 361.
393. Ginguené, I, 241-335.
Purgant., cant., VI et VII.
Muratori, Antich. Est., II, 11.
Vies des Poèt.
prov.
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de Tiraboschi, l'histoire des troubadours est devenue difficile à bien démêler. Ce qui est certain, c'est que la faveur extrême avec laquelle les seigneurs et les dames accueillaient ces poètes, attira en Italie Rambaud de Vaqueiras, Raimond d'Arles, Folquet de Romans, Péguilain, Hugues de Saint-Cyr ou de Cahors, et d'autres Français méridionaux.
Ainsi les annales de cette poésie sont à rechercher à la fois au delà et en deçà des Alpes, quelquefois même au delà des Pyrénées : car elle avait été cultivée, même avant l'année iioo, en Espagne, où jusqu'au treizième siècle continuèrent de s'introduire et de s'établir des Provençaux, des Languedociens et des Gascons. Déjà si compliquée en elle-même, cette branche d'histoire littéraire l'est encore par les fables dont l'a surchargée Jean Nostradamus, et dont ni Crescimbeni ni Quadrio ne l'ont assez débarrassée ; puis par la difficulté d'examiner tant de poésies demi-barbares, dont une partie considérable est encore et restera long-temps inédite; enfin, par l'imperfection de l'ouvrage, de Millot, où pourtant, comme l'avouait M. Ginguené, on peut prendre, mieux qu'ailleurs, une idée générale de cette littérature. Millot n'a travaillé que d'après les notes et les extraits de Sainte-Palaye; il s'est dispensé de recourir aux textes. M. Raynouard vient d'en publier un grand nombre : le choix éclairé qu'il en a fait et les observations instructives qu'il y a jointes; le Parnasse Occitanien de M. de Rochegude; les chapitres qui concernent les troubadours dans les histoires littéraires de Tiraboschi, de Crescimbeni, de Quadrio et de Ginguené, dans l'histoire de Provence de Papon, et dans l'ouvrage de M. de Sismondi sur la littérature du midi de l'Europe; les vies de ces poètes esquissées par Nostradamus, augmentées et rectifiées par Millot; enfin, les morceaux de poésie provençale transcrits, cités ou traduits en divers ouvrages : voilà les principales sources où nous puiserons les détails que nos volumes suivans doivent contenir sur la vie et les poèmes de chacun des troubadours du treizième siècle. Nous n'en pouvons présenter ici qu'un exposé général.
Entre les années 1200 et 1300, le nombre des troubadours connus s'élève à plus de ! 50 (a). Nous n'en donnons point la
(a) On a connaissance d'environ 350 poètes provençaux à partir du XIe siècle, et l'on en pourrait placer presque la moitié au XIIIe; toutefois il s'en faut que leur chronologie air été bien éclaircie.
XIIIe SIÈCLE.
IV, 361.
Millot, Hist. des Troub., dise, pré- lim., P. LXX, LXXXI.
-Ginguen., 1,248, 249.
I, 246.
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liste, non-seulement parce qu'elle serait fastidieuse, mais aussi parce que nous n'en saurions garantir l'exactitude. Aux noms que nous en avons déjà extraits, nous ne joindrons en ce moment que ceux de Cadenet, Blacas, Folquet de Marseille, Giraud de Borneil, Boniface de Castellane, Izarn, le moine de Montaudon, Pierre Cardinal, Giraud Riquier; Frédéric, roi de Sicile; Pierre III, roi d'Aragon. Cadenet erra longtemps pauvre, vivant de sa profession de jongleur, parcourant le Languedoc et chantant des vers galans ou satiriques.
Il regagna la Provence, sa patrie; partit pour la Palestine, y mourut selon les uns, en revint selon les autres. Ses poëmes ont un intérêt historique : il peint le mieux qu'il peut les mœurs déréglées de son siècle, et les brigandages ignobles que commettaient les barons. Il eut néanmoins pour ami et pour protecteur Blacas, noble baron lui-même, chevalier valeureux et galant poète, mais dont les couplets sont quelquefois d'une obscénité grossière. Blacasset, fils de Blacas, cultiva aussi les muses : il chanta l'amour et la guerre. Le père et le fils ont connu le Mantouan Sordel, qui était digne de leur servir de maître. Sordel a composé un éloge funèbre de Blacas, où il veut que le cœur de ce guerrier soit partagé entre les princes qui en manquent. L'empereur en mangera le premier, afin de recouvrer les pays que les Milanais lui ont enlevés. Le noble roi de France (Louis XI) en mangera, pour reprendre la Castille, qu'il perd par sa sottise; mais, si sa mère le sait, il n'en mangera point, car il craint trop de lui déplaire. Telle est, dans le genre satirique, la liberté de Sordello, et, en général, des poètes méridionaux de cet âge.
Folquet de Marseille a été évêque de Toulouse : auparavant il avait fait quelques chansons, où Amour et Merci, deux divinités des troubadours, jouaient les principaux rôles; mais il se convertit, prit l'habit monastique à Cîteaux, devint abbé du Toronet, puis prélat des Toulousains et persécuteur des Albigeois. Il institua contre eux la confrérie blanche, installa saint Dominique et l'Inquisition dans le Languedoc, livra sa ville épiscopale à Simon de Monfort.
Folquet mourut en 1231, et les Cisterciens le qualifièrent bienheureux : Dante l'a mis en Paradis, et Prétrarque l'a préconisé dans le Trimphe d'Amour. Giraud de Borneil n'est point un si éminent personnage : il n'était qu'un bourgeois limousin; Dante l'a rencontré dans le Purgatoire.
La poésie érotique de ce Giraud est ordinairement fort
XIIIe SIÈCLE.
Millot, I, 416- 427. — M. Raynouard, III, 245- 253;IV,281,282, 418-420; V, 110, ni.
Millot, 447. M. Rayn., III, 337339; V, 105, 106.
Ibid. III, 459, 460;V, 106, 107.
Tirab., IV, 373390. — Millot, II, 79-98. — Ginguené, 1, 310, 3 (4.
-M.Rayn., IV, 67, 68, 329, 330; V, 444, 445.
Millot, 179-204.
-Ginguen., I, 327.
- M. Raynouard, III, 149-162; IV, 51-54, 110-112, 394-402; V, 1 50153.
Cant. IX.
Cap. IV, 49, 50, 5 r.
Millot, I, 14.
— M. R. ,III, 004314; V, 166, 167.
Cant. XXVI.
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obscure et peu piquante, bien que parsemée d'épigrammes; il y a plus d'enthousiasme dans ses trois pièces sur les croisades : à force de commentaires, on pourrait tirer de ces poëmes quelques inductions historiques. Une illustre naissance ouvrait à Boniface de Castellane, le troisième des barons de ce nom, une carrière brillante : ambitieux de succès militaires et de lauriers poétiques, il n'a pas plus obtenu les uns que les autres; on ne distingue dans ses productions que des ressentimens profonds, des haines violentes, dont l'expression n'est jamais énergique. S'étant mis à la tête des Marseillais révoltés contre saint Louis, il fut vaincu et décapité.
Izarn est un dominicain, un inquisiteur, qui, dans une pièce à tous égards fort remarquable, dispute avec un Albigeois : elle est en huit cents vers provençaux alexandrins. La menace du feu y est répétée à la suite de chaque argument. « C'est, dit M. Ginguené, l'Inquisition elle« même qui nous apparaît en personne, qui proclame, « en chantant, ses triomphes, et qui prononce, avec le sou« rire du tigre, ses épouvantables arrêts. » Un autre moine, prieur de Montaudon, étonne par des excès tout différens, par une indécence qui égale ou surpasse celle des plus mondains troubadours. Un de ses poëmes peut intéresser ceux qui s'occupent d'histoire littéraire, parce qu'elle contient une liste de seize troubadours, y compris l'auteur lui-même, qui est le dernier. Pierre d'Auvergne a laissé une pièce du même genre; ni l'une ni l'autre ne sont spirituelles, mais elles aident à établir la nomenclature et la chronologie des poètes provençaux. Au nombre de ceux que nomme le moine de Montaudon, n'est point Pierre Cardinal, dont les sirventes ou satires accusent avec âpreté les mœurs du siècle, surtout celles du clergé séculier et régulier. Ses chansons amoureuses ne sont pas non plus dénuées de poésie : en un autre siècle, et avec une autre langue, il aurait pu acquérir le talent de Properce et celui de Juvénal. Le recueil des pièces de Giraud Riquier est considérable; elles sont datées, la première de 1254, la dernière de 1294. La plupart sont galantes, et d'une tournure assez gracieuse; l'intérêt se soutient moins dans les autres, quoiqu'il y en ait de satiriques. La plus longue est une supplication au roi de Castille, au nom des jongleurs : elle est précieuse par les détails qu'elle contient sur les mœurs du temps. Riquier compose ensuite, au nom du prince, une réponse à cette requête, réponse qui remet les troubadours
XIIIe SIÈCLE
Millot, II, 34- 41.
Millot, II, 4278.
Hist. littér. d'Italie, I, 328-332.
Millot, III, 156- 175.
Millot, II, 15- 27.
Millot) III, 236271.
Ging., I, 320.
Mill., III, 329- 374.
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en honneur, et décerne aux plus habiles d'entre eux le titre de docteurs en l'art de trouver. Il paraît que leur profession, déjà dégradée dans l'opinion publique, avait besoin d'être solennellement réhabilitée.
Cependant depuis Guillaume, comte de Poitiers, qui mourut en 1122, et dont le nom figure, l'un des premiers, dans la liste des troubadours, jusqu'en 1196, époque de la mort du roi d'Aragon Alfonse II, le protecteur et l'émule des poètes de Provence; et depuis ce monarque jusqu'à Pierre III, l'un de ses successeurs sur le trône et sur le Parnasse, et dont le règne ne s'est terminé qu'en 1285, le gai saber, la science gaie n'a presque jamais cessé d'être cultivée par des princes.
Nous n'y comprendrons point le roi d'Angleterre Richard Ier, quoiqu'on l'ait inscrit aussi dans cette liste : il n'est réellement qu'un trouvère; son langage, dit M. Ginguené, est plus français que provençal. Mais Pierre III parle en effet la langue romane méridionale dans sa pièce de vers contre les Français, composée peu après les Vêpres Siciliennes; aussi bien que le roi de Sicile Frédéric III, dans le sirvente où il brave les menaces de la France, et du pape Boniface VIII, et de son propre frère Jacques II, roi d'Aragon, tous ligués contre lui. Les dames elles-mêmes, s'engageaient quelquefois dans cette carrière poétique : la comtesse de Die, Azalaïs de Porcaraignes y avaient brillé au douzième siècle ; on y vit paraître, au treizième, Clara d'Anduze; une donna Castellosa, qui habitait l'Auvergne; une Provençale appelée Natibors par ses compatriotes, Tiberge par les Français, Tiburtia par les Italiens : elles ont laissé des vers tendres, passionnés même, mais où l'on ne saurait louer encore la grâce et la délicatesse de l'expression.
On peut déjà, par ce premier aperçu, prendre une idée du caractère, de l'étendue et des limites de cette littérature.
Pour la mieux connaître, il faut donner quelque attention, d'abord au systême de versification, puis aux différentes espèces d'ouvrages. Le nombre des syllabes varie dans les vers provençaux depuis deux ou même depuis une jusqu'à douze; les vers de douze et de onze syllabes sont rares; il n'y en a point de neuf, non plus qu'aujourd'hui parmi nous. Les pièces sont divisées en strophes ou stances : on y rencontre peu de quatrains ou stances de quatre vers; mais on en trouve de tout nombre, depuis quatre jusqu'à vingt-deux, et l'on en remarque même, par hasard, de vingt-huit et de vingt-neuf.
XIIIe SIÈCLE.
Hist. litt. de la Fr., XI, 37; XII, 42.
Ibid., XV, 158, l'g.
Ging., I, 267, 268.- Millot, III, 150-153.
Millot, I, 54.
Ging., 1, 266.
Hist. litt. de la Fr., XV, 446; XIII. 422.
Ging., I, 270, 271.
Ging., 1, 286292.
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Ces stances sont composées de vers égaux ou inégaux : dans le premier cas, elles ne réunissent jamais plus de dix vers, et ces vers sont de cinq, six, sept, huit, dix ou douze syllabes.
Les strophes à vers inégaux en admettent plus d'espèces et un plus grand nombre; elles offrent ainsi une très-grande variété. Dans certains vers, la dernière syllabe ne compte point, parce que la voyelle finale était faiblement prononcée, et semblait presque éteinte; cette voyelle n'est pas seulement l'e, mais quelquefois aussi l'a. Les troubadours ont ainsi des rimes féminines et des rimes masculines, qu'ils disposent, croisent et entrelacent diversement. Ils ont des rimes plates ou de deux par deux; ils en ont de mélangées, de rétrogrades, et, si l'on peut parler ainsi, d'expectantes d'une strophe à l'autre. Nous remarquons ces détails, parce qu'ils prouvent, à notre avis, que ces poètes ont été les inventeurs de la plupart des procédés qui se sont établis dans la versification italienne et dans la nôtre. Ils nous ont légué ou transmis la rime, qui, depuis le quatrième siècle, s'était introduite dans les vers latins de l'Église, et qui existait d'ailleurs dans la poésie de quelques peuples orientaux.
Le nom de vers a été quelquefois employé par les Provençaux pour signifier toute une composition poétique, déclamée ou chantée, divisée ou non en couplets. Ce dernier mot, quoiqu'il eût déjà la même acception qu'aujourd'hui, servait aussi à désigner des poésies amoureuses et à les distinguer des satiriques. J'aime, dit Gaucelm Faidit, à entendre dire de moi : Voilà un homme qui sait faire des couplets et des sirventes :
Aquest es Tal que sap far coblas e sirventes.
Les, mots à peu près synonymes de chant et chanson, et leur diminutif chansonette, s'appliquaient à de petits poëmes divisés en couplets, et destinés à être chantés. On a mal à propos attribué à Giraud de Borneil l'invention de la chanson; deux siècles avant lui, Guillaume de Poitiers avait commencé l'une de ses pièces par ce vers :
Farai chansoneta nueva
Les plus courtes chansons ont été parfois qualifiées demichansons, mieia chanso. On veut savoir, dit un troubadour, pourquoi je ne fais qu'une demi-chanson : c'est qu'aimant sans être aimé, je n'ai qu'un demi-sujet, mieia razo, de chanter. Les termes de son et sonnet étaient génériques, au
XIIIe SIÈCLE.
M. Rayn., t. II, 163-166.
Ibid., 174.
Ibid., 166-171.
Ibid., 171-172.
Ibid., 172-174.
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moins pour les poésies lyriques que le son des instruments accompagnait. Les sonnets provençaux ne ressemblaient point encore aux pièces de quatorze vers en quatre strophes auxquelles ce nom a été depuis affecté. Les planhs ou complaintes étaient des chansons mélancoliques, des chants lugubres où l'on déplorait la mort d'une amante, d'un ami, ou quelque autre malheur. Perdigon se plaignait ainsi de la cruauté des belles, et de la perte de l'un de ses protecteurs; mais, loin de gémir des infortunes du comte de Toulouse, qui l'avait comblé de bienfaits, il célébra la bataille de Muret, où ce prince fut vaincu et tué en 1213 par la fanatique armée des croisés.
La plupart des poésies provençales respiraient la joie, et méritaient, du moins autant qu'elles pouvaient, leur nom de gaie science : c'étaient des aubades, des sérénades, des ballades. En rigueur, il fallait ramener à la fin de chaque couplet le mot alba, aube du jour, dans l'aubade; et le mot de soir, sers, dans la sérénade. Giraud Riquier n'y manque pas, non plus qu'une dame d'ailleurs inconnue, dont M. Raynouard a publié et traduit les vers. La ballade a aussi un refrain : le premier vers, ou bien les premiers mots de la pièce s'y reproduisent à la fin de chaque strophe. Telle est une pièce de Sordel, commençant par le vers : Hélas! de quoi me servent mes yeux!
Aylas! e que m fan miey huelh!
Telle est encore une pièce anonyme, composée probablement par une dame, et dont les deux premiers mots, Coindeta sui, gentille suis, sont répétés non-seulement à la fin, mais aussi au second et au quatrième vers de chacun des cinq couplets.
Dans la retroensa, le refrain est de deux vers qui riment ensemble; les autres rimes varient dans le cours de la pièce, qui est ordinairement de cinq couplets. Au contraire, dans la redonda, ou ronde enchaînée, le dernier vers de la première stance se répète pour commencer la seconde, et les autres rimes reviennent dans l'ordre rétrograde. Riquier est le troubadour qui offre le plus d'exemples de ces symétries difficiles. Le nom de danse a été réservé à une autre composition, non moins épineuse : le même vers y termine chaque couplet, et y rime avec d'autres vers de mesure différente, entremêlés à des vers autrement rimés, mais tous d'une même manière en chaque stance. Le breu
XIIIe SIÈCLE.
— Ging., I, 295, 296.
M. Rayn., II, 180-185.
Mill., I, 428.— Ging., I, 328.
Ging., I, 296- 298.— M. Rayn., II, 235-241. —
M. de Rochegarde. Parn. occitanien, p. 110.
Ging., I, 296.
M. R., II, 236, 237.
Ging., I, 292, 293.— M. Rayn., III, 441-444.
M. Rayn., II, 242-244.
Ibid., 238-241.
Ibid., 246-248.
Ging., I, 298.
M. Rayn., II, 244-246.
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ou bref double ne se rencontre guère que dans Giraud Riquier.
Ce nom vient peut-être de la brièveté tant des strophes que de la pièce entière. Elle n'a pas de refrain, et elle se distingue par là des danses, des rondes, ballades, aubades et sérénades.
Ce sont là des productions bien légères, et qui ne donnent pas une très-haute idée d'une littérature où elles occupent beaucoup de place. D'autres genres qui n'ont pas plus de valeur, sont désignés par les noms suivans : devinalh ouP énigme; estampida, pièce composée pour une musique déjà faite; prezicanza, prédication ou exhortation en vers; torney, garlambey, tableau de joutes chevaleresques; carros, allégorie où, par des termes empruntés de l'art de la guerre, on représente sous l'image d'une place assiégée, une belle et noble dame dont les autres femmes sont jalouses; comjat, congé que donne ou reçoit un amant ; escondig, apologie qu'il fait de ses sentimens et de sa conduite. Tant de futilités, presque toujours aussi dépourvues d'élégance que de raison, font voir à quel point le talent peut s'égarer ou se flétrir, quand l'ignorance commune, la barbarie des institutions, la grossièreté des mœurs, ont interrompu ses progrès. L'insignifiance n'est pas moins déplorable dans les pièces avec commentaires, c'est-à-dire, où chaque stance est suivie d'une glose en prose ou en vers, composée ou par l'auteur même, ou par quelqu'un de ses successeurs. C'est ainsi qu'une pièce érotique de Giraud de Calanson, jongleur gascon, fort peu estimé même de son temps en Provence, fut paraphrasée par Giraud Riquier. Le jongleur avait dit, vers l'an 1210 :
E poia i hom per catre gras moult les,
l'homme y monte par quatre degrés fort pénibles ; le commentateur, à la fin du siècle, ajoute dix vers qui signifient : « C'est vrai, vu que, selon ce que je pense et ce que je « trouve en y réfléchissant, les degrés sont bien tels : le pre« mier est l'honneur; le second, la discrétion; le troisième, « le gentil service, et le quatrième, le bon souffrir ; et « chaque degré est fort pénible, tellement que l'homme les « monte difficilement sans haleter. » Ne voilà-t-il pas un excellent style et une bien haute poésie? Hâtons-nous d'arriver, s'il se peut, à des genres plus tolérables.
Sera-ce le descort ou la discordance? Cette dénomination vient, selon toute apparence, de ce que le genre dont il s'agit admet une très-grande variété dans les couplets, dans la mesure, dans les rimes, et même aussi dans le langage : car
XIIIe SIÈCLE.
M. Rayn., II, 233-234.
Ibid., 254-256.
Ibid., 248-254.
M. Rayn., III, 392.
Ging., I, 298, 299.— M. Rayn., II, 225-229.
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il existe un descort de Rambaud de Vaqueiras où, selon Crescimbeni, la première stance est en roman, la seconde en toscan, la troisième en français, la quatrième en gascon, la cinquième en espagnol, et la sixième en ces cinq idiomes mélangés. Nous ne croyons pas que cette observation soit juste : en lisant cette pièce, bien déplorable encore quant au fond des idées, nous n'y apercevons que du provençal, entremêlé d'expressions empruntées à d'autres langues, à peu près comme dans les poëmes macaroniques où la phrase latine est parsemée de mots étrangers. Après le descort, se présentera la sixtine : c'est une pièce de six couplets composés chacun de six vers, non rimés entre eux, mais terminés par des mots obligés ou bouts rimés qui reparaissent, dans un ordre différent et néanmoins déterminé, en chacun des autres couplets. De toutes les formes provençales, voilà, selon M. Ginguené, la plus recherchée. Les difficultés qu'elle offre ont tenté et séduit Pétrarque; ce grand poète a daigné faire entrer plusieurs sixtines dans ses Canzoni.
Si nous écartons tous ces genres bizarres ou frivoles, il ne nous restera plus à considérer, dans la poésie provençale du treizième siècle, que les tensons, les sirventes, les épîtres, les pastourelles, les nouvelles, contes et romans. La tenson ou dispute était une sorte de dialogue entre deux interlocuteurs, qui soutenaient, sur une même question, deux opinions contradictoires, se répondaient quelquefois vers par vers, plus souvent par couplets de même mesure et de rimes semblables. Quelques-unes de ces pièces contiennent de plus des envois, les noms et le jugement des arbitres. Les questions qui se décident ainsi, ou qui demeurent indécises, concernent la chevalerie et surtout l'amour. Parmi ces pièces, il en est qui ne présentent que les plaintes réciproques et alternatives que des amans s'adressent ; d'autres ne consistent qu'en traits satiriques, échangés entre deux rivaux ou ennemis. Rambaud de Vaqueiras reproche au marquis de Malaspina d'avoir volé sur les grands chemins. Le marquis en convient, mais c'était pour avoir de quoi donner, et non pas pour s'enrichir; il ajoute qu'il a vu Rambaud errer à pied en Lombardie, sans argent et sans amie, et qu'il lui a maintefois donné à manger, pour l'empêcher de mourir de faim, Rambaùld ne nie pas le fait : Mais vous, réplique-t-il au marquis, vous n'avez ni foi ni loi :
Vos non tenetz sagramen ni fiansa;
XIIIe SIÈCLE.
Istoria della volg. poes., t. II.
— Vite de' P. Prov., pag. 56-58.
Ging., I, 300302. — M. Rayn., II, 221-225.
Canz. 3, 7, 21, etc.
Ging., I, 302306. — M. Rayn., III, 186-206.
Millot, I, 334339.
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vous n'avez de ressources que dans vos trahisons et vos par- jures; vous perdez qui vous a servi, et vous êtes aussi infidèle à l'amitié, que lâche à vous défendre contre les armes de vos voisins. Telle est l'urbanité des plus nobles troubadours, et voilà quelle justice ils se rendent l'un à l'autre. Disons pourtant que toutes les tensons ne sont point des luttes si grossières : on y retrouve de temps en temps, ou une naïveté originale, ou la vivacité spirituelle dont les Arabes avaient offert des modèles en des pièces du même genre. Au lieu de tenson, titre le plus ordinaire, les poètes provençaux en ont employé quelques autres; contensio, qui se rapproche plus du mot latin qui a servi à nommer ces disputes; partimen, partia, ou jocx partitz, que les trouvères traduisent par jeux partis à la tête de compositions pareilles. Quand il y a plus de deux interlocuteurs, la tenson provençale s'appelle torneyamen, tournoiement : divers personnages y parlent à leur tour, mais tous sur la même question. Nous ne pouvons dissimuler qu'il se mêle à ces futilités beaucoup de traits qui blessent la morale et la décence : si l'on daignait traiter ajourd'hui de tels sujets, ce serait avec plus de délicatesse, comme avec plus de talent; et il en faut conclure, avec M. Ginguené, « que « l'art des vers a fait chez nous, depuis six siècles, beaucoup « plus de progrès que la corruption des mœurs. »
Les sirventes sont des satires, soit personnelles, soit générales, où ne sont épargnés ni les princes, ni les pontifes, ni surtout les moines. Une espèce particulière de sirventes était dénommée joglaresc, apparemment comme abandonnée aux jongleurs, qui allaient d'un lieu à l'autre déclamer ou chanter ces poèmes, en mêlant l'éloge de leurs auditeurs à des injures contre les absens. Le principal fruit à tirer aujourd'hui de toutes ces satires, est d'y puiser la connaissance des mœurs de -ce siècle, en se défiant toutefois des exagérations que des ressentimens personnels y ont pu introduire. Nous y voyons que les dames se fardaient excessivement. Le moine de Montaudon dit qu'elles se peignent et se rougissent au point d'effacer les images suspendues dans les églises. Il nomme les drogues qu'elles emploient à cet usage, et dont plusieurs sont aujourd'hui peu connues : du cafera, du trifignon, de l'angelot, du berruis, outre le vif-argent, le lait de jument, le safran et les fèves. Un poète fort dévot, Folquet de Lunel, emprunte le nom de Dieu pour censurer toutes les classes de la société : l'empereur est injuste envers
XIIIe SIÈCLE.
M. Rayn., II, 198.
I, 306.
M. Rayn., II, 206-221.— Cing., I, 311-334.
Millot, III, 167, 168, 169.
Mill., II, 138146.
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les rois; ceux-ci envers les comtes, qui dépouillent les barons, lesquels prennent leur revanche sur leurs vasseaux et leurs paysans; les laboureurs, les bergers et les autres journaliers trompent leurs maîtres et ne gagnent pas leurs salaires; les marchands, les artisans et les aubergistes sont menteurs et voleurs; les médecins tuent le malade et rançonnent ses héritiers; les débiteurs ne paient point; les sergens extorquent; les femmes sont infidèles; et les troubadours, médisans. Mais l'auteur se déchaîne surtout contre les hérétiques; et il finit par s'accuser lui-même d'avoir vécu en pécheur durant quarante ans : c'est l'âge qu'il déclare avoir en finissant ce poëme, l'an 1284. A l'égard des moines, il se borne à dire que le diable a tendu ses filets jusque dans les cloîtres, et que les anges mêmes y donnent des scandales. Mais son contemporain, Pierre Cardinal, a traité l'un et l'autre clergé avec une rigueur extrême; et l'on aurait peine à comprendre tant de hardiesse en un siècle superstitieux, si l'on ne tenait compte des démêlés qui s'élevaient de toute part entre le sacerdoce et la puissance civile. En général, quoiqu'il y ait dans les sirventes plus de virulence que d'énergie, plus de licence que de talent, c'est à nos yeux le premier genre à distinguer dans la poésie provençale. Ces satires étaient, le plus ordinairement, divisées en couplets, et destinées à être chantées comme les autres poèmes.
M. Raynouard est, à notre connaissance, le premier qui ait fait assez distinctement remarquer des épîtres en vers dans cette littérature. Une seule est en vers libres; les autres sont à rimes plates, en vers de dix syllabes, et sans division en stances.
Il y en a d'amoureuses, de religieuses, de morales; quelquesunes renferment ou des règles de conduite, ou des préceptes littéraires; d'autres sollicitent des faveurs, ou rendent grâces des bienfaits obtenus. Les épîtres érotiques sont intitulées saluts, ou bien donaires, du mot dona qui les termine.
Rambaud de Vaqueiras en a fait une qui semble n'appartenir à aucune de ces classes; il y raconte ses aventures chevaleresques et celles du seigneur auquel il l'adresse. Ensenhamen est le titre qui distingue les épîtres didactiques ou instructives. Amadieu des Escas, qui vivait en 1278, en a écrit une à une jeune marquise, une autre à un jeune damoisel : il enseigne à la première comment elle doit soigner sa toilette, révérer son institutrice, et se conduire dans le monde; il recommande au second d'être libéral, franc, magnanime, amant fidèle.
XIIIe SIÈCLE.
Ging., I, 300.
— Mill., III, 242- 271.
T. II, 256-274.
Ibid., 262.
Ib., 263-271.
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Aux épîtres et aux satires, nous joindrons, comme un troisième genre digne d'attention, les pastourelles. On n'en découvre point avant l'an 1200, en sorte qu'elles appartiennent spécialement à l'histoire littéraire du treizième siècle.
Ce sont des églogues dialoguées entre un berger et une bergère; mais ce dialogue est ordinairement précédé d'un récit succint, qui établit le lieu de la scène. Quand l'amante garde des vaches et non des moutons, la pièce est intitulée Vachère, Vaqueyra. Les meilleures pastourelles provençales sont celles de Giraud Riquier; elles ont de la naïveté, de la grâce, mais aussi de la monotonie : c'est un peu le défaut du genre; c'était encore plus celui des poètes qui le traitaient alors. Probablement ils n'en connaissaient pas les modèles antiques; leurs idées étaient d'ailleurs fort resserrées; et, comme l'observe M. Ginguené, leur langue de Provence avait ellemême trop peu d'étendue. Aussi n'ont-ils presque jamais à nous offrir qu'un berger qui, dans les prés fleuris où il se promène, rencontre une bergère qui cueille des fleurs en gardant son troupeau. Un entretien s'engage, dont les mouvemens ne sauraient être ni très-vifs ni très-variés. Toujours est-il vrai que les troubadours ont connu le genre pastoral, qu'ils l'ont en quelque sorte inventé ou retrouvé, qu'ils en ont assez bien saisi le ton et le caractère.
Ils n'ont pas été aussi féconds que les trouvères en contes ou nouvelles. Toutefois Raimond Vidal de Bésaudun, Arnaud de Carcassès et quelques autres poètes provençaux du treizième siècle se sont exercés dans l'art de raconter des aventures galantes. Ils ont essayé certains sujets traités depuis par Bo, cace et par la Fontaine, et les ont vraisemblablement puisés, comme a fait Bocace lui-même, à une source orientale; mais ils n'empruntaient ces fictions qu'en les modifiant, qu'en les surchargeant de nouveaux détails, qu'en les allongeant beaucoup trop. Sans cette prolixité, les nouvelles en langue provençale pourraient plaire par la naïveté du style, par l'harmonie du rhythme, par une versification facile, par l'art d'appliquer des couleurs chevaleresques à des fables imaginées en Orient. Ces pièces ne sont point partagées en stances ; elles sont composées, pour l'ordinaire, de vers à rimes plates, ayant moins de dix syllabes. Quoiqu'elles soient peu nombreuses, et malgré les défauts qu'on y peut reprendre, nous les considérons comme un quatrième genre dont il y a lieu de tenir compte.
XIIIe SIÈCLE.
Ging., I, 310.
— M. Rayn., II, 229-233.
M. Rayn., III, 462-471.
I, 311.
M. Rayn., II, 274-282.
Ging., I, 309.
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Un cinquième, qui serait plus important par l'étendue des poëmes, consisterait en romans versifiés; mais on n'en connaît encore que deux, Gérard de Rossillon et Jaufre, fils de Dovon. Le premier paraît être fort antérieur à l'année 1200, et par conséquent ne doit point entrer dans le tableau que nous avons ici à tracer; le second pourrait n'avoir été achevé que vers 1213. C'est un roman de la Table-ronde, où sont racontées, en plus de dix mille vers de huit syllabes, à rimes plates, les aventures de Jauffre, jeune chevalier de la cour du roi Artus. Deux auteurs, dont les noms sont inconnus,
ont concouru à la composition de cet ouvrage, qui est resté manuscrit. M. Raynouard assure « qu'il est remarquable par la « simplicité de l'action principale, à laquelle se rattachent cc de nombreux incidens; que la versification en est géné« ralement facile; qu'on y rencontre des descriptions bril« lantes et animées, des morceaux gracieux et des détails cc piquants; mais qu'un goût sévère y blâmerait des con- « ceptions bizarres, une prolixité minutieuse, et un défaut « sensible de variété dans la plupart des évènemens. »
Selon M. Raynouard, les troubadours avaient composé beaucoup d'autres romans en vers, dont les manuscrits sont perdus ou ignorés, mais dont les héros sont indiqués par certains poètes provençaux, spécialement par ceux qui ont adressé des instructions aux jongleurs. On peut recueillir ainsi, dans les poëmes de Giraud de Cabreira, de Bertrand Paris de Rouergue et de quelques autres, plus de 60 noms héroïques, et supposer qu'ils avaient servi de titres à des romans provençaux; mais ce grand nombre est une première difficulté : car on a peine à concevoir comment se seraient perdus tant de poëmes lus ou récités en tous lieux et devenus presque populaires. D'un autre côté, ces romans pouvaient bien n'être écrits qu'en prose provençale, comme celui qui est intitulé Philomena, et qu'on doit rapporter au douzième siècle (1). C'était en prose aussi qu'Arnaud Daniel avait composé, avant 1201, plusieurs romans : car Dante lui attribue, outre des vers d'amour, versi d'amore, des romans en prose, e prose di romanzi. Le
(1) Nos prédécesseurs l'ont cru du Xe, (Hist. littét. de la France, t. IV, p. 211 ; t. VI, p. 13.) Caylus le rejette au XIIIe (Acad. des Inscr., r. XXI); et Legrand (Fabliaux, 1, XXVI) adopte cette opinion. Mais, d'une part, saint Thomas de Cantorbéry, personnage du XIIe siècle, est nommé dans ce roman; et, de l'autre, c'était déjà un livre anciennement écrit (antiquatâ litteraturâ et ferè destructâ), lorsqu'on le traduisit en latin, sous Louis IX.
XIIIe SIÈCLE.
M. Rayn., II, 283-319.
<1
II, 290-252.
II, 316.
Ibid., 293.
Ibid., 318.
Purgat., cant.
XXVI.
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Tasse, en citant ce passage de Dante, ajoute : « E romanzi fu« rono detti quei poemi o piuttosto quelle istorie favolose che « furono scritte nella lingua de Provenzali o de' Castigliani; « le quali non si scrivevano in versi, ma in prosa. » Enfin, il est fort possible que Giraud de Cabreira, Giraud de Calanson et d'autres troubadours aient cité et recommandé des romans écrits non en provençal, mais en latin ou en français ou en quelque autre langue. En effet, parmi les personnages qu'ils nomment, sont Artus, Merlin, Gauvain, Tristan et Yseult, etc., dont les aventures avaient été déjà célébrées en divers idiomes.
Nous ne pouvons donc nous empêcher de conserver quelque doute sur cette multitude de romans, qu'on prétend avoir existé dans la poésie provençale. Jaufre est le seul que le treizième siècle nous fournisse. On pourrait néanmoins y joindre une vie de saint Honorat, traduite du latin en vers provençaux de huit syllabes, et une chronique des guerres contre les Albigeois, par Guillaume de Tudéla, qui la commença en 1210, à Montauban, et qui la conduisit jusqu'à près de dix mille vers alexandrins.
Telles sont, avec un petit nombre de contes ou nouvelles, les seules richesses de la poésie narrative chez les Provençaux, depuis l'an 1200 jusqu'en 1300. Hors de ce genre, ils ne nous ont offert que des pastorales, des épîtres et des satires, et, si l'on veut encore, des controverses ou tensons.
Le surplus n'a consisté qu'en chansons bien frivoles et en d'autres bagatelles, dont le principal mérite était celui des difficultés vaincues. Nous avouerons néanmoins qu'en triomphant de ces difficultés, les troubadours réussissaient à rendre leur langue harmonieuse et quelquefois même poétique ; mais elle manquait de la précision et de l'énergie que les grandes compositions réclament. Il sera toujours utile de lire leurs ouvrages : on y peut étudier l'histoire du langage et quelques-uns des secrets de l'harmonie rhythmique; mais il serait fort dangereux d'y chercher des exemples. Les progrès de l'art d'écrire dépendent partout de ceux des lumières, de l'étendue et de la vérité des pensées, de l'élévation et de la vivacité des sentimens; partout il faut un fond riche et pur, pour que les formes soient belles, l'expression élégante, pittoresque, énergique. Ces beautés naturelles, les seules véritables, caractérisent les littératures perfectionnées ou classiques, dignes de servir de modèles. Ailleurs il n'existe que des essais informes, où le talent peut bien s'annoncer par
XIIIe SIÈCLE.
T. Tasso, Op., t. IV, p. 210.
Catal. de la Val., II, n° 2737.
Ibid., n° 2708.
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quelques saillies originales; mais où la composition et le style, l'ensemble et les détails se ressentent toujours de la pénurie des idées, de la faiblesse, ou, ce qui revient au même, de l'exagération des sentimens; où, en un mot, presque tout ce qui n'est pas insignifiant est capricieux et bizarre, Nulle part la littérature n'est plus avancée que la langue : tant que celle-ci n'est qu'un bégaiement enfantin, l'autre n'est qu'un lent et puéril apprentissage. Ce ne sont donc pas les troubadours, les ménestrels des moyens siècles, qui pourront nous apprendre à penser, à sentir et à exprimer.
On a dit que la poésie provençale était généralement empreinte d'un caractère lyrique : on l'a conclu de ce que les troubadours étaient musiciens en même temps que poètes.
Cette observation, juste à certains égards, a besoin d'être fort restreinte, pour ne donner lieu à aucune erreur. Nous ne rencontrons, dans leurs œuvres, aucune ode proprement dite, non plus qu'aucun poëme véritablement épique, dramatique ou didactique. Ils n'ont pas plus imité Horace que Virgile, pas plus Pindare qu'Homère ou Sophocle. Peut-être quelques-unes de leurs stances, traduites en un meilleur langage, ne sembleraient-elles pas indignes d'Anacréon : ce serait là le plus haut degré de leur art. Leur poésie, selon la destinée de tout ce qui ne se perfectionne point, n'a plus fait que déchoir après l'an 1300, et s'est presque éteinte avant le milieu du quatorzième siècle. La Harpe dit qu' « étant tombés « dans le discrédit, ils firent place aux poètes français qui écri« vaient dans la langue originairement nommée langue ro« mance. » On ne saurait accumuler plus d'inexactitudes en si peu de mots. Le nom de langue romance ou romane, commun à celle des Provençaux et à celle des Français, appartiendrait encore plus immédiatement à la première; et les poètes qui ont employé la seconde, n'ont point attendu, pour paraître et pour briller même, le déclin et la chute des troubadours. Les uns et les autres ont concurremment cultivé les muses, pendant tout le treizième siècle.
Si les trouvères ont été, dans ce siècle, plus nombreux que les troubadours, s'ils ont laissé des ouvrages plus étendus et plus mémorables, c'est une preuve sensible que la langue française se propageait de toutes parts.; et que, si loin encore des temps où elle devait s'enrichir et se perfectionner, elle faisait déjà des progrès et prenait de la consistance. Or nous aurons à nommer, dans le cours de cette histoire, plus de
XIIIe SIÈCLE.
Lycée, part. II, 1. I, c. i.
XXVI.
Poètes français ou Trouvères.
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deux cents poètes ou rimeurs qui ont parlé cet idiome, non compris plusieurs anonymes, dont il faudra indiquer aussi les productions. A mesure que l'ordre chronologique amènera ces versificateurs, et les entremêlera aux écrivains scholastiques des mêmes temps, on s'étonnera de rencontrer tant d'essais poétiques à travers cet amas d'argumentations arides; et quelque barbares que soient les muses d'une telle époque, on leur saura gré d'avoir pu faire entendre et distinguer leurs accens parmi les clameurs, les disputes et les anathèmes des écoles. Les détails qui composeront les articles destinés à chacun de ces trouvères, donneront des idées précises de leur langage, de leur versification, et, s'il y a lieu, de leur poésie, des sujets qu'ils traitaient, des formes qu'ils employaient, du caractère enfin de leurs travaux et de leurs talens. Les considérations préliminaires que nous allons offrir, ne sauraient avoir d'autre but que d'annoncer les personnages les plus célèbres, les productions les plus fameuses, les principaux genres, les méthodes les plus usitées; en un mot, que d'appeler l'attention sur des résultats généraux, qui seront à vérifier dans la suite par un examen plus approfondi de chacun de ces ouvrages ou de ces morceaux poétiques.
Une seule femme, en ce siècle, s'est distinguée dans cette carrière : c'est une Bretonne appelée Marie de France. Ce nom, qui semblerait indiquer une origine illustre, cache en effet une extraction fort obscure ; mais Marie a su acquérir par ses vers un titre de gloire qui a traversé les âges. Cette gloire poétique s'unissait dès lors quelquefois à l'éclat de la naissance. Thibaut, comte de Champagne, dont le nom se lit encore sur les premiers degrés du Parnasse français, n'était pas le seul prince de son temps qui cultivât les Muses : il avait pour imitateurs Charles d'Anjou, frère de saint Louis; Henri, duc de Brabant; Raoul, comte de Soissons; Pierre Mauclerc, comte de Bretagne. Le roi d'Angleterre Richard Ier composait des chansons françaises : il est à compter, non assurément parmi les troubadours, mais parmi les poètes anglo-normands, avec Chardry, auteur du Pelit-Plet; Etienne de Langton, archevêque de Cantorbéry, qui entremêlait ses sermons de stances rimées; Guillaume de Waddington, autre ecclésiastique, à qui l'on doit un manuel théologique en six mille vers; Denys Pyramus, qui s'est exercé dans presque tous les genres, sur des sujets sacrés et profanes; Guillaume, clerc
XIIIe SIÈCLE.
SesŒuvr., publ.
par M. de Roquefort, 2 v. in-8°.
Ses Poés., publ. par La Ravalière, 2 v. in-12.
Le Grand d'Aussi, Fabl., II, 401.
— Massieu, Hist.
de la Poés. fr., 152. — La Borde, Ess. sur la Mus., II, 149-163.
M. de La Rue, Archæologia, XII, 234; XIll) 231- 236, 248-258.
M. de Roquef., État de la Poés.
fr. au 12e et 13e s., 245-246, 262-268.
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de Normandie, qui mit en rimes le Bestiaire, ou l'Histoire des animaux moralisée ; Hélie de Winchester, traducteur des Distiques de Caton ; et Richard d'Annebault, qui versifia les lnstitutes de Justinien. En général, le titre d'Anglo-Normand est une recommandation : la plupart des poètes auxquels il s'applique, ont plus de précision dans les idées, plus de fermeté dans le style; ils entendent un peu mieux que les autres l'art de la composition; ils savent mieux distribuer les détails, et leurs ouvrages manquent moins d'unité.
Nous venons de remarquer, parmi ces rimeurs, quelques hommes d'Eglise. Des moines mêmes se livraient à l'art des vers : un frère Pacifique, envoyé en France par saint François, passait pour un habile faiseur de chansons ; le prêtre ou moine Hermans chantait en vers alexandrins l'assomption de la Vierge Marie; Gautier de Coinsy, prieur de Saint-Médard, rimait des contes dévots; et Philippe de Vitry, évêque de Meaux, traduisait en vers français les Métamorphoses d'Ovide. Les autres noms qui se font distinguer, à divers titres, dans la longue liste des trouvères ou poètes français de cet âge, sont ceux de Guiot de Provins, dont l'ouvrage est intitulé Bible; d'Adam de la Halle, surnommé le Bossu d'Arras, ville qui fournit aussi Jean Bretel et Jean Bodel, auteurs de jeux-partis; de Baudoin de Condé, qui a fait le Dit des Héraults; d'Albert de Cambrai, qui a rimé les Moralités des philosophes; d'Hebers, de Gautier de Metz, de Philippe Mouskes, qui nous sont déjà connus, le premier par le Dolopatos qu'il a versifié, le second par sa Géographie ou Image du monde, le troisième par sa Chronique en vers; d'Eustache d'Amiens, de Jean de Boves, Audefroy, Haisiaux, Rutebeuf, féconds auteurs de lais ou fabliaux; d'un Renaud, qui a composé ou traduit le lai d'Ignaurès; d'Adenez ou Adam, que ses contemporains surnommaient le Roi, pour le désigner comme le prince des poètes; enfin, de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung, auxquels nous devons les vingt-deux à vingt-trois mille vers du Roman de la Rose. S'il convenait d'étendre davantage ce catalogue préliminaire, on y verrait que la Picardie et les autres provinces septentrionales étaient alors les plus fertiles en versificateurs doués de quelque talent, Toutefois, on ne connaît pas très-bien la patrie de Rutebeuf, qui est, sans contredit, l'un des plus habiles, et tout-à-fait le meilleur, selon Chénier.
Mais nous apprécierons mieux toutes les poésies françaises
XIIIe SIÈCLE.
Le Grand d'Aussi, dans les Notices des Mss., V, 265.
Archæol., XIII.
Abrégé de l'H.
Ecc., par Racine, V, 522.
M. de Roquef., Ét. de la Poés., 236.
Le Grand d'Aus- si, Fabl., IV, I-XLVI, 1-148.
M. de Roquef., Gloss. de la langue romane, II, 768.
Fabliaux, éd.
de M. Méon, II, 307-395.Catal. de La Vallière, II, nO 2736.
Fauchet, 544.
Massieu, H. de la P. fr., 154. La Borde, Ess. sur la Musiq., II, 178.
Daire, Tabl. des Sc. en Pic., 159.
M. de Roquef., Ét. de la P., 121- 232.- V. ci-dess., p. 170, 119, 132.
— Fabliaux, éd.
de M. Méon. Le Grand d'Aussi, Fabl., III, 163, 265. La Croix du Maine, I, 539.
Fauch.. 87, 587.
Bibl. de Duverdier, V, 437-439.
Pasquier, Rec., 1. VII, c. 3, c. 5; I. VII, c. 31.
Sinner, 15. Cat.
de La Vallière, II, nos 2729, 33, 34, 35, 85. Gouget, Bibl. Franc., IX, 26-71. Chénier,
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du treizième siècle, en les divisant par genres, et en séparant d'abord des productions originales les simples traductions. Celles-ci sont nombreuses : il y en a de la Bible et surtout de l'Ancien Testament, une des Psaumes, plusieurs de certaines légendes ou vies de saints; une, par Richard Dourbaut, de la Coutume de Normandie, à joindre à celle des Institutes de Justinien, par d'Annebault; une du livre de Darès sur la prise de Troie; plusieurs des distiques de Caton, savoir, par Hélie de Winchester, Adam de Quincy, Adam du Suel, Jean de Paris ou du Châtelet. On mit aussi en vers français le poëme latin d'Alain de Lille, intitulé Anti-Claudianus, et, comme nous le redisions il y a peu d'instans, le roman de Dolopatos. Ces versions n'ont plus aujourd'hui qu'un seul intérêt : elles sont des monumens de l'état de notre langue en ce siècle; à tout autre égard, la lecture en serait inutile autant que fastidieuse, Du reste, nous n'entendons pas confondre avec ces traductions les imitations libres, comme celles des Fables d'Ésope, par Marie de France; des romans de chevalerie, par Adenez; de plusieurs contes orientaux ou armoricains, par les auteurs de fabliaux.
Partout les premières poésies ont été des chants; et celles qui ont le mieux conservé ce caractère, ont retenu le nom de chansons : « La chanson », dit J.-J. Rousseau, « est une espèce « de petit poëme lyrique fort court, qui roule ordinairement « sur des sujets agréables, auquel on ajoute un air, pour être « chanté dans des occasions familières, comme à table, avec « ses amis, ou même seul, pour éloigner, quelques instans, « l'ennui si l'on est riche, et pour supporter plus doucement « la misère et le travail si l'on est pauvre. » Les chansons badines ou bouffonnes, et surtout érotiques, étaient fort à la mode au treizième siècle : le comte de Champagne Thibaut, qui nous en a laissé soixante-six, avait pour émules les ducs de Bretagne et de Brabant, Charles d'Anjou, le vidame de Chartres, quelques autres grands personnages et une foule de rimeurs moins titrés. Le Grand d'Aussi trouve, dans leurs couplets, du nombre, de l'harmonie, une coupe lyrique ; un langage sinon plus élégant et plus pur, du moins plus coulant et plus doux que dans les autres poètes leurs contemporains. A notre avis, ces chansons françaises soutiennent avantageusement le parallèle avec les chansons provençales du même temps : les idées y sont plus ingénieuses; l'expression des sentimens y est plus simple, et par
XIIIe SIÈCLE.
Fragm. de Litt., 95.
Mém. de Galland, Acad. des Inscr., II. M. de La Rue, Arch., XIII. Fauchet, 583, 584. Massieu, Hist. de la P., 157. Catal. de La Val., II, 2738.
Notices des Manuscrits, V, 548549.
Dict. de musiq., art. Chanson,
Pasq., Lettre à Ronsard, Œuv., II, 37-42. —
Bayle, Dict., art.
Thibaut.
La Borde, Ess.
sur la Mus., II, 149, 363. —Massieu, Hist. de la P., 152. - Le Grand, Fabl., II, 401, etc.
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conséquent plus vraie. Il paraît qu'au nord comme au midi de la Loire, on faisait alors fort peu de chansons bachiques, et qu'on ne chantait à table que les peines ou les plaisirs de l'amour. Mais on célébrait ailleurs les exploits guerriers, et le nom de chansons de gestes désignait celles dont les sujets étaient puisés dans l'histoire des expéditions militaires. L'usage de ces chants belliqueux remontait, en France, au temps de Charlemagne, et même bien plus haut. La plus célèbre de ces chansons était celle de Roland, qui s'est néanmoins perdue, et que Tressan, Paulmy et La Borde ont cru, beau- coup trop légèrement, avoir retrouvée. Mais les poètes anglonormands, qui réussissaient plus que les autres dans ce genre de compositions lyriques, l'ont perpétué jusqu'au treizièmè siècle.
Le nom de lay ou lai s'est quelquefois appliqué à l'espèce la plus grave et la plus considérable des poëmes chantés.
On ne connaît pas très-bien l'origine de ce nom : quelques étymologistes le font venir de lessum ou lessus, qui, dans Plaute et dans Cicéron, signifie lamentation, complainte; selon d'autres, il viendrait du latin barbare leudus, traduit, dans les lanousc Hn "NJnrH r\ar ¡,,'oA lin/1 U/"I,-l l/i m TAIlC 1AC'
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De cest cunte k'oï avez Fu Gugenes le lai trovez, Qu'hum dist en harpe et en rote : Boine en est à oïr la note.
Voilà des textes qui donneraient lieu de croire que les lais étaient chantés, même avec accompagnement de vielle ou de harpe. Cependant on ne retrouve aucun vestige de notes de musique dans les manuscrits de ces poëmes; et, ce qui est plus remarquable, les lais de Marie de France ne sont point divisés en strophes : ils sont tous en vers de huit syllabes à rimes plates, indifféremment masculines ou féminines; ver-
XIIIe SIÈCLE.
M. de Roquef., État de la Poés., 215.
lb., 201-209.
— Acad. des Ins., XV, 581. — Le Grand, Fabl., I, 301.
a M. de Roquef., Ét. de la P., 201204.
La Borde, Ess.
sur la Mus., II, 143.
M. de Roquef., Ét. de la Poés., 216-221.
M. de La Rue, Rech., 25.
Poés., t. I, p.
486.
T. II, p. 112.
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sification qui se prêterait tout au plus à une psalmodie monotone. Il est donc fort probable qu'au treizième siècle, les lais n'étaient plus des chants : ils avaient eu autrefois ce caractère ; les premiers poètes armoricains et anglo-normands le leur avaient donné; et depuis, Froissart a tenté de le leur rendre. Mais les lais de Marie de France et de plusieurs autres versificateurs de son temps n'avaient presque plus rien de lyrique, et rentraient dans la classe des fabliaux, dont nous ne tarderons point à parler.
Nous avons remarqué, chez les troubadours, des sixtines, des rétroenses, d'autres formes particulières de poésie lyrique.
Les œuvres des trouvères, du moins celles qui sont connues, en offrent peu d'exemples; mais on y rencontre plusieurs pastourelles qui, à l'harmonie près, ressemblent à celles des poètes provençaux, et dans lesquelles on retrouve le fond de quelques-unes de nos chansons modernes, par exemple, de celle d'Annette et Lubin : Il était une fille, une fille d'honneur, etc.
Aux tensons des troubadours correspondent, comme nous l'avons déjà dit, les jeux-partis des trouvères, que Le Grand d'Aussi considère comme des productions dramatiques. A nos yeux, il n'y a là que des dialogues précédés et interrompus par les récits que l'auteur fait en son propre nom. On trouverait tout aussi bien des drames dans chaque narration, dans chaque histoire où des personnages sont mis en scène, et ont entre eux des altercations ou des entretiens. Voilà ce que sont réellement les jeux d'Adam, de saint Nicolas, du Pélerin, de Robin et Marion, du Miracle de Théophile : ouvrages d'Adam-le-Bossu, de Bodel et de Rutebeuf.
On a de ce dernier un jeu-parti du Croisé et du Décroisé; dialogue que Le Grand d'Aussi classerait encore volontiers parmi les pièces de théâtre. Ce poëme consiste en trente stances, chacune de huit vers, où les rimes sont croisées et alternativement féminines et masculines, excepté pourtant dans quatre de ces stances, qui sont moins régulières. C'est le poète qui parle dans les cinq premières strophes; il expose le sujet de la pièce.
Les deux interlocuteurs prennent tour à tour la parole dans les vingt-cinq autres couplets. Le Décroisé dit en substance : « Quoi! pour conquérir un pays lointain dont on ne me lais« sera rien, je quitterai mes enfans, ma femme, mes affaires « et mon héritage! On sert Dieu à Paris comme à Jérusalem, « et l'on gagne le paradis sans faire le voyage d'outre-mer.
XIIIe SIÈCLE.
M. de La Rue, Rech. sur les Bardes armor.
Poésies de Froissart, ms. du Roi, 72'4-
La Borde. Ess.
sur la Mus., If, 151, 163, 189, etc.
Fabl., I, 328332.
Ib., 333 - 339, 348-357, 367.
Ib., 367-373.
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« Adressez-vous à ces riches prélats qui se sont voués au « service du ciel, et qui possèdent tous les biens de la terre : « ils peuvent avoir à ces expéditions un intérêt que je n'ai pas.
« Moins opulent qu'eux, je dors aussi bien ; je vis en paix « avec mes voisins, et, n'étant point las de ce genre de vie, « je ne vais pas chercher la guerre au bout du monde. Vous qui « aimez les brillants exploits, allez vous couvrir de gloire ; et « dites de ma part au soudan que, s'il vient m'attaquer, je « saurai me défendre : tant qu'il se tiendra en repos, je n'irai « point le détrôner. Il y a d'ailleurs un point qui m'étonne « dans vos entreprises : vous allez, petits et grands, visiter « la terre sacrée ; tous s'y sanctifient sans doute : comment cc se fait-il qu'ils ne soient que des bandits quand ils en re« viennent? Au surplus, je traverse volontiers un ruisseau, je « le saute ou je le passe hardiment ; mais d'ici à Saint-Jean« d'Acre, l'eau est par trop profonde, et le canal trop large.
« Dieu est partout: il est pour moi en France, autant que pour « vous à Jérusalem. » Voilà donc avec quelle liberté on raisonnait sur les croisades, sous l'empire de saint Louis; mais il est vrai que le Croisé réfute ces argumens, et que le Décroisé finit par se déclarer convaincu qu' ils sont futiles : il se croise.
Le genre satirique se présente chez les trouvères comme chez les Provençaux, sous le nom de sirventes ou servantois, quelquefois sous celui de sotte chanson. C'est peut-être l'origine des sotties ou moralités qui ont paru plus tard parmi les premiers essais de l'art théâtral en France. Depuis que le roi d'Angleterrre Henri Ier avait fait crever les yeux à Luc de la Barre, poète satirique qui l'avait peu ménagé, on faisait beaucoup moins de sirventes dans nos provinces septentrionales, ou du moins on y mêlait les éloges aux critiques, et l'on y parlait d'amour ou de dévotion. Toutefois on n'y épargnait guère les courtisans, ni les moines, ni en général le clergé.
Roix de Cambrai censura fort amèrement les religieux anciens et nouveaux; mais il règne plus de véhémence encore dans une complainte de Jérusalem contre la cour de Rome, pièce anonyme qui semble avoir été composée vers l'an 1218, à l'occasion des démêlés de Jean de Brienne avec le légat du pape. Plusieurs personnages du temps se rencontrent dans le Chemin d'enfer de Raoul de Houdan; la plupart sont des bourgeois, dont les noms, restés obscurs, ne rappellent aujourd'hui aucun souvenir. Mais on remarque au milieu de cette liste, et dans la demeure de Filouterie, Jean-le-Bossu
XIIIe SIÈCLE.
Barbazan, Préf.
des Fabliaux, t.
III, p. x de l'édit.
de Méon.
Archasologia, t.
XII.
Fauchet, 583.
Massieu, 158.
Sinner, Catal.
Bibl. Bernensis, III, 348-35o.
Le Grand, Fabliaux, II, 17-21.
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d'Arras, l'un des trouvères de ce siècle. La Voie du Paradis, par Rutebeuf, a aussi un caractère satirique, mais il n'y a point de personnalités : c'est une description générale des vices ou péchés capitaux. Une petite pièce anonyme est d'une malignité plus piquante : Dieu, quand il eut créé le monde, y plaça trois espèces d'hommes : les nobles, les ecclésiastiques et les vilains. Il donna les terres aux premiers, les dîmes aux seconds, et condanma les derniers à travailler toute leur vie pour le service des deux premiers ordres. Cependant il restait deux classes de personnes qui n'étaient pas pourvues, savoir les ménétriers et les courtisanes. Dieu chargea les nobles de nourrir les ménétriers, et confia les courtisanes aux prélats, qui, par les soins qu'ils ont pris d'elles, ont mérité le paradis : ils seront indubitablement sauvés; mais il n'y aura point de salut pour les nobles, parce qu'ils laissent les ménétriers mourir de faim.
Deux poëmes satiriques, d'une grande étendue, portent les noms de Bible-Guiot, et de Bible au seigneur de Berze. Le premier ne contient pas moins de deux mille six cent quatre-vingtonze vers, tous de dix syllabes et à rimes plates, comme dans la plupart des poëmes français de ce siècle; seulement il se rencontre, une fois, dans la Bible-Guiot, trois vers de suite sur la même rime, et voilà pourquoi le nombre total des vers de ce poëme est impair. L'auteur, dès son début, ennonce qu'il va critiquer les mœurs de son temps, démasquer les vices qui règnent dans les diverses classes de la société ; Dou siècle puant et orrible M'estuet (me convient; commencier une bible, Por poindre et por aiguilloner, Et por grant essample doner.
Ce n'iert (n'est) pas bible losengière (louangeuse), Mès fine et voire (vraie) et droiturière, Mireors (miroir) iert à toutes genz.
En effet, le poète passe en revue les princes, les ducs, les comtes, les barons et les chevaliers ; puis les gens d'Église, depuis les papes jusqu'aux frères convers et aux nones; enfin, les legistres ou hommes de loi, et les fisiciens ou médecins.
C'est un tableau qu'on a besoin de croire exagéré, pour ne pas prendre une trop mauvaise idée du siècle de saint Louis.
La partie la plus détaillée est celle qui concerne l'Eglise.
Les anciens prélats avaient épousé trois pucelles : la Charité, la Vérité et la Justice; mais elles ont été répudiées : De ces trois n'avons-nos mès cure,
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., 22-29.
Ib., 117-118.
Fabliaux, éd. de M. Méon, II, 307- 393.
Vers 1141, etc.
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Porquoi tolues les nos ont Li saint abbé que ores sont : En lieu de ces trois nos ont mises Trois vielles ordes et assises.
Molt sont et laides et cruax Ces trois vielles et déloiax.
Des trois vielles sai bien les nons : La première a non Traïsons, Et la seconde Ypocrisie, Et la tierce a non Symonie.
Malgré le titre de Bible-Guiot de Provins, quelques savans prétendent que ce poëme est de Hugues de Bercy : celui-ci est du moins l'auteur de la Bible au seigneur de Berze, poëme en huit cent trente-huit vers, du même genre et presque sur le même sujet que le précédent; cependant la satire y a moins d'âcreté, le style plus de douceur et quelquefois plus d'élégance. La censure des mœurs présentes y est plus entremêlée de traits d'histoire sainte et de digressions morales.
Le poète remonte au péché d'Adam (I); quand il arrive à la rédemption, il prétend qu'elle fut immédiatement suivie du partage de la société en trois ordres : Quant Diex nous ot d'enfer rescous, S'ordena trois ordres de nous : La première fu, sanz mentir, De provoire por Diex servir Ès chapèles et ès moustiers ; Et l'autre fu des chevaliers, Por justicier les robéors ; L'autre fu des laboréors.
L'auteur s'est nommé lui-même vers la fin de l'ouvrage : Hugues de Bersil qui tant a
fi) Quant Diex fist Adan et Évain D'un petit de terre en sa main, S'ils obéisissent forment Et tenissent commandement, Jà nus en enfer n'en entrast, Ne en cest siècle ne péchast ; Mès por ce que il trespassèrent Le commandement et véerent Que Diex lor avoit commandé Et enseignié et devisé, Chéi li siècles en pechié Dont li mons est si entechié.
Quant Diex vist son siecle perdu Et engingnié et deceu Por une pomme malostrue Qu'il avoit Adan deffendue, S'esgarda et porvit comment Il en prendroit restorement ; etc,
XIIIe SIÈCLE.
Fabliaux, éd. de M. Méon, II, 394- 420.
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Cerchié le siècle çà et là, Qu'il a véu qu'il ne vaut rien , Préesche ore de fère bien.
Il se glisse aisément des traits de satire dans les poëmes didactiques, et l'on pourrait presque également rapporter à l'un ou à l'autre de ces deux genres les deux Bibles dont nous venons de parler. A la rigueur, cette qualification de didactique ne convient qu'aux poëmes qui enseignent un art ou une science; mais on l'applique à beaucoup d'ouvrages dont l'objet est moins déterminé, et qu'on aurait peine à classer autrement. Si nous donnons cette étendue au genre didactique, il embrassera beaucoup de productions françaises du treizième siècle. Nous y placerons d'abord le Doctrinal Sauvage, qui contient des préceptes de grammaire et de morale, versifiés par Bernardin le Sauvage, d'après le Doctrinale puerorum d'Alexandre de Ville-Dieu et quelques autres manuels : ce Doctrinal est en vers alexandrins, distribués par strophes de quatre, cinq, six ou sept vers sur une même rime dans chacune de ces strophes. Peut-être en a-t-on modifié la diction dans les copies qui nous en restent; car elle se rapproche quelquefois beaucoup de celle du quinzième siècle, par exemple, dans ces deux vers : Se vos estes plaisant, bien vos devez garder De plus povre que vous laidanger et fouler.
Il est fait mention du Doctrinal Sauvage dans la Bataille des sept Arts, par Henri d'Andely. Cette bataille est entre les universités d'Orléans et de Paris, ou bien entre la Grammaire, qu'étudiaient les clercs Orléanais, et la Logique ou Quiquelique, qui prédominait dans les écoles parisiennes. Tous les arts, beaucoup d'anciens auteurs, et tous les professeurs du temps prennent parti dans l'une ou l'autre armée, et il en résulte une sorte d'épopée burlesque, à peu près dans le goût de la Défaite des bouts-rimés de Sarazin. Nous pourrions ranger cette production à la suite des poëmes épiques ou romanesques, si elle ne roulait sur des controverses scholastiques, et si elle n'était d'ailleurs d'une extrême insignifiance. Il y a plus d'esprit dans le Mariage des sept Arts, par Tainturier.
Là, Grammaire annonce à ses six filles qu'elle va, toute vieille qu'elle est, se marier. A cette nouvelle, Logique, la plus jeune des filles et la moins riche, se lève la première : elle a le teint pâle, mais la langue bien affilée; elle déclare qu'il lui faut aussi un époux. Rhétorique fait le même aveu, et quoi-
XIII® SIÈCLE.
Notices des manuscrits, V, 515- 5I7.
Ib., 496-511.
Ib., 490-495.
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que fort parée, elle va chercher de nouveaux atours. Musique, la plus gaie de la famille, s'empresse de renoncer au célibat : elle exprime sa résolution d'un ton si folâtre, que les trois autres sœurs, Arithmétique, Astronomie et Géométrie, ne veulent pas non plus rester vierges. Mais on annonce deux graves matrones, qui s'appellent Théologie et Médecine.
Théologie, vêtue de camelin, sans interdire le mariage, en expose les inconvéniens. Arrêtez, s'écrie Médecine, vous ne savez pas encore ce qui convient à ces demoiselles. Et, ce disant, elle leur tâte le pouls à toutes sept; après quoi elle leur dit : Mariez-vous, Mesdames. Théologie y consent, se souvenant que Dieu a uni Adam et Évain. On fait venir sept maris, et les sept noces se célèbrent en un seul festin, où les vins, dit le poète, valent mieux que ceux de Cana. Les vins qui se buvaient en France au seizième siècle, sont le sujet d'une pièce de deux cent quatre vers, intitulée Bataille des Vins, par le même Henri d'Andely qui a composé la Bataille des Arts. C'est un prêtre anglais qui juge, en parfaite connaissance de cause, tous les vins et toutes les autres boissons : il excommunie la cervoise et toute liqueur qui se fait au-delà de l'Oise, En Flandres et en Angleterre ; Puis gète la chandeille à terre, Et puis si alla sommeillier Trois nuis, trois jors, sans esveillier.
Sur le rapport de cet expert, le roi Philippe (selon toute apparence, Philippe-Auguste) assigne à tous les vins des rangs correspondans aux dignités sociales : le vin de Chypre est déclaré aposloile ou pape; le vin de Naples, chardonal ou légat; la qualité de rois est attribuée aux trois meilleurs vins de France, qui d'ailleurs ne sont pas désignés; les trois suivans sont faits comtes, et douze autres Pers de France Où li rois ont molt grant fiance.
De tels poëmes sont assurément fort peu didactiques : ce titre conviendrait mieux aux Moralités des philosophes, en trois mille vers, par Alars de Cambrai : beaucoup d'auteurs y sont cités; mais le poète les connaît si mal, qu'il fait deux personnages distincts de Cicéron et de Tullius, aussi bien que de Virgile et de Maron. L'Anglo-Normand Guillaume de Waddington est plus instruit : son Manuel, en six mille vers;
XIIIe SIÈCLE.
Fabliaux, éd. de M. Méon, I, 152158.
Sinn., Catal. ma- nuscr. Bibl. Bern., III, 358. — M. de , Roquefort, État de la Poés., 232- 233, 262-268.
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offre un traité complet des dogmes et des préceptes du christianisme; il se récrie vivement contre les inventeurs de faux miracles; il n'en remplit pas moins son livre d'une multitude de fables pieuses. Le Petit-Plet de Chardry, autre AngloNormand, est un long entretien entre un vieillard et un jeune homme, sur les vicissitudes de la vie humaine. On pourrait le classer parmi les tensons ou jeux-partis, s'il ne contenait une longue série méthodique de leçons morales.
Mettre, comme on l'a fait, ce dialogue au nombre des représentations théâtrales, c'est supposer trop de patience aux spectateurs : non-seulement il n'y a point là d'action, mais la récitation publique d'un tel poème n'aurait pu, en aucune manière, ni émouvoir ni divertir personne; c'était beaucoup qu'on le pût lire.
Le genre didactique a droit de revendiquer aussi le Chasiiement des dames, de Robert de Blois, du moins dans l'état où on l'a imprimé, car il n'est originairement qu'un épisode du roman intitulé Beaudous. Nous avons remarqué, parmi les poésies provençales, des ensenhamens ou épîtres didactiques, dont l'une, adressée à une jeune marquise, contient des leçons sur les moyens de plaire et sur la manière de se conduire ; les mille quatre-vingt-dix-neuf vers du Chastiement des dames tendent au même but.
Cest livre petit priseront Dames, s'amendées n'en sont : Por ce vueil-je cortoisement Enseigner les dames comment Elles se doivent contenir En lor aller, en lor venir, En lor tesir, en lor parler, etc.
Un précepte sur lequel le poète insiste plus long-temps qu'on ne voudrait pour l'honneur des dames de son siècle, est de ne pas s'enivrer trop sbvent : Fi de la dame qui s'enivre!
Elle n'est pas digne de vivre, dit-il, et, après d'autres tirades contre la gloutonie, contre la malpropreté, il réprimande encore plus vertement celles qui mentent par coutume. Pour leur enseigner à repousser les prières des amans, il en introduit un qui récite ou chante quarante-deux vers distribués en sept strophes à rimes croisées, tandis que tout le reste du poëme est à rimes plates.
L'auteur coutinue par une tirade contre l'amour, dans laquelle
XIIIe SIÈCLE.
M. de La Rue, Archaeol., XIII , 236-239.
M. de Roquef., Éiat de la Poés,, 268-269.
Fabliaux, éd. de M. Méon, II, 184219.
M. de Roquef., Ét. de la P., 183-.
V. ci - dessus , p. 204.
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cinquante-six vers de suite commencent par le mot amors.
Si le style n'en est pas élégant, la morale en est du moins très-pure,, beaucoup plus surtout que dans l'Art d'aimer de Guiart, monument de l'extrême licence autant que du mauvais goût de cet âge.
L'Ordre ou Ordène de chevalerie a des formes narratives et contient des détails historiques qui l'ont fait placer quelquefois au nombre des fabliaux; mais., au fond, le principal but de cette pièce de cinq cent six vers,, dont l'auteur s'appelle Hue de Tabarie, est d'exposer les cérémonies et les devoirs de l'ordre des chevaliers; elle peut servir à l'histoire de cette institution, plus qu'à celle de la poésie. Nous avons déjà indiqué l'Image du monde, par Gautier de Metz : bien que ce soit principalement un traité de géographie, on ne laisse pas d'y trouver encore des notions d'astronomie, d'histoire naturelle, de physique et de métaphysique; en un mot, de toutes les sciences alors enseignées tant bien que mal. Un copiste a joint à l'un des manuscrits de cet ouvrage quelques vers, dont l'un dit :
Omons a non qui fist ceste wuere.
Trompé par cette indication, Le Grand d'Aussi attribuait l'Image du monde à Omond ou Osmont, qui n'a réellement point composé de livre ainsi intitulé, mais seulement un volucraire et un lapidaire, traités en vers des oiseaux et des pierres, plus pleins l'un et l'autre d'allégories et de moralités que d'observations positives. Il n'est question dans le Volucraire que de l'autour, du paon, et des passereaux qui font leur nid sur le cèdre du Liban. L'un des poèmes intitulés Bestiaires appartient à Philippe de Than, trouvère mort avant 1201; mais le treizième siècle en fournit deux autres, dont les auteurs sont Guillaume, clerc normand, et Richard de Furnival. Ce sont des traités de zoologie, avec des applications, fort pieuses dans le premier, fort galantes dans le second, quoique Furnival fût prêtre. Guillaume, le clerc normand, écrit en l'année où l'Angleterre fut mise en interdit, c'est-à-dire en 1209 : il a la hardiesse de dire, quoique avec bien des précautions, que L'interdit ne l'y agrée.
Entre les animaux qu'il décrit sont le phénix et les sirènes : la belette conçoit et enfante par l'oreille; l'aigle, pour se rajeunir, va se brûler aux rayons du soleil et tombe dans
XIIIe SIÈCLE.
Le Grand, Fabl., II, 61 —65,
Fabliaux, éd. de M. Méon, I, 5g- 82. Préface de Barbasan, ibid., III-VIII.
V. ci-dessus, p. 210.
Lebeuf, Diss.
sur l'Hist. de Paris, II, 518-525.
Notices des Manuscrits, V, 244.
Ibid., 267.
V. notre tome XIII, 60-63.
Noticesdes Mss., V, 275-277.
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une. fontaine de Jouvence. On ne prend la licorne qu'en faisant marcher contre elle une pucelle attrayante, etc.
Quand il a donné toutes ces belles leçons, Guillaume, dans son épilogue, complimente son seigneur Raoul ou Radulfus, nom dont la première syllabe est l'abrégé de ratio, la seconde de dulcedo, et la troisième de fultus ; en sorte que Radulfus équivaut à ratione et dulcedine fultus, appuyé sur la raison et la douceur. Pour Richard de Furnival, il ne s'adresse qu'à sa maîtresse, et il trouve quelque galanterie à lui dire à l'occasion de chaque espèce animale. Aussi a-t-on appelé son livre le Bestiaire d'amour; mais il y a joint une réponse ou seconde partie, aussi édifiante que la première était mondaine.
Tels étaient, dans le genre didactique, ou en des genres voisins de celui-là, les principaux essais des trouvères du treizième siècle. Celles de leurs poésies dont il nous reste à parler, sont essentiellement narratives; il y en a même de purement historiques, comme la Chronique de S. Magloire, qui retrace, en 288 vers, les évènemens arrivés depuis 1214 jusqu'en 1296. Ce mémorial procède d'année en année, mais il est fort incomplet : par exemple, les Vêpres siciliennes de 1282 y sont omises, quoique auparavant il ait été parlé de l'établissement de Charles d'Anjou et des Français dans l'Italie méridionale. Mais les années d'abondance ou de disette y sont soigneusement désignées, ainsi que celles qui ont amené des inondations ou d'autres calamités naturelles.
L'ail mil deux cens et quatre vins Et seize avec, que tant fu vins.
Furent les iaues grans en décembre, Si vilainnement parcréues, Qu'el alèrent parmi les rues.
As mesons grand mal éles firent, Car pons et molins abatirent De Paris, de Miaus, d'autres villes : Véritez est comme Euvangilles.
On ne connaît pas l'auteur de cette chronique ; mais le nom de Philippe Mouskes, chanoine, puis évêque de Tournay, est attaché à une Histoire générale des Francs, depuis l'enlèvement d'Hélène et la prise de Troie jusqu'en 1242. La partie ancienne est un tissu de fables puisées surtout dans la Chronique dite de Turpin; mais les derniers articles, à partir de l'installation de Baudoin au trône de Constantinople, ont paru à Ducange dignes d'être publiés à la suite
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., 277-278.
Lebeuf, Diss.
sur l'Hist. de Paris, II, CXLIII-CLVI.
Fabliaux, éd. de M. Méon, II, 220235.
Valer. Andr., Bi- bl. Belg., 1039. —
Massieu, H. de la P. Fr.) 163-164.
— Gouget, Bibl.
Fr., IX, 23-25.— Ducange, Hist. de G. P., part. I.
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de Villehardouin. Du reste, Mouskes est dénué de tout talent poétique. On en distinguerait plutôt quelques étincelles dans les auteurs des pièces intitulées Rues de Paris, Crieries, Moustiers et Ordres de la même ville; on apprend dans ces petits poëmes des particularités curieuses. Guillot, qui met en rimes les loues de Paris brièment, commence par le quartier d'outre-Petit-Pont et par la rue de la Huchette; après qu'il en a compté soixante-dix-neuf autres au midi de la Seine, il en nomme trente-six en la cité, et enfin par de-là le grand pont ou au nord, cent quatre-vingt-quatorze : le tout sans tenir compte des rues qui n'ont chief, c'est-à-dire, des culsde-sac. L'enceinte où toutes ces rues sont comprises, est bornée au nord par les Halles; à l'est, par l'île dite aujour- d'hui de Saint-Louis; au midi, par Sainte-Geneviève; à l'ouest, par deux tours alors placées à peu près aux deux extré- mités du pont actuel des Arts. Cette enceinte, qui existait à la fin du règne de Philippe-Auguste, ne s'est point agrandie sous Louis IX; mais elle renfermait en 1226 des places vides et des champs en culture, qui, dans le reste du siècle, se sont remplis d'établissemens et d'habitations. Les cris ou crieries de Paris ont fourni à Guillaume de la Villeneuve la matière de cent quatre-vingt-quatorze vers, qui retracent d'anciens usages. Soixante-neuf vers anonymes contiennent la liste des Moustiers, c'est-à-dire, des monastères, ou plutôt des églises de la capitale : on y voit qu'au commencement du règne de Philippe-le-Bel, le nombre de ces édifices était de soixante-et-onze. Mais Rutebeuf ne s'est point borné à de simples nomenclatures, dans sa chanson sur les Ordres de Paris, non plus que dans sa pièce en cent soixante-huit vers sur ces mêmes ordres : il entend par ce mot les couvens d'hommes et de filles. Il n'était pas homme à traiter un pareil sujet sans se livrer à son humeur satirique.
Tant d'ordres avons jà, Ne sai qui les sonja.
Assez dient de bien, Ne sai s'il en font rien.
Papelart et béguin Ont le siècle honni.
Ces deux derniers vers servent de refrain à chacun des treize couplets de la chanson. A ces morceaux historiques ajoutons le Dit du Lendit : l'anonyme à qui l'on doit cette description rimée de la foire du Lendit, y fait entrer une énu-
XIIIe SIÈCLE.
Fabliaux, éd. de M. Méon,II, 256276.
Ib., 276-286.
Ib., 287-292.
1 b., 293-301.
IbO) 301-3°7.
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mération des villes commerçantes de France, et quelques détails sur l'état du commerce ; mais venons aux narrations purement poétiques ou fabuleuses.
Les plus simples et les plus courtes de ces narrations sont celles que désigne le nom de fable ou d'apologue : Rutebeuf a rimé la fable de l'Ane et du Chien; Jean de Boves, celle du Loup et de l'Oie; et des anonymes, deux ou trois autres. Dans les bestiaires dont nous parlions tout à l'heure, quelques morceaux se rapprochent de l'apologue versifié.
Mais M. de Roquefort a publié cent trois fables de Marie de France, qui les traduit, dit le prologue, du laitin, où elles avaient été translatées du grin d'Ysopet ou Ésope. Dans l'épilogue cependant, Marie déclare qu'elle a travaillé d'après une version anglaise : Au finement de cest escrit, K'en romans ai turné et dit, Me numerai (nommerai) por remembraunce: Marie ai num, si suis de Fraunce.
Pur amur le comte Willaume, Le plus vaillant de cest royaume, M'entremis de cest livres feire, E de l'anglais en roman treire.
Ysopet apeluns le livre Qu'il travailla et fist escrire, De grin en latin le turna.
Li rois Henri, qui moult l'ama, Le translata puis en engleiz; E jeo l'ai rimé en franceiz.
A quelque source qu'ait puisé Marie, parmi ses cent trois fables, on en distingue dont le sujet n'avait été traité ni par Esope ni par aucun ancien fabuliste connu. Telle est celle du prêtre qui veut apprendre à lire à un loup, pour le f ère presire.
A, dit li prestres; A, dit li leux : B, dit li prestres, di od mei ; B, dit li leus, la lettre vei.
Li prestres feit : O di par toi.
Li lox respunt : Jeo nesai qoi.
Di ke t'en semble et si espel.
Respunt li lox : Aignel, aignel.
Li prestres dist que verté tuche (vérité touche) : Tel en penssé, tel en la bûche.
Ce recueil d'apologues est précieux, comme le plus ancien que nous ayons en vers français; mais nous sommes forcés d'avouer que Marie n'a point possédé l'art d'y jeter de ces
XIlIo SIÈCLE.
Fabliaux, éd. de M. Méon, III, 53- 55, 55-6o, 114197, etc.
Poés. de, Marie de Fr., t. II.
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- traits naïfs et rapides qui depuis ont donné tant de valeur à cet humble genre de poésie. Sa diction a toujours de la sécheresse, quelquefois de l'obscurité; les détails ne sont exprimés qu'à demi : il est vrai qu'en revanche les moralités sont verbeuses. Sachons-lui gré de ce travail, mais n'imaginons pas que Lafontaine en ait aucunement profité. Ce poète, quoi qu'on en ait dit, n'a point, selon toute apparence, connu les fables de Marie. Il n'a emprunté aucun des sujets qu'elle seule avait traités; et il a trouvé les autres en des recueils plus amples, plus répandus à l'époque où il vivait.
Le nom de fabliaux devrait être réservé aux contes et nouvelles versifiés par les trouvères; mais on l'a employé en des sens fort indéterminés. Barbasan et Le Grand d'Aussi ont intitulé fabliaux des collections où se rencontrent des dialogues, des jeux-partis, des satires, des poèmes didactiques, des apologues, des pièces de toute nature. Comme nous avons déjà parcouru ces divers genres, nous ne nous attacherons ici qu'aux nouvelles ou contes, mais en y comprenant plusieurs pièces qui ont pris et conservé le nom de lais : car, ainsi que nous en avons averti, ce titre, qui n'avait été donné d'abord qu'à des romances) à des complaintes, à des poésies chantées, a fini par être appliqué fort souvent, dans le cours du treizième siècle, à des récits écrits en vers uniformes, qui n'étaient point distribués par strophes, et que probablement on ne chantait pas. Nous aurons donc d'abord à tenir compte de quatorze lais de Marie de France, dont les plus connus sont ceux de Gugènes, de Graalent et de Lanval. Tous racontent des aventures amoureuses et chevaleresques. Celui d'Éliduc est le plus long : il a onze cent soixante-dix-huit vers; celui du Chèvrefeuille n'en a que 118 ; l'étendue des autres varie entre ces deux termes. La narration n'est pas sans mouvement ni sans couleur; sous le rapport même de la versification et de la langue, les lais de Marie de France sont fort supérieurs à ses apologues. On a d'elle, en outre, le Purgatoire de saint Patrice, qu'on peut ranger aussi au nombre des fabliaux, quoiqu'il ait plus de trois mille vers. Ce long conte, qui, selon Chénier, est ridicule sans être piquant, a contribué à propager les traditions superstitieuses relatives à une caverne d'Irlande, d'où l'on sortait purgé de ses péchés.
Il n'est point de genre poétique plus riche, au treizième siècle, que celui des contes appelés fabliaux ou lais. Le lai
XIIIe SIÈCLE
État de la P.
Fr., 198.
Poés. de Marie de Fr., t. 1.
Ibt. II, 403- 499.
Fragm. deLitt., 114-
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du prisonnier, ou d'Ignaurès, par Renaud, pourrait avoir été composé un peu avant l'année 1200. Cet Ignaurès est un chevalier breton qui aime et trompe à la fois douze dames, qui le lui pardonnent; mais les douze maris ne le traitent pas avec tant de clémence : ils lui arrachent le cœur et le font manger aux douze femmes, qui en meurent de désespoir.
Les narrations de Jean de Boves ne sont pas si tragiques; d'ordinaire le succès y couronne les stratagèmes des amans.
Le Boucher d'Abbeville est un conte très-facétieux, versifié par Eustache d'Amiens. Dans le lai d'Aristote, Henri d'Andeli veut montrer Qu'amors vainc tout et tout vaincra, Tant com cis siècles durera.
Nous citerons comme un exemple du plus monstrueux alliage de la galanterie et de la dévotion les Chanoinesses et les Bernardines de Jean de Condé : là, des oiseaux chantent une messe, et, à ce propos, le poète entame un commentaire du Missel; il y aurait pourtant des détails historiques, assez curieux, à recueillir dans cette composition fantasque. Plusieurs fabliaux, et même quelques-uns des plus remarquables, sont restés anonymes : tels sont le Vilain Mire, dont Molière a fait le Médecin malgré lui; la Bourgeoise d'Orléans, qui fit battre aussi son mari, mais sans le faire médecin; le Chevalier qui confesse sa femme; le lai de Courtois, emprunté de la parabole de l'Enfant prodigue; la Cour de Paradis; et, pour n'en plus nommer qu'un. Saint Pierre et le Jongleur. Dans ce dernier conte, le diable, allant en tournée, confie la garde de l'enfer à un nouveau venu, mé- nétrier de profession, joueur passionné. Saint Pierre profite de l'absence du diable, et, s'étant muni de dez tout neufs, il va proposer un brelan au jongleur, lui gagne une ame damnée, puis deux, dix, cent, et jusqu'à la moitié de tous les détenus dans la prison infernale. Désespéré, le ménétrier fait son va-tout; il perd encore, et saint Pierre emmène l'enfer entier en paradis.
Les fabliaux de Rutebeuf ont trop d'originalité pour ne pas indiquer au moins son Testament de l'âne, sa Jeune Fille déguisée en cordelier, et sa Dame qui fait Trois tours en tour le moustier.
L'âne d'un curé est mort : par reconnaissance pour les bons services du défunt, le curé l'inhume en terre sainte. Grande
XIIle SIÈCLE.
M. de La Rue, Rech.) 14. - Le Gr. Fabl. III, 265-282.
Le Gr. Fabl., II, 234; III, 1-64102-131 - 134, etc.
Fabliaux, éd. de M. Méon, IV, 119.
Le Cr. Fabl., I, 25 1-253.
Fabliaux, éd. de M. Méon, III, I13.
Ibid., III, 161- 168.
lbid" III, 229238.
Ibid., T, 356379.
Ibid., III, 128- 148. — Chénier, Fragm. de Litt., 112-113.
Fabl., ib., 70- 75.
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colère de l'évêque; le curé va le trouver et lui dit : Mon âne a fait un testament par lequel il vous légue vingt livres : Et dist l'évesques, Diex l'ament, Et si li pardoint ses meffais Et toz les péchiez qu'il at fais.
Le déguisement de la demoiselle en cordelier est l'effet des artifices du frère Denise; c'est pour Rutebeuf une occasion d'exercer sa verve satirique contre les hypocrites, ou, comme il dit, les papelards, mot dont l'usage est on ne peut plus fréquent dans les poésies de ce siècle. Quant à la dame qui, durant la nuit, fait trois fois le tour de l'église et y rencontre le provoire, elle parvient à tranquilliser son mari sur les causes de cette absence, et l'auteur prétend nous montrer par là combien les femmes sont astucieuses. Qui veut, dit-il, en tromper une, doit auparavant avoir su tromper le diable.
Quelque libres que soient ces contes, on se méprendrait fort, si on les croyait dictés par un esprit irréligieux. C'est de la meilleure foi du monde que ces poètes associent le profane au sacré; ils mêlent à leurs facéties et à leurs satires des témoignages non équivoques de leur croyance sincère. Il y a même des fabliaux consacrés spécialement à la dévotion; Le Grand d'Aussi en a rassemblé un assez grand nombre. A vrai dire, nous ne les trouverions guère plus édifians que les autres, tant les superstitions y sont bizarres et grossières !
La sainte Vierge y joue presque toujours le principal rôle : elle ramène dans la bonne voie des sacristains et des religieuses; elle fait d'étranges miracles pour effacer les traces et anéantir les effets du libertinage des abbesses. Sa statue, lorsqu'on lui met un anneau au doigt, plie le doigt et garde l'anneau. La plus longue de ces narrations dévotes est, après le Purgatoire de Saint-Patrice, indiqué ci-dessus, un poëme de deux mille trois cent quarante-deux vers sur madame sainte Léocade, de Tolède. Malgré la piété affectueuse qui caractérise cet ouvrage, il est semé de traits de satire contre les gens d'Église et notamment contre les cardinaux : En chardonal doçor (douceur) n'a point, Que chardonax com chardon poi nt.
Li chardonal tot eschardonnent.
Chardonal sont en chardon né.
Li chardonal sont les coignies, Dont afrontée est seinte Iglise, etc.
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., 76-86.
Ibid., 30-35.
Fabl., éd. de M. Méon, I, 270- 346.
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Une censure détaillée des vices du siècle amène ces étranges vers : Vilain mestier et ort aprènent Quant il la laissent et lui prènent.
Terre, terre, et por qoi n'uèvres ?.
La gramaire hic à hic acouple, Mais nature maldit la couple.
Nature rit, si com moi sanble, Quant hic et hec joignent ensanble * : Mais hic et hic chose est perdue, Nature en est tot éperdue.
L'auteur emploie bien plus de temps à déclamer contre les Papelards, la Papelardie, le Beginage, qu'à célébrer les vertus de sa sainte. Léocade au corps bel et gent, la savoreuse Léocade ne rentre en scène que vers la fin du poëme. Cette singulière production est de Gauthier de Coinsy ou Comsi, prieur de Saint-Médard de Soissons. Il a rimé, dans ce goût, plusieurs autres contes dévots, d'après le latin de Hugues de Farsit, et de divers légendaires. Un Raoul de Houdan s'est exercé dans le même genre.
L'idée de réunir plusieurs contes, de les enchaîner en un seul corps d'ouvrage, ne pouvait guère manquer de naître dans un siècle où ces productions s'étaient si fort multipliées.
Le Castoiement est un recueil de cette espèce; son titre le fait quelquefois rapprocher du Chastiemenl des dames; on se figure qu'ils offrent, l'un comme l'autre, une suite de leçons : nous avons vu, en effet, dans le Chastiement des dames, une sorte de poëme didactique où les conseils, les préceptes sont disposés avec quelque méthode, et sans mélange de récits; mais, dans le Castoiement, le père n'instruit son fils qu'en lui racontant successivement vingt-huit histoires de chacune desquelles il tire une moralité. On regrette de ne pas -connaître l'auteur de ce recueil : car, à l'exception de quelques articles qui n'ont point assez de décence, surtout pour des instructions paternelles, ces fabliaux se recommandent par une morale saine, par une composition heureuse, par des traits d'une imagination brillante. On reconnaîtra dans celui qui a pour titre les Deux bons Amis l'une des histoires que contait si bien Schehérazade. Ces deux amis résident l'un en Egypte, l'autre à Baudas, probablement Bagdad. Ils ne s'étaient jamais vus ; mais des relations de commerce leur avaient inspiré une amitié réciproque.
Le Syrien se met en route pour aller visiter l'Egyptien, qui
XIIIe SIÈCLE.
* Ce vers et le précédent se retrouvent à la fin du Rom. de la Rose, dans l'éd.
de M. Méon.
Le Gr. Fabl., IV, xv. — Mém.
de Racine fils, Acad. des Inscr., XVIII.
Catal. deLa Val., nOS 2711-2716, t.
II, p. 174-185.
Fabl., éd. de M. Méon, II, 39- 183.
Préf. de Barbazan.
Mille et une Nuits, t. IX, 1,55, trad. de M. Caussin.
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accourt à sa rencontre et l'emmène dans sa maison. Après huit jours de fêtes, le voyageur aperçoit par hasard une jeune dame d'une beauté ravissante; elle fait sur lui une telle impression qu'il en tombe malade. Les physiciens ayant deviné la cause du mal; pour y porter remède, on fait paraître devant le Syrien toutes les dames et demoiselles qu'il avait pu voir depuis son arrivée : aucune n'était celle que il avoit tant désirée, et pour laquelle il allait mourir. Alors on se souvient qu'il reste, dans un appartement secret, une demoiselle destinée à devenir l'épouse de l'Égyptien, qui l'aimait éperdûment et la faisait élever avec des soins extrêmes. On la présente au malade : La voilà, s'écrie-t-il, celle qui seule me ferait vivre : d'autre ne puis avoir confort.
A son tour, l'Égyptien se sent atteint d'une blessure profonde, mais l'héroïque amitié l'emporte dans son cœur sur le plus violent amour : il n'hésite point à céder l'objet de tous ses vœux; il dote la demoiselle, et la marie au voyageur; des noces magnifiques sont célébrées, où des ménétriers viennent chanter des chansons de gestes; et le Syrien retourne dans son pays avec sa jeune épouse. L'Égyptien, déjà si malheureux, ne tarda point d'essuyer d'autres revers : il perdit toute sa fortune, il ne lui restait plus que son ami de Bagdad; il résolut d'aller se jeter entre ses bras. Après une longue route, faite à pied, en souffrant le froid et le chaud, la faim et la soif, il eut honte, en arrivant à Bagdad, de l'état misérable où il se voyait réduit, et n'osa plus se présenter aux yeux d'un ami opulent. Déterminé à mourir, il saisit l'occasion d'un assassinat qui venait de se commettre; il s'en déclara coupable. Au moment où il va subir le dernier supplice, le Syrien, attiré, comme tous les autres habitans de la ville, à ce déplorable spectacle, reconnaît son ami d'Égypte ; et, prenant soudain une résolution généreuse, il s'écrie : Que faites vos ? ne l' pendez mie, A grand tort avez celui pris : Vez moi cis qui l'orne ai occis (i).
On s'empresse de délivrer l'Égyptien et d'arrêter le Syrien ; mais le véritable coupable assistait aussi à cette scène : vaincu à la fois par ses remords et par l'exemple d'un si généreux dévouement, il avoue son crime, en fournit les
(i) Ces vers rappellent ceux du Tasse : Non è, non è gia rea Costei del furto, e per follia s'en vanta.
Io l'ho, signor, furata, etc. Gierus. Liber., II, XXVIII.
XIIIe SIÈCLE.
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preuves,, et se livre à la justice. Le roi comble les deux amis de bienfaits, et pardonne au criminel qui a respecté les regards de Dieu. Ce récita qui remplit trois cent dix-sept vers, est, à notre avis, l'un de ceux qui feraient le plus d'honneur à la poésie française du treizième siècle; mais nous avons rencontré déjà le fond de cette histoire, sous d'autres noms et avec d'autres circonstances, dans le roman d'Athis et Profilias, par Alexandre de Paris.
Le choix des lieux et des personnages révèle assez l'origine orientale de ce conte : aussi Chénier y reconnaît-il l'empreinte arabe, celle des meilleurs temps, du siècle d'Almansor et d'Aaroun Raschild; il ne peut se persuader que des conceptions d'un tel ordre appartiennent à une littérature encore dans l'enfance. Plusieurs autres littérateurs modernes ont revendiqué pour l'Orient l'invention de la plupart de nos fabliaux. La chose est incontestable à l'égard du Dolopathos, autre recueil de récits dont nous avons aperçu déjà, non-seulement le germe, mais presque tout le tissu en des livres orientaux. Les contes, autant que les apologues, sont dus au génie asiatique. Le fabliau de Merlin et celui du Convoiteux et de l'Envieux rappellent deux fables d'Esope; le lai de l'Oiselet et la Confession du Renard sont des fables de Bidpaï; l'Ermite guidé par l'Ange est une copie d'un conte arabe; le lai d'Aristote reproduit le Visir sellé et bridé.
Les sujets, et, en partie; les détails des lais de Lanval et de Graalent se retrouvent dans les Miile et une Nuits. Depuis que Galland a publié ces Nuits; d'Herbelot, sa Bibliothèque ; Cardonne, une traduction de Bidpaï, et des Mélanges de littérature orientale ; depuis que des recherches encore plus nouvelles ont mis sous nos yeux un grand nombre de monumeris et d'extraits de cette littérature, on ne peut plus méconnaître le fonds où les conteurs du moyen âge ont puisé. Ce qui ne leur était pas fourni par les Arabes, ils l'empruntaient tantôt de la Bible, ainsi que nous l'avons observé à l'égard du lai de Courtois; tantôt de quelque auteur grec ou latin, particulièrement d'Ovide, de Pétrone et d'Apulée. Nous pensons que si jamais on entreprend un travail général sur l'origine des fabliaux, on verra que la plupart et les meilleurs ne sont que des imitations; qu'ils ont passé des idiomes orientaux dans nos langues, soit directement, soit par l'intermédiaire de traductions latines. Peutêtre ne restera-t-il en propre à nos trouvères qu'une partie
XIIIe SIÈCLE.
V. Hist. Litt.
de Fr., XV, p.
179-192.
Fragm. de Litt , 124-125.
Le Grand, Fabl., préf., LXX.-Ging.
Hist. Littér. d'Italie, 111, 73-77; IV, 124. - War- ton, Hist. of -the ancien Engl. Poetry, I, dissert. I.
- Caylus, Acad.
des Inscr., XX. —
Fabl. de Le Gr., l, 1-12, 383; II, i - 16. - Fabl., éd.
de M. Méon, I, 91-95, 114-128.
—Cardonne, Mél.
de Litt. orient., 1,216. - Mille et une N., VII, 125276, trad. de M. i Caussin.
Lai de Narcisse.
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de leurs narrations dévotes et de leurs pièces obscènes; encore pouvaient-ils tirer les premières des légendes latines, et les secondes, de quelques histoires ou chansons vulgaires.
Le mérite de l'invention, que nous venons de refuser aux conteurs du treizième siècle, nous ne l'attribuerons assurément pas davantage à ceux du quatorzième et des suivans.
Traduire, imiter, embellir, voilà, depuis fort long-temps, presque les seuls succès possibles dans la carrière de la poésie narrative. Assez d'honneur resterait aux trouvères, s'ils avaient fourni les matériaux et les modèles sur lesquels Bocace et ses successeurs ont immédiatement travaillé. Mais ce point même est contesté : Chénier ne veut pas que Bocace ait rien dû à nos vieux poètes. Nous ne pouvons être de cet avis : Bocace est trop voisin des temps où les fabliaux se composaient, se récitaient dans les châteaux, dans les cours, dans toutes les sociétés de l'Europe occidentale, pour n'en avoir pas eu connaissance. Il était né avant la mort de Rutebeuf et de bien d'autres trouvères; il a, dans sa jeunesse, fréquenté des troubadours, peut-être même a-t-il séjourné ou voyagé en France. Il rassemblait de toutes parts les matériaux de son Décaméron : les poëmes français qui en contenaient un grand nombre, étaient alors trop récens et trop renommés, pour qu'il n'eût pas l'envie et les moyens d'en profiter. Que sa prose les ait surpassés et fait oublier, ce n'est point là ce qu'on peut mettre en question : il s'agit de savoir s'il les avait sous les yeux, et tout nous porte à croire qu'ils lui étaient plus accessibles que les modèles primitifs nés dans l'Orient, et qui recommençaient à s'y concentrer, depuis qu'il n'y avait plus de croisades. Après Bocace et jusqu'à nos jours, l'Italie et la France ont produit beaucoup de conteurs en vers et en prose; les compilations de contes en latin et en langues vulgaires se sont multipliées partout. Il nous paraît infiniment probable que Sabadino et Sacchetti, qui ont écrit en prose italienne avant 1400, connaissaient les poésies des trouvères; et nous ne craignons pas d'en dire autant du Pogge, d'Arlotto, de Masuccio, auteurs de facéties et de contes au quinzième siècle. A plus forte raison croironsnous puisées, en partie, à cette source, les Cent Nouvelles écrites en prose française, à la cour de Bourgogne, avant 1456 : les rédacteurs de ce recueil étaient à peine à un siècle et demi de distance de Rutebeuf et de Jean de Boves. La question devient plus problématique, elle change de face,
XIIIe SIÈCLE.
Fragm. de Litt., 129-133.
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lorsqu'on descend aux nouvellistes du seizième siècle : car ils disposaient du travail de ceux du quatorzième et du quinzième,, et c'était un fonds assez riche déjà pour leur suffire ordinairement. Cependant il ne serait pas impossible encore que la reine de Navarre, Despériers, Béroalde de Berville, Henri Estienne et Guillaume Bouchet, qui vivaient en France, eussent dérobé immédiatement quelques fables aux trouvères, qui les avaient rimées trois cents ans auparavant. Ce soupçon ne s'étendrait pas aussi facilement sur les Italiens Malespini, Granucci, Bandello, Domenichi, Sansovino, Straparole; et il ne pourrait atteindre ni Bebelius, ni Frischelin, ni d'autres Allemands ou Hollandais, compilateurs latins d'historiettes facétieuses, quoiqu'on retombe sans cesse, en parcourant tous ces recueils, sur des sujets traités par les trouvères. Quant à nos écrivains français du dix-septième siècle, ils n'avaient nul besoin et presque plus aucun moyen de remonter si haut : ils trouvaient à leur portée, et en des idiomes plus intelligibles, tous les matériaux qu'il leur plaisait de mettre en œuvre; Bocace et ses nombreux successeurs étaient à leur disposition. Nous ne dirons donc pas avec Caylus, que Molière et La Fontaine passaient leur vie à lire et relire les fabliaux : ces vielles poésies, toutes alors manuscrites et ensevelies au fond des bibliothèques, ont été à peine connues de Ducange et de La Monnoye, érudits de profession. Molière trouvait le Vilain Mire dans les Sérées de Bouchet et le troisième acte de Georges Dandin dans Bocace, bien plus aisément que dans Pierre d'Anfol, auteur du fabliau de la Femme qui, ayant tort, parut avoir raison. Il faut noter d'ailleurs qu'avant Pierre d'Anfol, ce conte faisait déjà partie du Dolopathos, que Molière devait connaître par des versions ou imitations françaises du quinzième et du seizième siècle.
Nous savons bien qu'en recherchant l'origine de plusieurs contes de La Fontaine, de Vergier et de Grécourt, on remontera jusqu'aux fabliaux, et plus haut encore, si l'on veut; mais on aura rencontré sur la route tant de copies moins anciennes, qu'il sera peu raisonnable de supposer que La Fontaine ait cherché si loin ce qu'il trouvait si près de lui.
Le mérite des trouvères est donc d'avoir introduit dans notre littérature des narrations ingénieuses, presque toutes d'origine orientale; de les avoir plus ou moins habilement adaptées aux mœurs, aux idées et au langage de leur siècle; de les avoir transmises à Bocace et aux autres conteurs anté-
XIIIe SIÈCLE.
Moyen de parvenir. — Apologie pour Hérodote.Sérées.
Acad des Insc., XX, 373-374-
XeSérée, p. 322.
Giorn., VII, nov. 4.
Fabl. de Le Gr,; II, 281.
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rieurs à l'année 1500, desquels nos écrivains modernes les ont reçues. Chénier rabaisse un peu trop les trouvères, lorsqu'il dit que « leur style est toujours sans art, que chez « eux la langue et la versification n'avancent point; qu'ils ne « nous offrent jamais ces vers bien tournées que l'on rencontre « avec plaisir dans Thibaut, roi de Navarre, et dans Guillaume « de Lorris, encore moins cette gaîté que la langue française « acquérait déjà sous la plume de Jean de Meung. » Un seul de ces reproches nous paraît fondé : c'est celui qui concerne la versification; nous y reviendrons bientôt. Quant à la langue, ses progrès, quoique bien lents, sont, à notre avis, sensibles dans les fabliaux : les tours y ont de la vivacité, l'expression y a quelquefois une précision qu'il serait permis de regretter même aujourd'hui. Il est d'ailleurs probable que les vers si bien tournés que l'on attribue à Thibaut, ne sont pas de lui. Dans peu d'instans, nous arriverons à Guillaume de Lorris et à Jean de Meung : nous pourrons bien les trouver plus prolixes que les auteurs de fabliaux, mais y aura-t-il plus de correction et plus de poésie dans leur style? nous ne le pensons pas.
Nos regards vont se fixer sur des poëmes d'une vaste étendue qui portent le nom de romans, et dont quelques-uns semblent tenir au genre épique. Laissons au douzième siècle le Tristan versifié : il nous est du moins permis de rapporter au commencement du treizième la composition du Chevalier au Cygne, espèce d'histoire de la conquête de Jérusalem par Godefroy de Bouillon. Cet ouvrage, qui contient près de trente mille vers, fut entrepris par Renax ou Renaus, et achevé par Gandor de Douay, qui a rimé aussi Anséis de Carthage, et la Cour de Charlemagne, c'est-à-dire le voyage de ce prince en Espagne. Si Gérard de Nevers, versifié avant 1236 par Gibers ou Gyrbers de Monstreuil, n'est pas traduit du latin, la littérature française doit l'une de ses plus agréables productions au siècle qui nous occupe. Il se peut que l'invention de' Garin le Loherain ou Guérin le Lorrain appartienne, ainsi que dom Calmet le suppose, au chanoine Metellus, qui vivait en i i 5o; toujours voyons-nous Jehan de Flagy, cent ans plus tard, mettre ce roman en vingt-neuf mille vers de huit syllabes. On attribue au seul Huon de Villeneuve plus de dix romans, entre lesquels nous ne nommerons ici que Regnauld de Montauban, Doolin de Mayence et les Quatre Fils Aymon. Le premier se compose de dix-huit mille vers alexandrins, terminés par celui-ci : Explicit la mors de Renaut de Mantalbain.
XIIIe SIÈCLE.
Fragm. de Lilt., 125.
V. La Harpe; Lycée, part. II, 1. II) col. i.
V. notre tome XV, p. 246, et une lettre de M.
Depping à M. de Roquef., P; 471- 476 de l'Et. de là P. Fr.
Ms. 7192 de la Bibl. du Roi.
M. de Roquef., Ét. de la P., 162- i63.
Ms. de la Bibl.
du Roi, 7595, co- pie faite en 1284.
Biblioth.de Lorraine.
Sinner, Extr.
de Poésies, 2129. - Cat, de La Val., nos 2727, 2728.
Mss. de la Bibl.
du Roi, 7182 , 7183,7635. - La Croix du Maine,
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Mais l'auteur alors le plus renommé dans cette carrière était Adam ou Adenez dit le Roi : nous avons déjà donné une liste des romans qu'il a rimés; elle n'est peut-être pas complète; nous y suppléerons, s'il y a lieu, dans l'article particulier qui sera consacré à ce laborieux versificateur. Un seul de ses ouvrages, Aimery de Narbonne, a plus de soixantedix-sept mille vers de dix syllabes. Les manuscrits de ses cinq ou six autres romans étant défectueux, on ne peut pas en bien déterminer l'étendue, mais Adenez ne saurait avoir écrit moins de deux cent mille vers. A la vérité, le fond ne lui en appartenait point, et il n'était pas très-difficile sur les formes; cependant on admirait sa fécondité, on la prenait pour de la verve : nul de ses contemporains n'a joui de plus n'honneurs littéraires. Les abbayes lui ouvraient leurs archives; et les princes, leurs palais : on l'avait proclamé lui-même le prince des poètes. Son roman de Berthe et Pepin a été achevé ou continué sous le titre de Charlemagne fils de Berthe, par Girardin d'Amiens.
Parthenopex de Blois est un ouvrage plus original : c'est l'histoire des amours d'un simple et faible mortel, avec une beauté à demi-divine, la fée Mélior. On n'en connaît pas l'auteur : Le Grand d'Aussi le croit composé au douzième siècle; M. de Roquefort le rejette avec plus de raison au treizième. Les vers sont de huit syllabes dans la première partie, et long-temps dans la seconde; mais celle-ci se prolonge par des alexandrins, dont les derniers manquent dans le manuscrit. L'intérêt de ce roman fut vivement senti : il s'en fit avant 1400 une version allemande, qui a été depuis traduite en vers danois. Il en existe aussi une version espagnole; et, d'après l'analyse que Le Grand a publiée de l'original-français, M. Stewart Rose a mis Parthenopex en vers anglais. A tous égards, ce poème mérite que nous le revendiquions pour notre littérature. Les détails en sont ingénieux; le style a de la douceur, et quelquefois autant de grâce que l'imperfection de l'idiome en pouvait permettre. En décrivant le printemps, le poète dit : Li solex se torne à serain, Et s'embeslit et soir et main (matin) : Li ciel est clers, li airs est purs.
La terre esmuet de mort à vie ; L'erbe verdoie et la fleur naist, Vie et verdor toz bois revaist.
L'aloète chante d'amor,
XUIe SIÈCLE.
et du Verdier, art.
Huoll. — Fauchet, 582, etc. — Catal.
de La Val. , n° 2730.
Sinn., extr. 15.
M. de Roquef., Gloss. de la 1. romane, II, 755, etc.
Catal. de LaVal., nO 2735 et t. I, p.
27 du suppl.
M. de Roquef.
Gloss. de la 1.
romane, II, 755.
Catal. de La Val.
n° 2734.
Noticesdesmss., IX, 2e part., 1-84.
Fabl., IV, 261
Not. des mss., IX, 11, 4.
Coll. de poés.
allem., III, XIIXIV. — Collect.
d'ouv. crit., VII, 36-48.
Parth., Copenh., 1572, in-8.
Parth., Tarrag., 1488, in-40, etc.
Fabl., IV, 262400.
Parth., by St.
Rose, ISla, in-So.
Tome XVI. g g
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S'en estraine l'aube du jor.
Li rossignoux dit sa raison, Et nuit et jor en sa saison, Cil nos semont d'aimer adès.
Dans un genre différent, le roman du Renard eut aussi un grand succès. C'est un poème burlesque, dont l'auteur se nommait Perrot de Saint-Cloot ou Saint-Cloud; le renard y joue des tours au loup son oncle et son compère. Ce cadre pouvant s'étendre indéfiniment, vingt poètes du treizième siècle y firent, sous le titre de branches, tant d'additions, que le nombre des vers finit par s'élever à vingt-six mille.
Les aventures qu'on y lisait, fournissaient les sujets des peintures dont s'ornaient les appartemens. Gautier de Coincy dit que les provoires ou curés En leurs moustiers ne font pas faire Sitost l'image notre Dame, Com font Isangrin et sa femme, En lour chambres où ils (les curés) reponnent (reposent).
Isangrin et sa femme sont des personnages de ce roman. On y rencontre la plupart des apologues connus où le renard figure, par exemple, celui du fromage lâché par le corbeau; mais le plus grand nombre des récits a un tout autre caractère. La licence en est extrême, et l'on s'étonne surtout de la hardiesse des idées en matière religieuse. Vers la fin du siècle, Jacquemars-Gelée fit paraître un nouveau Renard qui, devenu vieux, songeait à se faire hermite. Il se confesse; mais, ne pouvant se résigner aux austérités que lui prescrit son directeur, il reprend le cours de ses fourberies et de ses brigandages. Il acquiert ainsi une réputation éclatante, héroïque, qui parvient jusqu'en Syrie, aux oreilles des templiers et des hospitaliers. Chacun de ces deux ordres veut l'avoir pour supérieur-général. Le Pape était sur le point de juger ce différend, quand le renard déclara qu'il allait prendre un habit mi-parti, des hospitaliers d'un côté, des templiers de l'autre, et gouverner à la fois les deux corps. Rutebeuf aussi a fait un Renard le bestourné, apparemment le mal tourné : ce n'est pas son meilleur ouvrage; c'est un vain tissu d'équivoques souvent obscures. On connaît de plus un Renard le contrefait, par un anonyme, qui se dit clerc de Troyes en Champagne, ayant été Maréchaux et espiciers, Le temps de dix ans entiers.
XIIIe SIÈCLE.
Noticesdesmss., V, 294-320.
Ibid., 295.
Ibid., 321-328.
Ibid., 328-329.
lbid., 330-357.
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La fable du Chêne et du Roseau y est racontée comme un fait arrivé en 1218, la veille de Saint-Matthieu, jour d'une tempête horrible par toute la France. La Fontaine s'est abstenu de joindre à cet apologue les réflexions que le jonc exprime en ces termes : N'ai pas honte de moi baissier.
Beaulx enclins ne me coustent rien.
Et jacobin et cordelier Trayent trestous à cest collier (tirent tous à ce collier).
Long-temps dure qui s'humilie.
Mais le Renard contrefait n'est probablement que du quatorzième siècle.
De toutes les productions poétiques du treizième, celle qui a conservé le plus de réputation, est le roman de la Rose, qui a dû peut-être ce succès aux censures qu'il a essuyées.
Martin Franc y vit un outrage aux dames, dont il se disait le Champion; Gerson et d'autres théologiens, une offense à la morale religieuse. Les chaires retentirent long-temps d'anathêmes contre ce roman : on s'en obstina davantage à le lire, quelque ennuyeux qu'il pût être. Les manuscrits s'en multiplièrent jusqu'en 1480; et depuis cette époque, les éditions. Bientôt Molinet le traduisit ou le paraphrasa en prose, et Marot le refit en vers. Le texte original en fut reproduit en 1735 par Lenglet Dufresnoy ; il a été réimprimé plus magnifiquement en 1796, et avec plus de correction en 1814, d'après d'anciens manuscrits collationnés par M. Méon. Dans cette dernière édition, le poème commence par ces vers : Ci est le rommant de la Rose, Où l'art d'amors est tote enclose.
Maintes gens dient que en songe N'a se fables non et mençonges; Mais l'en puet tiex songes songier Qui ne sunt mie mençongier, Ains sunt après bien apparant.
Si en puis bien trère à garant Ung acteur qui ot non Macrobes, Qui ne tint pas songes à lobes, Aincois escrist la vision Qui avint au roi Cipion (1).
(1) Ces vers, dans l'édition de Lenglet Dufresnoy, se lisent comme il suit : Cy est le rommant de la Rose, Où tout l'art d'amours est enclose ; Maintes gens dient que en songes, Ne sont que fables et mensonges, Mais on peut telz songes songier,
XIIIe SIÈCLE.
Le Champion des Dames, Paris, 1530, in-8°.
Tractatus contra Romantium de Rosâ, t. III Oper.
Gers.
Paris, Gallyot- Dupré, 15 26, in-80.
Paris et Dijon, 4 vol. in-12.
Paris, Didot, 5 vol in-80, fig.
Paris, P. Didot, 4 vol. in-8°.
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A l'article de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung, nous donnerons une analyse critique de leur long poème; on n'y verra, du moins nous le craignons fort, qu'un tissu pénible d'allégories froides et fastidieuses. S'il faut l'avouer, nous n'y trouverions aucune sorte d'intérêt, sans les détails historiques qui s'y entremêlent quelquefois, et dont nous avons déjà eu occasion de citer des exemples. La Harpe déclare qu'il n'a jamais pu lire le roman de la Rose : c'est un courage fort rare en effet, et qui n'est pas, lorsqu'on l'a, fort avantageusement récompensé. Pour justifier dès ce moment ce que nous avons dit de la prolixité des deux auteurs, voici quelques vers de l'un et de l'autre : Guillaume de Lorris : Après fu viellesce portraite, Qui estoit bien ung pié retraite, De tele cum ele soloit estre.
A paine se pooit-el pestre ; Tant estoit vielle etradotée:
Bien estoit sa biauté gastée, Et moult ert lède devenue.
Toute sa teste estoit chenue, Et blanche cum s'el fust florie, etc.
Jean de -Meung: Amors ce est paix haïneuse, Amors est haïne amoreuse ; C'est loiautés la desloiaux, C'est la dèsloiauté loiaux; C'est paor toute asséurée : Espérance désespérée : C'est raison toute forcenable, C'est forcennerie resnable (raisonnable), etc.
Plus de vingt-deux mille vers de ce style, le plus souvent sans faits ni fictions, sans images ni pensées, sans mouvement poétique : tel est le roman de la Rose, que Pétrarque a pourtant loué, et que la plupart des lettrés du quatorzième siècle préféraient au chef-d'œuvre du Dante.
Tout ce roman est en vers de huit syllabes, à rimes Qui ne sont mie mensongier,
Ains sont après bien apparant, Si en puis bien trouver garant Ung acteur dénommé Macrobes, Qui ne tient pas songes à lobes, Ainçois escript la vision Qui advint au roi Cipion.
XIIIe SIÈCLE.
Lyc., part. II, 1. II, c. 4, sect. I.
V. 339.
V. 4305.
22638 dans l'édit. de Lenglet Dufresnoy,2 2074, dans celle de M.
Méon.
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plates; versification fort à la mode en France, entre les années 1200 et 1300. On n'en trouve pas d'autre ni dans les fables et les lais de Marie de France, ni dans la plupart des fabliaux et des poèmes satiriques, didactiques, historiques et romanesques. Nous avons remarqué pourtant un roman d'Adenez en vers de dix syllabes, et quelques autres poèmes en vers alexandrins. Une pratique assez étrange dans l'emploi de ces derniers vers, était d'en composer vingt, trente, soixante de suite sur la même rime : il paraît qu'on attachait du prix à l'art ou au bonheur de faire durer le plus long-temps possible cette monotonie. L'alternat régulier des rimes masculines et féminines n'était pas du tout connu hors du genre lyrique, où même il avait bien de la peine à s'établir et à se maintenir. Il est vrai que dans les chansons on entremêlait les rimes, et les vers de différentes mesures ; on s'obligeait aussi quelquefois à vaincre des difficultés minutieuses, par exemple, à rimer par écho, comme dans cette chanson de Gilles le Viniers : Icelle est la très-mignote Note, K'amors fait savoir.
Avoir Ke puet belle amie, Mie Nel' doit refuser.
User En doit sans folie.
Lie Est la paine à fins amans.
Mais d'ordinaire on ne s'imposait pas tant d'entraves, et l'on prenait au contraire beaucoup de licences pour adoucir le joug de la mesure et de la rime. On allongeait ou l'on abrégeait les mots, on altérait les syllabes, on modifiait à volonté l'orthographe et la prononciation. « Tout rimait, Il dit Barbazan, « ou du moins les poètes se donnaient la licence de « faire tout rimer, en corrompant selon le besoin la termi« naison des mots. Ils faisaient rimer Pierre avec pardon, « en disant Pierron; Charles avec repos, en prononçant « Charlos, comme dans le fabliau de Charlot le Juif. La « corruption des noms, surtout de baptême, qui règne en« core aujourd'hui dans nos provinces, et même à Paris, « doit probablement son origine à cette licence de nos poètes.
« Ce n'était point à l'égard des noms seuls qu'ils se donnaient
XIIIe SIÈCLE.
Le Grand, Fabl., I, préf., CIII. -
M. de Roquef., État de la P., 75.
Préf. des Fabl., t. III. p. r 1, 12 de l'édit. de M.
Méon.
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« cette liberté; ils la prenaient indifféremment dans tous « les autres mots, dont ils ne se faisaient aucun scrupule de « changer et d'altérer la terminaison, pour l'ajuster à leur « rime. Ainsi, Jean de Meung a fait rimer aime avec vilain., « en changeant le premier mot en ain. »
Gentillesce est noble, et si l'ain (a), Qu'el n'entre mie en cuer vilain.
Un autre fait rimer royaume avec maison, en écrivant roion.
Jacquamars-Gelée, qui use de cette même liberté, donne aussi l'exemple des enjambemens vicieux qui rompent toute mesure et démontent les vers.
Et pour ce que tant mouteplie (multiplie) Renars, me plaist que vous en die Une branche, où plusieurs porront Prendre exemple, s'en eux sens ont (si en eux ils ont sens).
Moult volentiers fut reposés S'il osoit : le trot à esrer Prit. Besoins fait vieille trotter.
Il arrive même à ces poètes de partager certains mots, et d'en mettre la première syllabe en rime : ainsi, dans le mot futur, ils prennent, quand cela leur convient, la syllabe fu, pour achever un vers, et tur, pour commencer l'autre; en quoi ils auraient pu, à la vérité, s'autoriser d'exemples classiques. Ce sont les troubadours qui ont eu une influence heureuse sur la versification moderne : Chénier dit avec raison que les trouvères ne l'ont point du tout avancée.
Nous ne pouvons pas non plus louer sans restriction leur poésie : car les idées, les faits, les détails, y sont presque toujours empruntés, et les formes y demeurent plus barbares que naïves, plus bizarres qu'originales. Le bon goût appliqué à l'art d'écrire est l'un des derniers progrès de la civilisation : il ne faut pas le chercher dans les premiers essais d'une littérature. Il était pourtant possible, après le siècle d'Abélard, de saint Bernard et de Pierre de Blois, de mieux observer les convenances, de moins confondre les mœurs, les idées, les coutumes des divers peuples et des différentes époques; de ne pas introduire si grossièrement le paganisme chez les chrétiens, et
(a) Les Provençaux avaient donné l'exemple de supprimer les syllabes muettes à la fin des mots; mais ain pour aim était une licence de plus.
XIIIe SIÈCLE
Renax, Conquête de Jérus.
Noticesdesmss., V. 322.
HOR. : u-Xorius amnis, etc.
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chez les païens le christianisme : de ne point mettre,, par exemple,, de l'eau bénite, des croix et des moines aux funérailles de Jules César, et de ne pas faire célébrer des messes par des Sarrasins. Mais on supposait que la poésie avait le droit de disposer sans réserve et sans règle de tous les personnages de l'histoire et de la fable : comme on n'étudiait point les modèles classiques, on n'était gêné par aucune théorie, ni contenu dans aucunes limites; tous les genres s'étendaient ou s'égaraient en pleine liberté. Malgré cette indépendance, rien, au milieu de ces productions innombrables, n'a l'apparence d'un chef-d'œuvre : dans cette foule de poètes, on distingue quelques talens mal dirigés et pas un seul homme de génie, tel que Dante chez les Italiens. C'est ce que n'ont point assez considéré Caylus et les autres admirateurs modernes de cette littérature informe. Elle n'a jamais dû servir d'exemple; et, quant aux matériaux qu'on pouvait extraire de ce limon, ils sont tous, ou peu s'en faut, depuis long-temps épuisés. Nous n'en sommes pas moins convaincus qu'il est fort utile de la connaître, afin d'observer de plus près les premiers progrès du langage poétique et des talens littéraires dans la France septentrionale. Cette énorme quantité de vers français que nous offre le treizième siècle, décuple au moins de celle que le douzième avait laissée, suppose un exercice plus étendu des facultés intellectuelles, plus d'idées, plus d'efforts pour les exprimer, des communications plus intimes et plus habituelles entre les hommes de lettres et les autres classes de la société; par conséquent, plus d'activité dans tous les esprits, et une plus rapide propagation de l'instruction commune.
Pour achever cet aperçu général de l'histoire des trouvères, il convient-de les considérer encore dans leurs relations soit entre eux, soit avec les peuples ou avec les grands. Ils s'associaient pour partager le travail de la composition de certaines pièces, ou bien les exercices de la déclamation, de la musique vocale et instrumentale, adaptée à quelques autres : car ils étaient d'ordinaire chantres et musiciens en même temps que poètes; et plusieurs, puisqu'il faut l'avouer, exerçaient le métier de bateleurs : ils amusaient le public et quelquefois la populace par des tours d'adresse, autant que par les productions de leur verve. Ils tenaient lieu de comédiens; et, comme nous le verrons bientôt, il n'y avait guère alors d'autres spectacles que leurs déclamations, leurs chants et
XIIIe SIÈCLE.
Caylus, Acad.
des Inscr., XX, 361.
Acad. deslnscr., XX.- Le Grand., préf. des Fabl., etc.
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leurs jongleries. Les surnoms ou sobriquets qu'ils se donh naient mutuellement, Brise-Tête, Brise-Barre, Tue-Bœuf, Ronge-Foye, Tourne-en-Fuite, etc., n'étaient pas très-propres à relever leur profession aux yeux des peuples. Un de leurs plus nobles exercices consistait à se réunir au mois de mai et à ouvrir entre eux des concours qui portaient le nom de Gieux sous Vormel. On décernait des prix, on couronnait solennellement les meilleures pièces, pastourelles, sirventes, soles chansons, canchons d'amour. Ces concours avaient lieu surtout en Normandie, en Picardie et en Flandre (i). On nous a conservé des chansons couronnées à Valenchiennes, et composées, l'une par Jehan Baillehaus, les autres par des anonymes.
Mais un plus grand nombre de monumens nous attestent que les princes, les prélats, les abbés, les seigneurs et les dames attiraient dans leurs palais ou châteaux les trouvères les plus renommés. La haute société commençait à prendre ainsi une teinte littéraire; et, comme nous l'avons remarqué, l'émulation poétique gagnait des personnages d'un rang éminent. Les Cours d'amour s'étaient formées dès le douzième siècle: M. Raynouard l'a prouvé par l'analyse d'un traité de l'art d'aimer, Liber de Arte amatoriâ et reprobatione amoris, que rédigeait, vers 1170, André, chapelain de la cour royale de France. On a lieu de croire que les Cours d'amour, ainsi que tous les autres exercices poétiques, ont commencé en Provence, ou au midi de la Loire, avant de s'établir au nord. Présidées quelquefois par des princes, plus souvent par des dames, ces Cours ont fait composer un trèsgrand nombre de chansons et de tensons ou jeux-partis. On proposait, on traitait en vers, et l'on décidait souverainement des questions d'amour, de galans et frivoles problèmes dont le ridicule n'était pas senti, et semble ne pas l'être encore par les écrivains modernes qui les rapportent. On appliquait aux procès entre les amans les dispositions d'un code amoureux, en trente-un articles, qui fait partie de l'opuscule du chapelain André. On imitait à la fois dans ces Cours les combats chevaleresques, les procédures des tribunaux et les disputes argutieuses des écoles : triple singerie qui ne pouvait manquer d'égarer et de dégrader les talens littéraires dont elle était l'apprentissage. Assurément il n'y
(1) Cet usage a subsisté long-temps : Pasquier dit qu'il a vu encore en sa jeunesse les JOVINGLEURS (jongleurs) se trouver à certain jour tous les ans en la ville de Chaunyen Picardie, pour faire monstre de leur mestier devant le monde, à qui mieux mieux.
XIIle SIÈCLE.
Le Gr., Fabl., I, 311.
Pasq., Rech., 1. VU, c. 5. —
Fontenelle, H. du Th. Fr.
Imprimées à la suite de l'Ét. de la P. par M. de Roquefort, 378- 394.
Le Gr., Fabl., I, Préf. et pag.
244-246. — Roland, Mém. sur les Cours d'am.
— Caseneuve, Orig. des jeux floraux, p. 34 et suiv.
Choix des P.
des troub., II, LXXXI-CXXI.
Caylus le Gr., etc.
M. Raynouard, Choix, etc., II, cv, cvi.
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avait là rien de propre à diriger les progrès, ni à les accélérer; mais enfin ces exercices, par leur puérilité même, s'accommodaient à l'état des esprits et des mœurs, et pouvaient, à défaut de meilleurs moyens, contribuer à entretenir, à encourager le goût des compositions poétiques.
Les spectacles ont trop d'influence sur les mœurs, et notre théâtre français est devenu, depuis deux cents ans, trop célèbre, pour qu'on ne soit pas curieux d'en rechercher, dans le moyen âge, l'origine et les premiers essais. Nous avons déjà rappelé ces fêtes bizarres et scandaleuses des Fous, des Anes, des Innocens, qui s'étaient introduites dans la liturgie chrétienne; mais ces divertissemens, que ramenaient deux ou trois fois par an certaines solennités ecclésiastiques, ne devaient pas suffire; et, pour satisfaire le goût qu'elles inspiraient à la multitude, il fallait bien que les églises, les chapitres, les cloîtres, les places publiques, devinssent, un peu plus fréquemment, des théâtres de farces pieuses. Les anges y paraissaient aux prises avec les démons; les divinités paiennes s'y mêlaient aux objets du culte chrétien; des épisodes mythologiques s'alliaient à l'histoire des martyrs, même au tableau de la passion de Jésus-Christ. La sainte Vierge y figurait presque toujours ; autour d'elle, des peintures indécentes et des fantômes effrayans frappaient vivement les regards, et formaiant, avec un vain amas de récits puériles, de fictions insensées et d'allégories grossières, le fond de ces spectacles, à la fois tragiques et comiques, ou plutôt également indignes de l'une et de l'autre scène. Les acteurs de ces parades ne pouvaient passer que pour les successeurs des histrions ou pantomimes qu'avait amenés en France, au commencement du onzième siècle, Constance de Provence, seconde épouse du roi Robert. Tiraboschi et d'autres écrivains prétendent- que des représentations si triviales ne sauraient être considérées comme le commencement d'un genre de littérature, et qu'il ne reste de ce temps-là aucune production à laquelle le nom de drame, dans le sens que nous lui donnons aujourd'hui, puisse être appliqué.
Toutefois Nostradamus, dans son Histoire des poètes provençaux, et d'après lui, Fontenelle, supposent que dans les premières années du treizième siècle, peut-être dès la fin du douzième, Anselme ou Gaucelm Faydit composait, représentait et vendait des pièces de théâtre. « Il paraît, dit Fontenelle, « par l'Histoire des poètes de Provence,
XIIIe SIÈCLE.
XXVI.
Spectacles.
V. ci-dessus, p. 14.
Mém. de Racine fils, Acad. des Inscrip., XVIII, 363-366.
T. IV, 434-443.
Nostr., nO 14.
Font., Hist. dn Théât. fr.
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- « que les troubadours ont fait quelques comédies, et il ne « nous est resté que le nom d'une pièce intitulée l'Heregia « dels preyres, l'Hérésie des prêtres, pièce apparemment fort « agréable en ces temps et dans ces pays-là, où les Albigeois « et les Vaudois avaient établi la mode de railler les ecclé« siastiques. L'auteur de l'Heregia dels preyres s'appelait « Anselme Faydit. L'historien des poètes de Provence dit « qu'z/ fut bon poète, qu'il faisoit bons mots et bons sons, « qu'il vendoit ses comédies et tragédies deux ou trois mille « livres, ordonnoit la scène et recevoit tout le profit. Il « était homme de plaisir, grand joueur, dissipateur, et qui « avait perdu aux dés tout son bien de patrimoine. Il tira « d'un monastère de la ville d'Aix une fille de qualité, « nommée Guillaumone de Soliers, et l'épousa; la religieuse « s'accommoda parfaitement bien de la vie comique, et tous « deux y acquirent un embonpoint digne que l'histoire en « ait fait mention. Anselme s'attacha d'abord à Richard « Cœur-de-lion, roi d'Angleterre, fils de Henri II, ensuite à « Boniface, marquis de Montferrat; enfin il mourut en 1220, « chez Agoult, seigneur de Sault. »
Ce récit n'est, aux yeux de Tiraboschi, que l'une des fables dont Nostradamus a rempli les vies des poètes provençaux.
Il n'est fait aucune mention de cette prétendue comédie des prêtres dans une plus ancienne vie d'Anselme Faydit, qui existe en manuscrit dans la bibliothèque du Vatican, et que Crescimbeni a imprimée. Nostradamus est si mal instruit, qu'il représente Boniface, marquis de Montferrat, comme ayant pris parti pour le comte de Toulouse dans la guerre des Albigeois, tandis qu'on sait que ce marquis partit pour la Terre-Sainte en 1204, et y mourut trois ans après, quand la guerre des Albigeois commençait à peine. En Italie même, il n'avait paru aucun drame avant l'année 1300 : on s'était borné à des représentations muettes des mystères, à d'autres pantomimes, ou du moins à de simples récits, et à quelques chants informes, qui expliquaient les mauvaises peintures exposées aux regards des peuples. Tel est le résultat qu'établit Tiraboschi, après avoir discuté toutes les traditions qu'on y oppose. Comme lui, Beauchamps, Millot, le duc de la Vallière, assurent qu'il ne subsiste parmi les poésies des troubadours aucune production qui appartienne à l'art dramatique, ni même aucun vestige de compositions réellement théâtrales entreprises ou exécutées par ces poètes;
XIIIe SIÈCLE.
Comment., II, part. I, p. 44-45.
Benvenut. de S. Giorg., Hist.
Montisf., inter Script. Rer. ital., XXIII, 367.
Recherch. sur les Th. de Fr.
Hist. des Tr., I, disc. prélim., LXIX.
Biblioth. du Th.
fr.
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quelques-uns soutiennent plus généralement qu'avant Charles V, ou plutôt même jusqu'à la fin du quatorzième siècle, il n'y a point eu en France de spectacles proprement dits.
Nous rencontrons cependant dès le treizième, dans les villes, dans les châteaux, dans les palais, des conteurs, des jongleurs, des ménétriers, des ménestrels, errans ou sédentaires, dont les facéties amusent les peuples, les seigneurs et les rois. Le nom de ménestrel se donnait plus particulièrement à des troubadours, véritables poètes, dépositaires de la science gaie, mais dont les contes et les chansons n'étaient que des ébauches bien grossières de l'art du théâtre.
Les ménétriers débitaient, chantaient des flabels ou courts fabliaux, et s'associaient quelquefois aux jongleurs, pour promener de ville en ville leur industrie récréative. La Mare a mal à propos confondu ces histrions avec les troubadours, dont ils n'étaient que des imitateurs subalternes; et Duclos s'est appliqué à bien distinguer ces deux ordres de personnages. Selon toute apparence, c'était au moins relevé qu'avait appartenu Jean-le-Bon, qui depuis institua l'ordre des ermites de Saint-Augustin et fut mis au nombre des bienheureux; mais qui, dans sa jeunesse, avait parcouru divers pays, chantant et jouant des instrumens pour gagner sa vie et divertir son prochain. Sa légende dit que sa mère le voyait avec peine engagé dans une telle profession, et qu'à force de répandre des larmes, elle obtint pour lui du Ciel la grâce d'en embrasser une plus édifiante.
En général, nous ne voyons pas que les théologiens et les princes eussent des idées bien fixes sur les dangers ou l'innocence de ces divers délassemens. On nous dit que PhilippeAuguste faisait venir des conteurs pour l'amuser durant ses repas : on nous dit aussi qu'il chassa les comédiens, c'est-àdire, lés farceurs, jongleurs ou bateleurs; qu'il ne pouvait les souffrir, qu'il disait que c'était sacrifier au diable que de leur faire des présens. Il paraît qu'ils en recevaient alors beaucoup : fort souvent une partie de la garde-robe des grands et des rois leur demeurait abandonnée; c'était à cette libéralité qu'ils devaient l'avantage de se revêtir quelquefois de riches habits, et de se produire avec plus d'éclat aux yeux des spectateurs de leurs jongleries. Des statuts publiés par le comte de Toulouse et par le légat du pape en 1233 nous apprennent que les moines, lorsqu'ils faisaient vendre leurs vins dans l'enceinte de leurs monastères, y
XIIIe SIÈCLE.
Traité de la Police, I, 436.
Mém. sur les jeux sc. OEuv., I, 361.
Du Chesn., Sc.
Rer. Gallic., V, 819.
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laissaient entrer des jongleurs, des histrions, des femmes joyeuses, et que les rétributions qu'ils en retiraient, formaient un surcroît aux produits de leurs vignobles.
Saint Louis, qui n'aimait que le chant des psaumes, qui jamais ne s'est permis à lui-même l'abus ni l'usage des chansons profanes, n'interdisait pourtant pas ces divertissemens à ses sujets. Joinville raconte que les grands seigneurs avaient des ménétriers à leur service, et qu'ils s'en faisaient accompagner dans les repas qu'ils se donnaient les uns aux autres. Joinville dit plus : il rapporte qu'à la table même de Louis IX, les ménétriers récitaient leurs vers, chantaient leurs couplets, apportaient leurs vielles après manger, et que le saint roi attendait qu'ils eussent fini avant de faire dire les grâces par les prêtres placés devant lui.
Apparemment il faut distinguer de ces ménétriers les bateleurs ou comédiens, qu'à l'exemple de Philippe-Auguste, saint Louis chassa, dit-on, de sa cour ou même de ses États, et qu'il accusait de corrompre les bonnes mœurs. Le père Le Brun a nié ce fait, en soutenant qu'il n'y avait point encore eu de comédiens dans le royaume : à notre avis, cette opinion du père Le Brun n'est admissible qu'en prenant ce mot de comédiens dans son sens le plus rigoureux, c'est-à-dire, pour des acteurs de représentations régulièrement dramatiques.
Car, pour des bateleurs ou farceurs, il en existait sans aucun doute; et nous en trouverions la preuve dans un tarif des droits de péage à l'entrée de Paris, publié sous le règne de Louis IX. Il y est dit qu'un marchand qui apporte un singe pour le vendre, paiera quatre deniers; que si le singe appartient à quelqu'un qui l'ait acheté pour son plaisir, il n'y aura rien à payer; que s'il est à un joueur, celui-ci le fera gambader devant le péager, qui sera obligé de se contenter de cette monnaie (d'où nous vient l'expression proverbiale, payer en monnaie de singe); qu'enfin les jongleurs seront quittes de tout péage, en récitant ou chantant au péager quelqu'une de leurs chansons. Nous avons donc lieu de croire que saint Louis n'a interdit que certains divertissemens licencieux, que certaines représentations scandaleuses, et que, sauf cette restriction, il a permis les jeux publics qui tenaient lieu de spectacles et qui consistaient en récits burlesques, en jongleries ou tours de passe-passe, en gesticulations d'hommes ou de singes, ou à la fois des uns et des autres.
XIIIe SIÈCLE.
Félib., Hist. de Paris, t. II, liv.
XIV, p. 724.
Joinv., p. 140.
Ibid.
Disc. sur la comédie.
La Mare, Traité de la Police, 1. III, p. 436. — Vély, Hist. de la Fr., V,299-301.
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Les croisés, qui, pour la plupart, ne rentraient en Europe qu'extrêmement pauvres, allaient chantant la passion de Jésus-Christ et d'autres histoires sacrées, tant pour charmer-leur ennui et se consoler de leur détresse, que pour gagner leur vie par une industrie pieuse. Ils se mêlaient aux pélerins qui revenaient de Notre-Dame de Lorette, de la Sainte-Baume, de Saint-Jacques de Compostelle, et formaient ainsi des caravanes d'édifians ménétriers ; les auditeurs qui s'attroupaient autour d'eux, ne pouvaient laisser leur zèle ou leurs talens sans récompense. C'est sans doute de ces pèlerins que veut parler Boileau, lorsqu'il dit : Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré, Fut long-temps dans la France un plaisir ignoré.
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière, En public, à Paris, y monta la première; Et sottement zélée en sa simplicité, Joua les saints, la Vierge et Dieu par piété.
Mais Boileau confond ici deux époques qu'il ne lui importait pas de distinguer, la fin du treizième siècle et celle du quatorzième. Ces troupes de pélerins se désunissaient en parvenant au terme de leurs voyages, et n'établissaient aucun théâtre fixe ni à Paris ni ailleurs. Ce fut une association d'un tout autre genre, et purement profane, qui se forma vers la fin du règne de saint Louis, quand des jongleurs et des jongleresses de profession se retirèrent dans une rue qui prit d'abord leur nom, et qui depuis, en 1331, fut appelée rue de Saint-Julien-desMénétriers, après que l'église de Saint-Julien eut été fondée par deux jongleurs, Jacques Grure et Hugues le Lorrain. Ce sera donc au quatorzième siècle que nous pourrons entrevoir l'origine d'un théâtre français proprement dit et permanent; non pas encore peut-être en cette année 1331, mais au plus tard en 1398, lorsqu'il s'établira une confrérie d'acteurs de la Passion de Jésus-Christ. Les pélerins, plus anciens et plus grossiers, dont nous venons de parler, n'ont été que les précurseurs de ces confrères de la Passion; mais, quoique l'art dramatique n'eût fait encore, ni en France ni en Italie, aucun progrès sensible avant l'an 1300, déjà pourtant les poètes et les musiciens s'associaient pour donner des représentations qui, à beaucoup d'égards, pouvaient mériter, ainsi qu'on le verra bientôt, le nom de scéniques ou théâtrales.
L'état de la musique, des arts du dessin et des arts mécaniques, en France, durant le treizième siècle, sera le sujet
XIIIe SIÈCLE.
Le Gr. Fabl., 1, préf., XLII.
Art. Poét., ch.
III, v. 81-86.
Dulaure, H. de Paris,II, 346, 347.
XX VII.
Conclusion.
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particulier d'un discours qui va suivre celui-ci. Dans l'analyse que nous terminons en ce moment, nous ne nous sommes occupés que des lettres et des sciences. Pour en tracer le tableau, nous avons parcouru les différentes espèces d'études et de compositions littéraires, en essayant d'extraire de l'histoire spéciale de chaque genre les détails qui tendaient le plus directement à des résultats généraux. Ce travail nous eût été plus facile, et il serait moins imparfait, si nous ne l'avions entrepris qu'après la rédaction de tous les articles biographiques qui rempliront nos volumes suivans : car nous n'aurions eu qu'à resserrer ce qui aurait été déjà développé; tous les élémens de ce précis se seraient à la fois offerts à nos yeux; et, chaque point ayant été d'avance éclairci, vérifié par des recherches rigoureuses, nous aurions été bien plus sûrs d'éviter les inexactitudes. Mais nous avons dû suivre l'exemple de nos prédécesseurs, qui ont ouvert l'histoire littéraire de chaque âge par un discours préliminaire ; d'ailleurs, quand cette méthode ne nous eût pas été prescrite par l'usage que nous trouvions établi, nous l'aurions encore, toute laborieuse qu'elle est, préférée comme la plus utile et la plus commode aux lecteurs de cet ouvrage. Le seul inconvénient qu'elle entraînait était de nous exposer presque infailliblement à des erreurs plus ou moins graves; mais nous aurons les moyens de les réparer, à mesure que l'ordre chronologique amènera l'examen critique de la vie et des productions de chaque écrivain. C'est encore un exemple que nous ont laissé les savans auteurs des douze premiers volumes de cette histoire : comme eux, nous rectifierons scrupuleusement tout ce qu'on nous indiquera et tout ce que nous découvrirons nous-mêmes de fautif, d'incomplet, d'inexact dans le discours qu'on vient de lire.
En le rédigeant, nous n'avons eu dessein ni d'exalter ni de rabaisser, mais de peindre la littérature du treizième siècle. Elle se recommande par une très-grande activité, jusqu'alors sans exemple en France, et qu'elle devait au concours de plusieurs causes extérieures et intérieures.
Innocent III, qui en 1201 régnait sur l'Europe entière, pouvait sembler digne de cette domination universelle par la culture et l'étendue de son esprit. Il ranima dans l'Église le goût des études : s'instruire était l'un des actes d'obéissance qu'il exigeait des ecclésiastiques. Presque tous ses successeurs, jusqu'en 1300, avec moins de talens et moins d'au-
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torité que lui, ont pourtant suivi et maintenu la direction qu'il avait imprimée au siècle; ils toléraient moins l'ignorance que les vices dans le clergé. Deux nouveaux ordres monastiques, fondés par saint François d'Assise et par saint Dominique, s'élevèrent entre les années 1210 et 1220, et durent aux lettres, l'un et l'autre, le premier éclat dont ils brillèrent. On s'étonne peu du crédit et des faveurs qu'ils obtinrent, lorsque dès leur naissance on voit dans leur sein un si grand nombre d'étudians, de professeurs, de prédicateurs et d'écrivains laborieux. Ils redonnèrent de l'émulation aux anciens cénobites, chez qui le goût des études commençait à s'affaiblir, et au clergé séculier, qui, menacé dans ses droits et troublé dans l'exercice de ses fonctions par les entreprises de ces nouveaux auxiliaires, sentit le besoin de ne pas leur rester trop inférieur en instruction et en industrie. L'influence des frères mineurs et prêcheurs sur la littérature de cet âge a donc été rapide, vaste, et, en général, salutaire. Il est vrai que les Dominicains se firent inquisiteurs, qu'ils persécutèrent les Albigeois, et que cette horrible guerre a ralenti le progrès des lettres dans le midi de la France.
Mais en même temps que ces calamités rendaient l'ordre de Saint-Dominique si formidable, de plus paisibles et plus glorieux travaux, ceux, par exemple, de Vincent de Beauvais, d'Albert-le-Grand, de saint Thomas d'Aquin, couvraient cet ordre de l'éclat des talens et de la science.
Les croisades en Orient ne doivent pas être jugées, quant à leurs effets, comme celle du Languedoc : en déplorant les désastres que ces expéditions lointaines ont immédiatement produits, l'Histoire littéraire ne peut dissimuler les progrès auxquels les Français ont été entraînés par tant de voyages en Egypte, en Syrie, à Constantinople; par des communications avec tant de peuples européens, asiatiques, africains; par les préparatifs et les efforts qu'exigeaient ces monstrueuses entreprises. Si c'était acheter beaucoup trop cher une instruction médiocre, c'est une raison de plus pour que l'histoire le fasse observer : on rapportait d'Orient de la misère, des maladies et des vices, mais aussi des lumières qui agrandissaient la sphère de la littérature et des arts.
Rivaux ou émules des papes, plusieurs souverains favorisèrent les études publiques, honorèrent les talens, et culti- vèrent eux-mêmes divers genres de connaissances. L'empereur Frédéric II aspirait à devenir l'un des hommes les plus
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éclairés de son siècle. Des princes italiens et beaucoup de seigneurs français s'environnaient ou de savans ou de poètes, et s'efforçaient de se rendre dignes d'une telle société. Mais personne en France n'eut à cet égard une influence plus constante et plus efficace que saint Louis : il a contribué aux progrès des études par ses goûts, par ses mœurs et par des fondations utiles. Il avait essayé de réprimer la fureur des guerres privées, soit en prescrivant, comme Philippe-Auguste, la trêve appelée Quarantaine-le - Roi, soit par des moyens encore plus directs. Ses efforts pour affaiblir l'anarchie féodale et pour centraliser le pouvoir avaient fait prendre, par degrés, à la société, les habitudes paisibles et réglées qui rendent l'instruction possible, agréable et nécessaire. Sous son règne, la population française se divisait en deux classes : la première se composait des possesseurs de fiefs, entre lesquels on distinguait les barons ou hauts justiciers, et les bas justiciers ou vavasseurs; la nation presque la nation pres q ue entière ne formait encore qu'une seconde classe, celle des non-possesseurs de fiefs, qui habitaient ou les villes ou les campagnes. Dans les villes qui avaient des chartes de communs, l'état des personnes s'améliorait de jour en jour : on y jouissait des droits de bourgeoisie, d'une liberté civile qui aurait suffi, si elle avait été mieux déterminée et mieux garantie, et même d'une sorte d'indépendance locale, déjà peut-être peu compatible avec un bon système d'administration publique. Quant aux villes qui n'étaient point encore en commune, elles obtenaient presque toutes des priviléges particuliers : quelques-unes, et surtout Paris, durent à Louis IX les moyens d'accroître leur industrie et leur commerce. On est forcé d'avouer que beaucoup trop d'habitans des campagnes demeuraient réduits au pur esclavage : ils étaient selfs,. mais il y avait aussi des vilains, qui ne devaient que certains services, et sur lesquels les seigneurs n'exerçaient que des pouvoirs limités : saint Louis leur accorda le droit de plaider contre les hommes libres; et il est certain qu'en général, la condition des personnes, quoique si loin de ce qu'elle devait être un jour, devenait plus tolérable sous ses lois. Quelque imparfaites que fussent ces réformes, il en résulta, presque dans toutes les classes de la société, plus de besoin et plus de moyens de s'instruire. En réglant l'administration de la justice, au moins dans les domaines de la couronne, saint Louis força les juges, les
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légistes, les plaideurs même, à faire quelque étude d'une législation qui était alors assez compliquée. Il fallait, pour défendre ses droits, en chercher la mesure et dans les coutumes, et dans le droit romain, et dans les lois canoniques. Mais ce qui assure encore plus directement à ce prince les titres glorieux d'ami et de protecteur des lettres, c'est rétablisse- ment de plusieurs écoles, dont quelques-unes sont depuis devenues célèbres. Les principales universités du royaume ont commencé ou achevé de s'organiser sous son règne; le nombre des étudians s'est partout multiplié; le goût des livres, auquel il se livrait lui-même, s'est répandu de toutes parts. Sa bibliothèque et ses archives ont été en France les premiers modèles de ces deux genres de dépôts.
Cependant, si l'on examine les méthodes suivies en ce siècle dans toutes les branches de l'enseignement, on n'en pourra certainement pas admirer la perfection. Une argumentation artificielle avait usurpé partout la place du véritable raisonnement, qui n'est que la liaison naturelle des idées. Pas une seule étude sacrée ou profane n'avait conservé son véritable caractère; et la science théologique, qui dominait alors toutes les autres sciences, prenait des formes de plus en plus étrangères à son propre objet et à son origine.
La théologie, ou la connaissance des vérités religieuses surnaturellement révélées, est en soi une science positive, à puiser dans l'Écriture sainte et dans l'histoire de l'Église, dans les décisions dogmatiques des conciles et dans les écrits des saints Pères. Par sa nature, une telle science se rattache à l'étude des langues anciennes, à la critique historique et littéraire, à des explications de textes et à des discussions de faits, beaucoup plus assurément qu'à des subtilités ou spéculations métaphysiques, empruntées de la philosophie de Platon et d'Aristote. Chaque question devait se réduire à savoir si un dogme était révélé ou ne. l'était pas. Qu'a fait au contraire la scholastique du moyen âge? D'une part, elle a transporté les études théologiques dans les déserts de l'ontologie, dans les champs épineux de la dialectique; de l'autre, elle a établi à l'entrée, et disséminé dans tout le cours des sciences naturelles, de prétendues notions générales, des abstractions, des distinctions, des hypothèses, une multitude de formules pédantesques et de sophismes puérils. Par cette méthode, qui s'était introduite dans les écoles dès le douzième siècle, et qui s'y est développée durant le treizième, la
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théologie et la philosophie ont paru se confondre en un seul corps de doctrine, aussi effrayant par sa volumineuse prolixité que rebutant par la barbarie de ses formes et de son langage. Fleury a parfaitement exposé tous les vices de cet enseignement, qui a retardé de trois cents années le renouvellement de la véritable instruction en France : tant on s'était éloigné à la fois et de la théologie classique des cinq premiers siècles de l'Eglise, et des sentiers de l'observation et de l'ana- lyse en philosophie, et des modèles antiques en littérature !
Nous conviendrons néanmoins que cette habitude d'argumenter, de contredire, de répliquer, exerçait, aiguisait les esprits, et pouvait rendre plus actifs et plus pénétrans ceux qu'elle ne rendait pas subtils, faux et frivoles. Cette école a formé deux hommes de génie, saint Thomas d'Aquin et Roger Bacon, qui mériteraient les deux places les plus éminentes dans cette période de notre histoire littéraire, s'ils appartenaient réellement à la France. Saint Thomas était devenu capable des analyses les plus profondes; Roger Bacon devançait tellement ses contemporains dans toutes les routes de la vraie science, que personne, durant le quatorzième siècle et le quinzième, n'a eu la force de l'y suivre : par l'étude des langues et des annales de tous les peuples, par l'observation des phénomènes naturels, et par des calculs très-hardis pour une telle époque, il s'était élancé, lui seul, hors des routines de la scholastique, et n'en avait retenu qu'un penchant, inconcevable en un tel homme, pour certaines sciences occultes.
Malgré les obstacles que plusieurs papes apportèrent à l'enseignement du droit civil à Paris, la jurisprudence était plus que jamais cultivée en France. Malheureusement, on appliquait aussi à cette étude la méthode scholastique, quoique le mélange des lois canoniques, romaines et coutumières, et l'absence d'une législation générale, authentiquement promulguée, jetassent déjà bien assez d'embarras dans la science des jurisconsultes. Nous avons eu néanmoins à citer, dans cette partie, les honorables travaux de Défontaines et de Beaumanoir. Un progrès sensible est constaté par les Établissemens de saint Louis, soit qu'on les prenne pour un code authentique, réellement publié par ce prince pour régler dans ses domaines l'administration de la justice, soit qu'on n'y reconnaisse qu'un recueil de ses ordonnances particulières et des instructions qu'il donnait à ses baillis.
Après la théologie et la jurisprudence, la médecine était
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la troisième faculté des universités. Elle s'enrichissait d'observations et de recettes empruntées aux Arabes; grâce aux soins de Pitard, on donnait aux chirurgiens français, sinon de l'instruction, du moins des réglemens : mais on continuait de négliger la lecture des ouvrages des médecins grecs ; on n'avait que des notions superficielles d'anatomie, de physiologie, de matière médicale; les dissections étaient interdites; et dans l'état déplorable où restaient les sciences physiques, il est aisé de concevoir qu'un art qui n'existe et ne se perfectionne qu'avec elles, n'avait à peu près aucun moyen de s'épurer et de s'agrandir. Ni ces sciences, ni celles que désigne le nom de mathématiques, ne se sont relevées dans ce siècle. Roger Bacon seul en a quelquefois entrevu les méthodes et pénétré les secrets ; dans les leçons et les livres des autres docteurs, elles n'étaient qu'une autre métaphysique, non moins obscure que la première. Les découvertes de la boussole, de la poudre à canon, des lunettes à verres convexes, ont été ou empruntées aux Orientaux, ce qui est extrêmement probable, ou dues à des causes inconnues, à des rencontres fortuites. Dans tous les cas, on ne saurait les revendiquer pour la France, à moins qu'on ne fasse encore honneur des deux dernières de ces inventions à Roger Bacon, qui paraît en avoir eu, à Paris, quelque connaissance.
Les croisades et plusieurs voyages dans la haute Asie, ceux surtout de Rubruquis et de Marco-Paolo, étendaient les notions géographiques, et auraient servi à les rectifier, si l'on avait employé des mesures- plus exactes, et conçu de plus justes idées du système du monde. On composa pourtant des traités de la sphère, qui sont au moins des indices de l'importance qu'on attachait à ce genre d'études.
Du reste, la géographie était négligée dans la plupart des écoles, où l'on n'enseignait pas non plus l'histoire : peut-être était-ce par cette raison même qu'elles commençaient d'être, l'une et l'autre, un peu mieux étudiées par le petit nombre de ceux qui s'en occupaient particulièrement. Ce fut pour l'histoire un grand progrès que d'être écrite en français : car le langage vulgaire oblige toujours à plus de précision et d'exactitude.
Les noms de Villehardouin, de Joinville, de Guillaume de Nangis, ne figurent pas sans honneur dans la liste de nos historiens. Rigord et Jacques de Vitry, qui ont écrit en latin, sont dignes aussi de quelque estime; et le Miroir Historial
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de Vincent de Beauvais semble, à beaucoup d'égards, préférable à toutes les chroniques universelles compilées dans les âges précédens.
Les études auxquelles s'applique spécialement le nom de belles-lettres, ont pour base la théorie du langage, théorie qui suppose elle-même une saine logique et une analyse délicate des idiomes anciens et modernes. Or, la logique proprement dite, celle qui se rattache à la grammaire, était bannie des écoles du moyen âge ; sa place y était usurpée par la plus fausse dialectique. On n'y enseignait d'ailleurs ni les langues étrangères, parlées dans les autres contrées de l'Europe; ni les langues orientales, qu'on avait eu pourtant trop d'occasions d'apprendre en Asie et en Afrique; ni la langue grecque, qui aurait dû, ce semble, devenir familière à plusieurs Français, pendant les cinquante-huit ans où le trône de Constantinople fut occupé par des princes de leur nation. La connaissance même, imparfaite de toutes ces langues est restée fort rare en France jusqu'en 130. On étudiait le latin, mais bien moins dans les auteurs classiques que dans les grammairiens; d'ordinaire, on ne remontait pas plus haut que Priscien : c'était chez lui que l'on puisait les matériaux des manuels informes qu'on mettait entre les mains des élèves. Aussi la latinité de ce siècle est-elle beaucoup plus barbare que celle du douzième et que celle du quatorzième. Abélard, saint Bernard et Pierre de Blois sont, ainsi que Pétrarque et Bocace dans leurs livres latins, des modèles de correction et d'élégance en comparaison d'Albert-le-Grand et de Guillaume Durand. La scholastique avait partout défiguré la diction, décoloré le style. Toute éloquence avait disparu des compositions en prose latine, surtout du genre oratoire ; les prédicateurs ne savaient plus que disputer à la manière des docteurs. A l'exception de quelques historiens, les prosateurs latins ne soupçonnaient pas que l'art d'écrire eût des règles et des difficultés. Cet art ne s'enseignait plus dans les écoles ; on avait cessé d'y donner des leçons de rhétorique : l'art de l'argumentation en tenait lieu.
Une littérature moins barbare et plus nationale se forma hors des écoles; elle embrassa quatre espèces d'essais, savoir : des poëmes, des romans, des histoires et des traductions d'anciens ouvrages. C'étaient dans ces sortes de livres que
les gens du monde puisaient quelque instruction. Nous avons rappelé, il y a peu d'instans, les meilleurs livres d'histoire
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composés dans cet âge. Quant aux traducteurs, saint Louis les encouragea; il s'exerçait, dit-on, à traduire lui-même. Leurs travaux contribuaient à polir, à étendre le langage vulgaire, et à répandre certains genres de connaissances. La lecture des romans était, à tous égards, bien moins utile; mais elle entretenait les mœurs chevaleresques et l'enthousiasme des croisés. Ces productions, aussi volumineuses que frivoles, se multipliaient d'autant plus facilement qu'on en trouvait les sujets en des livres orientaux, ou dans les chroniques fabuleuses du Nord et de l'Occident. Souvent même le travail du romancier se réduisait à traduire des vers en prose, ou du latin en français. Nous avons indiqué néanmoins en ce genre quelques compositions ingénieuses et peut-être originales, particulièrement Aucassin et Nicolette.
Guillaume le Breton et deux ou trois autres poètes latins de ce siècle n'avaient pas tout-à-fait négligé les modèles antiques : ils ont de temps en temps des expressions et des idées qu'ils se rapportent du commerce d'Horace et de Virgile.
Mais nous avons rencontré, dans cette même langue, un bien plus grand nombre de versificateurs sans goût et sans style, qui ne savaient pas les règles de la prosodie et croyaient composer des vers latins en alignant les phrases ou demi-phrases d'une prose incorrecte et insipide. En général, les poètes en langue vulgaire étaient mieux inspirés, et, comme ils avaient plus de juges, ils se commandaient un peu plus d'efforts.
Au midi de la Loire, les troubadours donnaient de la souplesse et surtout de l'harmonie à la versification moderne; ils ont connu les formes du genre lyrique, et ont su les varier. Il est à regretter que leur langue poétique n'ait point acquis-assez d'étendue pour se maintenir; elle a fini vers le milieu du quatorzième siècle, ayant déjà dit tout ce qu'elle avait à dire. Au Nord, celle des trouvères, moins élégante et moins douce, se développait davantage, devenait plus expressive, quelquefois plus pittoresque, s'essayait dans vingt genres divers, ne brillait encore dans aucun, prenait toujours possession de la plupart, et se destinait à les enrichir un jour plus que ne l'a fait aucune autre langue moderne.
La multitude et la fécondité des poètes français d'une part et des écrivains scholastiques de l'autre, est un signe manifeste du mouvement général qui agitait les esprits, du besoin vivement senti de s'instruire. Cette activité prodi-
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gieuse que les études et les travaux littéraires n'avaient jamais eue en France avant 1200, et qui distingue le treizième siècle, se ralentira pendant le suivant, et ne se reproduira pleinement qu'au seizième. C'est donc une littérature extrêmement importante à bien connaître que celle dont nous venons de considérer l'ensemble, et dont nous aurons à exposer tous les progrès et à parcourir tous les détails dans le reste de ce volume et dans les suivans. Notre prose et notre poésie française existaient avant 1200, mais c'est au treizième siècle qu'elles commencent à prendre un caractère national.
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DISCOURS
SUR
L'ÉTAT DES BEAUX-ARTS EN FRANCE AU XIIIe SIÈCLE.
L'HISTOIRE des beaux-arts, comme celle des lettres, fait partie de l'histoire de l'esprit humain : elle révèle le goût, les mœurs, les opinions des peuples, indique leur marche plus ou moins accélérée vers la civilisation.
On est généralement porté à croire que certains siècles, flétris de la qualification de siècles d'ignorance, ont été absolument étrangers aux beaux-arts; qu'ils n'ont rien produit qui mérite de fixer l'attention de l'historien, encore moins de l'observateur philosophe. Mais les monumens sont là pour détruire cette opinion erronée : ils prouvent que dès que le flambeau des arts a lui dans un pays, chez un peuple quelconque, sa lumière peut bien perdre de son éclat, s'affaiblir, mais qu'elle ne s'éteint jamais entièrement.
Les beaux-arts ne sont pas une superfluité chez les peuples qui les ont connus et ont joui quelque temps de leurs productions; ils s'unissent par des liens indissolubles aux arts de l'industrie, et ne cessent plus d'être, ainsi que ces derniers, un véritable besoin. Sans doute ils subissent d'étranges et souvent de brusques modifications; mais, s'ils ne prospèrent pas, ils vivent toujours. Les procédés à l'aide desquels les plus anciens artistes ont produit leurs premiers ouvrages, continuent toujours d'être employés par leurs successeurs, et quelquefois, il est vrai, servent à créer des chefsd'œuvre de mauvais goût, comme ils avaient servi autrefois à créer des prodiges d'élégance et de grâce.
La généalogie des beaux-arts chez les peuples modernes s'établit sans nulle difficulté. Les Grecs, qui très-probablement les avaient reçus de quelque autre nation, les transmirent aux Romains; les Romains, à tous les peuples que
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leurs armes avaient soumis, c'est-à dire, à presque tout le monde alors connu. Les incursions des hordes du Nord dans la France, l'Espagne et l'Italie; les discordes soit politiques, soit religieuses, qui firent de tous ces pays, pendant le moyen âge, des théâtres de carnage, ne parvinrent point à anéantir entièrement les beaux-arts. Ils étaient cultivés, non-seulement en Italie, mais dans les Gaules, même après l'établissement des Francs dans cette dernière contrée; ils le furent sous la première race de nos rois, quelle qu'ait été leur ignorance et leur mépris pour tout autre art que celui de la guerre; ils le furent bien plus encore sous le héros qui a donné son nom à la seconde race, et même sous ses faibles successeurs, comme l'attestent d'authentiques monumens. Sous la troisième race, où la France jouit de quelques intervalles plus fréquens de paix, où le gouvernement prit une forme plus déterminée, les beaux-arts essayèrent de s'étendre, d'agrandir leur domaine; ils suivirent presque toujours les lettres dans leurs progrès. Au treizième siècle surtout, par des causes que nous indiquerons, ils semblèrent éprouver une commotion générale, presque une révolution, qui tourna à leur avantage.
C'est le tableau de cette dernière période des beaux-arts en France, que nous nous proposons d'esquisser dans ce discours.
Mais, avant de commencer, nous croyons devoir bien définir ce que nous entendons par beaux-arts. Cette expression , qui avait autrefois une acception très-étendue, puisque l'on comprenait dans les beaux-arts la poésie, l'art oratoire, etc., ne s'applique plus qu'aux arts dans lesquels le génie seul ne suffit pas; qui, dans leurs proudctions, exigent le concours de la main et de quelques procédés mécaniques. Tels sont tous les arts du dessin : l'architecture, la sculpture, la peinture.
La musique elle-même, quoiqu'elle soit la compagne de la poésie, est classée parmi les beaux-arts, sans doute parce que ses productions, pour être bien appréciées, ont besoin du secours de la voix ou des instrumens. Il faut convenir cependant que cet art est d'une espèce particulière, et qu'elle ne fait partie des beaux-arts que parce qu'on ne sait dans quelle classe la placer convenablement. Mais elle mérite un rang distinct, puisqu'elle n'a aucun point de contact avec les arts du dessin, qui sont proprement ce que l'on est con-
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venu d'appeler aujourd'hui les beaux-arts. C'est ce qui nous détermine à en faire d'abord l'objet de nos observations.
ART MUSICAL.
Une erreur que plusieurs écrivains et entre autres le savant Le Beuf (I) ont répétée sans trop d'examen, c'est que la musique, dans la période que nous avons à parcourir, fut moins cultivée que dans les siècles qui la précédèrent et dans le siècle qui la suivit. Parce qu'ils ont peut-être trouvé moins d'auteurs de cette époque qui aient écrit sur cet art (bien que le nombre en soit encore assez considérable), ce n'était point une raison de croire que l'on cessât de s'en occuper et qu'il ne fît aucun progrès. Il ne nous sera pas difficile de prouver que c'est dans le treizième siècle que la musique éprouva une révolution complète qui lui imposa des lois nouvelles, lui imprima un autre caractère, et qui établit pour toujours une ligne de démarcation bien sensible entre la musique des anciens et celle des modernes.
Nous dirons plus tard en quoi consista cette révolution et comment elle s'opéra. Examinons d'abord s'il est vrai qu'alors la musique n'excitait plus comme autrefois un sentiment de prédilection et presque d'enthousiasme.
Une seule observation décidera la question. Jusques au douzième siècle, la musique n'avait guère été cultivée que dans les cloîtres, et dans quelques-unes de ces écoles formées dans les monastères et surtout près des cathédrales. A l'exception de quelques chansons qui, depuis des siècles, étaient dans les bouches des habitans des campagnes, des guerriers,, lorsqu'ils étaient sous les armes, et des artisans dans les villes, on n'entendait guère chanter que dans les églises, on ne connaissait d'autre musique que le plain-chant. Mais les troubadours dans le Midi, les trouvères dans tout le reste de la France, se multiplièrent singulièrement à cette époque; ils portèrent dans les cours et même dans les plus simples châteaux, avec leurs chansons, le goût d'une musique plus variée, plus facile et plus rhythmique que celle des églises.
Les trouvères, ménestrels, jongleurs, formaient dans l'Etat, au treizième siècle, comme une nation nomade qui devenait quelquefois incommode, et même dangereuse. Tout le
(I) Dictionnaire de Musique, dans l'Encyclopédie méthodique, article Chansons. — Le Beuf, Dissertation sur l'Histoire ecclésiastique, etc., t. II.
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I.
Si la musique fut moins cultivée au XIIIe s. que dans les siècles précédens.
Les Trouvères, Ménestrels, etc.
se multiplient à
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prouve, surtout les mesures de rigueur que plusieurs rois, et Philippe-Auguste entre autres, furent obligés en différens temps de prendre contre eux.
D'un autre côté, la musique tenait toujours un rang distingué parmi les arts qui entraient dans le fameux Quadrivium. Un poète qui écrivait en 1245 sur les Sept Arts, donne à la musique, parmi ces arts de la clergie, une place qu'il refuse à la médecine. Ses motifs pour cette exclusion sont assez bizarres : c'est parce que Science qui sert A cors humain, francise pert ; Mais celes qui a l'ame servent Libéral nom au mont (monde) deservent (1).
Notre intention ici est de suivre d'abord l'histoire de cet art dans les églises, et ensuite d'examiner comment la musique profane devint, pendant ce siècle, un art bien distinct.
Nous rechercherons en finissant quels furent les personnages qui se distinguèrent dans les deux genres, et les monumens qu'ils nous ont laissés de leur savoir dans l'art musical.
Mais ce qu'on ne saurait trop remarquer, et ce qui en même temps excite quelque surprise, c'est la lenteur avec laquelle se forma le système de la musique moderne : combien,
(1) L'abbé Lebeuf (Dissertation sur l'Histoire ecclésiastique, t. II), qui cite ces vers de Gautiers de Metz, rapporte un autre passage du même poème sur la musique, mais qu'il a sans doute copié sur un manuscrit très-défectueux ; car à peine ressemble-t-il, par quelques vers, à celui que nous avons extrait d'un très-beau manuscrit du treizième siècle, et que nous allons transcrire ici (*). Après avoir détaillé les avantages de cinq autres arts libéraux, tels que la grammaire, la géométrie, etc. ,
Gautiers de Metz ajoute : La sixime art est musike Ki se forme d'arismétike : De ceste muet (dérive) tute atempraunce Ke naist de tute concordaunce E tote duce mélodie K'au munde puet estre oïe.
De lui sunt tut li chaun (chants) estreit Ke à munde poient estre feit.
Ki de musike ad la science Del' munde seit la concordaunce Tute riens (chose) ke de bien se paine A concordaunce se remaine.
(*) Image du Monde, Mss. de la Bibliothèque du Roi, fonds de l'église de Paris, N. n° 5, fol. II, r° et v°
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Rang qu'occupait dans les arts la Musique au XIIIe siècle.
II.
Musique des églises. — Adoption d'un nouveau système musical.
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par exemple, il fallut de siècles pour introduire dans la musique une gamme et une notation plus simple, mieux raisonnée; ensuite, un rhythme, sans lequel on ne conçoit pas qu'il ait pu exister une musique; enfin, l'harmonie, ou l'emploi systématique des accords.
Les innovations apportées dans la musique par le célèbre Guy d'Arezzo, vers le commencement du onzième siècle, consistaient principalement en une manière de noter plus claire et plus expressive (il avait substitué des points aux lettres usitées jusqu'à lui), et surtout dans l'invention d'une gamme, la même qui existe encore aujourd'hui, à quelques modifications près; invention bien simple et qui a eu une influence extraordinaire sur les progrès de la musique. Ces innovations, soit qu'il faille en faire honneur à son génie, soit, comme l'a assez bien prouvé un historien moderne (i), qu'il n'ait eu que l'art de les présenter avec méthode et clarté, furent accueillies avec une espèce d'enthousiasme en Italie : on y trouvait le grand avantage de pouvoir apprendre en deux ans cette musique ou plulôt ce plainchant (car c'était encore presque la seule musique connue) qui exigeait auparavant jusqu'à dix années d'études et de fatigues. Mais en France, cette méthode s'introduisit avec un peu plus d'obstacles : les chantres de nos églises ne consentaient pas facilement à se remettre, pour ainsi dire, sur les bancs de l'école, et ne renonçaient qu'à regret à leurs vieux antiphoniers dans lesquels les chants étaient notés avec des lettres et avec des points. Il fallut près de deux siècles pour que l'usage de cette méthode devînt général. Mais nous ne trouvons plus guère au treizième siècle que des livres d'église notés suivant le nouveau système (2).
Il paraît même que dès ce temps on y avait ajouté quelques perfectionnemens. Et il ne s'agit pas seulement ici des notes
(I) Forkel, Histoire de la Musique, t. II, p. 239 et suiv.
(2) Nous avons une preuve de ce fait dans un manuscril qui nous a été communiqué. C'est un ancien livre d'offices, dont l'écriture paraît être du neuvième siècle, et dont les lignes sont surmontées de points placés à différens intervalles. Les marges en sont couvertes d'écriture d'un autre temps; et on lit dans une note de la main d'un certain Bernard Itier, qu'il a cru devoir employer ces marges, parce que le livre n'était plus d'aucun usage (la notation ayant changé). Or, ce Bernard hier vivait au commencement du treizième siècle : nous nous croyons par là bien fondés à avancer qu'au treizième siècle on avait entièrement cessé de noter la musique par des points.
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carrées substiuées aux points, mais des notes dont la valeur était, pour ainsi dire, exprimée soit par leur situation plus ou moins rapprochée, soit par leur figure un peu différente, soit par la queue que l'on donnait à quelques-unes de ces notes sur lesquelles on voulait que la voix s'arrêtât plus longtemps. Il paraît que jusque-là les notes n'avaient servi qu'à indiquer l'intonation; c'était la tradition, l'usage, peut-être le caprice, ou, mieux encore, la quantité brève ou longue des syllabes sur lesquelles elles se trouvaient placées, qui en fixaient la valeur. Mais, l'emploi des orgues étant devenu plus fréquent dans les églises, il fallut sans doute, pour que les voix et l'instrument pussent aller toujours ensemble, que la valeur des notes fût plus strictement déterminée. Et toutefois ce qui rendit presque indispensable cette notation plus exacte, c'est le changement qui s'opéra dans l'art musical par l'adoption du chant en parties. Cette innovation, tentée depuis long-temps, fut définitivement admise au treizième siècle ; ce qui nous fait un devoir de nous arrêter un peu plus sur cet objet important.
Il paraît assez bien démontré, malgré l'assertion de plusieurs savans écrivains, que les Grecs, et en général tous les peuples anciens, n'ont eu aucune connaissance de ce que nous nommons contre-point ; qu'ils exécutaient leur musique en chant à l'unisson, et que les instrumens dont ils se faisaient accompagner, ne jouaient aussi que la même partie (i).
Et cependant il est incontestable qu'ils connaissaient parfaitement l'analogie, ou plus justement les rapports harmoniques qu'avaient entre eux certains sons de leur système musical. C'est même d'après cette observation qu'ils avaient probablement arrangé tout ce système, et classé leurs différens modes : ils avaient senti que l'on ne pouvait, dans tel ou tel mode, franchir impunément tel ou tel intervalle; qu'après avoir choisi un ton, il fallait, de toute nécessité, ne s'en écarter que par des intervalles harmoniques, pour y revenir bientôt après. Mais l'idée de marier ensemble ces tons placés à une distance plus ou moins grande de la note essentielle ou tonique) de former enfin des accords avec des sons différens quoique harmoniques, cette idée ou ne leur était pas venue ou ils l'avaient rejetée. On ne doit pas s'en étonner : il faut quelque habitude, comme l'a remarqué un auteur moderne (2), pour trouver des charmes
(1) Voy. les Mémoires de l'Académie des Inscriptions.
(2) J.-J. Rousseau, Dictionn. de Musique, art. Unisson et Harmonie.
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Invention, ou du moins introduction du contrepoint.
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dans ce que, dans notre système musical moderne, nous appelons harmonie; et nous voyons tous les jours que les Orientaux, qui ne connaissent d'autre harmonie que celle des voix et des instrumens à l'unisson, sont très-péniblement affectés de la musique qu'ils entendent dans nos concerts et dans nos spectacles, et que les plus savans accords de nos compositeurs ne sont pour leurs oreilles trop peu ou trop justes, que du bruit, et même une insupportable cacophonie.
Au reste, cette harmonie que nous cherchons par des moyens assez pénibles, et à l'aide de longs calculs, peut-être les Grecs la trouvaient-ils plus simplement et sans peine, en ne faisant chanter ensemble que des voix qui s'accordaient naturellement, parce qu'elles se trouvaient, comme les voix de femmes, par exemple, à l'égard de celles des hommes, à l'octave, ou à la quinte, ou à la tierce les unes des autres.
Quant à l'intonation qu'il fallait prendre, elle était suffisamment indiquée par le mode dans lequel le morceau était composé; et quant à la mesure, le rhythme suivi par le poète l'indiquait encore parfaitement. Le mouvement général du morceau était donc la seule chose qu'il fallait chercher et savoir; et sans doute ils avaient des moyens de l'indiquer.
Mais on voit du moins que, pour noter leur musique, ils n'avaient besoin que de ce qu'ils employaient en effet, de quelques lettres posées sur les syllabes, et qui indiquaient le son que devait produire la voix en les prononçant.
Cette notation par lettres, que les chrétiens empruntèrent aux Grecs dès les premiers temps de l'établissement de la religion, et qui fut en usage dans nos églises durant tant de siècles, ne pouvait plus convenir, lorsque l'on s'avisa d'exécuter de la musique en parties. L'époque précise où s'introduisit cette innovation, n'est pas bien certaine. Il est à présumer que l'emploi de l'orgue en inspira le goût, et servit à en répandre l'usage.. Cet instrument, par la facilité qu'il offre de faire entendre plusieurs sons à la fois, donna sans doute occasion de remarquer que, dans ces unions de sons, il y en avait qui satisfaisaient plus ou moins l'oreille.
Aussi nomma-t-on dans le principe, organiser, cette nouvelle manière d'exécuter la musique sur les instrumens, ce qui démontre bien son origine. De l'orgue, cette méthode passa aux voix, et alors on l'appela discant ( double chant), et par corruption déchant (1).
(1) Dictionnaire des Musiciens, t. I, p. XXIII, au sommaire de l'Histoire de la Musique.
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Dès la fin du treizième siècle, on connaissait l'art de composer la musique à plusieurs parties : il nous reste un ouvrage de Franco, scolastique de la cathédrale de Liège, en 1066, où sont posées les règles de ce genre de composition. Dans ce traité, intitulé : Franconis musica et cantus mensurabilis, que Gerbert a inséré dans son recueil (i), on voit que Franco n'ignorait point ce qu'étaient les consonnances, qu'il divise en trois espèces, et même les dissonances. Mais il faut convenir que les règles qu'il pose au sujet de l'emploi des unes et des autres, sont obscures et même inintelligibles aujourd'hui. L'étaient-elles de son temps? ou plutôt les méthodes nouvelles n'ont-elles point, surtout à de certaines époques, beaucoup de peine à devenir familières, lorsqu'elles exigent des études et une assez forte contention d'esprit? Ce qu'il y a de certain, c'est que, pendant tout le douzième siècle qui suivit, la musique, au moins celle d'église, ne paraît pas avoir éprouvé de changemens notables : ce ne fut que dans le treizième siècle que la doctrine de Franco fut commentée et développée par Walther Odington, bénédictin anglais qui vivait en 1240.
Mais tant dans le douzième siècle que dans une grande partie du treizième, organiser le chant ne fut autre chose qu'insérer, dans une suite de plain-chant à l'unisson, et spécialement dans les répons, quelques tierces, le plus souvent mineures, et dont la douceur et l'agrément est trèssensible à l'oreille. Cette consonnance, employée à la fin des versets, était surtout utile, en ce qu'elle indiquait, tant aux autres chanteurs qu'au chœur, l'instant fixé pour reprendre ou poursuivre le chant. Cette interposition d'une ou de plusieurs notes dans l'intonation de quelques parties des pièces de plain-chant, pour en assurer la finale, s'appelait périélèse, et est, sans aucun doute, l'origine de ce qu'on nomme aujourd'hui cadence en musique, de cette cadence si nécessaire pour marquer la fin des périodes musicales.
C'est à l'emploi systématique, bien ordonné, de ces cadences, que la musique moderne doit l'avantage d'être véritablement une langue, qui, comme le langage parlé et écrit, a ses périodes plus ou moins longues et une ponctuation bien marquée.
C'était assurément bien peu de chose que de placer parfois dans le chant une tierce presque toujours mineure; et
(1) Gerbert (Martini), Scriptores ecclesiastici de Musica.
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cependant, pour un accord si facile et si peu varié, les chantres qui organisaient ainsi, ne laissaient pas d'être payés plus cher que les autres. L'abbé Le Beuf rapporte quelques passages du nécrologe de l'Église de Paris, dont l'original est à la Bibliothèque du Roi, qui prouvent que l'on donnait six deniers aux chantres qui, à la fête de saint Jean l'Évan- géliste, organisaient ou le répons ou l'alleluia. Quilibet
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clericorum qui ad missam responsorium, pel alleluia in organo, triplo seu quadruplo decantabit, sex denarios ha-
bebit (i). Remarquons ici que les expressions in triplo seu quadruplo ne signifient pas que les chantres dussent chanter des parties qui fussent à d'autres intervalles qu'à la tierce, comme à la quinte, par exemple : il paraît seulement, toujours d'après Le Beuf, que s'il s'agissait de chanter en triplum, un troisième chantre , haute-contre, faisait à l'octave la partie du premier chantre , et que si on voulait du quadruplum, un quatrième chantre faisait aussi à l'octave la partie du second chantre. Vers la fin du' treizième siècle cependant, et dans le quatorzième, on chanta des pièces à trois parties, dont la plus basse était appelée ténor ; celle du milieu, motetus, et celle de dessus, triplum (2). Les règles même de ce déchant avaient été écrites en francais dès le treizième siècle. « Elles commencent ainsi, dit l'abbé Le « Beuf, dans un manuscrit de Saint-Victor de Paris : Quis« qui veut déchanter, il doit premier sçavoir qu'est quant cc est double, quant est la quinte note et double, est la m« tisme; et doit regarder si le chant monte ou avale. Se il « monte, nous devons prendre la double note; se il avale, « nous devons prendre la quinte note, etc. » C'est bien véritablement là, comme le remarque aussi l'auteur cité (3), le berceau de ce qu'on a appelé depuis CONTRE-POINT, l'origine enfin de notre système harmonique moderne.
Le chant organisé, ou déchant simple, et tel qu'il se pratiquait au treizième siècle dans quelques églises de France, non dans toutes, eut ses partisans, et bientôt après ses détracteurs. Au premier rang des premiers, il faut compter saint Louis, qui, bien qu'éloigné de sa patrie, et au milieu des embarras d'une horrible guerre, dans la Terre - Sainte, fit chanter à Nazareth, le 25 mars, au
(1) Le Beuf,Traité historique du Chant ecclés., p. 75 et 78.
(2) Ibid., p. 84.
(3) ld., ibid.
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point du jour, matines à chant et à déchant, à ogre et à treble (1). D'un autre côté, dans plusieurs cathédrales, les statuts donnés par les évêques portent obligation de l'étude du chant et déchant; d'autres statuts défendent seulement d'employer le déchant aux offices des Morts (2). 1 Les adversaires du déchant, soit qu'ils fussent ennemis de toute innovation, soit qu'en effet on fît abus de la méthode, et que la pureté et la simplicité des premiers chants de l'Église leur en parût altérée; ces adversaires en agirent avec tant de persévérance et de succès, qu'ils portèrent le pape Jean XXII à défendre qu'on s'en servît à la messe et en d'autres parties de l'office. Il Cependant, ajoute-t-il, notre Il intention n'est pas d'empêcher que de temps en temps, et « surtout aux grandes fêtes, on n'emploie, sur le chant ec« clésiastique dans les offices divins, des consonnances ou « accords, pourvu que le chant conserve son intégrité (3). »
Cette bulle fut donnée à Avignon vers 1322 : on ne voit pas qu'elle ait fait cesser l'usage du déchant, même à la messe.
Au reste, les chants de l'Église furent augmentés, dans le treizième siècle, d'un grand nombre d'hymnes, de proses, etc. Plusieurs répons et antiennes de cette époque sont, suivant l'observation du père Mersenne (4), du mode ionien (on sait que ce savant minime s'est laborieusement occupé, sans jeter sur le sujet beaucoup de clarté, de l'explication de ces différens modes anciens, qu'il croyait retrouver dans le plain-chant). Mais l'addition la plus remarquable dans les chants d'église, qui eut lieu dans ce siècle, fut celle de l'office du Saint-Sacrement : tout cet office fut reçu sous Urbain IV, vers l'an 1260.
Pour terminer ce que nous avons à dire de l'état de la musique d'église au treizième siècle, peut-être serait-ce le cas de parler des singuliers chants en langue vulgaire qui, presque dans toutes les villes de France, s'exécutaient dans les églises les jours de certaines fêtes, et surtout à Noël; chants qui n'étaient souvent ni moins grossiers et indécens que les processions et les cérémonies pour lesquelles ils avaient été composés. Mais une foule d'auteurs ont dé-
(I) Annales du règne de saint Louis, p. 223.
(2) Le Beuf, Ioc. cit., p. 85.
(3) Ibid., p. 90.
(4) Mersenne, de la Musique, 1, Ier, p. 239.
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III.
Hymnes nouvelles. — Fêtes dans les églises.
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crit ces misérables folies d'un peuple ignorant et superstitieux ; nous ne pourrions que les repéter : on a tout dit sur les fêtes des Foux, des Anes, des Innocens, des Calendes; et il faut d'ailleurs réserver ces sujets pour la partie de ce discours où nous traiterons des fêtes et spectacles au treizième siècle (i). Mais ce qu'il convient d'examiner ici,, c'est le genre de musique des extravagantes proses, composées pour ces solennités si chéries de la populace, et dans lesquelles elle jouait le plus grand rôle. Plusieurs de ces proses nous ont été conservées, entres autres celles de la fête de l'Ane, qui commençait par ces vers :
Orientis partibus Adventavit asinus, etc.,
et dont chaque strophe ou couplet finissait par ce refrain : Hé! sire Ane, hé! ou par des hin-han que répétait le chœur. La musique de ces chants était celle des hymnes consacrées dans l'Église, ou plutôt c'en était la parodie; et, sous ce rapport, ils ne méritent aucune observation particulière.
Il n'en est pas de même des complaintes, et autres pièces en langue vulgaire, qu'il était alors d'usage de chanter dans les églises de la plupart de nos provinces, les jours de certaines fêtes, surtout aux fêtes patronales. Le Beuf en avait recueilli un assez grand nombre, paroles et musique; et il en donne plusieurs fragmens dans son Histoire du chant ecclésiastique (2). La musique de ces complaintes, ou histoires de Saints, était encore du plaint-chant, mais qu'il fallait un peu modifier, pour qu'il pût s'appliquer à des paroles telles que celles-ci (nous les citons, d'après Le Beuf, comme extraites d'un cantique sur la vie de saint Etienne, qu'on chantait à Soissons aux douzième et treizième siècles, et sans doute bien plus tard, le jour de la fête de ce saint) : Entendés tost achest sarmon Et clair et lai tout environ : Conter vous vueil la passion De saint Esteule le baron, Comment et par quel mesproison Le lapidèrent li felon
(1) Voy. à ce sujet la Nouvelle Histoire de Paris de Dulaure, tom. I, p. 487 et suiv. -
(2) Le Beuf, Traité historique sur le Chant ecclésiastique, p. 122 et suiv.
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Pour Jésucrist et pour son non, Ja l'orrès bien en la lechon (I).
Des sous-diacres ordinairement, et quelquefois des enfans de chœur, chantaint un couplet de ces sortes de pièces; après quoi les chantres entonnaient quelques phrases latines sur le même sujet, comme, dans la complainte que nous avons prise pour exemple, ces mots-ci : Stephanus plenus gratiâ et fortitudine faciebat prodigia et signa magna in populo. Et ensuite la complainte en langue vulgaire recommençait. Voilà ce qu'on appelait Farsa, et Epistola farsita, parce que de pareils morceaux se chantaient ordinairement à la messe au milieu de l'épître.
Il n'est pas difficile de découvrir ici l'origine des Noëls, qui se sont si long-temps chantés dans la plupart de nos églises, en langue vulgaire. Dans le principe, les airs sur lesquels on les chantait, n'étaient sans doute aussi que des motifs pris dans le plain-chant; mais en leur donnant une espèce de mesure et plus de mouvement, on en aura fait, presque sans s'en douter, des airs faciles à retenir, et qui ont passé de génération en génération jusqu'à nos jours. En effet, les Noëls ont eu une bien plus longue existence que les proses des Foux, des Anes, etc., et que les épîtres farcies, Avant la Révolution, il y avait peu d'églises dans les provinces où, plusieurs fois dans l'année, on n'ajoutât des Noëls en mauvais vers aux offices de certaines fêtes, souvent au grand scandale de ceux qui auraient voulu plus de majesté et de décence dans les cérémonies religieuses.
Dans le treizième siècle, on composait, suivant la remarque du savant Le Beuf (2), un assez grand nombre de nouveaux offices d'un chant aussi bizarre que l'étaient les paroles.
L'Église de Paris en avait même admis qu'elle a depuis rejettés. C'était alors l'usage de faire composer pour la fête patronale de chaque saint quelque prose ou autre pièce de ce genre en l'honnenr du saint. On devine ce que devaient être de pareils morceaux, ouvrage de quelques moines, le plus souvent aussi peu versés dans l'art de la poésie que
(1) Dans le treizième volume de cette histoire, art. Epîtres Farcies, p. lOg, ce morceau est cité tout au long, et d'après un texte qui semble plus exact. Nous en répétons ici les premiers vers, tels que Lebeuf les a cités, parce que notre objet n'est pas de donner une idée du style, mais du genre de ces compositions.
(2) Dissert. t. II, p. Ilg.
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dans celui de la musique. Et cependant nous retrouvons encore dans plusieurs eucologes modernes quelques proses de ces temps-là qui ont échappé à la juste épuration que l'on a entreprise des livres de prières, dans des siècles plus éclairés (1). Un chanoine de Saint-Aubert de Cambrai, nommé Pierre, fit, dans ce temps, des chants en rimes latines, que l'on chantait en marchant, dans les processions, et que l'on appela, par ce motif, conductus (2). Avant lui, c'est-à-dire vers la fin du douzième siècle, Hugues Desnoyers, évêque d'Auxerre, s'était exercé à faire et à noter des cantiques, qui peut-être n'étaient que des proses. Parmi ceux qui se distinguèrent par de pareils ouvrages, on cite encore un Berenger élevé à l'abbaye de Saint-Evroul et depuis évêque de Venosa, en Italie; Gui, préchantre au Mans, successeur d'Hildebert dans la chaire épiscopale, et un célèbre Michalus, fort vanté par le docteur Alain, pour avoir corrigé les erreurs de la musique. C'est du moins ce que disent ces deux vers :
Musica laetetur Michalo doctore, suosque Corrigit errores tali dictante magistro.
C'est ici le lieu de dire un mot des auteurs francais de ce temps qui ont fait des traités sur la musique. Le nombre en est peu considérable. Nous ne citerons point Gerlandus, chanoine et recteur de l'école de S. Paul, à Besançon, dont le savant abbé Gerbert a recueilli des fragmens de Musicâ, parce qu'il appartient au douzième siècle (3) ; par une raison contraire, nous ne dirons rien de Jean des Murs (de Muris), auteur de cinq différents traités sur les consonnances, sur les divers genres de chants, enfin, sur la théorie de la musique, et sur plusieurs questions relatives à cet art, qu'on trouve également dans le précieux recueil que nous venons de citer, parce que cet écrivain, qui fut docteur de Sorbonne, paraît avoir fleuri de 1300 à 1370. D'après cela, nous n'avons à nommer que le prêtre francais Elias Salomo, qui a écrit dans le treizième siècle (4) un traité qu'il dédia à Grégoire IX,
(1) Dans plusieurs articles de nos volumes précédents, et surtout dans l'article sur Adam, chanoine de Saint-Victor de Paris (T. XV, p. 40 de l'Histoire littéraire), on trouvera des citations de quelques fragments des proses des douzième et treizième siècles. - - - T
(2) Le Beuf, loc. cit., et Henr. Gaudav. in gloss. Cang., voce uonaiictus.
(3) Gerbert. Scriptores ecclesiastici. Dict. des Musiciens, verb. Gerlandus.
(4) Gerbert. Scriptores ecclesiastici, t. III.
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IV.
Auteurs de Traités sur la Musique.
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et dont le titre est : De Scientiâ artis Musicæ. C'est un traité complet en trente et un chapitres, que Gerbert a publié d'après le manuscrit que l'on avait conservé dans la bibliothèque ambroisienne (i). En parlant de l'auteur, dans un article spécial, nous aurons occasion d'analyser son ouvrage.
Les étrangers peuvent citer bien plus d'auteurs qui, aux mêmes époques, c'est-à-dire sur la fin du douzième et au treizième siècle, écrivaient sur la musique, cherchaient à expliquer les rapports des sons, traçaient les règles du chant et de la composition, Tels sont, parmi beaucoup d'autres : Eberhard de Freising; Marchetto de Padoue, commentateur du livre de Franco, auteur français; Engelbert d'Admont, dans la haute Styrie; Joannes Œgidius Zamorensis, recollet espagnol; Albert le Grand, Hollandais; Jerôme de Moravie, etc. (2).
Après avoir essayé de présenter ici quelques notions sur l'état de la musique d'église, ou sacrée, au treizième siècle, et sur les écrivains qui se sont spécialement occupés de cet art, nous croyons devoir examiner ce qu'était la musique que, par opposition, nous nommons profane; et nous en prendrons occasion de parler des jeux et des spectacles à la même époque.
La langue romane-française étendait de plus en plus son empire en Europe, tandis que la romane-provençale restait pour ainsi dire stationnaire, après avoir brillé quelque temps dans le Midi, même en Espagne et surtout en Italie. Les trouvères arrachaient aux troubadours la suprématie littéraire.
Leurs compositions étaient lues, répétées, non seulement dans les nombreuses provinces de France situées au nord de la Loire, mais en Angleterre, dans l'Italie méridionale, où elles avaient été portées, avec la langue française, par les Normands, et dans tout le Levant, où les croisés avaient rendu cette langue familière, et où, bien qu'elle ait subi de grandes altérations, elle est encore la langue dont on se sert dans les relations commerciales (3).
Quelques auteurs ont fait une observation qui paraît assez juste (4) : c'est que les Provençaux, quoiqu'ils passent pour être doués d'une imagination brillante, n'ont point mis dans
(1) Gerbert. Scriptores ecclesiastici, t. III.
(2) Id., ibid.
(3) Le Grand d'Aussy, Fabliaux, t. I, préface.
(4) Roquef., de la Poésie française dans les douzième et treizième siècles.
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V.
Musique profane.
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leurs productions littéraires autant d'originalité et de variété que les Français des pays septentrionaux. A peine cite-t-on quelques fabliaux ou contes faits par les troubadours, tandis que les Normands, les Picards, les Flamands, etc., ont composé une foule de grands romans en vers ou poèmes, qui, manuscrits ou imprimés, sont encore aujourd'hui une partie notable des grandes collections de livres (1). Ils l'emportèrent aussi dans la poésie lyrique. Leurs chansons de toute espèce, ou guerrières ou amoureuses ou badines, offrent bien plus d'intérêt, d'esprit, de délicatesse même, que ces chants provençaux où l'on ne trouve que des plaintes d'amour, ou des descriptions du printemps et de la campagne, répétées jusqu'à satiété.
Ce fut au treizième siècle que l'art de la chanson fut cultivé avec le plus de succès, par une multitude de poètes. Il nous reste un grand nombre de ces chants, et dans plusieurs genres.
D'abord des Lais, qui ne sont souvent que des fabliaux, mais dans lesquels le sujet était un peu plus noble, et où les faits étaient poétiquement racontés, comme on peut s'en convaincre en jettant les yeux sur les lais de Marie de France.
Tous, il est vrai, ne sont pas divisés par strophes, et l'on ne conçoit pas trop comment ils pouvaient être chantés sur un même air. Il faut supposer qu'on les déclamait, en faisant sentir fortement la mesure des vers, usage que nos ayeux avaient peut-être reçu des Romains leurs conquérans, et conservé jusqu'alors. Cette déclamation accentuée devait avoir quelque ressemblance avec le récitatif de nos grands opéras.
Les chansons de Gestes ou militaires sont certainement les plus anciennes. Elles formaient autrefois les annales de la nation, et l'on regrette encore la perte du précieux recueil qui en avait été fait par les ordres de Charlemagne. Nous n'avons même plus, ou du moins on n'a point encore retrouvé la chanson si long-temps célèbre de Roland, que répétaient les soldats français en marchant au combat. Bien que la plupart des actions guerrières inspirassent à nos poètes des chants ou héroïques ou satiriques, qui restaient dans la mémoire du peuple et dans toutes les bouches, il ne nous est parvenu presque aucun monument de ce genre : on ne trouve que des fragmens de ces espèces de chansons dans les romans et dans les vieilles chroniques.
Il n'en est pas de même des chansons amoureuses et ba-
(i) Le Grand, Fabliaux, t. I, préface.
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Chansons des Trouvères.
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dines, des Rotruenges (chansons pour la vielle), des Sirventes, des Jeux-partis, etc. Nos manuscrits en sont pleins; et la bibliothèque du Roi possède un très beau manuscrit qui en contient lui seul plus de trois cent quarante de près de soixante auteurs presque tous du treizième siècle, ainsi que des pastourelles, remarquables par la naïveté et quelquefois la grâce des idées.
Ces petites compositions offrent souvent une coupe de vers très-favorable à la musique. Les poètes avaient senti que dans une langue où les syllabes des mots n'ont presque jamais une quantité bien déterminée, il fallait y suppléer en employant avec art des vers de différentes mesures. En cela, au reste, ils imitaient, comme l'avaient fait les troubadours, le premier des lyriques latins, qui, à l'avantage de composer dans une langue dont les mots avaient une cadence bien marquée, avait encore voulu joindre celui d'entremêler dans ses strophes des vers de divers rhythmes, pour augmenter l'harmonie de chaque strophe. Au reste, les premiers compositeurs de nos chants d'église avaient employé les mêmes moyens, avant nos chansonniers.
Les refrains étaient aussi fort en usage dans les chansons des douzième et treizième siècles, et souvent ils sont assez heureusement amenés. Mais il en est qui n'ont pour nous aucun sens, et dont l'étymologie, s'il y en a, ne peut pas plus se trouver que celle de nos refrains populaires, ô gué, lanla ire, etc. Tel n'est pas le refrain de cette jolie chanson répétée par divers auteurs, et qui commence par ce couplet : Hé ! aloëte,
Joliete, Petit t'est de mes maux.
S'amor venist à plésir Que me vousissent sésir De la blondette Saverousete, J'en féusse plus baus.
Hé! aloëte, etc.
La musique de presque toutes les chansons du manuscrit de la bibliothèque du Roi, que j'ai désigné plus haut, est écrite en notes quarrées, sur quatre et quelquefois sur cinq lignes tracées en encre rouge. Le premier couplet seul est noté. Il est aujourd'hui à peu près impossible de retrouver le véritable mouvement de ces airs; mais la modulation, qui
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rappelle toujours un peu celle des chants d'église, n'a rien de bizarre ni d'âpre. Et plusieurs airs qu'on chante encore dans les provinces de France, surtout dans les campagnes, en sont évidemment dérivés, si ce ne sont pas exactement les mêmes.
Il est remarquable qu'on ne trouve point de chansons où l'on célèbre la bonne chère et le vin. Nos aïeux cependant aimaient les plaisirs de la table; et c'était même au milieu de la joie des festins que les ménestriers recitaient des fabliaux, ou chantaient des complaintes d'amour, des pastourelles, ou des chansons badines et souvent licencieuses. L'amour, la galanterie étaient presque les seuls sujets de leurs chants (1). Mais les plus graves personnages, des ecclésiastiques, des évêques même, et de hauts seigneurs, composaient souvent des chansons érotiques, sans croire déroger soit à leur caractère, soit à leur dignité. Dans le douzième siècle, saint Bernard , dans sa jeunesse, il est vrai, en avait fait un assez grand nombre; celles d'Abélard furent long-temps chantées par toute la France; le fameux Pierre de Blois avoue lui-même que ce fut un de ses premiers passe-temps; enfin, dans le treizième siècle, le célèbre Thibaud, comte de Champagne, s'adonna à ce genre de poésie avec autant de talent que de succès, et nous possédons encore ses productions. Au nom de Thibaud, il faut joindre ceux d'un grand nombre d'auteurs de chansons, non moins illustres : le duc de Brabant; Pierre Mauclerc, duc de Bretagne; le comte d'Anjou, frère de saint Louis; le vidame de Chartres, Gaus Brulez; Hugues de Bersy; Adam de la Hale; Robert de Marberoles, etc. Le goût des chansons était si répandu alors, qu'en Normandie, pendant les longues processions, et tandis que le clergé reprenait haleine, les femmes en chantaient de badines, nugaces cantilenas (2). Une chose encore digne d'attention, c'est que les seigneurs, qui semblaient tellement se plaire à composer des chansons amoureuses et badines, ne cultivèrent point le genre du fabliau. L'étendue ordinaire de ces sortes de compositions effrayait-elle leur paresse ? ou regardaient-ils comme indigne d'eux de traiter des sujets dont la plupart, il est vrai, avaient quelque chose de bas et de licencieux?
et cependant, ils les entendaient réciter sans scrupule, dans leurs châteaux, à leurs tables, dans leurs fêtes, au milieu
(1) Le Grand, Fabliaux, dans la préface, p. xv.
(2) Id., ibid.
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Auteurs de Chansons.
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de leurs familles : ils en récompensaient splendidement les auteurs par de riches dons, et souvent se dépouillaient J en leur faveur, de leurs plus belles robes.
Les auteurs qui composaient les contes et les chansons s'appelèrent d'abord trouverres ; ils faisaient débiter ou chanter leurs productions par des chanterres ou menestriers.
Mais ces derniers étaient aussi quelquefois poètes et chanteurs : ils formèrent des compagnies ou troupes qui, sous les ordres d'un chef (menestrel), voyageaient, récitant eux-mêmes les fabliaux ou contes qu'ils avaient composés, et chantaient, en s'accompagnant de quelque instrument, et le plus souvent de la vielle ou du violon, des chansons dont ils avaient fait les paroles et les airs (i). En effet, les chansonniers de ce temps composaient eux-mêmes la musique de leurs vers; et c'est sans doute du comte de Champagne que sont les airs des chansons que nous avons de lui. Guillaume de Machault, qui naquit vers la fin du même siècle, mais qui ne fleurit que dans le quatorzième, nous a également laissé un trèsgros recueil de ses chansons, motets, ballades, rondeaux, etc., avec leur musique faite par lui-même; et c'est dans ce recueil que l'on peut s'assurer des progrès très notables que fit l'art du contre-point pendant le cours du treizième siècle.
Ces ménestriers d'abord recherchés, estimés, fêtés partout où ils se montraient, tombèrent bientôt dans le discrédit, lorsque leur nombre se fut accru au delà de tout ce qu'on peut imaginer. La menestrie ou menestrandie ne fut plus exercée que par des hommes sans dignité et sans mœurs., qui, réunis en troupes, allaient chantant non seulement dans les châteaux, mais sur les places publiques des villes. Leur peu de délicatesse, leur insolence, les rendaient dangereux dans les lieux qu'ils parcouraient. Leur avidité était aussi sans bornes : nous en avons la preuve dans une des chansons qui nous sont parvenues du fameux menestrier Colin-Muset.
Il s'y plaint amèrement d'un comte qui ne lui a rien donné, ni acquitté ses gages, quoiqu'il ait viélé devant lui en son ostel (2). Oui, lui dit-il : M'ausmonière (ma bourse) est mal garnie Et ma male mal farsie.
Et, à cette époque cependant, les ménestriers n'avaient point
(1) Roquef., de la Poésie française aux douzième et treizième siècles.
(2) Manuscrit no du fond Cangé, fol. 129, v° L'air y est noté.
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Décadence de la classe des Trouvères, Mén es triers, etc.
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encore atteint le dernier degré d'avilissement où, depuis, on les vit descendre.
Lorsque, pour plaire à la dernière populace, ils se furent associés à ces troupes de jongleurs qui conduisaient avec eux des singes et autres animaux; qui faisaient des exercices, des tours d'adresse, des jeux de gobelets, et exécutaient des farces grossières, le nom de ménestrier devint presque un opprobre, et l'on prit contre eux des mesures de rigueur.
Philippe-Auguste fut obligé de les chasser du royaume; mais ils y rentrèrent bientôt après, plus nombreux que jamais ils ne l'avaient été (i).
Ce n'était pas seulement la France que parcouraient ces bandes de ménestriers et de jongleurs; ils descendaient en Italie, où, comme nous l'avons observé, notre langue était bien connue. Muratori (2) rapporte un réglement des officiers municipaux de Bologne, en date de 1288, qui défend aux chanteurs français de s'arrêter dans les places publiques; ce qui prouve à la fois que si la police croyait devoir sévir contre ces troupes de ménestriers et de jongleurs français, notre langue, notre poésie, notre musique, jouissaient en Italie d'une grande réputation, et que nous étions alors pour eux ce que, trois ou quatre siècle après, ils sont devenus pour nous.
C'est ici le lieu d'examiner quels étaient et les noms et les formes des divers instrumens de musique en usage dans le treizième siècle, et dont se servaient pour exécuter leurs productions ces bandes de poètes et de ménestriers ambulans.
On est étonné du grand nombre d'instrumens dont on trouve à chaque instant les noms dans les romans, les chansons, les ouvrages de toute espèce dans ces temps-là; et c'est souvent avec assez de peine qu'on en veut donner l'explication et la description, parce qu'en effet ou ces instrumens ne sont plus d'usage, ou ils ont changé presque entièrement de forme et de dénomination. Plusieurs auteurs ont commis, à ce sujet, de nombreuses erreurs, et entre autres Terrasson, qui, dans une longue dissertation sur la vielle, a perdu beaucoup d'érudition à vouloir prouver un fait absolument faux, que cet
(1) Nous devons remarquer ici que ce fait, rapporté par plusieurs auteurs modernes, ne nous paraît pas bien prouvé. Rigord dit bien que PhilippeAuguste ne donnait point aux jongleurs de robes, etc., mais non qu'il les ait chassés de ses Etats.
(2) Antich. Ital. t. II, ch. xxix, p. 16.
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VI.
Instrumens de Musique.
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instrument était absolument le même que celui qui est encore connu aujourd'hui sous le même nom. Il a été, au contraire, bien démontré que la vielle, instrument que l'on ne nomme guère dans les fabliaux sans parler de son arçon ou archet, était notre violon, et qu'au contraire la vielle s'appelait alors rote (i) Au reste, on a extrait des ouvrages de Guillaume de Machault, dont nous avons parlé, un morceau curieux en vers, où la plupart des instrumens de musique, en usage de son temps, sont désignés par leurs noms. Nous rapporterons ce passage en note, en expliquant les noms de ces anciens instrumens, qu'on pourrait bien ne pas reconnaître, parce qu'ils diffèrent de ceux par lesquels on les qualifie aujourd'hui ; nous indiquerons aussi quels sont ceux qu'on ne connaît plus (2), Par tout ce qui a précédé, on a pu voir de quelle impor-
(1) Roquef., de la Poésie française aux douzième et treizième siècles, p. 107.-
(2) Le morceau suivant est tiré de la pièce de Guillaume de Machault, intitulée Le Temps Pastour, et se trouve au chapitre, Comment li amant fut au dîner de sa dame.
Mais qui véist après mangier Venir menestreux sans dangier (difficulté), Pignez et mis en pure corps.
Là furent meints divers accors, Car je vis là tout en un cerne (cercle), Viole (1), rubebe (2), guiterne (3), L'enmorache, le micamon (4), Citole (5) et le psalterion (6); Harpes (7), tabours (8), trompes (9), nacaires (10), Orgues (11), cornes (12) plus dé dix paires,
(1) Viole ou vièle était le violon de nos jours.
(2) Rubebe, rubelle, rebelle, rebec, sorte de violon champêtre qui rendait un son aigre.
(3) Guiterne, guitarne, guistarme, la guitare, la cithara des Latins.
(4) L'enmorache et micamon. On ne sait ce que c'est que ces deux instrumens.
(5) C'était un instrument à cordes; mais tout ce qu'on en sait, c'est que le son en était trèsdoux.
(6) Psalrerion, qu'on appelait aussi psaltère, salteire, accompagnait la voix. Il paraît que c'est l'instrument que l'on connaît encore sous le même nom.
(7) La harpe avait alors la forme d'un delta majuscule, C'était un instrument fort en usage, et très-estimé.
(8) Tambours.
(9) Longues trompettes.
(10) Il paraît que c'était de petites timbales dont le nom et l'usage étaient venus d'Orient,
(11) Les orgues étaient alors portatives. D'une main on faisait aller le soumet, tandis que de l'autre on exécutait. - - 1..
(12) Il y avait plusieurs espèces de cornes ou de cors: les unes, faites de cornes d'animaux ; les autres, de métal. On s'en servait dans les églises, dans les armées, dans les montagnes, pour s'appeler, etc.
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VII.
Caractère des compositions musicales.
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tance était la musique, tant vocale qu'instrumentale, non seulement dans les cérémonies religieuses, mais dans les fêtes publiques et particulières. Il est vrai qu'il y avait alors, entre ces cérémonies et ces fêtes, des rapports singuliers.
Dans les réjouissances du peuple, comme au milieu des fêtes de famille, l'esprit de dévotion dominait; et là, comme dans les églises, le Christ, la Vierge, les saints, étaient toujours les objets de toutes les pensées, de tous les discours : ce qui n'empêchait point qu'on ne s'y livrât à des amusemens qu'aujourd'hui nous taxerions au moins d'indécens. Nous trouvons aussi très-scandaleux ce mélange du sacré et du profane.
Mais la religion saisissait, pour ainsi dire, les hommes à leur
Cornemuses (13), flajos (14) et chevrettes (15), Douceines (16), simbales (17), clochettes (18), Tymbre (19), la flauste brehaingne (20), Et le grand cornet d'Allemaigne (21), Flajos de Saus (22), fistule (23), pipe (24), Muse d'Aussay (25), trompe petite (26), Buisine (27), èles (28), monocorde (29) Où il n'a qu'une seule cuorde, Et muse de blet (3o), tout ensemble; Et certaindment il me samble Qu'oncques mais téle mélodie Ne fut oncques véue ne oye, Car chacun d'eus, selon l'acort, Viole (*), guiterne, citole, Harpe, trompe, corne, flajole, Pipe, souflle, muse, naquaire, Taboure et quanque on puet faire, De dois, de pennes et de l'archet, Ois et vis en ce parchet.
(13) Instrument encore en usage.
(14) Flageolet.
(15)-Espèce de musette. Dans quelques provinces de France, on la nomme encore chevre.
(16) Les uns croient que la douceine ou douane était une espèce de vielle ; d'autres, que c'était une flûte à bec.
(17) Cymbales.
(18) Sorte de carillon composé de petites sonnettes qu'on frappait avec un marteau.
(19 Sorte de tambour.
(20) C'était probablement une flûte champêtre.
(21) Instrument inconnu. C'était peut-être une longue trompette.
(22) Flûte ou flagolet de saule.
(23) Flûte, du latin fistula.
(24) Sorte de grand chalumeau.
(25) Musette qui, d'après son nom d'Aussay, paraîtraitavoir été particulière a l'Alsace.
(26) Trompette plus petite que celle qui a été désignée plus haut. 1
(27) Ou bucciue. Il paraît que c était un instrument à vent ; mais on en ignore la forme.
(28) Instrument inconnu, Son nom èles (aile) ferait croire que c'était l'instrument champêtre qu'on voit quelquefois dans les mains du dieu Pan.
(2q) Instrument dont le nom indique le genre.
(30) Espèce de musette, aujourd'hui inconnue,
( * ) C'est-à-dire, joue de la viole, de la guitare, etc.
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naissance, pour ne les plus quitter pendant leur vie entière.
Elle façonnait leur caractère, ne leur permettait d'autres opinions que celles qu'elle avait approuvées ; elle les dirigeait dans toutes leurs actions, intervenait dans toutes leurs entreprises ; elle exerçait sur eux le même empire que le mahométisme sur ceux qui croient au Prophète. Les plus minutieuses fonctions de la vie ne s'exécutaient point sans être précédées de prières, ou de quelques formalités qui tenaient plus à la superstition qu'à une dévotion louable.
C'est presque encore une question non résolue, que celle de savoir, si parmi les amusemens de nos pères au treizième siècle, il faut compter les jeux du théâtre. Jusqu'à présent, on s'est assez généralement accordé à ne faire remonter l'origine du théâtre français, qu'à l'époque où l'on ne peut douter de la représentation, sur des théâtres, de ces pièces appellées mystères, c'est-à-dire au quinzième siècle. Mais cette opinion nous semble détruite, et par le raisonnement, et mieux encore par quelques monumens qui sont parvenus jusqu'à nous.
D'abord, il est incontestable que les hommes instruits, surtout dans le clergé, qui pouvaient lire et entendre les tragédies et les comédies qui nous restent des Grecs et des Latins, s'exerçaient à composer des pièces du même genre.
On a vu dans le précédent volume de cette histoire, que le frère du célèbre archidiacre de Bath, Guillaume de Blois, avait composé des pièces dramatiques, et, entre autres, une tragédie de Marco et Flaura, et une comédie d'Adda, dont nous devons regretter la perte. D'un côté, il n'est pas moins certain que l'on composait des pièces de théâtre en vers latins rimés, puisque, suivant l'observation du savant Le Beuf, on en trouve encore un grand nombre dans les manuscrits des principales bibliothèques. Il en cite même une où « Virgile se trouve associé aux prophètes qui vien- « nent à l'adoration du Messie nouveau-né, et mêle sa voix « à la leur pour chanter un long benedicamus rimé, par « lequel finit la pièce (i). »
Nos prédécesseurs dans la rédaction de cet ouvrage ont observé qu'ils n'avaient point trouvé de preuves authentiques qu'on eût jamais représenté ces pièces rimées. Sans doute elles n'étaient pas jouées sur des théâtres publics, de-
(1) Dissert., t. II, p. 62.
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Jeux scéniques.
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vant une populace qui n'eût pas compris la langue dans laquelle on les avait écrites; mais il est vraisemblable qu'elles l'étaient dans l'intérieur des abbayes et des couvens et que des moines étaient les acteurs. Cet usage de jouer des pièces de théâtre dans les établissemens religieux, ou d'instruction, s'est conservé jusqu'à nos jours.
Mais le peuple avait d'autres spectacles dramatiques, plus conformes à ses mœurs : on lui donnait des représentations de pièces, ou plutôt de farces écrites dans la langue vulgaire. Le sujet de ces pièces était le plus souvent des miracles; quelquefois c'étaient des scènes de la vie privée. Elles avaient le nom de Jeux; les personnages s'exprimaient tantôt en vers, tantôt en prose, et enfin ils chantaient, avec accompagnement d'instrumens de musique, des chansons divisées par couplets, ; quelquefois dialoguées : presque toujours le spectacle finissait par un chœur général. Dans les pièces de ce genre que nous possédons, il n'y a aucune division d'actes ni de scènes; mais dans les manuscrits, les noms des personnages sont ordinairement en encre rouge et hors ligne. Lorsqu'il s'agit de vers ou de chant, on lit en encre de la même couleur ces mots, or cantent ; et lorsque le récit et la déclamation recommencent, or dient et fabloient.
Il serait sans doute à propos d'examiner plusieurs de ces jeux, ce qui nous servirait à prouver qu'ils étaient bien réellement représentés par différens acteurs, sur des théâtres; mais nous aurons occasion d'en parler avec plus de détail, qu'il ne nous serait possible de le faire ici, lorsque nous nous occuperons de leurs auteurs. Cependant, il est un de ces jeux qui, dès à présent, réclame notre attention.
On le trouve dans le manuscrit La Vallière, acquis par la bibliothèque du Roi, n° 2736, qui renferme quatre pièces de théâtre, savoir : le jeu du Pélerin, dont nous allons parler; le jeu de Robin et Marion, espèce de pastorale; le jeu d'Adam, et enfin le jeu de Saint-Nicolas. Deux des trois premières pièces sont attribuées au trouvère Adam de la Hale, surnommé le Bossu d'Arras; et la dernière à Jehan Bodel, aussi d'Arras.
Ce jeu du Pèlerin paraît n'être qu'un prologue, ou plutôt une espèce de parade pour amasser le public. Dans la miniature, ou vignette placée en tête, on voit un pélerin qui, debout et hors du cadre de la miniature, harangue nombre de personnes assises devant lui. La pièce, qui paraît avoir été
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jouée d'abord dans la ville d'Arras, est écrite en vers de douze syllabes. Voici les noms des interlocuteurs : Le Pélerin, Le Villain, Guiot, Rigaud et Warnier. Le pélerin raconte ses voyages en Terre de Labour, en Toskane, en Sezile, etc.
Il parle ensuite avec honneur du poète Adam dit Le Bossu d'Arras, qui venait de mourir. Il est interrompu par un interlocuteur (Warnier); mais Rogans ou Rigaud lui impose silence en ces mots : Taisiez-vous, Varnier, il parole De maistre Adam le clerc d'onneur, Le joli, le largue donneur, Qui ert de toutes vertus plains, Car mainte bele grace avoit Et surtout biau diter savoit Et s'éstoit par fais enchanter.
Savoit canchons faire Partureset motès entés, De che fist il a grant plentés Et balades, je ne sais quantes.
Alors Rigaud le prie d'essayer quelques-unes de ces chansons d'Adam, ce que fait Warnier; et ils quittent la scène pour aller au cabaret. Puis vient aussitôt le joli jeu de Robin et de Marion, qui est bien d'Adam de la Hale : le jeu du Pélerin n'en était, comme on le voit, que le prologue, et ne peut être de ce poète, puisqu'on y exprime des regrets sur sa mort. Dans le jeu de Robin, qui est imprimé, en partie, dans le recueil de Le Grand d'Aussy, on remarque un dialogue vif et gracieux, sinon de l'intérêt. Une jeune pastourelle préfère son amant à un chevalier qui lui fait les plus brillantes promesses : c'est à peu près là tout le sujet. La pièce est parsemée de chansons ; elle est entièrement du genre de celles que l'on appelle aujourd'hui vaudevilles. Il est donc bien difficile de croire qu'elle n'ait pas été destinée à être jouée par des acteurs sur un théâtre.
Convenons qu'on ne trouve dans les auteurs aucun détail sur les théâtres à cette époque, sur les décorations qu'on y employait, sur le talent plus ou moins grand des acteurs, etc.
Mais d'abord il est à croire que c'étaient les auteurs euxmêmes qui, à la tête des ménestriers, leurs confrères, jouaient ces pièces; qu'ils ne les jouaient que devant les personnes qui les appelaient à quelque fête; que l'on s'occupait alors très-peu de ces représentations scéniques, dont
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on ne jouissait qu'à des époques indéterminées. Les spectacles, les jeux de la scène n'étaient pas, comme aujourd'hui, une partie importante de nos plaisirs et de notre littérature.
Ceci semble expliquer le silence que les auteurs ont gardé sur ces représentations.
Quoi qu'il en soit, un écrivain qui s'est beaucoup occupé de recherches sur notre ancienne littérature, ainsi que sur les mœurs et occupations de nos pères, Le Grand d'Aussy, tout en affirmant que dès le douzième siècle nous avions des drames, et même des drames de plus d'un genre (1), se fait à lui-même des questions qui lui paraissent très-difficiles à résoudre. Voici les principales : Les villes n'ayant point, comme aujourd'hui, de spectacles réglés, quand se représentaient les jeux ?
Nous répondrons qu'ils se représentaient probablement le dimanche, à l'issue des offices. Nous voyons, en effet, dans Mathieu Pâris, que tel était l'usage, du moins en Angleterre (2) ; qu'on jouait alors des miracles, et que les acteurs empruntaient les ornemens de l'église pour décorer leur théâtre.
Les acteurs avaient-ils un théâtre, des décorations ?
L'observation précédente répond en partie à cette question. Ajoutons que, lorsque les troupes de ménétriers et d'acteurs jouaient chez des princes ou des grands seigneurs, elles y transportaient, sans doute, tout ce qu'il leur fallait pour construire à la hâte un théâtre; qu'elles avaient leurs décorations, leurs costumes. Il faut bien que l'art des décorateurs ne fût pas ignoré, puisque peu de temps après, c'est-à-dire, au commencement du quatorzième siècle, nous voyons que l'on exécute dans les cours et au milieu des banquets les plus splendides de grandes pantomimes historiques, sous le nom d'entremets. Ce genre de spectacle, fort dispendieux, a été en vogue pendant plusieurs siècles.
Il se présente, sans doute, ici plusieurs difficultés de détails, que nous ne nous flattons pas d'aplanir. Par exemple, étaient-ce des actrices qui faisaient les rôles de femmes, ou des hommes habillés en femmes, comme encore aujourd'hui en Italie? Dans l'exécution des grandes pantomimes, se servait-on de machines? etc., etc. Nous avouons que,
(I) Fabliaux, t. I, p. 358.
(2) Matth. Pâris, in Vitâ sancti Albani.
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sur tout cela, nous n'avons pu jusqu'à présent nous faire une opinion.
Mais qu'un théâtre français existât déjà au treizième siècle, et sans doute long-temps auparavant, ou, du moins, que l'on représentât, en diverses circonstances, des pièces quelconques, tantôt en plein air, tantôt dans l'intérieur des couvens et des châteaux, c'est ce qui nous paraît incontestable; et c'est ce que nous nous étions proposé de démontrer.
ARTS DU DESSIN.
De tous les arts compris sous la dénomination générale de beaux-arts, les arts du dessin sont ceux qui laissent des monumens de l'état de la civilisation des peuples, sinon plus durables, du moins d'une interprétation plus facile pour la postérité. Aussi, lorsque nous voulons nous former une idée juste des peuples qui nous ont précédés sur la terre, ce ne sont pas seulement leurs écrits que nous consultons; nous cherchons à les connaître d'une manière moins vague, plus certaine, dans les productions de leurs arts; et voilà pourquoi l'histoire de l'architecture, de la sculpture et de la peinture chez tels ou tels peuples, doit toujours faire partie de leur histoire littéraire, et souvent même de leur histoire politique. C'est ce qu'avaient bien senti nos devanciers dans la rédaction de cet ouvrage : ils ont toujours eu soin de suivre les progrès des arts du dessin, dans chacun des siècles qu'ils ont parcourus.
Mais, soit que cette partie de leur tâche leur parût aride ou peu intéressante; soit que leur goût ou les circonstances les eussent détournés d'une pareille étude, ils se sont contentés d'offrir, sur ce sujet, aux lecteurs quelques observations rapides. Nous croyons devoir approfondir un peu plus la matière; et cela avec d'autant plus de raison que, dans le treizième siècle, les arts du dessin, tout imparfaits qu'on les suppose, ont laissé sinon des chefs-d'œuvre, du moins de nombreuses et d'étonnantes productions; qu'on les y voit régis, non-seulement pendant ce siècle, mais dans le cours des deux siècles suivans, par les mêmes principes, le même goût. Il est certain en effet qu'ils n'éprouvèrent une révolution très-sensible que sous le règne de François Ier.
ARCHITECTURE.
Ce fut dans le treizième siècle que l'architecture si improprement appelée gothique brilla de son plus grand éclat.
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I.
De l'Architecture prétendue gothique.
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Jamais on ne bâtit plus d'églises, et on ne les décora avec plus de magnificence. Pendant tout le onzième siècle, on avait peu songé à élever des temples : toute l'Europe attendait, dans la stupeur, la fin du monde très-clairement annoncée pour cette époque (du moins on le croyait ainsi) dans le livre de l'Apocalypse, et même dans les Evangiles.
Au douzième siècle, les esprits commencèrent à se rassurer : mais le clergé n'en exerça pas moins d'empire sur les consciences ; il était immensément riche, et des domaines qu'on lui avait légués dans le temps où l'on croyait imminente la ruine du monde, et des dons que l'on continua de lui faire, lorsque la reconnaissance eut succédé à la crainte. Il employa ses trésors, dont la source paraissait intarissable, à embellir et agrandir les monastères, à en fonder de nouveaux, mais surtout à ériger, dans toutes les contrées de la France, de superbes basiliques. Cette mangificence des temples, l'éclat des cérémonies qui s'y pratiquaient, étaient d'ailleurs des moyens très-propres à redoubler la ferveur des fidèles, en qui ces grands et imposants spectacles ne cessaient d'exciter de fortes émotions. Aussi verrons-nous, pendant tout ce siècle, les rois, les seigneurs se montrer prodigues envers le clergé, et s'armer pour défendre ses prétentions, lorsqu'une secte (les Albigeois), révoltée de son luxe et de sa corruption, osa lui adresser des reproches, et voulut se soustraire à sa domination.
Les églises nombreuses que, dans les douzième et treizième siècles, plus qu'en tout autre temps, on vit s'élever de toutes parts, en France, en Allemagne, en Angleterre, sont de ce genre singulier d'architecture qu'on est convenu d'appeler gothique, genre tant décrié par les uns, et vanté à l'excès par des artistes de notre temps même.
On n'est pas d'accord sur l'époque où s'introduisit, en Europe, ce système de construction : on ne sait pas même à quel pays, à quel peuple il faut attribuer ou l'honneur ou la honte de son invention. Des observations sur la controverse que cette question a fait naître, l'examen rapide des principales opinions qui ont été publiées à ce sujet dans presque toutes les langues de l'Europe, sans qu'on puisse dire qu'aucune ait jusqu'à présent prévalu, nous semblent mériter de trouver place dans un ouvrage où notre principal objet est d'explorer, pour ainsi dire, la marche de l'esprit humain dans les sciences et les arts aussi bien que
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dans les lettres, de faire à chaque siècle sa part de gloire ou de mépris.
Parmi les auteurs qui ont écrit sur ce genre assez bizarre d'architecture, il en est qui y trouvent deux styles bien distincts, dont ils croient découvrir des exemples dans des monumens élevés à des époques séparées entre elles par cinq à six siècles. Suivant eux, le plus ancien style gothique n'est qu'une dégénération du style de l'architecture grecque et romaine (i). Aux temps du Bas-Empire, on avait oublié les règles de Vitruve; on négligeait l'unité, la symétrie, l'accord et la proportion dans les parties. Le mal alla toujours croissant. Les artistes crurent se distinguer en faisant porter d'énormes masses sur de sveltes colonnes; ils surchargèrent les murs de leurs édifices d'images bizarres, fantastiques. Ils songèrent plus à étonner les yeux qu'à satisfaire la raison.
C'est la seconde période du style gothique (2).
On objecte, avec assez de raison, contre ce système qu'il y a des différences si essentielles entre l'architecture des monumens élevés pendant la décadence des arts, et la belle architecture gothique, qui avait nécessairement ses principes, des règles même qui supposent une profonde connaissance des lois de la mécanique, qu'il est presque impossible que l'une soit une dérivation de l'autre. Un auteur anglais, dans ces derniers temps, a même cherché et réussi, on peut le dire, à démontrer que toutes les formes de l'architecture gothique ont été tracées à l'imitation d'un modèle, d'un type original et simple ; qu'elles sont une conséquence d'un système régulier; qu'enfin les inventeurs de ce genre de construction ont été guidés par un principe, et non, comme on l'allègue, par les caprices de leur imagination (3).
Nous ne nous arrêterons pas à réfuter les auteurs qui ont avancé que c'est véritablement à la nation dont elle porte le nom que l'architecture gothique doit son origine. Comment a-t-on pu imaginer que ce ramas de peuples barbares, connus sous le nom de Goths, de Visigoths, etc., qui ignoraient presque entièrement les arts, dont le seul génie était de conquérir et de ravager, aient apporté à l'Italie, qu'ils désolèrent dès le cinquième siècle, un nouveau goût dans l'art
(1) L'abbé May, Temples anciens et modernes, p. 134.
(2) Id., ibid.
(3) James Hall, On the Origin and Principes of gothic Architecture.
Dans les transactions de la Société royale d'Edimbourg, t. IV.
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Origine diverse at- tribuée à l'architecture gothique.
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de construire des temples et des palais? Aujourd'hui il n'est plus permis de croire que de telles hordes demi-sauvages aient été les inventeurs, ou du moins les importateurs dans ces contrées, d'un genre d'architecture qui suppose des connaissances étendues dans les sciences du calcul et dans la mécanique. Tout ce qu'on peut dire en leur faveur, c'est qu'à l'exemple de presque tous les peuples conquérants, les Goths cessèrent de détruire lorsque leur puissance parut solidement fondée; qu'ils employèrent même à des travaux utiles au public les mains et les talens du peuple vaincu.
C'est ainsi que Théodoric, chef des Ostrogoths et roi d'Italie, fit construire, tant à Rome qu'ailleurs, des palais, des bains, des aqueducs (i); mais ces monumens ne furent pas construits, sans doute, par des artistes visigoths. Ce prince employa des artistes italiens, qui travaillèrent dans le goût qui dominait alors en Italie.
Si les Goths n'ont point été les inventeurs de l'architecture gothique, faut-il croire, avec le plus grand nombre des écrivains mordernes (2), que nous la devons aux Maures ou Sarasins? Cette opinion paraît d'abord fondée. Ces peuples ont laissé en Espagne de vastes monumens dont l'architecture paraît avoir, au premier coup d'œil, une certaine ressemblance avec celle que nous appelons gothique. Mais ces rapports ne sont qu'apparens. C'est bien le goût oriental qu'on retrouve dans les monumens des Maures en Espagne; mais ce n'est point là le gothique, dont nous tracerons ailleurs le véritable caractère. Il est vrai que l'on a aussi prétendu que le gothique n'est autre que l'architecture orientale, dont les croisés apportèrent le goût en Europe (3) ; mais, en supposant même- que ces deux genres d'architecture aient entre eux des rapports essentiels, ce qui n'est pas, il paraît peu vraisemblable que des guerriers, tels que les croisés, aient eu le loisir ou la volonté d'étudier, en Orient, les règles d'un art difficile, pour en faire jouir, à leur retour, leurs concitoyens. D'ailleurs une observation bien simple ne permet pas d'admettre cette opinion : il existait depuis longtemps des églises gothiques en Europe, à l'époque de la première croisade. Il est vrai, comme nous l'avons déjà re-
(1) Félibien, ouvr. des archit., p. 144. -
(2) Cordemoi, Dictionnaire des termes d architecture, verb. uotnique.
(3) Lenoir, Musée des monumens français, t. J, p. 00 et suiv.
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marqué, qu'on les vit singulièrement se multiplier dans les douzième et treizième siècles, périodes pendant lesquelles on entreprit tant d'autres croisades, avec un si grand zèle et si peu de succès. Mais certes, ce ne fut pas d'après des plans de mosquées que l'on construisit tous ces édifices.
Il ne nous reste plus à examiner qu'une seule opinion sur l'origine de l'architecture gothique. On a cru voir dans cette multiplicité de colonnes maigres et élancées qui décorent l'intérieur de nos temples gothiques, des arbres tels qu'ils sont dans les forêts; on a même retrouvé dans les voûtes l'image des branches qui s'entrelacent, se croisent en sens divers pour former un berceau. On a conclu que ce genre d'architecture tirait son origine des bois qui avaient été les premiers temples des nations barbares (i). C'est faire remonter bien haut l'origine de cette architecture. Il nous semble que, lorsque les peuples sont assez avancés dans la civilisation pour songer à élever des temples tels que nos vastes églises gothiques, ils ont oublié depuis long-temps leur état sauvage. D'ailleurs, ce fut le midi de l'Europe qui donna à l'occident et au nord des lois et une religion nouvelle; pourquoi aurait-il négligé d'y apporter en même temps ses arts? pourquoi les Gaulois, par exemple, lorsqu'ils adoptèrent la religion chrétienne, auraient-ils été obligés d'aller chercher les modèles de leurs églises dans les bois, où depuis long-temps leurs druides avaient cessé de les réunir? On oublie qu'alors la très-grande majorité de la nation reconnaissait et adorait les dieux des Romains. D'ailleurs, elle avait sous les yeux, dans toutes les contrées des Gaules, des modèles parfaits de monumens de toute espèce : ses vainqueurs avaient élevé presque partout, mais surtout dans les provinces méridionales, des temples, des basiliques, des palais, à l'imitation de ceux dont s'enorgueillisaient Rome et l'Italie.
Voyons maintenant, et puisqu'aucune de ces opinions ne paraît convaincante, s'il ne serait pas possible d'expliquer plus naturellement l'origine de l'architecture gothique, et de trouver même l'époque certaine de son introduction dans le nord de l'Europe.
Pour expliquer le goût et les formes des monumens anciens, il ne faut, le plus souvent, que se rappeler les
(i) Miliza, Principj d'architettura, 1. 1, p. 251.
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Nouvelle hypothèse sur la véritable origine de l'architecture dite gothique.
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besoins, les opinions , les mœurs des peuples qui les ont élevés. Dans la Grèce et dans l'antique Rome, les temples n'avaient point la vaste étendue de nos églises modernes ; ils étaient composés d'un péristyle et de portiques dont on pouvait d'un seul coup d'œil saisir tout l'ensemble. Presque toujours il n'y avait qu'une seule partie (la cella, où était la statue de la divinité) qui fût couverte. C'est qu'alors on priait ou sacrifiait en plein air, sous la voûte du ciel. Les autels étaient disséminés, soit dans l'aire vide formée par les portiques, et dans l'enceinte de laquelle se tenaient les prêtres et les sacrificateurs, soit autour de la cella, et sous ces mêmes portiques. Ces constructions si simples, et dont on a reconnu, avec raison , que la cabane des laboureurs avait été le premier type, suffisaient pour toutes les cérémonies du culte des païens. Si, dans quelques rares occasions, de grandes solennités exigeaient que toute une population se réunît dans un même lieu, la foule occupait le bois sacré qui, pour l'ordinaire, entourait le temple.
Lorsque, des catacombes où elle .s'était long-temps cachée, comme une ennemie des antiques croyances, des mœurs et de l'ordre public, la religion chrétienne s'élança triomphante jusque sur le trône des Césars; lorsque ses nombreux sectateurs ne furent plus obligés de tenir leurs assemblées dans les ténèbres, sous la terre, il fallut songer à leur préparer des lieux de réunion convenables. Les temples anciens n'avaient rien de ce qu'il fallait pour cet objet. Ce fut moins par haine pour le culte auquel ils étaient consacrés, que parce qu'ils auraient été pour eux sans utilité, que les premiers chrétiens dédaignèrent de s'en emparer, et que leurs prêtres et leurs évêques ne vinrent point prendre la place des sacrificateurs qui les desservaient.
Dans la religion chrétienne, dont le principal dogme est l'égalité des hommes, et qui ne reconnaît ni premier ni dernier, les fidèles doivent se réunir en commun, y chanter en chœur des hymnes à la Divinité, y entendre de la bouche des prêtres les préceptes d'une loi commune, y célébrer des mystères, y faire un sacrifice auquel tous doivent prendre une part égale, et même y manger, y boire à la même table sainte; enfin, ils devaient alors y nommer leurs prêtres, leurs évêques, dans les réunions générales des fidèles qui composaient l'Église. Pour de pareilles institutions, pour de telles cérémonies, il fallait de très-vastes édifices. Il n'était
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pas sans doute difficile de trouver dans les villes, ou à peu de distance des villes, une plate-forme très-étendue, de l'entourer d'un mur; mais il était plus difficile de mettre ce lieu à l'abri de la pluie et des rayons du soleil. Dans les premiers temps, on ne songera pas même à construire des voûtes; les règles de l'architecture n'étaient point alors assez oubliées, quoique ce ne soit pas l'opinion commune, pour qu'on entreprît de couvrir d'une voûte en pierres une trop vaste étendue : on en reconnaissait bien l'impossibilité. On fit donc tout ce qu'il était permis de faire : de grands toits en charpente, qu'il fallait seulement soutenir dans l'intérieur par d'énormes piliers. Ces piliers, les temples du paganisme les fournirent aux premières églises; les immenses colonnes de leurs portiques y furent transportées : rangées sur deux files dans l'intérieur, elles y soutinrent les lourdes charpentes, et formèrent au milieu une nef principale, et des deux côtés des nefs plus ou moins étroites. Nous avons encore, dans l'église de Saint-Paul à Rome, un exemple frappant de ces sortes de constructions. Ce n'est, à vrai dire, comme étaient toutes les églises du même temps, qu'une grange, dix fois plus vaste, sans doute, que les plus vastes granges ; mais dont le toit en charpente est soutenu par des colonnes de diverses matières employées autrefois à la décoration des monumens antiques qui n'existent plus.
Les trois autres plus anciennes églises de Rome, celles dont la construction remonte au siècle de Constantin et de ses successeurs immédiats (l'ancienne église de Saint-Pierre, Saint-Jean-de-Latran, Sainte-Marie-Majeure), ressemblaient parfaitement à celle de Saint-Paul : elles avaient aussi la forme d'une croix, n'étaient point voûtées et offraient une nef principale et deux bas-côtés ; le sanctuaire y occupait l'extrémité de la grande nef, le lieu même où dans les basiliques des anciens Romains était placé le tribunal du juge.
Mais si les anciennes églises prirent le nom de basiliques, ce ne fut pas, comme l'a très-bien remarqué l'auteur de l'ouvrage sur les Temples anciens et modernes (i), parce qu'elles avaient été bâties sur les ruines de ces grands édifices publics de l'ancienne Rome, c'est uniquement parce qu'elles avaient avec ces édifices les plus grands rapports de forme. Les chrétiens purent bien disposer des temples païens,, qui étaient devenus inutiles, et se servir de leurs décombres pour élever des églises
(i) L'abbé Le Mai, Temples anciens et modernes, p. 131.
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chrétiennes; mais ils ne détruisirent point les basiliques, lesquelles ont dû exister bien des siècles après l'établissement du culte chrétien, et parce que rien n'y rappelait l'idolâtrie, si ce n'est peut-être les statues qui les décoraient, et surtout parce qu'elles étaient nécessaires dans toutes les villes un peu étendues : c'était là, en effet, que l'on rendait la justice, et que les citoyens se réunissaient pour traiter de leurs affaires.
Les basiliques servirent seulement de type pour la construction des anciennes églises de Rome ; et sur le plan des églises de Rome furent construites toutes celles du monde chrétien.
En Italie et dans l'Orient, elles furent toutes à-peu-près bâties en pierre, en marbre, ornées de colonnes, de mosaïques, de tableaux. Les matériaux ni les artistes ne manquaient pas. Les matériaux, on les trouvait en abondance dans les temples des païens, et souvent aussi dans leurs théâtres, leurs thermes, etc. : car les mœurs, les goûts ayant changé avec la religion, la plupart de ces anciens monumens n'avaient plus d'utilité. Les cirques, seuls continuaient d'avoir une destination, un emploi. Il est remarquable que • de tous les jeux de l'antique Grèce et de l'antique Rome, il ne resta guère, dans la décadence de l'empire romain, que les combats sanguinaires du cirque.
Quant aux artistes, sans doute ils étaient bien déchus de leur ancienne supériorité : il n'y avait plus, dans ces temps demi-barbares, de talents ni de goût ; mais on avait toujours, et en grand nombre, des architectes, des peintres, des sculpteurs. Ils avaient même hérité, de leurs savans prédécesseurs, certaines pratiques et règles dont ils auraient craint de s'écarter. Voilà pourquoi plusieurs édifices de ces temps-là, par exemple, Sainte-Sophie de Constantinople, bâtie sous Justinien; la grande citerne de la même ville, que l'on attribue à Constantin; les anciennes églises de Rome que nous avons citées plus haut, et plusieurs autres édifices encore, offrent, au milieu de grands défauts, des beautés très-remarquables, et sont à-la-fois la preuve et de la supériorité de l'art antique, et de la période de décadence qui déjà commençait, et, peu après, se fit tout autrement apercevoir dans tous les édifices et monumens sans exception.
Le bizarre naît de l'oubli ou de l'ennui du beau. C'est ce qui arriva dans le bas-âge. Vitruve, quoiqu'il fût des beaux temps de l'art antique, se plaignait déjà de ce que les artistes peignissent sur les murs des maisons des ornemens d'architecture sans proportions raisonnables, des figures fantas-
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tiques, etc.; il craignait l'influence de cette mode, l'irruption du faux goût. Mais il ne pouvait prévoir que ces figures bizarres, produites par l'imagination délirante des peintres (i), seraient plus tard, pour les architectes, des modèles; qu'ils en viendraient à dédaigner les sages préceptes des anciens sur la juste proportion à donner aux colonnes et à toutes les parties d'un édifice. C'est cependant ce qui arriva dans l'Orient, mais nullement en Italie, si l'on en excepte les parties les plus voisines de la Grèce. L'architecture, en Orient, sembla n'avoir plus qu'un but dans toutes ses productions, de donner en apparence aux matériaux les plus durs et les plus lourds la légèreté, la délicatesse des objets qui ont le moins de consistance et de dureté. Ce fut alors qu'on vit s'élever ces palais, et depuis, ces mosquées, ces tombeaux, ces minarets, etc., où tout est svelte, élancé, dentelé. Rien de cela n'est sans doute d'un goût pur; mais ce n'est point là le gothique, tel que nous allons bientôt le trouver en d'autres pays. Dans cette architecture qu'on a nommée arabe, sans trop savoir si les Arabes en sont bien les inventeurs, mais que bien certainement les Maures ont introduite dans l'Espagne, les cintres des voûtes, des fenêtres, des portes, se terminent quelquefois par une pointe, mais seulement après avoir décrit une ligne ordinairement trèscourbe. Rien ne ressemble moins aux ogives de nos églises des douzième, treizième et quatorzième siècles; et ces ogives que l'on y retrouve partout, tant dans les voûtes principales du monument que dans les arcs des portes, des fenêtres, même dans les décorations, comme les niches, etc., sont le caractère spécial de l'architecture gothique.
Nous avons dit que dans les contrées où triompha pour la première fois le christianisme, on ne manquait, pour la construction des nouveaux temples à élever, ni de matériaux ni d'artistes. Ce fut tout le contraire dans les pays de l'occident et du nord de l'Europe, qui avaient toujours été moins éclairés, et où le christianisme parvint plus tard. On ne put employer d'autres matériaux pour les constructions de ces vastes églises et basiliques qu'il fallait nécessairement fabriquer à l'instar de celles de Rome, que du bois, fourni, au reste, en abondance, par les immenses forêts qui couvraient toutes ces contrées. Pour artistes, on n'avait que des char-
(i) On trouve sur tous les murs des maisons d'Herculanum et de Pompéia des exemples sans nombre de ces peintures de monumens fantastiques.
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pentiers habitués, il est vrai, depuis long-temps à fabriquer des granges, et dans les villes, de très-grandes maisons, toutes en bois, même des palais.
Ces églises que, dans l'Allemagne et dans les Gaules, il eût été à-peu-près impossible dans ces temps-là de bâtir en pierres, d'orner dans l'intérieur de colonnes, de couvrir d'une voûte, on les construisit toutes en bois. Le portique offrit, comme dans les basiliques de Rome, une grande porte principale, au milieu, et deux portes plus petites des deux côtés de la grande. Ce portail, on le décora successivement de sculptures d'autant plus faciles à exécuter que l'on ne travaillait que sur du bois. Comme il eût été presque impossible de trouver des bois qui eussent naturellement, ou auxquels on eût pu facilement donner une forme arrondie, pour faire les cintres des portes, des croisées, on se contenta de terminer toutes les ouvertures, soit portes ou fenêtres, par des poutres, qui, réunies par le haut, s'écartaient ensuite pour que leurs bouts vinssent poser sur les montants destinés à les soutenir. Au point de réunion de ces poutres, et pour dissimuler l'effet peu agréable que produisait un si grand nombre d'angles plus ou moins aigus, on sculptait ou des fruits ou des fleurs, ou les figures de divers animaux. Dans l'intérieur, il fallut soutenir la charpente du large toit par des piliers de bois très-forts : à la grosseur qu'il eût été nécessaire de donner à ces piliers pour qu'ils pussent supporter une si lourde masse, on suppléa en unissant plusieurs troncs, et en les liant fortement ensemble; mais, comme il n'y avait point d'arbres assez élevés pour arriver jusqu'à la naissance du toit en charpente, il fallait allonger chaque pilier, en mettant les unes sur les autres plusieurs assises, si l'on peut se servir de cette expression, de ces faisceaux d'arbres, et l'on terminait le tout par un large chapiteau, d'où l'on voyait partir comme de longues côtes qui allaient toutes aboutir à la poutre principale du milieu du toit ou berceau. Le lecteur verra bientôt que ces détails ne sont pas aussi superflus qu'il pourrait le croire : il faut toujours se rappeler qu'il s'agit de trouver l'origine du style dit gothique.
Toutes les constructions de l'intérieur de l'église étaient exécutées d'après les mêmes principes, dans le même goût : le jubé, la chaire, lé chœur, l'autel même et le tabernacle. On ne voyait partout qu'arcades aiguës, que piliers composés de bois accouplés; mais partout aussi, et principalement aux
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points d'intersection des angles, une multitude d'ornemens sculptés.
Telles ont été, si nous ne pouvons dire très-certainement (car il ne nous reste pas de monumens authentiques), du moins très-vraisemblablement, les premières églises chrétiennes des Gaules, de l'Angleterre, de l'Allemagne, depuis le quatrième ou le cinquième siècle, jusqu'au onzième. Dans la description que nous avons faite de ces grands monumens, dans lesquels tout était bois, excepté peut-être les murs latéraux peu élevés, qui servaient de soubassement aux constructions supérieures, faites en charpentes; dans cette description, n'a-t-on pas retrouvé le modèle parfait de nos églises gothiques, telles qu'elles existent encore de nos jours? C'est qu'en effet les maçons, qui succédèrent aux charpentiers dans la construction des basiliques ou églises, n'inventèrent rien, ne firent qu'imiter.
La forme du temple était donnée : il fallait suivre celle des premières basiliques de Rome. L'aspect général de cette espèce de forêt de poutres arrondies et très-ornées dans l'intérieur; ces toits élevés sur ces piliers formés de faisceaux d'arbres; cet aspect, disons-nous, devait avoir quelque chose de majestueux, d'imposant. Qu'aurait-on pu imaginer de mieux?
Mais pourquoi abandonna-t-on cet usage où l'on était, depuis si long-temps, de ne construire qu'en bois les plus vastes édifices? et quels ont été, surtout au treizième siècle, les effets de cette espèce de révolution dans l'art, commencée dans le onzième? C'est ce que nous allons examiner.
On sait quels furent les ravages des Normands dans les Gaules, pendant le neuvième siècle. C'était principalement sur les églises que semblait se diriger leur fureur; ils fouillaient les tombeaux qui leur semblaient contenir quelques précieuses dépouilles, enlevaient les reliques ordinairement renfermées dans des boîtes d'or ou d'argent, dans des châsses recouvertes des mêmes métaux, et ils brûlaient ensuite les églises, dont il restait à peine des vestiges après leur excursion : nouvelle preuve qu'à cette époque elles n'étaient point encore construites en pierres. Tous les environs de Paris étaient couverts d'églises de cette espèce ; les Normands n'épargnaient que celles dont on achetait la conservation à prix d'argent. Lorsque, pour la seconde fois, ils se présentèrent devant Paris, après avoir remonté la Seine jusques
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Recherches sur l'époque où les églises des Gaules et de quelques pays au nord de l'Italie furent construites en pierres, et dans le genre dit gothique.
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à cette ville, ils livrèrent aux flammes les temples nombreux qui s'élevaient sur les deux rives, à l'exception de ceux qui sont désignés dans ce passage par l'annaliste de saint Bertin :
Dani Luteciam Parisiorum aggressi, basilicam B. Petri et S. Genovefæ incendunt, et ceteras omnes prceter domum S. Siephani, et ecclesiam S. Vincentii, prceter que ecclesiam S. Dionysii, pro quibus tantummodo ne incenderentur multa
solidorum summa soluta est (1). Il y aurait beaucoup de remarques à faire sur ce passage, qui a déjà été le sujet de plusieurs savantes dissertations- mais ce n'est pas ici le lieu.
Qu'il nous suffise d'observer que l'annaliste emploie dans cette seule phrase trois dénominations pour désigner un temple chrétien, basilica, ensuite domus, et enfin ecclesia.
Ces mots étaient-ils synonymes? Il est difficile de le croire.
L'opinion commune est que l'on appelait basiliques les seules églises fondées par les souverains. Ici, cette opinion est évidemment contredite, car l'auteur dit ecclesiam S. Vincent ii. Or, cette église de Saint-Vincent (nommée depuis XAbbaye de Saint-Germain-des-Prés)3 avait été fondée, dès le milieu du sixième siècle, par le roi Childebert, fils de Clovis (2).
Quoi qu'il en soit, observons en passant que les basiliques ou églises bâties par les rois devaient offrir, et offraient en effet plus de solidité que celles qui s'élevaient aux dépens de leurs sujets. Dans celles-là plusieurs parties, la tour, par exemple, presque toujours placée ou près ou au-dessus même de la porte, était en pierres ; et nous en avons une preuve dans la tour même de Saint-Germain-desPrés, qui, si l'on en excepte la partie supérieure servant de clocher, est évidemment celle qui existait lorsque l'église était sous l'invocation de saint Vincent, et à l'époque des invasions des Normands. Mais les autres temples étaient entièrement en bois; et nous voyons qu'à Paris, dans la Cité même, il y en avait, de petits, il est vrai, qui n'étaient formés que de branches d'arbres. En 586, un incendie qui, au rapport de Grégoire de Tours, dévora la plus grande partie de l'île, respecta une petite église en branches d'arbres,
(1) Annal. Bertin. Sup., p. 71, dans les Hist. de France. Ce passage est aussi cité dans les Nouv. Annal, de Paris, par D. Toussaints, p. 147.
(2) Gesta Reg. Francor., cap. xxvi.
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dédiée à saint Martin, ce qui fut alors regardé comme un miracle (i).
C'est après les invasions des Normands, qui ne laissaient exister des églises que les parties qu'il était impossible au feu de détruire, que l'on songea sérieusement à mettre désormais ces grands monumens à l'abri de pareilles dévastations, en les construisant d'une manière plus solide, et avec des matériaux qui puissent résister aux flammes. Les rois, comme les peuples, disputèrent de zèle en cette occasion.
Telle était alors la piété de notre nation demi-barbare, que l'on croyait effacer les plus grands forfaits par des libéralités excessives envers le clergé, et surtout en multipliant le nombre des édifices où l'on invoquait la Vierge et quelques saints privilégiés.
Bien que l'on eût fini par conclure, au dixième siècle, avec les Normands, une paix que l'on peut appeler honteuse, puisqu'on leur cédait une fertile contrée des Gaules; bien que ces conquérans, autrefois si terribles, parussent avoir adopté quelques principes de civilisation, et qu'après avoir détruit des milliers de temples dans leurs fréquentes incursions, pendant une grande partie du neuvième siècle, ils songeassent à en élever de. magnifiques dans leur Neustrie; les succès mêmes de ces premiers dévastateurs conseillaient de se prémunir contre les entreprises que pourraient tenter quelques autres peuples du Nord. Le Nord n'était point épuisé de peuplades guerrières et incivilisées; et, précisément, parce que, depuis sept à huit siècles au moins, il en était continuellement sorti des hordes nombreuses, qui, sous différens noms, avaient ravagé et envahi l'Itatie, les Espagnes et les Gaules, on devait toujours craindre le retour de pareils fléaux. Dès-lors, ce fut un intérêt puissant, pour une nation religieuse, disons plus, superstitieuse au point de croire que des reliques pouvaient mieux défendre un pays contre une armée, que de bonnes forteresses et de braves soldats; ou plutôt ce fut presque un besoin pour elle de rendre aussi solides que splendides les monumens sur lesquels elle fondait presque exclusivement sa sécurité. Si l'on pouvait douter de l'excès de cet esprit religieux, généralement répandu dans toutes les classes de la nation, de cette confiance exclusive dans les vertus et le pouvoir des saints et de leurs
(1) Greg. Turon., l. vu.
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reliques, nous renverrions aux écrits de notre premier historien, Grégoire de Tours; au poëme barbare du moine de Saint-Germain-des-Prés (Abbon), qui a décrit un des sièges de Paris; aux ordonnances qui émanaient de nos rois de la seconde race; enfin, aux légendes du temps, qui ont du moins l'avantage de retracer fidèlement l'esprit de l'époque où elles ont été écrites. On verra partout,. dans les rois et dans les peuples, la soumission la plus aveugle aux ordres d'un clergé alors tout-puissant; l'injustice et la cruauté s'unissant à la superstition; les événemens les plus naturels transformés en miracles; l'opinion générale que la fondation d'une église, d'une chapelle, l'invocation de certaines reliques, des dons faits à un monastère, non-seulement effaçaient les péchés, mais assuraient le succès de toutes les entreprises, mettaient à l'abri de tous le dangers, de toutes les infortunes, et souvent même favorisaient le succès des projets les plus criminels.
Ce ne furent pas là les seules causes de l'excessive multiplication des églises, et de la magnificence que l'on crut devoir mettre dans la construction de ces monumens. Malgré la tyrannie des seigneurs, malgré l'état de servitude d'une grande partie de la nation, malgré enfin les abus que les ministres du culte faisaient de leur pouvoir, quelques lueurs de civilisation commençaient à percer. Le commerce, qui, en parvenant quelquefois à rompre ou à éluder les entraves dont l'enchaînait la féodalité, n'avait cessé d'établir quelques communications entre toutes les contrées des Gaules; le commerce, sans être prospère, enrichissait un assez grand nombre de particuliers.
Les communes étaient moins dépendantes; elles achetaient quelques droits de leurs seigneurs. Les nombreux vassaux des - gens d'église vivaient d'ailleurs dans une espèce de sécurité, parce que les propriétés du clergé étaient plus respectées que les autres. Il y avait donc, du moins dans les villes, un peu plus d'aisance et de sûreté. L'heureuse usurpation de Hugues Capet avait encore, à la fin du dixième siècle, contribué à amener cet état de choses. Les premiers rois de la troisième race sentirent le besoin de se. faire un appui des communes contre les autres comtes et seigneurs jaloux du pouvoir qu'ils s'étaient arrogé : ils cédèrent aux communes, ou plutôt leur vendirent plusieurs droits importans; et enfin, au commencement du douzième siècle, Louis-le-Gros prononça leur affranchissement. Dès-lors les villes se peuplèrent,
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s'agrandirent; le peuple s'enrichit, les villages se multiplièrent; tout sembla prendre une autre vie. Ce fut alors que l'on commença à élever des monumens d'utilité publique, tels que des halles, des marchés, mais surtout ces vastes cathédrales dont nous admirons encore aujourd'hui l'étendue et les formes singulières.
Tout prouve que c'est en France, et peut-être à Paris, que s'élevèrent les premières églises de ce genre. Peu après les incursions des Normands, c'est-à-dire au onzième siècle, nous en trouvons les premiers essais; au douzième siècle, après l'affranchissement des communes, ces monumens se multiplient; mais c'est dans le treizième siècle que ce genre d'architecture jette le plus grand éclat ; au quatorzième siècle et dans le quinzième, il avait sensiblement changé de caractère: le désir d'innover, dans les artistes, et le changement de goût dans la nation, faisaient donner la préférence à des formes, à des ornemens qui n'étaient pas toujours en harmonie avec le premier type du genre. Cet état de choses dura jusqu'à ce que, sous le règne de François 1er, au seizième siècle, on abondonna tout-à-fait le genre dit gothique, pour imiter, mais avec de grandes modifications, le style de l'architecture grecque et romaine.
Toujours est-il vrai que l'Allemagne n'adopta le genre dit gothique qu'après la France; qu'aucun des monumens de ce genre n'y est aussi ancien que ceux qui furent élevés les premiers dans les Gaules; qu'on y fit même subir au genre quelques modifications, conformes sans doute à l'esprit et au goût du peuple.
On pourrait presque poser en fait que le genre dit gothique varie chez les différentes nations. En France, où il paraît avoir pris naissance, et en Angleterre, où il fut porté par les Normands, cette architecture est plus simple, moins surchargée d'ornemens, que dans l'Allemagne. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les principales métropoles anciennes de la France avec celles de Ulm en Souabe, de Vienne en Autriche, etc., etc. C'est une observation, au reste, qui n'est pas de nous: elle avait été faite sur les lieux mêmes, par l'auteur de l'ouvrage sur les Temples anciens et modernes (i).
En Italie, le gothique offre encore des différences plus
(1) May, Temples anc. et mod., p. 152.
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marquées. Laissons parler, à ce sujet, l'auteur que nous venons de citer : « Ceux qui ont vu Venise, Ravenne « Padoue, Florence, etc., ont dû s'apercevoir au premier « coup d'œil que les grands et anciens édifices de ces villes « quoique gothiques, ne ressemblaient point à ceux qu'ils « avaient vus ailleurs. Ils ont remarqué, sans doute, que « partout où il n'y avait point de colonnes tirées des mo« numens romains, on y avait suppléé par des piliers qui « en retraçaient la forme; que l'usage des portiques exté« rieurs avec arcades y est très-commun ; que celui des or« nemens prodigués hors de l'Italie y est très-rare. En vain « y chercherait-on un de ces morceaux célèbres dans nos « villes, ces prodiges de légèreté, de hardiesse et de patience, « ces clochers qui se perdent dans les nues : il n'y en a pas « un seul. Il semble cependant que ce qui se voit en ce « genre, dans toute l'Allemagne, devrait aussi se voir en « Italie, puisque, pendant près d'un siècle, les architectes « allemands y furent à la tête de toutes les grandes entre« prises, et que ce que nous appelons goût gothique, les « Italiens l'appellent plus communément goût tudesque. C'est « que les Allemands furent obligés de quitter leur manière, « pour se plier à celle de la nation qu'ils servaient; nation « qui, conservant toujours l'idée des beaux monumens an« tiques, voulait imiter, autant qu'elle pouvait, ceux qui « subsistaient encore( 1). »
Nous avons déjà observé combien l'architecture mauresque, dont l'Espagne offre de si imposans modèles, dans les mosquées qu'elle a transformées en églises; combien cette architecture différait de tous les genres de l'architecture que l'on appelle gothique, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie. Nous ne reviendrons pas sur cet objet.
De tout ce que nous avons exposé jusqu'ici, il résulte que l'architecture improprement nommée gothique, devrait , avec plus de raison, être appelé ogivique, polygonique, de la multitude des angles qu'offrent les édifices de ce genre, ou xyloïdique, si, comme nous, on croit que ces édifices ne sont que des copies des anciennes églises, primitivement construites en bois. Lorsque au lieu de cette substance, on employa la pierre, on sentit la nécessité de donner de forts et nombreux appuis à des voûtes qui, bien qu'elles n'eussent que très-peu d'épaisseur, ne laissaient pas,
(1) Ibidpage 154.
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à cause de leur étendue, d'être d'un poids immense. On renforça donc ces murs par des arcs-boutans extérieurs, pour qu'ils ne s'écartassent pas, et quelquefois doubles, lorsque l'intérieur de l'édifice avait beaucoup de largeur (i). De là toutes ces constructions pyramidales que l'on voit autour des anciennes églises, et qui sont quelquefois plus couvertes de figures et d'ornemens que les murs mêmes qu'elles sont destinées à renforcer, parce qu'elles étaient plus exposées aux regards. Elles sont là comme une espèce de zône extérieure de décorations autour du monument. Sans doute la construction des voûtes si exhaussées de ces églises, le plus ou moins de largeur qu'il fallait donner aux murs qui les soutenaient, et surtout à ces arcs-boutans indispensables pour leur solidité, tout cela exigeait des calculs multipliés, difficiles; et on a peine à concevoir que, dans ces temps d'ignorance, on ait pu trouver des hommes capables de telles opérations. Mais, quoique les entrepreneurs de ces grands monumens portassent le nom de maîtres - maçons, on aurait tort de croire que ce n'étaient que de simples ouvriers. Les personnages les plus éclairés, ou plutôt les seuls hommes instruits de la nation, des moines, des abbés, par exemple, des médecins, etc., étaient eux-mêmes les architectes, les directeurs de ces grands édifices; ils consacraient toutes leurs pensées, tout leur temps, leur vie entière à la construction d'une seule église : rarement les fonds nécessaires manquaient, tant était vive la foi des fidèles, qui s'empressaient d'y concourir pour gagner des indulgences.
Sans ces secours prodigieux que l'on trouvait dans la bourse des peuples, aurait-on osé entreprendre des monumens aussi dispendieux, dans des pays qui, tels que la Beauce, par exemple, sont privés de chaux, de pierres, de bois, de fer? et cependant, à Chartres s'élève un des plus vastes et des plus beaux monumens de l'architecture xyloïdique (2) (nous nous servirons désormais de ce mot, afin d'éviter l'emploi de la dénomination ordinaire, mais impropre, de gothique).
La construction des plus grands monumens de ce genre a exigé des siècles de travaux. Celle de la cathédrale de Paris, pour citer des exemples, a duré près de deux cents ans ; celle de la cathédrale et du fameux clocher de Strasbourg n'a été achevée qu'après deux cent soixante ans d'un travail continu ;
(1) May, Temples anc. et mod., p. 15o.
(2) May, Temples anc. et mod., p. i5o.
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et la dépense en a été presque incalculable. Nous parlerons ailleurs, avec plus de détail, de ces deux grands monumens qui furent terminés l'un et l'autre dans le treizième siècle.
Pour l'exécution de ces immenses fabriques, qui demandait tant de peines et de temps, combien ne fallait-il pas de milliers de bras! aussi les ouvriers macons formèrent-ils bientôt, en Europe, de nombreux corps ou associations, qui eurent leurs règlemens particuliers, leurs institutions, leurs lois. Lorsque tel ou tel de ces corps de maçons avait achevé une église dans tel ou tel pays, il s'empressait d'aller ailleurs en commencer une autre. C'étaient autant de peuplades nomades au milieu des peuples stationnaires de l'Europe.
Dans une Histoire de la cathédrale de Strasbourg (1), nous lisons que, lorsqu'on eut entrepris de métamorphoser en un superbe temple le grand édifice de bois et de chaume qui jusqu'alors avait, servi d'église aux habitans de Strasbourg, cent mille ouvriers furent employés à ce travail ; une grande partie, il est vrai, y coopérait bénévolement, et seulement pour mériter les indulgences promises. Il n'en fallut pas moins établir de l'ordre dans cette multitude d'hommes réunis, nommer des chefs, des sous-chefs, etc. Ce qui s'établit là, s'établit, à quelques modifications près, dans cent autres lieux de l'Allemagne et de la France.
L'auteur de l'ouvrage que nous venons de citer, croit pouvoir placer l'origine de la franc-maçonnerie à l'époque de l'achèvement de la cathédrale de Strasbourg, c'est-à-dire au treizième siècle. Les maçons qui avaient été employés à ce grand monument, fiers d'en savoir plus que les autres, formèrent, suivant lui, des associations qu'ils appelèrent en allemand hritten (loges) , lesquelles se répandirent dans toute l'Allemagne, mais reconnaissant toujours pour loge métropole celle de Strasbourg. Les statuts qu'elles s'étaient donnés furent reconnus, en 1498, par un diplome de Maximilien Ier.
Cette opinion sur l'origine de la franc- maçonnerie est très-admissible. Il est difficile de croire à l'antiquité trèsreculée que l'on donne, sans preuves valables, à cette institution. Ce qui semblerait donner quelque poids aux idées de notre auteur, c'est que la forme des réceptions dans la franc-maçonnerie, les prétendus mystères qu'on y dévoile
(1) Description de la cathédrale et tour de Strasbourg, dès les premières pages.
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aux adeptes, la manière dont se tiennent leurs séances, le style mystique qu'on y emploie, les épreuves que l'on fait subir aux récipiendaires, les emblèmes qui décorent les loges, tout enfin rappelle ces associations de vrais maçons chargés de la construction des églises, leur ignorance de l'histoire sacrée, qui leur faisait confondre, comme on n'en a que trop de preuves dans les sculptures qui décorent les portails des cathédrales, des histoires et des noms de différens lieux et de différens siècles : tout pénétrés, nous le répétons, d'idées mystiques, ils en plaçaient partout les emblèmes, et, comme dans toutes les associations, asservis à l'esprit de corps, ils repoussaient les étrangers de leurs réunions, qu'ils avaient soin de tenir secrètes; enfin, c'est pour mieux réussir à en éloigner tout prophane, qu'ils avaient inventé certains signes par lesquels ils pouvaient se reconnaître entre eux. Nous avouons pourtant que, pour admettre une pareille opinion, il faudrait quelque autre autorité que l'assertion d'un auteur seul. Nous ne voyons donc ici qu'une conjecture vraisemblable.
Examinons à présent quels sont les monumens les plus remarquables qu'ont élevés en France, pendant la période qui nous occupe, les corporations de maçons que nous venons de signaler; et commençons par les monumens que nous offre la capitale.
L'église de Saint- Germain-des-Prés, la plus ancienne de celles qui existent encore dans la capitale, nous offre des exemples de tous les genres d'architecture qui ont été successivement en usage. La grosse tour carrée qui couvre et semble défendre le portail, a été bâtie longtemps avant la nef, et rappelle l'architecture que les Romains employaient dans les fortifications. C'était probablement la seule partie du monument qui fût en pierres : aussi, lorsque les Normands envahirent, au neuvième siècle, les environs de Paris, elle résista à l'incendie qui consuma l'église. Les Parisiens s'y défendirent même assez long-temps, comme nous le voyons dans le poëme du moine Abbon. Il n'est pas nécessaire de remarquer que le porche et le portail sont d'une construction plus récente, ainsi que les deux tours plus petites et moins massives qui sont à l'autre extrémité de l'église.
L'intérieur n'est du style prétendu gothique que dans quelques parties. On serait tenté de croire que plusieurs portions de la nef ont été élevées avant, et d'autres, le rondpoint du chœur, par exemple, après que le nouveau goût
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Principales églises de style xyloï- dique, élevées en France dans le XIIIe siècle.
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de construction xyloïdique eût commencé à prévaloir. Mais le réfectoire, qui a été consumé de notre temps (en 1794), était un véritable modèle en ce genre. Très-vaste, et. surabondamment orné de sculptures, il rappelait toutes les églises du treizième siècle : aussi était-il l'ouvrage de Pierre de Montreuil, dont nous aurons plus d'une fois occasion de parler.
Ainsi que l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, plusieurs parties de l'église de Sainte-Geneviève avaient été construites antérieurement au règne de l'architecture xyloïdique. On y voyait, par exemple, une chapelle souterraine ou crypte, qui avait échappé aux ravages des Normands; mais toute cette église et ses accessoires ont été démolis tout récemment (en 1807).
L'église de Notre-Dame de Paris, que des auteurs regardent à tort comme le premier monument de l'architecture qu'ils appellent très-improprement aussi sarrasine, qui ait été élevé dans les Gaules; cette vaste église est bien un mo- nument du douzième siècle, puisqu'il fut commencé en 1163, et que, pendant tout le reste du siècle on y travailla avec une grande activité, sous la direction de Pévêque Maurice de Sully, qui avait osé l'entreprendre. Mais il paraît qu'après sa mort, arrivée en 1196, les travaux se ralentirent, puisque dans le milieu du siècle suivant, la cathédrale, telle que nous la voyons aujourd'hui, n'était point encore achevée. Ce ne fut, par exemple, qu'en 1257, que l'on commença le portail méridional, et conséquemment toute cette partie de l'édifice.
C'est ce que prouve une inscription placée sur ce portail même, et qui contient le nom du constructeur Jean de Chelles..
Tous ces vastes monumens exigeaient tant de travaux et de si énormes dépenses, que la ferveur qui les avait fait entreprendre se refroidissait après quelques années de sacrifices, et que presque jamais le fondateur n'avait la satisfaction de les voir terminés. C'est ainsi que, malgré le zèle ardent de l'abbé Suger, et toutes les peines qu'il se donna pendant une bonne partie de sa vie, pour élever la célèbre église de SaintDenis, comme il nous l'apprend lui-même dans Y Histoire de son administration, il n'acheva vraiment que le portail. Il porta bien jusqu'à une hauteur assez considérable les murs du chevet ou sanctuaire; mais ce fut saint Louis et sa mère
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Blanche qui firent terminer les arcades et les voûtes qui occupent tout l'espace entre le portail et le chevet (i). Nous pourrions citer vingt autres exemples de la lenteur avec laquelle on travaillait aux basiliques, de l'interruption totale que même éprouvaient les travaux, puisqu'un assez grand nombre de ces monumens nous sont parvenus imparfaits, et ont été démolis ou sont tombés de vétusté, avant d'avoir jamais été finis.
Certainement la cathédrale de Paris est un des plus vastes et des plus beaux monumens de l'architecture de ce siècle ; mais, dans son ensemble elle n'a point la légèreté, le svelte, si l'on peut ainsi parler, qu'offrent la plupart des autres édifices du même genre. La façade est d'un aspect imposant, mais elle paraît lourde, quoique couverte de sculptures assez légères, ornée de longues et maigres colonnes, et percée depuis la base jusqu'au sommet des deux tours, de fenêtres, de niches, etc. ; les sculptures sont un des objets les plus curieux de cette riche ordonnance. On ne voit plus, il est vrai, les vingt-sept statues de rois, plus grandes que nature, qui occu-
paient le rang de niches placé au-dessus de toute l'ordonnance inférieure de la façade; mais les larges cintres ogiviques des trois portails de cette façade, et même des portails latéraux, sont couverts d'une multitude d'ornemens, et de scènes sculptées, dont quelques-unes ont de l'intérêt, mais qui sont aujourd'hui très-dégradées. Ici c'est le jugement dernier, naïvement représenté d'après les idées que l'on s'en formait alors ; là les vertus et les vices bizarrement personnifiés; sous le portique septentrional, on voit, un zodiaque, ou plutôt tous les mois de l'année indiqués par la représentation de travaux champêtres ou autres, qui ont lieu pendant chacun de ces mois. C'étaient là les sujets les plus ordinaires des sculptures qui ornaient les portails extérieurs des temples à cette époque : on les retrouve dans la plupart de nos anciennes cathédrales. Dans l'intérieur, les sujets des sculptures, qui n'étaient pas moins multipliées que sur les façades et aux portails, étaient pris dans l'Ancien et le Nouveau Testa- ment. Les personnages, dont les poses, les attitudes sont quelquefois d'une grande vérité, sont le plus souvent vêtus selon la mode, le goût dominant à l'époque où ils ont été exécutés, ce qui leur donne aujourd'hui plus d'intérêt. C'était surtout autour des chœurs construits au bout de la grande
(i) Le Beuf, Hisl. de la banlieue ecclésiast. de Paris, p. 18i, article Paroisse Saint-Denis.
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nef, et autour desquels on pouvait circuler, que l'on sculptait ces scènes religieuses, parce que c'était le seul grand espace lisse qu'offraient ces églises, presque tout le reste étant couvert d'ornemens de toute espèce. Dans de tels monumens, la peinture ne pouvait guère trouver place pour ses productions, qui d'ailleurs s'allient toujours mal à celles de la sculpture : ce fut donc autant par nécessité que par une inspiration du goût, que les artistes se contentèrent de peindre les vitraux des énormes et longues croisées qui éclairaient l'intérieur des édifices sacrés. Les reflets de ces peintures donnaient au jour qui pénétrait dans ces temples de certaines nuances presque magiques, qui provoquaient l'admiration et le respect. Lorsque, depuis, on a couvert de grands tableaux modernes les parois de ces vieilles églises, et qu'on en a caché les ornemens sculptés, on leur a ôté toute leur majesté, et leurs formes gracieuses ont en même temps disparu. Nous nous sommes montrés moins sensés et plus barbares que ne l'avaient été nos pères.
Telle était la belle église métropolitaine de Paris; et telles étaient, à quelques différences près, qu'il faut attribuer au goût différent des architectes ou maîtres-maçons (comme on les appelait alors) chargés de leur construction, toutes les églises qu'on vit s'élever presque en même temps, dans presque toutes les contrées des Gaules. Mais il n'en faudrait pas induire, comme l'ont fait quelques auteurs, et entre autres le dernier des historiographes de Paris (i), qu'elle est la plus ancienne dè toutes ces églises, et qu'elle a servi de modèle à toutes les autres. C'est une erreur qui n'a nul fondement. Plusieurs temples xyloïdiques avaient été ou entièrement construits, ou étaient très-avancés, lorsque Maurice de Sully songea à rebâtir une nouvelle métropole de Paris, sur les ruines de l'ancienne.
Dans Paris, plus que partout ailleurs, les monumens de ce genre d'architecture ont été ou détruits ou singulièrement altérés par des restaurations d'un tout autre goût. Dès le quatorzième siècle, le beau style du genre n'existait plus.
On était parvenu à rendre encore plus bizarres les formes déjà si tourmentées et si peu simples des constructions xyloïdiques. C'est ainsi que dans tous les arts, la satiété du beau conduit à l'exagération.
Après la cathédrale, on ne peut plus guère compter, dans
(1) M. Dulaure, Description de Paris.
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la capitale, de monumens du beau style xyloïdique que la Sainte-Chapelle) et, près de Paris, à Vincennes, une autre chapelle non moins célèbre. Toutes les deux paraissent avoir été l'ouvrage du même artiste, Pierre de Montereau, dont nous aurons encore occasion de parler, lorsque plus tard nous passerons en revue tous les architectes fameux de ce temps-là.
La Sainte-Chapelle de Paris fut construite près du Palais, sur l'emplacement de l'ancienne chapelle de Saint-Nicolas, par ordre et aux frais de Louis IX, pour y placer convenablement les précieuses reliques qu'il avait achetées dans l'Orient, et principalement la couronne d'épines que l'on prétendait être celle qui avait été apposée par les Juifs sur la tête du Christ, et que l'empereur Baudouin avait vendue fort cher au saint roi. Ce petit édifice est un chef-d'œuvre de grâce et de légèreté, et excite encore l'admiration, quoiqu'il ne soit plus surmonté par sa longue flèche ou clocher, ouvrage très-remarquable par la hardiesse de sa construction, mais que l'on a été obligé de supprimer parce qu'il menaçait ruine. Les vitraux, qui étaient aussi un des objets curieux de ce monument, n'existent plus.
Notre intention n'est pas de décrire ici tous les monumens religieux qu'élevèrent à Paris les cinq rois qui occupèrent le trône pendant le cours du treizième siècle. Le plupart sont détruits, ou ont subi de tels changemens, que l'on ne reconnaît qu'avec peine, dans quelques parties, le goût dominant dans la période où ils furent construits. Il nous suffira d'énumérer quelques-uns de ces monumens.
Le règne de Philippe-Auguste fut trop agité, ce prince fut trop occupé de guerres, pour songer à élever des églises; mais, comme il aimait cependant à construire, il enrichit Paris de monumens d'utilité publique : c'est un des rois dont la capitale, sous ce rapport, doit le plus chérir la mémoire.
Nous indiquerons plus tard tout ce qu'il fit pour son embellissement et sa salubrité. Quant aux monumens religieux, il s'en occupa assez peu; ce qui n'empêcha pas qu'il ne s'en élevàt à Paris un assez grand nombre sous son règne, mais aux frais des particuliers ou du clergé, dont l'opulence était déjà excessive. Telles sont, outre la cathédrale, à laquelle on travailla avec activité, les églises de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas-du-Louvre; celles de Sainte-Magdeleine, de Sainte-Geneviève, dont la reconstruction commença vers la fin du douzième siècle; celles de Saint-Etienne-du-Mont.
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qui existe encore, mais qui depuis a été plusieurs fois restaurée, ou plutôt rebâtie; de Saint-André-des-Arcs, dont il ne reste même plus de traces; de Saint-Honoré, de SaintGervais, de Saint-Antoine-des-Champs, etc., etc.
Louis VIII resta si peu de temps sur le trône, qu'on ne doit pas être surpris de ne trouver aucun monument public, religieux ou civil, qui illustre son règne.
Mais le pieux Louis IX surchargea la capitale d'églises, de chapelles, de couvens d'hommes et de femmes, d'hôpitaux et de collèges. Ce n'est pas sans quelque surprise qu'on lit, dans Gilles Corrozet (i), la longue énumération qu'il fait de tous les établissemens religieux fondés par le saint roi. Nous avons déjà indiqué les Saintes-Chapelles de Vincennes et de Paris , et signalé leur admirable construction ; laissons parler, au sujet de quelques autres, l'auteur que nous venons de citer : « Le vertueux prince feit édifier la maison des Quinze « Vingts, pour loger et nourrir trois cents chevaliers, aux« quels les Sarrasins avoient crevé les yeux ; « Les Blancs-Manteaux ; « Sainte-Croix en la Bretonnerie ; « Les Béguines de Saint-A voye ; « Les Béguines où sont de présent les sœurs de l'Ave« Maria; « Les Chartreux, etc.
« Sainct Loys fonda les Frères Prescheurs, dits Jacobins, « le dortoir desquels fut basty de la somme de dix mil livres « parisis, en quoy ledict seigneur roy condemna Enguerran « de Coucy pour avoir faict prendre et estrangler trois jeunes « Flamands qui chassoient dans ses forests.
« Les Frères Mineurs, dicts Cordeliers, obtinrent du roy « sainct Loys le lieu et l'église qu'ils ont aujourd'hui, laquelle « il feit édifier avec leurs refectoir et dortoir.
« Les Frères Hermites de Saint-Augustin furent établis par « monseigneur saint Loys où ils sont de présent sur la rivierre, « au lieu d'un autre ordre qu*on appelloit les Frères des Sacs, « desquels l'ordre a esté aboly; et quelquesfois il y a eu en « ce lieu maison des Templiers, dont le temps est incertain.
« Pour le quatrième ordre des mendians, saint Loys, re- « tournant du premier voyage de Terre-Saincte, print six « religieux au mont du Carme, les amena en France, et leur « feit construire un monastère au lieu où sont maintenant
(1) Chap. XII.
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Il (en 1561) les Célestins à Paris, lequel encore s'appelle la « porte des Barrez, pour ce que lesdicts carmes portoient en « ce temps-là manteaux barrez de blanc et de noir.
« Saincte Catherine du Val des Escoliers est fondation de « monsieur sainct Loys, ainsi qu'il appert à la porte de « l'église, par une escriture apposée sous aucunes anciennes « peinctures.
« Saint-Antoine le Petit, prieuré commendatoire, est une « des fondations du roy sainct Loys.
« Les Maturins, religieux de la saincte Trinité, pour la « rédemption des chrétiens captifs, furent fondés et establis « par le mesme roy.
« Madame Marguerite, femme du roy sainct Loys, édifia « en la ville Sainct-Marcel-lez-Paris, le couvent et monastère « des nonains qu'on appelle vulgairement les Cordelières« Sainct-Marceau.
« Entour la personne du roy fréquentoit maistre Robert « de Sorbonne, homme très-sçavant et docteur en théologie, « lequel fonda le collège théologal de Sorbonne, et y donna « beaucoup de rentes.
« Semblablement un autre noble homme, nommé Estienne « Hauldry, estant au service du roy sainct Loys, fonda la « chapelle des femmes vefves, qu'on appelle les Hauldriettes.
« Voilà les fondations faictes au temps de ce roy très« chrestien. »
On voit par cette liste, bien qu'encore abrégée, de tant d'édifices construits par la piété de saint Louis, combien, à cette époque, les artistes dans tous les genres devaient être occupés. Nous n'avons guère cité ici que les monumens royaux; mais les seigneurs, à l'imitation des rois, faisaient bâtir des chapelles dans leurs châteaux, des églises dans les villages qui faisaient partie de leurs immenses fiefs. Ainsi l'on construisait, on édifiait de tous côtés, des églises, des cloîtres ; et si, dès-lors, les arts du dessin ne firent pas de très-grands progrès, c'est que, dès le commencement, un système exclusif de construction, de décoration, était devenu dominant; que l'on n'osait s'en écarter en aucune occasion.
C'est ce qui fait que l'on retrouve les formes de l'architecture que nous appelons xyloïdique, dans tous les édifices de cette époque, quelle qu'ait été leur destination, non-seulement dans les églises et chapelles, mais dans les châteaux, dans les fortifications, dans les maisons des particuliers, et jusque dans les meubles les plus ordinaires; on pourrait presque
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dire dans les costumes, car dans les vêtemens tout paraît avoir été roide et anguleux. Ajoutons aussi que les modèles de la belle et sage architecture grecque étaient inconnus en ce temps : ce ne fut que long-temps après, sous François Ier, que l'on songea à les imiter.
Philippe III, quoiqu'il fût aussi dévot que son père, n'éleva aucune église ni couvent. Mais plusieurs institutions utiles marquèrent son règne. On commençait sans doute à s'apercevoir que les établissemens religieux étaient multipliés à Paris et dans toute la France, au-delà de ce qu'auraient exigé les intérêts même de la religion; et l'on reconnut que la société en général avait d'autres besoins auxquels il était important de pourvoir.
Dans les quinze années de son règne, qui appartiennent au treizième siècle, Philippe-le-Bel, dont le caractère n'était pas, comme celui de ses deux derniers prédécesseurs, faible et timoré; que d'ailleurs ses querelles avec Boniface VIII ne disposaient nullement à favoriser ce qui pouvait accroître l'influence de la cour de Rome; Philippe-le-Bel ne forma aucun nouvel établissement religieux, ne consacra point au culte national de fastueux édifices; mais, sans doute par respect pour les opinions de son temps, il ne détruisit point non plus ceux qu'avait élevés l'excessive piété de ses pères.
Les diverses provinces de la France virent s'élever, comme nous l'avons déjà observé, dans les douzième et treizième siècles, des églises qui le disputaient en étendue, en magnificence, à celles de la capitale, et dont chacune était remarquable par quelque particularité extraordinaire, par quelque prodige de l'art.
Nous avons déjà parlé de la célèbre église de Strasbourg, dont la construction ne discontinua point pendant toute la durée du treizième siècle, et ne fut même terminée que dans les premières années du quatorzième. C'est surtout par l'extrême délicatesse des ornemens de son haut clocher que ce monument est remarquable (i). Celui de l'église de Chartres
(i) En voici la description d'après Félibien (Entretiens sur les peintres et architectes, t. V, p. 250, art. Erwin de Steinbach) : « On ne voit guères « d'édifices gothiques plus grands et mieux construits. L'architecture y est « traitée à-peu-près de la même manière que dans les églises de Paris et de « Reims, du moins quant aux ornemens, qui sont fort délicats ec en très« grand nombre. La nef et le chœur ont environ six vingts pieds de hauteur cc sous clef. Les bras de la croisée et la partie qui termine l'église ont
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Tome XVI. qq
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ne l'est pas moins par sa forme élégante et noble. La cathédrale de Beauvais se distingue par un chœur magnifique, qui ne fut achevé qu'en 1277 (1). On admirait dans l'église de Reims, commencée en 1232, les deux tours, les chapelles, etc. ; dans la magnifique église de Marmoutiers, commencée en 1211, la nef, une des plus belles du royaume.
Mais la cathédrale d'Amiens, que l'on regarde, avec quelque raison, comme le chef-d'œuvre de l'architecture xyloïdique, mérite de fixer plus long-temps notre attention.
La cathédrale ayant été brûlée, pour la troisième fois, en 12 18, on jeta, en 1220, les fondemens de la nouvelle église; et elle ne fut achevée qu'en 1288. Les deux tours qui forment le frontispice ne furent élevées que près de cent ans après,, en i366; et il paraît qu'elles ne furent terminées qu'en 1401.
Les chapelles de la nef sont d'un style un peu différent, et paraissent aussi avoir été construites postérieurement à l'édifice; mais on ne sait pas précisément en quelle année (2).
A l'extérieur, les piliers sur lesquels s'appuient les arcsboutans sont surmontés de pyramides; au portail, on voyait, comme à la cathédrale de Paris, les statues des rois qui avaient régné jusqu'au temps de la construction, et les cintres des portails sont aussi couverts d'une multitude de sculptures qui représentent divers sujets de l'histoire sainte.
Dans l'intérieur, on voit avec intérêt les sculptures qui entourent le chœur. Les sujets sont, comme on le pense bien, tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament; mais il y a de la vérité et de la naïveté dans les poses et l'expression
« moins d'exhaussement. — Mais ce qu'on doit davantage considérer dans « cette église, est la face de la principale entrée. Elle a environ deux cent « quarante pieds de hauteur; et la tour qui occupe une partie de cette « face, et qui en fait le principal ornement, a encore au moins une fois « autant d'exhaussement. que le reste: de sorte qu'elle contient, plus de « quatre cent quatre-vingts pieds, depuis le rez-de-chaussée de la place « jusqu'à son sommet; ce qui ne peut sans doute passer que pour mer« veilleux, surtout lorqu'on en connaît la délicatesse. Elle est quarrée dans « toute la hauteur de la face de l'église, et percée à jour de trois côtés ; au« dessus de cela, elle devient de figure octogone, est ouverte de toutes « parts, et accompagnée de quatre escaliers hors d'œuvre, soutenus par le « bas sur la plate-forme, et percés à jour jusqu'à l'endroit où la tour cc commence à prendre une figure conique ou pyramidale, par le moyen « de sept différentes retraites, et d'une espèce de lanterne au-dessus de « laquelle est le dernier amortissement. »
(1) Gall. Christ, nov., t. VII, p. 747.
(2) Daire, Histoire de la ville d'Amiens.
(3) Page 93.
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des figures. Le style roide des sculptures du temps ne s'y fait presque point sentir.
Cette église est une de celles de France que l'on a le moins défigurée dans les temps postérieurs à sa construction, par -des accessoires d'un autre goût, d'un autre style. La vanité de quelques familles y a élévé plusieurs tombeaux qui déparent l'intérieur, et que l'on en voudrait bannir, pour jouir de l'ensemble d'un monument d'architecture xyloïdique, dans toute sa pureté j avec ses beautés comme avec ses imperfections.
Nous ne citerons ici ni l'église de Saint-Ouen de Rouen, si remarquable par la délicatesse du travail, ni la cathédrale de Bourges, une des plus magnifiques de l'Europe, parce que la construction de ces deux célèbres monumens n'est que du quatorzième siècle, auquel nous ne sommes point encore arrivés dans cet ouvrage. Mais nous ne devons point omettre l'église et le monastère des Dunes, qui furent construits en entier de 1214 à 1262, par la main des religieux, tant profés, convers, etc., que frères-lais (i): ils étaient au nombre de plus de quatre cents, et les uns étaient chargés des plans et dessins, de la peinture et sculpture; les autres, de la maçonnerie, charpenterie, menuiserie, serrurerie et autres arts dépendans de l'architecture (2). On voit, par cet exemple, de quel zèle on était animé, dans ce siècle, pour la construction de ces grands monumens religieux; et cela sert à expliquer comment ces colosses de l'architecture ont pu être exécutés en tel nombre, et avec tant de facilité, en Allemagne, en France, en Angleterre, non seulement dans les villes, mais souvent en des lieux écartés et presque déserts. Un monument élevé par la piété devenait le plus souvent une source de richesses réelles et de prospérité : bientôt de nombreux colons venaient habiter le voisinage; les fêtes périodiques qu'on y instituait, les cérémonies pompeuses qu'on y célébrait, y attiraient une grande affluence. La richesse du monastère augmentait et par les dons et offrandes bénévoles, et par les droits et taxes que l'on manquait rarement d'établir sur les - denrées, et même sur les consommateurs. Il est permis de croire qu'en édifiant avec tant d'ardeur ces grands et somptueux édifices, les fondateurs
(i)Félibien, Vies des Architectes, 1. VI, t. V. p. 249.
(2) Id., ibid., p. 235. Il cite Anton. Sander., Fland. lllustr. rerum tirugens, t. IV, c. 1.
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n'agissaient pas uniquement pour la gloire de Dieu et l'intérêt de la religion. Leurs vues s'étendaient plus loin; la prospérité temporelle de l'Église y était pour quelque chose : certes, lorsque Suger entreprit la reconstruction de l'église de Saint-Denis, près de Paris, sur un plan si magnifique, * l'abbaye était déjà riche, comme on le voit par le dénombrement qu'il fait lui-même de tous les fiefs et domaines quelle possédait; mais les énormes sommes qu'il sacrifia à bâtir et décorer son église, ne furent pas en pure perte : l'abbaye, de riche qu'elle était, devint opulente, et le village au milieu duquel elle s'élevait avec orgueil, devint une ville.
Notre intention ne peut être de relater ici tous les grands édifices religieux qui s'élevèrent pendant la période ,qui nous occupe, sur toute la surface des Gaules, comme il s'en élevait en même temps dans la Germanie et dans la GrandeBretagne : le détail en serait aussi long que fastidieux. Mais il est toujours très-remarquable que ce soit principalement dans les contrées septentrionales et occidentales de la France que le goût de l'architecture xyloïdique' a dominé. Dans les provinces du Midi et dans celles qui avoisinent les Pyrénées, on n'en trouve presque point de traces. Le dernier monument remarquable de ce genre d'architecture se trouve du côté de la Provence et de l'Italie, à Dijon, dont l'église de Notre-Dame est un ouvrage xyloïdique d'une délicatesse et d'une légèreté surprenantes : la voûte en est regardée comme une merveille de l'art. De la rareté des monumens de ce style non-seulement dans le midi de la France, mais dans toute l'Italie, nous pouvons induire, à ce qu'il nous semble, avec beaucoup de vraisemblance, que ce n'est pas de l'Espagne que nous est venu, comme le prétendent un assez grand nombre d'auteurs, ce genre d'architecture : en effet, dans cette hypothèse, c'est d'abord par nos provinces méridionales que le goût de cette architecture aurait dû se propager dans le reste des Gaules. Nous pouvons donc ajouter cette preuve encore à celles que nous avons tirées de la différence des caractères ou styles des deux architectures, contre le système de ceux qui font dériver l'architecture xyloïdique de l'architecture mauresque. Non; les mosquées de l'Espagne n'ont jamais été les modèles de nos cathédrales de France et d'Allemagne. L'architecture que nous nommons, à défaut d'un nom plus propre, xyloïdique, est un art indigène, et dont la France, plus que toute autre contrée, paraît pouvoir réclamer l'invention.
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Cet art qui servait à élever des édifices religieux d'une grande magnificence , ce goût pour la décoration, influèrent, par une conséquence toute naturelle, sur le genre de construction des autres édifices publics, et même des habitations particulières. Non-seulement les bâtimens où se rendait la justice, les hôpitaux, les collèges, les ponts, les fontaines, les forteresses mêmes, mais aussi les châteaux des seigneurs, les maisons des particuliers dans les villes, offrireut des portes, des fenêtres terminées par des ogyves et des ornemens représentant de bizarres figures, des êtres ou réels ou fantastiques, dans des attitudes tourmentées et peu naturelles, des sculptures enfin tout-à-fait semblables à celles qui décoraient les façades des églises, ou formaient, dans l'intérieur, les chapiteaux des colonnes en faisceaux, qui soutenaient leurs voûtes élevées. Mais, pour les édifices particuliers dans les villes, on continua de suivre l'usage où l'on était de ne bâtir qu'en bois. Les anciennes villes de nos départemens de l'Ouest et du Nord possèdent encore un grand nombre de maisons, et même de rues entières dont les portes, les fenêtres, surtout les vieux pignons de bois, sont surchargés de figures grotesques, et de ces ornemens que nous nommons arabesques. Leur construction en bois, la forme et les décorations de leurs portes et fenêtres, et surtout leurs toits rapides et aigus, tout rappelle l'époque où on les éleva. Ces édifices qui se sont conservés, dans leur forme première, depuis cinq à six siècles, ne se trouvent plus guère dans la capitale, où l'opulence inspire sans cesse le besoin d'innover, où l'espoir et les moyens de produire de grandes choses, agitent continuellement les esprits, où l'on aspire toujours à trouver ce mieux, ce beau que l'on cherche toujours. Dans les provinces, les citoyens, plus pauvres, plus paisibles, conservent plus long-temps ce qu'ils possèdent. Quand les mo- numens publics disparaissent, c'est de vétusté; et quant aux maisons particulières, la fortune de leurs possesseurs ne leur permet que de les réparer, et non de les détruire, pour les remplacer par de nouvelles. Et voilà sans doute pourquoi on trouve, dans nos provinces, beaucoup plus qu'à Paris, des monumens d'art de la période que nous parcourons.
Dans ce temps dont on accuse peut-être trop légèrement la barbarie, on connut, on employa utilement les arts : nombre de monumens en offrent la preuve. Il est même avéré' que, malgré la superstition qui offusquait les esprits, on commençait à sentir les avantages des grands établisse-
XIIIe SIÈCLE.
Monumens profanes.
Hôpitaux, Ecoles, Ponts, etc.
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mens publics. Ce fut dans le treizième siècle que s'élevèrent dans les provinces tant d'hôpitaux, que furent fondés tant de collèges; que, dans les villes, on entoura de murs et quelquefois on couvrit de toits qui surprennent par leur hardiesse, de vastes halles j qu'enfin on construisit des ponts, dont, il est vrai, nous ne pouvons plus voir que des restes : mais ces restes suffisent pour attester les connaissances des constructeurs dans la science du calcul et dans l'art de bâtir.
Nous pouvons citer pour exemples le pont sur le Rhône, près d'Avignon, et le pont Saint-Esprit, qui a excité, en tout temps une telle admiration, qu'on l'a cru l'ouvrage d'un saint, comme nous le ferons de nouveau remarquer, en parlant des fameux architectes du treizième siècle. Il paraît, d'après les autorités que cite Félibien (i), que l'un de ces ponts fut bâti en 1244, et l'autre en 1265.
Mais ce fut surtout dans la capitale que se multiplièrent les grands monumens d'utilité publique.
Philippe-Auguste, qui, dès 1183, avait établi de nouvelles halles à Paris, et les avait fait enceindre d'un mur de clôture, entreprit, en 1185, de faire paver les rues de cette capitale. Les uns prétendent que ce furent les bourgeois de Paris ; d'autres, un certain Gérard de Poissy, attaché aux finances du roi, qui pourvurent aux frais de cette grande opération. Elle dura plusieurs années; et encore Paris ne fut point pavé dans toute son étendue, mais seulement dans quelques rues principales, qui traversaient la ville, et qui étaient les plus fréquentées parce qu'elles aboutissaient à de grandes routes.
On employa, à ce pavage de grosses dalles de grés, carrées, de plus de trois pieds en tout sens, ce qui dut occasionner une excessive dépense. On peut se faire une idée de ce qu'était Paris avant cette amélioration, en jetant les yeux sur les rues boueuses et puantes de nos villages les plus pauvres.
Après avoir assaini la capitale, ce monarque voulut lui donner une nouvelle et plus vaste enceinte. Le mur de clôture fut commencé en 1190, et ne fut terminé qu'en 1211.
La nouvelle enceinte, qui contenait sept cent trente-neuf arpens, renferma cinq à six bourgs, qui jusque-là n'avaient point fait partie de la ville (2) : tels que le Beau-Bourg, le bourg Tiboust, le bourg Saint - Germain - VAuxerrois, le bourg Y Abbé, le bourg Sainte-Géneviéve. Le mur d'enceinte était surmonté de créneaux, fortifié, surtout aux points où la
(1) Voyez Félib., Vies des Architectes, 1. VI, t. V, p. 223.
(2) Dulaure, Histoire de Paris, t. II, p. 78.
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rivière le coupait, par de grosses tours, et enfin percé de treize portes ou poternes, plus ou moius décorées.
Philippe-Auguste fit de plus bâtir, près du Louvre, qui était encore hors de Paris, cette grosse tour du Louvre qui devint célèbre dans l'histoire, parce qu'elle servit de prison à des princes vaincus par nos rois et à des hauts barons rebelles à l'autorité royale.
Il paraît qu'il faut encore placer sous le règne de ce mo-
narque (sans pourtant qu'on puisse en apporter de preuves authentiques) la construction des aqueducs de Saint-Gervais et de Belle-Ville, dont les eaux alimentèrent un assez grand nombre de nouvelles fontaines.
Des ponts, et entre autres celui qui portait le nom de Petit Pont, furent alors reconstruits (i)- mais sans doute l'art de fabriquer avec solidité ces monumens d'une si grande utilité n'était pas encore bien connu, puisqu'ils n'avaient presque toujours que peu d'années d'existence. Nous voyons qu'en moins d'un siècle la plupart des ponts de Paris ont été bâtis et rebâtis plusieurs fois. En 1296, ils furent emportés par la rivière, qui, en effet, s'accrut à tel point cette année-là, que, s'il faut en croire Corrozet (2), toute la cité de Paris en fut couverte, et la ville circuie de toutes parts : tellement, ajoute-t-il, que du costé des portes Saint-Anthoine et Saint- Denys, on n'y eut peu entrer ni sortir sans basteau. Les deux ponts de pierres, les moulins et maisons de dessus en trébuchèrent.
Ce ne furent pas seulement des églises et des couvens qui s'élevèrent sous le règne de saint Louis. Le pieux monarque fonda aussi des hôpitaux et des collèges, et quelques seigneurs imitèrent son exemple. Parmi les établissemens de- ce genre qui honorèrent ce règne, nous citerons l'hospice des Quinze-Vingtss destiné à servir d'asyle à de malheureux aveugles, dont le nombre pouvait monter jusques à trois cents, et qui étaient nourris et entretenus de la borse du Roy, comme dit un écrivain du temps (3).
L'Hôtel-Dieu existait dès lors, puisque l'on fait remonter la création de cet hospice jusques au septième siècle ; mais saint Louis le protégea plus spécialement qu'aucun de ses prédécesseurs. Il en augmenta les bâtimens, qui s'étendirent bientôt jusqu'au Petit-Pont; il lui assigna des rentes, lui ae-
(II Sous Louis IX.
(2) Antiquités de Paris, p. 103.
(3) Vie de saint Louis, par le confesseur de la reine Marguerite.
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corda des droits, des privillèges importans. On pourrait presque l'en regarder comme le fondateur.
Nous citerons seulement par leurs noms les collèges qui furent fondés sous le règne de ce roi : d'abord le collège de Sorbonne, dont nous avons parlé; le collège de Cluny, dont l'église, qui paraît avoir été construite en 1269, existe encore; le collège des Dix-Huit, où l'on entretenait dix-huit pauvres écoliers; le collège du Trésorier, fondé en l'an 1268, par un trésorier de l'église de Rouen, et où devaient être entretenus vingt-quatre écoliers.
Dans les provinces, les établissemens de ce genre se multipliaient aussi de toutes parts; et c'est, à ce qu'il nous semble, une preuve que les principes de bienfaisance et d'humanité commençaient à prévaloir, et que partout l'on sentait le besoin d'avancer de plus en plus dans la civilisation.
Pendant les quinze années que régna Philippe III, dit le Hardi, un collège fut établi par un chanoine de Paris, qui portait le nom de Raoul d'Harcourt. L'Université, qui déjà existait depuis long-temps, prit plus de consistance, reçut une espèce d'organisation, sans, pour cela, que cette corporation en devînt plus modérée et plus tranquille. Les désordres, les excès dont elle se rendit coupable, sont relatés dans une autre partie de ce tableau du treizième siècle.
Mais une institution qui honore ce règne est celle de la confrérie des chirurgiens. L'exercice de la chirurgie fut soumis à des réglemens dont on sentait depuis long-temps la nécessité. Ce fut là l'origine, le germe de quelques autres institutions sanitaires, que nous verrons, bien plus tard, s'organiser sur de meilleurs plans.
Les quinze premières années du règne de Philippe-le-Bel appartiennent seules au treizième siècle. Nous ne pouvons donc rappeler ici qu'une partie des nombreux établissemens et monumens publics qui ont signalé ce règne, très-remarquable sous ce rapport, comme sous tant d'autres.
Dans les dernières années de ce siècle, Philippe-le-Bel fit entreprendre, à l'exemple de saint Louis, dans le palais de justice, des travaux importans, qui ne furent terminés qu'en 1313. Les rois y résidaient encore : ce ne fut même qu'en 1431, sous Charles VII, que ce grand édifice fut entièrement abandonné au parlement (1). Malgré les nombreux changemens qui y ont été exécutés à des époques postérieures,
(1) Dulaure, Histoire de Paris, t. II, p. 297,
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on distingue encore très-facilement les constructions qui remontent aux douzième et treizième siècles.
Le Temple, ce vaste assemblage de bâtimens élevés, à une époque que l'on ne peut fixer avec précision, par un ordre de chevaliers dont l'extrême opulence excitait l'envie, le Temple fut agrandi et embelli pendant tout le treizième siècle. La tour, par exemple, qui est devenue si célèbre dans notre histoire, parce que, surtout dans ces derniers temps, on y a renfermé d'illustres victimes, fut bâtie en 1212, et n'a été démolie qu'en 1811. Cette tour, ou plutôt ces tours, car il y en avait quatre réunies par un énorme massif, étaient d'une grande élévation : elles dominaient non-seulement tous les autres bâtimens de l'enclos du Temple, mais la ville entière. C'est là que s'était réfugié Philippe-le-Bel, pour se soustraire à l'émeute populaire qu'avait occasionée l'affaiblissement des monnaies (1).
Les templiers, ces moines-soldats regardaient, à ce qu'il paraît, le Temple comme le chef-lieu de leur ordre. Leur prieur y demeurait, et ils y avaient accumulé de grandes richesses. Bientôt eux et leurs trésors devaient disparaître.
La cruelle avidité de Philippe-le-Bel ordonna leur entière extinction.
SCULPTURE ET PEINTURE.
Après nous être arrêtés sur le genre d'architecture qui domina au treizième siècle, et les monumens qui furent élevés dans cette période, plus long-temps que les auteurs qui nous ont devancés dans la rédaction de cet ouvrage ne s'étaient arrêtés sur l'état de l'architecture dans les siècles précédens, nous croyons devoir nous occuper de deux autres arts qui lui sont intimement liés.
SCULPTURE. — Jamais, dans aucun temps, dans aucun pays, l'art de la sculpture n'avait été plus employé dans les monumens.
Ses productions ornaient tout l'extérieur, comme l'intérieur des temples et même des maisons particulières : on plaçait partout ou des statues, ou des bas-reliefs, ou des ornemens, tels que des branchages, des figures d'animaux, des êtres de toute espèce, dont le plus souvent le type n'existait point dans la nature. Mais le caractère spécial, ou plutôt le vice des sculptures de ces temps-là, est l'extrême roideur des figures,
(1) Recherches hist. sur le Temple, par E.-J .-J. Barillet, Paris, 1809.
XIIIe SIÈCLE.
II.
Emploi de la sculpture dans les édifices du XIII* siècle.
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surtout des figures d'hommes. Ce défaut n'a rien qui doive surprendre : les artistes n'avaient point sous les yeux les modèles que nous ont transmis la Grèce et l'Italie antique; ils n'avaient pu deviner que la perfection dans la sculpture consiste presque uniquement dans le mouvement et la grâce.
C'était bien la nature qu'ils imitaient) mais la nature immobile et sans vie, une nature basse et commune, non une nature choisie et gracieuse. Les effigies de Dieu, de la Vierge, des rois, qui décorent toujours l'entrée des églises, sont toutes dans cette attitude calme et froide qu'avaient les modèles sur lesquels elles ont été exécutées. Quelquefois les artistes, par ce désir naturel de donner du mouvement à leurs productions, ont fait pencher la tête à leurs personnages; mais c'est pis encore, parce qu'ils ont imité mal-adroitement cette attitude si simple, que l'on retrouve, presque sans exception, dans toutes les statues antiques, et qui leur donne tant de grâce. Elle rend au contraire plus difformes les statues des douzième et treizième siècles, parce que, le corps restant roide, excepté le col, ce col paraît plutôt cassé que penché.
En général, pour bien imiter les poses quelconques d'une figure, il leur eût fallu un esprit d'observation, un goût dont ils étaient entièrement dépourvus.
Mais dans les bas-reliefs, auxquels ils travaillaient probablement de souvenir, sans modèles; dans les figures grotesques dont ils ornaient soit les chapiteaux des colonnes, soit les gargouilles des toits, etc., ils manifestaient souvent de la chaleur, une espèce de sentiment, enfin presque la science de ce qu'est l'expression en sculpture. Il est tels basreliefs que nous pourrions citer, dont toutes les figures ont un mouvement naturel, une expression juste et naïve. C'est qu'alors ils se livraient à leur imagination, et qu'ils étaient véritablement des sculpteurs, et non de serviles fabricateurs de portraits.
Dans toutes leurs productions on voit rarement de nu- dités : d'abord, parce que c'étaient toujours des sujets religieux et austères qu'ils traitaient, et aussi parce qu'ils se sentaient incapables de rendre avec vérité, et dans de justes proportions, les contours, les formes du corps humain. Ils n'en étaient pas pour cela plus décens dans leurs ouvrages.
On voit très-souvent sculptées sur les murs des lieux saints des scènes triviales et grossières, qui probablement n'excitaient autrefois aucun scandale, et qui aujourd'hui nous paraisssent déplacées et même choquantes.
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Quelque défectueuses que soient les sculptures de ce temps, elles ont pour nous un grand intérêt, non-seulement parce qu'elles nous ont transmis les véritables traits d'une foule de personnages distingués de cet âge, mais parce qu'elles nous exposent les costumes qui étaient alors en vogue, les meubles dont on se servait, et nous font connaître un grand nombre de pratiques, d'usages dont les historiens et les romanciers ne peuvent donner dans leurs écrits qu'une trèsimparfaite idée. Il est une observation à faire : cette roideur, ces attitudes gauches et disgracieuses des statues de ce temps-là, font prendre aujourd'hui à la plupart de ceux qui les considèrent, une très-fausse opinion de la physionomie, du caractère des personnages qu'elles sont censées représenter. Ce n'était pas dans un siècle où les cours étaient déjà très-brillantes; où de magnifiques tournois, solennellement publiés, s'exécutaient aux yeux des peuples réunis, et obligeaient les concurrens (et ce n'était pas seulement de simples nobles, des seigneurs, mais des princes, des rois même qui disputaient les prix) à déployer leur force, leur agilité, leur adresse ; ce ne pouvait être dans une telle période, disonsnous, que des princes, des guerriers, des prêtres, de riches abbés, enfin que la nation tout entière avait cette gravité niaise, cet air de gaucherie que l'on trouve sinon dans les bas-reliefs, du moins dans les statues des douzièmes et treizième siècles. Mais les artistes ne pouvaient, ne savaient pas faire mieux : ils imitaient assez bien, nous le répétons, les traits d'un personnage, et très-fidèlement son costume, jusque dans les moindres détails ; mais le mouvement, l'âme, la vie, ils n'imaginaient même pas qu'on pût les imprimer à du marbre, à une pierre. Cette remarque n'est pas aussi peu importante qu'elle pourrait le paraître, puisque nous voyons tous les jours nos peintres, lorsqu'ils prennent pour sujets de leurs tableaux des scènes de ces temps-là, nos acteurs lorsqu'ils les représentent sur le théâtre, imiter ces poses roides et gauches des statues, et croire, très-faussement, se rapprocher ainsi de la vérité.
Les tombeaux que l'on élevait, en très-grand nombre, dans les églises, occupaient aussi beaucoup les sculpteurs à cette époque. Ces monumens funèbres avaient été trèssimples sous les deux premières races de nos rois, et même
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Tombeaux,
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sous les premiers rois de la troisième (i). Une grande auge en pierre de liais ou en marbre, recouverte ou d'une pierre plate, ou quelquefois façonnée en forme de toit, voilà ce que furent presque tous les tombeaux des personnages, même les plus distingués, jusques au treizième siècle. Si le Musée des monumens existait encore à Paris, il offrirait de nombreuses preuves de l'observation que nous présentons ici à nos lecteurs. On y eût pu voir, entre autres, deux tombes en forme d'auges, avec couvercles, trouvées, il n'y a guère plus de vingt ans, sous le maître-autel de. Saint-Germaindes-Prés : Tune contenait le corps de l'abbé Morard, mort en 990, et qui avait fait reconstruire l'église après les dévastations des Normands; l'autre, le corps de l'abbé lngon, mort en 1025. C'était un homme d'une grande naissance; et cependant sa tombe n'offrait aucun ornement fastueux, et n'était même recouverte que d'une pierre plate, sans déco- ration (2).
Mais vers le treizième siècle, des statues, le plus souvent couchées, quelquefois à genoux; des épitaphes, sinon fastueuses, du moins explicatives du rang des personnages, des emplois qu'ils avaient occupés, etc., ornèrent les sépultures.
Louis IX fit ériger des cénotaphes de ce genre aux rois ses prédécesseurs (3). On voyait au Musée que nous venons de citer, la plus grande partie de ces cénotaphes. Parmi les tombeaux de personnages qui avaient vécu dans le treizième siècle, on distinguait aussi ceux des enfans de saint Louis, tirés originairement de l'abbaye de Royaumont. Les jeunes princes y étaient représentés vêtus de longues robes et couchés, les mains jointes, sur leurs tombes (4). Autour de ces tombes étaient des bas-reliefs représentant les cérémonies des obsèques exécutées par des moines, dont les uns tiennent des livres, d'autres des encensoirs, etc.
Les statues qu'on voit sur les tombeaux du treizième siècle, sont surtout remarquables par les costumes, trèsfidèlement imités, des personnages qu'elles représentent.
C'est en les examinant avec attention que l'on peut prendre une idée des habillemens en usage à cette époque dans les différentes classes de la société. Mais nous ne croyons pas devoir décrire ici quels étaient les costumes des Français au
(1) Le Noir, Musée des monumens français, t. 1, p. 181.
(2) Id., ibid., p. 163.
(3) Id., ibid., p. 18 1.
(4) Id., ibid., p. 191.
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treizième siècle : ce serait une digression qui pourrait paraître étrangère à l'objet principal de ce discours.
Parmi les productions qui appartiennent à la sculpture, on peut ranger les ouvrages d'orfèvrerie. Depuis long-temps, et l'on peut dire depuis le commencement de la monarchie française, ce dernier art était cultivé en France avec plus ou moins de succès. Pendant plus de six siècles, on avait vu des successeurs du fameux saint Eloi consacrer surtout à la religion leurs talens, ou, si l'on veut, leur génie. Ce n'étaient pas seulement des vases sacrés qu'ils fabriquaient, ou des effigies de saints, mais des plans en relief de villes, qui étaient offerts par les communes ou par les seigneurs, en reconnaissance de quelque miracle opéré dans le pays, ou pour satisfaire à quelque vœu formé pendant une épidémie, une inondation ou quelque autre fléau. Ces ex-volo, dont plusieurs étaient parvenus jusqu'à nous, et que l'on possédait encore dans plusieurs monastères et églises avant la révolution française, avaient cela d'intéressant qu'ils faisaient connaître à la postérité l'état ancien des villes , les monumens qui existaient à cette époque, etc. Rien n'était plus précieux pour l'antiquaire et pour l'historien, surtout pour l'historien des arts.
Un autre principal objet des travaux des orfèvres, au treizième siècle, fut la construction des châsses de saints. On s'était presque toujours contenté jusque-là de renfermer leurs ossemens dans des coffres de bois, ornés, à la vérité, d'une multitude d'ornemens sculptés, et quelquefois aussi de lames d'or et d'argent. Tant que durèrent, dans une grande partie de la France, les incursions et les dévastations des Normands, on ne songea point à fabriquer en métal des châsses, qu'il fallait sans cesse transporter d'église en église pour les soustraire à leur rapacité. Mais quand on n'eut plus à redouter ces féroces spoliateurs des reliques, la piété, ou plutôt la dévotion envers les saints n'ayant fait qu'augmenter, et les peuples, d'ailleurs, étant devenus un peu plus riches par le commerce soumis à moins d'entraves, on déploya le plus grand luxe dans les monumens qui recélaient les reliques.
Les modestes châsses de bois furent transformées en châsses entièrement d'argent, sur lesquelles souvent on voyait représentées en relief toutes les actions de la vie des saints qui y étaient renfermés. Pour exemple de ces sortes de monumens, trop nombreux pour être relatés ici, nous ne citerons que la châsse de sainte Geneviève, qui a été long-temps,
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Orfèvrerie.
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pour la capitale de la France, autant un objet d'admiration que d'adoration.
Ce fut vers l'an 1240 que l'on fabriqua pour les os de la sainte cette nouvelle châsse. Elle fut payée par le produit d'une espèce de cotisation, à laquelle s'imposèrent plusieurs personnes pieuses. Un certain Godefroy livra une somme assez forte pour sa fabrication; les évêques d'Avranches et de Noyon, une autre somme non moins considérable; Robert de Courtenai, chevalier, donna, lui seul, cent quatre-vingt-treize marcs d'argent et sept marcs et demi d'or. Ce ne fut qu'en 1242 qu'elle fut achevée, ou du moins ce ne fut qu'alors qu'on y transporta le corps de la sainte (1).
Ce monument était non-seulement précieux par les métaux et par le travail, il l'était aussi par les pierres fines de toute espèce qui y étaient incrustées; mais ce n'est pas ici le lieu d'en faire la description.
L'art de fondre les métaux; l'art de modeler, d'émailler, de damasquiner, ne furent point sans emploi dans cette période. L'usage de fabriquer des portes de bronze et d'argent, que l'antiquité avait transmis au moyen âge, cet usage, si commun en Italie, trouva des imitateurs en France. Quelques monumens de ce genre, qui ne sont point sans mérite, surtout par le fini de l'exécution, ont échappé aux ravages des siècles et des révolutions, et attestent l'état de ces arts dans la période que nous parcourons. Nous retrouverions encore des exemples et des preuves non moins concluantes dans ces énormes pupitres en cuivre doré qui occupaient ordinairement le milieu du chœur dans les églises, et aussi dans les vases et ustensiles d'argent ou d'or qui servaient aux cérémonies religieuses, si presque tous ces objets n'eussent été, - en divers temps, la proie des spoliateurs des églises, ou seulement transformés en d'autres objets de même espèce, lorsque l'on crut que les arts avaient fait des progrès.
Les chaires, les stalles, dans les chœurs, etc., qui étaient, comme nous l'avons dit ailleurs, couvertes de sculptures, quelquefois assez bizarres, ont été, du moins en partie, conservées, et sont parvenues jusqu'à nous, parce que, n'ayant presque aucune valeur intrinsèque, ces objets ne tentaient nullement la cupidité. C'est donc par leur examen que l'on
(1) Lebeuf, Histoire de la ville et diocèse de Paris, t. I, p. 376.
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pourra se former une idée du goût qui dominait dans les arts du treizième siècle. Il serait inutile de les décrire ici, puisque ces sculptures sur bois ressemblent parfaitement aux sculptures sur pierre des chapiteaux des colonnes, etc., qui nous ont suffisament occupé.
GRAVURE. — L'art de la gravure, cette sœur de l'art statuaire, ne s'était jamais entièrement perdu en France, même au milieu des ténèbres du moyen âge. Le besoin qu'eurent toujours nos rois, ainsi que les comtes et les autres seigneurs plus ou moins indépendans de la couronne, de donner, par le moyen d'un sceau quelconque, de l'authenticité à leurs actes, de garantir, par une empreinte quelconque, le titre des pièces de monnaie qui circulaient dans leurs états; enfin, l'usage qu'avaient transmis les Romains de graver sur les monumens nonseulement des figures emblématiques, mais des inscriptions, tout cela fit que, de tout temps, il y eut en France des graveurs soit en ornemens, soit en lettres, ou plutôt dans les deux genres à-la-fois. Un grand nombre de monumens et de médailles de cette période, parvenus jusqu'à nous, en sont une preuve incontestable. Mais, il faut l'avouer, ce genre de travail est, au treizième siècle, non-seulement très-imparfait, mais presque aussi barbare que dans les siècles précédens, et l'on sait que, dans les monnaies de nos rois, jusqu'au douzième, et l'on pourrait dire, y compris ce siècle tout entier, ce n'est souvent pas sans peine que l'on parvient à distinguer soit l'effigie d'un roi, d'un comte, soit les figures emblématiques que les artistes avaient eu l'intention d'y représenter.
Quoi qu'il en soit, c'était principalement sur leurs sceaux que les roi&et les seigneurs se plaisaient à faire graver des symboles, des figures emblématiques, qui, tout grossièrement qu'elles fussent exécutées, rappelaient ou leur puissance ou leurs prétentions. La pique, la hallebarde, le javelot, un fer de lance, des tours, des châteaux, des portes de ville, des ani- maux, des fleurs de diverses espèces, telles étaient les figures symboliques qui ornaient autrefois, comme encore aujourd'hui, les sceaux. L'étendard, à la main des princes, est le symbole du domaine souverain. Aux douzième et treizième siècles, plusieurs seigneurs s'attribuèrent l'étendard (1).
Le chien, l'épervier, le faucon et le cerf étaient des sym-
(1)D. Devaynes, Dictionnaire raisonné de Diplomatie, article Sceaux; p. 267.
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Sceaux, Médailles et Monnaies.
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boles du droit de chasse (1). On les voit sur les sceaux comme aussi dans les sculptures de plusieurs tombeaux Une figure à cheval indiquait une haute dignité. Ce fut la manie des princes et seigneurs de se faire représenter ainsi depuis le commencement du onzième siècle. Au treizième, les chevaux, à qui l'on ne donnait ordinairement ni bride, ni selle, ni étriers, parurent complètement harnachés. En général, les sceaux équestres sont toujours l'indice d'une grande noblesse (2).
Cependant la plupart de ces symboles n'étaient point héréditaires dans les familles. « Mais depuis les tournois et les croisades, qui donnèrent lieu aux armoiries, chaque famille fut assez curieuse de conserver à sa postérité les marques distinctives que ses ancêtres avaient affectées dans ces anciens jeux ou dans ces pieuses guerres (3). » C'est ainsi que s'établit tout naturellement un usage qui, depuis, est devenu un des plus chers priviléges de la classe des nobles.
La coutume de représenter dans leurs sceaux les rois de France, assis sur leurs trônes, ne varia point depuis Henri let inclusivement. C'est dans cette attitude que l'on trouve tous les rois du treizième siècle. Ils portent ordinairement à la main le bâton royal terminé par des fleurs de lys ; mais le premier exemple que l'on a de trois fleurs de lys seules dans l'écu de France, se voit dans le contre-scel du sceau que Philippe-le-Hardi laissa aux régens du royaume, à son départ pour la guerre d'Aragon, en 1285 (4).
Les légendes que l'on trouve inscrites sur les sceaux et les monnaies ont assez peu varié. Les Capétiens, par exemple.
ont presque toujours mis celle-ci : N. (le nom du roi) Dei misericordiâ, et ensuite gratiâ, Francorum rex. Mais c'est à Philippe-le-Bel que l'on doit la légende qu'on lit encore sur nos monnaies : Sit nomen Domini benedictum. Elle fut inscrite pour la première fois sur une monnaie fabriquée en 1289. v PEINTURE.—Jusque vers le onzième siècle, on avait employé, presque avec excès, surtout en Italie, l'art de la peinture à la décoration des églises. Les murs latéraux, les plafonds étaient couverts de peintures à fresque, quelquefois de mosaïques,
(1) D: Devaynes, Dictionnaire raisonné de Diplomatie, article Sceaux, p. 268.
(2) Id., ibid., p. 268.
(3) Id., ibid., p. 268..
(4) Id., ibid., p. 275.
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exécutées, le plus souvent, par des artistes grecs, en Italie, et transportées ensuite en France (car il ne paraît pas qu'alors l'art du mosaïquiste fût connu dans ce dernier pays). Mais dans la suite, au lieu de faire restaurer les vieilles peintures, ou d'en exécuter de nouvelles, les abbés se bornaient à blanchir leurs églises, soit par économie, soit parce que, l'usage s'étant introduit d'en couvrir les murs de tapisseries dans les.
grandes solennités, il devenait peu important d'en conserver les peintures.
Mais ce qui fit principalement renoncer à l'usage de peindre les murs des églises, c'est que l'on adopta presque généralement , pour la construction de ces monumens (et à cette époque la plupart des églises furent reconstruites, soit en tout ou en partie), l'usage de l'architecture que nous avons nommée xyloïdique. Ce genre d'architecture, comme nous l'avons observé, n'admettait dans l'intérieur que très-peu d'espaces planes et lisses où les peintres pussent représenter de grandes scènes. L'art de la peinture n'eut donc plus à s'exercer que sur les vitraux; et il usa amplement de la portion' de domaine qu'on lui concédait. Sur les vitraux des énormes fenêtres de toutes les églises, on vit représentés soit des faits tirés de la Bible, soit des scènes familières, soit même des événemens politiques ou des actions guerrières et toutes récentes: par exemple, un départ de croisés pour la Terre-Sainte, leurs victoires, etc., etc. D'autres, et ce n'étaient pas les moins importants, offraient les portraits des personnages les plus célèbres du temps. C'est ainsi qu'on voyait le portrait de l'abbé Suger sur un vitrail de l'abbaye de Saint-Denis, celui de saint Louis sur un vitrail d'une autre abbaye (i). Dans le Musée des monumens français, lorsqu'il existait, on pouvait voir réunis des vitraux aussi curieux par les sujets qui y étaient représentés, que par leur exécution.
On n'employa plus guère la peinture à fresque que dans les réfectoires et sous les cloîtres des couvens : là les murs, lisses et sans sculptures, pouvaient facilement être décorés de tableaux. Les seigneurs avaient aussi dans leurs châteaux de vastes salles ou galeries, ornées soit des portraits des personnages célèbres de leur famille, soit de tableaux histo-
(i) Montfaucon, Monumens de la monarchie française, r. I, p. 384 et suivantes.
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riques. C'est donc à tort que l'on appelle le règne postérieur de Francois Ier, celui de la renaissance des arts. Avant ce règne, les arts n'avaient point cessé d'être cultivés en France ; mais le goût changea alors, s'améliora. C'est tout ce qu'il aurait fallu dire.
Nous avons parlé des tapisseries que l'on tendait dans les églises. Dès le douzième siècle, il y avait en France des manufactures de ces tentures, qui rivalisaient avec celles de la Flandre, établies dequis long-temps. L'abbé de Saint-Florent de Saumur fit exécuter en 11dans une manufacture de cette ville, de grandes pièces de tapisseries qui devaient décorer le chœur de son église, et sur lesquelles on voyait représentés des sujets tirés de l'Apocalypse, et aussi des chasses de bêtes fauves, etc. (i). Dans le treizième siècle, ces manufactures se multiplièrent, parce que l'emploi des tapisseries devint plus fréquent, tant dans les églises que dans les maisons particulières; ce fut presque un besoin.
Quelques rigoristes regardaient ce luxe comme coupable.
Toutes les institutions religieuses ne l'admettaient pas dans les églises, et surtout les institutions nouvelles. Saint Dominique et saint François d'Assise n'avaient cessé de déclamer contre ces inutiles décorations, et en général contre l'art de la peinture (2); mais, à ce qu'il semble, avec peu de succès, car jamais on ne vit tant de productions fastueuses des arts en général qu'aux treizième et quatorzième siècles.
On a cru long-temps que les peintres, dans cette période, lie savaient peindre qu'au blanc-d'œuf, substance qui leur servait à coller leurs couleurs. Telles étaient, en effet, le peu de peintures de ce temps que l'on était parvenu à recueillir dans le Musée des monumens français. Mais il est aujourd'hui bien prouvé que dès-lors la peinture à l'huile était connue; et si l'on en faisait rarement usage, c'est que l'on trouvait très-difficile de sécher les tableaux faits avec des couleurs à l'huile, tandis qu'en alliant leurs matières colorantes avec des gommes ou du blanc-d' œuf, les peintres pouvaient jouir plus promptement des résultats de leurs travaux. C'est ce que nous apprend un passage d'un écrit de Théophile le Prêtre, qui vivait plus de quatre cents ans avant le prétendu in- venteur de la peinture à l'huile, Jean Van-Eick;
(1) Mart. et Dut". Ampliss. Collëct., t. V, col. 1 J 30.
(2) Fleury, Hist. Ecclés., 1. LXXIX, n° XXV.
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Tapisseries.
Peintures au blanc-d'œuf et à l'huile.
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La peinture sur émail était aussi parfaitement connue et cultivée dans cette période. Dès le douzième siècle, les émaux de Limoges jouissaient d'une grande célébrité, et étaient estimés même en Italie. Mais nous ne nous appesantirons point sur cette observation, qui a déjà été faite par les auteurs qui nous ont précédé dans la rédaction de cette Histoire Littéraire (i).
Il nous reste à parler de l'emploi que l'on faisait de la peinture dans les manuscrits. On sait que la plupart des manuscrits de ce temps sont ornés de miniatures peintes nonseulement en tête des principales divisions des chapitres de l'ouvrage, mais aussi sur des feuilles isolées du manuscrit; que les lettres majuscules de plusieurs paragraphes sont ou peintes ou dorées, ou entourées de divers ornemens d'un goût plus ou moins pur; qu'enfin toutes les pages sont elles-mêmes ornées, dans leur pourtour, de guirlandes, de festons entrelacés, où l'on voit principalement dominer la feuille de vigne (et c'est, pour le dire en passant, d'où l'on prétend que nous avons pris le mot de vignettes).
L'usage d'orner les manuscrits de peintures remonte aux temps les plus anciens, puisque le Virgile du Vatican, le Térence et quelques autres des plus anciens manuscrits que contiennent les bibliothèques, offrent en tête ou des livres du grand poëme, ou de chaque comédie, des scènes dessinées et même coloriées, qui ne paraissent être que des copies défigurées et très-imparfaites d'originaux du mérite desquels nous ne pouvons juger, les très-anciens volumes dont ils décoraient les pages ne nous étant point parvenus. Il semble que dans les siècles postérieurs au septième et au huitième, on ne se contenta plus de ces dessins plus ou moins coloriés; on voulut avoir dans les livres de véritables tableaux. En effet, les manuscrits des douzième et treizième, et surtout du quatorzième siècle, sont, pour la plupart, remplis de miniatures qui couvrent quelquefois les pages entières, et qui ont conservé une grande vivacité de couleurs. Le fond en est souvent d'or, quelquefois bleu; et, en général, on remarque que les couleurs qui, aujourd'hui sont d'un trèsgrand prix ( l'outremer, par exemple ), n'y sont point
(1) Histoire littéraire de la France, t. IX, p. 223.
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Peinture sur émail.
Miniatures des manuscrits.
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épargnées. C'est dans les Heures surtout, et les Missels, que se montre ce luxe de peintures. Les Missels étaient donnés aux abbayes, aux églises, par des particuliers riches et dévots : il était assez naturel que l'on n'économisât pas sur la façon.
Les Heures devaient se trouver habituellement dans les mains des rois, des princes, des seigneurs et de leurs nobles châtelaines : tous les arts du temps s'empressaient de contribuer à enrichir ces livres de prières. Aussi, non-seulement les miniatures de l'intérieur sont faites avec le plus grand soin, mais quelquefois les couvertures mêmes du livre sont ornées d'or et de pierreries. Nous sommes encore aujourd'hui étonnés du luxe qu'on étalait dans ces sortes de manuscrits, que l'on conserve comme des monumens précieux dans nos grandes bibliothèques publiques.
On peut se faire une idée du genre de ces miniatures et de la manière des artistes du temps, par les tableaux du Giotto et du Perugin, par ceux de Raphaël lui-même, lors- qu'il n'avait point abandonné sa première manière, et n'avait point encore cherché dans les anciens monumens de la Grèce et de Rome de plus dignes modèles. Il y a de la roideur dans les poses des personnages, qui sont presque toujours symétriquement rangés dans le tableau, mais le dessin est souvent très-correct, les expressions justes, les détails rendus avec une scrupuleuse fidélité. C'est surtout dans les détails qu'excellaient les peintres des miniatures anciennes. Nous avons vu des livres d'heures sur les marges desquels étaient représentés des fleurs de toute espèce, des insectes, des pierres précieuses, des médailles même en or, en bronze, en argent : tout cela est rendu, tant la nature morte que la nature vivante, avec une telle vérité que l'illusion est complète, que l'on s'imagine avoir les objets mêmes sous les yeux.
Les manuscrits des grands romans de chevalerie ou autres, qui se multiplièrent si abondamment dans cette période, ceux des fabliaux non moins nombreux, des longues allégories (car les allégories étaient alors de mode), offrent aussi des miniatures ; mais ce ne sont guère que des dessins de batailles, des miracles, etc., peu soignés, peu finis, et presque sans ornemens. Tout luxe eût été déplacé dans ces sortes d'ouvrages destinés à des lecteurs vulgaires. C'était dans ces productions, la plupart futiles, que presque toutes les classes
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de la société puisaient un peu d'instruction, ou plutôt, nourrissaient, corroboraient leur ignorance et leurs préjugés. Dans le treizième siècle, on continuait encore d'écrire sur le parchemin; mais les manuscrits sur papier de coton sont aussi en assez grand nombre, et l'on en trouve même quelques-uns.sur papier de lin, ou de chiffons. Sans pouvoir fixer les dates avec précision, on peut dire que le papier de coton était, dès le neuvième siècle, connu dans l'Orient, où il paraît qu'il a été inventé ou d'abord fabriqué. L'usage s'en répandit, mais assez lentement, dans les parties méridionales de l'Italie ; on trouvait que le parchemin était bien préférable, parce qu'il promettait aux écrits une plus longue durée. Cependant on possède encore, en Italie, plusieurs actes et diplômes des onzième et douzième siècles, écrits sur ce papier (i). Mais dès le commencement du treizième, l'usage s'en introduisit en France, et avant la fin du siècle, mais surtout dans le quatorzième, il y était général, et l'on n'y employait plus guère le parchemin que pour la transcription des ouvrages importants, ou pour celle des actes qui devaient être munis de sceaux et déposés dans les archives.
Quant au papier de chiffons ou de lin, ce n'est qu'une imitation du papier de coton, puisque les procédés de la fabrication de ces deux espèces de papier sont les mêmes. Par un passage de Pierre-le-Vénérable, que cite Montfaucon (2), il paraîtrait qu'il avait été inventé dès le douzième siècle; mais ce ne fut toujours que dans le treizième, et même assez tard qu'on l'employa; les manuscrits sur cette espèce de papier sont même assez rares dans ce siècle : il n'en fut pas de même au quatorzième : le papier de chiffons avait presque généralement remplacé, dans l'usage commun, le parchemin et le papier de coton.
La facilité que l'on trouvait à employer pour la copie des manuscrits différentes substances, dont plusieurs étaient communes et d'un bas prix, multiplia singulièrement les livres dans ces deux périodes du treizième et du quatorzième siècle. Mais, et ce n'est pas une remarque inutile, l'écriture nationale se détériora singulièrement, devint presque indéchiffrable. Depuis quatre à cinq siècles, il est vrai, on avait
(1) La Diplomatica, o l'Arte di conoscere l'étà, etc., de codici ; di Giov.
Crisost. Trombelli. Napol., 1780. Cap. IX, p. 58.
(2) Mém. de l'Acad. des Inscript., t. IX, p. 329.
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beaucoup altéré la noble simplicité des caractères romains par des additions de mauvais goût : il en était résulté une écriture que l'on a, depuis, appelée très-improprement gothique, et qui n'était qu'une dégradation, une corruption de l'écriture romaine. Mais l'abus n'était pas général : on trouve, dans les douzième et treizième siècles, des manuscrits, en assez grand nombre, où les beaux caractères romains ne sont sensiblement altérés que dans quelques occasions, par exemple, dans les lettres majuscules. Dans les deux siècles suivans, l'abus fut porté au comble : presque toutes les lettres romaines changèrent entièrement de formes, devinrent méconnaissables. « Dès la fin du douzième siècle, « principalement sous Louis IX -' jusque vers le commen- « cement du quinzième, » dit dom de Vaines (i), « la minuscule « latine contracta un air de bizarrerie et de laideur qui « augmenta encore par les variations et le caprice des par« ticuliers, surtout dans les quatorzième et quinzième siècles.
« Ce goût d'écriture fut si diversifié, qu'on en épuiserait Il difficilement toutes les variétés.
« La cause la plus apparente de cette décadence est la « chute presque totale des études, et la rareté des copistes « dans les monastères, les abréviations arbitraires intro« duites par les scholastiques, et l'invention du papier de « chiffe au treizième siècle. »
Lorsque, plus d'un siècle et demi après cette époque, l'imprimerie, cet art admirable, fut inventée, les premiers typographes choisirent de préférence, pour les imiter, les manuscrits dont les caractères offraient les formes les plus nettes et les plus simples. De là vient que beaucoup d'éditions des premiers temps de l'imprimerie sont belles et trèscorrectes. Mais les nouveaux typographes voulurent aussi prouver la puissance de leur art, en imitant d'aussi près qu'il leur était possible les écritures bizarres des manuscrits du treizième siècle, et ils donnèrent des éditions où l'on retrouva et les lettres historiées, et les caractères difformes et chargés de traits superflus, et enfin jusqu'aux vignettes et ornemens bizarres des manuscrits qu'ils prenaient pour modèles. C'est ainsi que le genre que l'on appelle gothique se glissa même dans l'art typographique.
L'art de prendre des empreintes sur du papier, de dessins
(1) Dictionnaire raisonné de Diplomatie, art. Ecritures, p, 485.
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Gravure sur métal et sur bois.
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gravés soit en relief, soit en creux, sur des bois ou sur des métaux, était né un peu avant l'invention de l'imprimerie.
Mais faut-il, avec un assez grand nombre d'auteurs, en reculer l'origine jusque dans le treizième siècle? Aucun monument bien authentique ne vient à l'appui de cette conjecture : car nous ne pouvons regarder comme certain le fait rapporté par Papillon (i), de cette comtesse de Ravenne qui offrit au Pape, en 1285, une suite d'estampes tirées de gravures en bois. Tout ce qu'on peut dire, c'est que l'art de la ciselure et celui de la gravure sur métaux étaient très-cultivés au treizième siècle ; et le papier, soit de coton, soit de lin, étant aussi d'un usage très-commun, il est presque inconcevable que l'on n'ait pas trouvé dès-lors l'art de l'impression sur gravures, qui très-certainement a précédé l'art de l'imprimerie au moyen de caratères mobiles.
Nous voulions terminer ce tableau des arts du dessin au treizième siècle, en offrant quelques notions sur la vie des artistes qui, dans tous les genres,, se sont distingués pendant cette période. Mais on a lieu de croire que les artistes ne jouissaient pas alors d'une très-grande considération, car les auteurs du temps s'en occupent peu, et ne nous ont transmis presque aucun détail sur leur vie. En vain avons-nous fait des recherches à ce sujet : nous ne donnerons ici que les noms, pour ainsi dire, de quelques artistes en assez petit nombre, qui, grâces à leur très-grande célébrité, ou par quelque hasard favorable., ont échappé à l'oubli.
Parmi les architectes, nous citerons : IO Libergier, qui mourut en i2o3. Il construisit la chapelle de Saint-Nicaise de Rheims.
2° - Robert de Lusarches, qui mourut en 1228. Il commença à bâtir la cathédrale d'Amiens. Elle fut continuée à sa mort par son élève Thomas de Cormont, et son fils Renaut.
3° Pierre de Montereau, qui mourut en 1266. On lui doit la Sainte-Chapelle de Paris.
40 Eudes de Montreuil , qui mourut en 1289. Il accompagna saint Louis en Palestine, et y fortifia le port de Joppé; à son retour dans sa patrie, il enrichit Paris de plusieurs édifices publics.
(1) Traité historique et pratique de la gravuré en bois, t. îCr, p. 83.
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Quelques anis..
tes du XIII" siècle.
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On ne trouve le nom d'aucun statuaire célèbre de cette période, ni de notices sur les ouvrages de sculpture que l'on regardait comme les meilleurs. Peut-être les architectes étaient-ils en même temps statuaires ; ou peut-être les sculpteurs, en général, n'étaient-ils que des ouvriers entièrement subordonnés aux architectes.
Parmi les peintres, nous ne pouvons en citer qu'un, mais qui jouissait d'une grande célébrité au commencement du treizième siècle. S'étant avisé de dogmatiser, il fut brûlé vif, en 1204, à Brains dans le Soissonnais, avec plusieurs autres
hérétiques : inter quos erat famosissimus per omnem Fran- ciam, pictor nomine Nicolaus, etc. (1).
Raoul, orfèvre, ou, comme on disait alors, argentier du Roi, jouit aussi, au treizième siècle, d'une assez grande célébrité. C'est lui qui fit la fameuse châsse de sainte Geneviève, dont nous avons parlé. Il fut annobli en 1270.
Parmi les peintres de vitraux et de miniatures et vignettes, nous ne pourrions indiquer tout au plus que quelques noms obscurs, auxquels nous n'aurions à joindre aucun renseignement. Les artistes de ce genre, quoique plusieurs aient prouvé qu'ils ne manquaient point de talens, ont toujours négligé d'inscrire leurs noms au bas de leurs ouvrages. Il n'en est pas de même des écrivains qui copiaient les ma- nuscrits : la plupart indiquent, à la fin des livres, leurs noms, et le jour où il ont commencé, et celui où ils ont fini leur escriture. Mais ces noms d'hommes inconnus par tout autre travail et par tout autre mérite, ne sont pas dignes de figurer ici.
Lorsque l'on compare à l'état des arts en France, dans le treizième siècle, l'état des arts en Italie, durant la même période, on ne peut s'empêcher de convenir de leur supériorité dans la Péninsule. Là florissaient, de toutes parts, des artistes dont les noms sont venus jusqu'à nous, et dont les productions excitent encore aujourd'hui l'étonnement, sinon l'admiration. Sans doute les mônumens des douzième et treizième siècles, en Italie, ne se font remarquer ni par la pureté du style ni par leur élégance; leurs auteurs sem-
(1) Gall. christiana, t. IX, col. 101.
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Parallèle entre l'état des beauxarts en Italie, et l'état des beauxarts en France au XIIIe siècle.
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blaient dédaigner cette admirable simplicité des ouvrages grecs et romains, dont pourtant ils avaient sans cesse sous les yeux les restes imposans; mais on y trouve, avec de la rudesse dans les formes, une vigueur et un certain grandiose qui en font oublier les défauts : tous ces monumens sont sévères, graves, comme le poëme de ce génie ardent et sombre, de ce Dante qui succéda à ces artistes, de si près qu'on peut le regarder comme leur contemporain.
Et ce n'était pas dans les capitales seulement, dans les grandes villes que les grands monumens se multipliaient; il n'y avait point de contrée, point de cité, même médiocre, qui ne pût se glorifier d'un assez grand nombre d'artistes distingués et même célèbres. Dans la peinture, par exemple (et il faut remarquer qu'alors un peintre était presque toujours, en même temps, sculpteur et architecte), Pise avait un Andréa, un Giunta, et bientôt après Andréa Ugolino, celui-ci contemporain du Giollo (1); Lucques, un Berlin- ghieri; Florence, Cimabué, dont le nom est plus connu encore que celui des autres, et un peu plus tard, le Giotto, son élève; Venise, une foule d'artistes dont les noms tiendraient ici trop de place. Au nombre des autres villes qui se distinguaient alors dans les arts, je pourrais encore citer Sienne au premier rang, Milan, Gènes, etc. Quant à Rome, elle attirait et aspirait, pour ainsi dire, les meilleurs artistes de toutes les autres villes de l'Italie ; mais elle les leur restituait, pour la plupart, après avoir obtenu quelques productions de leurs mains.
On a peine à croire, et pourtant il est vrai, qu'à l'époque où tant d'artistes semblaient se disputer la gloire de couvrir l'Italie de monumens, ce pays était en proie aux horreurs des guerres civiles et étrangères. D'un côté, la lutte violente qui s'était élevée entre le Pontificat et l'Empire était toujours flagrante, et divisait la nation italienne en deux partis trèsacharnés; de l'autre, des villes qui naguères s'étaient rendues indépendantes, et s'étaient donné un gouvernement de leur choix, ces villes, au lieu de s'allier pour se soutenir et se défendre mutuellement, se brouillaient entre elles, par des motifs
(1) Mort en 1355.
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puérils, et même ridicules, s'armaient les unes contre les autres, s'efforçaient de se détruire.
Quelle était donc la cause de cet entraînement de toutes les contrées de l'Italie vers le culte des beaux-arts? fut-il inspiré à la nation par ces Grecs fugitifs qui vinrent chercher dans l'antique Hespérie une patrie nouvelle, et y apportèrent leurs connaissances dans les sciences, comme dans les lettres et les beaux-arts? On l'a cru, on leur en fait honneur dans cent ouvrages ; et pourtant rien n'est moins prouvé. Les Grecs, à cette époque, étaient bien dé- générés de leur antique splendeur ; et c'est une question non encore résolue, de savoir si ces prétendus maîtres des Italiens n'étaient pas inférieurs en mérite à leurs élèves (i).
Du moins, pour ne parler ici que de ce qui concerne les beaux-arts, les productions des artistes grecs, réfugiés en Italie, qui sont parvenues jusqu'à nous, donnent une idée bien défavorable de leur génie, comme de leurs talents; et certes, on ne pourrait, sans injustice, les mettre au-dessus des productions, tout informes et défectueuses qu'elles nous paraissent, des artistes italiens du même temps. Car il ne faut pas croire qu'à l'époque de l'émigration des Grecs, l'Italie n'eût pas des artistes nationaux, indigènes. Dans un pays où les arts ont été long-temps cultivés, ils sont rarement tout-à-fait oubliés, anéantis : ils peuvent bien déchoir, s'altérer, languir, c'est l'effet ordinaire d'un grand nombre de circonstances plus ou moins funestes au repos, à la prospérité publique ; mais ils ne se perdent, ni ne disparaissent entièrement du sol qui les avait accueillis, et qu'ils avaient, par reconnaissance, enrichi de leur dons, que dans le cas heureusement rare où le peuple qui les cultivait aurait été totalement anéanti, ou repoussé au loin par un peuple nouveau qui eût pris sa place. La conquête du pays, la fusion de la nation conquérante dans la nation conquise, ne produit jamais seule cet effet désastreux. Les barbares, lorqu'ils sont vainqueurs, prennent les goûts,
(1) On a prétendu que le dôme (la cathédrale) et la tour inclinée dé Pise, ouvrages du douzième siècle, ainsi que le Baptistère, qui fut construit dans le treizième, sont des monumens d'artistes grecs; mais la fausseté de cette opinion a été fort bien démontrée. Au reste, il est remarquable que, du moins dans le plan général de ces édifices, on ne trouve point de traces du style dit gothique.
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les mœurs des vaincus : Roma viçta victores cepit. Le seul raisonnement, et des exemples multipliés éloignent donc l'idée qu'il n'existait ni arts ni artistes en Italie, lorsque les Grecs s'y réfugièrent ; et il n'est plus permis de le croire ni de l'écrire, aujourd'hui surtout qu'un savant français (i), qui a passé la plus grande partie de sa longue vie à Rome, a fait connaître un nombre prodigieux de monumens qui prouvent aux yeux mêmes que, depuis la décadence de l'empire romain jusqu'au grand siècle des Médicis, il n'y a eu ni lacune ni intervalle en Italie dans la culture des arts.
Cherchons donc ailleurs que dans l'influence du génie des Grecs réfugiés l'espèce d'essor vers les beaux-arts que la nation italienne sembla prendre aux douzième et treizième siècles. Au milieu des querelles de peuple à peuple, de famille à famille, d'où résultaient tant de troubles et de désordre , la nation italienne avait senti le besoin d'un meilleur ordre de choses, d'institutions moins tyranniques, plus justes : elle était animée, exaltée par le désir de reconquérir et d'assurer son indépendance. Partout on cherchait à secouer le joug de la féodalité : dans plusieurs parties de la Péninsule, divers peuples avaient réussi à briser leurs antiques fers, à former des États indépendants et libres. Or il n'était pas un seul citoyen de toutes ces républiques nouvelles qui ne desirât de contribuer, de tous ses moyens, à l'illustration de son pays. Ce n'est que là où l'on aime sa patrie, où l'on est attaché à son gouvernement, où l'on est fier de ses lois et de ses institutions, que les esprits s'élèvent, s'agrandissent, qu'une louable émulation naît dans toutes les classes de la société; ce n'est que là seulement que prospèrent les arts tant libéraux qu'industriels. Voilà ce qui explique comment, malgré tous les élémens de destruction qui semblaient devoir l'éteindre à jamais, le flambeau des arts ne cessa point de jeter, en Italie, une assez vive lumière ; comment on y vit surgir, de toutes parts, non des chefs-d'œuvre, mais des prodiges; enfin, voilà comment se préparait le siècle bien plus brillant encore qui devait immé-
(i) M. d'Agincourt, auteur du grand ouvrage intitulé : Histoire de l'art depuis sa décadence ait quatrième siècle jusqq'à son renouvellement au seizième, ouvrage qui n'a été publié qu'après sa mort. Il avait employé cinquante ans au moins de sa vie à en réunir les matériaux.
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diatement succéder, et prendre rang parmi les trois ou quatre plus remarquables époques de l'histoire de l'esprit humain.
Qu'il était différent le spectacle que présentait la France!
Ici de malheureux serfs, propriété vivante de quelques centaines de seigneurs, passaient leur vie soit à labourer la glèbe, soit à défendre les manoirs de leurs maîtres, inces- samment attaqués par d'autres petits tyrans. Souvent aussi il leur fallait quitter leurs foyers et leurs familles pour suivre ces fanatiques et impérieux maîtres dans leurs inutiles expéditions outre mer; ou, sans quitter la France, marcher, en armes, pour exterminer leurs compatriotes du Midi, qui n'avaient pu supporter patiemment le luxe, l'avidité, les concussions de la cour de Rome et de ses agens.
Certes, dans un pays dont l'organisation politique était si vicieuse, où pas un sentiment noble et généreux ne pouvait pénétrer dans la grande masse de la nation, les arts libéraux devaient nécessairement être négligés, et périr, plutôt que prospérer.
Et cependant, par le tableau que nous avons essayé de tracer, dans ce discours, de l'état des beaux-arts en France à cette époque, on a pu se convaincre qu'ils n'y avaient pas été entièrement délaissés, que peut-être il s'y était élevé plus de vastes monumens; que plus d'artistes s'y étaient distingués, bien que l'on ignore les noms de presque tous, que dans la plupart des siècles précédens, à dater de l'irruption des Francs dans les Gaules. Nous avons déjà tenté, dans le cours de cet écrit, d'expliquer cette espèce de phénomène.
D'abord, le clergé avait besoin des talens des artistes pour multiplier les temples, et leur donner cette magnificence, cet éclat qui impose au vulgaire, et le force à la vénération. Riche et tout-puissant alors, il n'épargnait rien pour augmenter encore son opulence et pour étendre sa domination.
Ensuite, et c'est la principale cause de la conservation des arts en France au treizième siècle, il s'opérait, dans le système politique, une espèce de révolution, qui était trèsfavorable au peuple. Les communes, qui avaient acheté leur affranchissement des seigneurs, mais qui connaissaient par expérience la mauvaise foi de leurs anciens maîtres, s'empressaient de se placer sous la protection des rois, qui deve-
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naient les garans des conventions, les défenseurs des droits qu'elles avaient solennellement acquis; de leur côté, les rois, dont le but unique était de reconquérir la puissance que les comtes et autres seigneurs avaient usurpée, se sentaient déjà assez forts pour combattre les possesseurs arrogans des plus grands fiefs, et les réunir à la couronne. L'histoire de cette lutte heureuse entre les rois, qui voulaient fonder une véritable monarchie, et cette hydre féodale qui désolait et affaiblissait depuis long-temps la France, a été fort bien développée, d'après des documens authentiques, par un au- teur français auquel nous renvoyons (i). Bien qu'en France les communes ne s'échappassent, pour ainsi dire, des chaînes des seigneurs que pour tomber dans les mains des rois, le joug leur paraissait, et était réellement plus léger, Dès-lors l'esprit humain put s'étendre, se développer, non pas sans doute avec la même liberté, la même audace qu'en Italie, où les villes, sorties de l'esclavage, ne connaissaient d'autres maîtres que leurs propres lois et leurs magistrats; mais on commença à comprendre ce qu'était l'intérêt corn- mun de toute société; et l'on vit créer, dans la plupart des communes, des institutions dont le bien public devait être le résultat. Des monumens vraiment utiles, tels que des ponts, des halles, des digues, des hôpitaux, exigèrent, pour leur exécution, des artistes expérimentés, des architectes habiles.
On a prétendu que ce fut l'Italie qui nous fournit des artistes dans tous les genres. Un auteur italien et moderne, zélé pour la gloire de sa patrie, a même développé cette opinion dans un très-grand ouvrage, récemment publié (2); mais un académicien francais l'a réfuté avec l'ascendant que donnent une saine érudition et une cause juste à défendre (3). Nous n'entrerons point dans cette discussion, quoiqu'elle ne soit. pas entièrement étrangère à l'objet de ce discours; mais elle l'étendrait sans nécessité. Qu'il nous suffise de remarquer que les monumens qui nous restent en
(1) Mably, Observations sur l'histoire de France, t. II.
(2) Storia della Scultura, dal suo risorgimento in Italia, sino al secolo XIX, par M. le comte Cicognara.
(3) Quelques remarques sur un ouvrage de M. le comte Cicognara, par M. Émeric-David, membre de l'Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres).
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France, des arts du treizième siècle, ne rappellent point le goût qui dominait alors en Italie; et que le peu de noms qui nous sont parvenus, des artistes à qui l'on en doit l'exécution, ne paraissent nullement étrangers; enfin, qu'aucun document historique, de quelque poids, ne fonde l'orgueilleuse prétention de l'auteur italien que nous avons cité. Il demeure constant dès-lors que ce ne fut que trèspostérieurement, et seulement au quinzième siècle, époque où les arts jetaient un si grand éclat en Italie, que nos rois, dégoûtés de l'ancienne manière de. nos artistes, appelèrent des architectes, des peintres, des sculpteurs italiens, et parvinrent, en effet, à produire un changement très-marqué, une révolution à peu près complète dans les arts du dessin,
Après avoir tracé, dans ce discours préliminaire, le tableau des lettres et des arts, en France, dans le treizième siècle, notre intention était de jeter aussi un coup d'œil sur les mœurs tant publiques que particulières de la nation à la même époque. Qui peut ignorer l'influence de la littérature en général sur les mœurs, et réciproquement l'influence des mœurs, des institutions politiques et religieuses sur les lettres et les arts? ce sont autant d'élémens qui concourent ensemble à établir le caractère moral d'une nation, à lui donner une physionomie spéciale et marquée. Mais ce tableau des mœurs, des institutions, des opinions, des usages du treizième siècle, tableau qui, pour être satisfaisant et vraiment utile, exige des développemens, des exemples, des preuves, et doit former conséquemment un ouvrage assez étendu, il nous a paru qu'il serait plus convenablement placé à la suite de cette longue galerie, que nous allons ouvrir à nos lecteurs, d'hommes distingués dans tous les genres : d'orateurs, de poètes, d'historiens, de théologiens, de juriconsultes, etc. Il sera le complément, le résumé, la conséquence de notre travail. A la fin d'un long drame où de nombreux événemens ont été retracés, où une foule de personnages, de costumes, d'esprits, de talens divers, ont successivement passé sous les yeux, on aime à se recueillir, à chercher les causes secrètes de ces événemens, et à examiner comment tels et tels personnages ont reçu ou des circonstances ou de leur caractère particulier telle ou telle impulsion; enfin, pourquoi ils ont agi et pensé,
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comme on les a vus penser et agir; et c'est ainsi qu'en dernier résultat, on parvient à se former une idée juste et raisonnée des hommes et des choses, d'une nation et d'une époque.
A. D.
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HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
TREIZIÈME SIÈCLE
SUR QUELQUES RABBINS DU COMMENCEMENT DU TREIZIÈME SIÈCLE.
Salomon Jarchi.
SALOMON, fils d'Isaac, est plus connu sous le nom de Jarchi. Richard Simon, Grenius) Coescher, Lacroze, Wolf, soutiennent que ce nom ne lui fut donné que par les chrétiens, et que jamais les Hébreux ne le désignèrent ainsi; mais cette opinion est une erreur, comme Bernard de Rossi l'a démontré dans son Dictionnaire historique des auteurs hébreux et de leurs ouvrages : d'anciens écrivains juifs et les bibliographes modernes de cette nation le lui donnent également. Quelquefois aussi, on ne le désigne que par Salomon;
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T. l, p. 161.
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et ce nom, quand il est seul, indique toujours le fils d'Isaac, comme le plus célèbre des rabbins qui l'ont porté, ut cum dicitur Apostolus intelligitur Paulus, dit le pieux Bartolocci, et cum dicitur Urbs intelligitur Roma. Enfin, il est souvent appelé Rasci, par contraction de Rab, de Salomon et d'Isaac.
D'autres ont voulu en faire la contraction de Rosc, sciuthé Jehuda, chef des tribus de Juda.
Salomon Jarchi était Français ; mais il y a quelques doutes sur la ville où il reçut le jour. Les uns le font naître à Troyes en Champagne; les autres, à Lunel en Languedoc, mal à propos appelée Lunir par Bartolocci. La première opinion est beaucoup plus certaine. La seconde serait indubitable, s'il était vrai, comme le disaient Cornelius a Lapide et Vitringa, que le surnom de Jarchi fût une allusion au pays qui le vit naître, et que l'on aurait exprimée par le mot hébraïque qui s'enrapproche le plus : ili" « jarach », veut dire lune; « jarachi » ou « jarchi » est l'adjectif de ce substantif-là; Salomon Jarchi signifierait Salomon de Lunel. Mais Jarchi n'est-il pas une corruption d'Isaaki? Les Juifs désignent les fils par le nom de leur père, et le père de notre rabbin se nommait Isaac. Lunel, au reste, était une ville que beaucoup de Juifs habitaient quoique l'on fasse une équivoque grossière dans l'emploi du passage que tant d'auteurs allèguent pour le prouver : ce passage est tiré d'une lettre adressée par saint Grégoire episcopo Lunensi ; mais il n'y eut jamais d'évêque à Lunel : c'est à celui de Luna (ville de Toscane vers l'Etat de Gènes, dont il ne reste que des ruines, et dont l'évêché a été transféré dans le quinzième siècle à Sarzane) que la lettre est adressée.
L'auteur de Scialsceleth Hakkabbala le fait naître à Troyes en Languedoc. Voilà presque les deux opinions conciliées; mais cet arrangement ne suppose pas des connaissances profondes dans la géographie de la France.
On fixe assez souvent à no5 la naissance de Salomon Jarchi, et c'est par une grande erreur que Koning en fait l'année de sa mort. Il n'est pas le seul qui y soit tombé. Il l'avait trouvée dans le Jesodolam, dans le Juchasin et dans d'autres ouvrages des Juifs. Mais n'est-ce pas commettre une erreur aussi que de nommer 1105 pour l'année où Jarchi commença de vivre? Je crains qu'on ne l'ait dit ainsi au hasard, sans se donner la peine de réfléchir sur quelques circonstances de sa vie. Elles nous offriront bientôt des lumières
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T. IV, p. 382.
Bartol., IV, p.
380.
T. IV, p. 378.
C. a Lap., sur les Prov., p. 9. —
Vitr., t. XXI d'Ugolini, p. 345.
Basnage l'ap - pelle toujours le Lunatique, t. VIII, p. 423; t. IX, p.
149, 285, etc.
Lib. III, ep. 21.
P. 48.
Bibl., p. 423.
V. aussi Lelong, t. II, p. 940; C.
Lemper., sur l'It.
de B. de Tud., et Vitr., t. XXI d'Ugol., p. 897.
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plus certaines sur le temps auquel dut naître le rabbin Salomon.
Jean Hoombeek s'égare plus encore dans son ouvrage contre les Juifs, quand il le fait chasser de France avec tous ses coréligionnaires par Philippe-le-Bel, c'est-à-dire, en 1307.
Né vraisemblablement sous le règne de Louis-le-Gros, Salomon Jarchi vécut sous Louis-le-Jeune, et mourut pendant que Philippe-Auguste gouvernait la France.
Le rabbin Alphès, le rabbin Joseph fils de Geash, sont cités parmi ses maîtres. Ce fut surtout par l'étude qu'il fit de leurs ouvrages, que ces rabbins ont pu le compter au nombre de leurs disciples.
Il se distingua de bonne heure par une connaissance profonde de l'Écriture, une perspicacité heureuse à l'expliquer, et un étonnant savoir de tout ce que les rabbins avaient déjà écrit sur ce livre sacré. Isaac son père, homme de mérite luimême, était le chef de l'Académie juive, établie à Troyes depuis le treizième siècle. Cette circonstance ne fut pas inutile aux succès du jeune Salomon.
Isaac avait conçu le projet d'une grande Histoire de sa nation, depuis la ruine de Jérusalem. Elle devait contenir l'histoire particulière de toutes les peuplades juives et de leur dispersion successive dans les diverses contrées du monde.
Que de matériaux n'étaient pas nécessaires pour un si im- mense travail ! il fallait, pour acquérir des notions plus étendues et plus certaines, visiter avec soin les régions de l'Europe et de l'Asie où les Israélites se trouvaient répandus.
Isaac ne pouvait trouver personne qui en fût plus digne que son fils; celui-ci parcourut l'Italie, la Grèce, l'Asie Mineure, l'Egypte, la Palestine, l'Arménie, la Perse, d'où il revint par la, Tartarie, la Moscovie et l'Allemagne, ayant amassé beaucoup de mémoires recueillis, dans les lieux mêmes, de la bouche ou des écrits des héritiers de ces peuplades dispersées.
Salomon avait vu Maimonide en Egypte. Maimonide avait trouvé quelques inconvéniens, sous les rapports religieux et politiques, à l'exécution actuelle du projet conçu par le rabbin Isaac. Quand le fils revint en France, après six à sept ans d'un voyage qui mérite d'être placé honorablement parmi ceux que l'amour des sciences a fait entreprendre, le père était mort. Profitant des conseils de son illustre ami, Salomon tint renfermés des matériaux qu'il eût été si capable
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P. 6 et 7.
Bart., t. IV, p.
378.
Scial. Halk., p: 48.— Wolf, t. I, p. 1060.
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de mettre en œuvre, et qui nous auraient fourni une Histoire que nous devons regretter. D'autres travaux l'occupaient.
Mais, avant d'en rendre compte, arrêtons-nous un moment à la coïncidence de ce voyage avec le temps où Maimonide était en Egypte : elle pourra nous fournir quelques lumières qui serviront à déterminer l'époque de la naissance et des, ouvrages de Salomon Jarchi. Maimonide était né en l 131 ; quelques écrivains disent 1134 ou 1135 ; mais c'est là toute la différence qui existe entre les diverses opinions. On voit d'abord, sans qu'il soit nécessaire de l'observer, combien est absurde le sentiment des biographes qui font mourir en no5 le rabbin Salomon. Mais le sentiment de ceux qui le font naître la même année n'est pas non plus soutenable puisque ce rabbin avait de trente à trente-trois ans quand il commença son voyage, de trente-sept à quarante quand il le finit, et que même en unissant quarante à 1105, en admettant que Maimonide était né en l 13 l, celui-ci n'aurait eu que quatorze ans en 1145 : et sans admettre les narrations souvent répétées sur l'incapacité de Maimonide pendant son enfance, la lenteur de son esprit, ses inutiles efforts pour s'instruire (a) ; en donnant au contraire à son premier âge toutes les dispositions qui entraînent vers l'étude et rendent capable d'en profiter, l'impossibilité devient manifeste. Nous savons d'ailleurs que Maimonide avait déjà commencé un de ses 'principaux ouvrages (ses Commentaires sur la Misna) quand il alla en Égypte; ce n'est pas trop de lui supposer plus de vingt ans : il en avait trente quand il le publia. Il semble donc plus naturel de croire que Salomon Jarchi était né de 1125 à 1 130; il aurait eu alors quelques années de plus que Maimonide. Leur rencontre, leur empressement de se voir, leurs conversations sur les objets mutuels de leurs études, deviennent ainsi plus naturels et plus utiles à chacun des deux. Le fils de Maimon a rappelé honorablement les ouvrages de son ami : « J'aurais écrit bien d'autres commentaires, si je n'avais été prévenu par le Français, » dit-il dans une de ses lettres, nisi prœventus a Gallo fuissem. On donnait
(a) On suppose que Maimonide enfant fut tellement battu à cause de son incapacité, qu'il s'enfuit de la maison paternelle, et que son père, dans son courroux, l'appelait sans cessefils de boucher : c'était la profession qu'avait exercée l'aïeul maternel de Maimonide. Le père était d'une famille qui avait donné plusieurs juges à sa nation. Voir. Bartol., t. IV, p. 88, et Rodr. de Castro, t. I, p. 36.
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Bart., t. IV, p.
85. — Alting., p.
138.
Scial. Hak., p.
49. — Bart., t. IV, p. 33.— Wolf, t.l, p. 1060.
V. Bart., t. IV, p. 86.
V. Bart., t. IV, p. 382.
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par excellence à Jarchi le nom de Français, comme celui d'Égyptien à Maimonide.
Ajouterai-je que dans l'ouvrage sur la tradition, Sepher Hakkabbala, composé vers 1161, par Dior, et dans lequel il présente la succession des princes de la nation juive et des savans qu'elle a produits, on ne nomme pas Jarchi, quoique l'on y place le nom des rabbins connus jusqu'au milieu de ce siècle? Si Jarchi fût né en IIO5, il aurait eu alors quarantecinq ans, et par conséquent une réputation qui n'eût pas permis de l'oublier. Comment Abraham ben Dior eût-il passé sous silence un docteur qu'aucun de ses contemporains hébreux ne surpassa pour l'étendue et la variété des connaissances, si l'on en excepte Maimonide? Mais si mes conjectures sont vraies, le rabbin Salomon voyageait encore, ou terminait à peine ses voyages, quand le livre sur la tradition fut composé, et le silence de l'auteur est facile à concevoir.
La même observation pourrait s'appliquer à ce qu'on lit dans un Itinéraire traduit en latin par Constantin Lempereur, et composé dans le douzième siècle par un Juif de Tudèle en Navarre, appelé Benjamin; mais il s'en présente de plus fortes encore. Ce Juif, qui commença ses voyages vers l'an 1173, en a écrit l'histoire, et il y parle également de tous les rabbins alors connus. On trouve dans sa liste un Salomon qui vivait à Lunel : est-ce le fils d'Isaac? mais Isaac vivait à Troyes, et non à Lunel; Isaac était le chef de l'Académie juive fondée dans la première de ces deux villes : Jarchi lui succéda ; il était né en Champagne, et non en Languedoc. Mais Benjamin de Tudèle parle de ce Salomon sans lui accorder le plus simple éloge, sans associer même à son nom une expression honorable et juste; et quand il en louait tant d'autres, eût-il traité si froidement un des rabbins les plus célèbres de son temps, le plus célèbre de tous les Juifs français? Il ne nomme pas davantage Maimonide, quoiqu'il eût voyagé en Egypte; ce qui me semble confirmer encore les probabilités que j'ai tirées de la coexistence des deux savants Israélites. Enfin, Benjamin de Tudèle appelle Salomon-le-Prêtre ce Juif de Lunel, et nous ne retrouvons jamais ailleurs que cette qualification ait été donnée à Salomon Jarchi. Je ne sais si je me trompe ; mais,, après ce que je viens de dire, aucun doute ne peut subsister. Dans le fait, c'est le traducteur seul, Constantin Lempereur, qui, dans ses notes sur l'Itinéraire,
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V. Bart., t. I, p. 19.
Préf., p. 1, et les notes, p. 134.
V. son Voyage, p. 114 et suiv.
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désigne comme étant Salomon Jarchi le Salomon de Lunel, annoncé par Benjamin de Tudèle. Mais sur quel fondement?
Nous venons de voir qu'il n'y en avait aucun, et notre opinion ne peut que se montrer plus certaine en transcrivant le passage même de Benjamin de Tudèle. Il se lie d'ailleurs sous d'autres rapports à l'histoire littéraire du temps, pour ce qui concerne les études auxquelles les Hébreux se livraient.
« A Lunel, » dit-il, « était une autre académie de Juifs, dont « les membres étaient occupés, le jour et la nuit, à l'étude « de la loi. C'est là qu'avait brillé (vers les premières années « de ce siècle) Meschulam ce grand docteur qui eut cinq « fils, tous fort savans et fort riches, les rabbins Joseph, « Isaac, Jacob, Aaron et Ascher : celui-ci était fort versé « dans la science du Talmud, et faisait toute son occupation Il de l'étude de la loi. Outre ces cinq rabbins, il y avait en« core à Lunel le grand rabbin Moïse Gisson, le rabbin Sa« muel prœlector, le rabbin Selemon-Prêtre (c'est celui dont « Constantin Lempereur fait Salomon Jarchi), le rabbin Juda, « médecin, fils de Tibbon, Espagnol. Les Juifs de Lunel, qui « étaient au nombre de trois cents, avaient beaucoup de « générosité : non-seulement ils enseignaient gratuitement « ceux qui venaient d'ailleurs s'instruire à leur école, mais cc leur fournissaient encore tout ce qui est nécessaire pour « la vie. »
Fleury suppose que Jarchi donna des leçons dans la capitale de la Franca. Il le croit d'après un passage de Benjamin de Tudèle, où le voyageur s'exprime ainsi : « Là, à Paris « (que Benjamin nomme la grande ville), résidence du roi « Louis (c'était Louis-le-Jeune), sont des disciples de la sa« gesse, qui n'ont point aujourd'hui leurs semblables dans « toute la terre, étudiant la loi jour et nuit, et exerçant « l'hospitalité envers leurs frères Juifs. » Mais l'auteur de l'Itinéraire parle ici en général : il ne dit rien de Salomon Jarchi en particulier; il n'y a rien même dans ce passage qui le puisse désigner. Et qu'il me soit permis d'observer encore que Benjamin de Tudèle était de retour en 1173, que la France fut le dernier pays qu'il parcourut, qu'il nomme les rabbins les plus distingués sans nommer Jarchi, ce qu'il n'eût pas fait sans doute si Jarchi avait déjà été célèbre; et comment ne l'aurait-il pas été à soixante-six ans, âge qui eût été le sien, s'il fût né en 1105 ? Ce n'est même qu'ainsi que nous pouvons expliquer plusieurs circonstances relatives à
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P. 6. Pour les notes, voir p. 146 et suiv.
V. le t. IX de cette Histoire.
Hist. ecclés., t. XV, p. 385.
Bart., t. IV, p.
382.
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Salomon Jarchi : par exemple, on le nomme quelquefois Germanus , le Germain; pourquoi? Croirons-nous, avec Wolf et Scheidius, que c'est pour avoir su l'allemand, et rendu par des mots de cette langue les mots hébreux dans le livre des Paralipomènes ? Si l'on eût donné à Salomon Jarchi le nom de tous les pays dont il connaissait le langage, il eût été surchargé sous ces dénominations, car il savait toutes les langues de l'Orient et de l'Europe : ses commentaires prouvent à chaque instant combien elles lui étaient familières, ainsi que celles de l'antiquité. N'est-ce pas plutôt qu'obligé de quitter la France, il se réfugia en Allemagne? Accusés auprès de Philippe-Auguste de commettre les plus violentes usures, de tuer leurs fils de peur qu'ils ne fussent baptisés, d'avoir crucifié des enfans chrétiens pour parodier le crucifiement de Jésus-Christ, les Juifs furent chassés en 1182, et leurs synagogues détruites ou changées en églises. Salomon Jarchi passa le temps de cet exil à Prague, d'où il revint à Troyes, quand Philippe-Auguste eut rappelé lui-même ceux qu'il avait bannis. La proscription avait duré quatorze ou quinze ans, Ce dut être à son retour que Jarchi reçut de ses compatriotes le nom de Germain ou d'Allemand : car, d'après ma conjecture et les calculs qui l'appuient, il ne mourut qu'à la fin du douzième siècle ou dans les premières années du siècle suivant. Cela explique encore ce qu'affirment plusieurs écrivains, que son corps fut transporté à Prague, soit qu'il l'eût ainsi ordonné avant sa mort; soit que, lorsque les Hébreux furent de nouveau bannis, ils n'aient pas voulu laisser dans une ville française le corps d'un de leurs plus grands hommes.
Ses écrits.
Il est temps de parler des ouvrages de Salomon Jarchi. Ce ne sont pas quelques livres de la Bible qu'il a commentés, c'est la Bible entière ; ce n'est pas la Bible seulement, c'est le Talmud presque en entier aussi : la mort seule du moins mit une borne à ce travail, qu'un de ses petits-flls acheva.
Nous pouvons juger des succès de Jarchi par les éloges que ses contemporains lui donnèrent, et que leurs descendans ont si bien confirmés. On le nomme l'interprète de la loi, comme Maimonide l'appelait le Français par excellence; la grande lumière, la bouche sainte, le prince des commentateurs, sont encore des titres qu'on lui donne souvent; le père de la doctrine talmudique, après qui n'a paru personne
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Wolf, t. I, p.
1059.
Basn., t. IX, p.
334, etc.- Bart., t- 111, P- 716. Koning, p. 423.
V. Bart., t. IV, p. 382, et Wolf, t. I, p. io63.
V. Bart., t. IV, p. 385; Wolf, t. 1, p. io63.
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qu'on lui pût comparer, ce sont les expressions qu'emploie dans son commentaire sur le vingtième chapitre du livre des Juges un autre fameux rabbin, Abarbenel, qui cependant ne partage pas toujours ses opinions. On peut lire encore ce qu'en dit Isaac Athias dans l'introduction de son Trésor des Préceptes (les six cent treize préceptes donnés par le Seigneur à son peuple, suivant les traditions hébraïques), ouvrage écrit en espagnol, et imprimé à Amsterdam en l'an 5409 du calcul des Juifs, 1649 de l'ère vulgaire. Les chrétiens se sont réunis à ce concours d'éloges. La plupart, en commentant la Bible, font un usage fréquent des observations de Jarchi : on en a même accusé quelques-uns, et Nicolas de Lyra en particulier, d'avoir poussé bien loin cette adoption. Nous pouvons renvoyer à ce qu'en disent Crenius dans son Traité sur les voleurs de livres, Wolf dans le premier volume de sa Bibliothèque hébraïque, et Schikard à la fin de l'ouvrage intitulé Bechinath Happeruschin, Appréciation des interprètes, imprimé à Tubingen en 1624.
Les commentaires de Salomon Jarchi sur l'Écriture ont été imprimés dans les grandes Bibles rabbiniques : dans la première édition de Venise, néanmoins, en 15 18, on ne lit que ses observations sur le Pentateuque, sur les Paralipomènes, sur Esdras et sur les cinq megilloth (les cinq volumes, ce qui veut dire Ruth, Esther, l'Ecclésiaste, les Lamentations de Jérémie et le Cantique des cantiques); les commentaires sur les Psaumes et sur les Prophètes y sont de David Kimchi. Rien n'a été omis ou retranché dans la seconde édition et dans toutes les autres. Ils ont été réimprimés seuls avec le texte hébreu, à Amsterdam, in-12, en 1700. Il y a une édition de Hanovre, 1611, qui contient pareillement avec le texte hébreu les observations de Salomon Jarchi sur les vingt-quatre livres de l'Écriture. Il y en a une de 16 l 5, à Francfort. Le commentaire sur Isaïe, et celui sur Job, sur Daniel, sur les Psaumes, sur les Proverbes, ont été publiés aussi avec le texte, en 1600 et en 1615, à Thessalonique. Le commentaire sur le Pentateuque avait été publié séparément avec les seuls megilloth, à Constantinople, en i5o5, en i522 et en 1552 à Venise, en 1517 et 1524; à Prague, en 1518 et 1531 ; à Thessalonique, en 1520 j à Vienne, en 1524; à Sabionetta, en 15573 à Venise encore, en 1590, et de nouveau en 1607; à Constantinople encore, en 1638; à Amsterdam, en 1644, et de nouveau en 1669.
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V. Wolf, t. i, p. io63 ; t. III, p. 1043.
P. 73.
P. io63.
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La Bibliothèque du Roi en a de plus anciennes éditions : une de 1490, avec la Paraphrase chaldaïque; une de 1491, avec des points et le Targum aussi, à Lisbonne : toutes deux sont in-folio. Avant celle de Constantinople, en 1552, on en avait publié d'autres, dans la même ville, sous les titres suivans : — Pentateuchus, hebraicc. Continet hoc volumen quinque libros Mosis cum Pentateucho minore, sive Chamesch megilloth, et in utrumque commentarios rabbini Salomonis Jarchi : adjecta sunt in fine haphtarot, sive lectiones prophéties, liber editus est Constantinopoli, imperante Solimano II, in sedibus Samuelis Ben Chajim, natione Germani, circa annum i520 ad 1540, in-40. Le catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque du Roi, dit editio rarissima. — Pentateuchus, hebraice, cum Targum et commentariis rabbini Salomonis Jarchi, paraphrasi arabicâ rabbini Saadiae Gaonis, et versione persica rabbini Jacob, filii Josephi Tavos, seu Tausensis: omnia caractere quadrato hebraico, cum punctis. Constantinopoli, in domo Eliezer filii Gersom soncinatis, anno 53o6, Christi 1546, in-folio. —
Pentateuchus, hebraice, cum Targum et commentariis rabbini Salomonis Jarchi : edita est ad latus dextrum versio hispanica, ad lsevum versio barbaro-graeca : omnia caracteribus hebraicis. Constantinopoli, in domo Eliezer filii Gersom soncinatis, anno 53oy, Christi 1547, in-folio. — Le catalogue de la Bibliothèque du Roi nomme ensuite comme imprimés à différentes époques, à Venise, à Crémone, à Bâle, à Cracovie, à Amsterdam, à Prague, plusieurs éditions successives du Pentateuque en hébreu, avec le Targum et les notes de Salomon Jarchi. Les cinq megilloth y sont joints ordinairement, avec les notes du même docteur sur ces volumes.
Ces éditions sont toutes in-folio ou in-quarto; la plus ancienne est de 1548, la moins ancienne de 1644; mais il y en a eu de postérieures à cette dernière : celle de Hambourg, par exemple, en 1711 - celle d'Amsterdam, en 1721, et celle de Constantinople, en 1722. Il parut à Gotha, en 1710, une traduction latine du commentaire de notre rabbin sur le Pentateuque, par Frédéric Breithaupt. Frédéric Breithaupt a traduit également ses commentaires sur Josué, sur le livre des Juges et celui de Ruth, sur ceux des Rois et sur les Paralipomènes, sur Esther, les deux livres d'Esdras, les Proverbes de Salomon, TEcciésiaste et le Cantique des cantiques, en y ajoutant ses propres notes et ses observations
XIIIe SIÈCLE.
V. sur ce dernier Rossi, t. I, p. 164.
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critiques. Cette dernière édition a paru en 1714, à Gotha, où il en avait paru une en 1713, dans laquelle sont compris les Psaumes et le livre de Job. Le traducteur loue beaucoup deux manuscrits de la Bibliothèque d'Oxfort en Thuringe, qui lui ont souvent servi à corriger le texte. Il profita beaucoup aussi des grandes Bibles, et de quelques autres ouvrages des rabbins. La traduction latine du commentaire de Jarchi sur le Pentateuque avait été imprimée pour la première fois à Gotha, en 1583.
Les différentes parties du grand travail de Salomon Jarchi
sur l'Ecriture ont eu également en latin des interprètes particuliers. On en a traduit aussi quelques parties en allemand, le commentaire sur le Pentateuque en particulier. Genebrard mit en latin quelques-uns des commentaires de Salomon, traduction qui s'étend à des commentaires d'autres rabbins.
Conrad Pellican a traduit ses commentaires sur les Paralipomènes, sur les deux livres d'Esdras, sur les douze premiers Psaumes et le Cantique des cantiques. Genebrard les traduisit seulement sur ce dernier ouvrage et sur Joël aussi; et sa traduction a été imprimée à Paris en 1563 pour Joël, en 1570 pour le Cantique des cantiques. Les observations sur Joël ont encore été traduites par Leusden, ainsi que celles sur Abdias. Ces dernières l'avaient été en 1 601, par Guillaume Bedwell; elles le furent, ainsi que celles sur Jonas et Sophonie, par Amand de Pontac, évêque de Bazas, en 1556. Samuel Bohlius et Sim. de Muis ont traduit, celui-ci en 1618, celui-là en 1637, les notes sur Malachie ; Antoine Giggeius, en 1620, celles sur les Proverbes; Henri d'Aquin, celles sur Esther, en 1622; François Taylor, celles sur les Lamentations de Jérémie, en 1631. Les notes sur Osée ont été publiées séparément avec une double version latine, à Leyde, en 1621. Jean Mercier en avait donné une traduction, comme de celles sur Jonas, Amos, Abdias et Joël, à Paris, in-40, en 1556.
Les commentaires de David Kimchi et d'Abenezra sont souvent joints, dans ces traductions, à ceux de Salomon Jarchi. Balthazar Scheidius unit les trois rabbins dans l'examen qu'il a fait de leurs écrits sur les Psaumes (Strasbourg, 1658).
On a aussi traduit séparément quelques parties du commentaire sur le Pentateuque. Conrad Pellican a mis en latin les observations sur la Genèse; Jos. Adam Scherzer, sur les
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six premiers chapitres seulement; Jean-Georges Alicht, celles sur les cinq chapitres qui suivent; Théodore Dassovius, celles sur l'Exode et le Lévitique; Coddeus, les notes sur Osée.
Plusieurs bibliothèques célèbres renferment des exemplaires manuscrits ou du texte même des commentaires de Salomon Jarchi, ou de quelques traductions de ses diverses parties, soit en latin, soit dans les langues modernes de l'Europe. On peut consulter ce qu'en disent Bartolocci dans sa Bibliothèque rabbinique, Wolf dans sa Bibliothèque hébraïque, Masch dans sa Bibliothèque sacrée, conçue d'après celle du père Lelong, mais beaucoup plus étendue.
Nous ne rappellerons ici que les manuscrits qui se trouvent dans la Bibliothèque du Roi. Je suis l'ordre dans lequel ils s'y trouvent. N° 19. Proverbia cum commentariis. Les commentaires de David Kimchi y sont joints à ceux de Salomon Jarchi. Le manuscrit est in-folio, écrit en caractères hébreux germaniques. N° 36. 1° Genesis et Exodus cum commentariis; 2° Canticum canticorum, Ruth, Ecclesiastes, Lamentationes Jeremias et Esther (ce sont les cinq megilloth ; voir ci-dessus, p. 336), unà cum commentariis. Ce manuscrit est in-40. La Genèse et l'Exode y sont avec les points-voyelles, les notes masorétiques, et la Paraphrase chaldaïque audessous de chaque verset. N° 37. Numeri et Deuteronomium cum commentariis. La Paraphrase chaldaïque y est jointe aussi. N° 62. Ce manuscrit avait appartenu, ainsi que le suivant et le n° 11 g, à Gilbert Gaulmin, celui qui a donné la traduction de l'ouvrage hébreu sur la vie et la mort de Moïse. N° 65. Commentarii in Pentateuchum, sed imperfecti. Incipiunt enim ab undecimo versu, cap. xxix Geneseos. N° 83. 1° Commentarii in Josuam, Judices, libros Regum, Jeremiam, Ezechielem, Isaiam et duodecim prophetas minores; 20 Ejusdem commentarii in librum Job, unà cum interpretatione rabbini Joseph Simeonis filii, et Karaïtarum sectâ, quas interpretatio in editis non comparet; 3° Ejusdem Salomonis commentarii in librum Ruth, Canticum canticorum, Ecclesiasten, Lamentationes, Esther, Psalmos, Proverbia, Danielem, Esdram et Paralipomena.
N° 119. 1° Commentarii in Josue, imperfecti; 20 Commentarii in Judices ; 3° Commentarii in duos Regum libros.
A un commentaire sur tous les livres dont l'Ecriture-Sainte se compose, Salomon Jarchi en joignit un sur beaucoup de
XIIIe SIÈCLE.
Catal. de ces manuscrits, t. 1, p. 3 et suiv.
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livres du Talmud. On sait que le Talmud embrasse et ce premier recueil de traditions, formé par Juda-le-Saint, dans le second siècle de l'ère chrétienne, connu sous le nom de Misna, c'est-à-dire, une seconde loi, la loi orale, et les commentaires faits sur cette loi, trois cents ans environ après la naissance de Jésus-Christ, réunis et désignés sous le nom de Gemare. Juda-le-Saint distribua en six ordres, c'est ainsi qu'il les appelle, tous les objets compris dans la Misna: les semences, les fêtes, les femmes, les dommages, les actions saintes, les purifications. Chacun de ces ordres est divisé en plusieurs livres : le premier, par exemple, celui sur les semences, traite tour à tour des bénédictions dues au Seigneur pour les fruits, les moissons, les autres productions de la terre ; de la portion de son champ qu'il fallait laisser aux besoins du pauvre; des décimes à payer au Seigneur; des hétérogènes, ou des semences qu'il ne fallait pas mêler on confondre; de la septième année; de quelques offrandes; de la part de son revenu que l'on devait aux lévites, de celle que les lévites devaient aux prêtres ; des gâteaux que les femmes, en pétrissant, étaient tenues de réserver aux sacrificateurs; du prépuce des arbres, leurs fruits étant toujours défendus comme impurs les trois premières années de la plantation; des prémices enfin, sur quoi, par qui, comment elles devaient être offertes. Le traité sur les bénédictions a seul occupé Salomon Jarchi ; mais il a commenté les douze livres que le second ordre renferme : sur le sabbat, sur les mixtions ou les alimens qu'il est permis alors de mêler, sur la Pâque, sur les sicles, sur le jour de l'expiation, sur la solemnité des Tabernacles, sur les choses licites ou défendues aux autres fêtes que le sabbat, sur le commencement de l'année, sur les jeûnes, sur la commémoration du bienfait d'Esther, sur le temps qui s'écoulait entre le premier et le septième ou le huitième jour de la célébration de la Pâque ou des Tabernacles, sur l'obligation où tout mâle était de venir trois fois par an au temple du Seigneur. Le troisième ordre comprend sept livres, qui tous également ont été commentés par Salomon Jarchi : de la léviration, ou l'obligation d'épouser la veuve d'un frère mort sans postérité; des pactes et des devoirs qui naissent du mariage; la dot, la virginité, l'action conjugale, les droits des veuves, ce qui concerne les femmes, des vœux, quand ils sont ou ne sont pas obligatoires; quelles personnes en peuvent faire et quelles ne le peuvent
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Voisin, t. XIV, p. 147, etc.
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pas; du nazaréat en particulier, vœu de renoncer au monde et de se consacrer à Jéhova; de la répudiation de l'épouse adultère ; des fiançailles. Il s'occupait des huit livres dont le quatrième ordre se. conlpose, quand la mort vint le frapper.
Le commentaire sur un de ces livres, celui dont l'objet est de recueillir les maximes, les sentences, les axiomes pieux des conservateurs et des maîtres de la tradition orale, a été imprimé à Venise, en 16o5; il existe, manuscrit, in-folio, à la Bibliothèque du Vatican. Il est plusieurs fois dans celle de Bernard de Rossi, qui possède plus de soixante manuscrits de différens ouvrages du rabbin Salomon. Nous n'avons à la Bibliothèque du Roi que deux manuscrits de commentaires de ce rabbin sur quelques parties du Talmud. Ils y sont sous les nos 158 et 159. Le premier a pour objet le livre surles sacrifices (il offre quelques différences légères avec l'imprimé). L'objet du second livre est le livre sur les belles-sœurs, sur l'obligation où était le frère d'épouser la veuve de son frère; les six derniers chapitres manquent. On y a aussi, sous le n° 21 g, deux dissertations sur les différens préceptes que les Juifs doivent observer, dont la dernière est attribuée à Salomon Jarchi. Ses observations ont d'ailleurs été imprimées avec celles de Maimonide dans la grande édition du Talmud, à Venise, quinze volumes in-folio. Elles sont encore avec l'abrégé du Talmud, fait par le rabbin Alphès, et publié à Venise en i522 et 1552, à Sabionetta en 1554, à Riva dans le Trentin en 1558, à Cracovie en 1597, à Lublin en 161 g, à Amsterdam en 1643, à Francfort sur le Mein en 169g. On a aussi publié quelquefois, avec des traités du Talmud im- primés séparément, les observations de Salomon Jarchi sur ces traités; on l'a fait principalement à Venise et à Cracovie pour le livre de la Misna, qui renferme les décisions et les maximes conservées par les docteurs de la loi, d'après une tradition qui remonte jusqu'à Moïse. Le manuscrit en existe dans la Bibliothèque du Vatican.
Le travail de Salomon Jarchi sur le Talmud n'a pas obtenu moins d'éloges que son travail sur le Pentateuque. L'auteur ne l'a pas fait uniquement d'après lui-même. Quand il parcourut d'abord plusieurs régions de l'Europe et de l'Asie, en visitant depuis les académies juives répandues dans les diverses parties de la France, il avait eu souvent l'occasion de conférer, de discuter sur les matières les plus importantes, avec les plus savans de ses coréligionnaires. Beaucoup d'ob-
XIIIe SIÈCLE.
Barc., t. IV, p.
382.
V. Wolf, t. I, p. io63.
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servations, recueillies par lui, servirent à rendre meilleur l'ouvrage qu'il composa. Mais il n'imita point tant d'impudens plagiaires, qui font les opulens en vivant de rapines, et sont à la fin démasqués. Comme tous les hommes supérieurs, il se faisait un plaisir, un devoir, d'indiquer où il avait pris quelques rayons de ses lumières. Sic ait qualernio, dit quelquefois la glose talmudique : elle entend par là le
porte-feuille où Salomon Jarchi rassembla les observations qu'il avait recueillies.
On a de lui quelques ouvrages moins importans, qui suffiraient néanmoins pour lui procurer une grande renommée; ce sont : 1° B-ji3, Pardès, le Paradis, où il traite des cérémonies judaïques. On en a publié à Venise et ensuite à Amsterdam un abrégé, dont il existe un manuscrit à la Bibliothèque du Roi, et un autre dans celle de Bernard de Rossi; 2° un commentaire sur Alphès, qui a été imprimé dans plusieurs éditions de l'ouvrage même, et que Rossi a également parmi ses manuscrits; 3° Djisn'D, Sepher haparna, le livre du Gouverneur, ou, suivant Bartolocci, du gouvernement : car il le suppose consacré aux matières politiques, tandis que Wolf ne semble guère l'appliquer qu'à la manière de gouverner une synagogue. Bartolocci lui attribue également un ouvrage sur l'astrologie, dont Wolf ne trouve .pas qu'on puisse affirmer l'existence. Tous deux annoncent qu'il fut l'auteur d'un recueil de décisions sur des points qui touchent à la loi; mais il ne paraît pas qu'on l'ait jamais imprimé.
On peut en dire autant d'un livre de médecine et d'un livre de grammaire qu'on range ordinairement dans le catalogue de ses ouvrages, sans que nous soyons même bien sûrs qu'il les ait composés. Rossi lui attribue un poëme sur l'unité de Dieu. Ce qui n'est pas douteux, c'est qu'il s'exerça dans plusieurs genres de travaux, et qu'il développa dans tous des connaissances profondes et un talent distingué. Ses admirateurs n'ont pas cru que cela pût suffire : ils l'ont investi du don de prophétie. L'auteur du Scialsceleth Hakkabbala n'affirme-t-il pas que Salomon Jarchi avait prédit à Godefroi de Bouillon, partant pour la conquête de la TerreSainte, qu'il la reprendrait sur les musulmans, qu'il y régnerait trois jours, qu'il reviendrait incontinent dans sa patrie avec un cheval et trois hommes ? Malheureusement pour la narration, Godefroi de Bouillon était mort plusieurs années avant la naissance de Salomon Jarchi. Les faits ne
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. IV, p.
382. - Wolf, t. l, p. 1068.
T. J, p. 165.
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s'étaient pas même passés tels qu'on supposait que le rabbin les avait prédits, quelque facile qu'il fût de les deviner dans une prédiction postérieure. Godefroi de Bouillon régna plus d'une année; il ne revint pas en France ou en Lorraine; il mourut roi de Jérusalem, qui, même après sa mort, continua d'appartenir pendant plus d'un siècle à des monarques chrétiens.
Mais ne voyons en lui que l'interprète de l'Écriture et du Talmud. Un des traits qui le distinguent est d'avoir toujours uni à l'explication du sens littéral l'explication morale ou allégorique. Ses ouvrages n'en sont devenus que plus nécessaires à tous ceux qui veulent étudier nos livres saints. On peut juger du caractère de son esprit, et surtout des sentimens pieux et nationaux qu'il avait comme Juif, en lisant les observations qu'il présente dès les premiers versets de la Genèse. Il se demande pourquoi Moïse parle d'abord de la création du monde ? Le Pentateuque a pour objet de donner des préceptes et des lois : n'était-il pas plus convenable de commencer à ce chapitre de l'Exode où commencent les ordonnances du Seigneur ? Pourquoi ? répond-il : c'est que Dieu a voulu, par cette histoire même de la création universelle, rappeler à tous que tout lui doit son existence, que tout lui appartient, qu'il exerce sur tout une puissance absolue, qu'il peut à son gré, par conséquent, donner les terres et les empires, assurer aux Hébreux la région de Chanaan, la retirer à ceux qui l'avaient habitée; et il invoque à l'appui de son interprétation ces mots du Psalmiste (ps. 110, v. 6) : Le Seigneur a fait connaître la puissance de ses œuvres à son peuple, en lui donnant l'héritage des nations.
Veut-on avoir une idée plus étendue de son amour pour les allégories, de la subtilité de son esprit, des explications qu'il donne ou des narrations qu'il ajoute aux faits remarquables des livres saints? qu'on lise ce qu'il dit d'Adam, d'Abraham, de Jacob. Dieu élève, il ouvre ces nuages qui devaient humecter la poussière destinée à former le premier homme, comme le boulanger verse l'eau sur la farine qu'on va pétrir. Cette poussière) il l'avait recueillie des quatre coins du monde, afin que partout où meurent les hommes soit la poussière qui doit les recouvrir, que partout leur sépulture soit assurée. On voit que Salomon Jarchi était digne de découvrir sur ce nom même du premier homme
XNIE SIÈCLE.
T. I, p. 24 de la trad. lat. de Breithaupt.
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ce que semblent lui avoir dérobé les écrivains qui en décomposèrent le nom pour y trouver la lettre initiale des mots grecs exprimant les quatre principaux points du monde : àva-:oXy) l'orient; Sôaiç le couchant; apxzog, le septentrion; ospSpia le midi.
On sait que le père d'Isaac s'appelait d'abord Abram, et qu'après l'alliance contractée avec lui, le Seigneur voulut qu'on l'appelât désormais Abraham (Genèse, 17, v. 5). Le commentateur rapproche ce passage du premier verset du même chapitre, où le Seigneur dit encore à ce patriarche : Sois parfait. Sois parfait, reprend Salomon Jarchi, c'est-àdire, acquiers les membres que tu n'as pas; que le nombre devienne entier et complet; il le sera quand ton nom aura une lettre de plus, quand il exprimera 248. Il est nécessaire de remarquer, pour entendre ce bizarre commentaire, que la lettre aleph a en hébreu la valeur numérique de IJ le beth la valeur numérique de 2, le resch celle de 200, le mem celle de 40, total 243; mais la lettre hé, qui fut la lettre ajoutée au nom porté jusqu'alors par le père d'Isaac, employée comme un chiffre, équivaut à 5 : le total devint donc 248, et précisément les Juifs trouvent un nombre égal de parties dans le corps humain. C'est encore d'après la même idée qu'ils ont établi les 248 préceptes affirmatifs ou commandemens qu'ils associent aux 365 préceptes négatifs ou défenses, dont ils composent ou décomposent la législation de Moïse : ces 365, ils les tirent de la quantité des jours de l'année, comme ils tirent les 248 de ce prétendu nombre de parties dont l'aggrégation forme le corps de l'homme.
Dans un autre chapitre de la Genèse (c. 25, v. 30), en parlant des lentilles que Jacob vendit si cher à Esaü, le commentateur se demande pourquoi Jacob en avait préparé.
Il l'attribue à la douleur que la mort d'Abraham lui causait; c'était l'aliment qu'il devait offrir à Isaac dans les larmes.
Et pourquoi, ajoute Salomon Jarchi, pourquoi était-ce l'aliment réservé à cet état d'affliction où se trouvait Isaac?
C'est que les lentilles sont semblables à des roues, et que la tristesse et les gémissemens sont comme un cercle qui tourne sans cesse dans l'univers : Similes lentes rotce; nam luctus est circulus qui volvitur in mundo. Je me sers de l'interprétation latine de Frédéric Breithaupt : le mot hébreu qu'il traduit par rota, peut exprimer un cercle, une roue, un globe, une sphère.
XIIIe SIÈCLE.
P. 130 du t. 1.
Voir aussi la p.
97-
T. I, p. 215.
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Quelquefois, il se permet des interpellations ou des remarques que l'on peut regarder comme d'une audace qui touche au blasphème. Ainsi, vers la fin de l'Exode (c. 32 ,v.
31, 32), Moïse descendant de la montagne trouve les Hébreux offrant à un veau d'or des hommages sacrilèges : il implore leur pardon; plutôt que de ne pas l'obtenir, il veut être effacé du livre du Seigneur. Jarchi, dans son commentaire, interpelle Jéhova; il lui reproche les fautes d'Israël : C'est toi, lui dit-il, c'est toi qui fus la cause du péché qu'ils com- mirent; tu leur donnas de l'or en abondance : comment ne pas pécher quand on obtient tout ce qu'on désire ? Un roi traitait son fils avec magnificence; il suspendait à son cou une bourse pleine d'or et le plaçait ensuite devant la porte des prostituées : le jeune prince pouvait-il résister? Dans le quatrième chapitre du même livre (v. 2, 3), le Seigneur dit à Moïse : Que tiens-tu dans ta main? Une verge, répond Moïse. Jette-la par terre, ajoute le Seigneur. Moïse la jette, et elle se change en serpent : ainsi traduit la Vulgate. Ce n'est pas l'interprétation de Salomon Jarchi. Selon lui, Jéhova se plaint de son ministre; il le déclare digne d'être flagellé, pour avoir soupçonné des hommes dont le cœur était agréable à Dieu ; il reproche à Moïse d'avoir employé toute la ruse d'un serpent, en parlant au peuple d'Israël.
D'autres fois, il s'abandonne envers les chrétiens à un fanatisme qui n'est pas moins sacrilège. Dans l'Exode .encore (c. 22, v. 31), Moïse dit aux Hébreux de la part du Seigneur : Vous ne mangerez point de la chair d'un animal qui aura été dévoré dans les champs par une bête féroce, mais vous la jetterez aux chiens. Aux chiens ou aux gentils, dit le commentateur, car les gentils sont comme des chiens ; et même, si la loi nomme ces derniers de préférence, c'est qu'elle les estime encore davantage. Cette fanatique absurdité a paru si forte ou si dangereuse aux Israélites eux-mêmes, qu'ils ont craint de la laisser dans le commentaire de Jarchi ; ils en ont du moins retranché le mot goj, qui nous indique ou nous caractérise, dans leur langage ordinaire.
Son commentaire enfin n'est pas exempt de ces fables, de ces rêveries qui déshonorent si souvent les ouvrages des rabbins. Parle-t-il de la mort de Josué, il dit qu'une montagne s'ébranla pour faire périr les Israélites, qui n'avaient pas assez bien pleuré le chef qu'ils avaient perdu. Parle-t-il de la mort de Moïse, ordonnée par un roi d'Egypte; il
XIIIe SIÈCLE.
Trad. lat. de Breith., p. 378.
V. II et III. V.
Breith., p. 418 et 419.
V. Breith., t. 1, p. 605.
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affirme que le cou du prophète, devenu tout à coup comme une colonne de marbre, repoussa loin de lui le glaive du bourreau. Sur le cinquième chapitre des Juges (v. 5), il raconte que quand Dieu voulut promulguer la loi, le mont Thabor et le mont Carmel vinrent à lui, et s'en retournèrent pleins de confusion, quand le mont Sinaï eut été préféré. Dans ses notes sur le second livre des Rois, il prétend qu'après avoir perdu Ève, Adam eut avec les démons un commerce charnel, et qu'ils en eurent des enfans. Ces fables sont grossières et honteuses : malheureusement, ce ne sont pas les seuls exemples que nous pourrions en citer.
Mais s'il a quelquefois mérité des reproches par l'audace de ses pensées ou de sa crédulité, il est juste de remarquer en même temps que ces passages peu nombreux s'aperçoivent à peine dans un des plus vastes commentaires qu'un homme pût entreprendre, puisqu'il embrasse toute la Bible et une grande partie du Talmud. On en citerait bien davantage, on citerait l'ouvrage presque entier, si on voulait recueillir toutes les observations justes, sages, profondes, ingénieuses dont il est rempli. Son style est en général remarquable par l'union assez rare de l'élégance et du laconisme. Le laconisme néanmoins y est quelquefois aux dépens de la clarté. La difficulté s'est augmentée encore pour les étrangers, par l'emploi qu'il fait assez souvent de mots dont le type appartient à la langue française telle qu'elle était alors, et dont plusieurs ont cessé d'être en usage : aussi y a-t-il eu des commentateurs de ses commentaires. David Gantz, dans l'ouvrage intitulé Tzemach David, p. 149 et 150, Plantivitius et Bartolocci dans leurs Bibliothèques rabbiniques, nomment principalement Élie Mizrachi, un rabbin Nun et un rabbin Nathan; mais ces deux derniers, que Plantavitius et Bartolocci ont mal distingué, sont le même écrivain, Nathan de Spire.
Judas Léon leur est encore supérieur : c'est surtout dans l'ouvrage intitulé, Leo juvenis ou Catulus leonis, titre pris du v. 9 du c. 49 de la Genèse; je le rapporte en latin pour mieux conserver la similitude parfaite du nom de l'auteur avec le nom de l'animal auquel le titre fait allusion. Ce commentaire a été imprimé à Prague en 1578. Bartolocci en attribue un autre à un autre rabbin, Judas fils d'Eléazar, sous le titre d'Offrande de Juda, titre qui se rapporte à un passage du prophète Malachie (c: 3, v. 4); mais Wolf ne croit pas qu'il en soit l'auteur. L'ouvrage a été imprimé à Lu-
XIIIe SIÈCLE.
T. I, p. 536.
V. aussi la page 412.
P. 213 de la trad. de Breith., et sur les Ps., p.
210.
Pl., n. 84. Bart., t. I, p. 1795 t. IV, p. 244.
T. III, p. 31.
T. I, p. 412, T. II, p. 296.
T. IV, p. 1827.
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blin, en 1609; à Cracovie, en 1639; à Prague, en 1678. Il existe manuscrit à la Bibliothèque du Vatican et à la Bibliothèque du Roi. C'est surtout par le Talmud et les travaux des talmudistes que le commentateur cherche à éclaircir ce commentaire de Salomon Jarchi sur le Pentateuque.
Salomon Jarchi ne se borna pas, comme nous l'avons dit, à la méditation et à l'étude de la Bible et du Talmud; il étudia encore avec succès la grammaire, 1 'histoire, les langues savantes et étrangères, la médecine, la jurisprudence, l'astronomie. Il laissa des fils dignes de lui, mais ils n'eurent tous qu'une partie de ses connaissances comme de son héritage. Il laissa aussi trois filles, qui épousèrent des rabbins distingués et laissèrent des enfans, dont plusieurs ont pareillement quelque renommée. Faisons connaître leurs travaux; mais, pour nous moins écarter de l'ordre chronologique, recueillons d'abord le peu qu'on sait de Calonyme, oncle maternel de Salomon Jarchi.
Calonyme ou Kolonyme, fils de Juda.
On nous dit bien qu'il était le frère de la mère de Rasci, ce qui fait connaître le temps où il vivait ; mais on n'indique aucun de ses ouvrages : il serait donc étranger à l'Histoire littéraire de la France.
Mais Benjamin de Tudèle, dans son Itinéraire, indique un rabbin de ce nom comme à la tête des Juifs de Narbonne, dont l'Académie était alors si distinguée par le savoir et l'influence des membres qui la composaient. Etait-ce le fils de Juda? Benjamin le fait au contraire fils de David, fils de Théodore, et Wolf aussi le distingue positivement du premier.
Bartolocci annonce un rabbin Juda, fils de Samuel, fils de Colonyme, qui pouvait être le petit-fils de celui dont je viens de parler; mais tout ce que nous en savons, c'est qu'il était Français; on le désigne par Juda de Paris. Bartolocci, qui le rappelle dans le troisième tome de sa Bibliothèque rabbi- nique, promet d'en parler sous le titre de Juda, fils de Samuel ; mais il n'a pas tenu sa promesse.
Les Juifs estiment beaucoup un ouvrage de morale dont le but est d'apprendre à bien reconnaître les vices, à trouver les moyens de s'en garantir, à distinguer et suivre la règle de la vertu; cet ouvrage, intitulé Éven Bochen, la Pierre de touche (par allusion au verset 16 du chap. 28 d'Isaïe),
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. IV, p.
357. Wolf, t. I, p. 1004.
P. 4. Il y avait trois cents Juifs à Narbonne.
P. ioo3 et 1004.
T. III, p. 70.
P. 70, n. 661.
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est ordinairement attribué à un rabbin Colonyme; mais celui-ci n'a vécu que dans le treizième siècle, et il était de Mantoue. On rapporte au même Colonyme, qui n'en est peut-être que le traducteur, FËpître des Vivans, c'est-à-dire, des êtres animés : livre où tous les animaux dissertent successivement sur leur création, sur leur nature, sur l'instinct, sur la raison, sur le domaine et l'empire accordé à l'homme envers tout ce qui existe, etc. ; livre que Plantavitius indique comme rare parmi les Juifs, et ideo, ajoute-t-il, bien satisfait sans doute d'avoir ainsi rapproché deux mots, et ideo iisdem charus et carus esse solet.
Abraham, fils de Salomon Jarchi.
Abraham, fils de Salomon Jarchi, Francais comme lui, a écrit des commentaires sur quelques livres d'Ézéchiel. Un fragment de cet ouvrage est conservé parmi les manuscrits de la Bibliothèque du Vatican.
Le manuscrit 945 de Bernard de Rossi contient plusieurs traités sur des matières qui tiennent aux lois ou aux mœurs, par Abraham, fils de Jarchi.
On a placé au nombre des auteurs juifs un autre fils de ce rabbin célèbre. 11 y a en effet un Jacob, fils d'un Salomon, qui a réuni sommairement dans une espèce de recueil tout ce que ses coreligionnaires avaient pensé du fondateur du christianisme; Génebrard a traduit son livre de l'hébreu en latin, et l'a réfuté dans sa Réponse aux argumens contre les chrétiens, imprimée à Paris en 1572. Mais il paraît que ce rabbin Jacob est plus moderne. S'il est, comme Wolf le pense, le même que Jacob, fils de Salomon Chaviv, il ne peut appartenir qu'au quinzième siècle ou au seizième.
Juda Ben Nathan, gendre de Salomon Jarchi.
Tout ce que nous en savons, c'est qu'il était gendre et disciple de Salomon Jarchi. Après la mort de son beau-père, il en continua le grand travail sur le Talmud. Lui-même mourut bientôt, sans avoir pu l'achever.
Nous avons parlé d'un autre Juda, connu sous le nom de Juda de Paris, dont le père était cousin-germain de Salomon Jarchi.
Les petits-fils de notre rabbin dont une histoire littéraire puisse faire mention, sont Isaac Ben Meir, Samuel Ben Meir et Jacob Tham.
XIII® SIÈCLE.
Plant., p. 547.
Wolf, t. 1, P.
ioo5; t. III, p.
9704.
P. 549.
Bart., t. I, p. 52.
Wolf, 1.1, p. io3.
T. III, p. 21.
V. Wolf, t. I, p. 616 ; t. III, p.
529; et Imbonati, p. 55.
Bart., t. III, p.
969. Wolf, t. I, p. 451.
V. la page précédente.
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Le rabbin Meir, frère de la femme de Salomon Jarchi, eut trois fils, tous les trois dignes d'être placés parmi les hommes les plus instruits de leur nation : le rabbin Samuel, le rabbin Jacob, et le rabbin Isaac. Le premier est appelé Rasbam, par contraction de Rabbi, de Samuel , de Ben et de Meir.
Le seul de ses ouvrages qui soit parvenu jusqu'à nous est une suite de remarques succintes, mais dignes d'estime, sur le Pentateuque. On l'a imprimé à Berlin, en 1705, avec le texte hébreu.
Samuel Ben Meir avait aussi, dit-on, écrit un ample commentaire sur la Gémare; mais Salomon Jarchi, en lisant l'ouvrage, le trouva si prolixe, que, plein de colère et de mécontentement, il le brûla en présence même de l'auteur.
Si cela est vrai, il faut croire que Samuel, après la mort de son aïeul, reprit une partie de son travail : car on le désigne comme ayant achevé ce qui restait à faire du grand ouvrage de Salomon Jarchi sur le Talmud.
Isaac Ben Meir, appelé par contraction Ribam ou Harribam, donna, outre des additions au Talmud, un livre intitulé Sceeloth Utscivvoth, Questions et Réponses. C'est tout ce qu'en dit Wolf. Bernard de Rossi n'en dit rien, ni dans la Notice de ses manuscrits, ni dans son Dictionnaire des auteurs hébreux.
Un caractère semblable à celui du patriarche Jacob fit donner à ce troisième l'épithète de on tham, c'est-à-dire, doux, simple, et, dans un sens absolu, parfait. Il était né à Troyes.
Jacob Tham est auteur des ouvrages suivans : 10 Sepher Haijasciar, le livre du Droit, de ce qui est juste. Ce livre renferme dix-huit traités sur divers points de la jurisprudence mosaïque, et sur plusieurs objets de morale religieuse, comme la pénitence, la crainte de Dieu, la meilleure manière de l'honorer, etc. Il a été imprimé à Venise en 1548, à Cracovie en 1586, à Amsterdam en 1708. André Masius loue cet ouvrage dans le catalogue des auteurs juifs qu'il a placé à la fin de son commentaire sur Josué. Avant les trois éditions dont nous venons de parler, il y en avait eu une à Constantinople, en i526. Wolf la rappelle deux fois, et Bernard de Rossi en possédait un exemplaire. Elle est aussi à la Bibliothèque du Roi. Le catalogue des livres imprimés l'a placée sous le n° 1000; le n° 957 n'est peut-être qu'une partie de ce livre ou du livre suivant. 2° Sepher Happiska, ouvrage
XIIIe SIÈCLE.
Lelong, t. II, p. 944. Wolf, t. 1, p. 11 io. Rossi, t.
II, p. 120.
Sciai. Hak., p.
51.
Bart., t. IV, p.
381, où il l'appelle Samson au lieu de Samuel.
T. I, p. 678.
V. Bart., t. III, p. 868, et Wolf, t. I, p. 620 ; t. III, p. 533.
Dict. des aut' hébr., t. I, p. 141.
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dont le sujet ne paraît pas différer beaucoup du précédent, et qui a mérité les éloges de Maimonide. 3° On lit dans les Thosaphoth ou additions au texte du Talmud, et particulièrement de la Misna, beaucoup de discussions qui toutes ont des Juifs français pour auteurs, mais dont le plus grand nombre appartient à Jacob Tham. Ces discussions ont été publiées avec l'ouvrage même auquel elles se rapportent, le Talmud de Babylone, et en remplissent la seconde colonne. 40 Bassar el gabbe ghechalim, la Chair sur des charbons allumés. Nous n'en connaissons pas l'objet; on ne nous en a conservé que le titre. Wolf croit cependant que l'on cherche à y expliquer les causes de divers rits des Hébreux. 50 Ighereth Hattescivva, Épître sur la pénitence.
Ce sont Plantavitius et Bartolocci qui l'attribuent à Jacob Tham. Wolf la suppose d'un autre rabbin. Elle a été imprimée à Cracovie.
Conrad Pellican a traduit en latin le premier de ces cinq ouvrages ; le manuscrit de cette traduction est dans la Bibliothèque de Zurich.
Il paraît que Jacob Tham s'était pareillement exercé dans la poésie. Bernard de Rossi a trouvé un petit poëme de lui dans les manuscrits qu'il possède.
Isaac Ben Gheash, surnommé Harritz, eut pour mère une sœur des trois rabbins que nous venons de rappeler, fille comme eux du rabbin Meir, beau-frère de Salomon Jarchi.
On pardonnera aux écrivains de cette nation le soin qu'ils prennent de rattacher ainsi l'un à l'autre, par une descendance de travaux et de renommée, les auteurs qui leur paraissent mériter de vivre dans la mémoire de la postérité.
L'époque où Salomon Jarchi vécut, et ce que nous venons de dire de plusieurs autres membres de sa famille, prouve jusqu'à quel point on s'est trompé en plaçant la mort d'Isaac Ben Gheash à l'année 1089 avant l'ère chrétienne.
Isaac quitta la France, où il était né, pour aller vivre en Espagne. On a cru que ce pourrait être par l'effet des proscriptions qui pesèrent sur les Juifs, sous le règne de Philippe-Auguste.
Il se fit remarquer en Espagne par son esprit et ses lumières. Il devint le chef d'une école ou d'une académie voisine de Cordoue. La littérature grecque et la poésie avaient été surtout l'objet de ses études. Ce rabbin n'était donc pas au nombre de ceux qui voulaient proscrire comme irréligieuse
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. II, p, 779.
T. Il, p. 1273.
T. I, p. 486.
Nova et aut. Tigur., p. 54.
Mss., t. II, p. 86.
Sciai. Hak., p.
52.
V. Bart., t. III, p. 897; Wolf, 1.1, p. 653; Rod. de Cas., t. I, p. 11.
Bart. et Rod.
de Cas., ibid.
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la connaissance de la langue et des ouvrages d'Homère et de Solon , de Thucydide et d'Aristotç , de Démosthène et de Platon, doctrine fanatique qu'on retrouve jusque dans la Misna : Maudit soit, dit-elle, qui instruit ses fils dans la science des Grecs!
Nous avons de ce rabbin quelques poésies. Le chant récité encore à la fête de Purim, célébrée en commémoration du bienfait d'Esther, qui sauva les Juifs de l'extermination qu'Aman leur préparait, est d'Isaac, fils de Gheash; on l'a publié à Venise, sans date et sans nom d'imprimeur, sous le titre de nci-n rrm Sirah nahimab, Chant joyeux de fête, avec des notes du rabbin Aba Mon. Thomas Hyde le cite dans son catalogue de la bibliothèque léguée par Bodley à l'université d'Oxford. Le manuscrit 1117 de la Bibliothèque de Bernard de Rossi contient deux hymnes du même auteur.
Isaac Ben Gheash est un des rabbins qui fournissent aux supplémens du Talmud et à la liturgie des Hébreux. On lui - attribue un commentaire sur l'Ecclésiaste.
Un autre Isaac, Isaac Hazaken ou le Vieux, était arrièreneveu de Salomon Jarchi. Il concourut à ces additions auxquelles Jacob Tham, dont il était neveu par sa mère , avait consacré une partie de ses études et de ses soins.
On retrouve sur les époques de sa naissance et de sa mort la confusion que nous avons déjà plusieurs fois remarquée dans Bartolocci, confusion laissée, et quelqufois accrue par des biographes postérieurs.
Aucun rabbin peut-être n'a formé un plus grand nombre de bons disciples. On assure que soixante d'entre eux savaient par cœur chacun un des livres du Talmud, et qu'ils se livraient', les uns contre les autres, à des objections et des discussions, en s'opposant mutuellement les divers passages de ces divers livres dont le Talmud se compose.
On nomme encore parmi les parens de Salomon Jarchi un rabbin Jacob, que Bartolocci fait naître dans une ville française appelée Domrog. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu en France de ville de ce nom, ni du nom de Romrog, que d'autres substituent au premier. Domrog est un nom de famille, et non pas de cité : nous l'apprenons de Bartolocci lui-même.
Ce biographe élève aussi quelques doutes sur ce qu'on fait descendre le rabbin Jacob de Salomon Jarchi. Il prétend même que ce dernier n'a existé qu'après l'autre, et il dit,
XIIIe SIÈCLE.
T. III, p. 304.
P. 366. Wolf, t. I, p. 653.
T. III, p. 6g.
Rossi, t. I, p.
174.
Tzem David, p.
138.
T. III, p. 842.
V. Rossi, t. II, p. 141, et aussi p. 120.
T. III, p. 859.
T. III, p. 843.
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pour le prouver, qu'un auteur, plus ancien, Heravad, dans un traité de la cabale ou de la tradition, parle de ce Jacob sans faire mention de Salomon Jarchi, dont le nom n'aurait pas été oublié, si déjà il eût été célèbre. L'observation aurait beaucoup de force, si le biographe n'était pas même ici en contradiction avec lui-même; mais, dans sa table chronologique, il place sous la même année, 1100, Heravad et Salomon Jarchi, et dans le texte de son ouvrage il les fait mourir l'un et l'autre en 1180. Plusieurs autres pensent, et avec plus de vraisemblance peut-être, que ce Jacob est le même que Jacob Tham, dont nous venons de faire connaître l'époque et les travaux.
Citons encore, à la suite de ses parens, deux disciples connus de Salomon Jarchi. Le premier, Samuel Mevonirnock, ou Mibbonerbock, est auteur d'un livre sur le paradis ; mais nous avons vu que Salomon Jarchi avait fait un ouvrage qui a le même objet et le même titre : peut-être celui de Samuel Mevonirnock n'est-il qu'un commentaire sur cet ouvrage, ou n'en est-il qu'une analyse, qu'un abrégé. Le second, Simcha de Vitry, était né dans la ville dont il porte le surnom, dans celle de Champagne vraisemblablement, puisque son maître vivait à Troyes. Il a écrit un traité sur le cours et le mouvement des astres, un autre intitulé le Cycle paschal, quelques autres encore. On estima d'autant plus ses travaux, qu'il les donnait lui-même comme n'étant que les instructions ou les lecons recues de son illustre maître.
* Les prières des Juifs contre les chrétiens avaient été composées par Simcha de Vitry, suivant Constantin Lempereur, dans ses notes sur l'Itinéraire de Benjamin de Tudèle. P.
David Ben Joseph, Ben Kimchi.
Bartolocci s'est trompé deux fois sur la patrie de David Kimchi : d'abord, en la supposant inconnue; ensuite, en supposant que ce fut l'Espagne ; opinions au reste qu'il est malaisé de concilier entre elles. David Kimchi était né en Provence, et on le trouve souvent désigné par Radak de ProvÙzciâ. Ce dernier mot rappelle l'endroit où il vit le jour ; le premier est une contraction commune aux Juifs, un abrégé de son nom en l'exprimant uniquement par les lettres initiales des mots qui servent à le désigner : Radak, pour
XIIIe SIÈCLE.
T. IV, p. 64.
Wolf, t. I, p.
1092 et 1121.
Bart., t. IV, p.
464.
V. ci-dessus, p.
35o.
V. Dav. Gantz, p. 134; Bart., t.
iv, p. io5 ; Wolf, t. I, p. 1124; t.
m, p. 113 1.
P. 150.
Bibl. Rabb., p.
25.
V. Sciai. Hak., p. 54.
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Rabbi David Kimchi. Mais la Provence appartenait alors aux comtes de la Marche d'Espagne, plus connus sous le titre de comtes de Barcelone, leur capitale. Celui qui y régnait à cette époque, Raymond Bérenger III, avait épousé la fille aînée de Gilbert et de Gerberge, qui lui apporta tous ses droits sur la Provence; et Raymond Bérenger IV était devenu en -1137, par un mariage aussi, ou plutôt par des fiançailles (car celle qu'il devait épouser n'avait encore que deux ans) , roi d'Aragon. Voilà ce qui a pu faire appeler David Kimchi Espagnol, quoiqu'il fût véritablement Français. Aussi Nicolas Antoine de Séville, mieux instruit, n'a-t-il pas placé le nom de ce rabbin dans la Bibliothèque qu'il a publiée en deux volumes in-folio, des auteurs de cette nation.
David Kimchi est placé sous l'an 1190 dans le Tzemach David du rabbin Ganz, et dans la table chronologique de Bartolocci. L'auteur de Scialseleth Hakkabbala dit 1192.
Les deux manières de compter ne peuvent se rapprocher davantage. Mais il ne faut entendre ceci ni de l'année de sa naissance ni de l'année de sa mort, mais de celle où les travaux de David Kimchi commencèrent d'être connus. Il publia vers ce temps ses premiers ouvrages sur la grammaire, et leur succès n'a fait que s'accroître. Nous en parlerons bientôt avec l'étendue qu'ils méritent.
David quitta la Provence pour le Languedoc; il vint s'établir à Narbonne, une des villes de France, où la théologie hébraïque était le mieux cultivée. C'est là qu'il composa le plus grand nombre de ses ouvrages. Le jeu de mots que son nom a produit suffit pour nous donner une idée de l'estime que les Juifs accordent à ses travaux : im en kemach en thor.a, point de farine, point de loi (kimch veut dire farine; et kimchi, celui qui en est couvert, un meûnier).
On dit aussi de lui : en kemach beli kimchi, pas de farine sans meûnier, ou bien pas de doctrine sans Kimchi. C'est un passage de la Misna qu'on lui applique.
Le plus illustre des docteurs juifs, Maimonide (a), avait publié des opinions que plusieurs rabbins ne crurent pas devoir adopter, dans un ouvrage intitulé More nevochim, le Guide de ceux qui doutent, de ceux qui sont dans la perplexité. Cet ouvrage, écrit par son auteur en arabe, venait
(a) Ou Moïse fils de Maimon. On a dit aussi de lui, en faisant allusion à son nom : A Mose ad Mosem non fuit sicut Moses.
XIIIe SIÈCLE.
T. IV, p. 446.
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d'être traduit deux fois en hébreu, et notamment par Samuel Ben Tibbon, un des disciples chéris de Maimonide. A peine la traduction fut-elle achevée, que les copies s'en multiplièrent, et se répandirent successivement partout où il existait des Juifs. Mais ce concert assez unanime d'empressemens et d'éloges ne manqua pas d'être troublé par l'erreur, le fanatisme et l'envie. On accusa l'auteur d'avoir voulu détruire cette doctrine du Talmud, qu'il avait seulement eu l'intention de purifier, en la ramenant vers des idées plus raisonnables, en la dépouillant de tout ce que la superstition y avait ajouté de ridicule ou d'étranger : on ne vit plus en lui qu'un ami de la philosophie, et, ce qui était bien plus redoutable dans la pensée des accusateurs, un ami de la religion chrétienne. Un rabbin de Montpellier, qui jouissait de quelque considération, Salomon fils d'Abraham, et deux de ses disciples, le rabbin Jonas et le rabbin David fils de Saül, écrivirent contre Maimonide avec une violence sans bornes; aucun titre injurieux ne fut épargné; il n'y eut pas d'imprécation que l'on ne fît contre lui, pas de censures ecclésiastiques dont il ne fût accablé; ils vouèrent le livre aux flammes, et de terribles anathèmes furent prononcés contre l'Israélite qui oserait le lire. Cependant, en France même, d'autres rabbins prenaient la défense de l'auteur accusé; ils censuraient à leur tour, ils anathématisaient, ils excommuniaient le rabbin de Montpellier et ses disciples. Des lettres furent écrites par ces derniers, toujours avec la même ardeur, à toutes les synagogues françaises; la plupart adoptèrent leur opinion. Le désordre allait en croissant : un esprit sage et ferme pouvait seul l'arrêter; mais il fallait que ses lumières lui donnassent cette forte autorité que les passions mêmes ne respectent pas toujours. David Kimchi était favorable à Maimonide. Il avait été envoyé en Espagne par les rabbins de Narbonne et ceux qui partageaient la même opinion, pour les défendre. Les synagogues espagnoles se prononcèrent si unanimement contre les théologiens de Montpellier, que les synagogues françaises qui les avaient approuvés les abandonnèrent. Juda fils de Joseph, fils d'Alphacar, médecin et premier rabbin à Tolède, leur restait seul fidèle; il leur écrivait pour les consoler, pour les féliciter de leur courage, les déclarer conservateurs de la pureté de la foi. Kimchi n'oublia rien pour le ramener à des principes qu'il croyait plus vrais. Il lui adressa quelques écrits où la
XIIIe SIÈCLE.
V. Bart., t. II, p. 27, etc. ; t. IV, p. 102, etc. Wolf, t. 1, p. 3io.
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question était discutée avec autant d'adresse que de savoir, écrits auxquels le pieux médecin de Tolède ne répondit pas toujours, auxquels il ne répondit longtemps qu'avec assez de rudesse, de hauteur et d'inflexibilité. La patience et l'art de Kimchi obtinrent enfin sur ce dernier adversaire une victoire complète.
Nous avons encore les lettres du rabbin de Narbonne à celui de Tolède. Elles ont été imprimées avec celles de Maimonide, à Venise, en 1544. La première commence par ce passage du livre des Nombres : « Je suis sorti pour m'op« poser à vous, parce que votre voie n'est pas droite devant « moi. » Le rabbin Juda ne lui ayant fait aucune réponse, Kimchi lui adressa une seconde lettre commençant par ces mots que Sara dit à Abraham, dans la Genèse, et que nous aimons mieux citer en latin; ce n'est même qu'ainsi que l'application en peut être bien comprise : Ecce concluait (ou occlusit) me Dominus, ne parer em. Juda répondit cette fois, et Kimchi lui répondit à son tour par une épître dont la Genèse lui fournit encore les premiers mots : « Juda, vous « serez loué par vos frères. Il Le rabbin de Tolède répliqua de nouveau ; mais ce ne fut pas des louanges qu'il promit à son adversaire : il s'écrie, en commençant, avec le prophète Zacharie, ou plutôt avec Jéhova, que le prophète fait parler : cc Que le Seigneur te réprime, ô Satan, que le Seigneur te cc réprime. » Kimchi n'en répond qu'avec plus de douceur, de modestie, d'urbanité. Juda s'adoucit lui-même, et finit par reconnaître son erreur. Levant toutes les censures, qu'il avait prononcées contre les ouvrages de Maimonide, il ôta ainsi aux rabbins de Montpellier le seul appui qui leur était longtemps resté. Leur opinion fut bientôt abandonnée par eux-mêmes. Ils firent effacer l'épitaphe injurieuse qu'ils avaient fait mettre sur le tombeau de ce docteur célèbre, et y en substituèrent une plus conforme à ses travaux et à sa gloire.
David Kimchi est au premier rang parmi les grammairiens et les lexicographes hébreux. On l'appelle encore aujourd'hui DipipTDn, ros hammedakddekim, le chef, le prince des grammairiens. Reuchln, Sanctes Pagninus, Sébastien Munster, Fagius, Vatable, Jean Mercier (Mercerus), Drusius, Morin, Buxtorf, Pfeiffer, tous les chrétiens qui ont écrit sur cette partie de la littérature hébraïque, l'invoquent sans cesse comme autorité ; ce sont ses définitions, ses inter-
XIIIe SIÈCLE.
C. 22, V. 32.
C. 16, V. 2.
C. 49, v. 8.
C. 3, v. 2.
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prétations, ses observations, qu'ils rapportent. « David Kimchi « a été le plus suivi de tous les grammairiens juifs, Il dit Richard Simon, « tant à cause de sa méthode que de la « netteté de son style. » Comme il a surpassé tous les autres, on n'a presque lu dans ces derniers siècles que ses ouvrages. Les chrétiens les ont traduits, suivant le besoin qu'ils en ont eu, et ils en ont même fait la règle de leurs traductions. Les Juifs modernes le préfèrent aussi à tous les autres grammairiens. Pfeiffer, dans sa Critique sacrée, dit que ce rabbin est comme un cheval de Troie, d'où sont sortis beaucoup d'auteurs chrétiens, lesquels ont été d'autant plus savans qu'ils l'avaient mieux lu, mieux compris. Aucun écrivain n'a été plus exact, plus méthodique, plus clair, moins ami des subtilités, plus éloigné de cette superstition qui altère et dénature la grammaire elle-même.
Le premier ouvrage de ce genre qu'on lui doit est intitulé HiSsa Michlol, Perfection. Drusius l'appelle les Pandectes du grammairien, dans son ouvrage sur la langue sainte, et c'est là vraisemblablement ce qu'on a voulu dire par Michlol : le livre parfait, à qui rien ne manque, qui contient tout ce qu'il doit contenir. L'auteur en effet l'a divisé en deux parties: la première embrasse toute la grammaire ; la seconde est le dictionnaire de tous les mots compris dans la Bible. Dans l'usage, le nom de Michlol est plus particulièrement resté pour désigner la Grammaire, comme Wolf l'a observé; et le Lexique est plus connu sous le titre du livre Ditinro Schoraschim, des Racines; c'est un dictionnaire biblique, et non pas talmudique. L'ouvrage avait d'abord été imprimé deux fois à Naples, en 1490 et 1491 ; deux fois à Constantinople, en 1513 et i 53o ; trois fois à Venise, en 1529, 1545 et 1547; toujours in-folio. Elias Lévite, autre savant juif, a joint des notes à l'édition de 1545. Le Dictionnaire a reparu en 1548, à Paris, par les soins et avec une préface de Robert Estienne, sous le titre de Thésaurus linguœ sanctæ ex R. David Kimchi, contractior et emendatior, qu'Estienne appelle la première partie, par allusion peut-être à un dictionnaire talmudique qu'il se proposait de publier ensuite. Le savant imprimeur donna, l'année suivante, une grammaire de Sanctes Pagninus, qui, comme le titre même l'annonce, était due presque en entier à David Kimchi : Hebraicarum insliiutionum libvi quatuor, Sancte Pagnino, Lucensi, auctore, ex R. D.
Kimchi priore parte fere transcripti, 1549, in-40; et, quelques
XIII- SIÈCLE.
P. 176. V. aussi p. 741, et Rossi, t. l, p. 150.
P. 373.
P. 82 et 86. V.
aussi Baill., t. III, p 202, et Masch, t. I, p. 98.
T. I, p. 3o5.
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années après, en 1554, un abrégé sous ce titre : Compendium
Michlol, hoc est, absolutissimum Grammatices Davidis Kimchi, nunc prima editum, auctore Rodolpho Bayno, Cantabrigense, et sanctce linguce professore regio Luletice Parisiorum. Parisiis, - - apud - Carolum Stephanum, lypographum regium.
MDLIIII. On peut voir sur quelques autres éditions ou de l'ouvrage entier ou de chacune de ses deux parties, principalement des manuscrits qui en existent, la Bibliothèque de Bartolocci, celles de Wolf, Buxtorf, Hottinger, Lipenius et Joseph Bernard de Rossi. Nous avons deux manuscrits des Racines à la Bibliothèque du Roi : l'un sous le n° 478 du catalogue qu'on en a publié; l'autre, sous les nos 4 et 5 : le premier est seul , le second, dans un volume qui renferme d'autres ouvrages. Nous y en avons plusieurs de sa Grammaire, sous les nos 474, 476, 477, 492, 493 et 494, aux deux premiers est jointe une interprétation latine, différente dans chacun des deux. Le Lexique hébraïque est sous le n° 482.
La Grammaire de David Kimchi a été traduite plusieurs fois en latin. Une de ces traductions est due à un professeur de l'université de Paris; elle y fut publiée, en 1540, in-8°. Wolf en attribue une plus ancienne à un Italien dont le 'nom n'est pas connu. Conrad Pellican est l'auteur de la troisième.
La meilleure édition de la Grammaire de David Kimchi est celle qui fut imprimée à Venise, en 1545. Les passages de l'Écriture y sont rapportés avec des points, et on indique, à la marge, de quel livre on les a pris ; c'est la même à laquelle sont jointes les observations du rabbin Élias Lévite.
Bartolocci lui reproche cependant quelques erreurs, qui pourraient tenir bien plus aux idées religieuses de David Kimchi. qu'à ses connaissances grammaticales. L'auteur, par exemple, met quelquefois le singulier au lieu du pluriel, et dit que le pluriel n'est alors employé que par une forme particulière de discours, comme les princes, au lieu du mot je, se servent du mot nous. Il avait surtout pour objet de ne laisser porter aucune atteinte à l'unité de Dieu, et d'écarter d'avance tous les passages dont on aurait pu tirer, avec une traduction au pluriel, des conséquences favorables à l'existence des trois personnes qui reposent en Dieu, suivant les chrétiens. Cette opinion avait déjà été soutenue par Joseph Kimchi, père de David, auteur de deux ouvrages intitulés, l'un, des Batailles du Seigneur, l'autre, de l'Alfiance, ouvrages que l'on doit placer parmi les plus violens qu'ait enfantés la haine pour le christianisme.
XIIIe SIÈCLE.
V. Bart. t. II, p. 34; Wolf, t. I, p. 308 ; Imbon., p. 28.
T. II, 33.
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La Grammaire de David Kimchi a été réimprimée à Leyde, en 1631.
Élias Lévite, et d'après lui Buxtorf, citent un ouvrage du même écrivain sur les points et les accens : Eth Sopher,strlus scribœ (Ps. 44, v. 2), dit Plantavitius (Bibliothèque rabbinique, p. 613), liber rabbini Davidis Kimchi tractans de mas-
sora et accentibus, quem citat Elias grammaticus in fragmentis tabularum, et post earn Buxtorfius in libello quem de He-
brœorum abbreviaturis conscripsit. (V. aussi Hotting. Biblioth.
p. 43 et 44 ; et Rossi, Dict. des aut. hébr., t. I), p. 189.
Les commentaires de David Kimchi sur l'Ecriture ne lui ont pas attiré moins de renommée. Ceux qu'il a publiés sur les Psaumes ont été traduits de l'hébreu en latin, par un religieux de la congrégation de Saint-Maur, dom Janvier, et imprimés à Paris, en 1666. La traduction des dix premiers psaumes est de Fagius, comme le dit dom Janvier lui-même dans sa préface. On trouve aussi les commentaires de David Kimchi sur les Psaumes, du moins en partie, à la fin d'un recueil donné par Reland, au commencement du dix-huitième siècle, sous le titre d'Analecta rabbinica, et imprimé à Utrecht ; la seconde édition a paru en 1723. Un théologien espagnol, Barthélemi Valverde, que Nicolas Antoine et Rodrigues de Castro rappellent dans leur Bibliothèque, a traduit aussi en latin les commentaires sur les cinquante premiers psaumes. Le manuscrit en est à Rome, au couvent des Carmes de Sainte-Marie-Transpontine. Rodrigues de Castro annonce qu'il y a un manuscrit hébreu de l'ouvrage tout entier dans la Bibliothèque de l'université de Salamanque.
Il est aussi dans celle du Vatican, dans celle de la Propagande, dans d'autres bibliothèques, ainsi que nous l'apprennent Lelong (Bibl. sacr., t. II, p. 696), et Bartolocci, dans l'endroit même que nous venons d'indiquer, auxquels il faut joindre Wolf, et Rodrigues de Castro, et Bernard de Rossi. On peut voir encore ce que dit Richard Simon, dans les Lettres choisies (t. II, p. 84), de quelques additions qu'il avait lues et comparées entre elles.
Nous avons à la Bibliothèque du Roi plusieurs exemplaires manuscrits du même ouvrage, sous les nos 19, 20, 88, 90, 94, 129. Il a été imprimé à Venise, en 1518 (voir la Grande Bibliothèque rabbinique), avec le texte et une paraphrase chaldaïque. Lelong et Wolf parlent également de plusieurs éditions données à différentes époques et dans diffé-
XIIIe SIÈCLE.
Bibl. Rabb., p.
391.
Th. Orient.
Nic. Ant-, t. I, p. 158. Rod. de Cas., t. I, p. 90.
Bart., t. II, p.
31. Imbonati, p.
12.
Bibl. Espan., I, p. go.
Wolf, t. I, p.
304 ; t. III, p. 191 ; t. IV, p. 807. Rod.
de Cas., 1.1, p. 85.
Rossi, t. I, p. 130 et 150; t. II, p. 10, 46, 62, 113, 127, 132, 175 ; t. III, p. 11, 24, 63, 67, 73, 78, 93 et 143.
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rens pays, à Venise, à Naples, à Paris, à Isne, à Crémone, à Salonique, à Francfort, des commentaires de ce rabbin sur quelques-uns des psaumes.
David Kimchi est en général moins prodigue d'injures envers les chrétiens, que ne l'étaient, à cette époque, la plupart de ses coreligionaires. Il avait gardé cependant moins de mesure dans son commentaire sur les Psaumes.
Génébrard a traduit et réfuté ses argumens. Les passages qu'on reprochait à l'auteur juif ont été retranchés dans les éditions postérieures de ce commentaire. L'ouvrage n'en a obtenu que des suffrages plus universels. On reconnaît tout son mérite, et l'estime que les chrétiens mêmes y ont attachée, en lisant cette approbation donnée par la Sorbonne à la traduction de dom Janvier : « Nullae possunt rependi gratise satis amplse eruditissimis « illis interpretibus qui gravem ac sedulam adhibent operam « ut ad Psalmos rite ac recte intelligendos iter nobis pateat « ac aditus facilis, utpote qui magnum opersæ pretium fa« ciunt et reipublicæ christianae non tam utile quam neces« sarium ; si quis autem in hoc studiorum genere laudem « aliquam hactenus meruit aut gratiarum actiones, is certe « fuit rabbi David Kimchi. adeo docte ac solide sensum « litteralem et historicum singulorum psalmorum prose« quitur et investigat, ut inter hebræos ac christianos inter« pretes princeps haberi possit facile et antesignanus. »
Kimchi a pareillement commenté le livre de Josué, celui des Juges, les livres des Rois et les Prophètes. Quelques-uns même lui attribuent un commentaire sur le Pentateuque.
Ce qu'il a écrit sur la Genèse, et qui n'est pas un commentaire sur ce livre, comme le croit Wolf, mais uniquement sur les premiers chapitres, où Moïse parle de la création , ce qu'il a écrit pareillement sur Josué, sur les livres des Juges et des Rois, sur les Prophètes, a été traduit en latin, ainsi que l'a été sa Grammaire, par Conrad Pellican, d'abord moine catholique, ensuite ministre protestant, et professeur d'hébreu à Zurich, où sa traduction fut imprimée en 1582. Ce qu'il a écrit sur les Prophètes uniquement a été mis en latin aussi par Jean Mercier, professeur distingué du quinzième siècle, et successeur de Vatable dans la chaire consacrée à l'enseignement de la langue hébraïque au collége de France. Mercier a traduit en même temps les Observations de Jarchi et d'Abenezra. Génébrard a donné pareillement
XIIIe SIECLE.
Scial. Hak., p.
54. Bart., t. II, p. 30. Wolf, t. I, p. 3oo; t. III, p. 189, t. IV, p.
805, Mais v. Rossi, t. I, p. 188, et mss., t. III, p. 124.
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une traduction de ces trois rabbins, mais pour Joël seulement. Les commentaires de David Kimchi sur les Prophètes furent aussi imprimés en 1539, avec le texte, par Robert Estienne; Vatable a présidé à cette édition en totalité ou en partie: ils l'avaient déjà été à Pesaro, en 151 1 et 1515 ; à Venise, en 1517 et en 1525 ; à Bâle, en 1530 et 1531 ; à Thessalonique, en 1535.
Pellican et Mercier ne sont pas les seuls qui aient traduit en latin ces commentaires. Bartolocci et Wolf font connaître d'autres interprètes. Lipenius en rappelle aussi beaucoup d'éditions. On peut consulter Wolf et Bartolocci sur plusieurs manuscrits des commentaires de David Kimchi, ainsi que le Dictionnaire des auteurs hébreux, par Bernard de Rossi. Les Observations du docte rabbin ont été publiées dans les grandes Bibles de Venise, de Bâle et d'Amsterdam. Le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque du Roi annonce, sous les nos 9, 81, 82, 85, 94, 95, 97 et 98, ses commentaires sur les livres de Josué, des Juges et des Rois, sur les Proverbes de Salomon, sur Isaïe et sur Jérémie. Bernard de Rossi a seize manuscrits de cet auteur sur les Prophètes seuls; il en a près de soixante pour les divers ouvrages de David Kimchi. Il lui attribue même quelques écrits dont les autres biographes n'avaient pas parlé. (P. 146 et 166; t. II, p, 8, 26, et dans les pages suivantes, et plusieurs fois aussi dans le troisième volume).
Voet et Hottinger lui attribuent une version espagnole de la Bible ; mais ils ne fondent leur assertion sur aucune autorité, comme l'observe le père Lelong, dans sa Bibliothèque sacrée ; ils ne disent pas où cette version se trouve, et elle est parfaitement inconnue. Les Juifs espagnols, ceux entre autres qui travaillèrent à l'édition de Ferrare, n'eussent pas oublié d'en faire mention.
Nous avons dit, au commencement de cet article, ce qui a pu faire croire que David Kimchi était né en Espagne. Il serait possible également qu'une branche de sa famille y eût résidé, ou qu'elle s'y fût établie à l'époque où ce rabbin y vint passer plusieurs années, à l'occasion des ouvrages de Maimonide. Mais Bartolocci recule trop cet événement en le plaçant sous l'an 1232. Maimonide, né en i 13 1, mourut à soizante-treize ans, en 1204. Il vivait encore quand la traduction de son ouvrage, faite par un de ses disciples, parut.
Bartolocci dit lui-même que celui de l'auteur avait été achevé
XIIIe SIECLE.
Bart., t. II, p.
30. Wolf, t. I, p. 301 ; t. III, p.
189 ; t. IV, p. 806.
Bibl. Th., t. I, p. 35,150,625; t. II, p. 146, 222, 501 et suiv.
T. I, p. 187. V.
aussi mss., t. I, p. 40, 41.
V. Dict des aut. héb., t. I, p.
187 et 190.
T. I, p. 364.
T. II, p. 28.
Lelong aussi, Bib.
sac., p. 55.
T IV, p. io3.
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en 1181. Supposez que l'interprète ait mis dix ans à son travail, ce qu'il est peu facile de croire, puisqu'il était sous les yeux de son maître ; supposez un espace de temps égal pour qu'un ouvrage si important, si désiré, ait pu se répandre : ( il semble que les agitations durent éclater dans les premières années du siècle suivant. Nous voyons même que Maimonide était mort dans l'intervalle, qu'une épitaphe honorable mise sur son tombeau avait été remplacée par une inscription déshonorante, et qu'on la changea enfin une troisième fois pour en revenir à ce qu'on lui devait de reconnaissance et de justice.
Nous avons indiqué plusieurs éditions des différens ouvrages de David Kimchi. En voici une table plus complète ; nous suivons l'ordre dans lequel ils sont placés par Wolf, et comme lui, nous présentons ceux qui concernent la grammaire séparément de ceux qui ont pour objet d'interpréter l'Écriture.
Le premier est intitulé : Commentaire sur la loi. Il n'a pas été imprimé. Nous n'en connaissons même l'existence que par le Scialsceleth Hakkabala. On a cru que le manuscrit en était dans la Bibliothèque d'Oxford. Le catalogue de cette bibliothèque n'en fait pas mention, comme Wolf l'a observé.
Il existait dans celle de la Sorbonne à Paris; il est aujourd'hui à la Bibliothèque du Roi. Wolf avait vu, dans celle d'Oppenheim, la copie manuscrite des Éclaircissemens sur quelques chapitres de la Genèse.
Des commentaires sur les prophètes, anciens et nouveaux.
Ils sont imprimés ainsi que les commentaires sur les Psaumes dans les Bibles rabbiniques publiées à Venise en 1518 et en 1549. Il n'y a dans celle de 1526 que les observations sur les premiers prophètes et sur Jérémie et Ézéchiel. On joint à celle de 1549 les remarques sur les Paralipomènes ; et c'est d'après celle-là qu'ont été faites les autres éditions de ces grandes Bibles. Le commentaire sur les Psaumes n'est pas dans l'édition de Bâle ; celui sur les prophètes postérieurs a été imprimé séparément, à Pezaro, en 1515 ; celui sur les premiers prophètes l'avait été vers la fin du siècle précédent, à Pezaro aussi, en 1486, et à Leiria, ville de Portugal, en 1494; celui sur Isaïe, et Jérémie en particulier, à Naples, à Lisbonne, à Constantinople, en 1497 et 1513; celui sur Ozée, à Paris, en 1558, avec d'autres remarques d'autres rabbins; celui sur Joël et sur Malachie, à Bâle, en 1530;
XIIIe SIÈCLE.
T. 1, p. 300, etc., et ensuite t.
III, p. 189, etc. ;
t. IV, p. 806 et suiv.
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celui sur Amos, à Bâle encore, en 1531 ; celui snr Malachie seul, mais en y joignant les notes de Jarchi, à Paris, en 1618.
Nous avons parlé des traductions latines de dom Janvier, de Paul Fagius, de Barthélemi Valverde, de Conrad Pellican, de Jean Mercier, de Génébrard. On peut y joindre celles de Munster, pour les commentaires sur Isaïe et sur Jérémie ; d'Arnaud de Pontac, pour ceux sur Abdias, Sophonie et Jonas ; de Dassovius, pour plusieurs prophètes et sur les livres des Rois ; de Leusden, pour les commentaires sur Jonas et sur Joël ; de Bourdelot et de Simon de Muis, pour la plupart des Psaumes, et de quelques autres encore.
Aux manuscrits que nous avons déjà cités, nous nous contenterons de joindre une note de ceux qu'on trouve à la Bibliothèque du Roi : Nos 4 et 8. Codex membranaceus, in Bibliothecam Colbertinam anno 1674 illatus, duobus voluminibus elegantissime scriptis constans : ibi continentur Veteris Testamenti libri omnes unà cum punctis vocalibus. Ad utramque hujusce codicis oram leguntur notae quædam masoreticas. In superiori et inferiori margine exscriptus est liber radicum R.
Davidis Kimchi. In medio occurrit praeceptorum legis Mosaïcse compendium. Is codex ad decimum quartum saeculum referendus videtur.
N° 19. 10 Psalmi cum commentariis; 2° Proverbia cum commentariis.
N° 20. Psalmi.
N° 81. David Kimchi Commentarii in libros Josue, Judicum, Regum, et in Isaiam.
N° 82. Commentarii in Josuam et alios Libros historicos.
N° 85. Commentarii in libros Regum.
N° 88. Commentarii in Psalmos.
N° 90. Idem.
N° 94. Davidis Kimchi Commentarii in Isaiam et Psalmos ad 104 usque. ln medio codice folia nonnulla desiderantur.
N° 95. Commentarii In Isaiam et Jeremiam.
N° 97. Commentarii in Jeremiam.
N° 98. Idem. Desideratur initium.
N° 129. Commentarii in Psalmos.
Ce sont là les manuscrits conservés des commentaires de David Kimchi sur les Psaumes, les Prophètes et les livres historiques de l'Ancien Testament. On conserve aussi plusieurs de ses ouvrages de grammaire. On trouve sous les
XIIIe SIÈCLE.
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nos 4 et 5. : Codex membranaceus etc. (voir la page précédente). Le n° 478 est aussi : Davidis Kimchi liber Radicum.
Le n° 474 était : Davidis Kimchi Grammatica hebraica, unà cum latinâ interpretatione.
N° 476. Grammatica hebraea, unà cum latinâ interpretatione, a priori omninà divisa.
Nos 477, 492, 493, 494. Grammatica hebraica.
N° 482. Lexicon hebraicum, autore Dav. Kimchi.
Ce que nous avons dit du livre des Racines et du livre intitulé Michlol, et d'un autre livre sur les points et les accens, tous ouvrages de David Kimchi, nous paraît devoir suffire pour mettre à portée de faire connaître ses travaux dans ce genre. On lui attribue une autre grammaire dont il n'est pas très-sûr qu'il soit l'auteur. Il annonce dans la préface de son commentaire sur les livres des Rois qu'il s'occupait alors d'un ouvrage chronologique. On a de lui encore de savantes épîtres, faites principalement à l'occasion des disputes élevées, comme nous l'avons dit, pour la doctrine de Maimonide.
Il cultiva enfin la poésie, et on lui doit, entre autres choses, d'avoir retouché et corrigé les préceptes de la loi mis en vers par Salomon fils de Gabirol, et que les Juifs récitaient chaque année le samedi qui précède la Pentecôte.
La famille de Kimchi est une de celles qui ont donné à la littérature hébraïque le plus d'hommes instruits. Nous avons parlé de deux ouvrages publiés par le père de David, lequel portait le prénom de Joseph. On en a aussi un de lui sur la grammaire ; il est intitulé le Mémorial, et souvent cité dans le Michlol (a). Le traité qui a pour titre Milchamoth Adonaï, les Guerres du Seigneur (b), a excité le zèle d'un nouveau converti, qui l'a réfuté dans un ouvrage. écrit en faveur de la religion chrétienne, qu'il venait d'embrasser : c'est Alphonse que nous nommons le néophyte, et que les Juifs nomment l'apostat.
On a du même Joseph Kimchi : un traité de la Foi, dirigé • encore contre les chrétiens : Sepher Haggalui, ou le Livre révélé, qui a la même direction ; le Sicle du sanctuaire, ou de la sainteté, recueil d'hymnes et de discours moraux pour l'usage des Juifs dans leurs synagogues, et plusieurs com-
(a) L'ouvrage de David Kimchi, son fils, dont nous avons parlé, p. 364.
(b) Voir ci-dessus, p. 365.
XIIIe SIÈCLE.
Wolf, t. I, p.
310.
Bart., t. IV, p.
370. V. Rod. de Cas., p. 10.
V. Bart., t. I, p. 366.
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mentaires sur plusieurs parties de la Bible, qui n'ont pas été imprimés ; les manuscrits en sont à la Bibliothèque du Vatican (a). Michaelis et d'autres savans orientalistes ont exprimé le désir de voir publier ces commentaires, qui existent en partie dans la bibliothèque de Bernard de Rossi (b). Les Observations de notre rabbin sur le Cantique des cantiques et sur Esdras, Ruth et l'Ecclésiaste, sont en manuscrits, les premiers à la bibliothèque de l'Université d'Oxford, les seconds à celle de l'Escurial.. Bernard de Rossi a de lui un poëme sur la lecture du livre d'Esther (c).
Buxtorf fait mention, dans sa Bibliothèque rabbinique (d), de la Grammaire de Joseph Kimchi et du Sicle de la sainteté.
Il dit de ce dernier que c'est une collection de pierres précieuses. Il attribue à Lévi Ben Gerson les Guerres du Seigneur, et à d'autres rabbins les autres livres communément attribués à Joseph Kimchi.
David eut un frère appelé Moïse, auteur également de plusieurs écrits estimés ; mais il s'attacha surtout à la grammaire : étude au reste qui, pour les Juifs, ne peut guère être séparée de la connaissance du culte et des lois, puisque c'est sur la Bible que s'exercent les travaux de leurs grammairiens.
Les ouvrages qu'on a de lui sont : 1° une Introduction à la langue hébraïque, imprimée en hébreu, avec des notes de Constantin Lempereur, à Leyde, en 1631, in-8°; 20 une Introduction à la science, ou plutôt, Entrée dans le chemin de la science, avec des explications du rabbin Élie, des observations préliminaires du rabbin Benjamin, en hébreu, et des notes de Constantin Lempereur, ouvrage imprimé aussi à Leyde, en 1631, in-8°; il l'avait été avec les commentaires d'Élie, à Venise, en 1624, et beaucoup plus anciennement à Pezaro, en 1508; à Bâle ensuite, en 1531, in-8° , par Sébastien Munster : le texte précède la version latine; 3° divers autres écrits sur la grammaire; 40 un Commentaire sur les Proverbes de Salomon, qui n'a jamais été publié ; il est manuscrit à la Bibliothèque d'Oxford et dans celle de Bernard de Rossi; 5° un Commentaire sur Esdras,
(a) Voir également les manuscrits hébreux de Rossi, t. I, p. 108; et t. III,p. 5o et 69.
(b) Manuscrits, t. I, p. 69. Dizionario degli aut. ebrei, t. I, p. 185.
(c) Rossi, Diz. deg. - aut. ebr., t. I, p. 184. Manuscrits, t. I, p. 108; t. III, p. 50.
(d) Page 418. Voir aussi les p. 38, 57 et 123.
XIIIe SIÈCLE.
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qui se trouve dans la grande Bible rabbinique de Venise, si l'on s'en rapporte à Wolf et à Lelong, qui se sont trompés ; 6° Thaanug Nephesch, les Délices de l'âme, ouvrage de philosophie morale. Rossi parle également de commentaires de Joseph Kimchi sur Job.
Bartolocci, Wolf, Rodrigues de Castro, et les autres, font naître Joseph et Moïse Kimchi à Narbonne. Ils fixent à l'an 1160 l'époque où florissait le premier, et celle où flo- rissait Moïse à 1190. On peut voir sur ces deux auteurs en général, sur les différentes éditions et sur les manuscrits de leurs ouvrages, les écrivains que nous venons de citer (a), en y joignant Fabricius (b) et le père Lelong, dans sa Bibliothèque sacrée.
Un autre Kimchi, Salomon, a écrit sur les Prophètes.
Bartolocci l'indique, sans entrer, il est vrai, dans plus de détails, ni fournir aucune autorité. Peut-être était-ce un second frère de David; mais ce n'est là qu'une assez faible conjecture.
On lui donne pour frère plus positivement un autre Moïse, qui prit soin de copier, étant en 1382, dans l'île de Rhodes, quelques traités du rabbin Jacob, fils d'Éléazar, que l'on trouve manuscrits dans la bibliothèque du Vatican.
L'erreur ici ne serait pas douteuse. Les dates sont trop éloignées, pour pouvoir se concilier : il y a deux siècles à peu près de celui-ci à Moïse et à David, dont nous venons de rappeler les ouvrages; mais il est bien vraisemblable qu'il appartenait à la même famille.
(a) Bibliothèque moyenne et basse latinité, p. 74 et 612.
(b) Pages 801, 869, 1175 et 1177.
P.
DE QUELQUES AUTRES RABBINS QUI VIVAIENT A PEU PRÈS A LA MÊME ÉPOQUE.
Nous les placerons ici successivement, dans l'ordre alphabétique de leurs noms.
XIIIe SIÈCLE.
T. IV, p. 387.
Wolf aussi, t. I, p. 1083.
Bart., t. III, p. 237.
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Abraham, fils d'Isaac.
Ce rabbin était né à Montpellier; il y vécut; il y devint chef ou président de la synagogue.
Abraham Ben Isaac eut pour gendre le rabbin Abraham Ben David, ou, comme d'autres le disent, Ben Dior. Celui-ci fut un des plus distingués parmi les Juifs nés en Espagne.
Il vivait dans le douzième siècle, époque qui nous indique celle où vivait son beau-père, bien moins connu par luimême et par ses ouvrages. Nous avons cependant d'Abraham fils d'Isaac un livre sur les coutumes et les cérémonies des Juifs. Hottinger en fait mention dans sa Bibiothèque orientale, Bartolocci et Wolf dans leurs Bibliothèques, ainsi que Bernard de Rossi dans son Dictionnaire des auteurs hébreux.
Bartolocci fait du rabbin Abraham un grand cabaliste, un défenseur ardent de la tradition. Quelques écrivains assurent qu'Élie lui apparaissait, pour inspirer sans doute et diriger ses travaux. Bartolocci se croit obligé de prouver que cette assertion est un mensonge.
Abraham, fils de David.
Quoiqu'il n'y eût à Beaucaire qu'environ quarante Juifs, dit Benjamin de Tudèle, l'Académie ne laissait pas d'être fameuse. Le rabbin qui y enseignait se nommait Abraham, fils du rabbin David, et passait pour si habile dans l'intelligence de la loi et du Talmud, que grand nombre d'autres Juifs allaient à lui de provinces fort éloignées. Il était aussi fort généreux envers les étudians, à plusieurs desquels il fournissait tout ce qui leur était nécessaire, de peur que la misère, dit Basnage, ne troublât l'attention de l'esprit.
On ne doit pas confondre cet Abraham avec le fils de Dior ou de David, rappelé dans l'article précédent. C'est ce dernier qui est l'auteur du livre de la cabale ou de la tradition.
Wolf et Rodrigues de Castro le disent ainsi. On peut voir également ce que dit à ce sujet Bernard de Rossi, dans son Dictionnaire des auteurs hébreux.
Éliézer Ben Nephtali.
On croit qu'il vivait dans le douzième siècle. Le fait n'est peut-être pas suffisamment prouvé; mais il est bien moins
XIIIe SIÈCLE.
Rod. de Cas., p. 31 et suiv.
Classe IX.
Bart., t. I, p. 32. Wolf, t. I, p. 63.
T. 1, p. 34, et aussi mss.
cod., t. I, p. 106.
Itiner., p. 7 du texte.
T. IX, p. 243.
Wolf, t. I, p. 39. R. de Cas., t. I, p. 31.
T. I. p. 31.
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sûr encore que ce rabbin n'ait vécu que dans le seizième, comme le dit Wolf, qui nous paraît confondre l'époque de l'impression de ses ouvrages avec celle de sa vie.
Éliézer Nephtali était né à Troyes; il y fut un des membres distingués de l'Académie juive ; et comme des proscriptions réitérées dispersèrent bientôt ces réunions, et forcèrent les Hébreux à quitter la France, il est naturel de placer Éliézer Nephtali avant l'époque de ce malheur, et à peu près dans le temps où Salomon Jarchi présidait à cette académie, et lui donnait tant d'éclat par ses travaux.
On a de lui un ouvrage intitulé les Pommes d'or. Il y traite du royaume de David, de son origine, des circonstances qui contribuèrent à l'établir, de son excellence, de sa durée. Plantavitius, qui le rappelle, ajoute que le style en est pénible et obscur. Bartolocci répète ce qu'avait dit Plantavitius. Wolf les accuse de méprise l'un et l'autre. Il attribue à Eliézer Nephtali un commentaire littéral et mystique sur le livre de Ruth, commentaire où sont développés les événemens qui placèrent le fils d'Isaï sur le trône. Cet ouvrage est encore appelé le Fondement des cantiques, parce que David, qui tient le premier rang parmi les chantres sacrés, y rapporte qu'il doit son origine à l'épouse de Boos (Ruth devint en effet la mère d'Obed, père d'Isaï). Il paraît qu'on l'a traduit en latin. Wolf rappelle l'éloge qu'en fait Carpzovius.
L'ouvrage d'Éliézer Nephtali a été' imprimé en 1560, en hébreu, in-4°, dans une ville que Plantavitius et Bartolocci désignent par Tissumanum, et que l'un et l'autre avouent ne pas reconnaître. Wolf dit Thienga, et il hésite encore : est-ce Thungen en Souabe ? se demande-t-il ; est-ce Tirlemont en Brabant, qu'on appelle Thienen? ,
Bernard de Rossi parle d'un rabbin Éliézer, né à Metz,, dans le douzième siècle, et mort en 1238; il fut disciple de Jacob Tham. On a de lui un ouvrage estimé sur les observances et les cérémonies prescrites aux Hébreux. On en a imprimé un abrégé à Venise, en 1566. Il est tout entier manuscrit à la Bibliothèque du Roi.
Jonatham Sceliach Tzibbur.
On n'a de ce rabbin qu'une lettre à Maimonide, dans laquelle il lui propose diverses questions sur des matières relatives à la législation et au culte, que ce savant venait de
Xllle SIÈCLE.
T. I, p. 180.
Lelong, t. II, p. 711.
P. 640.
T. I, p. 190.
T. I, p. 180.
Proleg. de la coll. des liv. rab.
sur Ruth, p. 19.
T. I, p. ni.
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discuter dans le grand ouvrage qu'il publia sur le Talmud.
Maimonide envoya toutes les solutions demandées; il leva tous les doutes que l'on avait conçus. La lettre de Jonathan Sceliach Tzibbur est conservée parmi les manuscrits de la Bibliothèque du Vatican. La réponse de Maimonide a été imprimée.
Jonathan Sceliach Tzibbur était Français. Il était attaché à la synagogue de Lunel, en Languedoc. Sa correspondance avec Maimonide nous fait assez connaître à quelle époque il vécut.
Joseph Tou Alem, Ben R. Samuel.
Salomon Jarchi en fait souvent mention dans ses ouvrages, et notamment dans ce qu'il a écrit sur les contrats matrimoniaux. On ne sait pas bien de quel pays il était, ni même l'époque précise de son existence. Néamoins les citations fréquentes de Salomon Jarchi laissent présumer qu'ils étaient compatriotes, et presque contemporains, quoique Joseph Tou Alem fût plus ancien. Ghedalias et Bartolocci le font mourir en 1105. C'est l'année à laquelle ce dernier fixe la naissance de Jarchi, fait au reste sur lequel nous avons déjà exposé nos doutes. David Ganz le place en même temps que Gerson Hazaken, Jacob fils de Jekar et Zérachias Lévite, trois rabbins dont nous avons parlé au commencement de cet article.
Les ouvrages de Joseph Tou Alem sont : 1° Perusc al Hattora, commentaire sur la Loi ; on ne le connaît que par d'autres écrits où il est cité. Nous pouvons en dire autant de ceux qui suivent : 2° Le Fils du Prince. L'auteur y parle comme s'il avait ce caractère, et qu'il proposât des questions à son père ayant le droit suprême d'en décider. Les matières judiciaires, les discussions qui peuvent naître dans les tribunaux, sont l'objet principal de cet ouvrage.
3° Seder Tanaïm et Amorraïm, ou catalogue des docteurs qui ont écrit sur la Misna et sur la Gémare. Les Juifs appellent tanaïtes, c'est-à-dire enseignans, ceux qui instruisent les autres de cette loi traditionnelle conservée dans la Misna.
Ces docteurs avaient commencé d'exister plusieurs siècles avant J. -C. ; mais ce ne fut qu'après sa naissance même que, sous les Antonins, on forma de cette doctrine *
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. III , p 793 Wolf, t. I, p. 491.
SciaI. Hak., p. 42. Bibl. rab., t. III, p. 806. -
T. IV, p. 378.
Tzemach David, p. 132.
Bart., t. III, p 805. Wolf, t. I. p. 531.
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éparse un seul livre, qui eut, quelques siècles après, tant d'éclaircissemens, de gloses, de commentaires, qu'il s'en forma anssi un livre très-étendu, connu sous le nom de Gémare, c'est-à-dire perfection. Misna exprime seconde loi.
40 Halachoth Ghedolôth, les grandes décisions.
50 Sceelôth et Tescivvôth, questions et réponses. Ce sont encore des décisions sur des matières de jurisprudence. Peutêtre ces deux ouvrages ne sont-ils que la suite l'un de l'autre.
On lui attribue une histoire chronologique, fort estimée des Hébreux, et qui porte pour titre, Seder olam zutha.
Seder olam veut dire ordre du monde. Les Juifs ont sous ce titre deux chronologies : l'une qu'on désigne par Rabba, ou la grande ; l'autre qu'on appelle Zutha, et qui n'est que l'abrégé de la première. C'est celle-ci qu'on attribue à Joseph Tou Talem; mais Wolf a prouvé, ce me semble, que José Ben Chelpeta en était le véritable auteur.
D'autres écrivains, l'auteur entre autres du Scialsceleth Hakkabala, ont confondu Joseph Tou Talem avec un rabbin Joseph, fils de Tobie. Bartolocci a prouvé pareillement que cette opinion était impossible à admettre.
Isaac Bar Abba.
Isaac Bar Abba était de Marseille. Tous les auteurs le disent, à l'exception de Buxtorf et de Plantavitius, qui ont fait comme un nom de famille du nom de la ville où il avait reçu la naissance : ,ils l'appellent Isaac Marsilius. C'est vraisemblablement d'après eux qu'on trouve dans le catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque du Roi : Sepher Ha-Itour, liber
coronæ, sive Ittur Sophrim, coronatio scribarum, sive elucidatio' variorum rituum judaicorum, de judiciis pecuniariis, de mactatione aninaliun, de circumcisione, phylacteriis, frontalibus, etc., de hominis singularibus officiis, autore R. Isaac F. Abbæ Marsilii, accurante R. Joseph F. Serouk,
hebraice. Venetiis, Joan. de Gara, 1608, in-folio. On voit que ce titre latin d'un ouvrage qui n'a été imprimé qu'en hébreu, et dont je ne crois pas même qu'il existe de traduction, conserve l'erreur de Buxtorf et de Plantavitius. Ce dernier, au reste, n'en reconnaît pas Isaac pour auteur.
Il veut, contre l'opinion des autres biographes, qu'il appartienne au docteur juif que le titre indique comme l'ayant seulement publié.
XIIIe SIÈCLE.
Wolf, ibid
V. Tzem. Dav., p. 132.
T. I, p. 493 et suiv.
T. III, p. 806.
T. 1, p. 71.
n. 930.
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Le Scialsceleth Hakkabala atteste également et que l'ouvrage est d'Isaac Bar Abbas, et que ce rabbin était né à Marseille. Il cite le Sepher Juchasin, ou le livre des familles, qui, plus anciennement, l'avait aussi attesté.
L'ouvrage que nous venons d'annoncer a pour objet les institutions et les lois relatives aux fiançailles, au mariage, à la répudiation, aux causes pécuniaires, aux sacrifices d'animaux, à la circoncision, etc., etc. Il est divisé en cinq traités.
On le trouve manuscrit, écrit de la main de l'auteur luimême, dans la Bibliothèque du Vatican; il a été ainsi copié l'an du monde 4953, suivant le calcul des Juifs, ce qui répond à l'année 1193 dans notre manière de compter, onze ans après que la composition en avait été achevée : elle l'avait été par conséquent en 1182. L'auteur y mit pour épigraphe, en faisant allusion à son propre nom, ces paroles de la Genèse (c. 26, v. 12) : « Isaac sema dans ce pays, et l'année même il recueillit le centuple, car Jéhova le bénit. » On a imprimé à Venise, en 1608, in-4°, une partie de cet ouvrage; l'autre ne paraît pas avoir été imprimée. La seconde partie traite de la fête de Pâques et de la fête des Tabernacles.
Plantavitius ne distingue pas l'œuvre dont nous parlons d'une autre du même rabbin, qui. a plus particulièrement pour objet ce qui concerne les officiers secondaires de la justice, dans les tribunaux des Hébreux, Nous avons vu de même, dans le titre du catalogue de la Bibliothèque du Roi, Sepher Ha-Itour, liber coronæ, sive Ittur Sophrim, coronatio scribarum. Bartolocci dit formellement que c'est un autre ouvrage, et il cite à l'appui de son opinion le Scialsceleth Hakkabala, qui le dit en effet, mais sans entrer sur ce livre dans aucun détail. Wolf le distingue comme Bartolocci.
Ils distinguent aussi un commentaire sur Alphès, rabbin dont nous avons parlé à l'article de Zérachias Lévite. Ce commentaire a pour titre les Cent Mesures, par allusion encore au centuple exprimé dans le verset de la Genèse qui sert d'épigraphe. au premier ouvrage que nous avons rappelé. Ce sont, suivant Plantavitius, cent discours dignes d'être remarqués, sur l'observance des règles prescrites par la loi divine. Ils ont été imprimés à Constantinople, mais on ne nous dit pas dans quelle année. Les discours d'Isaac Bar Abba ont une grande réputation parmi les Juifs d'Orient.
On doit en outre à ce rabbin Assareth Devaroth, où les six préceptes. Gédalias, qui en fait mention, ne nous dit
XIIIe SIÈCLE.
P. 50. Juchas., p. 132.
V. Bart., t. III, p. 870.
Rossi, t. I, p 172 , V. ce que dit Wolf, t Ht, p 535 de la partie imprimée.
Ibid., p. 567.
T. I, p. 624.
Bart., t. IIt, p. 871.
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pas quels sont ces préceptes, ni par conséquent quel est l'objet de l'ouvrage.
Isaac, fils d'Abraham.
Encore un des auteurs qui composèrent les Tosaphoth.
Bartolocci le place également vers l'an 1175, dans sa table chronologique. On l'appelle Risba, par contraction de rabbin Isaac Ben Abraham, ou plutôt Ritsba, car la seconde lettre d'Isaac, en hébreu, est un tsadé et se prononce comme ts ou ti en français.
Wolf fait à peine mention de cet écrivain ; Bartolocci, au contraire, en parle deux fois, le distinguant de lui-même, quoiqu'il ne fasse que répéter le peu de mots qu'il en avait dit. Ni l'un ni l'autre n'indiquent les deux ouvrages suivans, imprimés en hébreu dans le seizième siècle, le premier à Lublin, ville de Pologne, in-40, en 1573; le second, in-40 aussi, à Prague, en 1587 : 1° Pachad Itschak, la Crainte d'Isaac : c'est une explication des endroits difficiles de l'Écriture et du Talmud; 2° Scach Itschak, le Colloque d'Isaac : ce sont des chants religieux pour la célébration de la Pâque, et quelques explications relatives au repas de cette fête. Ces deux ouvrages sont à la Bibliothèque du Roi; on les trouve sous les nos 850 et 1064 dans le catalogue des livres imprimés.
Nous avons un commentaire sur l'Ecclésiaste par Isaac fils d'Abraham. Bernard de Rossi donne des éloges à ce commentaire, qui est parmi ses manuscrits et parmi ceux du Vatican ; mais ce n'est pas le rabbin dont nous parlons; celui-ci même est vraisemblablement antérieur à l'autre de plus d'un siècle.
Jéhudah al Charizi.
Nous le nommons comme Bartolocci, qui ajoute au reste : Ben R. Judœ Clzm'i'{i, seu Ben R. Chophni, aliis Ben R.
Salomonis cognomento Chari~i. Wolf s'est rapproché de l'opinion des derniers : il le désigne par Jéhuda fils de Sa- lomon, fils d'Alchophni. Il le suppose Espagnol. Bartolocci n'avait pas dit quelle était sa pâtre. Nous croyons qu'il était de Marseille ; on verra bientôt que du moins il y vivait, et que ce fut à la prière des Israélites qui l'habitaient comme lui qu'il traduisit Maimonide. L'école de Marseille était alors
XIIIe SIÈCLE.
SciaI. Hak., p. 50.
T. III, p. 873 et 888.
P. LXV,
T. I, p. 641.
T. III, p. 873 et 888, n. 914 et 916.
Mss.,t. I. p. 171.
V. son Dict., t, I, p. 172; Lelong, t. II, p. 8o3 ; Wolf, t. 1, p. 644; Bar., t. III. p. 873.
T. III, p. 27.
T. I, p. 426.
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une des plus célèbres parmi les écoles des Hébreux. Il s'y trouve, dit Benjamin de Tudèle, p. 8 de son Itinéraire, près de trois cents Juifs, qui ont deux collèges, tous les deux sur le bord de la mer. Il nomme ensuite quelques-uns des docteurs qui s'y distinguaient le plus par leur zèle et par leurs lumières.
Le rabbin Jéhuda est connu tout à la fois comme traducteur, comme moraliste et comme poëte. L'Écriture, pour mieux louer Salomon, pour mieux faire connaître toute la réputation de sagesse que ce prince avait acquise, dit (III, Reg.
c. 4, v. 31): « Il était plus sage que tous les hommes, plus sage qu'Éthan fils d'Esra. » En rappelant les combats livrés au roi d'Asor par les Hébreux, que Barac conduisait et qu'inspirait la prophétesse Débora, le livre des Juges (c. 4, v. 11 et suivans) avait nommé le Cinéen Haber, époux de cette Jahel qui perça d'un clou la tête de Sisara, général ennemi.
Jéhuda al Charizi composa sous ce nom, ainsi que sous le nom d'Éthan, des vers dont la mémoire n'est pas perdue.
On a de lui aussi un poëme sur l'art de guérir et de conserver sa santé, qui a été imprimé à Venise et à Ferrare, dans le seizième siècle : à Venise, en 1519 ; à Ferrare, en 1552. Wolf rappelle quelques autres de ses ouvrages poétiques.
Il a donné plusieurs traductions d'arabe en hébreu. La première, je crois, fut celle de More Nevochim, ou Guide de ceux qui doutent, ouvrage justement célèbre de Maimonide.
Elle n'eut pas l'approbation de l'auteur traduit, qui accorda toute sa préférence à l'interprétation hébraïque d'un de ses disciples, Samuel Ben Tibbon, qui avait travaillé sous ses yeux. Celle-ci a été pareillement imprimée à Venise, et traduite elle-même quatre fois en latin ; la version de Buxtorf le fils est la plus récente et la plus estimée. La préférence accordée par Maimonide au travail de Samuel Ben Tibbon et refusée à celui de Jéhuda al Charizi est un fait assez connu de toutes les personnes qui cultivent la littérature hébraïque, pour avoir droit d'être étonné que Rodrigues de Castro ait placé à la fin du quatorzième siècle l'auteur de cette traduction.
Maimonide avait écrit en arabe ses commentaires sur la Misna. Les Juifs de Marseille engagèrent fortement Jéhuda al Charizi à les traduire. C'est Jéhuda lui-même qui nous l'apprend. Il se rendit à leurs prières, et commença cet immense travail ; mais nous ne croyons pas qu'il l'ait achevé :
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. III, p. 27, Mais V.
Wolf, t. I, p. 457.
T. m, p. 341.
V. le t. IV, p. 836.
Juch., p. 13 1.
Bart., t. III, p. 27.
Wolf. t. 1, p. 456.
Plant., p. 591.
Plant., p. 591.
Bibl.esp.,p,233.
V. Bart., t. III, p. 27, et Wolf, t. I, p. 837.
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du moins ne nous est-il resté que la version des premiers traités dont le Commentaire et la Misna se composent.
Quelques ouvrages d'Aristote avaient été traduits du grec en arabe ; le rabbin Jéhuda les a traduits d'arabe en hébreu.
Il a fait de même pour le traité de Galien sur l'âme et pour quelques autres livres, entre autres les Apophtegmes des philosophes. Les manuscrits de ces versions existent à la Bibliothèque du Vatican.
Judas Bar Saül Aben Tibbon.
Judas Bar Saül, Aben Tibbon, était né à Grenade, mais il passa une partie de sa vie à Lunel en Languedoc; il y enseigna, il y composa ses ouvrages. Ce sont principalement des traductions de l'arabe en hébreu. L'auteur du Scialsceleth Hakkabala l'appelle le prince des interprètes. Si le rabbin Judas n'en fut pas le plus distingué par son mérite, il fut du moins celui qui donna l'exemple de traduire ainsi dans la langue hébraïque les livres que des auteurs de leur propre nation écrivaient alors dans d'autres langues orientales, et particulièrement en arabe. Samuel Ben Tibbon son fils acquit ensuite plus d'éclat par le mérite supérieur de l'homme dont il fut le disciple et le traducteur, de Maimonide.
Judas Aben Tibbon mit en hébreu les ouvrages de grammaire du rabbin Jonas fils de Ganach. Une partie de ce travail est manuscrite à la bibliothèque du Vatican. « Ma version est achevée, » dit le rabbin Judas à la tête de son livre ; « je n'y ai rien ajouté aux paroles de l'auteur, et je n'en ai rien retranché ». C'est ainsi qu'il fait connaître lui-même l'exactitude des principes qui l'ont dirigé dans son interprétation.
Une traduction plus connue, par cela même que l'ouvrage l'est davantage, est celle de Cosri. Il avait été aussi composé en arabe ; il a été mis en latin, d'après la version hébraïque, par Buxtorf le fils, à Bâle, en 1660. Cette version avait été imprimée à Venise, in-4°, en 1547. On a publié à Constantinople une autre traduction en hébreu du même ouvrage, mais sans nom d'auteur ni d'année. Celle du rabbin Judas a été de nouveau imprimée à Venise, en 1594.
Le Cosri ou Cusri est un des livres les plus estimés des Hébreux. Il a pour objet de rechercher quelle est la vraie religion, quel est le culte le plus digne de Dieu. L'auteur
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. III, p. 27.
Benj. de Tud., p. 6. Bart., t. III, p. 61 et 72.
*
P. 41, vers la fin.
Bart., t. III, p. 72,
Plant., p. 579.
Rod. de Cas., t. I, p 28. Wolf, t. 1, p. 442.
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suppose un roi, ayant des principes religieux très-éloignés de ceux de Moïse, mais les ayant sincèrement et les observant avec piété. Un songe l'avertit que ses intentions sont agréables à la Divinité, mais non pas ses œuvres, Ce songe revient plusieurs fois agiter son sommeil, et lui fournir, pendant la veille, d'importantes méditations. Il appelle un philosophe pour converser avec lui et discuter sur le meilleur culte; le philosophe ne le satisfait pas : il fait venir un chrétien ; le chrétien ne le satisfait pas davantage : un musulman est interrogé; le prince n'est pas plus content de ses réponses : il appelle enfin un Israélite; l'Israélite emporte une pleine victoire. L'ouvrage a quatre livres ou parties et est en dialogues, à l'imitation des beaux traités de Platon sur le gouvernement et sur les lois. Les caraïtes, c'est-à-dire ceux des Juifs qui n'admettent pas la tradition, y sont attaqués et combattus, ainsi que les musulmans et les chrétiens.
Ce qui décide le monarque à faire venir un Israélite, et le dispose d'avance favorablement pour lui, c'est qu'il a entendu les sectateurs des autres cultes se réunir tous en faveur de Moïse et de l'inspiration de ses lois. On peut consulter sur ces détails, et sur beaucoup d'autres encore, la préface de la traduction latine de Buxtorf. Il n'est pas douteux que la version hébraïque ne soit de Judas Bar Saûl, Aben Tibbon; nous avons même la preuve qu'il l'a composée en France, à Lunel, et qu'il l'y acheva en 1167. Bartolocci dit que le rabbin Judas fils de Kardaniel avait déjà publié une traduction du Cosri, qui n'est pas, dit-il, approuvée en tout ni par tous, qui cependant n'est pas méprisable; elle a même, dans quelques endroits, mieux saisi le sens de l'auteur, que ne l'a fait ensuite Judas Aben Tibbon.
Nous devons au même rabbin la traduction en hébreu d'un ouvrage ascétique du rabbin Bechaï, qui l'avait composé en arabe, ouvrage sur lequel on peut consulter Plantavitius, Bartolocci, Wolf et Rodrigues de Castro. Le livre du rabbin Bechaï a un titre qui exprime, dans la langue originale, de la conduite, et dans la version hébraïque, l'obligation des cœurs ; il a pour objet la vie spirituelle de l'homme, ses devoirs envers Dieu, envers ses sem- blables, envers lui-même. Il est divisé en plusieurs chapitres dont le premier traite de Dieu et de son unité; le second, des choses qu'il a créées et qu'il conserve, rappelées comme un moyen de le mieux connaître ; le troisième, du culte
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. III, p. 61 et 62. Rod. de Cas., t. 1, p. 28.
Plant., p. 570.
Bart., t. I, p. 644; t. Il , p 279.
Wolf, 1.1, p. 2 36 ; III, p. 143; IV, p. 794. Rod. de Cas., p. 75.
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divin; le quatrième, de la confiance à placer en Dieu; le cinquième, de l'avoir pour but de nos actions et de fuir l'hypocrisie; le sixième, de l'humilité; le septième, de la pénitence; le huitième, de l'excellence de l'âme et de ses relations avec Dieu ; le neuvième, de l'abandon des choses mondaines; le dixième, de l'amour de Dieu. Cet ouvrage a été imprimé à Naples, en 1490; à Venise, en 1548; à Constantinople, en 1550; à Mantoue, en 1559; à Venise encore, en 1589; à Cracovie, en 1593; à Sultzbach, en 16gi; à Amsterdam, en 1716. L'imprimeur d'Amsterdam le publia de nouveau, la même année, in-4° aussi, avec une traduction allemande d'Isaac Ben Moïse Israël, traduction qui a été réimprimée, avec le texte hébreu, à Wilmersdorff, en 1726.
Il avait paru, en 1670, à Amsterdam, une version portugaise de l'ouvrage, par Samuel Ben Isaac Abas, avec ce titre :
Obrigacam dos coracoens, livro moral, de grande erudicaon et pia doctrina ; composto na lingua arabica pello devoto Rabbenu Bahia 0 Daian filho de rabbi Joseph, dos famosos sabios de Espanha, tradz~do na lingua santa pelo insigne R. Juda Aben Tibon, e agora novamente tirado da hebraica a lingua portugue~^a, para util dos de nossa nacam, com estilo facil el intelligivel, per Samuel filho de Isaac Abas de boa memoria, impresso em Amsterdam, em casa de David
de Castro Tartas, an. 5430 de (de Cristo 1670). L'ouvrage a été bien traduit aussi en espagnol, par David Pardo, Ben Joseph Pardo. Il paraît que cette traduction a été imprimée à Salonique, sans nom d'année, et avec des caractères hébreux; elle a été réimprimée, en caractères espagnols, en 1610, sans nom de lieu; et depuis, à Venise, en 1703. Wolf parle de quelques autres traductions en différentes langues.
Dans la préface de sa version hébraïque du More Nevochim de Maimonide, Samuel Aben Tibbon loue beaucoup celle que le rabbin Judas, son père, avait faite de l'ouvrage du rabbin Bechaï. Nous en avons des exemplaires manuscrits à la Bibliothèque du Roi. On en a donné deux abrégés : l'un est de Jacob, fils d'Isaac Zahalon; il a été imprimé à Venise, en 1665, sous ce titre, les Bonnes Perles : l'autre est de Jacob Pan; il a été imprimé à Venise aussi et à Prague, en 1655 ou 1656.
Buxtorf et Hottinger attribuent à notre rabbin la version hébraïque d'un ouvrage écrit en arabe par Maimonide, sur la résurrection des morts; mais l'ordre des temps ne permte
XIIIc SIÈCLE.
T. I, p. 237.
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guère de l'attribuer qu'à son fils, Samuel Aben Tibbon, comme Wolf et Bartolocci l'ont observé. Wolf hésite aussi à croire le rabbin Judas auteur d'une épître morale adressée par un père à son fils, pour le former aux bonnes mœurs et à la vertu, quoique Bartolocci la déclare son ouvrage. Il est plus porté à lui laisser la gloire d'un livre de physique, précédé d'une exposition générale des principes de la logique et de la métaphysique, dont ce rabbin n'est peut-être que le traducteur. Wolf le regarde comme une sorte d'introduction à l'ouvrage de Maimonide, dont nous venons de parler ; mais ne pourrait-on pas lui opposer l'ordre des temps, comme il le faisait lui-même, il n'y a qu'un instant, d'après Bartolocci, contre l'opinion de Buxtorf et d'Hottinger?
Le rabbin Saadias Gaon, fils de Joseph, avait écrit en arabe sur la philosophie et sur la religion. Judas Aben Tibbon le traduisit en hébreu, et sa traduction a été imprimée à Constantinople, en 1548 et 1562 j à Vérone, en 1648; à Am- sterdam, en 1670. Dix traités composent l'ouvrage. La création du monde et la Providence sont l'objet du premier j l'objet du second est l'unité de Dieu : il y attaque avec une grande véhémence le dogme de la Trinité ; il y disserte sur les différens attributs de l'Être suprême. Les prophètes, les prophéties, la loi, la création de l'homme, le libre arbitre, le culte divin, sont les objets des deux livres suivans. Dans le cinquième et dans le sixième, il traite des œuvres de justice, des péchés, de la substance de l'âme, de ses facultés et de ses propriétés, de sa durée ou de son anéantissement, etc.; dans le septième, de la résurrection des morts, de la délivrance ou du pardon; de la rédemption future, dans le huitième; le neuvième est consacré aux récompenses et aux peines de la vie à venir; le dixième renferme des préceptes pour avoir une conduite pure et toujours conforme à la vertu.
Le manuscrit de cet ouvrage est. à la Bibliothèque du Roi, sous un titre qu'on peut traduire par celui-ci : Collection de principes sur les matières les plus importantes de la religion et de la philosophie.
Wolf parle d'un manuscrit de la Bibliothèque de Turin, qui renferme plusieurs traités, et entre autres, un traité philosophique de Judas Aben Tibbon, sur les quatre élémens et sur la production des êtres.
On trouve dans le catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque du Roi : Mibchar Happeninim, Selecl~œ Marga-
XIILe SIÈCLE
T. m, p. 73.
Wolf, 1.1, p. 455.
Hott. Bib. orient., p. 18.
Wolf, t. I ; p.
455,t.II, p. 1428.
Catal. des liv.
impr. de la Bib.
du Roi. 1.1, p. 76, n. 995.
T. IV, p. 486.
Le V. T. i. I, p. 934; c. 3, p. 340.
T. I, p; 69, p. 909 et 909 A.
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rilœ sive sententice et apophtegmata Judæorum veterum; autore R. Jedaia, qui primus arabicè librum scripsit, et in eo prasterea philosophorum prcesertim arabum dicta collegit : hebraicè, ex versione et cum commentarüs R. Judœ Aben Tibbon. Alicubi in Italia, procurante R. Salomone, F. rabbi Peretz Bonnefoy, Galli, 1484, in-4°. Idem liber Mibchar Happeninim , Selects Margaritas, hebraice, Cremonæ, per
Vicinum Coati, 1558, in-4°. Mais il y a dans ce titre, ou du moins ce titre suppose un oubli trop fort des dates qui fixent l'époque où ces deux rabbins ont vécu. Jédaias est beaucoup moins ancien que Judas Aben Tibbon. Il ne vécut qu'à la fin du treizième siècle : celui-ci ne peut donc avoir été le traducteur de l'autre. Il y a nécessairement erreur, ou dans le nom de l'auteur du livre, ou dans le nom de son interprète. David Ganz, et, d'après lui, Bartolocci et Wolf placent Jédaias sous l'année 1298.
Moïse Cohen, ou le Prêtre.
Il était né à Lunel en Languedoc. Contemporain de Maimonide, il se déclara contre lui dans les discussions que les principes de ce rabbin firent naître. Il attaqua surtout le Jad Chasaka, ou main forte (par allusion au v. 12 du c. 34 du Deutéronome), que l'on peut regarder comme le sommaire du Talmud, mais sommaire présenté avec une méthode, une clarté, un choix et une coordination des objets, qui lui assignent un des premiers rangs parmi les nombreux ouvrages consacrés à la jurisprudence des Hébreux. Maimonide ne dédaigna pas de répondre aux observations de son censeur.
Moïse le Prêtre est encore l'auteur de deux écrits dont on ne connaît guère que le titre : le premier est le révélateur de ce qui est caché, obscur, par allusion au vingt-deuxième verset du douzième chapitre de Job; le second, le restituteur des chemins, par allusion au douzième verset du cinquantehuitième chapitre d'Isaïe. Il ne paraît pas qu'aucun des deux ait été imprimé.
Ce rabbin eut un fils, Jehudah Ben Mosis Haccohen, que je trouve placé sous l'année 1256 dans l'index chronologique de Bartolocci, qui même le fait naître en Espagne.
Le temps où il florissait nous suffit pour n'en pas faire mention dans cette partie de l'Histoire Littéraire.
XIlle SIÈCLE.
Mais voir Bart., p. 363 et 418, et Wolf, t. I, p. 404.
Bart., t. III, p. 7. Wolf, t. I, p. 401.
Bart., t. III, p. 81. Wolf, t. I, p. 831.
Juch., p. 132.
Rossi t, I, p. 180.
Wolf, t. I, p. 831.
P. LXV.
T. III, p. 67.
Bart. t - IV, p. 81 , p. 831.
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Il y a eu aussi plusieurs Moïse avec le surnom de Cohen ou le Prêtre, mais aucun des autres n'était Français.
Phrégoras.
Il était Français; il alla enseigner à Cordoue ; il y forma des disciples qui ont acquis de la célébrité parmi les Hébreux, et notamment Isaac fils de Baruch, si révéré par sa science et par sa doctrine, qu'il devint, à trente-quatre ans, chef de la synagogue et des rabbins, et que lui-même donna des leçons au roi de Grenade, qui se l'attacha sous le titre de son mathématicien. C'est tout ce que nous savons de Phrégoras; je ne vois pas même qu'aucun article lui ait été consacré par aucun des écrivains qui se sont occupés de l'a biographie des Hébreux. Bartolocci nous apprend seulement, en rappelant les succès d'Isaac fils de Baruch, que Phrégoras n'avait pas uniquement instruit le roi dans la littérature hébraïque, mais encore dans celle des Latins et dans celle des Grecs.
Salomon, petit-fils de Schimschon.
Ce rabbin aussi ne nous est connu que pour avoir été un des auteurs de ces additions au Talmud qui furent l'ouvrage de plusieurs Français, et dont nous avons déjà parlé à l'article d'Isaac Hazaken. Ces additions parurent en 1175.
Samuel de Lùnel.
On prétend que Juda, médecin à Lunel, eut un fils, nommé Samuel, qui traduisit d'arabe en hébreu le More Nevochim dé Maimonide, et composa de lui-même un livre dont les Juifs font beaucoup de cas, et qui a pour titre, Interprétation des mots philosophiques (il fallait ajouter, contenus dans l'ouvrage du fils de Maimon, car c'est là que se borne le travail du rabbin Samuel). Mais il y a quelque erreur dans cette assertion. Le traducteur du More Nevochim est un Samuel fils de Judas, Bar Saül Aben Tibbon, dont nous avons eu occasion de parler à l'article de son père. Il était né à Grenade, et non pas à Lunel. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il avait passé dans la dernière de ces deux villes une partie
XIIIe SIÈCLE.
Bart., t. III, p. 892. Wolf, t, I, p. 651.
T. III, p. 892.
V. Bart., t. III, p. 873; t. IV , p. 387.
Nouv. Hist. de Languedoc, t. II, p. 516.
Bart., t. IV, p. 393. Wolf, t. 1, p. 1098.
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de son enfance, et peut-être de sa première jeunesse, puisque Judas Ben Saül était venu y enseigner, et y vécut longtemps.
Ce rabbin Samuel, communément désigné par Samuel Aben Tibbon, a été appelé aussi le prince des interprètes, titre qu'il mérite encore mieux que son père. Il fut le disciple le plus chéri de Maimonide et un des plus dignes de lui.
Samuel fils de Salomon.
On le désigne par le surnom de Nin de Karckesona, le fils de Carcassonne, désignation qui ne s'accorde guère avec l'opinion de ceux qui le font naître de Salomon Jarchi, puisque Jarchi vivait en Champagne et non pas en Languedoc.
Un commentaire assez court sur le More Nevochim de Maimonide, et un poëme dont on ne nous dit pas le sujet, sont les ouvrages de Samuel fils de Salomon.
Mais s'il est peu vraisemblable que ce rabbin eût Jarchi pour père, celui-ci n'eut-il pas un fils appelé Samuel, qui se livra avec succès à l'étude de l'astronomie? Je crois qu'il y a eu encore ici confusion et erreur. Nous l'avons déjà remarqué : Jarach, en hébreu, veut dire lune, et jarachi ou jarchi est l'adjectif de ce substantif-là. Samuel étudiait la science des astres : il en tira le surnom de Jarchi ou de Jarachi; ce surnom atteste ses travaux, et non pas sa famille. On lit au reste dans le second tome de la Bibliothèque rabbinique de Bartolocci, des explications très-étendues sur la doctrine astronomique du rabbin Samuel.
Dans une discussion entre le rabbin Jechiel et Nicolas, Juif converti, que Wagenseilius a placée parmi les ouvrages qui forment le recueil intitulé Tela ignea Satanæ, les traits embrasés de Satan, l'auteur nomme un rabbin Samuel fils de Salomon, comme devant être, avec Judas fils de David, Jechiel et Mikotsi, le soutien de la loi et le gardien de l'héritage saint donné par Dieu même aux Hébreux. On pourrait croire que c'est le nôtre, et d'autant plus aisément que la discussion publique dont Wagenseilius nous a conservé l'histoire, se fit en France, à Paris même : elle n'eut lieu néanmoins qu'au treizième siècle; et alors, il faut, ou rapprocher de nous l'époque de la vie du rabbin Samuel, ou en reconnaître un du même nom dans le siècle suivant.
XIIIe SIÈCLE.
V. ci-dessus, p. 381.
Wolf, t. I, p. 1098.
Bart., t. IV, p. 103.
Bart., t. IV, p. 404. Wolf, t. I, p. I 123.
Bart. et Wolf, ibid.
P. 445 et suiv.
T II, après le Miscel. Vetus.
p. 6.
Wolf, t. I, p. 1123.
Ibid., p. 2.
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Simson fils d'Abraham.
Il a écrit, sur le premier et le dernier ordre de la Misna (a), des commentaires qui ont été imprimés avec ceux de Maimonide dans les éditions du Talmud faites à Venise dans le seizième siècle. La mort ne lui permit pas de porter plus loin ce travail, qui fut continué par un de ses disciples, Isaac Ben Malchiel, vraisemblablement Français aussi (b).
L'auteur de l'Épître au rabbin Meir, conservée dans un des manuscrits de Bernard de Rossi, doit être celui dont nous nous occupons en ce moment : c'est Simson fils d'Abraham.
(a) Voir ci-dessus, p. 23.
(bi Voir sur ces rabbins, Sciai. Hak, p. 53 ; Bartol. III, p. 343 et 914; et Wolf, t. I, p. 678; t. III, p, 1161.
P.
SIMON, CHANOINE DE TOURNAI.
LE nom de ce théologien varie dans les histoires qui le citent. Suivant - Mathieu Paris, il se nommait Simon de Churnay, et il était né en France : natione Francus. Polydore Vergile en parle sous le nom de Simon Thurvaius, et suppose qu'il était originaire du comté de Cornouaille. Il n'est plus mention de cette origine dans la seconde édition de l'histoire d'Angleterre par Polydore, et que Thysius a publiée à Leyde : ce qui fait assez comprendre que le nouvel éditeur ne considérait pas notre Simon comme Anglais, et que l'erreur commise dans la première édition de cette histoire est du nombre de celles dont Thysius excusait Polydore.
Balaeus, qui cite au contraire Polydore pour autorité, reproche à Trithème de s'être trompé en donnant à notre théologien
XIIIe SIÈCLE.
T. II, p. 163.
Polydor. Vergil, Hist. Angl., lib. XV, ad. fin.
Praefat. edit.
Lugdun. Batav.
1651.
Balaeus, cent
tertia, p. 243.
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le nom de Simon de Tournai. Mais Tanner, dans sa préface, décrédite assez l'exactitude de Balæus pour qu'on ne lui doive aucune déférence, quand il se trouve, comme ici, en contradiction avec d'autres auteurs. Ainsi que Leland, dit Tanner, Balasus confondait souvent deux auteurs très-différens, pour peu que leurs noms se ressemblassent. 11 serait fâcheux que Tanner, en exerçant cette censure, fût tombé lui-même dans une contradiction aussi manifeste que celle qu'on lit dès la première ligne de son article Thurvaius, lorsqu'en parlant de notre théologien sous le précédent nom corrompu, il ajoute les particularités suivantes : Patriâ Cornubiensis, Tornacensis a palriâ dictus. Il est trop évident que l'auteur avait écrit seu Tornacensis, etc. , et qu'il y a faute d'impression. Casimir Oudin a judicieusement remarqué d'ailleurs que Balæus, trompé sans doute par la forme de la lettre initiale, aura lu Churnay pour Tournay ; mé- prise qu'il est aisé de commettre dans la lecture des manuscrits du treizième siècle.
Pour fixer maintenant tous les doutes que nous avons élevés sur le vrai nom de notre théologien, remarquons que Thomas de Cantinpré ( Cantipratensis ) en parle sous le seul nom de Simon de Tornaco. Le témoignage de cet auteur est ici très-important, car, comme il le dit ailleurs, ayant assisté au chapitre des Frères prêcheurs qui se tenait à Paris, l'an 1238, ce Cantinpré a dû se trouver contemporain de Simon de Tournai; ainsi que Mathieu Paris, qui mourut en 1259, et, qui l'ayant nommé de même, suivant la correction indiquée, nous fixera son époque à l'an 1201 : c'est la date à laquelle nous nous sommes arrêtés, quoique d'autres l'aient- fait vivre ou florir de l'an 1216 à l'an 1223. Gui de Bazoches a d'ailleurs cité un Simon évêque de Tournai sous l'année 1127; mais, comme on le voit par la date, il n'avait aucun rapport avec notre théologien.
A la tête d'un exemplaire de l'Exposition du Symbole, par Simon de Tournai, il se trouve qualifié du titre de chanoine de cette cathédrale. L'écriture est du treizième siècle : ce qui confirme bien la certitude de son vrai nom, qui lui est également donné par Henri de Gand, archidiacre de Tournai, et qui vivait au même siècle, comme on le verra dans la suite de cet article.
Tous les auteurs s'accordent sur le mérite de ce théologien, lequel, après avoir joui pendant dix ans de la plus
XIIIe SIÈCLE.
Biblioth. Britannic. Præfat., p. XIII.
De Apibus, c.
XLVIII, s. 5.
Id., ib., c. XIX, sect. 5.
Matth Paris.
Hist anglic., p. 206.
Chron. Alberic., p. 255.
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grande réputation dans les écoles de philosophie de l'université de Paris, passa dans la faculté de théologie, où il obtint de tels succès, qu'en peu de temps il fut jugé digne d'y remplir une chaire d'enseignement. Il s'y fit remarquer par la subtilité, la clarté et la justesse avec lesquelles il exposait sa doctrine, et donnait les solutions les plus inattendues des difficultés qui lui étaient proposées. Sa réputation devint si grande, que les écoles ne pouvaient contenir le grand nombre de personnes, et surtout de docteurs qui se mêlaient aux étudians pour entendre ses leçons.
Mathieu Paris, de qui nous tenons ces détails, raconte que, voulant un jour approfondir l'explication du mystère de la Sainte-Trinité, il s'étendit tellement sur ce sujet dans cette leçon, qu'il ne put prendre ses conclusions le même jour.
Il résuma le lendemain tous les points difficiles avec tant de clarté et de fidélité aux principes orthodoxes, que la foule de ses auditeurs étonnée le supplia au moment même de rédiger par écrit cette leçon pour la dicter ensuite, afin qu'on pût recueillir et perpétuer des solutions aussi heureuses; mais, continue Mathieu Paris, il devint alors tellement infatué de lui-même, qu'élevant les yeux au ciel et riant aux éclats, il osa s'exprimer ainsi : 0 Jesule) Jesule,
quantum in hâc quoestione confirmavi legem tuam et exaltavi ! profecto si malignando et adversando vellem, potio- ribus rationibus et argumentis scirem illam hifirmare et deprimendo improbare; et hoc dicto, ajoute Mathieu Paris, elinguis penitus obmutuit, non tantum mutus, sed idiota et ridiculose Ùifatuatu(, nec posteà legit vel determinavit, et factus est in derisum et sibilum omnibus qui hoc audierant.
Mathieu Paris, qui rapporte ce fait sous la garantie de Nicolas de Fuly, nommé à l'évêché de Durham (Dunelmensis), ajoute que deux ans après cette chute, on eut beaucoup de peine à lui faire apprendre le Pater noster ; encore ne pouvait-il que le balbutier. Hoc igitur miraculum, continue l'historien, scholarium suppressit arrogantiam et jactantiam refroeiîavit.
Le même fait est rapporté par Thomas de Cantinpré, mais au sujet d'une autre thèse et avec des circonstances toutes différentes. Il est nécessaire de rapporter ici littéralement le récit de ce contemporain de Simon de Tournai, mais plus certainement encore de Mathieu Paris.
Magister Simon de Tornaco. cum super omnes doc-
XIIIe SIÈCLE.
Loco citato.
Loco citato.
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tores civitatis auditores haberet et in scholâ coram omnibus de humilitate altissima doctrinal Christi quœstionem disputatione prcehabita determinaret; in finem tandem datus in reprobnm sensum, in execranda contra Christum blasphe- mies verba prorupit : Tres sunt, inquit, qui mundum sectis suis et dogmatibus subjugarunt: Moises, Jesus et Mahometus.
Moises primo Judaicum populum infaluavit ; secundo Jesus Christianos; tertio gentilem populum Mahometus. Cantinpre continue ainsi son recit : Nec mora, eversis oculis pro hnmana voce mugitum emisit, et epilepsia statim elisus in terram, die tertio ejusdem morbi vindictam accepit. Plaga ergo in- sanabili eum percussit Omnipotens, et omni sciencia usque ad prima litter arum elementa privavit, etc.
Pour décréditer les témoignages comparés de Mathieu Paris et de Thomas de Cantinpré, Casimir Oudin fait observer que l'autorité historique du dernier n'est pas considérable, attendu qu'il a rempli de beaucoup de rêveries le même livre de Apibus, qui contient sa relation de la chute de Simon de Tournai. Mais la meilleure raison qu'il ait donnée pour faire examiner avec soin les récits des deux auteurs, c'est qu'Henri de Gand, archidiacre de Tournai, qui vivait vers le milieu du treizième siècle, n'accuse notre théologien que de s'être trop attaché à la doctrine d'Aristote.
Sed dum nimis Aristotelem sequitur, a Nonnullis modernis hœreseos arguitur. Il est très - remarquable qu'en portant ce jugement, Henri de Gand ne dit rien absolument des deux propositions scandaleuses qui rendirent fameux ce Simon. Casimir Oudin a-t-il omis cette raison parce qu'elle ne fournit qu'une preuve négative? on peut le croire, mais un argument plus direct fortifie d'ailleurs le doute qu'on doit concevoir touchant l'autorité des deux premiers auteurs cités. On doit en effet remarquer qu'ils s'accordent tous deux sur un fait principal, savoir, qu'après avoir émis soit l'exclamation O Jesule etc., soit le blasphème positif, Très sunl) etc., Simon de Tournai est devenu muet pour toujours. S'il en fut ainsi, comment le même théologien aurait-il pu proférer publiquement, dans les mêmes écoles de Paris, la seconde proposition toute différente qu'on lui attribue? Aurait-on oublié qu'il était devenu muet pour toujours, après avoir osé proférer la première ? Il est donc évident que les récits des auteurs contemporains sont en contradiction, et qu'il ne faut considérer qu'un seul fait
XIIIe SIECLE.
Henr. Gandav., de illustr. eccles.
scriptor. Coloniæ, 1580, ep. ded., cap. 24.
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comme incontestable, savoir, que Simon de Tournai avait été frappé d'une attaque d'épilepsie au milieu de son auditoire. Voilà le fait indépendant des circonstances dont il est accompagné diversement dans les auteurs. C'est Thomas de Cantinpré qui nous l'atteste positivement, comme on l'a vu plus haut. Or on sait que ce mal affecte particulièrement la mâchoire inférieure; et si l'on veut que Simon de Tournai ait réellement proféré ce qu'on rapporte, nos traités modernes de pathologie contiennent assez d'observations qui prouvent à quel point ce genre de maladies nerveuses peut exalter les nerfs du cerveau, pour que les extravagances dans lesquelles serait tombé notre théologien, soient naturellement explicables. Il est possible aussi, comme le suppose Casimir Oudin, que la jalousie de-ses contemporains ait contribué à accréditer et à perpétuer des calomnies.
Le blasphème Tres sunt, etc., est devenu ensuite la matière d'une fable qui eut beaucoup de cours depuis le treizième siècle jusqu'à nos jours encore. Ce serait faire un article sur le livre imaginaire des Trois Imposteurs, spécifiés dans ces termes du texte de Cantinpré, et prolonger beaucoup au-delà la juste étendue que doit avoir l'article de Simon de Tournai, que d'y parler de toutes les opinions que ce prétendu livre a mises en mouvement. Qu'il nous suffise, à son occasion, de citer les sources principales auxquelles peuvent recourir ceux qui voudraient encore occuper leurs loisirs de cette curiosité surannée.
Lamonnoye en a traité à fond dans une dissertation sous forme de lettre adressée au président Bouhier et datée du 10 juin 1712. Casimir Oudin a repris en sous-œuvre la même question dans une dissertation latine qu'il a méthodiquement divisée et traitée en quatre chapitres. Il résulte de la lecture de ces deux dissertations qu'on n'a jamais eu aucune certitude de l'existence du livre des Trois Imposteurs, soit manuscrit, soit imprimé, et surtout qu'on n'en a jamais cité un passage, ni donné aucune analyse; ce qui n'eût pas manqué d'avoir lieu, si quelqu'un de ceux qui l'ont cité, l'eussent réellement lu. On l'a attribué successivement, dans beaucoup de livres de littérature, à Frédéric Barberousse, à Frédéric II, à Pierre Desvignes, à Averroës, Simon de Tournai, Pierre Arétin, Servet, Ochin, Muret, Arnault de Villeneuve, Boccace enfin. On sait d'ailleurs que Kortholt a traité, sous le même titre, des erreurs d'Herbert, d'Hobbes et de Spinosa.
XIIIe SIÈCLE.
Menagiana , t. IV, a pag. 283 ad 312.
De Script, eccles. sæc. XIII, a pag. 66 ad. 79.
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De plus amples détails sur le roman de ce. prétendu livre intéresseraient peu la curiosité même de ceux qui vou-
draient qu'il eût été composé; on ne peut plus sur ces matières imprimer ni écrire de nouvelles diatribes : le dix-huitième siècle les a toutes produites.
LISTE DES MANUSCRITS DE SES OUVRAGES.
1. Institutiones in sacram paginam, bibliothèque du collège de Merton à Oxfort, 132, n° 599. — Dans la même bibliothèque, n° 36, se trouve un autre manuscrit portant le même titre.
2. Summa quæstionum in Sententias, à Oxfort, dans la bibliothèque de Bailleul, 58 et 188.
3. Quæstiones variæ, manuscrit de Saint-Victor de Paris.
4. Summa theologica, Bibl. Regia, fonds Colbert, n° 4314.
C'est peut - être le même ouvrage que la Somme des Questions sur les Sentences.
5. Quæstiones et Disputationes variæ theologicæ, dans la bibliothèque de l'abbaye des Dunes et dans celle de Villiers.
6. Institutiones in theologiam, dans celle de Saint-Jacques, Jacobæa, no 4lO, 7. Expositio Symboli S. Athanasii, bibliothèque de SaintVictor.
8. Quæstiones magistri Simonis Tornacensis, cum alle goriis ejusdem, à la bibliothèque de l'abbaye de Villiers.
9. Simonis Tornacensis Sermones de diversis, à la bibliothèque de l'abbaye de Clairvaux.
On peut prendre quelque idée du mérite de ce théologien, en parcourant le manuscrit incomplet de la Bibliothèque du Roi, qui contient la Snmma theologica, qui est du treizième siècle, très-bien écrit sur beau vélin, et dont les divisions principales sont ainsi exprimées : Sermo de deo et divinis.
Dans la première partie il s'applique à réfuter Épicure et les Manichéens. Il démontre la simplicité, l'unité, la puissance, etc., de l'Être suprême. La simplicité de l'âme est bien établie ; il pense que notre âme est créée en même temps que notre corps, et, par la comparaison suivante, il explique la manière dont il conçoit que l'âme existe dans le corps qu'elle anime :
Sicut, dit-il, ignis infunditur toti carboni, ut nulla pars
XILIE SIÈCLE.
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carbonis relinquatur inaccensa, sic anima infunditur toti corpori, ut nulla pars corporis relinquatur exanimis.
Après avoir parlé de Dieu et de ses attributs, il traite de la création des anges, de l'univers, de la chute d'Adam. Le reste manque dans le manuscrit.
Ses preuves solides et succinctes ne sont pas communément tirées de l'Écriture ou des saints Pères ; ce sont le plus souvent des preuves de raison. Il consacre jusqu'à huit pages à expliquer les divers sens que peut recevoir un mot ou une définition. Il emploie plus de trente pages à expliquer le mystère de la Trinité, et il paraît probable que ce morceau est précisément celui qu'on l'avait tant prié d'analyser par écrit, et de communiquer à ses auditeurs.
Ses citations sont pour la plupart tirées d'Aristote, Platon, saint Augustin, saint Isidore, saint Hilaire, mais le plus souvent de Boëce.
Parmi les questions singulières qu'il se propose, on peut remarquer celle-ci : Pourquoi la femme fut-elle formée du côté d'Adam plutôt que de toute autre partie de son corps ?
C'est, dit-il, pour qu'elle soit considérée comme compagne, et non pas comme maîtresse de l'homme; ce qu'on aurait pu croire si elle eût été formée de sa tête, et pour qu'on ne pensât pas non plus que Dieu la lui eût donnée comme servante, si elle eût été formée de son pied. Ut credatur
viri socia non domina, quod fieret si de capite; vel ancilla, quod fieret si de pede.
- Son latin n'est pas barbare ; il est concis, comme on peut en juger d'après la citation précédente, et généralement les questions qu'il se propose décèlent autant d'imagination que de subtilité. Rien de répréhensible dans la doctrine comprise au manuscrit que nous avons consulté. On n'y trouve aucune trace des erreurs qui ont rendu son nom fameux par les anecdotes de sa chute. P. R.
XIIIe SIÈCLE.
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GUILLAUME DE BOMY, ABBÉ DE DONMARTIN.
CUILLAUME DE BOMY gouverna, vers la fin du douzième siècle, l'abbaye de Donmartin, de l'ordre de Prémontré : c'est à-peu-près tout ce que avons pu découvrir des événemens de sa vie. Cette abbaye, située sur la rivière d'Authie, avait été fondée dès les premiers temps de l'ordre, c'est-à-dire vers 1130, par Milon, évêque de Terouenne.
Comme elle était sous l'invocation de saint Josse, elle prenait aussi le nom de Saint-Josse-aux-Bois, sancti Judoci in Ne- more. Elle est devenue une des plus florissantes de l'ordre de Prémontré.
Notre Guillaume en fut le neuvième abbé. On rapporte son élection à l'an 1195 - et, suivant les fastes du monastère, il gouverna l'abbaye jusqu'en 1201, année de sa mort. Il eut pour successeur un Guillaume, qui avait déjà abdiqué, mais qui, sur les instances des religieux, reprit la dignité d'abbé, après la mort de Guillaume de Bomy.
Suivant les fastes que nous venons de citer, Guillaume de Bomy assistait régulièrement aux chapitres généraux de l'ordre, et coopéra avec zèle aux statuts qui avaient pour but de maintenir l'ordre dans sa pureté, et d'y réformer les abus qui déjà commençaient à s'y introduire. Capitula gene-
ralia frequens adiit, ibique pro condendis ad reformationem decretis manum apposuisse et zelum, referunt Dommartinenses fasti.
On lui attribue une Relation des miracles de saint Thomas de Cantorbéry. Nous n'avons pu découvrir cet ouvrage ni manuscrit, ni imprimé (a); et il n'est cité par aucun des nombreux auteurs qui ont écrit la vie de saint Thomas de Cantorbéry; mais les annales de Citeaux désignent un autre auteur du même nom, qui a écrit en effet une lettre au pape Alexandre,
(a) Dans la collection des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, on trouve plusieurs relations des Miracles de saint Thomas (voyez entre autres les nos 5320 et 5614). Mais ces relations sont, pour la plupart, d'écrivains anonymes; et parmi celles qui portent le nom de leurs auteurs, on ne voit point le nom de Guillaume de Bomy.
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Chr. n., t, X, p. 1347.
Ibid.
Ib., p. 1349.
Annal, cist. t. II, c. 3, n° 2.
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sur les miracles que ne cessait d'opérer l'archevêque Thomas, assassiné dans le sein même de son église. Cet auteur est Guillaume, archevêque de Sens et légat du Pape, qui avait joué un rôle important dans les longues contestations de Thomas de Cantorbéry avec Henri II, et qui avait coopéré une fois à leur réconciliation, laquelle fut de si courte durée. Nous faisons cette observation sans croire cependant qu'on ait pu confondre le Guillaume archevêque de Sens avec le Guillaume abbé de Donmartin. L'un était très-connu et même célèbre à cette époque; il paraît que l'autre n'a joui de quelque réputation que dans les monastères de son ordre.
A. D.
ALAIN DE LILLE SURNOMMÉ LE DOCTEUR UNIVERSEL.
HISTOIRE DE SA VIE.
MAÎTRE ALAIN, qui a tant écrit, était théologien, philosophe, naturaliste, poëte, historien, et a laissé après lui une si grande réputation de savoir, qu'il a été surnommé le Docteur universel. Il semble qu'ayant joui d'une si grande célébrité, son histoire devrait être bien connue; cependant les opinions sont partagées sur le lieu de sa naissance, sur l'année de sa mort; on ne sait presque rien des actions de sa vie, ni des emplois qu'il a exercés dans le monde. Au défaut de renseignemens on a inventé les fables les plus absurdes, comme si pour célébrer un homme extraordinaire il fallait nécessairement recourir au merveilleux. Il a eu cela de commun avec le fameux Gerbert, excepté qu'il n'a pas été accusé de magie.
Détruisons d'abord les erreurs et les impertinences qu'on a débitées sur son compte; nous verrons ensuite quels sont les faits qu'on peut regarder comme certains, pour avoir une idée de son histoire.
Trithème, Gesner, Possevin, Vossius, et autres modernes,
XIIIe SIÈCLE.
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font d'Alain un Allemand, tout en avouant qu'il est né à Lille. Apparemment qu'ils trouvaient en Allemagne quelque ville de ce nom, ou qu'ils regardaient la Flandre comme faisant partie de l'empire germanique; mais c'est une erreur : la Flandre proprement dite a toujours été un fief de la couronne de France.
D'autres font Alain un Écossais, d'autres un Espagnol, d'autres un Sicilien. Tout cela ne vaut pas la peine d'être réfuté. Il faut s'en rapporter à ce qu'il dit lui-même, qu'il était né à Lille en Flandre. On n'a besoin pour établir cette vérité, que de prouver qu'il est vraiment l'auteur du Commentaire sur les prophéties d'Ambroise Merlin. Nous avons déjà touché cet article en parlant d'Alain, évêque d'Auxerre; nous y reviendrons lorsque nous rendrons compte de cet écrit.
L'abbé Lebeuf, qui attribue cet écrit à Alain, évêque d'Auxerre, en conclut que c'est lui qui a été surnommé de Lille, et non le Docteur universel, qui vraisemblablement, dit-il, ne fut ainsi dénommé parmi les Cisterciens que par l'habitude où l'on était de nommer ainsi l'évêque d'Auxerre.
Cependant, comme on ne peut nier que maître Alain n'ait été surnommé de Lille par d'autres que par des Cisterciens, il recherche laborieusement, parmi le grand nombre de villes et bourgs de France qui portent le nom de l'Isle, s'il n'y en aurait pas quelqu'un auquel on puisse, avec quelque vraisemblance, rapporter sa naissance ou quelque circonstance de sa vie. Il s'arrête d'abord à l'Isle-Adam-surl'Oise, parce que près de là était l'abbaye cistercienne de Notre-Dame-du-Val. Puis, considérant que maître Alain a eu des relations avec le midi de la France, il nous transporte à l'Isle dans le Comtat-Venaissin, où il soupçonne que ce docteur pourrait bien avoir été chanoine régulier de SaintRuf avant que d'entrer chez les Cisterciens. Enfin il se décide pour l'Isle de Médoc, parce qu'Alain a dédié un de ses ouvrages à un archevêque de Bourges. Vaines conjectures : nous ne trouvons dans aucun auteur ancien qu'Alain d'Auxerre ait été surnommé de Lille. Ainsi, bien loin que ce surnom ait passé de lui au Docteur universel, nous pensons que c'est à cause du Docteur universel, beaucoup plus connu par ses ouvrages, que ce surnom aura été donné quelquefois à l'évêque d'Auxerre. Ce n'est que 'dans l'épitaphe de celui-ci qu'on trouve, non pas qu'il était né, mais qu'il avait été élevé à Lille • on sait quel fond on doit faire sur les épitaphes,
XIIIe SIÈCLE.
Dissert sur l'Hist. de Paris, t. II, part. 2, p. 300.306.
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lorsque leur antiquité n'est pas prouvée. En admettant celle-ci comme ancienne, il s'ensuivrait que l'évêque d'Auxerre serait né à Lille ou près de Lille; mais cela ne prouverait pas que maître Alain n'aurait pas aussi pris naissance au même endroit.
Si l'on n'est pas d'accord sur le lieu qui a vu naître le Docteur universel, on ne l'est pas davantage sur le temps où il a vécu. Trithème et les bibliographes qui l'ont suivi placent sa mort vers la fin du treizième siècle, sous les empereurs d'Allemagne Adolphe de Nassau ou Albert d'Autriche. Cette opinion, conforme à l'épitaphe qu'on lisait à Citeaux sur son tombeau, n'est pas soutenable. Elle est contredite par des auteurs beaucoup antérieurs à cette époque, lesquels fixent la mort d'Alain au commencement du treizième siècle. Nous citerons Otton de Saint-Blaise, dans la Forêt-Noire, qui, par- lant, sous l'année 1194, des célèbres docteurs de son temps, nomme Pierre, chantre de l'église de Paris, maître Alain et maître Prépositif; et, pour mieux désigner notre Alain, il le dit auteur de l'Anticlaudianus (a). Or Otton de Saint-Blaise, continuateur de la Chronique d'Othon de Frisingue, vivait au commencement du treizième siècle; sa Chronique finit à l'an 1209.
Albéric de Trois-Fontaines, qui vivait vers le milieu du même siècle, place la mort d'Alain, qu'il fait aussi auteur de l'Anticlaudianus, à l'année 1202 (b). La grande Chronique de Belgique porte la même date, et dans les mêmes termes.
Alain est cité par Ébrard de Béthune, qui écrivait pareillement dans le treizième siècle, parmi les poëtes dont on lisait les écrits dans les écoles :
Septenas artes quis alat describit Alanus, Virtutis species proprietate docet.
Henri de Gand, surnommé le Docteur solennel, qui a com-
(a) His temporibus, Petrus Cantor Parisiensis, Alanus et Præpositivus magistri claruerunt. Alanus multa conscribens exposuit, inter alios librum qui intitulatur ANTICLAUDIANUS, et regulas cælestis vitæ, et contra hæreticos, et librum de vitiis et virtutibus,et de arte prædicandi, librumque sermonum, et multa sana et catholica conscripsit. Otto de sancto Blasio, ad ann. 1194.
(b) Apud Cistercium mortuus est hoc anno (1202) magister Alanus de Insulis, doctor famosus et scriptor ille ANTICLAUDIANI, qui in theologia fecit quamdam artem prœdicandi, et contra Albigenses, Valdenses, Judœos et Sarracenos librum edidit succintum ad Guillelmum Montispessulani dominum; et alia quœdam illius habentur opuscula. Albericus, ad ann. 1202.
XIIIe SIÈCLE.
Otto deS. Blasio, cap. 40.
V. Fabricii Bibl.
mædiiævia, voce Ebrardus.
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posé un catalogue des auteurs ecclésiastiques; parle des écrits d'Alain de Lille, parmi lesquels il nomme l'Anticlaudianuss livre que personne ne conteste au Docteur universel (a). Or Henri de Gand est mort l'an 1293.
Alain vivait donc et il était mort avant tous ces auteurs.
On ne peut donc pas prolonger sa vie jusqu'à l'an 1300; et puisque nous avons une autorité positive qui fixe sa mort à l'an 1202, c'est la date à laquelle il faut nécessairement s'arrêter. Mais ce n'est pas la seule difficulté qui se présente quand on examine la vie d'Alain.
Henri de Gand est le premier qui ait écrit qu'Alain eut la direction des écoles de Paris, Parisiis ecclesiasticæ scholæ præfuit, mais il ne dit pas en quel temps. Ce fait est pour le moins douteux. On ne trouve dans le douzième siècle aucun monument qui fasse mention de lui, et lui-même, lorsqu'il se nomme, ne prend jamais la qualité de professeur de Paris.
Jean de Saresberi fait le dénombrement des professeurs qui, de son temps, c'est-à-dire depuis 1136 jusqu'en 1148, enseignaient à Paris, et il ne nomme pas une seule fois Alain.
Guillaume le Breton, qui fait l'éloge des poëtes de son temps, qui nomme Gautier de Châtillon, Gilles de Paris, Pierre de Riga, ne dit pas un mot de maître Alain, aussi bon versificateur que les autres : ce qui rend fort douteuse l'assertion d'Henri de Gand, qui aura confondu notre Alain avec Alain de Beccles, plus voisin de son temps, lequel, au rapport de Mathieu Paris, enseignait à Paris l'an 1229.
Parmi tant d'opinions hasardées, nous ne voyons que deux faits qui soient constans : 10 qu'Alain était né à Lille en Flandre, peu d'années avant 1128; 2 0 qu'il est mort en 1202.
C'est cette disette de renseignemens qui, comme nous Pavons dit, a fait imaginer ces fables absurdes qu'on a débitées sur son compte, et que des auteurs graves n'ont pas dédaigné d'accueillir.
Pendant qu'Alain enseignait à Paris, disent-ils, les sept arts libéraux, les lois et les décrets, il s'était engagé à expliquer en public le mystère de la Trinité. La veille du jour
(a) Alanus Insulis oriundus, liberalium artium peritus, Parisiis eceles iastica- scholoeprcejitit, et ingenii sui monumenta relinquens scripsit Summam ad prædicationis oiffcium utilem; et quia metro multum claruit, scripsit metricè poeticen, excogitatâ materiâ de viro optimo et in omnibus perfectissimo, quem librum vocavit ANTICLAUDIANUM. Scripsit et alium partim metro, partim prosâ, quem vocavit PLANCTUS NATURÆ. Scripsit et alium DE NATURIS QUORUMDAM ANIMALIUM. Henr. Gand., cap. 21.
XIIIe SIÈCLE.
Metalog., pas - sim.
Du Boulai, H.
univ. Paris,, t. II, p. 436 et seq.
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qu'il devait prêcher, se promenant sur le bord de la rivière, il aperçoit un enfant qui s'amusait à porter de l'eau à un trou qu'il avait fait dans le sable. « Que prétendez-vous faire, mon « enfant? lui dit le docteur. — Je veux que toute la rivière « entre dans ce trou, et je ne discontinuerai pas, jusqu'à ce « que j'en sois venu à bout. — C'est un enfantillage ce que « vous faites : la chose est impossible. Et quand croyez-vous « que vous aurez fini? — Monsieur, j'aurai plus tôt réussi que « vous dans le dessein que vous avez en tête. — Et quel est-il, « ce dessein? — Vous voulez, dit l'enfant, pour faire parade « de votre science, expliquer le mystère de la Triniré : cela « est plus impossible que ce que j'ai entrepris. » Ce discours déconcerta le docteur, qui vit bien qu'il s'était trop avancé.
Cependant il monta en chaire le lendemain, comme il l'avait promis; mais, au lieu d'un discours qu'on attendait de lui, il ne fit que se montrer pour dire à ses auditeurs : Qu'il vous suffise d'avoir vu Alain. Et il disparut aussitôt, laissant l'assemblée dans le plus grand étonnement.
Tel est le motif qu'on donne de sa retraite à Citeaux. Là, ne voulant pas se faire connaître, il fut reçu parmi les frères convers, et chargé de la garde des troupeaux. Si l'on demande en quel temps cela arriva, c'est ce qu'on n'a eu garde de nous dire : les faiseurs du roman ne le savaient pas plus que nous. Il était plus aisé d'imaginer d'autres aventures, et c'est à quoi on n'a pas manqué.
L'abbé de Citeaux, disent-ils, devant aller à Rome pour assister au concile général que le Pape avait convoqué (on n'indique ni le pape ni l'année du concile), prit avec lui Alain pour lui servir de valet de pied et panser les chevaux.
Alain demanda en grâce à son abbé de le laisser entrer avec lui dans le lieu du concile. On lui représenta que cela ne se pouvait pas, et qu'il serait difficile de tromper la vigilance des gardes. Il y entra cependant, caché sous la chappe ou le manteau de l'abbé, et se plaça à ses pieds. Ce jour-là on discutait la doctrine des hérétiques du temps, et plusieurs étaient là pour rendre compte de leur croyance. La dispute s'engagea, et les hérétiques semblaient avoir l'avantage. Alors Alain, se levant, demanda à son abbé la permission de parler, et la demanda jusqu'à trois fois sans pouvoir l'obtenir; mais le Pape, ayant su de quoi il s'agissait, lui permit de parler.
Alain reprit la controverse, et réfuta si bien les hérétiques, que l'un deux s'écria : Tu es le diable ou bien Alain ! -Je ne suis pas le diable, répondit-il, mais je suis Alain. Dès
XIIIe SIÈCLE.
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ce moment l'abbé voulut lui céder sa place; Alain fut reconnu pour ce qu'il était, et le Pape ordonna qu'on attachât à sa personne deux clercs pour écrire sous sa dictée.
On ne s'est pas contenté de farcir les livres de ces inepties, on les a gravées sur le marbre. D. Martene a fait la description du monument qu'on avait élevé à Cîteaux sur la tombe du docteur Alain, lequel se ressent beaucoup de la barbarie du temps où il fut dressé. -
« On voit », dit-il, « dans le cloître de l'abbaye de Cîteaux « un autel de Notre-Dame, devant lequel, du côté de la « muraille, à l'entrée de l'église à gauche, est un tombeau « élevé avec cette inscription :
Alanum brevis hora brevi tumulo sepelivit, Qui duo, qui septem (a), qui totum scibile scivit; Scire suum moriens dare vel retinere nequivit.
On croit que son épitaphe ne consistait originairement que dans ces trois vers, et que ce n'est que deux siècles après qu'on y ajouta les quatre suivants :
Labentis seculi contemptis rebus, egens fit, Intus conversus, gregibus commissus alendis, Mille ducenteno nonageno quoque quarto, Christo devotus mortales exuit artus.
« Alain est représenté sur la pierre qui couvre son tombeau « en habit de frère convers, tenant à la main un chapelet « [chose inconnue de son temps] et à sa tête deux livres, Il sur l'un desquels sont écrits ces mots : Tractatus plures
« theologiæ et philosophiæ ; sur l'autre, qui est ouvert par le « milieu, de Complanctu Naturæ) In lacrymas Risus (b) ; A « Phœbo Phœbe (c) ; in Anticlaudianum , Auctoris men- « dico (d) ; et sur la face du tombeau on lit ces mots : Libera « animam meam. Au-dessus on voit un bas-relief de pierre « enchâssé dans la muraille, au milieu duquel est représentée « une Résurrection avec le vers suivant : Suscipe, CHRISTE
(a) Par le mot duo, il faut entendre l'Ancien et le Nouveau Testament; et par le mot septem, les sept arts libéraux.
(b) Ce sont les premiers mots du livre : In lacrymas risus, in jletum gaudia verto.
(c) C'est le commencement du livre des Paraboles: A Phœbo Phœbe lumen capit. - -
(d) C'est par ces mots que commence l'Anticlaudianus : Auctoris mendico stylum phalerasque poetœ.
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Voy. Litt., t. I, part. I, p. 214.
Ibid.
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« Jesu, servorum vota tuorum. Au côté est représenté Alain « tenant un chapelet ; au-dessus de sa tête on lit ces mots : « F. Alanus magnus, lector prœcipuus Alemannus ; et sur « une guirlande le vers suivant : Christus surgendo toti dat « surgere mundo ; de l'autre côté, plus près de l'église, saint « Bernard tenant une crosse avec ce vers : Christus morlem « gravis superavit abyssi, et au bas ces deux lettres J. C., qui « semblent signifier Jean de Cirey [qui fut abbé de Cîteaux « depuis l'année 1476 jusqu'en 1501], et l'année 1487, époque « de l'érection du monument. Au-dessus de ce bas-relief est « cette épitaphe : Ce grand docte Alanus, qui fut tout admirable, Rend ce lieu de Cîteaux partout plus mémorable : Car il y fut berger, convers et serviteur, Encore y sert d'exemple de vertus et d'honneur.
Donc vous, religieux, et convers, et passant, Imitez ce docteur qui cy-bas est gisant.
Charles de Visch, à la tête des Œuvres d'Alain, rapporte d'après Jongelin une autre épitaphe latine qui se lisait aussi sur son tombeau, quoique D. Martene n'en parle pas. Comme elle donne une idée assez exacte des ouvrages d'Alain, nous la transcrivons ici :
Subjacet huic lapidi, toti venerabilis orbi, Alanus doctor, quem decet almus honor; Theologis ac philosophis merito sociandus, Vatibus antiquis nec minor ipse fuit.
Egregiè scribens, planxit, docuit, reseravit Naturam, mores, mystica verba Dei.
Inclyta gesta Jesu cecinit, clarosque triumphos, Artes depingens, militiamque poli.
Eloquii pictor, morum censor, cytharista Pyeridum, fidei belligerator erat.
Hic, mundum fugiens, sub relligionis amictu Vixit, adhuc manet hic : en tumulatus adest.
Comment se fait-il qu'Alain, qui a tant écrit, qui a dû jouir de son vivant d'une grande célébrité, ait été si peu connu au quinzième siècle, où toutes ces fables ont été inventées ?
comment se fait-il qu'il le soit encore si peu aujourd'hui? Cette question nous a paru assez intéressante pour mériter d'être examinée en particulier, et nous avons fait des recherches en conséquence : nous croyons donc qu'on a cherché mal à
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i,
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propos des traces de son existence en France, puisqu'on n'a aucune preuve qu'il ait enseigné à Paris ou dans aucune autre ville. Les historiens anglais parlent d'un maître Alain, duquel ils racontent plusieurs choses qui peuvent fort bien convenir à notre Alain de Lille : les temps s'y accordent parfaitement.
Gervais, moine de Cantorbéri, qui écrivait avant la fin du douzième siècle, nous apprend que maître Alain, après avoir été chanoine de Bénévent, embrassa la règle de saint Benoît dans l'église de Cantorbéri, et qu'il fut fait prieur du monastère, qui n'était autre que le chapitre de la cathédrale, le 6 août 1179. A la vérité, il le dit Anglais; mais il est possible qu'Alain fût né à Lille, de parents anglais, qui se trouvaient là accidentellement, et qu'il ait passé ensuite en Angleterre. Voici les paroles de Gervais, qui peuvent jeter un grand jour sur cette question :
Octavo idus Augusti, Herlewinus prior Cantuariensis ecclesiæ resignavit prioratum, anno tertio sui prioratûs: senuit enim, et caligaverant oculi ejus, et videre non poterat.
Cui successit eâdem die magister Alanus, ante paucos annos Beneventanæ ecclesiæ canonicus, sed natione Anglus, et Cantuariensis ecclesiæ quinquennis fere novitius. De quo tanta spes probitatis et conversationis honestæ habita est, ut ex consilio et consensu totius fere conventûs Ricardo archiepiscopo quodammodo vis inferretur, ut eum in prioratum
promoveret. Raoul de Diceto, autre historien anglais, parle aussi de la promotion d'Alain à la dignité de prieur.
L'espérance que les moines de Cantorbéri avaient conçue de la capacité d'Alain, ne tarda pas à se réaliser. Il en donna des preuves dès l'an 1184. Il s'agissait de l'élection d'un archevêque de Cantorbéri. Alain soutint vigoureusement les droits de son chapitre contre les évêques de la province et contre le roi, qui l'accusait de trancher du Pape en Angleterre, parce qu'il était chargé de recueillir le Denier de SaintPierre, et qu'il voulait faire un archevêque à son gré. Il réussit malgré toutes les oppositions, mais il en fut puni bientôt après.
Le nouvel archevêque, de concert avec le roi, pour se débarrasser d'un hôte si incommode 'ou si peu accommodant, le fit nommer, l'an 1186, à l'abbaye de Tewksburi en Glocestershire. Gervais, qui raconte fort au long toutes ces choses, parce qu'elles entraient dans le plan de son Histoire de Cantorbéri, ne parle plus de maître Alain, auquel on n'a attribué jusqu'à présent qu'une Vie de saint Thomas de Can-
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Gervas. Dorob., ad an. 1179, apud Twysden , col
1450.
Ib., col. 1480.
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torbéri, qui fait partie du Quadrilogue, imprimé par le P. Lupus avec les lettres du saint archevêque. Mais, si on y fait bien attention, ce n'est guère qu'à lui qu'on peut faire honneur des ouvrages qui portent le nom d'Alain de Lille, surnommé le Docteur universel.
Et, pour ne parler que du Commentaire sur les prophéties d'Ambroise Merlin, dans lequel l'auteur nous apprend qu'il était né à Lille en Flandre, il est évident que ce commentaire a été composé par un Anglais, ou par quelqu'un qui avait eu de grandes relations avec l'Angleterre. Les trois premiers livres ne sont proprement qu'une histoire des rois d'Angleterre jusqu'au règne de Henri II, dans laquelle l'auteur s'étudie à montrer la conformité des images sous lesquelles l'inspiré a caché ses prédictions avec les événemens consignés dans l'histoire. Ajoutons que les manuscrits des œuvres d'Alain, qui sont communs partout, ne sont nulle part aussi multipliés qu'en Angleterre.
Cela posé, nous pensons qu'Alain aura composé ses premiers ouvrages, c'est-à-dire ses poésies, en Angleterre ou dans quelque ville de France soumise à la domination anglaise; que sa réputation l'aura attiré en Sicile, comme tant d'autres Français, sous le règne du roi Roger et de ses enfans, où il aurait été fait chanoine de Bénévent ( ceci explique pourquoi il y a des auteurs qui le font Allemand, Anglais, Sicilien); qu'à l'époque de l'expulsion des Français des DeuxSiciles, l'an 1169, il retourna en France ou en Angleterre; que bientôt après, à l'exemple d'Hugues Foucaud, son compagnon d'infortune, qui se fit moine à Saint-Denis, il embrassa la vie religieuse à Cantorbéri, puisque l'historien Gervais nous dit qu'en 1179 il y avait cinq ans qu'Alain était entré au noviciat. Il est très-possible qu'il ait accompagné, cette même année, non l'abbé de Cîteaux, mais l'archevêque de Cantorbéri au concile de Latran, dans lequel les erreurs des Vaudois et autres hérétiques du temps furent proscrites; qu'Alain y ait fait preuve de savoir, et que le Pape l'ait chargé d'écrire contre ces nouvelles erreurs. Nous avons vu qu'à son retour, cette même anné'e 1179, il fut choisi, tout nouvellement religieux qu'il était, pour remplir la place de prieur de Cantorbéri, la première dans cette église après celle de l'archevêque; qu'il en défendit si bien les droits pendant la vacance du siège, qu'il indisposa contre lui le roi et même le nouvel archevêque, lesquels, pour l'éloigner et le punir
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de son inflexible roideur, le firent élire abbé de Tewksburi.
Ici les lumières nous manquent pour achever sa vie. Il est probable qu'il éprouva d'autres désagrémens, et que bientôt après il se démit de son abbaye pour repasser en France, où il composa quelques-uns de ses ouvrages, et qu'enfin il se retira à Cîteaux pour y finir ses jours. Comme il ne restait de tous ces faits qu'une tradition confuse, de là le roman qui a été imaginé dans le quatorzième ou quinzième siècle, époque féconde en romans. Au milieu de toutes ces fictions, on a pourtant conservé à Alain la dénomination d'Insulensis, parce qu'on la trouvait disertement exprimée dans un de ses ouvrages; et dans des temps plus récens, cette même dénomination l'a fait confondre avec Alain, évêque d'Auxerre, Cistercien comme lui. Mais aujourd'hui les voilà si bien distingués l'un de l'autre, qu'on ne s'avisera plus de les confondre.
Quant à ce que nous avons dit de la dernière période de sa vie, nous convenons que ce ne sont que des conjectures.
Mais, au milieu des ténèbres qui enveloppent l'histoire d'Alain, nous n'avons pas dû négliger les faibles lumières que nous prêtaient les historiens d'Angleterre. Peut-être, dans l'examen que nous allons faire de ses écrits, trouverons-nous quelque motif à l'appui de nos conjectures.
SES ÉCRITS IMPRIMÉS.
Les Œuvres d'Alain ont été publiées l'an 1654, à Anvers, par les soins de D. Charles de Vicsh, prieur du monastère de Dunes, en un volume in-folio. Mais il s'en faut bien que cette édition contienne toutes les œuvres du Docteur universel; elle n'en renferme qu'une faible partie, et, sans compter les ouvrages qui sont restés manuscrits, quelquesuns même qui, à cette époque, étaient imprimés, ne s'y trouvent pas. Nous allons rendre compte des uns et des autres.
I. L'Encyclopédie. Cet ouvrage, qui porte aussi le titre d'Anticlaudianus, sive de Officio viri boni et perfecti, est un poëme ou roman moral écrit en vers, divisé en neuf livres.
On le désigne par le nom d'Encyclopédie, parce qu'il traite des connaissances nécessaires pour former l'homme vertueux, et qu'il entre dans un grand détail sur les procédés et les avantages des sciences et des arts. On l'a intitulé Anticlau- dianus, non que ce soit une réfutation du poëme ou de la satire de Claudien contre Rufin, ministre sous l'empereur
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Alani Opera, p 322-420.
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Théodose l'Ancien, mais parce qu'il en est une imitation dans un sens inverse. Claudien, pour rendre odieuse la mémoire de Rufin, suppose un complot des Vices pour bannir de l'empire le règne de la Vertu, et ils ne trouvent pas d'instrument plus propre que Rufin à l'exécution de leur entreprise.
Alain, au contraire, imagine un concert parmi les Vertus pour chasser les Vices de la terre, et faire cesser la dépravation des hommes. C'est dans ce sens qu'il faut entendre le titre d'Anticlaudianus. Voici la fable : L'auteur introduit la Nature délibérant sur la production d'un homme accompli; et, ne pouvant réussir à le former elle seule, elle assemble toutes les Vertus, avec lesquelles elle tient conseil. Le résultat de la délibération est que la Prudence sera députée vers le ciel pour présenter à Dieu le vœu de la Nature, et pour le prier d'envoyer une âme pure et sans tache, à laquelle la Nature et les Vertus prêteraient leur ministère pour en faire un homme accompli et parfaitement heureux. La Prudence, craignant de se charger de l'ambassade, cède enfin aux remontrances de la Concorde, et fait construire un char par les sept Arts Libéraux, qui sont ses enfans. La Grammaire travaille au timon, et ici une dissertation sur la grammaire; la Logique forge l'essieu, éloge de la logique; la Rhétorique enrichit le timon d'or et de pierreries, elle grave sur l'essieu des fleurs et les autres ornemens qui lui sont propres. L'Arithmétique fabrique la première roue du char, la Musique la seconde, la Géométrie la troisième, l'Astronomie la quatrième; digressions sur chacun de ces arts.
Cela fait, la Concorde assemble toutes ces pièces, et remet le char à la Raison, qui doit le conduire. La Raison y attèle cinq chevaux, qui sont la Vue, l'Ouïe, l'Odorat, le Goût et le Tact. Après quoi la Prudence part et fend les airs. Ici la description du système planétaire. Arrivée au plus haut du firmament, ses chevaux ne peuvent plus aller, c'est-à-dire qu'à cette élévation les cinq sens de la nature ne servent plus de rien; mais elle rencontre là la Théologie, qui va lui servir de guide. Ici la description de la Théologie, que l'auteur représente tenant de la main droite un livre, et un sceptre dans la gauche. A l'éclat du ciel empirée la Prudence s'évanouit; la Foi vient à son secours et lui présente un miroir dans lequel elle peut considérer tout ce qui se passe dans le ciel. Alors la Prudence, ne pouvant plus être conduite par la
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Raison, ne veut plus avoir d'autre guide que la Foi, et sous sa conduite elle arrive aux pieds de l'Éternel ; elle expose le sujet de sa mission, et Dieu crée une âme telle qu'on la demande. La Prudence repart sur le char de la Raison avec ce précieux dépôt, et le remet entre les mains de la Nature, qui, de concert avec toutes les Vertus, lui forme un corps doué de toutes les qualités qui constituent l'homme parfait.
Suit le portrait de l'homme juste, orné de toutes les vertus, et cultivé par la Science et les Arts, dont l'auteur décrit une seconde fois les avantages. Il ne manque à cet être parfait que l'ancienneté de la noblesse. La Fortune, dont la Noblesse est la fille, y supplée et lui prodigue ses dons.
Ici finit le septième livre ; le huitième et le neuvième contiennent le combat des Vices contre les Vertus. La perfection de l'homme ayant donné de la jalousie à l'Enfer, Alecto, une des Furies, lève une armée de Vices, qui viennent fondre sur lui. Portrait de tous les Vices : l'auteur indique les Vertus contraires que l'homme juste doit leur opposer ou leur oppose. Quant aux maux inséparables de l'humanité, l'homme juste les supporte courageusement en cédant à la nécessité.
Tout cela est mêlé de fictions assez ingénieuses, et qui ne sont pas sans agrément. Les vers sont faciles et beaucoup meilleurs que ceux de la plupart des poètes du douzième siècle. « Quoique son poëme soit assez philosophique, « dit Adrien Baillet, Il Alain ne s'est pourtant attaché à aucune « secte particulière de philosophie. On y trouve divers traits Il de morale et quelquefois de mathématiques, mais qui sont « souvent tournés d'une manière scholastique, qui l'a fait « considérer comme un adroit sophiste par quelques critiques.
« Enfin, il n'a point oublié d'y faire entrer un peu de théo« logie, de sorte qu'assaisonnant toutes ces choses de la fable « païenne qu'il y répand en divers endroits, il a fait de tous Il ces mélanges une bigarrure continuelle, dont la bizarrerie « ne laisse pas d'avoir son prix, autant que les choses irréIl gulières en peuvent avoir. Il Il faut que les contemporains d'Alain en aient jugé autrement, et qu'ils aient trouvé dans ce poëme de grandes beautés, puisque, de tous les ouvrages d'Alain, c'est celui qui lui a donné le plus de célébrité. Il était déjà devenu classique au treizième siècle, comme nous l'avons dit plus haut; il eut bientôt des commentateurs, parmi lesquels nous trouvons Raoul de Long-Champ, Anglais, dont le commentaire encore
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Satires pers.
t VII., p.28, in ~4°.
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manuscrit commence par ces mots : Quia in hoc opere agitur de quatuor artificibus, etc. Adam de la Bassée, chanoine de Lille, s'est exercé, au quatorzième siècle, sur ce même poëme, qu'il a abrégé et enrichi de digressions morales sous ce titre : Ludus Adami de Basseya in Anliclaudianum magistri Alani de Insula. Son écrit commence ainsi: Solet dici, qui igne indiget suo digito hune exquirit ; mais il n'a pas encore été imprimé. L'ouvrage d'Alain l'avait été sans nom d'auteur, à Bâle l'an 1536, à Venise en 1582, et à Anvers en 1625, avant que de Visch le fît entrer dans la collection des Œuvresd'Alain, en cela plus heureux que Bernard de Chartres, dit Sylvestris, auteur d'un poëme du même genre, intitulé : Megacosmus et Microcosmus, de universitate mundi, dont il a été rendu compte dans notre Histoire,, mais qui n'a pas encore eu les honneurs de l'impression.
Quant au temps où Alain a composé son poëme, on peut le deviner, s'il est vrai, comme on ne peut guère en douter, qu'il a eu en vue de critiquer l'Alexandréide de Gauthier de Châtillon dans ces vers :
Mævius in cælos audens os ponere mutum, Gesta ducis Macedum tenebrosi carminis umbrâ Pingere dum tentat, in primo limine fessus Hæret, et ignavam queritur torpescere musam.
Gauthier de Châtillon, compatriote d'Alain, et, comme lui, surnommé de Lille, a dédié son Alexandréide à Guillaume de Champagne, archevêque de Sens, mort archevêque de Reims, l'an 1202. Son poëme était donc antérieur à celui d'Alain; mais on aurait tort de conclure de là qu'ils n'étaient pas contemporains. M. de la Monnoye, de l'Académie française, rapporte les deux vers que Gauthier opposa à la critique d'Alain :
Mævius immeritò, te judice, dicor, Alane; Judice me, Bavius diceris, et meritò.
Il est vrai que le savant académicien attribue ces vers à un neveu de Gauthier, qui aurait pris sa défense; mais rien ne prouve qu'ils ne soient pas de Gauthier, puisque c'est lui qui parle. Il en résulte au moins, ce que nous avons établi plus haut, que c'est une grande erreur de faire vivre Alain jusqu'en 1300.
M. Legrand d'Aussi, mort membre de l'Institut, a donné
XIIIe SIÈCLE.
Hist.Litt., t. XII, p. 267.
Antidaudian., lib. I, cap. 5.
Jug. des Savans, t. IV, p. 261, in 4°.
Notices des mss., t. V, p. 546,559.
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sur un manuscrit de la Bibliothèque Royale la notice d'une traduction libre de l'Anticlaudianus en vers français, qu'il met beaucoup au-dessus de l'original latin. Voici le jugement qu'il en porte : « Le traducteur a ajouté à l'original des mor« ceaux de sa façon; il en retranche un grand nombre, et « surtout ceux qui contenaient des détails de doctrine théo« logique ou scholastique, que la pédanterie du docteur y « avait insérés ; en un mot, il n'en a guère conservé que le « plan, et je crois que dans ses mains le poëme a infiniment « gagné. » Cependant il se montre, en finissant, plus équitable ou moins sèvère envers la production du docteur Alain. « Je ne veux point priver », dit-il, « Alain de Lille de la « portion de gloire qui lui est due : c'est à lui qu'appartient « le plan ; et ce plan, mélange bizarre de philosophie, d'éru- « dition, d'imagination et des préjugés du temps, est une « conception vaste. Notre translateur n'a eu que l'honneur cc de l'avoir resserré, corrigé, embelli. Cependant, si l'on juge « sa version par l'extrait que je viens d'en donner, ne lui « trouvera-t-on pas ce qui caractérise un beau poëme : unité « d'action, variété, marche simple et rapide, fable brillante, « esprit dans les détails, grands et nombreux tableaux? »
(Quoi qu'il en dise, ces beautés sont encore plus sensibles dans l'original que dans la traduction.) Enfin il ajoute : « Les « opinions, les mœurs, le goût, la littérature, tout change « avec les siècles, Sans doute l'Anliclaudien ne réussirait pas cc aujourd'hui; mais j'avoue que pour son temps c'est un ou« vrage qui m'étonne. » Au reste, notre ancien confrère n'a fait aucune recherche sur la personne du docteur Alain, ni sur le temps où il a vécu; il le place tout bonnement, comme tant d'autres l'avaient fait avant lui, à la fin du treizième siècle.
2. Le livre qui a pour titre les « Gémissemens de la Nature », de Planciu Naturœ ad Deum, ou bien Enchiridion de rebus Naturœ, est un conte moral dans lequel l'auteur suppose que la Nature lui apparaît en songe, parée de tous ses atours, pour se plaindre de la dépravation qui règne parmi les hommes, surtout du vice de luxure, qui n'a point de bornes et qui l'outrage plus directement. Là-dessus il s'établit un dialogue entre l'endormi et la Nature, qui veut bien répondre à toutes ses questions sur l'amour, sur l'intempérance du boire et du manger, et sur d'autres vices. Pendant cet entretien arrive l'Hyménée, accompagné de la Chasteté et de la Tempérance, pour se plaindre du genre humain, qui
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Alani Op., p. 279-320.
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semble les avoir bannies de la terre. La Nature les renvoie au Génie avec une lettre pour demander qu'il fasse justice des prévaricateurs. Le Génie revient avec eux trouver la Nature, et prononce un anathème solennel contre les impudiques, les ivrognes, les avares, les superbes, les envieux, les flatteurs, etc.; et là finit le conte, dont Barthius fait un grand éloge, et dont le savant Allatius préparait une édition avec des notes, lorsque la mort interrompit son travail. Cet opuscule , mêlé de vers et de prose, est une imitation, dit-on, du traité de Boèce, de Consolatione Philosophiœ ; mais il s'en faut de beaucoup qu'il approche de son modèle, soit pour le fond, soit pour le style.
3. Le livre des paraboles, en vers élégiaques, qui porte aussi le titre de Doctrinale minus, pour le distinguer d'un autre ouvrage d'Alain, appelé Doctrinale altum , est divisé en six chapitres : le premier contient les paraboles ou maximes renfermées dans deux vers ; le second, celles qui sont exprimées en quatre ; le troisième, en sixains j le quatrième, en huitains; le cinquième, en dizains ; le sixième, en douzains.
Tel est l'ordre que maître Alain a jugé à propos de garder dans sa versification, de sorte qu'au lieu que le sens d'une phrase, dans les vers élégiaques, finit ordinairement au second vers, l'auteur s'est proposé de le prolonger dans le second chapitre jusqu'au quatrième , dans le chapitre trois jusqu'au sixième, et ainsi de suite, en ajoutant toujours à chaque parabole un distique de plus que dans le chapitre précédent. Cet opuscule contient de très-belles maximes, exprimées d'une manière fort spirituelle. Le sujet qu'il y traite est mixte : tantôt ses paraboles roulent sur la morale, tantôt sur la philosophie naturelle et sur quantité d'autres vérités connues, qui, en d'autres termes, sont dans la bouche de tout le monde.
Il n'est pas douteux que cet ouvrage ne soit d'Alain; il se nomme au chapitre quatre, dans ces vers, que nous citons comme un échantillon de sa versification :
Simpliciter cœcus prohibetur ducere cœcum, Ne cœcus cœcum ducat in antra suum; Sed tamen insanum prohibere nequimus ALANUM, Quin cœcos dubio ducere calle velit.
Cet opuscule d'Alain avait été imprimé plusieurs fois avant que d'entrer dans la collection de ses œuvres : l'an 1491 in-4° j
XIIIe SIÈCLE.
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Barth., Advers., lib. XV, cap. 9.
Alani Opéra, p. 421-436.
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à Lyon, chez Jean Dupré, avec d'autres traités qui ont rapport au même sujet ; savoir : Catonis Disticha, Faceti Lusus, Theoduli Duellum , Carmen de contemptu mundi, Floreli Dogmata, Alani Parabola, etc. ; et, l'année d'après, aussi à Lyon, in-4 °, avec les mêmes auteurs, sous le titre de Sylvœ morales, cum interpretatione Ascensii ;— l'an 1501 J à Lyon, avec le commentaire de Matthieu Bonhomme ; — l'an 1516, à Leipsick, sans compter d'autres éditions in-4° qui ne portent point d'année, à Caën, à Rouen, à Paris.
Cet ouvrage, au rapport de l'éditeur des Œuvres d'Alain, fut traduit en vers français, à l'usage de Charles VIII, roi de France, et imprimé avec des commentaires moraux, l'an 1536, à Paris, in-16. Il paraît que Charles Ier, roi d'Angleterre, le lisait aussi. Ménage attribue à Ovide le vers que ce prince prononça peu de temps avant sa mort :
Qui decumbit humi, non habet unde cadat.
« Ce prétendu vers d'Ovide », suivant l'auteur des Additions au Menagiana, « est d'Alain de Lille ; encore n'est-il pas « ici rapporté tel qu'il se lit dans les paraboles d'Alain, ch. 3, « parab. 5, de la vieille édition in-4° de Lyon, 1492, où on lit :
Tutior est locus in terrâ, quàm turribus altis : Qui jacet in terra, non habet unde cadat.
4. Deux proses rimées, l'une sur l'incarnation du Verbe, l'autre sur la faiblesse et la caducité de la nature humaine.
Dans la première, il fait voir combien le mystère impénétrable de l'Incarnation déconcerte toutes les notions reçues et les règles qui sont la base de nos connaissances : celles de la grammaire, de la rhétorique, de l'arithmétique, de la musique, de la géométrie, de la dialectique et de l'astronomie. Il y a des stances pour chacune de ces facultés, et toutes sont terminées par ce refrain :
In hâc Verbi copulâ Stupet omnis regula.
Dans la seconde, il représente l'instabilité de la vie humaine, sous l'image d'une fleur qu'un même jour voit naître et mourir : pensée qui n'était pas neuve de son temps, et qui aujourd'hui est triviale; mais Alain l'a rajeunie d'une manière très-élégante. Ces deux morceaux avaient été publiés
XIIIe SIÈCLE.
Menag., t. III, p. 185.
Alani Opera, p. 418.
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par Jean Buzelin, jésuite, et du Boulai les a jugés dignes d'entrer dans l'Histoire de l'Université de Paris, t. II, p. 722.
Leyserus (Hist. poetarum medii œvi} p. 1092 — 1097) a aussi publié, sous le nom d'Alain, une prose rimée de Amore Veneris, qui peut-être faisait partie du Planctus Naturœ, mais qui n'est pas dans l'imprimé.
5.. Elucidatio super Cantica canticorum. Ce court commentaire sur le Cantique des cantiques est tourné entièrement à la louange de la sainte Vierge, pour laquelle l'auteur trouve dans ce livre des allégories qui prouvent au moins la vénération qu'il avait pour cette créature privilégiée. Nous faisons cette remarque pour montrer quel fond on peut faire sur l'anecdocte rapportée par un auteur du quinzième siècle, selon lequel Alain aurait été frappé de taciturnité, ce qui signifie apparemment qu'il aurait perdu l'usage de la parole, pour avoir manqué, dans un sermon qu'il prêchait, à implorer le sécours de Dieu par l'intercession de la sainte Vierge.
Ce commentaire d'Alain avait été imprimé à Paris, l'an 1540, chez Jacques Kreuer, sur un manuscrit de Saint-Victor, selon ces vers qu'on lit au frontispice :
Hunc tibi nunc primùm, lector, depromit Alanum Victorina suo bibliotheca sinu.
Dans un manuscrit de Saint-Martin de Tournai, on lit que ce commentaire à la louange de la sainte Vierge fut composé à la prière du prieur de Cluni, qui n'est pas nommé. Si le nom de ce prieur était exprimé, on saurait à-peu-près l'époque à laquelle Alain entreprit cet ouvrage.
6. Une Somme de Arte prœdicatoriâ. Ce sont des esquisses de sermons sur presque tous les sujets de morale, dans lesquelles l'auteur indique les différentes manières d'envisager un sujet. Il paraît qu'Alain voulait réformer les défauts des prédicateurs de son temps ; mais, dit l'abbé Lebeuf, toute excellente qu'était sa Somme, elle ne fut pas suivie.
7. Neuf sermons. Ces discours oratoires prouvent qu'Alain pouvait bien servir de guide pour le choix des sujets, mais non pour la manière de les traiter; il n'emploie presque jamais l'Écriture sainte que dans un sens allégorique. Nous ne nous arrêterons, pas à en faire l'analyse ; il suffira d'en indiquer les sujets. Le premier roule sur l'union et la bonne intelligence qui doit régner entre les abbés des monastères et les moines; le second, sur la fête de l'Annonciation de Marie,
XIIIe SIÈCLE.
Gallo - Fland., t. I, cap. 7.
Alani Opera, p. 3-50.
Martene, Ampl.
Collect., t VI, col. 52.
Alani Opéra, 52-117.
Ibid., p. 118- 140.
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lorsqu'elle tombe au dimanche des Rameaux; le troisième, sur la crainte du jugement de Dieu; le quatrième fut prêché le jour de Pâques, devant les maîtres clercs, ad magistros clericos ; le cinquième, en plein synode, sur le gouvernement de l'Église ; le sixième, sur le pouvoir de délier le pénitent après la confession ; le septième, sur les paroles Rorate, cœli, desuper, pour le temps de l'Avent; le huitième, sur les dons du Saint-Esprit, pour le jour de la Pentecôte; le neuvième n'est qu'un fragment de sermon sur les tentations,. pour la fête de saint Augustin. A ces neuf sermons l'éditeur en a ajouté trois autres touchant le Saint-Esprit, le mystère de la Croix, et pour la fête de saint Nicolas.
8. Le livre des sentences et des dits mémorables d'Alain, autrement appelé Doctrinale altum, pour le distinguer du livre des paraboles, écrit en vers, et qui a pour titre Doctrinale minus. Ce sont des pensées détachées sur différens • textes de l'Écriture sainte, à l'usage encore des prédicateurs.
9. Un opuscule sur les six ailes du chérubin. C'est une explication allégorique sur ce passage d'Isaïe, chapitre 6 :
Vidi Dominum sedentem super solium excelsum et elevatum, et ea quœ sub ipso erant replebant templum. Seraphim stabant super illud : sex aloe uni, et sex alee alteri; duabus velabant faciem ejus, et duabus velabant pedes ejus, et
duabus volabant. L'auteur trouve dans cette image, qui a été gravée par l'éditeur, toutes les parties de la confession, jusqu'à la réconciliation du pénitent. Cet opuscule a été jugé assez bon et assez solide pour être attribué au Docteur séraphique. Aussi a-t-il été imprimé parmi les œuvres de saint Bonaventure; mais il est moins entier d'un tiers dans ces éditions-que dans celles des œuvres d'Alain, qui en est le véritable auteur.
10. Liber pœnitentialis. C'est une instruction courte et solide, qui pouvait être fort utile, soit aux pécheurs qui voulaient retourner à Dieu par une sincère pénitence, soit aux confesseurs pour se diriger dans l'exercice de leur ministère.
Ce livre, dans plusieurs manuscrits, est dédié par Alain, dictus magister, à Henri de Sully, archevêque de Bourges, qui gouverna cette Église depuis l'an 1184 jusques à 1200 : ce qui est une nouvelle preuve qu'Alain vivait alors.
11. Un traité de la foi catholique contre les hérétiques de son temps, divisé en quatre livres : le premier, contre les nouveaux hérétiques, que l'éditeur appelle albigeois, nom que
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 141- 168.
Ibid., p. 173- 180.
Ibid., p. 183198.
Ibid., p. 201- 278.
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l'auteur ne leur donne pas, parce que vraisemblablement il écrivait avant que ces hérétiques, appelés d'abord henriciens ou cathares, eussent été ainsi dénommés ; le second livre est nommément contre les vaudois ; le troisième, contre les juifs; le quatrième, contre les mahométans, qu'il regarde comme de vrais païens. L'ouvrage est dédié à Guillaume, prince de Montpellier, qu'il appelle son seigneur : Amantissimo [aliàs
reverendissimo] domino suo (I) Willelmo, Dei gratiâ Montis-
pessulani principi ; mais l'auteur n'y prend pas d'autre qualité que celle de magister Alanus.
Cette inscription a donné lieu à une foule de conjectures de la part de l'abbé Lebeuf, pour deviner quel rapport il pouvait y avoir entre Alain et le seigneur de Montpellier, d'autant plus que le même Alain a aussi dédié un de ses ouvrages, encore manuscrit, à Ermengaud, abbé de Saint-Gilles, qui gouverna ce monastère dès avant l'an 1179 jusqu'en 1195, et peut-être au-delà. L'abbé Lebeuf, qui voulait établir la distinction du docteur Alain et d'Alain, évêque d'Auxerre, et réserver à celui-ci le surnom d'Insulensis, imagine que l'autre pourrait avoir pris naissance dans ces contrées, à l'Ile au Comtat Venaissin , ou à l'Ile-Jourdain, ou à l'Ile de Médoc, ou du moins y avoir fixé sa demeure. Nous avons déjà indiqué le peu de solidité de ces conjectures. Alain a déclaré lui-même le motif qu'il avait de dédier son livre au seigneur de Montpellier : c'est qu'entre tous les souverains d'alors il ne voyait que lui qui fût éminemment revêtu des armes de la foi chrétienne, et qui, au milieu des tempêtes qui agitaient l'Église, n'eût jamais abandonné la barque de saint Pierre. Or ce fait était si connu, qu'il a pu déterminer un écrivain, quelque part qu'il demeurât, à dédier son ouvrage à un prince si religieux.
Il est peut-être plus important de rechercher auquel des seigneurs de Montpellier, du nom de Guillaume, cet écrit fut adressé, afin de fixer le temps auquel il fut composé. Le nom de Guillaume fut comme héréditaire dans la maison de Montpellier jusqu'à la fin du douzième siècle, et on ne les distinguait dans les actes que par le nom de leur mère. Celui que nous cherchons ne peut être que Guillaume VI, mort moine de Grand-Selve, l'an 1162; ou Guillaume VII, fils de Sibylle,
(a) Gariel (series episc. Magalon., (p. 263) a cru que ce seul mot suffisait pour faire d'Alain un habitant de Montpellier, patria Monspesulensis.
XIIIe SIÈCLE.
Dissert sur l'Hist. de Paris, t. II, part. 2, P. 301.
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décédé l'an 1172; ou Guillaume VIII, fils de Mathilde, mort l'an 1202. Ces trois princes furent toujours dévoués au Siége apostolique, et ne furent jamais suspects dans leur croyance.
Ainsi l'éloge qu'Alain fait du seigneur de Montpellier serait applicable à chacun deux; cependant nous croyons que celui auquel il l'adresse n'est autre que Guillaume VIII, parce que l'ouvrage d'Alain ne fut composé qu'après le concile de Latran, assemblé spécialement contre les hérétiques qu'il réfute, auquel il paraît certain qu'il assista, l'an 1179 (1). Il est vraisemblable que c'est là qu'il fit connaissance avec l'abbé de Saint-Gilles , lequel l'aura fait connaître au seigneur de Montpellier comme un homme capable de défendre la foi catholique contre l'hérésie qui faisait alors les plus grands ravages dans les contrées du midi de la France.
Alain a donné des preuves de sa capacité dans cet écrit, qui est un excellent traité de controverse, dans lequel il réfute une à une toutes les erreurs avancées par les hérétiques albigeois ou vaudois, et leur oppose, dans les deux premiers livres, les autorités de l'Écriture sur lesquelles sont fondés les dogmes de l'Église catholique. Dans les deux livres suivans, contre les juifs et les mahométans, il suit une autre marche; il ne se contente pas de répondre aux reproches qu'ils font aux chrétiens , il leur reproche à son tour ou l'imperfection ou l'absurdité de leurs lois. Les deux premiers livres avaient été imprimés à Paris, l'an 1612, par les soins de Jean Masson, archidiacre de l'Église de Bayeux. D. Claude de Visch, les ayant revus sur d'autres manuscrits, les inséra dans la collection des Œuvres d'Alain; mais il ne put se procurer les deux derniers livres. Ce ne fut que deux ans après la publication des Œuvres d'Alain, qu'ils lui furent envoyés de l'abbaye de Cîteaux, et qu'il les publia par forme d'appendice à la fin de la seconde édition de sa Bibliothèque des écrivains de l'ordre de Cîteaux, in-4°.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que des écrits qui sont imprimés dans la collection des Œuvres d'Alain ; mais il y en a d'autres qui ont été publiés en différens temps.
12. D. Bernard Pez a mis au jour un autre ouvrage de controverse, qui a pour titre, de Arte seu Articuiis catholicœ
(a) In concilio etiam Lateranensi in eos [Valdenses] sententia excommunicationis lata est : unde eis etiam communicandum non est, cùm sententiâ apostolicâ ab Ecclesiâ prœcisi sunt. Alanus, de Fide catholicâ, lib. II, cap. +
XIIIe SIÈCLE.
Pez,, Anced., t.I, part. 2, p. 476504.
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fidei, divisé en cinq livres : le premier traite de l'unique cause de toutes choses, c'est-à-dire de l'unité et de la trinité en Dieu, de Deo uno, eodemque trino ; le second, de la création du monde, de l'ange, de l'homme , et du libre arbitre ; le troisième, du Fils de Dieu incarné pour racheter l'homme ; le quatrième, des sacremens et de l'Église , et le cinquième, de la résurrection des morts.
Dans un prologue qui tient lieu d'épître dédicatoire, l'auteur adresse son ouvrage à un pape nommé Clément. Ceux qui font vivre Alain sur la fin de treizième siècle, l'entendent de Clément IV. Pour nous, nous ne doutons pas que l'auteur n'ait eu en vue Clément III, qui fut pape depuis l'année 1187 jusques à 1191. Il lui dit que c'est avec douleur qu'il voit l'Occident plein de sectes et d'hérésies, et l'Orient livré aux mahométans, qui poursuivent les chrétiens les armes à la main. « Ne pouvant », dit-il, « les combattre par la force, j'ai « tenté de le faire par le raisonnement. » Il convient que les saints Pères, pour convertir les juifs et les gentils, ont employé les miracles et l'autorité des Écritures. « Je n'ai pas reçu », ajoute-t-il, « le don des miracles, et l'autorité des Écritures « est impuissante contre des hommes qui les rejettent ou qui « les corrompent. C'est pourquoi j'ai arrangé avec soin les « raisons probables de notre foi, afin que ceux qui ne se « soumettent pas aux prophètes et à l'Évangile, soient con« vaincus par les raisons humaines. »
En effet, la méthode qu'il a adoptée est celle des géomètres, qui fut celle des scholastiques, bonne pour convaincre un esprit obstiné, mais qui ne va pas au cœur pour l'entraîner.
Sur ce plan, il place à la tête de chaque livre des définitions, des distinctions, des pétitions ou demandes, des principes évidens par eux-mêmes, lesquels lui étant accordés, il faut admettre nécessairement toutes les conséquences qui en découlent. C'est donc avec raison que cet écrit doit avoir pour titre, de Arte fidei catholicœ, et non, comme portent certains manuscrits, de Articulis. La nature de l'ouvrage semble l'exiger, et l'auteur dit positivement dans son prologue qu'il l'a ainsi nommé à juste titre. On voit effectivement que, pour démontrer le sujet qu'il traite, il rappelle avec art les théorèmes qu'il a établis, et qu'il en déduit les corollaires qui complètent la preuve.
Il n'y a pas à douter que cet écrit n'ait été fort goûté dans son temps; cependant il n'a vu le jour en Allemagne que
Xllle SIÈCLE.
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dans le siècle dernier. Il fallait que l'auteur fût bien persuadé du mérite de l'ouvrage, pour oser le dédier au pape.
Il le fit, dit-il, pour deux raisons, parce que c'est au pape, comme vicaire de Jésus-Christ et successeur de saint-Pierre, qu'il appartient de répandre par toute la terre la semence de la parole catholique, et aussi pour concilier à son ouvrage une plus grande autorité. Il ne dit pas qu'il eût reçu du pape l'ordre d'y travailler; mais on peut le supposer, s'il est vrai qu'Alain ait fait preuve de capacité contre les hérétiques au concile de Latran auquel on dit qu'il avait assisté. S'il n'en parle pas, c'est que ce n'était plus le même pape qui lui avait donné l'ordre ; c'était le quatrième qui, dans l'espace de six ans, avait succédé à Alexandre III.
13. Un commentaire sur les prophéties d'Ambroise Merlin, auquel on a donné pour titre : Alani magni de Insulis, doc-
toris universalis, explanationum in prophetiam Merlini Am-
brosii, britanni , libri septem. Nous nous étendrons un peu sur cet ouvrage, non-seulement parce qu'il lui est contesté par de très-habiles gens, mais parce que de tous les écrits d'Alain, c'est celui qui peut nous donner le plus de lumières sur sa personne. - - - - - -
Il expose d'abord le motif qu'il a eu de l'entreprendre : c'est, dit-il, qu'à la vue des événemens extraordinaires qui se passaient alors en Angleterre, tout le monde parlait des prophéties de Merlin, qui paraissaient avoir leur accomplissement ; mais peu de personnes connaissaient assez l'histoire pour en faire l'application aux événemens. Quant à lui, il se croit assez versé dans l'histoire des Bretons, des Saxons, des Anglais, des Normands et des Français, pour donner de ces prophéties des explications satisfaisantes, au moins juspu'à son temps, qui était le règne de Henri II.
Il examine ensuite plusieurs questions relatives à la personne de Merlin : 1 0 s'il était chrétien; et il n'en doute pas, attendu que, dans le temps où il vivait, l'Angleterre avait déjà embrassé le christianisme : 2 ° s'il était vraiment prophète ; Alain n'ose l'affirmer, mais il soutient que Dieu a pu se servir de lui pour prédire l'avenir, comme il s'est servi de Job, qui n'était pas Juif, de Balaam, qui était un mauvais sujet, des sibyles, de Cassandre et autres pythonisses : 3° si Merlin était né, comme on le disait, du commerce de sa mère, qui était une princesse, avec un démon incube; Alain soutient que la chose n'est pas impossible, mais il aime
XIIIe SIÈCLE.
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mieux croire que la mère de Merlin l'avait ainsi déclaré pour couvrir un peu sa honte , ou parce qu'elle avait des raisons pour ne pas déclarer son amant.
Après cela, il entre en matière, et, le flambeau de l'histoire à la main, il donne aux prophéties des interprétations quelquefois assez plausibles, au moins dans les trois premiers livres, et jusqu'an règne de Henri II, où le conduit la suite des événemens applicables aux prophéties. Quant à celles qui n'avaient pas encore reçu leur accomplissement, il en réserve l'intelligence à ceux qui seront témoins des événemens, lorsqu'ils arriveront. Cependant il tâche de donner, dans les quatre derniers livres, une interprétation quelconque à ces prophéties, en saisissant les images et les expressions sous lesquelles le prophète les a énoncées; et, dans cette partie même, Alain a fait preuve de sagacité et d'une connaissance assez étendue dans les sciences physiques et naturelles.
Telle est l'idée générale que nous pouvons donner de cet ouvrage; mais c'est ici le lieu de discuter plusieurs questions que ce livre a fait naître parmi les savans. Nous examinerons 1° si maître Alain en est véritablement l'auteur; 2 ° en quel temps il l'a composé; 3 ° s'il était alors moine de Cîteaux.
Sur la première question nous avons à combattre l'opinion de Casimir Oudin et de l'abbé Lebeuf, qui font auteur de cet écrit Alain, évêque d'Auxerre. La seule raison qu'ils allèguent est que l'évêque d'Auxerre était surnommé de Lille, et que l'auteur du commentaire sur Merlin dit positivement qu'il était né à Lille en Flandre. Voici le texte : Vidi
et ego in Flandria , cùm puerulus adhuc essem, apud Insulam wide oriundus fui, fœminam quamdam maleficam, quœ in maleficio suo comprehensa atque convicta, adjudicata est morti. Tempus illud fuit quo comes Theodoricus ad Insulanis hominibus, Cadensibus quoque atque Brugensibus , advocatus erat à terra sua in Flandriam tanquam legitimus Flandriœ hœres, reprabato comite Willelmo Normanno, qui
nihil in Flandria hœreditarii juris habebat. Thierri d'Alsace prit possession du comté de Flandre, l'an 1128. En rapprochant cette date des époques connues de la vie d'Alain, évéque d'Auxerre, et par la nature même de l'ouvrage, nous avons fait voir ailleurs le peu de vraisemblance qu'il y aurait à faire honneur de cet écrit à l'évêque d'Auxerre. L'éditeur des œuvres d'Alain avait si bien senti la force de l'argument qu'on
XIIIe SIÈCLE.
Alan. in Merl.
lib. V. p. 179.
p. Supra.
Alan. Op. in proleg. g 1.
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peut * tirer « du texte que nous venons de citer, qu'il n'a pu rien imaginer de mieux que de supposer que la clause, illud uit tempus, a été ajoutée après coup. Ce n'est pas avec des suppositions gratuites qu'on répond à des textes positifs.
Quant au temps où cet écrit a été composé (ce qui est la seconde question), nous en trouvons plusieurs indices dans l'écrit même d'Alain. Voulant expliquer cette prophétie de Merlin : Evigilabunt catuli rugientis et post positis nemoribus, infra mœnia civitatum venabuntur, il en fait l'application aux enfans de Henri II, qui règne, dit-il maintenant, qui nunc est. Il nomme ces enfans par leur nom, et dans l'ordre exact de leur naissance, Henri, Richard, Geofroi et Jean.
Le dernier des quatre était né l'an 1167, selon la chronique de Robert du Mont. Ainsi Alain écrivait postérieurement à cette année, et avant la mort de Henri II, arrivée l'an 1189, et même avant celle de Henri , son fils aîné, qui mourut en 1183. Il ne dit rien de la guerre que ces enfans firent à leur père, l'an 1183, quoique le texte Evigilabunt catuli l'invitât à en parler; mais il est dérouté par ce qu'ajoute le prophète : Exin de primo in quartum, de quarto in tertium, de tertio in secundum rotabitur pollex in oleo. Il voit dans ces paroles un ordre de crismation ou de succession au trône d'Angleterre, qui lui paraît fort extraordinaire, et dont cependant il trouve un exemple dans la succession des rois de Juda. Il Comment « cela se fera-t-il? je n'en sais rien, dit-il, et ceux mêmes « que cela regarde ne s'en doutent pas, mais ils le sauront « un jour. Il En cela ni Alain ni Merlin n'ont été prophètes; car la succession au trône d'Angleterre a passé tout naturellement du premier au second, du second au quatrième, le troisième étant mort avant son père. De toutes ces considérations nous croyons pouvoir conclure qu'Alain composa son commentaire dans l'intervalle des années 1174 à 1179.
Alain était-il alors moine de Cîteaux ? c'est la troisième question. Oudin et l'abbé Lebeuf le prétendent, fondés sur ce texte du commentaire qu'ils attribuent à l'évêque d'Auxerre.
Ego autem cùm nuper Merlini oracula exponendo brevitati studerem, adeo ut tam ejus prophetias quàm earum interpretationem usque ad tempora nostra in uno quaternione permodico compegissem; abbas quidam de ordine nostro , vir literatus et in scripturis admodum eruditus et eloquens, opusculum illud de manu nostra arripiells J libentÙsÙnè qui- dem ac studiosissimè legit; sed tantœ brevitalis offensus, cœpit
XIIIe SIÈCLE.
Alan. in Merl.
ib. III, p. 89.
Alan. Ib. p. 90.
Alan. Ib. lib. II, p. 53.
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rogare obnoxius 3 quatenus ad intelligenitam onmium legentium, et maxime eorum qui illius gentis historias non legissent, omnia replicando , singula quoque capitula plenâ, quantùm satis esse videretur, historiarum narratione elucidarem. CUJus auctoritas ctlm mihi spernenda non esset, feci quod jussit. Si
l'auteur avait dit que l'abbé dont il parle était de l'ordre de Cîteaux, la question serait en faveur de l'évêque d'Auxerre, qui, à cette époque, s'était démis de son évêché, et résidait à Clairvaux. Mais l'auteur ne le dit pas ; il parle de son ordre, sans le désigner en particulier ; et puisque à cette même époque, nous trouvons un maître Alain, moine de Cantorbéri, de l'ordre de saint Benoît , pourquoi ne lui attribuerions-nous pas un écrit qu'il était plus à portée de composer qu'un évêque d'Auxerre , qui avait vieilli , non dans la carrière des sciences, mais dans l'exercice du saint ministère?
Nous ne nions pas que maître Alain ait été Cistercien, puisque son tombeau le dit; mais nous pensons qu'il l'a été longtemps après, sur la fin de sa vie.
Quoi qu'il en soit, le commentaire d'Alain, à la tête duquel se trouve la version latine des prophéties d'Ambroise Merlin, traduites de l'ancien breton par Geofroi de Monmouth, a été imprimé à Francfort, l'an 1603, en un volume in-8 °. D.
Claude de Visch, éditeur des œuvres d'Alain, n'a pas jugé à propos d'insérer cet ouvrage dans sa collection.
14. Dans l'opinion où nous sommes que maître Alain n'est autre que celui qui, l'an 1179, fut fait prieur du chapitre de Cantorbéri, et, l'an 1186, abbé de Tewksburi, nous devons lui attribuer les écrits qu'on donne à celui-ci , c'est-à-dire une Vie de saint Thomas de Cantorbéri, dont on a publié des extraits dans le Quadrilogue, que le père Lupus a placé à la tête des lettres du saint archevêque. Mais il faut espérer que les continuateurs de Bollandus l'imprimeront quelque jour tout entière dans leur grande collection. Oudin assure qu'il a trouvé dans la Vie de saint Thomas, écrite par Héribert de Bosdham, vie qu'il avait transcrite de sa main, et envoyée aux Bollandistes; qu'il a trouvé, disons-nous, que c'est maître Alain qui a recueilli et mis en ordre les lettres du saint prélat. Si cela est, comme on n'en peut guère douter.
c'est sans contredit le meilleur service qu'Alain ait rendu à la littérature , et surtout à l'histoire ecclésiastique du douzième siècle, dans laquelle le différent de saint Thomas avec Henri II, roi d'Angleterre, occupe la plus grande place.
XIIIe SIÈCLE.
Vide supra.
Oudin de Ser.
eccl. t. II, col.
1519.
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L'histoire de France ne lui a pas moins d'obligation, puisque la cour de France prit dans cette contestation une part très active, comme on le voit par ces lettres mêmes.
16. Alain était aussi alchimiste, s'il est vrai qu'il soit auteur d'un écrit qu'on a inséré dans le Théatrum chemicum, sous ce titre : Dicta Alani de lapide philosophico, è Geymanico
idiomate latine raddita per Justum à Balbian, Alostanum.
Cette circonstance, que l'ouvrage était écrit en allemand, nous fait penser qu'il appartient à quelque autre Alain que celui qui fait le sujet de cet article.
ë III. Ses écrits non encore imprimés.
16. Dans le dénombrement des écrits d'Alain, Trithème place des Commentaires sur le Pentateuque de Moïse. Il parle aussi de Commentaires sur les prophètes, sur l'Evangile.
et sur les épîtres de saint Paul, qu'il dit n'avoir jamais rencontrés. Nous ne pouvons garantir l'existence d'aucun de ces Commentaires, que nous ne trouvons indiqués dans aucun catalogue.
17. Trithème, et d'autres après lui, attribuent à Alain une somme sur les quatre livres du maître des Sentences, Super Sentenlias libros quatuor. Oudin observe, avec raison, que cet ouvrage n'est autre que le Traité de la foi catholique, divisé en quatre livres, contre les Albigeois, les Vaudois, les Juifs et les mahométans, dont nous avons déjà parlé.
18. Une Somme qui porte différens titres dans les manuscrits. On la trouve désignée sous ce titre, Summa quot modis, titre qui a grand besoin d'explication pour être entendu. C'est un glossaire par ordre alphabétique, dans lequel on indique, pour la commodité des prédicateurs, dans quel sens, bon ou mauvais, on peut employer les passages de l'Ecriture sainte. Dans d'autres manuscrits il a pour titre, Oculus, et même quelquefois, Oraculum scripturoe sacrœ ;
Tractatus de diversis verborum significaeionibns secundum
ordinem alphabeti; dans d'autres, Compendium utriusque Testamenti ; ou bien, A Equivoca Alani ad Ermengaldum.
et commence par ces mots, après un prologue, Anima pro- priè spiritus rationalis. Cet ouvrage est dédié à Ermengaud, abbé de Saint-Gilles, qui gouverna ce monastère dès avant l'an 1179 jusques à 1195, et le docteur Alain y a mis son nom Alanus dictus magister, ce qui prouve de plus en plus
XIIIe SIÈCLE.
Theat. Chem.
t. III, p. 761, in-8°.
Trit. de Scr.
eccl. cap. 527.
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qu'il vivait à la fin douzième siècle, et non à la fin du treizième.
19. Trithème lui attribue encore une Somme de vitiis et virtutibus, qui dans d'autres manuscrits a pour titre de COllflictu vitiorum et virtutum. Alain a traité ce sujet en vers dans les deux derniers livres de l'Anticlaudianus. Mais cet ouvrage-ci, en prose, qui commence par ces mots, Apostolica vox clamat, est attribué à Ambroise Autpert, par les éditeurs des œuvres de saint Augustin, qui Pont imprimé parmi les œuvres supposées au saint docteur.
20. Bernard Pez cite comme manuscrit un ouvrage d'Alain, ayant pour titre, de Intelligentiis sive Memoriale rerum difficilium. Il commence ainsi : Summa in hoc capitulo nostrœ intentionis est, rerum naturalium difficiliora breviter colligere.
Ne le connaissant pas autrement, nous ne pouvons que l'indiquer.
21. Un autre manuscrit cité par D. Pez, a pour titre, Alani magistri liber de diversis sermonibus, sive dictionarium theologicum. Nous aurions pensé que c'est, sous un autre titre, l'ouvrage dédié à l'abbé de Saint-Gilles, si le début n'en était différent : celui-ci commence par ces mots, Quisquis ad sacrœ scripliii-x notiliaiii. C'est peut-être le Quodlibeta dont parle Trithème, 22. Le même Bernard Pez indique un ouvrage d'Alain, qu'il a vu manuscrit, ayant pour titre, Paradoxa de maximis generalibus. Voici comme il commence : Sententia Platonis et Aristotelis est. Nous ne le connaissons pas autrement.
23. On trouve dans plusieurs bibliothèques des manuscrits d'Alain, qui ont pour titre, de Maximis theologiœ. A juger de cet ouvrage par le titre, on pourrait le confondre avec le livre des Sentences qui est imprimé et connu sous le titre de Doctrinale altum, si le début n'en était différent Celui-ci commence par ces mots : Omnis scientia SUIS utitur regulis.
24. Henri de Gand et Trithème donnent à Alain un ouvrage qui a pour titre, de Naturis quorundam allimalium. Oudin pense que c'est le même qui, sous le titre de Bestiarium, a été imprimé parmi les œuvres de Hugues de Saint-Victor.
Il est divisé en quatre livres, dont le premier, qui traite des oiseaux, appartient à Hugues de Fouillois, de Folieto; le second à Alain; le troisième et le quatrième sont l'ouvrage de Guillaume Perault, dominicain, qui s'est servi des deux
XIIIe SIÈCLE.
Trit. Ibid.
Aug. op. t. VI.
Append. p. 219 Pez, Disser issag. in t. 1 Anecdot. p. LXXIII
Pez, ibid.
Pez, ibid.
Henr. Gand de Script, eccl. cap.
21.
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auteurs que nous venons de nommer, pour composer son livre de Rerum proprietatibus.
25. Trithème fait mention d'un grand nombre de sermons d'Alain, Sermones plures. Nous avons rendu compte des douze qui sont imprimés dans la collection de ses œuvres, Bernard Pez en indique d'autres qu'il dit excellens, prœstantes sermones. Le manuscrit a pour titre, Spéculum ecclesiæ. Suit une préface qui commence par ces mots : Cùin primo in
nostro conventu resideres, et verbum fratribus, secundum
datam tibi sapientiam; puis un prologue dont les premiers mots sont, peritissimi pictores, Ambrosius, Augustinus, etc.
26. Barthius dit avoir rencontré dans la bibliothèque publique de Basle un gros commentaire d'Alain, ayant pour titre, de Ratione metrorum et syllabarum. Je ne me souviens pas, dit-il, qu'aucun bibliographe en ait parlé.
27. Trithème lui attribue encore un recueil de lettres.
Oudin cite un manuscrit de saint Benoît de Cantorbéri, qui contient celles qu'Alain écrivit à Henri II, roi d'Angleterre, et à d'autres; mais il prétend qu'elles sont d'Alain, abbé de Tewsksburi, qu'il distingue du docteur nniversel. Nous avons dit sur quel fondement on peut identifier ces deux personnages.
28. Sanderus cite un manuscrit qui a pour titre, de Accusationibus, inquisitionibus, et denuntiationibus Alani. Cet écrit serait-il relatif aux tracasseries auxquelles nous avons supposé qu'Alain aurait été exposé en Angleterre?
29. Fabricius indique un poëme intitulé, Oculus moralis.
C'est peut-être le livre des paraboles; un poëme de triplici mundo, dont voici les premiers mots : Expugnant hiemem vernali, etc ,; enfin neuf livres de sentences, Gnomarum libri IX, duquel Barthius a donné des extraits dans ses Adversaria.
Jugement des écrits d'Alain.
On a pu juger du mérite des écrits d'Alain par l'analyse que nous avons faite de ses principales productions. Nous avons assez fait connaître notre opinion ; mais comme nous la comptons pour peu de chose en matière de goût, nous rapporterons ce qu'en a dit et pensé un philologue du premier ordre, qui a exercé sa critique sur presque tous les auteurs de l'antiquité et du moyen âge. Ce savant universel est le célèbre Gaspard Barthius.
XIIIe SIÈCLE.
Trit. ibid..
Comment. in Guill. Brit. Philippidem, p. 200.
Oudin. de Scr.
eccl. t. II, col.
1408 et 1419.
Sand. Bibl.
mss. Belg. p. II, p. 63.
Fabric. Bibl.
medii ævi.
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Il est certain que la partie brillante des écrits d'Alain sont ses poésies. Nous avons déjà dit qu'elles étaient devenues classiques au treizième siècle. Barthius en faisait assez de cas.
Alain, selon lui, ne manquait pas de génie ; il s'était appliqué, comme les meilleurs auteurs de son temps, à former son style sur celui de Martianus Capella, dont il imite les allusions de mots, le rhythme et même les défauts avec une contrainte pénible : Qui scriptor, ingenii non absurdi, cum
alliis æqualibus vel tempore vel studio, plane eloquentiam suam ad Martianum istum conformavit : unde et multâ allusione vocum, rhythmo, neglectis syllabis, præcipuè verp in coesurâ, totà deniqne turbatoe animce molitione huic auclori similis est. Et fuit alioquin, jam ante ipsos mille annos, tanta Capelloe hujus auctoritas, ut qui eum teneret, videretur om-
nium artium arcana nosse. C'est chez lui qu'Alain a puisé toutes les notions qu'il étale dans l'Encyclopédie sur les sept arts libéraux, et dont l'abbé Lebeuf a fait un si grand usage dans sa dissertation sur l'état des sciences en France, depuis la mort du roi Robert.
Ailleurs Barthius appelle Alain un écrivain merveilleux pour son siècle, en ce qu'il avait eu le bon esprit de prendre pour modèle les auteurs anciens : Mirificum œvo suo scripto-
rem Alanum dicere jure queas, ita ingenio pollens, eloquio
variorum imitatione turbido et impete verborum rapitur. Et pour établir son jugement il cite les premiers vers du cinquième livre de l'Anticlaudianus, dans lesquels il fait remarquer les mots et les pensées imitées des bons auteurs.
Il rapporte encore de lui deux morceaux de poésies, extraits du Planclus naturœ ; l'un dans lequel Alain prescrit agréablement les remèdes qu'il faut opposer aux vices ; l'autre est une ode en vers saphiques, dans laquelle Alain fait de la nature une description très-élégante. Je ne nie pas, dit Barthius, que cette ode ne se sente en bien des endroits de la barbarie du siècle où elle a été composée; mais je pense qu'elle renferme assez de beautés pour mériter d'être lue. Elle prouve les efforts malheureux que faisaient en ces temps-là les esprits supérieurs pour ressusciter le bon goût, et pour tirer la littérature de l'état de barbarie auquel elle était réduite : Non ego putida et barbara multa huic odœ inesse,
ultimo sœculo innata ; ipsam tamen lectione indignant minime puto. Nec sane in ullo veterum litterarum cognitionem plenam agnosco, qui non et peccantes csvo eas nôrit ; quo
XIIIe SIÈCLE.
Barth. Advers.
lib. vu, cap. 23, col. 409.
lb. lib. XIX, cap. 6, col. 677.
Ib. lib. XV,cap.
9, col. 805.
lb. lib. XIX, cap. 9, col. 980.
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videlicet ordine pessum ierillt, quibus conatibus resurgere nisœ quibusque animis cum fortuna sua congressœ, prius- quam tandem proavorum nostrorum virtute ac felicitate solem ferre et in dias lucis oras l'egredi à fato impetrârint.
Quant aux ouvrages d'Alain sur la théologie, ils n'ont rien de bien remarquable. Ses commentaires sur l'Écriture sainte et ses sermons ne présentent que des allusions et des interprétations allégoriques. Les traités de controverse ont plus de solidité; mais ils ont tous les défauts de la scholastique, la sécheresse et la pointillerie ; ils parlent à l'esprit, et ne vont point au cœur. B.
GARNIER DE ROCHEFORT ÉVÈQUE DE LANGRES,
MORT VERS 1202.
DE moine de l'abbaye de Longué, Longi vadi, Garnier de Rochefort devint abbé d'Auberive en 1180. Il l'était encore en 1185, quand il concilia les clercs de la chapelle ducale de Dijon avec l'abbé et la communauté de Saint-Étienne de la même ville. Élu abbé de Clairvaux en 1186, il acquit un grand crédit parmi les cisterciens. L'année snivante. les chevaliers de Calatrava en Espagne, qui, depuis quelque temps, avaient quitté l'ordre de Cîteaux, dépêchèrent au chapitre général de cet ordre leur grand maître Nunes Perer Quinones, et promirent obéissance. Garnier voulait qu'ils dépendissent immédiatement de l'abbaye de Morimond : l'abbé de Cîteaux et le chapitre réglèrent cette association. L'importance de l'abbé de Clairvaux est attestée par la lettre que lui adresse de Joppé ou Jaffa, sous la date du Ier octobre 1192, le roi d'Angleterre Richard, pour l'informer de la victoire qu'il vient de remporter, le 7 septembre, sur Saladin; et l'on peut conclure de cette épître que Garnier avait contribué par ses prédications à l'entreprise de la croisade de 1189. Le prince anglais y déclare qu'il ne peut lui-même rester en Syrie que
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Chr. n., t. IV, p. 591-834.
Marn. Ann.Cist., ann. 1187, c. 3, n. 3.
Roger de Hov., Annal., part. II, p. 698-699.
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jusqu'à Pâques 1193, et que le duc de Bourgogne, le comte de Champagne et les autres croisés n'y pourront subsister, s'ils ne sont secourus. « Je prie donc à genoux Votre Sainteté, ajoute le roi, « d'exhorter tous les princes, les nobles, les « peuples, à venir après Pâques défendre l'héritage du Sei« gneur, ainsi que vous nous y avez excités vous-même. »
Aucun autre monument de cette époque n'attribue une si grande influence à Garnier dans ces événemens.
Manrique, s'en rapportant au Catalogue des abbés de Clairvaux, suppose que Garnier a gouverné neuf ans ce monastère, et qu'en conséquence il n'est devenu évêque de Langres qu'en 1195 j mais, outre que la Chronique de Clairvaux indique ici l'année 1192, on a des actes épiscopaux de Garnier, sous les dates de 1193, 1194, 1195 et 1196. De son temps les chanoines de Langres ne résidaient pas : on essaya de les y forcer par un règlement que confirma Célestin III, et que des juges désignés par lui, l'évêque de Frascati, les abbés de Longué et de Clairvaux, avaient rédigé.
Il y était statué que, pour jouir des fruits d'une prébende, il faudrait faire, chaque année, une résidence, ou continue ou interrompue, de sept semaines, continue vel interpolatim ; et pendant ce temps assister chaque jour à l'un des principaux offices, savoir : aux matines, ou à la grande messe, ou aux vêpres. Cela s'appelait la rigoureuse, et n'équivalait pourtant qu'à une faible partie des obligations qu'un chanoine avait contractées. Il y avait d'ailleurs exception pour les étudians, pour ceux qui accompagnaient l'évêque ou le doyen se rendant auprès du Saint-Siège.
Trois lettres d'Innocent III nous apprennent que la fin de l'épiscopat de Garnier ne fut pas heureuse. La première est datée du 15 mai 1198, et adressée à notre évêque. Ses chanoines l'avaient cité devant l'archevêque de Lyon, en l'accusant de dilapidation et d'incapacité ; il en avait appelé au Pape, qui les ajourne, ainsi que lui, à la Saint-Michel prochaine. Garnier est sommé de comparaître en personne, pour répondre aux accusations, et pour exposer les griefs qu'il peut avoir contre les chanoines. En attendant, il lui est expressément défendu de dissiper les biens de son Église, sous le prétexte de cette discorde. La seconde épître lui est aussi adressée sous la date du 22 décembre. On y voit que l'évêque de Langres était de plus en plus dénoncé par les ecclésiastiques et les fidèles de son diocèse, comme ayant
XIIIe SIÈCLE.
Ann. Cist., ann.
1195, c. 4, n. 1.
Chron. Clarav., ann. 1186-1192, p. 88, 89.
Gall. Chr. n., t. IV, p. 592.
Ib., pr., p. 194.
Innoc. III, 1. 1, ep. 182, p. 101, 102.
Ep. 504, p. 289- 291.
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distrait ou perdu les meubles et immeubles de son Église, si bien que d'illustre et d'opulente, elle devenait l'objet du mépris ou de la compassion de ses voisines. Les chanoines s'étaient rendus à Rome au jour assigné par le souverain Pontife ; Garnier n'avait point comparu. Seulement, après de longs délais, deux personnes s'étaient présentées de sa part ; et, quoiqu'elles ne fussent point munies de procurations, le Pape leur avait donné audience. Des lettres lui avaient appris qu'au sein du chapitre de Cîteaux, Garnier s'était croisé, et voué à faire en personne le voyage de la Terre-Sainte : c'était volontiers le parti que prenaient ceux qui avaient de mauvaises affaires en Europe. Toutefois Garnier ne partait point encore, mais signifiait un appel en bonne forme. Par ménagement pour lui, Innocent III avait différé le jugement jusqu'à la veille de Noël, au grand déplaisir des chanoines, que ces retards impatientaient et ruinaient. Le Pape, après avoir retracé ces faits, déclare à l'évêque de Langres qu'il ne veut pas lui causer le moindre chagrin, mais que pourtant il ne peut plus se dispenser de le suspendre de toute administration spirituelle et temporelle, tant parce qu'il est contumace, que parce qu'il paraît bien qu'en effet il a fort mal rempli ses devoirs épiscopaux. Il lui enjoint donc d'observer inviolablement la suspense, et l'avertit que, pour terminer cette affaire le plus promptement et le plus canoniquement possible, l'évêque de Paris est chargé de l'examiner sur les lieux, et de la décider sans appel, à moins que l'accusé ne préfère de céder son siège, ce qui vaudrait encore mieux pour son repos et son salut.
S'il ne donne point sa démission, Innocent lui ordonne de se présenter devant l'évêque de Paris, à toute réquisition, et à l'effet de répondre aux plaintes du doyen de Langres, chargé de la défense de cette Église. Mais avant tout, le Pape veut que Garnier nomme un procureur capable d'administrer provisoirement le diocèse. La troisième lettre pontificale est la commission donnée, sous la même date, à l'évêque et au chantre de Paris. Il leur est prescrit, s'ils trouvent l'évêque de Langres innocent, de lever la suspense prononcée contre lui, et de le décharger sans appel de toute accusation. Ils sont en même temps chargés de juger pareillement sans appel plusieurs démêlés particuliers entre l'évêque et l'archidiacre de Langres, d'une part ; le doyen et plusieurs chanoines, de l'autre : car il paraît qu'il régnait
XIIIe SIÈCLE.
Ep. 553, p, 324, 325.
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beaucoup de dissensions, graves ou légères, dans cette Église on s'accusait réciproquement de déprédation, d'incapacité, et d'insuffisance; et les ressentimens se nourrissaient dans tous les esprits.
Soit que Garnier ait abdiqué selon le conseil du Pape, soit qu'il ait été condamné par ses juges, on ne le retrouve plus à la tête de l'Église de Langres en 1201 ; il y est remplacé par le doyen Hilduin, le même qui l'avait si vivement et si constamment poursuivi depuis le temps de Célestin III.
Élu dès 1200, Hilduin fut sacré le Ier juin de l'année suivante.
Manrique a fait de grands efforts pour arranger toute cette histoire au moindre désavantage possible du cistercien Garnier. Selon cet historien, les dissipations de l'évêque de Langres n'avaient été que les profusions de la bienfaisance et de la charité. En butte à des persécutions injustes, il aima mieux se croiser que d'aller subir des sentences. Il était en Syrie lorsqu'on le jugea ; absent, il fut absous : tant sa cause était bonne ! De retour d'Orient, il rentra dans son Église, et y fut accueilli par des transports d'allégresse, par les bénédictions de tout son peuple, et surtout des pauvres. Il fit d'amples largesses au monastère du Val des Choux, comme on le voit par un cartulaire de cette maison, dans lequel il est qualifié évêque et duc. Il n'en prit pas moins la résolution de quitter son évêché et de se retirer à Clairvaux. Innocent III écrivait qu'il avait reçu sa résignation toute volontaire, et qu'il lui avait accordé, pour son entretien, quelques terres de l'Église de Langres : car on supposait que le Pape disposait de tous les domaines, au moins ecclésiastiques. Cette concession toutefois était faite à condition que Garnier s'abstiendrait de rien inféoder, de rien aliéner, de rien distraire d'une manière quelconque, sous peine de nullité de tout acte à ce contraire. Manrique tire ces renseignemens d'une lettre du Pape au chapitre de Langres, en date de la veille des ides de mai de la troisième année de son pontificat, c'est-à-dire, du 14 mai 1201. Cette lettre n'est point dans les collections publiées. Quoi qu'il en soit, Garnier mourut à Clairvaux, et sa courte épitaphe, que nous allons transcrire, ne dit point en quelle année : Hic jacel dominus Garnerius, primo
a 1 J t Albæ Ripæ, deinde hujus monasterii nonus abbas, posteà
Lingonensis episcopus. Comme il n'est plus fait mention de lui après 1201, on peut le considérer comme mort en 1202.
Jusqu'ici nous n'avons énoncé aucun détail qui tende à
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Chr. n., t. IV, p. 593, 594 ; et pr. 196, 197.
Ann. Cist., 1198, c. 4, n. 1, 4, 12.
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placer Garnier dans une Histoire Littéraire; mais quarante sermons de lui sur différentes fêtes ont été publiés par dom Tissier, dans le troisième volume de la Bibliothèque des Pères de Cîteaux. Chacun de ces discours est précédé d'un texte sacré, qui, pour l'ordinaire, n'a aucun rapport avec le sujet, et n'est envisagé que dans un sens allégorique. L'orateur oublie bientôt ce texte, et se perd dans un long dédale d'allégories. On ne voit plus du tout quel est son but, son dessein, ce qu'il prétend conclure; rien de ce qu'il dit ne ressemble à un raisonnement; il n'établit presque aucune liaison entre ses idées : mais ses allusions ne sont pas seulement incohérentes; la plupart sont fausses en elles-mêmes et sophistiques. On s'aperçoit bien qu'il veut imiter les morales du pape saint Grégoire sur le livre de Job ; mais il ne sait pas même copier ce modèle, où Fénelon discerne, malgré le mauvais goût qui y domine, des traits pleins de force et de dignité. Les sermons de Garnier ne méritaient assurément pas d'être imprimés, à moins qu'on ne voulût donner un exemple de plus de l'extrême dégradation du genre oratoire à la fin du douzième siècle. Cependant ils ne laissent pas d'annoncer des connaissances théologiques assez étendues et assez exactes. Comme ils roulent beaucoup plus sur le dogme que sur la morale, ils fournissent à l'auteur des occasions de faire usage de l'instruction qu'il a puisée dans les livres des saints docteurs. Il cite volontiers aussi, même hors de tout propos, quelques écrivains profanes, principalement les poètes : c'était un autre travers des prédicateurs de cet âge.
Il parle des sept arts libéraux aussi pertinemment qu'on le pouvait faire alors; mais il ne manque point de les subordonner à la théologie. Quand il retrace les grands mystères du christianisme, ce qu'il ne fait qu'incidemment, son langage, s'il n'est pas éloquent, est du moins toujours orthodoxe. Tout ce qu'il dit de la Trinité, de la chute de l'homme, de l'Incarnation, de la grâce, de la crainte, de la différence qui existe entre les deux Alliances, est digne d'un habile théologien. Il s'exprime sur l'Eucharistie avec une exactitude parfaite ; il emploie le terme de Transsubstantiation, et traite de dogmatiseurs ceux qui ne croient pas que Jésus-Christ soit tout entier sous chaque espèce du pain et du vin.
Il est, de plus, certaines notions particulières dont on peut savoir gré à ce sermonnaire, parce qu'elles n'étaient pas trèscommunes : ce sont celles qu'il a de l'histoire des opinions
XIIIe SIÈCLE.
P. 75-192.
Dial. III sur l'éloq.
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de Sabellius, d'Arius, de Manès, de Valentin et de plusieurs autres hérétiques des premiers siècles; il dit en quoi ils s'écartaient de la foi catholique. D'un autre côté, il repousse aussi quelques opinions nouvelles qui commençaient à s'accréditer, et qui se donnaient pour pieuses. Il prononce sans ambiguïté que la sainte Vierge a été conçue dans le péché, qu'elle n'a été sanctifiée que plus tard, qu'elle a pu commettre des péchés véniels jusqu'à l'instant où, en concevant ellemême Jésus-Christ, elle a été remplie de l'Esprit-Saint; mais, en même temps qu'il se montre si difficile sur cet article, il croit fermement que la mère de Dieu, après être morte, est ressuscitée, comme son fils, en corps et en âme. Il prétend qu'Astérius et Hermès, deux philosophes du roi de Perse, ont parlé de Marie et ont célébré ses vertus, soit que leur science, leur littérature ait pu s'étendre jusque-là, soit qu'un esprit prophétique les ait inspirés. Nescio an magnitudine
litteraturœ, sive à spiritu prophetiœ quem habere potue- runt ab Spiritu ; St si non forte in Spiritu, prœdicaverunt multis modis , à nativitate scilicet Virginis, à plenitudine temporis, ab impositione nominis, à nobilitate generis
A ce propos, Garnier cite de longs passages de cet Astérius, de cet Hermès, et d'un poète qu'il nomme Albumazar : passages singuliers et bizarres, mais dans lesquels on démêle, malgré leur obscurité, des idées et des expressions empruntées à la Bible, ce qui peut sembler un signe de supposition. Le prédicateur s'arrête à ces prétendus témoignages, les explique, y cherche et y trouve des allégories. En cet endroit, sa déraison et sa crédulité n'ont point de bornes.
Ailleurs il nous apprend quelles étaient les paroles qu'écrivit Jésus-Christ sur le terrain, lorsque les docteurs de la loi et les pharisiens lui amenèrent la femme adultère ; c'étaient : Terra, terra, terra, judica hos viros abdicatos. Il ne dit point d'où il prend ces mots, mais il les retourne dans tous les sens, et en tire autant d'allusions qu'il lui plaît. C'est apparemment saint Pierre Chrysologue qu'il entend citer sous le nom de Pierre de Ravenne, comme ayant dit dans ses décrets que, selon les lois humaines, toutes les questions sont assoupies par la prescription de trente années. On peut recueillir encore dans ses sermons un petit nombre d'autres détails relatifs aux coutumes de ce temps : par exemple, ce qui est dit de l'enseignement de la grammaire de Priscien dans les écoles, de la consécration des huiles dans les églises, et du culte que l'on
XIIIe SIÈCLE.
Bibl. pp. Cisterc., t. III, p. 114, 115.
Ibid., p. 171.
Ibid., p. 77.
Ibid., p. 175.
Ibid., p. 188.
Ibid., p. 127.
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s'obstinait à rendre, le Ier mai, à la déesse Maïa, qui humectait et fertilisait la terre. On n'a point, à beaucoup près, tous les sermons de Garnier : car il renvoie à ceux où il a expliqué les sept psaumes de la pénitence, et qui n'ont jamais été mis en lumière. Il paraît qu'étant abbé d'Auberive et de Clairvaux de 1180 à 1192, il faisait presque chaque jour une instruction à ses religieux.
On conservait à Clairvaux une autre production de Garnier de Rochefort : c'était un glossaire ou dictionnaire latin. Il n'est connu que par le titre, que dom Martene transcrit ainsi :
Vetus Glossarium quod compilavit Garnerius quondam Lin-
gonensis episcopus. Ce fut peut-être après son abdication qu'il rédigea ce livre et quelques autres indiqués par Albéric de Trois Fontaines. Ce chroniqueur place sous l'année 1200 la démission de l'évêque de Langres, et ajoute que le Pape lui permit de faire des ordinations et de consacrer des églises; que, dans son loisir, il se mit à compiler de nouveaux livres, à composer de nouveaux traités, outre les sermons assez subtils, satis subtiles, dont il était auteur.
Dans quelques actes de Garnier, son nom est écrit Warnerius. D.
PIERRE, ABBÉ DE PONTIGNY ET DE CITEAUX, ÉVÊQUE D'ARRAS.
MORT EN 1203.
LES détails nombreux que Manrique a donnés sur la vie de ce prélat ne sont ni très-curieux ni très-exacts. Il n'est pas vrai qu'il y ait eu consécutivement deux évêques d'Arras du nom de Pierre, et tirés, l'un de Pontigny, l'autre de Cîteaux : c'est un même Pierre qui avait successivement gouverné ces deux abbayes, avant d'obtenir l'évêché d'Arras. Il était abbé de Cîteaux lorsqu'en 1179 il assista au concile de Latran, sous Alexandre III. A sa prière, Lucius III confirma les
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 101.
V. ib., p. 78, 110.
Voyage littér., t. II, part. I, p. 102.
Chron., p. 421.
Annal. Cisterc., t. I, ad ann. 1179, c. 1, n. 8 ; 1183, c. 1, n. 2, 3, 4 ; 1184, c. I, n. 4; 1185, c. 3, n. 3, 4 ; 1 197, c. 5, n. I 2; 1203, c. 4, n. 9.
Gall. Chr. n.,
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privilèges des Cisterciens. Élu évèque d'Arras, il fut sacré en 1184, fit en 1191 la dédicace de l'église de Mareuil, assista en 1193 aux noces de Philippe-Auguste et d'Ingelburge, ainsi qu'au couronnement de cette reine. On le voit en cette même année 1193 au nombre des arbitres entre Baudoin, comte de Flandres, et Philippe-Auguste. Il obtint de ce roi en 1194 la confirmation d'une ancienne transaction entre l'Église d'Arras et les comtes de Flandres, et souscrivit, pour cette affaire, un acte conservé au Trésor des Chartes, et transcrit dans la nouvelle Gallia Christiana. Les auteurs de ce dernier ouvrage parlent des commissions remplies par l'évêque d'Arras pour terminer divers démêlés entre des monastères et des seigneurs ou des prélats. Lambert de Saint-Vast, dont il avait encouragé les travaux, l'a loué en des vers qui ont été transcrits dans notre tome XV (p. 94). La Chronique d'Andres dit qu'en 1200, Pierre observa scrupuleusement l'interdit lancé à cause du divorce de Philippe-Auguste. Il était lié avec Pierre de Blois, qui lui a dédié un traité de la Transfiguration, et adressé une lettre de remercîmens : c'est la soixante-troisième des épîtres de Pierre de Blois. Pierre d'Arras mourut en 1203, et fut enterré à Pontigny.
Quels sont les ouvrages qu'il a laissés, et qui nous autorisent à parler de lui? Ils ne sont pas très-importans. Outre la Charte de 1194 ci-dessus indiquée, on a imprimé sa lettre à Geoffroi, abbé de Haute-Combe, pour l'inviter à écrire la vie de saint Pierre de Tarentaise, travail dont le pape Lucius III voulait absolument que l'on s'occupât. Le surplus des écrits de Pierre de Pontigny ou d'Arras ne nous est connu que par la liste qu'en donne de Visch, d'après Philippe Séguin. Ce sont des commentaires sur l'office de saint Guillaume, archevêque de Bourges, et de saint Anselme de Cantorbéry, et sur l'office du commun des Évangélistes; une histoire de la Passion, extraite des quatre Évangiles, avec des questions sur cette histoire, et une explication des noms d'hommes et de lieux qu'elle présente ; enfin, une paraphrase de ces mots du Cantique des cantiques : Ecce iste venit saliens de montibus. Il avait écrit plusieurs lettres à Étienne, évêque de Tournay ; mais il ne reste que les réponses d'Étienne, qui ont été indiquées dans notre quinzième volume (pag. 566, 570, 571, 581).
XIIIe SIÈCLE.
t. III, p. 328; t. IV, p. 988.
T. IV, pr., p. 88.
Inter Opera Gaufridi Altae Cumb. Bolland., 8 mai, p. 322.
Bibl. Cisterc., p. 261, 262.
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ÉLIE DE COXIDA, ABBÉ DES DUNES.
r ELIE (OU HÉLIE) prit le surnom de COXIDA, d'un bourg du territoire de Furnes, lieu de sa naissance. De prieur du monastère des Dunes, il devint abbé en 1189, après la mort de Walter, qui lui-même l'avait désigné pour son successeur.
Ce fut le septième abbé du monastère des Dunes, ordre de Cîteaux. S'il faut en croire plusieurs biographes, entre autres de Visch, l'Europe entière admira sa sainteté et sa doctrine :
Cujus sanctilatem et excellentem doctrinam universa prope- modum Europa admirata coiluit.
Tous ont répété une anecdocte singulière, qui prouverait le grand crédit dont il jouissait auprès de Léopold, duc d'Autriche. Suivant eux, ce fut par l'entremise de notre abbé et son intercession que Richard lerJ roi d'Angleterre, arrêté en Autriche lorsqu'il traversait ce pays à son retour de la Palestine, recouvra sa liberté, et parvint ainsi à retourner en Angleterre, où il se ressaisit de la couronne, que son frère Jean était tout près de lui enlever. Un tel service ne fut point sans récompense. Richard accorda à notre abbé de grosses dîmes en Angleterre, et de plus lui fit présent du marbre qui décorait le maître-autel du monastère des Dunes.
Cette anecdote a été puisée par Henriquez, qui paraît être le premier qui l'ait rapportée, dans une ancienne chronique d'Adrien Buch, moine des Dunes. D'après ce chroniqueur, Léopold n'aurait eu, en effet, rien à refuser à l'abbé, car ce duc avait été autrefois son valet ; ceci mérite bien une explication.
Voici ce que contient la chronique. « En ce temps (au « temps de l'abbé Hélie), Astulphe (c'est le nom qu'il donne « à Léopold), duc d'Autriche, se réfugia dans le monastère « des Dunes (le moine ne nous apprend rien des motifs de « cette fuite) ; et là, inconnu à tout le monde, il se mit au « service du cuisinier. Dans cet emploi, il sut plaire aux Il moines : de telle sorte que l'abbé Hélie, frappé de son urba« nité, le fit monter de la cuisine dans sa chambre, et l'em- « ploya à son service personnel. Cependant les parens du
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Chr. n., t. V, p. 285.
De Visch, Bibl.
Script, ord. cist.,- p. 85.
De Visch, ib.
Henriquez, Fascic. Sanct. ord.
cist., p. ISg.
Henriq., loc. cit.
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« duc le cherchaient en tout lieu. La Providence les conduisit « à l'abbaye. Ils reconnurent près de l'abbé celui qu'ils avaient « tant cherché. Aussitôt ils tombent aux pieds du jeune homme « en le saluant duc d'Autriche. L'abbé, tout surpris, n'eut rien « de mieux à faire que de se recommander à un si grand « prince, et de le prier de pardonner les procédés qu'il avait « pu avoir avec lui.
Telle est la traduction de l'un des fragmens qui nous ont été conservés de la chronique du moine Adrien. Cette historiette est du genre de celles dont les moines de ce temps farcissaient leurs chroniques, sans doute pour appeler l'intérêt sur leurs couvens et jeter plus d'éclat sur les personnages qui les avaient habités : on ne trouve aucune trace de ce fait dans les historiens. »
L'autre anecdote, plus importante, relative à la délivrance du roi Richard par l'influence de l'abbé Hélie de Coxida, ne mérite pas plus de confiance. Nous avons parcouru, au sujet de ce grand événement, les écrivains de l'Histoire d'Angleterre, Roger de Hoveden, Guillaume de Newbrige, Matthieu Paris, etc. : aucun ne fait mention de notre abbé des Dunes.
D'ailleurs, n'est-il pas constant que, loin de céder à aucun sentiment généreux, Léopold d'Autriche chargea de chaînes le malheureux Richard, que le hasard avait fait tomber dans ses mains, et le vendit ensuite à l'empereur Henri VI; que celui-ci, non moins cruel et avide, ne le relâcha, après quatorze mois d'une rigoureuse détention, qu'après avoir exigé une rançon de cinquante mille marcs d'argent? Ainsi le grand crédit que l'on suppose à l'abbé Hélie sur l'esprit de Léopold, se serait borné à lui faire vendre, à prix d'or, son prisonnier à un ennemi encore plus acharné. Il faut convenir que si Richard a récompensé un pareil service, il avait une extrême générosité. Nous ne nous arrêterons pas plus long-temps à réfuter cette fable.
Après avoir gouverné son monastère des Dunes pendant quatorze ans, Hélie de Coxida mourut en 1203, regretté de ses moines. Il fut inhumé le 16 août, ou, suivant le Ménologe de Cîteaux, le 8 octobre, auprès de son prédécesseur. Il fut remplacé par dom Pierre, que Gilles de Royac qualifie aussi d'homme de lettres,, vir bene litteratus.
SES ÉCRITS.
D. Bertrand Tissier, dans sa Bibliothèque des Pères de
XIIIe SIÈCLE.
Henriquez, ib.
Gall. Chr. n., t. V, p. 286.
Manr., an. 1203, c. 5, n. 12.
D. B. Tissier,
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l'ordre de Cîteaux, assure que Pierre de Coxida avait composé plusieurs ouvrages, qui sont perdus; mais il n'en fait connaître ni les titres ni les sujets.
Ce qu'il y a de certain, c'est que l'abbaye des Dunes contenait un grand nombre de ses sermons, qui prouvaient que sa réputation d'homme éloquent n'était point usurpée.
D. Charles de Visch en publia un, en 1649, d'après un manuscrit de l'abbaye des Dunes. Dans l'édition qu'il donna six ans après de ce même ouvrage, il en publia un second, d'après un ancien manuscrit de saint Guilain, de l'ordre de Saint-Benoît, qui lui avait été communiqué par D. Georges Galopin, bibliothécaire de ce monastère. Tous les deux avaient été prononcés dans des chapitres généraux, dont le dernier doit avoir été tenu vers n 90. De tous les sermons de l'abbé Hélie, ces deux seuls sont parvenus jusqu'à nous, L'un et l'autre méritent quèlque attention.
L'un de ces sermons a pour texte ces paroles de saint Jean (c. 14, v. 23) ; Si quis diligit me, sermonem meum servabit, etc.
Le début est plein de dignité, et ne se ressent point du goût du siècle. « Si c'est une entreprise difficile », dit l'orateur, « de a parler devant un grand nombre de personnes, d'âges, de «, conditions et de mœurs différentes, combien ne dois-je « point ressentir un plus grand embarras en paraissant au« jourd'hui, ainsi qu'on me l'a enjoint, au milieu d'une « assemblée si respectable, moi qui suis dénué de science « pour instruire, et qui ne puis présenter ma vie comme un « modèle propre à m'attirer les suffrages ! » Cui nec scielltia
suppetit ad doctrinam) nec ad exemplum sufifciens vitœ meritum suffragatur.
Mais bientôt l'orateur change de ton. Son style devient métaphorique, obscur, plein des rapprochemens les plus bizarres. Par exemple, le précepte de saint Jean qu'il a pris pour texte, lui paraît contenir toute la philosophie. Là, dit-il, est la physique, l'éthique, la logique, la politique, etc. In
hoc prœcepto tota philosophicce disciplinœ contmetur integritas. Hic physica : quia omnes omnium naturarum causæ a Deo sunt. Hic ethica : quia morum nunquam formatur honestas, nisi cum ea quae diligenda, et quo modo diligenda sunt, diligztntur. Hic logica : quia lumen et veritas ammce rationalis non nisi in Deo, vel Deus. Hic reipublicas salus : quia civitas nunquam bene custoditur, nisi quando commune bonum diligitur, quod est Deus.
XIIIe SIÈCLE.
Bibl. PP. Cist.
t. VI, p. 131.
De Visch, Bibl.
Script, ord. cist., p. go, éd. de 1649.
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L'autre sermon, et c'est le premier que de Visch a publié, contient des idées bien plus raisonnables et plus utiles. Il roule sur les devoirs et obligations des pasteurs, et a pour texte ces paroles de l'Ecclésiaste : Rectorem te constituerunt ; noli extolli sed esto in illis quasi unus ex ipsis. Sans doute, il est écrit dans le goût du siècle, et c'est une allégorie presque continuelle de l'Écriture sainte; mais sous cette enveloppe on trouve de saines leçons et une solide instruction. Voici, par exemple, comme il énumère toutes les qualités que doit posséder un bon supérieur : Ergà alios oportet ut sit vigil
et sollicitus, providus et circumspectus, misericors et justus, ut tamquam omnium curam habens, omnia omnibus fiat, ut omnes lucrifaciat. Oportet ut habeat ad regendum, virgam et baculum; ad sanandum, vinum et oleum; ad charitatis et castitatis exemplum, rosam et lilium; ad offerendum sacrificium, ignem et gladium. Oportet insuper ut habeat ad pascendum, panem in perâ ; ad coercendum et urgendum, frœnum et calcaria; ad terrendum, canem in fune; ad pungendum, in funda lapides de torrente; ad animandum et exterminandum, tubam a dextris et lagenam a sinistris, ut pro salutis verbo quod prædicat, etiam libens, si necesse fuerit, moriendo succumb at s et pro ovibus suis animum PQnat) etc.
- Le principal défaut que doivent éviter les supérieurs, c'est l'orgueil; et voici la définition qu'en donne l'orateur : Bestia
diversorum capitum, quœ ex diversis causis trahit origznem, superbia est, quce natione cœlestis, sublimium mentes Ùlhabitat; in cinere latitat et cilice, prima suscipit venientes, ul- tima recedentes insequitur.
Cùm benepugnabis, cum cuncta subacta putabis, Quœ post infestat, vincenda superbia restat.
En continuant de parler contre l'orgueil, il cite bientôt après les vers de Juvénal : Stemmata quid faciunt, etc. ;
mais il ne le nomme pas, et le désigne seulement par ces mots, nescio quis.
Au reste, le discours est plein de citations prises dans Virgile, Horace, et dans Cicéron, qu'il appelle ille Romani maximus author eloquii; ce qui prouve dans l'auteur une érudition assez peu commune en ce temps, même parmi les ecclésiastiques. Cette production du douzième siècle, toute bizarre qu'elle nous paraisse en quelques endroits, et peut-être à cause de cela même, méritait donc de passer à la postérité.
XIIIe SIÈCLE.
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ADAM,
ABBÉ DE PERSEIGNE SA VIE.
ADAM fut d'abord chanoine régulier, puis bénédictin, puis cistercien. C'est ce qu'il nous apprend lui-même dans une de ses lettres : Cùm enim aliquando canonicce sinceritatis
albedinem infelici commercio in monachum denigraverim, et nunc, Deo volente, de plena illa et peregrina nigredine ad
candorem Virginis liliosœ reversus sim: mais il ne dit pas dans quelles maisons il avait embrassé ces différens états.
Nous allons essayer de le deviner.
D. Martene pense que le monastère où Adam, en quittant les chanoines réguliers, se retira, était celui de Marmoutier, parce qu'il trouve, dans ces temps-là, à Marmoutier, un moine nommé Adam, qui avait de grandes relations avec des chanoines réguliers. En effet, Geofroi, sous-prieur de Sainte- Barbe-en-Auge, dans une lettre à André, archidiacre de Tours, écrite vers l'an 1173, le prie de saluer de sa part Adam, armoire, c'est-à-dire, bibliothécaire de Marmoutier, son ami, qui, bien qu'il porte, dit-i]^, un nom qui signifie terrestre, n'en a pas moins de goût pour les choses célestes:
Domino Adœ, majoris monasterii armario, familiari vestro, me canonicum et confamiliarem exhibere curate: qui, etsi de terræ nomine nomen habet, tamen quæ sursum sunt sapit, et in cælestibus conversatur.
Ce terme confamiliarem pourrait faire croire qu'Adam et Geofroi avaient été commensaux à Sainte-Barbe, quoiqu'on puisse nous objecter que le sous-prieur Geofroi, ayant demeuré long-temps à Beaugerais en Touraine, comme nous l'avons dit ailleurs, avait pu se lier d'amitié avec le bibliothécaire de Marmoutier. Mais une autre considération vient à l'appui de notre conjecture. Parmi les lettres de l'abbé de Perseigne, il en est une dans laquelle il entreprend de répondre à certains détracteurs qui trouvaient mauvais que, dans une hymne de l'office de l'Ëglise, on égalât saint Martin aux Apôtres : Martine par Apostolis. L'auteur de cette lettre, appelé
XIIIe SIÈCLE.
Mart., Anecd., t. I, col. 683.
Hist ms. de Marm., p. 358.
Mart., Anecd., t. I, col. 552.
Martene, ibid., col. 738.
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Adam, ne prend pas d'autre qualité que celle de vénérâteur de saint Martin, Omnibus beati Martini memoriam piè vene- rantibus Adam inter veneratores ejus exiguus. Supposons qu'Adam n'était encore que bibliothécaire de Marmoutier lorsqu'il écrivit cette lettre : puisqu'elle se trouve parmi les lettres de l'abbé de Perseigne, on peut croire que c'est le même Adam qui, comme il le dit, fut consécutivement chanoine régulier, puis moine de l'ordre de Saint-Benoît, et enfin de celui de Cîteaux. Et, dans cette supposition, nous dirons qu'il fut d'abord chanoine régulier à Sainte-Barbe, puis moine de Marmoutier, et enfin moine cistercien.
Quoi qu'il en soit, Adam, s'étant rendu chez les Cisterciens, vraisemblablement à Pontigny (a), y fut très-bien accueilli et trouvé si capable, qu'il fut dispensé des épreuves du noviciat; bientôt après il fut fait abbé de Perseigne, au diocèse du Mans, vers l'an 1180. Il l'était certainement l'an 1191, ayant signé, cette année, comme abbé de Perseigne, une charte par laquelle Robert, comte d'Alençon, fonde à SaintVincent du Mans l'anniversaire de son frère Jean, le jour même des obsèques de ce prince. La charte est sans date; mais on sait que Jean II, fils de Jean Ier, comte d'Alençon, décéda le 6 mai 1191, la même année que son père.
Un historien anglais, Raoul de Coggesale, rapporte, sous l'année 1195, que notre abbé, ayant fait un voyage à Rome, eut une conférence avec le fameux Joachin, abbé de Flore, dans la Calabre, dont les révélations faisaient alors grand bruit. « Il fut interrogé », dit l'historien, « par un homme « éloquent et également religieux, abbé de Perseigne, lequel « lui demanda par quelle autorité il publiait ses visions, si « c'était par esprit de prophétie, ou par simple conjecture, « ou par révélation. A quoi Joachin répondit qu'il n'avait « rien de tout cela; que Dieu cependant, qui donnait autrefois « l'esprit de prophétie, lui avait donné le don d'intelligence, « au moyen duquel il découvrait très-clairement les mystères ic cachés de la sainte Écriture. L'abbé de Perseigne lui « ayant encore demandé ce qu'il pensait de l'Antéchrist,
(a) Charles de Visch cite un manuscrit de l'abbaye de Pontigny, ayant pour titre, Adami Pontiniacensis monachi conciones et meditationes. Cet Adam ne nous paraît pas différent de celui qui fut fait ensuite abbé de Perseigne. Mais il faut le distinguer d'un autre Adam, moine aussi de Marmoutier, puis de Foigni en Thiérache, et puis de Morimond, ordre de Cîteaux, auquel saint Bernard adressa la lettre 5, l'an 1125.
XIIIe SIÈCLE
Martene, ibid., col. 683.
Mart. Ampl. col- lect., t. I, ça].
1037.
Martene, ibid., t. V, col. 839.
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« celui de Flore répondit qu'il était alors dans Rome, mais « encore fort jeune, adolescentem. Sur quoi Adam ayant « observé que, selon le témoignage des Pères de l'Église, « l'Antechrist devait naître à Babylone, Joachim ne demeura « pas court : il fit voir que saint Pierre, à la fin de sa première « épître, donnait le nom de Babylone à la ville de Rome : « Saluîat vos Ecclesia quœ est in Babylone elecia. » L'historien ne nous apprend rien de plus sur cette conférence.
La réputation de sagesse de l'abbé Adam dans la conduite des âmes était si bien établie à la fin du douzième siècle, qu'il était consulté de tous côtés par les personnes de la plus haute qualité. Thomas de Cantimpré raconte que la comtesse de Champagne, fille de Louis VII, veuve de Henri-le-Libéral, étant à l'article de la mort, l'an 1197, l'avait fait appeler.
Quelque diligence que le directeur eût pu faire, la princesse avait rendu le dernier soupir lorsqu'il arriva. Mais comme les serviteurs de la maison étaient occupés à se partager les effets de la défunte, on le fit attendre long-temps avant de l'introduire. Enfin étant entré, il trouve le cadavre presque nu, abandonné sur la paille. Sur quoi notre abbé fit aux assistans, sur la vanité des grandeurs de ce monde, un discours qu'on peut lire dans l'auteur que nous citons.
Un statut du chapitre général de l'ordre de Cîteaux, de Tan 1201, pour satisfaire à l'ordre du Pape et des princes croisés, lui permit, ainsi qu'à d'autres abbés de l'ordre, de faire avec eux le voyage d'outre-mer ; mais rien ne prouve qu'il ait exécuté ce dessein, car Jacques de Vitri rapporte que l'abbé de Perseigne, s'étant associé au missionnaire Foulques, curé de Neuilli-sur-Marne, continua, après la mort de ce dernier, arrivée l'an 1202, à travailler à la conversion des pécheurs, prêchant avec non moins de zèle la croisade qui eut lieu à cette époque. Il vivait encore l'an 1204, comme on voit par une charte émanée de lui cette année, dans le cartulaire de Saint-Vincent du Mans, pour terminer un procès qui existait entre ce monastère et celui de Perseigne.
SES ÉCRITS. ;" Il ne reste de l'abbé Adam que des lettres et des sermons.
10 Ses Lettres. Celles qui ont été imprimées se trouvent éparses dans les collections d'Étienne Baluze et de D. Mar- tene. Elles roulent presque toutes sur des matières de spiritualité, et sont si longues, qu'elles pourraient passer pour des
XIIIe SIÈCLE. -
De Apibus, lib.
I, cap. 7, num. 7, p. 37.
Mart., Anecd ., t. IV, col. 1296.
Jacdb. de Vitri, Hist. Occid., 1. II, eap. 9.
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traités de morale ou pour des sermons, dont elles ont souvent la forme. Baluze n'en a publié que cinq; mais D. Martene en a déterré vingt-trois dans un manuscrit de Clairvaux, et deux autres ailleurs. Nous rendrons compte des unes et des autres le plus brièvement qu'il sera possible.
Les lettres publiées par Baluze sont adressées à Osmond,
religieux de l'abbaye de Mortemer, ordre de Cîteaux, au diocèse de Rouen. La première roule sur la bonne manière d'élever les novices qui entrent en religion. Dans la seconde, l'auteur explique les sept dons du Saint-Esprit, qu'il applique aux sept féries de la semaine : cette allusion lui plaisait beaucoup, car il y revient souvent dans ses lettres. Osmond lui ayant découvert les peines intérieures qu'il éprouvait et les maladies de son âme, Adam le console dans la troisième lettre, et le renvoie au vrai médecin, qui est Jésus-Christ. Il le prie de ne plus l'importuner par ses lettres, et de cesser de lui faire des questions auxquelles il ne répondra plus, et ne l'en aime pas moins. Dans la quatrième, il lui reproche d'user de finesse, parce que, voyant qu'Adam ne voulait plus lui écrire, Osmond avait interposé, pour obtenir de lui une réponse à ses questions, une personne à laquelle l'auteur ne pouvait rien refuser. Il paraît que sa réponse est contenue dans la cinquième lettre, où il n'est question que de l'amour de Dieu, comme dans presque toutes les autres. Il y cite pourtant ce vers d'Ovide :
Res est solliciti plena timoris amor.
Pensée qui, dans cet auteur, avait un autre objet que l'amour divin. Au reste, il consent qu'Osmond lui écrive fréquemment, pourvu qu'il n'exige pas de réponse.
Parmi les lettres publiées par D. Martene, la première est adressée à Odon ou Eudes de Sully, évêque de Paris. Il paraît qu'ils étaient liés depuis long-temps d'une étroite amitié: car il le tutoie, contre l'usage ordinaire lorsqu'on écrivait à des personnes constituées en dignité. La lettre roule entièrement sur le saint amour et l'humilité chrétienne.
C'est un lieu commun pour en venir à remercier le prélat des secours qu'à sa prière il avait accordés à deux femmes de Bagneux ou Bagnolet (apud Balneolum), dans un temps de disette qui affligea la France, l'an 1197, disent les éditeurs, parce qu'effectivemet il y eut cette année-là une grande famine qui durait depuis deux ans; mais il y en eut une
XIHc SIÈCLE.
Baluz., Miscel., t. I, p. 423-445.
Ovid., ep. I.
«
Mart., Anecd ., t. I, éol. 669 et seqq.
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autre non moindre l'an 1202, selon la Chronique de SaintMarien d'Auxerre, à laquelle on pourrait aussi bien rapporter la générosité du prélat, qui, l'an 1 197, était à peine installé sur son siège.
La seconde, écrite en son nom et au nom des abbés de Chaalis et de Vaux-Sernai, à Étienne de Chalmet, prieur de la chartreuse des Portes, dont il est parlé tome XII de notre Histoire Littéraire, p. 425, est une réponse à la lettre de ce chartreux, par laquelle il demandait à entrer en société de prières avec ces trois abbés. Il ne fallait pas de grands discours pour lui accorder sa demande; mais l'auteur en prend occasion de lui recommander, dans une longue lettre, la dévotion à Jésus enfant et à sa sainte mère. Il l'écrivait apparemment vers les fêtes de Noël, mais il serait difficile de dire en quelle année, car Étienne de Chalmet était déjà chartreux l'an 1135.
La comtesse du Perche (c'était Mahaut de Blois, fille de Thibaud-le-Grand, comte de Champagne, mariée à Rotrou IIIe du nom; ou Mathilde de Saxe, fille de Henri-le-Lion, épouse de Geofroi III, fils de Rotrou : car la qualité de princesse du sang royal, que l'auteur lui donne, peut convenir à l'une et à l'autre) la comtesse du Perche, disons-nous, avait demandé à notre abbé un règlement de vie pour se conduire chrétiennement dans le monde. Parmi les excellens avis qu'il lui donne, nous remarquerons ceux-ci : de s'abstenir des jeux de hasard, de ne pas perdre son temps au jeu des échecs ou aux farces des histrions. Quant à la parure, il s'égaie sur les robes à longue queue; il compare celles qui s'habillent de la sorte à des renards, dont la queue fait le plus bel ornement:
Non erubescullt fœminœ nostri temporis probrosœ assimilan vulpeculæ, ut sicut bestiolæ illœ pollent longioribus caudis, sic istœ gloviantur in longis tractatibus fluxœ vestis.
La quatrième lettre est adressée à un jeune seigneur appelé Guillaume, qui lui avait aussi demandé des règles de conduite. Les instructions qu'il lui donne sont proportionnées à son âge : elles consistent à lui indiquer les écueils contre lesquels il doit se tenir en garde.
On trouve dans la lettre cinquième, à un religieux de Pontigni, qui avait demandé à l'auteur des instructions sur la manière de conduire les novices, d'excellentes choses sur la nécessité de se dépouiller du vieil homme pour se revêtir du nouveau. C'est dans cette lettre que l'auteur nous apprend
XIIIe SIECLE.
Ibid., ep. 2.
Epist. 3.
Epist. 4.
Epist. 5.
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qu'il fut d'abord chanoine régulier, puis bénédictin et puis cistercien.
Nous n'avons pas d'observation à faire sur la lettre sixième, à une vierge chrétienne, nommée Marguerite; il suffira de l'indiquer. C'est un éloge de l'état et du bonheur des vierges qui se consacrent à Dieu.
Adam écrivit la lettre septième à Guillaume de Longchamp, chancelier d'Angleterre, évêque d'Ely depuis l'an 1189 jusques à 1197, et régent du royaume. L'objet de cette lettre est de recommander une affaire concernant sa maison ou son ordre; mais, à titre d'ancien ami, il ne perd pas l'occasion de lui exposer les dangers qu'il courait en exerçant un emploi qui ne convenait guère à un évêque : Non decet, dit-il, ducem opuli, Ecclesiœ præsidem, terreni regis inservire scitellitio.
Cette lettre fut écrite avant que l'évêque d'Ely fût chancelier d'Angleterre, l'an 1191.
Il est parlé, dans la huitième, à un abbé de son ordre, de l'affreuse disette qui régnait en France l'an 1196 ou 1202, comme nous l'avons dit en rendant compte de la première lettre, à Eudes de Sully, évêque de Paris. On demandait à l'abbé de Perseigne de recevoir dans sa maison des religieux d'une autre abbaye; il répond que le manque de subsistances l'a forcé d'envoyer ailleurs la plupart des siens, ce qu'il n'a pu faire sans en avoir les entrailles déchirées.
Tant de monde s'adressait à l'abbé de Perseigne pour avoir des instructions, que, pour en finir, il était obligé d'envoyer la même à plusieurs personnes. C'est ce qu'on voit par la lettre neuvième, à un jeune frère Nicolas, auquel il recommande de faire passer la même lettre au frère Évrard de Vaux-Sernai, en y substituant le nom de celui-ci.
La lettre dixième est adressée à l'abbé de Notre-Dame de Turpenai, monastère de l'ordre de Saint-Benoît, au diocèse de Tours, fondé par les seigneurs de l'Isle-Bouchard, dans la forêt de Chinon, l'an 1208, disent MM. de Sainte-Marthe, dans leur Gaule Chrétienne. Si cette date était prouvée, il s'en- suivrait que notre auteur aurait vécu au Moins jusqu'à cette année; mais ils n'en apportent aucune preuve. Quoi qu'il en soit, il n'est question dans cette longue lettre que de la dévotion à la Sainte-Vierge et à l'Enfant Jésus. En la terminant, l'auteur salue plusieurs personnes de cette communauté qu'il avait connues, et en particulier une dévote du pays, à laquelle il paraît avoir été fort attaché, et qu'il charge de saluer tous
XIIIe SIÈCLE.
Epist. 6.
Epist. 7.
Epist. 8.
Epist. g.
Epist. 10.
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ceux qui ont conservé pour lui quelque amitié : ce qui semble confirmer notre conjecture qu'Adam avait demeuré en Touraine, et vraisemblablement à Marmoutier.
On pourrait tirer la même conjecture de la lettre onze, à un chanoine de Tours, désigné par la lettre B. Celui-ci avait demandé un sermon sur les grandeurs de Marie. Notre auteur lui envoie une paraphrase sur le premier verset du cantique Magnificat.
Deux religieux, qu'il appelle ses frères et amis, lui avaient aussi demandé une instruction. Celle-ci roule sur la vertu d'humilité et sur ces paroles de l'Évangile : Apprenez de moi à être doux et humble de cœur. C'est la lettre douze.
La treizième, à un ami, n'a point de titre. Elle traite du mépris du monde, du renoncement à la vanité et à toute cupidité.
Dans toutes ces lettres, Adam n'a pris que la qualité de pécheur; dans la quatorzième et presque toutes les suivantes, il prend celle d'abbé de Perseigne, Perseniæ dictus abbas. Un docteur, nommé A. de Vitrai, se plaignait de n'avoir pas reçu de lui une instruction qui lui avait été promise. Adam avoue sa négligence, et, pour satisfaire à ses engagemens, il lui fait un tableau des bienfaits de l'incarnation du Verbe, qu'il le prie de ne jamais perdre de vue.
Un ami revêtu du sacerdoce, attaché au service de la cour, demandait à notre abbé un écrit propre à affermir la foi des fidèles et à combattre l'infidélité des Juifs". Il refuse d'entreprendre un pareil ouvrage pour plusieurs raisons : 1° parce qu'il lui semble qu'on demande cet écrit, moins par un véritable zèle pour la religion, que pour briller dans la dispute; 2° parce que, n'aimant pas la controverse, il n'a garde de fournir des armes à ceux qui se plaisent dans ces sortes de conflits.; 30 parce qu'il regarde comme inutile de disputer avec les Juifs, qui, par un jugement de Dieu impénétrable, sont frappés d'un aveuglement qui doit durer jusqu'à la fin des temps. Mais en revanche, il lui indique les moyens d'exercer son zèle pour la religion, s'il en a, en lui faisant la peinture des désordres de la cour et des mauvais prêtres ; il va jusqu'à dire que les chrétiens de son temps sont pires que i les Juifs. Tel est l'objet de la lettre quinzième. Si elle se rapporte à l'expulsion des Juifs des États du roi, l'an 1181, elie confirme notre opinion qu'Adam fut fait abbé de Perseigne vers 1180, car il prend cette qualité dans cette lettre; mais elle peut se rapporter à l'époque de 1198, lorsque, à la
XIIre SIÈCLE.
Epist. 11.
Epist. 12.
Epist. 13.
Epist. 14.
Epist. 15.
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poursuite du prédicateur Foulques de Neuilly, ils furent chassés des terres de plusieurs barons, comme le rapporte l'auteur de la Chronique de Saint-Marien d'Auxerre.
Ayant prêché devant une communauté de filles, une des sœurs, nommée Agnès, l'avait prié de lui envoyer un extrait de son sermon, il ne l'avait pas écrit, mais il y supplée par un autre, où, traitant de la virginité, il en relève l'excellence à la manière des mystiques.
Dans la dix-septième, il donne des avis à un homme du monde qui vivait selon les fausses maximes du siècle.
En écrivant à un jurisconsulte, nommé Phidebalon, auquel il avait des obligations, il reproche aux avocats de son temps, entre autres abus, leurs vues intéressées dans l'exercice de leur ministère : c'était pour le détourner de suivre leur exemple.
La lettre dix-neuvième a été pendant long-temps attribuée à saint Odon, abbé de Cluni; mais on a déjà averti ailleurs que ce petit traité est l'ouvrage de l'abbé de Perseigne, dans lequel il répond à certains critiques qui trouvaient mauvais que, dans une hymne de l'office de saint Martin, composée par saint Odon, on égalât le saint évêque de Tours aux apôtres, Martine par apostolis. Adam ne prend dans cet écrit que la qualité de vénérateur de saint Martin, parce que vraisemblablement il n'était encore que bibliothécaire de Marmoutier, comme nous l'avons dit plus haut.
Vient ensuite un traité sur la Pénitence, adressé à Robert, abbé de Vernuce ou Gros-Bois, abbaye de chanoines réguliers au diocèse de Bourges. On y trouve d'excellentes instructions pour les confesseurs et pour les pénitens; on y voit que les règles qu'on suivait alors sont les mêmes que pratiquent aujourd'hui les confesseurs instruits et les plus zélés pour le salut des âmes.
Ayant séjourné deux jours chez la comtesse de Chartres, Adam lui écrivit peu de temps après la vingt-unième lettre, remplie de bonnes instructions sur la vanité des grandeurs et sur le danger d'une vie passée dans les délices. Cette princesse ne peut être qu'Alix de France, fille de Louis VII, alors veuve de Thibaud, mort l'an 1191 au siège de Saint-Jeand'Acre ; ou Catherine, fille de Raoul, comte de Clermont en Beauvoisis, épouse du comte Louis de Chartres, décédé l'an 1205. Nous remarquerons ce que l'auteur ajoute à la fin, qu'il aurait dû écrire à cette princesse en langue vulgaire,
XIIIe SIÈCLE.
Epist. 16.
Epist. 17.
Epist. 18.
Epist. 19.
H. Litt., t. VI, p. 200.
Epist. 20.
Epist. 21.
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laïco sermone; mais il s'était aperçu, dit-il, qu'elle avait quelque teinture de la langue latine.
, Il est parlé dans cette lettre d'une demoiselle pour laquelle l'auteur avait une si grande estime, qu'il demanda à la princesse la permission de la faire venir prendre part à leurs pieux entretiens. On peut croire que cette personne est la même qui, dans la lettre vingt-deux, est appelée Agnès. Cette vierge, comme il l'appelle, avait accès auprès de la reine; et comme elle invitait notre abbé à venir la trouver, il lui représente qu'il n'a point de monture, et il la prie d'aller trouver la reine, qui, en sa présence, lui avait promis un palefroi. Cette reine était peut-être Isabelle de Hainaut, mariée à Philippe-Auguste, morte l'an 1190; ou Alix de Champagne, mère du même roi, qui vécut jusqu'à l'an 1206.
La lettre vingt-trois, à un archidiacre de Bellême, qui lui avait demandé un écrit sur l'utilité du silence, roule sur cette matière; mais son écrit est fort alambiqué et plein d'allégories fort singulières. L'auteur n'est bien intelligible que quand il tombe sur le babil des moines et des chanoines.
Après avoir publié ces vingt-trois lettres, D. Martene en découvrit encore deux autres, dont il n'a pas voulu priver le public : elles sont dans l'Amplissime Collection. La première est adressée à Odon de Sully, évêque de Paris; Adam n'y prend que la qualité du dernier des moines. Ayant à lui parler de choses peu agréables, il lui rappelle, par précaution oratoire, l'ancienne amitié qui les unissait, et qui semblait lui donner le droit de lui dire des vérités dures, mais utiles.
Il lui reproche d'abord son entrée dans l'épiscopat au préjudice de Pierre-le-Chantre, qui, outre qu'il avait été élu avant lui canoniquement, avait encore le consentement du roi. En lui annonçant que Pierre-le-Chantre était mort : « Vous pouvez maintenant », lui dit-il, « briller de tout l'éclat « de votre gloire, après que l'astre brillant du firmament de « votre Église, qui l'a si long-temps illustrée par la sainteté « de sa vie et par l'éclat de sa doctrine, s'est entièrement « éclipsé. Je ne m'explique pas davantage : vous comprenez « assez que je veux parler du chantre de l'Église de Paris, « homme de pieuse mémoire, dont vous devriez d'autant plus « regretter la perte, que, sàjgjg l'opinion de bien du monde, « vous regrettez peu son absence. » Nous avons développé ailleurs cette intrigue, à l'article de Pierre-le-Chantre. Un second reproche qu'il lui fait, c'est d'avoir imposé une taille
XIIIe SIÈCLE.
Epist. 22.
Epist. 23.
Mart. Ampl. col- lect., t. I, col.
1014.
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sur les prêtres de son diocèse, au grand scandale des gens de Bien. « Si c'est pour payer vos dettes », dit-il, « cela est en « quelque sorte excusable, parce qu'il n'est que trop ordi« naire que les évêques meurent insolvables; mais il ne faut « pas que vous y reveniez souvent. »
Blanche de Navarre, comtesse de Champagne, avait demandé à notre abbé une copie de ses sermons, qu'il appelle sermunculos; il les lui envoie avec une lettre qui vaut bien un sermon. Il lui donne des avis propres à les lui rendre utiles dans l'état de viduité où elle se trouve. Cette lettre est donc postérieure à l'année 1200, époque de la mort de son mari Thibaud III.
Ses Sermons. Charles de Visch donne la liste des sermons de notre abbé, qui existaient à Rome, dans le monastère de Sainte-Croix en Jérusalem, telle qu'il l'avait reçue de son confrère Charles-Emmanuel de Maldura, lequel certifie qu'on y conservait les sermons suivans : un pour l'Avent, un sur l'Épiphanie, un sur la fête de l'Annonciation, un pour le dimanche des Rameaux, un sur la fête de Pâques, deux sur celle de l'Ascension, un pour le jour de la Pentecôte avec une très belle lettre morale sur le Saint-Esprit, un sermon aux ministres de l'Église, un pour la fête de l'Assomption de la Sainte-Vierge ; plus, trois panégyriques de la même, trois discours prononcés dans le chapitre général de son ordre, huit petits sermons intitulés de Septem Columnis, c'est-à-dire, des sept ordres ecclésiastiques; enfin, plus de deux cents petits sermons ou méditations sur divers sujets, qui, au jugement de D. Maldura, sont si éloquens et si pieux, que pour son édification il en lisait tous les jours quelqu'un avec beaucoup de plaisir.
De tous ces sermons il n'y a eu d'imprimés que ceux qui contiennent les éloges de la Sainte-Vierge. Ils ont été publiés à Rome, l'an 1662, in-8°, sous ce titre: Adæ, abbatis Per-
seniæ, ordinis cisterciensis; MARIALE, sive de Beatæ Mariæ laudibus sermones aurei, et fragmenta nunc primum edita et notis illustrata studio et labore Hippoliti Maraccii.
Si l'on peut s'en rapporter à Théophile Raynaud, la plupart des sermons faussement attribués à saint Bernard sont d'Adam de Perseigne, comme il dit l'avoir reconnu dans un manuscrit qu'il se souvenait d'avoir vu à Rome, entre les mains de D. Hilarion Rancati, procureur général de l'ordre de Cîteaux en cour de Rome.
XIIIe SIÈCLE.
Ib,. col. 1025.
Script, ord. cist., P. 4.
Raynaud, t. II, p. 275.
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Trithème fait un bel éloge de notre auteur. « C'était »3 dit-il, « un homme très versé dans les Saintes-Écritures, dont il « faisait son occupation journalière, et assez instruit dans les « sciences profanes ; mais il excellait surtout dans la pré« dication, in declamandis homiliis celeberrimæ opinionis.
« Plusieurs traités qu'il a composés ont fait passer son nom « avec éloge à la postérité. Il reste de lui deux livres de « sermons fort pieux: l'un à ses religieux, ad fratres; l'autre « à la louange des saints, et sur divers sujets. » Il ajoute qu'on lui attribuait encore quelques commentaires sur l'Écriture-Sainte, lesquels prouvaient l'étendue de son génie: quibus abundantem ingenii sui venant ostenderit. Mais il avoue que ces commentaires ne sont pas parvenus à sa connaissance.
En effet, on a attribué quelquefois à Adam de Perseigne des écrits appartenant manifestement à Adam, prémontré écossais, qui vivait dans le même temps et écrivait dans le même genre que notre auteur. C'est ainsi que D. Bernard Pez a trouvé, dans un manuscrit de l'abbaye de Tergensée, en Bavière, le Soliloque de l'âme, portant le nom d'Adam de Perseigne., quoiqu'il soit reconnu que ce traité appartient à Adam le prémontré. B.
GUY DE BASOCHES.
LE chroniqueur de ce nom, mort en 1203, était chantre dignitaire de la cathédrale de Saint-Étienne de Châlons-surMarne, frère de noble homme Nicolas de Basoches, de Basochiis, et de Milon, qui fut élu abbé de Saint-Médard de Soissons en 1206, suivant les titres compulsés par les frères de Sainte-Marthe. Cet abbé avait été présent à la bataille de Bouvines en 1214. L'origine du nom de cette famille était Basilicæ, ancienne dénomination latine de la terre dont elle possédait la seigneurie aux environs de Soissons. Elle donna trois évêques à cette ville, savoir : Jacques de Basoches, mort en 1243; Nivelon de Basoches, mort en 1262, et Milon de Basoches, mort en 1290.
XIIIe SIÈCLE.
Script. eccl., n.
343.
Pez, Anecd.,t. I, part. 2, p. 335, et préf., p. LXXII, n. 8.
Gall. Christ., t. IX, p. 417.
Dormay, Hist.
de Soissons, 1. V, c. 80.
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La même terre, et probablement la même famille, avait donné naissance à Aimo de Basochiis, nommé évêque de Châlons en 1151, auteur d'un ouvrage intitulé Enchiridion in decrelis. Il vivait sans doute encore quand Guy de Basoches fut nommé dignitaire dans la cathédrale où son parent l'aura probablement appelé. Cette famille formait la branche principale de l'illustre maison de Châtillon, qui remontait à Miles, seigneur de Châtillon et de Basoches, dont les terres avaient été inféodées par Hérivée, archevêque de Rheims et chancelier de Charles-le-Simple.
Guy de Basoches n'étant connu par aucun autre trait de sa vie, ce sont les fragmens de sa Chronique qu'il faut consulter pour y découvrir au moins son caractère personnel et le mérite de ses écrits.
Il nous apprend lui-même qu'il se croisa l'an II go pour l'expédition de la Terre-Sainte. Après avoir nommé Thibaud de Chartres et ses autres compagnons, il ajoute ces mots:
Cum quibus pusillitas mea, pusillanimitate procul abjectâ, peregrinationis hujus onus assumpsit; quod iter, sicut videre
datum est, placuit et referre. On en a conclu avec raison que presque tout ce qui se rapporte à cette expédition, dans la Chronique d'Albéric, est dû à Guy de Basoches.
Albéric atteste que sa Chronique originale contenait un sommaire historique des événements passés depuis le commencement du monde jusqu'à son temps. Sander cite un manuscrit extrait de la même Chronique, et qui avait pour titre : Excerpta quædam ex chronica Guidonis
de Basochiis continent descriptionem populorum variorum,
histonam biblicam. Ce titre convient parfaitement aux quarante premières pages de la Chronique d'Albéric; mais ce n'est qu'un extrait de Jornandès, comme nous l'apprend la note probablement d'Albéric, et qui est ainsi conçue : Huc usque hisioria Jordanis episcopi de Gothis pertingit.
L'apostille de Guido, qui précède tous les articles extraits de cet auteur, ne commence à paraître qu'à l'année 674, à l'occasion de la translation du corps de saint Benoît dans l'abbaye de Fleury; mais à partir de cet article, ceux qui appartiennent à notre Guy se trouvent intercalés en ordre de date avec les noms des chroniqueurs suivans. Fabricius ni le père Lelong n'en ont donné la liste complète, et nous la croyons utile pour servir dans la suite à faire distinguer, dan s
XIIIe SIÈCLE.
Alberic. Chr., p. 320.
Ibid., p. 383.
Ibid., p. 42.
Ibid., p. 56.
Fabric., Bibl.
med. et infim.
latin., t. I, p. 99.
Lelong, Bibl.
Franc., t. II, n.
16803.
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les bibliothèques, des manuscrits qui pourront cesser d'être anonymes par la confrontation attentive des articles.
Albéric, le premier par ordre alphabétique, mais le dernier en date; Alcuin, Andradus; Anselmus, moine de Gemblours; Baldricus, évêque de Dol; Cæsarius, Cancerellus (titre peut-être d'une chronique sans nom d'auteur), Guillelmus Malesburiensis, Helinandus, Herbertus, Hugues de Saint-Victor; Otton, évêque de Frisenghen; Pierre Damien, Robert; Sigebert, moine de Gemblours; Turpin, archevêque de Rheims, et enfin notre Guy de Basoches.
Quant à ce dernier, l'auteur de la Chronique d'Albéric, quelle qu'ait été sa patrie, fait préjuger en ces termes le style de Guy de Basoches : Guido autem more suo Gallicano coturno incedit ita dicens, etc. NI Leibnitz, éditeur de cette Chronique, dans sa préface; ni le père Lelong, ni Charles de Vich, dans sa Bibliothèque ecclésiastique, n'ont cité ce passage capital, et qui nous paraît prouver plus directement que les raisons déduites par Lelong, qu'Albéric n'était pas Français; ce qui devient incontestable d'après la citation précédente. Il ne s'agit plus que de la considérer sous l'autre point de vue qui peut faire préjuger de quelle nature était le style de notre Guy de Basoches. Nous allons pour cela en rapporter quelques morceaux.
Voici d'abord comment il commence la description de l'expédition qui suivit celle de Pierre-l'Hermite :
Jam, inquit, advenerat mensis Martius, quando senectâ brumali depositâ mundus vernali juventâ vestitus in plagam
orientis ituros invitabat, etc. En parlant ailleurs du schisme qui s'éleva entre les prétendans à la papauté (Alexandre et Victor), notre chroniqueur s'exprime ainsi : Eâ igitur tem-
pestate schismahcæ procellæ vehementi Romanam impuisu vexabant Ecclesiam, cujus illa turbulentis fluctibus agita- batur velut inter duos scopulos ad culmen aeriæ sublimitatis evectos, id est, inter electos ad summi pontificalâs apicem Alexandrum et Victorem, vel etiam successorem Paschalem.
Et peu après : Diu sustinuit istud periculum navis Ecclesiæ laceratæ tanlorum gravi concertatione ventorum, etc.
Ces deux morceaux font assez connaître combien est vrai le jugement porté par Albéric sur le style ampoulé de Guy de Basoches; mais il ne serait pas également juste d'en conclure que la lecture de Lucain, que Guy paraît avoir imité de préférence, lui ait toujours servi de modèle. La description
XIIIe SIÈCLE.
Alberic. Chr., P. 178-
Ibid., p. 149, ad nu 11. 1096.
Ibid., p. 342, ad ann. 1164.
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de son départ pour la Terre-Sainte prouve que, quoique toujours riche en couleur, son style était un peu plus naturel dans les morceaux de longue haleine, et l'on y découvre qu'il était très-versé dans- la connaissance des auteurs classiques que l'on possédait en France au douzième siècle.
iVOS igitur florenti Franciæ valedicto Burgundiam ingressi post Rhodani superbiam præcipitis, impetum Isaræ litigiosi, Druentiæ minas, post aspera denique Burgundiæ juga, post saxosa claustra Provinciæ, tandem attigimus urbem Massiliam, et in eâ portum navigiis opportunum sub amplexu rupium violentiam excludente ventorum, dictam Massiliam tanquam super mare sitam vel maris situlam, quam Græci Phocenses, id est, de civitate quae Phocis dicitur advenientes, quondam extruxisse leguntur.
Apud Massiliam igitur constitutos multis detinuit nos diebus, armorum, escarum et navium necessarius apparatus, spectantes ab alto rupium faciem maris incertam, et lubricum ejus statum, et auram velis accommodatam expectantes. Tandem fervente mari navigiis, cùm peregissent fcedera venti cum pelago, vix sumus egressi portûs angustias scopulosi, blanda turn venlorum jlatibus (fluctibus statim inflatis et lene tumentibus velis), nobis se rugosa facies aperuit el apparuit vitrea latitudo. Surgente jam tertiâ aurorâ, insularum prima videnda se obtulit à sinistro latere Corsica multis et variis anfractibus et prominentiis angulosa. Proxima quoque Sardiniam, quæ vicina est illi, propinquiorem habuimus, scilicet à sinistris, quam Sardus filius Herculis primus fertur habitator intrâsse suoque de nomine Sardiniam appellâsse.
Ce morceau ne déparerait pas sans doute l'ouvrage d'un rhéteur plus ancien.
Guillaume de Basoches paraît avoir eu pour rival en ce genre d'écrire Baudry, l'un des chroniqueurs extraits dans la compilation d'Albéric : nous lui devons une belle description de la ville dAntioche, de ses doubles murs et de ses trois cent quarante tours en pierres bien taillées. Strabon ne nous avait pas appris cette particularité en parlant de la fondation de la quadruple ville d'Antioche.
Parmi les ouvrages attribués à Guy de Basoches par la Chronique d'Albéric, un recueil d'épîtres est cité et caractérisé par cette expression : volumen satis rhetoricum epistolarum diversarum. A s'en tenir à l'épithète rhetoricum, en pourrait
XIIIe SIÈCLE.
Alberic. Chr., p. 383, ann. 1190.
Ibid., p. 159 ad ann. 1097.
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penser qu'il s'agissait seulement du style des lettres mêmes de Guy de Basoches, c'est-à-dire, du recueil de sa correspondance privée ; mais en consultant Sander, nous avons trouvé le même livre intitulé, Guidonis tractatus de scribendis epistolis; ce qui nous fait comprendre avec plus de précision l'épithète donnée par Albéric à cet ouvrage. Il est évident que c'était un traité sur l'art épistolaire, ce qui fait connaître que ce grand seigneur méritait une place parmi les gens de lettres du douzième siècle, à d'autres titres que ceux que lui donnait une simple rédaction de chronique; il est à regretter de ne connaître que le titre de cet ouvrage, qui faisait partie de la bibliothèque du monastère de Tongres, et il serait à désirer, si le manuscrit en existe encore, qu'on pût le retrouver et le pubjier.
Albéric attribue encore à notre Guy un livre apologétique dont le sujet plus spécial est absolument inconnu.
P. R.
ABSALON, ABBÉ DE SAINT-VICTOR DE PARIS.
Nous trouvons deux auteurs de ce nom, vivant dans le même temps, l'un et l'autre religieux profès de Saint-Victor, ayant composé l'un et l'autre des sermons : la seule différence qui les distingue, c'est que l'un fut abbé de Springkirsbach, au diocèse de Trêves, à peu de distance de Witlich; l'autre, abbé de Saint-Victor à Paris, où il mourut le 17 septembre 1203.
Tous les écrivains modernes qui ont eu occasion de parler de ce dernier, le distinguent du premier, sous le nom duquel des sermons ont été imprimés. Mais ne pourrait-on pas dire que ce fut un seul et même personnage, lequel aurait été successivement abbé de Springkirsbach et de Saint-Victor de Paris? C'est l'idée que fait naître la conformité qui se rencontre dans leur nom, leur profession dans le même ordre et la même maison, le temps où ils vécurent, et le genre de talent qui les caractérise. Tant de conformité serait fort
XIIIe SIÈCLE.
Biblioth. mss., part. II, p. 191.
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extraordinaire, s'il fallait admettre deux personnages : elle n'est pas dans le cours ordinaire des choses. Nous ne ferons donc de ces deux abbés qu'un seul et même auteur, auquel nous attribuerons les sermons qui existent.
A l'appui de notre opinion, nous citerons un passage de Césaire d'Eisterbach, auteur contemporain, qui raconte qu'à l'époque où Absalon fut appelé à Springkirsbach, un chanoine de la communauté vit en songe un flambeau ardent entrer dans la maison; qu'à cette merveille, tous les confrères étant accourus avec des cierges éteints, ce flambeau s'approcha de tous, l'un après l'autre, et leur communiqua sa lumière. C'était, dit l'auteur, un présage de l'heureux changement que devait opérer le nouvel abbé dans cette communauté tombée dans le relâchement. En effet, Absalon fit revivre dans cette maison la pratique exacte de la règle de saint Augustin, telle qu'elle était observée à Saint-Victor, qui, comme l'on sait, était devenue le modèle de presque toutes les communautés religieuses du même ordre, nonseulement en France, mais encore dans les pays étrangers.
Césaire ne marque pas la date de cet événement, ni le temps auquel on peut rapporter le commencement de la prélature d'Absalon à Springkirsbach. Browerus, dans ses Annales du diocèse de Trêves, a placé sous l'année 1214 ce qui concerne la prélature d'Absalon. Cela dérangerait notre système, s'il donnait quelque preuve de son assertion; mais il n'en donne aucune; et ce qui prouve qu'il n'en avait pas, c'est qu'il se contente d'écrire d'une manière vague, his temporibus.
Nous nous croyons donc autorisés à dire qu'Absalon, après avoir rempli sa mission à Springkirsbach pour la réforme de ce monastère, aurait été rappelé à Saint-Victor, où il fut installé abbé, l'an 1198, après la mort de l'abbé Bernard, décédé le 28 mai de la même année, et où il mourut, comme nous l'avons dit, le 17 septembre 1203. Ainsi, s'il a été abbé de Springkirsbach (ce que nous ne contestons pas), ce n'a pu être qu'avant l'année 1198 ; car on lit dans un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Victor son épitaphe en ces termes :
Absalon hie finem suscepit amænum, Ad solium rapt us æternâ luce serenum : lllustris senior, qui mundi gloriâ vilis, Septimus à primo pastor fuit hujus ovilisi
XUIe SIÈCLE.
Dial. lib. IV, cap. 79.
T. II, p. 115.
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Le premier vers semble indiquer qu'Absalon ne fut pas toujours résident à Saint-Victor, et que s'il en fut éloigné pour un temps, il eut beaucoup de plaisir à y retourner:
Hîc finem suscepit amænum. - w
Quoi qu'il en soit, nous allons rendre compte des sermons qui ont été imprimés deux fois sous le nom de l'abbé de Springkirsbach : 1° l'an 1534, in-fol, à Cologne, par les soins de Daniel Schilling, abbé de ce monastère; 2° l'an 1605, à Milan, in-4°, sous ce titre : Sermones in prœcipuas christiani
..L 1 cultûs solemnitates, auctore D. Absalone, abbate Springkirsbacensi, canonico regulari, jam vide ab annis ferme quingentis editi, recens autem castigati, scholiisque et indicibus aucLi, in gratiam R. patris DD. Celsi DUGNANI, canonicorum regularium Salvatoris Lateranensium abbatis generalis, opera D. Basilii SERENII, ejusdem congregations canonici, Mediolanensis presbyteri, verbi Dei prædicatoris.
Ces sermons sont au nombre de cinquante-un : cinq pour le temps de l'Avent; trois pour la fête de Noël; cinq pour le jour de l'Epiphanie; six pour le Carême; un pour le jour de Pâques; trois pour l'Ascension; quatre pour la Pentecôte; un pour la Nativité de la sainte Vierge ; trois pour la Purification, et trois pour la fête de l'Assomption. Viennent ensuite les sermons pour les fêtes des saints : un sur saint Augustin, un sur saint Victor; deux pour la fête de tous les Saints ; deux applicables indistinctement à tout saint dont on célèbre la fête; deux pour la Dédicace de la basilique du Sauveur à Rome; deux pour la dédicace d'une église, et quatre enfin débités devant l'assemblée du chapitre général.
Un Espagnol, nommé Pierre de Alva et Astorga, a encore inséré dans son Mariale quelques-uns des sermons d'Absalon, concernant la mère de Dieu, qu'il a extraits des livres imprimés.
La plupart de ces sermons se trouvent également dans un manuscrit de Saint-Victor, coté ij. 10, puis 183, et aujourd'hui à la Bibliothèque Royale, 731 ; écriture du treizième siècle. Il ne contient que trente-quatre sermons, disposés dans un ordre tout différent de celui qu'on a suivi dans les imprimés, parce qu'apparemment on les mettait originairement au net à mesure qu'ils étaient prononcés. Plusieurs de ces sermons se trouvent encore mêlés parmi ceux de l'abbé Jean le Teutonique, qui fut le successeur d'Absalon, dans un manuscrit de Saint-Victor, coté autrefois 86, aujourd'hui 5g.
XI lIe SIÈCLE.
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Casimir Oudin dit avoir vu à la bibliothèque de SaintVictor un manuscrit ayant pour titre : Sermones venerabilis
Absalonis canonici regularis apud S. Victorem ad muros
Parisiensis, et postmodum abbatis in Germania. Nous n'avons pas retrouvé ce manuscrit; mais dans celui que nous avons sous les yeux, on lit d'une écriture assez récente : Sermones Absalonis quondam abbatis 5, Victoris Parisiensis, in diversis festivitatibus. Ces deux inscriptions, bien loin d'être en opposition, rentrent dans notre système; et si elles prouvent quelque chose, c'est qu'Absalon a fort bien pu être successivement abbé en Germanie et à SaintVictor.
Quant au mérite de ces sermons, on les dit composés dans le goût de ceux de saint Bernard, que l'auteur aurait pris pour modèle. Cela est vrai, si l'on a égard aux sorties fréquentes qu'on y fait contre le luxe et les désordres qui régnaient alors dans le clergé; mais il s'en faut bien que ces sermons égalent pour le style ceux de l'illustre abbé de Clairvaux. C'est presque toujours dans un sens allégorique ou tropologique, qu'on y cite, suivant le goût du temps, l'Écriture-Sainte. B.
SAINT GUILLAUME, ABBÉ DE S.-THOMAS DU PARACLET, EN DANEMARCK.
SA VIE.
UN anonyme, qu'on a cru long-temps disciple du saint homme, a écrit sa vie; mais il est tombé dans des erreurs si multipliées, qu'on ne peut le regarder comme contem- porain, ni faire aucun fond sur sa narration. Nous ne disons pas cela parce qu'il a surchargé sa composition d'apparitions, de révélations et de songes : c'était l'effet de la crédulité de son siècle, qui mettait une partie de sa dévotion dans ces pieuses rêveries. Quoiqu'elles ne soient pas propres à concilier à l'écrivain la confiance des lecteurs, nous n'insisterons
XIIIe SIÈCLE.
De Script. ec., t. II, col. 1714.
Brower, ibid.
Boll., 6 april., p. 625.
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que sur les erreurs qui blessent la chronologie ou l'histoire publique. Les successeurs de Bollandus, qui ne pouvaient se dispenser de donner place dans leur recueil à cette pitoyable production, ont examiné au flambeau de l'histoire et redressé la plupart des assertions de l'anonyme dans leur savant commentaire; mais n'ayant pas vu, les lettres de l'abbé du Paraclet, qui n'ont été rendues publiques que l'an 1786, parmi les historiens de Danemarck, recueillis par Jacques Langebek et Frédéric Suhm, ils ont admis comme certains des faits que nous sommes en état de détruire par le témoignage même de l'abbé Guillaume, dont ils ont donné l'histoire.
Parce que son biographe a dit que ce saint personnage est mort l'an 1202, âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, on le fait naître en 1105 ou 1106. Cela serait vrai, s'il n'y avait point erreur dans le texte. Mais voici des données plus certaines sur l'âge de notre abbé à l'époque de son décès, et par conséquent sur le temps de sa naissance : L'an II 97, Guillaume écrivit au pape Célestin III la lettre quarante-huit du livre second, sur un événement de sa jeunesse, savoir s'il était obligé d'accomplir un vœu qu'il avait fait alors d'embrasser la vie monastique. Pour faire connaître qui il était, et rendre le pape plus attentif à sa supplique : « Je suis, dit-il, ce Guillaume qui, d'abord chanoine séculier « de Sainte-Geneviève, embrassai ensuite la réforme (l'an « 1148), et fus envoyé long-temps après en Danemarck, où « étant devenu abbé, deux fois je suis allé vous trouver de « la part de l'archevêque de Lunden, une première fois à « Venise et une autre fois à Tusculum. Hugues, abbé de Saint-Germain-des-Prés, que vous honoriez de votre amitié, « était mon oncle. C'est moi qui eus l'honneur de vous re« cevoir, ainsi que le cardinal Bernard, évêque de Porto, « dans une des maisons de Sainte-Geneviève, près de Senlis, « et qui vous accompagnai jusqu'à Compiègne, lorsque vous « alliez au-devant de l'archevêque de Magdebourg. Comme « vous avez toujours eu des bontés pour moi, en considé« ration de mon oncle l'abbé de Saint-Germain, je m'adresse « à vous avec confiance, et vous demande conseil sur un fait « qui m'est personnel.
« A l'âge de quinze ou seize ans, deux de mes confrères, « qui convoitaient les bénéfices dont j'étais pourvu, voyant « que j'avais de l'inclination pour la vie monacale, feignirent « d'avoir le même désir, pour m'entraîner avec eux. Nous
XIIIe SIÈCLE.
Rer. Dan. Script., t. VI, p. 61.
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« jurâmes que nous exécuterions ce dessein; nous choisîmes « l'abbaye de Pontigni (a), et le jour du départ fut arrêté.
« Arrivés à Pontigni [il y a ici une lacune dans la lettre; mais on sait par l'historien de Guillaume que ses compagnons de voyage ayant trouvé des prétextes pour s'en retourner, il avait pris le même parti].
Guillaume continuant ensuite son récit : « Nous avions « promis, dit-il, d'y retourner au bout d'un an ; mais m'étant « aperçu que mes compagnons n'agissaient pas de bonne foi, « je n'en ai rien fait, et j'avais perdu de vue ce projet, lors« que la réforme de Saint-Victor fut introduite à Sainte« Geneviève. J'embrassai la réforme, et il y a près de cinquante « ans que je pratique ce nouveau genre de vie. Je prie main« tenant Votre Sainteté de me dire si je puis, en sûreté de « conscience, rester dans l'ordre des chanoines réguliers, ou « s'il faut, pour accomplir mon vœu, que j'embrasse la vie « monastique, etc. »
Cette lettre est importante pour fixer les époques de la vie de l'abbé Guillaume. Nous allons l'examiner par parties : le personnage qu'il a joué dans le monde mérite bien que nous entrions dans cette discussion.
1° Quoique le nom du pape à qui cette lettre est adressée ne soit point exprimé, il n'y a aucun doute que ce ne soit Célestin III, appelé avant son pontificat Hyacinthe Bobo, cardinal-diacre de Sainte-Marie in Cosmedin. Elle fut écrite l'an 1197 ou 1198, dernière du pontificat, puisque l'auteur dit qu'il y avait alors près de cinquante ans qu'il avait em- brassé la réforme de Saint-Victor à Sainte-Geneviève. Or cette réforme fut introduite à Sainte-Geneviève l'an 1148.
20 II n'est pas moins indubitable que Guillaume était neveu de Hugues, abbé de Saint-Germain-des-Prés : il le dit lui-même; mais on trouve dans le douzième siècle trois abbés de ce nom qui ont rempli le siège abbatial de Saint-Germain : Hugues IV, depuis l'an 1116 jusqu'à 1145; Hugues V, dit de Crépi, depuis 1147 jusqu'à 1152; Hugues VI, de Monceaux, depuis 1162 jusqu'à 1182. Les Bollandistes et les auteurs du Gallia Christiana le disent neveu du premier. Cela ne nous paraît pas admissible. En effet le pape, suivant l'auteur de la lettre, honorait son oncle de son amitié, quem vos plurimum dilexislis. Or Hyacinthe Bobo ne fut fait cardinal que
(a) L'auteur de la Vie'dit que c'était à l'abbaye de la Charité.
XIIIe SIECLE.
Boll., ibid., p. 627.
Gall. Christ., t. VII, col. 441.
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l'an 1144 par le pape Célestin II, et Hugues IV mourut en 1145 ou 1146 : comment donc auraient-ils pu lier connaissance? Il est plus croyable que l'auteur a voulu parler de Hugues V, avec lequel le cardinal Bobo put avoir des relations lorsqu'il vint en France à la suite d'Eugène III.
3° Il faut rapporter à l'année 1162 ce que l'auteur ajoute qu'il avait reçu dans une maison de son ordre, près de Senlis (a), le cardinal Bobo, et Bernard, évêque de Porto, allant au-devant de l'archevêque de Magdebourg jusqu'à Compiègne. Cette date est constatée par l'historien de Vezelai, qui explique à quelle occasion ces deux cardinaux avaient été envoyés au roi Louis-le-Jeune, mais qui ne parle pas de l'archevêque de Magdebourg, lequel vraisemblablement était envoyé par l'empereur d'Allemagne près du roi pour le même objet, c'est-à-dire, pour concerter la conférence qui devait avoir lieu entre ces deux princes à Saint-Jean-de-Laône, relativement à l'extinction du schisme de l'antipape Victor.
Maintenant, si nous savions à quelle époque Guillaume était allé à Pontigni, dans le dessein d'embrasser la vie mo- nastique, rien ne serait plus aisé que de trouver l'année de sa naissance. Il avait alors quinze ou seize ans; il devait y retourner au bout d'un an, mais la réforme de Sainte-Geneviève étant survenue presque aussitôt, intérim in ecclesia nostra ordo S. Victoris advenit, il avait cru satisfaire à son vœu en embrassant la réforme, l'an 1148. Nous ne croyons pas nous écarter beaucoup de la vérité en plaçant sa naissance vers 1130. Accordons, si l'on veut, que le voyage à Pontigni eut lieu vers 1140: dans cette supposition, Guillaume serait venu au monde vers 1 125. Il y a loin de cette date à celle qu'on a donnée jusqu'à présent à sa naissance.
En effet, l'auteur de sa vie, parlant du moment que Guillaume embrassa la réforme à Sainte-Geneviève, l'appelle un jeune homme : Lœtatur Chisti familia de tanti juvenis COllversione. Selon l'opinion commune, il aurait eu alors quarante-deux ou quarante-trois ans : est-on si jeune à cet âge?
Étienne de Tournai, écrivant à Guillaume, fait entendre qu'ils étaient l'un et l'autre à peu près du même âge : Reverendo patri et amico W. seniori consenescens, vivere et vi- dere dies bonos. La lettre de Guillaume à laquelle celle-ci sert de réponse, ne parle pas du tout de sa vieillesse. On a cru
(a) A Borret, lieu dépendant de Sainte-Geneviève, suivant la lettre 129 d'Etienne de Tournai.
XIIIe SIÈCLE.
Spicil., in-fol., p. 539. - Bou- quet, t. XII, p. 330.
Boll., p. 628, n. 17.
Steph. Tornac.
ep. 13 1.
Guill. ep. 57, lib. 2.
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jusqu'à présent qu'Étienne était venu au monde l'an 1135; mais j'ai prouvé ailleurs qu'il était né en 1128 : l'époque de la naissance d'Etienne peut donc servir à connaître celle de la naissance de Guillaume.
L'an 1193, Guillaume vint en France pour négocier le mariage d'Ingelburge, sœur de Canut VI, roi de Danemarck, avec le roi Philippe-Auguste. Ce mariage ayant été dissous la même année, il fut envoyé à Rome pour en soutenir la validité, et de là il revint en France, l'an 1195. Est-il croyable qu'on ait confié de si grands intérêts à un vieillard nonagénaire? Peut-on supposer qu'à cet âge il aurait eu le courage d'entreprendre de si pénibles voyages, surtout quand on voit qu'à la même époque Étienne de Tournai, invité par son métropolitain à se transporter à Rheims pour assister au sacre de
l'évêque de Châlons, s'excuse sur sa vieillesse, au risque de déplaire au prélat de qui il avait reçu tant de bienfaits, auquel il se reconnaissait redevable de tout ce qu'il était?
Par toutes ces considérations je conclus, la qu'il y a erreur dans le texte de la vie de saint Guillaume, portant qu'il mourut l'an 1202, à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans; qu'il faut lire soixante-dix-huit, et qu'il était né par conséquent vers 1125.
Je conclus en second lieu qu'il n'y a aucune apparence que Guillaume ait été élevé dans l'abbaye de Saint-Germain.
S'il a été élevé par son oncle, comme le dit l'auteur de sa Vie, ce n'a pu être qu'à Saint-Arnoul de Crépi en Valois, où son oncle fut long-temps prieur avant d'être nommé à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, l'an 1147. Il est pourtant vrai que Guillaume est surnommé de Sancto Germano par l'auteur de sa Vie ; mais il existe près de Crépi un lieu ainsi nommé, où vraisemblablement Guillaume avait pris naissance : car eût-il été élevé dans sa jeunesse à l'abbaye de SaintGermain, ce n'eût pas été une raison suffisante pour lui en faire porter le nom.
Après ces éclaircissemens nous allons tracer l'abrégé de sa vie.
Guillaume naquit donc vers U25, à Saint-Germain, près de Crépi en Valois (a). A l'âge de quinze ou seize ans, il était
(a) Dans un acte par lequel Guillaume règle la cérémonie de son anniversaire après sa mort (Rer. Dan. Script., t. VI, p. I45), il nous apprend que son père s'appelait Rodulphe ou Raoul, et sa mère Émeline. L'auteur de sa Vie, qui ne les nomme pas, ajoute qu'ils étaient nobles. Nobili ortus prosapiâ.
XIIIe SIÈCLE.
Steph. Lopnac.
ep. 274, 275, 276.
Boll., p. 626 , n. 1.
Ibià., p. 620, n. 2I.
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chanoine de Sainte-Geneviève, et déjà pourvu d'autres bénéfices. Avant qu'il eût embrassé la réforme, l'an 1148, il avait été ordonné diacre par l'évêque de Senlis, au refus de l'évêque de Paris, auprès duquel, dit l'historien de sa vie, les autres chanoines l'avaient desservi. Les Bollandistes sont étonnés que l'évêque de Senlis ait pu l'ordonner sans des lettres dimissoriales de l'évêque de Paris, et ils donnent pour raison que l'église de Sainte-Geneviève était alors exempte de la juridiction de l'ordinaire, comme le leur avait suggéré le P. Claude Dumolinet. Selon nous, rien n'est plus simple : l'évêque de Senlis avait ordonné le chanoine Guillaume, parce qu'il avait ce droit-là, Guillaume étant son diocésain, né dans son diocèse.
Nous ne nous arrêterons pas à décrire ses vertus cléricales et religieuses, sur lesquelles l'auteur de sa vie s'étend si longuement. Nous ne ferons que toucher les traits de sa vie qui donnent la mesure de son caractère, pour préparer nos lecteurs aux entreprises difficiles dont ils le verront chargé, entreprises qui demandaient un zèle infatigable et un courage à toute épreuve.
L'an 1161 ou 1162, au mois de janvier, époque où le roi Louis-le-Jeune avait assemblé à Paris les prélats et les grands du royaume pour les besoins de l'État, le bruit se répandit que le chef de sainte Geneviève avait été enlevé, soit par la négligence des chanoines, soit par quelque raison d'intérêt, qui pouvait avoir de fâcheuses suites pour eux, et surtout pour le chanoine Guillaume, qui en était le gardien. Cet événement ayant causé de la rumeur parmi le peuple, le roi voulut que le fait fût vérifié par les évêques de la province: on ouvrit la châsse à la vue du peuple assemblé, et il se trouva que rien n'avait été distrait des ossemens de la patronne des Parisiens. Il n'y eut que l'évêque d'Orléans, Manassès de Garlande, qui prétendit que le chef qu'on avait trouvé était celui d'une vieille femme mis à la place du véritable chef de la sainte, et il l'avait presque persuadé au roi; mais il fut contredit par les autres évêques, qui témoignèrent que tout avait été trouvé en bon état. Telle est en substance la relation de Guillaume lui-même, relation qui a été brodée par l'auteur de sa Vie, lequel, mettant aux prises l'évêque et le chanoine, ajoute à sa manière des faits démentis par l'histoire.
Cet auteur n'est pas plus exact lorsqu'il raconte l'alter-
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Ibid., p. 626, n. 6.
Boll., 3 januar., p. I52.
Boll., P. 6 26-.
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cation qui s'éleva, l'an 1164, entre Guillaume et l'abbé Guérin, au sujet de l'installation d'un prieur à Sainte-Geneviève. Guérin prétendait que dans une abbaye royale c'était au roi à nommer les officiers de la maison, ou du moins à confirmer le choix qu'on en faisait, et, malgré l'opposition de la communauté, il conduisit secrètement chez le roi le prieur qu'il venait d'instituer à sa place. Guillaume, le moins tolérant de ses confrères lorsqu'il croyait les droits de l'abbaye compromis, non-seulement résista en face au nouveau prieur, en l'empêchant par voie de fait d'exercer ses fonctions ; il alla encore porter ses plaintes au pape résidant à Sens, comme d'un attentat contre les statuts de l'ordre. Le pape, tout en approuvant son zèle, voulut que le plaignant allât faire satisfaction à l'abbé, non pour la manière dont il s'était conduit, mais pour s'être absenté de la maison sans la permission de l'abbé ou l'autorisation du chapitre. Ce fut alors que Guérin, n'écoutant plus que son ressentiment, déploya contre lui une sévérité outrée : il le fit fustiger à nu, et le condamna à prendre, pendant sept jours, sa réfection à terre avec les chiens. C'est ce qui résulte de la lettre du pape Alexandre III aux abbés de Saint-Germain et de Saint-Victor, auxquels il adjoignit les prieur et sous-prieur de Saint-Victor, avec l'ancien abbé de Sainte-Geneviève, nommé Odon, les chargeant d'informer sur un traitement si atroce. La relation du biographe est la même quant au fond; mais il diffère sur plusieurs circonstances, et il en ajoute d'autres qui auraient besoin d'être garanties par d'autres autorités que nous n'avons pas.
Il paraît que cette affaire indisposa aussi le roi contre Guillaume, et que celui-ci, s'étant éloigné de Paris, eut besoin d'intercesseurs pour reconquérir les bonnes grâces du monarque. C'est ce qu'on peut conclure d'une lettre qu'il écrivit du lieu de sa retraite à Richard, prieur de SaintVictor. Son nom, à la vérité, n'y est exprimé que par la lettre initiale G ; mais tout porte à croire qu'elle est de lui.
Il prie Richard de lui mander si, depuis qu'il est venu le trouver, il a vu le roi disposé à faire grâce; s'il a réussi à fléchir son abbé; s'il a parlé de son affaire à l'abbé de SaintGermain, etc. Si iter prosperum à nobis ad propria habuistis,.
si gratiam in conspectu Regis invenistis; si recie ac prospere apud dominum abbatem ; si abbatem S. Germani super ne- gotio nostro convenistis, per prcesentium latorem nobis signi- ifcare non gravetur dilectio vestra.
XIIIe SIÈCLE.
Duehsne.
t. IV, p. 752 ; Bouquet, t. XV, p. 823; Labbe, Concil. t. X, col. 1339 ; Mart., Ampl. Collect., t. VI, col. 234.
Martene, ibid., col. 237.
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Nous ne voyons pas quelle fut l'issue de cette affaire; mais on peut croire qu'elle contribua beaucoup à lui faire accepter, l'année d'après, la mission qui lui était offerte d'aller en Danemarck établir la réforme de Saint-Victor dans une maison de chanoines qui ne vivaient pas conformément à leur institut.
Depuis long-temps la célébrité des écoles de Paris attirait en France des étudians de presque toutes les nations de l'Europe, et cela ne contribua pas peu à augmenter et consolider les relations qui existaient entre les différens peuples.
La montagne de Sainte-Geneviève était alors le lieu le plus fréquenté pour les écoles, et l'abbaye, depuis la réforme, rivalisait avec Saint-Victor pour la régularité et la bonne instruction. Non-seulement les Danois fréquentaient cette maison, mais plusieurs d'entre eux, et de la plus haute considération, y avaient embrassé la vie cléricale. Sous le règne de Waldemar I, roi de Danemarck, surnommé le Grand, les relations de la France avec les Danois devinrent plus intimes, au point que la politique suggéra, bientôt après, au roi Philippe-Auguste, devenu veuf, de choisir une épouse dans la famille royale de cette nation. De son côté Eskil, archevêque de Lunden, faisait en France de fréquens voyages, et, pour seconder les intentions du roi, jaloux de civiliser son peuple en l'éclairant, avait attiré en Danemarck des colonies de cisterciens, de prémontrés et de chartreux, auxquels on avait formé des établissemens. Cependant, à l'époque où nous en sommes, les chanoines réguliers de France n'avaient pas encore d'établissement en Danemarck.
Absalon, évêque de Roschild, prélat d'une grande naissance, qui, dit-on, avait étudié en France (a), désirait leur en former un dans l'île d'Eskilsoë, à la place d'autres chanoines peu réguliers. Il avait envoyé à Paris le prévôt de son Église, nommé Saxon, pour négocier cette affaire, à peu près dans le temps que Guillaume avait encouru la disgrâce du roi, et il consentit à se charger de cette mission avec trois de ses confrères, non l'an 1171, comme le dit l'auteur de sa Vie,
(a) Étienne de Tournai écrivant (épît. 147) à Waldemar, évêque de Sleswic, (ép. 144), à Orner, évêque de Ripen, ne manque pas de leur rappeler qu'ils ont puisé en France la science et les vertus cléricales qui les distinguent; et dans six ou sept lettres qu'il adresse à Absalon, devenu archevêq ue de Lunden, il ne dit pas un mot qui donne à entendre que ce prélat avait étudié à Paris.
XIIIe SIÈCLE.
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mais en 1165 (a). Les preuves de ce que j'avance se trouvent consignées et développées dans un intéressant mémoire d'un de nos confrères de l'Institut, touchant les relations qui existaient au douzième siècle entre la France et le Danemarck.
Nous ne parlerons pas de ce que fit Guillaume après son arrivée en Danemarck : cela trouvera sa place dans le compte que nous rendrons de ses lettres. Nous dirons seulement qu'en 1195 il fit un voyage en France, pour négocier le mariage d'Ingelburge de Danemarck avec Philippe-Auguste; que, ce mariage ayant été presque aussitôt rompu, il fut envoyé, l'année d'après, en cour de Rome, pour en soutenir la validité; que de là étant rentré en France avec les bulles qu'il avait obtenues du souverain pontife contre le roi, il avait été arrêté avec toute sa suite à Dijon, par ordre du duc de Bourgogne ; qu'ayant été mis en liberté vers le commencement de l'année 1196, il revint à Paris, sans avoir pu recouvrer les lettres papales dont il était porteur. Quant aux détails, nous les donnerons plus bas, à l'article des lettres.
Guillaume ne vit pas la fin de cette affaire qu'il avait entamée. Il mourut l'an i2o3, la nuit de Pâque, qui tombait cette année le 6 avril. L'auteur de sa Vie dit que c'était l'an 1202 : cela prouve qu'il écrivait en France et non en Danemarck, peut-être vers l'année 1224, qui fut celle de la canonisation de saint Guillaume par le pape Honorius III, et vraisemblablement beaucoup plus tard; car le P. Papebrock observe que les chanoines réguliers, hors du Danemarck, furent long-temps sans décerner un culte à leur confrère.
Son épitaphe , rapportée par les Bollandistes , d'après l'Histoire de Danemarck par Pontanus, ne contient que les deux vers suivans :
Parisiis natus, dictis factisque beatus, Mundo sublatus, jacet hie Guillelmus humatus.
Quelque degré d'autorité qu'on veuille donner aux épitaphes,
(a) Cette date est appuyée sur un acte dont on ne peut contester l'authenticité. L'an 1201, époque de la mort d'Absalon, archevêque de Lunden, l'abbé Guillaume fonda dans son église l'anniversaire de ce prélat. Dans cet acte, dont il ne reste qu'un fragment (t. VI Rer. Dan., p. 79), il fait le dénombrement des bienfaits dont ce prélat n'avait cessé, dit-il, de combler sa communauté pendant trente-six ans : Nec illud est prœtereundum quod per triginta sex annos, etc. ; ce qui nous donne exactement l'année 1 165.
XIIIe SIÈCLE.
Mém. de litt. et beaux-arts, t. IV, p. 212-298.
Rainal. Ann., ad ann. 1224.
Boll., 6 april., p. 622, n. 8.
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nous croyons avoir assez bien prouvé que saint Guillaume n'était pas né à Paris.
SES ÉCRITS.
Jusqu'à ces derniers temps on ne connaissait presque aucun ouvrage de notre abbé; on savait seulement par tradition qu'il avait laissé un volume de lettres fort intéressantes, dont on promettait de faire jouir le public. Elles ont enfin été publiées en Danemarck, avec d'autres opuscules dont nous allons nous occuper.
§ Ier. Ses Lettres.
Elles sont divisées en deux livres, dont le premier en contient trente-neuf, et le second quatre-vingt-trois. Il s'en faut de beaucoup que ce soit la totalité des lettres dont parle l'auteur dans sa préface; mais c'est tout ce qu'il en reste. Le manuscrit original, qui existait en parchemin dans la bibliothèque de l'université de Copenhague, ayant été brûlé dans l'incendie de la ville, arrivé l'an 1728, on n'a pu en retrouver que des copies informes et récentes, qui prouvent que le manuscrit avait été mutilé en plusieurs endroits, ou que les copistes ne s'étaient proposé que de faire un choix parmi ces lettres, car plusieurs n'ont point de commencement, d'autres n'ont point de fin, et à cet égard nous partageons bien sincèrement les regrets de l'homme de lettres qui a écrit à la fin de l'index ou table des chapitres cette apostille :
Heu ! crudelis et rustica, barbara manus quoe violasti quod reparare nequivisti ! Desunt cceterce epistoloe domini abbatis Willelmi de Paraclito, quoe haud dubie plures erallt gra vibus de rebus præscnptæ.
Quoi qu'il en soit, nous allons rendre compte de ces lettres dans l'état où nous les trouvons. Comme dans leur arrangement on n'a observé aucun ordre, nous ne suivrons pas les numéros qu'elles portent, mais nous les réunirons sous certains chefs, afin de rapprocher les matières. Nous mettrons en première ligne toutes celles qui ont trait au mariage et au divorce de Philippe-Auguste, et heureusement elles ne sont pas les plus maltraitées ; puis viendront les lettres écrites aux souverains pontifes, à des évêques, à des abbés, etc. Dans l'arrangement des premières nous suivrons
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Gall. Christ-, t. VII, col. 718.
Rer. Dan. Ser., t. VI. p. 1-79,
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l'ordre chronologique, parce que l'histoire publique nous met en état de leur fixer une date précise.
Lettres concernant le mariage et le divorce de PhilippeAuguste.
Guillaume, ayant été envoyé en France, l'an iig3, pour négocier le mariage d'Ingelburge avec le roi, rend compte au roi Canut de l'état de la négociation. On trouvait trop forte en Danemarck la dot de la princesse qu'on demandait en France. Le négociateur insiste pour qu'on ne regarde point à l'argent, quand il s'agit d'une alliance si illustre et si avantageuse; il pousse la générosité jusqu'à renoncer, s'il le faut, à un don que le roi venait de faire à son monastère, pour subvenir aux besoins de l'État.
Quoiqu'il eût heureusement conclu cette alliance, il paraît qu'on lui sut mauvais gré en Danemarck d'avoir entraîné le roi dans une dépense si considérable. Il fut obligé de se justifier, mais sans se départir de la maxime qu'il avait adoptée, que l'argent n'a de valeur qu'autant qu'il procure à son possesseur de la gloire et de la considération : Laudabilis est pecunia quæ domino non imperat, sed domino cedit ad gloriam.
Le mariage du roi ayant été dissous vers la fin de la même année, sous prétexte de parenté, Guillaume fut envoyé en cour de Rome pour en soutenir la validité, et fut porteur de plusieurs lettres à l'appui de ses poursuites. Celle d'Absalon, archevêque de Lunden, au pape Célestin III, contient la généalogie de la reine Ingelburge, et prouve que mal à propos on la disait parente de la reine Élisabeth de Hainaut, première femme du roi Philippe-Auguste.
Celle du roi Canut au même Célestin rappelle les services importans que le pape avait rendus à son père Waldemar et à lui : ce qui lui donne la confiance que Célestin ne l'abandonnera pas dans l'affaire du divorce, et il supplie le pape de jeter les yeux sur le tableau généalogique qui lui sera présenté.
Il écrivit pareillement au collége des cardinaux, pour accréditer les agens qu'il envoyait en cour de Rome, chargés de poursuivre la rescision de la sentence de divorce prononcée contre sa sœur.
Ingelburge écrivit aussi au pape, pour exposer l'état mi-
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Lib. Il, ep. 23.
Lib. H, ep. 61.
Lib. II, ep. 22.
Lib. II, ep. 79.
Lib. II, ep. 26,
Lib. I, ep. 32.
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sérable auquel l'avait réduite sa séparation injuste d'avec le roi.
Pendant que Guillaume était à Rome, et qu'il avançait dans ses affaires, il instruisit par lettre l'abbé d'Esrom, de l'ordre de Cîteaux, son ami, de l'heureux succès de son voyage, espérant qu'il irait bientôt le rejoindre, muni de pièces qui combleraient de joie toute la nation.
Il écrivit aussi à la reine Ingelburge, pour la consoler et l'exhorter à mettre sa confiance en Dieu, l'assurant que bientôt le roi serait forcé de la reprendre, si elle persévérait, comme elle faisait, dans les exercices de la piété chrétienne.
Une seconde lettre à la même contient des reproches sur ce qu'elle ne lui avait pas répondu, quoiqu'il eût entrepris pour elle un voyage au-dessus de ses forces, et il lui réitère les mêmes exhortations que dans la lettre précédente.
Le chancelier du roi de Danemarck, nommé André, qui avait accompagné Guillaume, nous apprend, dans une lettre au cardinal Octavien, évêque d'Ostie, qu'il avait été obligé de partir de Rome précipitamment, sans prendre congé du prélat, parce qu'on l'avait averti qu'il serait arrêté immanquablement, s'il ne mettait sa personne en sûreté.
Etant rentrés en France avec les lettres du souverain pontife dont ils étaient porteurs, ils furent arrêtés à Dijon, et mis en prison. Guillaume écrivit alors à Philippe-Auguste, pour lui dénoncer cet attentat commis sur un prêtre et des envoyés du pape. Il veut lui persuader que les lettres dont ils étaient porteurs, n'étaient nullement flétrissantes pour sa personne, mais partaient d'un fond de charité du pape, qui ne désirait rien tant que son salut; qu'au reste, si quelqu'un était coupable, c'était lui, et non le chancelier André, dont il fait l'éloge. Il prie donc le roi de le faire relâcher, consentant de rester en prison.
Le chancelier, de son côté, écrivit au cardinal Mélior, légat du pape, résidant à Paris, en lui envoyant la lettre du pape qui lui était adressée. Il s'excuse de ne la lui avoir pas apportée lui-même, parce qu'il avait été arrêté à Dijon, et il lui explique de quelle manière. Cependant il avait été relâché et remis entre les mains des abbés de Cîteaux et de Clairvaux, qui s'étaient rendus cautions pour lui, mais à condition que si le roi n'approuvait pas son élargissement, il se reconstituerait prisonnier à Dijon, ou en tout autre lieu.
Guillaume écrivit de sa prison à frère Bernard, Grand-
XIII* SIÈCLE.
Lib. II, ep. 72.
Lib I, ep. 34.
Lib. I, ep. 35.
Lib. Il, ep. 33.
Lib. II, ep. 25.
Lib. II, ep. 65.
Lib. II, ep. 77.
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montain, correcteur des Bons-Hommes à Vincennes. C'était un homme d'une grande influence dans les conseils du roi.
Il lui rappelle ce qu'ils avaient fait l'un et l'autre pour la conclusion du mariage d'Ingelburge, et le prie d'employer son crédit auprès du roi pour le déterminer à la reprendre, et à écouter favorablement les avis salutaires du souverain pontife.
Il y a encore de lui une lettre à l'abbé de Sainte-Geneviève, dans laquelle il lui fait part de son infortune, et lui recommande de demander à Dieu la conversion du roi, ou que justice soit faite par le pape. Quant à lui, il est préparé à endurer les plus durs traitemens, et à succomber pour une si bonne cause, persuadé que Dieu suscitera d'autres défenseurs qui la soutiendront jusqu'à la fin.
Il est incertain que l'abbé Guillaume ait été relâché; mais il fut permis au chancelier d'aller trouver le roi. Pendant qu'il attendait à Paris le retour du monarque, André informa l'archevêque de Lunden de ce qui se passait. Après avoir raconté la manière dont il avait été arrêté et mis en liberté, il annonce qu'on peut être tranquille sur la perte des papiers, parce que le pape avait envoyé le prieur de Sainte-Praxède avec de nouvelles instructions ; qu'en conséquence il avait été nommé une commission, composée de l'archevêque de Sens, de l'évêque d'Arras, des abbés de Cîteaux, de Clairvaux, et de Pierre, le chantre de Paris, qui devaient agir auprès du roi, pour le déterminer à reprendre son épouse, sans quoi le cardinal Mélior avait ordre d'assembler, au second dimanche après Pâque 1196, un concile' auquel seraient appelés les évêques des provinces de Reims, de Sens, de Tours et de Bourges, sous la présidence du légat et du notaire du pape.
Ce concile n'eut aucun résultat, et il n'en reste aucun acte. Le roi, bien loin de reprendre son épouse, contracta, la même année, un nouveau mariage avec Agnès de Méranie.
Alors commença une nouvelle procédure de la part du roi de Danemarck; il annonce au pape que le roi des Français, malgré les défenses qui lui avaient été faites, venait de prendre une nouvelle épouse, et demande qu'on déploie contre lui toute la rigueur des canons en mettant son royaume en interdit.
Écrivant aux cardinaux : « Vous savez, leur dit-il, que le « pape avait ordonné au roi de France de rappeler son
XIIIe SIÈCLE.
Lib. II, ep. 81.
Lib. II, ep. 45.
Lib. I, ep. 3o.
Lib. I, ep. 33*
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« épouse, ou, s'il ne voulait pas la reprendre, de s'abstenir « de contracter un nouveau mariage. Hé bien! cet homme - « qui ne craint ni Dieu ni les hommes, n'a pas craint de « commettre un adultère en épousant une autre femme. »
Il demande, non pas que le royaume soit mis en interdit, mais qu'au préalable le coupable soit privé des sacremens.
Ingelburge écrivit aussi au pape, mais uniquement pour lui exposer les chagrins qui la dévoraient, sans demander qu'il fût infligé aucune peine à son mari. Ce qui prouve que c'est à l'époque du mariage du roi avec Agnès qu'il faut rapporter cette lettre, c'est qu'on trouve à la fin le commencement de la lettre du roi Canut aux cardinaux, laquelle vraisemblablement fut aussi présentée au nom d'Ingelburge.
Nous avons encore une lettre de l'abbé Guillaume au roi Canut, laquelle paraît n'avoir été écrite que l'an 1198, lorsque le pape Innocent III reprit l'affaire du divorce. Il annonce au roi cette nouvelle comme une chose qui doit combler de joie tous les Danois, et dissiper la tristesse dans laquelle était plongée la famille royale, parce que, dit-il, le roi de France sera forcé, bon gré, mal gré, de reprendre son épouse.
Ne parlant de cet événement que comme d'un bruit qui commençait à se répandre, rumor jucundus et lœtitiœ bajulus, il n'y a pas d'apparence qu'il ait écrit cette lettre pendant qu'il était à Rome, l'an 1195 : il eût parlé d'un ton plus affirmatif.
Telles sont les lettres concernant le divorce de PhilippeAuguste. Quoiqu'on ne puisse douter qu'il en fut écrit de part et d'autre un plus grand nombre que nous n'avons pas, on voit de quelle importance sont celles-ci pour l'histoire de ce règne.
Lettres aux souverains pontifes.
Les vingt-trois premières sont des consultations envoyées à Rome, presque toutes relatives à des cas concernant le sacrement de mariage ou de baptême, avec les réponses du pape à la plupart de ces questions.
L'archevêque de Dronthein en Norwége, ayant de grands démêlés avec le roi du pays, nommé Sverre, avait été obligé de s'expatrier, et de se réfugier à Lunden en Danemarck.
Dans sa lettre au pape Célestin III, il expose les différens sujets de contestation .qu'il avait avec ce prince : i° parce que, le regardant comme un usurpateur, il avait refusé de le cou-
XIIIe SIÈCLE.
Lib. 1, ep. 31.
Lib. II, ep. 37.
Lib. I, ep. 24.
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ronner; 2° parce que ce prince prétendait se rendre maître des élections aux prélatures ; 3° attribuer à ses cours de justice les causes des clercs ; 4° disposer à sa fantaisie des églises baptismales de ses domaines comme de chapelles royales. Sur toutes ces questions, l'archevêque de Dronthein demande au pape de lui prescrire ce qu'il doit faire ; et attendu que le prince, pour l'empêcher de se rendre à Rome, s'était saisi de son temporel, ce prélat prie le pape d'écouter favorablement les personnes qu'il envoie à sa place. Peutêtre l'abbé Guillaume fut-il chargé de cette affaire lorsqu'il alla à Rome, l'an 1194, pour celle du divorce.
Quoique la lettre deuxième du livre second soit mutilée au commencement, il paraît qu'elle fut écrite au même pape par l'archevêque de Dronthein, qui se plaint que des évêques aient osé couronner, en son absence, et sans égard à la défense du pape, le roi de Norwége, qu'il appelle un tyran.
La lettre onze d'Homer, évêque de Ripen, au pape Célestin, également mutilée au commencement, et la douzième de l'abbé Guillaume au même pape, sont relatives à une affaire qu'ils avaient décidée, comme délégués du pape, touchant l'introduction des moines blancs de Guldholm, dans le monastère de Saint-Michel, au diocèse de Sleswic.
Il paraît que notre abbé avait mis à profit son voyage à Rome, pour améliorer les revenus de son église du Paraclet.
Le pape Célestin avait suggéré à Pierre, évêque de Roschild, d'accorder à cet établissement le revenu d'un an de tous les bénéfices qui viendraient à vaquer dans son diocèse. L'évêque y consent, et prie le pape de cimenter par son autorité les arrangemens à ce sujet avec l'abbé Guillaume, afin de leur donner plus de consistance.
La lettre par laquelle Guillaume demandait au pape cet accroissement de revenu est la quarante-troisième du second livre. Il expose qu'en arrivant en Danemarck, il n'avait trouvé dans la maison qui lui était destinée et à ses compagnons de voyage, que sept fromages et la moitié d'un jambon; qu'à la vérité l'évêque Absalon, devenu depuis archevêque de Lunden, était venu à leur secours, selon ses facultés, mais trop bornées pour les tirer de la misère. Il prie donc le pape d'ordonner à l'évêque de Roschild de leur accorder quelque bénéfice, et cela avec d'autant plus de confiance, que celui qui remplissait alors ce siége était un chanoine régulier de leur ordre, nommé Pierre, neveu d'Absalon.
XIIIe SIÈCLE.
Lib. II, ep. 2.
Lib. II, ep. 1 r, 12.
Lib. II, ep 13.
Lib. II, ep. 43.
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La lettre quarante-quatre, écrite au nom du roi Canut VI, au même pape, est relative à la conspiration qui devait porter sur le trône l'évêque de Sleswic, nommé Waldemar. Le roi se plaint qu'ayant déjà dénoncé cet attentat à Sa Sainteté, Elle n'avait eu aucun égard à ses plaintes, quoique l'archevêque de Lunden et ses suffragans eussent attesté la vérité des faits sur lesquels portait la dénonciation. Ces lettres sont perdues; mais dans celle-ci le roi invoque la notoriété publique, et si par mesure de sûreté il a mis en prison l'évêque de Sleswic, ce n'est pas qu'il le redoute personnellement, mais pour déconcerter les menées de ses partisans. Il insiste donc pour que justice soit faite.
L'affaire des moines blancs et noirs, dont il est parlé dans les lettres onze et douze de ce second livre, eut de fâcheuses suites. Ces derniers voulurent rentrer dans leur maison à main armée, et en chasser les moines blancs. C'est de quoi se plaint l'abbé du Paraclet dans les lettres quarante-six et quarante-huit au pape Célestin, pour le prémunir contre les clunistes qui allaient plaider leur cause en cour de Rome.
Ayant rapporté en entier la lettre quarante-huit bis au pape Célestin, lorsque nous avons tracé la vie de notre auteur, nous n'avons plus rien à en dire, si ce n'est qu'on l'a bien mal imprimée; on l'a coupée en deux, de sorte que la lettre quarante-huit bis est le commencement de la lettre quarantesept.
La lettre quatre-vingt, écrite vraisemblablement au même pape, au nom de l'archevêque de Lunden, contient des plaintes sur ce que le métropolitain et les évêques de Suède, méconnaissant la primatie de l'Eglise de Lunden, trouvaient des prétextes pour se soustraire à sa juridiction.
Lettres à des cardimaux.
Ces lettres sont peu intéressantes et ne contiennent que des recommandations sur des affaires dont on n'explique pas même le sujet.
Une affaire que notre abbé eut en cour de Rome le détermina à écrire au cardinal Seuffroi; mais il n'explique pas en quoi consistait cette affaire, parce qu'on n'a conservé que le préambule de la lettre.
Dans une autre lettre au même cardinal, il lui recommande aussi une affaire, et lui annonce que le porteur de la lettre
XIIIe SIÈCLE.
Lib. II, ep. 44.
Lib. Il, cp. 4f, 48.
Lib. II ep 47,
Lib. II, ep. 80.
Lib. I, ep. 17.
Lib II, ep. 53,
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est chargé de lui remettre cinq marcs d'argent, lorsque l'affaire sera terminée.
C'est encore pour recommander un chargé d'affaires qu'il envoyait à Rome, qu'il écrivit au cardinal Cincius la lettre suivante.
La lettre soixante-quatorze est aussi adressée à un cardinal qui n'est pas nommé, toujours pour recommander ses affaires ou celles des autres. Cette lettre n'est pas entière : la fin y manque.
Lettres à des archevêques.
Le cardinal Fidentius, légat du pape en Danemarck, ayant imposé de fortes contributions aux abbés du pays, sous peine de destitution, Guillaume, au nom de tous, écrivit à l'archevêque de Lunden une diatribe véhémente contre les émissaires de la cour de Rome, dans laquelle, en suivant l'impétuosité de son caractère, il ne ménage guère les termes, et n'épargne pas même les évêques danois, qui, selon lui, étaient assez lâches pour payer sans murmurer, et peut-être par un motif d'ambition, les fortes sommes auxquelles ils étaient taxés.
Une autre lettre au même prélat, dont il ne reste qu'un lambeau du commencement, semble avoir pour objet les mêmes vexations de la part du légat, dont il s'était déjà plaint. Il reconnait avoir reçu d'Absalon de grands biens; mais aussi fit-il valoir le sacrifice qu'il avait fait, à sa sollicitation, de quitter sa patrie, et il se plaint que le prélat lui ait retiré sa protection dans une occasion où il en avait le plus besoin contre ses ennemis.
L'archevêque de Lunden, indisposé contre notre abbé, ayant suspendu les secours qu'il procurait aux religieux du Paraclet, Guillaume lui écrivit une lettre très soumise. Il veut bien être puni, puisqu'il a eu le malheur de déplaire au prélat; mais il demande en grâce qu'on ne laisse pas mourir de faim ses religieux, qui n'ont rien fait pour mériter un si cruel traitement.
Un incendie ayant consumé les greniers du Paraclet, notre abbé eut recours à son grand protecteur l'archevêque Absalon. Il a été, dit-il, si découragé, qu'il a été sur le point de s'en retourner en France; mais, n'ayant pu se résoudre à abandonner ses frères, et comptant sur la protection du prélat, il s'est déterminé à rester. A cette époque il était en marché d'acquérir la maison où sa communauté était logée ;
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Lib. II, ep. 53.
Lib. II, ep. 74.
Lib. 1, ep. 25.
Lib. II, ep. 21.
Lib. II, ep. 28.
Lib. II, ep. 3 t.
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mais, l'incendie ayant dérangé tous ses projets, il espère que le prélat trouvera les moyens de leur assurer cette maison, qui devait être vendue au profit des pauvres.
Etant inquiété apparemment par un créancier (exactor), il s'excuse d'importuner si souvent l'archevêque, qui semblait faire la sourde oreille à ses demandes; mais, comme cet homme avait besoin d'être arrêté dans ses poursuites par une force majeure, il déclare qu'il ne cessera d'implorer l'assistance du prélat jusqu'à ce qu'il soit délivré de toute inquiétude.
Dans la lettre soixante-quatre au même prélat, il recommande un particulier qui allait plaider devant la cour archiépiscopale, pour un salaire qu'il revendiquait.
Ayant commencé la construction d'un acqueduc pour amener de l'eau dans son monastère, Guillaume remercie le prélat des secours qu'il avait reçus de lui pour cette entreprise ; mais, comme l'ouvrage n'était pas fini, il sollicite de nouveaux secours pour ne pas le laisser imparfait.
Lettres à des évêques.
L'évêque de Scaren (Scarotensis), en Wester-Gothie, sous la métropole d'Upsal, avait offert ses services à notre abbé, qui le remercie dans une lettre dont il ne reste qu'un fragment.
La lettre quarante-une, adressée à Turgot, évêque de Burgla, qu'on croit être le bourg de Vensussel, en latin Ven- dilensis, dans le Jutland, transféré depuis à Alborg, est la même, à quelques petites différences près, que la soixantesixième. Elle respire le zèle ardent qui animait notre auteur pour la stricte observance de la règle de saint Augustin, dans les maisons de son ordre. Depuis que ce prélat avait quitté la maison de Westervic pour être élevé sur le siège épiscopal, le désordre s'y était introduit au point que les religieux, comptant sur la protection de l'évêque, ne recon- naissaient plus l'autorité du prévôt, leur supérieur. C'est pour ôter à ces religieux discoles l'appui qu'ils se flattaient de trouver dans ce prélat, qu'il lui représente combien il serait plus expédient de réprimer les désordres que de les favoriser. — Il paraît que le prévôt, malgré les représentations de l'auteur, fut obligé de quitter son poste : car, dans la lettre suivante, il lui conseille de se retirer dans sa maison du Paraclet, ou chez les cisterciens d'Esrom.
L'évêque de Swerin, dans le Meklenbourg, ayant invité
XIIIe SIÈCLE.
Lib. II, ep. 62
Lib. II. ep. 64.
Lib, II. ep. 67.
Lib. II, ep. 16.
Lib. II, ep. 41, et 66.
Lib. II, ep. 42.
Lib. II, ep. 55.
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notre abbé à venir le trouver pour quelque affaire impor., tante, Guillaume lui répond qu'il se rendra à son invitation, non qu'il croie que sa présence puisse être utile à quelque chose, mais uniquement pour lui témoigner son entier dévouement.
L'objet de la lettre soixante-neuf, à l'évêque d'Odensée (Othoniensis), est un religieux fugitif du Paraclet, refugié apparemment dans ce diocèse. On rappelle au prélat qu'il avait promis de le faire arrêter et de le livrer à l'archevêque de Lunden. — Ce religieux est vraisemblablement le Daniel auquel est adressée la lettre cinquante-huit.
Lettres à des abbés et à des religieux.
Un des meilleurs amis de l'abbé du Paraclet était l'abbé d'Esrom, ordre de Cîteaux, nommé Walbert, nom qui semble indiquer qu'il était Français comme lui. Les lettres trente-six, trente-sept, trente-huit du premier livre, et les vingt-sept, trente-cinq, soixante-douze du second livre, sont une preuve de l'étroite amitié et de la réciprocité de services qui existaient entre les deux maisons.
Ayant permis au prieur de sa. maison de voyager en France, il le chargea d'une lettre pour Guérin, abbé de Saint-Victor, dans laquelle il annonce l'état prospère de sa maison du Paraclet, sans entrer dans un grand détail, parce qu'il avait, dit-il, composé sur cela et envoyé à l'abbé de Sainte-Geneviève un écrit (libellum) que nous n'avons pas; et après avoir fait l'éloge de son prieur, il prie l'abbé Guérin de lui envoyer les actes du martyre de saint Victor, parce qu'il avait établi qu'on en ferait l'office dans son église avec la solennité des fêtes doubles.
Dans la lettre trente-six, il félicite l'abbé de Nestveht d'avoir rétabli le bon ordre dans une maison de sa dépendance, mal famée par la conduite peu régulière d'un particulier.
Voulant envoyer en Norwége un vaisseau chargé de grains à son profit (cumbrario), dans un temps où les rois du Nord étaient en guerre, il écrit au prieur de Cunungelle ou Congehelle, pour savoir s'il pouvait sans danger expédier l'embarcation.
Des plaintes ayant été portées à l'abbé de Prémontré, Hugues II, contre l'abbé de la Sainte-Trinité de Lunden,
Jim* SIÈCLE-
Lib. II, ep. 67.
Lib. Ir, ep. 58.
Lib. II, ep. 32'.
Lib. II, ep. 36.
Lib. II, ep. 39.
Lib. II, ep. 50.
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l'abbé du Paraclet prit sa défense en écrivant à celui de Prémontré la lettre cinquante.
En envoyant à Étienne, abbé de Sainte-Geneviève, un beau cheval danois, il s'excuse de ne l'avoir pas envoyé plus tôt, pour plusieurs raisons, mais surtout parce qu'il n'en trouvait pas qui fût digne de lui être présenté. Il finit par lui recommander le fils de Suénon, chancelier du roi de Danemarck, nommé Pierre, qui faisait ses études à SainteGeneviève. L'épître cent trente-une d'Étienne de Tournai contient la réponse à cette lettre.
L'abbé Jean ayant succédé, l'an 1192, à Étienne de Tournai, dans l'abbaye de Sainte-Geneviève, l'abbé du Paraclet, connaissant les excellentes qualités du sujet, le félicite sur son élévation, et l'exhorte en même temps à maintenir dans toute sa vigueur la régularité établie par son prédécesseur.
Voyez ce qui a été dit plus haut des lettres soixante-dix-sept à Bernard, correcteur des Bons-Hommes de Vincennes, et la quatre-vingt-unième au même Jean, abbé de Sainte-Geneviève, concernant le divorce de Philippe-Auguste.
Les lettres vingt-neuf, trente, trente-neuf, quarante-deux, quarante-neuf, cinquante-quatre, cinquante-six, soixantetrois, soixante-dix, soixante - quatorze, soixante - seize du second livre, à des religieux, ne sont pas assez intéressantes pour que nous devions nous y arrêter. Nous ne ferons d'exception que pour deux.
La trentième est adressée à Pierre, fils de Suénon, chancelier du roi de Danemarck, neveu d'Absalon, archevêque de Lunden, lequel étudiait alors à Sainte-Geneviève, où il avait embrassé la , vie religieuse, dont il est souvent parlé dans les lettres d'Étienne de Tournai (a), et qui devint ensuite évêque de Roschild. Ce jeune homme s'était adressé à l'abbé du Paraclet, pour obtenir de son père quelque faveur que celui-ci ne jugea pas à propos de lui accorder. Voulant lui faire goûter les motifs du refus de son père, Guillaume fait l'éloge du chancelier, auquel il mêle aussi l'éloge du jeune homme, dont il relève les bonnes qualités et l'application à l'étude, en l'exhortant toutefois à persévérer et à se perfectionner de plus en plus. Il est parlé dans cette lettre de deux professeurs, maître André et maître Joscelin, aux-
(a) Voir les lettres soixante-dix-neuf, quatre-vingt, cent trente-six, cent trente-neuf, cent quarante-cinq, cent quarante-six, cent cinquante d'Étienne de Tournai, dans la nouvelle édition de Claude Dumolinet.
XIIIe SIÈCLE.
Lib. II, ep. 57.
Lib. II, ep. 81 bis.
Supra, p. 466.
Lib. Il, ep. 30.
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quels l'auteur adresse des complimens. L'éditeur des lettres de Guillaume n'a pu découvrir qui étaient ces deux professeurs. Si ce n'étaient pas des Danois, il y a apparence que c'étaient d'anciens confrères de l'auteur : le premier, André, chanoine régulier de Saint-Victor, qui a eu son article dans notre histoire; le second, ce Joscelin dont il est parlé dans une lettre du pape Eugène III, parmi celles de l'abbé Suger, p. 522, ep. cxxv, touchant une contestation qui s'était élevée, l'an 1149, entre lui et maître Pierre, devenu ensuite évêque de Meaux, et créé bientôt après cardinal du titre de SaintChrysogone.
Guillaume, étant venu en France, l'an 1193, pour négocier le mariage d'Ingelburge, princesse de Danemarck, avec le roi Philippe-Auguste, écrivit à un ancien ami, nommé Geofroi, la lettre soixante-trois, pour lui annoncer son arrivée à Paris, et le désir qu'il avait de le voir. Ce Geofroi, inconnu aux éditeurs, le même qui, dans la lettre vingt-neuf, est qualifié chanoine, est vraisemblablement ce génovéfain qui avait été envoyé en Danemarck, par Étienne de Tournai, chargé de recueillir les aumônes que son abbé sollicitait pour la reconstruction de son église. Il est parlé de lui dans les lettres cent quarante-six, cent quarante-sept, cent quarante-neuf, cent cinquante-deux, cent cinquante-trois d'Étienne de Tournai, et l'abbé du Paraclet lui donna une lettre de recommandation pour lui servir de passe-port dans ses tournées en Danemarck; mais dans toutes ces lettres son nom n'est exprimé que par l'initiale G.
Disons encore un mot de quatre lettres adressées à des religieuses. Ce sont des exhortations à la persévérance dans l'heureux état qu'elles ont embrassé. Mais la plus remarquable est la vingt-sixième du premier livre, adressée à deux filles du roi, M., et M. selon le titre, qualifiées simplement princesses du sang royal dans la suscription. Parmi les louanges et les bons avis qu'il leur donne, on est étonné de trouver celui de se préserver de l'ivrognerie, tant ce vice était commun alors dans le Nord : Ne sit vobis familiare, dit-il, in mensis vestris ebrietatis habere diffugium, licet consuetudini terræ sit illud vitium.
Lettres au roi de Danemarck et à des officiers de sa cour.
Indépendamment des lettres au roi Canut, relatives au divorce de Philippe-Auguste, desquelles il a été parlé plus
XIIIe SIECLE.
H. litt., t. XIII., p. 408.
Lib. II, ep. 63.
Lib. II, ep. 68.
Lib. I, ep. 26, 27, 28, 29.
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haut, il y en a encore deux autres dont il nous reste à rendre compte.
Des malveillans ayant dénigré notre abbé dans l'esprit du roi Canut, Guillaume lui écrivit une lettre respectueuse et pleine de dignité, dans laquelle il représente que s'il a quitté la France, ce n'est pas qu'il manquât des choses nécessaires à la vie, mais uniquement pour répondre à la confiance de l'archevêque Absalon, qui l'avait attiré en Danemarck.
Il ne pouvait se résoudre à abandonner ce prélat, après avoir reçu de lui tant de bienfaits; et d'ailleurs son attachement à la personne du roi, qui, dans des occasions critiques, était venu à son secours, lui faisant un devoir de rester, il prie Sa Majesté de ne plus écouter de faux rapports, et de considérer que depuis son établissement il avait éprouvé quatre incendies.
Dans une autre lettre il s'insinue adroitement dans l'esprit du roi, pour lui parler d'une affaire litigieuse; mais on n'a conservé de cette lettre que le préambule, sans dire un mot de l'affaire dont il s'agissait.
C'est peut-être celle dont il entretient un seigneur de la cour, frère du chancelier André, nommé Ebbes ou Ebbon, dans deux lettres où l'on voit que le roi s'était déclaré contre les religieux du Paraclet ; mais ces deux lettres ne sont pas entières.
Il y en a encore deux à André Suénon, chancelier du roi de Danemarck, qui paraissent avoir trait à cette même affaire, mais qui n'expliquent pas davantage en quoi elle consistait. En combinant ces lettres avec une charte du roi Canut rapportée dans le même volume, page 144, nous sommes portés à croire qu'il s'agissait d'un droit de pèche dans un lieu appelé Clone.
Un comte Bernard, que nous croyons être le comte d'Ascanie,, fils d'Albert-l'Ours, margrave de Brandebourg, créé duc de Saxe, l'an 1180, ou Bernard, comte de Ratzebourg, voulant établir dans ses États une maison de chanoines réguliers de la réforme de Saint-Victor, de Paris, s'adressa à l'abbé du Paraclet, qui lui envoya deux religieux pour concerter cet établissement.
ë. II. Ses opuscules.
1° Bollandus a publié, sans nom d'auteur, d'après un manuscrit de Bruxelles, un opuscule qui a pour titre, Reve-
XIIIe SIECLE.
Lib. II, ep. 24.
Lib. II, ep. 71.
Lib. 1, ep. 39.
Lib. II, ep. 19.
Lib. II, ep. 59, 60.
Lib. II, ep. 15.
Boll. 3 januar; p.l52.
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latio reliquiarum sanctœ Genovefœ. Le même écrit, dans le manuscrit 5333 de la Bibliothèque royale, plus correct que celui de Bruxelles, rempli de lacunes, porte en titre le nom de l'auteur, en ces termes : Sancti Guillelmi abbatis Tractatus de revelatione capitis sanctœ Genovefæ. Nous avons fait connaître cette production, et ce qui y donna occasion, en traçant la vie de notre auteur. Elle a été reproduite d'après le manuscrit royal au tome XIV du Recueil des historiens de France, p. 409.
2° On attribue à notre auteur une généalogie des rois de Danemarck, composée, l'an 1194, pour prouver qu'il n'existait aucune parenté entre la reine Ingelburge et le roi PhilippeAuguste, et que mal à propos, sous ce prétexte, avait-on prononcé la dissolution de leur mariage. Il est possible que l'abbé Guillaume ait contribué à la composition de cette pièce; mais il y a plus d'apparence qu'elle fut l'ouvrage du conseil du roi Canut VI, qui s'y réfère dans une de ses lettres au pape Célestin III. Quoi qu'il en soit, il est pourtant vrai que Guillaume en fut le porteur, lorsqu'il fut envoyé, la même année, à Rome, avec le chancelier André, pour défendre la validité du mariage de la princesse danoise. Cette déduction généalogique a été imprimée plusieurs fois : 1° à Sora, l'an 1646, in-8° , avec des notes, par les soins d'Henri Ernst, qui l'avait reçue du grand généalogiste de France, André Duchesne, d'après la chronique manuscrite d'un chanoine de Laon, finissant à l'année 12183 2° cette espèce de généalogie, à laquelle le premier éditeur avait donné pour titre, Regum aliquot Daniœ Genealogia et Series cinonymi, se trouve réimprimée avec un long commentaire au tome IX, p. 591-650, du Recueil de Jean-Pierre Ludewic, intitulé, Reliquiœ manuscriptorum omnis œvi ; 3° dans la Collection des historiens de Danemarck, par Jacques Langebek, qui l'a mise en regard avec un texte plus correct, tiré d'un manuscrit perdu de l'université de Copenhague, dont on n'a pu recouvrer qu'une copie, qu'il a enrichie de savantes notes; 4° le même texte du manuscrit de Copenhague est ou sera imprimé au tome XIX du nouveau Recueil des historiens de France, par D. Bouquet, à la tête des lettres de l'abbé Guillaume, relatives au divorce de Philippe-Auguste.
3° En fondant dans son église l'anniversaire d'Absalon, archevêque de Lunden, décédé l'an 1201, notre auteur faisait l'histoire de son arrivée en Danemarck, de son éta-
XIIIe SIÈCLE.
Supra.
Rer. Dan. Scr., t. II, p. 154.
Ibid.. t. VI, P.76.
Ibid., t. 11, p. [54-163.
Ibid , t. VI, P- 79-
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blissement dans l'île d'Eskilsoe, de la translation de son monastère au Paraclet, dans l'île de Seelande, diocèse de Roschild, dans un lieu appelé en langue vulgaire Ebblæholt, et des dons considérables qu'il avait reçus de ce prélat tant en immeubles qu'en argent; mais il ne reste de cet écrit qu'un fragment qui fait regretter le reste.
40 Après avoir fondé l'anniversaire de son grand bienfaiteur, il s'occupa aussi à régler celui qu'il voulait être célébré après sa mort. Cet acte respire une piété tendre : il veut que ce jour-là on serve à la communauté du pain de froment, du poisson et de l'hydromel (in medone); qu'on nourrisse aussi douze pauvres, auquels on distribuera du pain, de la bière, de la viande ou du poisson, selon le jour auquel tombera son anniversaire. Ces distributions auront lieu, même pendant sa vie, aux jours du décès de son oncle, l'abbé de Saint-Germain, de son père et de sa mère.
B.
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JEAN DE BELMEIS, ÉVÊQUE DE POITIERS, PUIS ARCHEVÊQUE DE LYON.
SA VIE.
LES monumens historiques ne sont pas d'accord sur le surnom et le lieu de la naissance de ce prélat. Pierre Bernardi, ancien prieur de Grandmont et correcteur des BonsHommes de Vincennes, dans une lettre à Henri II, roi d'Angleterre, l'appelle Jean de Bellesme; et Bry de la Clergerie ne fait pas difficulté de l'incorporer à la famille des seigneurs de Bellesme, le disant fils de Guillaume Talvas, comte d'Alencon et du Ponthieu, mais sans en donner aucune preuve valable, et même contre l'autorité d'une ancienne généalogie, qui, faisant le dénombrement des enfans de Talvas, nomme bien un Jean, comte d'Alençon après son père, mais tout différent de l'évêque de Poitiers. Cependant l'opinion de Bry a été suivie par l'auteur de l'Histoire ecclésiastique d'Abbeville, et par les historiens de l'ordre de Cîteaux.
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p 145.
Martene, An., t. I, col. 563.
H. du Perche.
p. II2.
Labbe, Bibl.
mss., t. I, p. 661
H. (i'A b b -» v. ,
p. 471.
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D'autres, et en particulier les auteurs du Gallia Christiana, après avoir réfuté ceux qui l'ont surnommé De Bellesme, lui donnent pour surnom aux belles mains, Bellemanus, ou ad albas manus. C'était le surnom de Guillaume de Champagne, archevêque de Reims. Les historiens anglais sont plus fondés à l'appeler Belesmeius ou de Belmeis, et c'est son vrai nom de famille, à laquelle appartenait, selon Raoul de Diceto, un Waultier de Belmeis, frère de Richard, évêque de Londres, père vraisemblablement de notre prélat.
Nous savons d'ailleurs par Jean de Salisburi qu'il n'était pas Français : Præsertim don homo alienigena , dit-il, et apud
v
exteras gentes niilritus et institutus, Aquitanorum consue- tudines et inaudita jura non sufficiat edocere.
L histoire fournit beaucoup de renseignemens sur ce personnage. Il était trésorier de l'église d'York lorsqu'il fut nommé évêque de Poitiers, l'an 1162, selon Robert du Mont.
Raoul de Diceto dit plus expressément qu'il fut sacré le jour de sainte Thècle (23 septembre) par le pape Alexandre III, dans le monastère de Déols, près de Chàteauroux en Berri, et qu'il gouverna l'Église de Poitiers pendant vingt ans et treize semaines.
Ce prélat, fort ami de saint Thomas de Cantorberi et de Jean de Salisburi, prit une part très-active au différend qui s'éleva, l'an 1164, entre cet archevêque et le roi d'Angleterre, au point qu'il devint suspect lui-même aux officiers du roi, de la part desquels il éprouva des tracasseries. Sur quoi l'on peut voir les lettres qu'il écrivit à saint Thomas. Jean de Salisburi nous apprend que pendant ces débats l'évêque de Poitiers fut empoisonné, il ne dit pas par qui; mais on voit par d'autres lettres que le poison ne fut pas mortel, et qu'ayant fait un accommodement avec le roi, ce prélat avait recouvré, dès l'an 1166, ses bonnes grâces. Il en fit usage pour travailler à la réconciliation de l'archevêque de Cantorbéri avec ce monarque. De là cette multitude de lettres dans lesquelles Jean de Salisburi l'instruit de tout ce qui se passait relativement à cette affaire.
Ayant assisté à la conférence qui eut lieu à Montmirail, dans le Perche, au commencement de l'année 1169, entre les rois de France et d'Angleterre, dans laquelle ces deux princes, depuis longtemps en guerre, consentirent à faire la paix, l'évêque de Poitiers, de concert avec les grandmontains, qui en furent les médiateurs, choisit cette occasion pour
XUlc SIÈCLE.
Gall. Christ., t. II, col. 1180.
Hovedenus , p. 748, et alii.
R. de Diceto, col. 507.
Joan. Saresb., ep. 182.
Rob. de 'Mon., ad ann. 1662.
Rad. de Diceto, ad. ann. 1194 p. 675.
S. Thomas , epist. I et 2.
Joan. Saresb., ep. 174, I75.
Ibid., ep. 182.
Ibid., ep. 214, 221, 232, 233, 270.
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procurer aussi celle de l'archevêque de Cantorbéri; mais, ce prélat s'y étant en quelque sorte refusé, l'évêque de Poitiers, qui voyait avec douleur ses espérances s'évanouir, lui en fit des reproches assez amers. Cependant, sans se rebuter, il voulut encore, quelques jours après, lui ménager une autre entrevue avec le roi, et il l'avait obtenue de ce monarque ; mais l'archevêque ne jugea pas à propos de l'accepter, lui reprochant d'avoir consenti, sans sa participation, à des conditions qu'il ne pouvait tenir. Cette mésintelligence n'altéra pas l'amitié qui régnait entre eux et Jean de Salisburi, comme l'on voit par les lettres que celui-ci continua d'écrire à l'évêque de Poitiers sur le ton de l'amitié la plus intime. Étienne de Tournai, pour lors abbé de SainteGeneviève, nous apprend qu'après le meurtre de saint Thomas, l'évêque de Poitiers eut la dévotion de faire un pélerinage à son tombeau, en même temps qu'il fut envoyé en Angleterre, comme légat du Saint-Siège, pour rétablir la paix entre le roi et ses enfans.
Nous voyons par une ordonnance de notre prélat, qu'ayant éprouvé une injuste spoliation de la part de Richard, duc d'Aquitaine, il n'eut recours ni aux excommunications ni aux armes : il ordonna des prières. Mais dans une autre occasion, où il s'agissait de préserver son troupeau des fureurs de la guerre, il ne fit pas difficulté de prendre les armes.
L'an 1176, le comte d'Angoulême, aidé des mécontens du pays, ayant pris à sa solde des Brabançons, espèce d'aventuriers qui vendaient leurs services au plus offrant, faisait à la tête de ces brigands, en l'absence du duc Richard, des ravages horribles dans le Poitou. Jean, évêque de Poitiers, dit Raoul de Diceto, jaloux de défendre son territoire, ayant rassemblé de toutes parts des troupes auxiliaires, et s'étant joint à Thibeaud Chabot, qui commandait la milice ducale, marche contre ces destructeurs de châteaux, ces fléaux des campagnes, ces brûleurs d'églises, ces oppresseurs de vierges.
Les ayant rencontrés dans la plaine de Barbesieux. il partage en quatre corps son armée, qui fond en même temps sur eux, en tue un grand nombre, et oblige les autres à se sauver dans une forteresse avec tant de précipitation qu'ils abandonnent tout leur bagage. A ce récit, l'historien ajoute cette réflexion, que ce n'est pas le courage qui manque ordinairement aux clercs, mais l'occasion et les moyens de le dé-
XIIIe SIECLE.
Heribertus, in Hist. Quadrip., p. 97.
S. Thomæ ep., p. 252 et 705.
Joan. Saresb.
ep. 269 , 270, 281, 286.
Steph. Torn.
ep. 25, edit. secundo.
Cangii Gloss., t. V, col. 1304.
R. de Diceto, ad ann. 1176, col. 59o.
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ployer. Sicque salus in manu clericorum data, satis evi-
denter ostendit plerisque non animos deesse, sed arma.
L'an 1178, il fut chargé d'une expédition d'un autre genre.
Il accompagna avec plusieurs autres missionnaires le légat Pierre, prêtre cardinal du titre de Saint-Chrysogone, allant à Toulouse, à la demande des rois de France et d'Angleterre, et même du comte de Toulouse, pour convertir les hérétiques du pays. Il est remarquable que le légat Pierre, dans la relation qu'il publia de cette mission, donne aussi à l'évêque de Poitiers le titre de légat apostolique : ce qui semble prouver qu'il représentait le roi d'Angleterre, comme l'autre représentait le roi de France. L'année d'après, l'évê- que de Poitiers est nommé parmi les évêques qui assistèrent au concile de Latran.
Ayant été nommé à l'archevêché de Narbonne, il se rendit à Rome, l'an 1182, pour obtenir du pape sa translation; mais, à la demande du clergé de Lyon, il fut investi de cette dernière prélature par le pape Lucius III. , C'est pour le congratuler sur cette éminente dignité qu'Étienne de Tournai lui écrivit la lettre soixante-quinze. Dans ce nouveau poste, il eut à combattre les erreurs des Vaudois ou des pauvres de Lyon, et l'anonyme qui a écrit leur histoire, rapporte que l'archevêque Jean, après avoir épuisé les voies de persuasion) fut obligé de les excommunier et de les chasser du pays.
Notre prélat gouverna l'Église de Lyon pendant dix ans et vingt-neuf semaines, c'est-à-dire jusqu'à l'année 1193.
Alors il donna sa démission pour les raisons qu'il fait connaître dans sa lettre à l'évêque de Glascow en Ecosse, de laquelle il sera parlé ci-dessous. Peut-être aussi trouvait-il les exactions du roi Philippe-Auguste trop insupportables: car Guillaume de Neubridge raconte qu'étant allé en Angleterre, l'an 1194, et entendant les plaintes qu'on faisait du fardeau des impôts que le roi Richard levait sur la nation : Votre prince, dit-il, est un bon homme et un vrai hermite en comparaison [du roi de France ; ajoutant que ce prince, sans toucher à ses trésors, avait fait la guerre au roi d'Angleterre au moyen des subsides qu'il imposait aux églises, et en particulier aux monastères. Nolite, inquit, sic loqui : dico
enim vobis, quia rex vester, in comparatione regis Francorum, heremita est. Et pauca de moribus ejusdem principis subnectens, adjecit eum, ætate proximè exactâ, ita proprii
Xllle SIÈCLE.
Hoved., p. 575, edit. 1601.
Mart. Ampl.
Collect., t. VII, col. 84.
Rob. de Monte, ad ann. 1182.
Mart. Anecd., t. V, col. 1777.
R. de Diceto, ad. ann. 1194 , col. 676.
Guill. Neub., lib. V, cap. 3.
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pepercisse thesauris ut omnes sumptus belli quod cum rege gerebat Anglorum, ab ecclesiis, maximèque monasteriis extorqueret.
A son retour d'Angleterre, il se retira à Clairvaux, où il finit ses jours, après l'an 1202, comme il paraît par trois lettres du pape Innocent 111, qui prouvent encore que notre prélat était tout occupé de questions théologiques dont il demandait la solution au souverain pontife. Mais sa vie publique fut terminée l'an 1194 (a).
SES ÉCRITS.
Ce prélat passait, de son temps, pour un homme éloquent et fort lettré. Il était, selon Robert du Mont, Vir jocundus et largus et apprimè litteratus. Jean de Salisburi, parlant d'un repas somptueux auquel il avait été invité chez un Lucullus de la Pouille, dit que, pour en faire la description, il aurait besoin de l'éloquence de Jean, archidiacre d'York, qui fut un des convives : Copiam rerum, ministerii disci-
plinam, sedulitatem obsequii, urbanitatem hospitis, pleniùs et meliùs referret vir singularis eloquii, et qui omnium quos viderim trium linguarum gratiâ præstat. Is quidem est
Johannes, thesaurarius Eboraci ; nam et ipse intevfuit. Cependant il ne reste des productions de ce prélat éloquent que quelques lettres, dont nous allons rendre compte.
Six lettres à saint Thomas, archevêque de Cantorbéri : 1 0 Avant de s'enfuir d'Angleterre, ce prélat avait chargé celui de Poitiers d'aller trouver le pape résidant à Sens, pour l'informer de la grande contestation qui s'était élevée entre lui et le roi d'Angleterre. L'évêque de Poitiers lui répond, dans la première lettre, qui dans l'imprimé est la seconde, qu'il est prêt à le servir ; mais qu'il serait plus prudent d'employer pour cela quelqu'un dont les démarches fussent moins ob-
(a) Les statuts du chapitre général de l'ordre de Cîteaux, de l'an ng6, prouvent la même chose. Il paraît même que notre archevêq ue trouva sur ces matières des contradicteurs jusque dans sa solitude. Un statut de l'an 1197 (apud Marten., t. IV Anecdot., col. 1290) porte au numéro 10: De Duranno monacho Clarævallis, qui errorem suum defendere nititur, et de domino quondam Lugdunensi durè nimis et irreverenter locutus est,prœcipitur ut ad voluntatem abbatis Clarœvallis ad aliam domum transeat, ncc de cœtero prædicet) nec scribat, nec tabulas nec libros nec membranas habeat.
XIIIe SIÈCLE.
Innocent. III, lib. V, ep. 62.
121 ; lib. VI, ep. 1 g 3, nov.
edit.
Rob. de Monte, ad. ann. 1162.
Joan. Saresb.
Policrat., 1. VIII, cap. 7, p. 555, edit. 1639.
Inter Epist. S.
Thomae , lib. l, ep. 2, p. 4.
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servées, et il indique Guichard, abbé de Pontigni, dont le crédit à la cour papale était considérable.
2° L'archevêque ayant exigé qu'il fît le voyage de Sens., il lui rend compte d'une conférence qu'il avait eue, chemin faisant, avec les officiers du roi d'Angleterre, qui lui avaient signifié des ordres non moins vexatoires que ceux dont l'archevêque se plaignait. Cette lettre donne quelques détails sur une affaire qui divisait alors les cours de France et d'Angleterre, au sujet des comtes d'Auvergne, que le monarque anglais voulait soustraire à la suprématie de celui de France.
3° Arrivé à Sens, il instruit l'archevêque de Cantorbéri de l'inutilité de ses agences relativement aux affaires dont il l'avait chargé, et du peu d'espérance qui lui restait d'obtenir de la cour de Rome quelque chose qui déplût au monarque anglais. Quant à lui, il s'attendait à des traitemens aussi durs que ceux dont l'archevêque éprouvait la rigueur en Angleterre.
4° Après l'arrivée de saint Thomas en France et le départ du pape pour l'Italie, il conseille à l'archevêque, par plusieurs raisons, d'accepter les bénéfices que le roi de France et même le comte de Champqgne voulaient bien lui conférer, parce que la reine Aliénor ne ferait rien pour lui, tant qu'elle serait gouvernée par Raoul de Faia.
5° Dans une autre lettre, il s'étend beaucoup sur des nouvelles qu'il avait recueillies à Tours, de la bouche de certains négociateurs que Je roi d'Angleterre avait envoyés à Rome, et qui en rapportaient des lettres de l'archevêque, capables d'indisposer encore davantage le roi contre lui.
6° S'étant porté pour médiateur entre l'archevêque et le roi après la conférence de Montmirail dont il a été parlé plus haut, il voulut engager l'archevêque à discuter de nouveau son affaire tête-à-tête avec le roi, qui consentait, à des conditions si peu admissibles, qu'il en reçut des reproches de la part de l'archevêque et de Jean de Salisburi.
7° Jean de Besly a publié des lettres de notre prélat, en date de l'an 1167, portant ratification d'un arbitrage sur la contestation qui s'était élevée entre lui et l'abbesse de SainteCroix de Poitiers, touchant le droit d'installer le prieur de Sainte-Radegonde.
8° Le nouveau Glossaire de Du Cange rapporte une ordonnance du même prélat, qui prescrit des prières pour demander à Dieu la restitution, du château de l'Angle, que
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., ep. 1 , p. i.
Ibid., ep. 25, p. 38.
Ibid., ep. 41, p. 65.
Ibid., ep. 164, p. 272.
Ibid., lib. I, ep. 15 1 ; lib. III, ep. 7; lib. V, ep. 9.
Besly, évêq. de Poitiers, p. III.
Cangii Gloss., t. V, col. 1304.
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Richard, duc d'Aquitaine et comte de Poitiers, avait enlevé à son Église. La pièce est curieuse.
90 L'amitié qui avait lié l'évêque de Poitiers à saint Thomas de Cantorbéri, le porta à ériger en son honneur, à Lyon, une chapelle desservie par des chanoines, dans un lieu appelé Fourvière. L'acte est rapporté dans le Gallia Christiana.
10° Il n'était plus archevêque de Lyon lorsque, pour satisfaire aux questions de l'évêque de Glascow, qui venait d'être sacré à Lyon, sur la manière dont il avait administré son diocèse, il lui écrivit une longue lettre dans laquelle il expose que, cette Église étant dans l'ordre civil une baronie, il était obligé de rendre la justice tant au civil qu'au criminel ; mais qu'il ne l'exerçait que par le ministère d'un sénéchal, pour ne prendre aucune part à des jugemeris de sang. Il ne trouve pas à redire à cette prérogative de son Église, parce que le pape jouissait des mêmes droits à Rome et à Bénévent, et les exerçait de même. Mais une chose qu'il ne se pardonne pas, c'est d'avoir été obligé de faire la guerre, même aux voleurs de grands chemins et aux sacrilèges; d'avoir détruit et brûlé des châteaux, et d'avoir fait périr des hommes, nonseulement du côté des ennemis, mais du côté des siens. Il ne dissimule pas que c'est là une des raisons qui l'ont déterminé à renoncer à l'épiscopat, pour ne plus penser qu'à faire pénitence. Cette lettre a été traduite en français par le père Menestrier, qui la rapporte aussi en latin parmi les preuves de l'Histoire de Lyon, p. 20.
11° On cite, d'après la Bibliothèque Cottonienne, une lettre de notre archevêque à Raoul de Diceto, archidiacre de Londres, touchant la primatie de l'Église de Lyon. Cette lettre existe dans un manuscrit de la Bibliothèque Royale, coté 6238, et les auteurs du Gallia Christiana la rapportent pour réfuter l'opinion du père Sirmond et de Baluze, qui voulaient placer un Jean, archevêque de Lyon, au commencement du douzième siècle; sur quoi l'on peut voir dans l'appendix du tome V des Annales de l'ordre de Saint-Benoît, p. 682, ce que D. Mabillon écrivit, l'an 1707, à l'archevêque de Lyon. Les auteurs du Gallia Christiana n'ont point observé que cette lettre, dans le manuscrit, est adressée à Raoul de Diceto, historien anglais, qui n'est mort qu'après l'an 1200. Cette observation eût suffi pour lever toute la difficulté, et prouver en même temps qu'elle ne peut avoir été écrite que par Jean de Belmeis. B.
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Christ., t. IV, inst, col.
23.
Mabill. Annal., in-fol., p. 478.
Hist. de Lyon, J. 33o.
Bibl. Cotton., p. 44, n. 3.
Gall. Christ., t. IV, col. 112.
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PIERRE DE POITIERS, CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE PARIS.
MORT EN 1205.
Nos prédécesseurs ont parlé d'un Pierre de Poitiers, moine de Cluni sous l'abbé Pons et sous Pierre-le-Vénérable, vers le milieu du douzième siècle. Ils ont indiqué les poésies, les lettres et les opuscules en prose dont il est l'auteur; et après avoir exprimé des doutes sur quelques autres articles, ils ont prononcé avec plus d'assurance qu'un Abrégé de l'histoire de la Bible, que dom Bernard Pez, d'après Zuingle le Jeune, attribuait à Pierre de Poitiers (moine de Cluni), ne lui appartenait pas. « Il est certain, comme on le fera voir en son « lieu, ajoutaient nos prédécesseurs, que cette production Il est d'un autre Pierre de Poitiers, chancelier de l'Église de « Paris, qui mourut vers la fin du douzième siècle. »
Avant de remplir l'engagement que ces paroles semblent nous imposer, nous devons distinguer le chancelier de NotreDame de Paris appelé Pierre et surnommé Poitevin, nonseulement du Pierre de Poitiers, un peu plus ancien, religieux à Cluni et secrétaire de Pierre-le-Vénérable , mais aussi d'un théologien du même nom, Petrus Pictavinus, qui était au commencement du treizième siècle religieux de SaintVictor de Paris. Celui-ci est auteur d'un Pénitentiel, dont un fragment a été imprimé à la suite de l'ouvrage de saint Théodore de Cantorbéri sur le même sujet. Ce fragment est d'un faible intérêt. On peut remarquer seulement que Beleth, Pierre-le-Chantre, Præpositivus et le troisième concile de Latran y sont cités, mais qu'il n'y est pas fait mention des décrétales de Grégoire IX : d'où il est permis de conclure que ce Pénitentiel a été composé entre les années 1180 et 1230. Il existait manuscrit à la bibliothèque de Saint-Victor, et le père Petau en a possédé une copie terminée par ces mots : « Explicit Pœnitentiale magistri Petri de Sancto Vic« tore, emendatum a Jacobo, ejusdem Sancti Victoris cano« nico. Il Nous n'aurons point d'autre notice à donner sur
XIIIe SIÈCLE.
Hist. Litt. de la France, t. XII, p.
349-357.
Theod. Pœn., t. I, p. 341.
V. Morin, de Pœnit., in app., p. 48.
Var. Disput.
Theol ad Op.
Mart. Grandin adjectæ, p. 406.
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ce chanoine .régulier, qui n'est connu que par cette production, et qu'on a souvent confondu avec Pierre de Poitiers le chancelier. Du Cange est un des premiers qui ait évité cette erreur.
On ne sait point en quelle année naquit, à Poitiers ou en Poitou, le théologien dont nous avons à parler ici. Albéric de Trois-Fontaines dit qu'il succéda, en 1169, à Pierre Comestor dans la chaire de théologie, et qu'il enseigna trente-huit ans cette science. Cependant Albéric fixe à l'année 1205 la mort de Pierre de Poitiers : il faut donc que ce docteur ait commencé à donner des leçons au moins en 1167, même en supposant qu'il ait continué jusqu'à sa mort de remplir cette fonction laborieuse. Il nous paraît fort vraisemblable qu'avant de succéder à Pierre Comestor, il avait occupé déjà quelque autre chaire. Ses cinq livres de Sentences, qu'on peut considérer comme un résumé de ses leçons, étaient rédigés avant 1175, car ils sont dédiés à Guillaume, archevêque de Sens; et Guillaume, en 1175, avait quitté le siège de Sens pour celui de Reims. Pierre de Poitiers était devenu si fameux en 1180, que son nom figurait avec ceux de Gilbert de la Porée, d'Abélard et de Pierre Lombard, dans l'ouvrage de Gautier, prieur de Saint-Victor, où ils sont appelés les quatre labyrinthes de la France. L'époque où Gautier écrivait cette censure véhémente est à peu près déterminée par la mention qu'il y fait du troisième concile de Latran, comme d'une assemblée tenue depuis peu, nuper : chacun sait que ce concile est de l'an 1179. En ce temps les théologiens semblaient partagés en trois écoles : la première s'en tenait à l'enseignement et au langage de l'Écriture-Sainte et des Pères de l'Église; la seconde appliquait à la théologie la dialectique d'Aristote, accumulait les syllogismes, et en déduisait des conséquences suspectes au moins par leur nouveauté ; la troisième gardait une sorte de milieu, s'efforçant d'être sage ou philosophe avec sobriété, admettant les argumentations et les formes péripatéticiennes, mais pourvu que les conclusions se rapprochassent des dogmes reçus dans l'Église universelle. Pierre de Poitiers est rangé dans la seconde de ces classes, et il est particulièrement censuré avec Pierre Lombard, son maître, au troisième ou avant - dernier livre de l'ouvrage de Gautier de Saint-Victor. Nous avons le moyen d'apprécier ces critiques : car les cinq livres de Pierre de Poitiers de Theologicis Sententiis ont été publiés par dom Mathoud,
XIIIe SIÈCLE.
Ind. autor., col.
138.
Chron., ann.
II69, part. II, p.
353), 354.
Ibid., p. 44>.
Ad calc. oper.
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d'après un manuscrit transmis à dom Dachery par Nicolas Camusat; et si l'on y trouve beaucoup trop de subtilités scholastiques, de vaines distinctions, d'argumens frivoles, on n'y rencontre du moins aucune hérésie proprement dite, c'est-à-dire aucune proposition à condamner comme expressément contraire à quelque dogme. Seulement Pierre de Poitiers, en sa qualité de dialecticien, se laisse entraîner jusqu'à dire que les propositions sont, ainsi que les choses, susceptibles d'une infinité de conversions, qu'une même assertion est à la fois vraie et fausse ; qu'à force de distinctions et' de différences, on parvient à tout prouver et à tout contester : Sicut enim rerum, ita propositionum infinita conversio est. Unum idemque verum est et falsum, etc. Ces idées ne sont pas d'un esprit très-juste; mais les disputes usitées dans les écoles les ont souvent suggérées, et d'ailleurs l'équité veut qu'on ajoute que Pierre de Poitiers aurait désavoué les conséquences pernicieuses qu'on en pouvait déduire. Nous n'examinerons pas s'il avait tort de dire que la chair du Verbe est formée du sang, de sanguinibus formata.
Cette expression peut sembler inexacte, sans mériter un rigoureux anathème. Quoi qu'il en soit, nous avouerons bien volontiers que les cinq livres de Pierre de Poitiers ne présentent aucune instruction solide, et ne sauraient plus servir aujourd'hui qu'à l'usage que nous en faisons ici en les considérant comme un monument du déplorable enseignement scholastique de cette époque. Ils portent en certains manuscrits le titre de Distinctiones; et c'est probablement encore le même ouvrage qui est intitulé Petris Pictaviensis Summa quœstionum, dans un manuscrit indiqué par le père Hugo, comme conservé à l'abbaye de Floreffes, au diocèse de Namur. Dom Mathoud croit aussi que ces cinq livres ne diffèrent point d'un Commentaire sur le Maître des Sentences, qui existait manuscrit à Saint-Victor.
L'autorité de la Bible est moins souvent invoquée dans le cours de théologie de Pierre de Poitiers que dans les quatre livres de Pierre Lombard ; ce qu'on pourrait trouver d'autant plus étonnant, que le docteur poitevin a laissé plusieurs autres écrits destinés à expliquer les livres sacrés, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, les Psaumes, des parties du Nouveau-Testament. Le père Lelong n'hésite point à lui attribuer les commentaires intitulés : Allegoriæ super Velus et Novum
Testamentum. — Allegoriœ ordinariœ in Exodum, Leviticum
XIIIe SIÈCLE.
Roberti Pulli. Paris, Piget, 1615, in-fol.
Annal. Præm., t I, p. IOI.
Bibl sacra, part. II, p. 901.
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et Numéros. — Distinctiones in Psalmos; ouvrages dont les manuscrits subsistaient dans les bibliothèques de SaintVictor, de la Sorbonne et de MM. Bigot. Celui que ces derniers ont possédé, est indiqué sous le n° 425 dans le catalogue de la Bibliothèque du Roi ; il est d'une écriture du douzième siècle, et ne contient que les Distinctions sur les Psaumes.
Mais ces titres mêmes de Distinctions et d'Allégories annoncent assez dans quel esprit ces commentaires sont rédigés, et qu'on n'y doit chercher aucune interprétation positive du sens littéral des textes. L'auteur, manquant des connaissances grammaticales et philologiques nécessaires pour expliquer les livres saints, s'égare en pleine liberté dans le champ des allégories et des arguties scholastiques. On conserve d'autres manuscrits de ces mêmes gloses dans les bibliothèques d'Angleterre, où l'on en trouve aussi sous les titres particuliers de Magistri Petri Pictaviensis Tractatus super Tabernaculum Moysis. — Glossæ super Novum Testamentum. — Glossæ in Divi Pauli et Jacobi Epistolas. Dans celui de ces manuscrits d'Angleterre qui renferme les Allegoriæ super Vetus et Novum Testamentum, in Exodum, etc., après les mots Petri Pictaviensis, on lit, id est, Petri Berchorii. Cette attribution est probablement une erreur du copiste, ou peut-être des rédacteurs du catalogue. Toutefois Berchorius ou Berthorius a travaillé aussi sur la Bible : c'est un bénédictin du quatorzième siècle, qui portait le prénom de Pierre, qui était né aussi à Poitiers, et qui mourut en 1352.
On voit que le travail de Pierre de Poitiers sur la Bible embrassait l'un et l'autre Testament, et l'on peut rattacher à ces traités, placer même à leur tête, celui que nos prédécesseurs ont désigné d'avance sous le nom d'Histoire abrégée de la Bible. Les manuscrits l'appellent tantôt Genealogia et Chronologia sanctorum patrum ab Adamo ad Christum ; tantôt Compendium historiœ Veteris et Novi Testamenti. C'est un opuscule d'une très-mince valeur, qui n'occupe que treize pages dans le volume où Ulric Zuingle le Jeune en a publié une longue continuation. Après avoir débuté par les mots, Considerans historiœ sacræ prolixitatem, Pierre de Poitiers s'applique à resserrer dans le moindre espace possible les annales sacrées, et ne laisse pas néanmoins de. faire entrer dans cet aride sommaire beaucoup d'inexactitudes chronologiques.
Dom Pez l'a réimprimé, d'après un manuscrit de Metsen, au diocèse de Passau en Bavière; et comme Zuingle le Jeune,
XIIIe SIÈCLE.
Part. III, p. 34.
— Mss Bigot, part. V, p. 2.
Mss. Angl., part. III, n. 203, 2107 ; part. IV, no8128.
Ibid., part. IV, n° 8004.
Montfaucon , Bibl. bibl., t. I, p. 626 ; t. II, p. 1260. - Mss.
angl., part. IV, n° 6437. — Pez, Anecd., t. 1, præf., no 69, p. XLIX.
Basileae, 15g2 in-fol.
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il l'a cru de Pierre de Poitiers, moine de Cluni au temps de Pierre-leVénérable. L'ouvrage ne vaut guère la peine que l'on prendrait pour en discerner le véritable auteur. Il paraît que les manuscrits portent seulement Pétri Pictaviensis, sans ajouter cancellarii. Quoique nos prédécesseurs aient prononcé avec tant d'assurance que cet opuscule appartenait au chancelier de Notre-Dame, nous ne trouvons à l'appui de cette opinion que les deux considérations suivantes : d'une part, que l'abrégé dont il s'agit n'a pour le fonds et pour les formes aucun rapport avec les vers et les autres productions authentiques du moine de Cluni; de l'autre, qu'il se place plus convenablement comme introduction ou comme appendice avec les traités bibliques du théologien qui nous occupe en ce moment.
Mais ce serait au cluniste que nous attribuerions plus volontiers un autre écrit cité par François Duchesne, avec le nom de Pierre de Poitiers, et dans lequel le cardinal Guitmond est défendu contre saint Bernard. Nous voyons en effet Pierre de Cluni ou le Vénérable se déclarer aussi le partisan de Guitmond.
Les catalogues de manuscrits fourniraient le moyen d'étendre, plus que nous ne l'avons fait, la liste des ouvrages du chancelier de l'Église de Paris, Pierre de Poitiers. Montfaucon cite sous le nom de ce docteur un Manuale de mys- teriis Ecclesiæ, quod vocatur à quibusdam Speculum Ecclesiæ (manuscrits des abbayes de Lyre et de Clermont) ; Sander, un traité de Fide et ejus partibus, et des instructions sur l'office divin, Instructiones ergà divinum officium (manuscrit de l'abbaye des Dunes) ; le père Échard, des sermons conservés sous le n° 824 à l'abbaye de Saint-Victor. Mais ces sermons pourraient bien être du chanoine victorin, troisième personnage désigné aussi, comme nous l'avons vu, par le nom de Pierre de Poitiers, et nous oserions presque en dire autant des livres sur l'office divin et sur les mystères de l'Église, qui ne sont pas sans quelque relation avec le sujet traité par ce victorin dans son Pénitentiel. Il est bon d'observer d'ailleurs qu'on possédait à Saint-Victor un manuscrit intitulé Summa de mysteriis Incarnationis Christi, qu'il semblait être du quatorzième siècle, et que le nom de Pierre de Poitiers n'y avait été ajouté que par une main moins ancienne.
Le chroniqueur Albéric fait honneur à Pierre de Poitiers d'une invention qui pouvait, en ce temps, faciliter l'instruction élémentaire ? et que l'abbé Lebeuf explique en ces
XIIIE SIÈCLE.
Vies des cardinaux, t. I, p.
38.
Bibl. bibl., t. II, p 126o 1264, 1374.
Mss. Bel g., part.
I, p. 379.
Script ord.
Praedic., t. I, p.
348, col. 2.
Ann. 1205, p.
442.
État des se.,
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termes : « Comme les livres coûtaient beaucoup à écrire, et « que la gravure n'était pas usitée comme à présent, il y avait « sur les murs des classes des peaux étendues, sur les unes « desquelles étaient représentées, en forme d'arbres, les « histoires et généalogies de l'Ancien Testament; et sur « d'autres, le catalogue des vertus et des vices : Pierre de II Poitiers, chancelier de Notre-Dame de Paris, est loué dans « un nécrologe, pour avoir inventé ces espèces d'estampes à « l'usage des pauvres étudians, et en avoir fourni les classes. »
On peut conclure de là que Pierre de Poitiers s'était particulièrement occupé des histoires et généalogies sacrées, et joindre cette observation à celles qui tendent à le déclarer l'auteur de la Genealogia et Chronologia sanctorum patrum.
Comme on avait attaché à la dignité de chancelier d'une cathédrale le droit de surveiller les écoles du diocèse, le théologien dont nous parlons est indifféremment appelé Ecclesiæ ou Academiœ Parisiensis cancellarius, soit dans les manuscrits de ses livres, soit par les écrivains qui ont fait mention de lui. Il a souscrit plusieurs actes en cette qualité : par exemple, une charte de l'archevêque de Paris Maurice, en 1184. Célestin 111, après 1191, le chargea, conjointement avec le doyen dé l'Église de Paris, de pacifier un différend entre les moines de Saint-Éloi et l'abbaye de Saint-Victor ; son sceau, sigillum Petri Pictavini, cancellarii Parisiensis, est appendu à l'acte qui concerne ce démêlé. En 1196, il a délivré une copie authentique de la permission accordée par Philippe-Auguste à l'Église de Paris, de bâtir une maison près du Petit-Pont. Depuis, Innocent III lui adressa une épître au sujet d'une contestation entre la comtesse de Blois et le chapitre de Chartres. Ce sont là les seules affaires contentieuses de son temps où il figure ; elles ont trop peu d'importance en elles-mêmes, et sont trop étrangères à l'histoire des lettres, pour qu'il nous convienne de nous y arrêter.
Les frères Sainte-Marthe, dans leur Gallia Christiana Vetus, ont supposé, et Casimir Oudin a répété après eux, que Pierre de Poitiers avait occupé, dans sa vieillesse, après l'an 1200, le siège archiépiscopal d'Embrun, et qu'il y était mort en 1205. Cette erreur, qui a été rectifiée dans la Gallia Christiana Nova, provenait de l'inattention avec laquelle on avait lu quelques lignes de la Chronique d'Albéric. La mort de Pierre de Poitiers y est placée, comme nous venons de le
XIIIe SIÈCLE.
au t. Il des Dissert. sur l'hist. de Paris, p. 133.
V. CI. Hemere, III,deSchol.Paris — Du Boul., t. II, p. 200, 402, 403, 553 , 566 , 585 , 591, 667, 767.
Gall. Christ.
Vet., t. I, p. 277, 471.
Comment, de script, eccl., t. II, p. 1499, 1503.
T. III, p. 1075.
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rappeler, à l'année 1205 ; et, sous l'année 1205,, il est dit que Bertram, qui était devenu chancelier de l'Église de Paris après Pictavinus, fut nommé archevêque d'Em brun, et remplacé, comme chancelier, par Præpositivus. « Bertramnus, « qui erat cancellarius Parisiensis post Pictavinum, factus « est archiepiscopus Ebredunensis, et magistér Præpositivus « factus est cancellarius Parisiensis. » Par une distraction singulière., on a lu apparemment Pictavinus factus est archiepiscopus Ebredunensis, et l'on a donné à Pictavinus l'archevêché conféré en effet à Bertram, selon Albéric. Il est étonnant que Dominique Mansi ait laissé subsister cette méprise dans l'édition de la Bibliothèque latine du moyen âge de Fabricius, qu'il a publiée en 1754, vingt-neuf ans après l'impression du tome III de la Nova Gallia Christiana, où ce point est parfaitement éclairci.
Pierre de Poitiers n'a été réellement qu'un théologien scholastique qui serait aujourd'hui presque inconnu, si Gautier de Saint-Victor ne l'eût associé à trois personnages beaucoup plus célèbres, Gilbert de la Porée, Abélard et Pierre Lombard. D.
HUGUES CAMP-D'AVENNE, COMTE DE SAINT-PAUL;
ET JEAN DE NOYON.
IL est rare que des preux chevaliers, comme le célèbre Geofroi de Ville-Hardouin, passant leur vie dans les camps, les armes toujours à la main; il est rare, disons-nous, qu'ils aient eu assez de loisir, de talens littéraires et de capacité, pour composer un ouvrage d'une certaine étendue.
Tout ce qui nous reste des écrits de Hugues IV, comte de Saint-Paul, ce sont deux lettres ou relations de la conquête de la ville de Constantinople par les Français, expédition dont il fut un des premiers chefs. Ces lettres, très intéressantes et parfaitement écrites, furent apparemment l'ouvrage d'un autre dont nous parlerons ci-après.
L'an 1182, dans la guerre survenue entre le roi et le
XIIIe SIÈCLE.
Fabric. Bibl.
med. et infim.
lat., t. V, p. 271, 272.
Bouq., Cont., t.
XVIII, p. 535.
Rég. de Phil.
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comte Philippe de Flandre, Hugues portait les armes contre le roi. Dans la suite, s'étant attaché au service du roi, il en reçut, l'an 1194, pour récompense, les terres de Pont-SainteMaxence, Verneuil et Pontpoin (propter fidele servitium, et propter contentionem de belloquadro).
Vers le même temps, étant à Compiègne, à la cour du roi, il prit querelle avec Renaud de Dommartin, comte de Boulogne, auquel, en présence du roi, il appliqua au visage un rude soufflet jusqu'au sang. A l'instant le comte de Boulogne tira son coutelas pour en frapper son adversaire; mais le roi et les barons, s'étant mis entre deux, les séparèrent, non sans peine.
Il paraît que, sans égard aux bienfaits dont le roi l'avait comblé, il prêta, l'an 1198, comme le comte de Flandre Baudouin VI, l'oreille aux suggestions du roi d'Angleterre, qui réussit à indisposer contre le roi presque toute la noblesse française, soit ouvertement, soit par la crainte du roi, d'autres sans trop se déclarer. De là vient qu'après la mort du roi Richard, la plupart des barons, craignant d'éprouver le ressentiment du roi Philippe, prirent le parti, l'an 1201, de s'enrôler à la croisade, et de ce nombre furent les comtes de Flandre et de Saint-Paul, comme des plus marquans, sans songer à la conquête de Constantinople, qui par bonheur leur réussit au-delà de leur attente.
L'an 1202, s'étant embarqué à Venise avec le gros des autres pèlerins, après la prise de Zara dans la Dalmatie, il se joignit à eux pour la conquête de Constantinople, dans le. dessein de rétablir sur le trône le prince Alexis-l'Ange, détrôné par l'usurpateur, son oncle; et l'année suivante, les croisés s'étant rendus maîtres de la ville, au profit du jeune Alexis, le comte de Saint-Paul paya de sa personne, comme on peut le voir dans sa lettre.
Mais les Grecs s'étant tournés contre eux, et ne tenant compte des conditions qu'ils avaient contractées avec eux, l'an 1204 les pélerins recommencèrent la conquête à leur profit, et s'étant de nouveau rendus maîtres de la ville, ils trouvèrent à propos de nommer un empereur latin dans la personne de Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut ; et à son sacre et couronnement, le comte de Saint-Paul eut l'honneur de porter devant lui le glaive impérial.
Lorsqu'on voulut procéder au partage du butin, il fut enjoint à tous les combattans de le porter en commun;
XIIIe SIÈCLE.
Bouq., ibid., p. 600.
Ibid., p. 57,79.
Ibid., p. 434, 601, 800.
Ibid., p. 526.
Ibid., p. 769.
Ibid., p. 463.
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mais un chevalier du comte de Saint-Paul en ayant détourné une portion, comme tant d'autres, Hugues le fit pendre sans miséricorde, avec l'écusson de ses armes attaché au cou pour plus grande ignominie.
Dans le partage des terres, il eut pour son lot le château de Didimot ou Didimotique, dans la Thrace; et l'an 1205, il mourut à Constantinople, à la suite de plusieurs accès de goutte. On lui fit des obsèques magnifiques, mais son corps fut transporté en France, et inhumé à l'abbaye de Cercamp.
SES LETTRES.
Une première lettre fut écrite au nom de tous les pèle- rins de la croisade, pour annoncer dans l'Occident la conquête de la ville de Constantinople, au profit du prince Alexis-l'Ange, qu'ils avaient rétabli sur le trône : ils n'en parlent que sommairement, tout occupés de rendre grâces au Ciel pour la réussite de l'entreprise assez téméraire d'une poignée d'hommes contre des forces incomparables.
Il n'est pas douteux que d'autres relations plus circonstanciées d'un événement si mémorable n'aient été envoyées en France ou ailleurs; mais il n'en reste d'autre que celle de Hugues, comte de Saint-Paul, qui s'est propagée dans toute la chrétienté. Il adresse sa lettre à Henri, son ami, le duc de Louvain et de Brabant, sans laquelle nous ignorerions peut-être les principales circonstances de ce siège, dont il fut témoin, comme étant un des quatre principaux barons qui conduisaient l'expédition par leur prudence et leur courage, sacrifiant sans regret les ressources de leurs domaines.
Nous pouvons nous dispenser d'analyser cette lettre du comte de Saint-Paul, imprimée dans plusieurs endroits; on en a comparé toutes les éditions dans le tome XVIII du Recueil des historiens de France. Mais il existe une autre lettre non encore imprimée du comte Hugues à un nommé R. de Balues, son ami, auquel, avant de lui raconter la prise de Constantinople, il parle de ses affaires domesti- ques, dont il lui avait confié le soin avant son départ pour la croisade. « Je vous ai, dit-il, de grandes obligations « du soin que avez pris de ma terre. Je vous apprends « que depuis mon départ, je n'ai rien reçu de qui que ce « soit, et je n'ai pu vivre que de ce que j'ai dû me procurer; « si bien qu'au jour de la veille de la reddition de Constanti« nople, nous étions tous réduits à un si extrême dénuement,
J XIIIe SIÈCLE.
Ibici., p. 472.
lbid , p. 5 f b.
Ibid., p. 517.
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« que je fus obligé de vendre mon manteau (supertunicale) « pour avoir du pain, mais j'ai conservé mes chevaux et « mes armes. Depuis la conquête, je jouis d'une bonne santé, « je suis devenu opulent, je suis honoré de tout le monde.
« Cependant je ne suis pas sans inquiétude sur les produits « de ma terre, parce que, si Dieu permet que je retourne « chez moi, je serai très-obéré, et il faudra bien que j'ac« quitte mes dettes avec les ressources de ma terre. »
Il rappelle encore à son ami que celui-ci lui avait voulu dissuader de partir pour la croisade, parce qu'il était im- prudent de s'associer avec des jeunes gens sans expérience.
Mais lui, qui apparemment était d'un âge plus rassis, prétendit qu'il les empêcherait d'entreprendre des aventures téméraires, et qu'il aurait soin de ménager leurs forces pour le service de Dieu. « Ce que je vous ai promis, je l'ai (1 fait, comme vous le verrez par la relation que je vous en« voie. » Quod aulem scrmone promisi, sicut in sequeniibus audietis, opere consummavi. Suit la relation de l'expédition, comme dans la lettre précédente,, avec quelques différences dans un parchemin détaché à la Bibliothèque Royale.
JEAN DE NOYON.
CES deux lettres sont bien écrites; mais, comme nous l'avons insinué au commencement de cet article, elles pourraient être l'ouvrage d'un autre écrivain, qui, attaché à l'expédition d'outremer , prêtait volontiers, ou par devoir de son office auprès du comte de Flandre, comme son chancelier, sa plume, « soit pour les besoins particuliers des pèlerins, soit pour des agences, importantes dont nous parlerons ci-après.
Geofroi de Ville-Hardouin atteste qu'il fut aussi chancelier de l'empereur Baudouin : Mult bon clier, dit-il, mult sage, et mult avoit conforté l'ost par la parole de Dieu, qu'il savoit mult bien dire; et sachiez qu'en apprenant sa mort, mult en furent li prodome de l'ost déconforté. Il était de Noyon en Picardie, nommé Jean, et quoiqu'il soit peu connu dans la littérature, au point que Jacques Levasseur n'a pas même prononcé son nom dans sa vaste Histoire de Noyon, nous tâcherons, nous, de lui faire une réputation, sinon brillante, au moins assez recommandable.
L'an 1203, après que la ville de Zara dans la Dalmatie fut
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 467.
Ibid., p. 445.
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prise par les croisés au profit des Vénitiens, le pape ayant lancé contre eux l'excommunication, les Français députèrent à Rome pour fléchir le pape, et pour exposer les bonnes raisons de leur conduite,, lui faire pleine et entière satisfaction. Du nombre de ces députés furent maître Jean de Noyon et Neveron, évêque de Soissons, qui obtinrent pour les Français, auprès du pape, leur réconciliation, mais non pour les Vénitiens. (Voir le registre d'Innocent III, lib. VI, epist. 232.) Après la conquête de Constantinople par les Français, le prince Alexis-l'Ange, rétabli sur le trône, écrivit au pape une lettre d'adhésion au Saint-Siège, à la persuasion, dit-il, de trois évêques de l'expédition, et de maître Jean de Noyon, nommé le dernier dans la lettre, d'où on peut conclure qu'il en fut le rédacteur. (Voir les Lettres d'Innocent, ibid., epist. 210 et 232, adressées à Neveron, évêque de Soissons, et à maître Jean de Noyon.) L'an 1204, Jean de Noyon, ayant accompagné l'empereur dans son voyage de Thessalie, il y contracta une maladie, comme beaucoup d'autres, et il y mourut. Nous avons déjà dit que Ville-Hardouin lui consacra un petit éloge.
B.
GERVAIS, PRIEUR DE SAINT-SENERIC,
ET
GERVAIS, MOINE DE CANTORBÉRI.
ROBERT DE THORIGNI, n'étant encore que moine du Bec, c'est-à-dire avant l'an 1154, où il fut fait abbé du MontSaint-Michel, écrivit à Gervais, prieur de Saint-Seneric, diocèse du Mans, une lettre pour l'engager à composer l'Histoire des comtes d'Anjou et du Maine sur le plan qu'il lui traçait. « Mon intention est, dit-il, que vous fassiez un « abrégé sommaire des comtes d'Anjou, dans lequel vous « consignerez leurs noms, leur filiation, l'ordre de leur suc« cession, la durée de leur gouvernement, et leurs gestes les « plus dignes de mémoire, à commencer par le comte In-
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 467.
Guiberti Op., p.
715.
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« gelger jusqu'à Geofroi-le-Bel. En traitant l'article d'Ingelger, cc vous aurez soin de marquer sous quel roi des Français il « vivait, et lorsque vous serez arrivé à Foulques-le-Roux, cc père de Geofroi, attendu qu'il avait épousé la fille d'Hélie, « comte du Maine, et son héritière, vous tracerez tout de « même la suite des comtes du Maine. »
Cette lettre suppose que Gervais jouissait dès-lors d'une certaine célébrité, puisque, parmi les motifs que Robert lui propose pour le déterminer à entreprendre ce travail, il lui dit que cela contribuera beaucoup à augmenter sa renommée : Hoc enim ad augmentum famœ tuœ projiciet. Cependant sa personne ne nous est pas mieux connue, et son écrit est resté longtemps enseveli dans l'oubli. Ce n'est que depuis quelques années que les continuateurs du nouveau Recueil des historiens de France croient l'avoir déterré dans un manuscrit de l'abbaye Saint-Victor de Paris, qu'ils ont imprimé en partie au tome XII, p. 532-539 de leur collection.
En effet, en comparant cet ouvrage avec le plan qu'en avait tracé Robert de Thorigni, on voit que l'un est l'exécution de l'autre. La différence qu'il y a, c'est que, selon le plan de Robert, l'ouvrage devait se terminer à la mort de Geofroi-le-Bel, surnommé Plantagenet, arrivée l'an 1151, et que le manuscrit imprimé s'étend jusqu'à la mort de Henri-au-Court-Mantel, fils de Henri II, roi d'Angleterre, décédé l'an 1183 (a). Mais on peut supposer que Gervais aura assez vécu depuis pour continuer cet ouvrage jusqu'à cette époque. Nous verrons même bientôt qu'il n'est pas hors de vraisemblance que cet écrivain ait vécu jusqu'à l'année 1199. Au reste, son écrit, dans le manuscrit de SaintVictor, a pour titre : de Origine comitum Andegavensium, et une main plus récente l'attribue à Thomas Pactius, prieur de Loches, auteur plus ancien que notre Gervais, puisqu'il est cité par Jean de Marmoutier, qui écrivait, vers l'an II55, les gestes des comtes d'Anjou.
Nous ne connaissons pas d'autre écrit de Gervais, à moins qu'il ne soit le même que Gervais, moine de Doroberne ou Cantorbéri, célèbre parmi les historiens d'Angleterre, dont il
Ca) D. Rivet (Hist. Litt., t. VII, p. 606), mal instruit sur cet ouvrage, Tannonce comme finissant à l'année 1069. Il cite pour son garant Jean Picard, chanoine régulier de Saint-Victor à Paris, qui se trompe, à moins qu'il n'ait voulu désigner un autre ouvrage ou un autre manuscrit que celui dont nous parlons.
XIIIe SIÈCLE.
V. préf., p. 44.
Spicil., in-fol., t. III, p. 253.
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existe plusieurs ouvrages dans l'excellent Recueil de Twisden, imprimé à Londres en 1652. Ce qui nous porterait à croire que ces deux Gervais ne sont qu'une seule et même personne, c'est que Robert de Thorigni faisait espérer au prieur de Saint-Seneric que son premier ouvrage pourrait lui concilier la faveur du jeune duc de Normandie, Henri, qui succédait à son père, Geofroi Plantagenet : Et quod his omnibus majus est, dit-il, novi ducis favorem non modicum forsitan adquiret. On voit en effet peu après, l'an 1158, un Gervais attaché en qualité de clerc à Thomas Becket, chancelier du même Henri, roi d'Angleterre, souscrire en cette qualité à la charte que ce prince, étant au Mont-Saint-Michel, délivra à l'abbé Robert. Les circonstances du lieu et des personnes, tout nous porte à croire que ce clerc de chancellerie n'était autre que le prieur de Saint-Seneric, et on ne sera plus surpris de le voir établi en Angleterre, où, comme il le dit lui-même, il fut reçu moine à Cantorbéri, par saint Thomas, l'année même que ce prélat fut fait archevêque, c'est-à-dire l'an 1162 ou 1163, des mains duquel il déclare aussi avoir reçu les saints ordres : Mih'i namque monacha.
turn concessit eo anno quo ipse fuit in archiepiscopum sacratus, et ei professionem feci, et ipse me ad sacros ordines promovit.
Ajoutons une nouvelle preuve à ce raisonnement. Dans sa même lettre, Robert de Thorigni exhortait le prieur de SaintSeneric à lui fournir des mémoires sur tout ce qui s'était passé en Normandie depuis la mort de Henri I, « afin que je puisse, dit-il, continuer l'Histoire des ducs de Normandie, à laquelle j'ai déjà ajouté un livre entier, concernant le règne de ce prince (a) ». Or, le moine Gervais de Cantorbéri s'est encore conformé en cela au désir de son maître : il ne commence sa Chronique des rois d'Angleterre qu'à la mort de Henri I, et s'excuse en quelque sorte d'avoir rapporté en abrégé quelques événemens du règne de ce prince, avant
(a) Quoniam de singulis ducibus Normannorum à Rollone usque Henricum nobilissimum regem Anglorum et ducem Normannorum, singuli libri apud nos retinent, dignum judicavi res gestas illius, summatim describendo, historiis antecedentium ducum superadjicere, ne magnitudo illius silentio premeretur. Cui operi, propter continuationem temporum, illud quod à te postulo continuari volo, quatenus ea quae in temporibus nostris in nostra provincia gesta sunt, ad notitiam futurorum per scripturam transmittamus.
XIIIe SIÈCLE.
Rob. Mont., ad ann. 1158. — Gall.
Christ., t. XI, pr., col. 114.
In Chron., col.
1418.
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que d'entrer en matière. Chronicam parvulam vusillus el?O
conscripturus, et secundum propositi mei tenor em à regno regis Stephani incepturus, necessarium esse video aliqua summatim perstringere de rege Henrico I et ejus progenie , de qua in subsequentibus bona et mala, prospera et adversa plurima dicenda sunt.
D'après ce rapprochement, et par toutes ces raisons, nous ne doutons pas que le prieur de Saint-Seneric, et le moine de Cantorbéri ne soient un seul et même écrivain, que nous pouvons revendiquer, comme tant d'autres dont, à cette époque, l'Angleterre fut redevable à la France. Après avoir rendu compte de son écrit sur les comtes d'Anjou, il nous reste donc à parler de ses compositions sur l'histoire d'Angleterre.
SES ÉCRITS.
Ses ouvrages imprimés dans la Collection des historiens d'Angleterre, par Twysden, sont : 1° Une relation de l'incendie qui consuma, l'an 1174, l'église de Cantorbéri, bâtie par l'archevêque Lanfranc, et de la manière dont elle fut réparée par les soins d'un architecte français, nommé Guillaume, natif de Sens. Cet opuscule remplit onze colonnes d'impression, et donne des renseignemens sur quelques procédés des arts dans le douzième siècle.
2° Vient ensuite une espèce de plaidoyer, contenant les instructions dont devaient faire usage à Rome les députés du chapitre de Cantorbéri chargés de défendre les droits et privilèges de la communauté contre les entreprises et les vexations de l'archevêque Baudouin. Cet écrit a pour titre, Imaginatio Gervasii quasi contra B. archiepiscopum. L'auteur expose d'abord les raisons de la partie adverse, qu'il réfute ensuite dans son plaidoyer, lequel remplit vingt colonnes d'impression, et contient plusieurs lettres ou décisions de la cour de Rome concernant cette contestation.
3° On trouve à la suite un écrit du même genre pour réfuter les prétentions de l'abbé de Saint-Augustin de Cantorbéri, qui, à la faveur d'un privilège qu'il venait d'obtenir de la cour de Rome, voulait secouer la dépendance dans laquelle était ce monastère de celui de la Trinité, depuis sa fondation. Ces trois opuscules sont propres à jeter un très grand jour sur les antiquités britanniques, à cause des recherches que l'auteur a été obligé de faire ; ils servent d'in-
XIIIe SIÈCLE.
Ib., col. 1338.
Ib., col. 12901303.
Ib., col. 1304- 1324.
Ibid., col, 1326- 1334.
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troduction ou de préliminaires à son grand ouvrage sur l'histoire civile et ecclésiastique dont nous allons parler.
4° Gervais semble avoir entrepris cette Chronique, moins pour donner l'histoire des rois d'Angleterre que pour tracer l'histoire particulière du monastère dont il était membre, afin de la lier aux événemens politiques de son temps. Il est exact dans cette partie, mais non sans partialité dans tout ce qui a rapport aux contestations qui s'élevèrent entre les religieux et les archevêques de Cantorbéri. Autant il dit de bien du saint archevêque Thomas, pour les raisons indiquées plus haut, autant il traite avec peu de ménagement ses successeurs Baudouin et Hubert, et en général tous ceux qui se montrèrent peu favorables à la cause des moines, sans excepter ni les papes ni les rois. Il a fait entrer dans cette histoire les plaidoyers dont nous avons déjà parlé, morcelés et distribués dans l'ordre chronologique depuis l'année 1100 jusqu'à la mort du roi Richard en 1199, où se termine cet ouvrage. L'auteur, en finissant cette première partie, annonçait qu'il allait s'occuper de la seconde en reprenant au règne du roi Jean. Mais cette partie n'existe pas, ou du moins n'a pas encore été publiée.
1 5° Gervais est encore auteur d'une Histoire des archevêques de Cantorbéri, contenant la suite chronologique de ces prélats depuis la mission de saint Augustin par le pape saint Grégoire-le-Grand, jusqu'à l'archevêque Hubert, décédé le 13 juillet 1205. D'où il faut conclure que Gervais n'est mort qu'après cette année, si cette date n'est pas une addition faite à son ouvrage.
6° Les bibliographes anglais attribuent à Gervais d'autres ouvrages qui sont restés manuscrits. Ils citent en particulier une Histoire des rois bretons depuis leur origine, puis des rois saxons et normands jusqu'au roi Jean-sans-Terre. Gervais semble indiquer cet ouvrage, lorsqu'il dit en commençant l'Histoire des archevêques de Cantorbéri : Quia
nomina regum Britanniæ vel Angliæ, cum pauculis ipsorum factis brevissimè) licet admodiim laboriosè, quo certior Jierem,
incerta quœrendo transcurri, etc. Nous croyons cependant que le résultat de ses recherches est consigné dans les écrits mentionnés plus haut, ayant pour objet la défense des droits et privilèges de l'Église de Cantorbéri.
7° Les mêmes bibliographes le font encore auteur d'une Description topographique de l'ancienne Grande-Bretagne,
XIII° SIÈCLE.
Ib., col. 16301684.
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des sièges épiscopaux qui y furent établis, et des monastères dont la fondation remonte au temps des rois bretons. Il en est même qui font de cet écrit trois ouvrages différens. Ne le connaissant pas, nous n'en pouvons rien dire.
II. Nous pourrions peut-être aussi revendiquer comme né en France un autre historien d'Angleterre, contemporain de Gervais de Cantorbéri. C'est Raoul de Diceto, archidiacre et puis doyen de Saint-Paul de Londres, lequel est auteur de plusieurs ouvrages historiques. Pour justifier notre prétention, nous pourrions alléguer que Jean Leland dit qu'il ne savait pas certainement si Raoul de Diceto était Anglais; ce qui semble prouver qu'il n'y a point en Angleterre de lieu dont le nom ait rapport au mot latin Dicetum. Mais en France on trouve plusieurs lieux auxquels ce nom peut convenir, tels que Dicé ou Dissai, en Anjou, au Maine, dans la Touraine et dans le Poitou, provinces qui étaient alors sous la domination des rois d'Angleterre. Cependant nous ne dissimulerons pas que parmi les letttres du pape Innocent 111, la quarante-sixième du livre VII est adressée magistro Thomœ DE DISCE, Eboracensis diœcesis, et que c'est vraisemblablement de ce lieu que Raoul avait tiré son surnom. C'en est assez pour nous faire abandonner notre faible conjecture, quoique nous eussions eu du plaisir à revendiquer, comme Français, un écrivain si distingué.
B.
GUY DE PARÉ, ABBÉ DU VAL, PUIS DE CITEAUX, ENSUITE CARDINAL ÉVÊQUE DE PALESTRINE, ENFIN ARCHEVÊQUE DE REIMS.
MORT EN 1206.
S'IL est vrai que Guy Paré, dès sa plus tendre enfance, ait été recueilli à Cîteaux, et y ait reçu sa première éducation, on peut présumer qu'il était né en Bourgogne ou en quelque province voisine, peut-être à Paray-le-Monial, petite ville du
XIIIe SIÈCLE.
Marlot, Metr.
Rem., I. III, c. 19, p. 459.
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Charollais, appelée en latin Parœdium. Ayant embrassé la profession monastique, il devint abbé du Val au diocèse de Paris : il était revêtu de cette dignité en 1189 et 1190; mais il n'y avait pas très-longtemps, car son prédécesseur vivait encore en 1186. Guy, en 1193, fut fait abbé de Cîteaux, après la mort de l'abbé Pierre, et l'année suivante, il refusa trois mille marcs d'argent, que l'empereur Henri VI envoyait à cette abbaye. Cet argent provenait de la rançon du roi d'Angleterre Richard, qui sut gré à Guy Paré de n'en avoir point voulu. Un autre fait remarquable dans la vie du même abbé, c'est de s'être joint à celui de Clairvaux, pour réprimander Philippe-Auguste, qui avait ordonné d'arrêter les ambassadeurs de Canut, roi de Danemarck. En 1199, Guy et deux autres abbés furent chargés par le pape Innocent III de lui rendre compte des troubles qu'excitaient dans le diocèse de Metz certaines personnes laïques de l'un et de l'autre sexe, qui, pour mieux entendre la Bible, en avaient fait traduire plusieurs livres en langue vulgaire, et tenaient des assemblées suspectes où se lisaient ces traductions.
L'évêque avait dénoncé leurs conventicules au Saint-Père, qui voulait en mieux connaître l'objet et les circonstances.
Nous n'avons point les réponses que n'ont pu manquer de lui adresser Guy Paré et ses collègues ; mais, à partir de l'année 1200, il n'est plus question de cette affaire.
Appelé en Espagne par Alphonse III, roi de Castille, Guy Paré vint à bout de rétablir la subordination et la paix entre des monastères de filles. Ce voyage est de l'année 1199. Dans le cours de la suivante, Guy se rendit à Rome, pour remercier le pape de ce que Sa Sainteté avait bien voulu exempter les cisterciens de contribuer aux frais de la guerre sainte. C'est sans doute de cette exemption que veut parler Moreau de Mautour, dans un mémoire académique où il dit qu'Innocent III avait soumis à des impositions tous les biens de l'ordre de Cîteaux; que Guy Paré, le quinzième abbé de ce monastère (il fallait dire le seizième), déclara ces taxes contraires aux immunités de l'ordre, et ne permit pas qu'elles fussent acquittées; que le pape, après beaucoup de menaces et de poursuites, se rendit enfin aux remontrances et aux prières de l'abbé. L'académicien aurait pu citer la Chronique de Raoul de Coggeshale, où il est fait mention de ces menaces, de ces poursuites et de ces remontrances. Mais ce mémoire offre d'autres inexactitudes : par exemple, il est
XIIIe SIÈCLE.
Papillon, Bibl.
de Bourgogne, t.
I, p. 278, 279.
Gall. Christ. N., t. VII, p. 896, 877.
Gall. Christ. N., t. IV, p. 989, 990.
Manriq., Ann.
Cist., ann. 1194, c. i, a. 4.
Ib., ann. 1195, n. 2, 3.
Epist. Inn. III, t. l, p. 432 et seqq., 494.
Manriq., ad ann. 1199, c. 4, n. t-:i.
Alber. Chron., ann. 1200, p.
419.
Acad. des Insc.
et B -Lettr., Hist., t. IX, p. 216, 217.
Gall. Christ. N., t. IV, p. 989, 990.
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difficile que Guy ait eu une si grande part à la construction de l'église de Cîteaux, puisque, dès 1193, fort peu de temps après son élection, il la fit consacrer par Robert, évêque de Châlon-sur-Saône. Quoi qu'il en soit, et pour en revenir aux taxes relatives à la croisade, il est toujours certain qu'Innocent III en exempta les cisterciens. Le pape fit mieux encore : il créa Guy cardinal évêque de Palestrine, légat en France et en Allemagne. Mais avant de considérer Guy dans l'exercice de ces nouvelles fonctions, il est encore à propos d'écarter une fausse hypothèse de Manrique, adoptée par Henriquez et par quelques autres. Cette erreur consiste à supposer qu'il y a eu à la fin du douzième siècle deux abbés de Cîteaux appelés Guy, et que l'un d'eux a rédigé les statuts des chevaliers de Calatrava. Le véritable auteur de ces statuts ne s'appelait pas Guy, mais Guillaume, ainsi qu'on l'a exposé dans cette Histoire Littéraire, à l'article de Guillaume II, abbé de Cîteaux. Le nom de Guillaume aura été quelquefois indiqué par la seule initiale W, et des copistes auront écrit Wido au lieu de Wilhelmus.
Guy Paré, après avoir, en qualité de légat, confirmé l'élection de Hugues à l'évêché de Liège, reçut une mission bien plus importante. Il s'agissait de faire prévaloir le duc de Saxe, Otton, sur Philippe, duc de Souabe. Ces deux princes venaient d'être élus concurremment empereurs, après la mort de Henri VI. Le pape, de sa pleine puissance, rejette Philippe, élit Otton, et charge ses légats, les évêques de Palestrine et d'Ostie, de frapper d'excommunication quiconque n'obéira point à cette sentence apostolique. Des lettres d'Innocent III et d'Otton nous apprennent que Guy Paré montra dans cette affaire beaucoup plus de zèle et d'habileté que son collègue. 11 convoqua des assemblées, et somma les princes de s'y rendre : ayant découvert qu'on songeait à nommer un troisième empereur, il sentit la nécessité de brusquer les résolutions à prendre en faveur d'Otton ; et, sur la promesse donnée par celui-ci de rester toujours fidèle et obéissant au saint-siége, il parvint à lui former un parti considérable-Guy rend compte lui-même de toutes ces manœuvres, dans une lettre qu'il adresse à Innocent III, et qui se rencontre parmi celles du pontife. On voit que, pour un homme élevé dans un cloître, et qui ne savait pas la langue du pays où il traitait de si grands intérêts, il portait fort loin la hardiesse et la dextérité. Aussi le saint-père
XIIIe SIÈCLE.
Ughelli Italia sacra.
Ann. Cisterc., ann. 1187, c. 3, n. 1 ; 1190, c. 3, n. 1,2; 1 ig3, c.
1. n, 1,2, etc.
Privil. ord, Cisterc., p. 484-486.
T. XV, p. 5557.
Chapeauville, Gest. Pont. L., t. II, p. 196, 197.
De Neg. imp.
Epist. Innoc. 3o, 32,48, 55,56, 84, 104, 106.
Ep. 51.
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conçut-il une si haute idée de son savoir-faire, qu'il le nomma archevêque de Reims en 1204, cassant toute élection d'un autre prélat pour ce siège, et déclarant que le plus digne est le frère Guy, homme prudent et honorable, puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant les hommes. Le pape ne met d'autre condition à ce choix que le consentement de Guy lui-même, car il ne veut pas lui faire violence. Guy accepta, prit possession de l'archevêché de Reims en 1205, et, peu de jours après, fit brûler quelques habitants de Braines, qu'il avait, du. premier coup-d'œil reconnus pour hérétiques ou infidèles, et du nombre desquels se trouvait un peintre, nommé Nicolas, dont le talent était renommé dans toute la France. Marlot, qui met Guy en possession de cette Église dès le mois de mai 1203, et Moreau de Mautour, qui en fait autant, sont dans l'erreur : car il existe, sous la date du 10 février 1205, une bulle pontificale où Guy n'est encore qualifié que d'electus Remensis.
Par des lettres du 15 mai de cette même année 1205, le pape confirme tous les droits du métropolitain de Reims, désigne tous les fiefs, toutes les seigneuries qui lui appartiennent, y compris la seigneurie de la ville même où siège l'archevêque, et ajoute que désormais il ne sera permis qu'à ce métropolitain de sacrer les rois de France. Ceux qui pensent que le pape a pu disposer d'une telle fonction, l'attribuer ou la déléguer à qui lui plaisait, Considèrent cette bulle comme l'acte qui établit le droit dont les archevêques de Reims s'énorgueillissaient le plus. Une charte de Guy Paré accorde aux Rémois un terrain pour y bâtir des maisons ; des terres à cultiver, moyennant une redevance de quatorze deniers par perche; et la faculté d'avoir un maire, pourvu qu'il soit au gré de l'archevêque, ou même nommé par lui.
La fonction de légat apostolique ayant obligé Guy de se transporter en Belgique, pour y apaiser des troubles, il mourut à Gand, de la peste ou de la dissenterie, le 3o juillet 1206; non en 1220, comme de Vich le suppose sans aucun fondement, ni en 1204, ainsi qu'on l'a conclu mal à propos de ces mots de la Chronique de Lambert le Petit : « Hoc « anno (1204) Guido, archiepiscopus Remensis ejicitur. »
Nous soupçonnons qu'ejicitur n'est ici qu'une altération d'eligitur; cette année 1204 étant, comme nous l'avons dit, celle de l'élection de Guy à l'archevêché de Reims. Une des inscriptions qui environnent sa tombe porte expressé-
XIIIe SIÈCLE.
Alber. Chron., ad ann. 1204, P.437.
— Gall. Christ.
N., t. X, pr., p.
54-56.—Anselme, Hist. généal. de la M. de Fr., t. II, p. 4.
Metrop. Rem., 1. 3, c. 19.
Gall. Christ., N.
t. IV, pr., p. 197, 198.
Gall. Christ. N., t. IX, p. 102, 103.
Marlot, Metr.
Rem., p. 464.
Alber. Chron., ad ann. 1206, p.
442.
Bibl. Cisterc., p.
132, 2.
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ment : Obiit Gandavi, anno 1206. Mais qu'il soit mort abbé de Saint-Baron, Sanderus ne le dit que par inadvertance. Il est vrai seulement que l'archevêque de Reims mourut dans cette abbaye.
On disait, et Marlot a recueilli cette tradition, que le diable, avec qui notre prélat avait fait un pacte, s'était engagé à ne le laisser mourir que dans un lieu appelé Mufla.
Sur le point d'expirer à Gand, Guy remontrait au diable que ce n'était point là leur convention. Mais l'esprit malin répondit que Ganda et Mufla signifiaient la même chose; et en effet il y a une espèce de gants qui, en Flandre, s'appelle encore mouffles.
Les écrits de Guy Paré, ceux du moins qui sont connus, se réduisent à son épître à Innocent III, à deux ou trois chartes, et à des statuts ecclésiastiques pour l'Église de Liège.
Dans l'instruction qui précède ces réglemens, il déclare que les devoirs de légat l'obligent à réformer les abus et à rétablir le bon ordre. Il ordonne donc aux chanoines résidans de passer les nuits dans le dortoir, de ne point découcher sans la permission du doyen, sous peine d'être privés des rétributions, et même exclus du réfectoire. Il veut que les archidiacres s'engagent par serment à résider pendant la moitié de l'année au moins; qu'on ne puisse pas être à-la-fois écolâtre et grand-chantre; qu'aucun acolythe n'ait voix en chapitre ; que les clercs laissent croître leurs cheveux et n'aient point de servantes : le tout sous peine d'excommunication. Il exige encore que toutes les traductions de la Bible en langue romane ou en allemand soient déposées entre les mains de l'évêque, qui ne les rendra qu'à ceux qu'il croira capables d'en faire un bon usage.
On cite de plus une Somme de théologie qu'il avait rédigée, et qui se conservait manuscrite dans la bibliothèque de Saint-Victor à Paris ; les bibliographes n'ajoutent à ce petit nombre de productions, que ces statuts des chevaliers de Calatrava, dont nous avons vu que le véritable auteur était l'abbé Guillaume. Guy Paré ayant si peu de titres littéraires, nous avons cru ne devoir donner qu'un trèscourt précis de sa vie. Elle occupe beaucoup plus de place dans les Histoires ecclésiastiques ou monastiques. On y lira, par exemple, que de lui sont venues les pieuses coutumes de sonner une clochette dans les églises à l'élévation de l'hostie, et dans les rues lorsque l'Eucharistie est portée aux malades.
XIIIe SIÈCLE.
Martenne, 2.
Voy. littér., p. I, p. 211,212.
Gall. Christ. N., t. V, p. 181.
Meir. Rem., p.
464.
V Martenne, Ampliss. Coll., t.
l, p. 987. - Mar- lot, p. 463.
Gest. Pontif.
Leod., t. II, p. 98, 199-201.
Oudin, de Script, eccles., t.
II, p. 1687.
De Visch ; Oudin, etc. Miraeus, de Script, eccles., c. 283. — Fabricius, Bibl. med.
aev. inf. lat., t. III, p. 131.
V. les Histoires des cardinaux, et Manrique, Ciaconius, Baronius ; Fleury, Hist. eccl., t, I, I. 73, n. 36 ; 1. 76, n. 14.
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HUGUES DES NOYERS, ÉVÊQUE D'AUXERRE.
MORT EN 1206.
HUGUES DES NOYERS, de Noeriis, eut pour père Milon, seigneur des Noyers, pour mère Odeline, dame de la Hesse, fille de Clérambault, seigneur de Chappe, au diocèse de Troyes. L'éducation de Hugues développa chez lui le goût de l'étude; et comme la plupart des hommes lettrés de ce temps, il embrassa l'état ecclésiastique. Il était trésorier de l'Église d'Auxerre, lorsqu'il en devint évêque en 1183 : son élection eut lieu vers la fin de janvier, et son sacre le 13 mars.
D'une taille médiocre, mais d'une figure agréable, il se fit distinguer surtout par la souplesse de son esprit, par la maturité de ses conseils, par le talent de faire prévaloir ses opinions dans les délibérations et dans les entretiens. On le trouvait fort éloquent : il parlait des arts libéraux, des arts mécaniques, ou même de toutes choses, avec une facilité qui semblait supposer des connaissances très-diverses. Il aimait à s'environner d'un grand nombre de gentilshommes avec lesquels il raisonnait de l'art de la guerre : on dit que, pour se préparer à ce genre de conversations, il faisait une étude particulière de l'ouvrage de Végèce. Selon Vincent de Beauvais, il était fort versé dans l'une et l'autre jurisprudence.
Michel, archevêque de Sens, étant mort en 1192, Hugues des Noyers fut élu pour lui succéder ; mais comme il avait eu pour Philippe-Auguste, après le divorce de ce prince, des égards que la cour de Rome n'approuvait pas, Innocent III refusa de confirmer l'élection : sur quoi l'auteur, anonyme et contemporain, de la vie de Hugues, se récrie amèrement contre la tyrannie du pape, qui, selon ses caprices, désignait, transférait, excluait les évêques, et, au mépris des lois établies et de l'équité naturelle, prétendait disposer de tous les sièges. Quoique écarté de celui de Sens, Hugues conserva un crédit et un ascendant dont il ne fit pas toujours un très-bon usage. Immodéré dans ses dépenses, il traitait durement ses sujets, et les tourmentait par des exactions;
XIIIe SIÈCLE.
Gest. Pontif. Altissiod. ab anon.
scriptor., in Bibl.
Labbei, t. I, p.
470-479 — Gall.
Christ. N., t. XII, p. 297-300. —
Lebeuf, Hist.
d'Auxerre, t I, p.
315-328 ; t. 11, p.
490.
Du Boulay, H.
Univ. Paris., t. II, p. 454.
Specul. hist.
Chron. Altiss., ann. 1183-1206.
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souvent il sembla préférer le faste militaire à la gravité et à la simplicité des mœurs épiscopales. Son caractère altier lui attira beaucoup d'ennemis, et même des persécutions, desquelles il savait tirer parti à force d'adresse et de fermeté.
En 1201, il assista au concile que tint à Paris Octavien, légat de la cour de Rome : entre les prélats et les docteurs qui composèrent cette assemblée, nul ne fut plus remarqué que l'évêque d'Auxerre. Il argumenta si vivement contre un chevalier appelé Euvrade, qu'il le fit condamner comme imbu de l'hérésie des Bulgares. Le malheureux Euvrade, malgré la protection du comte de Nevers, fut livré aux flammes; et quoique ces déplorables scènes se reproduisent à chaque instant dans l'histoire du treizième siècle, quoiqu'elles nous soient froidement racontées, comme des événemens tout simples, par les chroniqueurs de cet âge, la sécheresse même de leurs récits réveille les sentimens d'indignation et d'horreur qui sont dus à ces homicides. Hugues est loué, dans ces chroniques, pour avoir poursuivi avec un zèle implacable les hérétiques nommés Bulgares, pour avoir employé à les exterminer tout son crédit et tout son zèle. Le comte Pierre ayant chassé les Juifs de la ville d'Auxerre, l'évêque transforma leur synagogue en une église. Il augmenta considérablement les revenus, d'abord de son évêché, puis des canonicats, et en général des établissemens ecclésiastiques.
Plusieurs édifices, et surtout les châteaux de l'évêque, furent ou construits ou embellis durant son épiscopat; mais on assure qu'en se livrant à ces soins, il était dirigé par sa dévotion particulière à la Sainte-Vierge, à laquelle l'Église d'Auxerre était consacrée.
En 1203, Hugues des Noyers eut avec le comte Pierre de violens démêlés, qu'accommodèrent, en 1204, les archevêques de Sens et de Bourges, en condamnant le comte excommunié, qui voulait rentrer en grâce, aux satisfactions les plus humiliantes. Les chroniqueurs n'expliquent point la nature des inquiétudes que conçut peu après l'évêque d'Auxerre, et qui l'obligèrent à partir précipitamment pour Rome; mais ils disent qu'il fut accueilli avec bienveillance, qu'il y reçut des hommages, et que néanmoins il y fut bientôt attaqué d'une maladie grave, à laquelle il succomba. Les cardinaux et le pape assistèrent à ses obsèques, et l'enterrèrent dans l'église de Saint-Jean de Latran, le 6 décembre 1206.
Il nous reste à dire comment les détails qui précèdent, et
XIIIe SIÈCLE.
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que nous avons beaucoup abrégés, peuvent appartenir à l'Histoire Littéraire de la France : car Hugues des Noyers n'a laissé aucun ouvrage; et c'est tout-à-fait sans fondement que l'abbé Lebeuf lui attribue un traité de Clarorum Militum gestis mirabilibus, qui serait bien plutôt de Hugues de Mâcon, chanoine d'Amiens, au quatorzième siècle. Mais l'évêque d'Auxerre se plaisait quelquefois à rimer des cantiques latins du genre de ceux qu'on appelle proses, et qui ne sont réellement assujétis à aucun système de versification proprement dite. On pourrait donc le croire auteur de quelques antiennes rimées, de quelques proses ou séquences qui se lisent dans les anciens graduels de l'Église d'Auxerre, par exemple, de celle qui concerne saint Étienne, et qui commence par ces mots, Sacri gleba corporis, et de celle qui se chantait à la fête de saint Thomas de Cantorbéri, Plaude, Cantuaria, plausu renovato. Il est dit qu'il se hâtait beaucoup trop de composer et de mettre en lumière ces opuscules, et qu'il ne prenait jamais la peine de les retoucher : Properato valdè studio cantica componebat et cantus. Aussi les éloges qu'il obtenait de quelques auditeurs complaisans, n'ont-ils pas été répétés après sa mort ; durant sa vie même, ils n'avaient guère étendu sa réputation poétique au-delà des limites de son diocèse. D.
GILLES DE CORBEIL, MÉDECIN ET POËTE
LA ressemblance des noms est ordinairement pour les biographes une cause féconde d'erreurs. Mais il n'est peut-être point de nom qui ait donné lieu à plus de méprises que celui du savant Gilles de Corbeil, dont nous allons nous occuper.
Bernier le confond avec Gilles d'Athènes (Ægidius Atheniensis), moine bénédictin du septième ou huitième siècle ; plus loin, il l'appelle Gilles Calixte, et en fait un moine du Mont-Cassin.
Trithème est tombé dans la même erreur; et d'après les autorités qu'il cite, on voit que ce n'est pas lui seul qu'il faut en rendre responsable. D'un autre côté, on a attribué à
XIIIe SIÈCLE.
H. d'Auxerre, t.
Il/, p. 490.
V. Gesner. Bibl.; Montfauc., Bibl.
bibl., t. II, col.
1368.
Essais de médecine, in-4°. Paris, 1689, c. 4, p. 126 et 170.
De Scriptor.
eccl., cap. 241, et Ill. Benedict., t.
II, p. 2.
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notre Gilles des ouvrages qui sont de Gilles de Rome, archevêque de Bourges, tandis que les ouvrages qu'il a véritablement composés ont été attribués tantôt à saint Gilles, qui fut abbé dans le Languedoc, au sixième siècle, tantôt à Gilles de Rome et même à Gilles de Paris.
Wood l'appelle Jean Gilles, et le fait naître en Angleterre, d'où, selon lui, il passa en France pour compléter ses études.
Montfaucon en fait un bénédictin de l'abbaye de Corbie. La même erreur est répétée dans le catalogue des manuscrits de la bibliothèque de Cambridge ; elle se trouve même en tête de quelques éditions de ceux des ouvrages de notre auteur qui ont été imprimés.
Après en avoir parlé sous son véritable nom d'Ægidius Corbulensis, Fabricius lui consacre un autre article, sous le nom de Joannes Ægidilts) médecin de Philippe-Auguste, ensuite religieux de Saint-Dominique; ailleurs, après avoir mentionné presque toutes les éditions des poëmes de notre auteur, il le confond avec le célèbre Saint-Gilles. Sander, qui en avait d'abord fait mention sous le nom d'Ægidius, lui donne ensuite celui de Gillon.
De toutes ces méprises, qui ont rendu si confuses et si inexactes les notions qui nous ont été transmises, non-seulement sur Gilles de Corbeil, mais sur presque tous les auteurs du nom de Gilles, la moins pardonnable est celle qui l'a fait confondre avec Gilles de Paris. En effet, c'est précisément dans son poëme du Carolinus que ce dernier poëte mentionne notre auteur avec éloge, et comme un célèbre médecin du même nom que lui.
Polycarpe Leyser n'est pas tombé dans cette méprise; mais il en commet une autre en citant comme contemporains trois écrivains de Paris du nom de Gilles : l'un médecin (et c'est Gilles de Corbeil), un autre qui corrigea et étendit le poëme de l'Aurore, par Pierre de Riga, et enfin l'auteur du Carolinus. Il n'est pas douteux qu'il ne faille voir qu'un seul poëte dans ces deux derniers. Mais Leyser avait été trompé par un passage du Carolinus qui, dans la collection de Duchesne, est mal ponctué, et qui pouvait faire croire en effet que Gilles de Paris avait mentionné deux autres auteurs de son nom. M. Brial, dans la nouvelle édition qu'il vient de donner du Carolinus (tome XVII des Historiens de France), a rétabli la véritable ponctuation de ce passage; et l'on ne peut plus douter que le poëte n'ait voulu y célébrer
XIIIe SIÈCLE.
L'auteur cite en marge Bibl. Ges- neri ; Vender-Lenden, de Scriptis medicis, et Renatum Morœum. 1.
de v. in Pleuritid.
Wion, 1. II, c.
62, p. 567. v.
aussi Théophile Rayn., t. II, p.
268, col. 2.
Hist. Univers.
Oxon., 1. 1, p. 85, n° 13.
Bibliot. bibl., p. 596, C.
Echard, Scr.
ordin. Prædic., t.
I, col. 101 et 102.
Catal.Mss. Bibl.
Cantabr., p. III, n° 1872, 2, et 1874,6.
Ægid. Borbul., de Pulsibus, et de Urinis, etc. Bâle, 1529, in-8°. Bibl.
lat. med. et infim.
latin.,Hamb., 1734 p. 52 et 53, 872.
Biblioth. Mss.
Belg., pars I, p.
130.
Hist. Poetar. et Poem. medii ævi, p. 500.
Duchesne, t. V, p. 323.
Recueil des historiens des Gaules
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qu'un seul auteur de son nom. Nous aurons bientôt occasion de citer ses vers.
Après avoir écarté les erreurs, tâchons de découvrir la vérité en ce qui concerne la vie et les ouvrages de Gilles de Corbeil. Nous commencerons par avouer que nous n'avons pu recueillir que bien peu de renseignemens sur sa vie.
Il était sans doute né dans la petite ville de Corbeil dont il portait le nom, et qui est située à huit lieues de Paris.
Comme on a écrit quelque fois Ægidius Corbijensis au lieu de Corbuliensis ou Corboilensis, quelques biographes ont cru qu'il était de Corbie ; mais la plupart des manuscrits de ses ouvrages lui donnent le surnom de Corbuliensis.
Il se livra de bonne heure à l'étude des lettres, et il alla ensuite professer la médecine à Montpellier. Il y eut un grand nombre d'élèves, auxquels il enseignait aussi les arts libéraux, comme nous l'apprend Duboulay.
Il revint ensuite à Paris, où sa réputation l'avait devancé, et où il s'adonna à l'étude de la théologie. Son mérite le fit nommer chanoine dans la cathédrale, et il fut reçu docteur tant en théologie qu'en médecine.
Il exerça de plus les fonctions de médecin de PhilippeAuguste : nous ne savons ni à quelle époque ni combien de temps mais ce fut sûrement plusieurs années avant Jean de Saint-Alban, qui, en 1215, occupait cette place.
L'époque de sa mort est également inconnue. Tout ce qu'on sait avec certitude, c'est qu'il florissait vers la fin du douzième siècle. Gilles de Paris, dont nous avons déjà cité le Carolinus, le met dans ce poëme, composé en 1198, au nombre des savans dont se glorifiait la ville de Paris. Quoiqu'il n'y fût pas né, il y avait été nourri et élevé; et c'est peut-être en ce sens qu'il faut entendre le premier des vers suivans du Carolinus : »
Cùm sit et hic alius forsan (alitus seu nutritus) nostrae non in-decor urbi, Oris adornati, solo mihi junctus in usu Nominis, in reliquis major, meliorque gerendus, Nominis ille mei celeberrimus arte medendi.
Il est étonnant qu'un homme qui devait jouir d'une assez grande considération, et qui la méritait, comme on va le voir par nos observations sur ses ouvrages, n'ait pas été plus souvent mentionné dans les écrits de ses contemporains.
Mais c'est dans le seul poëme de Gilles de Paris que nous
XIIIe SIÈCLE.
et de la France, t.
XVII, p. 298.
Cæsar Egast.
Bulæus, Hist
Univers. Paris.
Paris, 1665, infol., t. II, p. 526, 574, 475, 718.
Duc. Gloss., au mot Archiater.
Recueil des hist.
des Gaul. et de la France, loco citato.
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trouvons quelques traces de son existence et des preuves de sa célébrité.
SES ÉCRITS.
Nous n'avons de Gilles de Corbeil que des ouvrages de médecine, et ils sont tous en vers. Il paraît qu'à l'exemple de l'École de Salerne, qui, dans le onzième siècle, avait publié en vers son petit traité d'hygiène, les médecins des douzième et treizième siècles se faisaient un devoir de donner cette forme poétique à leurs préceptes sur l'art de guérir. Leur intention était sans doute de les graver plus facilement dans la mémoire de leurs élèves.
On a de Gilles de Corbeil : 1° Un traité très-remarquable de Pulsibus, en vers hexamètres.
2° Un traité de Urinis, également en hexamètres, et qui commence par ces vers :
Dicitur urina, quia fit in renibus una, Aut quia quod tangit, mordet, dessecat et urit, etc.
Ces deux traités se trouvent dans plusieurs manuscrits de la Bibliothèque du Roi à Paris, et notamment dans les manuscrits nos 6882 A, 6988 et 8093. On les voit cités aussi, presque toujours ensemble, et avec des commentaires soit anonymes, soit de divers auteurs, dans les catalogues de manuscrits des grandes bibliothèques. Ils ont été plusieurs fois imprimés : la première édition parut à Bâle en 1494, in-4°, avec des commentaires de Gentilis de Fulgineo ; on en donna une seconde, dans la même ville, in-8°, en 1526; une autre à Lyon, en 1505, avec des corrections par Avenantius de Camerino, et enfin une dernière à Bâle, en 1529, encore in-8°.
3° Un autre poëme en quatre livres, qui contient six mille vers, intitulé : de Virtutibus et Laudibus compositorum medicaminum. C'est le même que l'on trouve quelquefois dans les manuscrits, sous le titre, de Antidotis ou de Compositione medicamentorum. Polycarpe Leyser l'a inséré tout entier dans son Histoire des poëtes et des poëmes du moyen âge. Gilles de Corbeil y détaille tous les salutaires effets que produisaient ou devaient produire les onguents, baumes, antidotes, enfin tous les remèdes connus de son temps; et cela en vers qui ne manquent ni de gravité ni d'harmonie,
XIIIe SIÈCLE.
Catal. des mss.
de la Bibl du Roi, aux numéros cités dans le texte.
Bibl. biblioth., p. 506 A; 596 C ; 598 C et D; 667 B ; 684 E; 1204 A; 1370 C ; etc.
Polycarpi Leyseri Hist. poet, etc., p. 502.
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et rappellent souvent la manière de Claudien. On en jugera par le début du poëme :
Q*uæ secreta diù noctis latuere sub umbrâ, Clausa, verecundi signo celata pudoris, Gesta sub involucris mentis, clarescere quærunt.
Eruta de tenebris cupiunt sub luce videri.
Tecta patent. Obscura nitent. Scintillaque mentis Fulgurat, accenditque novum fax ignea vatem.
Au reste, Gilles de Corbeil avoue lui-même que, pour tout ce qui concerne la composition des remèdes, etc., il doit beaucoup au docte Pierre Musandinus; il paraît même que dans ses autres ouvrages, comme dans celui-ci, il ne suivait point d'autre doctrine que la sienne. Or, ce Musandin ou Molandin paraît avoir été un célèbre médecin de Paris dans le douzième siècle : car, suivant Gentilis de Fulgineo, alium non habuit parem nec habiturus est sequentem. Dans son poëme de Pulsibus, Gilles de Corbeil avait dit à sa gloire :
Verba Musandino maneant condita sapore.
f
Notre auteur, dans le poëme de Medicamentis, s'étend beaucoup sur la manière dont la médecine était pratiquée de son temps, du moins dans l'Ecole de Salerne, et se plaint surtout de la trop grande jeunesse de la plupart des médecins qui y étaient reçus. Il est à croire que cette critique tombait indirectement sur l'Ecole de Paris, quoique ce ne soit pas l'opinion de Gabriel Naudé (a). Voici au reste le passage du
(a) L'ouvrage de Gabriel Naudé, intitulé de Antiquitate et Dignitate Scholœ medicæ Parisiensis, est un panégyrique qu'il prononça devant la compagnie des médecins. Il y fait bien l'histoire abrégée de l'École de médecine de Paris, mais en cherchant à prouver que, dans tous les temps, elle n'a mérité que des éloges, Aussi, après avoir dit que les vers de Gillesde Corbeil n'étaient dirigés que contre l'Ecole de Salerne, il s'écrie : Quid aliud ex hoc doctoris vestri (Gilles de Corbeil) velut alterius Jovis in Salernitano illiso fulmine conjicere possumus ? nisi scholam vestram æqui rectiqueperpetuò consciam, nec minus decoris quàm sui nominis, quàm suce famæ, quàm salutis publicæ studiosam, severas leges quas nunc etiam retinet, semper obtinuisse, etc. (Gabrielis Naudæi de Antiq. et Dignit. Scholæ med., p. 22.) Lebeuf (Dissert. sur l'hist. ecclés. de Paris, t. II, p. 200) pense au contraire que Gilles de Corbeil se plaignait de ce que la plupart de ses confrères se livraient trop jeunes à l'exercice de la médecine.
XIIIe SIÈCLE.
Duc. Gloss., verbo Musandinus.
4
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poëme de Gilles de Corbeil contre l'École de Salerne, ou, si l'on veut, contre l'École française :
O nimis a ritu veterum, si dicere fas est, A recto quoque judicio censura Salini (f. Salerni) Devia, cùm tolerat, animo cùm sustinet æquo Nondum maturas medicorum surgere plantas, Impubes pueros hipocratica tradere jura, Atque machaonias sancire et fundere leges, Doctrinâ quibus esset opus ferulæque flagello,
Et pendere magis vetuli doctoris ab ore.
Quàm sibi non dignas cathedræ præsumere laudes !
Le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque du Roi indiquait encore, dans le manuscrit n° 6988, un ouvrage de notre auteur sous ce titre : Ægidii cancellarii Parisiensis Expéri- menta. Nous avons bien trouvé dans ce manuscrit les deux poëmes de Pulsibus et de Urinis, mais non les Experi- menta. N'aurait-on point donné ce dernier titre à l'un ou l'autre de ces poëmes? Mais ce n'est pas sans étonnement que, dans le n° 6988, nous avons découvert un traité en vers latins sur les Cures en médecine, divisé, comme celui des Médicamens, en petites sections ou chapitres, qui ont aussi leurs titres particuliers, tels que : de Lethargiâ, de Tremole, de Guttâ oculi, etc. A la fin de cet ouvrage on lit : Explicit liber de Sancto Ægidio. Ce Saint-Gilles serait-il notre Gilles de Corbeil? C'est ce qu'il est difficile de croire, puisque jusqu'à présent on ne lui a point attribué un poëme des Cures. Faut-il admettre, avec Duboulay, qu'au temps même où florissait Gilles de Corbeil, il y avait à Paris un Jean Gilles, ou de Sancto Ægidio, qui, comme notre auteur, était un grand philosophe et un célèbre professeur de médecine? C'est ce qui ne paraît pas plus vraisemblable: car il faudrait aussi admettre que, de même que l'autre Gilles, il était poëte; et alors, n'est-ce point encore par une méprise que l'on fait deux personnages d'un seul? Jusqu'à ce que nous obtenions, dans la suite de notre travail, de plus amples éclaircissemens sur le véritable auteur de ce poëme des Cures, nous sommes portés à croire qu'il n'est ni de notre Gilles de Corbeil ni du prétendu Saint-Gilles, mais de quelque médecin du temps, qui, à l'exemple de notre Gilles, aura écrit en vers. Les copistes auront dans la suite donné un nom d'auteur connu à un ouvrage qui probablement avait d'abord paru anonyme. A. D.
XIIIe SIÈCLE.
De Virtutibus, etc. medicaminum lib. III, in Electuario de succo rosarum, vers.
564 et sq.
T. II, p. 574 et 575.
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THOMAS RODOLIUS (ou RODÉLIUS), MOINE D'IGNI.
TOUT ce qu'on sait de ce Thomas, c'est qu'il fut moine d'Igni, abbaye de l'ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Rheims, et. qu'il écrivit la Vie de Pierre Monocule, lequel fut promu, en 1179, à l'abbaye de Clairvaux, et gouvernait auparavant celle d'Igni. Nous avons déjà dit quelque chose de Pierre Monocule, dans le XIVe volume de cet ouvrage, au sujet de quelques-unes de ses lettres, que l'on possède encore.
Thomas Rodolius avait été disciple de Pierre Monocule, qui avait pour lui beaucoup d'affection. C'est ce que nous voyons par une lettre que Thomas écrivit à Pierre, pour le féliciter sur son exaltation à l'abbaye de Clairvaux; lettre qui nous a été conservée prr Manrique. Cette longue lettre ne contient, après des félicitations à l'abbé Pierre sur sa nouvelle dignité, qu'une ardente invitation de n'oublier ni lui ni son frère Philippe, dans les prières qu'il adressera au Seigneur. C'est dans les termes les plus emphatiques qu'il fait une demande aussi simple. Jam nunc prostratus pedibus
Sanctitatis Vestræ, et ipsos amplectens , et suprema cum devotione deosculans, precor, mi pater, et, si de tanto Dei servo ego tantus peccator audeam dicere, mi amice, ut Thomæ filii vestri, qui hoc votis scripsit, et Philippi fratris mei memoriam habeatis, et pro hac maxima dilectione, quam ergà vos habemus, retributionem reddatis, ut pro nobis nominatim aliquando communem omnium, sed vestrum proprium Dominum exoretis : hæc desideria mihi sunt super aurum, et lapidem pretiosum multum.
L'abbé Pierre, à qui Thomas écrivait cette lettre, mourut six ans après avoir été appelé à l'abbaye de Clairvaux, c'està-dire en 1186. Notre auteur n'a guère pu donner sa Vie que trois ou quatre ans après, c'est-à-dire en 1189 ou 1190. C'est la date que nous mettons à cet ouvrage, dont on trouve des fragmens épars dans les Annales de l'ordre de Cîteaux, par Manrique. La Vie qu'a donnée Henriquez de ce même abbé de Clairvaux, dans son Fasciculus sanctorum ordinis Cisterciensis, paraît avoir été extraite en partie de l'ouvrage de
XIIIe SIÈCLE.
Hist. Litt. de la Fr., t. XIV, p.
620.
Manr. Ann. Cist., ad ann. 1186, c.
6, n- i i.
Id., ibid.
Ibid., p. 115.
Manr. Annal.
Cist., ann. 1114, c. 5. n° 4 ; ann.
1185, c. 1, n° 4.
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Thomas, en partie des vies qu'ont aussi publiées du bienheureux Pierre le Monocule, Antonin de Florence, Vincent de Beauvais, et d'autres. Car Pierre a mérité d'avoir plusieurs historiens, tant était grande sa réputation de sainteté.
Dès en commençant la vie de Pierre Monocule, Thomas s'engage par une espèce de serment ou d'imprécation à n'écrire que des choses vraies. Nisi vera sunt, dit-il, quæ
in litteris istis explicantur, humerus meus cadat a juncturâ suâ et brachium cum suis ossibus confringatur. Sit cælum quod suprà me est, ælleum) et terra quam calco ferrea; et pro frumento oriatur mihl tribulus, et pro hordeo spina fiat.
Or, les grandes vérités que Thomas nous raconte après ce formidable serment, ce sont les visions de son héros, et les miracles que Dieu a opérés en sa faveur. Par exemple, Pierre voyait souvent la sainte Vierge; ce fut elle qui l'invita, une nuit, à entrer dans l'ordre de Cîteaux. Aussi, lorsqu'il se présenta au monastère d'Igni, la retrouva-t-il à la porte du couvent, belle comme elle lui était apparue en songe. Jésus lui-même le comblait de ses faveurs. N'étant que simple moine à Igni, il avait la mauvaise habitude de s'endormir au chœur pendant les prières ; mais toujours il se sentait réveillé par quelqu'un qui le poussait doucement par le bras.
Il ouvrait les yeux tout tremblant, croyant que c'était l'abbé qui faisait sa ronde; mais il n'apercevait personne.
Enfin, un jour, il vit près de lui un beau jeune homme aux cheveux d'or, qui s'éloigna bientôt, pour se promener au milieu du chœur, et disparut : Vidit sibi adstare juvenem splendidum et decorum, aureos habentem capillos, etc.
Lorsqu'il fut abbé de Clairvaux, son premier soin fut de renouveler les réglemens qui interdisaient aux femmes l'entrée du monastère. Quel fut un jour son étonnement de voir trois dames, très-belles, et dans la plus brillante parure, qui parcouraient les lieux les plus cachés du couvent, et examinaient tout avec une avide curiosité! Pierre, irrité, s'avance vers elles pour les chasser. Mais la plus belle lui dit en souriant : Pierre, calme-toi. Je suis la mère de N.-S.
Jéssu; et mes compagnes sont Marie-Magdeleine et Marie l'Égyptienne.
Sans prendre la peine d'extraire plus long-temps de ce recueil des rêves monastiques, nous nous contenterons d'apprendre à nos lecteurs que Pierre fut appelé Monocule, parce qu'il perdit un œil à force de pleurer, tant pour les péchés qu'il
XIIIe SIÈCLE.
ann. 1186, c. 6, n° 10.
Henriquez, in Fascicul. sallcl.
ord. Cist., p. 184.
De Vich. Bibl.
Cist., p. 312, col.
1.
In prol. Vit. B.
Petri Monoc.
Manriq., ann.
1185, C. I, n° 4, et in loc. jam cit.
Id. ibid.
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avait pu commettre, que pour les bonnes actions qu'il avait omis de faire. Mais la perte de cet œil fut pour lui un sujet de joie : c'était, selon son expression, un ennemi de moins qu'il avait dans le monde. Eia, dilectissimi fratres, dit-il aux moines qui l'environnaient, exultemus in Domino, eique
immensas gratias reddamus. Vicimus enim, superavimus adversarium. Jam UllUS ex hostibus meis extinctus est, unus adhuc superest; ipsum timeo, de omisso non doleo.
La renommée de tant de vertus s'étendit si loin, que le pape Lucius III, si l'on en croit Thomas Rodolius, voulut le voir et prendre ses conseils, dans les circonstances difficiles où se trouvait alors l'Église. Il l'appela donc à Rome. Mais lorsque Pierre Monocule y arriva, le pape, vieux et malade, touchait presque à ses derniers momens. Le pontife voulut du moins être confessé par Pierre, et reçut même l'Eucharistie de ses mains.
Pierre lui-même, de retour dans sa patrie, ne survécut pas long-temps à ce voyage. Thomas Rodolius raconte longuement sa mort et les apparitions et les miracles qui la suivirent.
Pierre Monocule était né du sang des rois, suivant tous les historiens, ex Galliæ regum sanguine procreatus. C'est dommage qu'ils ne disent rien de plus, et qu'ils ne nous apprennent pas comment il appartenait à l'illustre famille de nos rois. Cette omission donne lieu de soupçonner qu'ils ont encore voulu cette fois, comme en tant d'autres occasions, répandre plus d'éclat sur leur ordre, en supposant à leurs chefs des titres et une illustration mensongère.
Il existait à la Bibliothèque du Roi, sous le n° 5613, un manuscrit de la vie de Pierre le Monocule, dont le titre est : Vita Petri abbatis Clarævallensis auctore Thoma monacho de Radolio (il faut sans doute lire de Rodolio).
Nous ignorons la date précise de la mort de cet auteur.
Mais, d'après l'observation précédemment faite, que son ouvrage n'a guère pu paraître avant 1190, sa mort doit être placée vers la fin du douzième, ou dans les premières années du treizième siècle. A. D.
XIIIe SIÈCLE.
Id., ibid.
Liv. VII, c. 4.
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ALEXANDRE DE L'ISLE, MOINE DE CORBIE.
CE n'est pas sans quelque scrupule que nous plaçons cet Alexandre de L'Isle dans notre galerie des écrivains français. D'après l'auteur qui le premier peut-être l'a fait connaître au monde lettré, et nous a conservé un de ses ouvrages, il serait né dans la Basse-Saxe; et l'abbaye dans laquelle il était moine, ne serait point celle de Corbie (Corbeia) en Picardie, mais une abbaye de la nouvelle Corbie ou Corvey (Corbia) en Westphalie. Il nous apprend encore qu'Alexandre de l'Isle descendait des comtes de Insulâ, dont le domaine était dans le voisinage de la ville d'Hildesheim; que, dès le neuvième siècle, un autre personnage de son nom s'était fait distinguer dans le célèbre collége de Grandersheim. Notre Alexandre, suivant lui, ne voulut aucun autre titre que celui de simple moine, et passa, dans son couvent, une vie tranquille et studieuse.
D'un autre côté, Buccelin assure qu'il avait été élevé dans un monastère du pays de Liège, ce qui, d'accord avec son nom, ferait croire qu'il était Français.
Quoi qu'il en soit, il ne nous reste de cet écrivain qu'une continuation d'un Breviarium rerum memorabilium, ouvrage d'un autre moine du douzième siècle, presque aussi inconnu qu'Alexandre de L'Isle. Isobordus ab Amelunzen était le nom de l'auteur de cet Abrégé des choses mémorables, dont Alexandre rédigea la suite. Il paraît qu'il avait été aussi moine dans l'abbaye de Corbie.
Le manuscrit de cet Abrégé ou Breviarium fut confié, avec beaucoup d'autres, vers la fin du dix-septième siècle, à Paullini, médecin à Eisenach, qui le trouva digne d'être publié dans les Acta curiosorum naturæ. Cependant il crut devoir faire un choix parmi les choses mémorables qu'avaient recueillies Isibord et Alexandre. L'ouvrage des deux auteurs ne remplit pas une vingtaine de pages. Paullini fait de ce recueil un éloge magnifique. Plausum dabunt, dit-il, emunctioris naris viri : et solis hisce placuisse sat est. Nous doutons que l'ouvrage ait jamais reçu les suffrages que lui promettait l'éditeur.
XIIIe SIÈCLE.
Christ. Franc.
Paullini, in Actis naturæ CllriOSOrum, ann. 4, secunda decur.
Buccelin. German. sacra et profan, p. II, p. 281.
Ibid., préf. du Breviar.,p. 210.
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Le Breviarinm, tel que l'a publié Paullini, contient soixante-six chapitres ou observations. C'est moins un récit de choses mémorables que de choses merveilleuses : de cures incroyables, par exemple, de prétendus secrets dans les arts., qui choquent à la fois la saine physique et le bon sens.
Ici, on lit l'histoire d'un curé qui se trouve guéri de la goutte, parce qu'il est tourmenté, toute une nuit, par des fourmis; là, celle d'une fille de seize ans qui, au lieu du sang menstruel, expulse de petites grenouilles; tantôt l'histoire d'une femme qui met au monde des chiens; d'une autre femme, très-dévote, qui accouche d'un enfant portant sur le sein l'empreinte d'un crucifix. Puis vient l'histoire d'une poule qui, en couvant, avait été effrayée par la vue d'un milan, et des œufs de laquelle sortent des milans.
Le plus souvent ce sont des miracles qu'Alexandre consigne dans son recueil. On y voit, par exemple, qu'un chien, plein de dévotion, chassait tous les autres chiens de l'église qu'il fréquentait, se prosternait à la messe, ou se levait sur ses pattes, lorsque les fidèles ont coutume de se prosterner ou de se lever. Ailleurs, Alexandre de L'Isle raconte trèssérieusemeut que l'abbé de son couvent, voulant un jour se laver les mains, tira son anneau de ses doigts. Un corbeau apprivoisé qui rôdait autour de l'abbé, déroba très-subtilement l'anneau. L'abbé, ne sachant à qui attribuer le vol, frappe, à tout hasard, le voleur, d'une excommunication.
Bientôt on vit le corbeau tomber dans la tristesse, et dépérir de jour en jour. Un domestique de l'abbaye s'imagine alors que c'est là le voleur, et qu'il éprouve l'effet des foudres lancées par l'abbé. En effet, on retrouve la bague dans le nid du corbeau. L'abbé lève l'excommunication, et l'oiseau revient aussitôt à sa première gaîté et à la vie : in antiquum suum oblinet, hilaris, sanusque.
Si cet ouvrage est le seul qu'ait composé Alexandre de L'Isle, nous ne devons pas regretter de ne pas mieux connaître son pays ni sa vie. A. D.
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 206.
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ROSTANG, MOINE DE CLUNI.
E moine ne nous est connu que par une pièce assez curieuse, conservée dans les archives de l'abbaye de Cluni, et qui, depuis, a été imprimée dans la Bibliotheca Cluniacensis de Martin Marrier. C'est une relation très-détaillée des moyens que mirent en usage deux chevaliers croisés pour enlever de Constantinople le chef de saint Clément, pape et martyr, et le transporter en France. Pour ravir à une église grecque cette relique, il leur fallut beaucoup d'adresse et d'audace, comme on en va juger par l'analyse de la relation. Rien de plus propre que ce récit à donner une idée juste du singulier système moral et religieux que professait alors toute la chrétienté : la fraude, le rapt, même avec violence, n'avaient rien d'illicite, pourvu qu'une relique quelconque en fût l'objet; et l'on pensait que les saints continuaient de répandre leurs grâces sur les ravisseurs comme sur les légitimes possesseurs de leurs restes.
Le moine Rostang commence sa narration par une histoire abrégée des croisades, histoire dans laquelle il fait, suivant l'usage du temps, de nombreuses citations de l'Écriture, et surtout des Prophètes. Il semble lui-même s'excuser de cette digression, en disant à ses lecteurs : Nec vos pigeat omnia
me breviter epilogasse: amænum est enim omnia scire, quæ si scire desideratis, historiam Hierosolymitanam inspicite, quce luce clarius conscripta est ab eo qui omnibus his ca-
sibus interfuit. Il ne désigne pas plus positivement quel est cet historien présent à tous ces grands événemens, qu'il propose à ses lecteurs de consulter.
Il voit dans la prise et la reprise de Jérusalem la cause de la translation du chef de saint Clément dans l'abbaye de Cluni : Hujus facti ( exceptio capitis sancti ) causa fuit captio
Hierosolymæ, quæ pluries a pluribus est capta. Imò plerum-
que a plerisque usque ad soLum est diruta. Et voici comment il explique ou prouve cette proposition, qui paraît d'abord extraordinaire : On sait que le marquis de Monferrat partit avec plusieurs évêques et religieux, en 1202, pour la Terre-Sainte, où les affaires de la chrétienté étaient dans une situation déplorable,
XIIIe SIÈCLE.
Biblioth. Clun., p. 1481.
Ibid.
Ibid., p. 1482.
Art de vérifier les dates, t. III.
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puisque les croisés avaient perdu Jérusalem et une partie de leurs conquêtes. Dans le nombre des guerriers qui marchaient à leur suite, se trouvaient deux Français) nommés l'un Dalmace de Serciac (Dalmatius de Serciaco), que Rostang nous donne pour noble et très-lettré; l'autre, Pons de la Bussière (Pontius de Busseria), qu'il donne aussi comme brave et fidèle : Huic sacro comitatui junxit se quidam miles, no-
mine Dalmatius de Serciaco, vir nobilis et valdè litteratus, qui sibi associavit quemdam mililem, nomine Pontium de Busseria, virum fidelem et bonum socium.
Ce furent là les ravisseurs du chef de saint Clément; et le moine Rostang interrompt sa narration pour laisser parler le lettré Dalmace de Serciac, qui retrace, tant en son nom qu'au nom de son camarade, tous les détails du vol de cette relique.
Il raconte, que s'étant embarqué avec son camarade pour aller de Thessalonique à Jérusalem, ils furent assaillis par une affreuse tempête, qui les retint six semaines sur mer.
Ils se trouvèrent trop heureux de pouvoir se refugier dans le port de Constantinople, où ils arrivèrent dans le plus pitoyable état. Mais, à les en croire, leur plus grande peine était de ne pouvoir accomplir le vœu qu'ils avaient fait d'aller combattre dans la Terre-Sainte. Ils gémissaient nuit et jour de leur oisiveté,, |lorsque Dalmace de Serciac conçut l'heureuse idée de transporter du moins quelques reliques dans son pays. Il fit part de son projet à plusieurs hommes religieux, même à des cardinaux, entre autres à Pierre de Capoue; tous l'approuvèrent hautement, et autorisèrent le chevalier à se procurer des reliques par tous les moyens possibles, pouvu que ce ne fût point à prix d'argent, la loi ne permettant pas d'acheter ou de vendre les martyrs :
quia lex inhibet ut nemo martyres distrahat, nemo mer-
cetur. Apparemment que les prêtres des églises grecques, à qui les croisés vainqueurs avaient déjà enlevé un grand nombre de reliques, étaient sur leurs gardes, car il fallut à Serciac tout un hiver pour rêver aux mesures qu'il emploierait pour s'en procurer. Mais un jour, un prêtre nommé Marcel de Châlons, avec qui il dînait, lui indiqua une église où était la tête de saint Clément. Serciac lui demande s'il est bien sûr que ce soit le chef de ce grand saint. Le prêtre lève tous ses doutes, en l'assurant se vidisse baretteam ChlY-
seam, id est, laminam auream insertam capsulæ, Ùz qua
XIIIe SIÈCLE.
Bibl. Clun., p.
1483.
ibid.
ibid.
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depicla erat imago sancti Clementis et suum nomen græcè scriptum, scilicet 6 aytoq KXeijivuo;;, quod latÙzè dicitur sanctus Clemens.
L'abbaye où se trouvait le chef de saint Clément, était, selon Dalmace de Serciac, une des plus considérables de la ville, et s'appelait Trentafolia ; latinè vevo interpretatur Rosa. Nos deux croisés s'y rendent, un jour, avec le prêtre Marcel et quelques autres qui devaient participer au saint enlèvement. Ils prient les moines de l'abbaye de leur laisser voir l'église. On le leur permet; mais on leur donne un clerc pour conducteur et surveillant. Les chevaliers trouvent moyen d'éloigner le clerc du lieu où sont les reliques, en se faisant conduire dans diverses parties de l'église, et en lui demandant des explications sur les peintures qui la décoraient. Le prêtre Marcel profite de l'occasion, et, aidé d'un moine de Cîteaux qui l'accompagnait, il approche du' chef de saint Clément, non sans crainte; mais il n'ose en prendre que le menton et les mâchoires. Tunc presbyter cum tremore
accedens ad beati Clementis caput, non est ausus totum assumere, sed mentum cum maxillis cautè avulsit, capite derelicto.
Cette capture faite, les deux prêtres reviennent trouver les chevaliers, qui étaient alors vers la porte de l'église. Serciac demande secrètement à Marcel s'il a réussi ; l'autre lui répond qu'il n'a pu prendre que le menton et les mâchoires.
Apparemment que les reliques n'ont de vertu que lorsqu'on les possède entières, car le chevalier s'afflige et dit au prêtre qu'il n'a rien fait. Cependant il lui conseille de s'en aller promptement avec ce qu'il a pris, tandis que lui et Ponce vont aviser aux moyens de terminer l'affaire. Commotus
-
dixi illi, nihil fecisse; ite contenti eo quod habetis; ego et
socius meus Pontius videbimus quid facere poterimus. Serciac feint alors d'avoir oublié ses gants dans l'église, et il envoie Ponce les chercher, tandis qu'il reste à causer avec les moines à la porte. Ponce trouve heureusement endormi le jeune clerc leur surveillant, et s'empare, sans hésiter, du reste de la tête de saint Clément.
A peine étaient-ils à quelques pas de l'église, que les moines, s'apercevant du vol, jettent de grands cris, et les poursuivent dans les rues ; mais Ponce s'enfuit à toutes jambes avec son butin, et Dalmace de Serciac, au contraire,
XIIIe SIÈCLE.
Ibid.
Ibid., p. 1485.
Ibid.
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essaie de calmer les moines; et, leur découvrant sa poitrine, il leur montre qu'il n'y tient rien de caché.
Ainsi s'exécuta, non sans péril, la capture du chef de saint Clément. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que les deux chevaliers tentèrent encore une fois d'enlever une autre tête dans la même église; mais ils n'y réussirent pas.
Comment la tête de saint Clément se trouvait-elle là?
Un chanoine du Saint-Sépulcre, qui vivait à Constantinople depuis quinze ans, ne leur laisse aucun doute sur l'authenticité de la relique. C'était un empereur qui avait apporté cette tête à Constantinople.
Bientôt après, nos deux croisés montent sur un vaisseau pour retourner dans leur patrie. Mais une tempête, que le chevalier, auteur de la relation, décrit du style le plus poétique, les met encore une fois dans le plus grand danger.
Pouvaint-ils périr? ils avaient avec eux le chef de saint Clément. Tous deux à genoux devant cette tête, ils lui adressent une fervente prière. Le calme revient aussitôt sur les ondes, et ils abordent heureusement sur les rives de la France. De retour dans leur patrie, ils offrent leur relique à l'église de Cluni; et les moines la font renfermer dans une boîte d'argent.
La relation porte une date : Hoc factum est per gratiam Dei, anno 1206.
Nous avons dit, en commençant, les motifs qui nous ont porté à citer avec quelques détails l'histoire de la translation du chef de saint Clément. Ce fut par des moyens à-peu-près semblables que presque toutes les églises d'Occident se trouvèrent posséder en ce temps-là une prodigieuse quantité de reliques enlevées aux Grecs ; que l'église de Langres, par exemple, eut le chef de saint Mamès; l'église de Troies, le chef de sainte Hélène et une partie du chef de saint Philippe; d'autres églises, le chef de saint Jean-Baptiste, de saint Georges; plusieurs même, du sang de Notre-Seigneur, du bois de la vraie croix, etc. Galon de Sarton, chanoine de Saint-Martin de Péquigny, fut celui qui, dans le pillage de Constantinople, enleva le plus grand nombre de reliques.
A la suite de la relation de Rostang et de Dalmace de Serciac sur la translation du chef de saint Clément, se trouve une hymne à ce saint, que l'on doit sans doute attribuer au moine. Si elle n'offre pas un grand mérite poétique, elle nous fait du moins connaître ce saint Clément dont une
XIII. SIÈCLE.
Hist. Ecclés., liv. 76, part. III.
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église de Constantinople conservait les reliques. Ce Clément est celui qui fut pape dans le premier siècle de l'Église, qui fut envoyé en exil dans la Chersonèse par Trajan, mais dont le martyre a été révoqué en doute par de doctes écrivains. Il paraît cependant que l'auteur de l'hymne croyait à ce martyre, puisqu'une strophe dit :
Sprevit decreta principum : Ob hoc passus exilium, Sed per maris supplicium Consequutus est bravium.
André Duchesne, qui a enrichi de notes la Bibliothèque de Cluni du père Marrier, semble attribuer au moine Rostang un sermon qui a pour titre,, In natali S. Odonis abbatis Cluniacensis. Mais rien ne prouve que ce sermon, qui n'est au reste qu'une déclamation sans intérêt, soit de notre auteur. A. D.
BAUDOUIN, COMTE DE FLANDRE ET DE HAINAUT, PUIS EMPEREUR DE CONSTANTINOPLE.
SA VIE.
BAUDOUIN VIe du nom, comte de Hainaut, et le VIIIe parmi les comtes de Flandre, fils de Baudouin, dit le Magnanime, et de Marguerite de Flandre, fille de Thierri d'Alsace, naquit à Valenciennes, l'an 1171, au mois de juillet. L'an 1179, il fut fiancé par son père avec Marie de Champagne, fille de Henri-le-Libéral, qu'il épousa l'an 1185. Sa mère étant décédée l'an 1194, il entre en possession de la portion du comté de Flandre qui était échue à sa mère, dans le partage qui fut fait après la mort de son frère Philippe d'Alsace, l'an 1191, entre elle et le prince Louis, fils du roi Philippe-Auguste, aux droits de sa mère Isabelle de Hainaut. Par jugement arbitral, le prince Louis avait obtenu, pour sa part, les villes d'Arras, Bapaume, Aire, Saint-Omer, Hesdin, Lens ; les hommages
XIIIe SIÈCLE.
Bibl. Clun., p.
1488.
Gilb. Mont., t.
XIII Script. Rer.
Fr., p. 571 et seqq.
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de Boulogne, de Guines, de Saint-Paul, et d'Ardres. A cette succession Baudouin ajouta, l'an 1195, le comté de Hainaut, qui lui fut dévolu par la mort de son père.
Il manquait à ces deux riches successions la portion de la Flandre qui avait été cédée au prince Louis. Quoique Baudouin eût fait hommage au roi de son comté de Flandre, il se ligue presque aussitôt avec Richard, roi d'Angleterre, pour reconquérir, par la force des armes, ce qu'il prétendait lui avoir été injustement enlevé; et, l'an 1197, il se porte sur Tournai, dont il force les habitans à accepter une trêve qu'il leur propose. Il fait ensuite le siège de la ville d'Arras; mais, aux approches du roi de France, il est obligé de le lever.
L'année suivante, le roi d'Angleterre ayant attiré dans son parti le duc de Louvain, les comtes de Brienne, de Guignes, de Boulogne, du Perche, de Toulouse, de Blois, et même le jeune Artur, duc de Bretagne, Baudouin, enhardi par une si forte coalition contre le roi de France, s'empare des villes d'Aire, de Saint-Omer, et de plusieurs autres places.
Par suite de ses liaisons avec le roi d'Angleterre, Baudouin avait pris parti pour Othon de Brunswic, neveu de Richard par Mat.ilde, sa mère, élu roi des Romains contre le gré de Philippe-Auguste, qui portait à cette éminente dignité, avec le plus grand nombre des électeurs, Philippe de Souabe, frère du dernier empereur. Baudouin assista au couronnement d'Othon, et contribua, par ses instances, à déterminer le pape en sa faveur, ce qui le brouilla de plus en plus avec le roi de France. Cependant il y eut sur les confins de la Normandie une grande assemblée pour traiter de la paix entre les deux rois; mais, le roi de France n'ayant pas voulu comprendre dans cette paix le comte de Flandre, il n'y eut rien de fait. Tout ce que put obtenir, vers Noël de la même année 1198, le légat du pape, c'est qu'il y aurait une suspension d'armes pendant cinq ans : trêve qui fut à peine maintenue jusqu'à Pâques de l'année suivante.
En effet, le roi Richard étant mort au commencement d'avril, le comte de Flandre se ligue de nouveau avec le roi Jean contre le roi de France, entre sur ses terres, et fait le dégât dans l'Artois et le pays de Térouane (in pago Adartensi et Teruanensi et Aradigamantia). Pendant ces hostilités, qui durèrent presque toute l'année 1199, les troupes du roi ayant fait prisonnier le comte de Namur, Philippe, frère de Baudouin, il y eut aux fêtes de Noël un accommodement, par
XIIIe SIÈCLE.
Hoveden, p.
781.
Annal. Aquic.
Epist. Inn. 111, t. I, p. 688.
Hoved., p. 783.
Mart., Anecd., t. I, col. 771.
Annal. Aquic.
Mart., Ampl.
Collect., t. 1, col.
1021.
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lequel le roi cédait au comte de Flandre les fiefs de Guines et d'Ardres avec les villes d'Aire et de Saint-Omer, se réservant le reste de l'Artois et le Boulonnais. Cet arrangement fut ratifié dans le traité de paix qui eut lieu entre les rois de France et d'Angleterre, au mois de mai 1200.
A la suite de ces troubles, la plupart des seigneurs français qui étaient entrés dans la coalition du roi d'Angleterre, à la tête desquels était le comte de Flandre, ne se croyant pas en sûreté dans le royaume, et craignant avec raison le ressentiment de Philippe-Auguste, se joignirent à la nouvelle croisade que le pape faisait prêcher en France par le fameux Foulques, curé de Neuilli-sur-Marne. Baudouin prit la croix le jour des Cendres de l'année 1201, suivant Ville-Hardouin, dans l'église de Saint-Donatien à Bruges, et bientôt après les croisés tinrent deux assemblées, l'une à Soissons, l'autre à Compiègne, pour aviser aux préparatifs de l'expédition.
Ayant conclu un traité avec la seigneurie de Venise,, qui devait fournir les vaisseaux, le temps du départ pour la TerreSainte fut fixé à la Saint-Jean de l'année 1202, à condition que, chemin faisant, on s'emparerait, pour le compte des Vénitiens, de la ville de Zara, sur la mer Adriatique. En outre les croisés prirent, avec Alexis, fils d'Isaac l'Ange., l'engagement de rétablir sur le trône de Constantinople son père, détrôné, aveuglé et mis en prison par Alexis l'Ange., dit Comnène.
Arrivés à Constantinople, l'année suivante, pour en faire le siège, le comte Baudouin fut chargé de conduire l'avantgarde, et Henri, son frère, la seconde bataille. La ville ayant été réduite par la fuite de l'usurpateur, le jeune Alexis, fils d'Isaac, fut replacé avec son père sur le trône. Ce prince ayant été bientôt après mis à mort par le tyran Mursuphle, les croisés, indignés de sa perfidie, recommencèrent le siège de la ville, la prirent d'assaut, le lundi de Pâques fleuries de l'an 1204, et, usant du droit de conquête, ils élurent Baudouin, qui fut couronné empereur,. trois semaines après Pâques, avec de grandes réjouissances, dans l'église de Sainte-Sophie.
Son règne fut de courte durée. Ayant été battu et fait prisonnier près d'Andrinople, par Joannice, roi des Bulgares, le jeudi de la semaine de Pâques, 14 avril de l'an 1205, ce barbare, au bout de seize mois, lui fit inhumainement couper les pieds et les mains, comme le rapporte l'historien Nicetas, et jeter-ensuite le tronc dans un précipice entre des rochers,
XIIIe SIÈCLE.
Dumont, Corps diplom., t. I, p.
125.
Guill. Armor., ad ann..1190 Philip., lib. VI, versu 35.
Ville - Hard., n° 10.
Ibid., n, 17 et seqp.
Ibid., n, 75.
Ibid., n° 116 et seqq.
Ibid., n° 5.
Cousin, Hist.
de Constantin., t.
V, p. 668.
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où il expira au bout de trois jours, et servit de pâture aux oiseaux de proie.
Quoique sa mort eût été bien constatée avant qu'on procédât à l'élection de son successeur dans la personne dé Henri, son frère; néanmoins, vingt ans après, un aventurier se disant Baudouin, miraculeusement échappé de prison, se présente en Flandre, et y trouve beaucoup de partisans, qui prétendent le reconnaître à son signalement et à d'autres indices, moins par conviction que par haine contre la comtesse Jeanne, sa fille. Présenté au roi Louis VIII, et interrogé sur le temps et le lieu où il avait jadis fait hommage de son comté au roi Philippe-Auguste, ne pouvant satisfaire à cette question, sa fourberie fut découverte, et lui chassé du royaume. Mais, ayant été quelque temps après arrêté en Bourgogne, il fut livré à la comtesse Jeanne, promené dans tout le pays comme un imposteur, et pendu ensuite à Lille, par jugement des pairs de Flandre, l'an 1225.
Tel est le récit de presque tous les historiens sur ce personnage, que Mathieu Paris n'hésite pas à donner pour le véritable Baudouin. En effet, le roi d'Angleterre, par ressentiment contre le roi de France, s'était empressé de le reconnaître, de lui écrire et de lui offrir son alliance. Mais il est certain, par le témoignage de ce même roi des Bulgares, qui avait fait prisonnier Baudouin, que ce malheureux empereur mourut dans sa prison, comme il le manda au pape Innocent III, qui lui avait écrit pour demander son élargissement.
Quant au véritable Baudouin, Nicetas, auteur grec, qui dit tant de mal des croisés, avoue qu'il avait la réputation d'un homme de bien, vertueux et charitable; il soulageait les pauvres, et écoutait avec patience ceux qui n'étaient pas de son avis. D'ailleurs, grand justicier, et réglé dans ses mœurs, il faisait publier deux fois par semaine que quiconque aurait connu d'autre femme que la sienne, ne fût pas si hardi que de coucher dans son palais. Cependant il lui attribue une vanité ridicule, et de n'avoir pas eu de considération pour les Romains (c'est-à-dire, les Grecs), pas même pour ceux qui possédaient les premières charges de l'empire, qu'il humiliait dans toutes les occasions : ce qui plaisait fort aux seigneurs français composant sa cour. « Car, comme les gens « de cette nàtion, dit-il, mettent la bravoure au-dessus des « autres vertus, ils se l'attribuent à eux seuls, et ne peuvent « souffrir qu'à ce sujet personne leur soit comparé. Au surplus,
Xllle SIÈCLE.
Rymer, t l, p.
277.
Gesta Innoc, il, 108, p. 69.
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« comme ils n'ont aucun commerce avec les Grecs ni avec les « muses, ils sont grossiers et intraitables. » Il paraît que Nicetas connaissait assez bien le génie des Français de ce temps-là.
SES ÉCRITS.
Nous avons de ce prince plusieurs lettres, presque toutes concernant la prise de Constantinople, monumens historiques très-précieux, qui, quoique très-connus, méritent d'être analysés dans une Histoire littéraire, d'autant plus qu'ils se trouvent épars dans une infinité de volumes.
10 La première est écrite au pape Innocent III, pour lui annoncer la prise de Constantinople par l'armée des croisés et son élévation à la dignité impériale. La suscription ou l'adresse est ainsi conçue : Sanctissimo in Christo patri et
domino carissimo Innocentio, Dei gratiâ summo pontifici, Balduinus eâdem gratiâ Constalltinopolitanus imperator et semper Augustus, Flandrensis et Hainonice comes, miles suus, cum devota semper obsequii voluntate pedum oscula bea-
torum. Les premiers mots sont : Cùm paternœ sollicitudinis zelo, etc.
Dans cette lettre, qui est sans date, Baudouin se réfère à une autre également sans date, dans laquelle on fait au pape le récit de tout ce qui s'était passé depuis le départ de Venise jusqu'au rétablissement d'Alexis, fils d'Isaac l'Ange, sur le trône impérial, pour justifier l'entreprise des croisés sur la ville de Zara, et même la réduction de Constantinople sous la domination du légitime souverain. Celle-ci est sans inscription, et paraît avoir été écrite en commun par l'armée des croisés; on la trouve dans le registre des lettres du pape Innocent, liv. VI, ep. 211; dans les Gestes du même pape, n°90; dans la Collection des historiens de France, par Duchesne, t. V, p. 795, et commence par ces mots : Quanta fecerit nobis Dominus, etc.
Dans la Chronique d'Arnold de Lubec, liv. VI, chap. 19, cette même lettre est adressée, non au pape Innocent, mais à Othon IV, élu roi des Romains, par Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut; par Louis, comte de Blois; par Henri (lisez Hugues), comte de Saint-Paul, et les autres chefs des croisés embarq ués sur la flotte des Vénitiens. Dans cette édition, la lettre commence comme dans les autres; mais on trouve à la fin une addition considérable, commençant par
X Ille SIÈCLE.
Inter Epist.
Inn., lib. VII, ep.
152. — In Gestis ejusdem, n° 91.
Leibnitz, Scr.
Rer. Brunsw., t.
If, p. 720.
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ces mots, tantis igitur utilitatibus provocati, dans laquelle ils protestent qu'ils partiront pour la Terre-Sainte après l'hiver, au premier passage de mars de l'an 1204, et qu'ils ont déjà fait annoncer leur arrivée aux chrétiens de Syrie et au soudan de Babylone. D. Martene a reproduit cette même lettre telle qu'elle est dans Arnold de Lubec; mais, au lieu que celle-ci est adressée à Othon, roi des Romains, celle de D. Martene fut envoyée à tous les prélats, et aux fidèles en général : ce qui prouve qu'elle était circulaire.
Mais revenons à la lettre de l'empereur Baudouin au pape.
La lettre à laquelle il se référait n'allait que jusqu'à l'intronisation du jeune Alexis. Dans celle-ci, écrite en son nom particulier, Baudouin raconte la suite des événemens qui forcèrent les croisés à faire une seconde fois le siège de Constantinople contre le tyran régicide Murzuphle; et après avoir annoncé son élévation au trône de l'empire, il invite le pape à venir en personne pour cimenter l'union entre l'Église grecque et la latine. Cette lettre est aussi imprimée en entier au tome V, p. 797, de Duchesne; mais dans le même volume on n'en trouve que la conclusion, contenant l'invitation faite au pape de se rendre à Constantinople, parce qu'il venait d'imprimer, p. 275, la même lettre, sous le nom de Hugues, comte de Saint-Paul, à l'archevêque de Cologne, où cette invitation ne se trouve pas.
2° Baudouin écrivit en même temps une lettre circulaire à tous les fidèles, archevêques, évêques, etc., commençant par ces mots : Audite qui longe estis, et qui prope. Le récit des événemens qui amenèrent l'établissement de l'empire des Latins, est le même que dans la lettre adressée au pape, dont nous venons de parler, avec cette seule différence, qu'à la place de l'invitation au pape de venir à Constantinople, on invite tous les prélats à envoyer des ouvriers évangéliques, capables de maintenir, par leurs prédications, les peuples nouvellement conquis dans la soumission et l'obéissance à l'Église romaine. Cette lettre a été imprimée dans le Recueil des historiens de France, par Duchesne, t. V, p. 278; dans le Codex donationum piarum d'Aubert le Mire, chap. 101 ; dans la Chronique d'Arnold de Lubec, liv. VI, chap. 20, et peut-être ailleurs.
Ces lettres sont bien écrites. Mais Baudouin en est-il l'auteur? Il n'y a guère d'apparence. Mais si elles ne sont pas de lui quant au style, on peut en faire honneur, puisque l'oc-
XIIIe SIÈCLE.
Mart., Anecd., t. I, col. 788.
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casion s'en présente, à son chancelier, maître Jean de Noyon, dont Ville-Hardouin rapporte la mort sous l'année 1204 : Mult bon cUers) dit-il en son langage, et mult sages, et mult
avoit conforte I'ost par la parole de Dieu, qu'il savoit mult bien dire, et sachiez que mult en furent li prodome de lost
desconfortés. Cet homme éloquent v et biendisant, s'il a laissé quelque autre chose par écrit, cela nous est parfaitement inconnu.
3° Les croisés ayant fait, avant la conquête, un traité de partage entre les Français et les Vénitiens, dans lequel, entre autres stipulations, il était dit que les biens du clergé entreraient dans le partage, sauf la portion qui serait laissée aux clercs, Baudouin, devenu empereur, écrivit au pape pour demander la-confirmation du traité; mais le pape la refusa par sa lettre 208 du livre VII. Le traité en question se trouve imprimé dans le même registre VII d'Innocent, n° 205 ; dans les Gestes du même pape, n° 92 ; dans les Annales de Rainaldi, ad ann. 1205, n° 4; dans la collection de Duchesne, t. V, p. 801 ; dans Muratori, Rer. Ital. Scriptores, t. XII, p. 328.
40 D. Martene a publié une lettre du même empereur aux évêques de Cambrai, d'Arras, des Morins et de Tournai, dans laquelle, en rappelant ce qu'il avait déjà écrit à tous les évêques en général, il les exhorte à lui procurer, par leurs instances, des secours d'hommes, tant nobles que non nobles, soit pour la défense de son empire, soit pour passer avec lui à la Terre-Sainte, selon le projet qu'il en avait formé, et qu'il n'a jamais abandonné.
5° Baudouin étant parvenu à l'empire, fait changer son sceau, et déclare faux tout acte qui, à commencer au mois ^e juin 1204, serait muni de l'ancien. C'est ce qu'il annonce dans une lettre publiée par Martene.
6° On trouve dans un supplément aux œuvres diplomatiques d'Aubert le Mire une lettre de l'empereur Baudouin au roi Philippe-Auguste et à son fils, le prince Louis, dans laquelle il supplie le roi, pour l'acquit de sa conscience, de contraindre les baillis de Flandre à achever l'église qu'il avait fait vœu de construire près de son palais, à Courtrai, qu'il avait laissée imparfaite en partant pour la croisade.
7 Après son départ pour la croisade, l'an 1202, s'étant arrêté à l'abbaye de Clairvaux, il fut si édifié de la sainteté du lieu et de ses habitans, qu'il leur légua dix livres de rente pour la fourniture du pain et du vin devant servir au
XIIIe SIÈCLE.
Ville-Hard., n° 155, p. 120.
Inter Epist. Inn., Lib. VII, ep. 208.
Mart., Anecd., t.
I, col. 791.
Ib., col. 793.
Mirai Opp. dipl.
t. II, p. 1207.
Mart., Anecd., t. I, col. 783.
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saint sacrifice de la messe, regrettant de ne pouvoir pas faire davantage, après avoir disposé de presque tous ses revenus.
8° Baudouin, n'étant encore que comte de Flandre et de Hainaut, publia, l'an 1200,, deux lois ou ordonnances, l'une en vingt-huit articles concernant les meurtriers et homicides; l'autre en vingt articles sur les successions dans ses États.
B.
LAMBERT D'ARDRES, HISTORIEN, MORT APRÈS 1206.
LAMBERT D'ARDRES est connu comme auteur d'une Histoire des comtes de Guines et des seigneurs d'Ardres, de l'an 800 à 1201. On ne sait rien de sa vie; on croit qu'il était prêtre et curé d'Ardres, petite ville entre Calais et Saint-Omer. Il a dédié son livre à Arnoul second, qui a possédé le comté de Guines depuis 1206 jusqu'en 1229, et l'on peut supposer qu'il est mort dans cet intervalle. Des fragmens de sa Chronique ont été, d'après un manuscrit de de Thou, insérés par André Duchesne dans l'Histoire généalogique des comtes de Guines, d'Ardres, de Gand et de Coucy. J. Ludewig a imprimé, sur un manuscrit plus incorrect, à ce qu'il semble, tout ce qui reste de l'ouvrage. Il en existe d'autres copies manuscrites à la bibliothèque du Vatican, n° 696 du fonds de la reine Christine, et à Paris, à la Bibliothèque du roi, n° 5996. La meilleure édition et la seule à consulter aujourd'hui serait, si elle était complète, celle qui se trouve dans les tomes XI, XIII et XIV du Recueil des historiens de France, mais on y a laissé plusieurs lacunes. Du reste, les savans auteurs de cette collection y ont rectifié, d'après les manuscrits et d'après les fragmens qu'André Duchesse avait publiés, les mauvaises leçons de l'édition de Ludewig, et les erreurs chronologiques répandues dans les notes qui y sont jointes.
Cette chronique se divise en deux parties : la première contient l'histoire des comtes de Guines jusqu'à Baudouin II, qui, vers 1179, épousa l'héritière de la seigneurie d'Ardres la seconde, à l'occasion de ce mariage, reprend dès l'origine
XIIIe SIÈCLE.
Ib., col. 765 et seqq.
Foppens, Bibl.
Belg., t. Il, p. 795.
— Fabric , Bibl.
med. et inf. latin., ed. Mansi, t. IV, p. 236.
Paris, 1631, in-fol.
Reliq. Mss. ac diplom., t. VIII, p. 369-606; 1727, in-8°.
T. XI, p. 785787; t. XIII, p.
423-453; t. XIV, p. 583-588.
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l'histoire de la maison d'Ardres : c'est la matière des chapitres 97 à 144. Les suivans, qu'on pourrait considérer comme une troisième partie, mais qui sont seulement au nombre de dix, continuent le récit des actions de Baudouin second. On a conjecturé que la seconde partie n'était pas de Lambert, mais de Wautier de Clusa, fils naturel de Bau- ( douin ; et cette opinion se fonde sur les paroles de Lambert !
lui-même. Celui-ci raconte, en effet, qu'ils se trouvaient un jour ensemble, Wautier et lui, dans le palais d'Arnoul, à Guisnes; - que, pendant une longue pluie qui empêchait les promenades, la compagnie pria Wautier de retracer l'histoire de la maison d'Ardres, et qu'après avoir peigné, arrangé sa barbe avec ses doigts, à la manière des vieillards, appositâ ad barbam dexterâ,
et ut senes plerumque facere solent, eâ digitis insertis appexâ
et appropexâ, il commença la narration qui suit. Mais c'est peut-être une pure fiction de Lambert, imaginée pour jeter quelque variété ou quelque mouvement dans son ouvrage.
Alors même que Wautier aurait débité de vive voix ce qui se lit dans ces quarante-quatre chapitres, ce serait toujours Lambert qui les aurait rédigés depuis. Il est sûr au moins que le style ne change pas, que la latinité est de part et d'autre tout aussi barbare ; les constructions et les expressions demeurent les mêmes.
Quoique Lambert proteste qu'il ne cherche que la vérité, quoique effectivement il rejette plusieurs généalogies par trop fabuleuses, il s'en faut pourtant qu'il mérite une pleine confiance ; ses derniers éditeurs lui ont reproché de recueillir beaucoup de traditions suspectes. Les auteurs de l'Art de vérifier les dates n'ont daigné faire aucun usage de ce que son livre contient sur les temps antérieurs à 965. Mais, à partir "de cette époque, sa Chronique jette beaucoup de jour sur les détails de l'histoire du Boulonnais, du Calaisis, de l'Ardrésis, et, par occasion, de l'Artois et de la Flandre. Les annales particulières de ces contrées doivent en grande partie à Lambert d'Ardres ce qu'elles prennent de consistance dans les dixième, onzième et douzième siècles. Mallabrancq a beaucoup profité de ce livre, quoiqu'il y relève des erreurs. Une servitude d'un genre singulier s'était introduite dans le Boulonais, et dans les cantons d'Ardres et de Guisnes : elle s'appelait Colvekerlie ou Massuerie, et consistait dans 1er défense faite aux paysans de porter d'autres armes que des massues. En conséquence on les qualifiait colvekerles. C'étaient
XIIIe SIÈCLE.
Rec. des hist.
le Fr., t. VIII, préf., p.XLIII, XLIV, LLV ; et p. 423.
C. 96.
Rec. des hist.
de Fr., t. XI, préf., p. LXXIX.
Troisième éd., t. II, p. 785-787.
De Morinis, I.
VII, c. 60, etc.
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des main-mortables qui payaient un denier tous les ans à leur seigneur, quatre deniers le jour de leur mariage, et autant à leur décès. Les étrangers, même ingénus, qui venaient s'établir dans ce pays,, étaient assujétis à ce régime.
Lambert nous apprend que de l'an 1000 à 1200, il fallait porter de longues barbes,, sous peine de passer pour efféminé ; ailleurs, au contraire, laisser croître sa barbe et ses cheveux était un signe de mollesse. Il importe davantage d'observer que la représentation n'avait pas lieu dans les successions qui s'ouvraient au pays d'Ardres et de Guisnes. Si nous en croyons Lambert, il y avait déjà, dès 1065, douze baronies ou pairies qui relevaient du château d'Ardres. On sait que l'institution des douze pairs de France ne date que du règne de Philippe-Auguste; et il serait étrange que le modèle en eût existé plus de cent ans auparavant dans un petit coin de terre : disons plutôt avec les éditeurs des Historiens de France, que l'auteur aura parlé le langage de son propre temps, et transporté au siècle précédent un usage qu'il avait vu s'établir.
Le chapitre cent cinquante-quatrième et dernier de Lambert d'Ardres a pour objet un démêlé qui éclata, en 1201, entre les comtes de Boulogne et de Guisnes sur les limites de leurs territoires. On prit les armes, et les habitans de Mark ou Mercke (ou bien Marquise : Mercuritici) furent repoussés et poursuivis par ceux de Guisnes : Insurrexit igitur omnis
Ghinensium exercitus populus, quasi vir unus, in miseros
Mercuriticos, et si quid in ipsis est. Ce sont les derniers mots du livre; le surplus manque dans les éditions et dans tous les manuscrits, même dans celui du Roi, n° 5996.
On n'a pas inséré dans la collection des Historiens de France le chapitre quatre-vingt-unième de Lambert d'Ardres; mais ce chapitre mérite de notre part une attention particulière, car il tient à l'histoire des lettres : il concerne des traductions en langue vulgaire. Le comte d'Ardres, Baudouin, tout laïc et illettré qu'il était, licet omnino laicus esset et illitteratus, estimait les hommes instruits, et aspirait à leur ressembler. Landri de Wauban composa pour lui une version du Cantique des cantiques, accompagnée d'une explication mystique de ce livre sacré ; et Baudouin, qui ne savait pas encore lire, s'en faisait donner lecture, ainsi que d'une traduction des Évangiles par le même Landri. C'étaient surtout les Évangiles des dimanches, maximè dominica lia, et l'interprète y avait joint des discours ou éclaircissemens
XIIIe SIÈCLE.
T. XIII, préf., p. XLV.
1
Ludwig, Rel.
Mss., VII, 472474.
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convenables, cum sermonibus convenientibus. Le comte fit usage aussi d'une ancienne Vie de saint Antoine,, mise en nouveau langage par un nommé Alfrid; d'un traité de physique,, traduit par maître Godefroi, du latin en idiome roman ; et d'une semblable version du livre de Solin, due aux talens et aux soins de Simon de Boulogne. Lambert paraît avoir conçu la plus haute idée et de ce livre et de la traduction. Il poursuit en louant Baudouin d'avoir placé dans ses chapelles et dans les églises de Guisnes, non-seulement un grand nombre de livres divins, mais aussi des orgues et instrumens de musique. Le comte avait rassemblé tant de livres, et y avait puisé tant d'instruction, qu'il passait pour un Augustin en théologie, pour un Denis l'Aréopagite en philosophie; et qu'à l'égard des récits d'aventures héroïques, des chansons de gestes, cantilenis gestoriis, et des histoires amusantes, on le comparait à l'auteur des Fables Milésiennes et aux plus fameux romanciers. Il parvint même à communiquer sa science à un nommé Hazard de Alheden, resté jusqu'alors aussi profondément ignare que le comte l'avait jadis été lui-même : Baudouin l'instruisit, et en fit son bibliothécaire. Enfin, ce fut par les conseils et par les leçons du comte d'Ardres que Wautier Silens ou Silentius se mit en état de composer un livre intitulé Silentius ou Romanus de Silentio, production dont Lambert n'indique pas autrement le sujet, mais qui valut à l'auteur des récompenses en chevaux, en parures, et l'on ne sait quoi encore. Il peut y avoir des inexactitudes ou de l'exagération dans les détails de ce chapitre de Lambert ; mais le fond sans doute en est vrai, et prouve que le goût de l'instruction commençait à se répandre dans le nord de la France. D.
NEVELON DE CHERISY, ÉVÊQUE DE SOISSONS.
NEVELON ou Nivelon, parvenu à l'épiscopat de Soissons l'an 1177, n'annonçait point, au commencement de sa prélature, le beau caractère qu'il déploya dans la suite, lorsqu'il se vit lancé dans de grandes affaires. Tout occupé du
XIIIe SIÈCLE.
V. notre Disc, prél., ci-dessus , p.212.
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devoir d'un pasteur,, il entra en relation avec le célèbre Étienne, abbé de Sainte-Geneviève, lequel, ayant sous sa dépendance la terre de Marigni, dans le diocèse de Soissons, nous a conservé plusieurs lettres qui prouvent la grande intimité qui s'était établie entre eux. En effet, l'abbé de SainteGeneviève, devenu évêque de Tournai l'an 1193, éprouvant des exactions pécuniaires de la part de la cour de Rome, déposa ses peines dans le sein de son ami, qui n'avait pas moins à se plaindre de pareilles vexations. « Je suis condamné, « lui écrivit-il, à chercher et creuser des métaux (damnatus « ad fodienda metalla). En acceptant l'épiscopat de Tournai, « j'avais imaginé que je ne trouverais pas plus de difficultés « dans ce poste que tant d'autres qui savaient se tirer d'af« faires mieux et plus aisément. Mais la cour de Rome de« venant plus exigeante, et mes moyens ne pouvant pas y « suffire, j'ai pris le parti de m'éloigner de mon diocèse, et « me suis retiré dans le vôtre, dans la terre de Marigni, dé« pendante du chapitre de Sainte-Geneviève. »
L'évêque de Soissons lui répond, et, sans ménagement, il s'en prend au pape lui-même. « Je suis moins touché, dit-il, « de l'adversité que vous éprouvez, que du scandale général « qui afflige toute l'Église par les voies détournées que met « en pratique le successeur de Pierre, vicaire de Jésus-Christ.
« S'il a maintenant les yeux fascinés, pourquoi ne se rend-il « pas aux remontrances qu'on lui a faites? Il avait promis, « et il revient sur ses pas. Si percussus fuerit incantalor, quis « miserebitur ei? Hélas! je ne saurais trop déplorer la ruine « du peuple, celle des pasteurs, et même le malheur du « prince des pasteurs. Je sais bien que d'autres disent qu'il « vaut mieux rester à son poste, même sans fonctions, que « de laisser introduire dans l'Église gallicane un pareil scan« dale, propre à jeter partout la confusion. Au reste, la « plupart de nos prélats, bien loin de cacher leur or sous leurs « pieds, s'empressent de le mettre en évidence sur leurs « têtes. (Illud ad ultimum volumus habere vos præ oculis,
« quod prcelati nostri non aurum pedibus suis subjiciunt, sed « suo capiti superponunt.) »
Il paraît que cette contestation fut excitée par l'avarice de la cour de Rome, sous le prétexte d'établir ou d'élever le taux des bulles papales pour les prélatures; car il n'était pas encore question des annates.
L'an 1200, le royaume ayant été mis sous l'interdit, au
XIIIe SIÈCLE.
Steph. Tornac.
epist. 188, al. 213.
Ib., ep. 189.
Bouq., Colléc., t. XVIII, p. 552.
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concile de Dijon, pour contraindre le roi de reprendre sa légitime femme, Nevelon, comme tant d'autres prélats, mit à exécution dans son diocèse la sentence du légat, et encourut grièvement l'indignation du prince.
L'an 1201, pour éviter le ressentiment du roi, il prit le parti de se joindre à d'autres mécontens du royaume, qui devaient partir pour la Terre-Sainte. L'année suivante, s'étant embarqué à Venise avec les pélerins, il partagea constamment avec eux les aventures du voyage.
Les Vénitiens, s'étant rendus maîtres, l'an 1203, de là ville de Zara dans la Dalmatie, le pape leur en sut mauvais gré, et les frappa d'excommunication- il fallut envoyer à Rome l'évêque Nevelon et maître Jean de Noyon, chancelier du comte de Flandre, pour excuser leur conduite auprès du pape; ils furent assez heureux pour obtenir une réconciliation. (Voir le registre d'Innocent III, liv. VI, epist. 232.) Dans le même temps, les pélerins ayant entrepris de rétablir sur le trône de Constantinople le jeune Alexis l'Ange, pendant le siège de la ville, les évêques de Soissons et de Troyes en Champagne eurent l'avantage de monter les premiers à l'assaut dans leurs vaisseaux nommés le Paradis et la Pélerine) et s'emparèrent d'une tour.
Le jeune Alexis, ayant été rétabli sur le trône par les Français, avait promis de reconnaître la primatie du pape sur la Grèce. Innocent III, voyant qu'on tardait à lui envoyer l'acte d'adhésion au saint-siége, écrivit à Nevelon et à Jean de Noyon de déterminer le jeune prince à tenir sa promesse : c'est ce qu'ils obtinrent de lui à force d'instance et par la persuasion. (Voir les lettres d'innocent, liv. VI, epist. 210 et 232.) Mais 'bientôt après, les Grecs s'étant tournés contre les Français, et s'étant défaits du jeune Alexis, l'an 1204, les pélerins recommencèrent la conquête à leur profit, et se rendirent maîtres de la ville. Ce fut alors que l'on jugea à propos de nommer un empereur latin; les électeurs, ayant à leur tête l'évêque de Soissons, déférèrent le trône impérial à Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, et vraisemblablement ce fut aussi ce même évêque qui fit le couronnement.
L'an 1205, arrivèrent la funeste déroute des croisés par le roi des Bulgares, et la captivité de l'empereur Baudouin. Ce fut encore Nevelon qui fut envoyé à Rome et en France, pour y retracer toute l'étendue du désastre, eu faire craindre
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 433, 765.
Ibid., p. 446.
Ibid., p. 271, 522, 769.
Ibid., p. 463, 769.
Ibid., p. 478, 256, 619.
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de plus grands encore qui menaçaient les croisés, et solliciter les secours les plus prompts et les plus efficaces. En France il apporta quantité de reliques,, dépouilles de l'Église grecque,, dont furent enrichies plusieurs églises de France., et la sienne en particulier.
Pendant son absence, et tandis qu'il s'occupait à recruter des ouvriers évangéliques pour l'Église latine en Orient, il fut nommé à l'archevêché de Thessalonique. Mais étant parti, l'an 1207, avec une troupe de clercs, de moines et de laïques, il fut surpris par la mort à Bari, dans la Pouille, lorsqu'il était sur le point de s'embarquer.
B.
HUGUES V DU NOM, ABBÉ DE CLUNI.
AUCUN document ne nous enseigne en quelle année ni en quel lieu naquit Hugues, qui fut le dix-septième abbé de Cluni. Mais nous savons par une chronique de ce monastère qu'avant d'en être le chef, il avait gouverné l'abbaye de Rading, en Angleterre, et qu'on y conservait le souvenir des bienfaits de son administration : il y avait planté un clos, et fort embelli le réfectoire. En 1199) il succéda à Hugues IV de Clermont, dans la dignité d'abbé de Cluni ; il s'y distingua par sa piété, par sa science, paya les dettes de la communauté, enrichit la bibliothèque. Ses écrits, ceux du moins dont on a connaissance, ne sont pas considérables, quand même on y comprendrait les chartes qu'il a souscrites, soit pour consentir, en 1202, à la construction d'un palais que Raimond, duc de Narbonne, voulait bâtir à Saint-Saturnin du Port (de Portu) ; soit pour renouveler, en 1206, entre le monastère de Cluni et celui de .Saint-Laurent de Liège, d'anciennes relations fraternelles. Les auteurs de la nouvelle Gallia Christiana lui attribuent, sur la foi d'un manuscrit de Colbert, un dialogue concernant le Souverain Bien; mais c'est un des ouvrages de Hugues d'Amiens, qui, avant de devenir archevêque de Rouen, avait été aussi abbé de Rading. Nos prédécesseurs en ont parlé au tome XII de cette Histoire Lit-
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 713, 770.
Biblioth. Cluniacensis, col. i663, 1564. V. aussi Angl, sacr., t. I, p. 304.
Gall. Christ. N., t. IV, col. 1144.
Mart., Ampliss.
Coll., t. IV, p.
1066.
Mart., Thes.
Anecd., t. V, p.
891 et seqq.
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téraire. Il y a bien encore une Relation des affaires de Turquie, par un abbé de Cluni, dont le nom commençait par la lettre H; relation qui se conserve manuscrite dans la bibliothèque du collége de Saint-Benoît, à Cambridge : mais, selon toute apparence, cette relation est de Hugues VI, qui fit un voyage en Palestine, et qui d'abbé de Cluni devint, en 1245, évêque de Langres. Il nous semble donc que le seul écrit qui nous vienne réellement de Hugues, le cinquième de ce nom dans la liste des abbés de Cluni, est un Recueil ee statuts à l'usage de cette abbaye, lequel remplit vingt-quatre colonnes dans la Bibliotheca Cluniacensis de Marrier et André Duchesne. Hugues V n'en est peut-être pas l'unique rédacteur ; mais son nom se lit à la tête de la préface de ces réglemens : il y déclare que, pour réformer les abus qui se sont multipliés, pour rendre à l'or la couleur pur qu'il a perdue, pour rassembler les pierres dispersés du sanctuaire, il croit devoir recueillir et mettre en vigueur les anciennes règles établies par les pères et les fondateurs de l'ordre. Il interdit donc de nouveau la simonie, la société des femmes, le luxe, les voyages inutiles, le vagabondage ; il recommande l'abstinence, l'aumône, l'hospitalité, l'ordre dans les élections et dans les délibérations capitulaires.
Il est mort en 1207, le quatrième jour avant les calendes de septembre, selon une chronique de Cluni; au mois d'octobre, suivant le nécrologe du monastère de Saint-Robert de Cornillon. D.
GAUTIER DE COUTANCE, ARCHEVÊQUE DE ROUEN.
SA VIE.
S'IL est vrai, comme le continuateur du Recueil des historiens de France a essayé de le prouver, s'il est vrai que c'est à Gautier de Coutance qu'est adressée la lettre cent quatrevingt-septième de Jean de Salisburi, nous dirons qu'il fut
XIIIe SIÈCLE.
P. 647-667.
Catal. mss.
Angl., part. 3, n
1527.
Col. 1457-1480.
Bibl. Cluniac., col. 1626, 1663.
7 Gall. Christ. N., t. IV, col. 1 144.
Bouq., t. XVI.
P 537.
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surnommé d'abord Gautier de l'Isle, car c'est ainsi que le désigne communément le savant Anglais dans plusieurs de ses lettres. Mais nous le distinguerons d'un autre Gautier de Lille, surnommé de Châtillon, auteur d'un poëme latin sur Alexandre-le-Grand, dont il a été déjà rendu compte dans notre Histoire.
De ce que Gautier a été surnommé de l'Isle par l'auteur anglais, on peut tirer quelques lumières sur la véritable origine de notre prélat, que plusieurs font Anglais (a) de naissance, mais qui vraisemblablement était né dans l'île de Gersei, au diocèse de Coutance, sous la domination des rois d'Angleterre. En effet, à peine installé sur le siège de Rouen, l'an 1184, il n'eut rien de plus pressé que d'obtenir de Henri II, roi d'Angleterre, la permission de réunir l'abbaye de SaintHélier dans l'île de Gersei à celle du Vœu près de Cherbourg, fondée alors tout récemment par l'impératrice Mathilde, mère du roi, et d'y placer, en qualité d'abbé, son chapelain, chanoine régulier. C'est ce qu'atteste Robert du Mont, ou son continuateur, et ce qui prouve peut-être qu'originairement Gautier avait fait profession dans cet ordre.
Quoi qu'il en soit, le surnom de Coutance, que lui donnent généralement tous les historiens, à l'exception de Jean de Salisburi, semble prouver qu'il était Français, au moins d'origine. On voit bien, par la lettre quatre-vingt-troisième de Pierre de Blois, que Gautier avait un frère aîné établi en
(a) Nous ne dissimulerons pas que Giraud le Gallois (Cambrensis) lui donne dans l'Anglia sacra, t. II, p. 418, une origine troyenne, et le fait naître dans la province de Cornouailles, d'une famille surnommée Cormei : Walterus de Constantiis dictus, sed révéra de Cormei domo, Cornubiâque natus, et nobili Britonum gente ac Trojanâ stirpe originaliter propagatus.
Jean de Hautville dit à-peu-près la même chose dans son poëme intitulé Archithrenius, qu'il a dédié à notre archevêque. Parlant de sa promotion à l'évêché de Lincoln après une longue vacance du siège, il s'exprime ainsi : Gaudet et impluvium mœroris siccat, et imbres Vernat, et hiberna Gualterus diluit, in quo Florida Trojanum redimit Cornubia damnum.
Ces autorités sont assurément respectables : ces deux auteurs étaient contemporains de Gautier. Il reste à expliquer pourquoi Jean de Salisburi, qui était contemporain aussi, l'a surnommé de l'Isle, Insulensis : car il est évident que c'est du même personnage que les auteurs du temps ont parlé, le désignant tous par sa qualité de vice-chancelier ou garde du sceau du roi d'Angleterre avant son épiscopat.
XIIIe SIÈCLE.
Rob. du Mont, ad ann. 1184.
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Angleterre ; mais il doit être resté une branche de cette maison en Normandie : car, parmi les présidens ou conseillers de l'Échiquier à Rouen, l'an 1199, on trouve un Wautier de Coutance, portant, comme on voit, le même nom et surnom que notre prélat. Le père de celui-ci s'appelait, dit-on, Rainfroid, et sa mère Gonile, ainsi nommée dans une charte de donation faite par elle au chapitre de Rouen, dont parle D. François Pommeraye, dans son Histoire des archevêques de Rouen, p. 437.
Le même auteur dit que Gautier de Coutance fut nommé vice-chancelier du roi d'Angleterre, l'an 1173, à la prière de Raoul de Warneville, qui fut fait chancelier la même année.
Mais si l'on admet que Gautier de l'Isle, dont parle Jean de Salisburi, est le même que Gautier de Coutance, il était déjà garde du sceau, sigilifer, l'an 1166 : car cet écrivain le félicite d'avoir encouru la disgrâce du roi d'Angleterre, qui lui avait retiré les sceaux pour avoir manifesté quelques sentimens d'humanité envers un envoyé de la part de l'archevêque de Cantorbéri. Dom Pommeraye s'autorise d'un passage de Raoul de Diceto, tiré de la table des chapitres; mais dans le corps de l'ouvrage, cet auteur dit seulement que le nouveau chancelier, ennemi des contraintes de la cour, se déchargea des soins de la chancellerie sur Gautier de Coutance, à qui nous savons d'ailleurs que le roi avait rendu les sceaux presque aussitôt après les lui avoir ôtés : Radulfus de War-
nevilla, Rolomagensis sacrista et thesauranus Eboracensis, constitutus est Anglice cancellarius, qui modum vivendi pariim a privato dissimilem) quem semper habuerat, non immutavit : malens Waltero de Constantiis, canonico Rotomagensi, vices in curiâ regis commiiere, quàm circà latus principis militantes expensis profusioribus, lautioribus men- sis, ad sui gloriam nominis propagandam per dies singulos invitare.
A cette époque, Gautier de Coutance était donc chanoine de Rouen; il était également archidiacre d'Oxford, suivant la lettre quatre-vingt-troisième déjà citée de Pierre de Blois, et il jouissait à la cour du roi d'Angleterre d'une très-grande considération. L'an 1177, il fut envoyé en sa qualité de vicechancelier, avec Ranulfe de Glanville, vers le comte de Flandre, pour recevoir le serment par lequel le comte devait s'obliger de ne marier aucune de ses nièces, filles de son frère Matthieu, comte de Boulogne, sans le consentement
XIIIe SIÈCLE.
Joan. Saresb.
ep. 187, et inter Ep. S. Thomæ, p.
72.
Rad. de Dicet , ad. ann. 1173.
t
Rog. Hoved., p. 561.
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du roi. C'est encore en cette qualité qu'il accompagna, l'an 1180, l'évêque de Winchester, chargé d'une légation auprès du jeune roi Philippe-Auguste. Trois ans après, ayant été nommé à l'évêché de Lincoln, vacant depuis longues années, il reçut la consécration dans l'église de Saint-Lô à Angers, des mains de l'archevêque de Cantorbéri, mais il ne garda pas long-temps ce riche bénéfice.
Le siége de Rouen étant vacant par la mort de l'archevêque Rotrou, arrivée le 25 novembre 1183, il s'éleva entre le roi et le chapitre une contestation pour lui donner un successeur. Le chapitre élut son doyen, Robert de Neubourg, et deux autres chanoines de la cathédrale, demandant que le doyen fût reconnu comme légitimement élu. Mais le roi, craignant de trouver en lui de l'opposition à ses volontés, refusa de le reconnaître, et présenta Gautier de Coutance avec deux autres évêques anglais, voulant néanmoins que les suffrages se portassent sur Gautier. Le chapitre s'opposa de tout son pouvoir au désir du roi; mais, le voyant fort ému (turbatum) , les chanoines lui demandèrent si c'était en vertu de la prérogative royale, ou simplement par voie de prière qu'il prétendait leur donner Gautier pour archevêque. Il leur répondit : Je veux et je prie que cela soit ainsi. Le chapitre acquiesça à la volonté du roi, et Gautier fut agréé pour archevêque. Il fallait le consentement du pape pour opérer sa translation sur un nouveau siège; Lucius III l'accorda sans difficulté, par un bref des plus honorables à la personne de notre prélat.
Cependant Guillaume de Neubridge le blâme assez amèrement d'avoir quitté sa première épouse pour en prendre une autre, non plus riche, mais plus belle à ses yeux :
Nempe post modicum electus ad episcopaium Rotomagensem, formæ venustioris blandiente illecebrâ novæ nuptce vale-
dixit. Sur quoi, il fait cette réflexion que souvent l'ambition fait céder l'amour des richesses à l'éclat d'une dignité plus relevée. Personne, ajoute-t-il, n'ignore qu'autant l'Église de Rouen est au-dessus de celle de Lincoln, autant elle lui est inférieure pour les richesses. Mais pourquoi ne supposeraiton pas à Gautier des vues plus nobles et plus désintéressées?
Son mérite personnel et sa capacité éprouvée dans la conduite des affaires, ne le rendaient-ils pas en quelque sorte nécessaire dans un poste où le roi d'Angleterre avait besoin d'un homme qui fût à lui? Nous verrons bientôt que Gautier,
XIIIe SIÈCLE.
Rad. de Dicet., col. 609.
Ibid., col. 615.
Chesn., Script.
rer. Norman., p.
1056.—Gall. Chr., t. XI, pr.. p., 27.
Concil. Norm., parte II, p. 33.
Guil. Neubr., - lib. III, cap. 8.
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quoique toujours dévoué à son souverain, ne craignit pas quelquefois de lui résister, lorsque les intérêts de son Église se trouvèrent compromis.
L'an 1186, le 4 octobre, fête de saint Denis, Gautier eut avec le roi de France une conférence, dans laquelle il le supplia de procurer la paix à la province de Normandie, et d'empêcher que des malfaiteurs ne fissent des courses et du dégât sur les confins des deux royaumes; mais il se sépara du prince avec une très-faible espérance de paix, dit l'historien Raoul de Diceto, et il se rendit par la Flandre en Angleterre, où il aborda le 18 octobre 1186. Roger de Hoveden raconte que. le roi d'Angleterre l'envoya, la même année, vers le même prince en ambassade, avec Guillaume de Mandeville, comte d'Aumale, et Ranulfe de Glanville, grand justicier d'Angleterre, et qu'ils obtinrent du roi de France une trêve jusqu'à la fête de saint Hilaire. Il ne paraît pas douteux que c'est la même ambassade dont parle l'historien Raoul; qu'une conférence eut lieu à Noyon, et que notre prélat saisit cette occasion de recommander au roi la conservation du patrimoine de son Église, situé à Andeli, parce qu'en temps de guerre, ce domaine était le plus exposé à être dévasté par les troupes, étant alors la clef de la Normandie.
Au mois de janvier 1188, les deux rois de France et d'Angleterre eurent une entrevue entre Gisors et Trie. Guillaume, archevêque de Tyr, s'y étant rendu, y parla avec tant de force de la désolation des chrétiens d'Orient, et des malheurs encore plus grands dont ils étaient menacés, que les deux rois, laissant là les différends qui faisaient l'objet de la conférence, se réconcilièrent et reçurent la croix, le roi de France de la main de l'archevêque de Tyr et de celui de Reims, le roi d'Angleterre de la main de l'archevêque de Tyr et de celui de Rouen, qui se croisa aussi avec eux.
Au sortir de cette conférence, le roi d'Angleterre se rendit au Mans, où, de l'avis de son conseil, il fit une ordonnance par laquelle il régla les subsides que chacun devait payer pour subvenir aux frais de cettè guerre sainte. Notre arche- vêque fut un des prélats dont il prit l'avis dans cette occasion.
Il l'envoya, la même année, vers le roi de France, avec Jean, évêque d'Evreux, et Guillaume Maréchal, chargés de demander au monarque français la restitution de quelques places dont il venait de s'emparer, et de lui déclarer la guerre en cas de refus.
XIIIe SIÈCLE.
Rad. de Dicet., p. 631.
Rog. Hoved., p. 633.
Hoved., p. 641,
Hoved. p. 642.
V
Ibid., p. 645.
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L'année suivante, le pape Clément III) ayant fort à cœur de procurer des secours aux chrétiens d'Orient) envoya légat en France le cardinal Jean d'Anagni, pour travailler à la réconciliation de ces deux princes. Le légat fit tant par ses exhortations, qu'il leur fit promettre de s'en rapporter sur leurs contestations au jugement des archevêques de Reims, de Bourges, de Rouen et de Cantorbéri, qui s'assemblèrent à la Ferté-Bernard dans l'octave de la Pentecôte.
Cette conférence n'eut pas l'heureux résultat qu'on en espérait : nous n'en parlons que pour montrer que notre prélat était employé aux plus grandes affaires de l'État.
Henri Il étant mort peu après cette conférence, notre prélat se retira dans son diocèse. Ayant appris que Richard, son successeur, se rendait en Normandie, pour prendre possession du duché, il alla au-devant de lui jusqu'à Seez avec l'archevêque de Cantorbéri. Comme le roi Henri Il était du nombre des croisés, ces deux prélats donnèrent à Richard l'absolution de l'excommunication qu'il avait encourue pour avoir porté les armes contre son père. De là s'étant rendus à Rouen, Richard fut proclamé duc de Normandie. Cette cérémonie fut faite le 20 juillet 1189, en présence d'un grand nombre de prélats et de seigneurs. Richard prit sur l'autel l'épée ducale, que Gautier lui ceignit, et lui mit entre les mains l'étendard de la province. Il partit ensuite avec d'autres prélats de Normandie pour l'Angleterre, où il attendit l'arrivée du duc, et assista à son couronnement, qui fut fait le 3 septembre, à Westminster, par l'archevêque de Cantorbéri.
Retourné en Normandie, voulant pourvoir aux besoins de son diocèse et au bon ordre de la province, avant d'entreprendre le voyage d'outre-mer auquel il s'était voué, Gautier assembla à Rouen, le 11 février 1190, un concile provincial, dans lequel il publia trente-deux statuts ou canons, dont il sera parlé ci-après. Il ne joignit le roi d'Angleterre qu'à Pise, et il l'accompagna ensuite jusqu'à Messine. Pendant le séjour que le roi fit dans cette ville, notre prélat fut de tous ses conseils, et eut part à toutes les grandes affaires qui furent traitées dans cet intervalle, soit avec le roi de Sicile Tancrède, soit avec le roi de France.
Pendant ce temps-là le roi Richard, ayant entendu parler du fameux abbé Joachim, abbé de Curacio, dans la Calabre, qui passait pour avoir le don de prophétie, le fit venir à Messine. Étant entré en conférence avec lui, il l'écoutait avec
XIIIe SIÈCLE.
Rad de Dicet., col. 646. ,
Hoved, p. 654.
Ibid , p. 565 et seq.
Ibid , p. 667.
Ibid., p. 681 et seq.
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plaisir disserter sur l'Apocalypse. Mais notre prétendu prophète ayant avancé que l'Ante-Christ était déjà dans Rome, il trouva des contradicteurs dans la personne de notre archevêque et d'autres prélats qui étaient présens.
Cependant il arrivait tous les jours de fâcheuses nouvelles d'Angleterre. La dissension s'était mise entre l'évêque d'Ely, régent du royaume, et le comte de Mortain, frère du roi.
Le roi, instruit de ce qui se passait, et voulant prévenir les suites d'une pareille dissension, jeta les yeux sur notre archevêque, et le renvoya en Angleterre, comme un homme propre à calmer les esprits et à entretenir la paix parmi les dissidens; il le chargea d'une lettre portant ses ordres au chancelier évêque d'Ely, et aux autres ministres à qui il avait confié le gouvernement du royaume. Cette lettre est si honorable pour Gautier, qu'elle doit trouver ici sa place dans son éloge.
« Sachez, dit le roi, que nous chérissons infiniment notre cc vénérable père Wautier, archevêque de Rouen, et que nous « avons en lui une entière confiance. C'est pourquoi nous vous « l'envoyons, de l'avis et avec le consentement du souverain pontife, qui l'a dispensé de son pèlerinage, afin qu'il vous « aide à gouverner et à défendre notre royaume. Nous sommes « persuadé qu'il a toutes les qualités requises pour se bien « acquitter de cet emploi, connaissant depuis long-temps sa cc prudence, sa discrétion, et qu'il nous a été toujours fidèle.
« Nous vous enjoignons donc et ordonnons très-expressément cc de l'admettre dans toutes les affaires de notre royaume, et « de ne rien faire sans avoir pris son avis : voulant et or« donnant que, pendant tout le temps qu'il sera en Angle« terre, et nous dans notre pèlerinage, vous agissiez de « concert avec lui, et qu'il ne fasse rien sans vous. » La lettre est datée de Messine, le 23 février 1191.
Gautier, arrivé en Angleterre le 17 avril, communiqua aux ministres que le roi avait associés au chancelier dans le gouvernement du royaume les ordres dont il était porteur.
Mais on ne jugea pas à propos de les montrer au chancelier, crainte de l'irriter davantage, et d'aggraver le mal, bien loin d'y remédier. On convint qu'il fallait attendre une occasion favorable : elle ne tarda pas à se montrer.
Geofroi, fils naturel du roi Henri II, ayant été sacré à Tours archevêque d'York, se rendit en Angleterre, pour prendre possession de son siège, contre la promesse qu'il avait faite au roi de ne pas entrer dans le royaume pendant
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 687
Rad. de Dicet., col. 659.
Hoved., p. 687.
Ibid., p. 701 et seq.
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son absence. Le chancelier, outré de cette désobéissance, le fit arrêter aussitôt qu'il fut débarqué à Douvres, et enfermer dans le château. Jean, comte de Mortain, ayant appris cette arrestation, fit demander au chancelier si cela avait été fait par son ordre. Sur la réponse du chancelier, qu'il l'avait ainsi ordonné, le prince lui enjoignit de mettre l'archevêque, son frère, en liberté, et il le fit. Le prélat outragé, étant arrivé à Londres, porta ses plaintes au comte de Mortain et aux ministres associés au gouvernement; le chancelier fut cité à comparaître au Banc-du-Roi, et, après plusieurs citations inutiles, l'archevêque Gautier et Guillaume Maréchal, comte de Striguil, dans une assemblée qui fut tenue sur la place de Saint-Paul à Londres, le mardi 8 octobre, produisirent devant tout le monde les lettres du roi, par lesquelles il ordonnait qu'ils seraient associés au chancelier dans le gouvernement du royaume; que, faute par lui de se conformer à ses ordres, le chancelier serait privé de la régence. Il le fut réellement dans cette assemblée, et notre archevêque mis à sa place d'un consentement unanime.
Après sa disgrâce, le chancelier, étant passé en France, ne manqua pas de porter ses plaintes au pape et au roi Richard.
Célestin III lui fut d'abord favorable; il enjoignit aux évêques d'Angleterre de lancer l'excommunication contre tous ceux qui avaient eu part à la déposition du chancelier. Mais, malgré les instances de celui-ci, aucun ne voulut se charger de l'exécution du bref; ils l'avaient excommunié lui-même.
De son côté, l'archevêque de Rouen envoya des députés à Rome, pour instruire le pape de tout ce qui s'était passé, et des motifs qu'il avait eus de concourir à l'expulsion du chancelier, son légat. On voit par la lettre de ses agens que le pape était toujours prévenu en faveur de l'évêque d'Ely.
Cependant il leva les excommunications lancées des deux côtés, et promit d'envoyer deux légats qui devaient travailler à calmer les esprits et à éteindre les divisions. Ces cardinaux arrivèrent effectivement à Gisors, l'an 1192; mais le sénéchal de Normandie ne voulut jamais permettre qu'ils missent le pied dans la province.
Les nouvelles qui arrivèrent peu de temps après, de la captivité du Roi Richard, arrêté prisonnier en Allemagne, dissipèrent les intrigues des prétendans au gouvernement de l'État ; l'attention se porta tout entière sur ce triste événement, aussi funeste qu'inattendu. Notre archevêque convoqua
XIIIe SIÈCLE.
lbid., p. 706 et seq.
Ibid., p. 718 et seq.
Ibid., p. 720.
Ibid., p. 721.
Rad. de Dicet., col. 668.
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aussitôt une assemblée des grands du royaume, qui devait se tenir à Oxford, à la mi-carême 1193, pour aviser aux moyens les plus efficaces de procurer au roi sa liberté. Il était en effet à la tête de ceux qui avaient en main le gouvernement du royaume; ce fut en cette qualité qu'il avait confirmé l'élection de Savari à l'évêché de Bath, et celle de Hubert Wautier, évêque de Salisburi, à l'archevêché de Cantorbéri. Raoul de Diceto le qualifie capitalis Angliœ justitiarius.
Cependant Jean, comte de Mortain, à la nouvelle de l'arrestation du roi, s'était concerté avec le roi de France, pour envahir les États de son frère. N'ayant pu corrompre la fidélité des seigneurs de Normandie, il passa en Angleterre, alla à Londres trouver l'archevêque Gautier et les autres justiciers du royaume, demandant qu'ils le reconnussent pour roi, et lui fissent serment de fidélité, parce que, disait-il, le roi son frère était mort ou ne reviendrait plus. On n'ajouta aucune croyance à ce qu'il disait; on fut bientôt convaincu de son imposture, par la relation des abbés de Boxlei et de Pont-Robert, qui, ayant été envoyés en Allemagne à la recherche du roi, avaient eu le bonheur de le rencontrer.
Notre prélat reçut en même temps un billet du roi, par lequel il l'avertissait que, s'il arrivait que, dans ses dépêches, il lui ordonnât d'ajouter foi à ce que lui diraient les porteurs, c'était à condition qu'il n'y déférerait point, s'il jugeait la chose contraire à son honneur ou préjudiciable à ses intérêts.
Le roi Richard, ayant fait son accord avec l'empereur, après être convenu avec lui de sa rançon, pria la reine Aliénor sa mère, et ordonna à notre archevêque, ainsi qu'à quelques autres seigneurs, de se rendre auprès de lui. Hubert, archevêque de Cantorbéri, lui succéda dans l'emploi de grand justicier, que Gautier avait rempli l'espace de deux ans et trois mois. Raoul de Diceto lui rend ce témoignage, que pendant son administration il ne fit paraître ni fierté ni hauteur, qu'il ne reçut jamais de présens, et qu'il jugea les affaires sans partialité. Il partit au commencement de janvier 1194..
Au mois de février suivant, l'empereur convoqua à Mayence une grande assemblée des princes de l'empire, pour délibérer sur la mise en liberté du roi Richard. Elle lui fut accordée à condition qu'il laisserait pour ôtages, jusqu'à ce que toutes les conditions du traité fussent remplies, l'arche-
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., p. 670.
Hoved., P 724.
Rad. de Dicet., col. 671.
Hoved., p. 732.
Rad. de Dicet., col. 671.
Hoved., p. 734.
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vêque de Rouen avec quelques autres évêques et grands seigneurs de ses États. Il n'eut la liberté de retourner dans son Église qu'après avoir payé de ses deniers la somme de dix mille marcs d'argent, pour laquelle il avait répondu.
A son retour d'Allemagne, il aborda d'abord en Angleterre, où il fut reçu avec distinction, le jour de l'Ascension, et fit un sermon à Londres, dans l'église de Saint-Paul, et repassa ensuite en Normandie, le lendemain de la Pentecôte, 22 mai 1194.
Pendant son séjour en Allemagne, il s'acquit, par son mérite et ses éminentes qualités, l'estime et l'affection de l'empereur Henri VI. On le voit par la lettre que ce prince lui écrivit, des plus honorables qu'un souverain puisse écrire à un particulier : il l'appelle son ami, et, ne doutant pas qu'il ne prenne une grande part à ses heureux succès, il lui mande qu'il vient de se rendre maître de la Sicile et de la Pouille, qu'il avait surmonté tous les obstacles qu'on lui opposait, et lui fait part en même temps de l'heureux accouchement de l'impératrice Constance, qui lui avait donné un fils, le jour de saint Étienne 1194. La lettre est du 20 janvier 1 195.
Gautier avait été absent de son diocèse pendant quatre ans pour le service du roi. Dans cet intervalle, il s'éleva à Rouen une funeste division entre les chanoines et les bourgeois de la ville, au sujet de quelques échoppes placées au parvis de la cathédrale, sur lesquelles les bourgeois firent main-basse.
Avertis de réparer le dommage, et n'en voulant rien faire, ils furent excommuniés par les évêques de la province, du consentement de l'archevêque. Alors le peuple furieux ne garda plus de mesure, courut sur les chanoines, dont quelques-uns furent tués, maltraita les autres, démolit leurs maisons, et se porta à d'autres excès pendant les jours de la semaine sainte. Ce récit est tiré de plusieurs brefs du pape Célestin III, qui intervint dans cette affaire. Gautier, de retour dans son diocèse, s'appliqua à étouffer ces germes de divisions, et, avec l'intervention du roi d'Angleterre, il fit promettre aux bourgeois qu'il répareraient les dommages.
L'an 1194, les églises de Normandie eurent beaucoup à souffrir des guerres qui s'élevèrent entre le roi de France et celui d'Angleterre. Richard ayant chassé les chanoines de Saint-Martin de Tours, et s'étant emparé de leurs biens, à cause de leur attachement à la France, Philippe, par représailles, saisit aussi dans ses mains les biens des églises que
XIIIe SIÈCLE.
Guil. Neubr., lib. V, cap. 27.
Rad. de Dicet., col. 673.
Ibid., col. 678.
Petri Bles. Op., p. 796 et seq.
Rad. de Dicet., col. 677.
Rigord., ad.
ann. 1194.
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possédaient dans ses États les sujets du roi d'Angleterre.
Notre prélat, s'étant porté médiateur entre les deux rois, se rendit à Vaudreuil au mois de juin, accompagné du sénéchal et du connétable de Normandie, pour traiter avec les agens du roi de France d'une trêve qui devait durer trois ans. Elle fut accordée pour un an; mais lorsqu'il fallut signer les articles, Philippe voulut comprendre dans la trêve tous ceux qui, pendant la guerre, avaient pris parti pour l'un ou pour l'autre : à quoi le roi d'Angleterre s'étant refusé, la guerre recommença, et bientôt après le roi de France mit à feu et à sang la ville d'Évreux. C'est alors sans doute que Gautier jeta l'interdit, dont parle le pape Célestin dans un bref, sur les terres du roi de France situées sur son diocèse. De son côté, le roi de France s'empara des terres de l'archevêché dans le Vexin, et ce ne fut que l'année suivante que, par accommodement, Gautier leva l'interdit, et paya au roi la somme de mille livres, monnaie d'Anjou.
La paix entre les deux rois ayant été conclue à Issoudun, au mois de décembre 1195, et ratifiée au mois de janvier suivant, dans une grande assemblée tenue à Louviers, notre prélat fut obligé de s'y rendre. Le roi d'Angleterre lui proposa de se rendre caution, lui et son chapitre, de l'exécution du traité envers le roi de France, pour la somme de deux mille marcs d'argent. Gautier ne voulut y consentir qu'autant qu'on lui montrerait le traité en original. Après quelques difficultés
on le lui communiqua. Notre prélat fut fort étonné d'y trouver un article qui blessait essentiellement la dignité de son siège. Cet article portait en substance que, s'il arrivait que l'archevêque de Rouen jetât l'interdit ou l'excommunication contre les terres ou les suj ets du roi de France ou du roi d'Angleterre, ces deux princes pourraient se saisir de la terre d'Andely; qu'il serait nommé quatre prêtres ou diacres, lesquels jugeraient si la sentence d'excommunication était donnée justement ou injustement. C'était évidemment soumettre l'exercice de l'autorité épiscopale à la révision de simples clercs. Gautier refusa non-seulement de souscrire à ce traité, il en appela encore au pape, et lança l'excommunication contre les inventeurs et approbateurs de pareilles maximes, n'exceptant que la personne des deux rois. Le lendemain, étant allé trouver le roi de France, il le pria d'avoir pour agréable qu'il signât le traité et s'en rendît pleige, sauf son ordre et sa dignité, saufs aussi les droits et
XIII. SIÈCLE
Hoved., q. 741.
Petri Bles. Op., P. 797.
Hoved., p. 749.
Rad. de Dicet.
p. 686.
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la juridiction de son Église. Cette proposition fut mal accueillie, et rejetée avec des paroles injurieuses. Alors il demanda au roi d'Angleterre la permission de retourner dans son Église, et il l'obtint. Mais, à peine arrivé, il reçut du même prince l'ordre de venir le trouver. Craignant de ne pouvoir résister à ses instantes prières, ou de blesser sa conscience en accédant à ses volontés, il prit le parti de la fuite, et se retira avec son chapelain et un seul domestique à Cambrai. Ceci est tiré d'une lettre de Gautier à l'historien Raoul de Diceto, qui la rapporte.
Roger de Hoveden raconte la chose tout autrement. Selon lui, Philippe-Auguste voulait que Gautier lui cédât le domaine d'Andely. A son refus, le roi exigea que le prélat lui fît hommage de la partie de son diocèse qui dépendait de la couronne de France, c'est-à-dire, du Vexin français. Gautier, trouvant cette proposition peu honorable, en appela au pape, pour ne rien perdre des droits de son Église, pro statu Ecclesiœ suæ, et se retira, dans la crainte que le roi d'Angleterre, son souverain, ne le contraignît de se conformer à la volonté du roi de France. Quelle apparence que le roi d'Angleterre eût jamais consenti à voir passer dans les mains des Français un poste qu'il jugeait si essentiel de conserver pour la sûreté de ses États, lui qui bientôt après n'épargna aucune dépense pour le fortifier et le rendre imprenable ?
Ce fut à cette occasion, lorsque Gautier se fut retiré à Cambrai, et non à celle de son voyage à Rome, dont il sera bientôt parlé, comme l'ont cru les auteurs de la Nouvelle Gaule Chrétienne, que Pierre de Blois, son ancien ami, lui écrivit les lettres cent vingt-quatrième et cent vingt-cinquième de son recueil, car il dit positivement dans la première que plusieurs assuraient qu'il s'était retiré en Allemagne. Il lui apprend que plusieurs officiers du roi, et même des ecclésiastiques, blâmaient sa retraite, et attribuaient à un excès d'orgueil et de vanité le zèle qu'il montrait à soutenir les intérêts de son Église. Il l'assure qu'ayant voulu le justifier auprès de la reine, elle l'avait accablé d'injures et s'était emportée contre lui d'une manière peu convenable à son rang et à son sexe. Enfin il l'exhorte à tenir ferme, et à ne pas se laisser ébranler ni par les menaces ni par les caresses de la cour.
Gautier ne demeura pas long-temps à Cambrai : les deux rois lui écrivirent pour le rappeler. Ces lettres lui font tant
XIIIe SIÈCLE.
Hoved., p. 765.
Gall. Christ., t. XI, col. 54.
Petri Bles. ep.
124 et 125.
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d'honneur, que nous nous faisons un devoir de les rapporter ici. Dans la première, le roi Philippe-Auguste lui fait savoir qu'il désire ardemment son retour, et qu'il a donné ordre à ses baillis de le faire conduire en toute sûreté en rentrant dans son royaume. Dans une autre, il lui rappelle qu'il a député vers lui Anselme, doyen de Saint-Martin de Tours, et le chambellan Ursion, pour l'assurer qu'il lui avait rendu ses bonnes grâces, sa terre d'Andely avec ses dépendances, et tout ce qui lui appartenait; que son amour pour lui ne fait que croître de jour en jour; que s'il veut passer dans son royaume, il y sera reçu avec sa suite comme un des principaux membres de son clergé et son ami. Cette lettre d'invitation paraît avoir précédé dans l'ordre des dates la précédente, qui n'est, à proprement parler, qu'un sauf-conduit.
Le roi d'Angleterre lui mande qu'il le trouvera toujours prêt à l'assister dans ses besoins, et à le dédommager de ses pertes. Il le laisse maître de rentrer dans son diocèse quand et par quel chemin il jugera plus convenable. C'est la réponse à une autre lettre de Gautier, qui manque dans l'Histoire de Raoul de Diceto. Notre prélat avait sans doute instruit le roi Richard de l'invitation gracieuse qu'il avait reçue de la part du roi de France, et demandé ses ordres sur ce qu'il devait faire dans cette entrevue. Richard ne trouve pas mauvais que notre prélat prenne des engagemens avec le roi de France, pour l'indemnité des clercs et des tenanciers de ses domaines, qui avaient éprouvé des pertes : De loquela versùs
regem Franciæ, scilicet quietatione clericorum et laicorum,
cum eo sermonem habeatis. Mais il le prie d examiner s'il est plus convenable qu'il forme ses demandes en son propre nom, sans interposer celui du roi, qui serait censé ignorer ses démarches.
Étant parti de Cambrai, Gautier alla trouver le roi Philippe à Pontoise, le mercredi de la semaine sainte, qui, en cette année 1196, était le 17 avril. Ce prince alla au-devant de lui, l'introduisit lui-même dans son cabinet, le faisant passer le premier ; il l'entretint en particulier, adoucit par l'affabilité de ses manières et de ses paroles la profonde tristesse dont il le voyait accablé, lui fit les promesses les plus flatteuses, et l'assura qu'il ne porterait aucune atteinte à sa dignité ni aux droits de son Église, il lui fit même l'honneur de le reconduire.
S'étant avancé jusqu'à Paris, la veille des apôtres saint Jacques et saint Philippe, c'est-à-dire, le 3o avril, Gautier rencontra
XIIIe SIÈCLE.
Rad. de Dicet., col. 688.
Ibid.,col. 689.
Ibid., col. 688.
Dicet., col. 689.
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le roi avec le frère Bernard de Vincennes, conseiller intime de Sa Majesté, dont nous avons parlé dans cette Histoire, fut encore plus satisfait des bontés que le roi lui témoigna, qu'il ne l'avait été dans la première entrevue, en obtint tout ce qu'il souhaitait, et surtout qu'on ôterait du traité d'Issoudun les articles qui blessaient sa dignité et l'autorité épiscopale.
Quant aux Églises de Normandie qui avaient répondu de l'exécution du traité pour le roi d'Angleterre, Philippe les déchargea, contre l'avis de son conseil, satraparum, de leur cautionnement, pourvu que l'Anglais déchargeât de son côté les Églises de France qui avaient répondu pour lui. Cette garantie était de côté et d'autre de quinze mille marcs d'argent, suivant Roger de Hoveden. ,
Ayant obtenu tout ce qu'il pouvait raisonnablement demander, Gautier se retira dans la partie de son diocèse soumise à la France, afin d'être à portée de solliciter l'accomplissement des promesses du roi de France, et d'agir auprès du roi d'Angleterre, pour obtenir son consentement aux conditions proposées. Ses démarches furent couronnées du succès; et, comme il le dit lui-même dans une de ses lettres, Dieu, qui tient dans ses mains le cœur des rois, les disposa à lui rendre justice, et à retrancher de leur traité la clause qui le grevait; l'Église de Rouen reçut en compensation des pertes qu'elle avait éprouvées une rente annuelle de cinq cents livres; les abbés de la province qui s'étaient rendus caution du traité pour le roi d'Angleterre, et d'autres ecclésiastiques qui avaient souffert dans leurs possessions, devaient recevoir de lui une indemnité convenable, selon l'estimation de notre archevêque. Au moyen de cette stipulation, Gautier consentit à lever l'interdiction dont il avait frappé le Vexin français. Cette affaire étant ainsi terminée, à la prière de son clergé et des évêques de la province, il retourna dans son Église, où il fut reçu solennellement le quatrième dimanche après la Pentecôte, qui tombait cette année le 17 juillet. A la suite de cet accommodement, Jean de Coutance, neveu de notre prélat, doyen du chapitre de Rouen, fut nommé par le roi évêque de Worchester, et reçut la consécration des mains de l'archevêque de Cantorbéri, le 20 octobre de la même année.
La tentative qu'avait faite le roi de France, au rapport de Roger de Hoveden, de faire passer dans ses mains la terre d'Andely, ancien patrimoine de l'Église de Rouen, fit ouvrir les yeux au roi Richard sur l'importance de cette position
XIIIe SIÈCLE.
H. Litt., t. XV, p.
Hoved., p. 765.
Dicet., col. 692.
Ibid., col. 688 et 693.
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pour la défense de la Normandie : il entreprit de la fortifier.
Gautier s'y opposa d'abord par ses prières et ses remontrances ; mais le roi, nonobstant son opposition, passa outre, et commença de bâtir deux châteaux, l'un dans l'île, et l'autre au bord de la Seine, sur la roche nommée depuis Château Gaillard. Gautier, après de nouvelles remontrances, interjeta appel au Saint-Siège, mit la Normandie en interdit et prit le chemin de Rome, le jeudi après la fête de tous les Saints. La Chronique de Rouen porte que plusieurs des prélats de la province, par complaisance pour le prince, refusèrent de garder l'interdit. Richard, voyant avec peine que les corps des défunts demeuraient sans sépulture, et que la province était en deuil, envoya de son côté trois députés à Rome, pour défendre son entreprise : Guillaume, évêque de Lisieux, que notre prélat avait excommunié pour cause de désobéissance; l'évêque d'Ely, son chancelier, ancien ennemi de Gautier, et Philippe, élu évêque de Durham, et il continua de faire travailler aux fortifications d'Andely. Il avait tant à cœur l'achèvement de cette grande entreprise, qui devait être le boulevard de ses États et la terreur des Français, qu'il se transportait souvent sur le lieu, pour presser les ouvriers, et avoir le plaisir de voir l'édifice s'élever sur ses fondemens.
Quant aux trois évêques députés par le roi, il n'y eut que ceux de Lisieux et de Durham qui firent le voyage, l'évêque d'Ely étant mort en chemin, dans la ville de Poitiers. Arrivées à Rome, les parties plaidèrent leur cause devant le pape Célestin. Gautier s'étendit longuement sur les dommages qu'il éprouvait de la part du roi d'Angleterre. A quoi les agens du roi répliquèrent que ce prince avait offert à l'archevêque de l'indemniser des pertes qu'il éprouvait, selon l'estimation qui en serait faite ; qu'il était indispensable de fortifier ce lieu contre les entreprises des Français, parce que de là dépendaient la sûreté et la tranquillité de la Normandie. Après quoi les parties déclarèrent qu'elles se soumettraient au jugement du pape et de l'Église romaine. Sa Sainteté, après une longue conférence avec les cardinaux, décida la contestation plutôt en arbitre qu'en juge, suivant la remarque de Baronius, et conseilla à Gautier de traiter à l'amiable avec le roi, parce qu'à prendre les choses à la rigueur, il était permis à un prince de fortifier dans ses États tel lieu qu'il jugerait convenable pour sa sûreté et celle de ses sujets. Gautier acquiesça à ce jugement. Le 20 avril 1197, le pape sacra
XIIIe SIÈCLE.
Ibid., col. 694.
Labbe, Bibl.
mss.,t. I, p. 369.
Hoved., p. 769.
G. Neubrig., lib. V, cap. 33.
Hoved., p. 769.
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l'évêque de Durham, puis leva l'interdit dont Gautier avait frappé la Normandie.
De retour dans son diocèse, Gautier consulta ses amis, qui lui conseillèrent de s'accommoder au plus tôt avec le roi, et de faire un échange d'Andely contre d'autres terres qu'on lui donnerait. Le roi d'Angleterre,, par contrat du 16 octobre 1197, et non 1196, comme prétendent les auteurs du Gallia Christiana, céda à notre archevêque et à son Église le domaine de Dieppe, de Louviers, de Bouteille, d'Aliermont, et les moulins de Robeq à Rouen, par lequel échange l'Église de Rouen gagnait un revenu de plus de cinq cents livres, comme dit Gautier dans une de ses lettres. Le même jour il fut reçu solennellement dans son église. Quant aux évêques qui, méconnaissant son autorité, s'étaient rangés du côté du roi, ils furent obligés de venir bientôt après lui faire satisfaction, et, prosternés à ses pieds, ils remirent publiquement entre ses mains leur crosse et leur mitre, qu'il voulut bien leur rendre comme une faveur et une grâce.
Notre prélat avait sans doute fait part de cet agréable événement à son ami Pierre de Blois, qui lui écrivit à ce sujet une longue lettre de félicitation. Il le loue de sa fermeté tout épiscopale ; à l'entendre, son ami s'était exposé aux plus grandes persécutions pour le testament de Dieu, pro testa-
mento Dei vestram animam posuistis, et exposuistis discri- mini (c'est ainsi qu'il qualifie une affaire toute temporelle), vestros parentes exterminio, familiares proscriptioni, posses- siones rapince, famam ludibrio.
L'année suivante 1198, Gautier fit confirmer par le SaintSiège l'échange d'Andely, et obtint pour cet effet une bulle du pape Innocent III, en date du 26 avril., que Raoul de Diceto rapporte dans son Histoire.
Bien que, par cet accord, la contestation entre le roi Richard et notre archevêque fût entièrement terminée, et qu'il n'y eût presque plus rien à craindre qu'il s'élevât entre eux de nouveaux différens, néanmoins le pape ne laissa pas d'exhorter notre prélat, par ses lettres en date du 2 juin, d'exercer courageusement sa juridiction, sans se laisser ébranler par les menaces des princes; et surtout de ne pas se soumettre à cet article du traité d'Issoudun par lequel il était dit que quatre clercs d'un ordre inférieur jugeraient si les sentences d'interdit ou d'excommunication par lui
XIIIe SIÈCLE.
Dicet.,col. 697.
Chron. Rotom., apud Labbe, t. 1, Bibl, mss., p. 36g.
Petri Bles.
epist. 138.
Dicet., col. 701.
Innocentii Reg.
lib. I, epist. 106.
Innoc., ibid., epist. 260. —
Rymer, r. I, p.
33, edit. sec.
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lancées contre les terres ou les sujets du roi de France ou d'Angleterre seraient bien ou mal données.
Par un autre bref, du n juin 1198, le même pape, ayant égard à ses prières, décide que, lorsqu'il prononcerait une sentence d'interdit, tous ses diocésains seraient obligés de l'observer inviolablement, et confirme une pareille sentence que Gautier avait rendue contre quelques clercs et laïques de son diocèse, nonobstant appel.
L'an 1200, le pape le chargea d'une commission périlleuse.
C'était de promulguer, conjointement avec l'évêque de Poitiers, l'interdit lancé, l'année précédente, au concile de Dijon, par le légat Pierre de Capoue, sur les terres du roi de France pour l'obliger à reprendre Ingelburge, qu'il avait répudiée. Quoique la personne du roi eût été épargnée dans ce décret, néanmoins Philippe-Auguste en fut si outré, qu'au rapport de l'historien Rigord, il exerça une cruelle vengeance sur tous les ecclésiastiques qui s'y conformèrent. Mais Gautier, depuis la cession qu'il avait faite au roi d'Angleterre du domaine d'Andely, ne tenant plus rien du roi de France, n'avait rien à craindre de sa part, et c'est pour cela qu'on l'avait chargé de l'exécution du décret.
Un abus s'était introduit dans son Église. Plusieurs des chanoines percevaient les fruits de leur prébende, et ne faisaient presque point de résidence. Il s'adressa au pape, qui lui accorda le pouvoir de les y contraindre par les censures. N'aurait-il pu remédier à cet abus par lui-même, sans avoir recours au pape? C'est ainsi que les évêques méconnaissaient leur autorité, et se rendaient, pour ainsi dire, les simples vicaires du pape.
Pour n'avoir pas consulté le pape dans une autre occasion, où il semble qu'il aurait dû le faire, parce que le cas était nouveau et n'avait pas encore été décidé, Gautier eut le malheur de déplaire au pape, et d'éprouver sa sévérité. Voici le fait. L'an 1197, Guillaume de Chemillé, ayant été élu évêque d'Avranches, reçut l'institution de notre archevêque; mais avant qu'il eût été sacré, il fut @ appelé par le chapitre d'Angers au gouvernement de cette Église. Gautier consentit à sa.
translation, et, sur cette permission, l'archevêque de Tours ne fit aucune difficulté de donner la consécration épiscopale à Guillaume de Chemillé. Le pape Innocent 111 trouva cela fort mauvais, prétendant que la translation d'un évêque
XIIIe SIÈCLE.
Bessin, Concil.
Norman., part. 2, p. 39.
Rad. de Dicet., col. 707.
lnnoc., lib. I, epist. 107.
lbid., ep. 117
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était une cause majeure réservée au pape, et n'avait pu se faire sans la permission du Saint-Siége; et, pour ne pas laisser impunie cette entreprise sur son autorité, il envoya ordre à l'archevêque de Bourges de suspendre les archevêques de Rouen et de Tours du pouvoir de confirmer et de consacrer les évêques de leur métropole, et d'interdire à l'évêque transféré toute fonction épiscopale : ce qui fut exécuté. Mais ces prélats ayant fait satisfaction au pape, et avoué qu'ils avaient agi d'après un principe erroné,. il les rétablit dans l'exercice de leur autorité, et confirma Guillaume de Chemillé sur le siège d'Angers. On voit par la lecture de ces lettres, rapportées dans le livre des Décrétales, qu'il n'y avait pas tant de faute dans la conduite de nos archevêques, puisque le pape y reconnaît qu'en ce temps-là il n'y avait pas de loi particulière qui réservât au Siège apostolique la translation des évêques seulement élus, les saints canons ne parlant que de ceux qui avaient reçu la consécration : Usque ad tempora
ista, quod cautum fuerat de episcopis, expressum non fuerat
de electis. On était donc autorisé à croire que ce qui n'était pas défendu, était permis. Mais Innocent III en jugea autrement, et, pour prouver que ce que les canons avaient déterminé touchant les évêques déjà consacrés, devait s'étendre à ceux qui ne l'étaient pas, il pose en principe qu'après une élection et une institution canonique, il se forme entre celui qui a été élu évêque et l'Église qui l'a élu un lien spirituel aussi obligatoire que celui que contracte un évêque au moment de sa consécration, lequel ne peut être rompu que par le successeur de saint Pierre et le vicaire de Jésus-Christ.
C'est ainsi que la puissance du pape s'élevait sur les ruines de l'autorité des métropolitains.
L'an 1202, le même pape, prenant en main les intérêts du roi Jean d'Angleterre, charge notre prélat de réprimer par les censures ecclésiastiques les rebelles qui, soit en Normandie, soit dans les autres provinces de France soumises au roi d'Angleterre, refuseraient de le reconnaître et de lui obéir.
Après une longue altercation qu'eurent les chanoines de Seez avec Jean, roi d'Angleterre, pour donner un successeur à l'évêque Lisiard, décédé l'an 1201, le pape, ayant décidé la contestation, écrivit, l'an 1203, à notre archevêque de mettre la Normandie sous l'interdit, si le roi refusait de recevoir l'évêque légitimement élu, et de restituer au chapitre les biens dont il s'était emparé.
XIIIe SIÈCLE.
lbid., ep. 447.
Ibid., ep. 532.
Ibid., lib. V, episi. 31 et 70.
Ibid. Iib., VI, epist. 73.
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L'an 1204, le roi Philippe-Auguste s'étant rendu maître de la Normandie et de la ville de Rouen, notre prélat lui donna les attributs de la dignité ducale, avec un pompeux appareil, dans son église. C'était pour la troisième fois qu'il faisait cette auguste cérémonie, puisqu'il l'avait déjà faite à la prise de possession du roi Richard et de Jean-Sans-Terre.
L'année suivante, c'est-à-dire 1205, le dimanche après l'octave de tous les Saints, il se tint à Rouen une assemblée des principaux seigneurs du pays, relativement à plusieurs points de la juridiction civile et ecclésiastique, sur lesquels il pouvait y avoir de la difficulté et s'élever des contestations entre le roi et le clergé. Les membres composant l'assemblée, après avoir prêté serment, attestèrent ce qu'ils avaient vu pratiqué sur ces objets, du temps de Henri II et du roi Richard. Il ne paraît pas que notre archevêque se soit élevé contre leur déposition, quoique un des articles porte que les évêques ne pouvaient frapper d'excommunication les barons, les baillifs, et officiers et aumôniers du roi, sans en avoir demandé la permission au roi. C'était en effet un des articles pour lequel Henri Il avait combattu contre les prétentions de l'archevêque de Cantorbéri.
L'an 1207, Gautier, avec les évêques de la province, présenta au roi une requête sur la manière de décider les procès touchant la présentation aux bénéfices. Ils prient le prince d'ordonner qu'en pareil cas il soit nommé quatre ecclésiastiques et quatre chevaliers des plus vertueux et des plus capables, afin que l'archevêque ou l'évêque dans le diocèse duquel sera situé le bénéfice, examine conjointement avec le baillif du roi les motifs de leur décision, et qu'en cas de partage la présentation soit adjugée à celui qui aura présenté en dernier lieu. Le roi leur accorda leur demande, par ses lettres données à Gisors, au mois d'octobre 1207. ,
La même année, Gautier disposa, en faveur de son Église, de ses livres, de son or, de son argent, tant monnayé que non monnayé, et de ses pierreries, en compensation de ce qui avait été distrait du trésor de ladite Église, et employé au service du roi, sans doute lorsqu'il fallut contribuer à la rancon du roi Richard, pour laquelle on n'épargna pas même les "vases sacrés. Il mourut le 16 novembre de la même année, et fut inhumé dans sa cathédrale, sous un magnifique tombeau de marbre.
On peut juger des grandes qualités de ce prélat par ses
XIIIe- SIÈCLE.
Gall. Christ., t.
XI, p. 57.
Rer. Norm.
Script., p. 1059.
— Conc. Norm., part. 1 , p. 104.
— Brussel, pr., p.
XXIV.
Bessin, Conc.
Norm., ib., p. 105 et seq. — Spicil., in-fol. t. III, p.
569.
Ordon., t. 1 p. 26.
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actions, et par ce que nous en avons dit dans le cours de cet abrégé historique. Nous ajouterons néanmoins, pour compléter son éloge, ce bel endroit tiré d'un opuscule de Pierre de Blois, intitulé Canon episcopalis, qui lui avait été demandé par Jean de Coutance, évêque de Worchester, neveu de Gautier, sur les devoirs d'un évêque, dans lequel il lui dit : « Vous n'avez pas besoin d'aller chercher bien loin « des modèles de sagesse et de conduite; vous n'avez qu'à « marcher sur les traces de votre oncle l'archevêque de « Rouen, vous y trouverez un modèle accompli du devoir « épiscopal. Si vous voulez l'imiter, vous serez réglé dans vos « mœurs, libéral, affable et modéré, prudent et sage dans « vos résolutions, ferme et constant dans l'exécution, discret (1 à commander, réservé dans vos paroles, retenu et sans « présomption dans la prospérité, courageux dans l'adversité, Il doux et tranquille avec les personnes fâcheuses, pacifique « avec les ennemis de la paix, faisant d'abondantes aumônes, « modéré dans votre zèle, toujours porté à la clémence, ni « trop inquiet ni trop négligent dans le soin de vos affaires « domestiques, circonspect dans toutes vos actions, ayant, « comme les quatre animaux dont parle l'Apocalypse, des Il yeux devant, des yeux derrière et à l'entour, pour voir « tout et pourvoir à tout. »
Quelque magnifique que soit cet éloge, Jean de Hauville renchérit encore sur les louanges que Pierre de Blois donne à notre prélat, dans son poëme intitulé Architrenius, qu'il lui dédia.
O cujus studio, quo remige navigat cestu Mundanoque mari tumidis excepta procellis Lincolniæ sedes ! O quern non prceterit cequi Calculus! O cujus morum redolentia caelum Spondet, et esse nequit virtus altissima major; Indivisa minor, cujus se nomen et astris
Inserit, et famæ lituo circumsonat orbem !
O quem Rotomagi sedes viduata maritum Spectat et adspirat, solidisque amplexibus ardet Adstrinxisse virum, fragrantis odoribus uti, Morum deliciis, virtutis aromate, sponsi Pectore quod Phæbum redolet, quod Nestora pingit!
Virgo virum, matura thorum, innupta maritum, Orba patrem, mutilata caput, jactata salutem, Cæca ducem, tenebrosa jubar, nocturna lucernam Exigit, et queritur tardanti mane, suumque Eclipsata sitit rediturum Cynthia Phæbum.
XIIIe SIÈCLE.
Petri Bles. Op., p. 448.
Lib. I, cap. 6.
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Et, comme s'il n'en avait pas encore assez dit, il ajoute :
Vix hujus Cyathum pelagi delibo; licebit Solverer in qucevis commendativa, viroque Impluerem laudes. Nam morurn prcevolat alis Curriculum laudis: solus capit omnia famæ Nomina, nec viris adventum percipit Ætnæ Gloria, nec crescit Phoebus face, mundus arena, Secula momento, limbo mare, linea puncto.
Il reste aussi quelques vers faits dans le temps à sa louange.
D. Pomeraye a recueilli ceux-ci :
Largus successil Galterius, et bona gessit, Quce sanxêre duces, commemorantque cruces.
Hunc similem sensit clerus, regesque severum, Fratribus hie ccepit perpetuare merum.
Le second vers a rapport aux croix qui furent dressées pour marquer les limites des nouvelles possessions que Gautier avait obtenues en échange de la terre d'Andely, sur lesquelles on avait gravé : Vicisti, Gualtere, etc.; le dernier.
aux distributions de pain et de vin ordonnées par Rotrou, son prédécesseur, qui devaient être faites en certains jours aux chanoines, et que Gautier rétablit et remit en vigueur, Albéric de Trois-Fontaines rapporte, sous l'année 1183, des éloges en vers de plusieurs archevêques de Rouen, qui finissent à Gautier, dont l'éloge est en deux vers, comme ceux de ses prédécesseurs :
In specula cleri speculum, prudens speculator Surgit Galterius, decus urbis, præsule dignus.
En général, tous les historiens disent du bien de notre prélat, à l'exception de Gervais de Cantorbéri, qui l'appelle un traître, et la conduite qu'il avait tenue dans une affaire qui intéressait sa communauté une trahison, qualifiant ainsi une mesure qui avait été adoptée dans le conseil du roi, pour terminer le différend à l'avantage des religieux, sans blesser la dignité épiscopale. Cette mesure consistait à leur faire recevoir, de la part de l'archevêque de Cantorbéri, comme une grâce, ce qui leur était accordé par la justice, SES ÉCRITS.
Le tableau historique que nous venons de tracer est plutôt l'éloge d'un ministre d'État que celui d'un savant et d'un
XIIIe SIÈCLE.
Hist. des évêq.
de Rouen, p. 438.
Alb. Chron., p. 205.
Gerv. Dorob.
Chr., col. 156r.
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littérateur. Cependant on le dit auteur de quelques écrits qu'on ne peut lui contester, et de plusieurs autres qu'on lui attribue peut-être mal à propos ; tels sont les suivans, rapportés par les bibliographes anglais : De negotiis juris librum
unum; — De peregrinatione regis Richardi librum unum; —
Epistolarum ad diversos librum unum ; écrits qui n'ont jamais vu le jour, et dont on ne connaît point de manuscrits dans les bibliothèques. Nous allons rendre compte de ceux qui sont connus par l'impression, en commençant par les lettres.
La première dans l'ordre des temps est antérieure à l'année 1183, car il n'y prend que la qualité d'archidiacre d'Oxford. Elle est adressée à Barthélemi, évêque d'Excester, et se trouve parmi celles de Pierre de Blois. Il prie ce prélat de dissoudre le mariage de son neveu Robert, fils de son frère, avec Ismène, qu'il avait épousée dans un degré de parenté prohibé, et d'exécuter à cet égard les ordres émanés du pape, parce que cette alliance ne pouvait être maintenue sans imprimer à toute la famille une tache ineffaçable.
2. Roger de Hoveden rapporte celle que notre prélat, en sa qualité de grand justicier d'Angleterre, écrivit, l'an 1193, à Hugues du Puiset, évêque de Durham, pour l'informer de la triste nouvelle que le roi Richard avait été arrêté prisonnier en Allemagne. Il lui envoie en même temps la lettre que l'empereur écrivait au roi de France, pour lui annoncer cet événement comme une nouvelle qui devait lui être très-agréable; il convoque en même temps une assemblée à Oxford, à laquelle il enjoint à l'évêque de Durham de ne pas manquer, parce qu'il y sera traité de la prompte délivrance du roi.
3. La troisième est adressée au pape Célestin III, et a aussi pour objet de presser la délivrance du roi d'Angleterre.
Elle fut écrite au nom de tous les évêques de la province de Normandie. C'est la lettre soixante-quatorzième parmi celles de Pierre de Blois, réimprimée par D. Bessin dans la collection des conciles de Normandie, partie I, page 100.
4. Par la quatrième, adressée à l'historien Raoul de Diceto, doyen de Saint-Paul à Londres, il lui annonce que l'empereur a enfin promis de mettre en liberté le roi Richard. Cette lettre est de l'an 1194, écrite de Mayence, et finit par ces vers : Liber et explicitus ad sua vota suus.
5. L'an 1194, la guerre ayant recommencé entre le roi de
XIIIe SIÈCLE.
Petri Bles.
epist. 83.
Hoved., p. 721.
Petri Bles.
epist. 74.
Dicet, col. 671.
Dicet., col. 677.
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France et celui d'Angleterre, Richard avait chassé de leur église les chanoines de Saint-Martin de Tours, et s'était emparé de leurs biens. Auguste, par représailles, saisit de son côté, dans ses États, tout ce qui appartenait aux églises de Normandie. Ce ne fut que l'année suivante, au mois de décembre, à la paix d'Issoudun, que les deux rois consentirent à rendre réciproquement les biens aux églises. Gautier fit part au doyen de Londres de cet événement, et des démarches qu'il avait faites auprès du roi de France, secondé par le légat du pape.
6. Après ces restitutions faites, Gautier écrivit au roi de France qu'ayant reçu une pleine satisfaction pour les dommages causés par lui à son Église, soit à Andely, soit en d'autres lieux de sa province, jusqu'à la veille de Saint-Michel de l'an 1195, il l'en tenait quitte lui et ses successeurs, et levait l'interdit qu'il avait lancé sur ses terres. C'est le roi d'Angleterre qui indemnisa les églises de Normandie, à la décharge du roi de France, comme on voit par ses lettres rapportées et parmi les notes sur la lettre cent vingt-quatrième de Pierre de Blois, page 739.
7. A la conférence qui eut lieu à Louviers, au mois de janvier 1196, pour la ratification du traité d'Issoudun, Gautier fut requis de se rendre caution, lui et son chapitre, pour le roi d'Angleterre, de la somme de deux mille marcs d'argent. Nous avons expliqué plus haut les raisons qui l'avaient empêché de le faire, et pourquoi il s'était retiré à Cambrai, après avoir jeté l'interdit sur les terres des deux monarques. Ces détails sont tirés d'une de ses lettres rapportées par Raoul de Diceto, 8. Le .même historien a recueilli les lettres qui, à cette occasion, furent écrites à Gautier par les deux rois, pour l'engager à retourner dans son diocèse. Il transcrit aussi la lettre que le prélat lui écrivit, dans laquelle il assure le doyen de Londres qu'il est en voie d'accommodement avec les rois, et qu'il a écrit pour cela à l'archevêque de Cantorbéri, ministre du roi d'Angleterre : lettre que nous n'avons pas.
9. Mais Raoul nous a conservé celle où Gautier l'instruit de ce qui s'était passé dans deux conférences qu'il avait eues, à Pontoise et à Paris, avec le roi Philippe-Auguste. Nous en avons parlé plus haut. Il s'agissait de retrancher du traité d'Issoudun la clause qui blessait sa dignité, et de décharger les églises de Normandie de la garantie de quinze mille marcs
XIIIe SIÈCLE.
Concil. Norm., part. 2 p. 35. —
Brussel, préf. p., XVII.
Dicet., col. 686.
Dicet., col. 689.
Dicet., col. 690.
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d'argent qu'on avait stipulée dans le cas où le roi d'Angleterre reviendrait contre le traité. Le roi accorda ces deux points, pourvu que le roi Richard déchargeât aussi ceux qui avaient répondu pour lui. Voici le discours que Gautier met dans la bouche du roi de France. « Je vous prie de voir, mon « cher prélat, que non seulement je vous accorde la demande « qui vous est personnelle, mais que je veux encore, contre 'i l'avis de mon conseil (cum. contradictione satraparum et « consiliariorum nostrorum), décharger les ecclésiastiques de « votre diocèse des sommes pour lesquelles ils ont répondu, « si le roi d'Angleterre veut décharger celles de mon royaume « qui ont répondu pour moi. Il est vraiment indécent et « contre toute justice que les églises de Dieu et les personnes .« ecclésiastiques supportent la peine de nos emportemens_, « et que les princes leur fassent contracter, à leur gré, des obligations, sans y être autorisés par l'Église. Il 10. Cette affaire étant terminée au gré de ses désirs, Gautier, retourné dans son Église, en manda le résultat à son ami, le doyen de Londres, par une lettre dans laquelle il rappelle toutes les contradictions et les adversités qu'il avait éprouvées jusque-là dans l'espace de trois ans. Mais celle dont il rend compte ne fut pas la dernière.
11. Richard, ayant entrepris de fortifier, comme nous l'avons dit, l'île d'Andely, causa de grands dommages aux possessions de l'Église de Rouen. Gautier, après avoir employé auprès du roi d'Angleterre les prières et les menaces pour le faire désister de son entreprise, prit le parti d'aller à Rome, et de plaider sa cause devant le souverain pontife et son consistoire. Avant que de partir, il instruisit des motifs de son voyage le doyen de Londres, qui paraît avoir été le confident de toutes ses démarches.
12 et 13. Cette affaire ayant été terminée de la manière que nous l'avons exposé plus haut, par un échange avantageux à son Église, Gautier s'empressa d'en faire part à son ami. Il lui écrivit de nouveau sur le même objet, après que le pape Innocent III eut approuvé et confirmé, l'an 1198, l'échange d'Andely contre le domaine de Dieppe et autres lieux.
Ces lettres sont fort bien écrites, d'un style simple et naturel, tel qu'il convient au genre épistolaire. Gautier avait tort d'employer quelquefois la plume de Pierre de Blois,
XIIIe SIÈCLE.
Dicet., col. 691.
Dicet., col. 694.
Dicet. col. 697.
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pour écrire ses lettres, puisqu'il était en état de les écrire si bien lui-même.
14. Gautier, avant d'entreprendre le voyage de la TerreSainte, tint à Rouen, le 11 février iigo, qu'on comptait alors 1189, un concile provincial, auquel assistèrent ses suffragans, grand nombre d'abbés et autres personnes sages et prudentes. On y fit trente-deux canons, la plupart renouvelés des conciles précédens, entre autres du concile général de Latran de l'an 1179. Le second canon ordonne que les calices seront d'or ou d'argent, et défend aux évêques d'en bénir d'étain. On ne prévoyait pas alors qu'ils seraient bientôt fondus pour payer la rançon du roi. Le neuvième défend tout commerce lucratif aux moines et aux clercs. Le vingt-cinquième défend tant aux clercs qu'aux laïques toutes fédérations ou ligues, dans lesquelles on s'engage par serment à une défense mutuelle pour toutes sortes d'affaires.
Les Actes de ce concile sont imprimés dans l'Appendix aux Œuvres de Pierre de Blois, et parmi les conciles de la province de Normandie, mais ne se trouvent ni dans la collection du P. Labbe ni dans celle du P. Hardouin.
15. Les bibliographes anglais attribuent à notre prélat une Vie de saint Adjuteur, né à Vernon, aux confins de la Normandie .et de la France, décédé moine de Tyron, au Perche, l'an 1131. Cela est fort incertain. D. Martene a imprimé une Vie de ce bienheureux, qu'il attribue avec quelque fondement à Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen. Les successeurs de Bollandus n'ont pas connu cette Vie, mais ils étaient persuadés que Hugues d'Amiens en avait composé une. Il en a été parlé dans cette Histoire, t. XII, p. 659.
16. Les mêmes bibliographes paraissent mieux fondés à lui attribuer un écrit sur des matières de droit : Scripsit super negotiis juris librum unum. Nous croyons qu'il faut entendre
par là une consultation que Gautier envoya au pape Célestin III, sur la manière de procéder dans le for ecclésiastique. Nous n'avons pas l'écrit de Gautier; mais on a inséré parmi les conciles de Normandie les réponses que fit le pape aux différentes questions qui lui avaient été proposées, par lesquelles on peut juger en quoi consistait l'écrit de Gautier. Le rescrit du pape est informe et tronqué; c'est aussi mal à propos qu'on le dit adressé au doyen du chapitre de Rouen.
17. Gautier, sans être poëte, faisait quelquefois des vers.
XIIIe SIÈCLE.
Petri Bles. Op., p. 709. — Bess., Concil. Norm., part. 1 , p. 94.
Mart.. Anecd., t. V, col. 1011.
Acta Sanct., 30.
april., p. 823.
Concil. Norm.
part. 2, p. 36.
Angl. sacra., t. II, p. 400.
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Geraud le Gallois, Cambrensis, raconte que notre prélat, passant par Lyon à son retour de Sicile, fut reçu dans la maison du sénéchal du chapitre, à qui l'on vint présenter une biche privée. Tout le monde de crier: A la cuisine ! sans doute pour qu'elle fût mise en ragoût. L'animal, qui entendait ce langage, inclinait profondément la tête devant notre archevêque, comme pour lui demander la vie. Gautier improvisa deux vers qu'il lui attacha au cou, et qui apparemment la préservèrent de la mort. Les voici :
Cerva quasi faris, vitam sine voce precaris : Ergo revertaris, tribuenti retribuaris.
Ces vers sont bien dans le goûf du temps, mais ne sont pas brillans.
18. Nous ne parlerons pas des lettres des souverains pontifes Lucius III, Urbain 111, Célestin III, Innocent III, rapportées dans le corps des Décrétales, dont quelques-unes sont des réponses à des consultations de notre archevêque, et dont on trouve plusieurs dans la collection des conciles de Normandie, par Guillaume Bessin. Mais, pour ne rien omettre des productions de Gautier, nous indiquerons quelques chartes émanées de lui.
1° Après l'échange de la terre d'Andely, Gautier accorda à son chapitre la dixième partie du revenu de Dieppe et de Bouteilles, en reconnaissance des secours qu'il en avait reçus, tandis qu'il défendait contre le roi le patrimoine de son Église. « Etant juste, dit la charte, que ceux qui avaient eu « part au combat, eussent aussi part aux fruits de la victoire. »
2° L'an 1207, il restitua aux chanoines des distributions (procurationes) en argent, en pain et en vin, qui devaient être faites à certains jours de l'année, suivant la fondation de Rotrou, son prédécesseur, auxquelles il ne s'était pas cru obligé jusqu'alors.
3° Il donna encore au chapitre de la cathédrale de l'église de Saxetot, pour fournir à l'entretien d'un cierge qui devait brûler nuit et jour devant le corps du Seigneur, au maître-autel.
40 Il ajouta à ce don l'église de Saint-Pierre de Bourdainville, qu'il avait obtenue en justice, non sans beaucoup de peines et de dépenses, sur Gautier, seigneur de Bourdainville, à condition qu'il serait pris sur les revenus de cette église cent sols pour l'obit de sa mère, et la moitié du surplus pour l'anniversaire de l'archidiacre Richard, son neveu. B.
XIIIe SIÈCLE.
Petri Bles. Op., P. 777.
Ibid., p. 799.
Concil. Norm., part. 2 , p. 42.
Pom. Archev.
et Rouen, p. 436.
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PIERRE D'AUXERRE Nous sommes dans une ignorance absolue sur ce qui concerne la vie de ce théologien. L'époque à laquelle il écrivait nous serait également inconnue, sans une charte insérée par l'abbé Lebœuf dans les preuves de son Histoire d'Auxerre.
Cette pièce ne porte aucune date, mais elle est adressée à Milon, abbé de Saint-Marien, qui vivait vers l'an 1200. Elle contient la donation d'une vigne et d'une grange, faite par maître Pierre d'Auxerre, à Milon, abbé de Saint-Marien, pour célébrer l'anniversaire de la mort de sa mère, enterrée dans le cimetière du monastère. Le donateur confirme l'acte par l'apposition de son sceau, ce qui doit faire présumer que c'était un homme de condition.
SES ÉCRITS.
Pierre est auteur d'un ouvrage sur les cérémonies de la messe, dont nous ne connaissons que quelques fragmens fort courts, et fréquemment cités par Durand, évêque de Mende, en son Rational des divins offices, sous le nom de Petrus Autissiodorensis. Il est malheureux qu'ils ne soient pas suffisans pour nous faire juger du style de leur auteur.
Belleforest, parlant, dans ses Annales de France, de l'exemption du droit de régale, accordée par PhilippeAuguste à l'Église d'Auxerre, dit : cc J'ai tiré ceci d'une an« cienne chronique que j'ai, escrite à la main, faite par un « religieux de Saint-Germain d'Auxerre, nommé Pierre, « homme de grande érudition, et disert en son langage, le« quel a traduit quelques œuvres, de grec en latin, du saint « évêque et martyr Méthodie; afin qu'on ne pense pas que je « vous conte des fables, et qu'à crédit je déclaire l'immunité « de l'Église d'Auxerre. »
Tout ceci ne peut convenir que jusqu'à un certain point au Pierre d'Auxerre dont il est question dans cet article. Ce qui nous empêche de le lui attribuer, c'est que le manuscrit qui contient la traduction latine de l'ouvrage attribué (a) à
(a) D. Remy Ceillier, dans son Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, dit (t. III, p. 37), en parlant des ouvrages de saintMé-
XIIIe SIÈCLE.
Lebœuf, Hist.
d'Aux., t. II , p.
491 et 492 ; et preuves, p. 34.
Bellef., les Grandes Annal, de Fr. Paris, 1679.
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saint Méthode, sur les périls des derniers temps, faite par le moine Pierre, est de l'écriture du neuvième siècle. Il a pu se faire qu'une copie de cette traduction ait été jointe, dans un même volume, à une chronique anonyme, ce qui aura trompé Belleforest.
Je serais assez porté à croire que le moine Pierre, traducteur de cet opuscule, vivait dans le siècle des guerres des Normands, desquelles il semble vouloir parler dans sa préface, qui ne se trouve que dans le seul manuscrit précité.
L'opuscule de saint Méthode est cependant imprimé dans la Bibliothèque des Pères, mais le prologue ne s'y trouve pas, ce qui nous détermine à le transcrire ici.
« Incipit prasfaciuncula Petri Monachi.
« Amor est karitatis, et amiculum pacis quæ nostrum circà « vestrum saepius inflammat dissiderium cordis; nam hanc « nullus ambigat esse dilectio minime vera, quæ illud deca« locum implet effectum : Diliges, inquid, proximum tuum « sicut te ipsum. Hunc nos quoque tam divini carminis me- « ditantis versiculum, optamusque vocare ipsius sanctæ ka« ritatis consortis : undè amore compulsi, dilectione vestræ a fraternitatis, non quasi doctiores, sed, ut viri in virtutum « tramite valdè minores, et in lege divinâ multùmque impe« ritiores; sed, ut præfatus sum, amor imperat; quod ama« tur instat ut maneat. Amans vero oboediendo cervicem « subponit, obtemperans propter subjectionem sacrificio me« liore. Caretas ergò urget, nam humilitas aliquos vobis api« ces de Scripturis sanctis intimare, ob animi vestræ desiderio « rogati, quod nos, propter oboedientiam caritatis, respon« demus esse futurus, si vita tamen fuerit in Dei arbitrio « impliturus. Nunc verò, non ut temerè arbetremur à qui« busdam nostram aliquid inferamus, quia non desunt qui « carnal iter sapientes insultent; etiamsi eorum auribus, alio« rumque proficiat veritatis auditus ; et maximè his tempori« bus quibus nos conspicimus, et factis viciis quæ constringi « præsentibus auribus, præcipuè contemptorum melius vel « competentiùs præteritorum, doctorum, seu priscorum pa-
thode : « On ne doit point lui attribuer une Chronique dont l'abbé Trite thême le fait auteur, non plus que certaines revelations, que Leo Allatius « dit être une addition à la Chronique dont nous venons de parler. Ces « ouvrages peuvent être de quelque Méthode différent du martyr. »
XIIIe SIÈCLE.
Ms. BibHot.
Reg. ex S. Germ., n° 1309, in-40.
Magna Bibl.
SS. Patr., t. III, p. 727, edit. 1677, cum hoc titulo : De rebus quæ ab initio mundi con- tingere debent , revelationes, per paraphrasin translatæ incerto authore.
(Vid. not. a. )
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« trum dormientiumque jamdudum in Christo, sensibus in« sinuari doctrinam. Igitur beati Methodii episcopi et mar« tyris dicta, de græco in latino transferre sermone curavi; « et quoniam nostris ut aptiùs prophetata temporibus, in « quos finis sæculorum, sicut apostulus inquii Paulus, per« venerunt, ut jam per ipsa quæ nostris cernimus oculis, « vera esse reddamus ea quæ prædicta sunt à patribus nos« tris. Propter quod magis arbitratus sum hunc libellum de « græco in latinum vertere laborem. Explicit. » P. R.
ALBERT DE HIRGIS OU DE HERGES, CINQUANTE-UNIÈME ÉVÊQUE DE VERDUN.
ALBERT DE HIRGIS, OU DE HERGES, était fils de Thibaut de Marleriis, seigneur de Hirgis, et de la sœur d'Arnoul de Chiny, quarante-neuvième évêque de Verdun.
Il fut élevé avec le plus grand soin par ce prélat, son oncle (a), qui lui conféra la dignité de trésorier de la cathédrale, et qui eut souvent occasion de l'employer, en des circonstances difficiles, à l'administration de son diocèse.
L'an 1186, Henry de Castres, évêque de Verdun, ayant été condamné par Folmar, archevêque de Trèves et légat du Saint-Siège, à se démettre de son évêché, le clergé de Verdun fut obligé de faire choix d'un autre pasteur. Le plus grand nombre élut Albert, qui remplissait encore à cette époque les fonctions de trésorier; mais les autres donnèrent leurs suffrages à Robert de Grandpré, qui tenait à une des plus riches et des plus puissantes familles du pays.
(a) C'est sans doute par inadvertance que D. Calmet le fait neveu de Henri de Castres, cinquantième évêque de Verdun. Albéric, Wassebourg, Roussel, s'accordent tous à dire qu'il était fils de la sœur d'Arnoul de Chiny, quarante-neuvième évêque de Verdun.
XIIIe SIÈCLE.
Alber. Chr., ap.
Accessiones hist.
Leibnitii, t. II, p. 449.
Roussel, Hist.
de Verdun , p.
272.
Wassebourg , Antiquit. de la Gaule Belgiq., fol.
CCCXXXVII, v°.
Rouss., p. 273.
Ibid. Wasseb., fol cccxxxin.
Alberici Chron., p. 374.
Rouss., p. 272.
D. Calmet, p.
2o3, t. II.
Hist. de Lorr., t. II, p. 203.
Loco citato.
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Les deux partis ayant pris des mesures pour soutenir leurs prétentions respectives, et la division qui en fut la suite ayant fait naître, entre les élus, plusieurs procès, tant à Rome qu'en la cour de l'empereur, ces dissensions occasionnèrent, dans l'Église de Verdun, une infinité de désordres. Chaque fois qu'Albert réclamait l'investiture de l'évêché, Robert de Grandpré y formait opposition ; en sorte que ce procès ne finit qu'au bout de trois ans, par un jugement que rendit Henri VI, roi des Romains, et qui gouvernait alors en Allemagne, en l'absence de l'empereur Frédéric, son père.
Ce jugement recevait Albert à rendre foi et hommage à l'empereur, maintenait son élection, et l'autorisait à prendre possession de l'évêché de Verdun, quant au temporel; car il resta plusieurs années sans pouvoir être sacré, ainsi que le prouvaient les titres de l'Ile-en-Barrois des années 1188 et 1191, qui ne le qualifiaient simplement que d'évêque élu de Verdun.
Albert entra donc en possession des biens de cette Église, et gouverna le diocèse avec sagesse et prudence; mais il fit de vains efforts pour étouffer les divisions, et calmer l'ani- mosité du parti qui lui était opposé, et qui avait à sa tête les trois plus puissantes familles de Verdun, savoir celle de la Porte, celle d'Azenne ou d'Azanne, et celle d'Estouf.
En effet, ces opposans, qui étaient parvenus à maintenir, par la force des armes, Robert de Grandpré dans la jouissance des revenus de l'évêché pendant le cours du procès, ne voulurent ni se soumettre aux réglemens que fit leur évêque légitime pour rétablir le bon ordre, ni reconnaître l'autorité des juges et des magistrats qu'il avait établis; et le ils entreprindrent, dit Wassebourg, nommer aucuns d'entre « eulx, pour exercer la jurisdiction et justice temporelle, « contre ceux que l'évesque Albert avait pour ce institué et « estably. »
Albert abandonna la ville de Verdun, dont la plupart des habitans étaient armés contre lui, et il se retira dans son château de Charny, sur la Meuse. C'est là qu'il assembla ses parens, ses amis, ses feudataires, et qu'il prit à sa solde tous ceux qui voulurent s'engager; ayant ainsi formé une troupe assez nombreuse, il commença aussitôt à faire des excursions sur le territoire de Verdun, pour interdire l'entrée des vivres et des marchandises dans cette ville.
Une telle mesure intimida les bourgeois, qui ne pouvaient
XIIIe SIÈCLE.
Wassebourg , fol. cccxxxv.
Wassebourg , fol. cccxxxv.
Rouss., p. 273.
Rouss., p. 273.
Wassebourg, fol. CCCXLI.
D. Calmet, t.
1, p. 203.
fol. CCCXLI.
1
Rouss., p. 275.
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sortir dans la campagne, sans être arrêtés et conduits, dans les prisons de Charny. Il résolurent que l'on irait surprendre Albert dans son château de Charny.
Ils se rendirent devant la place, croyant qu'ils n'éprouveraient aucune résistance; mais l'évêque était sur ses gardes.
Ce prélat, doué du plus grand courage (vir admodiim strenuus), fit sur eux, au moment où ils s'y attendaient le moins, une sortie si bien ordonnée, qu'il leur tua beaucoup de monde, les défit complétement et poursuivit les fuyards jusque sous les murs de Verdun.
Les bourgeois qui parvinrent à rentrer dans la ville y répandirent une telle frayeur, que le peuple, qui manquait d'ailleurs de vivres, prit la résolution de se remettre à la clémence de son évêque, qui lui accorda aussitôt la paix. Les chefs de la révolte furent contraints de se retirer sur les terres de leurs alliés, et Albert fut reçu dans Verdun, qui lui prêta de nouveau serment de fidélité.
Cependant l'échec que venaient d'éprouver les partisans de Robert ne fit que les exciter encore davantage. Ils levèrent de nouvelles troupes, et voulurent, à leur tour, réduire l'évêque par la famine; mais ils furent complétement battus dans toutes les rencontres.
Voyant alors qu'ils ne pouvaient rien par la force, ils eurent recours à la trahison. Ils feignirent de vouloir traiter avec leurs vainqueurs; on choisit le jour et le lieu du pourparler. Albert s'y rendit avec une partie de son clergé, et il y trouva les chefs des séditieux.
Pendant que l'on proposait de part et d'autre divers moyens d'accommodement, l'un d'entre eux, qui était placé derrière l'évêque, le frappa d'un coup de lance, et le renversa mort sur la place.
Son corps fut rapporté à Verdun, et on l'inhuma dans le chœur de la cathédrale, que lui-même avait fait paver en mosaïque, et où il avait choisit sa sépulture. On y plaça son image sculptée, et sous laquelle les vers suivans furent gravés :
Ecce paterpopuli, patriæ decus, anchora cleri, Ecclesice lampas, vitœ speculum, schola veri; Pro patrid cecidit, supremum passus agonem, Luce minus nonâ te, Phœbe, tenente leonem.
L'obit de ce prélat est marqué, dans le nécrologe de l'abbaye de Saint-Venne (Sancti Vitonii), au 25 juillet de l'an 1208, la vingt-deuxième année de son épiscopat.
XIIIe SIÈCLE.
Rouss., p. 273.
D. Calmet, t.
II, p. 203.
Laur. de Leod., Hist episcop.
Verdon., ap. Sp.
Acherii, t. XI, p.
341.
D. Calmet, t. I, preuves, p. 244.
Rouss., p 275.
D. Calmet, p.
204.
Wassebourg fol. CCCXLII.
Rouss., p. 276.
D. Calmet, p.
204.
Wassebourg , fol. CCCXLII, etc.
Rouss., p. 276.
Wassebourg , fol. CCCXLII.
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L'épitaphe que nous venons de citer prouve qu'Albert de Hirgis n'était pas moins recommandable par ses vertus que par sa science. Ce fait est confirmé par Richard de Wassebourg, qui le qualifie d'homme savant, vertueux et magnanime.
Husson, dans ses notes manuscrites sur Wassebourg, dit qu'Albert de Hirgis « entretenait commerce de lettres avec « sainte Hildegarde, première abbesse du Mont-Saint-Rupert, « et qu'il la consultait, comme l'oracle de son temps, sur les « sens obscurs de l'Écriture-Sainte, et sur la pureté de la « morale ». Cette indication est la seule qui ait été recueillie par l'historien Roussel, et dom Calmet n'en a fait aucune mention. P. R.
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GUIBERT, ABBÉ DE GEMBLOUX ET DE FLORENNES.
L'ÉCRIVAIN auquel nous consacrons cette notice, fut un des ornemens du douzième siècle, et ne termina sa carrière que dans le treizième.
D'après les détails qui nous restent de sa vie, on peut supposer, avec beaucoup de vraisemblance, qu'il naquit vers 1120, dans le Brabant. Ce fut du moins dans l'abbaye de Gembloux, fondée dans le dixième siècle, par un comte du même nom que lui, et qui fut depuis honoré comme saint, que notre Guibert prit l'habit monastique. Nous ignorons s'il était de la famille du fondateur de ce monastère.
Après y avoir fait ses études, il passa en France et vécut quelque temps dans l'abbaye de Saint-Martin de Tours, où il édifia tous ses confrères par la pureté de ses mœurs, et les étonna par ses hautes connaissances dans les saintes Écritures. Ce fut sans doute pendant son séjour dans ce monastère qu'il conçut une si grande admiration pour saint Martin, qu'il ne cessa, pendant toute sa vie, de le prendre pour le principal sujet de ses écrits. Il a fait l'histoire de ce saint en prose, et son panégyrique en vers, comme
XIIIe SIÈCLE.
Wassebourg, fol. CCCXXXII.
Rouss., p. 272.
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nous aurons occasion de le rappeler en parlant de ses écrits.
Aussi l'on joignit à son nom le nom de son héros. Dans presque toutes les chroniques et les catalogues d'auteurs ecclésiastiques, il est désigné par le nom de Guibert-Martin.
Pendant son séjour dans l'abbaye de Saint-Martin de Tours, il lisait souvent aux moines, ses confrères, son poëme en l'honneur de saint Martin. Il l'envoya aussi à l'archevêque de Cologne, auquel il eut occasion dans la suite de faire l'éloge des mœurs de ces moines, et de l'ordre vraiment admirable qui régnait dans ce couvent. Sa lettre nous a été conservée.
De retour dans sa patrie, il fit des voyages à Cologne, eut des relations avec sainte Hildegarde, abbesse du couvent de Binghem, non loin de cette ville. Il entretint presque toute sa vie un commerce de lettres avec cette sainte fille, qui, comme on sait, écrivait en latin, sans savoir cette langue, de longues lettres et des dissertations. C'était, s'il faut en croire les éditeurs de la Bibliothèque des Pères, uniquement par l'inspiration de l'Esprit-Saint : Cùm latini sermonis esset ignara, tamen revelanie Spirilu Dei, omnia latinè et congruè diciavii, notariis excipientibus. Bibl. Patr., t. XXIII, p. 535.
En 1186, c'est-à-dire à l'âge de soixante-six ans, il n'était encore que simple moine dans l'abbaye de Gembloux. C'est à cette époque que la ville et le monastère furent pris et brûlés par Henri, comte de Namur. Guibert échappa, comme par miracle, aux flammes qui l'entourèrent pendant qu'il célébrait la messe, comme nous le verrons bientôt, en rendant compte d'une lettre dans laquelle il décrit cet événement.
En 1188, il fut élu abbé de Florennes par les moines de cette abbaye, voisine de Gembloux. Il y avait cinq ans qu'il gouvernait l'abbaye de Florennes, lorsque l'abbé de Gembloux décéda. Les religieux, ses anciens confrères, l'invitèrent à la célébration des funérailles; et, lorsqu'il voulut s'en retourner, ils le retinrent, ils l'élurent pour leur abbé (vers 1194). C'est ainsi qu'il se trouva chargé du gouvernement de deux abbayes.
Comme il avait été élu à Gembloux pendant l'absence d'Albert, évêque de Liège, qui se trouvait alors à Rome, il resta quatorze mois et plus sans recevoir la bénédiction de l'évêque (absque benedictione). A son retour de Rome, l'évêque refusa de confirmer l'élection, parce que, disait-il,
XIIIe SIÈCLE.
Fr. Swertii Athence Belgic., p. 296.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
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Guibert était passé d'une Église inférieure à une Église supérieure (a minore ad majorent Ecclesiam). Mais ce n'était là qu'un prétexte : le véritable motif du refus de l'évêque était que Guibert ne voulait point lui payer cent marcs d'or, dans la crainte de paraître avoir obtenu sa promotion à prix d'argent. L'évêque réduisit ses prétentions : il n'exigea plus que cinquante marcs, que des amis de Guibert voulurent bien lui remettre.
Cette espèce de marché ne resta point assez secret. Quelques méchans moines en prirent occasion de porter contre Guibert une accusation de simonie. Celui-ci se hâta d'écrire au pape-Innocent III, et de mettre sous ses yeux tous les détails de l'affaire, sans rien celer. Le pape le déclara innocent, a culpa remotum.
Guibert régit à la fois les deux abbayes pendant dix années environ. Mais en 1206, c'est-à-dire deux ans avant sa mort, il se démit de l'abbaye de Gembloux, et quelque temps après de celle de Florennes. Son grand âge lui faisait trouver le fardeau trop pesant. Maluit si quidem, dit Hervard, archidiacre de Liège, dans sa lettre à un chanoine de Laon (nous aurons occasion d'analyser cette lettre dans notre article sur Hervard), maluit si quidem, utili quæsita et nacta
occasione honeste cedere, quam sub onere quod solus et gemens sine fido portabat comportante, cadere et casu sui ab ineptis irrisoribus ludibrium sustinere.
Après s'être démis de ses deux abbayes, Guibert résolut de faire encore des pélerinages dans quelques' monastères.
Il se rendit d'abord à Villers, monastère de l'ordre de Cîteaux, à trois lieues de Gembloux. Puis il revint visiter son cher monastère de Saint-Martin de Tours, où, plus jeune, il avait passé, d'après ce qu'il a écrit lui-même, tant de jours heureux.
C'est à tort que Mabillon et les auteurs de la Gaule chrétienne ne le font revenir à Gembloux qu'après avoir rendu une dernière visite à sainte Hildegarde, et lui avoir souhaité toute sorte de félicité, multam felicitalem precatus. Cette sainte fille était morte en 1180, et le pélerinage de Guibert n'a pu avoir lieu qu'en 1206 ou 1207, c'est-à-dire quand il eut résigné ses deux abbayes.
Peu de temps après son retour à Gembloux, il mourut âgé de quatre-vingt-huit ans, dont il avait passé soixante-trois dans le sacerdoce. Son corps fut inhumé dans une chapelle
xm. SIÈCLE.
Ibid.
Mabil. Annal., t. II, p. 537.
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qu'il avait fait construire en l'honneur de saint Martin. La date de sa mort est bien connue : une chronique ancienne de l'abbaye la place au 22 février 1208.
Il est étonnant que ce savant abbé ait été presque oublié des biographes. Non seulement il avait beaucoup écrit; mais sa patrie lui devait des monumens qui auraient dû faire passer avec honneur son nom à la postérité. S'il faut en croire Antoine Sander et plusieurs autres annalistes de la Belgique, il fit reconstruire non seulement le couvent, mais la ville même de Gembloux. Urbs et cœnobia hoc modo deformala
0/ (par l'incendie de 1186) per Guibertum abbatem sub annum 1200, ut in ipsius epistola de sua resignatione legitur, ferè restaurata sunt.
Au reste, il paraît qu'il avait résisté à l'ambition, alors trop commune dans les ecclésiastiques de tous les rangs, de s'immiscer dans les affaires politiques. Guibert se contentait de la réputation de sainteté que lui acquirent justement sa conduite et ses écrits. La Chronique manuscrite de Gembloux, que nous avons déjà citée, dit de lui : Magnæ sallctitatis,
probitatis et doctrince vir, Scripturam sacram semper habens in manu et ore, magnus fuit Relator animarum, suœ prœcipuè.
C'est de cette chronique, de ses lettres manuscrites, qui s'étaient conservées dans le monastère de Gembloux, enfin - de quelques passages d'auteurs contemporains, que les auteurs de la Gaule chrétienne, et Mabillon dans ses Analecla, ont composé leurs notices sur Guibert. Mais nous devons à Mabillon d'avoir publié une partie de ses lettres; et c'est à peu près tout ce qui nous reste de lui. Nous nous contenterons de citer ses autres ouvrages, en nous réservant de nous arrêter sur ses lettres, qui offrent quelques particularités remarquables.
Nous posséderions encore tous les ouvrages de notre savant abbé, si un incendie arrivé trente ans avant l'époque du Voyage Littéraire des pères Martenne et Durand, n'eût réduit encore une fois en cendres le monastère de Gembloux et la bibliothèque qui contenait de précieuses richesses littéraires en manuscrits de toute espèce. Cependant on en sauva des flammes quelques ouvrages, d'après ce que rapportent les auteurs du Voyage Littéraire. « On y voit en« core, disent-ils, l'original de la Chronique de Sigebert, « les Lettres de l'abbé Guibert, quelques ouvrages de Rathe-
XIIIe SIÈCLÈ.
Chorograph
sacra Brabant., t.
I, p. 2.
Ibid.
T. I, p. 202.
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« rius, la Vie de Tancredus, écrite par un de ses amis, et « quelques autres dont M. l'abbé eut la bonté de nous « donner communication. »
ÉCRITS DE GUIBERT.
Nous avons déjà mentionné son poëme sur saint Martin ; mais nous n'en connaissons aucun fragment. On doit croire qu'il avait composé, en outre, à peu près sur le même sujet, un autre ouvrage en prose qui, dans XALhhies Belgique de Fr.
Swert, a pour titre : De scriptoribus sancti Alartini, ejusque miraculis.
Il avait aussi écrit : Sur la Solennité Pascale; Une Vie de sainte Hildegarde; Une Apologie de Sulpice Sévère; Des Consolations pour les malades; Une Relation de l'incendie du monastère de Gembloux.
Mais on en lit une autre très-circonstanciée dans une de ses lettres.
Tous ces ouvrages se trouvaient manuscrits dans la bibliothèque de l'abbaye de Gembloux, ainsi qu'un volumineux recueil de ses lettres, dont un assez grand nombre ont été publiées par le P. Martenne.
Une des plus importantes est celle qu'il adresse à Philippe, archevêque de Cologne, dans laquelle il décrit fort au long la vie véritablement exemplaire des moines de Saint-Martin de Tours; le mode qu'ils employaient pour l'élection de leur abbé, etc., etc.
Mais ce qui a lieu de surprendre, c'est qu'en écrivant à ces mêmes moines, il leur fait des reproches assez sévères sur plusieurs irrégularités et désordres qu'il avait remarqués dans leur monastère. Nous citerons un fragment de cette autre lettre :
« Cum degerem vobiscum, a nonnullis, et maxime « cum repatriarem, à pluribus didici aliquos ex prioribus a cellarum vestrarum, symbolis et potibus indecenter none: numquam vacare, et a vitiis quae saturitas generat, non « esse immunes, hoc est distinctis lumbis, et lucernis extinctis « opera noctis exercere; et ut eis vel illicita libere liceant, et « ne ipsi soli reprehensibiles appareant, subditos sibi a talibus « non prohibere, » etc.
11 leur recommande ensuite de veiller, pour l'honneur de leur ordre, à l'extirpation de pareils abus.
XIIIe SIÈCLE.
P. 296.
1
Ampliss. Coll., t. I, p. 916.
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Il paraîtrait, par une lettre écrite sans doute après la résignation qu'il avait faite de ses abbayes, que ce ne fut point son grand âge qui lui en fit quitter la direction ( curam pastoralem) j mais bien le mépris que l'on y manifestait pour son autorité. On l'insultait, dit-il, parce qu'il ne voulait point partager les désordres et la vie presque licencieuse de ses moines :
« Quare autem talium irrisiones, impetus, insulta« tiones et improperia patiebar? Nimirum non ob aliud, nisi (I quia declinabam a semitis eorum, quia in commessatio« nibus et symbolis contubernia eorum fugiebam, quia no« lebam vel sortem mittere cum eis, vel communicare mar« supio eorum. Quia prsevaricationem ordinis et mandatorum « Dei in eis reprehendebam, quia non solum in me carnales « motus enitebar comprimere, » etc.
Nous avons déjà parlé de l'incendie de la ville et du monastère de Gembloux. Mabillon, et les auteurs de l'Art de vérifier les dates, placent cet événement sous la date de 1135; mais ce ne peut être cet incendie que Guibert décrit dans une de ses lettres à une religieuse nommée Gertrude, puisqu'il n'aurait eu alors que quinze ou seize ans ; et dans cette lettre même, il fait voir qu'il était prêtre, car il célébrait la messe lorsque le monastère brûla. Il faut donc ou placer ce grand événement en 1186, comme l'a fait Sander, ou admettre que, dans un espace de cinquante ans, la ville et le monastère de Gembloux ont été deux fois pris par les troupes du comte de Namur et brûlés, ce qui n'est guère vraisemblable.
Quoi qu'il en soit, dans cette lettre à Gertrude, Guibert commence par rapporter comment, par suite de la haine que le duc de Louvain et le comte de Namur avaient l'un pour l'autre, l'armée du comte fondit à l'improviste sur la ville de Gembloux, la ravagea, y mit le feu; comment la flamme, poussée par un vent très-violent, atteignit le monastère.
« Oppidum nostrum in confinio ducatus Lovaniensis « et comitatus Namurensis situm esse dinoscitur : orta itaque « nuper simultate inter ducem et comitem, comes idem « improvise illud cum exercitu suo circumdedit, et immisso « igne in minuta, id est quae foris vallum et murum offendit, « penitus incendit et depopulatus est. Cum vero nihil tale « timeretur, flabris ventorum qui vehementissimi insurge« bant subvehentibus, favillæ flammantes per cuncta oppidi
J
XIIIe SIÈCLE.
Chorograph
sacra Brabant., t.
I, p. 2.
P. 930.
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« interiora dispersæ sunt, et in totum simul et oppidum et « monasterium ferventissimo incendio consumptum est, » etc.
Au moment même de l'incendie, Guibert célébrait, à un petit autel, la messe du matin; et malgré le danger, il ne voulut point s'enfuir avant d'avoir terminé ce pieux devoir.
11 fut bientôt suffoqué, ainsi que quatre autres moines qui l'assistaient, par la fumée et la chaleur. Deux en périrent peu de jours après.
« In qua exustione cum missam matutinalem ad altare « minus cantarem, nolens aliquid imperfectum relinquere, « tardius penè quam debui, ad tutelam me contuli - nam « sacris exutus vestimentis cum præ ignibus latè jam omnia « vastantibus foras erumpere non possem, in vicinius quod « patebat sacrarium ingressus, quatuor ibidem e fratribus C{ meis, mœrentes et anxios inveni, quo in loco præter spem « undique vallantibus nos flammis, fumo et calore ita æstua- « vimus et suffocati sumus, ut duo ex his graviter læde« rentur, ego et alii duo præ angustia certe sine spiritu « instar mortuorum usque ad vesperam decumberemus; sed « me per auxilium Dei superstite, illi duo socii martyrii mei « post paucos dies rebus humanis excesserunt. »
II raconte ensuite le pillage du couvent, où rien ne fut respecté. Plusieurs moines furent tués ; l'abbé fut chassé entièrement nu.
« Ipsi abbati cum reliqua veste et ipsas caligas excus« sissent, nisi a quodam sibi noto vix excussus, per horrentis « noctis tenebras nudus et solivagus diffugisset, » etc.
Passons maintenant à sa correspondance avec sainte Hildegarde. La plus intéressante de ses .lettres à cette sainte abbesse est celle par laquelle il lui propose, au nom des moines de Villers, trente-huit questions à résoudre. a M'étant Cl rendu, dit-il, à Cologne, j'espérais bien pousser jusqu'à « votre abbaye; mais Satan, sans doute, s'est opposé à mon « voyage, et j'ai été obligé de vous envoyer par un ami les « questions que j'aurais voulu vous porter moi-même. » « Nam ut Coloniam usque processimus, iter nostrum « impediente Sathana, et per iniquas carnalium propinquo« rum suorum suggestiones, propositum ad te protendendi « conturbante, ulterius destitimus. Sed spero, quia quod « ablatum mihi doleo, opportuniori tempore, remotis om« nibus impedimentis, gratia mihi divina restituet. Interim « tamen de quæstionibus illis, quas per me fratres Villarenses
XIIIe SIÈCLE.
Ampliss. Coll., t. XXIII, p. 584.
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« ad te solvendas mittebant, quasque ego revocatus ab iti« nere, tibi perferendas dilecto mihi Baldo commisi quid « actum sit, vehementer scire cupio, utrum videlicet, necne « ad te pervenerint. »
La réponse de sainte Hildegarde n'est qu'une espèce de vision, dont le but est d'inviter Guibert et ses moines à la pratique des vertus monastiques, et surtout à la retraite.
« Sicut et ipsa virginitas, dit Hildegarde, propter dulcis-
« simwn odorem bonœ intentionis in mundo honoratur; ere« mitæ quoque sive monachi, qui propter Christum seculo « renunciaverunt, sine societate secularis vitœ, vivere debent « sicut virgo post votum, sine memoria viri, » etc.
- Elle résout ensuite les trente-huit questions proposées, et dont voici quelques-unes : Comment faut-il entendre, lui demandaient les moines, ce qui a été écrit : Divisit Deus aquas quœ erant sub ifrmamento ab his quœ erant super firmamentum ? Faut-il croire qu'il y a des eaux matérielles sur le firmament?
Hildegarde se tire assez bien de la difficulté. Elle admet deux espèces d'eaux, les inférieures et les supérieures : celles-ci extrêmement subtiles et comme invisibles; les autres plus grossières et où les animaux peuvent vivre. Ce sont ces deux espèces d'eaux que Dieu divisa.
Sur une autre question par laquelle on voulait savoir sous quelle forme Adam voyait Dieu dans le paradis terrestre, elle répond que l'homme, avant le péché, ne voyait pas Dieu dans toute sa divinité, mais seulement la clarté qui procédait de son visage : Claritatem de vultu ejus procedentem exterioribus oculis vidit. Après son péché, il n'a plus joui de cette précieuse faculté.
Quand Dieu crée de nouvelles âmes pour animer l'embryon dans le sein des mères, lui demande-t-on encore, comment se fait-il, et surtout est-il juste, qu'elles contractent la tache du péché originel?
Hildegarde répond par une comparaison. Un vase empoisonné, dit-elle, doit nécessairement communiquer le poison dont il est imbu à toutes les liqueurs qu'on y versera : ainsi la chair du premier homme, infectée, a transmis sa souillure à toute sa postérité.
Enfin, sur d'autres questions, elle est d'avis que le feu de l'enfer est immatériel et invisible.
Nous ne pousserons pas plus loin cet examen, non plus
XIIIe SIÈCLE.
Ibid.
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que celui des autres lettres de Guibert. Ces lettres ne sont guère que des passages de sermons. Dans les unes, il félicite son frère sur sa conversion, et l'invite à continuer de marcher dans la voie du salut; dans quelques autres, il fait à des moines ou à des prêtres des remontrances ou des exhortations. Il en est peu qui puissent donner quelques lumières sur l'histoire littéraire ou politique du siècle.
A. D.
ODON DE SULLY, ÉVÊQUE DE PARIS.
ODON, ou Eudes naquit en Berry, à la Chapelle-Damgilon, au sein d'une famille très-illustre. Son père, Erchambauld ou Archambaud de Sully, descendait du comte de Champagne, Étienne, et d'Adèle, fille du roi d'Angleterre, Guillaume-le-Conquérant. Descendant ainsi des maisons de Champagne et d'Angleterre, Odon était encore allié à celle de France : car son aïeul Henri était oncle d'Alix de Champagne, troisième épouse de Louis-le-Jeune. Ce n'est donc pas sans fondement que Pierre de Blois appelait Odon le parent des princes, regum consanguineus, titre qu'on lui a quelquefois décerné même dans les offices divins. Son frère aîné, Henri, était archevêque de Bourges. Odon, bien avant d'être lui-même évêque de Paris, avait attiré les regards tant par l'éclat de sa naissance que par les progrès et les vertus de son jeune âge ; Pierre de Blois du moins lui rend ce témoignage. « Je l'ai, dit-il, connu dès son enfance, quand il étudiait « les premiers élémens des lettres; et son précepteur, Pierre de « Vernon, jadis mon disciple, et depuis mon ami, m'a sou« vent raconté confidemment les bonnes œuvres du jeune « Odon, ses pieux exercices, ses aumônes secrètes, son em« pressement à bien faire encore plus qu'à bien apprendre.
« Dieu l'avait comblé de ses bénédictions, rempli de sa grâce , « et, par le don spécial d'une rare humilité, il l'avait préservé « des écueils d'une si précoce sagesse. Quant il eut atteint
XIIIe SIÈCLE.
Petri Bles., ep.
126, p. 193.— Hist. généal. de la Mais. de Fr., 3e édit., t. II, p.
854.
Breviar. Paris., 1643, 26 jul.
Gall. Christ.
N., t. VII, p. 7879- Ep. 126, p. 193194.
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« l'âge de puberté, il fit un voyage à Rome, à l'époque où « Grégoire (VIII) succédait à Urbain (III). » (C'était à la fin de l'an 1187.) « J'y étais, ajoute Pierre de Blois, je vis avec « plaisir que le pape et les cardinaux lui rendaient les mêmes « honneurs qu'aux évêques. A mesure qu'il croissait en âge, « il se fortifiait en vertu; et, quoiqu'il se fût conservé pur, il Il était aussi vigilant et aussi austère que s'il avait eu à réparer « des faiblesses et à prévenir des rechutes. Il distribuait aux « indigens un ample revenu qu'il tirait de l'Angleterre; il a « enrichi particulièrement trois jeunes écoliers recomman« dables par leur application et leur bonne conduite. Il mé« prisait les grandeurs humaines, n'estimait de son rang et « de sa fortune que le pouvoir d'être bienfaisant, n'ambi« tionnait aucune prélature, et se contentait de la modeste « dignité de chantre de l'église de Bourges » ( sous l'archevêque Henri, son frère. ) Voilà un magnifique éloge, et le prélude d'un édifiant épiscopat.
Cependant Rigord, qui est aussi un auteur contemporain, en indiquant, sous l'année 1196, la promotion d'Odon au siège épiscopal de Paris, après la mort de Maurice de Sully, ajoute que l'on perdit beaucoup au change, que les mœurs du nouveau prélat ne retraçaient point les vertus de son prédécesseur : longè à prœdecessore moribus et vitâ dissimilis.
Une tradition défavorable à l'évêque Odon de Sully s'est perpétuée jusqu'au temps de saint Antonin, qui le compte au nombre des prélats peu recommandables; et nous en jugerions peut-être de même, s'il nous était permis de discuter des faits étrangers à l'histoire des lettres. En reprenant les récits de Pierre de Blois, nous lisons qu'après le décès de Maurice, il se présenta un grand nombre de concurrens pour lui succéder. C'étaient des vieillards qui depuis longtemps avaient amassé des sommes considérables, et qui s'en servaient, en cette occasion, pour mettre à l'enchère l'évêché de Paris. Le chapitre eut la sagesse de rejeter leurs sollicitations et leurs offres; et après quelques jours de délibération, Odon, le chantre de Bourges, obtint les suffrages : homme distingué par sa naissance, par ses talens littéraires et par sa piété, dit le chroniqueur Robert de Saint-Marien, qui ne parle point ici comme Rigord. Quoique Maurice et Odon portent tous deux le surnom de Sully, ils n'ont entre eux aucune relation de famille. Maurice était né de parens obscurs et pauvres, à Sully, sur les bords de la Loire j Odon,
XIIIe SIÈCLE.
Script. Rer.
Fr., t. XVII.p. 46.
L. XVII, c. 9.
Chron. Autiss., ann. 1197, fol.
95, recto.
V. Hist. Litt.
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comme on vient de le voir, était de la maison de Sully, et un très-grand seigneur.
Son épiscopat ne commence qu'en 1197 : c'est ce que supposent toutes les dates qu'il a données à ses propres chartes.
Il n'était pas même encore sacré, mais seulement élu, lorsqu'en 1197 il régla par une sentence les droits de visite à exercer par l'archidiacre de Paris dans l'abbaye de Chelles.
L'année suivante, Jean de Matha et l'ermite Félix, qui songeaient à fonder l'ordre des Trinitaires, furent renvoyés par Innocent III à l'évêque de Paris, qui, de concert avec eux et avec Absalon, abbé de Saint-Victor, rédigea leur règle, à laquelle peu après le pape donna son approbation définitive, en y faisant quelques additions. En 1198 et 1199, Odon travailla particulièrement à l'abolition de la fête des Fous ; il crut devoir y employer l'autorité du légat, Pierre de Capoue, qui était alors à Paris, et qui rendit une ordonnance contre ces profanations insensées, menaçant d'excommunication ceux qui tenteraient de les renouveler, et enjoignant de célébrer avec décence la Circoncision du Sauveur. Ces injonctions, justes en elles-mêmes, pouvaient bien excéder les pouvoirs d'un légat; mais Pierre de Capoue y joignait des complimens pour la ville de Paris, qu'il appelait le foyer des lumières et le temple de la politesse. Odon, et avec lui, le doyen et le chapitre de son Église publièrent cette ordonnance, et y ajoutèrent un mandement où étaient réglées pour l'avenir les cérémonies de la fête de la Circoncision; ils y faisaient une mention particulière des orgues qu'on y devait employer. Cependant il se commettait de non moins scandaleux excès à la fête de saint Étienne : c'était pour les diacres un jour de licence ; comme pour les sous-diacres, le premier janvier. Odon, par un second réglement, s'efforça de corriger à la fois l'un et l'autre désordre : il assignait une rétribution aux chanoines et aux clercs qui assisteraient ce jour-là aux matines et à la messe, à condition qu'ils y empêcheraient toute bouffonnerie.
Il tenait surtout à ce qu'on célébrât dignement la mémoire de saint Étienne, patron de l'église de Bourges où il avait été élevé. Mais de si sages réformes n'étaient pas encore possibles : il se vit obligé d'y renoncer. Ces farces, demi-païennes, espèce de saturnales, ainsi qu'on les appelait quelquefois au moyen âge, ont duré jusqu'en 1444, et plus tard même.
Une affaire encore plus sérieuse occupa Eudes de Sully en 1199 et 1200. Innocent III venait de jeter un interdit sur
XIIIe SIECLE.
de la Fr., t. XV, p. 149. ,
Ad. calc. Pœn.
Theod., t. II, p.
582-584.
Gall. Christ.
N., t. VII, p. 79.
— D. Félibien, H. de Paris, t. I, I. V, p. 223. —
Malingre , Ant.
de Paris, p. 451452.
Petri Bles. Op., p. 778-781. —
D. Félib., p. 224.
— Pagi Cr., ad ann. 1187, n° 17 et 18 ; et ad ann.
1196, n° 11. —
Gall. Christ. N., t. VII, p. 78, 79.
D. Félib., p. 228.
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les églises de France, à l'occasion du divorce de PhilippeAuguste, qui avait répudié Ingeburge, pour épouser Agnès de Méranie. Odon et son chapitre s'empressèrent de se soumettre à l'interdit, avec un zèle qui n'était pas selon la science des maximes de l'Église française. Le roi, qui depuis répara ses torts avec Ingeburge, réprima auparavant l'attentat du clergé de Paris; l'évêque, chassé de son église, de sa maison, privé de ses biens, de ses meubles et de ses équipages, s'enfuit à pied, et erra pendant huit mois. Quelques historiens modernes se plaignent amèrement des traitemens, en effet bien rigoureux, qu'Odon essuya de la part des soldats de Philippe, d'après les ordres de ce prince. Mais n'était-ce rien aussi que cette suspension des offices divins, commandée par un pontife étranger, et mise en exécution par l'évêque de la capitale, au mépris du monarque, et dans l'intention de compromettre son pouvoir, sa sûreté, en indisposant contre lui les esprits de la multitude? Un tel acte d'hostilité, de rébellion même, pouvait-il être repoussé sans quelque violence? Que devenaient l'autorité civile et l'ordre public, s'il était permis au pape et au clergé de fermer les temples, d'interrompre les cérémonies religieuses, selon l'opinion qu'ils auraient conçue de la vie privée des rois, de leurs actions domestiques, légitimes ou répréhensibles? Quoi qu'il en soit, l'interdit ayant été levé, le roi s'empressa de rétablir l'évêque, et, pour le dédommager de tant de rigueurs, il l'exempta pour toute sa vie de l'obligation de suivre les armées, ab omni exercitu et equitatione, service auquel les évêques de Paris étaient alors tenus.
Après avoir perdu son frère Henri, Odon assista, au mois de novembre de l'année 1200, à l'élection d'un nouvel archevêque de Bourges, et, par son influence, les suffrages se réunirent sur Guillaume, abbé de Châlis. En 1201, Odon et l'abbé de Lagny furent chargés par Innocent III de faire rentrer les clercs de Rebais sous l'obéissance de l'évêque de Meaux. Vers ce même temps, le pape ayant consenti à reconnaître pour légitimes les enfans que Philippe-Auguste avait eus d'Agnès, l'évêque de Paris y donna un acquiescement qu'on aurait pu trouver superflu; sa lettre sur ce sujet est de janvier 1201, c'est-à-dire 1202, selon notre manière actuelle de compter ; elle est datée de Sens, apparemment dans un concile provincial. Eudes de Sully soutenait alors contre l'abbé et la communauté de Sainte-Géneviève une contestation
XIIIe SIÈCLE.
— Gall. Chr. N., t. VII, p. 80.
Gall. Chr. N., ibid., p. 80.
Ibid., p. 81.
Ibid., et Petri Bles. Op. 795.
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où il s'agissait de la paroisse de Saint-Étienne-du-Mont et de la chapelle de Sainte-Géneviève-des-Ardens. Odon prétendait que le curé nommé devait lui être présenté, et lui demeurer soumis, quoique chanoine régulier. On eut recours au juge universel et suprême, Innocent III, qui chargea des commissaires d'examiner l'affaire sur les lieux. Quoique la dispute eût été vive, et qu'il se fût engagé en présence du légat Octavien, que l'évêque était venu visiter à Sainte-Géneviève, une rixe si tumultueuse, que le repas qu'ils prenaient ensemble en avait été interrompu, les parties cependant s'accommodèrent, et le pape ratifia leur accord. Odon conserva la juridiction épiscopale sur cette paroisse; et le nouveau curé, Thibaut, lui prêta serment de fidélité. Satisfait de ces déférences, le prélat laissa des pouvoirs fort étendus aux réguliers, spécialement à l'abbé de Saint-Victor. Il fit des statuts pour l'aumônerie de la Croix-Reine, de Cruce Reginâ, ainsi que pour les monastères de Saint-Magloire et de Saint-Médard, que, par ordre d'Innocent III, il visita en présence de plusieurs abbés, notamment de ceux de Sainte-Géneviève et de Saint-Germain.
On a de lui, sous cette même année 1202, des réglemens pour les colléges des chanoines de son diocèse, et des décrets sur la résidence du doyen et du chantre de Saint-Germainl'Auxerrois.
Ses actes de 1203 et 1204 ont pour objets, de réserver à son chapitre, sous la condition de quelques aumônes annuelles, la disposition du canonicat et de la vicairerie que la communauté de Sainte-Géneviève avait possédés dans Notre-Dame, et auxquels elle renonçait ; d'accepter une donation pieuse d'Adam de Montreuil; chanoine de Paris; d'enrichir de plus en plus son chapitre; d'établir quatre chapelains ou matriculaires perpétuels qui avec trois laïcs devaient garder l'église jour et nuit, la défendre des outrages des voleurs et des libertins ; enfin, de recevoir un fief cédé par Guillaume de la Ferté, et qui, situé à Port-Rois, semble avoir été le berceau de l'abbaye de Port-Royal. En effet, Odon y installa des religieuses qui recueillirent les libéralités de Mathilde de Garlande, épouse de Mathieu de Marly, et surtout celles de la maison de Montmorency. Racine n'a point négligé cette origine : « L'abbaye de Port-Royal près de Chevreuse, « dit-il, est une des plus anciennes abbayes de l'ordre de « Cîteaux. Elle fut fondée en l'année 1204 (ou 1206), par un « saint évêque de Paris, nommé Eudes de Sully, de la maison
XIIIe SIÈCLE.
Innoc. Epist., t. I, app., 680- 684.
Gall. Chr. N., t. VII, p. 81 et 82.
Ibid.
Innoc. III Ep., t. I, app., p. 680- 084-
Gall. Chr. N., t. VII, p. 82.
Ibid., et Petri Bles. Op., p. 793.
Gall. Chr. N..
t. VII, p. 82, 83.
Abr. de l'Hist.
de Port-Royal, p. I. — Nécrol.
de P. R., p. 274, 275.
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« des comtes de Champagne, proche parent de Philippe« Auguste. C'est lui dont on voit la tombe en cuivre, élevée de « deux pieds, à l'entrée du chœur de Notre-Dame de Paris.
« La fondation n'était que pour douze religieuses : ainsi le « monastère ne possédait pas de fort grands biens. Ses prin« cipaux bienfaiteurs furent les seigneurs de Montmorency « et les comtes de Montfort. »
La Seine ayant débordé au mois de décembre 1206, Odon de Sully ordonna une procession dans laquelle les reliques de sainte Géneviève furent portées à Notre-Dame; et tout aussitôt les eaux s'abaissèrent, disent les auteurs de la Nova Gallia Christiana, d'après les chroniqueurs du temps.
Sous l'année 1207, Albéric de Trois-Fontaines dit que le vénérable Odon, par sa médiation puissante, fit nommer à l'archevêché de Reims Albéric de Humbert, archidiacre de Paris; à l'évêché de Troyes, maître Hervé; à celui de Soissons, Haymon, chantre de l'église de Reims. Geoffroy lui dut aussi l'archevêché de Tours, selon la Chronique d'Auxerre ; et, comme nous l'avons déjà vu, Guillaume de Châlis, celui de Bourges. C'étaient, dit cette chronique, des hommes d'un savoir éminent, insignioris doctrinœ viros; il est encore plus certain qu'Odon était un très-puissant protecteur. L'un des actes remarquables de son épiscopat est d'avoir établi dans son Église la fête de saint Bernard, abbé de Clairvaux; elle est indiquée dans un décret d'août 1207, pour le 25 du même mois. Il a fait en cette même année prêter serment de résidence au chancelier Præpositivus, ainsi que nous l'exposerons bientôt.
A son instigation, le pape Innocent III publia, en 1208, la croisade contre les Albigeois. L'évêque de Paris, que tant d'autres soins plus paisibles auraient pu occuper, employa les derniers mois de sa vie à exciter cette guerre civile. Il a laissé dans ses constitutions synodales des traces de ce zèle persécuteur, dont il n'eut pas le temps de voir les effets; il mourut le 13 juillet 1208, douzième année de son épiscopat, à peine âgé, dit-on, de quarante ou quarante-deux ans; peut-être même, à ce qu'il nous semble, un peu plus jeune : car Pierre de Blois nous l'a représenté comme sortant de l'adolescence en 1187, au temps de leur commun séjour à Rome; ce qui donnerait lieu de croire qu'il était né vers 1170, et qu'il n'a guère vécu que trente-huit ans.
Ses écrits se réduisent aux chartes que nous avons in-
XIIIe SIÈCLE.
Gall. Chr. N., t. VII, p. 83.
Chron., ann.
1207.
Marlot, Metr.
Rem.,t. II, p, 466.
Petri Bles. Op., p. 788.
V. notre article sur Præpositiv., ci-après, p. 583, 584.
D. Félib., H.
de Paris, t. I, 1.
VI , p. 246. Usser., de Christ.
Ecclesiar. successione, t. X, n. 24, p. 157.
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diquées, à des constitutions synodales qui ont été souvent recueillies, qu'on a même considérées comme le plus ancien code de statuts ecclésiastiques à l'usage du clergé parisien.
Il en existait un manuscrit à Saint-Victor. Plusieurs de ces ordonnances sont éparses dans les compilations de Du Boulay et du père Dubois, ou parmi les preuves de l'histoire de Paris.
Mais on trouve les constitutions d'Odon rassemblées, d'abord à la suite de la Pragmatique de saint Louis, imprimée en 1578, puis avec les œuvres de Pierre de Blois, ou bien dans la Bibliothèque des Pères, dans la collection des conciles de Labbe, et plus commodément encore dans le Synodicon Ecclesiœ Parisiensis, publié en 1674, par l'archevêque François de Harlay. Les vingt-deux premières pages de ce dernier recueil contiennent les statuts d'Odon, et en voici l'intitulé : « Statuta Synodi prioris; in nomine sanctæ Trinitatis inci« piunt prohibitiones et præcepta observanda ab omnibus « sacerdotibus, data à venerabili Odone Parisiensi episcopo. »
Les synodes se tenaient le premier jeudi après la Saint-Luc, et le troisième jeudi après Pâques ; ainsi l'annoncent ces deux mauvais vers :
Fit Jovis in luce synodus, quæ proxima Lucæ; Lux Jovis hæc replicat tertia, Pascha sequens.
Après quelques avis sur la manière de venir au synode, d'y assister et d'en repartir, ces premiers statuts consistent en instructions relatives à l'administration des sacremens. Ceux du second synode expliquent les devoirs généraux et particuliers des curés, comment ils doivent se conduire eux-mêmes, comment gouverner leurs paroisses. Il est défendu aux prêtres de faire rédiger leurs testamens par des laïcs; au contraire, les clercs recommanderont souvent aux laïcs de ne faire les leurs qu'en présence d'un prêtre. Pour compléter les ordonnances et les chartes d'Odon, il y faut joindre celle où plusieurs de ses dernières dispositions et donations sont confirmées par son successeur, Pierre de Nemours, en 1208. Du reste, il convient d'observer qu'il y a eu dans le même siècle un Odon, évêque de Toul, dont quelques actes, d'ailleurs fort peu importans, pourraient se confondre avec ceux de l'évêque de Paris.
A proprement parler, Eudes de Sully n'a rien écrit : car des chartes et des épîtres ecclésiastiques ne sont point des productions littéraires, et nous ne sommes d'ailleurs pas
XIIIe SIÈCLE.
Montfaucon, Bibl. bibl., t. II , p. 1374.
H. univ. Paris., t. II, p, 373, 470, 513, 514, 528, 532, 538, 541, 757, 758. — Hist.
de l'Égl. de Paris, 1. XIV, c. 2, 3, 4. — S. Lud. Pr., curâ Margar. de la Bigne. Paris, Mich. Sonnius.
-P. Bles. Op., 778795. Bibl. PP., t. VI. - Conc., t.
X, p. 1801-1810.
Synod. Paris., Muguet, in-80.
Gall. Chr. N., t. VII, 78, 79, 87, 88. - Petri Bles. Op., app., p.
781, 782. — V.
Mir., Schol. ad Henr. Gand., c.
31.
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certains qu'il ait été le rédacteur des statuts synodaux qui portent son nom, et qui ont été fort célébrés, quoiqu'ils ne renferment presque aucune disposition qui ne se rencontre en d'autres lieux. La plus remarquable peut-être est celle que nous venons de citer, concernant les testamens. Mais ce prélat a été en relation avec des personnages qui, moins titrés que lui, ont été beaucoup plus célèbres, surtout comme hommes de lettres : tels étaient Pierre de Blois, Étienne de Tournai, et même Adam de Perseigne, qui lui ont adressé chacun deux ou trois lettres. Ayant déjà fait connaître les écrits de ces trois auteurs, nous ne devons point y revenir.
Nous dirons toutefois qu'Adam de Perseigne, dans l'une de ses deux épîtres à Eudes de Sully, lui prêche l'amour de Dieu et l'humilité, en le remerciant d'ailleurs d'avoir secouru de pauvres femmes en un temps de famine; mais l'autre contient le reproche d'avoir imposé une taille sur les prêtres et sur d'autres personnes du diocèse de Paris. Nous ajouterons que la première lettre de Pierre de Blois à notre prélat n'est qu'un tissu d'exhortations, morales, fort respectueuses, il est vrai, telles qu'on en présente à un jeune homme de haute naissance, dont on tient l'amitié à grand honneur; mais que dans la seconde, Pierre de Blois, relégué depuis vingt-six ans en Angleterre, se plaint des évêques de France, dont aucun encore ne lui a ménagé les moyens de rentrer dans sa patrie. C'est, dit-il, à Odon qu'il devra ce bienfait; il lui demande avec instance une place dans - sa maison, un asyle où il puisse mourir au milieu de ses compatriotes. Nous ne voyons point que l'opulent et noble évêque de Paris ait songé à l'attirer auprès de lui : un homme si plein d'instruction, et d'un talent si exercé, lui aurait été fort utile, mais apparemment peu agréable.
Robert de Saint-Marien d'Auxerre, que nous avons entendu louer Odon parvenant à l'épiscopat, lui prodigue encore plus d'éloges au moment de sa mort : Vir œmulator virtutis,
et vitiorum egregius inseclator, qui inter cœtera bona quibus emicuit, id habebat prœcipuum quod Ùl, beneficiis ecclesiasticis conferendis non ad genus, non ad munus, non ad preces, sed ad mores scientiamque respiceret, nec nisi dignos
ad dignitates ecclesiasticas promoveret. C'est en effet l'un des devoirs des évèques, de ne considérer dans la distribution des bénéfices ecclésiastiques ni la naissance, ni les prières, ni les présens, mais la science et les mœurs qui rendent
XIIIe SIÈCLE.
Petri Bles. ep.
127, 160, P 164, 105, 144, 145.
— Steph. Torn.
ep. 218, 225, p.
324. — Adam Pers., apud Mart.
Anec., t. I, p 669.
— Ampliss. Coll., t. I, p. 1014 et seqq.
Ann. 1208, fol.
103, verso.
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digne des fonctions ecclésiastiques. On lit dans le Speculum morale, attribué à Vincent de Beauvais, qu'Odon s'environnait de pauvres à sa table, ainsi qu'a fait depuis saint Louis. Item dicitur quod Odo, episcopus Parisiensis, cum
- -comedebat, despicabiliores pauperes faciebat ante se poni, alios hinc et alios in'de; hoc idem faciebat beatissimus Lu-
dovicus. Mais il pourrait se faire, comme nous le verrons un jour, que le Spéculum morale n'ait été compilé qu'au quatorzième siècle. Au surplus, si l'on veut un panégyrique complet du prélat qui vient de fixer notre attention, il suffit de l'épitaphe qui se lit sur cette tombe dont nous a parlé Racine :
Quem cathedræ decoravit honor, quem sanguis avitus, Quem morum gravitas, hîc jacet Odo situs.
Præsulis huj us erat, quod habent hæc tempora rarò,
Mens sincera, manus munda, pudica caro.
Lenibus hic lenis, toga nudis, virtus egenis; Vita fuit juvenis clara probata senis.
Bis sexcenteno Christi, quartoque bis anno Tredecimo julii transiit Odo die.
Gilles Corrozet, Du Breul, Du Boulay et plusieurs autres ont rapporté cette épitaphe. Malingre, qui la transcrit aussi, dit ailleurs qu'avant d'être évêque de Paris, Eudes avait été chanoine de Saint-Victor. Les victorins l'ont en effet quelquefois revendiqué; mais nous n'avons pu tenir compte de cette prétention, qui n'est autorisée par aucun monument ni témoignage contemporain, pas même par une tradition remontant au quatorzième siècle. Toutes les années d'Odon antérieures à son épiscopat sont assez remplies, ce semble, par son éducation domestique, par ses voyages, et par son séjour à Bourges, en qualité de chantre; il ne reste point de place pour un séjour à Saint-Victor. Nous ne devons pas terminer cet article sans dire qu'Eudes de Sully a vu achever, étant évêque, la cathédrale de Paris; mais l'honneur de cette construction appartient tout entier, ainsi que l'abbé Lebeuf l'a prouvé, à son prédécesseur Maurice, qui s'en est occupé pendant trente-six ans, avec un zèle infatigable. Si Odon a continué d'y apporter des soins, il n'en est fait aucune mention. Ce prélat ne s'est distingué ni par ses talens ni par les actes de son administration; il n'a brillé que de l'éclat de sa naissance. Il a secondé les entreprises de la cour de Rome contre l'indépendance du roi de France; il a, dans les
XIIIe SIÈCLE.
Edit. Duac., col. 992. — Ech., Scr. ordo. præd., t. I, p. 227.
Corr. Ant. de Paris, p. 62 — Du Br., Ant. de Paris, 1. I, p. 11, 35. — H. univ.
- Paris, t. II, p.
757 - 758. - Mal., Ant. de Paris, p.
8.
H. du dioc.
de Paris, t. III.
— V. Ménage, Hist. de Sablé, p.
258.
V. Hist. Litt.
de Fr., t. XV, p.
152-153.
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derniers instans de sa vie, allumé le feu de la guerre contre les Albigeois : voilà les deux principaux faits de son histoire.
Nous ne prétendons point lui reprocher comme des crimes, de fatales et presque invincibles erreurs auxquelles tout son siècle était entraîné; mais nous regrettons de ne les point trouver compensées chez lui, autant que chez plusieurs de ses contemporains, par d'éminens services ou par des travaux utiles. D.
PRÆPOSITIVUS, CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE PARIS.
Pr^epositivus est qualifié Cremonensis, de Crémone, à la tête de quelques-uns des manuscrits de ses livres; Albéric de Trois-Fontaines le dit né en Lombardie. Il occupe, comme Italien, une place ou du moins quelques lignes dans l'Histoire Littéraire de Tiraboschi. Notre plan exige un peu plus de détails, et cependant nous ne donnerons pas non plus une notice fort étendue de Præpositivus : d'abord, parce que sa vie, ou du moins ce que nous en connaissons, se réduit à un très-petit nombre de faits; ensuite, parce que tous ses ouvrages sont restés manuscrits, et n'ont conservé à-peu-près aucune importance.
On ignore la date de sa naissance ; mais il avait probablement déjà fait un long séjour à Paris, lorsqu'il devint, en 1206, chancelier de l'Église de cette ville. Pierre de Poitiers avait exercé cette fonction jusqu'en 1205, époque de sa mort ; elle fut alors donnée à Bertrand, qui ne la garda qu'une année, et qui, appelé au siége archiépiscopal d'Embrun, la laissa, en 1206, à Præpositivus. Toutefois il paraît que celui-ci n'entra en exercice qu'en 1207 : car c'est sous cette date qu'il prèta le serment consigné dans un acte authentique de l'évêque Odon. « Nous, Odon, par la grâce de Dieu, évêque « de Paris; Hugues doyen, et le chapitre entier de Paris, à tous « ceux qui ces présentes lettres verront, salut dans le Seigneur.
« Nous notifions à tous que, prenant en considération combien Il la résidence du chancelier de Paris est nécessaire à notre
XIIIe SIÈCLE.
T. IV, p. 139140.
V. ci-dessus, pag. 484-489.
Alber. Chron., ann. 1206.
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« Église et à la communauté des écoliers (communitati scho« larium), de l'avis et du consentement des hommes sages, « nous avons statué en chapitre que dorénavant quiconque « serait chancelier de Paris, resterait tenu de résider en propre « personne et de bonne foi dans l'église parisienne, tant qu'il « exercerait cette charge ; sans pouvoir ni par lui-même, ni « par autrui, se procurer aucune dispense d'une telle obli« gation. Nous avons statué de plus qu'il ne pourrait rien « percevoir des revenus de la chancellerie, jusqu'à ce qu'il « eût prêté ce serment en plein chapitre; et, maître Præpo« sitivus ayant été fait chancelier, nous l'avons requis de « prêter en chapitre ledit serment, et de s'engager à la plus « rigoureuse résidence; à quoi il a librement et dé bon cœur « consenti; et a juré le premier en la forme susdite, ainsi cc qu'après lui les chanceliers, ses successeurs, seront tenus « de jurer pareillement. Et pour la ratification et la ferme au« torité du présent acte, nous l'avons fait munir de nos « sceaux. Fait en l'année 1207. »
Claude Hémeri, Du Boulay, Oudin, ont publié le texte latin de cet acte, que son caractère historique nous a déterminés à traduire ici. Il contribue à montrer les rapports du chancelier de la cathédrale avec les écoles. Mais on a tout lieu de croire que Præpositivus n'a pas conservé long-temps cette dignité. Albéric en effet nous apprend, sous l'année 1209, qu'il fut remplacé par maître Jean de Candelis, auquel succédèrent d'abord maître Étienne, auparavant doyen de Reims ; puis Philippe de Grèves en 1237, maître Guinard de Laon en 1237; et en 1239, maître Odon de Châteauroux.
Ainsi, à partir du commencement du siècle, et de Pierre de Poitiers jusqu'à Odon de Châteauroux, il y avait eu, en quarante ans, sept chanceliers de Notre-Dame. D'après ces détails, il semble assez naturel de conclure que Præpositivus est mort en 1209, ou bien qu'il s'est alors retiré dans sa patrie, ce qui est moins vraisemblable. Cependant Ducange et Oudin le font vivre jusqu'en 1217, parce qu'Albéric reparle de lui après 1209, à propos, d'autres chanceliers. Oudin emploie de plus, pour établir cette date, un acte du mois de juin 1218 : c'est le testament de l'évêque de Paris, Pierre, souscrit par le chancelier Philippe ( de Grèves ). Donc, conclut Oudin, Præpositivus avait alors cessé de vivre. Si cette conséquence était juste, elle s'appliquerait aussi à l'année 1209, terme où Præpositivus avait déjà eu un premier suc-
XIIIe SIÈCLE.
De Acad. Par., p. 117.
H. univ. Paris., t. III, p. 36.
Comm. de scr.
eccles., t. III, p.
31.
Index aut Col., 139.
Du Boulay, t.
III, p. 80.
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cesseur. Philippe de Grèves n'a été, comme on vient de le voir, que le troisième. Ainsi nous inclinerions à croire que Præpositivus est mort en 1209, attendu que nous ne voyons point qu'après avoir quitté la fonction de chancelier, il soit allé prolonger ailleurs sa carrière.
Son principal ouvrage est une Somme de théologie, dont on n'a rien imprimé, sinon deux à trois pages qui concernent la pénitence, et qui se trouvent à la suite du Pénitentiel de Théodore. Le surplus est inédit, mais les copies manuscrites en sont nombreuses. Il en existait à Crémone, à Venise, dans les abbayes de Saint-Victor, de Marmoutiers, de Savigni et des Dunes, aux Grands-Augustins de Paris, dans les maisons de Sorbonne et de Navarre, dans les cathédrales d'Arras et d'Évreux. Un des manuscrits de cette Somme avait passé des mains de Philippe Desportes dans la bibliothèque du collége de Clermont. On en possède deux à Oxford, et il en subsiste plusieurs à la Bibliothèque du Roi, à Paris.
Dans le manuscrit de Marmoutiers, le titre portait (au lieu de Summa) Quœstiones magisiri Prœpositivi ; mais c'était le même ouvrage, car il avait, comme la Somme, un prologue commençant par ces mots : « Qui producit ventos de the-
« sauris suis, qui percussit primogenita Ægypti, ab homine II usque ad pecus. Dominus ille magnus qui imperat
« ventis et mari, et obediunt ei, » etc. La première question du traité avait pour objet, ainsi que dans la Somme encore, les différens noms attribués à Dieu : cc Vocabulorum itaque
« quce de Deo dicantur quœdam dicuntur de eo ab ceterno,
« id est, cum hac adjectione ab œterno, » etc. En d'autres copies, il se présente même à l'égard de ces mots quelques variantes légères, mais partout le dernier chapitre est celui des Absolutions. L'addition des mots super Sententias Pétri Lombardi, dans l'intitulé de certains manuscrits de la Somme de Præpositivus, n'indique pas non plus une autre production. Præpositivus, comme les autres docteurs de ce temps, expliquait le Maître des Sentences dans ses leçons et dans ses livres; et voilà pourquoi aussi Albéric le désigne comme ayant fait quasdam postillas Sententiarum, en le déclarant d'ailleurs un homme admirable, vir admirabilis.
On conserve à la Bibliothèque du Roi un manuscrit in-folio, qui semble être du quatorzième siècle, et qui est intitulé : Summa super Psalterium per magistrum PRÆPOSITUM, Prœpositus est sans doute ici le même que Præpositivus : mais l'ou-
XlIlc SIÈCLE.
T. I, p. 365367.
Veriæ Disput.
theol. ad. op.
Mart. Grandin.
adjectæ, p. 406407.
Montf., Bibl.
bibl.,t. II, p. 1342- 1365.
Sander, Mss.
Belg., p. I, p. 173.
Catal. impr. en 1764, n° 538, p.
189-190.
Catal. mss.
anel., part. II, n° 61, n° 352.
Catal. Bibl.
Reg., t. III, p. 36, n° 454.
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vrage est distinct du précédent. C'est une explication du Psautier, d'ailleurs rédigée dans le goût et dans les formes de la scholastique. Le même auteur a laissé aussi des sermons qu'Albéric jugeait excellens, optimos sermones ; on en conservait une copie manuscrite à Saint-Victor. Le premier avait pour texte les mots, Filii lui sicut novellæ olivarum in circuitu mensæ tuæ, et continuait par ces lignes : Sorores et sponsœ Jesu
Christi sunt magna Salvatoris nostri mysteria ; hodie namque Salvator noster, qui nono die ante Lazarum suscitaverat, etc.
Il ne reste à la Bibliothèque du Roi qu'une seule homélie de Praepositivus; elle s'applique au texte évangélique, Intravit Jésus in quoddam castellum.
Nous n'avons plus à faire mention que d'un seul écrit de ce docteur : c'est un livre sur les offices divins, que dom Pez a remarqué parmi les manuscrits de Saint-Pierre de Saltzbourg. Quoique admiré par Albéric, et cité dans la Somme de saint Thomas, Præpositivus n'occupe qu'un rang fort obscur parmi les théologiens scholastiques. Ses écrits n'ont excité aucune curiosité, parce qu'en effet ils ne contiennent rien qui ne se retrouve ailleurs sous les mêmes formes.
D.
AMAURY DE CHARTRES ET SES DISCIPLES.
AMAURY, né à Bène, village du pays chartrain, vint étudier à Paris vers la fin du douzième siècle, et fit des progrès si rapides, qu'il était, au commencement du treizième, l'un des professeurs les plus renommés. 14 donnait des leçons de dialectique et des autres arts libéraux compris dans le Trivium et le Quadrivium. Pour son malheur, il s'avisa d'expliquer les livres de métaphysique d'Aristote, qui venaient d'être traduits en latin, sur de nouvelles copies du texte ou sur des versions arabes récemment rapportées de l'Orient. C'est dans ces livres qu'Aristote, recherchant l'origine de l'univers, après avoir réfuté les systèmes de Pythagore, de Démocrite, de Thalès et d'Anaximandre, fait sortir
XIIIe SIÈCLE.
Litt. QQ, n.
18. Oudin, t. III, p. 32.
Mss. 3899, fol.
88.
Anecd., t. I, praef., vu, n° 13.
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tous les êtres d'une matière première qui n'a par elle-même ni forme ni figure, mais en qui le mouvement est continuel et nécessaire. Il y avait long-temps que les Arabes avaient commencé d'introduire cette philosophie en Occident : car, dès le neuvième siècle, Jean Scot Érigène enseignait que la matière première était tout et qu'elle était Dieu. Quoiqu'on se fût plaint, en général, de la témérité de ce docteur, la doctrine dont il s'agit n'avait subi aucune condamnation particulière. Amaury ne craignit donc pas de la renouveler : un être simple, disait-il, est celui qui n'a ni quantité ni qualité; tel est Dieu, telle est aussi la matière première.
Mais y a-t-il deux êtres simples? Non, car ils ne seraient distincts que par des qualités ou des parties que l'un aurait de plus ou de moins que l'autre. Or ces parties, ces qualités, ce plus ou ce moins, répugnent à la nature de l'être simple.
Par conséquent il faut que Dieu et la matière première ne soient qu'un. Loin de sentir les dangers de ce système, Amaury prétendait le concilier avec le récit de Moïse et avec toute la théologie. Du mouvement continuel et nécessaire de la matière première, il concluait que tous les êtres particuliers devaient finir par rentrer au sein de l'être des êtres, seul indestructible, et qu'avant cette consommation dernière, les vicissitudes de la nature auraient divisé l'histoire du monde et de la religion en trois époques correspondantes aux trois personnes de la sainte Trinité La loi mosaïque avait été l'époque de Dieu le Père; la loi évangélique était celle de Dieu le Fils, et allait être bientôt remplacée par le règne de l'Esprir-Saint. Sous la seconde époque, chacun devait se regarder comme un membre de Jésus-Christ, dont le corps était en toute chose, disait Amaury, autant qu'au pain eucharistique. On rapporte qu'il soutenait aussi » que Dieu avait parlé par Ovide aussi bien que par saint Augustin. Mais Amaury se donnait surtout pour le prophète de la troisième époque, sous laquelle bientôt les sacremens allaient cesser, et la seule infusion intérieure de la grâce du Saint-Esprit suffire au salut des hommes, sans aucun acte extérieur. L'une des conséquences de ce système était de nier la résurrection des corps, ou du moins de n'en admettre d'autre que la rentrée de tous les êtres dans la matière première, à la fin de la troisième époque.
En rassemblant ces idées d'Amaury, éparses dans les récits des chroniqueurs et dés théologiens du moyen âge, on y trouve encore tant de liaison et d'enchaînement, qu'on peut
XIIIe SIÈCLE.
Rigord, ad ann. 1209 - Ces.
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regretter de n'avoir plus l'ouvrage où il les avait développées, et qui portait le titre de Physion, Traité des choses naturelles. Ce livre fut condamné par une bulle d'Innocent III, à laquelle on a quelquefois donné la date de 1198, mais qui n'est que de 1204. Amaury, obligé de se rétracter, ne le fit, dit-on, qu'à contre-cœur, et mourut peu de temps après de chagrin et de dépit. C'est mal à propos que Dom Liron met cette mort en 1199 : elle est postérieure à la bulle de 1204, et antérieure à un concile de 1209, dont il sera bientôt question.
Amaury fut enterré auprès du monastère de Saint-Martindes-Champs, probablement en 1205. Les auteurs contemporains ou des siècles suivans le nomment en latin Almaricus ou Amalricus, quelquefois Amorricus et Elmericus.
Ses disciples étendirent ou exagérèrent sa doctrine : ils enseignèrent que Dieu le Père s'était incarné dans Abraham, comme Dieu le Fils dans Jésus-Christ; et, ce qui pouvait encore moins leur être pardonné, ils qualifièrent le pape du nom d'antechrist et appliquèrent à Rome les textes sacrés qui concernent la perverse Babylone. Plusieurs historiens représentent ces sectaires comme des restes de la faction des Cathares ou Manichéens venus d'Italie, ennemis acharnés des ministres de l'Église et des cérémonies liturgiques. On accusait les disciples d'Amaury de nier la distinction du vice et de la vertu, de regarder toutes les actions corporelles comme indifférentes, et de se livrer en conséquence aux plus honteux excès. Ce qui est plus avéré, c'est qu'ils annonçaient rétablissement du règne du Saint-Esprit, et par conséquent l'extinction des pratiques et institutions du christianisme.
Le plus lettré d'entre eux s'appelait David de Dinant. C'est, selon les apparences, le seul qui ait écrit : il composa des apologies de la doctrine d'Amaury, mais elles ne subsistent plus, et nous manquons d'ailleurs de renseignements particuliers sur sa personne. Peut-être était-il mort avant 1209 : car il n'est point nommé parmi ceux qui subirent la condamnation dont nous allons bientôt parler. Il est dit seulement qu'on brûla ses ouvrages.
Les autres disciples d'Amaury étaient deux prêtres sexagénaires, Ulric et Pierre de Saint-Cloud; quatre autres prêtres, Guerin ou Garin, Jean de Uncines, Étienne curé de VieuxCorbeil, Etienne de Celles; les diacres Étienne et Odon ou Eudes ; les sous-diacres Guillaume de Poitiers et Bernard ; Élimand ou Elmang, acolyte ; Dudon, clerc ; et un orfèvre,
XIlIe SIÈCLE..
Heisterb., V. 22.
— Mart. Polon., p. 393-394. —
Vinc. Bellov. Sp.
Hist.. 1. XXIX, c.
107.
Bernard. Guld.
Vila Innoc. III, ad ann. 1204, ap.
Murator., t. III, p. 481 et seqq.
— Spond., ad ann.
1204, n° 17, 18 ; 1205, no 8.
Bibl. Chartr., p. 91-92.
Gesner Bibl.
- Fabr. Bibi. m.
et inf latin., 1. 1.
— Pluquei, Dict.
des hérés., art.
Amaury, t. l, p.
57.
Fabric. Bibl.
med. et inf. lat., IV. - Pluq , Dict. des hères., art. David, t. Il, p. 1.
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nommé Guillaume. Ce dernier était le prophète de la secte : il se donnait pour l'un des sept personnages dans lequels le Saint-Esprit devait s' incarner. Il prédisait quatre fléaux qui allaient se succéder dans le cours de cinq années : la famine qui désolerait les peuples, le glaive dont les princes s'armeraient l'un contre l'autre, les commotions de la terre qui s'entr'ouvrirait pour engloutir les cités, enfin le feu du ciel qui dévorerait les prélats, tous membres de l'Antechrist. Mais Guillaume promettait à Philippe-Auguste les destinées les plus glorieuses, il réservait à ce monarque et à son fils Louis toutes les faveurs et les bénédictions divines : l'empire francais embrasserait tout le globe, et Louis régnerait sur la terre aussi long-temps que le Saint-Esprit sur le monde, c'est-à-dire jusqu'au terme où tous les êtres se rejoindraient à l'Être Suprême. Césaire d'Heisterbach, qui écrivait treize ans après ces prophéties, a bien soin d'observer qu'elles n'ont pas encore commencé de s'accomplir.
Cependant deux commissaires, dont l'un s'appelait Raoul de Nemours, et avait reçu les confidences de l'orfèvre Guillaume, furent envoyés dans les diocèses de Paris, de Sens, de Troyes et de Langres, avec ordre de faire semblant de professer les opinions d'Amaury, afin de mieux découvrir ses véritables disciples. Sur les dénonciations de maître Raoul de Nemours et de son adjoint, l'évêque de Paris se fit amener plusieurs de ces sectaires et les retint dans sa prison. Un concile de Paris les jugea en 1209 : plusieurs théologiens y siégeaient avec les prélats des quatre diocèses que nous venons de nommer. Là furent interrogés, condamnés, dégradés et livrés au bras séculier les quatorze visionnaires dont nous avons aussi rapporté les noms. De plus, on excommunia feu Amaury, et l'on flétrit sa mémoire ; l'anathème prononcé contre ses ouvrages fut expressément étendu à ceux de David de Dinant, à tous les livres de théologie écrits en langue vulgaire, et même à la Métaphysique d'Aristote.
On traita un peu moins rigoureusement les livres de physique du même philosophe : on se contenta d'en interdire la lecture pendant trois ans.
Nous n'avons point les actes de ce synode. Ses décisions ne nous sont connues que par les récits contemporains de Rigord et de Césaire, qui le placent en 1209. C'était peutêtre en 1210 avant Pâques. Quoi qu'il en soit, plusieurs mois , s'écoulèrent entre le jugement qu'il prononça et l'accomplis-
XIIIe SIÈCLE.
Labbe, Concil., t. XI, p. 49 et seq. — Bellef., Ann. de Fr.,ann.
1 209, l. I, p. 597.
-Chr. Autisiod., ann. 1209.
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sement parfait de ses volontés. Philippe-Auguste était absent.
il fallut attendre son retour. Peut-être d'autres circonstances que nous ignorons suspendirent-elles le supplice des condamnés. Ils ne furent livrés aux flammes que le 20 décembre 1210. Cette exécution se fit aux Champeaux, hors de la porte de Paris, c'est-à-dire aux Halles. On voulait bien réduire à dix le nombre des victimes : Ulric, Garin et le diacre Étienne furent seulement emprisonnés pour le reste de leur vie, et Pierre de Saint-Cloud en fut quitte pour se faire moine.
A l'égard des femmes et autres personnes simples qu'ils avaient séduites, on daigna les déclarer graciables. Mais on exhuma le cadavre d'Amaury, on brûla ses os avec ses livres, et avec les écrits de David de Dinant, sans oublier la Métaphysique d'Aristote.
Cinq ans après, en 121 5, se tint le quatrième concile général de Latran, qui condamna de nouveau Amaury, mais en disant que le père du mensonge avait tellement aveuglé l'esprit de ce théologien, que sa doctrine devait passer pour insensée plutôt que pour hérétique : observation qui ferait présumer que ses disciples auraient trouvé dans ce concile œcuménique un peu plus d'indulgence que dans le synode parisien de 1209. Leur supplice, s'il en faut croire les chroniqueurs, n'excita aucun intérêt,. aucune sorte de compassion : tout au contraire, personne ne douta, dit Césaire d'Heisterbach, qu'ils n'eussent, en marchant vers leur bûcher, altéré méchamment la température de l'atmosphère ; et tout le monde leur imputa l'inclémence de l'air, aeris inclementia, qu'éprouvaient, le 20 décembre, les spectateurs de leurs derniers tourmens. Parmi plus de cinquante auteurs ecclésiastiques qui, depuis le treizième siècle jusqu'à nos jours, ont fait mention de ces visionnaires, nous n'en distinguons pas un seul qui plaigne leur destinée. Cependant leur doctrine, produit de la fausse science et de l'enthousiasme, était du nombre de celles qu'amènent inévitablement les abstractions métaphysiques et les cosmogonies synthétiques témérairement combinées avec des vérités révélées; et il a toujours suffi de persécuter de pareilles sectes, pour en voir renaître de plus absurdes. L'erreur la plus irréligieuse est de croire qu'on serve Dieu et la vérité en immolant ceux qui ont le malheur de les connaître mal. Ce qui nuit aux chimères, ce qui peut seul les détruire, c'est la tolérance qui les méprise. Ajoutons que dans son délire, Guillaume, l'orfèvre respectait l'autorité
XIIIe SIÈCLE.
Labbe, Conc., t, XI, p. 238.
Launoy, de variâ Aristotel.
fortunâ, p. 5455.
Labbe, Conc., t. XI, p. 238.
Rigord, Ces.
Heist., V. Bellov., Mart. Pol., etc., ubi supra. Guill.
Brit. Philipp., ad ann. 1209. S
Thomas contra gentiles, c. 17.
Rob monach.
mar., fol. 105.
Bibl. PP., t. XVI, p. 488. Mart. Th.
Anecdot., t.VI, p.
163-166. Genebr.
Chron., 1. IV, p.
637. D'Argentré, t. I, p. 128. Du Boul., Hist. Uniyers., t. II, p. 523,
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souveraine : il la flattait même; et ses ineptes prophéties étaient si peu capables de produire les bouleversemens qu'elles annonçaient, qu'il fallut abuser de sa confiance, employer le mensonge et le plus vil espionnage pour les empêcher de rester ignorées. Tout le résultat de cette odieuse inquisition, fut de découvrir, dans quatre diocèses, quatorze enthousiastes, sans talens et sans défense, plutôt insensés qu'hérétiques, comme l'a déclaré, avec une profonde sagesse, le quatrième concile de Latran. D.
OPUSCULES COMPOSÉS A LA FIN DU DOUZIÈME SIÈCLE OU AU COMMENCEMENT DU TREIZIÈME.
I. HILDUIN, chancelier de l'Église fet des écoles de Paris entre Pierre Comestor et Pierre de Poitiers, c'est-à-dire de 1178 à 1190, a laissé des sermons que Sander comprend au nombre des manuscrits de l'abbaye de Saint-Amand, et qui se retrouvaient, selon Oudin, dans la bibliothèque de SaintVictor, ainsi que dans celle de Cambridge. Les jésuites du collége de Clermont en possédaient une autre copie, annoncée page 196 de leur Catalogue : Magistri Hilduini
(cancellarii) Parisiensis sermones (inediti) de Quadragesimâ, quorum finis desideratur; primus incipit : Buccinate in
neomeniâ tubâ. Enfin, un manuscrit de l'abbaye de SaintBenoît-sur-Loire contenait six sermons d'Hilduin, savoir : deux pour le Jeudi Saint, et les quatre autres pour l'Annonciation) les fêtes de saint Pierre, de saint Augustin et de saint Denis. Il ne subsiste aucun reste de ces prédications.
à la Bibliothèque du Roi, et l'on n'a point de renseignemens sur la vie du prédicateur. Oudin s'applique à le distinguer de deux autres Hilduins, avec lesquels il n'y a, ce semble, aucun danger de le confondre : car l'un, abbé de SaintDenis et auteur d'une Vie de ce saint, était contemporain de Louis-le-Débonnaire; nos prédécesseurs l'ont fait connaître ; l'autre est mort archevêque de Vérone en 935; il a fait aussi des sermons restés inédits, et de plus, un livre d'histoire monastique.
XIIIe SIÈCLE.
670; t. III, p. 24, 48. Dubois, Hist.
Ec. Paris., 1. XIV, c. 5, n. 7, 8.
Emerici Direct.
Inquisit., p. 248.
Dubr., Ant. de Paris, t. I, p. 46.
Malingre, Ant. de Paris, p. 36. Nat.
Alex., t. VII, p.
75. Favyn, Hist.
de Nav.,1. XII, p.
715. Fleuri, Hist.
eccl., 1. LXXVI, n° 59.
Sander, Mss.
Belg., part. I, p.
46.
Oudin, Script.
Eccl., t. II, col.
1563.
Catal. de la Bibl. du Coll. de Clerm Paris , Saugrain, 1764, in-8°.
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II. Jean Dalich ou d'Alich est nommé par Albéric de Trois-Fontaines, sous l'année 1195, comme ayant acquis alors quelque renommée par des sermons prêchés à Liège.
Il en avait composé pour tous les dimanches et pour toutes les fêtes de l'année; plusieurs étaient consacrés à l'explication du psaume XXV : Ad te levavi animam meam. On a lieu de présumer qu'il est aussi l'auteur d'une légende qui se conservait manuscrite à l'abbaye de Villiers : c'était la vie miraculeuse d'une très-spirituelle, valde spiritualis c'està-dire, très-pieuse personne, nommée Marguerite, dont il avait été le confesseur; à la vérité, le légendaire n'est pas nommé d'Alich, mais le prénom Jean et la qualité de prédicateur lui sont attribués dans le titre du manuscrit, III. Pierre, chanoine de Saint-Martin de Troyes, a écrit vers l'an 1204 une lettre qui concerne une relique de saint Victor, et qui a fixé l'attention de Tillemont. On y lit que jadis l'empereur Jean Comnène avait obtenu de l'évêque de Marseille une partie du chef de saint Victor, et que, pour conserver un trésor si précieux, il avait construit une église et un monastère à Constantinople ; mais qu'à l'époque de la prise de cette ville par les Français, en 1204, Garnier, évêque de Troyes, s'empara de la relique et la donna au chanoine Pierre, alors son aumônier, et l'auteur même de cette relation; que Pierre la remit à l'archevêque de Sens; que ce prélat en garda une portion et fit présent de l'autre aux Victorins de Paris. Ceux-ci la recurent solennellement le 12 avril, il n'est pas dit en quelle année; mais ils avaient alors pour abbé Jean le Teutonique, qui les a gouvernés depuis l'an 1203 jusqu'en 1229. Le récit du chanoine Pierre peut donc avoir été rédigé vers 1205; les Victorins le conservaient avec un soin particulier. On a, sous le nom de Pierre, doyen de Troyes ou de Trêves, une version manuscrite de l'Histoire scholastique de Comestor, version intitulée : la Bible historiaux ou les Histoires écolastres. Il se peut que le traducteur soit le chanoine Pierre que nous venons d'indiquer.
IV. On a de Gérard, abbé de Barbeaux, trois lettres écrites en 1204 ou 1205, et insérées dans l'un des recueils de Martenne. La première est adressée aux abbés de Cîteaux, de Pontigny et de Clairvaux; l'évêque de Meaux, qui va partir pour Rome, où des affaires l'appellent, est vivement recommandé aux prières des religieux, et représenté comme tout-
XIIIe SIÈCLE.
Valer. Andr.
Bib. Belg., p. 489.
Foppens, t. II, p. 624. Fabric.
Bibl. med. et inf.
lat., t. VI, p. 67.
Sander, part. I, p. 267.
Mém. pour l'Hist. eccl., t. IV, p. 553.
Montf., Bibl.
Biblioth., t. II, p. 782, B.
Thes. Anecd., t. I, p. 773775.
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à-fait digne de l'intérêt qu'ils prendront à lui, car il a donné les plus édifians exemples durant le séjour qu'il a fait dans le monastère de Gérard. Celui-ci, par sa seconde épître, réclame la bienveillance de l'abbé de Bonneval pour un moine qui change de communauté. La troisième est encore une lettre ou plutôt un billet de recommandation, en faveur d'un personnage qui n'est pas désigné, mais qui va solliciter à la cour un acte de justice. C'est à la reine que Gérard s'adresse : il désire qu'une si puissante protectrice mette le client dont il s'agit à l'abri de toute vexation., V. On ne connaît Rodolphe ou Raoul, évêque de Nîmes, que par un manuscrit qui se conserve au Vatican, fond de la reine de Suède, et qui a pour titre : Summa sacramen-
torum edita per venerabilem dominum Rudolfum episcopum
Nemausensem. Les auteurs de la Nova Gallia Christiana n'ont trouvé aucun autre renseignement sur ce Rodolfe, et ils ne savent trop quelle époque lui assigner dans la liste des prélats de Nîmes. Par le titre et par les premières lignes de son livre on voit assez qu'il n'est point antérieur à l'âge de la théologie scholastique ; il est possible qu'il ait écrit entre les années 1190 et 1210.
VI. C'est encore un manuscrit de la reine Christine qui a donné connaissance d'une chronique sommaire et d'une généalogie des rois de France depuis Marcomir jusqu'à Louis III, et des ducs de Normandie depuis Rollon jusqu'à Jean Sans-Terre. Cet opuscule anonyme a été indiqué par le père Lelong dans sa Bibliothèque historique de la France.
VII. Lelong fait mention aussi d'une chronique également anonyme des comtes de Brabant depuis l'an 860 jusqu'en 1 2O3 ; manuscrit dont se servait le père de Lewarde, lorsqu'il publiait en 1718 son Histoire de Mons. D.
VIII. Un troisième anonyme, moine d'Egmont, termine en 1206 une chronique belgique, qui part de l'an 647. Elle est imprimée dans le recueil qui a pour titre : Rerwn Bel-
gicarum Annates, chroma et hlstOrzCZ, de bellis, urbzbus, situ et moribus, gestis, antiqui recentioresque scriptores,
in-fol.
Il est certain que l'auteur est un moine de l'abbaye d'Egmont : car il dit à l'article des comtes de Flandre, qu'après la mort du huitième comte Florentius, Pétronille, qui gouverna pendant la minorité de ses enfans, se laissa
XI Il" SIÈCLE.
T. VI, p. 465, 456.
Lelong, Bibl.
histor. de la Fr., t. II, p. 117, n° 16435.
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tromper au point de faire recevoir de force, par les religieux d'Egmont, Ascelin son chapelain, d'abord comme simple moine, ensuite comme abbé; du reste, dit notre auteur, c'était une chose déplorable de voir les biens d'Église tomber en des mains profanes, et, pendant que les enfans manquaient du nécessaire, les étrangers se glorifier de la possession de nos biens.
La Chronique est consacrée spécialement aux événemens de la Flandre et à quelques détails sur la vie des comtes ou comtesses de ce pays qui firent des largesses à l'abbaye d'Egmont. On y trouve quelques notions sur ce monastère et sur les biens qu'il acquit depuis sa fondation jusqu'en 1205.
L'auteur donne pour certaine la consultation adressée au pape Zacharie et sa décision en faveur de Pépin. Il semble dire dans ce passage que la couronne n'était pas héréditaire dans la famille des Mérovingiens et que la succession n'était fondée que sur une coutume qu'on aurait pu ne pas suivre.
Voici le passage : Pepinus autoritate et præcepto Zachariœ
papæ in regem Francorum electus est, cum usque ad illud tempus tam ipse quam nobilissimi progenitores sui, administrationem regni sine regio nomine habuissent. Inunctus est. Hilderico rege deposito, qui ultimus de stirpe Merovi- gorum. de quo Franci reges creari solebant. Qui reges, usque ad illud tempus, nihil in se clarum, præter inane regis vocabulum referebant; cum opes et potentia l'egni penès palatii præfectos nobilissimos et potentissimos qui majores domus
dicebantur imperii (cura) pertinebat, tenerentur. On voit ici comme il décrie sans restriction la première race de nos rois, qui a cependant donné plusieurs grands princes
On trouve encore un exemple de la rareté des livres : car notre auteur regarde comme une grande magnificence le don qu'Egberg, archevêque de Tours, fit à son abbaye d'un missel, d'un livre de Capitulaires, d'un Office de la semaine sainte (Passionale) , d'un psautier, d'un glossaire et d'une Histoire contenant l'Ancien et le nouveau Testament.
Le goût pour les présages était alors dominant. En voici un qu'on tirait de la naissance d'un agneau qui n'avait qu'une tête, et dont les autres parties du corps étaient doubles: Eodem anno (1167) natus est agnus unum caput
habens et duas partes inferiores. et cum portentum
XIIIe SIECLE.
P. 361.
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aliquod solcat portendere et significare, creditum est quibusdam per duas agni partes significari comitatum Hollandiæ scilicet et Frisonum , quia cum uterque ad unum pertineat comitem, dividitur tamen plerumque inter se per
hostilem discordiam. L'auteur remarque qu'en effet, au temps où cet agneau monstrueux parut, la discorde était très-envenimée entre les deux comtes.
Son style est commun, son latin est mauvais quelquefois.
La Chronique finit ainsi : Ecce longam gestorum seriem
qualicumque stylo exaramus; alia præter hcec si forte supervenerint quæ ad præsens negotium spectent, alterius execu-
tioni committimus. Ce qui marque que la fin de la Chronique n'est pas celle de la vie de l'auteur.
IX. NIe 0 LA s) abbé de la Ferté. Nous n'avons que trèspeu de documens sur la vie de ce Nicolas : nous savons seulement qu'il était, vers l'an 1199, abbé du monastère de la Ferté (Firmitatis), désigné communément sous le nom de première des quatre filles de Cîteaux, et situé dans le diocèse de Châlons. Manrique nous apprend que ce fut à-peu-près vers cette même époque (1199) que, cédant aux instantes prières de quelques chevaliers de Calatrava, il composa la seconde et la plus exacte règle de cet ordre religieux et militaire. On peut induire de ce fait qu'il naquit dans la première partie du douzième siècle, dix ou douze ans peut-être avant la création (a) de l'ordre auquel il devait un jour prescrire des réglemens.
Nous observerons ici qu'à proprement parler, les chevaliers de Calatrava n'avaient point d'autre règle que celle de Cîteaux. Le vivre, le silence, les jeûnes, les macérations, les prières, les veilles, etc., etc., étaient les mêmes que ceux des moines cisterciens. Mais, comme il y avait quelques articles de ces statuts monastiques qui ne pouvaient convenir à la vie militaire que les chevaliers de Calatrava devaient mener, on fut obligé d'en modifier, d'en retrancher quelques-uns et d'en ajouter d'autres.
En 1187, Widon, abbé de Cîteaux, et depuis cardinal, fut chargé de faire tous ces changemens, toutes ces additions; mais, comme on s'aperçut qu'ils étaient encore insuffisans
(a) L'ordre militaire de Calatrava fut institué en 1158, par Raymond, abbé cistercien de Fitère, sous la règle de Cîteaux.
XIIIe SIÈCLE.
P. 371.
Manriq., Ann.
Cisterc.,.t. |l, p, 493.
Gall. Christ., t. IV, p. 1023.
Loco citato.
Henriq., Men.
Cisterc., p. 484.
Chron. de las ord. Sanctiago , Calatrava y Alcantara, por F.
Rodes, p. 6, v".
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pour remplir le but que l'on s'était proposé, en i igg, Nicolas, abbé de la Ferté, modifia une seconde fois la règle de Cîteaux, de manière qu'elle pût convenir aux chevaliers de Calatrava. Ce ne fut pas là le seul service que Nicolas rendit à cet ordre : car, peu de temps après avoir ainsi refondu en quelque sorte leur règlement, il écrivit conjointement avec Guy, abbé de Cîteaux, au pape Innocent III, relativement au droit de juridiction que l'abbé de Morimond avait sur l'ordre de Calatrava, lequel droit était alors contesté par plusieurs abbés de l'ordre de Cîteaux.
Dans la lettre adressée au souverain pontife, et qui est insérée dans le Menologium Cisterciense d'Henriquez , page 484, deuxième partie, toute l'affaire est exposée avec la plus grande clarté, et l'on y demande le maintien de la juridiction de Morimond, L'an 1202, ce même abbé de la Ferté reçut du pape une lettre qui prouve la considération dont il jouissait. Le souverain pontife l'y engage à rétablir la paix et la concorde entre plusieurs abbés cisterciens, qui étaient divisés au sujet de la promulgation de certaines lois.
Nicolas, abbé de la Ferté, passe pour être le fondateur de l'abbaye de Bardona, en Lombardie. On croit qu'il mourut vers l'an 1210. P. R.
X. ANONYME, auteur d'une relation d'un miracle de sainte Géneviève. — Le P. Labbe, dans sa Bibliothèque des manuscrits, a inséré la relation d'un miracle opéré par sainte Géneviève, en 1206. Cette relation a pour titre : De Processione Reliquiarum sanctœ Genovefæ, anno MCCVI, auctore anonymo, qui præsens fuit; et le compilateur assure l'avoir tirée d'un très-vieux manuscrit.
Sauval, qui paraît en avoir eu connaissance, l'attribue, mais sans en donner aucune preuve, à un religieux de SainteGéneviève.
Certes, à ne considérer qne le peu d'intérêt qu'offre aujourd'hui cette relalion, et le très-médiocre talent de celui qui l'a rédigée, quel qu'il soit, elle ne mériterait pas de sortir de l'obscurité où elle était ensevelie. Mais elle peut servir à fixer la date certaine d'un événement que l'histoire a conservé, date sur laquelle les écrivains ne sont pas d'accord; elle restitue aussi à sainte Géneviève l'honneur d'avoir
XIIIe SIÈCLE.
Manr., loc. cit.
Montvalo, Coronic. del orden de Cist, p. 221.
Manr., p. 493.
Ibid.
Manr., p. 493.
Labbsei Bibl.
nov, mss. libr., vol. 1.
Hist. et Antiq.
de la ville de Paris, t. I, p. 200.
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fait un miracle de plus, honneur qu'on a voulu lui contester, comme nous le verrons par la suite; et enfin, elle sera encore une nouvelle preuve de la bizarrerie du goût de la plupart des écrivains de cette période, qui, même dans les récits dont la simplicité aurait dû faire le principal mérite, croyaient devoir viser à l'éloquence, employer des figures, des expressions qu'ils empruntaient tantôt aux livres saints, souvent aux orateurs latins.
L'anonyme commence par annoncer qu'il a vu de ses propres yeux les prodiges dont il va rendre compte, et que, s'il écrit, c'est pour rendre témoignage de la vérité : Ut simus, ajoute-t-il, ex discipulis ejus qui est via, veritas et
vita : via in exemplo, veritas in promisso, vita in præmio.
Il passe ensuite à la description du fléau qui désola toute la France en l'an 1206, Indictione IX, mense decembri (cette date, comme on voit, est précise). Après de longues et abondantes pluies, tous les fleuves s'étaient débordés, les campagnes étaient inondées. Ici il décrit, en style emphatique, les effets de cette inondation, les arbres déracinés, les maisons de campagne emportées par les eaux, les monumens des villes renversés, etc., etc.; il s'occupe ensuite de Paris, dont il peint ainsi la déplorable situation :
Inter cætera totins regni incommoda) civitas Parisiensis, omnium civitatum regni caput et domina, tanto impetu Sequani fluvii proprios fines excedentis, ab ipsis fundamentis concussa est, ut inundatione facta civitati illi navigio opus esset transeuntibus per vicos et plateas civitatis ; ædificia quoque illius, vel ex parte subversa sunt, vel ex majori parte stantia crebris aquarum inundationibus et eluvionibus fluctuum minarentur excid ium.
Il s'arrête surtout a décrire l'état dans lequel se trouvait le pont de pierre, qui, respectu majoris pontis, parvus appellatur (1). Le ciment qui en liait toutes les parties avait été détruit par les eaux, les pierres disjointes étaient emportées par le courant : sa ruine était imminente. — Desolata erat
(1) D'après une description en vers latins, que nous avons citée dans le précédent tome de cet ouvrage, le Petit-Pont était remarquable par son élégance et sa solidité. On y voyait des deux côtés deux files de maisons occupées par des professeurs qui y tenaient leurs écoles. C'est de ce pont que la secte des Parvipontains avait pris son nom.
XIIIe SIÈCLE.
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civitas plena divitiis, sedebat in tristitia domina provinciarum : sacerdotes ejus gementes, virgines ejus squalidœ, etc.
On n'avait plus d'espoir que dans la protection de la Vierge et de la bienheureuse Géneviève. Le peuple entier demandait que l'on fît sortir la sainte de son temple, afin qu'elle secourût la ville, afin que apponat se murum pro gente sua, frangat iram Dei supplicatione humili. Sur l'invitation de l'évêque Odon, on se prépare à cette grande cérémonie. Les reliques des saints de toutes les autres églises sont apportées en grande pompe dans celle de Sainte-Géneviève; on fait sortir du temple la châsse miraculeuse à la tête de tous ces saints. La procession était nombreuse, magnifique. La sainte y paraissait au premier rang, tanquam columna ignis in nocte adversitatis.
Malgré l'ébranlement du Petit-Pont, et quoiqu'il ne restât plus qu'un espace assez étroit, au milieu, où l'on pût encore marcher, la procession prend ce chemin périlleux et traverse le pont, qui menaçait à chaque instant de s'écrouler.
Mais, comme dit notre auteur, c'était moins le pont qui soutenait la foule que la sainte qui soutenait le pont : Non tam à pontefracto sustentata quam ipsum pontem sustentans.
C'est ainsi que la sainte et tout son cortège de saints arriva à Notre-Dame. A peine furent-ils entrés dans le temple, que le calme se rétablit dans le ciel, sur les eaux et sur la terre :
Omnia, in adventu ejus, prius commota, et pacifica et sedata fuerunt. Civitas ipsa, prius a fundamentis concussa
et commota, iranquilla fuit. Depuis ce jour, il cessa de pleuvoir, les eaux des fleuves rentrèrent dans leurs lits, la terre même se dessécha comme par enchantement.
Mais ce ne fut pas là le plus grand miracle. Il fallut songer à ramener la sainte dans son asyle et passer encore une fois, avec une multitude innombrable, sur le pont rompu, per pontem fractum. C'est ce qui s'exécuta on ne peut plus heureusement. Mais une demi-heure après le passage de la sainte, le pont s'écroula entièrement avec un fracas épouvantable.
Personne ne fut blessé. Miremur ergo miraculum, veneremur
mysterium, adoremus Deum, ad ceternce vitce suspiremus
præmium. C'est par là que l'auteur anonyme termine la relation d'un miracle dont, comme nous l'avons dit, il assure avoir été témoin oculaire.
Et cependant Rigord, moine de Saint-Denis, réclame au
XIIIe SIÈCLE.
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moins une partie du miracle en faveur de l'abbé de son monastère. Il assure qu'à l'époque de cette terrible, inondation, cet abbé vint bénir les eaux qui remplissaient les rues de la ville, et qu'aussitôt elles commencèrent à s'écouler et rentrèrent dans le lit du fleuve. On voit que, dans ce temps-là, les moines des divers couvens ne négligeaient rien de ce qui pouvait augmenter la réputation et conséquemment les richesses de leur maison. Ils se disputaient les miracles, comme les inhumations, les baptêmes, les dîmes, etc.
XI. Dans cette revue d'écrivains presque inconnus, et dont les titres littéraires sont peu nombreux ou ne sont pas parvenus jusqu'à nous, il faut inscrire un certain Gui, instituteur de Cordre des Hospitaliers du Saint-Esprit de Montpellier.
On ne sait presque rien de la vie de ce personnage. La plupart des historiens du Languedoc lui donnent une noble origine, et Hélyot lui-même, dans son Histoire des ordres monastiques, le qualifie de comte et en fait un fils de Guillaume VI, seigneur de Montpellier, et de Sibylle, qui vivaient sur la fin du douzième siècle. Mais D. Vaissette n'a pas de peine à prouver que le Gui, fils de Guillaume et de Sibylle, et qui avait le surnom de Guerejat, ne peut être le Gui, fondateur de l'hôpital du Saint-Esprit de Montpellier, puisque celui-là mourut en 1177, et qu'il est certain que l'autre Gui, fondateur de l'hôpital, ne mourut qu'en 1208, à Rome, où le pape l'avait appelé. D'ailleurs, il n'est qualifié, dans tous les actes et monumens de cette époque, que frater Guido, et quelquefois maître Guy.
Ce fut, à ce qu'il paraît, en 1197, que ce frère Gui, quel qu'il soit, fonda l'hôpital et l'ordre des Hospitaliers du SaintEsprit, à Montpellier, hors la porte de Saint-Gilles. Il y réunit quelques personnes pieuses et rédigea les règles de cette nouvelle institution, qui fut reconnue et confirmée par une bulle d'Innocent 111, du 23 avril 1198. Ce pontife fit venir Gui à Rome, en 1204, avec quelques-uns de ses religieux, leur donna l'administration de l'ancien hôpital de Sainte-Marie en Saxe, qu'il avait fait rebâtir, et il unit cet hôpital à celui du Saint-Esprit de Montpellier. Quatre ans après, Gui mourut, comme nous l'avons observé plus haut.
Cet ordre d'hospitaliers s'étendit en quelques contrées de la chrétienté; leur principal soin était d'exercer l'hospi-
XIIIe SIÈCLE.
Sauvai, loco citât.
Hélyot, Hist.
monast., t. II, p. 196, 200 et suiv.
Hist. du Languedoc, t. III, p.
546.
Epist. Innocent. III, 1. I, ep. g5, 97 ; 1. 11, ep. 194.
D. Vaissette, Hist. du Lang, loc. cit.
Ibid., p. 49.
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talité envers les malades. On y admit d'abord des laïques seulement, et ensuite des laïques et des ecclésiastiques : les premiers prononçaient des vœux simples ; les ecclésiastiques, des vœux solennels. Plus tard, cet ordre fut gardé comme militaire, et le nom de maître fut changé en celui de précepteur ou commandeur. Rien ne prouve pourtant que ces hospitaliers aient jamais porté les armes, ni qu'ils aient été employés dans les croisades.
Il n'est pas de notre sujet de retracer les diverses vicissitudes que cet ordre éprouva. Nous renvoyons les lecteurs curieux de les connaître, à l'ouvrage d'Hélyot sur les ordres monastiques. A. D.
FIN DU TOME SEIZIÈME
XIIIe SIÈCLE
Hélyot, Hist.
monast., t, II, c.
3o.
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TABLE
DES AUTEURS ET DES MATIÈRES.
A.
ABRAHAM BEN DAVID. Sa célébrité. — Sa générosité. — Ouvrage dont il est auteur, pag.
374.
ABRAHAM BEN DIOR, 374.
ABRAHAM BEN ISAAC. Sa patrie; ses ouvrages, 374.
ABRAHAM, fils de Salomon Jarchi. — Sa patrie. — Ses ouvrages, 356.
ABSALON, abbé de Saint-Victor. S'il est le même quel'abbé de Springkirsbach, 45 1 — A quelle époque il fut installé abbé de SaintVictor. — Sa mort, 452. — Sessermons, leur mérite, 453 et 434.
Abulféda, géographe et historien arabe, 120.
Accurse, jurisconsulte, attiré à Toulouse; ses trois fils, 86.
Adam. Comment quelques auteurs décomposent ce nom. 352.
ADAM. abbé de Perseigne. Sa vie ; sa conférence avec Joachim (v. ce motl ; époque à laquelle il fut fait abbé de Perseigne ; sa grande réputation, 437etsuiv. — Ses écrits; ses lettres ; ses sermons, 439 à 446. — Son mérite, 44 7.
Adam de Perseigne. Ses lettres à Odon de Sully, 581.
Adeneq ou Adam, dit le Roi. Les romans qu'il a mis en vers français, 233.
Alain, évêque d'Auxerre. Ne peut être le même qu'Alain de Lille, 397.
ALAIN DE LILLE. Sa profonde érudition ; surnom qu'elle lui mérita, 396. — Pays où on le fait naître ; époque à laquelle on croit qu'il vivait, 3 96 et 397. -Fablesque l'on a débitées sur son compte, 3gq et suiv. — Monument qu'on lui éleva à Cîteaux, 401. — Peu connu au XVe siècle, comme encore aujourd'hui, 402 et suiv. —Ses écritsimprimés, 405 et suiv. — Quel fut celui qui lui donna le plus de célébrité, 407. - Ses écrits non encore imprimés,42 1 et suiv. — Jugement de ses ou* vrages,423 etsuiv.-Sa Rithmomachie,i 13.—
Ses notions de géométrie, 115. — Ses poésies latines, 183-185.
Alars de Cambrai, trouvère, 218.
Albéric de Humbert, prédicateur, 164.
Albéric. Son pays, sa Chronique, 44G.
Albéric de Trois-Fontaines. SaChronique, Ih. - Cité, 47, 67, 69, 84, 97, 118, 119, et 121.
Albert le Grand, 24,95. — Saphysique, 107.
-Son goût pour les sciences occultes, IOg.-Il commenteTArithmétiquedeBoèce, 11 3. — On dit qu'il a fabriqué une tête parlante, etc , 11 5.
-Seslivresde grammaire.41 3.-Ses sermons, 164.—Cité, 11 2.—Ce qu'il a écrit sur la sphère et sur les astres, 118. — Il est lepremier qui ait représenté la mer Baltique comme un golfe, 122.
Albert de Gênes, professeur de théologie à Montpellier, 25.
ALBERT DE HIRGIS, ou de Herges, évêque de Verdun. Fut d'abord trésorier de la cathédrale de Verdun, 563. — 11 ne devient évêque de ce diocèse qu'après avoir surmonté de grandes difficultés, 564. — Il fut même obligé de sortir de Verdun,où il avait peu de partisans, et de rentrer ensuite à main armée sur son territoi re,ibid.-Ily fut tué par trahi son, 565.— Sonépitaphe, ibid. — Il entretenait une corres- pondanceavec sainte Hildegarde, 566.
Albigeois. Leurs erreurs, 2, 3.— La guerre qu'ils soutiennent, g.—Leur histoire par Pierre de Vaux-Sernay, par Guillaume de Puy-Laurent, etc., 13o. — Les poursuites exercées con- tre eux par les inquisiteurs, 68.
Albucassis, médecin arabe, 94.
Alexandre IV, 2, 4.— Prend le parti des religieux mendians contre les universités, 32. —
Sa bulle Quasi lignum vitæ, 150.
Alexandre de Halès, 22,23.—SaSommeappelée Fontaine de vie, 72.
ALEXANDRE DE L'ISLE, moine de Corbie. —
On doute que cet écrivain soit né Français, 5 15. — Auteur d'un Breviarium rerum memo- rabilium, qui contient des fables ridicules, 516.
Alexandre de Ville-Dieu. Son Doctrinal gram-
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matical, 143, 188. — Ses autres vers latins, 188, 189. - II a mis en vers des règles d'a- rithmétique, 113, et un traité de cosmogonie, 119.
Alfonse, comte de Poitiers. Fait prendreou bannir des Parisiens qui se sont battus contre les étudians. 49. - Il accepte le titre de protecteur du collège des Bernardins, 54.
Alfonse X, ou le Sage. Cultive les lettres, 7. — Tables astronomiques qu'il fait rédiger, 117.
Alèbre, 114.
Alicht (Jean-George). Traduit une partie des commentaires de Jarchi sur le Pentateuque, 347.
Allemane. Son état au treizième siècle, 7,8.
Alphès (le rabbin) , maître de Salomon Jarchi, 33g.
Alphonse le Néophyte, 371.
AMAURY DE CHARTRES. Condamné, exhumé, etc., 66. - Sa doctri ne, loo.-Sa dialectique, 104. — Professeur célèbre: il explique les livres d'Aristote, 587, 588. — Propositions philosophiques et théologiques qu'il enseigne, 588.— Son Traité des choses naturelles condamné par Innocent 111 et par le concile de Latran, 588,591. - Amauryestmort, probablement, en 1204. - Ses disciples, leur doctrine, leur condamnation et leur supplice, 588-592. —
Avec eux sont brûlés les livres d'Amaury, 5gi.
Ameil (Pierre), archevêque de Narbonne.
Sa bibliothèque, 35.
Anachronismes. Fréquensdansles écrivains du treizième siècle, 1.28.
André de Longjumeau. Compte qu'il rend à saint Louis d'un voyage en Tartarie, 167.
Angers. Son université, 58; on y enseignait particulièrement le droit canon, 79, et le droit civil, 85.
Angleterre. Son état au treizième siècle, 8,9.
Année. Commencée à Noël, au 25 mars, à Pâques, etc., 128.
• Annibaldo degli Annibaldi, 24.
Anoblissement. Premières lettres d'anoblissement en ii85, p. 20.
Anonyme. Auteur d'une relation d'un miracle de sainte Geneviève, 596.
Anonyme. Auteur d'une chronique imprimée,ayantpourtitre : Rerum Belgicarum An- nales, etc., 593.
Anselme ou Gancelm Faydit.A-t.il composé un drame intitulé : Heregia dels preyres?
241, 242.
ANTICLAUDIANUS. Notice sur cet ouvrage; quel en est l'auteur, 405 et suiv.
Aquin (Henri d'). Traduit les notes de Jarchi sur Esther, 346.
Arabistes, secte de médecins, 94.
Architecture. Ce fut au treizième siècle que l'on éleva les plus beaux monumens de cette architecture improprement appelée gothique,
281 et suiv. — Origine diverse attribuée à ce genre d'architecture, 282. — Nouvelle hypothèse sur sa véritable origine, 284. — Recherches sur l'époque où les églises des Gaules furent construites en pierres, et dans le genre dit gothique, 290.—Variétés que l'on remarque dans les monumens de cette architecture en différens pays, 294.— Nom qu'il faudrait substituerà celui de gothique, 2Q5. — Est-il vrai- semblable que l'institution de la franc-maçon nerie neremonte qu'à l'époquede la construction des grandes églises des Gaules et de l'Allemagne? 297.- Principales églises élevées en France dans le cours du treizième siècle, 298.
— Hôpitaux, ponts, écoles, etc., construits dans la même période, 309.
Aristote. Etude de ses livres, 61, 100- io3 ; traductions de ses livres, 61, io3, 108, 141, 142.- Sa Métaphysique condamnée en 1209, et brûlée en 1210 avec les disciples d'Amaury de Chartres, 586-590.
Arithmétique, 113.
Armarius veut dire bibliothécaire, 37.
Arnauld de Cîteaux. Poursuit les Albigeois, 66. — Ses lettres, 167.
Arnauld de Villeneuve.Ses livres de chimie et pharmacie, 96, 97. - Son Traité du comput, 127.
Arts du dessin. Combien leurs productions jettent de jour sur l'histoire littéraire et même politique des peuples, 280. — Ils furent plus cultivés au treizième siècle qu'on ne le croit communément, ibid.
Art musical. Espèce de révolution dans l'art musical au treizième siècle, 257. —Rang qu'occupait la musique dans le Quadrivium, 258. — Adoption d'un nouveau système musical, ibid. - Introduction ducontre-point dans la musique, 260. - Principaux auteursde traités sur la musique, 267.— Instrumens de musique en usageàcette époque, 273. — Caractères des compositions musicales, 275.
Artistes. Revue de plusieurs architectes, peintres, etc., célèbres dans le treizième siècle, 327. — Fausseté de l'opinion qui attribue à l'Italie l'honneur d'avoir seule fourni des artistes à la France dans cette période, 333.
Ascelin, voyageur, 123, 124.
Assurement. En quoi consistait ce genre de garantie, 18.
Astronomie et Astrologie, 116-120.
Aubades et Sérblades des troubadours, 200.
Augustins. Rassemblés en 1256, p. 4.
Anoll d'Esté. Favorise les lettres, 32.
Ajjon, jurisconsulte. Son école et ses disciples, 86.
B.
Babuinare, peindre des figures dans les marges des manuscrits, 3g.
Bacheliers, 44, 82, 83.
Bacon. V. Roger Bacon.
Balbi de Gênes. Avoue qu'il ne sait pas
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bien le grec, 142.- Son Catholicon ou Dictionnaire latin, 143.
BaldriclIs, ou Baudry. Sa description d'Antioche, 439.
Ballades des troubadours, 200.
BASOCHES (Guy de). Origine de ce nom.
- Epoque à laquelle vivait Guy de Basoches.
— A quelle époque il se croisa. — Fragments qui nous restent desa Chronique, 447 et suiv.
— Son style, 449.—Ouvragesquiluisontattri- bués, 450.
Bassée (Adam de la), 408.
BAUDOUIN, comte de Flandre. Sa vie, 521 et suiv. — Se ligue contre le roi de France. —
Prend parti pour Othon de Brunswic (V. ce mot). — Son accommodement avec le roi de France, 522 et 523. - Son départ pour la terre sainte. — Il est élu empereur à Constantinople, 52 3.—Sa mort cruelle, 5 23 .-Son éloge, 524. — Ses lettressur la prise de Constantinopie, 525 et suiv.-En est-il véritablement l'auteur? 526 et suiv. (V. Jean de Noyon.) Beaumanoir, jurisconsulte, 82, 90, 91.
Beaux-arts. Discours sur l'état des beauxarts au treizième siècle, 255.—Nouvelle accep- tion du mot beaux-arts, 256. - Parallèleenlre l'état des beaux-arts en Italie et l'état des beaux-arts en France, au treizième siècle, 328.
Bechaï, rabbin. Ouvrage dont il est auteur. — Quel en est l'objet? comment est-il divisé? 382 et 383.
Bedeaux des universités, 44, 45.
Bedwel (Guillaume). Ses traductions, 346.
BELMEIS (Jean de). Sur son nom de famille, 447. — Particularités de sa vie, 478 et suiv. -Son amitié avec saint Thomas de Cantorbéry, 478. — Il s'arme contre les Brabançons et les défait, 479. — Il est nommé archevêque de Lyon ; sa mort, i8oet 181. — Ses écrits, célébrité de son éloquence, 481 et suiv.
Bérald de Baux, troubadour et astrologue, 119,120.
Bernard de Cordon, médecin, 96.
Bernardin le Sauvage, trouvère, 217.
Bible Guyot, et Bible au seigneur de Bei-je poèmes satiriques français, 2i5, 216, 217. —
Passage de la Bible-Guyot sur la boussole, III.
Bibliothécaires, ou Armarii. Nom de quelques-uns de ceux du treizième siècle, 37.Leurs fonctions et obligations, ibid.
Bibliothèques, 34 3g.—Celle de saint Louis, 34; des Dominicains de Toulouse, de 53; de Sainte-Geneviève, 36; de Sorbonne, 36; de Saint-Médard, 36, 37; du Val des écoliers, 37.
Blacas et Blacasset, troubadours, 196.
Blanche, mère de saint Louis, 10, 15, 33, 47,48. - Livre (de droit) dit de la reine Blanche, 91. — Sa lettre à lacomtesse de Champagne, 167, 168.
Boccace. Ce qu'il doit aux troubadours et aux trouvères, 23o.
Bohlius (Samuel). Traduit les notes de Jarchi sur Malachie, 346.
Bonaventure (saint), 23. — Sa physique, 107.—Ses sermons, 164.—Ses Chants d'église, 187.
Boniface VIII. Son livre de décrétales appelé Sexte, 2, 74, 75 - - Ses démêlés avec Philippe-le-Bel, 12,76.— Il institue le jubilé en 1300, p. 14. — Il interdit les dissections anatomiques, 98.
Boniface de Castellalle, troubadour, 197.
Bossu (le) d'Arras, trouvère, 214, 2i5.
Bourges. Son université, 56.
Boussole. Quand et par qui inventée, 110 à 112.
Bouvines (bataille de), 10.
Breithaupt (Frédéric;. Ses traductions, 345.
Bretons. Leur langue, 160, 161.
Brunetto Latini. Écrit en France son Trésor en français; ses écrits en langue italienne, 26,27, 28. - Sa prédilection pour la langue française, etc., 106, 146,1 58, 160. - Cc qu'il dit de la boussole, 110.
Brunswick (Othonde). Son couronnement, et quel fut celui qui coopéra le plus à le placersur le trône, 522.
c.
Cadenet, troubadour, 196.
CALONYME (sur), fils de Juda et oncle de Salomon Jarchi, 355. — S'il faut lui attribuer l'ouvrage inti tulé « Even bochen »,la Pierre de touche, 355 et 356.
CAMP-D'AVENNE, comte de Saint-Paul (Hugues), 490. — Sa querelle avec Renaud de Dommartin; sa trahison envers le roi; ce qui le détermine à se croiser; sa mort, 491 et 492. — Ses lettres, leur mérite ; quel en est le sujet ? doit-on les lui attribuer ? 492 et 493.
Caraïtes. A qui donne-t-on ce nom? 382.
Cannes. Leur origine, 4.
Cartes géographiques, 126,127.—Descrip- tions de contrées, ibid.
Castoiemellt, recueil de 28 contes, en vers français, 227, 228, 229.
Cathédrale de Paris. Entreprise sous l'épiscopat de Maurice de Sully, achevée sous celui d'Odon ou Eudes de Sully, 582.
Cérémonial épistolaire, 167.
Chalmet (Étienne de), 441.
Chanceliers de Notre-Dame et de Sainte-Geneviève ; leur jurisdiction sur les écoles de Paris. 46, 47.
Chansons des troubadours, 199, 200.
Chansons des trouvères, 211.—Chansonsde gestes. 212.
Char dry, poëte anglo-normand, 219.
Chatillon (Gauthier de). Époque à la-
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quelle il vivait; ouvrage dont il est l'auteur, 408.
Chevalerie, 18, 19, 20. - Chevaliers ès-lois, 82, 83.
Chiffres arabes. Leur introduction en Europe, 113, 114.
Chimie, gg, 100. — Les Dominicains s'en interdisent l'étude, ibid.
Chirurgie, gg.
CHRONIQUE anonyme des comtes du Brabant (868—i2o3), 593.
CHRONIQUE (anonyme) et Généalogie des rois de France, depuis Marcomir jusqu'à Louis III, et des ducs Je Normandie, de Rollon à Jean-sans-Terre, 594.
Chronique anonyme en vers français, 134.
Chroniques de Saint-Denis, 134, 135.
Chronologie, 127. 128.
Clément IV, 2.—Roger Bacon lui proposede réformer le calendrier, 118. — Ses lettres, 167.
Clergé séculier et régulier. Ses mœurs, 13 et 14.
Coddeus. Traduit les notes de Jarchi sur Osée, 347.
COHEN (Moïse), ou le prêtre. Sa patrie et ses ouvrages, 385.
Cohen. Transcrit le texte hébreu de l'Ancien Testament, 38.
Collèges de Paris, sous les noms de SaintThomas du Louvre, des Dix-huit, des Anglais, des Danois, de Constantinople, des Bons-Enfans au quartier Saint-Honoré, des Bons-Enfans rue Saint-Victor, des Mathurins, des Bernardins, des Augustins, des Carmes, de Saint-Denis, de Cluny, du Trésorier, de Harcourt, des Cholets, de Calvi et de Sôrbonne, 53-55.
Colonyme deMantoue. Ouvrages qu'on lui attribue, 356.
Commerce. Son'étaten France au treizième siècle, 16, 17.
Computistes, 127.
Conciles généraux de Latran en 1215, de Lyon en 1245, de Lyon en 1274; p. 2 et 7D. — Conciles particuliers, 75.
Concordances de la Bible, et division en versets, 70.
Conseil, titre d'un livre de droit, rédigé par Desfontaines, gi.
Contes des troubadours, 205.
Cornificiens, secte littéraire, 162.
Cosri ou Cursi. Ce que c'est que cet ouvrage, comment il est divisé, 381, 382.
Cours d'amour, 240, 241.
Coutance (Gautier de), archevêque de Rouen (V. Gautier).
Coutumes rédigées avant et pendant le treizième siècle, 81. — Coutumier de Beauvoisis, rédigé par Beaumanoir, gi,
Croisades,4.-Leur i nfluenee sur les lettres, b.-Saint Louis ei-itreprend celle de 1248, p. IOJ et 1 1.
D.
DALICH ou d'Aliche (Jean), prédicateur à Liège. Ses sermons, 592.
Dallemark. Relations de la France avec le Danemark aux douzième et treizième siècles, 461.
Danse. Nom d'une espèce de ballade des troubadours, 200.
Da/lte Alighieri. Ses voyages en France, 28, 74. — Il a célébré Henri de Suze comme le restaurateur de la jurisprudence, 77.
Dassovius (Théodore). Traduit les notes de Jarchi sur l'Exode et le Lévitique, 347.
DAVID DE DINANT, disciple d'Amaury de Chartres. Condamné, 66, 100, 588. — Il était mort, à ce qu'il semble, avant 1209; ses livres brûlés en 1210, p. 588.
Débordement de la Seine en 1206, p. 57g, Descorts, genre de poëme des troubadours, 201, 202.
Desfontaines (ouDéfontaines' ,iurisconsul te, 82, gi, 92.
Dialectes, ou patois dans les provinces de France, 156, 157.
Dictionnaire provençal-latin,4 [3.
Didier, professeur à Paris, 22.
Dino de Mugello, jurisconsulte, rédacteur du Sexte de Boniface VIII, 86.Dior. Son ouvrage sur la tradition ; à quelle époque il le composa, 341.
Discipline ecclésiastique, 13, 73, 80.
Disputes théologiques et philosophiques, 64,-65.
Dissections anatomiques, interdites, 98.
Dolopathos, roman, 170.
Dominique (saint), instituteur des frères prêcheurs, '3.
Donatus provincialis, grammaire provençale, 148.
Dr oit canon,-] 4.—Décrétales de Grégoire IX, rassemblées par Raymond de Pennafort, 74. —
Canonistes italiens, 76, 77; canonistes français, 76-80. —Trois divers genres de travaux des canonistes avant lesdécrétales de Grégoire XIII : i° supplément au Décret de Gratien; 20 application à des affaires particulière; 3° commentaires ou gloses. — Ensuite on se mit à commenter les décrétales que Raymond venait de rassembler, 77. — Enseignement du droit canon à Angers, 79.
Droit civil, 80-92. — Droit civil au midi de la Loire, droit coutumier au nord, 80, 81, 82. — Droitcivil enseigné à Montpellier, Toulouse, Orléans, Angers, 85. — Voyez HOllorius III.
Droit romain. Étude du Code et du Digeste, 88.
Duels judiciaires, épreuves, 87, 88.
Durand (Guillaume). Son traité des offices divins, 73-. — Son Spéculum juris, 78, g2.
Durand de Saint-Porcien, Ouvre le troisième âge de la scholastique, 64.
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E.
Éclipse du 29 septembre 1241, observée, lig-
Écoles, dans les monastères, 39, 40; près des cathédrales, 40, 41; dans les villes, 41, Écoles de Paris. Leur célébrité au trei- zième siècle, 461
Ecoliers. Leurs déréglemens, 42, 47, 48 ; leurs privilèges, 43, 45, 47; leur division en nations, 43, 44.
Ecriture du treizième siècle, 37, 38.
Écriture sainte. Comment étudiée et commentée, divisée en versets, et trraduite en langues vulgaires, 69, 70.
Edme (saint). Enseignait l'arithmétique à Paris au commencement du treizième siècle, 113.
ÉLIE DE COZIDA, abbé des Dunes. Son crédit auprès de Richard I, roi d'Angleterre, à qui il avait rendu un service signalé, 433. —
Anecdote racontée à ce sujet par un ancien chroniqueur, 434.—Examen de deux sermons qui nous restent de cet Élie, 435.
Éliézer. Lieu de sa naissance ; époque à laquelle il vivait; ouvrage dont il est auteur, 375.
ÉLIÉZER BEN NEPHTALI. Époque à laquelle il vivait; lieu de sa naissance; ses ouvrages, 374 et 375.
Emoll. abbé de Werum. Sa Chronique ; les détails géographiques qu'elle contient, 123.
Épistolaire (genre), 166-168.
Épîtres des troubadours, 204.
Ermengard, de Montpellier, médecin. Traduit des livres arabes, 96.
Eskil, archevêque de Lunden. Ses voyages en France, leur but, 461.
Establissemens, ou statuts de saint Louis, pour la province de Languedoc, en 35 arti- cles, 88.
Establissemens de saint Louis, 88-92.
Étlelllle, abbé de Sainte-Geneviève. Ses relations avec Névelon de Chérisy; fragment d'une de ses lettres à ce dernier, 532.
Etrangers qui viennent étudier et enseigner en France, 22.
Eudes de Châteauroux, légat. Condamne le Talmud, 70.
Eudes de Moatreuil, architecte. Enrichit Paris de plusieurs édifices publics, 327.
Europe. Comment divisée au moyen âge, 122,123.
Eustache d'Amiens, trouvère, 22 5.
Euvrand, ou Euvrade. Condamné comme bulgare et brûlé, 66, bob.
Évangile éternel, livre détérodoxe ; à qui attribué, 25.
Évêqites. Leur autorité sur les écoles et les universités, 42.
Evrard de Béthune. Sa Grammaire latine, intitulée Græcismus, 143, 168, 188.
F.
Fabliaux. Divers sens de ce mot, 224. —
Contes en vers, 224, 232.
Falsification de chartes et de sceaux, 136.
Femmes lettrées au treizième siècle, 21.
Fêtes des Fous, des Anes, etc., 14. — Efforts d'Eudes de Sully. évêque de Paris, pour abolir la fête des Fous, 576.
Fibonaci (Léonard). Le premier Européen qui ait connu les chiffres arabes; il les emploie en 1202. dans son Liber abaci, 1 14.
Flagellans, 3.
Folquet de Lunel, troubadour, 203, 204.
Folquet de Marseille, troubadour, 196.
Foulques de Neuilly. Prêche la croisade de 203, p. 164.
France. Tableau de son histoire politique au treizième siècle,9—12.—Son gouvernement et ses lois, 15.
François (saint) d'Assise, instituteur des frères mineurs, 3, 4.
Fratricelles, secte, 3.
Frédéric II, empereur, 2, 8. - Ami des lettres, 32. — L'un de ceux à qui le Livre des trois imposteurs est attribué, 72. -Encourage l'étude de la médecine 94. — Maintient l'enseignement des livres d'Aristote, 102. — Cultive l'astronomie et l'astrologie, (J 7. - Fait entreprendre des versions latines de livres grecs, 141.
Frères mineurs ou franciscains. Divisés en trois ordres, etc., 3, 4.
Frères prêcheurs ou dominicains, 3. Leurs écoles, 40.
G.
Gandor de Douai. Ses romans en vers français, 232.
GARNIER DE ROCHEFORT, évêque de Langres. Sa vie et ses écrits, 425-43 1. — Sa mort en 1202, et son épitaphe, 428. — Ses sermons 429 er suiv.
Gautier de Coinsy, prieur de Saint-Médard de Soissons, trouvère, 226, 227.
GAUTIER DE COUTANCE, archevêque de Rouen, 535. — Sa patrie, 536 et suiv. — A quelle époque nommé vice-chancelier du roi d'Angleterre, 53y. — Considération dont il jouissait à la cour, ibid. — Nommé évêque de Lincoln, puis archevêque de Rouen ; contestation entre le roi et le chapitre à ce sujet, 538.—Son mériteetsa capacité, ibid.-Sacon- férence avec le roi de France; quel en était le but ; il se croise, 539. Autres particularités de sa vie, 539 et suiv.- Il assemble un concileprovincial ; dans quel but? 540.Comment il fut nommé chancelier, 541 et 542.— Sa fidélité envers son roi ; sagesse de son administration pendant qu'il était grand
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justicier, 543. Honorable lettre que lui adresse l'empereur Henri VI, 544.- Il refuse de souscrire au traité de paix conclu entre la France et l'Angleterre; motif de ce refus, 545. — Sa fuite de Rouen ; quelle en fut la cause ; lettres que lui écrit Pierre de Blois à ce sujet, 546.— Lettres flatteuses que lui écrivent les rois de France et d'Angleterre pour le rappeler, 546 et 547. - Honneurs que lui accorde le roi de France, 547, - Il s'oppose aux travaux entrepris par Richard, pour fortifier la Normandie, 549. — Jugementde lacour de Romeà ce sujet, ibid. - Sa disgrâce auprès du pape; quel en fut le sujet, 551. - Sa mort, 553. — Eloge de ses belles qualités, 554 et suiv. —Ses écrits, 555 et suiv. — Mérite de ses lettres, 558. — Chartes émanées de lui, 560.
Gautier Map. Ses romans, 177. — Ses vers latins, 187, 188.
Gautier de Met\. Son Ymage du mOllde, 119, 121, 126, 220.
Gélent, évêque d'Angers. Diminue le nombre des jurisdictions ecclésiastiques de son diocèse, et en maintient 21, p. 79.
Gemare. Ce que c'est, à quelle époque composée, 348, 377.
Génebrard. Ses traductions, 346, 367.
Geneviève (abbaye de Sainte-). Sa bibliothèque, 36. — Son école, l'un des germes de l'université de Paris, 45, 48.
Geofroi, sous-prieur de Sainte-Barbe-enAuge, 437.
Geofroi, fils naturel de Henri II. Dissensions qui troublent l'Angleterre à son sujet, 541 et 542.
Geoffroi de Vinisauf, poëte latin, 186, 187.
Geoffroy de Waterford. Traduit en français un livre d'Aristote, 141.
Géographie, 120-127. Comment exposée dans la Chronique de Saint-Marien d'Auxerre, 121. — Géographie du moyen âge, 122, 123.
Géométrie, 115. Deux traités manuscrits de cette science, composés au temps de saint Louis, et conservés dans la bibliothèque de Sainte-Geneviève, ibid.
GÉRARD, abbé de Barbeaux. Trois lettres écrites par lui en 1204 et 1205.—Simples recommandations, 592.
Gérard de Péronne, prédicateur, 165.
GERVAIS, prieur de Sairit-Seneric. Son Histoiredes comtes d'Anjou,495.— N'est-il pas le même que Gervais, moine de Cantorbéri?
p. 406.
Gervais, moine de Cantorbéri, 496. - Ses écrits, 497 et suiv. — Mérite de sa Chronique, 498.
Gervais de Cantorbéri, historien, 131.
Gervais de Tilburry. Croit le monde carré, 120. — Cité, 146.
Gherardino de Borgo San-Donnino. Cru l'auteur de l'Évangile éternel, 25.
Gibelins et Guelfes, 6.
Gibers ou Gyrbers. Versifie le roman de Gérard de Nevers.
Giggerus (Antoine). Traduit les notes de Jarchi sur les Proverbes, 346.
Gibert l'Anglais. On étudiait beaucoup, en France, son Abrégé de médecine universelle, 95.
Gilles, chancelier et garde-des-sceaux, jurisconsulte, 91.
Gilles Colonne ou de Rome, 26.— Son livre sur les erreurs des philosophes, 106. — Son traité de Regimine principum, traduit en français, 154.
GILLES DE CORBEIL, médecin et poëte, 95.
187, 190. — Incertitudes sur sa véritable patrie, 5o6 et suiv. — Professe les lettres, la médecine, la théologie, 506. — Ses ouvrages, en vers, de Pulsibus, de Urinis, de Virtutibus com- positorum, etc., 509 et suiv.
Gilles de Delft, poëte latin, 191.
Gilles d'Orléans. Entremêle dans ses sermons le latin et le français, 165.
Gilles de Paris, poëte latin, auteur du Carolinus, 190, 191.
Gilon de Rheims, historien, 133.
Gir aldus Cambrensis, GiraudRarry, Anglais.
Traduit ses propres livres en français, 159. —
Topographies d'Irlande et du pays de Galles, rédigées par lui, 127.
Giraud de Borneil, troubadour, 196, 197.
Godefroi de Bouillon. Prédiction qui lui fut faite par Salomon Jarchi, 350.
Godèfroy de Beaulieu, confesseur et historien de saint Louis, 133.
Gonthier, auteur du Ligurinus, poëme latin, 186.
Grades académiques. Leur origine, 44.
Grammaire. Grammairiens en Italie et en France, 138, (39.
Grégoire IX. Son Code ecclésiastique, 1,2.
— Son zèle pour le progrès des études, 32; et pour celui de l'Inquisition, 68—Il condamne le Talmud,17o.—Ses exhortations aux théologiens. 73. — Ses décrétales, 74. — Ilcondamne les livres d'Aristote, 100, JOI.
Guérin (l'abbé). Sa querelle avec saint Guillaume, sa conduite à l'égard de ce dernier, 460.
Guerres privées, 17, 18.
Gui, instituteur de l'ordre des hospitaliers du Saint-Esprit de Montpellier, 5ug. — Ce Gui ne peut avoir été fils de Guillaume VI, seigneur de Montpellier; ce fut, à ce qu'il paraît, un simple moine, ibid. - Le pape l'appelle à Rome, en 1209, et lui donne l'administration de l'hôpital de Sainte-Marie en Saxe, ibid.
Guiart, trouvère. 220.
GUIBERT, abbé de Gembloux et de Florennes. Né dans le Brabant, passe une partie de sa jeunesse à l'abbaye de Saint-Martin de Tours, 566.—Il y composeun poëmeen l'hon-
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neur de saint Martin, 567 - Il est élu, à l'âge de 66 ans, abbé de Gembloux, et ensuite de Florennnes,ibid. Ses relations avec sainte Hildegarde, abbesse du couvent de Binghem, 568. — Il avait fait reconstruire le couvent et même la ville de Gembloux, 569.-La plupart de ses nombreux ouvrages ont été consumés dans un incendie du monastère de Gembloux, ibid. — Leurs titres, et fragmens de quelques-uns, 570 et suiv.
GUILLAMME (saint), abbé de Saint-Thomas du Paraclet. Époque à laquelle il vivait, 454 et suiv.—Sa lettre à Célestin 111,45 5.—Son voyage en France; quel en était l'objet, quel en fut le succès, 458, 462 et 464. — Sa famille, le lieu de sa naissance, 458. — Diverses circonstances de sa vie, 459 et suiv.— Altercation qui s'élève entre lui et l'abbé Guérin ; quel en était le sujet, 460. — Traitement atroce que ce dernier fait éprouver à Guillaume, ibid. - Ce qui le détermina à aller en Danemarck, et but de cette mission, 461. Sa mort, sa canonisation, son épitaphe, 462. — Ses écrits, 463 et suiv. — Ses lettres concernant le mariage et le divorce de Philippe-Auguste, 464 et suiv. — Ses lettres aux souverains pontifes, 467 et suiv; à des cardinaux, 469; à des archevêques et à des évêques, 470 et suiv. ; à des abbés et à des religieux, 472 et suiv; Au roi de Danemarck et à des officiers de sa cour, 474 et 475. - Ses opuscules, 475 et suiv.
Guillaume d'Auvergne, théologien, 72.
Guillaume de Blaye. Avait professé le droit avant d'être évêque d'Angers, 44.
GUILLAUME DE BOMY, abbé de Dommartin. Il coopéra à la rédaction des statuts de l'ordre de Prémontré, 395.- On lui attribue une relation des miracles de saint Thomas de Cantorbéri, ibid.
Guillaume, clerc normand, auteur d'un bestiaire en vers français, 220, 221. 1 Guillaume, dominicain de Florence. Ecrit en français, 159.
Guillaume-Bernard de Gaillac. Passe pouravoir traduit saint Thomas en grec, 142.
Guillaume le Breton, historien et poëte, 131,191,192. — Cité, 47, 1 1 g Guillaume de Champeaux, au premier âge de la scholastique.
Guillaume de Lorris, 152, 236.
Guillaume du Puy-Laurent. Auteur d'une Histoire de la guerre des Albigeois, 130.
Guillaume de Morbeka. Savait des langues orientales, 139-141 ; et le grec, 142.
Guillaume de Nangis, historien, 133, 134, 137. — Il traduitlui-mêmeson Histoire en lan- gue vulgaire, 148. — Cité, 89.
Guillaumede Saint-Amour. Persécuté pour son livre sur les périls des derniers temps, 50.
Guillaume de la Villeneuve. Son poëme des Cris de Paris, 222.
Guillaume de Waddington, poëte anglonormand, 218, 219.
Guillot. Son poëme sur les Rues de Paris 222.
GUY DE PARÉ, abbé du Val, puis de Cîteaux, ensuite cardinal évêque de Palestrine, archevêque de Reims. Avait été élevé à Cîteaux, 499. — Réprimande Philippe-Auguste, 500.
— Ses voyages en Espagne et à Rome, i oo.- Il n'est point le rédacteur des statuts de l'ordre de Calatrava, 101. — Otton et Philippe se disputant l'empire, Guy, légat d'Innocent III, fait prévaloir Otton, 501, 502. — Archevêque de Reims, Guy fait brûler des habitans de Braines pour hérésie, 502.—Chartes de ce prélat, 502. — Sa mort en 1206, ibid.- Ses écrits, 503.
Guy art Desmoulins, traducteur de la Bible, 70, 144.
H.
Haiton. Sa relation sur les pays orientaux, 125, 126.
Haute-Selve (le moine de), romancier, 170.
Hazachen (Isaac). Sa famille; ses travaux; ses nombreux disciples; leur profonde érudition, 359.
Hébert. Ecrit en vers français le roman Dolopathos.
Hébraïsans du treizième siècle, 140, 141.
Hélin, abbé de Floreffes, predicateur, 164.
Héllénistes du treizième siècle, 141, 142.
Henri III, roi d'Angleterre, 8, 9, 10.
Henri d'Andely, trouvère, 217, 218, 225.
Henri de Kosbein, traduteur d'Aristote, 142.
Henri de Suze. Célébré par Dante comme le restaurateur de la jusrisprudence, 77.
Hérésies du treizième siècle, 2, 3, 65, 66.
Hérétiques livrés aux flammes, 66.
Hermondaville, anatomiste, médecin de Philippe-le-Bel, 96 , HILDUIN, chancelier de l'Eglise de Paris de 1178 à 1190 Ses sermons, 592. - Deux autres Hilduin, ibid.
Histoi-ieiis et Chroniqueurs, 129-137.
Honorius III. Prescrit l'étude de la grammaire, 32. — Interdit l'enseignement des lois séculières à Paris, 44,47.—Sa bulle Super specula, 83, 84. — Il défend aux ecclésiastiques d'exercer la profession de médecin, 88. — Il condamne la doctrine de Jean Scot Erigène, 108.
Hue de Tabarie, trouvère, auteur de l'Ordene de chevalerie, 220.
HUGUES Ve du nom, dix-septième abbé de Cluni ; l'avait été auparavant de Rading en Angleterre; il a enrichi la bibliothèque de Cluni ; ses chartes et ses écrits; il n'est pas l'auteur d'un dialogue sur le souverain bien,
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ni d'une relation des affaires de Turquie, mais seulement d'un recueil de statuts monastiques ; sa mort en 1207, p. 534, 535.
Hugues de Bercy. Voyez Bible Guyot, et Bible au seigneur de Berze.
Hugues de Saint-Cher, 23. On lui doit les premières Concordances de la Bible, 70.
Hugues de Miramon. Recherche les propriétés du nombre 4, p. 113.
HUGUES DES NOYERS, évêque d'Auxerre, 504. — Innocent III refuse de confirmer son élection à l'archevêché de Sens, ibid. — Mœurs et caractère altier de Hugues, 504.505. - (1 assiste à un concile de Paris, y fait condamner Euvrade, 505. — Il a un démêlé avec le comte Pierre, et meurt en 1206, ibid. —
Ses cantiques latins rimés et autres écrits, 506.
Hitgues, comte de Saint-Pol. Sa lettre sur la prise de Constantinople, 167.
Humbert de Romans, généial des dominicains. Étudie les langues de l'Orient, 139, 140. - Réfute l'opinion alors répandue d'une période de 36,000 ans, i 19.
Huonde Villeneuve. Les romans qu'il a versifiés, 232.
Hygiène du treizième siècle, 98, 99.
I.
Ibn-al-Ouardi, géographe arabe, 120, 126, 127.
Imitation deJ.-C. En quel temps et par qui composée, 70, 71.
Imposteurs (Livre des trois). S'il a jamais existé; à qui l'a-t-on attribué? 392.
Ingelburge, sœur de Canut VI, roi de Danemarck. Son mariage avec Philippe-Auguste, 458, 462 et 464.
Innocent III. Sa puissance en Europe, 1; en France, 13. — Son influence sur les progrès de l'instruction, 3 1, 32. —Ses décrets relatifs aux écoliers de Paris, 42; à ceux de Nevers, 43; à la jurisdiction des évêques et des chanceliers sur les écoles, 46; aux Albigeois et à l'Inquisition,67, 68.— Ses trois lettresàGarnier de Rochefort, 426-428. -Il élit empereur Othon de Saxe et rejette Philippe de Souabe, Soi, 5o2 ; confirme les droits du métropolitain de Reims, 502 ; refuse de confirmer l'élection de Hugues des Noyers à l'archevêché de Sens, 504; met la France en interdit à 'cause du divorce de Philippe-Auguste, 577; publie, en 1208, la croisade contre les Albigeois, 579, Innocent IV, 2. —Bienfaiteur de l'université de Toulouse. 32; protecteur des écoliers de Paris, 48. - Il condamne le Talmud, 70; et Robertde Lincoln, 118.—Envoiedes mission- naires chez les Tartares, etc., 123.
Inquisition. Son origine, 3.—Son établissement et son caractère à Venise, 6. - Pierre
de Castelnau et saint Dominique premiers inquisiteurs, 67.—Moyens employés par Amand de Cîteaux et autres pour la destruction de l'hérésie des Albigeois, 68.
Instruction commune. Son état en France au treizième siècle, 20, 21.
Irvin, maîlre des écoles d'Orléans, 41..
Isaac, père de Salomon Jarchi. Son mérite; ses projets pour l'histoire de sa nation, 339.
Isaac Athias. Son Trésor des préceptes 344.
ISAAC BAR ABBA. Sa patrie; ses ouvrages, 377 et 378.
ISAAC, fils d'Abraham. Epoque à laquelle il vivait; ses ouvrages, 379.
Isaac, fils de Baruc, 386.
ISAAC BEN GHEASH. Son surnom. — Sa famille. - Quitte la France, et pourquoi ?—Se rend en Espagne; comment il s'y fait remarquer, 358.— Ses poésies et ses autres ouvrages, 359.
Isaac bell Malchiel, 388.
Isaac ben Meir. Comment appelé encore.
— Ses ouvrages, 357.
Isarn, inquisiteur et troubadour, 197.
Italie. Son état au treizième siècle, 6, 7.
J.
Jacob. Pourquoi il prépara des lentilles à Esaü, 352.
Jad Chazaka. De quoi traite cet ouvrage, 3.85.
Jacques de Cessolles, prédicateur, 164.
Jacques de Révigny. Enseigne le droit à Toulouse, 57, 77, 78. Jacques de Somalia, prédicateur, 165.
Jacques de Viterbe, 26.
Jacquesde Vitry. Trace le tableau des désordres auxquels se livraient les étudians de Paris, 42,6y.— Ses livres d'histoire, 131, 137.
- Cité, Í 1 2.
Jacques de Voragine. Sa Légende dorée, 135 Janvier (Dom.). Traduit les commentaires de Kimchi sur les Psaumes, 366.- Approbation de la Sorbonne pour cette traduction, 367.
JARCHI (Salomon), fils d'Isaac. Si ce nom lui fut donné par les chrétiens où par les Hébreux, 337. — Il est quelquefois nommé Rasci. Sa patrie : lieux où on le fait naître ; à quelle époque on fixe sa naissance, 338. — Ses maîtres; ses connaissances dans l'Écriture sainte: ses voyages; leur but; qui l'empêcha de profiter des mémoires qu'il y avait recueillis; son amitié avec Maimonide, 339. — Sa grande érudition.
Pourquoi nommé Germanus. Où son corps fut-il transporté : Ses écrits. Ses nombreux commentaires sur l'Écriture; ses suc-
cès ; noms honorifiques qu'on lui donne,
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343. - Différentes éditions de ses commentaires, 344 et 345. — Traductions qui en ont été faites, 345 et 346. - MSS. de ses commentairesqui sont à la bibliothèquedu Roi, 347.— Ses commentaires sur le Talmud, 348 ; éditions imprimées et manuscrites de ces commentaires, 349. — Ses autres ouvrages, 350.
— Le don de prophétie lui est accordé par ses admirateurs : prédiction que, selon eux, il fit à Godedefroi de Bouillon, 350.—Subtilité de son esprit, 351,352.— Comment il explique pourquoi Jacob avait préparé des lentilles pour Ésaü, 352.- Audace de ses remarques et de ses pensées, 353 et 354. — Son fanatisme contre les chrétiens. 353. - Fables que l'on , retrouve dans sesouvrages, ibid.-Qualités de son style, 354.- Enfans qu'il laissa après sa mort, 355. - Quels sont ceux qui se sont illustrés par leurs écrits, 356 et 357.
Jean XXII, pape, auparavant médecin sous le nom de Pierre d'Espagne, 94.
Jean de Boulogne, calligraphe, 38.
Jean de Boves, trouvère, 225.
Jean de Candel, chancelier de l'Église de Paris. Sa jurisdiction sur les écoles, 46.
Jean de COI/dé, trouvère, 225.
Jean Damascène (saint). Ses quatre livres de la Foi orthodoxe, 16 1.
Jea/I deFlagy. Versifie le roman de Guérin le Lorrain. 232.
Jean de Saint-Gilles, prédicateur, 164.
Jean de Meung, poète, 152, 156, 236.
Jean de Montlaur, évêque de Maguelone.
Fait un règlement pour les écoles de Montpellier, 58, 59.
Jean, comte de Mortain. Dissensions entre lui et l'évêque d'Ely, 541 et suiv. - Quel en était le sujet, ibid.- Se ligue contre Richard son frère, 543.
JEAN DE NOYON. Ne serait-il pas auteur des lettres attribuées à Camp-d'Avenne? 490 et 493. (V. ce mot,) — Éloge que Ville-Hardouin fait de lui; envoyé vers le pape, et pourquoi ? 494. — Sa mort, ibid.— Ne peut-on pas lui faire honneur des lettres attribuées à Baudouin? (V. ce mot), 527.
Jean de Parme. Accusé d'avoir composé l'Evangile éternel, 25.
Jean de Saint-Gilles, médecin de PhilippeAuguste. Enseigne son art dans l'univeisité de Montpellier, 58. -Anglais de naissance, il pratique la médecine en France, 95 ; devient théologien et prédicateur, 164.
Jean sans Terre, roi de la Grande-Bretagne, 8. - Il s'était emparé du droit de disposer des évêchés et des abbayes de Normandie, 13.
JEHUDAH AL CHARIZI. Sa patrie, ses ouvrages, 379 et 380.
Jeux-partis ou Tensons des trouvères, 213, 214.
Jeux scéniques. Si les représentations théâ» trales étaient en usage au treizième siècle.
V. Spectacles.
Joachim, abbé de Curatio. Cru l'auteur de l'Évangile éternel, 25.
Joachim, abbé de Flore en Calabre. Sa conférence avec Adam, abbé de Perseigne; ses révélations, 438. — Sa conférence avec Richard, roi d'Angleterre, 540. —Contradic- teurs qu'il rencontra à la cour de ce prince, 541.
Joannice, roi des Bulgares. Victoire qu'il remporte sur Baudouin, empereur de Constantinople; mort cruelle qu'il lui fait subir, 523.
Joinville, historien de saint Louis, 134, 137. — Son langage; commencement de son Histoire de saint Louis, 150. t 5 1.— Cité, 1 (o..
JONATHAN SCELIACH..TzIBBUR. Sa patrie; sa lettre à Maimonide, 375 et 376.
Joseph bell Chelpeta. Ouvrage dont il est auteur, 377.
Joseph (le rabbin), fils de Geesh, maître de Salomon Jarchi, 339. ,
JOSEPH TOU ALEM BEN R. SAMUEL. Epoque à laquelle on pense qu'il vivait; ses ouvrages, 376.
Jubilé, institué par Boniface VIII en 1300.
JUDA BEN NATHAN, gendre et disciple de Jarchi, 356.
Juda, fils de Joseph, fils d'Alphacar. Sa profession ; son pays ; parti qu'il prend dans la querelle au sujet de Maimonide (v. ce mot); sa correspondance avec Kimchi; quel en était l'objet, 362 et 363.
Juda le Saint. A quelle époque il recueillit les traditions qui composent la Misna; comment il divise tous les objets qui y sont compris, 348.
JUDAS BAR SAUL ABEN TIBBON. Sa patrie; sa célébrité comme traducteur; ouvrages qu'il traduisit ou qu'il composa, 381 et suiv. 386.
Juges royaux, seigneuriaux, ecclésiastiques, 83.
Juifs. Accusés auprès de Philippe-Auguste; chassés de France, 9. — Combien dura cette proscription, 343. — Combien ils comptent de parties dans le corps humain, 352. — Un juif médecin, 97.
Jurisprudence. Enseignée à Paris, malgre la défense d'Honorius III, 47,48; enseignée surtout à Toulouse, 57. (V. Droit canon et Droit civil.) — Jusqu'à quel pointles papes ont interdit l'étude des lois civiles, 83-86. — Ecoles de jurisprudence en Italie, 85, 86.
Justice. Comment rendue en France au treizième siècle, 83, 84, 86, 87, 88.
K.
KIMCHI (David), abrbin, 141. — Sa patrie, 360. — Ce qui a pu le faire supposer Espagnol; époque à laquelle ses travaux commencèrent
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à être connus; quel pays vint-il habiter en quittant la Provence ? Jeux de mots auxquels son nom donne lieu, 361. — Parti qu'il prit dans la querelle au sujet de Maimonide (V. ce mot). Son voyage en Espagne; quel en était le but ; quel en fut le succès ? Ses lettres à Juda fils de Joseph, rabbin de Tolède ; quel en était l'objet ?
362 et 363.—Sa célébrité comme grammairien, 363. — Ses. ouvrages en grammaire; leurs différentes éditions; leurs MSS.; traductions qui en ont été faites, 364 et 365. —
Sont-ils exempts d'erreurs? à quoi tiennent ces erreurs? 365. — Ses commentaires sur l'Écriture; éditions et traductions que l'on en a faites, 366 et 367. — Table de ses ouvrages et de leurs éditions, 369.
Kimchi (Joseph), père de David. Ses ouvrages, 365 et 371.
Kimchi (Moïse). Ses ouvrages, 372.
KOLONYME. V. Calonyme.
L.
LAMBERT D'ARDRES, auteur d'une Histoire des comtes de Guines, 1 30, 528. — Éditions de cette chronique, 528. — Elle est divisée en deux parties; idée générale de l'une et de l'autre, 528, 529. — Lambert recueille des traditions suspectes; mais à partir de l'an 965, il est instructif, 529, 530. — Il fait particulièrement connaître plusieurs traductions en langue vulgaire, 530, 531.— Cité, 115, Langton (Étienne). Divise plusieurs livres de la Bible en chapitres, 70.
Lanfranc, habile chirurgien. Passe de Milan en France, 94, 96, 97, 99.
Langues anciennes. Commentétudiées, 138- 148.
Langue latine. Employée dans les actes publics, 146.
Langues modernes étrangères. Non étudiées en France, 146.
Langues orientales. Peu étudiées en Occident, 139, 140. — On croit pourtant qu'elles étaient enseignées dans une école de Louvain, 139.
Langue romane, 147. —Cette dénomination a été commune à plusieurs langues de l'Europe occidentale ; elle est plus particulièrement appliquée à la langue provençale, 147,148.
-Langue d'oc, au midi de la Loire, 148.—Son système et son caractère, 148, 149, 150.— En quoi elle diffère de la langue d'oil, 150, 151, I52.— État de la langue d'oil au treizième siècle, 152-162.—Traductions, 152-154; etcompositions, 154-158, en cet idiome. - Il est employé dans les actes publics, 156.— Sa grammaire, son orthographe, ses variations, son caractère, 156-158.—On le préférait aux autres idiomes modernes, 158-160.—Les croisés l'avaient transporté à Constantinople, en Morée, etc., i5g.
Langue vulgaire en France, 146-162.—Pré- dications en langue vulgaire, 165.
Latinité du treizième siècle, plus barbare que celle du douzième siècle, 145.
Laurent, dominicain. Traduit les Épîtres et Évangiles en français, 144.
Lays, ou lais, des trouvères, 212, 213.
Légendes ou vies de Saints, 135.
Léon (Judas). Son commentaire sur les commentaires de Jarchi, 354.
Leusden. Ses traductions, 346.
, Lexington (Étienne), abbé de Clairvaux.
Etablit un collége à Paris; il est déposé par un chapitre général de son ordre, 54.
Libergier, architecte de la chapelle de Saint-Nicaise de Reims, 327.
Livre de Justice et de Plet, 91. — Livre delà reine Blanche, ibid.
Livres manuscrits. Comment exécutés, ornés et conservés, 37-39. — Leur prix, 39.
Logique, 103, 104.
Lois françaises au treizième siècle, 86-92.
Long-champ (Raoul de), écrivain anglais.
407.
Long-champ (Guillaume de), chancelier d'Angleterre, 442.
Louis VIII. Règne en France de 1223 à 1226 ; p. 10. — Écrivains sous son règne, 29.
Louis IX, ou saint Louis. Idée de son règne, 10, 11. — Ses ordonnances, 11, 16. —
Écrivains sous son règne, 29, 30. — Son influence sur le progrès des lettres, 33. — Sa bibliothèque, 34. - Sa bienveillance pour les écoliers du collège des Bons-Enfans, 53. — Sa pragmatique sanction, 75, 76.-Ses Établisse- mens, 88, 92. — Il fait traduire plusieurs livres en langue française, 154.
Lucimel (André). Son voyage, dont la relation est perdue, 123.
LU/za, ville de Toscane. — Son évêché transféré à Sarzane; à quelle époque, 338.
Lunel, ville habitée au treizième siècle par beaucoup de juifs. S'il y eut un évêque à Lunel, 338.'- Académie juive de cette ville; rabbins illustres de cette académie; nombre des juifs établis à Lunel; leur générosité, 342.
Lunettes. Quand et par qui inventées, 115, 116.
M.
Magie, 109.
Mahaut de Blois, comtesse du Perche, 441.
Maimonide. Époque de sa naissance; son incapacité pendant son enfance; mauvais traitements que lui faisait endurer son père; nom qu'il lui donnait, 340. — Opinions qu'il émet dans un ouvrage intitulé : More nevochim (v. ce mot), 361. — Succès de cet ouvrage ; ses détracteurs ; comment ils traitent l'auteur ; ses défenseurs ; révolution que ce livre cause parmi les juifs;
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qui l'arrêta ? 362. — Les ennemis de Maimonide obligés de céder, 363.
Manassès, évêque d'Orléans. Ses lettres, 167.
Marco-Polo, voyageur, 123, 125.
Marie de France, 170, 209. - Ses lais, 212, 213. — Ses fables, 223, 224.
Martin IV. Voyez Simon de Brie.
Martino da Canale, vénitien. Écrit en français, 159.
Mathématiques, 112-120.
Mathieu de Laon, versificateur latin, 191.
Mathieu Paris, Anglais. Son ouvrage historique n'appartient point à notre littérature, 131. - Cité, 139, 140.
Mathieu de Vendôme, ou Mathieu abbé de Saint-Denis, versificateur latin, 193.
Médecine, 47, 92, 100. —Etudes des médecins grecs et arabes, 93, 94. — Écoles de médecine en Italie et en France, 94, 95. — Médecins français, 95, 96. — Professeurs de médecineà Montpellier, 97.—La médecine interdite aux prêtres et aux moines, et cependant pratiquée par plusieurs d'entre eux, 98.
Médecins arabes, 93.- Maladies qu'ils ont décrites, médicaments qu'ils ont introduits, 93,94.
Médecins grecs au treizième siècle. Actuaris et Myrepsus, 93.
Meir (le rabbin). Ses enfans, 357.
Mélange de mots latins et français, 145, 165.
Mencon, abbé de l'ordre de Prémontré.
Parle de l'éclipse du 29 septembre 1241, p.
119.
Mercier (Jean). Ses traductions, 346.
367. - Ce qu'il était; époque à laquelle il vivait, 367.
Merlin. Commentaire sur les prophéties d'Ambroise Merlin ; quel en est l'auteur ?
417 et suiv.
Mevonirnok, ou Mibbonerbock. Disciple de qui -? Ouvrage dont il est l'auteur, 360.
Métaphysique, 105, 106.
Michel de Harnes. Fait traduire en prose l'Histoire de Charlemagne, 153, 154.
Misna. Ce que c'est; à quelle époque composée; comment divisée, 348.
Missionnaires. Leurs voyages, 123, 124.
Mzrachi (Élie). Ses commentaires sur les commentaires de Jarchi, 354 Mœurs et usages du treizième siècle, 12-20.
Moines mendians. Les chaires qu'ils occupent dans l'université de Paris, 48, 49. — Leur ressentiment contre Guillaume de SaintAmour, 5o, 5 1.
Moïse. Pourquoi, dans la Genèse, parlet-il d'abord de la création du monde? 351.
Monnaies françaises autreizième Siècle, 17.
Monumens antiques non étudiés au treizième siècle, 136, 137.
More Nevochim, ou Guide de ceux qui
doutent. Quel est l'auteur de cet ouvrage?
en quelle langue il fut écrit; par qui traduit; son succès; ses détracteurs; ce dont on accusa l'auteur; ses défenseurs, 361 et 362. (V. Kimchi et Maimonide.) Montaudon (le moine de), troubadour 197.
Montpellier. Son université, 58, 59. - Son école de médecine, 97.
Morale, science négligée au treizième siècle, 106.
Mouske (Philippe). Son Histoire de France en vers français, 132, 133, 221, 222.
Moyse Maimonide, juif, auteur d'un traité de la santé et d'aphorismes de médecine, 94.
Muis (Sim. de). Traduit les notes de Jarchi sur Malachie, 346.
Musique. Voyez Art musical.
Musique d'église. Hymnes nouvelles; fêtes dans les églises, 264. — Musique profane, chansons des trouvères, 268.— Principaux auteurs de chansons, 271. — Décadence de la classe des trouvères, ménestrels, etc., 272.
N.
Narbonne (Académie juive de), 361.
Navigations des Génois, des Pisans, des Vénitiens, 123.
Neubourg (Robert de). Élu par le chapitre archevêque de Rouen; contestation à ce sujet entre le roi et le chapitre, 538.
NEVELON ou NIVELON de Cherisy. A quelle époque nommé évêque de Soissons, 531.-Ses relations avec Étienne, abbé de Sainte-Geneviève, 532. - Il encourt l'indignation du roi, et pourquoi? Il part pour la terre sainte; ses voyages à Rome, leurs motifs, 533. — Sa mort, 534.
Nicolas I V. Fonde des chaires, 32.—Donne aux écoles de Montpellier le titre d'étude générale, 5g.
Nicolas de Braia, poëte latin, 192, 193.
NICOLAS, abbé de la Ferté. Donne une seconde règle à l'ordre militaire et religieux des chevaliers de Calatrava, 595. — Il passe pour être le fondateur de l'abbaye de Bardona en Lombardie, 596.
Nicolas de Flavigny, prédicateur, 165.
Nicolas, peintre renommé. Est brûlé à Braines comme hérétique, 66, 328, 502.
NIN DE KARCKESONA. V. Samuel fils de Salomon.
Notre-Dame (cathédrale de). Son école est l'un des germes de l'université de Paris, 45, 46.
0.
Odon (saint), abbé de Cluni. Son hymne à saint Martin, 437 et 444.
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ODON ou Eudes de Sully, parent des rois de France et d'Angleterre, 574. —Son éducation, ses progrès attestés par Pierre de Blois, 574, 575. — Son voyage à Rome en 187, 575. — Ses mœurs épiscopales censurées par Rigord, ibid. — De chantre de Bourges, Odon devient évêque de Paris en 1197, p. 576.
-Ses efforts pour abolir la fête des Fous, 14 et 576.—Il est momentanément chassé de son Eglise pour avoir soutenu l'interdit prononcé par Innocent III à l'occasion du divorce de Philippe-Auguste, 577. — Son crédit, les contestations qu'il soutient, ses statuts, 577, 578. — Comment il est fondateur de l'abbaye de Port-Royal. 578, 579. — Il provoque, en 1208, peu avant sa mort, la croisade contre les Albigeois, 579. — Ses écrits ne consistent qu'en chartes, épîtres et réglemens, 579, 580, 581. — Il est loué par Robert de SaintMarien d'Auxerre, et dans le Spéculum morale de Vincent de Beauvais, 581, 582. —Son épitaphe, 582. — Il n'a jamais été chanoine de Saint-Victor, ibid. - Il a peu contribué à la construction de la cathédrale de Paris, ibid.-- Son caractère, 582, 583.
Omond ou Osmond, trouvère, 220.
Optique, 115, 116.
Orange. Cette ville n'avait point d'université proprement dite au treizième siècle.
Ordonnances des rois de France. Comment conservées et enregistrées, 15, 16.
Orient. Son état et ses révolutions au treizième siècle, 5, 6.
Orléans. Son université, 27.
Orthographe. Indéfiniment variable au treizième siècle, 157.
P.
Pairs de France. Leur nombre fixé à douze, 15.
Papiers de chiffe. Inventé peut-être avant 1300, employé certainement en 1309, p. 38.
Paris. État de son université, 47, 48.
Parlemens, 91, 92.
Passavant (Jean), Italien. Professe la médecine à Paris, 94.
Parthénopex de Blois, roman en vers fran çais. 233, 234.
Pastoureaux, secte, 3.
Pastourelles des troubadours, 205.
Peinture. Cet art ne fut pas autant employé dans les églises au treizième siècle que dans les précédents : quelle en fut la cause? 321.
— Vitraux peints tapisseries, etc.,de cette époque,322.—Est-il vrai que l'on ne connutalors que la peinture au blanc d'œuf?—322.—Miniatures des manuscrits, 323.—Gravure sur métal et sur bois, 326.
Peilican (Conrad). Ses traductions, 346, 358, 365. — Ce qu'il était, 367- Perrot de Saint-Cloud, auteur du Roman
du Renard, poëme burlesque en vers français, 234.
Pharmacie, 99.
Philippe - Auguste. Chasse les juifs de France ; pourquoi ? 343 — Son mariage avec Ingelburge de Danemarck, 458 et 462.- Lettres à ce sujet, 464 et suiv. — Ses exactions, 480.— Son entrevue avec Henri II; quelle en fut l'issue, 536. — Idée des vingt-trois dernières années de son règne, 9, 10. — Écrivains morts de son temps, 29. — Il favorise les hommes de lettres, 32. — Il est réprimandé par Guy Paré, abbé de Cîteaux, 500. — Son divorce ; interdit jeté sur la France à cette occasion; il reprend Ingelburge; légitimation des enfans qu'il a eus d'Agnès de Méranie, 577.
Philippe III, ou le Hardi. Règne en France de 1270 à 1285, p. 12. — Donne les premières lettres d'anoblissement; écrivains sous son règne, 30. — Il était lui-même illettré, 33.
Philippe IV, ou le Bel, roi de France en 1285, p. 12.—Sa loi somptuaire, 16. — Écri- vains sous son règne, 30. — Faveurs qu'il leur accorde, 3 3.—Il sépare l'ordre des magistrats de l'ordre ecclésiastique, 92. ,
Philippe de Grèves,chancelier de l'Église de Paris. Sa jurisdiction sur les écoles, 46.
Philippe de Vologniac, jurisconsulte, 92.
Philosophie, 100-106.
PHRÉGORAS, juif français. Professe les let- tres à Cordoue, 386.
Physique, 106-112.
Pierre III, roi d'Aragon , troubadour, 198.
Pierre d'Anfol, trouvère, 23 1.
Pierre de Apono. Condamné pour sorcel- lerie, 21, 95.
Pierre d'Auvergne, troubadour, 197.
PIERRE d'Auxerre, théologien. On n'a que des fragmens de son ouvrage sur les Cérémonies de la Messe,56 1. - C'est à tortqu'on lui attribuerait une Chronique manuscrite citée par Belleforest, ou une traduction de quelques œuvres de l'évêque Methodius, ibid.
— Le Pierre, auteur de ces ouvrages, paraît avoir vécu au neuvième siècle, dans le temps que les Normands dévastaient les Gaules, 562.
Pierre de Belle-Perche, jurisconsulte, 92.
Pierre de Blois. Ce qu'il dit de l'éducation et des progrès d'Eudes ou Odon de Sully, 574, 575.—Les deux lettres qu'il lui adresse: 581.
Pierre Cardinal, troubadour, 197, 204.— Pierre Cardinal, chargé d'instruire la jeunesse de Tarascon, 41.
Pierre, chanoine de Saint-Martin de Troyes. Sa lettre sur une relique de saint Victor, 595. — Traduction française de l'Histoire scholastique de Pierre Comestor, ibid.
Pierre d'Espagne, médecin, pape sous le nom de Jean XXII, 94.— Salogique, 103, 104.
Pierre Lombard. Ouvre le second âge de la
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scholastique, 63.—Commentaires de ses quatre livres des Sentences, 71, 72.
Pierre Monocule, abbé de Clairvaux. Pourquoi il s'appelait ainsi; et quelques circonstances de sa vie, 514.
Pierre de Montereau, architecte de la Sainte-Chapelle de Paris, 327.
Pierre de Montluc, greffier. Ecrit les registres Olim, 92.
Pierrede Mura, dominicain. Compose un traité d'arithmétique, 113.
Pierre de Nemours, évêquede Paris. Sa bibliothèque, 35.
PIERRE DE POITIERS, chancelier de l'Église de Paris, 484. — Distinct de Pierrede Poitiers, moine de Cluni, et de Pierre de Poitiers, victorin, ibid.— Il professe la théologie àParis, 485.-Ses cinq livres de Sentences, rédigés avant 1175, ibid. — Critiqués par Gautier de Saint-Victor, ibid.— Observations sur ces cinq livres et sur les autres écrits de Pierre de Poitiers, 486, 487.— Figures qu'il fait placer dans les écoles, 488, 489. —Actes qu'il a souscrits comme chancelier de Paris, 489. — Il n'a point été évêque d'Embrun, 489, 490.— Il est mort en 1205, ibid.
PIERRE, abbé de Pontigni et de Cîteaux, évêque d'Arras. Noticesur sa vie et ses écrits, 431, 432. —Sa niort en 1202, ibid.
Pierre de Riga, poëte latin, 187.
Pierre de Vaux - Sernay, auteur d'une Histoire de la guerre des Albigeois, 130.
Pierre des Vignes, chancelier de Frédéric II, 76, 102. — Ses lettres, 167.
Pitard, chirurgien de saint Louis, 96, 99.
Plan Carpin, voyageur, 123, 124.
Planhs, ou complaintes des troubadours, 200.
Poèmes didactiques des trouvères, 217.
Poëtes latins du treizième siècle, 183- 194.Poëtes provençaux (voyez Troubadours). —
Poëtes français (v. Trouvères).
Pontac (Armand de), évêque de Bazas.
Ses traductions, 346.
Port-Royal. Fondation de cette abbaye, 578, 579.
Poudre à ca/wil. Déjà inventéeau treizième siècle, 109, 110. ,
PRÆPOSITlVUS, chancelier de l'Eglise de Paris, 22. — Né probablement en Lombardie, 583.— Sermentqu'il prête en qualitéde chancelier, 583, 584.— Il parait n'avoir vécu que jusqu'en 1209 — Incertitude de ladate précise de sa mort, 584, 585. — Sa Sommede théologie, 585.— Ses commentaires sur les Psaumes et ses sermons, 585, 586.
Pragmatique sanction de saint Louis, 11, 75, 76.
Pré aux Clercs. Objet d'un procès entre les écoliers de Paris et l'abbaye de Saint-Germain, 45.
Prédicateurs, 163-165.
Priscien. Sa Grammaire, comment étudiée, 142, 143, 430.
Professeurs célèbres de l'université de Paris, 52, 53, 74.
Provence. A qui elle appartenait au treizième siècle, 361.
Q.
Quadrivium et Tdvium, 113.
Questions agitées dans les écoles, 64, 65.
R.
RABBINS (sur quelques) du commencement du treizième siècle, 337.— Fanatisme de quelques-uns au sujet des auteurs grecs, 359.
Racine. Cité sur la fondation de l'abbaye de Port-Royal.
Raoul de Diceto. Ce qui pourrait faire croire que cet historien est français, et ce qui détruit cette conjecture, 499.
Raoul de Houdan, trouvère satirique, 214, 227.
Raoul, orfèvre. Exécute la châsse de sainte Geneviève, 328. — 11 reçoit les premières lettres d'anoblissement, 20.
Rasham, nom de Samuel ben Meir. Décomposition de ce nom, 357.
Rasci. A qui donne-t-on ce nom? 338.
Raymond Lulle.Il passe pour le premier qui aitparléde la pierre philosophale; il croyait avoir trouvé un remède universel, 95. — Il proposait à Philippe-le-Bel d'établir des écoles de langues orientales, 140.
Raymond de MOlltal/ero. Ce qu'il dit de l'introduction de la langue française en Morée, en Grèce, etc., 159.
Raymond de Pennafort. Compile cinq livres de décrétales, 74, 75.
Réalistes et nominaux, 60, lî 1. Système des nominaux reproduit par Guill. Ockam, ibid.
Recteurs de l'université, 48, 51, 52.
Registres OLIM, 16, 92.
Remi de Florence, a5.
Renaud, trouvère. Auteur du lai d'Ignau- rès, 225.
Renax ou Renaus. Entreprend le roman ou poëme du Chevalier au Cygne, 232.
Reti-oeizla. Espèce de ballade des troubadours, 200.
Rhétorique. Peu enseignée en France au treizième siècle, 48, 162.
Ribam ou Harribam. Nom d'Isaac ben Meir; sa décomposition, 357.
Ribauds, 3, 18.
Riboti (Guillaume), évêque de Vence. Sa bibliothèque, 35.
Richard, roi d'Angleterre. Son avénement au trône; proclamé duc de Normandie; sa conférence avec Joachim (voy. ce mot), 540. — Sa captivité, 542. — Sa mise en liberté, 543. — Sa guerre contre le roi de France, 544.
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Richard, roi d'Angleterre, trouvère, 198, 209.
Richard, de Funlival, auteur d'un bestiaire en vers français, 221.
Richer, moine de Sénones, historien, 131, 132.
Rigorda moine, médecin et historien, g3 130, 137. — Cité, 47, 78, 84, 97, 109, 176.
Riquier Giraud. Ses pastorelles, ibi, 197, 198. Robert d'Arondel, hébraïsant, 140.
Robert de Biois, trouvère, auteur du Chastiement des dames, 219.
Robert de Courçon, légat en France. Les réglemens qu'il donne à l'université de Paris, 32, 61, 79, 100.
Robert de Lincolll, dit Grosse-Tête, 106, 118, 127, 140.
Robert de Luzarches, premier architecte de la cathédrale d'Amiens, 327.
Robert Sorbon, 27, 55, 56.
RODOLPHE, ou Raoul, évêque de Nîmes.
Auteur d'une Somme des sacremens, 596.
Roger Bacon, Anglais. Ses travaux, ses lumières, et les persécutions qu'il a essuyées, 25.— Ses connaissances chimiques, 95.— Son Opusmajus, 105.—Son penchant pour la magie et l'alchimie, 109. — Il a décrit la poudre à canon, 110. — Il avait étudié Diophante, 114; et l'Optique de Ptolémée, Il S.-Ses connaissances astronomiques, 118. — Son projet de réforme du calendrier, 118, 127. — Ses idées de grammaire générale, 138. — Il avait étudié l'hébreu et d'autres langues orientales, 140; et le grec, 141. —Sa lettre à Clément IV sur l'Écriture sainte, 166.
Roger de Hoveden. Détails géographiques dans la Chronique, 123.
Roixde Cambrai, trouvère satirique, 2 14.
Roland de Crémone, 23.— Enseigne la théologie à Toulouse, 57.
Roman. V. Langue romane.
Romans, histoires fabuleuses, 168-183.— Leurs sources orientales, 168-1 7 1 ; septentrionales ou armoricaines, 171, 172; latines, 172-175. Romans de chevalerie, leurs espèces, 175. — Romans de la Table ronde, 176, 177, 178. —Romans de Charlemagne ou des douze pairs de France, 178. — Autres romans de chevalerie, 179. — Roman d'Aucassin et Nicolette, 179.
Romans en vers, des troubadours, 206, 207.
Roman de la Rose, par Guillaume de Lorris et Jean de Mung, 157, 158, 235, 237.
ROSTANG, moine de Cluny. Il n'est connu que par la relation d'un enlèvement de reliques, à Constantinople, par des chevaliers croisés, 517. — Extrait de cette relation, ibid.
Rotula ou Rotulus, genre de manuscrits, 38. — Circulaires appelées Rotuli, 166.
Rubruquis, voyageur. 123, 124, 125.
Rusticien de Pise. Incertitude de son épo-
que et de celle de plusieurs autres romanciers, 177, 178.
Rutebeuf, trouvère, 213, 214, 215, 222, 232, 22.5, 226, 234.
S.
Saadias Gaon. Ouvrage dont il est auteur; comment est-il divisé ? de quoi traite-t-il? 384.
Sacro-Bosco (Holy Wood). Sa Dialectique, 104.— Son Traité de la sphère, 114,118; du calendrier, 127.
Salerne (École de), 94.
Salomon, fils d'Abraham. Son pays; ses disciples; sa conduite envers Maimonide, 362.
Salomon, fils d'Isaac. Voyez Jarchi.
SALOMON, petit-fils de Schimschon. Par quoi connu, 386.
Samuel ben Meir. Ses ouvrages, 357.
SAMUEL, fils de Salomon. Ses ouvrages, 387.
Sansedoni, 24, 25.
Scherzer (Jos.-Adam). Traduit une partie des commentaires de Jarchi sur le Pentateuque, 346.
Scholastique, 59-64. — Ses trois âges, 63, 64.
Scot (Jean Duns), 65. — Sa Métaphysique, 105.
Sculpture. Emploi très-varié de la sculpture dans les monumens du treizième siècle, 313. — Goût général pour les ornemens bizarres; genre des sculptures de cette époque leurs défauts et leur mérite, 314 et suiv. — Quels étaient, au treizième siècle, les tombeaux; les ouvrages d'orfèvrerie; les sceaux, médailles et monnaies, etc? 315-319.
Servantois. Sotte chanson, sirvente ou satire, des trouvères, 214.
Servitude. Les rois de France entreprennent de l'abolir, 15, 92.
Sexte de Boniface VIII, 74, 75. — Non reçu en France, 76.
Simcha de Vitry. Disciple de qui? — Lieu de sa naissance; ses écrits, 360.
Simon de Brie, légat. Protége les écoliers, 51, 52. — Condamne Aristote, etc., 101, 104.— Devenu le pape Martin IV, il sacrifie les intérêts des étudians à ceux des moines, 51.
Simon de Montfort. Armé contre les Albigeois, 9.
SIMON, chanoine de Tournai. Son mérite; sa réputation; subtilité de ses argumens; explication qu'il donne du mystère de la Trinité; blasphème qu'on lui fait dire à ce propos; comment Dieu l'en punit. — Liste des MSS. de ses ouvrages, 388-393. — Il est un de ceux auxquels on atribue le Livre des trois imposteurs, 72.
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SimsoN, fils d'Abraham. Commentaires dont il est l'auteur, 388.
Sirventes, satires provençales, 203, 204.
Sixtime, genre de poëme des troubadours, 202.
Sonnets des troubadours, 200, 203.
Sorbonne, collége fondé sous saint Louis.
35.— Sa bibliothèque,36.— Son organisation, 55, 56. — Ses premiers professeurs, 56.
Sordel, troubadour italien, 195.
Spectacles,ou représentations dramatiques.
S'il y en avait en France au treizième siècle , 241-245. V. Jeux scéniques.
Springkirsbach (Absalon, abbé de). Voy.
Absalon, abbé de Saint- Victor.
Stadings, hérétiques, 3.
Style du treizième siècle, 563.
SULLY (Odon ou Eudes de), évêque de Paris. -Reproche que lui fait Adam de Perseigne, etc., 440 et 445. V. ODON.
T.
Tainturier, trouvère, 217, 218.
Talleyrand de Périgord, évêque d'Auxerre, auteur d'une fleur des planètes, et engoué d'astrologie, Ilg.
Talmud. Ce qu'il contient; par qui fut-il composé? et à quelle époque?
comment est-il divisé? 348. —Condamné, 70, 140.
Tanaites. A qui donne-t-on ce nom? 376.
Taylor (François). Traduit les notes de Jarchi sur les Lamentations de Jérémie, 346.
Tempier (Etienne), évêque de Paris. Propositions qu'il condamne, 65.
Tensons, disputes ou dialogues en vers provençaux, 202, 203.
THAM (Jacob). Quel était son père ? le lieu de sa naissance; ce qui lui fit donner le nom de Tham; douceur de son caractère ; sur ses ouvrages et sur les éditions qui en ont été faites, 357, 358.
Théologie. Comment enseignée, 69-74. —
Sommes théologiques, 72.—Théologiens partagés en trois écoles, 485.
Thibaut, comte de Champagne, trouvère, 209, 211.
Thomas d'Aquin (saint), 23, 24, 65. — Sa Somme, 72.—Ses autres ouvrages,72, 73.—Sa physique, 107. — Ses sermons, 164. — Ses chants d'église, 187.
Thomas de Cantimpré, légendaire, 136, 193. ,
THOMAS RODOLIUS, moine d'Igni. Etait un disciple de Pierre Monocule, dont il écrivit la vie, 512.
Thorigni (Robert de). Sa lettre à Gervais, prieur de Saint-Séneric, 494 et suiv.
Torneyamen, espèce particulière de tenson provençale, 203.
Toulouse. Son université, 56, 57.
Tournois, 19, 20.
Traductions de la Bible en langues vulgaires, injerdites. 144, 145.
Traductions de livres grecs en latin, 141 ; —de livres latins en langue vulgaire, 144, 153, 154, 530, 531.
Traductions en vers français ou en langue d'oil, 211.
Trionfo (Agostino), 26.
Troubadours,194-208. Ceux d'Italie, 194, 195;—d'Espagne et de Provence, 195 etsuiv.
— Système de leur versification, 198, 199. Genres divers de leur poésie, 199-207.
Trouvères, 208-241. — Poëtes anglo-normands à distinguer parmi les trouvères, 209, 210.—Prêtres et moines qui ont versifié dans la langue d'oil, 210. — Genres divers de cette poésie, 211 et suiv. — Versification des trouvères, 237, 238. — Caractère de leur poésie, 238, 239.—Leurs relations etleurs mœurs, etc., 239, 240.
Troyes. Académie juive; à quelle époque établie dans cetle ville; quel en était le chef, 339.
U.
Universités. Leur origine, 41-59.— Leur division par nations et par facultés, 43, 44, 48. — Université de Paris, 43-56; de Bourges, 56 ; —de Toulouse, 56, 57 ; —d'Orléans,57; — d'Angers, 58 ; de Montpellier, 58,59; — d'Orange, 59. — Faculté de médecine à Montpellier, 97. — Fonction du chancelier de l'église de Notre-Dame dans l'université de Paris, 583, 584. ,
Urbain IV, pape français,2, 32 — Elève de l'école établie auprès de la cathédrale de Troyes, 40. — Essaye de rétablir l'ordre et la paix dans les écoles parisiennes, 51. — Quels métaphysiciens il rassemblait autour de lui, 106. —Ses lettres, 166.
V.
Val-des-Écoliers, nom d'un ordre de chanoines réguliers, 48.
Vers, nom de l'une des compositions des troubadours, 199.
Vidal (Raimond). Sa Grammaire provençale, 148, 150.
Ville-Hardouin fait l'histoire de la conquête de C. P. en 1204, p. 129, 130, 137. —
Né en Champagne, il a écrit dans le dialecte de son pays, 156.
Vincent de Beauvais, 29, 33.— Son Miroir moral, 106—Son Miroir naturel, 108.—Ses Notions de géographie, 121, 122.— Son Miroir historial, 132. — Sa lettre de consolation à LouisIX, 166— Cité 112. — il n'estpas certain qu'il soit l'auteur du Miroir moral, 582.
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Voyages, des Italiens ; d'Émon, abbé de Werum; de Lucimel, d'Ascelin, de Plancarpin, de Rubruquis, de Marco-Polo, 123- 125. — Relation de Haiton, 125. — Inexactitudes des observations et des relations de la plupart des voyageurs du moyen âge, 125, 126.
W.
Waldemar I, roi de Danemarck. Ses re-
lations avec la France, quel en était l'objet, 461.
Waldemar II, roi de Danemarck. Cadastre qu'il fait dresser en 1231, p. 127.
Y.
Yves de Vergy. Donne des réglemens au collége de Cluni, 54.
FIN DE LA TABLE.
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LE PUY. — IMPRIMERIE MARCHESSOU FILS.