LE LIVRE D'OR
DE
SAINTE-BEUVE
PUBLIÉ
A L'OCCASION DU CENTENAIRE DE SA NAISSANCE
1804-1904
PARIS
AUX HUREAUX DU JOURNAL DES DÉBATS
RUE DES PRÊTRES-SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS, 17
En dépôt à la Librairie A. FONTEMOING, rue Le Goff, 4
1904
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LE LIVRE D'OR
DIS
SAINTE-BEUVE
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TIRAGE A DEUX MILLE EXEMPLAIRES
IL A ÉTÉ TIRÉ EN OUTRE
SIX CENTS EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS
SUR PAPIER VERGÉ D'ARCHES
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PLAQUE COMMÉMORATIVE APPOSÉE SUR LA MAISON NATALE DE SAINTE-BEUVE, A BOULOGNE-SUR-MER.
S. E. VERNIER, SCULPTEUR. Nég. Moreau IV. Grav- imi'r- par GlLlOT
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LE LIVRE D'OR
DE
SAINTE - BEUV E
PUBLIÉ
A. L'OCCASION DU CENTENAIRE DE SA NAISSANCE
1804-1904
PARIS
AUX BUREAUX DU JOURNAL DES DÉBATS
RUE DES PRÈTRES-SAINT-GERMAIN-L'AUXEHROIS, 17
En dépôt à la Librairie A. FONTEMOING, rue Le Goff, 4
1904
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MEMBRES DU COMITÉ
DU
CENTENAIRE DE SAINTE-BEUVE
INSTITUÉ
PAR LE JOURNAL DES DÉBATS
Président d'honneur : M. GASTON BOTSSIER, secrétaire perpétuel de l'Académie française.
Président : M. FERDINAND BRUNETIÈRE, de l'Académie française.
Membres :
MM.
PHILIBERT AUDEBRAND, homme de lettres ;
FÉLIX CHAMBON, bibliothécaire à la Sorbonne;
FRANCIS CHARMES, sénateur;
ANDRÉ CHAUMEIX, rédacteur au Journal des Débats ;
ARTHUR CHUQUET, membre de l'Institut ;
JULES CLARETIE, de l'Académie française ;
FRANCOIS COPPÉE, de l'Académie française;
EMILE FAGUET, de l'Académie française ;
V. GIRAUD, rédacteur à la Reçue des Deux-Mondes;
MM.
LUDOVIC HALÉVY, de l'Académie française;
Docteur HAMY, membre de l'Institut;
GUSTAVE LANSON , professeur à la Faculté des Lettres ;
JULES LEMAÎTRE, de l'Académie française ;
G. MICHAUX, professeur à l'Université de Lille ;
ETIENNE DE NALÈCHE, directeur du Journal des Débals ;
GEORGES PERROT, membre de l'Institut;
MAURICE TouRNEux,homme de lettres ;
JULES TROUBAT, homme de lettres;
Vicomte E. MELCHIOR DE VOGUÉ, de l'Académie française.
Secrétaire : M. FERNAND ROURNON, rédacteur au Journal des Débats.
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DISCOURS
DE M. F. BRUNETIÈRE
A LA
CÉRÉMONIE DU CENTENAIRE DE SAINTE-BEUVE
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DISCOURS
DE M. F. RRUNETIÈRE
A LA
CÉRÉMONIE DU CENTENAIRE DE SALNTE-BEUVE
MESSIEURS,
Il serait facile d'être souverainement injuste envers l'homme éminent dont nous célébrons aujourd'hui le premier centenaire, et il ne faudrait pour cela que lui appliquer à lui-même les procédés opératoires dont il usa si librement à l'égard de ses contemporains. Oui, en vérité, si l'on demandait à l'histoire et aux circonstances de sa vie privée la signification de l'oeuvre de Sainte-Beuve, on commencerait par tracer de l'auteur des Portraits littéraires et des Causeries du Lundi le portrait le plus malveillant, pour ne pas dire une espèce de caricature, mais on serait étonné de voir que cette investigation minutieuse, indiscrète et quelque peu perfide ne jetterait aucune lumière ni sur les origines, ni sur la formation du développement, ni enfin sur le caractère et la nature de son talent. C'est ce que j'exprimerai d'une autre manière en disant que, de quelque façon que Sainte-Beuve ait vécu, ce qui fait l'intérêt, l'importance, la valeur historique et littéraire de son oeuvre, c'est qu'on peut la détacher de sa vie. Ou plutôt encore, et si peut-être une
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
partie de son oeuvre, — les Pensées de Joseph Delorme, son Livre d'Amour, ses Consolations, ses Pensées d' août, — ne saurait s'expliquer que par les circonstances de sa vie, c'est donc ce qui fait la médiocrité de ses poésies, et il ne se survit, il n'est lui-même, il n'est l'homme dont nous admirons le talent et dont nous respectons la mémoire que dans son oeuvre critique, dans ses Portraits, dans son Port-Royal, dans ses Lundis, où sans doute on le retrouve, mais où les défauts de son caractère sont masqués, effacés et finalement comme anéantis par le désintéressement de sa curiosité, l'abondance de son information, la pénétration de son intelligence, la fermeté de son jugement et la hauteur de son impartialité. Vous me permettrez, Messieurs, dans une occasion comme celle qui nous réunit, de ne m'attacher qu'à l'oeuvre critique de votre illustre compatriote et de me dire assez heureux si je pouvais, dans les bornes d'un seul et bref discours, sans y mêler d'anecdotes suspectes ni d'histoires de femmes, en caractériser nettement la diversité, l'ampleur et l'originalité.
Qu'était-ce, en effet, Messieurs, que la critique avant SainteBeuve? et quel rang tenaient dans l'histoire de notre littérature ceux qui s'y étaient exercés? C'est ce que peut suffire à vous rappeler la mince réputation des Marmontel, des La Harpe et des Ginguené. Boileau seul faisait exception comme ayant écrit en vers. Mais, d'une manière générale, au XVIIe et au XVIIIe siècle, on n'estimait guère la valeur d'un «. critique » au-dessus de celle d'un « grammairien », et on reconnaissait seulement que le second ayant moins de moyens de nuire, on devait au premier plus de ménagement. Ne vous étonnez pas, Messieurs, de ces paroles! Beaucoup de grandes choses ont eu de petits, et, l'oserai-je dire? de fâcheux commencements. L'émulation littéraire, voisine ou germaine de
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DISCOURS DE M. F. BRUNETIÈRE
l'envie, n'a pas moins contribué que la délicatesse du goût à la naissance de la critique moderne, et de cette origine un peu basse je ne répondrais pas qu'on ne pût trouver dans l'oeuvre même de Sainte-Beuve plus de traces que l'on ne le voudrait. C'est sans doute aussi pour cette raison d'origine que la critique professionnelle, en France, n'avait longtemps été ,comme dans les Satires de Boileau lui-même, que l'art de mettre en lumière les défauts des oeuvres des autres, de les analyser de manière à les ce disqualifier », et de se faire, tant en prose qu'en vers, aux dépens du talent ou du génie même, une réputation d'esprit et de malignité. Voltaire, sans être un professionnel, avait excellé dans ce genre de critique. Et depuis lors, Messieurs, au lendemain de la Révolution, Mme de Staël et Chateaubriand, l'une dans son livre de la Littérature et l'autre dans son Génie du Christianisme, avaient conçu l'idée, et déjà donné des exemples d'une critique plus généreuse, plus large, plus impartiale, moins soucieuse de caractériser et de railleries défauts, que déjà d'expliquer et de définir les beautés des oeuvres. Villemain, dans sa chaire de Sorbonne, avait fait quelque chose de plus. Il avait traité la littérature du XVIIIe siècle en historien des idées, et particulièrement des idées politiques autant qu'en « critique » proprement dit. Mais l'ancienne critique n'en avait pas moins continué de régner, et, tout considéré, c'est bien encore d'elle que relèvent les premiers Essais de Sainte-Beuve.
Il est vrai que dès lors, dans les dernières années de la Restauration, le romantisme avait commencé de se poser en adversaire du classicisme, et de là n'allait pas tarder à résulter un premier renouvellement de la critique. Tandis qu'en effet l'ancienne critique se réclamait toujours des règles et mettait même ses malices à l'abri des « principes », la critique romantique allait favoriser cette
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
émancipation du Moi qui est, en un certain sens, tout le romantisme, et, ainsi, surles débris des règles, établir en quelque sorte, la souveraineté de l'individu. Ce qu'il y a d'intéressant dans une oeuvre d'art, même classique, — dans une tragédie de Bacine ou dans une Oraison funèbre de Bossuet, — la critique romantique allait s'efforcer de montrer que ce n'est pas l'oeuvre elle-même, Andromaque ou l' Oraison funèbre de Madame, duchesse d'Orléans, ni Madame en sa personne, et moins encore Andromaque ou Pyrrhus, ni même, et en eux-mêmes, les caractères de l'éloquence de Bossuet ou ceux de la poésie de Bacine, mais, à vrai dire et uniquement, le poète ou l'orateur, et l'homme derrière eux : Jean Bacine ou Jacques-Bénigne Bossuet. Une oeuvre d'art est d'abord la manifestation, ou pour ainsi parler, la « représentation » de son auteur. Il s'y traduit et s'y trahit. Il s'y expose et il s'y révèle. L'a-t-il d'ailleurs voulu? C'est une autre question, qui ne nous regarde pas. Mais en attendant, nous le prenons, nous, critiques, tel qu'il s'est livré. Le voilà devant nous, avec ses défauts et ses qualités, qui ne relèvent pas seulement de la littérature; avec sa manière, à lui, de sentir et de penser, sa conception de l'homme et de la vie; avec encore tout ce que nous ne saurions jamais renier de nos origines ou de notre éducation, ni secouer de l'influence de notre temps ou de notre milieu, avec ses goûts et ses manies, son tempérament et ses habitudes, ses croyances et ses préjugés, ses haines et ses amitiés, ses attitudes et ses gestes ! Dégager tout cela de l'analyse de son oeuvre, telle sera désormais la fonction de la critique. La critique fera des Portraits, portraits en buste ou portraits en pied, portraits d'apparat on portraits familiers, portraits peints ou portraits gravés, et les OEuvres du poète ou du romancier ne serviront que de documents à l'appui de la ressemblance et de la fidélité de ces Portraits.
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DISCOURS DE M. F. BRUNETIÈRE vu
Et, en effet, Messieurs, vous le savez, de 1828 à 1837, pendant huit ou dix ans, c'est ce que Sainte-Beuve a fait. II a fait des Portraits et des indiscrétions. Et ses indiscrétions ont passé plu* d'une fois, et par malheur pour lui, la mesure permise. Il a manqué quelquefois de tact et quelquefois surtout de générosité. Mais, par tous ces moyens, et sans en excepter l'indiscrétion, il n'en a pas moins fait entrer dans cette chose morte qu'était la critique classique un principe de rénovation et de vie.
Ce que cette manière d'entendre la critique est devenue entre ses mains, vous le savez, Messieurs, et il paraît plus que superflu de le dire. Elle est même, pour beaucoup de gens, toute la critique de Sainte-Beuve, et la raison bien simple en est que dans aucune autre direction que sa critique ait prise, on ne l'a lui-même plus imité. Pour beaucoup de gens, la grande originalité de SainteBeuve est d'avoir transformé la critique d'une sèche analyse des « oeuvres » en une vivante biographie des hommes, et, de nos jours, pour beaucoup de gens, pour trop de gens, une étude sur Molière ou sur Victor Hugo n'est qu'une étude sur les circonstances de leur vie mieux connue. Il n'est plus question de juger, d'apprécier, d'expliquer ou de discuter les oeuvres, Tartuffe et le Misanthrope, les Contemplations et la Légende des Siècles, mais de rechercher à quelle occasion, dans quelles circonstances et avec qui Armande Béjart a trompé Molière ou de préciser, avec des dates et avec des lettres, la nature des relations de Victor Hugo et de la princesse Negroni. Et certes, je ne nie pas l'intérêt de cette sorte de renseignements, mais Sainte-Beuve était trop avisé pour ne pas s'apercevoir promptement que si l'on en abusait, l'objet même de la critique y périrait. Les grands écrivains ne nous intéressent qu'en fonction de leur oeuvre, je veux dire à cause qu'ils en sont les
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
auteurs, et la preuve, c'est que nous ne sommes très curieux ni de la vie de Lefèvre-Deumier ni de celle de Boulay-Paty. Avant donc de parler des hommes, il faut s'assurer de la valeur de leur oeuvre! Psychologie, physiologie, pathologie, toutes.ces choses qui ont leur intérêt ne viennent pourtant qu'ensuite. C'est ce que SainteBeuve a su parfaitement, et, si je ne me trompe, c'est, Messieurs, ce que l'on voit bien dans les écrits de sa seconde manière, dont le chef-d'oeuvre est son Port-Royal.
Il n'a pas moins bien vu, sans toutefois le dire avec assez de franchise et de netteté, ce que la critique biographique a de fallacieux ou de décevant. C'est qu'en vérité, quelque sens que l'on donne au mot célèbre de Buffon, il n'est pas vrai, Messieurs, que « le style soit l'homme », ou, du moins, si vous l'aimez mieux, le mot est juste quelquefois, et quelquefois, ou même souvent, il ne l'est pas. Les exemples en abonderaient. Je ne crois pas qu'il y ait, dans toute l'histoire de notre littérature, de tempérament mieux équilibré, ni d'esprit plus maître de soi, ni de conduite plus prudente et plus avisée que celle de Babelais? Dites-moi, Messieurs, si c'est l'idée que donne de lui le « style » de son Pantagruel et de son Gargantua? On bien encore, pour ne rien dire de ses autres qualités, connaissez-vous un style plus décisif, je dirais volontiers plus ce décisionnaire », plus tranchant, plus autoritaire que celui de Bossuet? Et cependant la douceur de l'homme, qui est quelquefois allée jusqu'à la faiblesse, nous est attestée par le témoignage de tous ses contemporains. Vous savez qu'on en peut dire autant de l'illustre auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Les pages célèbres sur le ce bourreau » et sur la ce guerre » — que je ne puis d'ailleurs m'empêcher de trouver un peu déclamatoires, — sont du plus aimable, du plus affectueux et du plus tendre des maris
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DISCOURS DE M. F. BRUNETIÈRE
et des pères. Il est vrai qu'en revanche l'auteur de Paul et Virginie, cette immortelle idylle, des Études de la nature, qui respirent tant de naïveté, fut de tous les mortels le plus mal commode, le plus difficile à vivre, le plus quinteux, le plus égoïste et le moins désintéressé. C'est donc souvent une duperie que de chercher l'homme dans son oeuvre; il y est ou il n'y est pas, cela dépend de l'oeuvre et cela dépend de l'homme. Lamartine est peut-être tout entier dans son oeuvre, dans ses Méditations, dans ses romans, dans ses Girondins ; mais vous ne retrouverez qu'une partie de Balzac dans la sienne, disjecti membra poetse, et puisque c'est de Sainte-Beuve que nous parlons, le Sainte-Beuve de Port-Royal n'a que d'assez lointains rapports avec Joseph Delorme et l'auteur même de Volupté.
On a publié tout récemment de nombreuses lettres de SainteBeuve dont les plus importantes sont celles qui forment sa correspondance avec les Olivier, de Lausanne, et vous savez qu'elles se rapportent à l'époque la plus tourmentée de la vie du grand critique. Il s'y plaint à tout moment de sa santé qui chancelle, et il y commente en vingt façons le mot de la Bruyère, que ce la critique est un métier qui exige plus de santé que de génie. » La Bruyère avait raison. Santé du corps, santé de l'esprit, santé morale, c'est de quoi le critique a d'abord besoin, et Sainte-Beuve, entre 1830 et 1848, l'éprouva cruellement. Ses affaires, en même temps, ne vont pas beaucoup mieux que sa santé. Si modestes que soient ses goûts, — et ils le sont toujours demeurés, toujours modestes et toujours bourgeois, — son labeur acharné ne réussit pas à les satisfaire, et faute d'argent il lui faut parfois se priver même de vacances. Il souffre aussi dans son amour-propre; c'est alors surtout, entre 1830 et 1848, que la réputation grandissante des Musset,
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des Vigny, des Lamartine, des Hugo lui porte ombrage, et d'autant qu'il se croit poète, et peu s'en faut qu'il ne prenne en mépris la besogne subalterne à laquelle il se voit condamné. Que dirons-nous encore? Il n'y a pas jusqu'à sa condition dont il ne se sente humilié, tout en en vantant volontiers l'indépendance et dont il ne s'indigne quand il la compare à celle des Villemain, des Cousin, des Guizot, des Bémusat, des Thiers et des Mignet, ministres, pairs de France, conseillers d'Etat, députés, hommes publics enfin, et pour quelle raison de supériorité? Mais, précisément, Messieurs, tandis que sa Correspondance — et aussi, sous la protection de l'anonymat, ses ce chroniques parisiennes » de la Revue suisse, — sont toutes pleines et débordent ainsi de ses rancunes ou de ses rancoeurs, il n'y en a presque pas trace dans les premiers volumes de son Port-Royal, et de toutes ses oeuvres il se trouve que la plus impersonnelle est justement celle qu'il a composée dans le temps où il était, — et encore n'ai-je rien dit de ses affaires de coeur, — le plus préoccupé de lui même. Tant il est vrai qu'un véritable écrivain, si seulement il est pénétré de l'importance de son sujet, s'oublie lui-même en le traitant, ou, comme l'on dit, s'y subordonne, et n'y met de soi que le moins qu'il peut et ne l'y met qu'involontairement! C'est ce que Sainte-Beuve, s'il eût pu l'ignorer, eût appris à l'école de Port-Royal.
J'ai loué ailleurs, Messieurs, du mieux que je l'ai pu, ce beau livre, où je ne serais pas éloigné de voir un modèle de la manière d'écrire l'histoire littéraire et peut-être le chef-d'oeuvre de la critique française au XIXe siècle. Je n'en partage pas toutes les opinions, mais, en vérité, j'en aime tout jusqu'aux digressions qui expriment si bien, par leur abondance et leur diversité, ce qu'il y a de contingent, de mobile et de fortuit, dans l'enchaînement des faits de ce
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monde. Le style même ne m'en déplaît pas, avec ses réticences, avec ses ce repentirs », avec l'enchevêtrement de ses métaphores dont il est bien facile de railler la préciosité laborieuse, mais cette préciosité n'est jamais qu'un moyen d'entrer plus profondément dans l'analyse des idées ou de traiter plus savamment la peinture des caractères. Et si parfois pour nous peindre ces caractères ou pour nous expliquer ces âmes du XVIIe siècle, il arrive à 'auteur de regarder du côté de ses contemporains, je ne e lui reproche pas, si 'est une manière de nous montrer sous la diversité des nuances la ce pérennité de 'être humain, et que non seulement toute une époque de notre histoire, mais toute a psychologie; peut tenir entre les murs 'un seul monastère
Huani generis nores tibi nosse volenti Sfficit una domus
C'est ainsi, essieurs, que la remière manière de ainte-Beuve a trouvé dans la seconde sa limite et sa correction, ce Le Moi est haïssable. » Ce sont les oeuvres qui importent, — les Essais de Montaigne et les Pensées de Pascal, — et c'est la trace qu'elles ont laissée, ou si vous le voulez, c'est le sillon qu'elles ont creusé dans l'histoire de la pensée humaine. La connaissance de l'homme et sa vie privée n'a d'intérêt que de servir à une connaissance plus précise de son oeuvre.. Etudions donc de près la vie de Pascal et celle de Montaigne, mais n'en retenons que ce qui éclaire l'histoire de leur pensée. Entourons-nous, pour les étudier, de tous les ce documents » que nous aurons pu rassembler, mais ne bornons pas notre tâche à les publier, ni même à les commenter. S'il y en a d'insignifiants, n'en tenons pas de compte et laissons-les à ceux que le bon Nicole
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appelait, d'une expression pittoresque mais souverainement injuste quand il osait l'appliquer à Pascal, des ce ramasseurs de coquilles » ; s'il y en a de piquants, ne cédons pas à la tentation de les employer inutilement, et ne faussons pas le sens d'une oeuvre en y introduisant ce que l'auteur n'y avait pas mis. Retraçons alors cette oeuvre dans le milieu de sa naissance et tâchons, si nous le pouvons, d'en ressaisir la genèse. Elle n'est pas tombée du ciel, et nous ne connaissons pas de génération spontanée. Mettons-la donc en relation avec les circonstances qui l'ont elle-même entourée. Dix ans plus tôt, vingt ans plus tard, elle n'eût pas été ce qu'elle est. L'Introduction à la vie dévote ne serait pas ce qu'elle est si saint François de Sales eût vécu sous le règne de Louis XIV. Ne négligeons pas de l'étudier dans les jugements qu'on en a portés. Les jugements motivés qu'on a portés sur une grande oeuvre s'y incorporent en quelque manière et contribuent à en déterminer la signification. Il y aurait de l'impertinence à feindre de les ignorer. Et, de tous ces éléments joints ensemble, formons-nous alors une opinion qui soit nôtre, mais qui le soit pour des raisons étrangères à nous et une opinion qui participe ainsi de ce caractère d'impersonnalité seul capable à son tour d'assurer dans l'histoire la durée des grandes oeuvres de la littérature ou de l'art. Les Confessions elles-mêmes de Rousseau ne nous intéresseraient guère s'il n'y avait en elles que Rousseau.
Que manquait-il cependant à cette seconde manière de SainteBeuve? et même peut-on dire qu'il y manquât quelque chose? Oui et non. Il n'y manquait rien si la critique littéraire ou l'histoire sont à elles-mêmes leur but et leur fin. Mais sont-elles et peuvent-elles être cette fin et ce but? On le croirait, on l'enseigne même volontiers de nos jours, et l'énumération pourrait être fort longue
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d'excellentes monographies, qui n'ont d'autre ambition que d'être ce qu'elles sont, je veux dire d'excellentes monographies. Quant au sujet de la monographie, les circonstances en décident et on ne s'avise de parler ou de reparler de George Sand et de Sainte-Beuve que parce que la célébration de leur Centenaire en offre une occasion naturelle et actuelle. Quelques critiques, plus indépendants encore, ne trouvent qu'en eux-mêmes les raisons de leur choix. Et j'en ai connu, Messieurs, qui les avaient trouvées sur les quais de Paris en feuilletant le catalogue des libraires ou en explorant les boîtes du bouquiniste. Sainte-Beuve n'était pas de ces amateurs, et si peut-être, en sa jeunesse besogneuse, il eût couru le risque de le devenir, l'idée qu'il se formait de la critique l'en avait préservé.
Ce n'était pas qu'elle fût, même alors, très précise, ni très claire, cette idée, et par exemple, on ne la démêlerait pas encore très bien dans un article daté de 1835 et qui devrait peut-être la contenir puisqu'il était intitulé : Du Génie critique et de Bayle. L'auteur y constatait seulement que Tune des ce conditions du génie critique dans sa plénitude était de n'avoir point d'art à soi, ni de style » ; et je crois bien qu'il avait raison. La fréquentation des écrivains de Port-Boyal, — Pascal seul mis à part, — n'avait pu que l'affermir dans cette opinion. Mais il avait appris aussi des mêmes maîtres, et cette fois sans en excepter Pascal, que cette indifférence ou ce désintéressement critique ne sont des qualités qu'autant qu'ils mènent eux-mêmes quelque part, et notamment à une connaissance ou à une intelligence plus complète et plus claire de la vérité. On ne fait point gratuitement, si je puis ainsi dire, même en littérature, abstraction de ses goûts ou de sa personnalité, mais si l'on réprime ses instincts et'que Ton conclue contre ses impressions, il en faut
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avoir une raison. C'est cette raison qu'on ne voit point encore dans le Port-Royal et qui allait se dégager de la critique des Causeries du Lundi.
Quand je nomme les Causeries du Lundi, je nomme, de l'oeuvre entière de Sainte-Beuve, la partie la mieux connue, sans doute, et je ne puis dire la plus ce populaire », mais, du moins, la plus admirée. Permettez-moi, Messieurs, de regretter que l'illustre critique n'y ait pas toujours fait preuve de cette ce indifférence » ou de ce ce désintéressement » qu'il nous vantait si spirituellement en la personne de Bayle. Les Causeries du Lundi sont dures aux vaincus de 1848, et, à un autre point de vue, quand nous y relisons tels articles sur Alfred de Musset ou sur Honoré de Balzac, nous ne pouvons nous empêcher de songer que le critique abuse, contre ceux dont il fut un moment le rival, du terrible avantage qu'il a de leur survivre. Vous serez peut-être étonné, si j'ajoute, moi qui vous parle aujourd'hui, qu'il y excède souvent la mesure en ce qu'il dit des hommes de la Bévolution et du XVIIIe siècle. Et, à la vérité, ce n'est pas qu'il les ait traités trop sévèrement ; je souscrirais, pour ma part, à presque tous les jugements qu'il en porte; mais ces jugements mêmes, il n' avait pas le droit, lui, Sainte-Beuve, de les porter, pensant comme il pensait, et nous avons le droit d'y voir, entre 1850 et 1860, moins de littérature que de politique. Ces réserves faites, je conviens, Messieurs, que Ton ne saurait trop admirer ni trop louer les Causeries du Lundi. Littérateurs, historiens, gens du monde, philosophes, érudits ou savants, il n'est personne qui ne se retrouve dans l'intime variété de ce recueil, et qui n'y reconnaisse, en chaque sujet, la nature, même spéciale, de ses propres préoccupations. Dans les Causeries du Lundi, ni la curiosité du critique ne se montre étrangère à rien, ni sa compétence n'est inégale à quelque sujet que
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l' ce actualité » l'oblige d'aborder, ni sa souplesse ou son aisance inférieures au poids de son érudition. Ce ne sont que de « simples monographies », disait-il lui-même, et en effet, ce ne sont bien que des ce monographies ». Mais il n'y a rien de plus instructif que ces ce monographies », et au lieu de les parcourir, comme nous faisons, l'une après l'autre, quand on les lit tout d'une suite, on entrevoit alors, comme le critique lui-même, ce des liens, des rapports » entre elles, et toutes ce ces observations de détail » — le mot, trop modeste, est encore de lui, — concourent et convergent vers une même fin que l'on pourrait appeler la constitution de ce l'Histoire naturelle des Esprits ». Ebaucher l'histoire naturelle des esprits, tel a été l'objet final de la critique de Sainte-Beuve, que sans doute il était homme à découvrir et à poser lui-même, et on le voit bien dans les Causeries, mais dont il n'a pris cependant qu'un peu tard une pleine conscience, et, — peut-être est-il temps de le dire, — sous l'influence de quelques-uns de ceux que Ton considère, et à bon droit, comme ses disciples.
Messieurs, lorsque nous étudions l'oeuvre ou la vie d'un écrivain, nous faisons grand état de ceux qui l'ont précédé dans l'histoire de son genre, et nous nous donnons des peines quelquefois infinies pour retrouver les sources de son originalité. Nous examinons même volontiers l'influence que ses contemporains ont exercée sur lui. Mais nous ne parlons presque jamais de l'influence de ses disciples ou de ses successeurs, et cependant, cette influence, quel écrivain ou quel artiste, pour peu qu'il ait vécu, ne l'a subie? Il y a plus de Quinault qu'on ne croirait dans Corneille, et il y a dans Victor Hugo presque autant de Leconte de Lisle. C'est à peu près ainsi, messieurs, que Taine et Renan sont assurément des disciples de Sainte-Beuve, niais ce sont des. disciples dont Sainte-Beuve n'a
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pas dédaigné de s'approprier les méthodes ou les idées mêmes, et tout autant qu'il y a de Sainte-Beuve dans les Etudes d'histoire religieuse ou dans les Essais de Critique et d'histoire, tout autant y a-t-il de Taine et de Renan dans les derniers volumes des Causeries du Lundi et surtout dans les Nouveaux Lundis. Quand les disciples poussent à bout les idées d'un maître, ils l'obligent à deux choses, qui sont : la première, de ce sortir » en quelque sorte, ce qu'il y a de plus systématique dans l'ensemble de ces idées, et, la seconde, de marquer avec précision la frontière qu'il ne dépassera pas. C'est le service dont Sainte-Beuve est redevable aux Taine et aux Benan. Dans cette ce histoire naturelle des familles d'esprits » qui peut-être jusque-là n'était à ses yeux qu'une métaphore, si SainteBeuve a entrevu l'expression de la réalité même et les linéaments d'une science future, c'est grâce à la précision toute nouvelle que Renan, dans ses premiers écrits, a donnée à la notion physiologique de ce Bace ». Et la théorie de Taine sur ces ce dépendances mutuelles » — qui font, selon lui, ce d'une ordonnance de Colbert, d'une charmille de Versailles, d'une Bataille de Lebrun et d'une tragédie de Racine », les manifestations d'une même façon de sentir ou de penser, — a comme apporté, sinon révélé, à SainteBeuve la formule de ce qu'il avait instinctivement entrevu dans son Port-Royal ou dans ses Causeries du Lundi.
Mais, tout en s'inspirant d'eux, il les jugeait, et sur deux ou trois points il refusait de se laisser séduire à l'originalité de leur méthode. Il ne consentait pas à ne voir avec eux dans l'oeuvre littéraire qu'un témoin des qualités de la race ou un document historique. C'est qu'il avait bien vu que tout s'explique, si Ton le veut, même en littérature, par l'histoire, ou, en d'autres termes encore, par le jeu des forces naturelles et celui des circonstances;
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DISCOURS DE M. F. BRUNETIÈRE
tout, excepté ce qui est l'objet propre de la critique littéraire, je veux dire la qualité du style de Pascal et la nature du génie de Racine. Car, Messieurs, si la nature du génie de Racine était aussi rigoureusement déterminée qu'on le dit par la rencontre des circonstances, pourquoi, dans les mêmes circonstances, n'y a-t-il eu cependant qu'un Racine ? et, quelques rapprochements ingénieux ou instructifs que Ton puisse faire entre la langue de Pascal et celle de ses contemporains en général ou des Messieurs de Port-Royal en particulier, si le style de Pascal est le sien, n'est-il pas vrai que c'est en ce qu'il a d'unique, et qui ne s'explique, en conséquence, que par la personnalité de Pascal? Or, c'est là le domaine propre de la littérature ou de la critique littéraire, et Sainte-Beuve ne pouvait l'oublier. Avant d'être un document sur les moeurs de leur temps, ou même une manifestation de la personnalité de leur auteur, une tragédie de Racine ou une comédie de Molière, Andromaque ou Le Misanthrope, sont d'abord des oeuvres littéraires, qui comme telles s'adressent à notre sensibilité, qui la provoquent ou qui l'émeuvent par des moyens dont la critique littéraire a pour première tâche, à son tour, de caractériser la nature, de définir le pouvoir, et d'apprécier la légitimité. Car nous n'avons toujours raison, Messieurs, vous le savez, ni de rire quand nous rions, ni de pleurer quand nous pleurons. Racine riait quand le richard de l'épigramme pleurait
... Sur ce pauvre Holopherne
Si méchamment mis à mort par Judith,
et les tours qui faisaient pleurer Molière quand Armande Béjart les lui jouait, ne sont-ils pas ceux qui nous font rire dans Y Ecole
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
des femmes ? Il y a aussi les moyens dont on use pour exciter les larmes et le rire, Ou généralement l'intérêt littéraire, qui ne sont pas tous de la même valeur, et qui peuvent aller de l'extrême délicatesse à la dernière grossièreté. C'est tout cela, Messieurs, que l'auteur des Nouveaux Lundis a défendu contre l'intempérance philosophique de ses jeunes émulés, en quoi d'ailleurs oh pourrait dire qu'il n'a fait que défendre contre eux son originalité même, et, pour ainsi parler, le soin de sa propre mémoire dans les esprits des hommes.
je n'essaierai point, Messieurs, d'établir de rangs entre les Nouveaux Lundis et les Causeries du Lundi ; je n'exprimerai point de préférence, et je me Contenterai d'une seule observation. Les Nouveaux Lundis sont sans doute, avec les premiers de ses Portraits Contemporains, la partie de l'oeuvre critique de Sainte-Beuve qui lui ressemble le plus. Il vient alors d'être nommé sénateur, et le voilà désormais à l'abri du besoin. Il pourrait enfin se reposer d'écrire s'il le voulait, et sa réputation, celle qu'il doit à son oeuvre déjà faite, n'en serait pas moins considérable. Il jouit de ces honneurs : les Cousin et les Hugo ont été pairs de France; il est, lui, sénateur de l'Empire. Il a reconquis sa popularité un moment compromise : deux ou trois discours y ont suffi, et, dans ses feuilletons du lundi, quelques traits d'un libertinage qui serait de l'opposition s'il n'était plutôt une manière indirecte et traditionnelle de flatter le pouvoir. En France, Messieurs, depuis Rabelais jusqu'à SainteBeuve, si c'a été une tactique que de faire'croire à l'Etat que son autorité s'accroissait de tout ce que gagnait ce le diocèse de la libre pensée », il y a quelque chose de cela dans les Nouveaux Lundis. Mais il y a surtout du dilettantisme, et du scepticisme, et en même temps un optimisme qui exprime le dernier état de la pensée
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de Sainte-Beuve, et dont il est heureux pour lui comme.pour nous, que l'excès soit masqué par son amour de la littérature. S'il eut cessé, sans déchirement d'ailleurs, ni grande souffrance, de croire à tout le reste, y compris ce qu'en différents temps il avait feint de croire lui-même, cet homme eût cru encore au ce pouvoir d'un mot mis en place », au prix d'une césure ou d'un enjambement, à la valeur des styles, à la gloire littéraire, je serais tenté de dire au sacerdoce de la critique; — et il eût eu raison, puisque, Messieurs, c'est ce qui l'a sauvé de l'oubli.
Car il faut qu'il y ait de tels hommes, et il nous en faut en tout genre, des hommes qui ne mettent rien au-dessus de la gloire de leur profession, et pour qui cette gloire, quelle que soit cette profession, consiste à l'avoir bien remplie. Parmi tant de formes de la conscience, il n'y en a pas de plus nécessaire aux progrès même de la culture et de la civilisation que la conscience professionnelle et, Messieurs, par un juste retour, je ne crois pas qu'il y en ait, quand on l'a possédée, ni dont nous puissions nous honorer davantage, ni dont la postérité nous sache plus de gré. ce Que la littérature mène à tout, pourvu que Ton en sorte », Villemain, à qui l'on attribue ce mot, n'est pas un bien bon exemple de sa vérité ! Mais ce que la littérature mène encore plus loin, pourvu que Ton sache s'y tenir », Sainte-Beuve en est assurément la preuve. Si son oeuvre lui survit à peu près tout entière, —et il. y a trente-cinq ans qu'il est mort—, et si nous pouvons, croire qu'elle lui survivra longtemps, s'il nous est non seulement permis, mais je dirais presque commandé par la justice d'oublier.ce, qu'il y a mis lui-même de ses faiblesses pour n'en retenir que les caractères d'ampleur et de diversité ; si les variations du critique, ses contradictions, - faut-il dire ses palinodies et ses métamorphoses? ■— ne sauraient nous empêcher de reconnaître à
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distance de perspective l'incontestable unité de sa pensée; s'il lui a été donné de renouveler le champ de la critique, en l'élargissant, et en y annexant des provinces entières que les La Harpe et les Marmontel eussent considérées comme barbares, et indignes, à ce titre, de leur attention; et si son nom, dans ce XIXe siècle, dont l'une des originalités est assurément d'avoir mis de la critique partout et même dans les genres où il eût mieux fait de n'y en point mettre, si le nom de Sainte-Beuve est et demeurera représentatif ou synonyme de la critique même, ne doutons pas, Messieurs, qu'il le doive à son amour constant et passionné de la littérature. Il n'a pas toujours assez aimé les littérateurs, quand ils étaient ses contemporains, et je l'ai dit. Je ne prononce ici, Messieurs, ni une Oraison Funèbre, ni un Eloge académique. Mais il a aimé la littérature, il ld'a aimée passionnément, et il l'a aimée dans toutes ses manifestations. On pourrait dire quelque chose de plus, et que, dans toutes les manifestations de l'esprit humain qui se font par la parole et par la plume, il a cherché de la littérature et il y en a trouvé. Il en a trouvé dans les Economiques de Sully et dans le Journal de Dangeau. C'est, Messieurs, ce que personne avant lui n'avait fait, c'est ce qu'il semble bien que personne après lui ne fera; — nous ne vivons pas en des temps favorables à la littérature; — et c'est ce qui lui assure un rang unique dans l'histoire. A quelle hauteur? Je ne saurais le dire. J'en laisse le soin à celui qui prendra la parole pour la célébration du second centenaire de Sainte-Beuve. Et je me borne à conclure que, supérieur à tous ceux qu'on serait tenté de lui comparer, il n'est comparable, étant tout autre, à aucun de ceux dont il semble pourtant avoir été l'égal. Ne regrettez rien, ô Joseph Delorme, et ne vous montrez pas ingrat envers votre fortune : elle a su ce qu'elle faisait, en vous
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DISCOURS DE M. F. BRUNETIERE
tirant du côté de la critique, et en vous détournant du chemin où vos rivaux s'avançaient en triomphateurs, pour vous diriger dans la voie où Ton n'avancera qu'en mettant les pieds dans vos traces et où Ton ne vous dépassera qu'en commençant par vous suivre et par vous imiter.
FEIDINAND. BRUNETIÈRE.
1re décembre 4904.
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I L'OEUVRE
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L'ETUDE SUR VIRGILE DE SAINTE-BEUVE
Je viens de relire l' Étude sur Virgile de Sainte-Beuve; c'est un livre qu'on ne quitte pas sans éprouver quelque colère contre ceux qui accueillirent avec des huées la première leçon du maître et l'empêchèrent de continuer son cours. Ces jeunes g'ens sont pourtant les mêmes qui, quelques années plus tard, l'attendaient à la sortie du Sénat pour le ramener chez lui en triomphe. S'il avait alors voulu remonter dans sa chaire il est probable que la salle aurait croulé sous les applaudissements ; mais il ne lui convint pas de tenter l'aventure.
Le prétexte qu'alléguaient ceux qui ne voulaient pas donner de raison, quand ils refusaient de le laisser parler, c'est qu'il eût été mieux à sa place dans un cours de littérature française; et, certainement, ils n'avaient pas tout à fait tort. Mais lorsqu'ils affectaient de s'indigner de sa nomination, qu'ils la traitaient de scandale, qu'ils affirmaient qu'il ne pourrait rendre aucun service dans les fonctions qu'on lui confiait, ils montraient bien qu'ils ignoraient l'étendue de ses connaissances et son habileté merveilleuse à s'adapter à toutes les situations. Surtout, ils ne savaient pas ce qu'est le Collège de France, où on l'avait nommé. Les établissements universitaires, comme les facultés de lettres ou de sciences, qui sont chargées de préparer des élèves aux examens, imposent aux professeurs un programme fixe et des exercices scolaires qui sont à peu près partout les mêmes. Au Collège de France, l'enseignement est plus libre.
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
La vieille maison de la place de Cambrai a été créée par François Ier pour empêcher les maîtres de s'embourber dans la routine. Elle demande aux siens de ne pas suivre les chemins battus; ils prennent le sujet qu'ils veulent, et le traitent comme il leur convient. Ce n'était donc pas une raison d'exclure Sainte-Beuve du Collègue s'il n'avait pas subi les préparations ordinaires et ne possédait pas de titres spéciaux. On pouvait croire que, n'ayant pas été formé comme les autres, il ne ferait pas son cours comme tout le monde, ce qui était l'esprit même du Collège. Aussi les professeurs, ses collègues, et ses confrères de l'Institut n'avaient-ils pas hésité à le proposer au choix du ministre. On se souvenait qu'il avait fait de brillantes études ; il savait le latin. La jeunesse de mon temps n'avait pas oublié qu'il avait obtenu un prix de vers latins au grand concours, et nous relisions religieusement, dans nos classes, la copie de Sainte-Beuve, avec le discours latin de Rinn et le discours français de Michelet, pour nous préparer à nos compositions. Détourné plus tard vers d'autres littératures, engagé dans des luttes ardentes, devenu un critique illustre, Sainte-Beuve n'abandonna pourtant jamais entièrement les lettres anciennes, sa première affection. Un beau jour, parmi des occupations très différentes, il s'était épris d'Homère et voulut le lire couramment dans le texte. Homère le ramena tout naturellement à Virgile. Il retrouva aussi les poètes latins chez les écrivains français du XVIIe siècle, quand il en fit son étude. Il voyait bien que c'est le même courant qui coule de la Grèce jusqu'à nous, et qu'il s'y replongeait en lisant Racine et Fénelon. Il a fait remarquer que, lorsque Virgile imite Homère, ce qui arrive presque partout, il n'en paraît pas honteux ou même embarrassé ; que, loin de dissimuler ses emprunts, il les place aux endroits les plus en vue, comme un honneur et une parure ; que, de même, Racine semble heureux de reproduire un beau passage de Virgile ou de Sophocle, et il ajoute : « Cette imitation des livres et
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L'ÉTUDE SUR VIRGILE DE SAINTE-BEUVE
des auteurs, à ce degré de sentiment et avec une si vive réflexion des beautés, est encore une manière de naturel : c'est le sang' qui parle ; ce ne sont pas des auteurs qui se copient, ce sont des parents qui se reconnaissent et se retrouvent. » On ne quitte donc pas toujours l'antiquité quand on paraît s'en éloigner ; elle vous suit, même dans les infidélités qu'on veut lui faire. Si Ton n'est plus en contact direct avec elle, le commerce qu'on entretient avec ses fils et ses petits-fils empêche de l'oublier.
Ainsi, on peut dire que Sainte-Beuve n'avait jamais perdu de vue les études de sa jeunesse quand sa nomination lui fit un devoir de s'en occuper de plus près. Il y revint avec joie et se remit à parcourir ce vaste domaine de la poésie latine qu'on lui donnait à travailler. Il n'y a guère de doute qu'il n'y pût trouver quelque terre inculte qu'il aurait défrichée. Et même quand il se serait borné à reprendre un sujet déjà traité par d'autres, on peut être sûr qu'avec la souplesse de son talent, la sagacité de son esprit, la richesse de ses informations, la variété de ses lectures, sa connaissance approfondie des écrivains modernes, il l'aurait renouvelé. Que n'était-on pas en droit d'attendre d'un cours fait sur une si belle littérature et par un tel maître? — Mais quoi! il avait été invité à Compiègne, il fréquentait le Palais-Royal, était-il possible de lui permettre d'euseigner la poésie latine au Collège de France ?
Le cours n'a donc pas eu lieu. Mais en relisant ce charmant volume sur Virgile, le seul souvenir qui en soit resté, il m'a semblé qu'on pouvait avoir quelque idée de ce qu'aurait fait Sainte-Beuve, s'il avait pu faire quelque chose. Essayons de nous figurer ce qu'aurait été son enseignement, quand ce ne serait que pour nous consoler de n'avoir pas pu le suivre.
Au moment où Sainte-Beuve était nommé au Collège de France, notre façon d'enseigner les lettres latines était fort critiquée. Elle avait peu changé depuis trois siècles, et l'on peut dire qu'au fond et
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
dans son caractère général elle était à peu près restée ce que la Renaissance l'avait faite. On sait que le mérite principal de la Renaissance n'a pas été de découvrir l'antiquité, qui n'a jamais cessé d'être connue, mais de la faire comprendre. Dès qu'on l'eut mieux comprise, on se passionna pour elle. On ne se contenta pas de l'étudier de plus près, on la pratiqua, et, pour ainsi dire, on la vécut. On n'a qu'à lire Montaigne pour voir à quel point elle est entrée dans l'existence des gens de cette époque ; depuis leur naissance jusqu'à leur mort, ils ne cessent pas d'être à son école. Ils voient Tes choses comme elle les montre ; c'est avec les mots et les phrases qu'ils lui empruntent qu'ils expriment leurs idées les plus, personnelles, leurs plus vives affections, leurs plus amères douleurs. Dans la suite, le culte s'est peu à peu attiédi. Nous abordons plus librement l'antiquité, mais l'usage que nous en faisons est à peu près le même : nous continuons à la tirer à nous, nous tenons à nous retrouver en elle. De cette manière elle est restée très vivante, mais de notre vie, que nous lui communiquons, plus que de la sienne. Nous rapprochons de nous les auteurs anciens, jusqu'à risquer de les éloigner d'eux-mêmes. A force de mettre en saillie les côtés par lesquels ils nous ressemblent, les pensées générales, les sentiments, les idées, qui sont les mêmes chez tous les hommes et dans tous les temps, ce qu'ils ont d'universel et à'humain, nous pouvons être tentés de méconnaître ce qu'il y a chez eux de particulier, de personnel, ce qu'ils tiennent de leur pays, de leur tempérament, en un mot d'affaiblir ou même d'effacer leur individualité. C'est un danger, et nous ne l'avons pas toujours évité. Mais il faut reconnaître aussi que cette façon de comprendre et d'étudier l'antiquité n'a pas été sans nous rendre de grands services. Au XVIIe siècle, on demandait surtout à l'éducation de faire des gens du monde. C'est même à peu près Tunique but que Rollin assigne à l'étude des auteurs anciens : « Elle met en état, dit-il, de juger sainement des
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L'ÉTUDE SUR VIRGILE DE SAINTE-BEUVE
ouvrages qui paraissent, de lier société avec les gens d'esprit, d'entrer dans les meilleures compagnies, de prendre part aux entretiens les plus savants, de fournir de son côté à la conversation, où sans cela on demeurerait muet, de la rendre plus utile et plus agréable en mêlant les faits aux réflexions, et relevant les uns par les autres. » Ce système d'éducation était celui qui convenait le mieux à une société polie, où régnait le besoin de se réunir et de vivre ensemble, où l'observation des moeurs, le spectacle des passions, le charme des entretiens étaient l'intérêt principal de la vie.
Mais il est naturel qu'ailleurs, sous la pression d'autres habitudes et d'autres besoins, l'étude des auteurs anciens ait pris un caractère un peu différent. Dans les gymnases et les universités des pays du nord, on y a toujours mis moins de piété et plus de critique. Au lieu de ne s'attacher qu'à ce qu'ils ont de commun avec tout le monde, on cherche surtout ce qui n'appartient qu'à eux ; on en fait un peu moins des types, un peu plus des individus. En même temps qu'on conserve pour eux beaucoup de respect, on les traite avec plus d'indépendance. On ose discuter les ouvrages qui portent leur nom, et l'on se demande d'abord si véritablement ils leur appartiennent ou s'ils ne leur ont pas été attribués par quelque faussaire. On a la prétention d'en établir un texte plus correct par la comparaison et la classification des manuscrits qui nous les ont transmis. On se sert enfin, pour en avoir une intelligence plus claire et plus complète, de ces sciences auxiliaires, la philologie, l'épigraphie, la linguistique, qui se sont si merveilleusement développées de nos jours. Il n'est pas surprenant que ce travail fécond, auquel nous sommes restés trop longtemps étrangers, ait influé sur la manière d'élever la jeunesse, et que l'enseignement dans ces pays en ait pris un autre caractère.
On ne doit pas être étonné non plus que ces .méthodes nouvelles n'aient pas été accueillies chez nous sans résistance. — Nous avons
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la réputation d'être le plus léger et le plus mobile des peuples, celui qui se détache le plus facilement de l'influence des traditions et du respect des souvenirs. Cette réputation est fort exagérée, ou, du moins, s'il y a chez nous des gens qui ne savent pas tenir en place, nous en avons beaucoup aussi qui consentent difficilement à faire un pas. Cette répugnance à accomplir des réformes utiles en temps opportun a été cause que souvent les changements les plus simples, les progrès les plus naturels n'ont pu être obtenus chez nous que par la violence, à peu près comme dans certains pays il est impossible d'avoir de la pluie sans orage. — Au lieu d'examiner de sang-froid les innovations qui nous venaient d'Allemagne, de voir ce qu'il en fallait prendre et ce qu'on devait en laisser, on aima mieux les tourner en ridicule ou s'en indigner. On continua, dans notre enseignement, à se servir des mêmes textes, regardant comme un sacrilège d'y rien changer, et à les interpréter de la même façon. La Sorbonne se souvient du cours que professait à cette époque M. Eloi Ternaire, l'éditeur de la bibliothèque latine. Autour de lui se pressait un auditoire sympathique de gens de soixante ans, qui venaient rafraîchir dans ses leçons les impressions de leurs jeunes années. Virgule surtout faisait leurs délices ; ils le savaient par coeur et voulaient toujours l'entendre expliquer. Quand le professeur commentait le quatrième livre, il cédait à son émotion et tout l'auditoire fondait en larmes.
Il fallut pourtant se rendre. Renan, dans ses Questions contemporaines, sonna la charge contre les retardataires. D'autres firent remarquer qu'en s'obstinant ainsi à se tenir en dehors du mouvement scientifique, la France risquait de perdre son ancien renom. « Les nations qui veulent s'instruire, disaient-ils, commencent à s'adresser à d'autres que nous. Oxford emprunte ses professeurs à l'Allemagne et lui demande des philologues pour la publication des textes qui sortent de ses presses. Naples s'est mise à l'école de Hegel ;
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Pise, Florence, Bologne, accoutumées à vivre autrefois de l'imitation de la France, ont aujourd'hui les yeux fixés sur Bonn, Goettingue ou Berlin. C'est une situation fâcheuse et faite pour alarmer les esprits sérieux. Ceux qui se consolent en songeant que nos faiseuses de modes continuent à fournir Londres et Saint-Pétersbourg et qu'on joue partout la Belle Hélène ne sont vraiment pas difficiles. »
C'est au milieu de ces débats, pendant cette période incertaine où notre enseignement hésitait entre des routes diverses, que SainteBeuve allait commencer son cours. Assurément il penchait vers les anciennes méthodes, qui étaient celles de sa jeunesse. Sa vieille façon de lire et d'admirer les chefs-d'oeuvre antiques lui était restée chère. Mais ce serait le mal connaître que de croire qu'il condamnait sans examen tout ce qui n'était pas de son temps et de son pays. Il avait l'esprit ouvert aux nouveautés. Il recommandait aux jeunes gens auxquels il s'intéressait ce de garder toujours une fenêtre entrebâillée sur l'avenir ». Je me souviens que c'est un des derniers conseils qu'il m'ait donnés. Même pour ces questions d'enseignement, qui lui étaient moins familières, il prêtait l'oreille aux bruits qui venaient de l'Allemagne et d'ailleurs. Il n'était pas hostile de parti pris aux réformes que l'on réclamait, et il semble même qu'il s'y était préparé d'avance. Il n'avait pas lu Virgile, comme beaucoup de ses contemporains, dans l'édition du père Rapin, mais dans celle de Heyne, plus libre, plus hardie, toute imprégnée de l'esprit et des méthodes de l'érudition moderne. Dans la suite, quand Wagner, chargé de donner la quatrième édition de Heyne, fit subir des changements graves au commentaire et au texte; quand il le publia plus tard avec une orthographe nouvelle, Sainte-Beuve fut d'abord un peu surpris de ces innovations, qui dérangeaient ses habitudes, mais en même temps elles piquèrent sa curiosité; son attention fut attirée du côté d'où elles venaient, et derrière Wagner il aperçut, sans en être trop ému, Peerlekamp et Ribbeck.
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Il se serait donc, sans aucun doute, assez facilement accommodé du caractère nouveau que prenait l'étude des auteurs anciens. On peut être certain qu'il n'aurait pas expliqué Virgile comme le faisaient, dans l'ancien temps, Tabbé Delille au Collège de France ou Éloi Lemaire à la Sorbonne ; mais il est plus sûr encore qu'il n'aurait rien exagéré et qu'il aurait donné l'exemple de la discrétion et de la mesure; c'est par là précisément que son enseignement pouvait être très utile. Il était à craindre que, dans cette ardeur qui ordinairement entraîne vers les nouveautés, le but qu'il fallait atteindre ne fût dépassé. On voulait introduire plus largement l'esprit scientifique dans l'explication et la critique des textes: ne risquait-on pas d'en bannir le sentiment littéraire? Rien n'eût été plus contraire à nos traditions et plus nuisible à nos intérêts. Notre système d'éducation avait certainement des défauts qu'on devait corriger; il convenait surtout à' la société d'autrefois, et l'on a eu raison de l' accommoder à la nôtre. Mais il ne faut pas oublier qu'il a fait de la France la nation la plus lettrée, et, pour parler comme les latins, la plus humaine du monde; et, comme en réalité, malgré nos révolutions, nous n'avons pas tout à fait perdu ces mérites, comme nous avons conservé mieux que tous les autres peuples le goût des plaisirs de l'esprit, et que les succès littéraires sont encore ce qui distingue le plus chez nous, je crois qu'il faut nous garder de compromettre ce qui nous a donné la seule supériorité solide qui nous reste. Une nation ne doit pas se hasarder à perdre les qualités qu'elle possède pour aller à la conquête de qualités nouvelles qu'elle peut manquer. Mais pourquoi parler seulement de la France? nulle part l'érudition ne se suffit à elle-même. Si celui qui entreprend de discuter l'authenticité d'un ouvragée ancien, ou même seulement d'y restituer un passage altéré, n'est qu'un philologue, il court le risque de se tromper grossièrement. Il lui arrivera d'enlever de gaieté de coeur à Platon quelques-uns de ses plus admirables dialogues ; il
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rayera de l'oeuvre de Cicéron les plus beaux, les plus cicéroniens de ses discours. Quoi qu'il veuille faire, il n'y réussira que s'il joint aux procédés de la critique philologique la finesse d'un goût exercé. II me semble que c'est là ce que l'enseignement de Sainte-Beuve aurait mis en pleine lumière. Je me le figure, devant un auditoire intelligent, aux prises avec quelque beau passage des Géorgiques et de l' Enéide. D'abord il a eu soin de choisir le texte le plus autorisé; il est au courant de tout ce qui a été fait pour éclairer le sens des mots, il connaît les travaux antérieurs sur l'oeuvre qu'il étudie, car on sait qu'en tout il veut être bien informé. Mais ce qu'il tient des autres est peu de chose auprès de ce qu'il tire de lui-même. A cette solide érudition germanique il ajoute les qualités françaises de délicatesse, de bon goût, de bon sens qui la complètent et sans lesquelles on peut s'égarer. Faire bien saisir la part qui revient au sens littéraire dans l'explication et la critique des oeuvres antiques, voilà ce qu'on devait attendre de l'enseignement de Sainte-Beuve et le rôle qui lui semblait réservé. Qui doute qu'il ne s'en fût acquitté en perfection?
Mais il n'était pas homme à rester confiné dans l'antiquité, même s'il eut pris la ferme résolution de n'en pas sortir. Il était difficile à un critique si étroitement mêlé aux luttes du jour de se désintéresser du présent, d'autant plus qu'il y était sans cesse ramené par les circonstances. En ce moment l'école romantique était en plein désarroi. Sainte-Beuve ne lui avait jamais appartenu tout à fait que par ses amitiés. Au fond, par ses instincts et ses doctrines, c'était un classique, et l'on peut croire que l'étude des anciens à laquelle il se livra pour préparer son cours ranima chez lui ses tendances naturelles. Dans son livre sur Virgile, il laisse entendre souvent ses sentiments véritables. Ils y sont quelquefois exprimés d'une manière voilée, ou indiqués d'un mot, en passant. Par exemple, quand il nous dit à propos des descriptions de Virgile : « Ce talent et cette
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science de décrire les choses de la nature, avez-vous remarqué comme il en use, et n'en abuse pas, et ne s'y abandonne jamais? Quelle sobriété dans les peintures naturelles! rien que le nécessaire. » On n'a pas besoin de beaucoup de perspicacité pour voir que l'éloge du poète ancien se tourne ici en blâme des poètes modernes. Il est plus explicite quand il célèbre une qualité virgilienne qui lui paraît manquer trop souvent aux écrivains de nos jours : ce Je veux parler, dit-il, de l'unité de ton et de couleur, de l'harmonie et de la convenance des parties entre elles, de la proportion, de ce goût soutenu, qui est un des signes du génie, parce qu'il tient au fond comme à la fleur de l'âme, et qu'on me laissera appeler une suprême délicatesse ; je multiplie les noms pour rendre ce que je sens, ce que les autres sentent comme moi, et qui n'a son entière définition que dans le sentiment même. » Mais comme toutes ces expressions qu'il accumule ne parviennent pas à le satisfaire, qu'elles n'épuisent pas l'idée qu'il se fait de cette qualité souveraine, il se décide à la définir et à la montrer, ce qui est plus facile, par ses contraires : « Ces contraires, hélas ! ce sont bien des choses qui nous entourent et qui sont les marques et les symptômes des littératures vieillies, riches encore et fécondes, mais curieuses à la fois et blasées à l'excès; c'est tout ce qui force le ton, tout ce qui jure et crie, dans la couleur, dans le style, dans la pensée, dans l'observation et la description des objets extérieurs,' dans les découvertes et les analyses à perte de vue qu'on prétend donner de la nature humaine, qui en déplacent violemment le centre, qui en bouleversent l'équilibre. De grands talents sont compatibles avec ces défauts; que dis-je? ils en vivent, ils s'en glorifient et s'en parent, ils en triomphent comme de beautés nouvelles et de conquêtes. » Ici la critique est directe et précise; sous les phrases on pourrait mettre des noms. Le' remède à ces défauts, il l'indique en finissant : c'est l'étude, c'est l'imitation de l'antiquité :
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L'ÉTUDE SUR VIRGILE DE SAINTE-BEUVE 11
« Oh ! qu'en ce moment nous irait bien le génie, ou tout au moins le tempérament virgilien! Ne rien outrer, ne rien affecter, plutôt rester un peu en deçà, ne point trop accuser la ligne ni le ton, voilà de quoi nous avons besoin d'être avertis. Jamais la littérature latine, étudiée dans sa période classique, dans sa nuance d'Augnste, avec ce qu'elle offre de digne, de grave, de précis, de noble et de sensé, n'a été plus nécessaire qu'aujourd'hui. » Ceci n'est pas seulement un voeu; j'y reconnais presque le programme d'un cours. SainteBeuve s'apercevait de la crise que traversait la poésie de son temps; il la voyait un peu désemparée et qui cherchait sa voie. Il est probable qu'il aurait essayé, dans ses leçons, de la mettre en jDrésence des modèles antiques et qu'il espérait ainsi la diriger vers cet idéal virgilien qu'il faisait luire devant elle.
J'en ai dit assez, je crois, pour montrer ce qu'aurait été l'enseignement de Sainte-Beuve et le profit qu'on en aurait pu tirer. Quel dommage qu'on nous ait Drivés des services qu'il pouvait rendre! Je suis donc en droit de finir comme j'ai commencé, en déplorant l'intolérance de ceux qui l'ont chassé de sa chaire le jour même où il en prenait possession.
GASTON BOISSIKR.
APPENDICE
Le mardi 17 mars 1857, le Moniteur universel publiait en feuilleton la Revue littéraire hebdomadaire d'Edouard Thierry. L'article était en son entier consacré à l' Étude sur Virgile de Sainte-Beuve. Edouard Thierry y parlait longuement des liens de mère à fille qui unissent la littérature de la Grèce à celle de Rome et prenait franchement parti pour l'épopée grecque contre l'épopée romaine,
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12 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
pour Homère contre Virgile, poète épique. Après avoir rappelé les vers fameux de Properce:
Cedite, romani scriptores; cedite, graii; Nescio quid majus nascitur Iliade,
il ajoutait : « En fait de littérature, l'orgueil patriotique est sujet à se tromper. L'Enéide ne pouvait pas être quelque chose de plus grand que l'Iliade, et Auguste avait eu tort de commander une épopée à son poète. On commande une comédie, une églogue, un poème didactique, on ne commande pas une Iliade; et cela pour une raison toute simple, c'est qu'une Iliade n'est pas seulement l'oeuvre d'un homme, mais l'oeuvre des années. Un poète inconnu, vingt poètes peut-être, ébauchent ces épopées primordiales, les siècles les achèvent. Agamemnon, Achille, Ulysse, Ajax et Ménélas, Homère n'en avait fait que des hommes, le temps en a fait des héros. » Plusieurs fois il revenait à cette idée : « L'erreur fut de croire que les personnages de l'Iliade devaient à Homère toute leur grandeur. Homère les vit de loin, — on peut le supposer, — et dans le souvenir de vieillards fils de vieillards. La chronique chantée du rhapsode se trouva l'épopée des héros, lorsque le temps de' la guerre de Troie fut devenu temps héroïque. » — « Iliade ou Romancero, disait-il encore, le poème national existe. Le Cid Campeador est aussi grand qu'Achille. Ce n'est pas le génie du poète, c'est le génie du passé qui leur donne cette fière et solennelle attitude. Le poète y a mis la vérité ; l'intervalle des ans y met ce que la vérité gagne à la distance. Pour que Rome eût son Iliade, ce n'était pas sous Auguste, c'était sous Romulus ou sous Tarquin, sous le premier Brutus, ou même du temps d'Annibal qu'elle devait être écrite. » — Et plus loin : « En dehors de tout art, au point de vue de l'exactitude, l'Iliade a la valeur inappréciable de la photographie; l' Enéide n'a que la valeur incertaine des tableaux composés sur des sujets grecs ou romains par notre ancienne école de peinture historique. »
Dès le lendemain, Sainte-Beuve répondait. La lettre est fort soignée; elle n'a rien du banal billet de remerciement de l'auteur illustre au critique, salut obligatoire rendu par le colonel au lieutenant qui passe. La question intéressait Sainte-Beuve; elle lui tenait au coeur. Il discute donc, avec cette bonne grâce, cette précision ,cette profondeur qui ont fait de lui le premier sans doute des critiques français. En'une simple lettre, qui n'était point destinée à être publiée et qui ne l'eût jamais été si celui qui la reçut ne l'avait pieusement fait relier en tête de l' Élude sur Virgile, Sainte-Beuve a semé des trouvailles charmantes. Un autre, moins richeque lui, eût gardé pour l'imprimer cette jolie pensée de « l'entrepôt romain du Latium'», qui « est, grâce à Virgile, le plus magnifique des temples. » — Il a semblé que cette lettre ajoutait quelque chose à l'Étude sur Virgile et
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L'ÉTUDE SUR VIRGILE DE SAINTE-BEUVE .13
qu'elle n'était pas indigne de figurer ici comme un appendice au travail magistral de M. Gaston Boissier.
HENRY MARTIN. Ce 18 mars 1857.
" Quel joli article vous m'avez fait là, mon cher collaborateur ! Que d'agréables et indulgentes paroles ! Voilà mon Virgile lancé. Vous lui donnez le sauf-conduit du pilote au sortir de la passe. Vous dites surVirgile même des choses très justes.. Je comprends bien le point auquel vous tenez, et votre bonne grâce ne me saurait dérober une demi-contradiction. Il est bien vrai que l'art de Virgile est le nôtre, le seul ou du moins le plus beau des seconds âges. En lisant, il y a quelque temps, Mérimée sur la poésie dans le Moniteur, je me disais : En fait de poésie, Mérimée n'aime que la sauvage la primitive, la poésie des premières noces... mais il y a aussi la poésie des secondes noces, celle de Virgile, la nôtre. — Toutefois, quelles que soient les objections non solubles que peut élever la critique contre Homère, contre la composition de son épopée, en tant qu'épopée, contre l'authenticité de toutes les parties, il y a un fait qui ressort de la lecture directe de l'Iliade : il y a eu un Homère, c'est-à-dire un grand poète primitif qui domine les l'hapsodes, les Homérides antérieurs à lui et postérieurs. Vous parlez des Romances du Gid, mais c'est précisément un Homère qui leur a manqué pour les faire sortir de l'étal élémentaire de Romances. Nos trouvères français de même ; ce sont des Homérides sans un Homère, il leur a manqué le grand homme, le maître, le génie, non pas le photographe, mais le transformateur et le magicien, le dieu. On s'en aperçoit bien à l'ennui qu'ils inspirent (au moins à moi) quand on essaie de les lire. Or, cet Homère, poète individuel immense, était un homme d'art, de grand art ; je ne parle pas de la composition de l'oeuvre, chose contestable et plus ou moins imputable aux doctes arrangeurs ; je parle du détail des peintures. Virgile n'a jamais fait de vers plus doux, ou plus vastes, ou plus terribles, n'a jamais rendu par le choix et le jeu des syllabes et des pieds tous ces effets pittoresques avec plus d'habileté et de science que le poète de l'Iliade et de l'Odyssée. Il y a eu, en un mot, un Homère virgilien, artiste virgilien, préexistant dans Homère. Ce serait même piquant de l'en tirer en détail. —Mais tout cela dit, comme on ne peut s'en aller si loin de nos moeurs, de notre langue,
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14 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
de notre zone de civilisation, comme on ne peut doubler à tout instant la Sicile, et le cap Malée et le cap Capharès, il faut nous en tenir au Latium, à cet art si magnifique et pour nous le seul aisément accessible. Là j'abonde dans votre sens, et toutes vos conclusions ou inductions sont les miennes. Toutes ces richesses de l'ancienne Grèce et de l'Ionie homérique ne sont devenues à la portée de notre Occident que moyennant ce qu'on oserait appeler l'entrepôt romain du Latium, et cet entrepôt est, grâce à Virgile, le plus magnifique des temples. — Assez de raisonnemens ; agréez, très cher collaborateur, mes remerciemens les plus sentis et l'expression de mon dévouement.
« SAINTE-BEUVE. »
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SAINTE-BEUVE POÈTE
Les vers de Sainte-Beuve n'ont pas obtenu, de son vivant, un très vif succès. Il ne semble pas que les générations nouvelles aient réparé sur ce point, comme il arrive, l'injustice de leurs aînés. Car ce fut une injustice et contre laquelle l'écrivain n'a jamais cessé de protester. « Je n'ai pas quitté la poésie, disait-il, sans y avoir laissé tout mon aiguillon. » Cet orgueil était légitime, et à défaut du grand public, les connaisseurs l'avaient dès longtemps reconnu. Je voudrais, dans ce livre consacré à cette glorieuse mémoire, montrer qu'en effet la place occupée par le poète de Joseph Delorme, des Consolations et des Pensées d'août dans le mouvement lyrique du dix-neuvième siècle est très importante et par l'oeuvre elle-même et par la voie ouverte où d'autres talents se sont engagés à la suite de l'initiateur. J'essaierai de dire ses traits essentiels, l'originalité de cette tentative, les points où Sainte-Beuve a réussi, ceux où il a échoué, et quels noms me semblent devoir se rattacher au sien dans la lignée des artistes issus de l'école de 1830.
I
A lire les trois recueils dont j'ai cité les titres, une évidence s'impose : Entre Joseph Delorme et les Pensées d'août, c'est-à-dire de 1829- à 1837, un extraordinaire dessèchement de sensibilité s'est produit chez le poète. La cadence des vers qui n'avait jamais été
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bien sonore s'est brisée, l'image, qui n'avait jamais été très éclatante, a presque entièrement disparu, le souffle s'est comme anémié. La prose se reconnaît partout sous le rythme sans élan, — une prose minutieuse et analytique, exacte et nuancée. Le critique des Portraits est déjà né. Celui.des Lundis va naître. Qu'il était loin encore dans ces pièces de début, la Causerie au bal, le Soir de ma jeunesse, le Calme, le Rendez-vous, Ma muse, la Veillée, Rose, à Alfred de Musset ! J'allais oublier ce pastel sans nom qui porte pour épigraphe les mots de la Vita nuova : Tacendo il nome di questa gentilissima et qui commence :
Toujours je la connus pensive et sérieuse.
Quel coloris vigoureux dans tel ou tel de ces poèmes! Ainsi lorsque Joseph compare sa destinée à un navire que le vent et les lames refusent d'emporter :
... Debout, croisant les bras, le pilote à la proue Contemple celte eau verte où pas un flot ne joue Et que rasent parfois de leur vol lourd et lent Le cormoran plaintif et le gris goéland.
Et le tableau s'achève sur cette touche digne de Turner :
La quille où s'épaissit une verdâtre écume
Et la pointe du mât qui se perd dans la brume.
Quelle ardeur souffrante dans ce morceau où il se décrit, veillant au chevet d'un mort, sur la requête des parents :
Seul, je m'y suis assis à neuf heures du soir.
A la tête du lit, une croix en bois noir,
Avec un christ en os, pose entre deux chandelles
Sur une chaise. Auprès, le buis cher aux fidèles
Trempe dans une assiette, et je vois sous les draps.
Le mort en long, pieds joints et croisant les deux bras.
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SAINTE-BEUVE POÈTE 17
C'est le même instant où un fils vient de naître à son plus cher
ami :
Le Ciel vous l'a donné
Beau, frais, souriant d'aise à celte vie amère.
Ce n'est plus Turner qu'évoque le violent contraste entre la chair rose de l'heureux enfant et la lugubre silhouette du mort. C'est quelque peintre espagnol d'un dur et âpre réalisme, un Zurbaran, un Valdès Leal. Et tout de suite quelle grâce virgilienne dans ce symbole de l'homme qui ne veut pas vieillir!
Les bras toujours croisés, debout, penchant la tête, Convive sans parole on assiste à la fête. On est comme un pasteur frappé d'enchantement, Immobile à jamais près d'un fleuve écumant, Qui, jour et nuit, le front incliné sur la rive, Tirant un même son de sa flûte plaintive, Semble un roseau de plus au milieu des roseaux El qui passe sa vie à voir passer les eaux...
Les Consolations seraient toutes à citer, depuis le poème qui les ouvre, cette lettre à Mme Victor Hugo, où il la montre
Plus fraîche que la vigne au bord d'un antre frais, Douce comme un parfum et comme une harmonie, Fleur qui devait fleurir sous les pas du génie...
jusqu'à cette éloquente élégie d'art, si Ton peut dire, dédiée au peintre Boulanger, où il se décrit, lui et son ami, à travers les vieilles sculptures de Dijon :
Entrait-on par une étroite allée,
Alors apparaissait la beauté ciselée, Une façade au fond, travaillée en bijou, Merveille à faire mettre en terre le genou, Fleur de la Renaissance!...
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18 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Et le décor se précise. Ce sont, sur une muraille jaunie,
Quatre enfants
Deux à deux, face à face, ailés et triomphants, Un écusson en main et, plus bas, des mêlées De cavaliers sortant des pierres ciselées.
et, brusque antithèse, on aperçoit brossée, avec un relief magistral, une toile d'artiste hollandais :
Cette cour peu hantée,
Cette vieille maison pauvrement habitée,
Une vieille à travers la vitre sans rideau,
Une autre au puits venue et puisant un seau d'eau.
On multiplierait les preuves que le poète mort jeune, dont Musset parlait à Sainte-Beuve dans un billet célèbre, a été chez celui-ci, non seulement un poète très vivant, mais, osons le proclamer, un grand poète. Qu'il ne dût être que le poète d'une saison, la beauté même, si particulière et si morbide au fond, de ces premiers vers, l'annonçait dès lors avec évidence, et l'avenir n'a pas démenti le pronostic.
II
Quand on cherche à définir la personnalité qui se manifeste dans Joseph Delorme et dans les Consolations, on rencontre en effet des éléments si contradictoires qu'ils ne pouvaient pas coexister longtemps. Le jeune homme de vingt-cinq ans qui griffonne ces vers au sortir d'un bal, après une rencontre avec une fille sous les arbres du Luxembourg', au retour d'une promenade sur la berge solitaire de la Seine :
Et tout cela revint en mon âme mobile,
Ce jour que je passais, le long du quai, dans l'Ile,
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SAINTE-BEUVE POÈTE 19
ce jeune homme inquiet et timide, incertain jusqu'à la fièvre dans ses hésitations et avide jusqu'à la brutalité dans son désir, est d'abord un sensuel et que la hantise de la volupté dévore. Les premières expériences du plaisir ont laissé des traces partout dans ces poëmes. Lisez le fragment qui commence :
Séduite à mes serments, si la vierge innocente...
et cet autre :
Les flambeaux pâlissaient, le bal allait finir,
avec cette brûlante évocation de la danse après minuit :
Oh! quel délice alors! Plus d'un pâle bouquet Glisse d'un sein de vierge et jonche le parquet, Une molle sueur embrase chaque joue...
Lisez les vers où est raconté le retour avec la légère et vénale Rose :
Et dès qu'à l'entre-sol sont tirés les verrous...
Lisez surtout, de-ci de-là, ces aveux jetés en passant, et qui traduisent les rancoeurs des premiers égarements dans une âme toute voisine des fraîcheurs naïves de l'adolescence :
Pour dévorer mes jours et les tarir plus vite, J'ai rabaissé mon âme aux faciles plaisirs.
Et ailleurs :
J'ai mordu dans la cendre et dans la pourriture, Comme un enfant glouton, pour m'assoupir après.
Et plus loin :
Et nous, nous qui sortons de nos plaisirs infâmes, Un fou rire à la bouche et la mort dans nos âmes...
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20 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Ce ne sont point là ces fanfaronnades de vice auxquelles les artistes de 1830 se sont tant complus. L'accent du réel est partout empreint dans ces vers, que les pagres de Volupté, consacrées aux vagabondages nocturnes d'Amaury, ont commentés depuis avec une sincérité si crue, celle du repentir. Et déjà, c'est avec la honte d'un pénitent agenouillé au confessionnal que Joseph Delorme déplore
Ses longs jours passés avec vitesse,
Turbulents, sans bonheur, perdus pour le devoir.
Il ajoute :
Et je pense, ô mon Dieu, qu'il sera bientôt soir!
C'est que le sensuel chez ce Werther-carabin — comme l'avait appelé très finement Guizot — s'accompagne d'un mystique. Les chutes dans les abîmes obscurs et troubles du plaisir alternent en lui avec des élans vers les délices du monde spirituel. La nostalgie de la vie intérieure soulève 'sans cesse ce passionné jeune homme devant toutes les images de pureté qui s'offrent à lui. Tantôt, c'est une destinée de femme, la plus humble, la plus dépourvue d'émotions fortes, qui suscite son désir de se ranger, lui aussi, à une règle fixe, de connaître enfin la plénitude du coeur dans le renoncement et la méditation :
Ainsi passant ses jours depuis le premier âge
Comme des flots sans nom sous un ciel sans orage D'un cours lent, uniforme et pourtant solennel, Car ils savent qu'ils vont au rivage éternel.
Tantôt, c'est la rencontre avec quelque chef-d'oeuvre d'un beau génie chrétien qui exalte sa ferveur. Il traduit — et de quelle traduction, égale en beauté au texte lui-même : — le sonnet célèbre de Michel-Ange : Guinlo à gio'l corso délia vila mia...
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SAFNTE-BEUVE POÈTE 21
Ma barque est tout à l'heure aux bornes de la vie. Le ciel devient plus sombre et le flot plus dormant. Je louche aux bords où vont chercher leur jugement Celui qui marche droit et celui qui dévie...
et il va pressant ces vers pour en extraire tout leur enseignement, tendant son être pour s'assimiler l'âme entière du grand mort dont ce fut le profond soupir, et il envie cet artiste mortifié
Qui se rend témoignage, à la porte du ciel, Que sur chaque degré sa main mit un autel.
II s'applique à traduire aussi Dante et ses visions les plus idéales :
Et mon coeur me disait, comme un enfant qui pleure : Il faut que Béatrix, un jour ou l'autre, meure.
Revenant sur sa propre faiblesse, et comparant sa tiédeur à cette ardeur : Hélas! s'écrie-t-il :
Hélas! c'est que j'étais déjà ce que je suis; Être faible, inconstant, qui veux et qui ne puis, Comprenant par accès la Beauté sans modèle, Mais tiède, et la servant d'une âme peu fidèle...
et, le décor presque miniature de la campagne britannique le tente d'une fervente envie :
Que de fois, près d'Oxford, de ce vallon charmant Où l'on voit fuir sans fin les collines boisées, Des bruyères couper des plaines arrosées, La rivière qui passe et le vivier dormant,
Pauvre étranger d'hier, venu pour un moment, J'ai reconnu parmi les maisons ardoisées, Le riant presbytère et ses vastes croisées. Et j'ai dit en mon coeur : Vivre là seulement!...
Il lui semble que s'il pouvait se retirer, s'emprisonner dans un
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cercle d'habitudes précises, isoler son âme dans un cadre de choses toutes recueillies, toutes' intimes, il retrouverait en lui l'âme délicate et tendre du poète lakiste, et dans ce Paris, où il est contraint de vivre, ce sont les coins les plus abandonnés qu'il affectionne, les quartiers presque provinciaux, les paysages de banlieue :
Les dimanches d'été, le soir, vers les six heures, Quand le peuple empressé déserte ses demeures,
Et va s'ébattre aux champs, Ma persienne fermée, assis à ma fenêtre...
C'est la campagne du bord de Paris.
Oh! que la plaine. est triste autour du boulevard!
Et je m'en vais in asseoir là-bas où sont les ifs.
Il comprend si bien que la condition la plus propice à la culture de la vie intérieure est la cellule, qu'il écrit cet hymne à la fixité, à cette vertu appelée par saint Benoît permansitas, l'attachement aux endroits et au sol :
Naître, vivre et mourir dans la même maison, N'avoir jamais changé de toit ni d'horizon!...
Souhait impuissant du plus curieux, du plus agile des esprits, du plus incapable de s'emprisonner dans un cycle défini de moeurs et de gens ! Car cet amour de la fixité, conçue comme le principe assuré de l'énergie intérieure, comme la plus sûre discipline de vie spirituelle, contraste par trop avec une autre disposition du poète, plus encore que sa sensualité ne contrastait avec sa mysticité : je veux parler de cet intellectualisme déjà effréné qui le consume. Il faut lire dans les notes en prose, soi-disant extraites des cahiers du mort, qui terminent Joseph Delorme, le morceau numéroté XVII sur l'esprit critique : « L'esprit critique est, de sa nature, facile, insinuant, mobile
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et compréhensif. C'est une grande et limpide rivière qui serpente et se déroule autour des oeuvres.,. » Le voilà déjà tout tracé, le programme de métamorphose systématique, de sympathie dispersée, d'inlassable renouvellement par l'intelligence que Sainte-Beuve devait résumer plus tard dans sa formule de « botanique morale ». Dès 1844, à peine âgé de quarante ans, il devait dire : « Quoique je fasse ou ne fasse pas... je ne cesse de travailler à une seule et même chose, de lire un seul et même livre, livre infini, perpétuel du monde et de la vie... Plus la bigarrure est grande et l'interruption fréquente, plus aussi j'avance dans ce livre... Le profit, c'est de l'avoir lu ouvert à toutes sortes de milieux différents... » Cet éparpillement de l'imagination à travers la variété infinie des modes-de penser et de sentir, une pièce de Joseph Delorme, intitulée Mes livides, en racontait les délices mais avec une pointe d'ironie. Sainte-Beuve s'y représentait au bal, dans ce salon du quai Sully, sans doute, où Nodier donnait à danser, car c'est lui qui figure dans ce croquis. Nodier a découvert un volume rare. Il appelle le poète :
J'y cours, adieu, vierges au cou de cygne, Et, tout le soir, je lorgne un maroquin.
Ce n'est qu'une boutade, mais pourtant significative et à laquelle les autres notes de cette fin de Joseph Delorme donnent une valeur de confession. Ce même jeune homme qui nous a raconté tour à tour, avec une âpre éloquence, les sursauts de sa sensualité souffrante et„. les élans de son idéalisme nostalgique, nous apparaît soudain comme un technicien, uniquement préoccupé de problèmes d'idées. Il a tout compris, tout analysé. La littérature du seizième siècle et la philosophie du dix-huitième, l'esthétique des contemporains de Malherbe et celle des disciples de Mme de Staël font l'objet de remarques si pénétrantes que l'on devine, sous chaque mot, d'innombrables amas de notes, des journées passées à des comparaisons minutieuses, \e plus
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patient et le plus lucide génie d'investigation. Conciliez, si vous le pouvez, ces tendances si follement disparates d'une même âme! Ne dites pas que les unes étaient sincères, les autres non. Les vers de Joseph et des Consolations rendent, à tomber dans notre rêverie, cet inimitable son de la vérité qui ne trompe pas plus que celui de l'or. Ne dites pas non plus que, dès cette époque, une seule de ces tendances, celle qui a prévalu depuis, était la vraie caractéristique de ce talent. Il y avait dans ces vers de jeune homme une originalité de poésie, où l'esprit critique entrait certes comme élément. C'était cependant de la poésie, et si intense, si neuve, si adaptée à certains besoins du coeur moderne, qu'elle a produit une longue lignée de descendants. Baudelaire en sort tout entier, — pour ne citer qu'un seul de ces épigones de Joseph Delorme, et Je plus illustre, — ce Baudelaire qui, à seize ans, griffonnait sur son pupitre de Louis-leGrand, pour l'envoyer à son maître du quartier Montparnasse, le poème si précocement amer où se trouvent deux des plus beaux vers qu'il ait écrits dans leur commune manière :
Tous les êtres aimés
Sont des vases de fiel qu'on boit les yeux fermés.
III
Pourquoi cette note si aiguë et si juste donnée dès le premier jour s'est-elle faussée et brisée plus tard? Comment le poète singulier mais si prenant de Joseph Delorme et des Consolations est-il devenu si vite le versificateur fatigant et prosaïque des Pensées d'août, avec la même facture, mais grimaçante au lieu d'être gracieuse, avec la même mélodie, mais grinçante au lieu d'être enchanteresse? Nous pouvons essayer une réponse à cette question, où se ramasse un drame intellectuel qui fut aussi celui de Baudelaire, précisément, et
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l'histoire du disciple peut nous servir à mieux comprendre celle du maître; car, lui aussi, l'artiste complexe des Fleurs du mal avait reçu de la nature des facultés incapables de s'harmoniser. Il était, lui aussi, un sensuel, un mystique et un intellectuel. Néanmoins, il a trouvé le moyen — à quel prix? — d'obtenir cette vibration unique de tout son être, sans laquelle il ne saurait y avoir de poésie; elle est proprement la poésie. Cette seule définition découvre aussitôt le paradoxe sur lequel a posé toute l'oeuvre en vers de Sainte-Beuve, comme plus tard celle de Baudelaire. Oui, pour qu'il y ait poésie, il faut qu'il y ait vibration unique, parce que toute poésie est un chant. Chez le poète primitif, ce don du chant était primitif aussi. Les vers se chantaient réellement à voix haute. La poésie populaire est la survivance, immortellement renouvelée, de cette lointaine identité entre la poésie et la musique. La dissociation a été rapide, et bien vite les vers, au lieu d'être chantés, ont été déclamés. Puis est venu un temps, il dure encore, où ils ont été lus. Mais, tous ceux qui les aiment le savent bien, cette lecture n'est pas, comme celle de la prose courante, une froide lecture des yeux, c'est une récitation intérieure. Si étrangement subtilisé que Télément musical puisse être dans une mélopée silencieuse, il subsiste. Dire avec exactitude en quoi il réside, dans des vers tels que ceux de M. Sully-Prudhomme, par exemple, composés sur des nuances si fugitives, si abstraites, on ne le sait pas. Cela se sent, et surtout par la comparaison, entre des morceaux réussis et des morceaux manques d'un même écrivain. Prenez ies Stances et Poèmes, les Solitudes, les Épreuves, et en reg'ard tel ou tel fragment de la Justice. Dans les uns, le poète a su mettre cette musique indéfinissable qui manque aux autres. Ici il a chanté. Là il a parlé. Ici, toutes les cordes de son être se sont tendues en une harmonie. L'émotion profonde les a ébranlées et un unisson s'en échappe, qui a passé dans le rythme des vers, dans la mystérieuse sonorité des mots. Là ce sortilège ne s'est pas produit.
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Le poète n'a pu arriver à l'état lyrique. Ses vers sont ingénieux, habiles, savants, chargés d'idées, chargés même d'émotion. Ce ne sont pas des vers.
Qu'il y ait dans cet état lyrique une part singulièrement forte d'animalisme, — au sens le plus philosophique de ce mot, ■—on en aurait la preuve dans ce fait d'observation constante que le don poétique diminue avec l'âge. Il demeure, sauf exception, le privilège de la jeunesse, de ce temps où la synergie de nos puissances physiques est à son maximum de tension. La plupart des poètes ressemblent à ces oiseaux qui ne chantent qu'à l'époque de l'amour. Tel fut Musset, qui le savait et qui, passé trente ans, refusa d'écrire. Son frère a rapporté qu'il avait voulu, dans un roman, le Poète déchu, illustrer cette théorie d'une démonstration et peindre un artiste de génie devenu un artisan pour avoir voulu composer encore des vers après le printemps sacré de l'inspiration. Retenons de cette thèse outrée que l'état lyrique comporte un instinct aveugle, une ardeur involontaire et presque impersonnelle. Une part d'inspiration ou d'inconscience, pour parler le langage moderne. Qui dit inconscient dit irréfléchi. Il n'y a donc pas de faculté plus contraire à l'état lyrique et, par suite, à la poésie que l'esprit d'analyse. Qui dit inconscient dit aussi spontané, et qui dit spontané dit simple. Un poète compliqué est donc une anomalie presque monstrueuse. C'est pourtant cette anomalie que Sainte-Beuve réalisa plusieurs années. C'est cette anomalie que, plus tard, Baudelaire pratiqua systématiquement « avec terreur et délice ». « J'ai cultivé mon système », dit-il, dans Mon coeur mis à nu. Il est mort d'avoir voulu prolonger cette gageure. Sainte-Beuve a vécu, parce qu'il a renoncé à faire de la maladie sentimentale et morale la matière unique de son oeuvre.
Passée en effet cette crise de la jeunesse où les heurts des impressions contradictoires sont légitimes, puisque le caractère intime est encore en formation, les incohérences complaisantes de la per-
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SAINTE-BEUVE POÈTE
sonnalité deviendront incompatibles avec la santé d'un développement régulier, avec la vigueur d'une activité dirigée. Or, c'était de ces heurts, c'était de ces incohérences qu'était fait le frémissement de Joseph Delorme et des Consolations, comme en devait être fait plus tard ce que Victor Hugo appela le « frisson nouveau » des Fleurs du mal. Cet état lyrique que les poètes simples trouvent naturellement dans la spontanéité, le poète complexe et réfléchi ne peut se le procurer que grâce à une exaspération de ses complexités par la réflexion, qui aille ébranler ses nerfs jusque dans leurs plus secrètes fibres et les plus douloureuses. Une âme sensuelle à la fois et mystique ne peut obtenir une mise en jeu simultanée de ces deux aspirations que dans des égarements empoisonnés de remords. Elle tendra donc, si elle veut conserver à la fois sa sensualité et son mysticisme, à multiplier tout ensemble les expériences coupables et les révoltes repentantes. Elle sera dépravée et pieuse, libertine et romanesque, et les spasmes d'une sensibilité violemment secouée d'impressions adverses lui obtiendront seuls cette exaltation. Ce sera bien une espèce de lyrisme, mais mortel à la raison. Pareillement, la concomitance de la passion dans ce même coeur et de l'intellectualisme aboutira bien, elle aussi, à d'étranges fièvres. Nous avons, dans le journal intime de Benjamin Constant, une monographie étonnamment minutieuse de la frénésie que peut produire la lucidité dans l'amour, la manie de se sentir sentir. Il se comprend que de cette frénésie encore, un poète puisse attendre l'exaltation lyrique. Il y a là une poésie, mais si dangereuse que s'y abandonner c'est se condamner par avance à tous les détraquements de l'âme et bientôt du corps. Baudelaire et, plus tard, le « pauvre Lélian » devaient nous en apporter un trop lamentable témoignage.
Sainte-Beuve, lui, appartenait à la race des Goethe et des George Sand, de ces artistes qui peuvent bien traverser la maladie, mais une invincible force intérieure les prédestine à durer. Des diverses formes
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d'esprit qui se battaient dans le Joseph Delorme de la vingt-deuxième année, la plus apte à se développer fut celle qui l'emporta. L'esprit d'analyse et de curiosité commençait dès les Pensées d'Août à régner en maître absolu dans cette âme, et c'est le motif pour lequel la qualité lyrique en est si radicalement absente. Le ton même de la préface, si différent de l'âpre et dure biographie de Joseph, de l'onction même de l'envoi des Consolations, marque bien que l'auteur s'en rendait trop compte. Il est tout près d'avouer que ces vers ont été composés par surcroît « à travers toute espèce de distraction dans les choses ou dans les pensées. » Ce sont ses termes. Il est visible que le mystique est mort en lui, visible que la vie des sens a été reléguée à une place qui n'est plus la première. Cette première place appartient tout entière à l'intelligence. Ce n'est plus de la poésie chantée, ni même parlée. C'est de la poésie causée, c'est-à-dire une prose à laquelle le rythme et la rime sont tout près d'être une surcharge. Encore une étape, et le rythme et la rime seront tombés. Le styliste merveilleux des « Lundis » sera mûr. Joseph Delorme et les Consolations n'auront été que deux moments dans cette longue et riche existence du plus compréhensif, du plus souple, du plus perspicace des grands écrivains du dix-neuvième siècle. Mais les nuances de sensibilité notées dans ces deux recueils l'ont été avec tant de justesse, l'âme qui s'y révèle est si représentative, l'art qui préside à leur composition est si nouveau, il y a, pour tout dire d'un mot, tant de talent et d'un ordre si rare dans ces vers, que je n'hésite pas à conclure ces notes en assignant à Sainte-Beuve une place très haute parmi les poètes de son siècle. Son buste se dresse dans une des chapelles de cette A^aste cathédrale où Lamartine, Hugo, Musset, ont leurs statues, à côté des médaillons de Baudelaire qui fut son fils spirituel, de Sully-Prudhomme qu'il devança, de François Coppée auquel il a transmis le pittoresque moderne de son réalisme faubourien. Le laurier qui le couronne ne se flétrira pas tant qu'il y aura des jeunes
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gens pareils au jeune homme qu'il a été, timides de coeur, et hardis de pensée, assoiffés d'émotions et en tarissant la source par les folies de leurs désordres ou les froideurs de leur réflexion, épris d'idéal et incapables de pureté, — race éternelle de ceux qui se sont appelés les Enfants du Siècle, — comme si chaque siècle n'avait pas les siens, toujours pareils, depuis deux mille ans que le premier d'entre eux,l'évêque repenti d'Hippone, a tracé leur devise dans cette phrase admirable par laquelle je veux finir, et qui figure en tête d'une des plus belles pièces de Sainte-Beuve : Nondum amabam et amare amabam. Quoerebam quid amarem, amans amare... Et requiescebam in amaritudine.. « Je n'aimais pas, et j'aimais à aimer. Je cherchais ce que j'aimerais, en proie à l'amour de l'amour... Et je me roulais dans l'amertume pour m'y reposer. »
PAUL BOURGET.
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE
La meilleure façon de célébrer les grands écrivains c'est de relire ou de faire relire leurs oeuvres. Aussi bien, pour honorer Sainte-Beuve, me semble-t-il intéressant d'évoquer une des plus agréables journées de sa vie, le souvenir d'une heure qui lui fut particulièrement douce : les vers de Sainte-Beuve applaudis à la Comédie-Française !
Le théâtre est un tel piédestal de gloire que presque tous veulent s'y hisser. Je n'oublierai jamais la joie d'Ernest Renan à la première représentation de 1802, cet « à propos», comme on dit, que je lui avais demandé pour l'anniversaire de Victor Hugo. Il rayonnait dans les couloirs et les coulisses. Sainte-Beuve, qui aimait fort le théâtre, et en particulier la Comédie-Française, n'eut pas comme Renan le plaisir d'écouter les bravos du public saluant son nom ; mais il eut cette satisfaction d'en recueillir les échos et de voir une artiste admirable venir chez lui donner en quelque sorte la seconde représentation d'une pièce applaudie. Une pièce de vers qui datait de longues années.
Le 21 décembre 1868, date de l'anniversaire officiel, l'affiche de la Comédie-Française, portait ces deux titres illustres : Athalie et les Plaideurs. Entre la tragédie et la comédie, elle annonçait : les Larmes de Racine, « poésie tirée des Consolations de M. Sainte-Beuve, récitée par M1le Favart. »
Edouard Thierry, l'Administrateur fort lettré qui dirigeait le
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32 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Théâtre-Français avait eu l'idée de faire célébrer le grand poète par un vrai poète. Lui-même avait rimé autrefois. Poète romantique, il allait au mouslier, comme disait M. Got. Je trouve dans les notes qu'on a bien voulu me communiquer tous les détails de ce petit chapitre d'histoire littéraire qui vaut surtout par les documents et que je me con_ tenterai d'analyser. La curiosité seule et l'inédit en font tout le prix. Dans le Journal d'Edouard Thierry (1), dont M. Henry Martin, conservateur-adjoint à la bibliothèque de l'Arsenal, a bien voulu me laisser prendre copie, je note ces indications :
" Lundi 7 décembre 1868. — Allé chez Saite-Beuve lui demander la permission de faire réciter, le 21 décembre, les Larmes de Racine. — Il me l'accorde tout en craignant que ses vers ne soient pas d'un relief assez accusé pour le théâtre.
ce 8 décembre. — Lu à L. Guillard les vers de Sainte-Beuve. — Nous trouvons qu'il y manque une fin.
ce 10 décembre. — Revenu à la Bibliothèque avec Bornier qui s'est occupé d'une petite préface et d'une petite fin pour encadrer les Larmes de Racine.
« 12 décembre. — Fait quatre stances de quatre vers pour servir d'épilogue aux Larmes de Racine.
" Bornier, à qui j'ai donné ce matin mes quatre stances pour qu'il les retouche, me les rapporte entièrement refaites. »
Quelques jours après, le 23 décembre, Edouard Thierry écrit :
ce Porté à M. Sainte-Beuve la copie des vers du 21 décembre... Bornier est venu me chercher. Je lui ai fait les remerciements de M. SainteBeuve à qui j'ai dit qu'il était de moitié dans notre prologue et notre épilogue. »
(1) M. Henry Martin a entrepris la publication de cet intéressant mémento dans le Bulletin de la Société de l'Histoire du Théâtre.
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE 33
Ce même jour, Sainte-Beuve, un moment inquiet, comme on l'a vu, écrivait à Mme Vertel ;
Ce 23 décembre 1868. Chère Madame et -amie,
Mes voeux bien vifs pour vous et pour votre excellent fils !
Il n'y a rien eu de nouveau dans ce que vous avez lu au sujet du Théâtre-Français : M"e Favart a lu, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Racine, une ancienne pièce de moi d'il y a quarante ans, et qui est dans mes poésies de ce temps-là. Elle a donné à ces vers, par son débit, de la vie et de la jeunesse. Voilà tout.
Veuillez agréer mes affectueux hommages.
STE-BEUVE,
Mais le poète ne dit point le plaisir que cette vie et cette jeunesse données à ses vers d'autrefois lui avaient causé. Le maître critique gardait à ses poésies une tendresse particulière. Populaire par ses admirables Lundis, il préférait dans son oeuvre son Porl-Royal et ses recueils de vers. M. Gaston Boissier nous a conté que Sainte-Beuve, quasi moribond, lui parlait encore, à propos des poètes latins, de ses propres poésies.
Les Larmes de Racine, que Mlle Favart Amenait de réciter, sont la XXVIIIe pièce des Consolations, poésies, publiées, sans nom d'auteur, à Paris, chez Urbain Canel et chez Levavasseur, en 1830, en un volume in-16 ; elles sont dédiées : « à mon ami Paul Lacroix. »
Sainte-Beuve leur a donné trois épigraphes :
Dix vers de Lamartine :
" Comme un lis penché par la pluie... »
Une pensée de l'abbé Gerbet :
ce Pour moi je prête l'oreille aux sons que rendent les âmes saintes avec plus de respect qu'à la voix du Génie. »
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Une citation de Mme de Maintenon :
ce Racine qui veut pleurer viendra à la profession de la soeur Lalie. »
La pièce se compose de douze strophes, dontquatre : les 6e, 10e, 11° et 12e, ont été supprimées à la scène. La 7e est devenue la 6°, et la 9e, transposée, est devenue la 7e pour amener à la fin le dernier vers de la 8e :
Tout le reste fut effacé.
Voici les quatre strophes supprimées :
Sanglots, soupirs, pleurs de tendresse,
Pareils à ceux qu'en sa ferveur
Magdeleine la pécheresse
Répandit aux pieds du Sauveur;
Pareils aux flots de parfum rare
Qu'en pleurant la soeur de Lazare
De ses longs cheveux essuya;
Pleurs abondants comme les vôtres,
O le plus tendre des Apôtres,
Avant le jour d'Alléluia!
Oh! si les yeux mouillés encore,
Ressaisissant son luth dormant,
Il n'a pas dit, à voix sonore,
Ce qu'il sentait en ce moment;
S'il n'a pas raconté, Poète,
Son âme pudique et discrète,
Son holocauste et ses combats,
Le Maître qui tient la balance
N'a complais que mieux son silence;
O mortels, ne le blâmez pas !
Celui qu'invoquent nos prières Ne fait pas descendre les pleurs Pour étinceler aux paupières, Ainsi que la rosée aux fleurs;
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE 35
Il ne fait pas, sous son haleine, Palpiter la poitrine humaine Pour en tirer d'aimables sons; Mais la rosée est fécondante ; Mais son haleine immense, ardente, Travaille à fondre nos glaçons.
Qu'importent ces chants qu'on exhale, Ces harpes autour du saint lieu; Que notre voix soit la cymbale Marchant devant l'arche de Dieu; Si l'âme trop tôt consolée, Comme une veuve non voilée, Dissipe ce qu'il faut sentir ; Si le coupable prend le change, Et, tout ce qu'il paie en louange, S'il le retranche au repentir?
On a vu que Henri de Bornier et Edouard Thierry avaient collaboré et composé pour la cérémonie un commencement — ce qu'on appelle en terme de journalisme un chapeau — et une fin. Je publie ici la pièce de Sainte-Beuve, encadrée de la sorte et telle qu'elle fut, en 1868, récitée par Mlle Favart.
LES LARMES DE RACINE
I
Poètes d'aujourd'hui, pour louer nos ancêtres, Pour rendre à leur génie un hommage moins vain, Empruntons cette fois la lyre de nos maîtres Par qui nos coeurs émus ont compris l'art divin.
Tandis qu'il préparait pour la grande critique L'arme qui dans ses mains étincelle toujours, Le Maître accoutumait la langue poétique A suivre la pensée en ses mille détours ;
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36 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Il unissait déjà le charme à la finesse, La saveur des fruits mûrs aux fleurs de son printemps ! L'art qui contient le vrai ne perd pas la jeunesse, Les voici donc, ces vers jeunes de quarante ans.
II
LES LARMES DE RACINE
Jean Racine, le grand poète, Le poète aimant et pieux, Après que sa lyre muette Se fut voilée à tous les yeux, Renonçant à la gloire humaine, S'il sentait en son âme pleine Le flot contenu murmurer, Ne savait que fondre en prière, Pencher l'urne dans la poussière Aux pieds du Seigneur, et pleurer.
Comme un coeur pur de jeune fille
Qui coule et déborde en secret,
A chaque peine de famille,
Au moindre bonheur, il pleurait :
A voir pleurer sa fille aînée;
A voir sa table couronnée
D'enfants et lui-même au déclin;
A sentir les inquiétudes
De père, tout causant d'études
Les soirs d'hiver avec Rollin.
Ou si dans la sainte patrie,
Berceau de ses rêves touchants,
Il s'égarait par la prairie
Au fond de Port-Royal des Champs,
S'il revoyait du cloître austère
Les longs murs, l'étang solitaire,
Il pleurait comme un exilé;
Pour lui, pleurer avait des charmes,
Le jour que mourait dans les larmes
Ou La Fontaine ou Champmeslé.
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE 37
Surtout ces pleurs avec délices En ruisseaux d'amour s'écoulaient, Chaque fois que, sous des cilices, Des fronts de seize ans se voilaient, Chaque fois que des jeunes filles, Le jour de leurs voeux, sous les grilles, S'en allaient aux yeux des parents, Et foulant leurs bouquets de fête, Livrant les cheveux de leur tête, Épanchaient leur âme à torrents.
Lui-même il dut payer sa dette; Au temple il porta son agneau : Dieu, marquant sa fille cadette, La dota du mystique anneau. Au pied de l'autel avancée La douce et blanche fiancée Attendait le divin Époux; Mais, sans voir la cérémonie, Parmi l'encens et l'harmonie Sanglotait le père à genoux.
Prière confise et muette, Effusion de saints désirs! Quel luth se fera l'interprète De ces sanglots, de ces soupirs? Qui démêlera le mystère De ce coeur qui ne peut se taire Et qui pourtant n'a point de voix? Qui dira le sens des murmures Qu'éveille à travers les ramures Le vent d'automne dans les bois?
C'était un rêve d'innocence Et qui le faisait sangloter, De penser que, dès son enfance, Il aurait pu ne pas quitter Port-Royal et son doux rivage, Son vallon calme dans l'orage,
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38 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Refuge propice aux devoirs; Ses châtaigniers aux larges ombres; Au dedans, les corridors sombres, La solitude des parloirs.
C'était une offrande avec plainte Comme Abraham en sut offrir; C'était une dernière-étreinte Pour l'enfant qu'on a vu nourrir; C'était un retour sur lui-même, Pécheur relevé d'anathème, Et sur les erreurs du passé; Un cri vers le Juge sublime Pour qu'en faveur de la victime Tout le reste fût effacé!
III
Non, il ne sera pas effacé pour ta gloire, O Racine! Le Peintre aux fidèles couleurs. Des fils de Port-Royal nous retraçant l'histoire, Montrera ton génie égal à tes douleurs ;
Ce reste, condamné par tes pudeurs chrétiennes, Il nous l'expliquera d'un accent large et fier; C'est ton théâtre : amours, fièvres, fureurs païennes, Oreste avant Joad et Phèdre avant Esther ;
Pleure sur tes chefs-d'oeuvre et ta sublime faute, Sur ton coeur trop longtemps ivre de leur poison, Sur l'enfant de ta chair dont Dieu seul devient l'hôte, Qui ne te connaît plus et sort de ta maison.
Tu peux, tu peux pleurer : n'as-tu pas deux familles ? Si l'une meurt au monde et s'enfuit de tes bras, Andromaque et Junie et Monime, tes filles, Dans l'immortalité ne te quitteront pas !
Le plus long avenir adorera leurs charmes, Et le Maître attendri par tes nobles tourments, D'une pieuse main enchâssera tes larmes Dans l'or pur de ses vers, comme des diamants 1
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE 39
Les derniers vers avaient été acclamés, comme tout le reste de la pièce, et, dès le lendemain, le poète, enchanté, écrivait à l'Administrateur général :
Ce 22 décembre 1868. Mon cher Ami,
Je savais déjà par mes amis qui ont assisté à la représentation tout ce que je devais à Mlle Favart et à vous. Il y a des façons de dire si pénétrantes et des voix si mélodieuses qu'elles feraient tout passer. L'autre jour, à propos de la mort de Rossini, on disait de l'Alboni qu'elle était la dernière grande voix rossinienne : eh bien!Mlu Favart, elle, est une voix toute racinienne. Et voilà comment s'expliquent les vrais succès. Je n'ai garde d'oublier, pour le parfait accord qu'il y a eu hier dans cette représentation et cette cérémonie touchante, les vers d'introduction, le Prologue et l'Epilogue qui ont fait le cadre et enchâssé aux yeux du public des stances si peu dramatiques. Je crois bien que c'est à vous, poëte et directeur, que je dois ce charmant secours, et je vous serai bien reconnaissant de me faire lire au plus tôt ce récitatif si agréable et qui me rajeunit à mon plus grand étonnement.
J'écris à Mlle Favart, et je vous prie, mon cher ami, de recevoir mes plus sincères remerciements pour une idée si flatteuse et qui ne pouvait réussir que grâce à vous.
A vous de tout coeur.
SAINTE-BEUVE (1).
Et le même jour, il adressait cette autre lettre à son éloquente interprète :
A MADEMOISELLE FAVART, DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE.
Ce 22 décembre 4868.
Qui me l'aurait jamais dit, Madame, que quelque chose de moi passerait par vos lèvres! que j'aurais la joie et la douceur de vous avoir
(1) Cette lettre a été publiee dans la Correspondance de C.-A. Sainte-Beuve, t. II, p. 343-4.
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40 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
pour interprète, et que le Théâtre-Français applaudirait des vers anciens écrits dans la solitude et pour l'intimité ! Mais non, ce n'est pas moi, c'est vous, c'est votre accent, ce sont vos pleurs dans la voix, c'est cet attendrissement de l'âme et cette touchante mélodie qui vous viennent de Champmeslé et d'Adrienne Lecouvreur, c'est tout cela, qu'on a applaudi hier: et je viens me joindre avec une toute particulière reconnaissance au public entier pour vous saluer et vous remercier.
Si je n'étais pas empêché dans mes sorties par une santé qui ne supporte pas le mouvement de la voilure, ce ne serait point par un billet, c'est de vive voix que je courrais vous porter mon hommage. Je charge un de nos bons amis, Mathieu Meusnier, d'être mon messager et de vous prier d'agréer mes excuses.
Votre obligé à jamais et respectueux.
SAINTE-BEUVE (1).
M. Thierry et Mlle Favart furent infiniment flattés et tout heureux de la joie du poète. Et l'actrice eut l'idée d'aller réciter ses vers à l'auteur lui-même retenu par la maladie dans son logis de la rue du Mont-Parnasse.
Tout aussitôt Sainte-Beuve écrivit à Thierry. L'offre était une bonne fortune. Le poète souhaitait d'avoir sa muse à sa table, à son foyer.
Ce 24 décembre 1868.,
Cher Ami,
Mlle Favart a bien voulu me faire dire qu'elle désirait me faire entendre ces vers qui sont devenus siens. Pour cela il n'y a qu'une manière et je le lui écris : c'est de vouloir bien me faire la faveur de venir dîner sans façon aucune dans ma petite maison ou lundi 28 ou mardi 29 de la. semaine prochaine, un jour enfin qu'elle ne jouerait pas. Vous me feriez bien l'amitié d'y venir. Il n'y aurait (sans compter mon petit monde de la maison) que Mathieu Meusnier et l'un de mes amis qui aurait grand plaisir à vous rencontrer, Duquesnel. Faites
(1) Correspondance de C.-A. Sainte-Beuve, t. II, p. 342-3.
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE 41
cela, arrangez et fixez le jour avec la charmante sociétaire et vous aurez complété ma fête.
Tout à vous.
SAINTE-BEUVE.
P. S. — Nous dînons à sept heures et vous serez libre de bonne heure après le dîner.
Le Journal d'Edouard Thierry nous conte encore, par le menu, cette petite aventure :
ce 25 décembre. — Bornier vient me montrer une lettre de remerciements qu'il a reçue de Sainte-Beuve.
ce 26 décembre. — Bornier a vu M. Sainte-Beuve qui l'a invité à diner. Il me demande pour quel jour ? — Pour mardi prochain. Je viens d'en convenir avec Mlle Favart et de l'écrire à Sainte-Beuve.
" Mardi 29 décembre. — M. Duquesnel n'est pas venu dîner pour aller au Gymnase.
Mlle Favart a récité les Larmes de Racine. Sainte-Beuve en pleurait de plaisir. »
Sainte-Beuve pleurait de plaisir ! Les Larmes de Racine devenaient les Larmes de Sainte-Beuve !
L'excellent, fidèle et érudit M. Jules Troubat se rappelle fort bien ce dîner, ce une des plus belles heures de ses huit années de secrétariat auprès de Sainte-Beuve ». Il y avait là, sans compter Mlle Favart et M. Thierry, le bon Bornier qui travaillait alors à son Charlemagne (deArenu la Fille de Roland), le sculpteur Mathieu Meusnier, le maître de Mme Sarah-Bernhardt statuaire, le Dr Veyne, " qui faisait, pour ainsi dire, partie intégrante de la maison», et M. Jules Troubat, le collaborateur dévoué. Avec Sainte-Beuve, cela faisait sept convives « et c'est à peu près le nombre qui pouvait tenir là sans qu'on fût gêné ». Edouard Thierry remit à Sainte-Beuve la copie qui avait servi à MLle Favart et M. Troubat l'a conservée comme une relique.
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Il semble que ce dîner appelle le peintre d'un tableau de genre. On dirait un de ces repas familiers où se complaisaient les causeurs du XVIIIe siècle. Et je song'e aussi à Virginie Déjazet allant chez Béranger — qui pleura comme Sainte-Beuve— lui réciter la Lisette de Frédéric Bérat :
Enfants, c'est moi qui suis Lisette, La Lisette du Chansonnier !...
J'ai eu, depuis, l'honneur de faire redire à la Comédie-Française ces Larmes de Racine dont Théophile Gautier parlait en son feuilleton, il y a trente-six ans :
ce Pour l'anniversaire de la naissance de Racine, on annonce Athalie et les Plaideurs, deux chefs-d'oeuvre qui montrent le poète sous le masque tragique et sous le masque comique, s'inspirant de la Bible et d'Aristophane. Jusque-là, rien que de connu et d'habituel en ces solennités ; mais ce qui fera la great attraction de la soirée, c'est qu'on lira des vers de M. Sainte-Beuve. Probablement ce sont les admirables stances des Consolations, intitulées les Larmes de Racine, et qui commencent ainsi :
Jean Racine, le grand poète (1). »
J'ai fait aussi réciter, en 1888, la pièce de vers de Théophile Gautier, autrefois interdite, Le Soulier de Corneille. Les vers de Sainte-Beuve ont été dits deux fois, le mardi 21 et le jeudi 23 décembre 1886. L'affiche de ces deux soirées d'abonnement portait
ANDROMAQUE.
LES LARMES DE RACINE
Poëme de Sainte-Beuve, dit par Mlle Lerou.
A RACINE
Poésie de M. F. Fabié, dite par Mme Agar.
LES PLAIDEURS.
(1) Le Moniteur universel, 21 décembre 1868.
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE 43
Mais pas plus que Théophile Gautier, Sainte-Beuve n'était là pour entendre ses vers. Cette consécration, par l'hospitalité de la ComédieFrançaise, fut donc une date dans la Aie de Sainte-Beuve et elle restera une date aussi dans les souvenirs de la Comédie.
J'ai dit que Sainte-Beuve aimait ce grand théâtre. Il Ta bien prouvé. Je trouve de lui des billets à Edouard Thierry qui nous donnent le ton de sa correspondance avec l'Administrateur, en même temps que la marque de son goût (1) :
Cher Directeur,
Je suis insatiable. J'ai vu hier l'OEdipe Roi dans une loge donnée par Lacroix. Je désirerais pour demain vendredi une loge encore, une petite loge de 4 places, et pour ne pas être indiscret avec l'auteur, c'est à vous que je viens la demander. J'espère que vous m'excuserez. Tout à vous.
STE-BEUVE. N° il, rue Mont-Parnasse. Ce jeudi 8 août 4861.
Merci, mon cher ami, de toutes vos bontés. Grâce à elles, j'ai pu pleurer (car on pleure bon gré malgré) à OEdipe Roi, et rire au Médecin malgré lui presque en même temps (2).
Tout à vous.
STE-BEUVE. Ce 13 août [1861].
(1) On en trouvera la trace dans ses trop rares articles de critique dramatique, qu'il parle de Mademoiselle de Belle-Isle (1839), de l'École du Monde, de la Calomnie ou de Cosima (1840), de la Tutrice (1843) ou de la reprise de Bérénice; avec Rachel (6 janvier 1844).
(2) Le vendredi 9 août, le spectacle avait été changé par ordre. « Honoré, dit le registre, de la présence de S M. l'Empereur et de ses hôtes : S. M. le Roi de Suède et son frère, le Prince Oscar », il se composait, à la place de la Suite d'un bal masqué et d'OEdipe Roi, renvoyés au lendemain, de Valérie, des Femmes savantes et du Médecin malgré lui. Sainte-Beuve assista à cette représentation et probablement à celle du lundi 12, dans laquelle OEdipe Roi fut donné avec le Bonhomme Jadis, ce qui lui permit, « presque en même temps », de rire avec Monrose-Sganarelle et de pleurer avec Geffroy-OEdipe.
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44 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Mais, à propos de la Comédie-Française, où il aimait à aller ce rire et pleurer », Sainte-Beuve avait dès longtemps dit son avis définitif, plaidant la cause du théâtre, alors si fort attaqué -— comme toujours — et le saluant comme une des gloires de la France :
Le Théâtre-Français, disait-il, est et demeure, à travers toutes les vicissitudes, une grande école de goût, de bon langage, un monument vivant où la tradition se concilie avec la nouveauté.
Un petit nombre de choses anciennes sont restées debout en France à travers nos révolutions périodiques, et plus que périodiques; de ce nombre est ce qu'on appelle si justement la Comédie-Française. .
Jamais la Comédie-Française ne parut plus au complet ni plus brillante qu'à la veille de Brumaire et en ces années du Consulat... Nulle institution ne contribua plus directement à la restauration de l'esprit public et du goût.
Le public français, qui a si peu de choses en respect, a gardé la religion du Théâtre-Français ; il y croit : à chaque annonce d'une pièce nouvelle, il s'y porte avec espérance.
Je définirais au besoin le Théâtre-Français d'après le rôle qui, plus que jamais, lui appartient, le contraire du grossier, du facile et du vulgaire.
Ce qu'il faut de plus en plus à la France, appelée indistinctement à la vie de tribune et jetée tout entière sur la place publique, c'est une école de bonne langue, de belle et haute littérature, un organe permanent et pur de tradition. Où le trouver plus sûrement qu'à ce théâtre? On y va voir et entendre ce qu'on n'a plus le temps de lire. La vie publique nous envahit; des centaines d'hommes politiques arrivent chaque année des départements avec des qualités plus ou moins spéciales et des intentions que je crois excellentes, mais avec un langage et un accent plus ou moins mélangés. Tout cela pourtant est voué par devoir et par goût à la parole et à l'éloquence. Où se former en se récréant?- Sera-ce à voir les gracieuses esquisses, les charmantes bluettes des petits théâtres, où l'esprit tourne trop souvent au jargon? Les salons proprement dits, les cercles du haut monde ont disparu, ou, s'il s'en rouvrait encore, ils ne feraient que retentir, tout le soir, de la politique du matin. Mais le Théâtre-
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SAINTE-BEUVE ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE 45
Français est là. Gouvernement, maintenez-le de plus en plus à l'état d'institution (1)... »
On reconnaîtra qu'en donnant à Sainte-Beuve la consécration d'une acclamation publique, l'Administrateur général ne faisait que payer une dette de reconnaissance. La Comédie avait même attendu dix-neuf ans pour l'acquitter.
Sainte-Beuve avait aimé, compris, défendu la Comédie-Française. La Comédie lui rendait en bravos ce que le grand critique du XIXe siècle lui avait donné en juste et décisif témoignage. Et aujourd'hui c'est encore un remerciement qu'apporte pour le centenaire de Sainte-Beuve, au Maître immortel qui encouragea ses débuts, l'Administrateur actuel, de la Maison où, avec le rire de Molière et les cris glorieux du Cid, on voit toujours couler les pleurs de Bérénice et les" Larmes de Racine.
JULES CLARETIE.
(1) De la question des Théâtres et du Théâtre-Français en particulier (Causeries du Lundi, 15 octobre 1849).
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LA CONFESSION DE SAINTE-BEUVE
« Chaque critique, dit quelque part Sainte-Beuve (1), se pourtrait de profil ou de trois quarts dans ses ouvragées. » Cela semble particulièrement vrai de lui-même. Sa personne est rarement absente de ses articles. Critique en quelque sorte ce confidentiel », il saisit toutes les occasions de se révéler, ou dans sa vie, ou dans ses doctrines littéraires, ou dans ses opinions philosophiques et religieuses, que dis-je ? dans ses émotions privées et dans les secrets même de son coeur. Digressions avouées, parenthèses rapides, allusions plus ou moins voilées, notes sans cesse grossies d'une édition à l'autre, tout lui est bon pour nous parler de lui. C'est au point qu'avec des extraits habilement faits et disposés bout à bout, on composerait sans peine soit une auto-biographie matérielle, soit surtout une auto-biographie psychologique à peu près complète (2).
Mais ces sortes de mémoires indirects, nécessairement décousus et fragmentaires, n'ont pas suffi à son besoin d'épanchements. Dans ses articles, il ne pouvait tout dire ; et même il y devait précisément taire le plus ce qu'il eût le plus tenu à exprimer. Il y aurait eu une sorte d'inconvenance à y entasser les révélations les plus significatives sur le fond même de sa personne morale, sur les causes, la
(1) Lundis, t. XI, p. 465, LIX. — Cf. Cahiers, p. 34 : « Le plus souvent nous ne jugeons pas les autres, etc. ».
(2) Voir l'article Sainte-Beuve dans les précieuses Table des Lundis; par Pierrot (Garnier) et Table des Nouveaux Lundis, par M. V. Giraud (Calmann-Lévy).
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50 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
nature ou l'objet de ses sentiments les plus intimes et les plus mystérieux. Il y avait une impossibilité matérielle à y présenter ouvertement et pour ainsi dire tout nu son jugement littéraire ou moral sur les contemporains vivants, ses amis ou anciens amis, ses égaux ou parfois (socialement parlant) ses supérieurs, qu'il rencontrait à toute heure, et auxquels il ne pouvait décocher à bout portant son opinion sincère et totale. Et pourtant c'était une nécessité pour lui « d'écrire les choses ou les idées qui tourmentent, de s'en décharger sur le papier. » Il était de ces « personnes nerveuses ou d'un tempérament littéraire », pour qui ce écriture, c'est délivrance (1) ».
Dans sa jeunesse, la poésie lui fut une ressource. Qu'il prêtât ses propres manières de voir et de sentir à un « double » imaginaire comme Joseph Delorme, qu'il découvrît sans détour le trouble de sa sensibilité dans ses Consolations; toujours est-il que c'étaient là des aveux personnels et qu'il se soulageait à livrer au public « la partie la plus directe et la plus sentante de son âme (2) ». C'étaient des confessions poétiques ; mais c'étaient bien des confessions.
Des confessions poétiques, on sait ce que c'est, et Goethe Ta franchement proclamé, quand il a mis pour titre à ses Mémoires l'expressive antithèse de Poésie et Vérité. C'est un mélange de choses réelles et de choses qui le sont moins : amplifiées, embellies, faussées par le poète, dont l'imagination achève et parfait ce que la vie a laissé inachevé et imparfait. Le jour Aint où la vérité parée — c'est-à-dire déguisée — ne suffit plus à Sainte-Beuve. Les illusions en lui étaient tombées : l'illusion de croire qu'il se ferait par ses vers un nom égal au nom de ses plus grands rivaux ; l'illusion de croire que la vie était telle que l'avait rêvée sa jeunesse ; l'illusion enfin de croire que les autres hommes et que lui-même étaient tels qu'il se
(1) Port-Royal, t. IV, p. 493. (?) Poésies; t. II, p. 132,
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Tétait imaginé dans la première ferveur des amitiés et dans le premier essor des espérances. Alors, il ne voulut plus voir —et noter — que la vérité seule, l'humble vérité. La poésie céda la place à la prose; les pensées, qui dans sa jeunesse ce lui venaient en sonnets », lui vinrent désormais « en maximes (1) », ou en réflexions désabusées. Et ne faisant plus de poèmes, — ou n'en faisant plus guère et avec peu d'espoir, — il fit un journal. Le 31 décembre 1834, sur la première page d'un petit cahier, il écrivait : « J'ai trente ans ; je commence à redescendre la pente, Je veux noter ici, chemin faisant, mille petits détails que ma mémoire perdrait et qui me plairont un jour comme souvenirs... (2) ».
Ce que c'était que ce petit cahier et ce qu'étaient les autres qui suivirent, comment ils étaient rédigés au fur et à mesure, on peut s'en faire une idée depuis que M. Séché, heureux chercheur, a lu et publié les sous-mains de Lausanne (3). Sans doute, Sainte-Beuve n'insérait pas dans son journal les mille petites, recommandations qu'il note sur ses sous-mains pour ses amis Olivier : a Mais il n'y a pas besoin de meringues... » ou ce II reste à payer à M. Ducloux, pour le cerclage... » Sans doute, il n'y inscrivait pas non plus les épisodes insignifiants de sa vie : « J'ai pris du lait à une heure » ou « Silence et sommeil au chaud ». Mais, avec la même ponctualité, la même méticulosité, il y.reportait tout de suite (comme s'il eût eu la frayeur d'en rien perdre) toutes les pensées qui lui venaient sur lui-même ou sur les autres, et aussi, —puisqu'il n'était pas cloîtré dans sa vie ordinaire comme il le fut dans l'intervalle de ses cours à Lausanne, — tout ce qu'on disait de curieux ou d'inconnu, à lui ou devant lui.
(1) Portraits de femmes, p. 312, I.
(2) Lundis, t. XI, p. 438.
(3) Petit Temps, du 10 mai 1903.
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Seulement, ceux qui tiennent de la sorte leur journal se dupent eux-mêmes. Ils croyaient que ce serait un dérivatif au besoin qu'ils ont d'exprimer leur pensée. Mais, une fois leur pensée notée de la sorte, fixée, dotée pour ainsi dire d'une existence indépendante, peu à peu le désir leur vient de la livrer au grand public. Ils ont écrit pour ne point publier; ils sont tentés de publier, puisque c'est écrit.
Sainte-Beuve en vint rapidement là. Dès 1836, à la fin du' tome III des Critiques et Portraits littéraires., parmi des fragments d'articles, on le voit qui glisse une ou deux pensées personnelles (1). Elles sont très voilées puisque l'une, en prose, est attribuée à Diderot, et l'autre, en vers, à Hazlitt ; elles n'expriment que « d'une manière indirecte » les « propres sentiments » du critique (2) ; mais elles les expriment et ce sont vraisemblablement deux notules du journal déguisées en pastiches. — Au mois de janvier 1840, en son nom cette fois-ci, mais pourtant sous le pavillon de La Rochefoucauld, Sainte-Beuve publie un certain nombre de ses pensées. Il affecte d'en faire un jeu, une espèce de gageure : l'envie d'écrire des maximes l'a pris « comme un rhume », à force de relire l'auteur des Maximes, et il est tout prêt à réfuter celles qui auront trop choqué (3). Et, sans doute, il y a bien en effet du jeu là-dedans ; mais il y a aussi des,confessions réelles et des opinions non feintes. On n'en saurait douter, lorsqu'on voit certaines de ces pensées s'appliquer si justement à Sainte-Beuve lui-même, lorsqu'on lit la note où il signale l'importance de tout l'article dans l'histoire de sa vie intellectuelle et morale (4), lorsqu'on remarque enfin qu'une 'des pensées a été sûre(1)
sûre(1) deux pensées personnelles : « Moi, disait Diderot... » et « Sonnet d'Hazlitt » ont reparu aux pages 514 et 515 des Portraits Contemporains (tome II). — Les autres morceaux, si je ne me trompe, sont tous extraits d'articles que Sainte-Beuve avait jugé inutile de recueillir en entier.
(2) Portraits Contemporains, t. II, p. 515 note.
(3) Portraits de femmes, pp. 312 et 321.
(4) Portraits de femmes, p. 321 note.
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ment inspirée au critique par son amour pour Mme d'Arbouville (1). — Quant à ce que son journal pouvait contenir d'anecdotes difficiles à répéter ou de jugements impossibles à imprimer à Paris, il en confie le plus possible aux Chroniques parisiennes de la Revue Suisse, — en attendant qu'il aille à Liège en dire lui-même, de loin, tout ce qu'il peut sur Chateaubriand. — Une fois revenu de Liège et se sentant de plus en plus solidement établi dans sa chaire des Lundis, Sainte-Beuve prit plus de hardiesse encore. En 1852, au tome III des Portraits Littéraires, il insérait pour ce ses habitués et ses amis » de nombreuses confidences (2). Quelques années après, se trompant ajouter quatre nouveaux volumes à sa collection des Lundis qu'il avait cru terminer au tome XI, il lui fallut en retrancher la Table analytique désormais incomplète. L'occasion lui parut bonne pour y « Aider tous ses cahiers » et il y versa pêle-mêle, non seulement de nouveaux aveux, mais encore une foule de libres jugements sur les hommes de son époque (3).—A partir de ce moment, il ne cessa guère de « mettre ses pensées où il pouvait », profitant de chaque édition nouvelle d'un de ses - ouvrages, « comme d'un convoi qui part », pour « envoyer au public quelques mots qu'il lui importait de dire (4) ». Réédition des Portraits Littéraires, réédition des Portraits Contemporains, tout lui était prétexte à livrer des fragments de ses mémoires, jusqu'au jour où il résolut enfin de donner tout un volume de ses notes, ses Cahiers. Ce n'était qu'un ce échantillon » et il en promettait d'autres. La mort ne lui laissa pas même le temps de Anir paraître celui-là (5).
(1) La XXXIe. — Cette pensée est inscrite avec, le Litre : En vue d'elle dans la petite brochure de vers consacrée à Mme d'Arbouville (cf. G. Michaut, Sainte-Beuve avant les Lundis, p. 689).
(2) Portraits Littéraires, t. III, p. 540.
(3) Souvenirs et indiscrétions, p. 96 note.
(4) Portraits Littéraires, t. II, p. 525.
(5) Cahiers, p. 2 et note.
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Ainsi le journal de Sainte-Beuve n'est pas imprimé tout entier. Mais il en a été publié, par lui-même ou parsa volonté, des morceaux assez considérables pour qu'on y puisse rechercher comment il s'est vu, comment il s'est connu, et comment, dans ces confidences explicites, directes, voulues, il a désiré être vu et connu par la postérité.
De l'existence seule du journal, des publications partielles mais nombreuses qu'en a faites Sainte-Beuve, de la nature des pensées diverses, —confidences personnelles ou jugements objectifs, —qui y sont consignées, on pourrait déjà tirer bien des renseignements significatifs. — Que Sainte-Beuve se soit attaché a ne rien laisser perdre de ce qu'il entendait, à recommencer sans cesse, a corriger, à compléter son analyse de l'âme et du talent des autres ou de son âme et de son talent propies, à exprimer par écrit tout ce qu'il découvrait en lui-même de plus intime; n'est-ce point suffisant pour nous révéler son ardeur à la poursuite de la vérité, son instinct de psychologue et de moraliste, son tempérament élégiaque? — Que, conservant dans ses papiers une collection de faits, d'anecdotes, d'appréciations capables de déplaire à tant de personnages encore vivants, il n'ait pu se tenir de la lancer presque toute dans le public; n'est-ce point assez pour nous révéler l'esprit d'indépendance qui lui a rendu insupportables tous les jougs? — Qu'il ait porté peut-être ses jugements les plus sévères sur ceux-là mêmes qu'il avait dans sa jeunesse le plus admirés et aimés; qu'il se soit plu à signaler les tares et les faiblesses des plus illustres; qu'il ait aimé reproduire les plus vives critiques des rivaux sur les rivaux et, mieux encore, des amis sur les amis; n'est-ce pas l'indice d'une âme prompte à la désillusion, d'un esprit pénétrant, habile à déjouer les apparences, d'une disposition un peu chagrine à percer les mensonges des convenances, des camaraderies, des partis pris officiels et à jouir de les dévoiler? — Qu'il ait poursuivi avec acharnement l'emphase,
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l'exagération, lé charlatanisme, et aussi la grossièreté et la vulgarité, et encore l'étourderie ou la légèreté ; n'est-ce pas un signe que ces défauts-là sont précisément ceux qui le choquent le plus, que l'amour du naturel, le goût pour la délicatesse, le souci de l'exactitude sont au contraire ou les qualités qu'il possède ou celles qu'il aspire le plus à posséder? — Et même (pour descendre jusqu'à ces détails) qu'il note avec soin les citations heureuses, les idées de début ou de fin d'article, et qu'il amasse comme un trésor d'expressions et d'images dans lequel il puisera à l'occasion (1) ; cela n'aide-t-il pas à connaître les procédés de son esprit? — Mais de tous ces renseignements indirects je ne veux pas tenir compte maintenant. Mon seul but, ici, est de rechercher les quelques traits essentiels que nous révèle, sur Sainte- Beuve, sa confession explicite et volontaire.
« Pour qui veut connaître à fond un seul homme, un individu, tout trompe, tout est sujet à méprise, et l'apparence, et l'habitude, et les opinions, et le langage et les actions mêmes, qui, soment, sont en sens inverse de leur mobile : il n'y a qu'une chose qui ne trompe pas, c'est quand on a pu saisir une fois le secret ressort d'un chacun, sa passion maîtresse et dominante. » Telle est la règle directrice que Sainte-Beuve s'imposait quand il voulait être sûr de bien apprécier un écrivain ; et c'est d'après cette « passion maîtresse » qu'il le rangeait dans Tune des « familles d'esprit » qu'il aspirait à constituer. Il a suivi aussi cette régie pour lui-même. Dans deux pensées, au premier abord étrangement contradictoires, il a nettement désigné sa famille et même sa sous-famille d'esprit :
ce Je me fais quelquefois, écrit-il, un rêve d'Elysée; chacun de nous va rejoindre son groupe chéri, auquel il se rattache et retrouver
(1) Les exemples qui peuvent illustrer les remarques précédentes sont trop nombreux pour qu'il soit nécessaire de les indiquer. — Ici je songe à des notes comme celles des Cahiers: p. 143 : « Début d'article »; p. 145 : « A propos des étemels parallèles... »; p. 182 : « Pindare... »; p. 133 ; « La ville de Thèbes*,, », etc.
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ceux à qui il ressemble : mon groupe à moi, je l'ai dit ailleurs, mon groupe secret est celui des adultères moechi), de ceux qui sont tristes comme Abbadona, mystérieux et rêveurs jusqu'au sein du plaisir et pâles à jamais sous une volupté attendrie. — Musset au contraire a eu de bonne heure pour idéal l'orgie, la bacchanale éclatante et sacrée... » (1). Voilà qui paraît clair: Sainte-Beuve est, selon lui-même, un voluptueux mélancolique.
Mais il dit ailleurs : " Il y a des hommes qui ont l'imagination catholique (indépendamment du fond de la croyance) : ainsi Chateaubriand, Fontanes; les pompes du culte, la solennité des fêtes, l'harmonie des chants, Tordre des cérémonies, l'encens, tout cet ensemble les touche et les émeut. — Il y en a d'autres qui (raisonnement à part) ont la sensibilité chrétienne et je suis de ce nombre. Une vie sobre, un ciel voilé, quelque mortification dans les désirs, une habitude recueillie et solitaire, tout cela me pénètre, m'attendrit, et m'incline insensiblement à croire (2). »
Comment cette « sensibilité chrétienne » se concilie-t-elle avec cette « volupté » ? On remarquera que le fond de la croyance et les résultats du raisonnement sont expressément écartés, que l'expression s'oppose à celle « d'imagination catholique », et qu'enfin le commentaire en précise et en restreint la signification. Dès lors, « chrétienne » devient plus clair. Sainte-Beuve veut évidemment désigner par là les caractères extérieurs qui l'ont le plus frappé dans les formes religieuses que son expérience personnelle lui a permis de comparer au catholicisme, le protestantisme et le jansénisme : ce qu'elles offrent toutes deux de contenu, de volontairement réprimé ou même comprimé, une modestie ou une « médiocrité » expressément cherchée dans la tenue et dans l'allure, une flamme sans cha(1)
cha(1) p. 63. — L'idée était déjà dans les Lundis, t. XIII, p. 373, et dans les Nouveaux Lundis, t. III, p. 191.
(2) Portraits Littéraires, t. III, p, 543, VIII
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leur apparente et sans éclat Aisible (1). La différence de la « sensibilité chrétienne » à « l'imagination catholique », c'est la différence de Joseph Delorme à René. La pensée de Sainte-Beuve, en somme, reviendrait à dire que, née d'un même épicuréisme, aussi sincère et peut-être davantage (2), sa mélancolie « rentrée » n'avait rien de comparable à la mélancolie hautaine et fastueuse de Chateaubriand.
Ce geût de la volupté ou — pour mieux dire — ce tempérament de Anlupté qu'il reconnaît en lui, Sainte-Beuve y semble attacher une importance considérable.
Par la volupté, il explique sa vie, les sentiments divers, ou contradictoires même, qu'il a ressentis aux différents moments de son âge. Sa jeunesse a eu le culte de ces « deux jeunes déesses, la Grâce et le Désir » (3). Elle a cherché l'amour : il se promenait le long de la haie ce derrière laquelle » il pouvait y avoir quelque chose (4). Elle a été fière de ressentir la passion : il s'est flatté, lui aussi, d'avoir de ces orages du coeur dont « les Adolphe et les René se croient le privilège » (5). C'est pourquoi, épris seulement du plaisir, il a repoussé la nature quand elle lui a insinué le mariage, par crainte des « épines et des soucis » dont ce la vie de famille est pleine » (6). Mais la jeunesse s'est enfuie et la vie, sevrée du plaisir, s'est « décolorée » (7). Parfois, dans ce crépuscule, sa sensibilité naturellement « contenue » lui donne l'illusion du « contentement » (8) ; il « jouit
(1) Lundis, t. XI, p. 515, CXC : « Le bonheur moral et la vérité sous trois formes... Saint Paul ou Jésus, le sermon sur la montagne (circoncision des coeurs, — médiocrité de la forme, beauté rentrée et du fond)... »
(2) Peut-être davantage, puisque c'est la sensibilité et non l'imagination trompeuse qui entre en jeu.
(3) Portraits Contemporains, t. V, p. 467, XXXV
(4) Portraits Contemporains, t. V, p..465, XXXI.
(5) Portraits Contemporains, t. V, p. 462, XXII.
(6) Portraits Contemporains, t. V, p. 461, XIX, XXI.
(7) Portraits Contemporains, t. V, p. 463, XXV p. 464, XXVI XXVII.
(8) Cahiers, p. 46.
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d'une tristesse sévère » ; il accueille avec douceur les « deux hôtesses silencieuses » qui entrent sans avoir frappé, « la Philosophie et la Nécessité » (1); il aspire à la résignation du sage et il se figure presque y être panenu (2). Parfois, et plus souvent, il s'abandonne aux regrets. Cette jeunesse, si féconde en voluptés, il en rappelle le souvenir avec amertume ; il en pleure les illusions, il en emie les espérances (3) : quelle déchéance il sent en lui (4) ! quels bonheurs il a méconnus et manques (5)! et qu'il est triste d'avoir vieilli (6), de n'avoir plus ni but, ni passion, ni désir (7)!
C'est par la volupté qu'il explique sa philosophie. « Dans ma jeunesse, ma philosophie m'est venue surtout par la volupté, par l'usage des plaisirs. Je m'explique : tandis que la plupart des philosophes, au moment où ils méditaient sur l'homme, sur l'âme, et sur la destinée, étaient comme on est dans les moments chastes et sobres, c'est-à-dire dans la plénitude de la Aie et la surabondance de
(1) Portraits Contemporains, t. V, p. 467, XXXV
(2) Portraits Contemporains, t. V, p. 465, XXX.
(3) Lundis, t. XI, p. 440, I, II; Portraits Contemporains, t. V, p. 460, XIII, XV, XVI p. 462, XXIII
(4) Portraits Contemporains, t. V, p. 460, XVI; p. 461, XVII, XX; p. 464, XXVII, XXIX; p. 465, XXXII, XXXIII, XXXIV.
(5) Portraits Littéraires, t. III, p. 540, II, IV, VI.
(6) Cahiers, p. 125. — Cf. Lundis, t. XV, p. 299 : « Que devenir, en effet, que faire, en avançant dans la vie, quand on a mis toute son âme dans la fleur de la jeunesse et dans le parfum de l'amour? Aristote a beau nous dire que le corps est dans toute sa orce de trente à trente-cinq ans, et que l'esprit atteint à son meilleur point dans l'année qui précède la cinquantaine. Grand Aristote, parlez pour vous, pour les sages, pour les politiques, pour les orateurs, pour les critiques! Mais les tendres et fragiles poètes, quel triste quantième vous leur proposez là en perspective! Il y a longtemps que l'arbre est dépouillé à la cime et que la sève n'y monte plus. » — Remarquer qu'en commençant son journal, Sainte-Beuve avait écrit : « J'ai trente ans, je commence à redescendre la pente... »
(7) Lundis, t. XI, p. 542, IV; Portraits Littéraires, t. III, p. 543, IX, X. — Il s'imagine n'avoir pas d'ambition (même littéraire), ou du moins ne l'avoir pas naturellement (Lundis, t. XI, p. 455, XXVIII). Nous ne l'en croirons que sous bénéfice d'inventaire; mais cette illusion même ne confirme-t-elle pas que la volupté, selon lui, était tout en lui?
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la source intérieure, c'est-à-dire encore dans le plus fort de l'illusion; — moi, sous le jour pâli du lendemain des plaisirs, dans cet ennui dont parle Lucrèce et qui révèle le fond, je voyais sans cesse le revers et la fin de tout, le néant que je sentais déjà et dont l'avant-goût n'est pas sans de mélancoliques délices : en un mot, ayant tout usé des plaisirs et chaque fois avec une tristesse de mort, j'étais (quand j'observais) dans une transparence, une limpidité légèrement glacée de l'intelligence et dans le minimum de l'illusion (1). » C'est la méthode de Salomon et d'Epicure ; et elle vaut mieux, selon SainteBerne, que la pénible logique d'Hegel et de Spinoza (2).
Et naturellement, c'est aussi la doctrine de Salomon et d'Epicure; la doctrine de ceux qui, partis de la sensation, n'ont pu aboutir à autre chose qu'à la matière et au corps; la doctrine des matérialistes grecs et des « sensualistes » modernes; la doctrine de ceux qu'on appelle « sceptiques », parce qu'ils n'ajoutent pas foi à certaines théories, — comme s'ils n'ajoutaient pas foi à la leur. SainteBeuve a la sienne. Elle est fondée sur la science positive et sur l'observation des hommes; et il est convaincu qu'avec les progrès de la science, avec la connaissance toujours accrue de la nature humaine, elle se répandra de plus en plus (3). Elle se raccorde avec les théories du xvine siècle; et il s'indigne que des charlatans leur aient imposé un nom injurieux (4). Elle est directement opposée au christianisme; et il est intimement convaincu que le christianisme n'est en réalité qu'un « tour de force », une ruse inconsciente de l'homme pour s'élever au-dessus de lui-même, une folie qui a réussi (5).
(1) Lundis, table, p. 43.
(2) Portraits Littéraires, t. III, p. 543, vu.
(3) Lundis, t. XI, p. 473, LXXI, LXXII; Portraits Littéraires, t. III, p. 549, XXX Cahiers, p. 33.
(4) Lundis, t. XI, p. 488, CXVI
(5) Lundis, t. X,p. 473, LXXI; p. 494, CXXXIII; table, p. 44; Portraits Littéraires, t. III, p. 540, I; Portraits de femmes, p. 314, IX; Cahiers, pp. 21, 26, 27, 68-6 \ 91.
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Mais, en général, ce n'est pas à l'état de doctrine que sa philosophie est présente à son esprit. Comme « les preuves de Dieu métaphysiques », selon Pascal, ne servent aux hommes ce que dans l'instant qu'ils Aboient cette démonstration » (1), sa théorie ne se coordonne et ne se lie, dans la pensée de Sainte-Berne, « que dans l'instant qu'il " l'oppose aux théories contraires ou « dans l'instant qu'il » la rattache, pour la justifier, à tout un mouvement scientifique étranger à ses méditations habituelles. A l'ordinaire, elle n'existe pas en lui sous la forme d'un système, d'une belle construction d'idées qui s'expose et se transmet. C'est une disposition d'âme, ce une espèce de sagesse à huis-clos et dans la chambre, qui ne s'enseigne pas, qui ne se professe pas, qui n'est pas une méthode mais un résultat, pas un début ni une promesse, mais une habitude et une fin et de laquelle il faut répéter avec Sénèque : Bona mens non emitur, non commodalur,c'est-à-dire qu'elle est une maturité toute personnelle de l'esprit » (2). Aussi Sainte-Beuve n'a-t-il que du mépris pour tous ceux qui se tuent à échafauder d'ambitieux systèmes et qui en tirent vanite. Ni en philosophie, ni en amour, l'arrivée ne vaut le voyage; aller droit au fait est le lot des « esprits grossiers »; le vrai, c'est le secret de quelques-uns ; le plus délicat des plaisirs — et le plaisir des délicats — est de le connaître, de le goûter, mais non de le formuler ou de le prêcher : car il s'altère dès qu'on Aeut le mettre en action parmi les hommes (3). « J'ai tant de respect pour la philosophie, dit-il, que je crois qu'elle n'existe véritablement que chez celui qui la trouve et qu'elle ne saurait se transmettre ni s'enseigner » (4). Et ailleurs : « Soyons philosophes, ayons de la philo.
philo. Pensées (Brunschvicg), n° 543.
(2) Portraits Littéraires, t. II, p. 473.
(3) Portraits Littéraires, t. III, p. 545, Cf. Portraxviits Littéraires, t. III, p. 548, XXVII ; Portraits de femmes, p. 319, XXXIX; Lundis, t. XI, p. 473, LXVII-LXXIII ; Cahiers, p. 50.
(4) Cahiers, p. 35.
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sophie et même une philosophie, mais ne faisons pas de la philosophie » (1). Rien ne se justifie mieux qu'une pareille attitude. Si telle ou telle disposition morale est peut-être, dans la logique pure, la conséquence de telle ou telle philosophie, en fait, selon SainteBeuve, dans la Aie réelle l'adhésion à une théorie n'est que la conséquence d'une disposition morale, d'un tempérament (2). —Et pour lui, il nous a dit quels étaient cette disposition morale et ce tempérament.
C'est par la volupté encore que Sainte-Berne explique toute sa carrière littéraire, ses oeuvres, les- caractères qu'elles présentent et l'inspiration dont elles émanent. — Il a commencé par des poëmes ; mais ce n'a pas été, comme tant d'autres, par une espèce d'instinct; son chant, comme le chant des oiseaux ce dépendait en effet et en entier des amours, » et ce il a cessé avec elles » :
Ils chantent pour chanter, les élus de la Muse, Moi, je chantais pour être aimé (3) !
— Il a écrit des romans ; mais ce n'a pas été, comme tant d'autres, afin de reproduire l'infinie variété de la vie humaine. Il n'y a dépeint que ses dispositions morales. Il y a idéalisé son goût du plaisir : « Dans Volupté, je me suis donné l'illusion mystique, pour colorer et ennuager l'épicuréisme » (4). Il y a chanté ses seules passions, soit ressenties, soit espérées et il a mis en quelque sorte son oeuvre au service de ses désirs : ce Pourquoi je ne fais plus de romans? — L'imagination pour moi n'a jamais été qu'au service
(1) Cahiers, p. 39.
(2) Et du genre de vie qu'a entraîné ce tempérament. Cf. Lundis, t. XI, p. 514, CLXXXIX : « Un homme qui a mal vécu n'a plus autorité dans les questions de destinée humaine et de haute vérité, car il a, tout bas, intérêt à une certaine solution plutôt qu'à une autre ; il est juge et partie. — Un homme qui a bien vécu se sent plus libre dans sa solution : l'est-il davantage ? »
(3) Poésies, t. I. p. 282 et épigraphe. — Cf. Lundis, table, p. 44.
(4) Lundis, table, p. 43.
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de ma sensibilité propre. Faire un roman pour moi, ce n'était qu'une manière indirecte d'aimer et de le dire (1). » — Il a écrit des articles de critique. D'abord, il en a fait une issue à sa sensibilité refoulée et, le plus longtemps possible, jusqu'à la fin, il y a maintenu une place pour la poésie (2). Plus tard — faute de mieux — son tempérament voluptueux y a trouvé de quoi se satisfaire; il est curieux de voir comme il emploie le mot de ce plaisir » pour la définir : « La critique pour moi... c'est le plaisir de connaître les esprits » (3) ...ce Je n'ai plus qu'un plaisir : j'analyse, j'herborise... » (4) ce Ma curiosité, mon désir de tout voir, de tout regarder de près, mon extrême plaisir à trouver le vrai relatif de chaque chose et de chaque organisation m'entraînaient... » (5) Jeune, il avait demandé à l'humanité de lui donner les jouissances qui onvenaient à son âge; vieux, il lui demande une jouissance plus terne, mais pourtant une jouissance : celle de l'observer (6). Jeune, il avait demandé aux Lettres de l'aider à atteindre une volupté placée en dehors d'elles ; Aieux, il leur demande de lui donner au moins les voluptés plus calmes qu'elles pement fournir (7).
Ainsi sa vie et la conduite de sa vie, sa philosophie et la nature de cette philosophie et la voie par laquelle il y est parvenu, sa littérature et le genre de satisfactions qu'il en a tirées et l'inspiration commune qui la lui a dictée; tout cela conduit Sainte-Beuve à se définir un ce adultère » : un voluptueux, et, —pour préciser encore, — par une formule analogne à celle dont il avait défini Chateaubriand,
(1) Portraits Littéraires, t. III. p. 541, v. — Cf. la même pensée, Lundis, table, p. 43.
(2) Portraits Littéraires, t. III, p. 546, XVIII, XIX.
(3) Cahiers, p. 11.
(4) Portraits Littéraires, t. III, p. 546, XX.
(5) Portraits Littérah-es, t, III, p. 545, XV.
(6) Portraits Littéraires, t. III, p. 543, X.
(7) Et il les assimile ou les associe volontiers à des plaisirs physiques, tout au moins aux plus délicats (Portraits Littéraires, t. III, p. 548, XXVII).
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— avec un ressouvenir peut-être de cette formule, — dans un sens un peu spécial qu'il faut bien entendre : un voluptueux à sensibilité ce chrétienne ».
Mais, si une formule de ce genre suffit peut-être à exprimer tout entier un Chateaubriand, — un poète ; elle ne suffit pas à exprimer un Sainte-Beuve, — un critique. Le poète, en somme, est, comme Lamartine, à des degués divers, un ce ignorant qui ne sait que son âme » ; il ne connaît que ses émotions et les sentiments que provoquent en lui les idées, les êtres et les choses; son oeuvre ne reproduit que lui-même et l'Univers y apparaît, non tel qu'il est, mais tel qu'il a été vu et senti. Le critique, au contraire, sort de soi; il se pique d'en sortir ; il doit en sortir ; il pourrait à la rigueur n'avoir ni un tempérament, ni une sensibilité, ni une imagination : il est tenu d'avoir une intelligence. « Voluptueux à sensibilité- chrétienne » rend compte des poésies de Sainte-Beuve, de ses romans, des parties personnelles et confidentielles de sa critique ; cela ne rend pas compte de son oeuvre objective. Après avoir défini sa « famille d'esprit », en tant qu'un « esprit » est une âme ou un tempérament (pour Sainte-Berne, c'est tout un), il faut encore définir sa ce famille d'esprit », en tant qu'un esprit est une intelligence.
Car, s'il n'y a plus ici de passion dominante, il y a, selon SainteBeuve, une faculté dominante qui, une fois connue, explique et la A^oie choisie et les résultats obtenus. « De même qu'un arbre pousse inévitablement du côté d'où lui Aient la lumière et développe ses branches dans ce sens, de même l'homme, qui a l'illusion de se croire libre, pousse et se porte du côté où il sent que sa faculté secrète peut trouver jour à se développer. Celui qui se sent le don de la parole se persuade que le gouvernement de tribune est le meilleur, et il y tend ; et ainsi de chacun. En un mot, l'homme est instinctivement conduit par sa faculté à se faire telle ou telle opinion, à porter tel
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ou tel jugement, et à désirer, à espérer, à agir en conséquence » (1). Cette pensée générale, Sainte-Beuve l'a un jour appliquée aux critiques, — et il est aisé de reconnaître, malgré leur anonymat, les écrivains auxquels il songeait, Villemain et Cousin : " L'homme ne fait jamais, en définitive, que ce à quoi il est obligé. Ceux qui ont la parole si prompte et si sûre sont tentés de rester un peu superficiels et de ne pas creuser les pensées. Ceux qui, en tout sujet, ont par l'éloquence une grande route toujours ouverte se croient dispensés de fouiller le pays » (2). A quoi était-il donc ce obligé », lui? et quelle qualité de son esprit détermine le caractère de son oeuvre critique?
Sainte-Beuve n'a point donné la formule de sa qualité dominante, comme il Ta fait de sa passion. Mais il se connaissait trop bien luimême et il s'analysait avec trop de sincérité pour qu'il ne nous soit pas possible de la déduire de ses aveux.
Et d'abord, il a expressément indiqué les limites de son esprit. « J'ai l'esprit étendu successivement, mais je ne l'ai pas étendu à la fois. Je ne vois bien à la fois qu'un point ou qu'un objet déterminé » (3). N'est ce pas dite que son esprit manque, non de pénétration ni de souplesse, mais de puissance et d'ampleur? N'est-ce pas nous apprendre, —si par hasard nous ne le savions pas, — qu'il n'a
(1) Portraits Littéraires, t. III, p. 548, XXv. — Voir la variante; Cahiers, p. 42.
(2) Portraits Littéraires, t. III, p. 547, XXIV — Cf. Lundis, t. XV, p. 208 : « Quand on est critique soi-même, il est bien clair que, si l'on adopte une méthode plutôt qu'une autre, c'est qu'on y est conduit par sa nature et par ses réflexions ; l'on est bien près, dès lors, d'avoir des objections à adresser à n'importe quelle autre méthode et, tout en se disant que, quand même on le voudrait, on serait peu capable d'en changer, on est fort tenté d'ajouter qu'il n'y a pas grand mal à cela, puisque la méthode qu'on suit est la meilleure et la plus vraie de toutes : sans quoi elle ne serait pas nôtre. Il s'établit au fond de nous une sorte d'intelligence et de connivence presque forcée entre notre talent et notre jugement, surtout quand ce jugement porte sur l'objet même de notre talent habituel. »
(3) Cahiers, p. 39.
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LA CONFESSION DE SAINTE-BEUVE
pas le goût des systèmes, qu'il ne se risque guère aux A^astes tableaux d'ensemble? Et n'a-t-il point l'air de se déclarer lui-même prédestiné aux portraits? —- L'espèce de de Aise qu'il note un jour : ce Écrire des choses agréables et en lire de grandes (1) », ne nous révèle-t-elle pas qu'il se reconnaît plus capable de réaliser, — et peutêtre aussi de sentir vraiment, — le joli que le beau? — Et enfin, si pas une seule fois il ne parle de son imagination, n'en devons-nous pas conclure qu'il la savait médiocre?
Quand on lit, après cela, toutes les autres confidences qu'il nous fait sur la nature de son esprit, il me semble que le mot qui les résume, les contient ou les implique toutes, c'est curieux. — Curieux, Sainte Beuve Test; et il le sait bien. Il écrit, en entassant les périphrases : « Ma curiosité, mon désir de tout voir, de tout regarder de près, mon extrême plaisir à tromer le A^rai relatif de chaque chose et de chaque organisation... » (2) ; et nous l'avons entendu déjà qui définissait sa critique : « le plaisir de connaître les esprits » (3). — C'est parce qu'il est curieux, qu'il se livre sans relâche à son « étude infinie » de la nature humaine (4), demandant uniquement aux hommes « de se prêter encore quelquefois à son observation » (5), toujours appliqué à ce renouveler, rafraîchir perpétuellement son observation et sa vue des hommes, même de ceux qu'il connaît bien et qu'il a peints », afin de n'être pas exposé « à les oublier en partie, et à les imaginer en se ressouvenant » (6). — C'est parce qu'il est curieux que sa sympathie est universelle pour les idées et pour les hommes. La curiosité exclut Tétroitesse d'esprit :
(1) Portraits Contemporains, t. V, p. 467, XXXVII.
(2) Portraits Littéraires, t. III, p. 545, XV.
(3) Cahiers, p. 11.
(4) Portraits de femmes, p. 313, V.
(5) Portraits Littéraires, t. III, p. 443, X.
(6) Portraits Littéraires, t. III, p. 547, XXIII
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LE LIVRE' D'OR DE SAINTE-BEUVE
« Il faut faire place en nous pour un certain contraire (1). » Elle exclut l'ironie, « de toutes les dispositions de l'esprit, la moins intelligente » (2). Elle exclut l'envie : « Plus il y a de talents et plus j'en comprends et plus j'ai raison de dire : Mon affaire est bonne (3). » — C'est parce qu'il est curieux que cette universelle sympathie est inconstante. Quand, grâce à ces métamorphoses et à ces expériences qui lui. constituent « un long cours de physiologie morale », il est arrivé à connaître, il n'a plus de but : alors il se détache sans peine pour aller chercher ailleurs son butin (4). « Critiques curieux, imprévus, infatigables, prompts à tous sujets, soyons à notre manière comme ce tyran qui, dans son palais, avait trente chambres; et on ne savait jamais dans laquelle il couchait (S). » — C'est parce qu'il est curieux qu'il se pique de ne « pas arrêter sa montre à une certaine heure » (7), mais au contraire de devancer le public (6), d'aller chercher des noms inconnus à lui révéler (8), de lui révéler même ce qu'il croit connaître, en sachant mieux lire et en lui apprenant à lire (9). — C'est parce qu'il est curieux qu'il a un tel mépris de l'inexactitude qui passe à côté de la verité (10), une telle défiance des préjugés qui la couvrent (11), une telle colère contre les familles qui la dérobent (12). :— C'est parce qu'il est curieux qu'il s'est fait une méthode si scrupuleuse. Il n'hésite jamais à revenir sur
(1) Cahiers, p. 146.
(2) Cahiers, p. 75.
(3) Portraits Contemporains, t. V, p. 457, IV.
(4) Portraits Littéraires, t. III, p. 545, XV, XII, XIII
(5) Portraits Contemporains, t. V, p. 457, IUII.
(6) Cahiers, pp. 14, 34.
(7) Portraits Contemporains, t. V, p. 457, V.
(8) Cahiers, p. 131.
(9) Portraits Littéraires, t. III, p. 546, XVIII.
(10) Cahiers, pp. 40, 55. (11) Cahiers, p. 37.
(12) Cahiers, p. 138.
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LA CONFESSION-DE SAINTE-[BEU,VE 67
ses pas, à recommencer une enquête, à refaire un portrait déjà fait. « Pour comprendre un homme et pour le peindre, j'ai besoin de m'y reprendre jusqu'à deux ou trois fois. Qu'importe... pourvu que j'arrive au but qui est ici la Aéiité » (1). — C'est parce qu'il est curieux enfin qu'il use des méthodes scientifiques, qu'il introduit la physiologie dans la critique (2), qu'il étudie les origines et la race (3), qu'il classe les familles d'esprit : il veut aller le plus loin, le plus haut possible, ne s'arrêter que là où cesse toute explication, là où se dresse le dernier fait, irréductible à tout autre.
Mais on aura remarqué quelle est cette curiosité. Ce n'est pas la curiosité d'un Bayle qui muse et baguenaude en quelque sorte devant toutes choses; ce n'est pas la curiosité de l'érudit qui « recherche toujours sans rien trouver, enfile des éruditions sans les lier, entrevoit sans voir, ne part d'aucun principe et va sans aucun but » (4). Sa curiosité à lui, c'est uniquement la curiosité des choses humaines, la curiosité du moraliste.
Et c'est là, je crois, le dernier mot. La curiosité du moraliste avide du vrai, combinée avec le geût d'un épicurien passionnément voluptueux, mais délicat, unie à cette forme de sensibilité voilée que Sainte-Beuve appelle « chrétienne », c'est bien, me semble-t-il, ce qui caractérise et explique à la fois en lui et l'oeuvre et l'auteur et l'homme.
G. MlCHAUT.
(1) Cahiers, p. 139.
(2) Cahiers, p. 52; Portraits Littéraires, t. III, p. 546, XIX.
(3) Cahiers, pp. 64, 70; Lundis, table, p. 39.
(4) Cahiers, p. 38 ; cf. pp. 25 et 44.
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SAINTE-BEUVE FUT-IL « ENVIEUX »?
II me semble qu'on a pris l'habitude de parler un peu trop facilement de la ce malignité », et même de la ce jalousie » et de T « envie » de Sainte-Beuve. Vous veriez que cette appréciation finira par passer dans les Manuels d'histoire littéraire. On peut lire déjà, vers la fin de l'article, d'ailleurs excellent, que M. Gustave Lanson a écrit sur Sainte-Beuve dans la Grande Encyclopédie :
« .... Il a peut-être un peu trop de joie à constater la faiblesse et les torts de Chateaubriand. C'est le petit côté de Sainte-Beuve : ses échecs de poète et de romancier lui ont laissé de Taigrieur au coeur et un désir inconscient de trouver de petits hommes dans les très grands génies. Cette malignité, cette «jalousie », si Ton veut employer ce mot, il Ta eue à Tégard de Vigny comme de Chateaubriand. Il avait la dent mauvaise, on le voit par ses notes intimes. Il n'a pas rendu une pleine justice, ni de coeur joyeux, à Huge, à Lamartine, à Balzac. »
Soit. Mais d'abord il faut distinguer deux choses qui paraissent ici confondues : la façon dont Sainte-Beuve a jugé les écrivains, et celle dont il a jugé ou dépeint les hommes.
Sur ce dernier point, je suis tenté de l'absoudre immédiatement. Quoi qu'on nous apprenne des grands écrivains, il n'y a pas de quoi
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
nous scandaliser, puisqu'ils furent des hommes et qu'on ne nous en apprendra jamais rien qui ne soit humain, hélas! — Mais à quoi bon révéler leurs faiblesses ou leurs sottises cachées? — A quoi bon? Mais tout cela c'est de la vie, de la vie vraie, et rien n'est plus intéressant que la vie elle-même, fût-ce celle de l'homme le plus vulgaire. Or, il s'agit ici de types éminents de notre espèce. N'aimeriez-vous pas connaître dans le détaitla, vie passionnelle de Racine et de Molière?...
Il serait dommage, à mon avis, que Sainte-Beuve n'eût pas écrit Chateaubriand et son groupe et n'eût pas raconté telle séance de l'Académie où Vigny fut un peu ridicule. C'étaient, comme nous, de pauvres créatures. Pourquoi feindre de l'ignorer? Pourquoi les hommes de génie seraient-ils sacrés? Et puis qu'est-ce qu'un homme de génie? et où le génie commence-t-il?... Ajoutez qu'on ne s'est pas plus gêné avec Sainte-Beuve qu'il ne s'était gêné, par exemple, avec Chateaubriand. On ne nous a rien caché de ses moeurs de Aieux célibataire. Est-ce donc qu'on l'a fait par ce envie » ?
J'aime de tout mon coeur les oeuvres des écrivains illustres, mais je n'éprouve pas le besoin de respecter particulièrement leur personne. — Mais ce sentiment est odieux ! — Hé! non, si je suis d'ailleurs disposé à accorder mon respect à ceux d'entre eux qui le méritent. Il est assez probable que la publication de la correspondance même la plus secrète de Corneille ou de La Bruyère ne les desservirait point : de quoi je me réjouirais sincèrement. Mais enfin, si je veux de la vertu, je sais où la trouver. Ce sera chez tel homme complètement obscur ou chez telle humble femme qui n'a jamais écrit. Je ne l'attends point des grands écrivains (ni des autres) ; et, dès lors, le bien qu'on m'apprendra d'eux me causera un plaisir mêlé d'un peu d'étonnement, mais la découverte de leurs défaillances ne leur fera aucun tort dans mon affection.
Au surplus; M. Lanson, ajoute dans un sentiment d'équité qui ne me surprend pas dé sa part : « II faut reconnaître que si les aigreurs
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et la ••malveillance de Sainte-Berne ont pu lui faire enregistrer le mal avec un plaisir trop évident, elles ne Font pas mené à le supposer à la légère,ni à chercher moins patiemment la vérité. » Donc, absolvons-le.
Reste l'autre point : la prétendue malignité des jugements littéraires de Sainte-Beuve sur les grands écrivains de sa génération, sur ceux qu'iT pouvait appeler ses " camarades ».
Je viens de parcourir de nouveau les Premiers Lundis et les Portraits contemporains. Lamartine jusqu'aux Recueillements, Hugo jusqu'aux Contemplations, Vigny, Musset, Sand, Gautier pour leurs premières oeuvres, sont loués et même glorifiés presque sans réserves, ou ne subissent que des critiques amicales, et qui, aujourd'hui encore, nous semblent justifiées. Même je trouve parfois dans ces études, — sur Nolre-Dame-de-Paris notamment et sur les premiers romans de George Sand, — un excès de louange, qu'expliquait alors la nouveauté des ombrages.
Sur Balzac : seul, Sainte-Beuve est un peu strict, (encore qu'il n'hésite pas à employer le mot de « chef-d'oeuvre » à propos d'Eugénie Grandet). Mais il faut reconnaître que Balzac a des défauts insupportables et qu'on ne peut oublier que par le plus farouche parti pris d'adoration, et qu'il fut lui-même d'une atroce malveillance pour Sainte-Beuve.
Ce qui reste vrai, c'est que ces grands camarades de la première heure, Sainte-Berne les a tous, si j'ose dire, ce lancés », et qu'ils ne le lui ont pas rendu, n'en ayant sans doute pas l'occasion.
Plus tard, il est possible que son admiration pour quelques-uns d'entre eux ait molli, soit qu'ils aient changé, soit qu'il ait changé lui-même. Il se peut aussi que, dans certains cas, un retour sur soi, une comparaison non avouée de son sort avec le leur, ait incliné
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Sainte-Beuve, sinon l'injustice et à la malignité, du moins à une justice un peu avare. Mais' d'abord il n'est pas facile de déterminer dans quelle mesure ce sentiment de « rivalité » secrète a influé sur son jugement. Et, si l'on prétend que, tout impondérable qu'il soit et réduit à ce qu'on veut, cet élément caché de la critique de SainteBerne n'en existe pas moins, et si je finis par accorder qu'on a peutêtre imperceptiblement raison, que de choses, après cela, n'y aurait-il pas à dire là-dessus !
Sainte-Beuve était parti avec les autres pour la gloire. Il avait fait beaucoup pour eux, et ils niaient rien fait pour lui. Il avait levé d'être, lui aussi, un grand poète et un grand romancier. Il avait tenté, dans Joseph Delorme, dans les Pensées d'Août, des vers originaux et une manière neuve. Il avait écrit Volupté, roman singulier et profond, (autrement intéressant, à mon sens, que les Cinq-Mars et même que les Notre-Dame de Paris). Et il était resté en chemin.
Et il était et il se sentait plus intelligent que ces " hommes de génie, » qui presque tous blessaient son geût par l'emphase et le vide de leurs sentiments et de leurs idées, par leur manque de critique, par un certain fond de sottise qui n'est pas incompatible avec la production même de belles oeuvres d'imagination, par leur cabotinage, par leur orgueil ridicule. Modeste lui-même dans ses propos et dans ses écrits, ayant toujours eu d'excellentes « moeurs littéraires », il était d'autant plus offensé par ce charlatanisme et cette boursouflure. Qu'il lui soit arrivé d'en sourire, cela est vraiment excusable (1).
Il ne faut d'ailleurs pas oublier que Sainte-Beuve a cessé d'assez
(1) « En général, dans cette école dont j'ai été depuis la fin de 1827 jusqu'à juillet 1830, ils n'avaient de jugement personne, ni Hugo, ni Vigny, ni Nodier, ni les Deschamps ; je fis un peu comme eux dans ce temps ; je mis mon jugement dans ma poche et me livrai à la fantaisie... Je sentais bien par moments lapais d'alentour; aucun ridicule, aucune exagération ne m'échappait ; mais le talent que je voyais à côté me rendait courage, et je me flattais que les défauts resteraient un peu le secret des familles. Hélas, ils n'ont que trop éclaté à la face de tous... » Etc..
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bonne heure d'être romantique. Son idéal littéraire s'était épuré et, si vous y tenez beaucoup, rétréci. Très réellement, le prophétisme d'un Huge ou l'hystérie d'un Michelet ne pouvaient lui plaire. Et l'on Aeit trop par où Balzac devait le heurter. Quand on le connaît bien, on s'étonne qu'il ait été encore si modéré contre ce qui le choquait si fort.
Enfin il était le contemporain (eti ci je le rappelle à sa décharge) des grands écrivains qu'il jugeait. Il connaissait leurs personnes. Il lui était bien plus malaisé qu'à nous de les vénérer aveuglément. D'autre part, ces grands écrivains étaient en train d'édifier leur oeuvre. Elle n'apparaissait pas encore dans toute sa masse: Hugo, Vigny, Balzac, n'étaient pas encore passés demi-dieux. Il pouvait croire qu'une critique honnête était permise à leur endroit (1).
Si vous avez tout cela présent à l'esprit en parcourant les jugements de Sainte-Beuve sur ses plus illustres contemporains, vous serez frappés comme moi, je l'espère, de son impartialité et de sa modération.
Au surplus, s'il fut un peu rigoureux, pour quelques-uns, je 'ne vous cache pas que, en revanche, il me paraît beaucoup trop admiratif (en dépit de quelques ironies assez douces) pour les Villemain, les Cousin, les Guizot, les Thiers, les Mignet.
Mon impression est que, somme toute, Sainte-Beuve ne fut point un méchant homme, et qu'il fut parfois un bon homme. Il fut exquis pour Desbordes-Valmore, pour les Olivier et pour quelques autres. — Si, à partir d'un certain moment, il fut tiède pour plusieurs des
(1) « Il faut reconnaître que son goût, au fond classique et latin, devait lui grossir certains défauts de ces écrivains de génie et lui voiler quelques-unes de leurs beautés.» (G. Lanson, loc. cit.)
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premiers romantiques (tiédeur qu'il signifia surtout par son silence), il fut parfait pour ceux dont l'intelligence avait quelque analogie avec la sienne, comme Mérimée. Et surtout il fut parfait pour les grands écrivains de la troisième génération du XIXe° siècle, les Taine, les Renan, même les Flaubert; en un mot, pour le groupe critique ou réaliste du second Empire. — C'est, direz-vouss, que l'esprit de cesgroupes ressemblait un peu au sien. — Bien entendu: mais, justement, son admiration ou son estime pour les convives de Magny prouve la sincérité de ses réserves sur des écrivains moins critiques et moins conscients.
Les deux écrits où Sainte-Berne s'est le moins gêné et où il paraît bien avoir dit tout ce qu'il avait sur le coeur, sont les Notes et Pensées du onzième volume des Causeries du Lundi et les Cahiers posthumes. J'y trouve de la franchise, de la clairvoyance, l'amour de la vérité, quelque malice, nulle noirceur.
Il dit dans les Notes et pensées : « Il en est des personnages célèbres comme des choses: la majorité des hommes ne les juge qu'à un certain point de perspective et d'illusion. Est-il bien nécessaire de venir ruiner cette illusion, et de les montrer par le dedans tels qu'ils sont, en leur ouvrant devant tous les entrailles? Je vous le demande, et pourtant je le fais. Je les ai peints assez souvent au point de Arue littéraire et de l'illusion, tels qu'ils voutaient paraître: aujourd'hui, je fais l'autopsie. » Il a bien fait.
En résumé, je ne vois point chez Sainte-Beuve d' «. aigreur » ou d' «envie », mais de très naturels agacements, soit en face de ce qui répugnait trop à son geût, à son tempérament, à sa philosophie, soit devant certains contrastes par trop forts entre les réputations et les hommes, soit enfin devant l'excessive intrusion du hasard dans la
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distribution des renommées. Car, en littérature comme ailleurs, il y y a des « biens de fortune », et le sourire de Sainte-Berne n'est donc, en bien des cas, que le sourire de La Bruyère.
JULES LEMAITRE.
P.-S. — Qu'on .ne m'objecte pas le livre d'amour et la haine personnelle, intime, de Sainte-Beuve contre Hugo. Cela, c'est un cas particulier. Le Livre d'amour est la grande faute de SainteBeuve, son « péché ». Mais un péché n'est pas toute une Aie.
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LA PSYCHOLOGIE ET LA PHILOSOPHIE DE SAINTE-BEUVE
Si Ton entend par philosophie un système construit, lié, conséquent, toujours affirmé, nul n'est moins philosophe que Sainte-Berne. Où trouver un esprit plus ondoyant, plus fuyant, une curiosité plus sympathique aux manières de sentir les plus opposées, mais aussi plus prompte à se dérober, à nous montrer l'envers des choses? Le ce scepticisme essentiel », comme l'explique si bien M. Faguet, ou mieux encore le dilettantisme, selon l'opinion de M. Brunetière, n'est-ce pas la seule philosophie de Sainte-Beuve? On le range d'ordinaire à côté de Bayle, de Montaigne, qu'il déclare ses maîtres. M. Brunetière a montré tout ce qu'il y a de doctrines positiAes, derrière le rideau du pyrrhonisme de Bayle, et Sainte-Beuve lui-même nous avertit, dans son Port-Royal, « du dogmatisme clandestin de Montaigne ». Il rapproche Montaigne de Spinoza; seules, entre eux, les formes de démonstration diffèrent: ce L'appareil, géométrique chez Spinoza, est sceptique chez l'autre. » Par l'examen et le choc des coutumes et des croyances, par contradiction, élimination, réduction à l'absurde, Montaigne a conquis des convictions et des certitudes dérobées. Qu'on relise, pour s'en convaincre, l'apologie de Raymond Sebond.
Et Ton pourrait tenter de même d'écrire un chapitre sur le dog-
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80 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
matisme furtif de Sainte-Beuve. Il ne s'est pas borné à comprendre et à exprimer les idées d'autrui. ce Sainte-Beuve, écrivait Taine, au lendemain de sa mort, a aimé de tout son coeur la vérité Arraie et Ta cherchée de toutes ses forces. » C'est Tépitaphe qui conviendrait peut-être le mieux à sa stèle funéraire.
ce Sans doute, ajoute Taine, Sainte-Beuve n'a jamais exposé un système ; un critique comme lui a peur des affirmations trop vastes et trop précises, et craindrait de froisser la vérité en l'enfermant dans des formules. Mais on pourrait extraire de ses écrits un système complet. Il avait toutes les connaissances de détail qui conduisent aux vues d'ensemble...» A travers son oeuvre, dans sa grande histoire de PortRoyal, à travers les Lundis, dans une foule de petites phrases ou de notes, qui semblent tombées négligemment de sa plume à la manière de Voltaire, on trouvera en raccourci ce une morale, une esthétique, une politique, même une théologie, tout un corps de pensées secrètement unies et soudées, qui, avec celles de Montaigne, de Molière, de La Rochefoucauld, de Hume, de tous les analystes anciens et modernes, composent Tune des deux grandes philosophies toujours vivantes, celle qui, rabattant beaucoup d'espérances, réduit l'homme au souci de son espèce, et n'admet que l'expérience pour établir la vérité. »
C'est de cette infrastructure philosophique, sous tant de changements de surface, que nous voudrions tenter de donner l'esquisse.
I
Premières études médicales et physiologiques : le Globe, la philosophie du XVIIIe siècle, Lamarck. — Dangereuses expériences ; l'article femmes. — Le Cénacle. Période spiritualiste, puis saint-simonienne, velléités catholiques : Cousin, Jouffroy, Volupté, Mme Hugo, Lamennais. — Calvinisme et méthodisme, Port-Royal. — Désillusions et désenchantements : La Rochefoucauld.
« Je suis l'esprit le plus brisé et le plus rompu aux métamorphoses, dit Sainte-BeuAe dans une de ses ce pensées » (1), mais il ajoute: ce J'ai
(1) Portraits Littéraires, 1851, t. II, p. 545.
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LA PSYCHOLOGIE ET LA PHILOSOPHIE DE SAINTE-BEUVE 81
commencé franchement et crûment par le XVIIIe siècle le plus avancé, par Tracy, Daunou, Lamarck et la physiologie ; là est mon fond véritable... »
L'amitié et les conversations de Daunou, son compatriote, l'initièrent, avant même qu'il eut quitté les bancs du collège, à l'esprit du XVIIIe siècle. Il fut présenté par lui à Tracy. Il suivait à l'Athénée des cours de physiologie, de chimie, lisait Cabanis. Etudiant en médecine, il fit pendant une année le service d'externe à l'hôpital Saint-Louis. De cet enseignement anatomique et physiologique, auquel il devait renoncer au bout de trois ans, il tire des notions indispensables à toute psychologie, et étend ses Anes sur l'homme et les phénomènes naturels. 11 se peint dans Joseph Delorme épris de cette sombre et mystique adoration de la nature qui, chez Diderot et d'Holbach, ressemble presque à une religion.
Dans le roman de Volupté (1), il décrira l'impression profonde produite sur Amaury (un autre lui-même) par le cours d'histoire naturelle de Lamarck, au Jardin des plantes, de Lamarck, dans lequel il voit ce le dernier représentant de cette grande école de physiciens et observateurs généraux, qui avait régné depuis Thaïes et Démocrite jusqu'à Buffon » et qui nous apparaît aujourd'hui comme le précurseur de Darwin et de Haeckel, le fondateur de la théorie transformiste selon laquelle « le génie de l'Univers n'est qu'une longue patience aveugle ».
Il fit ses débuts littéraires au journal le Globe, en 1824, et s'associait à la campagne contre Tultramontanisme.
Mais Sainte-Beuve rattache à d'autres causes ses premières tendances vers une philosophie désenchantée et désabusée. Il remar(1)
remar(1)
(2) Volupté, p. 136.
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quera (1) que la croyance au christianisme et même la métaphysique théiste ont deux ennemis : Pan, c'est-à-dire l'esprit libre, qui interroge la nature, et Priape, les moeurs relâchées.
Il soumettait d'ordinaire tous les modèles qu'il faisait poser devant lui à ce questionnaire : « Que pense-t-il en religion ? Comment est-il affecté du spectacle de la nature ? Comment se comporle-t-il sur l'article femmes? Or, selon Sainte-Beuve, un lien intime et secret relie les opinions religieuses, les idées philosophiques et l'article femmes. « Comme Salomon et comme Épicure, j'ai pénétré dans la philosophie par le plaisir, cela vaut mieux que d'y arriver péniblement par la logique, comme Hegel et comme Spinoza. »
« La volupté, on l'a remarqué, écrit-il encore (2), est un grand agent de dissolution pour l'a foi, et elle inocule plus ou moins le scepticisme. La vague tristesse, a-t-on dit, qui sort et s'exhale comme un parfum de mort du sein des plaisirs, cette lassitude énervante et découragée n'est pas seulement un trouble pour ce qui est du sentiment, elle réagit aussi sur la chaîne des idées. Le principe de certitude en nous se trouve à la longue éteint et déconcerté. Il y a dériA^atif à l'austérité des croyances. » C'est à la rectitude de leur manière de vivre que Sainte-Beuve attribuera la force des convictions, voire même l'esprit systématique chez Proudhon, Taine et Littré (3). Le profond instinct psychologique de Sainte-Beuve rapproche ainsi l'intellectualisme, si indépendant en apparence, de la vie affecTUe.
Parlant, en 1833, de la Confession d'un Enfant du siècle, il décrit sur un ton plus romantique : « la plaie hideuse, profonde, longtemps
(1) Port-Royal, t. II, p. 480, note.
(2) Proudhon, p. 102, 1865.
(3) Cette théorie ou plutôt cette insinuation de Sainte-Beuve est contredite par l'exemple de Bayle, si peu systématique, si libre de langage et pourtant si réglé dans ses moeurs.
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LA PSYCHOLOGIE ET LA PHILOSOPHIE DE SAINTE-BEUVE 83
incurable, que laissent au fond du coeur et sous l'apparence de guérison, la débauche et la connaissance affreuse qu'elle donne de toutes choses. » Ces horribles vérités, Sainte-Beuve les compare à « des noyés liAides ».
Mais il n'eut qu'un penchant très éphémère pour le matérialisme. M. Guizot définissait le Joseph Delorme de Sainte-Beuve : un Werther jacobin et carabin. Sainte-Beuve ne dépassa jamais les Girondins et prit bientôt congé de l'esprit « carabin ». Introduit, en 1827, dans le Cénacle par l'amitié d'Hugo, il subit l'influence du milieu romantique, catholique et royaliste. La Mettrie(l) et Cabanis ne le satisfont plus : ce Ces deux physiologistes n'apprécient pas dans l'homme « cette force souveraine et profonde que lui donne la Aie de l'âme ». Cette demi-conversion de Sainte-Berne, qui le conduira au seuil du catholicisme, se rattache à la logique des sentiments. Une passion du coeur va succéder à la multiplicité des expériences scabreuses : « Je n'ai jamais aliéné ma volonté et mon jugement que dans le monde de Hugo et par l'effet d'un charme. »
En 1828, il suit les leçons que Jouffroy fait dans sa petite chambre de la rue Saint-Honoré. Il assiste avec joie au cours de Cousin. Dans les lettres adressées, à cette date, à son ami Loudierre, il loue Cousin « d'avoir accepté une dernière fois la lutte en face de Broussais, de Daunou et de cette coriace philosophie dite sensualiste... (2) coalisée avec le catholicisme et les moqueurs scep(I)
scep(I) J'aime, dira-t-il, que Diderot reproche à La Mettrie de n'avoir pas les premières idées des fondemens de la morale. » Parlant de Sylvain Maréchal, l'enfant perdu de la philosophie du XVIIIe siècle, l'auteur du Dictionnaire des Athées, qui fut un des précurseurs de Sainte-Beuve à la bibliothèque Mazarine, il écrira : « Il fallut désinfecter la place. » Nul mieux que Sainte-Beuve, justement parce qu'il a exploré les basfonds de notre nature, n'est capable de sentir et d'exposer toutes les délicatesses des esprits et des âmes. Physiologie et poésie, c'est sa devise.
(2) Notons ici avec M. Troubat, dans ses Souvenirs et indiscrétions, que Sainte-Beuve emploie ici le mot sensualistes, qu'il reprochera plus tard à Cousin comme un dénigrement systématique de l'école adverse : le terme exact eût été sensationniste.
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84 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
tiques... Ce sera le dernier coup décisif, et je me promets bien d'applaudir au résultat; car, en vérité, ces vieilles gens sont incorrigibles et harcelans, et, par la physiologie et la médecine, ils pourraient gagner nos spirituels philosophes... »
Si le panthéisme de Diderot lui semble insuffisant, l'éclectisme n'est pas longtemps pour le satisfaire. Au lendemain de 1830, il considère le rôle du spiritualisme éclectique comme déjà terminé, car cette révolution ce a donné un démenti à cette opinion que l'avenir de l'humanité est dans le christianisme et dans la Charte en dehors de laquelle M. Cousin ne pouvait rien concevoir pour l'espèce humaine. »
Sainte-Beuve se laisse quelque temps séduire par le Saint-Simonisme. Il s'approche du lard, mais ne se laisse pas prendre à la ratière. C'est du point de vue saint-simonien qu'il critique le cours de Jouffroy, successeur de Cousin dans la chaire d'histoire de la philosophie moderne., Les trois articles qu'il lui consacre dans le Globe, de décembre 1830 à janvier 1831, forment la plus |longue dissertation qu'il ait écrite sur un sujet philosophique. Plus d'un argument fait penser aux Philosophes du XIXe siècle; mais Sainte-Beuve se montre moins sévère que Taine en 1857, lorsqu'il prit si fortement à partie l'enseignement officiel :
Le spiritualisme prétend à la valeur de la science. Ce n'est pas du tout en nous plaçant au point de vue de la matière que nous le combattrons; nous ne ferions que laisser une abstraction pour une autre. On cache l'homme vivant sous de mystiques abstractions. Il faut rester dans le réel, dans l'unité de substance et d'esprit.
Sainte-Beuve combat donc cette dualité, l'admettre c'est ne rien comprendre à la nature humaine. Comme si l'homme n'était pas intelligence, âme et corps, corps et âme : ce Par malheur l'âme se trouve, relativement au corps, dans la position d'un voyageur
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LA PSYCHOLOGIE ET LA PHILOSOPHIE DE SAINTE-BEUVE 85
dévalisé que des voleurs ont attaché sur son cheval au rebours, la tête du cavalier tournée vers la queue de la monture : si la monture n'est pas une haridelle ou n'a pas été matée par un long jeûne, le pauvre cavalier n'en peut venir à bout... » Mais pourquoi M. Jouffroy s'est-il résigné si douloureusement à ce point de vue ascétique, pourquoi n'a-t-il pas secoué davantage le joug de l'ancien dogme, lui qui, en 1824, exposait si pathétiquement COMMENT LES DOGMES FINISSENT? Jouffroy et ses disciples ne paraissent à Sainte-Beuve que des gens tristes et solitaires, sortis d'un christianisme philosophique, d'où la foi et la vie ont disparu. « Si vous voulez, leur dit-il, découvrir les grands aspects des rêves et des aspirations de l'humanité, à travers son développement historique, sortez des jardins philosophiques, de la contemplation de votre moi, et ouvrez les yeux devant les Védas, les Évangiles, le Coran, les Pères et les docteurs... tous les grands livres de la destinée humaine. »
Et dans un dernier article sur Jouffroy (décembre 1833), il prendra, pour ainsi dire, définitivement congé de la philosophie, du moins de cette philosophie éclectique, « faite de pièces et de morceaux », qui croit pouvoir résoudre, au gré de nos désirs, les questions suprêmes :
ce Et puis nous l'avouerons, comme science, la philosophie nous affecte de moins en moins; qu'il nous suffise d'y voir toujours un noble et nécessaire exercice, une gymnastique de la pensée que doit pratiquer, pendant un temps, toute vigoureuse jeunesse. La philosophie est perpétuellement à recommencer et elle est bonne en cela, c'est une exploration vers les hauts lieux, loin des objets voisins qui offusquent, elle replace sur nos têtes, à leur vrai point, les questions éternelles, mais elle ne les résoud et ne les rapproche pas... Dans la prétention principale qui la constitue et qui s'adresse à l'abîme infini du ciel, la philosophie n'aboutit pas. »
ce La philosophie, dira-t-il encore à propos du projet Aite aban-
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donné de Renan (1) de s'y adonner, la philosophie est une vocation et une originalité comme la poésie. » Et commentant le mot de Renan : « Si j'étais né pour être chef d'école, j'aurais eu un travers singulier, je n'aurais aimé que ceux de mes disciples qui se seraient séparés de moi, » Sainte-Berne ajoute :
ce L'enseignement philosophique, en effet, s'il n'est pas la démonstration obligée d'une sorte de catéchisme philosophique, dont les articles, posés à l'avance, sont réputés irréfutables, ne saurait être qu'une provocation et une excitation à une recherche incessante qui, dès lors, amène avec elle ce qu'elle peut, et n'exclut rien de ce qu'elle trouve (2). »
Les années de 1832 à 1837 furent les plus heureuses de la vie de Sainte-Berne, celles de sa liaison avec Mme Hugo, qui amenait «une suspension, un oubli de l'esprit critique. » Sainte-Beuve éprouve un attrait vers le catholicisme, il fréquente Lamennais. Il décrira dans Volupté (1834) son âme « mobile et peu ancrée » ou du moins qui chasse sur ses ancres. Rappelant et calomniant sans doute cette période sentimentale, dans une lettre à Mme Hortense Allart de Méritera (12 juillet 1863), il disait :
« J'ai fait un peu de mythologie chrétienne en mon temps : elle s'est évanouie. C'était pour moi comme le cygne de Léda, un moyen d'arriver aux belles et de filer un plus tendre amour. La jeunesse a du temps et se sert de tout. »
En 1837, à Lausanne, il côtoie le calvinisme et le méthodisme dans ses leçons sur Port-Royal. Puis il s'en lasse et s'en déprend.
(1) Nouveaux Lundis, t. II, p. 392, 1863.
(2) Lorsqu'en 1863 le cours de philosophie était rétabli dans les lycées, et que celte restitution était saluée comme un progrès, comme un retour au bien, Sainte-Beuve ajoutait : « Un tel enseignement n'est bon qu'en tant qu'il produit des contradicteurs; et encore vaudrait-il bien mieux se passer de certaines questions que de les poser. »
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Enfin vers 1840, Sainte-Beuve âgé de trente-six ans, après nombre de croisements et de conflits en tout sens, après avoir traversé les nuances de sensibilité les plus diverses, ce assiste, d'un oeil contristé, à la mort de son coeur. » Alors commencent les années de maturité, de compromis et d'empirisme (1). Nous en avons fini avec les demiconversions philosophiques ou religieuses. L'article sur La Rochefoucauld (15 janvier 1840), inséré au milieu des Portraits de femmes, indique, de son propre aveu, une date dans sa vie intellectuelle, un retour décisif aux idées de 1826.
II
Étude des caractères humains : franc arbitre, faculté dominante, familles, groupes d'esprits. — La psychologie et l'histoire.
Essayons donc d'exposer la philosophie dernière, et tout d'abord, ce qui est le plus important, la psychologie et la méthode de Sainte-Beuve.
La critique littéraire n'est pas seulement affaire de goût, d'érudition : c'est avant tout, pour Sainte-Beuve, un moyen d'étudier les hommes, car, selon le mot de Grimm : « La littérature ne se sépare pas du monde et de la vie. » Elle est l'émanation des âmes à travers les écrits.
L'âme est autre chose qu'un pur esprit. Le critique doit définir, raconter l'homme même, ce depuis la pointe des cheveux jusqu'au bout des ongles ». ce Sainte-Beuve, écrit M. de Vogüé, est un furet de physiologie. »
L'homme qu'il nous faut connaître dans son tempérament, dans sa manière de vivre, dans ses habitudes de chaque jour, n'est
(1) Sainte-Beuve avant les Lundis, par M. G. Michaut. Fontemoing, 1903.
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jamais isolé. On devra l'étudier dans ses ascendants, dans ce qu'on peut connaître de sa parenté immédiate et prochaine, père, mère, soeurs, enfants, dans son éducation première, son milieu et son groupe, à travers les modifications de l'âge, des influences sociales...
Nous avons déjà cité en partie le questionnaire de Sainte-Beuve, transcrivons-le dans son entier :
ce Que pensait-il (ou elle) en religion? — Comment était-il affecté du spectacle de la nature? — Comment se comportait-il sur l'article femmes? — Sur l'article argent? — Était-il riche ou était-il pauvre? — Quel était son régime? — Quelle était sa manière journalière de vivre? — Enfin quel était son vice ou son faible? tout homme en a un. »
Grands, généreux, vaillants, tout en dehors et nobles de coeur, les personnages de Corneille, remarque Sainte-Beuve, ce ont tous sans cesse à la bouche des maximes auxquelles ils rangent leur Aie, et comme ils ne s'en écartent jamais, on n'a pas de peine à les saisir, un coup d'oeil suffit ; c'est presque le contraire des personnages de Shakespeare et des caractères humains en cette Aie. »
Bien avant que les psychologues de profession nous aient parlé de la pluralité du moi, Sainte-Beuve saisit et décrit les aspects bizarres, multiples, contradictoires de ses modèles. « S'il aborde M"' Roland, il voit d'un coup d'oeil vingt Mme Roland, la bourgeoise Phlipon, l'héroïne de Corneille, la passionnée, la platonique, la femme de Aérité et le personnage théâtral (1) »
L'homme moral est très complexe, il a ce qu'on nomme liberté, et qui, dans tous les cas, suppose une grande mobilité de combinaisons possibles. Mais Sainte-Beuve croit plus à ces combinaisons qu'au franc arbitre. A propos de Casanova de Seingalt il écrit : ce Sauf un petit nombre d'exceptions mystérieuses et de véritables
(1) Philarète Chasles, Mémoires, p. 241.
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monstruosités morales, l'homme est libre, bien que plus ou moins enclin ici ou là; il peut lutter, bien qu'il lutte trop peu. » Mais SainteBeuve, selon son habitude, corrige et retouche, dans une petite note, l'affirmation trop nette : « Je ne réponds pas de la rigoureuse exactitude de cette manière de voir et de dire; je ne parlais là qu'en littérature, et d'après l'opinion spécieuse, généralement reçue. »
C'est sans doute une illusion de se juger libre. L'homme se pousse et se porte du côté où il sent que sa faculté secrète peut trouver jour et se développer; il croit la suivre par choix, elle le mène où il doit aller. « L'esprit humain, en définitive, ne.fait jamais que ce qu'il est obligé et mis en demeure de faire. » Bossuet, avec ses dons d'orateur, prendra pour les développer des lieux communs autour de lui, et ne sera jamais tourmenté par le doute... « Un esprit à parole difficile, comme Hegel, ou rare, comme Sieyès, s'ingénie, cherche midi à quatorze heures, » édifie des systèmes ou élabore des constitutions.
On oublie trop, dira-t-il encore, en traitant soit avec les nations, soit avec les individus, ce qui est du fond de leur caractère, c'est quelque chose d'inéluctable et de fatal. Le caractère d'une nation, modifiable très lentement à travers les siècles, toujours très particulier (1), est moins changeable encore que celui d'un individu, lequel lui-même ne change guère.
Ce caractère contient des éléments disparates; ce que Pope appelle la passion dominante, Taine la faculté maîtresse, en sera la marque distinctive : « Dans l'étude du caractère, f'injecte de mon
(1) « O France! patrie des idoles, qui les détruis et les refais sans cesse... Oh! qu'il serait bon d'y introduire seulement une part de modération, un coin de bon sens et de vérité .. »
« En France, il est honorable d'être mauvais sujet. — En France, il est méritoire d'avoir fait appel toute sa vie à la guerre civile. — En France, il est indifférent d'être ignorant et voué aux lieux communs, pourvu qu'on soit éloquent. »
SAINTE-BEUVE, Cahiers. 12
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90 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
mieux, pour dessiner aux regards la veine ou l'artère principale. »
Grâce à ce trait principal, on distingue des groupes d'écrivains, les proches et les contraires. Il y a ceux qui présentent des analogies et des ressemblances, un certain air de famille auquel on ne peut se méprendre. Saint François de Sales, dont l'Introduction à la vie dévote parut en T 608, rappelle M, de Lamartine et ses Méditations poétiques; même succès mondain, religieux, sentimental, né de circonstances à peu près pareilles. — Mme de Sévigné, Mme de La Fayette, Mme Roland sembleront inégalement aimables ; mais chez elles règne au même degré une solide, une saine, une parfaite raison.
Marquons ensuite les oppositions et les contrastes. Après Tocqueville ce au coeur oppressé et frémissant », Sainte-Beuve recommande la lecture d'une notice sur le grand mathématicien Lagrange. En regard de Vigny « penseur contemplatif ou chercheur solitaire, amant de l'idéal » placez Benjamin Constant, La Bruyère, La Rochefoucauld, les observateurs réalistes des faiblesses et des ridicules. L'historien proprement dit, le narrateur qui ne cherche que la couleur et la variété des faits, est à l'opposé du philosophe, lequel ramène tout à l'unité et n'aime pas que les faits viennent déranger ses raisonnements : « Monsieur, disait Royer-Collard, il n'y a rien de plus méprisable qu'un fait. » Voltaire se montre bien à tort dédaigneux de Guy Patin, esprit à bâtons rompus, qui n'abonde pas en idées générales.
Dans Port-Royal Sainte-Beuve a ressuscité tout un monde : il a fait l'histoire morale, biographique, historique, philosophique d'une secte religieuse, sans jamais perdre de vue les individus, rapprochés, différenciés, nuancés à l'infini.
A s'en tenir aux traits généraux et dominants, on peut donc discerner des familles naturelles des esprits. Ces familles véritables ne sont pas si nombreuses : quand on a un peu opéré, et sur des quantités suffisantes, on reconnaît que les natures diverses d'esprit,
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d'origine, se rapportent à certains types, à certains chefs principaux. Il en est de même en botanique pour les plantes, en zoologie pour les espèces animales. Mais cette étude morale des caractères en est encore à l'état de la botanique avant Jussieu, de Tanatomie comparée avant Cuvier. Quelque jour viendra un grand observateur et classificateur naturel des esprits, et la science sera constituée. Son oeuvre à lui Sainte-Beuve est plus simple, ce elle consiste à préparer les élémens et à bien décrire les individus en les important à leur vrai type. »
Est-ce à dire qu'on puisse arriver pour l'homme à la même précision qu'en histoire naturelle? Que de variété, de différences d'homme à homme, ou dans une même famille, dans un même groupe soumis aux mêmes conditions intrinsèques ou extérieures ! Quel homme n'est pas une énigme? et comment en connaître jamais le dernier mot? Comment vuloir déterminer avec rigueur, ainsi qu'a tenté de le faire Taine, les conditions (race, moment, milieu) au sein desquelles nécessairement éclosent les génies. Sans doute, le génie n'opère pas en l'air et dans le vide ; mais on n'en saurait démêler toutes les causes. La parcelle divine reste inexpliquée, inexplicable. Le problème, dans ses conditions dernières, est insoluble; nous devons nous contenter d'une approximation.
Le critique lui-même est sujet à des variations. Son détachement intellectuel n'est jamais parfait : Tamour-propre joue son rôle. Ce qui nous a paru vrai dans un temps peut ensuite nous sembler faux. Chateaubriand, tel que Sainte-Beuve le peignait dans le salon de Mme Récamier, n'est plus le même Chateaubriand qu'il disséquait à l'Université de Liège : « Nous sommes des êtres mobiles et nous jugeons des êtres mobiles. » Nul ne justifie mieux que Sainte-Beuve cette épigraphe empruntée à Sénac de Meilhan, qu'il a inscrite au commencement de ses Portraits contemporains.
Ainsi l'homme ne peut se flatter d'atteindre la réalité, le fond
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même des choses, pas plus en psychologie qu'en histoire qui n'est qu'une psychologie en action. Sainte-Beuve croit volontiers à des lois supérieures, mais aussi à notre profonde insuffisance pour les saisir. Les principes auraient pu courir et se heurter de bien des manières. Les historiens sont trop épris de raison ; ils veulent la discerner après coup et la mettre dans les événements mêmes. Cependant une certaine folie n'est pas étrangère à l'homme. Il arrive bien souvent que l'idée qui triomphe est une folie pure ; mais dès que cette folie a éclaté, le bon sens de chacun s'y loge insensiblement.
Que devons-nous penser dès lors de la théorie du progrès ? Progrès et décadence ne sauraient être pris au sens absolu. Sainte-Beuve n'a pas grande confiance dans la bonté de la nature humaine ; Machiavel, Hobbes et La Rochefoucauld ont peint l'homme tel qu'il est. Les Maximes vivront autant que la nature humaine ; contre les Maximes elle aura jusqu'à la fin à se débattre. — Quant à la bonté de l'institution sociale, dès qu'on pénètre un peu sous le voile de la société, ce ne sont que guerres, luttes, destructions et recompositions sans fin...
Au début de l'étude qu'il a consacrée au général Jomini, SainteBeuve décrit l'évolution de la guerre. La guerre fut à l'origine l'état normal des sociétés. A travers bien des rechutes, la pensée pacifique, depuis un ou deux siècles, n'a cessé de faire des progrès- On peut prévoir le jour où la paix deviendra la loi commune : nous sommes déjà à mi-chemin. Ces vues consolantes, Sainte-Beuve les exprimait dans les derniers articles qu'il ait écrits, en 1869, à la veille de Vannée terrible. 11 se montrait prophète plus immédiat, lorsqu'en janvier 1848, il notait la pensée suivante dans ses carnets : « Un jour viendra où la nation corrompue au-dedans, énervée par ses moeurs pacifiques et gorgée de sophismes philanthropiques, se trouvera en face d'un ennemi armé, puissant, égoïste Comment soutiendrâ-t-elle cette lutte formidable ?»
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Sainte-Beuve se garde, on le voit, de tout système. « Un système est un pieu où attacher la chèvre. » Le génie critique est au rebours du g'énie philosophique. De la philosophie du XVIIIe siècle il n'accepte que les résultats négatifs, sans conserver aucune des illusions dont vivait cette philosophie, ni la confiance en la raison, ni l'assurance en la bonté de la nature humaine, ni la foi au progrès. Il écarte toute polémique, La vraie philosophie n'est ni discuteuse ni prêcheuse.
A ces philosophes métaphysiques et superfins qui se plaisent à raisonner sur le moi et sur le non moi, Sainte-Beuve préfère les philosophes naturels de la famille de Gil Blas, qui voient, peignent et prennent le monde tel qu'il est.
III
Le christianisme et la science. Montaigne, Pascal et Buffon. Sainte-Beuve et Guizot. — Scientificisme final. — Sainte-Beuve défenseur de la libre-pensée au Sénat.
Empirisme, monisme, évolutionnisme, déterminisme et agnosticisme dans l'oeuvre de Sainte-Beuve.
Sans verser dans la métaphysique, Sainte-Beuve s'est élevé un peu plus haut que la philosophie de Gil Blas, à une conception générale du monde. C'est dans Port-Royal, achevé en mars 1866, qu'il nous laissera entrevoir, surtout dans les notes, le retour aux idées de Lamarck. Il opposera, sans la diminuer, ni la partager en rien, d'une part « la grandeur et la folie chrétiennes » et, d'autre part, l'idée de l'Univers telle que la suggèrent les seules données de la science. Toutefois il ne pose pas l'antithèse et le conflit sous forme d'abstraction, il lui donne corps et figure. Pascal et Montaigne symbolisent avec âme, esprit supérieur, les deux aspects de la vie essentiels et contradictoires qui ont rempli de longues périodes
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de l'histoire humaine : l'un qui met dans l'au-delà le centre de gravité de la pensée et des sentiments, l'autre qui incite l'homme à s'enfermer dans le cercle étroit de cette vie mortelle.
Mais la nature ne nous apparaît plus clémente comme au temps des Grecs :
« Un grand ciel morne, un profond univers roulant, muet, inconnu, « où, de temps en temps, par places et par phases s'assemble, se pro« duit et se renouvelle la vie ; l'homme éclosant un moment, brillant et « mourant avec les mille insectes, sur cette île d'herbe flottante, dans « un marais ; voilà, mathématiques ou pyrrhonisme de forme à part, « la grande solution suprême. Tout ce que Montaigne y a prodigué « de riant et de flatteur au regard, n'est que pour faire rideau à « l'abîme, et, comme il le dirait, pour gazonner la tombe. »
La science ne nous laisse point d'autre perspective. L'objection contre le fond des idées de Pascal n'est pas, d'ailleurs, par anticipation dans Montaigne, « il n'est pas dans Voltaire, d'Alembert, Condorcet : le réfutateur le plus puissant du XVIIIe siècle, que l'on ne nomme jamais, c'est Buffon », c'est la sience de la nature aux antipodes du point de vue chrétien. Sur le seuil de cette philosophie qui n'est que le prolongement de la science, il faut écrire comme sur la porte de l'Enfer de Dante : « Vous qui entrez, quittez toute espérance. »
Assurément la pensée de l'irrémédiable naufrage ne doit pas empêcher l'homme de mettre un peu d'ordre sur le navire. La vie, dit encore Sainte-Beuve, est une partie qu'il faut toujours perdre : il ne s'ensuit point qu'il ne faille pas la jouer de son mieux et la perdre le plus tard possible. Cette vie tend, ici et là, à devenir meilleure, bien que l'humanité soit exposée au fléau de la nature et à l'incurie de ses guides. Sainte-Beuve, lorsqu'il parle de Saint-Simon et de Proudhon, ne s'exalte pas dans des anticipations d'avenir.
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Dans la belle étude consacrée aux Méditations de M. Guizot Sur l'essence de la religion chrétienne (1), il revient à cette opposition de la foi et de la science, en mettant, cette fois, en présence M. Guizot, c'est-à-dire le spiritualiste chrétien, et Sainte-Beuve même, Sainte-Beuve sous les traits d'un homme de science pure.
Le penseur, adonné aux rigoureuses méthodes, cherche dans les sciences les seules données probables sur la nature et les origines de l'homme. Il doute, il examine, il pèse les preuves. Le sentiment est peu satisfait par cette destruction qui est la loi perpétuelle .de la nature, par ces hécatombes qu'elle exige, par cette lutte pour la vie qui sévit partout dans le monde, et où le faible toujours est écrasé par le fort. Les sociétés les plus civilisées tendent, il est vrai, à se faire protectrices de leurs membres, mais la nature reste dure et implacable. — L'homme de science connaît aussi la loi des coeurs, et le peu qu'il faut en attendre, même en échange des bienfaits, sauf quelques exceptions heureuses. — Enfin la triste mort est au bout, le déclin, l'ombre et la nuit, " Au lieu de vainqueurs qui courent le flambeau à la main, je ne vois que des naufragés qui se succèdent. » — La philosophie cherche à arranger tout cela. L'homme se fait à lui-même son propre écho. Il se paie de mots trompeurs : Nunina, nomina. Mais celui qui s'appuie sur la science poursuit le vrai seul, sans y ajouter. Il n'accorde rien aux préjugés, aux conventions, aux honneurs, aux devoirs, car Sainte-Beuve le suppose sans famille, sans enfants, dans la solitude de son laboratoire, entouré de livres et de cornues, de squelettes comme le vieux Faust, un Faust privé des secours du diable ; ou encore dans ce. cadre où Albert Durer a placé sa Melancholia, au milieu des compas et des boussoles mais aucun arc-en-ciel n'éclaire l'horizon. — De tels hommes dorment peu : le doux oreiller de Montaigne serait plutôt pour eux un
(1) Nouveaux Lundis, l, IX, 14 novembre 1864.
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oreiller d'épines, et ils se passent, dans leurs veilles et dans leurs songes, du besoin d'être amusés et consolés.
« J'ai beaucoup joui et rêvé dans ma vie; arrivé au terme, je pense. » La pensée de Sainte-Beuve suit, de plus en plus, la pente que nous venons d'indiquer. A Louis Viardot, en réponse à une Apologie d'un incrédule que celui-ci lui avait envoyée, Sainte-Beuve répond (1) :
« La création serait le premier des miracles. L'éternité du monde, une fois admise, tout s'en déduit. La fatalité des lois est une consolation pour qui réfléchit, autant et plus qu'une tristesse. On se soumet avec gravité. Cette gravité respectueuse et muette de l'homme qui pense est, à sa manière, une religion, un hommage rendu à la majesté de l'Univers. Nos désirs, éphémères qu'ils sont et contradictoires, ne prouvent rien : ce sont des nuages qui s'entrechoquent au gré des vents, mais Tordre sidéral plane et règne au-dessus. Vous êtes, mon cher ami, de la religion de Démocrite, d'Aristote, d'Epicure, de Lucrèce, de Sénèque, de Spinoza, de Buffon, de Diderot, de Goethe, de Humboldt... C'est une assez bonne compagnie. »
Et dans une autre lettre, presque de la même date, à M. Albert Collignon, qui lui exposait le point de vue catholique libéral, SainteBeuve écrit :
« Je comprends très bien la théorie sociale qui fait d'un peuple sans religion un peuple en décadence, mais ici la question 'est autre, on n'est plus libre; Qu'on en gémisse ou non, la foi s'en est allée ; la science, quoi qu'on en dise, la ruine. Il n'y a plus, pour les esprits vigoureux et sensés, nourris de l'histoire, armés de la critique, studieux des sciences naturelles, il n'y a plus moyen de croire |aux vieilles histoires et aux vieilles Bibles...
« Il se crée lentement une morale et une justice à base nouvelle, non moins solide que par le passé, plus solide même, parce qu'il n'y entre rien des craintes puériles de l'enfance. Cessons donc le plus tôt possible, hommes et femmes, d'être des enfants. »
(1) 17 avril 1867.
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Avec Sainte-Beuve, on rencontre toujours l'atténuation, le correctif, l'envers de la médaille. Une lettre adressée à Taine quelques mois après (2 novembre 1867), tempère les grandes espérances que l'on pourrait concevoir touchant l'avènement prochain de la morale et de la justice scientifiques :
« Je n'ai pas, écrit Sainte-Beuve, de l'humanité elle-même, une idée aussi optimiste que je le vois chez la plupart de ces moralistes naturels (Aristote, Cicéron, Marc-Aurèle) ; je suis beaucoup plus frappé des misères, imperfections, vices, grossièretés animales dont on s'imagine trop vite triompher. Cette morale naturelle, dont je désire l'avènement et qui, dans l'antiquité, a été le lot d'une élite, me paraît bien peu avancée chez les modernes, surtout si l'on considère la masse (alcoolisme, corruption républicaine)... Je vois partout des animalités et des brutalités qui me découragent, et qui ajournent mon espoir de triomphe de cette moralité saine et scientifique; je me borne à l'admirer et à la révérer en quelques-uns. »
Le bon sens chez Sainte-Beuve ramène au point exact « la saine et scientifique morale ».
Sainte-Beuve, ce libre esprit, s'est laissé cependant dans les trois dernières années de sa vie, de 1867 à 1869, attirer et engager dans un parti. Les circonstances ont fait de lui, au Sénat impérial, un défenseur de la libre-pensée contre les usurpations dites cléricales et contre la tendance à hispaniser la France. En cela, certes, SainteBeuve défendait sa propre cause. Il n'aurait pu vivre un seul jour sous un régime de compression intellectuelle.
Mais, s'il revendiquait la liberté de penser, il se défendait d'attenter à la liberté de croire. Dans la lettre à Albert Collignon que nous venons de citer, il demande expressément que l'on laisse aux croyances environnantes toute liberté et sécurité.
Et si maintenant nous'cherchons à saisir et à surprendre ce qu'on pourrait appeler la philosophie du fuyant Sainte-Beuve, toujours
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soucieux de se dérober à travers les fluctuations et les nuances, nous constatons à quel point cette philosophie dépasse le rationalisme étroit du XVIIIe siècle, à quel point elle s'appuie sur toutes les conquêtes intellectuelles du XIXe siècle. Sur l'empirisme tout d'abord, sur l'observation passionnément exacte des faits dans le plus minutieux détail, sans jamais perdre le sens de la complexité même des individus vivants, pour s'élever ensuite à des vues d'ensemble.
Cette philosophie de Sainte-Beuve, fondée sur l'empirisme, est essentiellement moniste : elle écarte le dualisme de Dieu et de la nature, du corps et de l'âme, de la force et de la matière.
Elle est évolutionniste. Tout, en nous et autour de nous, est soumis à la loi du devenir perpétuel. Bien de fixe dans la vie fugitive : « La nature, dit Goethe, a attaché sa malédiction à l'immobilité. » Les sciences physiques et naturelles dans leurs parties hypothétiques, se font et se défont sans cesse : même changement en histoire, en littérature, bien que la mode et le caprice s'y mêlent davantage.
Sainte-Beuve ne nous peint pas un portrait de ses personnages, mais bien des figures mouvantes qui se modifient avec les années, les circonstances. —Il n'y a pas d'idées, mais des faits, dont les idées ne font que refléter les aspects changeants ; pas de religion, mais des religions; pas de morale, mais des moeurs. Vous trouverez dans Sainte-Beuve des pages sur l'évolution de l'idée de Dieu (1), sur l'évolution du Christ (2), sur l'évolution de la guerre (3). Toute son oeuvre est consacrée à suivre dans ses sinuosités innombrables l'évolution des esprits..
Cette évolution est soumise à un déterminisme absolu. Mais les causes antécédentes sont si obscures et enchevêtrées que nous sommes inhabiles à les saisir exactement. C'est en cela que Sainte(1)
Sainte(1) à propos du P. Harduin.
(2) Proudhon, p. 316.
(3) Au début du Général JominL
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LA PSYCHOLOGIE ET LA PHILOSOPHIE DE SAINTE-BEUVE 99
Beuve diffère de Taine, plus confiant en matière de démonstrations et de preuves.
La philosophie de Sainte-Beuve aboutit à l'agnosticisme. Nous ne pouvons nous flatter de fixer la formule d'un esprit, le dernier mot d'un caractère, comment arriverions-nous à découvrir le dernier mot des choses? « L'homme n'est qu'une illusion des plus fugitives au sein de l'illusion infinie. » Telle est la conclusion « bouddhiste » de l'histoire de Port-Royal et de la pensée de SainteBeuve.
Sainte-Beuve s'est.appliqué à comprendre et à décrire merveilleusement ces « illusions » dans leur variété et leurs moindres reflets. Nous devons, avec Taine, lui rendre ce témoignage qu'il a ajouté à la connaissance de l'homme, et qu'en France et au XIXe siècle, il fut un des cinq ou six serviteurs les plus utiles de l'esprit humain.
J. BOURDEAU.
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LES CRITIQUES DE 1830
Mil huit cent trente aura été une des grandes dates du XIXe siècle, peut-être la plus grande. Mettons de côté la politique. Ainsi nous ne parlerons pas de la révolution des Trois Jours, laquelle a été pourtant le signal de la liberté reconquise. Quel merveilleux rayonnement intellectuel nos pères ont vu se révéler à cette époque ! C'a été d'abord une sorte de duel encore sans exemple, cette mémorable dispute scientifique entre deux hommes de génie, Georges Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Vous savez que ce spectacle tenait attentive toute l'Europe savante. En même temps, introduisant dans la science une nouvelle méthode d'investigation, les deux frères Augustin et Amédée Thierry faisaient voir combien il était urgent de réformer l'étude de l'histoire.
Dès ce jour, notre France allait voir apparaître MM. Thiers, Mignet, de Barante, Michelet, Vitet, des Tite-Live et des Tacite. A la même heure, en Sorbonne, Victor Cousin, Guizot et Villemain, tous trois écoutés avec empressement, nourrissaient la jeunesse du froment de leur parole. Tout le long de la ville, des poètes, aimés du peuple, essaimaient par groupes. C'étaient, parmi les hommes, ceux d'hier, comme Béranger et Casimir Delavigne; puis, ceux du jour, plus jeunes, tels que Lamartine, Alfred de Vigny, Victor Hugo et Alfred de Musset. C'étaient, parmi les femmes, la pauvre Élisa
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Mercosur, Mme Desbordes-Valmore, Amable Tastu et Delphine Gay (Mme Emile de Girardin). En ne comptant que ceux et celles que je viens de nommer, imaginez quel superbe concert de lyres cela devait former. Auprès de ces inspirés, se tenait aussi un brillant quatuor d'Orphées : Rossini, qui venait de nous donner Guillaume Tell, le chef-d'oeuvre des chefs-d'oeuvre ; Auber, l'auteur de la Muette de Portici, des airs qu'on fredonnait jusque dans les faubourgs; Bellini et Meyerbeer, qui mettaient la dernière main, l'un aux Puritains d'Ecosse, l'autre à Robert-le-Diable.
Chez les peintres, ce mouvement de floraison n'était pas moins accentué. Pour faire suite à l'école de Louis David, mais en la rajeunissant, en lui insufflant plus de vie, on voyait apparaître Ingres, déjà célèbre à cause du Martyre de Saint-Symphorien; Horace Vernet, si fertile en scènes de combat et en beaux portraits ; Ary Scheffer, encore tout jeune, dont les conceptions romantiques, contenues par un dessin sévère, aidaient si bien à la rêverie ; Paul Delaroche, qui s'attachait à l'histoire avec une ferveur d'apôtre ; et cet opiniâtre Eugène Delacroix, qui, étant en lutte constante avec la routine, devait finir par faire admettre dans nos musées la théorie séduisanté de la couleur. Juste ciel! j'allais oublier Redouté, notre Ruysdaël, le peintre des fleurs, et Saint-Jean, le peintre des roses !
Tout se tenant alors dans l'art et tendant à constituer une harmonie, la sculpture ne pouvait manquer de se marier à cet ensemble. Les statuaires aussi ont donc répondu à cet appel de la gloire. Souffrez que je nomme pêle-mêle ces illustres tailleurs de pierres, dont les oeuvres sont l'ornement de notre pays. En voilà sept à saluer : Rude, Barye, Pradier, Étex, Foyatier, Auguste Préault et David (d'Angers), le Phidias de notre âge, celui qui, associant les temps modernes aux temps antiques, a transporté de Paris à Argos l'image auguste de la Grèce gémissante sur la tombe de Marco Botzaris, un des héros de la guerre de l'indépendance.
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Voilà bien des noms à bon droit célèbres, rayonnant dans le même cycle. Eh bien, ce n'est pas tout. Je demande à ajouter d'autres étoiles à cette Voie Lactée. Ce sera, d'abord, une série à ne pas négliger, celle des maîtres du crayon, car l'imagerie et la caricature ont aussi leurs Raphaëls et leurs Michel-Anges. Vous jugerez, en effet, qu'il y aurait de l'ingratitude à passer sous silence les admirables vignettes des deux frères Alfred et Tony Johannot, aujourd'hui si recherchées des délicats. Dans la même zone de l'art, ceux qui aiment le dessin quand il évolue en jets satiriques et plaisants, se rappelleront Gharlet, l'ami de Géricault, le Charlet populaire, le peintre des grognards et des enfants. Ils n'oublieront pas non plus Charles Philipon, qui, faisant un larcin à l'Angleterre, a implanté] chez nous la presse illustrée, ni J.-J. Grandville, le compatriote de Jacques Callot, qu'il devait égaler. Ils entoureront d'une même sympathie Honoré Daumier, l'inimitable, et Gavarni, La Bruyère et Sterne fondus ensemble, un prodigieux reproducteur des moeurs de son temps.
Attendez! Si longue qu'elle soit, cette nomenclature n'est .pas finie. Il y avait dans les générations d'alors tant de vitalité, un tel besoin d'enfanter, que toutes les manifestations de l'esprit devaient y montrer une égale fécondité. En 1830, le Roman mûrit. Jusqu'à cette heure, sauf trois ou quatre exceptions, il n'avait été que puéril, n'étant fait que pour servir d'amusement aux désoeuvrés. Sous le souffle de régénération qui agitait en ce moment le pays, il devenait une des formes les plus élevées de la pensée. On allait voir, comme par enchantement, sortir tout à coup de terre une vaillante escouade d'écrivains, habiles à desservir l'autel de cette déesse nouvelle, la Muse du Roman. Ce ne serait plus seulement des fabricants de contes ; ils s'élèveraient à la hauteur des psychologues, des philosophes et des professeurs de morale. Voyez donc ! Faisant peau neuve, rejetant le pseudonyme usé d'Horace de Saint-Aubin, comme une chenille rejette sa pelure d'hier pour se parer des ailes du papillon, Honoré de
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Balzac préparait déjà les assises du grand édifice qui s'appellerait un jour la Comédie humaine; George Sand composait Valentine, en attendant Lélia; Victor Hugo suspendait ses succès de théâtre pour nous donner Notre-Dame de Paris ; Eugène Sue faisait la Salamandre ; Frédéric Soulié les Deux Cadavres; Alfred de Vigny Stello, et celui en l'honneur de qui est publié ce livre écrivait Volupté. Arrivent ensuite ceux du second ordre, ce qui ne signifie pas qu'il faille les dédaigner. A leur tête, distinguez des vétérans qu'on a souvent applaudis. Charles Nodier exhibe l'Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux ; H. de Latouche vient d'apporter Fragoletta; Stendhal achève la Chartreuse de Parme; Prosper Mérimée la Chronique du temps de Charles IX, d'où l'on tirera les Huguenots, pour l'Opéra, et le Pré-aux-Clercs, pour l'Opéra-Comique. (Nous ne nommons pas Alexandre Dumas, le prodigieux auteur de Monle-Christo, puisqu'il ne s'occupe encore que de faire des drames.) Mais un peu d'entr'acte, et nous verrons que cette étincelante armée du Roman n'aura pas moins d'éclat que son avant-garde. Voilà Alphonse Karr avec Sous les Tilleuls; Raymond Brucker avec le Puritain de Seine-et-Marne ; Léon Gozlan avec le Médecin du Pecq ; Auguste Luchet avec Thadéus le Ressuscité ; Jules Sandeau avec Madame de Sommerville ; Méry avec le Bonnet Vert, et Mmc Emile de Girardin avec le Lorgnon.
— Que de gioires ! ne manquerez-vous pas de dire.
— Eh! mais, en cherchant bien, il y en aurait cent autres à citer.
■—■ L'incomparable époque ! s'écriait Théodore Jouffroy. Après l'avoir vécue, on ne peut que perdre à vivre encore.
Ainsi qu'on vient de le voir, toutes les branches de l'entendement sont largement représentées dans l'espèce d'inventaire que je viens de dresser à main courante. Vous y trouverez ce qu'y produisent toutes les Muses, aussi bien celles du devoir que celles de l'agrément. Pourtant il y manque une figure ou, si l'on veut, une spécialité, celle
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de la critique, cette sauvegarde des facultés intellectuelles. De l'imprimerie, on a dit que c'est l'art qui conserve tous les arts, ars artium conservatrix. Le mot, ce me semble, serait bien plus applicable à la critique. Supprimez celle-là, rien de grand ne demeure debout. Les règles tombent, en désuétude. On ne sait plus respecter le bon, le vrai, ni le beau. C'est l'anarchie dans le domaine de la pensée ; ce sont les ténèbres de la barbarie. Or, cette ère de 1830 avait trop dé fécondité, elle se sentait animée d'un trop grand désir d'être utile, un trop sincère besoin de coopérer au bien commun pour ne pas susciter aussi cette Muse sans laquelle toutes les conquêtes en science, en art, en philosophie et en littérature s'évanouiraient en poussière.
Un moment, sur la fin du XVIIIe siècle, quand parurent les Encyclopédistes, Mably et Côndillac, la critique prenait un certain essor, mais les secousses politiques, une société bouleversée de fond en comble, ont fait que ça n'a duré qu'un instant. En 1800, lorsque le calme revint, on pouvait espérer que les hautes études renaîtraient, mais dès que l'empereur eut succédé au premier consul, il n'y avait pas à y revenir. —Ite, calvi ! Au désert, les têtes chauves! s'écriaient les Hébreux du temps de Salomon à la vue des prophètes. — « Silence aux idéologies! » disait le premier empire. La consigne était alors de ne plus s'arrêter qu'aux choses frivoles de la vie, au plaisir, à la bonne chère, à l'épicuréisme, si favorable à l'art de faire des enfants. Dès lors, la critique rapetissée se réduisit à des questions de grammaire et de chronologie. Tout professeur se modelait sur le Cours de La Harpe, si bien que l'hippogriffe de Pindare et de Platon ne devait plus être qu'un humble cheval du Perche, menant l'amble. Peu à peu, on s'habitua à cette règle et cela dura jusqu'à 1829. Ce ne fut qu'à cette date, le jour où le docteur Véron eut fondé la Revue de Paris et y eut appelé Sainte-Beuve, que cessa ce désolant état de choses. A partir de ce moment, le champ de l'examen fut élargi et
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l'anatyse reprit ses droits. Ainsi ce fut l'auteur de Joseph Delorme qui, le premier, chez nous, a remis en honneur la Aéritable dissection littéraire. C'est lui qui, poussé par le ressort de l'induction, a imaginé la fameuse méthode, des milieux; c'est lui qui a invoqué le secours des sciences positives, celle de la médecine surtout. Pour se convaincre de l'exactitude du fait, qu'on ouvre les premiers;numéros de la Revue, en question et qu'on y lise à tête reposée les Etudes sur Racine et sur Boileau, en en attendant vingt autres. .
A cette époque, le futur auteur des Lundis n'était encore qu'un débutant. Quoiqu'il se fût essayé en prose et en vers, sa jeune renommée ne dépassait pas les limites d'un petit cercle d'amis. Après la publication de ces Etudes d'une ampleur et d'une substance toutes nouvelles, le succès lui vint comme le feu prend à une traînée de poudre. On ne devait pas tarder à reconnaître en lui un maître et, après, un quatrième article, sa réputation était faite Mais j'ai à m'arrêter ici à un point du plus haut intérêt et à y insister : c'est que cet applaudissement si rapide a été acquis à d'autres studieux esprits, à des émules, qui, sur ses traces, sont allés à la conquête de l'avenir.
Avant tout, par déférence, sachons nous incliner devant,un vétéran ; M. Cuvillier Fleury était encore jeune en, 1830, mais, par l'éclat de sa collaboration au Journal des Débats, il avait l'autorité d'un ancêtre. En lui il fallait voir un latiniste de haute valeur, un homme du genre de M. Victor Le Clerc. Il ne jurait que par Horace, qu'il savait par coeur et qu'il se plaisait à citer à tout bout de champ. Son français, à, lui, s'en ressentait. Je veux dire qu'il était clair, net, précis, sans ambages, et l'on avouera bien que de telles qualités ne sont pas à dédaigner. On sait qu'il a veillé à l'éducation d'un des princes de la Maison d'Orléans et l'on sait aussi qu'il a réussi à en faire un des hommes les plus distingués de notre époque.
Conservateur-né de notre langue, qu'il tenait pour la plus claire,
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conséquemment pour la plus belle du monde connu, il n'admettait pas qu'on en altérât la pureté en y glissant des néologismes, de l'argot ni de ces ridicules emprunts à nos voisins d'outre-mer que les cercles appellent le modem-style. Le seul aspect de ces nouveautés le mettait hors des gonds et, s'il avait à faire l'analyse d'un livre où il s'en trouvait, il s'emportait jusqu'à morigéner l'auteur sans mesure. On pourrait même dire qu'il le passait à tabac. « Le respect absolu de la langue de Pascal, de Bossuet et de Molière, voilà ma religion, » disait-il. Ce Credo, qui en vaut bien un autre, se retrouve très nettement exprimé dans tout ce qui est sorti de sa plume.
Après que M. Thiers eut quitté le National pour passer à l'état d'apprenti ministre, Armand Carrel devint rédacteur en chef de ce journal. Grand ami de ceux qui cultivaient les lettres, il appela à lui ceux des jeunes écrivains du jour, qui, en professant des idées libérales, montraient le plus d'aptitude pour parler un beau langage à la foule. Ce fut alors qu'on vit se grouper autour de lui trois jeunes gens qui, par la suite, devaient aller à de brillantes destinées. Ce n'étaient alors que des débutants. Sainte-Beuve en était le plus renommé, par suite de sa récente collaboration au Globe et à cause de Joseph Delorme. Désiré Nisard, celui des trois qui était le plus familier dans la maison, avait bien l'air de ne considérer son passage à la feuille républicaine que comme un stage, et c'est, en effet, ce qui a eu lieu. On sait qu'il devait prochainement aller ailleurs et s'avancer peu à peu dans les fonctions publiques. Le plus modeste était Emile Littré. Sans contester le mérite des deux autres, on peut dire que ce troisième a été le plus studieux et aussi le plus détaché des liens officiels.
Il y a déjà bien longtemps, on a -publié une lettre d'Armand Carrel à la mère d'Emile Littré. Rien de plus simple, rien de plus poussé, aussi, au ton de la véritable grandeur. En s'adressant à
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cette femme du peuple qui aime tendrement son fils, qui s'est vouée à tous les sacrifices pour en faire un citoyen utile à son pays, il lui dit, sans grandes phrases, qu'elle a réussi au delà du possible dans la tâche si louable qu'elle a entreprise et que celui qui est sorti de ses entrailles donne déjà à voir qu'il sera un des hommes les plus remarquables de son temps. Qu'on juge si, à la lecture de cet horoscope, la brave femme eut à verser des larmes de joie et combien elle devait être fière de ce qui lui venait d'un esprit tel que l'homme qu'on avait déjà surnommé le brillant chevalier de la démocratie.
Personne n'ignore qu'Emile Littré a été un des hommes les plus savants de son siècle. Après avoir étudié la médecine à fond, aussi naïf qu'honnête, il ne se sentait pas en état de l'exercer, mais sûr de l'étendue de ses connaissances, il ne craignait pas de l'enseigner. Helléniste de premier ordre et vivant en ascète au fond d'une mansarde, il a consacré trente ans de sa vie à traduire du grec en très bon français dix forts volumes des oeuvres attribuées à Hippocrate et aux Hippocratides, et c'est déjà là un monument littéraire et scientifique de la plus haute valeur. Plus tard, il fera le Dictionnaire en cinq volumes in-quarto qui porte son nom, une sorte de réservoir océanique de toutes les richesses de notre langue ; puis, dans ses moments de loisir, il fera de la critique dans les Revues, mais de la critique presque entièrement appliquée à la recherche des vérités philosophiques et morales.
Il n'y a qu'un instant, j'ai eu à parler d'une lettre d'Armand Carrel à la mère de Littré. J'ai maintenant à rappeler un autre genre d'hommage que l'héroïque travailleur a reçu d'un illustre contemporain, indice d'une vive sympathie, autant honorable pour celui qui le lui a donné que pour lui-même. Le fait s'est passé sous le règne de Louis-Philippe. Un fauteuil était vacant à l'Académie des sciences morales et politiques. Des amis avaient, à son insu, posé la candidature d'Emile Littré, mais en raison de dissentiments sur lesquels je
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n'ai point à parler, l'élection était douteuse et pouvait dépendre d'une voix. Or, à l'heure du vote, on vit arriver en litière un malade, un académicien, protecteur du savoir. Ce malade, qui rassemblait toutes ses forces pour déterminer le triomphe du traducteur d'Hippocrate, n'était autre que M. F. Guizot, alors président du Conseil des ministres.
Dans la suite des temps, mais non plus sous la monarchie constitutionnelle, il y a eu, à propos de l'Académie française, un autre épisode dans lequel il a été fortement question de l'opiniâtre travailleur, mais de cette aventure tout autre, je demande à ne rien dire.
Revenons, s'il vous plaît, à l'autre collaborateur d'Armand Carrel et de Sainte-Beuve. Ah! certes, M. Désiré Nisard n'était pas le premier venu! Il avait la réputation d'être et il était un humaniste ferré à glace, un excellent latiniste surtout, puisque c'est à lui qu'a été confiée la direction de l'inappréciable collection Panckoucke. Lauréat de l'Université, il est entré dans la presse, ainsi qu'on l'a vu, sous l'enseigne des idées démocratiques d'alors. Ce n'était pas sans quelque hésitation, car il hésitait grandement sur le choix d'un genre à adopter. Un jour, il s'est essayé dans la Gazette Littéraire par un dialogue des morts, méthode de Lucien, entre le Dante et Machiavel, mais sa jeunesse encore naïve l'y faisait trébucher. Au lendemain de cette ébauche, il donnait à la Revue de Paris une très courte Nouvelle de huit pages, intitulée : Le Convoi de la Laitière, du Berquin tout pur, et qui fut de la part de nos jeunes amis de l'Ecole romantique le point de départ d'intarissables moqueries à son adresse. Disons à. son éloge qu'il n'est plus revenu aux choses de l'invention. ïl a donc eu la sagesse de se cantonner dans la critique, et c'était par la critique qu'il devait faire son chemin.
De 1834 à 1840, il avait déjà un public, sinon des clients, et une autorité. Sa manière d'analyser un livre et, après examen, de rendre
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une sentence, avait le mérite d'être motivée, loyale et de s'exprimer toujours en un langage amène, même lorsqu'il voulait être sévère, elle était donc de bon aloi, quoique, de temps en temps, rebutante par un peu d'aigreur et de parti-pris. N'oublions pas de noter qu'à l'époque où il faisait ses débuts, écrire n'était pas encore un métier, ne cessait point de passer pour un sacerdoce, et, qui sait? c'était peut-être un préjugé d'éducation qui le poussait à se montrer difficile; Prose et vers, les licences du temps lui déplaisaient fort. En particulier, il éprouvait la plus vive aversion pour ce qu'on appelait l'Ecole moderne. 5 Faire une guerre à outrance aux Romantiques a été son exercice favori. Des poètes du jour, il n'admettait réellement que Lamartine. Mais tels et tels soi-disant Dieux et Demi-Dieux, comme il les a malmenés! ■
Puisqu'après un petit laps de temps écoulé, nous sommes enclins à oublier ce qui se passe de notable chez nous, ceux d'aujourd'hui n'ont pas été à même d'entendre parler de la polémique qui a eu lieu jadis entre Jules Janin et lui. Il ne s'agissait que d'un duel à la plume, mais ce choc à armes courtoises n'en a pas moins été fort mémorable. Le lieu du combat était la, Revue de Paris. A. la, vue du dévergondage sans nom qui se carraitdans la presse, au théâtre et en librairie, à l'aspect de la grammaire violée, du paradoxe érigé en règle, des trivialités applaudies, il ne savait plus se contenir. « — D'où viennent ces Barbares? » s'écriait-il. Partant de là, plein de colère, il rédigeait une sorte de Manifeste par lequel il en appelait au public lettré, à celui qui sait lire et qui est capable de juger'. Sous forme de conclusion, il demandait qu'on s'abstînt de. regarder comme gens de lettres ceux qui, ignorants comme des carpes, se mêleraient d'écrire sans avoir, au préalable, passé par la salutaire discipline des études classiques.— Hélas! que dirait-il donc de nos jours? — Bref, il s'escrimait avec un surcroît d'acerbité contre ce qu'il nommait la littérature facile;
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A tort ou à raison, Jules Janin prit le mot pour lui et se hâta de le relever. Dans l'intérêt de la littérature grave comme un bonnet de' nuit, voyons, est-ce qu'on allait reculer jusqu'aux alexandrins sans âme et à la prose rechignée de l'empire? Il s'échauffait, le spirituel lundiste du Journal dés Débats, d'ordinaire si réjoui. Ces choses graves le gênaient. Aussi, revenant vite à ses habitudes de bonne humeur, il reprenait en s'échappant par des grâces d'écureuil. Il disait que, lorsque la littérature n'est pas amusante, elle n'est pas. Rabelais,, Montaigne, Molière, La Fontaine, Voltaire, est-ce que tout cela n'est pas de la littérature pour rire? Second point : pour faire voir qu'il soutenait cette thèse avec conviction, il s'adressait tout à
•coup à son contradicteur et lui disait : « Mon cher Nisard, le gant gris-perle que je vous jette a été pris à une des plus belles femmes de Paris. » Evidemment, c'était de la fatuité; c'était à comparer en très petit à cet épisode où l'on voit Condé aller au siège de Lérida à la tête de vingt-quatre violons. Et c'étaient là les moeurs déjà décolletées
décolletées La belle dont il parlait était une grande dame, une comtesse, fille d'un sculpteur en renom, bien connue pour être la maîtresse en titre de l'auteur de l'Ane mort, mais du coup l'adversaire était abasourdi. Que faire? Fallait-il donc répondre sur le même ton? Vous pouvez bien penser que les choses en restèrent là. Mais disons tout. Si la galerie s'amusa du joli rôle de Jules Janin, les gens sérieux,' les barbes grises, donnaient raison au graye universitaire. Par contre, il y eut une pluie d'épigràmmes chez les Romantiques, visiblement intéressés dans le débat. Ceux du Petit Cénacle, dont les débris se rassemblaient encore, disaient en parlant du latiniste : « Que nous veut ce trouble-fêté? » Et le pauvre Gérard de Nerval, en manière de parodie, s'écriait : « Peuples, sachez que le vénérable Désidératus Nisard. est l'inventeur de la littérature difficile (à lire). »
M. Désiré Nisard avait surtout le désir d'arriver. Il a laissé dire.
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Il a laissé faire. Depuis lors, il a été député, secrétaire-général d'un grand ministre, professeur au Collège de France, directeur de l'Ecole normale supérieure, membre de l'Académie française, officier de la Légion d'honneur, pour finir par siéger au Sénat. Tout est bien qui finit bien.
Gustave Planche a été, durant vingt-cinq ans, une des célébrités du XIXe siècle. On sait qu'il a combattu le bon combat tour à tour dans les colonnes du Journal des Débats et à la Revue des Deux-Mondes. Transfuge du Cénacle, ce qu'il écrivait était étayé autant sur le bien dire que sur le bon sens, maison a eu à lui reprocher d'avoir pris des allures d'Alceste qui sentaient trop le dédain et la malignité. De ses justiciables, il s'était habitué à faire des accusés et même des coupables. Ceux qui ne jugent des choses qu'en les voyant à la surface ont attribué cette posture à ses moeurs, au débraillé de son costume, à une humeur noire et au sans-gêne d'une vie diogénique. Les amis, au contraire, y signalaient la suite d'un amour excessif de la liberté, ce qui, dans l'exercice de sa fonction, devenait une source d'indépendance, l'autorité d'un franc parleur qui ne dépend de rien ni de personne.
Ceux des biographes qui ont raconté le dernier siècle ne me laisseraient rien à dire sur cette curieuse personnalité et, d'ailleurs, je n'ai à parler de lui qu'en indiquant le rôle qu'il a joué dans la critique. On le lisait avec empressement en raison même de la rigidité de ses arrêts. Soit, mais ce ne devait être qu'une étoile un moment lumineuse et qui devait vite disparaître. Lui, mort, il ne reste pas une de ses pages. Ce qui a surtout caractérisé sa carrière, c'a été la lutte qu'il a soutenue confie Victor Hugo et les zélateurs du grand poète. Un instant, il a pu rappeler le petit berger galiléen qui visait Goliath au front, mais son caillou n'a fait qu'effleurer le géant. De son côté, Olympio, grand amateur d'assonances, de mots bissextiles et même de calembours, avait dit, au milieu de sa cour : « Planche?
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Il est long, plat, gris, raboteux ; il a donc été bien nommé. » Qu'on me permette de rappeler aussi le cri d'un sculpteur du temps, fameux par ses mots : « Si Jules Janin est le prince des critiques, Gustave Planche est le prince des frères fouetteurs. »
Un autre disparu, M. Hippolyte Rolle, aura été aussi, comme Sainte-Beuve, Littré et Nisard, un ami d'Armand Carrel. Originairement, il n'était connu que pour avoir, en 1830, signé la Protestation des Journalistes contre les ordonnances de Charles X. Heureux exploit, puisqu'au lendemain il lui a valu, de la part du roi des barricades, la bibliothèque de l'Hôtel-de-Ville, un assez joli fromage de Hollande, car c'était une sinécure. — Ecrivain modeste et épicurien modéré, il n'a pas eu plus d'ambition et n'a jamais cherché à faire le plus léger bruit autour de sa personne. Rien ne lui aurait été plus facile, pendant les dix-huit ans de la monarchie constitutionnelle, que de mettre, chaque semaine, son nom au bas de deux feuilletons, alors fort recherchés, de deux grands journaux. Au National, il signait X, le signe algébrique de.l'inconnu; au Constitutionnel, R, l'initiale de son nom ; en sorte qu'il était ignoré du public lisant. Classique avéré, mais en admettant le rajeunissement de la forme, un peu plus d'ornement dans la syntaxe, il n'aimait pas l'école moderne et la poursuivait sans cesse de ses brocards. Hernani l'avait exaspéré. A ce sujet, il criait tout haut à l'absurde et presque à la sauvagerie.
— Comprenez-vous don Carlos (Charles-Quint) se cachant dans une boîte à pendule? disait-il.
Et partant de là, il se montrait sans pitié pour l'oeuvre entière de l'illustre auteur.
Au surplus, de tous les poètes du temps, il n'admettait pleinement qu'Alfred de Vigny, parce que ce timide ne comparaissait devant le public qu'en prêtre respectueux des Muses, parce qu'il était chaste, qu'il n'écrivait qu'une prose élégante, toujours châtiée
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pour n'offrir aux spectateurs que d'impeccables moralités. Mû par cette aperception, il s'était fait l'applaudisseur sans réserve de Chatterton, et il a écrit en toutes lettres que c'est le plus beau drame de ce siècle. — M. Hippolyte. Rolle est mort au lendemain de nos désastres, absolument oublié.
Qu'était-ce que Philarète Chasles, ce contemporain paré d'un beau, prénom grec ? Le fils d'un ancien chanoine de Chartres, qui s'était jeté à corps perdu dans le torrent de la Révolution. Cet ancien prêtre, très éloquent, fut élu membre de la Convention Nationale, où il siégea, s'il vous plaît, à côté de Maximilien Robespierre. Sous ce titre: la Maison de mon père, le fils a raconté son enfance, si sévère et si studieuse. Dans ce lambeau d'autobiographie, il dit comment sa première jeunesse a été partagée entre l'étude des languies antiques et un état manuel, celui de typographe, le tout en conformité des idées émises par J.-J. Rousseau dans l' Emile, principes dont l'auteur de ses jours était entiché, ainsi que tant d'hommes de son temps. Ce même père, véritable jacobin, ce l'animal législateur et guerrier » de Thomas Carlyle, grand ami de la liberté au dehors, était au dedans, chez lui, absolu dans l'exercice de l'autorité paternelle. Autour de lui, après lq 18 brumaire, venaient le voir les débris de la Montagne tels que Vadier, Amar, Voulland et d'autres dont l'enfant recueillait les discours, empreints du républicanisme le plus coloré. Pour un peu, sous ce rapport, il serait comparable à Achille, se nourrissant de la moelle des lions et des ours dans l'antre du Centaure. Et déjà ces inflexibles le mettaient en serre chaude en le faisant étudier à outrance.
— Croiriez-vous, me disait-il, qu'à sept ans on me faisait expliquer Tacite?
Tacite, l'ennemi des Césars, un beau latin, plein de substance, mais qu'on ne peut réellement entendre qu'en troisième et à l'âge de quinze ans !
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Par bonheur, ce jeune garçon fluet, mais doué d'une énergie morale peu commune, avait l'âme forte et il ne se laissa pas étioler par le surmenage. Vers les premiers jours de la Restauration, quand il n'était encore qu'un éphèbe, comme la police soupçonneuse d'alors l'avait impliqué, mais fort à tort, dans un complot à cause d'une casse d'imprimerie clandestine, il put démontrer qu'il n'était pour rien dans l'affaire et fut relâché. Ce fut alors qu'il alla en Angleterre par le fait d'un exil volontaire. Disons que ce fut pour lui un très grand bien. A Londres, où il a vécu un certain nombre d'années, il a pu étudier à fond la langue du pays et acquérir une connaissance approfondie de la littérature britannique. En ce temps-là, chez nous, on ne savait encore nos voisins que par ouï-dire ou bien fort imparfaitement. Shakespeare était toujours fort ignoré ou seulement connu par la traduction de Le Tourneur, arrangée par M. Guizot, et par les adaptations de Ducis. En rentrant à Paris, Philarète Chasles, mûri par le labeur, s'y présentait tout imbibé d'un savoir solide, très varié et qui, dès la première heure, devait le faire rechercher par les publications du jour. Voilà ce qui explique comment, de 1829 à 1850, il a été l'un de ceux qui se sont le plus produits clans les Revues.
On lui a reproché d'avoir débuté par un poème assez bizarre, intitulé la Fiancée de Bénarès.
— Eh bien! répondait-il sous forme d'excuse, c'est vrai: j'ai fait des vers dans mon jeune âge comme on joue au soldat, quand on est enfant.
Mais, à part cette faiblesse, sa vie entière a été donnée tout entière au professorat et à la critique. J'ai même à dire ici que la critique a eu la meilleure part. Nous apprendre cette Grande-Bretaguie que nous ignorions avant lui, la tâche était belle, sans doute, mais ce n'était qu'un commencement. En s'élançant dans un essor jusque-là sans pareil, il s'est mis à étaler tour à tour sous nos yeux le trésor des littératures étrangères, qui était lettre close pour nous.
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Infatués de nous-mêmes ou trop enclins à nous mirer dans la fontaine de Narcisse, nous affections de ne rien apprendre de ce qui se faisait de remarquable au delà de nos frontières. Pionnier littéraire d'une chevaleresque audace, Philarète Chasles prit par la main la France de son temps et la fit se promener dans les forêts vierges qu'il défrichait pour elle. C'est ainsi qu'il fut le premier à populariser chez nous le théâtre espagnol, celui de Galderon, de Lope de Vega et d'Alarcon. C'est ainsi encore qu'il nous révéla, chez les Allemands, ce que nous ne connaissions pas de Goethe, de Schiller etde Jean-Paul Richter, son poète favori, dont il a même traduit le Titan. Infatigable, fouillant partout, analysant tout, il a poussé l'amour de l'investigation jusqu'à pénétrer en Hongrie, chez les Slaves, et, un jour, l'Europe et l'Amérique ne lui suffisant pas, il s'est jeté en Asie pour étudier le sanscrit et la poésie de l'Inde.
Histoire, exégèse, géographie, linguistique, ethnologie, recherches psychologiques, les soixante volumes publiés chez Amyot témoignent du haut mérite de ce piocheur. Quand on mesure des yeux ce qu'il a écrit, on serait tenté de le prendre pour le premier critique de 1830; mais il faut bien se résoudre à reconnaître que, pour l'empêcher d'occuper ce rang', il lui a manqué deux choses essentielles : l'ordre dans le classement des matières et le charme du style. Trop d'éparpillement, un excès de lyrisme, ce qui ne s'accorde pas avec la prose du raisonnement, et puis l'absence de toute chronologie, ont fait que son oeuvre ne peut durer. Ces soixante volumes, trop épars, on les retrouverait encore dans les bibliothèques publiques, mais personne ne songe à les consulter.
Pendant quarante ans, Philarète Chasles a soutenu vaillamment la bataille littéraire. Il en a rapporté plus d'une blessure. La plus vive, a été de ne pas entrer à l'Académie Française, où, pourtant, sa place était bien marquée. Au gré de tous les amis des lettres, l'Académie a eu tort, mais passons là-dessus. Et puis, que voulez-
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vous? tout fils d'Adam est assujetti aux caprices de la destinée ! Après tant de travail, il avait arrangé sa vie pour finir dans le repos et dans l'idylle ; c'est ce que le sort ne lui a pas permis. Il s'était remarié, et avait fait choix comme retraite d'un calme cottage des environs de Paris. Au lendemain de la guerre, l'envie lui vint d'aller faire un tour en Italie. Il s'était arrêté à Venise. Un soir qu'il ramait sur le Grand Canal, il fut pris d'une attaque de choléra et mourut. Sa veuve voulait ramener ses testes en France, mais, par ordre de la municipalité, qui craignait la contagion, son corps dut être jeté dans un amas de chaux vive,"où il fut consumé en vingt minutes. Misère de nous! Tant d'efforts, tant de talent, tant de belles choses, et disparaître dans une mort tragique et presque abjecte!
Jules Janin est trop connu pour qu'on ait à s'étendre sur ce qu'il a été. Celui qui s'est donné à lui-même le titre de Prince des critiques, a-t-il été sérieusement un critique? Ce qu'on sait, c'est que, pendant près d'un demi-siècle, cet enfant gâté du Journal des Débats, cet amateur par excellence a eu la haute main sur la marche de toutes les scènes parisiennes. Directeurs de théâtres, auteurs, acteurs, actrices, musiciens, tout ce beau monde-là a formé autour de sa personne une cour prodigue en compliments, en fleurs et en bonbons. Rien de mieux, direz-vous, mais sa valeur littéraire, quelle était-elle ? — Demandez-le aux échos du passé. —; Les éplucheurs de gloire répondent : — « Par ce qu'il a laissé, jugez de ce qu'il a été. » Le mot serait cruel et injuste, car enfin, pour payer le loyer de la vie, il suffit de passer en faisant bien son métier. On questionnait M. Saint-Marc Girardin pour savoir ce qu'il pensait de ce gros garçon et de son oeuvre. « — Que voulez-vous que je vous dise ! répondit le professeur. On lit ces douze colonnes. Quand on a fini, on n'a rien appris, lien retenu, mais cette jolie prose est toujours d'une digestion agTéable. » M. Armand Bertin faisait, dans le même
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sens, une réponse plus imagée et, conséquemment, plus explicite. La voici : « Un voyageur traverse à pied, en plein soleil, le désert du Sahara. Il meurt de soif. Il a la langue pelée par la sécheresse. Il tire de sa poche une poignée de diamants pour un verre d'eau claire qui le rafraîchira. Ce verre d'eau, c'est le feuilleton de Jules Janin. »
En arrivant au bout de ma liste, je vois que j'étais sur le point de commettre une impardonnable omission. J'oubliais le doyen de la critique théâtrale. Ce Nestor, c'était M. J.-T. Merle. Ancien auteur dramatique, il avait été directeur de la Porte-Saint-Martin et c'était là qu'il avait connu et épousé une des plus grandes actrices du temps, Mme Dorval,la même qui a si brillamment servi d'interprète au répertoire des Romantiques. On lui avait ensuite donné le feuilleton hebdomadaire de la Quotidienne, journal des hôtels fleurdelysés, des châteaux et des presbytères. Homme d'esprit, très propret dans son style comme dans sa personne, il s'efforçait de n'écrire rien que d'aimable. Il disait : « La langue française est assez belle par ellemême sans qu'on y mette du clinquant. » Tout son art consistait à faire, mais avec scrupule, le récit analytique des pièces à la représentation desquelles il avait à assister. Quand les jeunes lui demandaient pourquoi il s'obstinait dans cette antique méthode, il expliquait les motifs de sa résistance. — « A dater de la chute de Charles X, disait-il, les réjouissances mondaines n'ont plus été de mise dans le public qui me fait l'honneur de me lire. Nos duchesses, nos châtelaines et les amis du clergé ont cessé de mettre les pieds au théâtre, mais ils ne sont pas fâchés d'apprendre ce qu'on y joue, et voilà pourquoi je les tiens au courant des moindres détails de l'action. » Ajoutons que sa causerie, souvent piquante, était toujours aimable. Raison pour laquelle un vieillard bien connu pour ses bons mots, M. Michaud, le directeur du journal royaliste, ayant à répondre à une feuille républicaine, lui disait : « Avouez que nous
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sommes en meilleure posture que vous, puisque nous avons un merle blanc. »
Théophile Gautier? L'usage veut qu'on garde le feu d'artifice pour la fin d'une fête. J'ai donc dû réserver ce nom pour illuminer la dernière page de cette Étude. Voilà un peu plus de trente ans que celui qui le portait est mort et, Dieu merci, l'herbe de l'oubli n'a pas encore entièrement couvert sa pierre tombale. Il vit encore dans le monde où l'on peint, où l'on sculpte, où l'on écrit et où l'on aime. Poète, romancier, auteur dramatique, voyageur, causeur, il a tenu l'une des premières place dans le monde de l'art, mais surtout, pendant quarante ans, il a été un critique, et celui-qui a eu le phis d'originalité dans la forme. Passé maître en fait de grammaire et quoiqu'il ne se soit jamais assis dans une chaire officielle, il aurait pu être reconnu pour le plus savant des philologues. Sa force à cet égard venait de ce que, de fort bonne heure, il s'était imposé à luimême une pédagogie des plus ingénieuses et dont il a su tirer le meilleur parti. Ce procédé, tout neuf, consistait à lire dans les Dictionnaires, à y lire au hasard de la page et fréquemment, aux heures où l'on a à, combattre l'ennui. —Lisez-vous dans les Dictionnaires ? était la première question qu'il adressât au confrère avec lequel il avait à engager un entretien, et de la réponse qui lui était faite, il jugeait du savoir littéraire de l'interrogé. Parmi les contemporains, pas un n'aurait pu l'égaler en ce qui touche la connaissance de la langue et la propriété de ses richesses. Notre Glossaire, dit-on, se compose de 25,000 mots. Incomparable en cela, il se les était tous assimilés et, lorsqu'il avait à écrire, pareil au plus habile joaillier, il les tirait un à un de sa mémoire comme des perles, comme des pierres précieuses, et les enchâssait d'une main légère dans la phrase méditée. En sorte que toute oeuvre de lui éclairait comme un diamant brille dans l'ombre,
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Un dernier mot :
On vient de voir défiler en rang les critiques en vogue de 1830. Ils sont du nombre de dix. Tous ont été des ouvriers d'élite. Pour me servir d'un mot, aujourd'hui démodé, mais fort usité en leur temps, tous ont mérité le laurier apollonien. Toutefois, après soixante-quinze ans écoulés, un seul reste sans contredit debout; c'est l'auteur des Lundis, et son oeuvre, née d'un prodigieux labeur, est un monument immortel qui défiera les outrages du Temps.\
PHILIBERT AUDEBRAND.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
LETTRES A JULES RAVHNEL
(1845-1865)
Le goût dé Sainte-Beuve pour le détail biographique et pittoresque l'a amené à mettre en vive lumière une foule de documents inconnus et de livres oubliés. Pour esquisser les figures si vivantes, pour renouveler par des traits ignorés les physionomies illustres qui forment sa nombreuse galerie, il a dû demander aux archives et aux bibliothèques les secrets qui dormaient dans leurs dossiers et sur leurs rayons. Mais comment, pressé par les 1er et les 15 du mois des grandes Revues, par les nécessités de la presse quotidienne et, plus tard, par l'échéance fatidique du « lundi », eût-il pu se mettre lui-même à la poursuite des pièces et des volumes ensevelis dans la paix de nos grands dépôts? Sans doute il a dû le faire plus d'une fois ; mais, le plus souvent, il a été aidé dans ces minutieuses recherches par des savants et obligeants amis, heureux de lui fournir les éléments de l'un des « portraits », de l'une des « causeries » où il était passé maître. Au premier rang de ces collaborateurs bénévoles, il faut placer Ravenel. Esprit curieux, très informé du détail de notre histoire littéraire au XVIIe et aux XVIIIe siècle, Ravenel se laissa très vite gagner au charme des relations avec Sainte-Beuve, qui, de
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son côté, apprécia tout aussi vite la valeur de son nouvel ami. C'est à la Bibliothèque de la ville de Paris que s'ébaucha, vers 1845, cette longue et solide amitié. Dans les loisirs de ses fonctions, qu'il occupait depuis 1840, Ravenel étudiait nos grands siècles jusque dans le menu de leur vie, et pour redresser les noms et les dates des personnages de marque dont il aimait à reconstruire la biographie, il collectionnait les copies de correspondances privées, de papiers inédits, et, précurseur de Jal, il relevait dans les actes de l'état civil de Paris tout ce qui pouvait préciser, éclairer, corriger les notions courantes et acceptées sans contrôle. Il se rapprochait trop de Sainte-Beuve par cette passion du détail exact pour rester longtemps éloigné de lui et étranger à ses travaux. Quel heureux hasard les rapprocha? nous l'ignorons. Peut-être quelque ami commun, peut-être quelque pointe poussée à la Bibliothèque dans l'espoir d'y trouver un renseignement vainement demandé ailleurs... Toujours est-il qu'une fois la rencontre faite, ils furent indissolublement liée l'un à l'autre. Et lorsque Ravenel passa à la grande bibliothèque de la rue de Richelieu, les rapports continuèrent de plus belle, les relations devinrent amitié, l'amitié devint intimité. C'était en effet, pour Sainte-Beuve, une rare bonne fortune que d'avoir, dans cet établissement unique, un érudit sûr, toujours prêt à se , mettre en quête, sans délai, de tous les éléments qui pouvaient donner à l'article commencé plus de piquant, plus de nouveauté, plus de vérité. Le grand critique a fait un jour, en quelques pages, un rapide et aimable portrait de ses secrétaires. Il eût pu joindre Ravenel à ce petit groupe familier. Tout au moins n'a-t-il guère laissé passer d'occasions de lui témoigner publiquement son estime et sa reconnaissance. Dès 1846 (1), à propos de cette Mlle Aïssé qui devait
(1) En 1839, il le nommait déjà au sujet de la date de la naissanee de Mme Deshoulières (Portraits de femmes, p. 367, note 2; article du 15 octobre).
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bientôt réunir leurs noms sur la même couverture, il parlait aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes de Jules Ravenel, « un érudit bien connu par sa conscience, sa rectitude et sa sagacité d'investigation » (1). Quelques mois plus tard, corrigeant noms et dates de la biographie de Mms de Staal-Delaunay, il signalait aux abonnés du Journal des Débats « l'érudit » à qui il devait sa science et « à qui l'on doit tant de rectifications de cette sorte » (2).
En 1849, la « causerie » du 24 décembre sur Adrienne Lecouvreur lui permet d'annoncer un travail sur la comédienne que prépare « un de ses amis, bibliophile avec passion et avec choix », « qui a la main heureuse » (3). Il s'agit de Ravenel, et c'est encore Ravenel qui lui fournit, l'année suivante, sur Mme de La Tour-Franqueville et J.-J. Rousseau, « des notes précises qui corrigent et complètent les renseignements » de Musset-Pathay et de La Porte (4). Plus tard, quand les liens d'affection se sont resserrés entre eux, Sainte-Beuve se donne licence de mettre, comme on dit, l'épée dans les reins de son ami : « M. Ravenel, ce patient et ingénieux érudit, a besoin d'être un peu forcé, et, plus qu'aucun érudit peut-être, il trouve moyen d'unir au zèle de chercher et d'amasser la crainte de produire » (5). Voilà qui est bien et finement dit; mais Sainte-Beuve avait pleine conscience du profit qu'il tirait de ce « zèle » et de cette « crainte », et c'est pourquoi il louait si volontiers son tout dévoué correspondant.
Dans plus d'un autre endroit, le critique prend plaisir à appeler l'attention de ses lecteurs sur les ouvrages et les mérites de Rave(1)
Rave(1) Lundis, t. III, p. 132 (article du 18 janvier).
(2) Journal des Débats, n° du 21 octobre 1846 (cf. Premiers Lundis, t. III, p. 443).
(3) Causeries du Lundi, t. I, p. 159.
(4) Causeries du Lundi, t. II, p. 65 (article du 29 avril 1850).
(5) Causeries du Lundi, t. XV, p. 223 (article du 15 juillet 1861).
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nel (1 ), et leur sympathie ne tient donc nullement du mystère. Mais les causes de cette sympathie sont moins connues qu'on ne le penserait, et c'est leur correspondance qui va nous les livrer pour la première fois. A lire les passages qui viennent d'être cités, on pourrait croire en effet que ce n'était que par occasion que Sainte-Beuve puisait dans les dossiers et dans l'érudition du conservateur de la Bibliothèque. On va voir, au contraire, que leurs relations ont été, pendant une vingtaine d'années, presque journalières, et que les ce Causeries » en particulier ont dû à Ravenel, grâce aux trésors que lui fournissait la Bibliothèque, une partie de leur documentation si riche et souvent si imprévue. Il est donc juste, dans la délicate manifestation dont le Journal des Débats a si heureusement pris l'initiative, de rendre justice à Ravenel et au grand établissement auquel il fut attaché pendant plus de trente ans. Le conservateur des imprimés et la Bibliothèque nationale ont droit à ce témoignage de reconnaissance, et Sainte-Beuve aurait été le premier, si l'occasion s'en fût présentée à lui, à proclamer ce qu'il devait à l'établissement comme il avait tant de fois proclamé ce qu'il devait au fonctionnaire.
Ravenel a dû distraire beaucoup des billets qu'il reçut de SainteBeuve, de 1845 à 1869, pour les offrir à d'indiscrets amateurs d'autographes. En revanche, on trouve, parmi les lettres qu'il a conservées, une lettre à Taschereau, dont il fut le subordonné, de par les hasards de la politique, depuis l'année 1852, et qui lui fit probablement don de cette intéressante pièce. Afin de respecter la chronologie, et aussi pour commencer ce festin délicat par un excellent hors-d'oeuvre, nous donnerons tout d'abord cette petite dissertation sur la vie de La Bruyère.
(1) Causeries du Lundi, t. II, p. 249; t. V, p. 104, note 1; etc.
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Ce 49 février 484-6.
Mon cher monsieur Taschereau, Je viens de lire avec intérêt les pages de la Revue Rétrospective sur La Bruyère (1) et je vous remercie beaucoup de l'aimable mention que vous y faites de moi. La lettre de La Bruyère à Bussy est en effet curieuse, étant le seul billet qu'on ait de lui. Quant à l'extrait des registres de Versailles, il est bon de l'avoir aussi, mais vous-même avez noté combien les noms y sont inexacts : la qualification de \ Gentilhomme de Monseigneur le Duc donnée à La Bruyère ne l'est pas moins : il n'était attaché qu'en qualité d'homme de lettres, mais on aura cru le mot de gentilhomme plus flatteur. La conjecture sur Talternant ou Pavillon feseurs de stances peut se soutenir; ce qui m'arrête pourtant, eu égard à Tallemant à qui ce signalement va bien, c'est que c'était un homme de modération et de considération dans l'Académie, secrétaire de l'autre Académie des Inscriptions, et qui ne devait pas être aussi prompt à la cabale que les ennemis de La Bruyère indiqués par lui dans son discours de réception. Mais il y a erreur sur le fait de Pelisson se retirant devant La Bruyère : Pelisson était mort au mois de février de cette même année, et il était de l'Académie depuis fort longtemps. Déjà cette erreur sur Pelisson se trouve dans la notice qui est en tête du La Bruyère édil. Belin, et qui est, je crois, de M. Depping (2). J'ai moi-même cherché à savoir quel pouvait être ce concurrent qui se relire devant La Bruyère. C'est peut-être l'académicien qui fut reçu à la prochaine place vacante, après celle que remplit La Bruyère. Dans les Harangues de l'Académie, on pourrait voir cela, et si ce que dit La Bruyère dans son Discours sur le concurrent qui se retire devant lui ne s'applique pas à l'un des
(1) Taschereau publia la première série de la Revue Rétrospective de 1833 à 1837 (20 volumes in-8°). C'est dans la livraison d'octobre 1836 (pages 135-142) que se trouvent les Documents biographiques sur La Bruyère, dont il a été fait un tirage à part (s. I. n. d., in-8°, 8 pages).
(2) OEuvres de La Bruyère (Paris, A. Belin, 1818, in-8) ; notice signée D., p. XII. _
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académiciens reçus peu après lui ? Vous devriez tâcher d'éclaircir ce point.
Mille amitiés et remerciemens.
SAINTE-BEUVE (1). Ce dimanche 6 novembre 4836 (2). ......
La plus ancienne des lettres de Sainte-Beuve à Ravenel, auxquelles nous arrivons maintenant, est.de 1845. Elle ne porte ni date du mois ni date d'année, ce qui est dans les habitudes du grand critique et rend parfois difficile le classement de sa correspondance. Heureusement, on y rencontre presque toujours des indications littéraires précises, et c'est ainsi que, dans le cas présent, l'article sur le Gresset de M. de Cayrol vient à point nommé nous tirer d'embarras : il est du 15 septembre 1845(3), et notre lettre doit l'avoir précédé d'assez peu longtemps.
Ce 49... [4845].
Je vous remercie bien de la lettre de Gresset (4). Cela suffit bien et je n'ajouterai rien sur M. de Cayrol. S'il y a quelque induction littéraire à tirer des représentations du Méchant, je vous serai obligé de m'en donner le tableau (5). Cette pièce a toujours été très peu jouée. Quant à Pamy, toutes les bibliographies l'appellent Desforges. On m'assure qu'il y a des Desforges à Bourbon et pas de Deforges. Il faudrait donc être bien sûr de la correction pour s'écarter de toutes les choses écrites jusqu'ici (6).
(1) Adresse : « Monsieur, Monsieur J. Taschereau, n° 11, rue Saint-Benoist. »
(2) Cette date est ajoutée, probablement de la main de Taschereau.
(3) Dans la Revue des Deux Mondes. (Cf. Portraits Contemporains, t. V, p. 78).
(4) La « lettre de Gresset » doit être la lettre à sa mère (Portraits Contemporains et divers, éd. de 1847, t. III, p. 223).
(5) Probablement d'après le Journal du Théâtre Français, par le chevalier de Mouhy (mss. français 9229-9235 de la Bibliothèque nationale).
(6) On lit, dans les Portraits Contemporains, t. IV, p. 424, cette note sur le nom de Désiré De Forges de Parny : « Ou De Forge, et non pas Desforges, comme le donnent toutes les biographies. M. Ravenel a pris la peine de relever, dans les Archives de l'Hôtel
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L'article de Louandre a été une grosse maladresse : rien déplus (1). Buloz (2) ne l'a lu qu'avec le public, pas avant. Louandre n'a été inspiré par personne, et n'a fait que mettre à tort ou à raison ses idées. Il ne sera plus question de cet article dans huit jours. J'expliquerai tout cela à Magnin (3) dont je conçois bien, d'ailleurs, le mécontentement. On est tellement accoutumé à la Revue (4) à tout faire par pouvoir absolu et sans consulter les rédacteurs, même les principaux rédacteurs, que l'idée n'en est même pas venue pour cet article qui en touchait de près un si grand nombre. Mais il n'y a eu aucune intention particulière.
Mille amitiés.
SAINTE-BEUVE.
Mes impressions de volumes commencent à peine (5) : ainsi il n'y a rien d'absolument pressé (6).
de Ville, ce nom exact de Parny tel qu'il résulte de l'acte de décès du 5 décembre 1814, et aussi de l'acte de mariage du neveu de Parny avec Mllc Contât. »
(1) Je ne vois pas, dans les articles publiés vers cette époque par Charles Louandre dans la Revue des Deux Mondes, quel est celui qui a pu si fort émouvoir Janin, Magnin et Sainte-Beuve lui-même.
(2) Le directeur de la Revue des Deux Mondes.
(3) Charles Magnin.
(4) La Revue des Deux Mondes.
(5) Les Portraits Contemporains et divers, dont la Préface porte la date du 1er décembre 1844.
(6) Voici deux billets qui sont du même temps :
Ce 40 décembre [vers 4843?]. Monsieur, Je vous suis extrêmement reconnaissant du renseignement bibliographique que vous voulez bien me transmettre. Je ne connaissais pas l'indication de cette traduction en allemand du discours de 4843.
Je suis heureux, Monsieur-, de cette occasion de me considérer comme votre obligé, et de vous exprimer, avec mes remercicmens, l'assurance de mes sentimens distingués.
SAINTE-BEUVE.
Adresse : « Monsieur, Monsieur Ravenel, bibliothécaire à la Bibliothèque de la Ville (maintenant transférée près du Jardin des plantes, Paris). »
6 octobre [avant 4848]. J'ai encore à vous remercier, Monsieur, ' de votre dernière recherche. Elle épuise la
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Après le chevalier de Parny, c'est une cheralière qui trouble Sainte-Beuve et le fait recourir à la sagacité de son correspondant. La lettre est du 2 janvier, et, dans le post-scriptum, le critique s'excuse joliment de commencer l'année en offrant à Ravenel ce « bouquet d'épines ». Il en avait pourtant bien le droit, s'il était déjà décidé que son étude sur Mlle Aïssé serait réimprimée en tête de l'édition des Lettres à Madame Calandrini, préparée par le bibliothécaire.
Ce % janvier [4846], Cher Monsieur,
Il y a de quoi donner sa langue aux chiens. J'avais cru, sur la foi
des lettres de lord Bolingbroke, tome II, p. 446, et tome III, p. 186, que
l'ambassadeur M. de Ferriol était mort en 1722; et voici que Mlle Aissé,
dans une lettre de 1726 (VI 0 lettre), dit qu'elle a eu tout à la fois la mort
de son bienfaiteur M. de Ferriol, l'asthme du chevalier et la réduction des
rentes, etc. Voilà un passage qui me parait demander révision; a-t-il
attiré votre attention ? Je vous le signale. Je crois qu'il y a erreur dans
cette lettre.
Sans excuse, et mille amitiés.
SAINTE-BEUVE.
Je vous envoie pour étrennes des difficultés biographiques, des épines pour bouquet.
Autre question, plus facile à résoudre : il ne s'agit que de l'emprunt d'un livre de la Bibliothèque :
Ce 40 février 4846. Cher Monsieur, Je désirerais bien avoir, de la bibliothèque du Roi, pour quelques
question, et ce n'est pas votre faute si, tout examen fait, il reste un peu de doute, comme dans toutes choses humaines, petites ou grandes. Mille et mille remerciemens et sentimens dévoués.
SAINTE-BEUVE.
Adresse : « Monsieur, Monsieur Ravenel, à la Bibliothèque du Roi. »
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 129
jours, la Vie du duc de La Rochefoucauld-Liancourt, écrite par le marquis Gaétan de La Rochefoucauld, publiée en 1827, in-8° (1). Pourriezvous me la faire trouver?
Mille remerciements et mille amitiés.
SAINTE-BEUVE.
En février 1846, un petit orage traverse la vie de Sainte-Beuve : M. de Salvandy, qui depuis un an avait remplacé Villemain au Ministère de l'Instruction publique, interdit l'impression de la Relation inédite des derniers momens de Louis XV, qui devait paraître dans la Revue des Deux Mondes du 15. Sainte-Beuve ne se tint pas pour battu : il écrivit au trop scrupuleux ministre une lettre que celui-ci dut lire sans trop d'agrément (2), et, pour instituer quelques amis de choix comme arbitres entre l'autorité et lui, il fit conserver la composition de son article par Gerdès (3), qui en exécuta trente tirages à part. L'un d'eux était destiné au dépôt légal, et l'auteur mis à l'index tenait à ce que la Bibliothèque royale le plaçât soigneusement sur ses rayons. A qui s'adresser en cette occasion, sinon à l'excellent Ravenel, qui d'ailleurs tint compte de la recommandation (4) ?
Ce 49 février [4846]. Cher Monsieur,
Il doit être déposé aujourd'hui 19 février une brochure d'une 20" de pages, intitulée Relation inédite des derniers momens de Louis XV.
(1) Paris, Delaforest, A. Dupont. —On peut observer en passant que c'est peut-être à cet écrivain que Sainte-Beuve emprunta le titre de ses Consolations (mars 1830). Dès 1825, en effet, Gaétan publiait, sous le nom de L. de Montchevreau (nom d'une de ses terres, qu'il habitait alors) un volume intitulé : Consolations et Poésies diverses (Paris, Bosange père, in-32; vendu au profit des Grecs, à l'Exposition du Bazar SaintHonoré.)
(2) Voyez la Correspondance de Sainte-Beuve publiée par M. Jules Troubat, t. I, p. 133.
(3) L'imprimeur de la Revue des Deux Mondes.
(4) Cet opuscule est aujourd'hui coté Lb 38 1852; il porte le timbre de la Bibliothèque Royale et la date de 1846.— La Relation a été réimprimée dans les Portraits Littéraires, t. III, p. 511, sous le titre de Relation inédite de la maladie de Louis XV; cf. p. 539, en note : « Cette relation avait été imprimée en 1846, à un très petit nombre d'exemplaires. »
17
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130 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Veuillez la guetter lorsqu'elle arrivera a la bibliothèque du roi et la lire. Je vous expliquerai mieux ce que c'est en causant. Je vous la recommande.
En deux mots, c'est un article qui devait paraître dans la Revue des Deux Mondes du 15, et que M. de Salvandy a empêché d'insérer sous menace de saisie ! (Entre nous.)
Lisez et faites que celle petite pièce curieuse ne se perde pas. J'ai pris sur moi d'en faire tirer quelques exemplaires (30).
J'ai bien des choses à vous dire sur les descendans d'Aïssé, mais ce
sera en causant (1).
A vous.
SAINTE-BEUVE (2).
La bourrasque passée, on revient aux Lettres de Mlle Aïssé :
Ce 2 juin [4846]. Cher Monsieur, Recevez mon sincère compliment (3). Je vous le porterais si je n'étais malade, et retenu au lit par un mal assez grave au pied. J'ai reçu de bonnes nouvelles de Genève : le dessin du portrait est fait et bien fait; je le recevrai dans une huitaine de jours (4). Rien ne nous arrête donc plus et je vais livrer mon commencement à M. Gerdès.
Mille amitiés. A bientôt, j'espère, du moins quand je pourrai aller.
SAINTE-BEUVE.
(1) Sainte-Beuve avait remis à Ravenel, probablement pour la compléter, la note autographe suivante : « Le contrat de mariage de MUe Céline [Célénie] Leblond [fille de MUc Aïssé et du chevalier d'Aydie] avec le vicomte de Nanthia se fit au château de Lanmary, le 15 octobre 1740. » Cf. Portraits Littéraires, t. III (1878), p. 177.
(2) Adresse : « Monsieur, Monsieur Ravenel, conservateur à la Bibliothèque du roi. »
(3) Ravenel avait été décoré quelques jours auparavant.
(4) Il s'agit du portrait de MIIe Aïssé destiné à servir de frontispice à l'édition des Lettres donnée par Sainte-Beuve et Ravenel. Töpffer mourant s'était chargé de le faire dessiner. Cf. Nouvelle Correspondance de Sainte-Beuve, publiée par M. Jules Troubat, p. 103 (lettre du 8 avril 1846); voyez aussi Correspondance, 1.1, p. 137 note 2, et p. 138.— Le portrait de M"e Aïssé parut en effet en tête des Lettres de Mlle Aïssé à Mme Galan-
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SAINTE-BEUVE ET LA BIRLIOTHÈQUE NATIONALE 131
Bientôt Sainte-Beuve se liait assez avec Ravenel pour se laisser inviter, lui si casanier, à la « campagne » suburbaine de son précieux correspondant. Nous ignorons s'il donna suite à ces projets d'amicale villégiature; mais, ce qui semble certain, c'est qu'il prit peu à peu le chemin de la rue Colbert pour s'y réunir, dans de familières et savantes causeries, aux amis de Ravenel et de Mlle Dupont. On en trouvera un peu plus loin la preuve incontestable; mais ne semble-t-il pas qu'elle apparaît déjà dans la lettre du 4 novembre 1846? Elle a été écrite un mardi soir ou un mercredi, peu après une de ces tranquilles soirées du lundi, où l'on discutait les détails les plus secrets de la biographie de nos grands écrivains. On avait cru découvrir, dans un document conservé à la Bibliothèque de la rue de Richelieu, l'existence d'un enfant naturel de Pascal (1). Cette découverte piqua, comme on peut le penser, la curiosité de Sainte-Beuve. Il s'y attacha, chercha, creusa, et l'on va voir la conclusion — négative — qu'il exprime avec un spirituel dépit.
Ce 4 (novembre 4846) (2).
Cher Monsieur,
Il ne faut pas rester sur les fausses nouvelles. La vérité avant tout! Pascal a pu en faire d'autres, mais il n'a pas fait celui-là. Malgré les coïncidences de dates et nos vraisemblances d'hier, le Biaise Pascal père de cet. enfant et qui est qualifié de secrétaire du Roi, doit être le même que celui dont il est question dans les Mémoires de Fléchier de M. Gonod, page 42, note (3). C'est un oncle à la mode de Bretagne ; Fléchier
drini, 5e édition, revue et annotée par M. Ravenel, avec une Notice par M. Sainte-Beuve (Paris, Gerdès, 1846, in-18, avec deux portraits). — La Notice a été réimprimée, avec de nouvelles additions, dans les Derniers Portraits Littéraires; Sainte-Beuve y est revenu avec un amour inlassable.
(1) M. Michel Deprez m'a plusieurs fois parlé de cette pièce, mais je n'ai pu réussir à la retrouver.
(2) Mois et millésime ajoutés par Ravenel.
(3) Mémoires de Fléchier sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 4663-4666 (Paris, 1844, in-8°). L'exemplaire de la Bibliothèque nationale (Lb 37 156 Rés.) porte la note au crayon suivante, qui paraît être do la main de Ravenel : « Rare. Un grand nombre de familles ont, cru avoir intérêt à faire disparaître cet ouvrage, »
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132 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
lui-même s'y était trompé. Ainsi nous sommes dépriés du baptême. La
nature humaine a tant de malice que j'avoue que j'en suis un peu
piqué.
Tout à vous, cher Monsieur.
SAINTE-BEUVE.
La lettre suivante nous révèle une indisposition du critique et indique combien il appréciait dès lors l'amitié et le dévouement du conservateur de la Bibliothèque.
Ce 22 février [4847?], lundi. Cher Monsieur,
L'intérêt que je sais que vous me portez me fait vous dire que si je ne vais pas vous voir, c est que mon mal est toujours stationnaire. Demain M. Sichel se décide à me cautériser la partie engorgée (1). En effet, il est temps que cela finisse, car je suis bien découragé.
J'espère que vous usez toujours à merveille de vos excellens yeux.
J'offre mes hommages à Mademoiselle Dupont et je désire la savoir
tout à fait bien.
Tout à vous.
SAINTE-BEUVE.
Il a sans cesse recours à ce savant et aimable fonctionnaire. On lui signale des lettres de l'abbé Prévost qui dorment dans un volume de Dom Grenier ; aussitôt d'écrire à Ravenel pour le charger de lire les pièces et de dire son avis. Ravenel fit mieux : il les copia, et Sainte-Beuve jugea qu'il n'avait pas eu tort, puisqu'il les inséra in extenso, deux mois plus tard, dans son étude sur L'abbé Prévost et les Bénédictins (2). Peut-être même lui donnèrent-elles l'idée de cette curieuse étude à laquelle, malgré de nouvelles recherches, on n'a rien ajouté d'essentiel. Et Ravenel ne se contentait pas de faire les
(1) Jules Sichel, le savant ophthalmologiste, mourut avant Sainte-Beuve, le 18 novembre 1868. Il était son aîné d'un an environ.
(2) Portraits Littéraires, t. III, p. 453 (3 juillet 1847).
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 133
enquêtes et les vérifications dont le sollicitait son correspondant; il lui indiquait spontanément les dossiers intéressants conservés dans le grand dépôt de la rue de Richelieu, comme on va le voir pour Fréron, comme on le verra un peu plus tard pour le chevalier de Méré. Les éditeurs de MIle Aïssé restaient collaborateurs et le devenaient même de plus en plus.
Ce 24 mai [4847]. Cher Monsieur,
On me dit que dans le n° 5 du 15e paquet de Dom Grenier (aux manuscrits de la Bibliothèque du Roi) il y a des notices concernant les hommes illustres de Hesdin, et que parmi ces notices il y a deux lettres autographes de l'abbé Prévost (1). Les avez-vous jamais lues? Si vous y jetiez les yeux, dites-moi s'il y a là quelque chose de curieux sur le grand romancier.
A quand le Commynes (2) ? Je n'ai plus rien pour les Débats.
J'irai vous voir à mes premières heures de liberté; nous sommes au plus fort des corvées académiques.
Mille et mille amitiés.
SAINTE-BEUVE.
Offrez mes respectueux hommages à Mademoiselle Dupont.
Vous m'avez dit un jour, il y a quelques mois, que vous me montreriez des choses curieuses à la Bibliothèque, sur Fréron, je crois, et sur ses rapports avec la censure du temps (3). Maintenant que j'ai des yeux, je Vous rappellerai cette promesse.
Peu à peu, grâce à ce commerce littéraire incessant, les liens se resserraient entre le bibliothécaire et le critique. Le «Monsieur.»
(1) Collection de Picardie (Dom Grenier), vol. 103, fol. 54-56.
(2) Le dernier volume du Commynes de Mlle Dupont.
(3) C'est le curieux dossier qui remplit presque à lui seul le ms. de la Bibliothèque nationale coté Nouv. acq. franc. 3535.
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134 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
de 1845, le « Cher Monsieur »de 1846, devient pour la première fois (1), vers la fin de la lettre suivante, datée de septembre 1847, le « Cher Monsieur et ami», qu'il restera jusqu'au séjour de Sainte-Beuve à Liège. C'est le charme de Mlle Aïssé qui a opéré; des deux correspondants elle a fait deux amis. Dès lors, Sainte-Beuve, l'écrivain toujours pressé et qui ne se permet pas de distraire une seconde de son temps, s'intéresse à la villégiature de son ami, à ses plaisirs de pêcheur, à son amie MUe Dupont, malgré sa situation irrégulière et cette ombre de pédantisme que le portraitiste des Lundis n'aimait guère chez les femmes. La première lettre qui nous révèle cette familiarité naissante est une des plus délicates qui soient sorties de la plume du critique, une de celles où transparaît le plus clairement sa simple bonté et sa franchise de coeur.
Le 22 septembre [4847]. Chez- Monsieur, Je n'ai pas du tout de vos nouvelles ; j'en voudrais bien, pourtant Vous n'avez guère eu de beau temps ; je crains que les poissons ne soient
(1) Cependant, voici deux lettres qui semblent antérieures à 1846, puisque le chapitre sur les livrets de Port-Royal parut en 1846 (t. III, p. 413 et suiv.), et dont la première porte déjà le signe d'amitié :
Ce 46 janvier, mercredi. Cher Monsieur et ami,
Voici une édition des Lettres de la comtesse de Brégy. Est-ce celle qu'il vous faut ? Si vous avez sous la main les petits livrets de Port-Royal, soyez assez bon pour les remettre au porteur.
Comment est MUe Dupont aujourd'hui? Je vous offre toutes sortes de voeux et d'amitiés.
SAINTE-BEUVE.
Ce S février. Cher Monsieur,
Voilà que j'envoie prendre la 2e édition du Bossuet.
Je joins ici une petite note de celui des petits livres de Port-Royal qu'il me serait le plus
utile de trouver [et qui ont disparu par suite de leur vulgarité même] (l).
A bientôt. J'espère que Mlle Dupont va toujours de mieux en mieux.
A vous,
SAINTE-BEUVE,
(1) Le demie)' membre de la seconde phrase est ajouté de la main de Ravenel.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 135
restés à. l'abri sous leur feuillée et n'aient pas mordu à l'hameçon. Mais peut-être les aurez-vous séduits?et la faim aussi les aura-t-elle chassés hors du bois (1) ?
Mademoiselle Dupont est-elle contente ? L'êtes-vous à votre tour de ce changement dans la Bibliothèque, qui me parait avoir été conçu et décrété bien brièvement (dans les termes) ; mais peut-être que l'ancienne ordonnance à laquelle on renvoie, pourvoir [a] à tout (2).
Le Comynes est-il imprimé en attendant (3) ?
J'ai bien pensé à vous aller voir, sans en trouver le temps un seul jour. Veuillez, cependant, me dire jusqu'à quand vous resterez, et me répéter les moyens exacts d'arriver. S'il est possible de ne pas coucher, j'irai à coup sûr, car c'est toujours le découcher qui m'inquiète. Après tout, revenir lard ne m'effraye pas. A quelle heure est le dernier convoi ?
Enfin, je ne voudrais pas vous laisser revenir ici sans avoir visité votre ermitage de là-bas, et vous y avoir vus dans tous vos passetemps champêtres^ Il est bon de voir ses amis partout où ils sont contens. Cela peuple ensuite le souvenir, et quand ils vous parlent de ce qu'ils aiment, on peut leur répondre.
Bonjour, cher Monsieur et ami, offrez mes humbles hommages, s'il vous plaît, à Mademoiselle Dupont.
SAINTE-BEUVE.
Les soirées de Ravenel ont eu le bonheur de voir l'illustre collaborateur du bibliothécaire ; son « ermitage » de Charenton, s'il a jamais vu l'hôte désiré et toujours promettant, a dû plus d'une fois l'attendre
(1) C'est dans la petite rivière d'Hyères, au-dessus de Charenton, qu'il taquinait le goujon pour se reposer de ses travaux d'histoire littéraire. M. de Montaiglon m'a souvent parlé de ces parties de pêche qui faisaient la joie de Ravenel.
(2) Ordonnance royale du 2 septembre, contresignée par M. de Salvandy.
(3) M 110 Dupont avait commencé en 1841, pour la Société de l'Histoire de France, une édition des Mémoires de Philippe de Commynes, qu'elle termina en 1848 (Paris, Renouard, 3 vol. in-8°).
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136 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
en vain. Voici, en tout cas, un incident qui fit manquer le voyage au moment où Sainte-Beuve était prêt à partir. La scène est encore à la Revue des Deux Mondes ; mais ce n'est plus à M. de Salvandy, c'est à Buloz que le critique a affaire. Un règlement de compte qui avait soulevé des difficultés de la part du pratique et entêté directeur avait mis le feu aux poudres et, qui pis est, mis le modeste créancier dans l'embarras (1). Un article sur M. de Rémusat, que l'intéressé voulait voir paraître dans la Revue, ramena inopinément l'accord entre les deux vieux amis ; mais Sainte-Beuve dut rester à Paris pour y attendre et corriger ses épreuves : la promenade à Charenton fut renvoyée aux calendes grecques.
Ce lundi 27 (septembre 1847). Cher Monsieur, Je reçois vos bonnes et réitérées explications, mais en voilà bien d'une autre. Vous savez peut-être que j'avais fait, durant mes semaines de campagne, un grand article sur M. de Rémusat. L'article fait, l'embarras était de savoir où l'insérer. J'avais écrit à M. de Rémusat pour lui proposer divers partis ; il avait désiré, dans le temps, avant son départ de Paris, que ce pût être mis dans la Revue des 2 Mondes, et je lui avais exposé l'état de nos griefs. Depuis lors, il n'en avait plus été question entre nous. Mais dans les deux lettres que je viens de recevoir de lui, il m'annonce avoir reçu de Buloz des engagemens pour paiement à termes fixes de mes 2000 fr., et promesse de toutes les satisfactions que je pourrais désirer; là-dessus, c'est-à-dire samedi, j'ai lâché l'article qu'on imprime à force et qui va paraître le 1er. Je vois bien que c'est pour être ici le 1er que vous revenez lundi. Mais vous retournerez, n'est-ce pas ? et alors nous pourrions faire le voyage ensemble, car il me parait impossible, malgré la rapidité de Gerdès, que l'article soit achevé d'imprimer et de corriger pour mercredi malin (2).
(1) Voy. les deux, lettres de Sainte-Beuve à Madame Bascans, du 25 décembre 1846 et. de janvier 1847 (Correspondance, t. I, p. 140 et 141).
(2) Gerdès fut plus rapide que ne le pensait Sainte-Beuve ; l'article parut au jour dit, le 1er octobre 1847. Cette sorte de témoignage de reconnaissance envers M. de Ré-
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 137
Il ne me paraît pas moins impossible que je me passe, cette saison, de voir votre ermitage, surtout après que le goût m'en est venu si vivement à la bouche. Ma lettre va courir à la grande poste pour arriver à temps.
Mademoiselle Dupont a raison toujours, excepté quand elle croit que je suis homme à ne pas trouver tout d'emblée à satisfaire mon appétit en arrivant brusquement à votre table. On voit bien qu'elle ne sait pas ce que c'est que cet appétit.
Offrez-lui mes meilleurs hommages, et croyez-moi, cher Monsieur, bien à vous avant, pendant et après jeudi.
SAINTE-BEUVE.
Si Mlle Aïssé tenait alors la place principale dans les préoccupations de Sainte-Beuve, elle n'était pas seule à égayer sa vie intellectuelle. La lettre qui suit prouve qu'elle avait des rivales dont le portrait tentait dès lors la plume du critique.
Ce 27. Lundi. Cher Monsieur, J'ai reçu des lettres inédites de Mme Du Deffand (trois), et de la marquise de Créqui (la véritable) (1) (quatre) ; je voudrais bien vous les montrer ; y serez-vous aujourd'hui vers 4 heures ? Car il faut que je les rende demain. Je les fais copier, mais je voudrais vous montrer les pièces mêmes.
Mille amitiés.
SAINTE-BEUVE.
Voulez-vous agréer ces 2 volumes de mes Portraits Contemporains (2) ?
musat, qui avait signalé aux lecteurs du Globe le Tableau de la Poésie française au XVIe siècle, a été réimprimé dans les Portraits Littéraires, t. III, p. 308.
(1) C'est-à-dire, très probablement, la correspondante de Rousseau (cf. Nouveaux Lundis, t. IX, p. 387). Ravenel s'était déjà beaucoup occupé de Rousseau, et SainteBeuve n'a pas manqué de rendre hommage à l'érudition de son ami sur ce point spécial (Nouveaux Lundis, t. IV, p. 191, note).
(2) Paris, Didier, 1847, 2 vol. in-12.
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138 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Le « Cher Monsieur » qui se trouve en tête du petit billet suivant dépourvu de toute date, autorise à placer ici cette nouvelle demande de prêt adressée au conservateur des imprimés de la Bibliothèque :
Cher Monsieur,
Aurez-vous l'obligeance de remettre au porteur de ce billet les volumes que vous aurez pour moi ? Je vous les reporterai bientôt. Mille hommages auprès de vous (1), et mille amitiés.
SAINTE-BEUVE. Ce jeudi, 3 heures.
Les menus et précieux services de Ravenel continuent, s'amoncellent, éveillent chez Sainte-Beuve une affectueuse reconnaissance qui ne fera plus que croître avec les années. Le « Cher Monsieur et ami » remplace presque définitivement le « Cher Monsieur » tout court. C'est le chevalier de Méré qui fait faire ce pas décisif à l'amitié des deux curieux de détails biographiques et littéraires. L'article qui est consacré au législateur mondain du XVIIe siècle doit sa pièce de résistance — la conversation avec La Rochefoucauld — aux recherches de Ravenel, et Sainte-Beuve en convient avec une bonne grâce que n'ont pas toujours les obligés en pareille matière.
Ce 24 [décembre 1847], mardi.
Cher Monsieur et ami,
J'espérais bien vous voir un instant avant le dîner, mais j'ai été retenu et je ne veux pas remettre pour vous remercier de votre très bonne et très utile note qui a déjà trouvé place dans l'article. En voilà un qui vous devra encore beaucoup, car c'est la conversation avec La Rochefoucauld qui en fait la page principale. Ce chevalier m'a retenu plus longtemps que je n'aurais cru, et on n'en finit pas avec lui comme on le voudrait.
(1) C'est-à-dire à Mlle Dupont.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 139
Mais c'est la lettre 195e qui est la plus curieuse : a-t-on idée de telles moeurs professées si poliment ?
Somme toute, malgré nos plaintes , et en gros, nous valons mieux (1).
A bientôt, et mille amitiés reconnaissantes.
SAINTE-BEUVE.
Les petits services sont d'ailleurs réciproques, et Sainte-Beuve ne veut pas être en reste avec Ravenel.
Cher Monsieur et ami,
M. Bertin (2) a répondu Oui. Ainsi veuillez m'envoyer pour demain
de bonne heure l'épreuve avec l'indication précise du titre du Journal et
de son objet (3). Voici le La Morlière (4)pour Mlle Dupont; j'espère que
c'est ce qu'elle désire, du moins la seconde partie du volume. Je vous rends
aussi le tome 1er de Méré avec prière de le faire effacer. Mille amitiés.
A bientôt.
SAINTE-BEUVE. Ce 30 décembre [1847], jeudi.
La « conversation avec La Rochefoucauld » valait bien une visite. Le critique a mal à la jambe ; mais il est quand même décidé à monter, le lundi qui suit l'apparition de l'article, l'escalier de la rue Colbert.
Ce dimanche [9 janvier 1848], 3 heures. Cher Monsieur et ami, Je me suis trouvé pris depuis jeudi dernier d'un mal de jambe qui n'est pas encore fini. C'est ce qui m'a empêché de vous aller voir ; je viens
(1) L'article sur Méré parut la semaine suivante (1er janvier 1848 ; cf. Portraits Littéraires, t. III, p. 85). La conversation avec La Rochefoucauld s'y trouve p. 118 et suiv. Et un peu plus haut, dans la note 1 de la p. 118, Sainte-Beuve s'exprime ainsi : « Mais la 17e [195e ? lettre], qui est une lettre de rupture, ne saurait se qualifier autrement que de brutale, et elle paraîtrait aujourd'hui indigne d'un honnête homme. »
(2) Le directeur du Journal des Débats.
(3) S'agirait-il du Journal de la Librairie, auquel Ravenel collabora plus d'une fois ?
(4) Sans doute les Antiquités de la ville d'Amiens, avec le Recueil qui les suit (Paris, 1642, in-folio).
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140 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
vous offrir mes excuses ainsi qu'à Mademoiselle Dupont et vous demander ce qui a lieu pour demain lundi.
La réunion a-t-elle lieu ? Tout invalide que je suis, j'espère n'y point manquer si rien ne m'arrive ; car je suis mieux aujourd'hui et je serais allé vous dire bonjour en voiture, si je ne craignais un peu de monter l'escalier. — Dites-moi seulement par un petit mot si c'est demain que vous et vos amis vous avez choisi, ou si c'est retardé.
Agréez, cher Monsieur, mes sentiments bien dévoués.
SAINTE-BEUVE.
M. Maury (1), à qui j'avais écrit hier au sujet de la question de Mlle Dupont, n'est point venu à la Bibliothèque.
Philippe de Commynes revient souvent dans cette série de lettres. Mlle Dupont est arrivée au terme de sa longue tâche d'éditeur, et Sainte-Beuve désirerait témoigner sa reconnaissance à Ravenel par un article sur le travail de son érudite compagne. Le chroniqueur du XVe siècle se prête d'ailleurs de bonne grâce à faire bien accueillir rue Colbert quelque demande de petite recherche ou de prêt de quelque livret rare de la Bibliothèque, comme on le verra dans la lettre suivante.
Ce 3 [juin 1848], samedi. Cher Monsieur,
Je vous ai manqué hier. Vous partez pour la campagne ; j'y vais de mon côté passer quelques jours. Seriez-vous assez aimable, à votre retour, pour voir si vous pourriez mettre la main sur le petit livre dont je joins ici la note ?
Mille amitiés. J'offre mes humbles hommages à Mademoiselle Dupont.
SAINTE-BEUVE.
Dès que vous aurez le Comines en épreuves, je me recommande à vous (2).
(1) Alfred Maury. Il s'agissait probablement d'une question au sujet de l'édition de Commynes que Mlle Dupont achevait à ce moment-là.
(2) Il avait dès lors l'intention de consacrer une étude au Commynes de Mlle Dupont.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 144
Le critique est du reste, selon son habitude, sincère et même pressant dans son désir de mettre en valeur le gros ouvrage de l'amie de son précieux correspondant de la Bibliothèque. Témoin cette lettre, qui montre gaiement, légèrement, l'ironie toujours professée par Sainte-Beuve pour les publications officielles, s'agît-il du vénérable Journal des Savans. La petite négociation à laquelle il est fait allusion ne semble pas avoir eu de suites; en tous cas, on ne trouvera rien de pareil dans le Journal.
Ce 23... [1848 ?]. Cher Monsieur et ami,
En partant, je me permets de vous hâter sur le Comynes. J'ai dit à M. Lebrun que j'aurai la notice imprimée dans 10 jours. Ne me mettez pas trop en faute avec ce grave Journal des Savans : on ne badine pas avec ce bureau-là.
Mille amitiés à vous, et auprès de vous mille hommages.
SAINTE-BEUVE.
Jusqu'ici la politique n'avait pas même effleuré la vie de SainteBeuve. Il s'en gardait avec une pudeur jalouse. Les hommes de la Révolution de février semblaient cependant tenir à se l'attacher ; il comptait parmi eux d'excellents amis, entre autres Edouard Charton, qui fut chargé de lui jeter l'hameçon. Il fit tout d'abord comme les poissons de la rivière d'Hyères : « il resta à l'abri sous la feuillée » et préféra à quelque agréable sinécure sa vie laborieuse et plus que jamais mal assurée. La petite aventure de la cheminée de l'Institut qui fuma si mal à propos en 1847 et qui avait déterminé Sainte-Beuve, après une absurde campagne de Génin, à abandonner ses fonctions de conservateur à la Bibliothèque Mazarine, où il était depuis 1840, pouvait se renouveler, et le démissionnaire, trop bien renseigné désormais sur le caractère timoré de ses amis politiques (1), ne voulait plus s'exposer
C'était une des manières les plus sûres de faire plaisir à Ravenel. L'article parut le 7 janvier 1850 (Causeries du Lundi, t. I, p. 190).
(1) La protestation de Sainte-Beuve parut d'abord dans le Journal des Débats et fut reproduite dans le Moniteur du 31 mars 1848. Voy. la préface de Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire, t. I (1861), p. 3.
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142 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
à pareil souci. Il préférait rentrer, coûte que coûte, dans les rangs des francs-tireurs de la littérature et de la presse.
Ce 29 [août 1848], mardi.
Voilà que je réfléchis aux aimables paroles que vous m'êtes venu porter. Tout bien pesé, je ne veux que remercier bien vivement notre ami Charton ; mais il ne faut rien désirer ni rien recevoir en ce moment. Je crois que c'est mieux. Attendons non par méfiance, mais par discrétion. Ainsi, cher Monsieur et ami, remerciez bien pour moi, et puis remerciez encore. — A vous de coeur.
J'offre mes hommages à Mlle Dupont.
SAINTE-BEUVE.
La Bibliothèque Mazarine avait perdu Sainte-Beuve, qui ne voulut donc pas entendre parler de compensation officielle. Mais Sainte-Beuve avait, de son côté, perdu un traitement et des commodités qui l'obligaient à chercher ailleurs de quoi subvenir à son modeste train de vie. C'est alors que Casimir Bonjour et les Rogier lui offrirent une place de professeur de littérature française en Belgique : au mois d'octobre 1848 , il quittait la France pour faire deux cours à l'Université de Liège. Là, pas plus qu'à Paris, il n'oublia ses amis de la rue Colbert et la Bibliothèque où il avait trouvé et devait trouver plus tard encore tant de renseignements et de secours. La singulière importance des deux lettres qui suivent pour la psychologie de Sainte-Beuve et l'histoire de son « Chateaubriand » n'a guère besoin d'être mise en relief : elles parlent d'elles-mêmes assez clairement. La première a été écrite dès les premiers jours de son arrivée à Liège.
Liège, ce 10 octobre [1848]. Cher Monsieur (1),
C'a été un grand regret pour moi de partir de Paris sans vous serrer la main et sans saluer Mlle Dupont. Vous m'aurez excusé. J'en suis à
(1) C'est la dernière fois que, par un simple lapsus, cette formule paraît dans les lettres à Ravenel.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 143
mon 3e voyage en Belgique depuis 5 semaines. J'ai à peine posé à Paris dans les intervalles, et vous étiez à la campagne.
Gardez-moi un bon souvenir, cher Monsieur ; il y a, dans le parti que j'ai pris, bien de la souffrance au fond ; je ne sais si je parviendrai par l'étude à combler le vide que me font tant de chères habitudes : je suis comme un arbre déraciné, et dont les racines saignent ; pourront-elles prendre ailleurs ?
Dans tous les cas, vous me tiendrez une place, n'est-ce pas ? et dans votre coeur et à votre foyer.
Tout à vous ; offrez mes dévoués hommages à Mlle Dupont, et mes
amitiés à M. Bouvier.
SAINTE-BEUVE (1).
Les amitiés deviennent plus chères dans l'exil même librement accepté. A partir du mois de novembre 1848, Ravenel est définitivement promu au titre d' « ami », et il dut être flatté des confidences que lui faisait son illustre « ami ». Une complaisance de tous les jours, qui ne s'était jamais démentie et ne se démentit jamais, lui avait valu cette distinction. Sainte-Beuve, d'ailleurs, dut à ce moment-là recourir souvent à ses bons offices et puiser grâce à lui dans les richesses de la Bibliothèque nationale; car il devait être singulièrement privé de moyens de travail dans cette bonne ville de Liège. « L'arbre déraciné » étendait vers Paris ses racines qui menaçaient de se dessécher sous le vent du désert.
Liège, ce 29 novembre [1848]. Mon cher ami,
Vous êtes mille fois aimable et plus exact que je n'avais songé à désirer. Vous répondez à la question d'une manière qui me paraît décisive ; mais ici dans ce cours public, je n'entrerai que peu dans ces détails, qui un jour, si je fais de ceci un livre, me fourniront la matière d'une bonne note, plume en main. J'amasse et je bâtis, un peu vaille que vaille.
(1) Adresse : « Monsieur Ravenel, conservateur à la Bibliothèque nationale, 6, rue Colbert (près la rue Richelieu). » Ravenel avait été nommé conservateur le 1er mars 1848.
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144 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Si je retrouve du loisir, j'arrangerai et j'ordonnerai tous ces matériaux en ouvrage. Je suffis, jusqu'ici, à ma double tâche des deux cours (1).
Les vacances de Noël vont me permettre de refaire quelques provisions. Vers le milieu de l'année, s'il le faut, je modérerai la charge, et me réduirai à deux leçons. Si vous m'entendiez, vous me trouveriez bien hardi et bien franc : je dis sur ces personnages de 1800, et sur Chateaubriand notamment, tout ce que je pense. Voilà à quoi sert la distance.
J'ai réduit à sa juste valeur l'odieux jugement qu'il fait de Ginguené et de Chamfort, et je n'ai eu pour cela qu'à opposer à la page des Mémoires les pages de l'Essai sur les Révolutions, où il parle d'eux avec autant d'estime que de sensibilité.
A Paris, avec l'Abbaye-au-Bois dans le fond, il me serait impossible d'user de cette liberté, qui, je vous répète, est ici entière de ma part. Si je fais un jour un volume de cela, il en restera quelque chose.
Que je voudrais bien pourtant être à Paris pour vous pousser à l'édition de la Ménippée. Nous ferons ensemble une édition de Mme de StaalDelaunay. Ne croyez pas que j'y renonce.
J'offre mes hommages reconnaissans à Mlle Dupont, et je conçois ses prédilections politiques. Ceux qui veulent que la R[épublique] dure doivent être pour Cavaignac. Les autres ne cherchent qu'un point d'appui et une transition pour en sortir.
Il vient d'avoir du reste un vrai succès, et d'honnête homme.
Dites mes amitiés à M. Bouvier, et aussi à Magnin. Encouragez-le à m'écrire. Cela me fait du bien.
Tout à vous avec amitié et reconnaissance.
SAINTE-BEUVE (2).
(1) Le premier cours était réservé aux étudiants et consacré à l'histoire de la littérature française depuis Villehardouin jusqu'au XVIIIe siècle. Du second cours, qui était public, sortirent les deux volumes sur Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire.
(2) Adresse : « Monsieur, Monsieur J. Ravenel, conservateur à la Bibliothèque Nationale, rue Colbert, n° 6, Paris. »
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 145
Liège, ce 19 février 1849, Mon cher ami,
Qu'il y a longtemps que je n'ai eu de vos nouvelles ! Je suis parti de Paris un peu brusquement, sentant qu'autrement je ne pourrais m'en arracher. J'ai repris à l'instant mon collier, avec un cou pelé, avec une main qui traîne et cloche toujours. Pourtant cela va un peu mieux. Mais vous, comment êtes-vous ? Et Madlle Dupont ? et M. Bouvier ? et celle paisible république de la rue Colbert, la seule que je regrette et que j'envie ?
J'irai vous embrasser à Pâques, c'est-à-dire dans 5 semaines. Je sais le compte des jours : ils sont marqués au crayon sur mon almanach.
Je fais mon cours qui devient un volume. Il sera terminé vers Pâques (le cours public sur Chateaubriand, Fontanes, etc.). J'aurai bien des petites questions à vous adresser. Si je ne puis me procurer le fameux discours de réception à l'Académie (1), je vous prierai de me prêter votre exemplaire.
La lettre à Fontanes sur la Campagne de Rome a-t-elle été imprimée à part dans le tems ? ou bien a-t-elle été insérée dans le Mercure ou quelque autre recueil ? Quérard se tait sur ce gros point. Vous parlerez (2).
J'accumule les points d'interrogation. C'est ce que je fais tout le long du jour, dans mes monologues. Je vis seul, je travaille, je souffre en me souvenant de mes amis ; au moins j'aurai un instant de vraie joie en les revoyant.
Dites-le à Mademoiselle Dupont, qui le sait bien. Comment a-t-elle
passé ce doux hiver ? Un petit mot, je vous en prie, sur vous tous.
A vous de coeur.
SAINTE-BEUVE (3).
(1) Le discours de réception de Chateaubriand, qui ne fut jamais prononcé, mais qui n'en fut que plus lu et commenté. Outre la plaquette imprimée, il en courut de nombreuses copies manuscrites, dont plusieurs subsistent encore.
(2) Ravenel a-t-il parlé ? Nous l'ignorons, et Sainte-Beuve n'en dit rien dans son Chateaubriand.
(3) Adresse : « Monsieur, Monsieur Ravenel, conservateur à la Bibliothèque Nationale, 6, rue Colbert (près du factionnaire), Paris. »
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146 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Amitiés à Magnin. Oh ! je le verrai, pour sûr, à Pâques. Ce n'est pas là du français très académique ; mais je suis à l'extrême frontière.
Voici Sainte-Beuve, son cours fini, de retour à Paris, et voici que reprend, plus direct et sans doute plus fréquent, le vol des petits billets vers la rue Colbert et la Bibliothèque.
Mon cher ami,
La Bibliothèque nationale pourrait-elle me prêter les volumes parus jusqu'ici des OEuvres de M. Etienne que publie F. Didot ? Je vous serai bien obligé de me les faire donner, s'il y a moyen (1).
Je suis si occupé que j'ai à peine une heure à moi, et que je n'ai pu
chercher à savoir si Mademoiselle Dupont est de retour.
Tout à vous.
SAINTE-BEUVE (2). Ce 17 octobre 1849.
P. S. La domestique retournera demain si les volumes peuvent être prêtés.
Lundi, ce 5 novembre 1849.
Mon cher ami,
Voici une petite note dont je serais bien heureux que vous puissiez me trouver les articles. J'ai à parler d'Hamilton dans mon prochain feuilleton. J'ai l'édition de Renouard (3 vol.) (3), mais je voudrais tâcher de trouver dans les éditions précédentes quelques détails moins connus et non reproduits.
(1) Les OEuvres de C.-G. Etienne, de l'Académie française, parurent en effet chez les frères Didot, de 1846 à 1853, en 5 vol. in-8°. L'article ne parut que le 20 septembre 1852 (Causeries du Lundi, t. VI, p 387). Sainte-Beuve avait déjà parlé d'Etienne dans les Portraits Littéraires, t. III, p. 395 (1er février 1846).
(2) Adresse : « Monsieur, Monsieur Ravenel, conservateur à la Bibliothèque Nationale. »
(3) OEuvres complètes, Paris, A. Renouard, 1812.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 147
Si vous pouvez m'y aider, vous ne ferez que ce que vous avez fait tant de fois. Je mène une vie d'ouvrier à la tâche, et vous, une vie d'amateur intrépide des champs.
J'enverrai demain savoir ce que vous aurez trouvé de ces volumes ; mais j'irai peut-être moi-même aujourd'hui vous serrer la main. Tout à vous.
SAINTE-BEUVE.
Mon cher ami,
J'envoie savoir si vous avez trouvé l'un des Hamilton-Walpole (1). Mille amitiés.
SAINTE-BEUVE (2). Ce 7 novembre 1849.
Voici encore un billet du même genre :
Ce mardi, 3 février.
Mon cher ami,
Voici met messagère qui vient chercher le volume de la Perse-Didot
publié par M. Dubeux (3).
Je vous suis bien obligé, comme toujours.
A vous.
SAINTE-BEUVE.
Après M. Etienne, après Hamilton, c'est Mlle Lecouvreur qui réclame l'infatigable bienveillance de Ravenel. Le général Bergère possédait sur la grande comédienne un dossier que Sainte-Beuve eût bien voulu acquérir directement. Peut-être pensait-il à donner un pendant aux Lettres de Mlle Aïssé ; car Ravenel est de la partie.
(1) L'édition donnée par Horace Walpole des Mémoires de Hamilton et dédiée à Madame du Deffand (Strawberry Hill, 1772, in-4° ; tiré à 100 exemplaires); réimprimée à Londres, 1783, in-4°.
(2) Adresse : « Monsieur Ravenel, conservateur à la Bibliothèque Nationale. »
(3) La Perse de Dubeux parut en 1841 dans la collection de l'Univers pittoresque.
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148 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Mon cher ami,
J'ai bien envie de faire acheter directement au général Bergère le dossier Lecouvreur. J'ai ou crois avoir un moyen presque sûr d'obtenir cela de lui.
Veuillez seulement prévenir M. Janet que si on l'interroge sur ce dossier pour une vente particulière, c'est de nous qu'il s'agit. Je suis si occupé que je n'ai pu aller causer avec vous. Mille amitiés et hommages à Mlle Dupont.
SAINTE-BEUVE. Ce 25 novembre 1849.
Mon cher Ravenel, La négociation vient de manquer : c'était trop tard. Ainsi il faut courir la chance des enchères. J'ajoute 100 fr. aux 200 que vous vouliez mettre ; ainsi allons jusqu'à 300. Mais je crains que nous ne l'ayons pas (1).
A vous d'amitié.
SAINTE-BEUVE.
Ce 27 [novembre 1849].
Ce 5 mars 1850. Mon cher ami, Me voilà en instance pour cette Correspondance de Mme du Deffand, édition de Londres. Nous causerons des Asiorg (2), mais c'est dur à première vue.
Tout à vous.
SAINTE-BEUVE.
(1) Il s'agit du « dossier Lecouvreur ». Sainte-Beuve publia peu après un article sur Adrienne (24 décembre 1849, cf. Causeries du Lundi, t. I, p. 158). Il y annonçait une prochaine publication de Ravenel.
(2) La lecture de ce mot est peu sûre.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 149
Mon cher ami,
Voici la Mme du Deffand de Londres, avec mille remerciemens pour toutes vos obligeances, et à bientôt. Toutà vous.
SAINTE-BEUVE.
Ce lundi matin [11 mars 1850] (1).
Entre Madame du Duffand, qui intéressa toujours si vivement Sainte-Beuve, et Madame de Genlis, qui va bientôt apparaître, se glisse l'élégant abbé de Chaulieu.
Ce samedi [16 ou 23 mars 1850].
Mon cher ami,
Y aurait-il moyen d'avoir de Chaulieu la première édition ou du moins celle où se trouve la biographie ou Mémoires sur lui par son neveu, je crois. Il y a dans les premiers travaux des détails que les biographes de seconde main ne reproduisent jamais. Je m'y prends d'avance pour vous prier de faire cette petite recherche (2). Tout à vous.
SAINTE-BEUVE.
Mais voici venir Madame de Genlis :
Mon cher ami,
Je fais remettre rue Colbert le Moretum (3) et autres livres, et les lettres de Malesherbes bien cachetées.
(1) Cf. Causeries du Lundi, t. I, p. 325 (11 mars 1850).
(2) Cf. Causeries du Lundi, t. I, p. 357 (25 mars 1850).
(3) Voy. la jolie page consacrée, un an après, au Moretum de Virgile dans les Causeries du Lundi, t. V, p. 25 (13 octobre 1851).
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150 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Sur Genlis, j'ai trouvé un bon Bonnard (1) ; j'ai trouvé un Précis de ma conduite (2).
J'ai ses principaux romans et ses Mémoires.
Mais je n'ai pas Mlle de Clermont (3) ni tout ce que votre zèle vous suggèrera (4).
Merci à vous.
Mille amitiés.
SAINTE-BEUVE* Ce lundi 7 octobre [1850].
Un grand deuil vient alors attrister la vie de Sainte-Beuve : sa mère, qu'il aimait profondément, meurt le 17 novembre 1850 (5). Ravenel, qui faisait un peu partie de la famille, fut un des premiers avisé de ce malheur.
Ce lundi 18 novembre [1850],
Mon cher ami,
J'ai la douleur de vous annoncer que hier soir dimanche à 5 heures 1/2 j'ai perdu ma pauvre mère : elle a été enlevée subitement. Avant-hier samedi à pareille heure, elle avait été prise de douleurs au coeur ou à l'estomac : elle semblait remise et je l'avais quittée dimanche à 4 h. 1/4 gaie et causant comme à l'ordinaire. Une heure après, le ressort de la vie s'est brusquement arrêté.
(1) Peut-être l'ouvrage de Garat : Précis historique sur la vie de M. de Bonnard (Paris, 1785). — L'article sur Malesherbes se trouve dans les Causeries du Lundi, t. II, p. 512 (23 et 24 septembre 1850).
(2) Le Précis de ma conduite pendant la Révolution, de Madame de Genlis (Hambourg, 1696, in-8° et in-12).
(3) La « Nouvelle historique » si célèbre de Madame de Genlis (Paris, 1806, in-8°).
(4) Sainte-Beuve travaillait alors à son article sur les OEuvres de Madame de Genlis, qui devait paraître quelques jours plus tard, le 4 octobre 1850. (Causeries du Lundi,
:t. III,: p. 16).
(5) Elle avait quitté Boulogne-sur-Mer dès 1823 pour venir habiter avec son fils.
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 151
Je vous verrai, mon cher ami, dès que je me serai acquitté des tristes et derniers devoirs.
Offrez mes respects à Mlle Dupont et mes amitiés à M. Amédée.
Tout à vous.
SAINTE-BEUVE (1).
Une longue lacune se présente ici dans les lettres de Sainte-Beuve à Ravenel. Est-ce à dire que leur amitié s'affaiblit entre les années 1850 et 1864, et qu'il ne circula plus ni livres ni billets entre la rue du Montparnasse et la rue Colbert ? Le fait est très peu probable, et l'on doit simplement croire que toute cette partie de la correspondance de Sainte-Beuve avec le fonctionnaire de la Bibliothèque n'a pas été conservée. Mais il n'en reste pas moins qu'il ne subsiste pour cette période qu'une lettre datée de 1856.
C'est alors une héroïne moins profane qui tente la plume du critique des Lundis : Jeanne d'Arc elle-même, remise en vive lumière par la publication de Jules Quicherat. Mais la Pucelle est moins heureuse que l'actrice ; elle parle moins à l'imagination de Sainte-Beuve et ne le met pas en verve. La plume tombe des mains de l'écrivain, ou plutôt — car il ne la quitte jamais — elle revient sur les traits plus mondains de Madame du Deffand. Mais cette faiblesse ne fut que passagère: le 19 août 1856, six mois à peine après cette lettre où perce quelque dépit, paraissait l'article sur le Procès de Jeanne d'Arc (2).
Ce lundi 4 février [1856].
Mon cher ami,
Tout bien considéré, je renonce à Jeanne d'Arc pour le quart d'heure. Cette pucelle est trop dure pour moi. Je me jette sur Mme du Deffand aussi platonique sur ses vieux jours et plus commode. Je viens vous prier de
(1) Cf. la lettre à l'abbé Barbe, du 25 décembre 1850, publiée par F. Morand dans tes Jeunes années de Sainte-Beuve (Paris, 1872, in-8°), p. 60.
(2) Causeries du Lundi, t. II, p. 399.
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152 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
me prêter l'édition anglaise de la Correspondance (1). Je vous suis bien reconnaissant.
Tout à vous.
SAINTE-BEUVE.
J'ai trouvé la vie de Hume dont je vous parlais l'autre jour : M. Cousin me l'a prêtée (2).
En 1864, nous trouvons Sainte-Beuve tout occupé de Madame Roland.
Ce 8 juillet 1864.
Mon cher ami,
Je compte toujours, absent et silencieux à votre égard, sur votre amitié pour quelqu'un qui est condamné sans relâche à tourner sa meule.
Je viens vous demander une indication. Je vois cité et je lis Lemontey sur Mme Roland : ce morceau n'est point recueilli dans les OEuvres de Lemontey.
Savez-vous où il a inséré ce portrait d'elle ? Est-ce dans la Galerie française ? Est-ce dans un journal ? Voilà ma question.
Le portrait de Lemontey est fort joli, et M. Dauban en a fait grand usage (3).
Je vous serre la main, et je présente mes humbles respects rue Crussol.
SAINTE-BEUVE.
11, rue Mont-Parnasse.
(1) Lettres à Horace Walpole... publiées d'après les originaux déposés à Strawberry Hill [par miss Berry] (Londres, 1810, 4 vol. in-12). Les réimpressions françaises (Paris, 1811, 1812 et 1824) avaient été mutilées par la censure : Sainte-Beuve n'en veut donc pas.
(2) John Hill Burton, Life and Correspondance of Dr Hume (Edimbourg, 1846, 2 vol. in- °).
(3) Cf. les trois articles sur Madame Roland dans les Nouveaux Lundis, t. VIII, p. 191 et suiv. (4, 11 et 18 juillet 1864).
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SAINTE-BEUVE ET LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 153
L'année suivante, c'est encore une femme qui l'attire : Madame de Verdelin. Chose curieuse, si sa lettre est exactement datée, il n'eut l'idée de recourir à l'inépuisable érudition de Ravenel qu'après l'apparition de ses premiers articles sur « cette charmante femme » (27 février et 6 mars 1865) (1).
Ce 8 mars 1865.
Mon cher ami,
Chéron (2) me dit que vous avez quelque chose de plus sur Mme de
Verdelin (3). Je le soupçonnais bien et j'avais prié Rochebilière de vous
le demander. Mais ce lambin s'y est pris un peu tard.
Je viens vous prier de réparer cette omission et de me permettre d'être
out à fait exact et complet sur cette charmante femme.
Tout à vous.
SAINTE-BEUVE.
P. S. — Je présente mes compliments affectueux à M. Bouvier et mes respects à Mademoiselle Dupont.
Seconde intrusion de la politique dans la vie de Sainte-Beuve ; mais, cette fois, il n'avait pas à s'en plaindre : le 28 avril 1865, il était nommé sénateur. Ses amis de la rue Colbert ne furent pas les derniers à lui envoyer le « bouquet » de leurs félicitations, et ce ne fut pas à SainteBeuve lé moins agréable de tous ceux qu'il recut à cette occasion. Sa réponse est d'une charmante simplicité : tout l'homme est là : « Nous tâcherons de mener même vie, de garder mêmes moeurs. » Mais il se doutait qu'il aurait quelque peine à conserver la plénitude de son indépendance un peu farouche. « L'honneur n'est pas sans inconvéniens. » On le lui fit bien voir, et ce fut une main chère entre toutes qui lui porta le coup redouté.
(1) Nouveaux Lundis, t. IX, p. 387.
(2) Paul Chéron, conservateur au département des imprimés de la Bibliothèque, préparait une édition des Lettres de Gui Patin, et plongeait ainsi dans ce XVIIe siècle
cher à Sainte-Beuve. Cf. Correspondance, t. II, p. 366, et Nouvelle Correspondance, p. 268.
(3) Le dossier de Ravenel sur Madame de Verdelin a été conservé.
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134 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Ce 4 mai 1865.
Cher ami,
J'ai été bien sensible à ces félicitations dont vous m'avez envoyé le bouquet.
Mlle Dupont a été bien sage dans son appréciation, et j'avoue que ma manière de voir se rapproche beaucoup de la sienne : j'étais bien fatigué depuis quelques mois, et l'idée de repos — d'un repos relatif — m'était devenue bien habituelle.
L'honneur, enfin, est bien flatteur ; il n'est pas sans quelques inconvéniens. Nous tâcherons de les rendre le moins grands possible et de mener même vie, de garder mêmes moeurs.
M. Bouvier est la bonté même d'avoir pensé à moi au sein de ses souffrances : je fais des voeux pour qu'il aille mieux, et je vous prie de recevoir tous mes vifs et sensibles remerciemens pour votre bon et fidèle souvenir.
SAINTE-BEUVE.
P. S. —Je crois que M. de Lamartine est assez indifférent à ces détails du temps d'Elvive (1).
Il est bien probable que la mort seule mit un terme à cette correspondance de vingt années. Il n'en subsiste que trop peu de lettres; mais on conviendra que, telle qu'elle est, elle présente le plus vif intérêt. Mieux que tout autre document, elle nous montre Sainte-Beuve dans le feu et comme dans la fusion de son chef-d'oeuvre dont les pièces se succédèrent, pendant si longtemps, toujours aussi fines, toujours aussi achevées, toujours aussi durables (2).
LÉON DOREZ.
(1) Sainte-Beuve n'était pas au mieux avec le grand poète, et ce n'est là qu'une des petites pointes — très amusante et sans doute très juste - qu'il lança contre lui.
(2) Ravenel survécut à son ami; il prit sa retraite en 1879 et mourut le 22 février 1884. Quant à Mlle Dupont, elle mourut le 1er avril de l'année suivante.
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SAINTE-BEUVE CRITIQUE MILITAIRE
Si l'on doit considérer l'art de la guerre comme une sorte d' « arcanes » où peuvent pénétrer les seuls adeptes et s'y retrouver les seuls initiés — ainsi que le soutiennent certains militaires, sans s'apercevoir combien ils rabaissent et rapetissent leur métier ! — il pourra paraître assez oiseux de rechercher quels ont pu être, en pareille matière, les opinions, jugements et impressions de l'intellectuel accompli que fut Sainte-Reuve ; et, sans doute, ses plus fervents admirateurs eux-mêmes ne manqueront-ils pas de regarder comme d'intérêt très secondaire et sans nul profit pour sa gloire les excursions qu'il a pu se permettre, accidentellement, en dehors du champ de la littérature et de la morale, qui était son domaine propre. Mais si, au contraire, on est persuadé, comme nous, que pour raisonner sainement des choses de la guerre, le bon sens « tout court » est la maîtresse qualité requise, que la pénétration et la rectitude du jugement peuvent suppléer dans une large mesure à l'insuffisance de l'instruction professionnelle, et qu'enfin une profonde connaissance des hommes n'est pas moins indispensable, en l'espèce, que la connaissance exacte et minutieuse des faits, — alors on trouvera peut-être intéressant et curieux de noter, dans la vaste et précieuse encyclopédie que constituent les Lundis, ce qu'a pu penser et écrire, touchant « le militaire », l'un des critiques les plus sagaces et l'un des plus fins psychologues du dernier siècle,
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136 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Souvent, en effet, à propos de quelque livre nouvellement paru de biographie ou d'histoire militaires, le feuilletoniste du Constitutionnel et du Moniteur s'est trouvé amené et parfois obligé à se former et à exprimer une opinion personnelle sur des sujets restés jusque-là fort étrangers et probablement fort indifférents au poète des Consolations et à l'historien de Port-Royal. Deux mois à peine après son entrée en fonctions, est publié le tome IX de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, de M. Thiers, c'est-à-dire un de ces ouvrages qui s'imposent, et il se trouve que ce volume est un des plus spéciaux de tous en raison de la place qu'y tiennent les événements militaires; on peut ajouter que ces derniers sont des plus compliqués, des plus confus et des plus difficiles à bien apprécier, puisqu'il s'agit des débuts de la guerre d'Espagne, de Bailen et de Somo-Sierra. Quinze jours après, ce n'est plus seulement l'historien de Napoléon, c'est Napoléon lui-même, dont on vient de réimprimer les Campagnes d'Egypte et de Syrie, dictées à Sainte-Hélène, qui sollicite ou plutôt réclame impérieusement l'attention du « lundiste ». Puis, c'est de la campagne de 1812 qu'il lui faut s'occuper, à propos du Journal de M. de Fezensac. Un peu plus tard s'abattront sur sa table les OEuvres complètes du grand Frédéric (33 in-quartos !), rééditées à Berlin par les soins du gouvernement prussien, et il faudra bien qu'il fasse tête à cette invasion redoutable, à moins de repasser momentanément à quelque homme du métier, ce « sceptre de la critique » — expression encore usitée alors ! — qu'il vient de saisir d'un main si vigoureuse et si sûre.
Mais Sainte-Reuve ne songe. guère a se dérober et n'y semble nullement tenir, au reste ! S'il commence par allégmer son incompétence et demande pardon de sa témérité, c'est, on le devine, pure précaution oratoire de sa part : il s'excuse, mais ne se récuse en aucune manière. A la vérité, il annonce qu'il envisagera de préférence, dans les grands capitaines au génie si souple et si varié qui
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SAINTE-BEUVE CRITIQUE MILITAIRE 157
se présentent inopinément à lui, les côtés qui doivent l'attirer plus
particulièrement : le souverain et le législateur, qui appartiennent à
tout le monde, puisque tout le monde leur a appartenu ; puis l'écrivain, si fécond et si original chez tous les deux et qui les rend nécessairement justiciables de la critique littéraire.
Mais le moyen de séparer, en Frédéric comme en Napoléon, l'homme de plume de l'homme d'épée et le conquérant du politique ? Comment faire abstraction du guerrier, qui domine tout; comment dédoubler ces deux personnalités si puissantes, parce que si homogènes? On ne voit pas Sainte-Beuve s'appliquant à découper en tranches nettement séparées ces blocs magnifiques, à diviser en compartiments étanches (si nous osons ainsi dire) ces robustes cerveaux, d'une unité si frappante. Aussi bien ne s'en avise-t-il point et, après quelques détours et quelques façons, il met hardiment le pied sur le terrain prétendu réservé, où il ne tarde pas à prouver qu'il se sent et qu'il est bien chez lui, comme partout ailleurs.
Et tout aussitôt les « points de vue » originaux d'abonder, les jugements piquants de se presser sous sa plume. Ce n'est sûrement pas à l'Académie de Guerre de Berlin qu'on aurait osé trouver et dire ce qui suit, du vrai fondateur de la monarchie prussienne :
... Capitaine, il ne m'appartient pas de le juger ; mais, si j'ai bien compris les observations que Napoléon a faites sur les campagnes de Frédéric et les récits de Frédéric lui-même, il me semble que ce n'était pas un guerrier avant tout... Souvent battu, souvent en faute, sa grandeur est d'apprendre à force d'écoles ; de réparer ses torts et ceux de la fortune par le sang-froid, la ténacité et une égalité d'âme inébranlable. Quelque éloge que donnent les bons juges à sa bataille de Leuthen et à quelques-unes de ses manoeuvres et de ses opérations, ils ont encore plus de critiques à faire en mainte occasion. « Il a été grand surtout dans « les moments critiques, a dit Napoléon; c'est le plus bel éloge qu'on « puisse faire de son caractère. » Ce caractère moral est ce qui ressort encore chez Frédéric à travers le guerrier et qui demeure bien au-dessus :
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158 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
c'a été une âme d'une forte trempe et un grand esprit qui s'est appliqué à la guerre parce qu'il le fallait, plutôt que ce n'était un guerrier-né. Il n'avait ni la valeur rapide et foudroyante d'un Gustave-Adolphe ou d'un Condé, ni cette faculté de géométrie transcendante qui caractérise Napoléon et que ce génie puissant appliquait à la guerre avec la même aisance et la même ampleur que Monge l'appliquait à d'autres objets. Doué d'un esprit supérieur, d'un caractère et d'une volonté à l'unisson de son esprit, Frédéric s'est mis au militaire comme il s'est mis à bien d'autres choses, et il n'a pas tardé à y exceller, à en possédér, à en perfectionner dans sa main les instruments et les moyens, bien que ce ne fût peut-être pas chez lui la vocation d'un génie propre et qu'il n'y fût pas d'abord comme dans son élément.
Rien de plus exact que ce portrait; rien de plus juste, de plus neuf aussi, et qui le reste ! — que cette appréciation du chef d'armée qui, pour son début, à Mollwitz, juge la bataille perdue au moment même où son maréchal Neipperg la lui gagnait, et prend la fuite. Rien de mieux marqué, en même temps, que la différence entre Frédéric et Napoléon, « guerrier-né », celui-là, dont le coup d'oeil militaire se révèle aussi sûr que perçant dès sa première affaire, et qui ne sera jamais plus admirable, comme capitaine, que dans sa première campagne.
Et n'allez pas croire que ce soit pour Sainte-Beuve une obligation fastidieuse, acceptée par devoir et remplie par conscience, que de s'occuper ainsi des « guerriers » et de la guerre, dont le bruit lointain suffit, à ce qu'on dit, pour importuner les penseurs — ceux d'à présent, du moins! Point du tout ! C'est avec un véritable plaisir qu'il se plonge, à l'occasion, dans ces lectures réputées si arides, qu'il fait à son tour de la stratégie et même de la tactique — vues de haut, bien entendu ! Écoutez-le plutôt :
Ce livre, qui contient les opérations d'Espagne jusqu'en février 1809, [il s'agit toujours du tome IX de l'Histoire du Consulat et de l'Empire] est tout militaire, et ce n'est pas moi qui m'en plaindrai. J'entends dire
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quelquefois qu'il y a trop de détails militaires dans l'Histoire de M. Thiers. Mais oublie-t-on que c'est l'histoire du plus grand capitaine des temps modernes qu'il écrit ? Sa tâche et son habileté consistent à nous faire comprendre son héros comme si nous étions du métier et il y réussit. Moyennant ces mouvements de troupes, ces va-et-vient de régiments et de bataillons qu'il nous déduit par numéros, on saisit, à n'en pouvoir douter, l'industrie toute spéciale avec laquelle Napoléon sait tirer de ses armées d'Allemagne et d'Italie, sans trop les affaiblir, des corps qu'il approprie à son échiquier nouveau ; on suit du fond de son fauteuil le grand artiste militaire dans ses habiletés et ses artifices d'organisateur. Tout lecteur attentif devient un moment le prince Berthier.
Savez-vous, au reste, le principal, sinon le seul reproche qu'il adresse à cette magnifique édition officielle des oeuvres de Frédéric II, à propos de laquelle il a formulé, sur ce dernier, le jugement peu banal que nous citions à l'instant ?
... Un défaut grave, qui est de manquer de cartes stratégiques et de plans de bataille, ce qui rend la lecture de ces campagnes stérile pour la plupart des lecteurs.
Avouez qu'un officier d'état-major ne se serait pas montré plus exigeant, et, — à cette époque surtout, — plus vivement contrarié d'une pareille lacune.
On conçoit que nous ayons tenu à insister sur ces premiers articles d'un débutant (dans la critique militaire!). Mais en continuant à feuilleter les Lundis, nous en rencontrerions bien d'autres sur lesquels nous ne nous arrêterions pas moins volontiers et dont nous pourrions faire plus d'un extrait caractéristique : des vingt-huit volumes de la collection, il n'en est point qui ne contiennent une, deux et parfois trois études analogues, de plus en plus « fouillées » et visiblement écrites avec l'aisance et la satisfaction croissantes d'un homme à qui le sujet devient de plus en plus familier. Faute de place, nous nous bornerons à signaler, vers les derniers temps, c'est-
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à-dire dans les Nouveaux Lundis, trois morceaux qui nous semblent parmi les plus achevés qui soient sortis de cette plume merveilleuse, et tout à fait propres à prouver ce que nous avançions en commençant : à savoir qu'un large et vigoureux esprit ne peut manquer de se passionner pour les grandeurs militaires comme pour toutes les autres manifestations du génie humain, et aussi qu'il n'est nul besoin d'avoir pratiqué le métier pour comprendre et goûter l'art, fût-ce celui de la guerre, quand on est soi-même, quoique dans un genre éloigné, un artiste incomparable.
Cette thèse, au surplus, est exactement celle que défend SainteBeuve lui-même dans la première des trois études auxquelles nous faisons allusion (Villars. — Le dernier mol sur la victoire de Denain, nov. 1863). Évidemment, la « grande poésie de la guerre » l'avait saisi et ému, et, s'il eût vécu jusqu'à nos jours, il ne se fût certes pas associé au mépris affecté de certains pour « l'histoire-bataille », à n'en juger que par ce passage, qui est l'entrée en matière, l'exorde du feuilleton inspiré par le tome XI des Mémoires militaires relatifs à la Succession d'Espagne sous Louis XIV.
La littérature classique bien conçue n'a pas seulement à s'occuper des chefs-d'oeuvre de la langue, tragédies, épopées, odes, harangues et discours : elle ne doit pas négliger les victoires, surtout les victoires illustres, celles qui font époque dans la vie des nations. Sans parler même de ces journées à jamais mémorables contre les Perses et contre le Grand Roi, je ne conçois pas un Grec instruit, sachant son Homère, applaudissant son Sophocle, et qui n'aurait pas une idée précise de la bataille de Leuetres, cette invention éclose du génie d'Epaminodas. Et qu'est-ce donc lorsqu'un Épaminondas est raconté par un Xénophon ? De même, le Français serait incomplet qui applaudirait le Cid en son beau temps et qui ne suivrait pas dans son vol d'aigle et dans ses soudains mouvements la victoire de Rocroy ; de même encore, un Prussien qui, se reportant à l'époque de Frédéric, possèderait son Lessing et qui ignorerait la victoire de Leuthen. Il y a de ces batailles, classiques aussi,
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dont il faut avoir l'entière intelligence comme on l'a de tout chefd'oeuvre.
Il est vrai que, huit ou dix lignes plus bas, craignant apparemment que quelque « spécialiste» grincheux qui le lirait, d'aventure, ne murmure un dédaigneux : Ne sutor..., il se fait tout à coup modeste et morigène Balzac, « ce bouillant esprit qui exagérait tout », pour avoir dit que « comprendre, c'est égaler ». Sainte-Beuve n'entend pas aller si loin : « Pour comprendre l'idée et l'exécution d'une action de guerre, on n'est pas un général : on reste un critique ; l'essentiel est de l'être avec le plus d'ouverture autour de soi et le plus d'étendue qu'on le peut. » Eh ! sans doute, « on n'est pas un général », parce que, pour cela, il faut quelque chose en plus : un caractère fortement trempé. Napoléon avait parfaitement fait la distinction, et, dans la brillante pléiade qui l'entourait, il connaissait bien ceux en qui, suivant son expression, le caractère n'était pas à la hauteur de l'esprit, c'est-à-dire de l'intelligence militaire ; il savait les employer en conséquence et les abandonnait le moins possible à eux-mêmes. Mais ce n'est pas à l'école militaire, ni même dans la pratique des troupes que s'acquiert la qualité principale du chef, et les campagnes mêmes ne font que la développer et l'affermir. C'est pourquoi l'on rencontre tant de militaires qui sont « civils » sur ce point, et, réciproquement (car on ne suit pas toujours sa vocation), nombre de « civils » en qui il n'est pas malaisé de discerner l'étoffe et l'âme du vrai militaire. C'est pourquoi encore maint théoricien militaire, écrivain brillant et même profond, n'a point répondu, sur le terrain, aux espérances qu'avaient fait naître la solidité de son savoir et la justesse de ses doctrines : ce n'était, lui aussi, qu'un « critique »... Mais ne poussons pas plus loin une digression dont on pourrait conclure (à tort !) que, dans notre désir de tirer SainteBeuve à nous, nous lui prêtons gratuitement les aptitudes et les
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goûts latents grâce auxquels se réveillèrent et se révélèrent généraux, vers 1793, de jeunes hommes voués jusque-là à l'étude et à la pratique des lois, des lettres ou des arts. Ce qu'il était et se contentait d'être, lui-même vient de nous le rappeler : un esprit ouvert à tout, curieux de tout, et, peut-être, prenant un intérêt d'autant plus vif et un plaisir d'autant plus intense à suivre de son fauteuil le " drame passionné » et passionnant de la guerre, qu'il est de complexion plus pacifique et de nature plus méditative.
La " philosophie de la guerre », même, ne le rebutait point. Tout au contraire, il se complaisait dans cette étude un peu abstraite, couronnement d'une instruction professionnelle supérieure et que peu d'officiers ont le loisir et la volonté d'aborder. Cela est si vrai qu'il a consacré au général Jomini, le théoricien de la guerre par excellence, un volume où il n'a pas craint d'envisager, à sa suite et à son exemple, les plus graves problèmes que l'art militaire soulève. Oui ! dans l'oeuvre de Sainte-Beuve, il y a un livre essentiellement et exclusivement militaire, par le titre et par le fond !
Il n'est sans doute pas très gros, étant la réunion de cinq articles publiés dans le Temps, au lendemain de la mort de Jomini, dont il vise, avant tout, à retracer la carrière si agitée. Mais la « Vie » de l'auteur de tant d'ouvrages didactiques sur la guerre ne pouvait être une biographie pure et simple : pour bien peindre l'homme, il fallait s'être imprégné de sa doctrine et être en mesure de l'exposer, voire de la discuter, au besoin. Sainte-Beuve, d'ailleurs, ne s'était pas borné à lire les divers « Traités » qui ont valu à Jomini une si haute et si légitime réputation : il avait connu personnellement et fréquenté volontiers ce vétéran des grandes guerres de l'Empire, depuis longtemps fixé à Passy, où il s'éteignit eh mars 1869, plus que nonagénaire. Or, de quoi s'entretenir, avec le « prophète du Dieu Napoléon », avec celui qui a le mieux pénétré et montré le sys-
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tème de guerre de notre grand capitaine, si ce n'est des grandes combinaisons de la stratégie et de la tactique ? Le maître, que le « feu sacré » tourmenta jusqu'à sa dernière heure, ne tarissait jamais sur de tels sujets et aucun de ses disciples, même occasionnels et platoniques, ne se lassait de l'entendre et de l'interroger. SainteBeuve dut fort goûter ces conversations : deux esprits aussi sains, aussi lucides, aussi pondérés étaient faits pour sympathiser et s'entendre.
Il est seulement fâcheux que ce soit dans la « nécrologie » de Jomini, et non dans le compte rendu de quelqu'une de ses publications (à la vérité, fort antérieures), que Sainte-Beuve se soit livré aux « considérations générales sur la guerre » qui dénotent de sa part une si vive et si judicieuse entente des véritables principes de celle-ci. Le vieil homme de guerre, entouré du respect de ses jeunes camarades de toutes les armées, mais dont les leçons avaient si peu profité à la plupart d'entre eux — surtout chez nous, comme on ne s'en aperçut que trop en 1870 ! — aurait sûrement tressailli d'aise en se voyant si bien compris, si bien expliqué, si bien excusé aussi dans la circonstance la plus critique de sa carrière, par ce profane, par ce « laïque » qui n'avait jamais été au feu, ni n'avait manié d'autre arme que le peu dangereux fusil du garde national sous le « Napoléon de la paix. »
En tout cas, ceux-là même qui se soucieraient peu des connaissances acquises et des vues développées sur le tard par l'illustre critique — les uns parce que trop techniques, les autres parce que pas assez — ceux-là et tout le monde ne pourront se dispenser d'admirer ses trop rares tableaux de bataille et en particulier les deux articles d'août 1862 sur le Waterloo de M. Thiers — synthèse lumineuse des inoubliables journées du 13 au 18 juin 1 815. Son saisissant récit de celle qui vit s'effondrer d'un seul coup la prodigieuse fortune de Napoléon se termine par une page qui est peut-être la plus belle,
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qui est certainement la plus émouvante de toutes celles qu'a écrites ce prétendu sceptique :
Et qu'on ne trouve pas que c'est, après bien des années, revenir et s'appesantir à l'excès sur des faits accomplis, user son attention à la recherche de causes dont l'effet s'est depuis longtemps épuisé. Tant qu'il y aura une France, l'âme de la France sera contemporaine de ces funestes journées. La consolation qu'il y a à se dire qu'on a été surtout vaincu par la fatalité, et à s'en rendre raison, n'est pas une consolation puérile et vaine. Qu'il ne vienne jamais, le jour où les générations renouvelées, fussent-elles dans la prospérité de la civilisation et de la paix perpétuelle, ne paraîtraient plus que froides et indifférentes à ce qui a remué et déchiré les entrailles de la patrie, en ces années connues et senties de nous, années de deuil immense et d'immortelle grandeur.
Dans quel temps fut-il plus utile et plus sain de relire, cette éloquente adjuration aux générations amollies par le bien-être, et trop disposées à prendre pour la paix perpétuelle une « veillée des armes » que, d'ailleurs, le canon a déjà commencé d'interrompre?
CHARLES MALO.
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SAINTE-BEUVE ET LE « JOURNAL DES DEBATS »
Sainte-Beuve a raconté lui-même comment il est entré en relations avec le Journal des Débats. C'était en 1828, sous le ministère Martignac. Il se trouvait parmi les collaborateurs et les amis des Débats quelques personnes qui ne refusaient pas toute sympathie auxromantiques, et, comme les temps paraissaient favorables aux discussions poétiques, on avait songea introduire le romantisme dans le journal classique par excellence en la personne de Sainte-Beuve. Cette manière de révolution se préparait avec l'approbation et sous la direction même de Bertin l'aîné et de Berlin de Vaux. SainteBeuve fut donc invité un dimanche à l'hospitalière et familiale demeure des Roches, dans la paisible campagne de Bièvres, célébrée par le poète :
Oui, c'est bien le vallon, le vallon calme et sombre ; Ici l'été plus frais s'épanouit à l'ombre!
Il y trouva Mlle Bertin « qui était l'âme du lieu », Edouard Bertin, Antony Deschamps, Saint-Marc Girardin, Nisard. Mais il n'y vit pas M. de Sacy, qui joignait à ses convictions classiques une bonne humeur un peu railleuse, et que l'on n'avait point convié ce jour-là. Le projet d'ailleurs n'eut pas le temps d'aller plus loin. Le ministère Martignac tomba; la politique rentra en scène avec
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M. de Polignac, la poésie se trouva un peu oubliée. Et Sainte-Beuve, commentant ces événements, conclut par ces paroles qui sont un joli hommage aux Débats : « Moi-même, dit-il, j'avais, j'en conviens, le caractère trop mal fait peut-être pour pouvoir me ranger et me fixer dans un journal qui avait le ton et les usages d'une famille, car une fois admis et agréé, c'était quasi un mariage que l'on contractait. » Du moins il se rappela toujours qu'il avait failli être de cette famille, et ce souvenir sans doute lui était agréable, car c'est à deux reprises qu'il l'a évoqué. Il a raconté sa visite aux Roches dans l'étude consacrée aux Glanes de Mlle Bertin; il y est revenu, longtemps après, dans un Lundi de 1862, où, à propos d'un livre de Nisard, il parle d'un article de Weiss; et dans l'un et l'autre récit, il a mis .une bonhomie enjouée qu'agrémente la peinture du séjour des Roches.
Le romantisme n'avait pas réussi à faire entrer Sainte-Beuve aux Débats : ce devait être du moins pendant longtemps une occasion pour le critique de citer le journal, ou de batailler avec lui. Dans la querelle littéraire de l'époque, les Débats tenaient pour les classiques, et Sainte-Beuve n'a pas manqué, de souligner leur rôle. « Ce journal, écrit-il dans son article sur Ballanche, ce journal dans son premier brillant, avec son état-major critique au complet, était alors en tête de la réaction classique et contribuait à réduire à l'ordre le mouvement d'insurrection littéraire qui s'essayait à la suite des révolutions politiques. » Le critique ajouté même que cette défense classique suffit à arrêter le développement de nombre d'esprits romantiques : seuls ce des génies hors ligne » Chateaubriand et Mme de Staël n'auraient senti nulle atteinte. Voilà certes un jugement sévère et qui paraît même excessif. Mais Sainte-Beuve a pris soin ailleurs de le tempérer en reconnaissant que les Débats ont appliqué avec beaucoup de prudence « la quarantaine qu'on fait subir aux talents nouveaux ». Rien ne semblera plus juste que cette
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opinion, si l'on se souvient du grand nombre d'ouvrages romantiques publiés par le journal. Il est vrai qu'on y vit paraître sous la signature de Béquet un jugement très dur de Cromwell. Mais on put lire aussi dans le numéro du 12 août 1828, une réponse aussi brève que spirituelle due à la plume de Sainte-Beuve. «Je me permets, disait le critiqué, moi indigne qui vous lis très assidûment et par goût suis très amateur de ces questions littéraires, de relever quelques omissions dans l'article de votre rédacteur; ». Et il citait des vers de Racine et de Molière aussi libres ou plus libres que ceux de Hugo. En réalité, si les Débats étaient hostiles à la doctrine romantique dans son ensemble, ils appréciaient les oeuvres prises séparément. Dès 1824, Bertin faisait bon accueil à l'Ode sur les funérailles de Louis XVIII; il insérait plusieurs autres pièces de Hugo ; il publiait l'épître de Lamartine à Delavigne; il donnait asile enfin à la Lettre à Sainte-Beuve en réponse aux Consolations. On excommuniait donc le romantisme, mais on savait goûter les romantiques; on les étudiait, au besoin on leur donnait des conseils. Sainte-Beuve raconte qu'il vit aux Roches une aimable vieille femme, Mme de Bawr, auteur d'une pièce de théâtre et de romans, qui dans une conversation sur les nouveaux auteurs s'écriait: «Vous avez du talent, Messieurs les romantiques, mais n'oubliez pas le conseil d'une vieille femme : Soyez aimables! ». Il y a dans. les Nouveaux Lundis deux causeries consacrées à l'un des plus ardents adversaires de la nouvelle école, le critique d'art Delécluze qui, de 1812 à 1863, écrivit aux Débats avec une étonnante facilité. Sainte-beuve, en rendant justice à certaines de ses qualités, ne se prive.pas de le malmener; il raille fort cet admirateur de l'école de David, qui écrivait mal le français. Il raconte, non sans malice, un mot de Delécluze qui, au cours d'une conversation sur l'art d'écrire, disait à Chateaubriand lui-même : « Moi, il y. a long-temps que je ne rature plus! » Ce partisan des « Homéristes «.contre les « Shakespeariens » était cependant un
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esprit curieux, alerte, prêt sur toutes choses. Il réunissait, chez lui, le dimanche, quelques amis au nombre desquels Mérimée et Stendhal, et Sainte-Beuve fait une pittoresque peinture de ces réunions où pénétraient deux romantiques privilégiés, mais où les femmes n'étaient jamais admises. Delécluze, pour classique qu'il fût, n'était pas le critique intolérant et aveugle qu'on a parfois voulu nous représenter. Si Delacroix l'obsédait, il ne restait pas insensible au talent de Courbet, et en présence de l'anarchie de l'école, il invitait à se libérer de quelques idées fausses ce jeune artiste « qui pourrait, disait-il, nous tirer d'embarras ». Il avait acquis, par une longue expérience, une sagesse indulgente, une bonhomie sereine; SainteBeuve devait naturellement prêter attention à un homme qui, quarante années durant, avait exercé sa magistrature avec autant de courtoisie et de modération, et, sans quelque ressentiment romantique, peut-être l'eût-il jugé avec plus de bienveillance.
Parmi les autres souvenirs des Débats épars dans l'oeuvre de Sainte-Beuve, il en est un assez inattendu et qui mérite d'être relevé par sa singularité même. En 1816, M. Etienne ayant besoin d'un écrivain pour le feuilleton des théâtres, fit appel à Béranger. Il est vrai qu'à cette époque, Béranger n'avait encore publié aucune chanson politique, mais l'offre n'en étonne pas moins Sainte-Beuve. Il faut croire qu'elle surprit Béranger lui-même, qui, dans une réponse un peu narquoise, déclina sous prétexte qu'il avait la conscience trop timorée. « Dans cette partie, disait-il, le journaliste qui craint le scandale devient bientôt froid et c'est être ridicule. » — Voici enfin un souvenir mélancolique, tiré des Portraits contemporains : c'est l'étude sur un rédacteur des Débats, mort à vingtneuf ans, Charles Loyson. Sainte-Beuve fait revivre avec une charmante finesse la figure de ce jeune homme entré au journal dès 1824, voué à l'animosité des partis extrêmes par l'ardeur de ses convictions, et dont quelques touchants poëmes conservent le nom.
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La monarchie de Juillet rapprocha Sainte-Beuve et les Débats. Dans la période qui va de 1843 à 1849, le journal insère une vingtaine d'articles de Sainte-Beuve, relatifs à des sujets d'histoire littéraire et de critique. Presque tous ont été recueillis dans les oeuvres complètes. Le premier date du 27 janvier 1843 et il est consacré à Homère. Le dernier, du 5 janvier 1849, se rapporte à' l'étude de M. Vinet sur Pascal. Dans l'intervalle, Sainte-Beuve a été un collaborateur discret. En 1844, il a réduit sa contribution au seul article sur Fléchier; en 1845, il a communiqué le texte du discours prononcé sur la tombe de Labitte, discours qui a été tiré à part en brochure, mais qui n'est reproduit nulle part ailleurs. Les années suivantes sont plus riches : en 1846, on trouve sept articles, dont une série de trois sur Théocrite; en 1847, il y en a encore quatre, dont l'article sur Victor Cousin. En 1848, enfin, Sainte-Beuve publie dans les Débats la Lettre au Commissaire du Gouvernement, qui est reproduite dans la « Correspondance ». Cette collaboration, qui à première vue semble assez restreinte, représente la valeur de tout un volume (1), et Sainte-Beuve lui faisait une place parmi ses occupations régulières. On peut en juger par une lettre que l' Amateur
(1) Voici la liste des articles parus aux Débats, avec leur date, et l'indication des volumes où ils ont été reproduits :
27 janvier 1843, Homère (Portraits Contemporains, t. V, p. 323); 21 avril 1843, Léonard (Portraits Littéraires, t. II, p. 326); 17 août 1844, Fléchier (Portraits Contemporains, t. V, p. 104); 24 septembre 1843, discours sur Labitte ; 13 juin 1846, Topffer (Portraits Littéraires, t. III, p. 484) ; 23 août, sur l'École française d'Athènes (Portraits Littéraires, t. III, p. 478); 29 septembre, Lettres de Rancé (Portraits Littéraires, t. III, p. 424); 21 octobre, Mémoires de Mme de Staal (Portraits Littéraires, t. III, p. 437); 11 novembre, 2 décembre, 16 décembre, Théocrite (Portraits Littéraires, t. III, p. 3); 2 avril 1847, V. Cousin (Portraits Littéraires, t. III, p. 466); 17 mai, Mort de M. Vinet (Portraits Littéraires, t. III, p. 499) ; 3 juillet, L'abbé Prévost et les Bénédictins (Portraits Littéraires, t. III, p. 453); 28 décembre, Virgile et Constantin le Grand (Portraits Littéraires, t. III, p. 46) ; 31 mai 1848, Lettre au Commissaire du Gouvernement (Correspondance, t. I, p. 157); 5 janvier 1849, Étude sur Pascal par M. Vinet (Portraits littéraires, t. III, p. 504).
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d'autographes a publiée récemment et dans laquelle le critique parle de ses engagements avec les Débats et les invoque pour écarter une demande d'articles. La voici :
Monsieur,
Je ne puis qu'être infiniment honoré et touché de votre obligeante demande. Mais surchargé de beaucoup d'occupations, qui ne me laissent aucun loisir, attaché d'ailleurs (quoique j'y donne à peine un article par an) à la rédaction du Journal des Débats, il m'est impossible de m'engagera un autre journal quotidien.
Vous voudrez bien, Monsieur, entrer dans ces excuses, et agréer avec mes remercîments, l'expression de ma considération la plus distinguée.
SAINTE-BEUVE. Ce 26 décembre 4844.
La collaboration de Sainte-Beuve aux Débats cesse en 1849, et l'on voit assez pourquoi. Le Second Empire vint mettre quelque distance entre le critique des Lundis et ses amis d'hier. Tandis que Cuvillier-Fleury, et tant d'autres autour de lui, contraints de restreindre leur activité politique, se donnaient davantage aux lettres et à la philosophie, Sainte-Beuve raillait la fidélité des vaincus de la veille à leurs principes. Cette heure fâcheuse eut cependant des lendemains plus heureux. En dépit de la politique, Sainte-Beuve ne pouvait se retenir de tourner souvent les regards du côté d'un journal où il savait qu'étaient M. de Saci, Prévost-Paradol, Taine et Renan. C'est avec une sorte de coquetterie qu'il examine tout ce qu'écrit Prévost-Paradol ; il fait son éloge dans un article des Nouveaux Lundis, à propos d'un livre de M. de Laprade; il rend compte longuement de son oeuvre, Essais de politique et de littérature, et rompt quelques lances contre ses idées politiques. Dans les écrits de Taine et de Renan, il reconnaît des méthodes qui lui sont chères, un
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esprit qu'il admire, et entre les jeunes écrivains et lui, il discerne quelque affinité qui le touche, en dépit de ce qui les sépare. « C'est une suite d'essais, écrit-il en 1862 en parlant des écrits de Renan, c'est une suite d'essais ou d'articles parfaits, excellents, où se prodigme sur maint sujet d'histoire, de littérature et d'art, cet esprit savant, profond, délicat, fier et un peu dédaigneux. »
A rassembler ainsi les souvenirs de Sainte-Beuve et du Journal des Débats, on se persuade que les rapports qui ont uni le critique et le journal ont quelque peu manqué d'unité. Les périodes de difficultés y succèdent à des époques de relations suivies; la coquetterie s'y mêle à la tranquille amitié. C'est la preuve qu'il n'est pas très facile de suivre le conseil de Renan, selon lequel un littérateur doit écrire dans un seul journal et n'avoir qu'un seul éditeur. Il est, du moins, une disposition de l'esprit qui. a été constante chez Sainte-Reuve à l'égard des Débats: c'est l'attention. Il n'a jamais cessé de noter leur avis, de le citer, quitte à l'approuver ou à le combattre ; il leur a fait une large part dans l'histoire et dans la littérature. Quant à son affection, elle a varié selon les temps et les personnes. On peut dire que les sentiments de Sainte-Reuve pour les Débats ont été comme les sentiments des Débats à l'égard des romantiques; il contestait les doctrines, mais il appréciait les oeuvres; il n'a pas toujours aimé les idées du journal, mais il a goûté les collaborateurs.
ANDRÉ CHAUMEIX.
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SAINTE-BEUVE A LAUSANNE
Le séjour de Sainte-Beuve à Lausanne n'est pas un simple incident de sa vie, enfermé entre deux dates : octobre 1837 - juin 1838. C'est son premier essai comme professeur et l'occasion principale de son plus important ouvrage, l' Histoire de Port-Royal. C'est un subit changement de vie et de milieu, qui entraîne de nouvelles relations, provoque de nouvelles sympathies et ainsi nous révèle, comme sous un éclairage spécial, un des aspects de cet homme, entre tous « ondoyant et divers. » Cette courte période mérite qu'on s'y arrête. Il faut préciser les circonstances auxquelles ce cours doit son origine, rappeler ce qu'il fut et comment on l'accueillit; puis, recherchant quels rapports s'établirent entre le professeur et son entourage et quels souvenirs en garda Sainte-Beuve, suivre ainsi une lueur qui, à travers l'agencement compliqué de cette âme, nous fasse pénétrer plus avant dans son intimité.
I
C'est au mois d'août 1837, pendant un voyage en Suisse, que Sainte-Beuve forma le projet de donner un cours sur Port-Royal à l'Académie de Lausanne (1). L'écrivain vaudois Juste Olivier y était
(1) L'Académie est transformée, depuis 1891, en Université.
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174 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
alors professeur d'histoire, et le futur auteur des Lundis, qui l'avait connu à Paris sept ans plus tôt, venait de lui rendre visite. Durant les quelques jours passés à Aigle, où il avait reçu du ménage Olivier l'hospitalité la plus cordiale, l'idée, suggérée peut-être ou en tout cas adoptée avec empressement par ses amis, s'était installée dans son esprit. On le voit aussitôt qui s'applique à l'y entretenir et à l'y fortifier. Il traversait alors une crise douloureuse, dont le mystère n'a que trop percé à travers les indiscrétions du Livre d'amour et' celles de la postérité. Le désir de quitter Paris, de s'éloigner pour se ressaisir — ou se consoler, —: la perspective d'une retraite studieuse donnèrent, corps au dessein depuis longtemps entrevu, de composer l'histoire littéraire de Port-Royal. Il écrit de Genève, le 23 août, sur son .retour : « Je vais, dès mon arrivée à Paris, régler cette grande affaire dont la plus difficile partie est raffermissement de ma volonté. » Il se décide, et les négociations sont engagées. Le 14 septembre, M. Espérandieu, ancien avocat devenu membre du Conseil de l'instruction, publique, y propose le cours, sans indiquer le sujet. Le Conseil, après avis favorable de l'Académie consultée, adopte la proposition et la transmet au Département de l'intérieur en l'appuyant d'un rapport développé dont M. Espérandieu veut bien se charger (18 septembre). Ce rapport contient une véritable notice littéraire sur le Sainte-Beuve de 1837; elle est tout à fait inédite et nous paraît mériter d'être transcrite ici (1) :
« M. Sainte-Beuve s'est fait connaître d'abord dans le monde littéraire par des poésies dont quelques-unes n'étaient sans doute que des essais de jeune homme, mais dont plusieurs aussi annonçaient un vrai talent de poète. Mais ce qui surtout a fondé sa répu(1)
répu(1) dois les documents inédits sur cette nomination de Sainte-Beuve à la bienveillance de M. le Conseiller d'État Décoppet, Chef du Département de l'Instruction publique, et au zèle obligeant de M. Dupraz, le savant Directeur de la Bibliothèque cantonale et universitaire.
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tation, ce sont ses travaux d'histoire et de critique littéraire, déposés dans son Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle, ainsi que dans une nombreuse série d'articles qu'il a publiés et qu'il continue à publier dans la Revue des Deux-Mondes, et, précédemment, dans le Globe. Ces articles, dont quelques-uns ont été réunis en 1832 sous le nom de Critiques et Portraits littéraires, en 3 volumes, forment comme une galerie. Les aperçus ingénieux, les détails piquants y abondent, et plusieurs questions d'art, de langue, de moeurs, inséparables de l'histoire littéraire, y sont traitées d'une manière remarquable. Par ces écrits qui révèlent un esprit fin et délicat, un vif amour de l'art et une connaissance approfondie des ressources de notre langue, l'auteur s'est placé au premier rang parmi les critiqués français. Comme écrivain, il a grandi depuis qu'il est entré dans la carrière, ses idées se sont élargies, son jugement s'est mûri, son goût s'est épuré. On peut, il est vrai, reprocher encore des taches à son style qui est quelquefois trop chargé de couleurs et d'images. Maïs, en général, sa manière d'écrire est expressive, abondante, riche de traits heureux et de tournures délicates. Peu savent comme lui l'art de manier la langue avec une aussi merveilleuse souplesse. Un homme assurément très expert en cette matière, notre savant compatriote M. Vinet, a dit de M. Sainte-Beuve qu'en fait de style il était maître et modèle. Un pareil éloge nous dispense de rien ajouter à cet égard. »
Le 22, le Conseil d'État donne son autorisation. Le 25, Olivier présente très habilement le sujet du cours dans une lettre adressée au Conseil de l'Instruction publique : « Sa nature à la fois littéraire, historique et philosophique, le caractère intime du talent de M. Sainte-Beuve qui a l'intention et qui est en mesure de chercher dans les détails un intérêt plus à la portée de tous, enfin les relations nombreuses de cette illustre école avec ce que le grand siècle a eu de plus grand, font, ce me semble, de l'histoire de Port-Royal une spécialité très
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variée, heureusement unie au cercle habituel de nos études, quoique toute nouvelle pour lui. Au reste, je sais positivement que M. SainteBeuve, n'ayant pas répondu à d'autres avances pour d'autres cours, ne pourrait absolument s'engager que pour celui-là. » Tant de soin mis à faire valoir et comme à excuser le sujet, la précaution même de la fin, tout cela semblerait indiquer qu'il y avait quelques objections à dissiper, quelques résistances à prévenir. Nous les verrons s'élever plus tard, et il est vraisemblable qu'elles s'étaient dès l'abord dessinées.
Le 7 octobre, Olivier informe son ami que « le sujet de PortRoyal a été agréé par l'Académie. Ainsi il ne reste plus aucun obstacle. Port-Royal, le cours donné officiellement aux étudiants pendant notre année scolaire (novembre à juin) et trois leçons par semaine. » On donnait à Sainte-Beuve « la somme de 3,000 francs de France avec une salle dans le bâtiment de l'Académie. » Le 12, Sainte-Beuve écrit au Président du Conseil de l'instruction publique qu'il s'empresse « de souscrire aux conditions si honorables et si favorables » qui lui sont posées. Le même jour, il annonce à Olivier qu'il partira le dimanche suivant, à sept heures et demie du matin, et ne s'arrêtera pas en route. « C'est donc l'affaire de quatre jours et de trois nuits, je pense. » Il dut arriver à Lausanne le mercredi 18. Deux mois à peine s'étaient écoulés depuis qu'il avait été pour la première fois question du cours sur Port-Royal.
Le cours s'ouvrit le lundi 6 novembre. Dans son numéro du lendemain, la Gazette de Lausanne n'en fit aucune mention. L'événement pour elle et, semble-t-il, pour le public lausannois était l'installation de Vinet dans la chaire d'Homilétique (éloquence sacrée). " Nous avons été mis, disait le journal, dans la confidence d'une petite fête donnée le soir à M. Vinet par ses nouveaux collègues, et qui a dignement terminé la journée de cette solennité académique.
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Les nobles voeux et les nobles espérances n'ont pas manqué dans cette réunion. La poésie s'est chargée de les exprimer. Nous donnons au feuilleton des strophes de M. Porchat [le Recteur] qui ont trouvé beaucoup de sympathie. » Vinet est comparé à un oiseau qui revient dans cette saison d'automne où s'en vont les hirondelles. Voici la deuxième strophe :
Quand de sa voix pure et touchante L'écho m'apportait quelques sons, Pourquoi, disais-je, est-elle absente? Elle est nôtre et nous languissons. Ah! qu'il revienne et que son zèle Au ciel adresse nos amours! Je veux y monter sous son aile : Le voici, voici nos beaux jours.
Tandis que Vinet était accueilli, salué, acclamé avec cette sympathie ardente et ce sincère enthousiasme, le Nouvelliste vaudois publiait une prose infiniment moins lyrique sur le cours de SainteBeuve. On déplorait que le nouveau professeur lût ses leçons au lieu de se confier à « cette improvisation chaleureuse et animée qui
ajoute tant de puissance à l'enseignement cette improvisation
sévère qui demande plus de labeur et de préparation que les discours les mieux appris, telle, en un mot, que nous la décrivit naguère, à si grands traits, M. le professeur Vinet. » Si la manière du professeur est peu goûtée de ce juge rigoureux (la tradition universitaire de Lausanne affirme qu'il faut dire : de ce sévère collègue), le sujet du cours ne trouve pas grâce davantage : « On aura beau faire, en effet, l'école de Port-Royal sera toujours pour un cours de littérature un sujet abstrait, dont bien peu de personnes pourront se rendre compte d'une manière tant soit peu méthodique et satisfaisante à la seule audition de leçons, si éloquemment débitées qu'elles soient, et à plus forte raison si elles sont simplement lues. » Avec ces pieux
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solitaires, ajoutait-on, « l'anecdote reste froide et les plus spirituelles saillies tombent à plat. » Par un ironique éloge, où s'aiguise la perfidie de la critique, l'auteur de l'article exprime sa confiance qu'au livre de Sainte-Beuve sur Port-Royal « est destinée sans doute la belle et utile mission de faire goûter ces penseurs... » ; — au livre, mais non pas au cours, et celui-ci, à vrai dire, n'a point de raison d'être.
La réponse ne se fit pas attendre; et le numéro suivant du Nouvelliste (le journal était hebdomadaire) apporte la protestation de « quelques étudiants. » Elle était lancée avec beaucoup de force et portait, par delà les critiques qu'elle voulait relever, jusqu'à leur plus lointain et secret ressort, délicatement découvert. « Notre époque subit l'influence d'un mouvement chrétien, c'est un fait bien connu. Ce mouvement, vous ne songez pas plus que nous (vous en avez donné des gages) à le condamner dans son essence. Mais on a remarqué chez plusieurs de ses représentants quelques préoccupations et quelques faiblesses : en particulier peu de souci pour le beau, pour le goût même, et une crainte de la science qui va parfois jusqu'à l'hostilité. Il pouvait donc être utile pour la cause d'un esprit plus élevé et plus libéral, de montrer dans une communion à laquelle nous reprochons de grandes erreurs, l'exemple d'une piété non moins fervente et plus austère peut-être que celle de nos jours, unie à la culture littéraire et au zèle scientifique le plus sérieux. » SainteBeuve, avec ses curiosités et ses finesses, sa subtile critique, sa littérature personnelle, avait-il donc paru quelque peu suspect à de certains esprits trop portés au moralisme? C'est bien possible et fort naturel. On le supposerait, à lire cette réponse et le trait qui la termine : « Les sympathies de M. Sainte-Beuve pour les écoles chrétiennes sont connues depuis sept ans. Il les a exprimées d'une façon humble, touchante, avec une franchise qui méritait notre affection comme le respect de tout le monde. »
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L'adversaire pourtant ne désarmait pas et il faisait suivre cette défense d'une réplique où il aggrave ses premières critiques en évoquant, en face des leçons de Sainte-Beuve, le souvenir de celles de Villemain, avec l'intention manifeste de suggérer une comparaison dont chaque terme soit désobligeant pour Sainte-Beuve. Elles étaient, dit-il, « à la vérité peu nombreuses, mais pleines d'idées grandes et saisissantes, admirables de majestueuse simplicité. Là, pas un mot qui ne portât coup, pas une pensée qui ne donnât profondément à réfléchir. Certainement on ne trouvait dans ces leçons ni l'interminable biographie des Arnauld, ni les historiettes claustrales de la mère Angélique ; mais, en revanche, quelle ample moisson de choses exquises, de hautes directions pour ceux qui voulaient approfondir et sonder Port-Royal jusque dans ses arcanes les plus mystérieux, de philosophie enfin, mais de cette philosophie qui va à la veine des choses, qui embrasse tout, d'où tout découle, religion, science, morale, politique, littérature! » Enfin, il ajoute cette considération déplacée que « l'admiration ne se commande pas, non plus que le respect » et termine par un aveu où ne subsiste plus aucun artifice : « Jusqu'ici donc et en résumé, plus était haute l'idée que nous nous faisions de M. Sainte-Beuve, d'après ses ouvrages si remarquables, plus a été grand notre désappointement en le voyant débuter dans la chaire académique de telle façon qu'on est parfois tenté de se demander si l'on n'est pas en proie à un mauvais rêve et s'il y a bien identité de personne entre le littérateur et le professeur (1). »
Ce serait commettre une grave erreur que de s'exagérer cette polémique. Nous l'exhumons comme une curiosité, mais nous verrons qu'elle fut sans conséquences et n'altéra pas le souvenir que Sainte-Beuve a gardé de son séjour dans la jolie capitale vaudoise et de son cours à « cette bonne, honnête et savante Académie de Lau(1)
Lau(1) Nouvelliste Vaudois, mardi 14 novembre 1837.
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sanne. » Elle eut pourtant son pendant ou son contre-coup dans « une mauvaise petite guerre » que Juste Olivier a racontée avec force détails dans ses Souvenirs. Le théâtre en était l'un des principaux cafés de la ville. Chaque soir on y répétait la leçon du jour en la travestissant. Le premier rôle était tenu par « une manière de géant, dont la seule supériorité sur celui qu'il parodiait était de pouvoir ainsi le regarder de très haut... » Cet incident provoqua une Epître à M. Sainte-Beuve sur son cours de Port-Royal, par M. Delacaverne; elle est plutôt une satire contre les adversaires de ce cours. Nous n'en citerons qu'un passage, où l'auteur caractérise en termes singulièrement justes la manière de Sainte-Beuve, l'impression qu'elle dut produire et le genre de succès qu'elle dut avoir :
D'abord on vint à toi par curiosité,
Par mode, par ennui, beaucoup par vanité.
On ne te sut pas gré de ta modeste allure;
On te trouvait la voix peu sonore et peu sûre.
Mais la réalité de tes vivants tableaux,
Ces morts ressuscites dans leur chair et leurs os,
Saint-Cyran, les Lemaître et Pascal et Montagne,
Ces combats de géants courbés sous leur montagne ;
Le disciple ignoré, mais dont tu sais encor
Par un discret sentier surprendre le trésor ;
De ce drame si vrai la puissance et la grâce
Même des plats moqueurs ont fait baisser l'audace.
« Il n'est pas orateur, disent en répliquant
Ceux que tu t'es soumis ; mais il est éloquent. »
Le penseur, aux détours de ta marche furtive,
Sous tes chaînes de fleurs sent ta marche captive ;
Et l'humble piété jette sur son miroir
Un regard de douceur qui tremble de se voir.
L'auditoire, un moment sans doute déconcerté, se familiarisa peu à peu avec les lenteurs sinueuses de Sainte-Beuve, son goût des détours et des retours, sa curiosité des détails, sa lecture même qui
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le conduisait plus sûrement dans tous les recoins du sujet, son improvisation qui suivait le texte écrit et ressemblait à une lecture. Les leçons succédaient aux leçons, toujours nourries de faits, riches d'aperçus, assaisonnées d'anecdotes. On fut insensiblement gagné, séduit. Trois cents auditeurs environ restèrent assidus jusqu'à la fin, et c'est à peine si les séductions de l'été dans ce beau pays en détachèrent quelques-uns durant les derniers jours.
Sainte-Beuve était merveilleusement préparé à traiter son sujet. Depuis longtemps déjà il y travaillait, comme l'indique une allusion de 1835, à « des travaux commencés pour une Histoire littéraire de Port-Royal (1) », et nous voyons, par la correspondance des deux mois qui précèdent sa nomination, combien ce projet lui tenait au coeur. Il se plaint que sa vie dispersée convienne si mal aune oeuvre de longue haleine ; il aspire à une vie plus rassise, où se déroule sans heurt la continuité de l'effort; il cherche une tranquillité d'esprit qui lui permette de se donner tout entier à l'oeuvre choisie, une solitude qui élargisse autour de lui l'espace dont il a besoin pour dessiner son vaste plan et en exécuter les parties essentielles. S'il lui en coûte, au début, de prendre ce parti, c'est qu'il est bien résolu à s'y tenir. Plus de fantaisie dans le travail, plus de liberté dans le rêve. L'esprit devra tracer ses sillons tout droits, labourer le champ où il se sera enfermé : « Mon cours est ma pensée unique et mon poids constant dans ces sept mois, écrit-il à Marmier le 26 décembre 1837, en voilà déjà deux de passés. »
Dès que sa nomination lui avait paru certaine, il s'était préparé à partir : « Je voudrais être à Lausanne le 15, par exemple, afin d'avoir le temps de préparer mon petit établissement d'étude, mes livres et aussi mon cours, pour lequel j'ai tout à faire (2). Nous
(1) Lettre à J. Olivier, 1.8 septembre.
(2) ld., 26 sept. 1837.
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avons vu qu'il avait dû arriver le 18. Sa grande préoccupation, dès le premier jour, avait été de s'installer de manière à pouvoir travailler. Il avait envoyé devant lui toute une bibliothèque, et il se mit aussitôt en quête d'un endroit où il pût être dans son atelier « comme une taupe dans son trou, comme Han d'Islande dans son antre. » D'après un premier projet, Sainte-Beuve devait être l'hôte de ses amis, rue Martheray (1), Au dernier moment, nous le voyons changer d'avis, fort embarrassé d'exposer sa décision. Il accepte des Olivier une petite chambre pour recevoir et pour lire; il loue deux pièces à l'hôtel d'Angleterre, dans cette courte rue Saint-Pierre qui prolongée la rue de Bourg et débouche au pied même de la rue Martheray. Il se trouvait ainsi tout près de ses amis chez qui il venait finir, la journée et dîner.
C'est dans cette retraite qu'il se livra régulièrement, quotidiennement, à son prodigieux labeur. Quand il quitta Lausanne, il avait donné 81 leçons, qui, entièrement rédigéees, reproduisaient en deux mille pages de texte à peu près toute son histoire de Port-Royal et « comme une première édition du magnifique ouvrage auquel ce cours a donné naissance (2) ». M. G. Michaut, qui eut entre les mains ce qu'il reste de ce manuscrit, « les leçons 26, 54 à 56, et 59 à 81, soit 27 en tout », a été frappé du caractère achevé de la rédaction. « Ce ne sont point, nous dit-il, des notes plus ou moins incomplètes, un canevas plus ou moins étendu; ce sont, au contraire, des développements suivis, soignés dans le détail même, au point qu'on aurait pu remettre, telle quelle, chacune de ces leçons à l'imprimeur. On serait tenté de croire que Sainte-Beuve les a lues à ses auditeurs. » C'est bien l'opinion qu'exprimait, nous l'avons vu, l'ar(1)
l'ar(1) Olivier habitaient la maison qui porte aujourd'hui le n° 28, et avait alors le n° 34.
(2) G. Michaut, Études sur Sainte-Beuve, p. 292.
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ticle du Nouvelliste. Mais nous trouvons là-dessus un témoignage formel de Sainte-Beuve. « J'écris toutes mes leçons, et pourtant j'improvise, ou du moins je fais une demi-improvisation en présence de mes papiers que je ne suis que pour le sens et le gros. Comme pourtant tout est écrit, j'y gagne d'avance sinon la rédaction définitive, du moins les matériaux de mon livre (1). »
II
Nous pouvons aisément imaginer ce que fut sa Aie, durant les sept mois qu'il passa à Lausanne. Il travaillait jusqu'au milieu de l'après-midi, déjeunait à l'hôtel même et dans ses livres, pour ne sortir qu'au moment d'aller à l'Académie, et un peu plus tard, les jours où il était libre de son temps. Il donnait ses conférences dans la grande salle de la bibliothèque, les lundi, mercredi et vendredi, de trois à quatre heures. Elles devaient n'être gratuites que pour les étudiants; le professeur étendit ce privilège à tout son auditoire. Ce fut, dès le début, une mode d'aller entendre Sainte-Beuve. M. Druey, le chef du parti radical, qui devait plus tard diriger la révolution vaudoise de 1845 et devenir président de la Confédération, Alexandre Vinet, le chef du parti religieux, suivaient son cours. Trois fois par semaine, des dames et des jeunes filles se mêlaient aux étudiants et montaient le long des « Escaliers du Marché » qui, de la place de la Palud à celle de la cathédrale, gravissent sous une galerie de bois couverte d'un toit de vieilles tuiles, la colline de la Cité et accrochent à son flanc le profil tortueux de leur silhouette archaïque. Les auditeurs finirent par se connaître; il se noua des relations, des sympathies; il s'ébaucha des mariages. Sainte-Beuve disait plus
(1) Lettres à Collombet, publiées par MM. Latreille et Roustan (Société française d'imprimerie et de librairie).
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tard dans une double allusion à ces idylles et aux rumeurs de conversion qui avaient couru sur son compte, qu'il aurait pu terminer son cours sur le mot hymen au lieu du mot amen, que quelques-uns attendaient de lui.
Sur un terre-plein exhaussé de quelques marches et planté d'arbres, le bâtiment de l'Académie allonge sa façade grise, d'une fruste noblesse. C'est bien l'image qu'on se plaît à former d'un collège du seizième siècle. Les fenêtres carrées du premier étage, coupées d'un meneau de pierre, luisent sous la buée des jours brumeux d'hiver. La tour bernoise, qui fait saillie au milieu et rappelle la vieille domination, dresse son horloge peinte au-dessus de la porte d'entrée que couronne une date : 1590. Sainte-Beuve arrive, « la tête enfoncée dans son vieux manteau de poète (1). » Il n'a que trente-trois ans; mais sa figure pâle, ronde, imberbe, presque trop grosse pour son corps, son nez trop grand et mal fait, ses yeux lucides, lui donnent une expression d'intelligence avisée, de finesse railleuse et gourmande, qui n'est pas celle de la jeunesse. Cependant, l'homme est insinuant, comme sa parole. Il se glisse dans vos bonnes grâces comme ses idées se giissent dans votre esprit. Curieux de tous les caractères, il entre de plain-pied dans cette société qui lui est nouvelle; il cause avec délices; il se plie aux goûts les plus différents des siens, avec volupté. Comme il étudie Port-Royal, sa pensée se fait, sans effort, grave, austère, religieuse. Il se plaît avec les gens graves, austères, religieux. Le foyer des Olivier lui est un asile plein de douceur. Le canton de Vaud lui devient une patrie, dont il aime la sérénité, la paix. Paris semble oublié : les agitations, les passions de là-bas expirent au seuil de cette retraite. Rien ne révèle plus, dans cette existence, si calme et si remplie, de solitaire, l'auteur des Pensées d'Août, le jeune poète,
(1) J. Olivier, Souvenirs.
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romantique encore, qui, quelques semaines plus tôt, écrivait : « Je vous arrive plus malade d'âme et de coeur et d'esprit que vous ne le croirez jamais, d'autant plus malade que je crois ne l'être que comme il est impossible à l'homme qui a vécu de ne l'être pas (1). » Il dira plus tard : « Tout m'est égal, et je donnerais mon âme et l'avenir, tout mon royaume, pour un éclair! » Voyez-le maintenant: c'est un autre homme ! Les étudiants de la société de Zofingue lui ont donné, le lendemain de son discours d'inauguration, une sérénade qui ressemble à un cantique :
Venez, du pieux solitaire
Nous dire toute la ferveur,
Et sa foi, suprême mystère,
Qui l'attache aux pieds du Sauveur!
Dites encor combien de larmes
Le poète verse à genoux,
Combien l'amour saint a ses charmes...
Parlez ! tous nos coeurs sont à vous !
Et le poète a répondu. Il aime, il comprend ce pays et ces âmes :
Oui, tout... j'en comprends tout; je les aime, ces lieux; J'en recueille en mon coeur l'écho religieux,
L'animant de vos voix chéries, A vos mâles accords d'Helvétie et de ciel, Car vous gardez en vous, fds de Tell, de Davel,
Le culte uni des deux patries.
Oh! gardez-le toujours; gardez vos unions, Tenez l'oeil au seul point où nous nous appuyons
Si nous ne voulons que tout tombe. La mortelle patrie a besoin pour durer, D'entrer par sa racine et par son front d'entrer
En celle que promet la tombe (2).
(1) Lettre du 8 octobre 1837.
(2) Réponse de M. Sainte-Beuve aux couplets précédents et aux étudiants de la section Vaudoise de la Société de Zofingue, publiée dans les Poésies de Henri Durand, Lausanne, 1883.
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Quel édifiant Sainte-Beuve! En vérité, on ose à peine y croire. Gardons-nous bien pourtant de douter de sa sincérité. Ce serait méconnaître le plus grossièrement cette nature si souple et si ouverte, si nuancée et si fuyante, ce serait perdre une des plus précieuses occasions de la pénétrer et, autant qu'il se peut, de la saisir. Lui-même nous l'a dit, avec quelle grâce! « J'ai toujours vécu chez les autres, j'ai toujours cherché mon nid dans leurs âmes (1). » Et J. Olivier cite ces lignes significatives : « Le grand, l'incomparable profit moral que je retirai du voisinage de M. Vinet et de mon séjour dans ce bon pays de Vaud, ce fut de mieux comprendre, par des exemples vivants ou récents, ce que c'est que le christianisme intérieur... Être de l'école de Jésus-Christ; je sus désormais et de mieux en mieux ce que signifient ces paroles et le beau sens qu'elles renferment. » On comprend l'illusion et l'espoir — ou l'essai — de conversion. Sainte-Beuve n'y pensa jamais. Simplement, son esprit entra dans les modes de penser de ceux qui l'entouraient ; et, comme il était tout esprit, il s'y trouva engagé au point de leur apparaître à jamais avec eux.
Il n'en était pas d'ailleurs aussi éloigné, à Lausanne, qu'il se trouva depuis. L'hospitalité des Olivier lui avait révélé une vie nouvelle ; il s'était pénétré enfin, pour la première fois, de la pureté et de la chaleur qu'enclôt le cercle de famille. Le célibataire avait trouvé un foyer ; l'homme de lettres, un studieux loisir dans la discipline d'une existence austère; l'artiste, une nature pleine de grandeur et de poésie. Le romantique désenchanté sentait renaître en son coeur si peu fait pour les orages, en son âme plus amie de la lumière que des flammes, le calme et la santé. Ces dispositions de vie intime soutenaient et renforçaient des dispositions de pensée où Sainte-Beuve se trouvait encore, où bientôt il ne se trouva plus. A
(1) Lettre à Olivier, 20 août 1839.
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cette date de 1837, il y avait encore du poète en lui, et du poète de 1830, c'est-à-dire de la sensibilité, de l'inquiétude, des aspirations religieuses. Il se calomniait sans doute, ou du moins se simplifiait à distance, quand plus tard il disait à Olivier, non sans quelque humeur : « Mais ne voyez-vous pas que tout cela n'était que jeu de l'imagination et de la pensée? (1) » Non, il était parfaitement sincère. Nous n'avons pas à étudier ici le Sainte-Beuve de la première période ; il nous suffit d'indiquer que c'est bien lui, déjà en métamorphose, il est vrai, qui vint à Lausanne. Les sept mois qu'il y passa le retinrent quelque temps sur la pente au bout de laquelle nous le retrouverons « délivré désormais de toute inquiétude philosophique et religieuse, satisfait du scepticisme tranquille (2). » Il ne l'était pas à son arrivée, quelque chose subsistait en lui du temps où il déclarait à Olivier qu'il aimait le catholicisme (3), qu'il croyait à l'efficacité de la prière, et où il écrivait à l'abbé Barbe : " Je tiens très peu aux opinions littéraires, et les opinions littéraires ont très peu de place dans ma vie et dans mes réflexions. Ce qui m'occupe sérieusement, c'est la vie elle-même, son but, le mystère de notre propre coeur, le bonheur, la sainteté ; et parfois, quand je me sens en inspiration sincère, le désir d'exprimer ces idées et ces sentiments selon le type éloigné de l'éternelle beauté. »
Le choix même du sujet de Port-Royal, qui remonte au moins, nous l'avons vu, à 1835, n'atteste-t-il pas ce souci des questions morales et religieuses, des problèmes de la conscience et de la vie? N'oublions pas surtout dans quel esprit Sainte-Reuve l'a abordé, dans quel esprit il l'a traité à Lausanne. M. Michaut nous a donné làdessus un document bien précieux. Il a trouvé, dans les papiers de
(1) J. Olivier, Souvenirs, quatrième partie.
(2) G. Michaut, Études sur Sainte-Beuve, p. 216.
(3) J. Olivier, Souvenirs, première partie.
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Sainte-Beuve, que possède M. le vicomte de Spoelberch.de Lovenjoul, un exorde composé pour remplacer le début de circonstance qui ouvre le Discours préliminaire. Il n'a pas été utilisé. Nous y lisons cette profession de foi : « Je m'arrêterai surtout devant ceux les caractères] du dix-septième siècle, avec complaisance, avec respect, heureux de reconnaître en eux les derniers vrais modèles de cette autorité morale dont nul aujourd'hui n'est investi, heureux d'oublier un peu dans leur commerce sévère la connaissance des hommes de nos temps ; plus heureux, qui, favorisé d'en haut, apprendrait d'eux à se retremper soi-même ! » Comparons ces lignes, comme nous y invite M. Michaut, « avec la conclusion qu'en août 1857, SainteBeuve a mise à son oeuvre achevée. Cette conclusion aussi est émue, mais combien différemment ! L'espoir a disparu, et l'amour, et le charme ; et, si l'incrédulité n'est point affirmée sans regret, elle l'est du moins sans réserves. Il y a vingt ans de distance, vingt ans de vie, entre ce début et cette fin (1). »
Il faut y prendre garde et, pour comprendre Sainte-Beuve à Lausanne, ne pas se laisser obséder par l'imagée, plus familière et, si l'on peut dire, plus populaire, du Sainte-Beuve des Lundis. Nous ne saurions nous expliquer, sans cette précaution, le souvenir profond et durable qu'il garda de son séjour en Suisse et des relations qu'il y avait nouées, les regrets qu'il en emporta, la nostalgie qui ne cessa plus de l'y ramener en esprit. Si Lausanne s'honore, à juste titre, d'avoir compté sept mois Sainte-Beuve au nombre de ses hôtes et des professeurs de son Académie, elle peut être plus fière encore de la fidélité qu'il lui a conservée depuis, durant trente-deux ans.
(1) G. Michaut, Études sur Sainte-Beuve : « Port-Royal » cours et « Port-Royal » livre.
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Au moment de son départ, ses auditeurs lui avaient offert une montre de Genève. Rentré à Paris, il écrit à Olivier une lettre toute pleine de remercîments exquis : « Je ne sais si c'est fortuitement que sur le cadran... l'heure de 3 à 4 est entamée et échancrée par le cadran des minutes ; cela, du moins, me semble dire qu'il manque désormais quelque chose à cette portion du temps, et qu'aussi les minutes s'y mesurent et s'y comptent pour moi dans toute leur étendue. Il doit en être ainsi des profonds et durables souvenirs. Celui que j'emporte est une dette dont j'aime à sentir et à garder constamment le témoignage (1). » Dès l'année suivante, il revient, « plus épris du Léman que jamais. » Son rêve est de lui donner à l'avenir une partie de son temps : « Il faut que j'y vive, que j'y passe régulièrement cinq mois d'été, à l'étude libre, à la pensée, à la poésie, à la solitude, à la tristesse, à l'amitié ; je reviendrai passer l'hiver de sept mois à Paris et y faire le condottiere, le pirate critique infatigable et autant que se pourra équitable. Mais j'aurai mes étés, et les aurai près de vous (2). » Sa pensée revient toujours vers ces beaux lieux qui l'ont consolé, apaisé, — vers les reines des prés d'Eysin, et le grand orme noueux de Rovéréaz. Il a rapporté des sujets de travaux : « Buloz me demandant à cor et à cris une nouvelle, je me suis à peu près décidé à lui faire M. de ***, vous savez? cette histoire d'Orbe, chère Madame. » Il veut mettre la scène dans le pays de Vaud, vers 1793, et se renseigne sur des détails historiques et de vie sociale (3). Ce n'est pas son seul dessein de ce genre. Il en a bien d'autres, dont l'idée l'enchante : « Ce sera joli de travailler ainsi à qui mieux mieux tous les trois, dépeçant chacun et historiant notre canton de Vaud. »
(1) 20 juin 1838.
(2) 22 juin 1839.
(3) 9 juin 1840.
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Quand il reçoit son brevet de professeur honoraire à l'Académie, il sent renaître un désir et un regret : « Pourquoi n'ai-je pas eu une poitrine? J'aurais fait de temps en temps une campagne de ce côtélà (1). » Il est resté en relations avec les étudiants, comme l'atteste la belle lettre suvante, adressée au président de la société de Zofingue, qui lui avait adressé un exemplaire des oeuvres posthumes d'un de ses anciens élèves: « Monsieur, je reçois le volume de Durand, le lendemain du jour où je vous écrivais. Mais je veux vous remercier encore, et du sein de mon émotion même, pour ces reliques touchantes et pures. J'ai été heureux d'y voir mon nom associé à de chers souvenirs. Cette simple et si belle notice de M. Vinet, m'a reproduit les traits fidèles de celui que j'avais si peu connu; et les a couronnés dans ma mémoire. Merci encore, monsieur, pour vous et pour vos amis de Zofingue; je me suis rétrouvé, en lisant ce volume, le compatriote de vous tous, et avec le regret de n'être pas à jamais resté dans votre beau et bon pays(2). »
Nous pouvons croire ce regret sincère, car longtemps SainteBeuve ne cessa de songer aux moyens de revenir : « Le canton de Vaud se présente toujours à moi comme un coin de refuge, un nid sûr; mais je tomberai en chemin, je le crains, avant d'y pouvoir retourner (3). » Il cherche, avec Olivier, pour le présent et l'avenir, " quelque combinaison de vie simple et studieuse (et non professorale), une revue à faire ensemble, un je ne sais quoi d'impossible et d'imprévu, qui donnât le pain et ne fût pas toute la vie... (4) » La Revue Suisse lui parut un instant cette combinaison. Il encourageait
(1) 8 décembre 1841.
(2) Cette lettre inédite m'a été aimablement communiquée par M. J.-J. Mercier, le président actuel de la société de Zofingue.
(3) 19 février 1841.
(4) 16 mars 1841.
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Olivier, qui en était devenu directeur-propriétaire, à la conserver, à l'étendre. On sait qu'il y donna, de 1843 à juillet 1845, une collaboration régulière (1). qui continuait en quelque sorte, comme dit Olivier, « son séjour intellectuel à Lausanne, mais un séjour du plus strict incognito. » II avait songé aussi (lettre du 5 avril 1841) à faire à Lausanne une édition complète et à son gré de ses oeuvres : les Portraits, le Seizième Siècle, les Vers, son Roman et même PortRoyal. Plus il se détache de son passé, plus il se plaît à regarder, comme une clarté à travers des ombres, ce moment qui luit encore à l'horizon des jours. Nous n'en pouvons point douter, c'est là qu'est son coeur... Insensiblement, la mélancolie augmente, l'espoir décline : « Me voilà bien loin des parfums de Rovéreaz : ils sont en moi et je me garde bien d'ouvrir la petite boîte qui les recèle, pour ne pas les livrer au vain courant qui passe. C'est le moyen de les sauver, dé les retrouver un jour peut-être plus sûrement (2). ». Et un peu plus tard : « Lac, Rovéréaz et le reste, vous subsistez au fond de mes plus anciens souvenirs, mais je ne vous espère plus (3). »
Comme une petite flamme vacillante, le sentiment palpite et va s'éteindre. Le coeur, avant de se fermer, a résisté au climat desséchant de l'intellectualité pure, le poète a lutté avec le critique, l'homme avec le « pirate». Celui-ci enfin l'a emporté. Désormais Sainte-Beuve ne saura plus que voir, ne se plaira plus, qu'à comprendre. S'il semblait hésiter encore en 1840, — « il n'y a qu'à se tourner vers Dieu, la seule gloire, ou vers l'ironie, la seule vérité après Dieu (4) ", — son choix est fait sans retour. Il ne souhaitera plus désormais, comme en 1838, entendre « de ces bonnes paroles de foi qu'on aime à trouver comme consolotion au coeur des amis, même quand on
(1) M. J. Troubat en a formé les Chroniques parisiennes, 1876.
(2) 1er janvier 1842.
(3) 1er août 1842.
(4) 10 juillet 1840.
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n'en a pour soi que le désir et le regret (1). » Plus de regret! plus de désir ! L'âme du poète se replie, se referme et s'endort, tandis que s'éveillent plus curieuses, plus aiguisées que jamais, alertes et sur le qui-vive, en avant-garde de la pensée qui va les suivre reposée et souriante, l'observation et l'ironie.
Trois mois avant sa mort, Sainte-Beuve écrivait à Olivier : " Je suis bien touché de votre bonjour daté de ces lieux très chers et que je ne reverrai pas (2). » Il leur était resté fidèle jusqu'à la fin. N'avions-nous pas raison de dire que l'intérêt de son séjour à Lausanne n'est pas seulement historique, mais psychologique ? C'est déjà quelque chose, certes, de savoir comment le jeune critique, alors presque célèbre, a été amené à professer dans la capitale vaudoise, quel a été cet enseignement et quelle place il tient dans son oeuvre. Mais on estimera peut-être plus précieuse encore l'occasion d'apercevoir l'homme sous un jour nouveau, à un moment décisif de son histoire: Lausanne est une halte au tournant de sa vie. En nous y arrêtant nous-mêmes un instant pour obséder cette personnalité si complexe, nous la voyons en quelque sorte se dédoubler; et si d'autres indices, tirés de ses oeuvres, nous révèlent assez clairement en lui deux hommes doiit le second continue moins le premier qu'il ne le détruit, peut-être ne trouverions-nous pas ailleurs un autre point aussi favorable pour saisir, dans leur indétermination primitive et leur séparation ultérieure, les deux Sainte-Beuve.
FIRMIN Roz.
1) 17 août 1838. (2) 10 juillet 1869.
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Grav. impr. par GILLOT ACADÉMIE DE LAUSANNE, OÙ SAINTE-BEUVE PROFESSA EN 1837-1838.
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SAINTE-BEUVE A LIÈGE
Sainte-Berne a été nommé deux fois professeur de littérature française à l'Université de Liège. La première fois, en 1831, pressenti par le gouvernement belge, au lendemain de la Révolution de 1830, Sainte-Beuve avait accepté. Eut-il quelque regret de quitter Paris, quelque crainte pour l'avenir de la Relgique? Ne trouvait-il pas dans cette position assez de sécurité pour lui-même? Nous ne
savons Toujours est-il qu'il renonça à cette place qui l'eût obligé
de partir pour l'étranger au moment où s'ouvrait, en France, devant lui, une brillante carrière littéraire. Sa deuxième nomination est du 7 septembre 1848. Il venait, par un scrupule de dignité, de donner sa démission de conservateur à la Bibliothèque Mazarine. Il était membre de l'Académie française. La place de professeur de littérature française à l'Université de Liège étant vacante, M. Rogier, ministre de l'intérieur de Belgique, qui connaissait Sainte-Beuve depuis longtemps, la lui offrit de nouveau. Sainte-Beuve accepta. Il arriva à Liège en septembre. Son premier soin fut de chercher une maison tranquille où il pût, loin des bruits de la ville, se consacrer tout entier à ses chères études. Cette maison, il la trouva, rue des Anges, dans le quartier, nouveau alors, du jardin botanique. De son bureau, au premier étage, il voyait se dérouler la luxuriante végétation de ce beau jardin, avec ses étangs et ses serres, réflétant les rayons du soleil levant. Cette jolie maison avait un jardin, entouré
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lui-même de jardins plus spacieux, tout remplis de verdure et de fleurs.
C'est là, au milieu de ses livres, que Sainte-Beuve passa la plus grande partie de son séjour à Liège. Réveillé le matin par le chant des oiseaux, il ne sortait guère que les jours fixés pour ses cours. Aussitôt la leçon finie, il se hâtait de rentrer chez lui pour se remettre à l'étude. Parfois, pour se donner un peu de mouvement, il sortait le soir après le coucher du soleil, entre chien et loup, et on le voyait, la tête baissée, comme sous le poids de ses travaux, vêtu de son habituel manteau sombre, arpenter les trottoirs de son petit pas accéléré, en frôlant les maisons. Figure fine, front large, oeil pétillant d'esprit, telle était la physionomie de l'illustre écrivain qui allait bientôt alors atteindre ses quarante-quatre ans.
Sainte-Beuve ne connaissait guère à Liège que M. Théodore Lacordaire, professeur à la Faculté des Sciences de l'Université, et frère du célèbre dominicain. M. Lacordaire l'avait mis en relations avec quelques collègues et notamment avec M. Adolphe Borgnet, recteur de l'Université, qui lui avait fait aussitôt l'accueil le plus sympathique et le plus chaleureux. Le 16 octobre, Sainte-Beuve assistait au milieu de ses collègues, qui le félicitèrent vivement, à la cérémonie de rentrée des cours universitaires.
Après avoir consulté quelques collègues, le nouveau, professeur annonça qu'il donnerait deux cours de littérature : l'un public et gratuit, s'adressant à tous les lettrés, à l'élite de la population ; le second, spécialement destiné aux élèves et réunissant les conditions du programme universitaire.
La leçon inaugurale pour les deux cours était fixée au lundi 30 octobre, à midi. Ce fut à Liège, une véritable solennité littéraire; tout le monde voulait assister à cette première leçon de l'historien de Port-Royal, de l'un des quarante les plus éminents de l'Académie française. Bien avant l'heure fixée, plus de deux mille personnes
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MAISON DE LA RUE DES ANGES, A LIEGE, HABITÉE PAR SAINTE-BEUVE
EN 1848-1849
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
emplissaient déjà le vaste auditoire de la Faculté de droit, où devait se donner le cours, ainsi que le grand vestibule qui y conduisait. Impossible de placer tout ce monde dans l'auditoire désigné. Que faire? A quelques pas de là s'élève la salle académique, vaste hémicycle, où ont lieu les grandes cérémonies universitaires et qui pouvait contenir plusieurs milliers de personnes. « A la salle académique! » crie-t-on de toutes parts, et la foule de se précipiter vers cette salle, qui déborda bientôt de monde.
Sainte-Beuve ne s'attendait pas à pareille ovation ; il était très ému. Quelques minutes après, il était installé à la tribune et, salué par de vifs applaudissements, prononçait son discours au milieu d'un religieux silence. Ce discours était écrit et admirablement pensé.
Sainte-Berne voulut, avant d'aborder son sujet, expliquer sa présence à cette tribune :
Ce que je suis venu chercher en Belgique, dit-il, je puis hautement le dire. Je suis venu chercher un pays d'entière et de véritable liberté. La liberté, je le sais et je l'ai déjà éprouvé peut-être, a bien quelques petits inconvénients pour ceux même qui l'estiment à si haut prix, mais quand elle est véritable, c'est-à-dire quand elle sait elle-même se limiter au sein de l'ordre et respecter en définitive les droits de chacun, elle vaut la peine qu'on fasse quelques pas pour elle. On a dans ces derniers temps inventé et renouvelé bien des devises dont les murs sont tapissés et dont les carrefours ont retenti. Pour moi, je n'en sais qu'une que j'ai toujours ambitionné de voir inscrite au seuil du foyer, dans toute existence d'homme de lettres et de la mienne en particulier : Liberté et dignité.
Sainte-Beuve résumait ensuite le plan de son libre cours : le cours destiné aux étudiants comprenait toute l'histoire de la littérature française jusqu'au XVIIIe siècle ; le second, tout public, devait comprendre l'histoire littéraire approfondie des cinquante premières années de ce siècle. Ce cours public comprit en réalité 21 leçons qui
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SAINTE-BEUVE A LIÈGE 197
furent publiées plus tard sous ce titre : Chateaubriand et son groupe, sous l'Empire...
Après avoir.fait ressortir, en un magnifique langage, les bienfaits des belles-lettres et montré combien il importait de développer dans la jeunesse l'amour de la littérature, Sainte-Beuve assignait à l'enseignement public ses vraies limites :
Il est un certain milieu, éloigné de toute secte et de toute doctrine singulière, c'est le régime véritable où l'enseignement doit rester.
« Cet éloquent discours, dit un journal du temps, fut salué par des acclamations et des bravos enthousiastes. »
Ce cours public se donna les lundis; pendant toute l'année, il continua à attirer une foule distinguée à la salle académique. Professeurs, magistrats, avocats, hommes et dames du monde, étudiants, etc., se donnaient rendez-vous à ces belles séances littéraires.
Sainte-Beuve n'était pas orateur et il s'empressait de le reconnaître lui-même. Quand il improvisait, sa pensée précédait souvent sa parole, ce qui nuisait à la clarté du discours :
Je ne suis pas né pour parler en public, écrivait-il en 1852 à M. Portail, ministre de l'Instruction publique ; j'ai dû m'y plier par nécessité en deux circonstances ; mais mes nerfs en crient encore. J'ai le front tendre (frontis mollities), non le front d'airain de l'orateur. Ma foi et ma sécurité ne sont pas là : je ne suis complètement moi que plume en main et dans le silence du cabinet.
Le cours donné aux étudiants était un cours semestriel II se donnait les mercredis et vendredis et était suivi par un grand nombre d'élèves.
Ces deux cours ne suffisaient pas à la prodigieuse activité de Sainte-Beuve. Il préparait ses matériaux pour les grands monuments qu'il se proposait d'élever à la littérature française :
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J'ai passé en Belgique, écrivait-il le 1er septembre 1860, l'année la plus laborieuse et la plus paisible, sans avoir les nerfs agacés le moins du monde et beaucoup moins qu'on ne les avoue ici... C'est là que j'ai amassé les matériaux de la plupart de mes Causeries du Lundi.
Il avait également achevé à Liège le troisième volume de son ouvrage de prédilection : Port-Royal, et commencé le quatrième et dernier volume. Il écrivit aussi cette année un volume des Nouveaux Portraits.
Tous ces travaux, ce surmenage intellectuel, avaient quelque peu fatigué l'illustre critique. Quand le gouvernement belge l'avait appelé à cette chaire universitaire, où il devait briller d'un si vif éclat, il croyait sans aucun doute que Sainte-Beuve occuperait cette chaire pendant au moins quelques années. Mais le professeur n'avait pris à cet égard aucun engagement. L'excès de travail avait provoqué le mal du pays, et dès le mois de février 1849, la pensée d'un prochain retour à Paris germait déjà dans son esprit. Il attendit la fin de son cours, qui devait se terminer le 13 juillet. Le 1er juillet, il écrivait à M. Amiel, professeur à l'Académie de Genève :
Il règne sur mon avenir bien de l'incertitude et je ne sais trop où je serai dans deux mois. L'année très laborieuse que je viens de traverser m'a laissé un mal nouveau qui me permet difficilement d'écrire. C'est grave pour un écrivain; mon griffonnage vous en avertit. Je crains d'être obligé de me condamner à un repos de quelques mois, et ce serait alors à Paris que je l'irai chercher.
Sainte-Beuve ne l'avouait qu'à demi: mais le vrai mal dont il souffrait le plus, c'était la nostalgie de Paris; il se considérait quelque peu en Belgique comme exilé; il était hors de son milieu. Il consacrait tout son temps à l'étude; il s'était laissé entièrement absorber par elle. Il s'était même privé de ces « bonnes conversations » qui contribuaient tant autrefois à le distraire de ses travaux,
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C'est donc vers Paris qu'il ne cessait de tourner les yeux, vers Paris, « la Avile lumière » à laquelle il adressait cette invocation dans un de ses Lundis :
Oh! Paris, c'est chez loi qu'il est doux de vivre, c'est chez toi que je veux mourir !
Paris l'attendait... Il y retrouvait sa vieille mère qui n'avait pas pu l'accompagner en Belgique. Dès son retour, il commençait dans le Constitutionnel, de M. Véron, ses admirables Causeries du Lundi, qui succédaient ainsi à ses leçons liégeoises du Lundi.
Mes causeries, disait-il, n'ont été que la monnaie de ce que j'avais amassé dans ma retraite d'une année et de ce que j'aurais tôt ou tard donné en volume; mais il m'a été bien commode de trouver aussitôt un aussi facile débit.
Sainte-Berne n'en quittait pas moins Liège, où il avait été si bien accueilli, avec quelque sentiment de regret :
Cette année, écrit-il dans sa Préface de Chateaubriand (édition de 1849), cette année, pour moi, si bien remplie, m'aura laissé de profitables enseignements. Jai vu un pays sage et paisible, laborieux et libre, un peuple sensé qui apprécie ce qu'il possède et qui n'attend pas qu'il l'ait perdu pour le sentir.
J'ai vu une Université savante et non pédantesque, sans entre mangeries professorales, comme dit Bayle, et sans aucune tracasserie. Je voudrais pouvoir espérer, dans mon court passage, y avoir laissé quelque chose de l'estime et des sentiments que j'emporte avec moi.
J'ai vu un beau pays, une riche nature, et dans cette vallée de Liège où je pouvais me croire loin de la ville, comme dans un verger, j'ai joui pour la première fois peut-être, de la naissance d'Avril et des premières fleurs du printemps.
Liège peut donc se féliciter d'avoir jeté, cette année-là, quelque gaîté printanière sur la vie si tourmentée et si laborieuse de Sainte-
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Beuve, et c'est sans doute pour en témoigner sa gratitude qu'il écrivait à son ami, M. Lacordaire, « qu'il tenait à rester liégeois. »
Les Liégeois, de leur côté, en le voyant partir, avec un vif regret, ne l'oublièrent pas. Il avait contribué à répandre parmi eux le goût des études littéraires; il fut toujours pour cette génération un maître vénéré.
Sainte-Beuve s'était rallié à l'Empire; mais il n'abdiqua jamais son indépendance d'écrivain et resta ce qu'il avait été: un défenseur de la liberté de conscience, dans toutes ses manifestations.
Le 3 novembre 1867, l'Université de Liège célébrait son jubilé semi-séculaire. Un éminent sénateur liégeois, M. Forgeur, parlant au nom des anciens étudiants de l'Université, rappelait les noms des professeurs qui étaient descendus dans la tombe pendant ces cinquante dernières années :
« Il n'est guère, disait-il, que Sainte-Beuve, l'éminent critique, l'inépuisable causeur du lundi, ce courageux défenseur des droits de la pensée dans le sein du Sénat français, qui soit resté debout! »
Les frénétiques applaudisrements de l'immense assemblée qui se pressait à cette cérémonie ratifièrent ce bel éloge de SainteBerne et montrèrent combien son souvenir était resté vivant à Liège. En apprenant cette manifestation, Sainte-Beuve s'empressa d'écrire les deux lettres suivantes qui ont été recueillies dans sa Correspondance. On les lira avec intérêt :
A M. DE THIÈR.
Paris, 7 novembre 4867.
Monsieur,
Vous avez eu bien raison de penser que rien ne pouvait m'être plus agréable ni plus flatteur que de lire le compte rendu de cette solennité
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qui me rappelle de vieux et toujours précieux souvenirs, et dans laquelle mon nom a reçu un public témoignage d'estime, en présence d'anciens collègues et de la part d'un des hommes les plus justement considérés de Belgique. Et comment pourrais-je oublier mon séjour à Liège? C'est dans cette année d'Université que je me suis recueilli pour ce qu'on a bien voulu appeler depuis ma seconde carrière critique; c'est là que dans une retraite indépendante, j'ai acquis plus de force pour critiquer et juger; c'est là que j'ai essayé sous forme orale et devant mes auditeurs du lundi, ce cours de littérature que j'ai continué ailleurs en articles de journaux : pourquoi ne suis-je resté qu'une année? Il serait trop long, Monsieur, de vous le dire par lettre. Mon désir sincère eût été de vivre parmi vous plus longtemps. Ce qui est certain, c'est que, dans les motifs qui m'ont déterminé à me délier plus tôt que je n'avais cru, il n'en était aucun qui vint de Liège même ou de l'Université, où je n'avais reçu que bon accueil, témoignages obligeants et où j'avais déjà noué des relations non seulement d'estime mais d'affection.
Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de mes sentiments très obligés et distingués.
P. S. — J'aurai l'honneur de remercier directement M. Forgeur.
A M. FORGEUR, SÉNATEUR DE BELGIQUE.
C'est avec un profond sentiment de reconnaissance que je rencontre mon nom si honorablement mentionné et proclamé par vous dans votre généreux discours à l'Université de Liège.
Ce témoignage public venant d'un homme aussi hautement considéré que vous, Monsieur, est une récompense qui compte dans ma vie. Vous l'avouerais-je ? Il m'avait été quelquefois pénible de me voir si complètement omis et passé sous silence pour cette année laborieuse de Liège où je ne croyais pas avoir démérité.
Les circonstances qui m'avaient ramené en France avant l'époque que j'avais prévue et que mes patrons d'alors parmi vous auraient désirée sans doute, étaient d'une nature toute particulière et qui n'affectait en rien ma reconnaissance pour la Belgique, pour l'Université
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notamment, et pour les excellents collègues qui m'avaient si bien accueilli. Ce que je puis vous dire, Monsieur, c'est que cette saison d'étude et de retraite a été bien fructueuse pour moi, et par le recueillement que j'y ai trouvé en une année partout ailleurs si orageuse, et par les idées littéraires de seconde maturité que j'y ai amassées, et aussi par l'intelligence que j'ai pu y prendre des conditions qui font un pays vraiment libre, et sage et solide dans sa liberté. Veuillez donc être le bien remercié, Monsieur, pour avoir consacré le souvenir de mon trop court passage par une de ces paroles qui restent, et agréez ici l'assurance de ma haute considération et de mon dévouement.
La Ville de Liège ne manquera pas de s'associer à la nouvelle et grandiose manifestation organisée par les amis et les admirateurs de Sainte-Beuve pour commémorer le centenaire de la naissance de l'illustre écrivain.
Un ancien élève de Sainte-Beuve, Chr CH. DE THIER.
Liège, novembre 4904.
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE
Au mois de septembre 1852, le Ministre de l'Instruction publique, M. Fortoul, offrit à Sainte-Beuve la chaire d'éloquence française de la Sorbonne, dans laquelle l'illustre critique aurait succédé à Villemain. Sainte-Beuve déclina cet honneur, et Désiré Nisard fut nommé (24 novembre 1852). Ce fait, qui semble avoir été ignoré jusqu'à présent, est prouvé par une lettre adressée le 6 septembre 1852 (1), par l'auteur des Lundis, au Ministre lui-même. Le texte de cette lettre est trop important pour ne pas trouver place ici, d'autant mieux qu'il nous livre avec une éloquente précision la psychologie de Sainte-Berne professeur.
Mon cher ministre,
J'ai beaucoup réfléchi à la proposition que votre amitié m'a faite, la dernière fois que je vous ai vu : j'y ai réfléchi comme si je n'avais pas eu tout d'abord une réponse intime instinctive. Quand vous lirez mon article de ce matin au Constitutionnel, vous saurez cette réponse, car je n'attaquerais pas ainsi par son faible un homme à qui il me serait réservé de succéder. C'est pour le coup qu'on aurait le droit de dire :
Hérite-t-on, grands dieux! de ceux qu'on assassine? Je ne l'assassine pas, mais je le frappe, et, pour que je le puisse
(1) Nouvelle correspondance de Sainte-Beuve, p. 132.
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204 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
faire en tout honneur, il me faut être, à son endroit, parfaitement désintéressé et indépendant.
Je ne suis pas né pour la parole publique, j'ai pu m'y plier par nécessité en deux circonstances, mais mes nerfs en crient encore; j'ai le front tendre (frontis mollities), non le front d'airain de l'orateur. Ma force et ma sécurité ne sont pas là. Je ne suis complètement moi que plume en main et dans le silence du cabinet. Si je puis rendre quelque service un peu étendu, c'est dans cette voie en y suivant volontiers mon moment et mon caprice.
Le professorat, au nom de l'Etat, demande un passé sans aucune légèreté, même poétique, une certaine gravité habituelle et actuelle que je n'ai jamais songé à secouer, mais qu'aussi je ne suis pas accoutumé à revêtir. Laissez-moi donc, mon cher ministre, continuer à servir en volontaire la cause des lettres, en les rattachant selon l'occasion, à cette cause que je considère comme celle de la société, de l'ordre et du bonheur pratique. — Il me reste de tout cela un sentiment très cher de votre estime et une reconnaissance de votre amitié.
Tout à vous.
Si nous nous reportons à l'article du 6 septembre 1852, lequel figure dans les Nouveaux Lundis, au tome VI, pp. 436-455 (Bernardin de Saint-Pierre, suite et fin), nous constatons qu'un seul écrivain contemporain se trouve attaqué au cours de cette causerie du lundi, et que cet écrivain n'est autre que Villemain. Le doute n'est donc plus possible ; il s'agissait bien de la succession du célèbre professeur de là Sorbonne. La critique de Sainte-Beuve à son égard est extrêmement vive, désobligeante, presque violente, et, j'ose ajouter, fondée. On y trouve, en guise de préambule, des phrases dans le ton de celle-ci : « Comme les intentions de M. Villemain, à cette occasion, ne me paraissent point avoir été ni très nettes, ni très pures, je serai d'autant plus net à mon tour. » Mais je dois m'interdire d'aborder ici le fond, cependant si curieux, de cette affaire. Je ferai remarquer seulement que l'étude sur Bernardin de Saint-Pierre, où figure cette vigoureuse sortie contre le secrétaire perpétuel de l'Académie française, vient
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE 205
immédiatement, au point de vue de la date, après l'article retentissant paru le lundi 23 août 1852, sous le titre : Les Regrets.
Malgré ce refus, l'idée de confier à Sainte-Beuve une chaire de haut enseignement fit son chemin. Deux ans plus tard, une nouvelle occasion se présenta, et l'ancien professeur de Lausanne et de Liège, loin de repousser toute velléité de reprendre « la parole publique », accepta de briguer au Collège de France la chaire de poésie latine, vacante par le décès de Tissot, son confrère à l'Académie française.
La chaire de poésie latine à laquelle Sainte-Berne fut nommé par décret impérial du 13 décembre 1854, n'apparaît sous ce titre, dans les cadres du Collège de France, que depuis la réforme de 1773. Jusque-là, il existait dans l'établissement deux chaires d'éloquence latine dont l'affectation spéciale à la prose ou à la poésie n'avait pas été fixée. Au moment où le changement se produisit, celle des deux chaires d'éloquence latine à laquelle fut attribué le titre de poésie latine, était occupée par Le Beau, l'historien du BasEmpire, titulaire depuis 1752. Le Beau avait déjà, en 1773, pour coadjuteur l'abbé Delille, le célèbre traducteur de Virgile, qui venait de publier, quatre ans plus tôt, sa traduction des Géorgiques, dont l'apparition fut saluée comme un véritable événement littéraire. A dater de 1778, l'abbé Delille devint titulaire. Il occupa la chaire de poésie latine, — mais avec plusieurs interruptions prolongées pendant lesquelles il fut remplacé successivement par Selis, Paris, Legouvé, Lemaire et Tissot— jusqu'à sa mort, arrivée le 1er mai 1813, au Collège de France, dans la salle n° 3 bis actuelle (1). Il avait, au cours de sa maladie, exprimé le voeu d'avoir Tissot pour successeur. L'Assemblée des professeurs et le Gouvernement tinrent compte de son désir, et Tissot fut nommé professeur titulaire de la chaire, le
(1) Un tableau, conservé encore aujourd'hui dans cette salle, représente la scène des derniers moments du poète.
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206 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
24 juillet 1813. Tissot, le futur auteur des Études sur Virgile, du traité de la Poésie latine et de l'Histoire complète de la Révolution française, et qui devint membre de l'Académie française en 1833, fut révoqué par le gouvernement de la Restauration, le 6 février 1821; il fut remplacé par M. Naudet, nommé le 4 avril suivant. Rétabli dans sa chaire le 31 août 1830, Tissot se fit remplacer tour à tour, à partir de 1840, par MM. Alfred de Wailly, Charles Labitte et Maurice Meyer. Il mourut le 7 avril 1854. Par suite de la nomination, survenue à ce même moment, de M. Rinn, titulaire de la chaire d'éloquence latine, à d'autres fonctions, les deux chaires de langue latine de l'institution de François Ier se trouvèrent simultanément vacantes. Dans sa séance du dimanche 19 novembre 1854, l'Assemblée des professeurs du Collège de France fut saisie par le Ministre de l'Instruction publique de cette double vacance. M. Stanislas Julien, administrateur de l'établissement, donna lecture au cours de cette même séance, des lettres par lesquelles MM. Sainte-Beuve, Léon Feugère, Maurice Meyer et Valentin Parisot se partaient comme candidats à la chaire de poésie latine, et de celles de MM. Ernest Havet et Eichhoff, candidats à la chaire d'éloquence latine. M. Demogeot se présentait, en outre, comme candidat « à l'une des deux chaires vacantes. » La discussion des titres eut lieu immédiatement et le vote pour les présentations fut renvoyé au dimanche 26 novembre suivant.
Voici le texte inédit de la lettre de candidature de SainteBeuve :
Paris, le 45 novembre 4834.
Monsieur l'Administrateur,
Ce n'est pas sans quelque hésitation que je me suis décidé à me présenter devant Messieurs les professeurs du Collège de France pour leur exprimer mon respectueux désir d'obtenir leurs suffrages en vue de la chaire de Poésie latine vacante par la mort de M. Tissot.
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE 207
Je me suis dit toutes les conditions, plus que jamais requises et nécessaires, pour un enseignement de ce genre, et je sais combien je suis loin de les réunir : mais ce dont je ne suis pas moins certain, c'est que si Messieurs les Professeurs du Collège de France me faisaient la faveur de me juger digne d'être appelé parmi eux, et que si une désignation si indulgente était suivie d'effet, j'appliquerais tout mon travail et mon effort d'esprit à ne pas rester au-dessous de leur confiance et à ne pas laisser diminuer l'honneur d'une chaire que recommandent tant de souvenirs.
Je vous prie, Monsieur l'Administrateur, de présenter à Messieurs vos Collègues et d'agréer pour vous-même l'expression de mes respects.
SAINTE-BEUVE, de l'Académie française.
Je n'ai pas à expliquer' ici comment la candidature de SainteBeuve à une chaire de langue latine pouvait se justifier. M. Gaston Boissier l'a indiqué dans son article avec toute la netteté désirable. Depuis sa jeunesse, l'auteur de Port-Royal était un fervent des littératures antiques, et, malgré ses tâches multiples, il ne cessa jamais de les cultiver avec amour.
L'Assemblée des professeurs du Collège de France se réunit donc le 20 novembre. Étaient présents, sous la présidence de M. Stanislas Julien, administrateur, MM. Biot, Quatremère, Binet, Boissonade, Élie de Beaumont, Caussin de Perceval, J.-J. Ampère, Duvernoy, Michel Chevalier, Philarète Chasles, Coste, Laboulaye, Balard, Paulin Paris et Lenormant.
MM. Magendie et Mohl s'étaient excusés pour raison de santé. MM. Liouville, Regnault et de Portets étaient absents. Quant aux quatre chaires d'histoire et morale, de philosophie grecque et latine, de langue turque et de langue et littérature slaves, non représentées dans l'Assemblée, il est utile de remarquer qu'elles se trouvaient occupées non par des professeurs titulaires, mais par des chargés de cours, et que ces derniers ne prenaient part en aucun cas aux Assemblées.
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208 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Le scrutin eut lieu au début de la séance. Sainte-Beuve obtint 14 suffrages sur 15 votants ; il y eut un bulletin blanc. En conséquence, il fut proclamé premier candidat de l'Assemblée des professeurs du Collège de France à la chaire de poésie latine. Au second scrutin, M. Meyer, l'ancien remplaçant de Tissot, obtint 8 voix et M. Feugère, 7. M. Meyer fut proclamé second candidat.
Les présentations relatives à la chaire d'éloquence latine donnèrent les résultats suivants : M. Ernest Havet obtint 10 voix' M. Eichhoff 3, M. Meyer 1 ; il y eut un bulletin blanc. Le second scrutin donna 14 voix à M. Eichhoff et 1 à M. Feugère. En conséquence, M. Ernest HaAet fut présenté comme premier candidat, et M. Eichhoff comme second candidat de l'Assemblée des professeurs du Collège de France.
J'ai tenu à donner in extenso ces scrutins ; ils détruisent, en effet, et de la façon la plus décisive, la légende trop accréditée qui représente Sainte-Beuve comme devant uniquement sa nomination au crédit de la princesse Mathilde. Rien n'est plus contraire à la vérité historique. Sainte-Beuve fut présenté à l'unanimité — moins un bulletin blanc — par ses futurs collègues. Il n'est point de meilleure réponse aux erreurs d'origine diverse qui se sont répandues d'assez bonne heure sur le fait même de sa nomination. La liste des membres présents à la séance était également utile à citer : le Collège se trouvait, en somme, presque au complet pour procéder aux présentations.
Dans sa séance du 8 décembre, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ratifia les choix du Collège, et le 13 décembre 1854, un décret impérial fut rendu, nommant, sur le rapport du ministre Fortoul et suivant les présentations faites, M. Sainte-Beuve (CharlesAugustin), de l'Académie française, professeur de la chaire de poésie latine, et M. Havet, agrégé pour les lettres, professeur suppléant à la Faculté des Lettres, professeur de la chaire d'éloquence latine.
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE 209
La première leçon de Sainte-Beuve fut fixée au 9 mars.
Une affiche spéciale fut placardée dans Paris ; en voici le texte :
COLLÈGE IMPÉRIAL DE FRANCE
POÉSIE LATINE
M. Sainte-Beuve, membre de l'Institut (Académie française), ouvrira son cours le vendredi 9 mars 1855, à midi et demi, et le continuera les mercredis et vendredis, à la même heure.
Le professeur traitera de Virgile et de l' Enéide.
L'Administrateur du Collège impérial de France, STANISLAS JULIEN.
Vu et approuvé par le Ministre Secrétaire d'État du département de l'Instruction publique et des Cultes.
H. FORTOUL.
Pans, ce 3 mars 4835.
La première leçon eut lieu à la date fixée. Sainte-Beuve en a publié le texte dans son Étude sur Virgile (pp. 1-26), sous le titre de Discours prononcé à l'ouverture du cours de poésie latine au Collège de France. Il y faisait, après les remerciements d'usage, sobres et dignes, l'histoire de sa chaire, en insistant avec beaucoup d'érudition et de clairvoyance sur le caractère propre du Collège de France, « institution qui fut d'abord unique, originale en son genre, et qui ne ressemblait à aucune autre de celles qui ont autrefois servi l'esprit humain dans notre patrie ». Parmi ses prédécesseurs, il insista surtout sur le « gentil » Passerat, de la Satire Ménippée, de la race gauloise des Villon, des Marot, des Rabelais. Sainte-Beuve mit en lumière avec une sympathie évidente le caractère de ce « commentateur assidu de Plante, de Catulle, de Tibulle et de Properce ; élégant versifi27
versifi27
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210 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
cateur latin; poète français d'ailleurs, franc et fin Gaulois, enjoué, probe, honnêtement satirique : cela se sent dans toute sa manière de lire les anciens. » Le nouveau professeur esquissait ensuite les portraits de l'abbé Delille, de Tissot et de plusieurs de leurs suppléants, les caractérisant en une série de pages fort justes. Il terminait par quelques considérations générales et une sorte de court programme. « Mes principes littéraires, messieurs, disait-il en terminant, (car j'en ai aussi sans les afficher), mes principes se montreront, je l'espère, dans le sentiment vif que je crois avoir de certaines beautés et dans le culte que j'y apporte. En ce siècle où l'on a tant fait de systèmes et de professions de foi; où, à tout propos, dans toute matière philosophique, sociale, littéraire, on a introduit et prodigué le mot de croyance, je ne veux pas dire que l'on en ait peu; mais il est aussi une religion plus discrète qui tient à l'amour du beau, du naturel, du fin et du délicat dans la poésie. Les Grecs l'eurent; les Bomains après eux en recueillirent et en rassemblèrent en foyer plus d'une étincelle; ils tinrent à leur tour le flambeau. Quelques-unes de ces étincelles, diminuées, mais vives encore, ont passé jusqu'à nous; ne les laissons jamais s'éteindre. ». Cette première leçon fut troublée, à certains moments, par des cris et des interruptions; toutefois, elle put s'achever sans trop d'encombre. Après un premier essai de tumulte, force resta aux auditeurs bienveillants et au professeur. « On croyait la tentative de bruit apaisée et vaincue, raconte Sainte-Beuve (1)... Le Ministre le croyait, du moins. Je n'étais pas de cet avis. En effet, dans l'intervalle de la première à la seconde leçon (qui eut lieu le 14 mars), il s'organisa toute une manoeuvre; de petits journaux clandestinement imprimés, dont il m'arrivait des exemplaires, me signalaient à l'animadversion des écoles. Au moment où j'arrivai pour faire ma
(1) Correspondance, t. I, p. 323.
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seconde leçon, je vis que les mesures de l'autorité avaient été mal prises; je fis cette seconde leçon; mais, interrompu dès mes premières paroles improvisées, et sentant que j'étais en présence de groupes .malveillants, disséminés dans l'auditoire, je me rabattis à la lecture d'une leçon sur Virgile que j'avais compté bien plutôt improviser, et dont cependant j'avais préparé à tout hasard la rédaction écrite. »
Certes, la leçon avait été faite jusqu'au bout; mais, suivant le principal intéressé lui-même, la situation n'était pas tenable. M. Danton, alors inspecteur d'Académie, et qui devint par la suite secrétaire général du Ministère, adressa au Ministre un rapport que Sainte-Beuve a qualifié lui-même, par la suite, de très exact. Le cours fut suspendu.
Comme on le pense, les journaux s'emparèrent de l'incident et plusieurs d'entre eux, et non des moins considérables, trompés par des iuformateurs mal renseignés, rapportèrent les faits avec une exagération évidente. Sainte-Beuve s'en émut et écrivit même à M. de Sacy, rédacteur en chef du Journal des Débats, une lettre rectificative, à propos d'un compte-rendu de la première leçon paru dans ce journal sous la signature d'Hippolyte Rigault (1). Il croit pouvoir affirmer à son correspondant que l'auteur de l'article n'assistait pas à la leçon. « Je mets en fait que si quelqu'un d'entre vous avait été dans l'auditoire et avait reçu l'impression vraie, il aurait vu ce qui a été, — ce qui n'a été, en effet, que dans les extrémités de la salle et sur quelques points ; mais est-ce qu'on fait la part au feu, aux interrupteurs? » A son gré, l'appréciation la plus exacte des faits parut dans la Revue Suisse (numéro d'avril 1855) ; elle était due à Juste Olivier, l'ami vigilant et dévoué qui avait été, à Lausanne, l'hôte de Sainte-Beuve. On la trouvera reproduite in extenso dans la
(1) Correspondance de Sainte-Beuve, t. I, pp. 198-200.
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Correspondance (I, p. 205). Nous y apprenons que le premier prétexte du bruit avait été l'insuffisance de l'amphithéâtre pour la foule des auditeurs; mais, ne l'eût-on pas su par ailleurs, il s'agissait évidemment d'un coup monté. Visiblement, on avait recruté les étudiants. « Je vais au Collège de France pour faire du tapage au cours de Sainte-Beuve », disait tel d'entre eux qui, auparavant, n'avait peut-être jamais visité l'établissement. On leur avait perfidement représenté Sainte-Beuve comme une sorte de renégat politique, avide de places et d'honneurs. Ces insinuations étaient d'autant plus injustes que le critique avait montré jusque-là fort peu de goût pour les investitures officielles. II n'avait accepté en tout et pour tout qu'nne modeste place de conservateur à la Bibliothèque Mazarine, en 1840, et à laquelle il renonça dès le début de la Révolution de 1848. L'histoire de la fameuse cheminée « qui fumait » est là pour nous l'apprendre. Il est hors de doute que les nombreuses animosités et jalousies littéraires que Sainte-Beuve avait accumulées au cours d'une carrière déjà longue, furent pour quelque chose dans ces manifestations brutales. Les uns lui en voulaient de son silence, les autres de sa franchise. Olivier cite même, sans le nommer, « un nom bien connu dans les lettres » comme quasicomplice, au moins par la joie qu'il ne sut pas dissimuler. Bref, comme il arrive toujours en pareil cas, les causes du tumulte paraissaient à la fois diverses et obscures. Il est très probable qu'il se rencontrait parmi, les perturbateurs des éléments tout à fait opposés, depuis Jules Vallès qui regretta plus tard sa participation à la bagarre, jusqu'à ceux qui considéraient surtout en Sainte-Beuve le libre-penseur impénitent. De toute manière, le coup fut infiniment sensible à l'auteur des Lundis et il garda jusqu'à la fin une amertume profonde de cette erreur de la jeunesse des écoles. Sa prétendue impopularité — car on l'a sûrement exagérée — lui fut toujours pénible.
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Le 20 mars 1855, Sainte-Beuve adressait à M. Fortoul une longue lettre (1) où il examinait la situation avec une justesse et une netteté remarquables. Il sentait fort bien que l'irritation, dans le public, n'avait pas diminué. D'après les dires de ses amis, son attitude pendant les leçons n'avait pas contribué à la calmer. En résumé, il voyait dans l'affaire deux questions, deux inimitiés : l'inimitié contre le critique littéraire, et celle qui s'adressait à l'homme nommé par le gemernement. La première de ces inimitiés aggravait et envenimait singulièrement l'autre. Son avis était donc de dédoubler à temps les inimitiés. « Demain, tout autre professeur ou chargé de cours, nommé au Collège de France pour la poésie latine, sera accueilli sans qu'on y fasse attention, et rien ne s'opposera à son succès, s'il a du talent. »
Sainte-Beuve priait donc le ministre d'agréer bien décidément sa démission. Il demandait seulement de la faire coïncider par la date avec la fin du mois de mars. « Je rentre dans ma chambre, dans ma vie d'études avec le printemps. Ma santé, peu faite pour les luttes qui durent, a besoin de calme. Je ne réponds à rien du dehors, bien entendu; je laisse dire; je laisse passer cet orage encore plus ridicule qu'odieux, et mon prochain volume intitulé Virgile, paraissant le 1er octobre prochain, sera ma meilleure justification, j'espère, et aussi, permettez-moi de le dire, la vôtre, pour avoir auguré favorablement de ce que j'aurais pu, si l'on m'avait accueilli. » Il est du reste frappant de constater que, dans toute cette pénible affaire, Fortoul fit preuve à l'égard de Sainte-Beuve de l'affection la plus prévenante. En terminant, le critique priait le ministre d'offrir à l'empereur l'expression de son respectueux regret et de sa reconnaissance. Mais il est évident, par d'autres indices, que le professeur injurié ne se dissimulait point que le gomernement impérial n'avait
(1) Correspondance, t. I, pp. 200-203.
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pas su le défendre et que les mesures avaient été mal prises. Seul. Fortoul semble avoir agi dans tout ceci avec une réelle sympathie personnelle pour Sainte-Beuve, mais, à côté du sien, les autres concours manquèrent de sincérité et d'activité.
Le ministre répondit immédiatement à la lettre du 20 mars. Il demandait à son correspondant, au nom de l'Empereur, comme au sien propre, de reprendre son cours. Mais Sainte-Beuve, dans une nouvelle lettre du 23 mars, déclina cette proposition en termes déférents, mais formels. Il se refusait à rester directement exposé à l'injure, et cela pour un cours dont l'objet est tout de bonne grâce, de culture délicate et de goût. Décidément, il sentait que son organisation n'était point trempée pour la vie militante. A ses yeux, le charme que promettait cet enseignement est à l'avance flétri. « Les gracieuses leçons de modération, de justice, de douceur, toutes ces sources, les seules faites pour fertiliser un sujet si vieux et le rajeunir — en présence de tels êtres — sont stérilisées... Encore une fois, daigniez agréer et faire agréer ma démission. »
Que se passa-t-il? Le ministre et le gouvernement impérial revinrent à la charge selon toute vraisemblance. Comme les vacances de Pâques approchaient, on espéra trouver quelque répit pour aviser définitivement. Pour maintenir les droits de l'autorité et l'honneur du professorat, il fut décidé que le nouveau professeur ferait pendant le second semestre une douzaine de leçons, soit improvisées, soit lues, s'il y avait trop d'interruptions, « et que force resterait au droit ». Avant de reprendre son cours, Sainte-Beuve désirait obtenir une audience de l'Empereur. Diverses circonstances retardèrent cette dernière, et dès lors, les choses traînèrent en longueur. Le directeur de la sûreté publique finit même par dire à SainteBeuve : « Mon avis est que vous ne recommenciez pas en ce moment (on ouvrait l'Exposition de 1855), on vous ferait payer pour tout le monde. »
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Des mois s'écoulèrent, et l'on arriva à l'époque de la clôture des cours.
Avant la réouverture de l'année scolaire, Sainte-Beuve donna, une fois encore, sa démission de la chaire, démission qui ne fut pas acceptée; mais il renonça, dès ce moment, à tous émoluments, et il fut convenu que cette démission pourrait être ultérieurement agréée sans le désobliger en rien et à la simple convenance du ministre de l'instruction publique.
A partir de cette époque, l'auteur de Virgile cessa de paraître aux assemblées du Collège de France et de prendre part aux élections. Je dois faire remarquer, à ce propos, qu'il avait assisté à l'assemblée du dimanche 11 mars 1855, qui fut postérieure de deux jours à sa première leçon, et où fut lu le décret de sa nomination ; à celle du 18 mars, qui procéda aux présentations pour la chaire de grec, vacante par le décès de Boissonade, et enfin à celle du 29 avril suivant, qui présenta Flourens comme premier candidat à la chaire d'histoire naturelle des corps organisés. Son ami J.-J. Ampère se trouvait également à ces deux dernières réunions.
Le 25 novembre 1855, eut lieu l'assemblée qui précède ordinairement la reprise des cours. On y donna lecture d'un arrêté ministériel chargeant M. Meyer, professeur de littérature ancienne à la Faculté des lettres de Poitiers, de la suppléance du cours de poésie latine, avec le titre de chargé de cours et les émoluments complets attachés à la chaire. M. Meyer traita principalement de l'histoire du théâtre à Rome.
A partir du premier semestre 1857-1858, M. Constant Martha, alors professeur à la Faculté des lettres de Douai, où il était le collègue de Caro, fut chargé du cours. Il traita successivement du poëme de Lucrèce, de la vie et des oeuvres d'Horace, du théâtre de Plaute, de la Satire, de l'oeuvre de Juvénal, des Géorgiques, des Comédies de Térence, et enfin des idées morales et littéraires sous
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216 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
l'empire romain. Deux de ses ouvrages les plus remarquables et les plus goûtés : Le poème de Lucrèce et les Moralistes sous l'empire romain, ont été ainsi élaborés au Collège de France, pendant sa suppléance de Sainte-Beuve, qui dura jusqu'à sa nomination comme titulaire à la chaire de poésie latine de la Faculté des lettres de Paris en 1865. Sainte-Beuve professait à l'égard de son second suppléant une estime profonde, dont font foi plusieurs lettres conservées par la famille de M. C. Martha, et que son fils, M. Jules Martha, professeur à l'Université de Paris, a mises à ma disposition avec une extrême bonne grâce. Voici, par exemple, la lettre que Sainte-Beuve écrivit à l'auteur de la Délicatesse dans l'Art, quand celui-ci fut chargé du cours de poésie latine au Collège de France :
Ce 45 novembre 4857.
Monsieur,
Au regret de trouver votre carte sans avoir pu me donner l'honneur de vous recevoir, s'est joint l'autre regret de n'y trouver aucune adresse où je pusse aller vous chercher. J'avais écrit à M. Caro pour m'en informer, mais on m'a dit que M. Caro était reparti pour Douai. Je viens donc, en prenant le détour du Collège de France où vous ne pouvez manquer de venir bientôt, vous prier de me dédommager : veuillez me dire ou vous êtes. Il me tarde de causer avec vous, de me féliciter avec vous de vous voir dans une chaire à laquelle mon nom reste bien légèrement attaché, et que vous saurez honorer et garder.
Agréez l'expression de mes sentiments les plus distingués et les plus sympathiques.
SAINTE-BEUVE.
11, rue Mont-Parnasse.
S'il ne paraissait plus aux assemblées du Collège, Sainte-Beuve ne se désintéressait cependant pas complètement des affaires de l'établissement. Notamment, en ce qui touche la candidature d'Ernest Renan, il prit, à deux reprises différentes, une attitude aussi
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE 217
nette que bienveillante. Il écrivait, en effet, le 28 septembre 1857, à l'auteur des Etudes d'histoire religieuse la lettre suivante (1) :
Cher Monsieur,
Je suis de ceux qui, en apprenant la mort d'Etienne Quatremère, ont aussitôt pensé que sa chaire au Collège de France devait vous revenir : est-il besoin de vous dire que je m'estimerais infiniment honoré d'y contribuer par mon vote? Mais vous savez que je ne me considère que comme un professeur fictif. Il est vrai que M. Rouland m'a bien voulu faire parler pour prendre possession de cette chaire que j'ai abordée sous de si fâcheux auspices (incomparatissima). Mais je doute fort que je puisse me décider à un tel effort et à changer encore une fois tout l'ordre de mes études et le plan de ma vie, sur la foi de zéphyrs. Si quelque chose pouvait m'y décider, ce serait assurément l'idée de devenir encore plus étroitement le confrère et le collègue d'hommes tels que vous.
Agréez, etc.
Quatre ans plus tard Sainte-Beuve s'occupait derechef avec la même conviction des intérêts d'Ernest Renan, et il écrivait à l'un de ses confrères de l'Institut, membre du Collège de France, la lettre suivante (2):
Ce 26 décembre 4864.
Cher confrère, — je ne dis pas collègue, car je ne me considère plus comme faisant partie du Collège de France, et pourtant c'est du Collège de France que je viens vous parler :
Je viens de voir M. Renan : vous savez plus et mieux que moi sa valeur; il a été une fois écarté du Collège par ceux qui n'étaient pas philosophes ; il se représente aujourd'hui avec de meilleures chances : je lui ai dit que je n'allais plus au Collège de France, n'en étant plus en réalité. — Parmi les noms que je lui nommais des premiers comme étant de ceux de juges honorables de ses droits, de ses titres, votre nom
(1) Nouvelle correspondance, pp. 146-141.
(2) Intermédiaire des chercheurs et des curieux, n° du 10 novembre 1904, col. 718.
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218 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
a été prononcé. Il m'a paru avoir, d'un suffrage si prépieux pour lui, plus de désir et plus d'estime que de certitude. Je me suis avancé alors jusqu'à lui dire que je vous écrirais et que je jeterais (sic) tout au fond de votre amitié une petite pierre dont je n'écouterai (sic) pas l'écho, et qui tombera comme elle pourra, — sans réponse.
Cependant les années se succédaient. En 1857, Sainte-Beuve fut nommé, en dédommagement, maître de conférences à l'École normale: il y professa quatre années. Toutefois, il figurait toujours sur l'affiche du Collège de France et aucune solution définitive n'intervenait en haut lieu. Le 13 juillet 1863, il adressa à M. Victor Duruy, alors ministre, une longue lettre ou plutôt un mémoire explicatif (1). Dans ce document, Sainte-Beuve présentait un exposé complet des événements relatifs à sa nomination, à son enseignement et aux nombreuses négociations qui avaient suivi la suspension de ses cours. Il racontait sa rentrée au Constitutionnel et dans la pressé active, sur les instances de M. de Persigny. M. Martha, chargé du cours, ajoutait-il, est des plus capables et réunit en lui tous les titres voulus. « Il est dès longtemps convenu et entendu, de lui à moi, que sa nomination définitive ne saurait m'être qu'agréable. » Sainte-Beuve repoussait toute idée de rentrée sous une forme ou sous une autre dans l'instruction publique, pour laquelle il ne se sentait ni vocation ni aptitude. Il n'y tient plus que par un fil qui n'est pas entre ses mains. Son désir formel est de voir couper le plus tôt possible ce fil léger, irrégulier, et à l'égard de M. Martha, ce ne serait que justice. On devine, à lire la lettre, que cette question, sans cesse traitée sans résultat, est décidément pénible pour Sainte-Beuve. Elle a été dès longtemps épuisée dans des conversations avec les prédécesseur de Duruy. Tout a été dit pour, sur et contre. Rien ne lui
(1) Correspondance, t. I, pp. 323-326.
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sera plus agréable que de n'y plus revenir ni en paroles ni par écrit. Il ne s'agit que de faire cesser une fiction.
Cette lettre, dictée à son secrétaire, — Sainte-Beuve avait alors mal au bras, — ne produisit pas encore l'effet espéré. Cette longue attente d'une solution fit même croire, dans le public, que SainteBeuve ne désirait pas sincèrement (ce qui est tout à fait invraisemblable) son l'emplacement définitif dans la chaire de poésie latine. Le critique, dont les sentiments à l'égard des personnes et des institution du régime impérial subirent quelques variations, bien explicables, put, en effet, hésiter par la suite sur le moment à choisir pour régler l'affaire. Mais ce qu'il importe de mettre en lumière, c'est qu'il ne cessa de renouveler sa démission avec cette régularité exemplaire et méthodique qu'il apportait à l'accomplissement de tous ses devoirs. Lors des visites de la nouvelle année, il ne manquait jamais d'en reparler au Ministre. Vers le milieu de 1865, Joseph Bertrand, le célèbre mathématicien, professeur au Collège de France et par conséquent collègue de Sainte-Beuve, alla lui rendre visite dans le but de l'entretenir de la situation de M. Martha. Il écrivit aussitôt à ce dernier un récit de sa conversation dont divers extraits méritent d'être cités ici (1).
Cher Monsieur Martha,
J'ai vu Sainte-Beuve vendredi Il a, m'a-t-il dit, donné sa démission à tous les ministres qui se sont succédé depuis Fortoul, elle a été envoyée à Duruy et se trouve par conséquent au ministère. Duruy s'était un peu trop pressé d'y donner suite et il en a été mécontent : aujourd'hui la situation est changée ; comme il est sénateur, l'effet produit sera tout autre sur le public et sur Sa Majesté à qui l'on ne sera plus forcé de dire : « Le professeur que vous avez nommé donne sa
(1) Cette lettre m'a été communiquée gracieusement par M. J les Martha.
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220 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
démission parce que votre administration n'a pas su lui maintenir la parole. »
Il autorise qui voudra à dire cela de sa part à Duruy ; on lui fera plaisir en vous nommant, et il le dirait lui-même si l'occasion s'en présentait, mais il paraît décidé à ne pas faire de démarche officielle. C'est donc à vous d'agir. Causez avec le ministre et dites-lui tout cela de la part de Sainte-Beuve qui vous y autorise expressément. — Il ajoute que vous ne savez pas faire vos affaires, et que si tout n'est pas terminé c'est que vous ne vous en occupez pas assez
Votre très affectionné,
J. BERTRAND.
Après le départ de M. Martha, nommé en 1865 à la Sorbonne, M. Gaston Boissier entra au Collège de France comme chargé du cours de poésie latine, à partir du premier semestre 1865-1866. Il traita successivement de Juvénal et de la société romaine sous l'Empire, expliqua les Satires d'Horace, — en faisant, à cette occasion, l'histoire de la satire à Rome, — puis la Pharsale de Lucrèce. Il étudia ensuite l'Enéide et la religion romaine dans Virgile, et les poètes latins de l'époque chrétienne.
Sainte-Beuve mourut le 13 octobre 1869, toujours professeur titulaire de la chaire de poésie latine du Collège de France. M. Gaston Boissier fut d'abord maintenu comme chargé du cours et ensuite nommé professeur titulaire en remplacement de Sainte-Beuve, après les présentations ordinaires, par décret impérial du 15 décembre 1869.
Ainsi se termina cette longue et étrange histoire des rapports de Sainte-Beuve avec le Collègue de France et notre haut enseignement ; elle avait commencé, en somme, à l'aube du régime impérial, lors des propositions faites par Fortoul en 1852, pour se terminer quelques mois à peine avant l'écroulement de ce même régime.
ABEL LEFRÀNC.
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR A L'ÉCOLE NORMALE
(1859-1801)
Un des caractères de notre époque, et non le moins appréciable, est l'empressement pour honorer les grands morts du siècle dernier. Ainsi de toute part on élève des statues, on célèbre des centenaires. Après Michelet, Quinet, George Sand, voici le tour de SainteBeuve. En 1898, on a mis son buste à sa place, dans le Luxembourg devenu le jardin des poètes. Au jour de l'inauguration, on rendit noblement et diversement justice aux dons multiples de l'auteur de Joseph Delorme et des Lundis. Mais on ne parla point du professeur à l'École normale. Il subsistait encore une. lacune que, dans ce Livre d'Or où Sainte-Beuve revit à chaque page, il appartenait peut-être de combler à l'un de ceux qui, pendant deux ans, furent ses élèves, écoutant ses leçons et les rédigeant chacun à leur tour.
Pour comprendre ce que devait être Sainte-Beuve dans ce grand atelier d'étude ardente et de pensée libre, il convient, avant tout, de rappeler ce qu'était l'Ecole normale de 1858 à 1861. Elle ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait été sous le règne de LouisPhilippe et en 1848, mais elle ne ressemblait pas davantage à ce qu'elle était devenue depuis le coup d'Etat jusqu'à la direction de M. Nisard. La réaction de 1851, qui avait éloigné de la rue d'Ulm
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222 LE LIVRE D'OR, DE SAINTE-BEUVE
un Hervé, un Claveau, bien d'autres encore, avait pris fin avec l'administration lamentable de M. Michelle. Tout au contraire, Désiré Nisard, galant homme, mal jugé par ses détracteurs, méconnu par le public, ouvrit une ère de libéralisme intelligent. Sans doute les élèves n'obtenaient pas alors des sorties prolongées, comme plus tard sous la direction expansive de Bersot, mais ils jouissaient déjà de la liberté intellectuelle pleinement reconquise. En effet, l'administration de M. Nisard était réellement paternelle. Car elle fermait les yeux sur tout ce qui ne touchait pas à la discipline, au règlement, au travail, et laissait aux normaliens leur indépendance en dehors de la maison.
Dans les travaux, les leçons, les controverses des conférences, les normaliens d'alors avaient pleine liberté. Nos professeurs étaient à cet égard d'une largeur incomparable ; aucun n'exerçait la moindre pression officielle. En même temps il régnait entre élèves une vraie tolérance, une franche cordialité. Les esprits les plus opposés fraternisaient; les lecteurs de l'Opinion nationale, les admirateurs d'About et de Sarcey coudoyaient avec une sympathie respectueuse la foi catholique de l'excellent Huvelin, aujourd'hui vicaire à SaintAugustin, ou du regretté Ollé-Laprune, dont les convictions religieuses étaient empreintes d'une douceur fénelonienne.
Ce fut dans ce milieu très libre, plein de contrastes, et qui n'avait rien de l'uniformité que les snobs du journalisme attribuent à notre chère école, que Sainte-Beuve apparut un jour, non sans exciter quelques défiances, malgré l'éclat de son nom et l'autorité de son génie. Au début, l'esprit de l'Ecole lui tenait rigueur de ses affinités avec le gouvernement impérial, de l'allure réactionnaire de ses Lundis entre 1850 et 1853 ; la minorité croyante et pratiquante s'effarouchait de son retour à la philosophie de sa jeunesse. Il y avait donc, non pas de l'hostilité, mais de la réserve dans l'auditoire. Une maladresse eût tout perdu, rien ne fut même compromis.
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR A L'ÉCOLE NORMALE (1859-1861) 223
Sainte-Beuve nous donnait régulièrement, tous les vendredis, une conférence sur la littérature du moyen âge. Il n'enleva pas son public du premier assaut, mais il parvint à le conquérir, à force de qualités personnelles, par la conscience et la probité de son érudition, par la finesse et la largeur de son esprit, par son impartialité comme par sa tolérance. Toutes ses opinions restaient modérées, tous ses jugements équitables, et que de vues neuves et lumineuses sans jamais viser au paradoxe, même à l'effet! C'était dans les appréciations du maître le triomphe du bon sens, le point de perfection de la justesse et de la justice. Cet enseignement, il faut bien le dire, nous offrait plutôt une transmission d'idées qu'un modèle d'exposition. Au premier abord, le professeur était loin de valoir l'écrivain. Sainte-Beuve disait les choses les plus intéressantes avec un son de voix médiocrement agréable et une certaine lenteur de débit. Mais bientôt la diction s'échauffait, l'organe prenait de l'essor et du mordant. Surtout le juge souverain des ouvrages de l'esprit se reconnaissait à ses réflexions intermittentes, à des aperçus qui venaient illuminer sa phrase, traits de lumière, jets de flamme.
De cette façon, Sainte-Beuve parcourut notre littérature nationale depuis les origines jusqu'à l'entrée du XVIe siècle. Il étudia très soigneusement les chansons de gestes, surtout l'épopée féodale avec les Guillaume d'Orange et les Aimeri de Narbonne. Sa leçon la plus attachante pour cette période fut celle où il compara le Mariage de Roland, dans la Légende des Siècles qui venait de paraître, avec l'épisode de Gérard de Viane.
Cependant, Sainte-Beuve professeur n'excella qu'à partir du moment où le moyen âge devenait en quelque sorte moderne : c'est avec les chroniqueurs que son enseignement prit tout son élan, toute sa portée, avec Villehardouin, Joinville, Froissart, Comines. Que d'observations judicieuses sur ces quatre Français de bonne race, si avisés, si nets, si subtils, beaucoup plus nos contemporains
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que les poètes de la même époque ! Comme il nous fit sentir la grave éloquence du premier, la naïveté spirituelle du second, et, chez les deux autres, l'antithèse de l'imagination éprise d'extérieur et de pompe féodale et de la sagacité clairvoyante pressentant pour ainsi dire la philosophie de l'histoire! Ce furent autant de révélations. Car tous les prédécesseurs apparaissaient bien distancés, plus brillants peut-être, mais certainement superficiels : Sainte-Beuve ne le fut jamais. Dans son professorat passager comme dans sa longue oeuvre de critique, il avait le culte de l'exactitude et de la précision. Il fut tout le contraire d'un rhéteur; il était aussi tout l'opposé d'un érudit à la manière germanique.
Ce qui contribua le plus à lui ramener certains auditeurs prévenus, ce fut l'impartialité dont je parlais tout à l'heure et qui se traduisait par le respect de toutes les convictions et le souci de ne prononcer jamais une parole qui pût blesser les opinions respectables. Ce fut aussi l'aménité parfaite de son accueil, toutes les fois qu'il eut à s'entretenir avec les normaliens dans le cabinet de M. Chassang, ou même dans son intérieur de la rue du Montparnasse. A cette occasion je fus mis en rapport avec ce grand esprit par une rédaction de mon cours sur Joinville. Non-seulement il me reçut avec bienveillance, mais il m'engagea dès lors à le venir voir et à lui montrer mes premiers vers. C'est alors que je pus connaître l'homme dans son intimité, l'homme privé que je n'ai jamais cessé de voir jusqu'à sa mort. Je l'ai toujours trouvé bon pour les faibles, secourable aux humbles, paternel et serviable pour les jeunes gens qui avaient quelque chose en eux. J'ai pu constater parfois son irritabilité nerveuse envers ceux par lesquels il se croyait blessé, mais le plus souvent j'ai reconnu sa rare tolérance et son respect de la liberté d'autrui. Ainsi jamais il ne me fit un grief de mes relations avec ses ennemis politiques, ni même un reproche momentané de l'ode que je composai sur les bancs de l'Ecole en l'honneur de son
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SAINTE-BEUVE PROFESSEUR A L'ÉCOLE NORMALE (1859-1861) 223
adversaire Victor de Laprade, au lendemain de l'odieuse, révocation du poète de Lyon.
Tel fut Sainte-Beuve à l'Ecole normale sous l'aspect du professeur qui ne fut pas, autant qu'on l'a dit, inférieur au critique par excellence. Il importait de fixer ce souvenir; car le critique incomparable que fut Sainte-Beuve, malgré la certitude de sa destinée devant la postérité, subit en ce moment l'éclipse inévitable par laquelle nous avons vu passer Lamartine et Vigny du temps de notre jeunesse, Musset depuis, et peut-être actuellement le plus grand de tous, Victor Hugo. Je puis en porter témoignage, étant deceux qui, chaque année, voient un grand nombre de jeunes gens, l'élite adolescente, se préparer aux épreuves de la licence et de l'agrégation. Nos étudiants actuels ne lisent plus guère les Causeries du Lundi, les Nouveaux Lundis, Port-Royal, que sollicités par leurs professeurs. Ils dévorent avec avidité les recueils, d'ailleurs si remarquables, de Brunetière, de Faguet, de Lemaître, de Doumic, de Lanson, et laissent de côté notre vieux maître de l'Ecole normale. C'est que, pour la critique comme pour le reste, la parole de Platon est toujours vraie : « L'air du dernier joueur du flûte est celui qui plaît le plus aux hommes. »
En revanche, j'ai pu constater dans cette jeunesse un retour marqué vers Sainte-Beuve poète, comme vers le premier qui demanda l'inspiration et l'émotion à des scènes et à des incidents de la vie bourgeoise, populaire, domestique, le novateur qui donna droit de cité dans l'art aux humbles et aux ignorés, précurseur du Gautier des Intérieurs, du Baudelaire des Petites vieilles, de Coppée et d'Eugène Manuel. J'ai senti plus d'une fois chez nos élèves des Facultés un réel entraînement vers la poésie de Joseph Delorme et des Consolations, une véritable curiosité d'informations sur la part de Sainte-Beuve dans la révolution romantique.
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Qu'en conclure, sinon que Sainte-Beuve apparaîtra de plus en plus comme un grand inventeur en poésie, quoiqu'il y ait eu dans notre siècle cinq ou six poètes de plus haut vol? Mais il n'en restera pas moins, pour la postérité, comme le premier des critiques, le maître du choeur, et l'on reviendra toujours à cette vaste partie de son oeuvre. Critique consommé, historien littéraire de premier ordre, il fut par là même un professeur à la hauteur de sa fonction, dont l'enseignement aussi (profond que pondéré, modèle de mesure et de sagesse, ne sera jamais oublié par ceux qui ont eu l'honneur d'être ses disciples.
EMMANUEL DES ESSARTS.
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SAINTE-BEUVE ET MADAME LEMERGIER
Le 1er mai 1846, Sainte-Beuve publiait dans la Revue des DeuxMondes un essai sur son ami Charles Labitte (1), mort le 19 septembre 1845. Il y donnait le plan d'un ouvrage en deux volumes sur les Poètes de la Révolution et de l'Empire. Le chapitre IX était ainsi indiqué : « LEMERCIER, ou le précurseur des innovations. — Il est le prédécesseur de Victor Hugo, son successeur à l'Académie. (Pièces de théâtre inédites de sa jeunesse et du temps de la Révolution ; lettres autographes (2). »
Mme Lemercier, une de ces personnes toutes prêtes à défendre la mémoire des morts en indisposant les vivants contre eux, s'empressa d'écrire à Sainte-Beuve une lettre que celui-ci ne trouva point de son goût. Armée des droits d'auteur que la mort de son mari lui avait conférés, elle réclamait, avec une politesse qui s'en tenait aux formules, les inédits indiqués par Labitte, et que Sainte-Beuve n'avait jamais vus. Peut-être espérait-elle s'enrichir de telles dépouilles.
(1) Charles Labitte. Revue des Deux-Mondes, 1er mai 1846, p. 135 — reproduit à part (imprimerie Fournier, s. d. in-8°); — Études Littéraires de Charles Labitte, t. I; Portraits Littéraires, t. III, p. 362.
(2) Si l'oeuvre eût été réalisée, ce chapitre n'eût été que le remaniement de l'étude publiée par Labitte sur Népomucène Lemercier dans la Revue des Deux- Mondes, le 15 février 1840, et qui a été reproduite telle quelle dans ses Études Littéraires, t. II, p. 176.
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228 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Toujours est-il que Sainte-Beuve, froissé par le ton de la noble veuve, et bien persuadé de cette vérité pratique, qu'un critique ne doit jamais se laisser brider, sous peine d'impuissance, répondit par une fin de non recevoir, d'un empressement habile et ferme. Mme Lemercier récidiva, pour ne se calmer qu'après une seconde lettre du critique, qui sut garder son attitude calme et bien déterminée.
Il y a, je pense, des raisons anciennes au ton pointilleux pris dès le début par les deux correspondants :
Me posant cette question, j'ai tout d'abord, et me semble-t-il très naturellement, vu en ceci un épisode minime de la lutte entre classiques et romantiques. Mais j'estime actuellement que quelques précisions, quelques petites finesses doivent mieux délimiter cette vue trop simpliste. Sainte-Beuve et Lemercier étaient, je le veux bien, des combattants de deux partis opposés; mais en leur qualité de critiques, habitués à se plier à des techniques diverses, ils se sont trouvés, Lemercier, romantique parmi les classiques, Sainte-Beuve, le plus classique des romantiques (1). D'ailleurs, Sainte-Beuve n'a-t-il pas été le plus adroit des jeunes, le mieux vu dans les milieux académiques? Enfin, n'oublions pas que Lemercier a desservi tant de fois Victor Hugo à l'Académie, satisfaisant ainsi, très involontairement, du reste, les plus secrets désirs de Sainte-Beuve. C'est sans doute pour toutes ces petites raisons que Sainte-Beuve fut toujours indulgent à Lemercier. Cette admiration de Sainte-Beuve pour un homme si généralement oublié aujourd'hui ne doit point nous surprendre. Sainte-Beuve, qui accepta la doctrine romantique, ne la vécut jamais (2), ce qui lui
(1) Cf. G. Michaut. Sainte-Beuve avant les Lundis, p. 41. — Études sur Sainte-Beuve, pp. 158-160.
(2) « En général, dans cette École, dont j'ai été, depuis la fin de 1827 jusqu'à
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SAINTE-BEUVE ET MADAME LEMERCIER 229
permit de trouver dans les oeuvres de l'Empire bien des choses dédaignées des romantiques, et qui pouvaient satisfaire son médiocre tempérament artistique. On sait tous les articles sur Arnault, Lebrun, Ducis. Après cela, pourquoi ne pas rendre son dû à Lemercier; pourquoi ne pas joindre Pinto (1) à Saint-Genest, et pourquoi, lorsque classique malgré le Cénacle, on parle de la renaissance des lettres après la Révolution, ne pas prendre Lemercier comme exemple (2) ?
Mais, cependant, il ne faut pas aller trop loin. Je ne sais si Lemercier, ennemi forcené des romantiques, admirait Joseph Delorme, mais je ne le crois pas; et si Sainte-Beuve a été quelque peu sincère en reprochant à Chateaubriand, « Sachem du romantisme », d'avoir ensuite abandonné les jeunes gens nés à son ombre, et d'avoir ainsi infligé au romantisme l'effort d'une seconde naissance, je pense que sa fureur contre Lemercier a pour le moins été aussi grande. D'ailleurs, le Globe où Sainte-Beuve fit ses débuts, s'il approuvait Pinto pour ses licences contre les règles, avait quelquefois violemment attaqué Lemercier (3).
En somme, pour Mme Lemercier, qui ne fut jamais très au courant, Sainte-Beuve n'est pas loin de représenter le farouche romantique.
juillet 1830, ils n'avaient de jugement..., je fis un peu comme eux durant ce temps : je mis mon jugement dans ma poche et me livrai à la fantaisie..., je sentais bien par moment le faux d'alentour; aucun ridicule, aucune exagération ne m'échappait. » Cahiers, p. 41.
(1) Port-Royal, t. I, p. 177 (1re éd.); t. I, p. 163 (édition moderne).
(2) Cf. M. Lebrun, reprise de Marie Stuart article du 15 janvier 1841; les passages visés se trouvent dans les Portraits Contemporains, t. III, pp. 162 et 163 de l'édition en 5 vol. Cf. M. Arnault, article du 21 mars 1843 ; le passage visé se trouve dans les Causeries du Lundi, t. VII, p. 398 (1re éd.); t. VII, p. 501 (édition moderne). Cf. Ducis épistolaire, article du 16 mars 1863, où un passage moins respectueux se trouve dans les Nouveaux Lundis, t. VI, p. 374.
(3) Cf. Patin : De la Trayédie grecque (9 avril 1825), et surtout Duvergier de Hauranne, Népomucène Lemercier (28 mai 1825), articles cités par Michaut : Sainte-Beuve avant les Lundis, pp. 79 (note) et 82 (note).
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230 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Les lettres de Sainte-Beuve proviennent des papiers de Lemercier, conservés à la bibliothèque de Bayeux (Ms. 354). Je dois le texte des lettres de Mme Lemercier à M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, dont la science et l'affabilité sont connues de tous ceux qui étudient la littérature du XIXe siècle.
Louis THOMAS.
I
MADAME LEMERCIER A SAINTE-BEUVE
Paris, 48 mai 4846. Monsieur,
Dans votre article nécrologique sur M. Ch. Labitte, vous dites qu'il possédait des autographes et quelques oeuvres inédites de M. Lemercier. J'ai l'honneur de vous demander communication des unes et des autres. Les oeuvres inédites nous appartiennent, et, ainsi que les autographes, elles ont besoin de notre consentement pour être publiées, et de notre assentiment, afin d'être jugées véritablement de M. N. Lemercier. En tout cas, on nous doit compte des moyens employés pour se procurer les oeuvres inédites, et nous devons nous bien assurer qu'elles sont correctes et réellement de lui. Quant à la biographie elle n'est ni exacte ni complète. J'ai, au moment de la mort de M. Lemercier, averti l'Académie Française de n'accorder aucune confiance à ce genre de productions sans notre assentiment. Ainsi, Monsieur, comme membre de l'Académie, avant de faire un titre à M. Labitte de la biographie de M. Lemercier et de l'appréciation qu'il fait de la place que doit occuper le prédécesseur — et non pas le précurseur — de V. Hugo parmi les poètes et les écrivains de son temps, on nous doit communication des documents dont s'est appuyé M. Labitte.
J'ai l'honneur, Monsieur, de vous avertir de nos droits, comme de notre existence, et je n'ai pas besoin de dire à un écrivain aussi distingué que cette lettre est la marque la plus réelle d'égard qu'un homme de goût et d'honneur puisse recevoir. Je serais charmée, Monsieur, de connaître personnellement un membre dont l'Académie
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SAINTE-BEUVE ET MADAME LEMERCIER 231
s'honore et de vous donner par conséquent les renseignements exacts qui vous manquent pour apprécier avec justice tout ce qui touche la mémoire de M. N. Lemercier. Ce que je sais de lui-même, c'est qu'il avait été très frappé des premiers essais de votre excellent travail sur Port-Royal.
Recevez, Monsieur, tous nos sentiments de considération très parfaite et sincère.
JOSÉPHINE, E. VVE N. LEMERCIER.
Ch. Nép. LEMERCIER, 18, rue Saint-Dominique-Saint-Germain.
II SAINTE-BEUVE A MADAME LEMERCIER
Ce 48 mai. Madame,
J'ai l'honneur de recevoir la lettre que vous m'adressez et j'éprouve quelque embarras à y répondre. Je voudrais ne le faire en effet qu'en ne blessant en rien un sentiment que je reconnais aussi respectable et aussi digne d'être honoré que celui qui vous anime. — Mais, Madame, permettez-moi de vous dire qu'il y a quelque méprise dans la manière dont vous me faites l'honneur de vous adresser à moi. J'ai trouvé dans les papiers d'un ami qui m'était cher à tous les titres le programme ou plan d'un ouvrage sur la littérature dite de l'Empire ; j'ai publié ce plan, il se trouve que M. Lemercier y occupe une place, car il en a occupé une grande dans la littérature de son temps. J'ai reproduit les deux ou trois lignes très abrégées qui le concernent et qui n'indiquent que d'une façon très générale le dessein de mon ami. Il paraît que dans ce dessein seraient entrées quelques pièces inédites, lettres ou autres, dont M. Labitte savait ou croyait savoir l'existence et les sources ; il a emporté avec lui le secret de ce travail et les matériaux se bornent à des notes de lui. Ces lettres inédites dont il parle ne sont autres, sans doute, que de ces billets tels que chacun en écrit chaque jour, mais qui ont du prix venant d'un homme célèbre et qui peuvent ajouter à l'intérêt d'une biographie. J'ai l'honneur au reste de vous le répéter, Madame, mon ami
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232 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
a emporté avec lui le secret du travail dont je n'ai que le plan ; et il m'a paru digne d'être publié, chacun restant libre d'en accepter ou d'en contredire les simples aperçus.
Je n'ai donc rien, Madame, à communiquer de plus que le simple plan qui est publié; je n'ai d'ailleurs conservé aucun des papiers de M. Labitte, et après mon travail fini, je les ai remis à qui (1) me les avait confiés.
Le sentiment de famille, Madame, a des droits sacrés ; il donne même celui d'adresser à un écrivain qui n'accepte de toutes les qualifications que le titre d'honorable, une sommation du genre de celle qui m'arrive aujourd'hui. Pourtant la critique aussi a ses droits, et je ne crois pas les avoir excédés. J'ai quelque peine à comprendre comment mon titre de membre de l'Académie vient se mêler à tout ceci. Comme critique et comme écrivain, je ne relève que de ma conscience et du public, notre grand juge à nous tous. Ecrivain — dans toute autre circonstance l'invitation que vous voulez bien m'adresser, Madame, n'aurait pu m'être qu'infiniment flatteuse ; mais n'ayant d'autres renseignements à vous donner, ni d'autre communication à vous faire, il ne me serait que pénible de ne pouvoir mettre mon indépendance comme critique en parfait accord avec ce que réclame et ce que prétend un sentiment aussi sacré et aussi impérieux que l'est celui qui a dicté votre lettre.
Veuillez recevoir, Madame, avec mes sincères excuses et mes regrets du déplaisir que je vous ai causé, l'expression de mes respectueux liommages.
SAINTE-BEUVE.
III
MADAME LEMERCIER A SAINTE-BEUVE
Paris, 49 mai 4846.
Monsieur,
Vous m'avez mal compris. J'ai cru qu'à propos de M. Labitte, votre ami, vous ne parliez point d'oeuvres inédites et d'autographes sans les connaître. Dans cette pensée, je vous en demandais communication,
(1) Mots barrés : de droit.
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SAINTE-BEUVE ET MADAME LEMERCIER 233
pour m'assurer que ces lettres étaient bien de M. Lemercier, et que les oeuvres quelles qu'elles soient, étaient correctes, fidèles, et au nombre de celles qu'il a jugées dignes de l'impression. Ceci est mon droit et n'a rien de blessant pour vous.
J'ai eu l'honneur de vous écrire comme Académicien, parce que j'avais eu celui d'écrire à l'Académie que M. Lemercier, et sa famille après lui, n'acceptait comme véridiques, ou complètes, aucune des biographies existantes.
Je ne cherche point à enchaîner votre conscience, Monsieur, non plus qu'à gêner la critique et l'appréciation de la place que devra occuper, dans les divers systèmes littéraires, un homme qui n'avait pas choisi pour carrière la critique. Je me bornerai, comme lui, à démentir le faux, à tâcher d'éviter qu'on accrédite l'erreur, fût-ce même involontairement, et cette manière d'agir n'a rien qui soit embarrassant pour les écrivains et les juges consciencieux.
Puisque M. Labitte a emporté le secret de ses droits à la possession d'oeuvres inédites, qu'il n'en soit plus question. Je n'aurais pas, au reste, entravé la publication d'ouvrages ou de lettres reconnus par moi comme bien de M. L[emercier], et approuvées ou données par lui, non plus que celle de sa biographie, si elle est exacte comme faits. Je sais, Monsieur, par une longue expérience, que la mémoire de M. Lemercier appartient à la critique comme à l'éloge, au dénigrement ; voire même à l'imposture, qui n'est pas toujours volontaire ou malveillante ; de tout cela, résulte, en définitive, la vérité. Comme [indication] de date seulement, je vous dirai que M. Lemercier ne peut être classé au nombre des littérateurs de l'Empire. Il a commencé et réussi même avant la Révolution.
Je m'excuse de nouveau à mon tour de la méprise à laquelle ma lettre donne lieu. Les renseignements que contiennent votre réponse me suffisent quant aux devoirs que le plus grand et le plus irréparable des malheurs me condamne à remplir.
J'ai l'honneur, Monsieur, de vous renouveler l'expression de toute ma sincère considération.
J. E. VVE N. LEMERCIER.
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234 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
IV
SAINTE-BEUVE A MADAME LEMERCIER
Ce 49 mai.
J'ai l'extrême regret de me croire encore obligé de répondre sur un ou deux points à la lettre que vous me faites l'honneur de m'adresser, mais j'ai ma susceptibilité, Madame, comme vous avez la vôtre.
Je n'ai point parlé dans l'article inculpé d'oeuvres inédites et d'autographes ; je n'ai fait que reproduire une simple page de M. Labitte, je n'ai en rien témoigné avoir moi-même vu ou connu les pièces ; j'ai publié un programme, voilà tout.
Quant à M. Labitte, je n'ai pas dit, Madame, qu'il ait emporté le secret de ses droits, j'ai dit qu'il avait emporté le secret de son travail et des sources où il comptait puiser. Je ne saurais souffrir qu'il fût exprimé un doute sur un point qui toucherait à sa probité, sans y opposer une juste réponse. Il est probable qu'il connaissait quelques personnes avec qui M. Lemercier avait été en correspondance et qu'on lui avait offert communication des lettres autographes. — Quant à ces pièces inédites de théâtre, qui dateraient du temps de la jeunesse de M. Lemercier, la phrase de M. Labitte (si tant est qu'une tête de chapitre soit une phrase) n'indique pas du tout qu'il les eût en sa possession ; mais il en avait probablement connaissance soit par des conversations avec des personnes du temps, soit qu'il les eût vues dans le Cabinet de quelque amateur ; il ne comptait certainement pas les publier, mais simplement les analyser ou en donner idée, comme cela peut se faire dans un travail critique. J'en suis d'ailleurs réduit, comme vous-même, Madame, aux conjectures ; je me borne à exclure la moins vraisemblable et celle qui imputerait un tort à mon ami.
L'ouvrage portail en effet pour titre : les Poètes de la Révolution et de l'Empire, et c'est moi qui ai commis la faute en abrégeant le titre dans ma lettre : M. Lemercier était, au reste, un poète de la Restauration aussi, et je me rappelle avoir été l'applaudir plus d'une fois dans ma jeunesse; de même que je me souviens, Madame, d'avoir fort profité à la
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SAINTE-BEUVE ET MADAME LEMERCIER 235
lecture de son Cours de liltérature (1) ; car, sans avoir choisi la critique pour carrière, il n'a pas dédaigné de s'y exercer.
Veuillez agréer, Madame, l'expression de mes humbles respecte.
SAINTE-BEUVE.
V MADAME LEMERCIER A SAINTE-BEUVE
20 mai 4846.
Monsieur,
Ne comptez pas plus vos paroles en m'écrivant que je compte les miennes en vous remerciant avec une véritable gratitude des renseignements que vous avez l'obligeance de me donner encore. Ma position est simple, mais pourtant difficile. J'ai, malgré mon âge avancé, peu d'expérience des affaires en littérature. Je cherche seulement en toute occasion à établir, ou rétablir le vrai, sur ce qui touche M. Lemercier. Par cette raison, je favoriserai aisément toutes publications qui rappelleront sa mémoire ou ses ouvrages, toutes les fois que l'équité — vous voyez que je ne dis pas l'éloge, —- accompagnera cette publication. Je suis loyale et véridique, aussi je comprends à merveille la délicatesse et la droiture. Vos sentiments pour votre ami me touchent et je les apprécie.
Je crois à présent tout bien expliqué, quant à mon indiscrétion, et je vous prie de recevoir de nouveau l'assurance de toute ma considération.
J. E. LEMERCIER.
(1) Ceci n'est pas une simple formule de politesse : Sainte-Beuve analysant les diverses opinions des critiques de Polyeucte, dit : « D'autres critiques depuis, et fort compétents, M. Lemercier surtout, ont dignement et profondément parlé de Polyeucte. On est même allé, et ce dernier critique y pencha, à accorder une importance croissante au rôle de Sévère et à en faire le grand rôle de la pièce, le centre de l'idée de Corneille. Ce point mérite d'être éclairci... » Suit une discussion sur le caractère de Sévère. Port-Royal, t. I, p. 145 (1re édition); t.1, p. 134 (édit. moderne).
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LETTRES DE SAINTE-BEUVE A PROSPER ENFANTIN
Dans les différents temps, pour employer l'expression même du critique, qui constituent la biographie de Sainte-Beuve, il faut noter le temps des Saint-Simoniens (1); et Sainte-Beuve, dans une note publiée sous le titre de : Ma Biographie, s'en est succinctement expliqué :
Mes relations, que je n'ai jamais désavouées, avec les Saint-Simoniens, restèrent toujours libres et sans engagement aucun... Je suis comme celui qui disait : J'ai pu m'approcher du lard, mais je ne me suis pas pris à la ratière (2).
A cette assertion, on pourrait ajouter comme correctif ce que lui-même, plus clairvoyant pour les autres, pensait, en 1863, de l'influence du Saint-Simonisme sur l'éducation intellectuelle d'Adolphe Guéroult : Aucun de ceux qui ont passé par le Saint-Simonisme, ou qui y ont touché d'un peu près, n'y a passé impunément.
Aussi, les divers biographes de Sainte-Beuve ne s'y sont pas trompés. Despois, après la lecture des Premiers Lundis, déclare qu'il « a mis encore là plus de ferveur qu'il ne s'est imaginé plus
(1) Au sujet de la complexité de sa vie morale à cette époque, Sainte-Beuve écrivait à Emile Zola, le 10 février 1867 : Quant à ce qui m'arriva, après juillet 4830, de croisements en tous sens et de conflits intérieurs (Saint-Simonisme, Lamennais, National...) je défie personne, excepté moi, de s'en tirer et d'avoir la clef...
(2) Voir le passage complet dans les Nouveaux Lundis, t. XIII, p. 12-13.
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tard, ou qu'il n'a affecté de le dire ». M. Othenin d'Haussonville, citant une lettre dans laquelle Enfantin disait, le 5 novembre 1830, « qu'on pouvait déjà tout à fait compter » sur SainteBeuve, ajoute : « A supposer même que l'apôtre nourrît quelques illusions sur la ferveur de son disciple, il ne se trompait pas sur la vivacité de l'impression qu'avaient exercée sur Sainte-Beuve les prédications saint-simoniennes. »
Cependant, comme le nom d'Enfantin n'est prononcé que deux ou trois fois dans les Lundis et qu'il ne figure pas dans les trois volumes de la Correspondance recueillie par M. Troubat, on pourrait croire que toutes les relations avaient cessé avec le Père après la séparation de 1831. Il n'en est rien.
Vers la fin de sa vie, dans l'avant-propos de son beau livre sur Proudhon, Sainte-Beuve rendait un hommage public à celui qu'il déclare ailleurs un « coeur éminent », à celui que Vigny appelait le « doux Saint-Simonien » :
J'ai eu deux fois le regret, à quelques mois de distance, de ne pouvoir rendre en personne les devoirs funèbres à deux hommes à qui je portais haute estime et grand respectL'un
respectL'un Enfantin, que j'avais connu aux jours de ma jeunesse et dont j'avais apprécié la largeur de coeur, les belles facultés affectives et généreuses; l'autre, Proudhon... Je souffris beaucoup de ne pouvoir rendre à ces deux honnêtes gens, de nature extraordinaire,.., ce suprême témoignage d'estime.
En outre, nous connaissons trois lettres de Sainte-Beuve à P. Enfantin, portant sur une période de douze années.
La première, publiée dans le tome XII des OEuvres de Saint-Simon et d'Enfantin, y est restée enfouie et si inconnue que M. Michaut ne l'a pas mentionnée dans son excellente chronologie des écrits de Sainte-Beuve avant les Lundis. Elle est relative à la Correspondance philosophique et religieuse d'Enfantin qui venait de paraître.
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LETTRES DE SAINTE-BEUVE A PROSPER ENFANTIN 239
Par la seconde, Sainte-Beuve demande communication du Producteur , journal philosophique de l'Industrie, des Sciences et des BeauxArts (1825-26, 5 vol. in-8) dont il avait besoin pour l'étude sur Armand Carrel qu'il allait donner dans le Constitutionnel.
Enfin, la troisième, publiée par nous dans l'Amateur d'autographes, est capitale pour l'histoire des idées de Sainte-Beuve. Ecrite en 1859, après la lecture du livre de P. Enfantin (1858) et H. SaintSimon (1813) : Science de l'homme, Physiologie religieuse, cette lettre conserve la trace de la ferveur dont témoignent les vers des Consolations dédiés à Pierre Leroux :
Mais, quand des grands mortels par degrés j'approchai, Je me sentis de honte et de respect touché ;
Je leur dis : « Prenez-moi dans vos bras, je veux voir. » J'ai vu, Seigneur, j'ai cru; j'adore tes merveilles, J'en éblouis mes yeux, j'en emplis mes oreilles.
Toutefois l'âge et l'expérience ont calmé l'enthousiasme du néophyte et nous voyons le penseur désabusé, malade de la fin du vieux monde et du commencement de celui-ci, qui a tout appris, sauf à aimer la vie !
E. SAKELLARIDÈS.
Ce 4 novembre 4847. Cher Maître,
Je suis bien touché de votre bienveillant souvenir ; vous avez raison de ne pas douter de celui que je vous ai toujours gardé. Vous êtes un de ceux auprès de qui j'ai le plus appris. Je vais retrouver en vous lisant quelques-unes de ces idées qui donnent à penser sur l'avenir et qui ouvrent des horizons. Merci encore. Et tout à vous.
STE-BEUVE.
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240 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
27 mars 4852.
Mon cher Maître, vous aurez peut-être su que je cherchais partout un exemplaire complet du Producteur de 1826-1827, et M. Tixier, l'un de mes amis, m'a dit que vous en possédiez un. J'y voudrais trouver des articles d'Armand Carrel dont on m'a parlé et dans lesquels il réfutait des plaisanteries de Beyle Stendhal (1). S'il vous était possible de me prêter ce volume, mon cher Maître, vous me feriez un grand plaisir. Je vous le rendrai bien exactement aussitôt que j'aurai fini le travail que je prépare sur Carrel et je vous demanderai la permission de vous le porter pour vous serrer la main.
Agréez mille sentiments anciens, bien sincères, et entièrement dévoués.
STE-BEUVE.
N° 11, rue Montparnasse.
Ce 9 janvier 4859. Cher Maître,
J'ai reçu avec une vive reconnaissance le beau volume et la lettre dont vous l'avez accompagné(2). Cette marque de souvenir, de votre part, m'est précieuse, elle répond en moi à un souvenir bien profond et que rien ne saurait effacer ni affaiblir. J'ai toujours présentes les années où je vous ai vu à l'oeuvre, et où il m'a été donné par vous de comprendre tant de choses que les vieilles Écoles n'enseignaient pas. Je vous ai dû de comprendre l'importance de ce principe d'autorité si méconnu par le libéralisme courant et vulgaire; de comprendre le principe religieux autre part que dans les formes consacrées et amorties ; et, dût-il ne pas sortir tout son effet et ne pas s'épanouir dans une floraison nouvelle, de concevoir du moins, par une savante expérience, comment il avait dû et pu opérer dans le passé.
Vous m'avez ouvert des jours dans l'histoire, vous m'avez appris à honorer et à respecter cette Industrie qui est la gloire du présent, et vers laquelle mes études et mes goûts ne me portaient pas. Grâce à vous,
(1) Réponse à une brochure intitulée : D'un nouveau complot contre les Industriels, par M. de Stendhal.
(2) Volume et lettre figurent, sous le n° 68, dans la deuxième partie du Catalogue des Livres composant la Bibliothèque de M. Sainte-Beuve; ils furent vendus le 23 mai 1870.
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LETTRES DE SAINTE-BEUVE A PROSPER ENFANTIN 241
bien qu'homme du cerveau et disposé à n'estimer la pensée que sous sa forme spirituelle, je me suis gardé d'une injustice trop fréquente chez les littérateurs de ma génération et je n'ai pas tourné le dos à la civilisation qui nous offre un renouvellement de merveilles à peine commencées. Voilà des obligations, cher Maître, et j'aurais même voulu en avoir davantage.
Pourquoi, en m'aidant à comprendre tant de choses, ne m'avezvous pas appris à aimer la vie? Malade de la fin du vieux monde et du commencement de celui-ci, malade vous m'avez trouvé, malade vous m'avez laissé. La seule différence, c'est que Joseph Delorme, comme un enfant, criait son mal par-dessus les toits, et moi je le cache, mais la passion douloureuse et funeste, la passion individuelle n'en est pas moins chérie. Je ne suis donc et ne serai jamais qu'un errant qui, tout en aimant beaucoup vos personnes, la vôtre, celle de Duveyrier, de Laurent, de Michel et des autres que je ne rencontre jamais sans plaisir, reste en chemin, doute beaucoup, ne passe pas une limite indécise, et en souhaitant que de plus hardis arrivent, ne désire pas lui-même arriver. C'est là une forme singulière du mal individuel, mais elle est mienne. Aussi (et c'est un mot de votre lettre que je me permets de relever) ne vous ai-je jamais jugé, ni vous, cher Maître, ni Saint-Simon; juger, c'est appliquer un criterium et je n'en ai pas pour la Science sociale.
Je me dis que d'autres combinaisons sociales sont possibles que celles que nous avons sous les yeux; j'honore tous ceux qui se consacrent à trouver des combinaisons meilleures pour le grand nombre de nos semblables, et quand je rencontre des railleurs routiniers comme notre pays en fourmille, je me borne à leur dire, après quelque exposé du système qui les scandalise : Et pourquoi pas ?
Il est donc bien difficile que je me risque à un jugement dans le Moniteur, même quand ce journal officiel, où l'on est si peu chez soi, ne s'y opposerait point. C'est le journal des Préfets, des Maires, des Evêques, etc. Oh! s'il n'y avait que l'Empereur, je ne dis pas.
Mais, cher Maître, tandis que je vous lis, que je m'efforce de bien m'assimiler vos idées et celles de Saint-Simon, je me reprochais de ne vous avoir pas déjà accusé réception et reconnaissance de votre beau présent, de votre affectueux souvenir, et je ne veux en ce moment que cela. C'est le seul objet de cette lettre.
Agréez mon fidèle respect et attachement.
STE-BEUVE. 31
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QUELQUES LETTRES INÉDITES DE SAINTE-BEUVE
A VILLEMAIN
Sainte-Beuve fit probablement la connaissance de Villemain au Globe. Nous n'avons aucun renseignement sur leur entrée en relations. Nous savons seulement qu'en 1828, Sainte-Beuve pensait à entrer dans l'Université, avec l'appui de Villemain (1). Il suivait ses cours l'année suivante, comme le montre le passage suivant de l'article qu'il lui consacra en 1836 :
«... Combien de fois, au temps même de ces cours nourrissants où nous nous rafraîchissions avec toute la jeunesse, vers 1829, encore émus de sa parole que nous venions de quitter si éloquente, ne l'avonsnous pas retrouvé, esprit tout divers et inépuisable de grâce dans ses causeries nouvelles ? J'ai souvenir de quelques promenades d'alors et de bien des discours sensés, fleuris, mélancoliques un peu... (2) »
et il paraît bien qu'une certaine intimité existait entre eux. En juillet 1829, Villemain le présenta à Chateaubriand (3).
Il est incontestable que ces causeries avec l'illustre professeur de Sorbonne eurent une grande influence sur l'esprit de Sainte-Beuve (4). Quelques années après, il écrivait ces lignes qui nous semblent expliquer ce qu'il admirait en lui:
(1) Lettre à Loudierre du 22 décembre 1828, dans Corresp., t. 1, p. 13, et Michaut, Sainte-Beuve avant les Lundis, p. 147.
(2) Portraits Contemporains, t. II, p. 392.
(3) Cf. Lettre à l'abbé Barbe, du 26 juillet 1829, dans Nouvelle Correspondance, p. 14, et l'article du 15 mai 1844 sur Chateaubriand (Portr. Contemp., t. I, p. 75).
(4) Cf. G. Michaut, op. cit., pp. 5, 117, 118, 119, 339.
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244 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
« Le plus célèbre critique littéraire de notre temps, M. Villemain, sut à merveille concilier (et c'est là son honneur) les principales traditions de l'ancienne critique avec plusieurs des résultats de la. nouvelle, et fondre tout cela sur un tissu historique plein de brillant et de charme (1) . »
Nous devons à une très aimable communication de M. Abel Ferry, l'un des descendants de Villemain, de pouvoir faire connaître quelques lettres qui lui furent adressées par Sainte-Beuve, et nous lui en adressons tous nos remerciements.
La première lettre, de 1830, est, pour la psychologie de Sainte-Beuve, d'une importance qui n'échappera à personne :
Ce dimanche 34 janvier 4830.
Mon cher Monsieur Villemain,
Cette lettre est pour vous, pour vous seul, et vous le comprendrez bien quand vous l'aurez lue. J'ai vingt-cinq ans; je sens que les années se passent sans rien apporter de meilleur à ma destinée et surtout sans calmer mon âme. J'ai un grand désir d'aller, de voir, de changer, de savoir ce que c'est que le monde et la vie; j'en ai besoin pour le peu que je puis faire; je veux essayer si ce ne sera pas un moyen de m'apaiser. D'un autre côté, je suis tenu ici à la glèbe, il me faut vivre, gagner de l'argent par des articles de quinzaine en quinzaine, et au bout de l'an si j'ai quelques cents francs d'économies, cela me mène à faire une échappée de six semaines, d'où je ne rapporte que des regrets et des sensations étouffées. Par la disposition des choses et le concours des circonstances, je; suis à la veille de m'installer plus que jamais dans cette vie insuffisante ; il ne tient qu'à moi de donner tout mon temps aux journaux et d'y créer à ce qu'on appelle mon talent une certaine position. Mais, vous l'avouerai-je, cela me répugne horriblement; cela me semble un gaspillage des dons de Dieu. Après une vie pleine d'oeuvres, on peut finir par là, se reposer dans cette variété amusante et s'y laisser aller sans trop de remords. Mais qu'ai-je fait, pour croire que je n'ai plus qu'à promener mes yeux sur les choses et dire à tort et à travers
(1) Article sur les Pensées de Pascal, du 1er juillet 1844, dans les Portraits Contemporains, t. V, p. 197.
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LETTRES INÉDITES DE SAINTE-BEUVE A VILLEMAIN 245
mon avis sur ce qui vaut mieux que moi? Cette vie-là m'ennuie, me pèse, me flétrit mon peu de poésie ; au moment de m'y enfoncer, je recule et je voudrais m'y soustraire. C'est pour cela que je m'adressse à vous.
Si dans vos nombreuses relations vous entendiez parler de quelque prince russe, comte polonais, baron allemand, n'importe? qui voulût un gouverneur, un précepteur, n'importe encore? pensez à moi, je vous prie; que tout le tems ne soit pas pris, que j'aie à moi un petit nombre d'heures par jour, c'est assez; qu'il faille quitter Paris, voyager, se retremper ailleurs, c'est tout ce qu'il me faut — ou encore, si dans quelque université allemande, si à Berlin, à Munich chez ce bon roi de Bavière, un professeur de littérature française pouvait trouver place, — vivre là, apprendre l'allemand, l'Allemagne, me serait bon et doux pour quelques années. — J'avais pensé, quand j'ai été à Londres, à l'Université de Londres; mais cela n' a pu s'arranger et je préférerais le continent. Un mot de vous à M. de Humboldl, à M. Koreff, à M... (je mêle tous ces noms) pourrait me servir et m'éclairer sur les démarches à faire.
Il faut que j'aie bien confiance en votre amitié pour vous occuper ainsi de moi, en un moment où tant de soins plus chers vous prennent; mais vous ferez ce dont je vous prie à votre loisir, à la rencontre, et je vous en saurai dans tous les cas un gré infini. Ne dites mot de ceci à nos amis du Globe : ils croiraient que je veux les fuir, quand je me promets à eux; mais je ne veux fuir que moi, mes ennuis, ma paresse, ma plaine de Montrouge et mon horizon de l'an passé.
Mille amitiés,
SAINTE-BEUVE.
Mes humbles respects, s. v. p., à Madame Villemain.
La lettre est adressée à :
Monsieur VILLEMAIN,
20, rue Nationale d'Orléans.
Entre les portes Saint-Denis et Saint-Martin.
PARIS.
Ils avaient l'occasion de se voir, aussi les lettres étaient rares. Une recom-
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246 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
mandation pour son ami Loudierre lui fut un motif d'écrire à Villemain (1), en 1836, de Précy où il était allé passer quelques jours :
Préey, ce 49 [août] 4836.
Mon cher Monsieur Villemain,
Ce n'est pas seulement à l'ami que je voudrais écrire aujourd'hui, c'est un peu à l'administrateur, ou plutôt je voudrais que l'ami se chargeât en vous de présenter et de traduire mon désir à cet administrateur que je ne me crois pas le droit d'aborder tout directement. C'est au sujet d'un de mes amis dont je vous ai parlé plus d'une fois, Loudières, et c'est autant une affaire d'équité que de bienveillance particulière, si j'ose vous dire ma pensée. Il est professeur suppléant depuis des années; il a remplacé en seconde depuis un an passé H. Dalynes qui va reprendre sa classe après les vacances. Ainsi il retombera à quelque classe probablement inférieure, et encore il ne l'aura pas d'une manière moins précaire. La manière dont il a fait cette classe de seconde répond, je ci'ois, aux objections qu'on avait pu faire sur sa timidité; il a eu des prix, et à la manière dont me rend compte naturellement de ce qu'il fait quand je le vois, je vous assure, que, sans parler de l'intérêt actif et singulier qu'il y met, il me semble qu'il doit y avoir peu de professeurs dans l'Université qui fassent leur classe avec plus de distinction, de nouveauté à la fois et d'exactitude. J'ai eu occasion de voir bien de ces professeurs et d'en connaître, qui ont des secondes ou même des rhétoriques ; combien il y en a peu qui ne soient pas superficiels et ne fassent pas leur classe en courant s'ils ont quelque esprit, ou qui ne soient pas routiniers et lourds s'il ont de l'application! Loudières est à la fois un esprit très fin, sagace et sachant à merveille sa double antiquité grecque et latine. Il n'écrit pas, mais tant mieux pour sa classe, et ne faut-il pas de ces esprits critiques plus que productifs, qui voient l'inconvénient et les difficultés des choses plus que les facilités. Voilà que j'entreprends une apologie en règle auprès de vous, bien qu'à vrai dire il n'y en ait pas besoin pour lui. Pourtant, j'ai cru qu'il y avait quelque prévention non définie et
(1) Il lui avait consacré, en janvier de la même année, un article très bienveillant. (Portraits Contemporains, t. II, pp. 358-396.)
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LETTRES INÉDITES DE SAINTE-BEUVE A VILLEMAIN 247
j'essaie de l'atteindre. Voilà une époque de renouvellement et comme il est probable qu'il n'aura pas sa seconde, si votre bienveillance, votre équité ne songe à lui, il va retomber encore et ne pas obtenir le rang qu'il mérite si bien.
Pardonnez-moi, mon cher Monsieur Villemain, de vous écrire toutes ces choses d'affaires; mais la dernière fois que j'ai vu Loudières à Paris, il m'a paru très attristé et préoccupé de cette destinée précaire à laquelle ses meilleures années se passent.
Je suis ici à la campagne, chez de bons amis que vous connaissez un peu, M. Gaillard et sa belle-mère. Je tâche d'y travailler en m'y reposant.
Je lis dans le Segraisiana, à propos de Mme de Lafayette sur laquelle j'écris quelques pages (1), qu'elle disait de Montaigne qu'on aimerait bien avoir un voisin comme lui. Pourquoi n'a-t-on pas tous les voisins qu'on aimerait? pourquoi le meilleur de la vie se passe-t-il à différer, à manquer de ce qu'on aurait voulu, à rêver au loin l'impossible, à ne pas jouir de tout ce qu'on aurait ?
Veuillez présenter mes hommages à Mme Villemain et me croire votre
Tout respectueux et dévoué,
SAINTE-BEUVE.
L'année suivante, et probablement pour s'éloigner d'une affection disparue (2), Sainte-Beuve fit un voyage en Suisse, où il allait s'établir quelque temps après. C'est de la propriété de Juste Olivier qu'est écrite la lettre suivante (3), pleine de mélancolie :
Aigle, vendredi [4837].
Je reçois bien loin votre aimable billet, si peu officiel; ce n'est pas par oubli que j'ai quitté Paris sans vous aller voir encore une fois à
(1) L'article sur Madame de Lafayette parut dans la Revue des Deux-Mondes du 1er septembre 1836. (Portraits de femmes, p. 249.)
(2) Cf. G. Michaut, Le Livre d'Amour de Sainte-Beuve, Paris, Fontemoing, 1904.
(3) Elle n'est pas datée, mais nous savons que Sainte-Beuve passa à Genève en juillet (lettre à Mme de Fontanes, du 26 juillet), et en août (lettre à Aug. Sauvage, du 15 août), Corresp., t. I, pp. 30-33. La lettre est donc de cette période.
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248 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Ville-d'Avray, mais, à force de traîner ce départ, j'ai vu qu'il était temps et je l'ai brusqué au point de tout faire en deux jours. J'ai vu bien du pays nouveau en pensant toujours à celui que j'ai laissé, et surtout aux personnes. Au bord du lac de Genève que j'ai déjà parcouru en bien des sens, il y a toutes sortes de pèlerinages politiques et littéraires auxquels je n'ai pas manqué. J'ai vu Ferney où le vieux jardinier m'a dit : « On ne vient plus tant, il ne vient plus tant d'équipages, je ne sais pas ce que ça veut dire. » Coppet m'a touché par la solitude et le deuil de ses ombrages, un jour que j'y ai rôdé seul. Une autre fois j'y ai dîné avec Madame de Broglie qui y est, et j'ai vu les portraits de ces trois générations vraiment illustres : on venait d'y joindre celui de Madame de Broglie elle-même. Genthod, où a vieilli Bonnet, est près de là ; Byron, en face, de l'autre côté du lac, habitait non loin de Shelley. A Lausanne je me suis fait indiquer la maison où Gibbon a écrit, un soir, en vue du lac, cette page touchante que vous nous avez lue un jour. Hier, en passant à un endroit appelé Roche, on m'a montré la maison où le grand Haller avait longtemps vécu, intendant des salines. Vous voyez, mon cher Monsieur Villemain, que les lieux ne me font pas oublier les personnes : un nom qui se rattache à un site, beau d'ailleurs, en redouble pour moi le charme. Le souvenir poétique, le culte des lettres se mêle à celui de la nature qui, d'elle-même, deviendrait bien vite solitaire et sauvage. Ville-d'Avray, savez-vous, serait bien placé avec ses beaux arbres, entre Coppet et Genthod, par exemple; que ne puis-je l'y porter pour une demi-journée par un coup d'état de mon imagination ! J'ai un peu travaillé, chemin fesant, mais à des vers seulement ; je ferai de tout cela un petit recueil prochain (1). Je ne sais encore quand je retournerai à Paris; mais bien des attraits que le moindre éloignement réveillent, ne cessent déjà de m'y rappeler (2). Adieu, offrez à Madame Villemain mes dévoués hommages et croyez à toute mon amitié respectueuse et reconnaissante.
SAINTE-BEUVE.
— Un mot de vous qui irait par hazard à Genève, poste restante, serait une bien agréable surprise.
(1) Il s'agit des Pensées d'Août qui parurent au mois de septembre.
(2) Sainte-Beuve ne fit qu'une courte apparition à Paris; il retourna bientôt à Lausanne faire le cours sur Port-Royal.
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LETTRES INÉDITES DE SAINTE-BEUVE À VILLEMAIN 249
Les Pensées d'août contenaient une longue pièce de vers adressée à Villemain (1).
En lui envoyant le volume, Sainte-Beuve l'accompagna de la lettre suivante :
Voici, mon cher Monsieur Villemain, ces vers nouveaux, et je veux y joindre deux mots de préface. On tient toujours à ce qu'on n'a pas, à ce qu'on a moins. Ce chapitre des vers m'occupe donc beaucoup, vous ne sauriez croire comme j'y vise sans en avoir l'air. Oh! si l'on pouvait atteindre quelque perfection de ce côté-là, si restreint et modéré que fût le genre, que ce serait beau! Dans la première pièce, Pensée d'Août, j'ai lâché de faire une Epître morale moderne ; Boileau en a fait sur l'Honneur, sur etc., j'ai voulu faire par rapport à ce tems-ci quelque chose d'analogue, et si je réussis à en composer une dizaine, peut-être mon dessein sera-t-il plus éclairé et justifié. Cette fois-ci c'est moins de l'épître qu'un petit poëme dramatique. C'est l'application plus étendue de quelques-unes de mes idées sur la poésie réelle. Une grande sévérité déforme et aussi peu de convenu que possible, avec la vérité du fond, voilà à quoi j'aspire. Tout dans ce petit poëme a été pesé et élaboré en ee sens. J'ai voulu, si je l'ose dire, rétablir la question après Jocelyn. L'illustre auteur en enserrant subitement dans son parc magnifique nos petits cottages a fait acte de haute poésie : même quand il essaie du réel, il surabonde, c'est un Roi qui se fait berger. La soie sous la souquenille. Ce genre de Voss ou de Crabbe que je voudrais établir chez nous, a été dépassé dans Jocelyn. Mon pauvre et maigre magister veut y revenir. Voilà ma préface, et mon petit prologue à vous public si bienveillant, — mais dites-moi bien votre avis, je vous prie, comme je vous dis mon faible.
Mille respects et hommages à Madame Villemain et à vous de coeur,
SAINTE-BEUVE. Ce dimanche.
Subitement, les relations devinrent moins cordiales. Dès le 13 janvier 1839, Sainte-Beuve parlait, à l'abbé Barbe, de Villemain, et lui écrivait (2) :
(1) Inc. : « Oh! que je puisse un jour » Les papiers de Villemain en contiennent
une copie de la main de Sainte-Beuve.
(2) Nouvelle correspondance, p. 57.
32
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250 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
« Toute ma relation avec lui est une perpétuelle coquetterie. Entre nous, chaque bonne grâce de sa part, pour mes amis, me coûte une louange littéraire qu'il lui faut payer. Or je suis à bout de cela, et décidé (pour une quantité de petites raisons trop longues à déduire) à lui tenir un peu rigueur et stricte justice à l'avenir. »
Dans un article sur la Littérature industrielle, du 1er septembre 1839, où il était question de la Société des Gens de Lettres, il mentionnait que Villemain en avait été président, et il ajoutait ces lignes qui sembleraient sincères :
« Je ne puis m'ôter de la pensée que le spirituel académicien n'ait accepté cette charge que pour avoir occasion, avec ce bon goût qui ne l'abandonne jamais et avec ce courage d'esprit dont il a donné tant de preuves dans toutes les circonstances décisives, de rappeler et de maintenir devant cette démocratie littéraire les vrais principes de l'indépendance et du goût. »
Si cette note explicative n'avait pas été piquée au-dessous :
« Tout ceci est sensiblement ironique. Le courage d'esprit est ce qui a toujours manqué le plus essentiellement à cet homme de tant de talent et de faiblesse (1). »
Le 10 septembre, la rupture était consommée par une lettre de Sainte-Beuve à Villemain, dans laquelle il lui disait qu'il rentrait à son égard « dans les termes d'une indépendance respectueuse, équitable, non plus amicale (2) », et qui se terminait « avec le regret de ne pouvoir se permettre de nommer une personne à qui d'ordinaire arrivaient par vous mes hommages ». Ses amis furent mis presque immédiatement au courant (3).
Cependant, en 1844, il semble y avoir eu réconciliation. Villemain propose Sainte-Beuve pour la croix (4), — en vain, d'ailleurs. Mais ce procédé a adouci
(1) Portraits Contemporains, t. II, p. 468. Et pourtant, quelques mois après, dans un article de la Revue des Deux-Mondes, il parle des « deux volumes d'une littérature exquise et consommée », donnés par M. Villemain. (Portr. Contemp., t. II, p. 478.)
(2) Correspondance, t. I, pp. 98-100.
(3) Correspondance avec M. et Mme Juste Olivier, p. p. Léon Séché, Paris, 1904, in-12, p. 177 [lettre du 1er octobre], et p. 184.
(4) Cf. Correspondance, t. I, p. 124, et Séché, pp. 364-5,
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LETTRES INÉDITES DE SAINTE-BEUVE A VILLEMAIN 251
le critique, et lorsque, quelques mois après, Villemain tomba dangereusement malade, Sainte-Beuve faisait part de ses regrets à Mme Juste Olivier :
« Villemain, le plus bel esprit et le plus grand esprit littéraire de France... Cette tête, la plus lumineuse et la plus judicieuse... C'est une calamité pour tout ce qui pense... (1) »
Cependant les relations épistolaires ne reprirent pas : nous ne trouvons plus que deux lettres officielles. Voici la première :
Septembre 48i8.
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
J'ai l'honneur de vous prier de faire agréer à l'Académie ma démission de membre de la commission du dictionnaire, au sein de laquelle sa confiance m'avait appelé.
Ma reconnaissance pour les bontés de l'Académie est grande et je tâcherai de lui prouver que je m'en souviens toujours, en soutenant partout le plus dignement que je le pourrai, l'honneur qui s'attache à la qualité d'un de ses membres.
Agréez, Monsieur et cher Confrère, l'expression de mes respects.
SAINTE-BEUVE.
Un an après, Sainte-Beuve consacrait un long et flatteur article aux oeuvres littéraires de Villemain (2).
De longues années s'écoulent : la correspondance se rouvre — pour se clore aussitôt — par une dernière lettre donnant, encore une fois, sa démission à la Commission du dictionnaire.
(1) 1er janvier 1845, Séché, p. 378. — Dans l'article du 12 juillet 1844 sur les Pensées de Pascal (Portraits Contemporains, t. V, p. 197), Sainte-Beuve avait déjà fait de grands éloges de lui. Dans son article sur Fauriel, de mai 1845 (Portr. Contemp., t. IV, p. 231), il le qualifiait de « critique célèbre, le plus littéraire et le plus brillant de tous ».
(2) 19 novembre 1849. Lundis, t. I, pp. 108-114, 120.
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252 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Paris, ce 2 janvier 4863.
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Je vous prie de vouloir bien annoncer à l'Académie que je me retire de la commision du dictionnaire et que je donne aujourd'hui ma démission.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire perpétuel, l'expression de mon respect.
SAINTE-BEUVE.
Mais il n'y a plus d'amertume dans le coeur de Sainte-Beuve, et lorsque le nom de Villemain se retrouve sous sa plume, il lui rend pleine justice (1), et dans l'article qu'il consacre à l'Académie dans le Paris-Guide, en 1867, il célèbre le secrétaire perpétuel modèle que fut Villemain, en insistant sur son charme et son éloquence :
C'était un charme alors d'ouïr cette voix harmonieuse et dorée... c'est plaisir encore aujourd'hui de lire ou de parcourir ces premiers rapports tracés d'une plume élevée et brillante : on se sent véritablement dans une sphère étendue et supérieure où la lumière se joue (2).
C'est la dernière mention que j'aie pu retrouver de lui, et elle clôt leurs relations d'une manière bienveillante : Sainte-Beuve n'avait pas oublié le temps où Villemain accueillait ses confidences.
FÉLIX CHAMBON.
(1) Article sur Ducis, du 9 mars 1863 (Nouveaux Lundis, t. IV, p. 329), sur l'Anthologie grecque, du 11 janvier 1864 (Idem, t. VII, 45). — Cependant, on trouve encore un coup de griffe dans l'article sur Viguier, du 7 novembre 1867, contre Villemain « ce grand et bel esprit, si libéral dans ses livres ». (Nouveaux Lundis, t. XI, p. 425-6, note).
(2) Nouveaux Lundis, t. XII, p. 416-17.
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LETTRES BOULONNAISES
Nous réunissons sous ce titre le texte de quatre lettres inédites de SainteBeuve se rattachant à Boulogne tant par la qualité de leurs destinataires que parce qu'elles sont conservées dans les dépôts littéraires de cette ville. La première, — et la plus importante, — présente ce double avantage d'offrir sur une même page un autographe de S.-B. et quelques lignes du célèbre Mariette, alors directeur d'un journal régional dans sa ville natale.
F. B.
I
Ce 43 mai [4844]. Monsieur,
Je lis dans l'Annotateur (1) une page sur moi beaucoup trop bienveillante et trop flatteuse pour que je ne m'empresse pas de vous en remercier.
Le voeu que vous voulez bien exprimer est infiniment trop honorable,
(1) L'article de l'Annotateur pour lequel Sainte-Beuve adresse ses remerciements à Mariette forme une colonne environ du numéro du 9 mai 1844. Il n'est pas signé. Le voeu indiqué est que, à défaut du Conseil municipal de Boulogne, — que la loi empêche de sortir de ses attributions, — la Société d'agriculture, des sciences et des arts porte « à M. Sainte-Beuve l'expression des sentiments, sinon de la ville toute entière dont le Conseil municipal est le premier représentant, du moins de la partie littéraire de Boulogne, dont la Société est la protectrice immédiate... Si nos voisins [de Calais] avaient parmi les leurs un littérateur comme Sainte-Beuve, des peintres comme Delacroix, Hédouin et Bétencourt, ils n'auraient pas assez de bouches pour crier leurs noms... »
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234 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Monsieur, et passerait mes ambitions; mais il m'est très doux de sentir autant de sympathies individuelles dans un pays dont j'ai gardé de si chers souvenirs.
Veuillez en particulier, Monsieur, recevoir l'expression de ma reconnaissance et de mes sentiments très distingués.
SAINTE-BEUVE (1).
Dans l'angle gauche de la lettre, Mariette a écrit : « Cette lettre m'a été adressée lors de la nomination de M. Sainte-Beuve comme académicien.
« ÀUG. MARIETTE. »
II
Paris, ce 4 mai 4865.
Monsieur le Maire et cher Compatriote,
Certes, aucune des félicitations qu'on me fait l'amitié de m'adresser ne pouvaient m'être plus chères ni plus honorables que celles que je reçois par votre organe de ma ville natale, de cette patrie boulonnaise à laquelle mon coeur est resté si fidèlement attaché, même durant des années d'absence. Déjà, la ville de Boulogne avait fait preuve envers moi d'une grande indulgence en daignant, par un privilège tout particulier, admetre mon buste dans sa bibliothèque, à côté de celui de l'illustre Daunou. Aujourd'hui, en voulant bien prendre part à la haute faveur dont vient de me combler la bonté de l'Empereur (2), elle acquiert des droits nouveaux à une reconnaissance qui ne finira qu'avec ma vie.
Veuillez agréer, Monsieur le Maire, et transmettre à ceux de mes compatriotes qui sont auprès de vous et qui vous secondent dans cette grande et laborieuse administration à laquelle vous présidez si dignement, l'assurance de mes sentiments de haute considération et de dévouement.
SAINTE-BEUVE (3).
(2) Bibliothèque de la ville de Boulogne.
(2) Sainte-Beuve avait été nommé sénateur par décret du 28 avril 1865, et le maire de Boulogne, Livois, l'en avait félicité au nom de la ville par lettre du 3 mai suivant. (2) Archives municipales de Boulogne. — La signature seule paraît autographe.
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LETTRES BOULONNAISES 25b
III
Ce 44 juillet 4868.
Monsieur le Maire,
Je reçois les volumes qui me montrent combien, notre ville est riche en livres, et combien elle sait rendre utiles à tous ses richesses (1).
Quant à moi, j'ai trouvé dans un de vos derniers discours, Monsieur le Maire, une nouvelle preuve de toute l'indulgence que Boulogne veut bien avoir pour un de ses enfants.
Arrivé à ce but de la carrière qui n'est pas encore le terme nécessaire de la vie, c'est maintenant que si ma santé ne m'enchaînait, il m'eût été doux d'aller me retremper dans l'air natal et dans l'affection de nos compatriotes. Il était dit que cette dernière douceur me serait refusée. Notre cher docteur Philipps ne sait que trop bien que ce serait de ma part une trop ambitieuse espérance.
Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l'hommage de mon affectueux respect.
SAINTE-BEUVE (2).
IV
Paris, ce 30 août 4868.
Monsieur et cher Concitoyen, Des félicitations comme les vôtres, comme celles de vos amis de la Loge de Boulogne (3) ne sont jamais tardives ; ce qui est l'essentiel, ce
(1) Il s'agit de l'envoi fait par la ville de Boulogne du Catalogue en 4 vol. in-8 par Gérard de la Bibliothèque de la ville.
(2) Archives municipales de la ville.
(3) II convient de rapprocher de cette lettre celle que Sainte-Beuve écrivait, le 19 août 1867, (Correspondance, t. II, p. 203) au «vénérable d'une loge de francs-maçons », et où il disait : « ... Je n'ai l'honneur d'appartenir à aucune branche de l'institution maçonnique, mais je suis heureux qu'on veuille bien m'y considérer comme un libre soldat du dehors et un homme de bonne volonté pour la défense des principes que vous professez et des idées généreuses qui vous animent... »
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256 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
sont les sentiments qui les inspirent, et ces sentiments ont surtout leur prix en ce qu'une fois établis ils durent et font lien — un lien d'estime et de sympathie. Veuillez dire à tous vos amis combien je suis heureux et touché de ce témoignage collectif et unanime qui m'arrive au nom d'un groupe si respectable et si uni de mes chers Boulonnais, et agréez pour vous en particulier, très honoré Docteur, l'assurance de mes sentiments dévoués.
SAINTE-BEUVE.
P. S. — J'aurais adressé directement au Président et Vénérable si je n'avais craint de faire quelque confusion due à l'écriture (1).
(1) Bibliothèque de la ville de Boulogne.
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II L'HOMME
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SAINTE-BEUVE INTIME
La banalité n'avait pas encore envahi, en 1869, la rue Montparnasse, sorte de champ d'asile où des penseurs célèbres trouvaient la paix et le recueillement nécessaires à leurs travaux. C'était un quartier de village, avec des saillies aux maisons, que l'alignement, cher à la voirie, en a fait retrancher depuis. Les lilas en fleurs débordaient par-dessus les murs au printemps, et le sol était jonché, comme aux jours lointains de la Fête-Dieu, en province, d'une flore de débris, que faisaient pleuvoir des arbres et arbustes de haute essence. Les passants pouvaient se compter dans la rue Montparnasse, car il n'était pas rare qu'à certaines heures de plein soleil et de pleine lumière, il n'y en eût qu'un seul.
Dans ce vaste musée lapidaire qu'offre Paris, à chaque coin de rue, la fiction tient lieu quelquefois de la vérité historique. C'est ainsi que le nom de Sainte-Beuve a été donné à une rue nouvelle du quartier Notre-Dame-des-Champs, qui n'est pas celle où vécut l'illustre critique, de 1850, année de la mort de sa mère, à 1869, année de sa propre mort.
La vraie rue Sainte-Beuve devrait être la rue Montparnasse, où sa maison, ornée depuis d'une plaque commémorative, était devenue un centre et un foyer de rayonnement intellectuel. Des lettres de lui, récemment publiées, l'y montrent installé dans ses habitudes de travail et d'incessante activité (1) :
(1) Lettres inédites de Sainte-Beuve à Collombet, publiées par C. Latreille et M. Rous-
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260 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
« Ma vie est maintenant celle-ci, écrivait-il, le 24 juin 1852, à un ami de Lyon, Collombet, qui a laissé un nom dans les bonnes Lettres et la philosophie chrétiennes : (c'était son confident alors en matière de Port-Royal); je suis retiré dans la petite maison qu'habitait ma mère, d'où je compte bien ne plus déloger que quand on m'emportera les pieds en avant... »
Son voeu a été exaucé en effet, et l'haussmannie ne l'en a pas délogé.
« Toute la vie, continue-t-il, est employée à lire, puis à écrire, puis à corriger les épreuves...»
C'est bien ainsi que je l'y ai trouvé, quand je devins son secrétaire, en 1861, et que nous avons passé notre temps pendant les huit années qui lui restaient à vivre, si bien remplies par les Nouveaux Lundis, l'étude malheureusement inachevée sur Proudhon, ses vaillantes et courageuses campagnes du Sénat, et l'édition définitive de Port-Royal. — Pendant huit ans j'en eus la primeur, écrivant tout sous sa dictée ou collationnant ses épreuves et les relisant à haute voix. Tel fut mon rôle et mon emploi près de lui. — Répondant sans doute à un désir de son ami :
« La littérature du Constitutionnel, écrivait-il dans la même lettre, commence à se grossir de quelques noms, et je n'y suis plus seul ; mais tout cela ne fait pas une rédaction littéraire comme celle que vous vous figurez; on se connaît peu et on ne se voit pas. Je ne suis au journal, pour mon compte, que dans mon emploi des Lundis, ni plus ni moins ; j'ai même remarqué que les petites notes qu'on fait glisser dans le journal étaient sujettes à difficultés; car il y a régime industriel, régie, comme partout, d'annonces, réclames, etc. »
Cette mise en rapport des colonnes d'un journal causa autrefois le duel d'Armand Carrel et d'Emile de Girardin : le journalisme entrait dans la vie pratique; mais, en 1852, on ne saurait rendre la
tan, 1 vol. gr. in-18, Paris, Société française d'Imprimerie et de Librairie, ancienne librairie Lecène, Oudin et Cie, 15, rue de Cluny, 1903.
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SAINTE-BEUVE INTIME 261
liberté complice et responsable de ces petits métiers et commerces qui fournissaient à la presse le combustible et alimentaient la machine.
Le Constitutionnel était alors l'un des organes de cette bonne et saine bourgeoisie française, aussi ennemie des perturbations sociales que de tout fanatisme, qui a tenu, de tout temps, le milieu entre tous les conservatismes, sous tous les régimes. Les Causeries du Lundi faisaient la fortune du Constitutionnel, et c'était un public centregauche — ou centre-droit, mais moyen et mitoyen — qui les lisait. Un autre organe du parti conservateur, le Messager de l'Assemblée, du 5 avril 1851, les saluait ainsi à leur apparition en volumes :
« M. Sainte-Beuve a expliqué dans sa préface la troisième manière qui lui a réussi dans le Constitutionnel. Tous les jours se répète mille fois cette phrase banale : « Pourquoi faire de la littérature dans une époque troublée? Qui la lit?» En pleine révolution, les articles de M. Sainte-Beuve ont fait mentir les impuissants qui ont tout intérêt à répandre et à propager des bruits anti-littéraires... Son talent sérieux va un peu contre les légèretés du feuilleton du journal. Rien que l'aspect de ces grandes colonnes, remplies de littérature, sans les ressource de l'alinéa, tenant la troisième page entière d'un grand journal, me faisait une grande joie... »
L'article était de Champfleury.
Ces grandes pages, toutes remplies de littérature, qui sortaient d'une petite maison de la rue Montparnasse, étaient attendues tous les lundis par un public nombreux et d'élite. Je n'ai pas à apprécier ici les Causeries du Lundi : elles sont dans toutes les mains ; on les consulte toujours avec fruit; on y trouve des sujets tout faits de compositions littéraires; elles viennent souvent en aide aux jeunes personnes qui préparent leurs examens. Les pères — faut-il ajouter : les Pères conscrits ? — les empruntent aux Bibliothèques des grands Corps dont ils font partie pour faciliter les devoirs de leurs filles.
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262 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Lorsqu'une souscription fut ouverte, en 1898, pour élever un buste à Sainte-Beuve dans le jardin du Luxembourg, ce furent les professeurs de l'Université qui répondirent de toute part, avec le plus d'ensemble. L'un de ces excellents maîtres m'écrit encore d'un des premiers lycées de France : « De l'admiration pour votre grand et illustre maître? comment n'en aurions-nous pas, nous qui sommes tous ses élèves, du plus grand au plus petit, nous, qui ne. faisons nos leçons qu'après avoir relu les siennes, nous qui vivons de lui et qui n'aurons jamais assez de pieuse reconnaissance pour sa mémoire? Pour moi, je ne laisse passer aucune occasion de répéter combien il fut grand, de le montrer à mes élèves ; et je conquiers tous les ans pour Sainte-Beuve de jeunes et de nouveaux admirateurs. »
M. François Coppée, président du Comité pour l'érection de l'oeuvre de Denys Puech dans le jardin du Luxembourg, avait déjà reconnu et proclamé, dans son discours d'inauguration (le 9 juin 1898), l'empressement des membres de l'enseignement public à témoigner « de leur gratitude envers le grand lettré, dont le puissant et admirable labeur leur est tous les jours si précieux... »
Puis, il ajoutait : « ... Si nous avions reçu l'obole de tous ceux dont l'encyclopédie littéraire qui s'appelle les Causeries du Lundi a facilité la tâche, de tous ceux qui sont, pour ainsi parler, les obligés intellectuels de Sainte-Beuve, ce n'est pas un simple buste, c'est une grande et belle statue que nous lui dresserions aujourd'hui. »
Sainte-Beuve, avec le sentiment des proportions qui dénotait en lui l'esprit critique, déclinait la statue pour l'homme de lettres : « Laissons, disait-il à la fin de son article sur le buste.de l'abbé Prévost (1), laissons la statue aux hommes célèbres qui ont marché sur cette, terre avec autorité, d'un pied sûr, orgueilleux ou solide : pour l'homme de, lettres, pour le romancier, pour celui que l'amour
(1) Causeries du Lundi, t. IX, 7 novembre 1853.
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de la retraite poursuit jusque dans le bruit (et il était bien de ceux-là), pour ceux qu'une demi-ombre environne et que plutôt elle protége, pour ceux-là c'est le buste qui convient... »
Paul de Saint-Victor assignait au buste si fouillé de Sainte-Beuve par Chenillion, exécuté en 1868, sa place entre deux rayons de bibliothèque, avec les oeuvres de l'auteur des Lundis dans le fond. Un premier buste, d'ordre classique encore que très ressemblant, par Mathieu-Meusnier, daté de 1859, faisait déjà pendant, du vivant de Sainte-Beuve, à celui de Daunou, dans la Bibliothèque de Boulognesur— Mer.
M. Gaston Boissier, dans le discours d'un goût si mesuré et si sûr qui termina la cérémonie du jardin du Luxembourg, a dit que la politique, « qui ne peut se mêler des affaires de la littérature sans les compromettre, » avait fait beaucoup d'ennemis à Sainte-Beuve. L'essentiel serait d'en tirer au clair une à une les raisons complexes et connexes, puisqu'il s'agit d'un champ de bataille simultané, la politique et la littérature, mêlées et brouillées; ce pourrait être l'objet d'un travail délicat de la part d'un critique délié, sans préventions ni parti pris, qui ne se sentirait tiraillé dans aucun sens, et qui n'étudierait pas Sainte-Beuve hors de lui-même, qui ne l'interprèterait pas surtout (car il était sincère, et c'est ce qui fait la force de sa critique). Il ne faudrait pas perdre de vue la définition du critique par Taine, qui pourrait même servir d'épigraphe à ce travail d'un critique idéal : « Un critique est un buisson sur une route; à tous les moutons qui passent il enlève un peu de laine (1). » Sainte-Beuve a dit de lui-même : « J'ai plus piqué et plus ulcéré de gens par mes éloges que d'autres n'auraient fait par des injures. » C'est la confirmation du
(1) Il y aurait aussi à faire un tableau des moeurs politiques et littéraires aux diverses époques contemporaines de Sainte-Beuve, et depuis, et à les comparer entre elles. Cela aiderait à l'intelligence du critique, de ses réticences, et parfois aussi de son pessimisme.
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264 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
mot de Taine. Il prévoyait les rancunes et les inimitiés particulières et posthumes, car il me dit un jour : « Si vous vivez longtemps après moi, vous en entendrez des légendes sur mon compte! » Et comme on n'écrase pas un bruit (le mot est encore de lui), et que dès qu'on croit avoir mis le pied dessus, il s'envole plus loin et il recommence (1 ), nous avons renoncé à les pourchasser tous et à dissiper tous les préjugés. A plus forte raison, en 1898, la postérité, bien que déjà vieille de près de vingt-neuf ans, n'avait pas encore eu le temps de mesurer à sa taille celui que Taine a appelé l'un « des cinq ou six serviteurs les plus utiles de l'esprit humain, » au XIXe siècle. On le vit bien, à l'absence de tout représentant en personne des pouvoirs publics, lors de cette fête purement littéraire du Luxembourg, où les palmes vertes transformèrent, pour un après-midi, le jardin du Sénat en un jardin d'Academus. Le ministre de l'Instruction publique, membre lui-même de l'Institut, délégua un collègue pour parler en son nom:; c'était M. Gustave Larroumet, secrétaire perpétuel de l'Académie des Beaux-Arts; nous n'avions pas à nous plaindre.
J'ai vu depuis, sans nommer personne, d'autres ministres et d'autres présidents du Sénat, voire de la République, assister à d'autres inaugurations de monuments, sans doute aussi moins significatives; et j'ai compris, à certaines fins de non recevoir, moi qui suis chargé de reliques, que la gloire de Sainte-Beuve était compromettante à porter.
Je reviens à ses habitudes de travail.
Sainte-Beuve, qui se savait lu, le soir, en famille, sous la lampe, éliminait avec un soin scrupuleux tout ce qui aurait pu blesser l'oreille, le goût et les moeurs. Il observait toutes les politesses et les bienséances. La pensée pouvait être hardie, l'expression était
(1) Fin du troisième article sur Maurice de Saxe, Nouveaux Lundis, t. XL
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toujours modérée. Ce serait à croire que les moeurs ont bien changé depuis, s'il fallait prendre au pied de la lettre le paradoxe, mis en circulation par des écrivains intéressés à la chose, que la littérature est toujours l'expression des moeurs, car la sienne était bien honnête. Il y étendait le champ de la Critique, qu'il transformait en un souple et docile instrument d'enseigmement et de propagation par les Lettres, l'appliquant à tout, ne le spécialisant pas, faisant en un mot de la littérature un vaste domaine encyclopédique, comme l'a dit Coppée, dans lequel entrait tout ce qui pouvait s'y rattacher. Les arts eux-mêmes, qui lui étaient étrangers, ne lui échappaient pas, et il les rejoignait toujours, quand la curiosité le tentait, par quelque côté littéraire ou épistolaire. Témoins Gavarni et Horace Vernet. Il ne fut pas étranger, en 1869, à la publication dans la Revue des Deux Mondes, toute vouée à des intérêts rossiniens, d'une étude sur le Drame musical et l'OEuvre de Richard Wagner, qu'il n'était pas fâché de connaître, dit-il à M. Buloz , qui s'en défendait.
L'abstraction était à peu près exclue de sa critique, et il y brûlait bien des broussailles encombrantes ; il y défrayait des voies utiles au monde nouveau, et il s'efforçait surtout d'y donner le Vrai — le Vrai seul — pour base à la littérature, dont il s'efforçait par cela même de faire de plus en plus une science. Ce qui ajoutait de l'autorité à sa méthode, c'étaient le goût et le scrupule avec lesquels il écartait toute donnée imprécise ou inexacte, et mettait en relief tout ce qui, au contraire, dans l'observation des faits ou des phénomènes de l'idée pure, pouvait contribuer à la découverte plus approfondie et plus réelle de l'esprit humain, subdivisé par lui en familles. Il mérita par là le titre d'inventeur, qui lui fut décerné par Taine à sa mort, pour avoir greffé sur l'arbre de la science une classification nouvelle, empruntée à l'histoire naturelle des esprits. Il contribua, dans tous les cas, à élargir l'esprit critique, qui s'en tenait jusque-là à des formules vaines et spécieuses, mises en circulation par le célèbre et
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brillant fondateur de l'éclectisme, et qui sévissent encore à l'état de lieux communs.
Sans être précisément populaire au Quartier latin, pour des raisons, je l'ai dit plus haut, qui appelleraient, à être déduites, une plume d'exception comme la sienne, impartiale et fine, il y était suivi et lu. Je demande pardon de parler de moi, mais une anecdote, qui m'est personnelle et qui le concerne, m'y amène. Je m'étais logé, sur son indication, dans un hôtel du passage du Commerce, qu'il avait habité autrefois avant de devenir bibliothécaire à la Bibliothèque Mazarine, — l'hôtel de Rohan, dont on avait fait Rouen, comme le Tu ora, de la sachette de Notre-Dame de Paris, était appelé le trou au rat. Un lundi soir, en 1861, j'étais monté au premier étage du café Procope, croyant trouver moins de bruit en haut qu'en bas, où le cliquetis des dominos troublait la lecture des journaux, sous l'oeil de Voltaire et de Piron et autres grands, hommes de l'ancienne Comédie voisine, dont les portraits en pied tapissaient les salles de cet historique rez-de-chaussée. Je tombai, sans le savoir, audessus, en plein cercle d'étudiants, où la présence d'un inconnu solitaire parut peut-être suspecte. Je ne venais là que pour me recueillir. Au milieu des conversations et du brouhaha général, une voix retentissante et bien timbrée, dominant les autres sans effort, laissa tomber ces mots avec en accent particulier du Midi, qui n'est pas le même partout : « Voyons ce que dit l'oncle Beuve, ce matin! » Il était dix heures du soir, mais le Constitutionnel paraissait le matin. L'oncle Beuve était une façon de parler familière et romantique, du temps où l'on ne séparait pas l'oncle Beuve du père Hugo. L'étudiant, qui s'exprimait avec tout ce tapage, jeune homme de forte encolure, au type sémite très prononcé, avait pris le Constitutionnel sur une table et le soulevait par la hampe d'une main léonine, lourde et puissante. A quelques années de là, je le reconnus : c'était Gambetta.
Il est bien vrai, comme on l'a dit, que l'épicurisme régnait en
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maître dans la maison de Sainte-Beuve, si l'on entend par là des moeurs réglées sur les plaisirs voluptueux que procurent les jouissances de la pensée à un esprit libre. Le monde moderne, avec tous ses bruits abdéritains ou béotiens, connaît peu de ces besoins l'affinés de luxure intellectuelle, qui consistent à se renfermer chez soi, pendant tout un jour, pour y étudier le texte d'Homère par la racine, et pouvoir en écrire sciemment, en toute connaissance de cause. Ce sont là de ces sensations délectables qu'ont seuls les poètes de la famille d'André Chénier ou de Voltaire. Ces délicats sont malheureux, car ils souffrent d'une faute de goût, autant que Saint-Saëns ou Massenet d'une dissonance. Leurs nerfs sont facilement irritables. SainteBeuve avait de ces vivacités d'esprit, qui se traduisaient par des coups de plume. Il était bon, pourtant, et d'une philosophie à la Térence pour les maux réels ou imaginaires — qui n'en sont pas moins des souffrances — dont sa maison était le confessionnal. Il y compatissait en parfait moraliste qui en tirait profit pour sa propre connaissance du coeur humain ou féminin, point principal et objectif de ses études de pénétration. La confiance allait à lui comme au conseiller sûr et indulgent, à qui l'on pouvait tout dire. La plus belle pièce de sa maison, qu'il s'était ménagée, semblait disposée pour tout entendre. Quelques marches d'un escalier étroit en limaçon menaient à l'entresol : un couloir aboutissait à une double porte qui amortissait les bruits extérieurs. Il avait soin, dès qu'on entrait chez lui, de crier : « Il y a un pas », et ses visiteurs l'avaient remarqué. C'était pour avertir d'un malencontreux exhaussement du parquet où l'on risquait de trébucher, si l'on ne prenait pas garde. La maison était à l'antique. C'était la mère de Sainte-Beuve qui l'avait fait construire.
Ce médecin des esprits, qu'on prenait volontiers pour directeur de consciences (il en avait confessé d'illustres), recevait dans sa chambre à coucher, qui lui servait à la fois de cabinet de travail. Il avait l'accueil aimable et souriant, d'une politesse exquise, qui sen-
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tait l'homme de qualité, et dont il ne se serait pas plus facilement départi que Buffon de ses fameuses manchettes, qu'on a tant raillées. Les partisans du brouet noir, cuistres et grimauds, qui rient de ces coquetteries, ne se doutent pas que chez les écrivains de style, la parure du corps ne se dédouble pas de celle de l'esprit et que les deux toilettes sont inséparables. Sainte-Beuve revêtait tous les matins, pour travailler, une chemise claire de couleur, à jabot; et, quand on lui annonçait l'après-midi quelque belle visite, il répandait de l'eau de Cologne sur le parquet, pour chasser l'odeur d'encre, disait-il ; il humectait même légèrement le plastron de sa chemise et de son gilet.
On a fait une légende à sa petite calotte de velours noir qu'il portait sur le sommet de la tête, pour se garantir des rhumes. Il avait le crâne absolument chauve et luisant, et une couronne grisonnante, qui gardait encore quelques tons fauves et dorés au-dessus de la nuque et sur les tempes, remplaçait la forêt luxuriante d'autrefois, qui n'existe plus que dans le médaillon de David. Il tenait d'origine anglaise, par le côté maternel, le fond roux de sa chevelure, de marque boulonnaise, et ce n'était pas la seule transmission héréditaire de son lieu de naissance international. Son goût pour les poètes Iakistes, traduits ou imités par lui, témoignait assez de ce don particulier qui lui faisait une double patrie. Il aurait aimé, disait-il, être Anglais et vivre à Paris. Paris, c'était sa ville de prédilection, et il semblait qu'il rentrât dans son élément, comme un poisson dans la rivière, quand il revenait de Saint-Gratien ou de Sannois, où il allait dîner quelquefois. Il aimait pour cela Auber, le parisien par excellence, et il aurait voulu lui consacrer un de ces Portraits, dans lesquels il était passé maître.
La politesse était innée en lui, et il en avait besoin pour son art, autant que La Tour pour ses pastels de femmes. L'un et l'autre traitaient les mêmes sujets qui exigent tant de nuances et dans lesquels
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l'artiste ne saurait apporter trop d'expérience personnelle. La perfection est de rigueur dans un genre qui n'admet pas la médiocrité. C'est là qu'il faut rendre l'esprit du modèle, l'envelopper et s'en pénétrer, tout en restant vrai, sans grossièreté ni rudesse. SainteBeuve a laissé une assez belle galerie de grandes dames et de moindres, qui justifie l'épigraphe de son livre : " ... Non, madame, je ne suis pas le devin Tirésias, je ne suis qu'un humble mortel, qui vous a beaucoup aimées... » toutes. La véritable philosophie, celle qu'on nomme sagesse, est à ce prix. Ne l'a pas qui veut.
Elles le lui rendaient par de charmants cadeaux, dont témoigne sa Correspondance, qui embellissaient peu à peu son intérieur sévère. Le bibelot n'était guère de mise dans cette maison d'un penseur, où tout était disposé pour le travail du maître. Le mobilier était confortable, mais bourgeois ; on n'y sacrifiait pas à la mode. Son goût instinctif le portait à se défier de tout ce qui n'était pas de sa compétence immédiate : il se moquait un jour d'un critique naïf qui lui faisait admirer certaines pièces du musée Campana, reconnues fausses depuis : « II semblait, disait-il, qu'elles allaient lui fondre dans la main, comme des bonbons, tant il avait peur d'y toucher, et il ne voulait pas qu'on y touchât. » Une superbe aquarelle, d'après le pastel du portrait de madame Lenoir, qui est au Louvre, peinte par le pinceau d'une altesse, qui est entrée elle-même dans le tome XI des Causeries, fut, dans ses dernières années, le principal ornement de sa chambre claire, aux murs peints, d'un ton sobre, rehaussé par des encadrements de légers filets d'or. C'était son luxe, et il s'y tenait. Le jour et le soleil entraient dans cette pièce par deux fenêtres, donnant sur un jardin, dont un peuplier, qu'il avait fait planter, l'incommodait, chaque saison, de flocons cotonneux. « Je l'ai voulu », disait-il. Ce pauvre peuplier a été une des premières victimes du siège de Paris : il a servi à faire du feu.
L'illustre Sarcey a répété, d'après Victor Hugo, qui était lui-
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même un Antinoüs, que Sainte-Beuve était laid. D'autres, qui se sont regardés sans doute dons le même miroir, ont renchéri depuis. Il est un peu puéril d'avoir à discuter sur la beauté d'un homme. Le véritable beau sexe doit s'y connaître mieux que nous, et ceci me rappelle une facétie du bon vieux temps, l'Homme fourré de malice, du graveur Abraham Bosse : « Dans une haute salle, qui semble le vestibule de quelque palais, un soucieux personnage assis dans un fauteuil, le coude appuyé sur le coussin d'une table, nous apparaît dans un manteau étoffé, doublé, non pas d'hermine, mais de nombreuses têtes de femmes, presque toujours jeunes et agréables... » L'auteur (1), qui fait cette description, la commente ainsi : « Toutes ces beautés ont fortement tracassé le cerveau de l'important personnage : brunes et blondes, grandes dames ou grisettes, Agnès ou Ninon, se sont emparées tour à tour de la vie de l'homme... » Seulement, celui-ci est un mélancolique, un misanthrope, qui n'a pas su garder, dans son coeur, « de capricieux airs de tête, de charmants sourires, de féminines fantaisies, » pour en charmer son âge mûr, en sourire, et « regarder les petites trahisons comme une belle regarde dans son écrin les feux de ses pierreries... » Il n'avait pas la sagesse de Sainte-Beuve, dont un ami répondit à l'une de ces Agnès ou Ninon, qui se plaignait d'avoir été oubliée sur le testament du philosophe : « Quand vous vous seriez mises toutes par rang de trois à son enterrement, vous n'auriez pas pu tenir jusqu'au cimetière. »
Il ne faut rien exagérer. Sainte-Beuve citait lui-même ce vers d'Ovide :
Otia si tollas, periere Cupidinis arcus.
(1) Champfleury, Manuscrits inédits, publiés par Paul Eudel dans le volume intitulé : Champfleury inédit. Paris, Bibliothèque de la Gazette anecdotique, et Niort (chez L. Clouzot), 1903.
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Il le savait trop bien, lui qui devait son temps et toute sa semaine à l'article en préparation. Les arcs de l'amour périssaient dans cette gestation continuelle, mais il renouvelait son esprit à la fréquentation de la femme. Les réunions d'hommes étaient trop brutales. Il lui fallait la grâce et l'ornement d'un bouquet féminin pour les tempérer et y jeter de la finesse attique. Il ménageait son cerveau selon des lois physiologiques qu'il n'avait garde d'enfreindre, pour tenir tête à ses engagements envers le public.
II avait l'aiguillon intérieur qui le stimulait, cause pathologique de sa curiosité incessante, qui le faisait descendre dans toutes les francmaçonneries féminines. II s'y ouvrait des jours sur tous les mondes de la galanterie et en rapportait des observations pessimistes sur une société et une civilisation de plus de surface que de profondeur. L'utopie venait en aide au moraliste pour prévoir l'avènement des dernières couches qu'il allait chercher à la racine et dans les enfers sociaux où elles grouillaient. Peu s'en est fallu que ses prédictions ne se réalisassent dans un cataclysme qui faillit tout engloutir. La peur, qui garde éternellement les vignes, comme on dit dans le Midi, rallia ce jour-là tous les partis dans un intérêt de conservation et préservation sociales contre l'ennemi commun.
Celui qui a vécu huit ans, face à face, l'oeil dans l'oeil, à la table de travail et dans la confidence de ce grand esprit, ne saurait oublier le trait vif et pénétrant qui partait de ces petits yeux, délicats et tendres, pleins d'indulgente malice, qui se dissimulaient sous de vastes arcades sourcilières, tout embroussaillées de poils roux. Ils forçaient, pour ainsi dire, la sympathie et la communion d'idées, et permettaient qu'on se reposât en eux, quand on était entré dans la pensée du maître (1).
(1) Qu'il me soit permis de donner ici un souvenir à l'avant-dernier survivant de ces studieuses journées, Jules Levallois, mort en 1903, auteur d'un très beau livre sur
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Là se remuait tout un monde d'idées concrètes, où le fait précis servait toujours de point d'appui à l'enseignement psychologique, qui en découlait. La forme revêtait l'idée, non par draperies tombantes ou flottantes, à la manière réputée antique ou académique, qui a disparu grâce à lui, l'un des premiers, mais en suivant le vrai, — le vrai seul, — dans ses replis complexes et contours sinueux. Il l'habillait à la moderne. Il fut en cela un précurseur.
Ce petit homme, qu'on disait si laid, était d'une physionomie si impressionnable, si mobile, que l'esprit semblait ag'ir sur les muscles du visage comme sur des touches de piano. Au calme et au repos, les nerfs se détendaient, et il redevenait bonhomme, rêveur et penseur, avec une douce pointe de raillerie. Ce n'était plus le même homme, quand il causait, quand il s'animait. On ne s'apercevait plus de l'irrégularité de ces traits, qui prenaient alors une expression de finesse radieuse et souriante. Il avait l'amabilité naturelle, qui rend la séduction facile. Ceux qui en douteraient encore, seraient des sots ; mais ce qui est plus sérieux, c'est que sa vivacité d'esprit savait gagner et convaincre ceux qui allaient à lui, sans parti pris. On ne pouvait que se ranger à ce ferme bon sens, net et droit, qui vous jetait en pleine démonstration d'une idée, d'un fait, démontait le phénomène et en examinait tous les ressorts. On le suivait docilement, pas à pas, et quand on sortait du raisonnement, on restait convaincu. Il écoutait les objections et en tenait compte dans la mesure du plausible. « Quelqu'un me dit », est une formule qui revient souvent sous sa plume, et elle n'avait rien de fictif. Il témoignait par là de son amour de la vérité, dont il ne voulait rien perdre ni laisser échapper, rendant hommage au collaborateur anoSainte-Beuve,
anoSainte-Beuve, qui a laissé un nom dans l'histoire de la critique littéraire au xixe siècle. (Lire, à son sujet, l'article de Sainte-Beuve sur ses Secrétaires, à la fin du tome IV des Nouveaux Lundis, où est faite la part de chacun, ce qui empêché de les confondre et de les solidariser, comme on le fait communément.)
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nyme qui y concourait pour une part à l'appui ou même en contradiction avec sa propre donnée. Ses fluctuations apparentes provenaient justement de cet esprit d'examen et d'analyse qu'il apportait en tout; il lui aurait été impossible d'étudier en bloc, jusqu'au tréfonds, des êtres aussi compliqués et variables que ceux auxquels il appliquait son objectif. La psychologue et la physiologie se combinaient dans ses observations sur les hommes et les idées, et l'on n'en saurait tirer des lois générales, si l'on se contentait de l'a peu près. Ce sont des sciences expérimentales et d'accroissement successif, selon sa propre méthode. « Nous sommes mobiles et nous jugeons des êtres mobiles, » est une épigraphe qu'il a empruntée à Sénac de Meilhan. A combien cette vérité ne s'applique-t-elle pas? Le changement s'opère même au physique. Il ne reconnut pas un jour la photographie de l'un des plus grands poètes du siècle, qui avait laissé pousser sa barbe, et qui avait échappé, moins que tout autre, à la loi vertigineuse d'instabilité qui, de tout temps, a emporté tous les êtres.
Il avait gardé l'habitude de se raser lui-même tous les matins, et sa dextérité, qui aurait fait de cet ancien roupiou de Dupuytren un habile chirurgien, allait même jusqu'à ne pas se regarder dans le double miroir grossissant, qu'il avait sous la main : « Chateaubriand, disait-il, se rasait matin et soir, par coquetterie, pour ne pas piquer les dames qu'il baisait à la main ou au visage. » Notre temps pressé ne comporte plus tant de cérémonie. La barbe a prévalu de nos jours chez les chefs d'Etat. Les visages sans barbe ni moustache découvraient mieux la physionomie. Ils prêtaient davantage à l'observation physiognomonique et à la statuaire. La moustache dissimule souvent des plis mous et sans énergie. Le père et l'oncle du romantisme n'en ont pas dans les médaillons de David. Sainte-Beuve n'en porta jamais. Il avait la lèvre fine et malicieuse.
A qui pouvait pénétrer dans ses pensées de derrière la tête par
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les dictées spontanées et rapides qui lui en donnaient la primeur, cette tête, si bien conformée pour l'ordre et le sage équilibre de l'esprit, faisait l'effet d'une ruche où chaque idée avait son alvéole. Elle était, dans ses proportions bien prises, en harmonie avec la finesse des pieds et des mains. Une des coquetteries de Sainte-Beuve consistait à porter l'ongle long au petit doigt de la main droite. Par esprit d'imitation, comme cela arrive toujours dans l'entourage des hommes supérieurs, un de ses secrétaires lui avait pris ce signe de mandarinat littéraire. Ce crâne dépouillé, que rejoignait un front agrandi par la calvitie, aurait offert à la science un vaste champ d'études phrénologiques. La statuaire n'a pas négligé ces détails documentaires. L'art classique, d'abord, a relevé la ligne grecque, qui ressortait, en effet, de l'ensemble de la tête. La plume qui le rangea un jour parmi les amants de la belle Hélène (1), et une autre parmi les sages de la Grèce (2), par la forme extérieure et le côté plastique, traduisaient bien ses goûts et son culte de prédilection pour l'Iliade et la sagesse antique. Le réalisme moderne, esclave de la lettre, a creusé et fouillé davantage : il en est résulté une oeuvre sculpturale et monumentale très belle, mais modelée d'après un portrait de la dernière heure, qui fait songer vaguement à un pape... C'est peut-être une allusion au « grand diocèse », proclamé un jour par Sainte-Beuve. Le XXe siècle devait donner une interprétation nouvelle de cette physionomie si mobile. Un jeune artiste, M. José de Charmoy, l'a fait revivre dans un buste funéraire, symbole de la souffrance et de la douleur, qui met puissamment en relief le siège de la pensée et les traits accentués de ce visage ravagé.
(1) Le savant helléniste Chassang, qui lui adressait des distiques en grec au jour de l'an.
(2) Mme la princesse Mathilde, dans le portrait à la plume, reproduit en tête des Souvenirs et Indiscrétions,
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Quand il s'endormait dans un fauteuil, après dîner, la tête enveloppée dans un madras, à la lecture d'un livre nouveau, SainteBeuve ne se défendait pas d'avoir l'air d'une vieille femme : il tenait celte ressemblance de sa mère, et c'est l'une de celles qu'a surprises le buste de M. de Charmoy (1).
On a pu tirer des déductions, sous le rapport du flair, du nez de Balzac, en forme de narines de chien de chasse. Celui de SainteBeuve ne trompait pas non plus : c'était un de ces nez de savant ou de curieux, proéminents et droits, des nez qui scrutent et trouvent la piste. Ces nez-là ne déparent pas le visage d'un penseur et n'empêchent pas les aventures. Comme Voltaire, Sainte-Beuve s'était déguisé en femme dans sa jeunesse pour n'être pas reconnu et dénoncé à un mari soupçonneux: « Jugez quelle jolie femme je devais faire avec ce gros nez ! » disait-il... quarante ans après.
De rares êtres humains, dit-on, ont la faculté de remuer les oreilles. Celles de Sainte-Beuve, de structure bizarre, étaient, pour ainsi dire, collées à la peau et ne se détachaient pas, C'était encore un signe de supériorité intellectuelle. — Le contraire, quand il se rencontre, ne fait pas honneur à l'intelligence humaine.
La causerie fine du critique faisait cercle dans les salons; on ne s'apercevait pas alors s'il était beau ou laid : on l'écoutait. Chez lui, dans le feu de la conversation, il pétrissait et repétrissait sa calotte, et la rejetait finalement parmi les papiers et les livres, à demeure, qui lui servaient de rempart et de répertoires, sur sa table de
(1) M. de Charmoy (on le sait à présent) est l'auteur du monument funéraire de Baudelaire et du tombeau de Sainte-Beuve, inauguré, le 10 mai 1903, dans le même, cimetière Montparnasse, par un savant et magistral discours de M. Gaston Deschamps, qui y posa les vraies bases de la Critique moderne, d'après la méthode du maître. On eut après lui une lecture très fine de M. Jules Levallois, qui y retraça le travail de cabinet et les rapports de Sainte-Beuve avec ses secrétaires. — De beaux vers, composés pour la circonstance par M. Jean Aicard, furent déclamés par Mlle Moréno. Mlle Ventura et Mme Maurice Du Bos dirent des vers de Sainte-Beuve.
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travail. Il l'oublia une fois à la tribune du Sénat, et l'orateur qui lui succéda et qui venait le réfuter s'en servit pour s'essuyer le visag'e. Ce fut une risée dans la salle, qui étonna bien M. Charles Dupin.
Dans la rue, il passait comme un simple bourgeois, sans signe extérieur à la boutonnière. Il allait placidement à la recherche de l'expression ou de l'idée, ou à la poursuite de quelque chimère. On criait : « Place à l'ancien ! » sur son passage, les jours de kermesse, dans ce faubourg populaire, où règne une perpétuelle gaieté. On ne le reconnaissait pas, et personne ne se doutait que ce petit homme replet, qui se promenait au milieu des foules, la canne à la main, s'arrêtant quelquefois pour fixer au passage, sur un bout de papier, un lambeau de phrase ou seulement le mot juste qu'il avait trouvé, fût l'un des plus grands littérateurs du siècle. Il fuyait la morgue et le fracas dans la vie comme dans ses écrits. Il vivait de plain-pied avec ses voisins.
Un jour, pourtant, un homme du peuple, passant près de lui, murmura quelques mots de respectueuse admiration, qui lui firent hâter le pas. Dans l'église Saint-Germain-des-Prés, à l'enterrement d'Eugène Delacroix, il pria de se taire deux amis qui parlaient assez haut de lui pour qu'il les entendît. Cet encens l'offusquait (1). Il n'aimait pas le boniment ni la réclame, et se fâcha contre un directeur de Revue (2), qui avait affiché son nom en grosses lettres, pour donner du retentissement à l'une de ses publications en cours.
Chez lui ni affectation ni parade, encore moins de pruderie, mais un libéralisme latent qui se traduisait par des actes. Sa maison était organisée pour la discrétion et la bienfaisance. Il recevait une ou deux fois la semaine ses intimes et familiers à dîner, après une
(1) Ces deux amis étaient son ancien secrétaire Auguste Lacaussade et son dernier secrétaire, Jules Troubat, qui écoutait ce que lui disait l'autre.
(2) M. de Calonne, directeur de la Revue contemporaine, où paraissaient les articles sur Proudhon, annoncés sur tous les murs.
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journée de travail, qui aiguisait toujours l'esprit. La gaieté régnait à cette petite table ronde, dont c'était encore la mode, et l'on n'y tenait pas de conversations banales. Son petit monde se composait d'une famille qui n'avait aucun lien de sang entre elle, mais qui n'en était pas moins unie par l'habitude de vivre ensemble. La « petite amie », qui régnait et ne gouvernait pas, et avait son logement en ville, s'asseyait en face du maître. Une ancienne institutrice, en dernier lieu, tenait la maison et se tenait entre les deux, de façon à les servir l'un et l'autre. Elle avait demandé, en entrant, la permission d'aller à la messe le dimanche et de recevoir la visite des curés de Montmartre et de Belleville, où elle avait tenu pensionnat. Sainte-Beuve, la tolérance en personne, malgré le fameux dîner, donné chez lui, qui fit à sa maison une réputation légendaire, n'y avait vu aucun inconvénient. Il n'était ni fanatique ni sectaire, et disait que les fanatiques sont des gens chez qui les passions refoulées remontent au cerveau.
Ses convives ordinaires étaient généralement le docteur Veyne, un républicain originaire du Comtat, dont la belle face, pleine et rasée, au profil napoléonien, avec ses longues mèches de cheveux blancs, qui lui retombaient sur le front, éclairait la table et la salle à manger, au dire d'une petite servante ; il alternait, quand ils ne se trouvaient pas ensemble, avec Paul Chéron, de la Bibliothèque impériale, comme on disait en ce temps-là, autre figure réjouie, tête chauve, large panse et barbe rabelaisienne. Il assaisonnait la bibliophilie, qui permet tout, d'anecdotes et de bons mots, plus ou moins renouvelés de l'histoire amoureuse des Gaules. Il savait gazer, sans parler latin. Les dames s'en amusaient et s'y frottaient d'érudition: Au dessert, on relisait l'article auquel on avait travaillé tout le jour, primeur pour les convives, nouveau souci pour l'écrivain qui s'éperonnait à cette lecture, faite à haute voix par son secrétaire et qui trouvait toujours à changer, à retoucher et à ajouter. « Auteur vient
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du mot latin auctor « qui accroît, » disait-il, et il était sans cesse en mal d'auteur (1).
Il avait le lâchez tout, c'est-à-dire le bon à tirer difficile. Il ne le donnait pas sans des appréhensions d'aéronaute. Après avoir passé la matinée du dimanche à collationner les épreuves du Lundi qui devait paraître le soir même, il se rendait au journal l'après-midi et demandait une nouvelle revision. Il y restait jusqu'au tirage, après avoir relu encore une fois tout seul et vérifié si les corrections avaient été bien exécutées. Il se donnait alors campos à lui-même. Le matin, il avait eu soin d'écrire à Mme Magny, du restaurant de la rue Contrescarpe-Dauphine (aujourd'hui Mazet), de lui garder un cabinet pour dîner le soir. Un dimanche il se trompa d'enveloppe. Des compositeurs typographes lui avaient écrit pour lui soumettre un cas de pureté de style : — il y vit un signe bien français de l'esprit académique, qu'avait constaté César, et qui règne éternellement chez nous. — Par distraction, il mit sa réponse dans l'enveloppe destinée à Mme Magny, et, en revanche, Mme Magny reçut la lettre destinée aux typographes. Ceux-ci devinèrent de quel restaurant il s'agissait, bien que le nom ne fût pas dans le billet, et s'empressèrent de le porter à Mme Magny, qui leur rendit leur lettre.
Il cachetait ordinairement ses lettres avec de la cire. C'était une coutume d'ancienne mode, que les enveloppes gommées ont fait perdre. Son cachet portait le mot Truth. On a cru que c'était une devise littéraire, celle qu'on lit sur le socle de son buste du jardin du Luxembourg :- « Le vrai, le vrai seul. » Ce cachet lui avait été donné tout simplement par une amie, Mme d'Arbouville, « afin, lui dit-elle,
(1) Dans les Souvenirs et Indiscrétions, je me suis étendu davantages sur les intimes et familiers de Sainte-Beuve, notamment sur son professeur de grec, Pépirote Pantasidès. J'y renvoie, ainsi qu'à mes Notes et Pensées, où je raconte une curieuse anecdote sur le même, à propos des Lettres à une Inconnue, de Mérimée, et d'une correction de grec qu'il y fit sur les épreuves (Voir Notes et Pensées, p. 69, 1 vol. gr. in-18, Librairie générale de L. Sauvaitre, 72, boulevard Haussmann, 1888.)
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que vous vous souveniez de me dire toujours la vérité, quand vous m'écrirez. »
Ce n'était pas pour dîner seul qu'il retenait un cabinet chez Mag'ny. Il était libre, et ne se gênait pas : il ne trompait personne, Il s'y rencontrait quelquefois avec Mme Sand, qui dînait dans un cabinet voisin avec le graveur Manceau. Celui-ci se trouvait à l'aise avec Sainte-Beuve, mais les lundis de quinzaine du dîner Magny, il ne voulait pas entrer dans la salle, où les Goncourt, entre autres, le gênaient par leur façon de le regarder. Après dîner, Sainte-Beuve allait de compagnie au théâtre pour lequel M. Camille Doucet lui envoyait, tous les dimanches, la loge du Ministère d'État. II y donnait rendez-vous à toute sa " maisonnée ». Un soir, aux Variétés, il entendit chuchoter à son adresse dans une loge voisine. Les mots de « prix de vertu » lui arrivaient directement à l'oreille, qu'il avait très fine. Justement il venait de prononcer, dans la même semaine, le discours annuel sur les prix de vertu à l'Académie. Ces allusions malséantes le choquèrent. La personne, qui se tenait près de lui, s'effaçait plutôt qu'elle ne s'affichait. Il se reconnaissait le droit de l'arborer carrément. Il sortit pour demander une explication, mais il ne trouva plus personne. A quelque temps de là, un de ses amis, à qui il avait raconté la chose, rencontrait au Casino-Cadet (les FoliesBergère du temps) le jeune viveur, qui s'était si facilement scandalisé, et le reconnaissait au récit qu'il faisait de la scène des Variétés. C'était précisément le fils d'un des justiciables de Sainte-Beuve, auteur d'un volume de Réminiscences (1), dont le critique s'était moqué, du reste. Il n'y avait pas eu vengeance de la part du fils, mais pur esprit de médisance et de badauderie.
La cuisinière faisait partie intégrante de la maison. Elle était du pays de Mme Sand, la grande Parisienne de Nohant, qui venait quel(1)
quel(1) Nouveaux Lundis, t. IX.
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quefois dîner chez le maître, et elle en avait gardé la douce tonalité de moeurs, de langue et d'accent. Cette Berrichonne simple et distinguée méritait de n'être pas oubliée, car elle fut, pendant quatre ans, tant que dura la maladie, la soeur de charité inquiète et vigilante de ce grand esprit, et le soigna nuit et jour, jusqu'à cette terrible nuit d'agonie, où elle accourut, effrayée, appeler " M. Veyne », le médecin ami, dévoué et fidèle, qui lui non plus ne s'éloignait pas et avait prévu, dans la soirée, la crise finale.
Une grande douceur régnait dans cette abbaye de Thélème, où l'on vivait selon la nature. Des pigeons, des poules et des chats au jardin ; à l'intérieur, le travail et la liberté, " Ne me quittez pas, j'ai besoin de vous deux », avait déclaré le maître, ne voulant pas dépareiller sa maison, dans une circonstance délicate, où il se montra particulièrement grand et indulgent ; et il s'attacha le secrétaire, dont le dévouement lui était acquis, par un redoublement d'affection et de devoir.
Quand on mettait chez lui, comme on dit, les petits plats dans les grands, et qu'on recevait d'illustres invités ou de grands personnages, Sainte-Beuve leur faisait la politesse de les prier de désigner le choix des convives à leur convenance. Ces jours-là, il congédiait son petit monde, qui allait prendre ses ébats ailleurs. Un roulement de voiture qu'on réconnaissait bien, à la façon brusque dont elle s'arrêtait au ras de la porte dans cette rue encore sans trottoirs, annonçait parfois, dans l'après-midi, une visite à l'improviste. C'était le prince ou la princesse qui venait, en toute simplicité, voir un ami. Un jour, la voiture du Palais-Royal fut reconnue de chez le marchand de vin du coin ; un ouvreur de portières accourut, la casquette à la main. Il y tomba un napoléon. — Merci, monseigneur ! — C'était bien payé.
La voix de l'auguste visiteur, pénétrante et aiguë, sonnait comme un clairon. Dans cette chambre, qui reçut tant de confidences, on
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l'entendit un.jour qui s'écriait : « L'empereur, il n'est pas même mauvais... » Les personnes d'à côté crurent devoir s'éloigner, par discrétion. Il savait très bien être entendu, et s'étonna qu'aucune d'elles ne répondît, quand Sainte-Beuve appela son secrétaire: «Il était là tout à l'heure, » dit le prince. Il avait pour Sainte-Beuve une haute estime et lui témoignait une grande amitié. Il laissait déborder, dans ses conversations intimes et familières, le trop-plein d'une intelligence en conformité de vues avec celles de l'illustre penseur. Il le tenait au courant de la politique intérieure et extérieure, et le renseignait exactement sur la valeur des hommes du dedans et du dehors. Il le prémunissait contre l'engouement funeste et vulgaire de notre nation. Au sortir de ces entretiens, SainteBeuve ébauchait des notes comme celle-ci : « On se moque de Bismark, et l'on a tort... on ne le connaît pas... Les Prussiens sont les Macédoniens modernes ; on ferait mieux de s'allier avec eux et de fonder une Ecole de Berlin et une Ecole de Paris ; nos jeunes savants iraient se donner de la force, robur et ses triplex, dans leurs laboratoires, et eux viendraient s'assouplir à notre gentillesse... » Il avait des pressentiments à la Démosthène sur une catastrophe prochaine.
Ses amis du dîner Magny, et ses propres hôtes à lui-même, quand il recevait, Edmond Scherer, Taine, Renan, Flaubert, Théophile Gautier, Charles Robin, M. Berthelot, l'assistaient souvent dans sa maladie. Chacun y apportait son tribut d'épicurisme intellectuel, qui consistait à l'entretenir de littérature, de philosophie ou de physiologie. il était tenu ainsi au courant de tous les progrès.
Un jour, Mme Sand demanda à être invitée à dîner avec M. Berthelot, qu'elle témoignait l'envie de connaître ; et, sur le désir que Sainte-Beuve lui exprima, selon son habitude polie, de désigner elle-même les autres convives qu'elle voulait s'adjoindre, elle choisit Flaubert et Alexandre Dumas fils. Le dîner fut fort gai. Dumas'
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raconta comment Flaubert avait été reçu à Compiègne et l'impression qu'avaient faite sur lui les jolis pieds de l'impératrice, étendue sur sa chaise longue. Sainte-Beuve, qui avait fait une fois partie de la fournée, rapporta de son entrevue avec la gracieuse souveraine le souvenir d'une conversation où les paroles semblaient s'élever de ses lèvres et redescendre comme un jet d'eau, " II y aurait plaisir, disait-il, à l'entendre causer une heure ou deux par semaine, le lundi, quand la journée est libre, dans le quartier Saint-Georges... » Il avait fréquenté jadis, dans le même quartier, chez M. Thiers.
L'impératrice faisait les honneurs de chez soi en aimable femme qui connaît son monde : elle mit Sainte-Beuve sur le terrain de la poésie et lui parla de Victor Hugo avec un enthousiasme qui l'étonna bien un peu, mais qui ne lui parut pas affecté ; il ne disait pas, du moins, y avoir surpris l'intention politique de donner le chang'e à l'hostilité naturellement existante entre l'auteur des Châtiments et la cour de Napoléon III. A sa prière, il entreprit galamment de réciter une pièce de vers qu'il aimait :
Madame, autour de vous tant de grâce étincelle...
et, comme la mémoire vint à lui manquer, il écrivit chez lui pour qu'on lui envoyât le volume des Feuilles d'automne. II remplissait ainsi sa huitaine.
En 1869, la velléité prit à Renan de se présenter aux élections législatives, qui eurent une influence décisive sur les destinées du pays, — l'empire ne s'étant lancé dans l'aventure de la guerre que pour se refaire une virginité, comme dit Hugo. — L'auteur populaire de la Vie de Jésus, ami des princes, comme Sainte-Beuve, se portait candidat indépendant en Seine-et-Marne. D'une gare à l'autre, —- celle de l'Est et celle du P.-L.-M., qui le menaient toutes deux à sa circonscription très étendue, — M. Renan, traversant Paris, faisait
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un large crochet pour passer par la rue Montparnasse. Il racontait ses tournées électorales à Saint-Beuve. " J'ai pour concurrent, disait-il, le candidat.officiel, M. de Jaucourt, secrétaire de M. de Persigny, avec qui nous nous retrouvons à dîner : c'est un aimable homme ; on peut s'entendre avec lui ; mais nous avons contre nous un irréductible intraitable, M. de Jouvencel, qui s'attire beaucoup de succès auprès des masses par des questions déconcertantes : il prétend, par exemple, que les vins fins, les grands vins, devraient être soumis à plus de droits d'entrée que les vins ordinaires... Je ne me suis jamais occupé de ces questions-là... »
Et, de fait, Renan, à table, se servait de n'importe quel vin : il ne distinguait pas ; il prenait la bouteille à côté de lui et se versait dans n'importe quel verre. Son goût exquis et son idéalisme élevé le mettaient au-dessus de ces subtilités de gourmet. Il ne s'était jamais occupé de l'impôt sur les vins, résolu aujourd'hui à Paris.
Avec la liberté de discussion dont on jouissait dans la maison de Sainte-Beuve, je me permis d'intervenir : " C'est une question à étudier, monsieur Renan, lui dis-je ; je vous en parle savamment en enfant du Midi, d'un pays de vignobles...
— Ce sont, en effet, des intérêts économiques qu'il faut connaître, reprit Sainte-Beuve, que le Sénat où il siégeait depuis quatre ans commençait à initier à ces travaux de législateurs : vous devriez les étudier...
— Je les étudierai », répondit doucement Renan, avec plus de politesse que de conviction.
L'entrée de Sainte-Beuve au Temps, en 1869, lui attira un violent orage dans sa propre maison. La cousine de l'empereur se fâcha. Le prince Napoléon, mieux avisé, se contenta de lui dire : " Si j'avais su, je vous aurais prié de venir à l'Opinion nationale. » La vérité est que le sénateur de la gauche de l'empire, comme il s'était qualifié lui-même dans son discours sur la liberté de l'enseignement, ne se
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sentait plus libre dans les journaux officiels ni officieux: M. Dalloz avait voulu lui faire supprimer, dans le Moniteur, une critique de goût bien innocente à l'adresse de l'évêque de Montpellier, qui avait traité d'étudiantes les jeunes filles qui suivaient les conférences de M. Paul Albert, nouvellement instituées par M. Duruy à la Sorbonne. Sainte-Beuve retira son article du Moniteur, qui venait de cesser d'être officiel, et l'envoya au Temps, où il ne comptait que des amis, Charles-Edmond, Scherer, Nefftzer, MM. Hébrard, Alfred Mézières... Il y resta et y termina sa carrière, la même année, par une brillante campagne sur Talleyrand et le général Jomini, qu'il n'aurait pas pu faire ailleurs avec la même liberté d'allures. Il mourut le 13 octobre 1869.
Il n'était pas, à proprement parler, l'homme d'un parti, et son absence de doctrinarisme lui avait créé dés ennemis de tous bords, même au sein de l'empire. Dans un dîner de journalistes, offert à l'hôtel du Rhin, qui avoisine la Colonne, par la petite-fille de Lucien, Mme Rattazzi, qui venait de contracter alliance avec l'Italie, M, Paul de Cassagnac, au nom de Sainte-Beuve prononcé près de lui, s'écriait avec toute la passion qu'il pouvait y mettre : " C'est un sceptique. » L'opposition libérale des salons, qui tenait aux anciennes doctrines, l'accusait d'être matérialiste... et même réaliste. Il n'était pas dévot, c'est-à-dire rattaché à un dogme quelconque qui servît de ralliement à la mode et à l'opinion. Il avait rompu avec les anciens partis et croyait servir l'ordre nouveau, auquel il avait adhéré, par une philosophie sans parti-pris étroit, émancipée de tout lien conventionnel et factice avec le passé. Il la voulait originale et nouvelle, conforme et appropriée au temps non seulement nouveau mais futur, et aux besoins intellectuels d'un peuple qui ne paraissait pas, dès lors, devoir faire jamais retour à l'ancien régime. Il brisait lui-même les vieux moules et en dégageait sa propre littérature.
La cuisine politique ne s'est jamais accommodée, en aucun
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temps, d'un programme idéaliste. Celle de l'empire y resta indifférente. « Après tout, ce n'est qu'un littérateur, » disait M. Rouher, avec qui il ne s'entendait pas ; et cela se comprend. Le ministre ne songeait qu'au présent et à l'éventuel : le sénateur de l'empire était préoccupé de questions sociales, ce qui fit écrire de lui par le prince, son ami : « C'était un socialiste d'État, un socialiste autoritaire. » Ce singulier bonapartiste, qui votait pour Cavaignac en 1848 et pour Jules Ferry en 1869, avait cru à une rénovation sociale par le coup d'État.
Il était trop sincère pour ne pas confesser, par la suite, qu'il s'était fait illusion. Il resta de la gauche de l'empire, compatible encore avec l'opinion libérale.
Le prince Napoléon me dit, après sa mort, en me frappant familièrement au défaut de l'épaule (ce qui était, de sa part, un geste d'abandon et de confiance) : « C'était un honnête homme ; » et c'est ce qu'on aurait pu faire entendre de plus simple et de plus vrai sur la tombe du grand critique, s'il n'avait interdit tout discours à ses funérailles.
JULES TROUBAT.
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LES ORIGINES. — LES PREMIÈRES ANNEES DE BOULOGNE
Sainte-Beuve a pourvu lui-même à ce que nous fussions exactement renseignés sur les faits essentiels de sa vie. Non par vanité, mais par ce désir de vérité qui fut un de ses mérites. D'ailleurs, il eût été piquant, ou pour mieux dire, injuste que l'écrivain de tant de biographies littéraires n'eût pas laissé pour la sienne propre les matériaux indispensables. Mécontent de « M. de Loménie, bienveillant, mais pas du tout exact, et de Vapereau, peu bienveillant, et pas même exact dans sa brièveté », Sainte-Beuve a par deux fois rédigé, en quelques pages sa notice biographique, d'abord dans la forme personnelle, puis comme s'il s'agissait d'un autre que lui. M. Troubat a publié ces deux textes dans le curieux volume de Souvenirs et indiscrétions : on y peut voir avec quelle netteté précise, dépourvue d'orgueil, mais aussi d'humilité, Sainte-Beuve expose ce que le public doit connaître de sa vie et de ses travaux ; ce sont même des modèles à recommander à certaines ce personnalités » qui consentent à écrire elles-mêmes l'article biographique que leur a demandé un faiseur de Dictionnaire d'hommes célèbres, et ne manquent pas à y exalter singulièrement leurs talents.
Pour l'objet qui nous occupe ici, à savoir les origines et les débuts de Sainte-Beuve dans la vie, ces notes sont très courtes :
Je suis né à Boulogne-sur-mer le 23 décembre 1804. Mon père était
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
de Moreuil, en Picardie, mais il était venu jeune à Boulogne, comme employé des aides avant la Révolution, et il s'y était fixé. Les annales boulonnaises ont tenu compte des services administratifs qu'il y rendit. Il y avait, en dernier lieu, organisé l'octroi et il était contrôleur principal des droits réunis lorsqu'il mourut. Il était marié à peine, quoique âgé de cinquante-deux ans. Mais il avait dû attendre pour épouser ma mère, qu'il aimait depuis longtemps et qui était sans fortune, d'avoir lui-même une position suffisante. Ma mère était de Boulogne même et s'appelait Augustine Coilliot, d'une vieille famille bourgeoise de la basse ville, bien connue. Elle était enceinte de moi et mariée depuis moins d'un an lorsque mon père mourut subitement d'une esquinancie. Ma mère sans fortune, et une soeur de mon père qui se réunit à elle, m'élevèrent. Je fis mes études à la pension de M. Blériot, à Boulogne même. J'avais terminé le cours entier des études, y compris ma rhétorique, à treize ans et demi. Mais je sentais bien tout ce qui me manquait et je décidai ma mère à m'envoyer à Paris, quoique ce fût un grand sacrifice pour elle, en raison de son peu de fortune.
Voilà l'essentiel. MM. Troubat, Morand, d'Haussonville, Michaut, pour ne citer que les principaux, ont enrichi ce canevas par la contribution de leurs travaux personnels, ils nous ont montré en M. Sainte-Beuve père le fonctionnaire lettré comme il y en avait, paraît-il, beaucoup jadis, transmettant à son fils, — qui a eu d'ailleurs occasion de le reconnaître, — ses goûts pour les choses de l'esprit; ils ont pénétré dans le modeste logis de la veuve et de la tante ; ils ont accompagné l'enfant à la pension Blériot, en prenant soin de noter que l'on avait eu le choix à Boulogne, pour son. éducation, entre cette maison, " toute laïque », et celle, « toute ecclésiastique », de M. Haffreingue, — sans que cependant son jeune cerveau soit resté fermé, loin de là, aux idées religieuses.
Tout cela a été fort bien dit par ces écrivains, et en dernier lieu, parfaitement coordonné par M. Michaut. Nous voudrions seulement insister sur quelques traits un peu laissés dans l'ombre, mettre au jour deux ou trois documents jusqu'ici négligés.
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Grav. impr. par GILLOT MAISON NATALE DE SAINTE-BEUVE, RUE DU POT-D'ÉTAIN, N° I 6, A BOULOGNE-SUR-MER.
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LES ORIGINES. — LES PREMIÈRES ANNÉES DE BOULOGNE 289
Le nom, d'abord, d'allure ecclésiastique, n'a encore retenu l'attention de personne. Certes, si la philologie et la psychologie n'ont rien à voir ensemble, c'est bien en matière de noms propres, à moins qu'il ne s'agisse d'un pseudonyme librement choisi, et ce n'est pas le cas. Il n'est pas indifférent, toutefois, de connaître la race d'un écrivain, et son nom peut y aider.
Beuve (ou Bove) était une abbesse de Reims qui vivait au septième siècle, et dont on fit une sainte, peu célèbre, avouons-le. Des fragments de ses reliques errèrent par la Gaule et se fixèrent au moins dans deux localités normandes, non loin de Neufchâtel, qui en ont gardé le vocable, donné d'abord à leur église. D'où la preuve d'une antiquité reculée, ayant son siège géographique en haute Normandie. Lorsque, par la suite, des individus, natifs de l'un ou de l'autre de ces deux villages, émigrèrent vers d'autres pays du voisinage, ils se firent désigner tout naturellement par leur nom d'origine; on les appela Jean de Sainte-Beuve, Louis de Sainte-Beuve, Marie de Sainte-Beuve, etc. Telle était la coutume, au moyen âge.
Cette question de la particule préoccupait beaucoup l'auteur de Port-Royal ; il ne voulut jamais l'annexer à son nom, de peur de passer pour noble; en quoi il se trompait, car la particule, historiquement, n'implique pas forcément la noblesse, mais dans beaucoup de cas le simple lieu de naissance ; plus tard, les familles nobles s'efforcèrent de faire disparaître ce de originel du nom de ceux qui n'avaient pas de fief à faire valoir, de parchemins à produire, mais elles n'y réussirent pas toujours ; il fallut la Révolution, nous le verrons tout à l'heure, pour tout niveler à tort et à travers en matière de particules nobiliaires.
Les derniers biographes de Sainte-Beuve n'ont pas connu un volume petit in-folio, publié en 1890 et dont voici le titre exact : " Etatcivil de la famille Sainte-Beuve-Daubigny, avec ses ascendants et descendants, sous forme de tableaux généalogiques, établi par Victor
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Picou, son petit-fils, avec le concours de H. Jourdain, G. Picou et plusieurs autres descendants. — Imprimé aux frais de la famille. » Ce volume, publié, nous le savons, sans nul souci de vanité héraldique et dû en grande partie aux soins de M. Gustave Picou, un honorable industriel de Saint-Denis, eût charmé Sainte-Beuve ; il y eût trouvé le tableau de ses aïeux, presque tous de condition modeste, étendant les branches de la famille, qui fut considérable, en Picardie et dans le nord-ouest de l'Ile-de-France, vers Belloy et Luzarches, où elle est encore très vivante; il y eût rencontré le nom du docteur de Sorbonne Jacques de Sainte-Beuve et n'aurait plus douté de sa parenté avec lui ; il se serait arrêté enfin sur la feuille dite de la famille de l'académicien, — la sienne, — et aurait revécu les récits de sa tante, souvenirs qu'il a traduits avec émotion dans une pièce connue des Consolations :
Elle m'y racontait souvent, pour me distraire, Son enfance elles jeux de mon père, son frère, Que je n'ai pas connu, car je naquis en deuil, Et mon berceau d'abord posé sur un cercueil. Elle me parlait donc et de mon père et d'elle ; Et ce qu'aimait surtout sa mémoire fidèle, C'était de me conter leurs destins entraînés Loin du bourg paternel où tous deux étaient nés : De mon antique aïeul, je savais le ménage, Le manoir, son aspect et tout le voisinage. La rivière coulait à cent pas près du seuil. Douze enfants (tous sont morts) entouraient le fauteuil El je disais les noms de chaque jeune fille, Du curé, du notaire, amis de la famille, Pieux hommes de bien, dont j'ai rêvé les traits.
Le bourg paternel, c'est Moreuil, dans la Somme, sur la petite rivière d'Avre, où cette branche de la famille était fixée au moins dès le seizième siècle, et où " l'aïeul antique », Jean-François de Sainte-
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Beuve, né en 1682, exerça la charge de lieutenant et receveur. JeanFrançois n'eut qu'un fils, également nommé Jean-François, qui fut contrôleur des actes à Moreuil. De son mariage avec Marie Donzelle naquirent neuf enfants (et non pas douze), dont Charles-François de Sainte-Beuve qui, en 1804, l'année de sa mort, épousa une Boulonnaise, Mlle Augustine Coilliot. Ce sont donc les prénoms de ses parents que reçut l'enfant posthume né de cette trop courte union, Charles-Augustin Sainte-Beuve ce l'académicien ».
Il est encore un livre peu connu, ou du moins peu cité par les Sainte-Beuviens (l'excellente bibliographie de M. Michaut ne le mentionne pas), c'est l'Année boulonnaise, d'Ernest Deseille, publiée en 1887. Journaliste local, archiviste de la ville, Deseille y a fait entrer, sous la forme d'éphémérides, tous les matériaux historiques qu'il avait réunis et qu'il a fort bien utilisés dans ce cadre étrange. C'est donc à la date du 23 décembre, jour de la naissance de Sainte-Beuve, qu'il a placé ce qu'il savait sur la vie et sur la bibliographie de l'écrivain. Il donne d'abord l'acte de naissance ; le voici, collationné par nous sur le registre de la mairie de Boulogne :
L'an treize de la République, et le trois nivôse, à une heure après midi, est comparue par devant nous Eustache-René Dujat, adjoint, faisant pour l'empêchement du maire les fonctions d'officier public de l'état civil de la ville de Boulogne-sur-Mer, département du Pas-de-Calais, la dame Adélaïde La Faille, femme Dubout, sage-femme jurée en cette ville, laquelle nous a présenté un enfant masculin né le jour d'hier, à onze heures du matin (1), et auquel elle a déclaré donner les prénoms de Charles-Augustin, lequel enfant est né de dame Augustine Coilliot, veuve du sieur Charles-François Sainte-Beuve, contrôleur principal
(1) Dans l'article qu'il a consacré à La maison de Sainte-Beuve (Bulletin de la Société historique du VIe arrondissement de Paris, 1898), M. J. Troubat rapporte (p. 127) que Mme Sainte-Beuve avait noté sur un de ses petits papiers que son fils était né à neuf heures, et non à onze, comme le déclara la sage-femme.
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des droits réunis de l'arrondissement, directeur de l'octroi rural et de l'octroi municipal de Boulogne.
Lesdites déclaration et présentation faites en présence du sieur Charles-Augustin-Marie Hibon Laffresnoye, demeurant en cette ville, âgé de cinquante ans, bel-oncle de l'enfant,
Et du sieur François-Xavier-André Wissocq, magistrat de Sûreté et ancien juge au tribunal d'appel de Douay, demeurant en cette ville, âgé de quarante-deux ans, cousin-germain de l'accouchée, à cause de Jeanne-Rose Latteignant, son épouse.
Et ont, les comparants et les témoins, signé le présent acte, après lecture faite.
ADÉLAÏDE LA FAILLE. WISSOCQ.
AUG. HIBON. DUJAT. WALLET.
Le nom de famille n'est pas accompagné de la particule ; mais le même scribe, moins de trois mois avant, l'avait fait figurer dans l'acte de décès du père.
Voici le texte complet de cet acte :
ce L'an treize de la République, le treize vendémiaire, par devant nous Eustache-René-Georges Dujat, adjoint de la mairie, officier de l'éta-civil de la commune de Boulogne, département du Pas-de-Calais, sont comparus les sieurs Charles-Augustin-Marie Hibon, négociant et François-André-Xavier Wissocq, magistrat de sûreté près le tribunal de première instance de cette ville, le premier beau-frère et le second issu de germain à cause de sa femme du cy-après décédé, lesquels nous ont déclaré que le sieur Charles-François de Sainte-Beuve, natif de Moreuil, département de la Somme, directeur de l'octroi de cette ville, y demeurant, âgé de cinquante-deux ans, époux de dame Augustine Coilliot, est décédé le jour d'hier sur les neuf heures et demi du soir, à son domicile, rue du Pot-d'Étain, section C.
Et les déclarants ont signé le présent acte après que lecture leur en a été faite.
AUG. HIBON. WISSOCQ. DUJAT-WALLET.
Tous ceux qui ont eu occasion de consulter des actes d'état civil
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où d'administration appartenant à cette période savent quelle hésitation l'on y constate : parfois, la particule s'y confond ridiculement avec le nom : Debilly, Demusset, etc. ; il est visible que l'on se demande s'il faut dire encore citoyen ou déjà monsieur, s'il faut dater de nivôse an XIII ou de décembre 1804 : la rigueur des prescriptions révolutionnaires paraît surannée, mais on ne s'en affranchit pas encore nettement, par peur ou par habitude.
Aux informations très précises fournies par Deseille sur le père de Sainte-Beuve, nous pouvons ajouter quelques menus faits glanés dans les archives municipales. Fils de fonctionnaire, mais dépourvu d'emploi à Moreuil (Deseille a eu le grand tort d'imprimer toujours Mareuil), il était venu à Boulogne, à l'âge de vingt-cinq ans environ, c'est-à-dire vers 1777, pour gagner sa vie dans l'administration des aides. La Révolution, en modifiant toutes les institutions administratives, lui fit perdre la moitié au moins de son traitement et le força à renoncer au mariage qu'il rêvait avec une demoiselle Louise David, circonstance à laquelle peut-être nous devons les Causeries du Lundi.
Il fut administrateur du département, — fonctions g'ratuites comme celles de nos conseillers généraux de province, — et l'on ne sait trop comment il vécut, jusqu'à ce qu'un arrêté de l'administration centrale du département, en date du 19 ventôse an VIII (20 mars 1800), ait nommé préposé en chef de l'octroi de Boulogne " le citoyen Sainte-Beuve, aux appointements de 1,500 fr. ». Deux inspecteurs lui étaient adjoints : l'un d'eux, au traitement de 900 francs, se nomme Martinet Coilliot, son futur beau-frère, sans doute.
II devint conseiller municipal, car il n'y avait pas incompatibilité. Le 3 floréal an XI (23 avril 1804), il soumettait au Conseil ses observations, qui furent ratifiées, sur la perception de l'octroi dans les parties réunies à Boulogne de Saint-Martin et Wimille. Il siégea encore le 1er messidor (20 juin), mais ce fut la dernière fois; son
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nom manque au procès-verbal de la séance suivante, le 20 thermidor (8 août). Il mourut d'une angine le 12 vendémiaire (4 octobre).' En cette année 1804, la maison familiale de la rue du Pot-d'Etain vit donc, comme le dit M. Michaut, un mariage, une mort, une naissance.
L'enfant attendu, qui allait y naître ce en deuil », ne passa que les cinq premières années de sa vie dans ce logis attristé, entre sa mère et sa tante, Marie-Thérèse de Sainte-Beuve, devenue veuve, elle aussi. En 1809, les deux femmes vinrent demeurer plus modestement rue des Vieillards, et c'est le temps aussi où l'élève SainteBeuve conquit ses premiers lauriers à l'institution Blériot.
Quand il fut devenu célèbre, la ville de Boulogne se souvint de lui. Les almanachs locaux enregistrèrent sa nomination à la Bibliothèque Mazarine (1840), son élection à l'Académie française (1844), son entrée au Sénat ; les journaux entretinrent ses compatriotes de sa dernière maladie, et lui firent une nécrologie émue. Lui-même avait fait quelques dons de livres à la bibliothèque de sa ville natale, et son buste s'y voyait depuis 1861. On fit campagne, dès 1871, pour qu'une rue de Boulogne portât son nom, mais on n'y arriva qu'en 1876. Il est vrai que ce fut un boulevard, ce digne pendant du boulevard Daunou ». Ces atermoiements n'en sont pas moins regrettables (1).
(1) Voici le texte de l'arrêté municipal, daté du 23 octobre 1876 :
« Vu la délibération du Conseil municipal, en date du 19 août 1876,...
Attendu que Sainte-Beuve est né le 23 décembre 1804, à Boulogne-sur-Mer, où il a fait ses premières études
Qu'il y a lieu de consacrer dans sa cité natale un souvenir officiel à la mémoire de l'illustre écrivain dont les oeuvres ont si puissamment contribué à mettre en honneur, dans le monde entier, les lettres françaises qui le comptent au premier rang parmi les maîtres les plus distingués, »
ARRÊTE :
ART. 1er. — La voie publique qui, sous le nom de rue de Boston, part de l'angle
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LES ORIGINES. — LES PREMIÈRES ANNÉES DE BOULOGNE 295
Enfin, quand la Ville de Paris eut décidé, en 1886, d'apposer une plaque commémorative sur la maison mortuaire de la rue du Montparnasse, Boulogne songea à la maison natale de la rue du Potd'Etain, et M. Cossonnet fit don d'une affreuse plaque de cuivre, assez semblable à celles qui indiquent la résidence d'un sapeur-pompier dans les bourgades, où on lisait, non sans peine :
CH.-AUG. SAINTE-BEUVE
EST NÉ DANS CETTE MAISON
LE 23 DÉCEMBRE 1804.
Le Comité du Centenaire a eu pour première pensée de substituer à cet aide-mémoire, où seule l'intention était louable, un monument plus dig'ne du nom qui y était inscrit. A cet égard, la belle oeuvre de M. Vernier donnera désormais toute satisfaction à la ville de Boulogne, justement fière d'un de ses plus glorieux enfants.
FERNAND BOURNON.
nord de la rue du Fort-en-Bois pour aboutir aux limites de la commune, au MoulinWibert, portera désormais la dénomination de boulevard Sainte-Beuve.
La rue de Boston prendra fin, dès lors, à l'angle opposé de ladite rue du Fort-enBois »
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SAINTE-BEUVE A L'AGE DE 9 ANS ET 9 MOIS DESSIN DE EUG. DE BONNIÈRES.
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LE PREMIER MAITRE DE SAINTE-BEUVE, LOUIS BLÉRIOT
( 18 13-18 1 8)
Je n'avais pas sept ans et n'avais connu jusqu'alors d'autre école que la classe enfantine de Mme Ferton dans la vieille rue de l'Oratoire. Ma pauvre mère était déjà frappée du mal qui devait nous l'enlever à la fin de l'année suivante, et pour assurer la tranquillité du logis mon père se décidait à me placer dans une institution qui venait de se transporter dans notre voisinage (1849).
Les préparatifs furent très brefs ; on alla chercher au grenier le vieux pupitre de famille, dans lequel on entassa, avec un coin de carpette pour servir de tapis, quelques livres défraîchis et ce qu'il fallait pour écrire. Et la bonne emporta le tout, pendant que, g'ravement, le père conduisait par la main son rejeton, quelque peu effrayé, pour le présenter à son nouveau maître.
Tous les détails de cette rencontre sont demeurés gravés dans ma mémoire. C'était au beau milieu de l'ancien Jeu de Paume, où s'ébattaient sur un gazon pelé les soixante et quelques gamins qui composaient l'école. Non loin du peuplier officiel, planté depuis six mois et qui achevait de mourir derrière sa barrière en bois peint, se promenait lourdement un grand vieillard, encore droit, tenant à la main une baguette de bois durci et suivi d'un loulou jaune et blanc.
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Le teint frais encore, mais les joues pendantes; le nez épais, des cheveux longs tout blancs, renvoyés en arrière ; de petits yeux gris, demi-clos derrière de lourdes lunettes de corne, le père Blériot, dit aussi Blériot oncle (un de ses neveux, Nicolas, tenait comme lui pension dans la ville), était le véritable type du vieux paysan baspicard. Une casquette à oreilles, une longue casaque en drap beige, complétaient son signalement, et lorsqu'on voyait au loin dans l'herbe du Jeu de Paume, au milieu des écoliers s'agitant en manches de chemise, le vieillard ainsi façonné, suivi de son fidèle Azor, on ne pouvait s'empêcher de penser à quelque berger archaïque paissant son remuant troupeau.
Vingt ans plus tôt, Auguste Mariette, le célèbre égyptologue, avait connu la même figure originale et plutôt sympathique, alors qu'il faisait, lui aussi, ses premiers débuts scolaires. Et le père Blériot avait eu l'insigne honneur de compter parmi ses élèves, de 1813 à 1818, Charles-Augustin Sainte-Beuve, l'illustre écrivain dont nous célébrons aujourd'hui le centenaire.
Louis Blériot avait exactement quatre-vingts ans, quand je lui fus ainsi présenté. Il était né, en effet, à Maurepas (Somme) le 25 mai 1769 (1). Orphelin de très bonne heure, éduqué par son curé, il avait pris l'habit de la doctrine chrétienne et il faisait déjà la classe quand la Révolution vint le rejeter dans la vie civile. Il fit comme tant d'autres, il se maria (24 octobre 1791) (2) et ouvrit à son compte une petite école qui figure sur la liste des établissements déclarés au conseil municipal le 17 février 1798.
L'école, transformée sans bruit, devenait une sorte de collège secondaire établi dans l'ancien hôtel des ducs d'Aumont, et où plu(1)
plu(1) était fils de Pierre-Louis, décédé à Maurepas le 29 septembre 1773, et de Marie-Catherine Dassonville.
(2) Son épouse avait nom : Suzanne Sauvage,
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LE PREMIER MAITRE DE SAINTE-BEUVE, LOUIS BLÉRIOT 299
sieurs adjoints, parmi lesquels un ancien oratorien, Edouard Luglien Clouet, de Montdidier, ce fort bon maître et humaniste », au dire de Sainte-Beuve, et un jeune sous-maître, Joseph Le Roy, donnaient un concours actif à l'entreprenant pédagogue.
C'est dans cet hôtel historique, qui avait vu passer jadis Louis XIV et Jacques II, Mazarin et Turenne, que Charles-Augustin SainteBeuve a fait, en qualité d'externe libre, ses premières humanités.
Il s'y trouvait avec François Gorré, qui fut un chirurgien habile et figure sur la liste des correspondants de l'Académie de Médecine ; avec Liévin Laîné, arrière-neveu de l'abbé Prévost, devenu officier du génie et plus tard directeur à l'Intérieur; avec Eudel, le père du critique d'art; avec Adam, auquel est adressée la plus ancienne des lettres qui forment le recueil de sa Correspondance. Mais le plus cher de ses condisciples de l'institution Blériot fut toujours Eustache Barbe, le prêtre philosophe, dont j'ai contemplé si souvent, avec une sorte de terreur, la silhouette redoutée sur les vieux remparts de Boulogne où il promenait de long en large sa misanthropie agitée, " Une grande intimité, dit Sainte-Beuve dans ses Notes et Remarques imprimées en tête de la table des Causeries du Lundi, une grande intimité s'était établie entre ce jeune homme et moi, et même après qu'il fut entré dans l'institution Haffreingue, nous allions d'ordinaire faire ensemble de longues promenades les après-midis des jeudis, dans les allées des environs ou le long des rivages et des grèves. » Sainte-Beuve a évoqué le souvenir de ces heureux moments dans les Pensées d'Août (p. 245), et c'est à Barbe que sont adressées ces lettres, qui nous font pénétrer dans l'intimité de ses sentiments aux premiers temps de son séjour dans la capitale.
Sainte-Beuve est resté cinq années dans l'institution Blériot. Agé de moins de neuf ans, il terminait sa cinquième (1813) en remportant tous les prix de la classe, et nous savons par un contemporain, Furne de la Fresnoye, que le sous-préfet de Boulogne, Castéja, l'in-
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vita à un banquet avec quatre de ses camarades qui s'étaient, comme lui, distingués par leurs succès. L'institution était au mieux, comme on le voit, avec les autorités impériales!
Quatre ans encore, le nom de Sainte-Beuve remplit les palmarès, et Morand, le futur biographe de sa jeunesse, avait gardé une impression profonde du triomphe qui couronna sa dernière année d'études à Boulogne.
Sainte-Beuve achevait sa rhétorique à treize ans et demi ! Mais il sentait combien l'instruction qu'il avait acquise chez Blériot était imparfaite. Et il conjura sa mère de lui fournir les moyens de la compléter à Paris; élève de l'institution Landry, externe à Charlemagne, il recommençait sa troisième en 1818 et réparait bien vite les insuffisances de l'enseignement de la ville natale.
Je me figure aisément ce que devraient être, pour une certaine part au moins, les cours de l'ancienne institution Blériot, en rappelant mes souvenirs d'enfant de 1849 à 1852.
Tel était alors le milieu, tel il avait dû être aux temps de Mariette et de Sainte-Beuve. Le vieux maître était immuable dans ses pratiques comme dans son costume et son école était vraiment demeurée une école de l'ancien régime!
Sans aucune brutalité, il était partisan de la correction corporelle, et le fameux bâton au bout brûlé, dont il ne se séparait jamais, jouait parfois son rôle dans les questions de discipline intérieure. Il avait aussi des pratiques aujourd'hui tout à fait oubliées, pour entretenir l'émulation entre les travailleurs : le résultat des compositions, par exemple, était matériellement exprimé par la place occupée par l'enfant ; comme chacun avait son pupitre mobile sur la table commune, on se déplaçait à chaque épreuve et le sujet examiné, suivant qu'il avait gagné ou perdu, s'approchait ou s'éloignait du premier rang. Aussi fallait-il voir l'ardeur avec laquelle chacun se ruait vers la première table et la place d'honneur! Autre
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habitude non moins archaïque : on récitait, en choeur, on chantait même des vers d'allure vieillotte qui me sont restés en mémoire et où j'ai retrouvé bien plus tard les fameux quatrains de Pibrac.
Sans être dévot, Blériot n'aurait jamais manqué de conduire ses enfants à la messe du dimanche ; les grands suivaient le catéchisme à l'égiise Saint-Nicolas et le doux abbé Leuilleux, mort archevêque de Çhambéry, venait de temps en temps Aisiter les petits.
En classe, on récitait, on lisait, on dictait, on allait au tableau : récitation, lecture, écriture, calcul élémentaire étaient à peu près suffisants, mais la littérature était tout à fait nulle et quant à l'histoire, elle remontait au règne de Pharamond dont l'authentique portrait ornait notre livre de classe. Pas la moindre géométrie, pas de physique non plus, ni de chimie, ni de sciences naturelles; pas une figure se rapportant à l'une ou a l'autre de ces sciences ! Les seules planches murales étaient de mauvaises cartes jaunies et illisibles, dont jamais je n'ai vu personne se servir. Il est vrai que nous savions réciter, à perdre haleine, des enfilades de noms de pays ou de fleuves, et qu'un jour de Saint-Louis, quand un bruyant voisin eut, du haut de son mur, tiré une salve en l'honneur du veux maître, cinq d'entre nous montèrent sur un tréteau tout orné de feuillages et de fleurs et débitèrent je ne sais quelle berquinade, où chacune des parties du monde vantait tour à tour sa nature et ses produits. Par une sorte de prédestination, celui qui évoque ces souvenirs tenait le rôle de l'Amérique.
Les leçons de choses, comme nous disons aujourd'hui, étaient complètement absentes, et c'est par accident qu'un jour d'éclipsé (c'était en 1851), en noircissant des verres pour regarder le phénomène qui allait se passer au ciel, un brave sous-maître, devenu depuis lors professeur au lycée de Saint-Omer, nous donna des explications que je n'ai jamais oubliées! Telle était, s'il m'en souvient bien, la vie scolaire à la pension Blériot, il y a un peu plus d'un demi-siècle,
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telle elle avait été sans aucun doute aux temps plus éloignés des Mariette et des Sainte-Beuve, avec un peu d'histoire et de littérature et beaucoup de latin en plus, car du grec il n'en fallait rien dire. Sainte-Beuve dut l'apprendre plus tard.
L'institution, ainsi organisée, s'est soutenue jusqu'à la loi de l'enseignement secondaire de la Restauration. Puis elle a dû fermer ses portes et le vieil hôtel d'Aumont, acquis et défiguré par les dames Ursulines, est devenu la grande bâtisse sans caractère, que l'on voit aujourd'hui à l'entrée de la Haute-Ville, du côté de Bréquerecque.
Devenu veuf en 1818 (27 jamier), Blériot s'était remarié trois ans plus tard (24 octobre 1821) à Marie-Françoise-Alexandrine Fasquelle, excellente personne dont j'ai gardé un reconnaissant souvenir et qui choyait maternellement les petits demi-pensionnaires dont elle avait le soin particulier. La bonne femme a survécu de longues années à son vieil époux, décédé le 10 avril 1853, à l'âge de quatre-vingt-trois ans.
Cédée à un instituteur de Marquise, l'école de la rue Belleterre existait encore dans ces derniers temps telle que l'a fréquentée trois ans l'auteur de cette modeste notice.
E.-T. HAMY,
de l'Institut.
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PREMIÈRES AMOURS DE SAINTE-BEUVE
AU PAYS NATAL
En 1879, paraissait en librairie un livre curieux, signé A.-J. Pons, et intitulé SAINTE-BEUVE ET SES INCONNUES, ne traitant que des affaires de coeur du célèbre critique.
Fort jeune encore, alors qu'il n'avait pas quitté sa ville natale, on le représente doué d'une complexion amoureuse et, quoique sa figure n'eût rien d'un Adonis, Sainte-Beuve savait plaire. Avec un fin sourire, des prévenances délicates, des compliments bien tournés, il avait le talent de s'insinuer auprès des petites camarades, de les attirer à lui et de se les attacher. On peut donner des exemples de cette séduction naturelle qui ne lui fit jamais défaut et l'amena plus tard à de certaines bonnes fortunes dont on ne l'aurait jamais cru capable en env sageant l'homme au point de vue physique.
Ce n'est pas là, du reste, une révélation, car Sainte-Beuve ne s'en cacha pas et, à maintes reprises, soit en vers, soit en prose, dans la Vie de Joseph Delorme, dans Volupté et autres parties de ses oeuvres, il rappelle lui-même, en termes touchants, — le plus souvent à l'aide de personnages fictifs, mais transparents, — son état d'âme, ses tendances vers le sexe, ainsi que les sensations qu'engendraient en lui ces situations à la fois charmantes et pénibles.
Nous allons en indiquer quelques phases qui se rattachent à la
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prime jeunesse de notre compatriote et à son séjour dans Boulogne ou aux environs. En soulignant tour à tour quelques emprunts faits a ses ombrages, nous fortifierons par nos observations personnelles les souvenirs qu'il a laissé échapper à ce sujet, soit en langue vulgaire, soit dans celle des Dieux, et nous pourrons ainsi étudier ces cas pathologiques.
Il faut reconnaître que la chose ne sera pas toujours facile, puisque l'auteur, tout en y revenant plusieurs fois, n'a fait que des allusions incomplètes et qu'en une autre circonstance il dénature à plaisir. Il s'agit de se débrouiller dans ce dédale et ne prendre que le fond solide en élaguant tous les accessoires qui ne pourraient que dérouter.
Pour ce faire, nous devrons employer quelquefois des initiales fantaisistes pour désigner les personnes et les localités— Sainte-Beuve ne s'est servi que de noms supposés, — nous réservant de ne grouper qu'à la fin l'ensemble des probabilités et en faire de quasi-exactitudes.
On sait que le futur académicien quitta Boulogne en 1818, n'ayant que quatorze ans, après avoir achevé sa rhétorique. Il partait pour Paris et passait les cinq années suivantes à Charlemagne et au collège Bourbon; mais il rentrait au pays, en famille, au moment des vacances. C'est pendant ces périodes de repos intellectuel, laissant toute liberté à l'exaltation des sentiments intimes, devenus plus intenses à l'approche de la puberté, que s'échafaudèrent ses premiers romans amoureux.
De jolis yeux, un frais minois, un grain de coquetterie naturel aux filles d'Ève, et le coeur de notre collégien était pris, la tête se montait et il voquait en plein dans les régions éthérées. Ame de poète, il attachait la plus ultime importance à des riens charmants émanant du sexe. C'était l'âge heureux de la jeunesse, rempli d'illusions, passant sans transition des joies les plus vives à un abatte-
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PREMIÈRES AMOURS DE SAINTE-BEUVE AU PAYS NATAL 305
ment profond, à une tristesse sans objet pour la moindre contrariété ou la plus légère déception.
Ce qui devait arriver arriva au jeune Sainte-Beuve sans expérience de la vie. Etant en Aillégiature aux environs de Boulog'ne, à W..., dans le château du comte de X,.. (il n'est pas nommé) et, avec la disposition d'esprit que nous venons de décrire, il faisait des courses dans la campagne avoisinante, en quête d'aventures.
Il fit ainsi la connaissance du marquis de Couaën (déguisement breton en plein Boulonnais), qu'il présente comme un homme distingué, instruit, possédant une riche bibliothèque et dans le mouvement politique. Dans la vie de ce dépaysé, il signale certains épisodes de l'émigration, des réunions de conjurés, des complots avec les gentilshommes de la contrée. Avec le temps, Sainte-Beuve fit une cour discrète à la jeune femme du marquis et devint un familier de la maison. Nous ne nous arrêterons pas aux péripéties de cette liaison platonique, mais nous mentionnerons en passant, à titre de repères, un moulin à eau à proximité et plus loin la chapelle de Saint-Pierre-de-Mer, où l'on se rendait en pèlerinage.
Pourtant, de préférence, l'amoureux boulonnais portait ses pas vers le domaine de la Gastine, où l'attirait une charmante fille, Amélie de Linier, quinze ans, demeurant avec ses grands-parents du nom de Greneuc (encore un pseudo-Breton), ainsi qu'une enfant, Madeleine de Guémio, leur petite-nièce. Admis dans ce manoir, une croissante familiarité s'établit entre les jeunes gens : échange de tendresses, doux aveux, promesses d'être l'un à l'autre, rien ne manque à cette idylle... jusqu'au moment où Amélie, en vue d'un mariage, fut éloignée par les parents qui ne s'étaient aperçus de rien (1).
(1) Lire la pièce qui se trouve en tête des poésies de Joseph Delorme, sous le titre :
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Il ne s'agissait pas d'un simple flirt, toujours de mode, mais de sentiments vrais également partag'és, d'un entraînement qui n'avait rien de commandé. Cependant, après avoir juré une fois de plus un souvenir éternel, Sainte-Beuve se trouva inconsciemment lancé vers d'autres amours.
Ainsi, il dit, à propos de Dante, dans la pièce XVIII du livre des Consolations, dédiée à Antony Deschamps :
Que n'ai-je eu, comme lui, mes amours, à neuf ans ? Mais quoi! n'en eus-je pas ? n'eus-je pas ma Camille, Douce blonde au front pur, paisible jeune fille Qu'au jardin je suivais, la dévorant des yeux? N'eus-je pas Natalie, au parler sérieux, Qui remplaça Camille, et plus d'une autre encore ; Fleurs qu'un matin d'avril en moi faisait éclore; Blancs nuages dont l'aube entoure son réveil; Figures que l'enfant trace à terre, au soleil!
L'attachement fut plus profond encore pour une de ses cousines, Mlle C..., à Boulogne. Voici ce qu'il écrivait à son égard, dans la pièce XXV du même ouvrage dédiée à Mademoiselle...en faisant allusion à notre ville.
demain je repars.
J'admire d'un coup d'oeil le fleuve, les remparts, La haute cathédrale et sa flèche élancée; Mais rien ne me tient tant ici que la pensée De ma jeune cousine, hélas! et de savoir Que je suis si près d'elle et de n'oser la voir.
Et sans savoir vraiment, tout rêvant de la sorte, Je me trouvais déjà dans ta rue, à ta porte ;
Premier amour, qui peint si fidèlement ces sentiments naissants, leur développement et la séparation des deux amants.
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PREMIÈRES AMOURS DE SAINTE-BEUVE AU PAYS NATAL 307
Et je monte. Ta mère en entrant me reçoit,
Je me nomme; on s'embrasse avec pleurs, on s'assoit,
Et de ton père alors, de tes frères que j'aime
Nous parlons, mais de toi je n'osais; quand toi-même
Brusquement tu parus, ne me sachant pas là.
. . . Demain il faut partir ;
Mais quand je reviendrai (peut-être dans l'année), Quand l'oeil humide, émue et de pudeur ornée, Un souffle harmonieux gémira dans ta voix El que nous causerons longuement d'autrefois, Oh ! que meilleur alors, lavé de mes souillures, Je rouvre un peu mon âme à des voluptés pures, Et que je puisse au moins toucher, sans les ternir, Ces jours frais et vermeils où luit ton souvenir.
(Cette pièce, comme la précédente, est datée du mois d'octobre 1839. Sainte-Beuve n'avait pas encore vingt-cinq ans.)
Il revint en effet ; mais une fois ce fut pour apprendre les fiançailles de sa parente, avant qu'il eût osé se prononcer. Il conserva de cette attache un souvenir douloureux et il répondait, le 22 août 1841, à un compatriote qui se plaignait de ne pas le voir souvent dans sa Aille natale :
" J'en suis tout à fait (de Boulog'ne) par les impressions pre" mières, par les racines secrètes, par le coeur. Ce qu'on tait n'est ce pas toujours ce qu'on sent le moins. Il y a telle rue dans le monde " par laquelle je ne passerai jamais et elle ne m'est pas la moins ce chère. »
Ce sont là quelques-unes des INCONNUES DE SAINTE-BEUVE, pour la période du jeune âge. Nous n'en chercherons pas d'autres.
Dans ce qui précède, le fond est exact et on ne saurait dénier que les détails en sont logiques. Le contraire démentirait ce que les écrivains les plus accrédités ont avancé sur la vie intime de Sainte-Beuve. Voyons maintenant où se passe l'action de ces petites comédies sentimentales; quels en sont les acteurs et les comparses.
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308 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
A Boulogne, l'être aimé est la cousine, Mlle C... (lisez Coilliot), d'une lignée honorable et nombreuse, d'origine bourgeoise, apparentée à la mère de Sainte-Beuve. Elle demeurait rue des Vieillards, non loin de l'habitation de cette dernière.
D'autre part, il existe à quelques lieues de la même Aille un charmant village autrefois entouré de forêts, d'où son nom de Wierre-au-Bois (canton de Samer) et un hameau, La Wattine, qui en dépend, le tout occupé par de nombreux manoirs et métairies. Près de là, la rivière de Liane, et plus loin une chapelle de marins à Equihen.
Dans ces campag'nes vivaient les descendants d'une famille noble de la vieille roche, les du Wicquet, et dont un membre, ami du père de Sainte-Beuve, s'était trouvé inculpé, dans le procès de Cadoudal, pour lui avoir donné asile ainsi qu'à plusieurs de ses compagnons. — Auprès d'eux, un savant bibliophile avait planté sa tente; il se nommait Degars, ayant pris part ici à la politique modérée du début de la Révolution. Un de Rodelinghen en a tracé un portrait avantageux. — Comme compagnie de bon voisinage, les de Guémy et les de Lignières étaient bien connus dans la région.
Le lecteur n'a plus qu'à effectuer les rapprochements.
L'étude des petits côtés des grands hommes ne nuit-elle pas à leur gloire, à leur célébrité? En regard de certaines facultés absorbantes dont la nature les a dotés et que le travail n'a pu que développer, ils sont pétris de la même pâte que le reste des humains et sujets à toutes leurs faiblesses. Souvent leurs défauts sont la résultante de leurs qualités.
Sainte-Beuve ne fait pas exception à la règle !
ALPHONSE LEFEBVRE,
(de Boulogne-sur-Mer).
30 novembre 1804.
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SAINTE-BEUVE ET ONDINE DESBORDES-VALMORE(1)
Voici le plus aimable chapitre de l'histoire sentimentale de SainteBeuve. Celui-ci n'en a jamais rien dit. Il faut tout deviner à travers ses lettres et à travers celles de Marceline Desbordes-Valmore : des unes et des autres on lira ici quelques fragments. Si l'on est curieux de mieux connaître ce petit roman, l'on pourra se reporter aux textes mêmes. Peut-être fera-t-on des conjectures différentes des nôtres. On imaginera d'autres accents; on percevra d'autres nuances. Le jeu est captivant; chacun peut le jouer à sa façon. Il est si difficile — sur quelques données incertaines — de s'orienter parmi les regrets, les velléités, les exigences, les nostalgies d'un quadragénaire qui a de l'ambition, de la tendresse et le goût du libertinage! Et il y a tant d'arrière-pians dans l'existence d'un célibataire comme Sainte-Beuve !
Depuis 1837 tout était fini entre Sainte-Beuve et Mme Victor Hugo, " L'amour est ajourné, écrivait-il à Marinier, le reprendrai-je
(1) Causeries du Lundi (t. XIV); Nouveaux Lundis (t. XII); Portraits Contemporains (t. II). — Correspondance de Sainte-Beuve. — Correspondance inédite de SainteBeuve avec M. et Mme Juste Olivier. — Correspondance intime de Mme DesbordesValmore. — Spoelberch de Lovenjoul : Sainte-Beuve inconnu. — Jules Lemaître : les Contemporains (t, III). — Pons : Sainte-Beuve et ses inconnues. — Séché : Sainte-Beuve (t. II). — Arthur Pougin : La jeunesse de Madame Desbordes-Valmore.
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310 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
jamais? Ai-je passé le temps d'aimer? Attendons, oublions surtout, oublions ce que nous avons cru éternel. »
L'étude l'eut bientôt sauvé. Le commerce des solitaires de PortRoyal, le climat salubre et pacifiant de Lausanne, la conversation des pasteurs vaudois et l'amitié des Juste Olivier achevèrent de guérir sa blessure. Il oublia si bien qu'après cette cure d'air et de jansénisme, il fut, dès son retour à Paris, assailli de pensées nouvelles et imprévues. Il les confiait à ses amis de Lausanne : ce Je vous avoue, leur écrivait-il, que l'avenir commence à m'inquiéter ; car les désirs se font plus vastes en des coeurs vieillissants quand ils n'ont pas été apaisés à temps, ni réglés jamais. » L'idée de se donner à la politique lui avait donc traversé la cervelle. A d'autres instants, il se rejetait " au roman, à cette vie privée » pour laquelle il avait tant de penchant. Il essayait en idée toutes les perspectives et se sentait plus désorienté que jamais. Il prévoyait que ses amis, dont il savait par expérience le prosélytisme chrétien, allaient lui répondre à mi-voix : Alle stelle ! ce Mais non, répliquait-il, avant tout, la terre où me poser, l'ombre où m'asseoir, la source et l'oubli, s'il se peut; les étoiles, si elles sont durables et vraies, me luiront alors. Vous prendrez idée de tout ce que j'agite d'extrême en ma détresse, quand je vous dirai que le mariage! lui-même s'est présenté à mon esprit avec ses chances et n'a pas été tout d'abord anéanti et que je me suis demandé s'il n'y avait pas de ce côté un port, un gazon où l'on échoue... » Et il ajoutait : " Voilà les rêves que je refais à certaines minutes, comme il y a quinze ans, oubliant ces années Avenues, l'âme ternie, l'ennui facile et la dérision de la vie » (19 janvier 1839).
Là-dessus, il s'en alla visiter l'Italie. Mais ses rêves ne l'abandonnèrent pas en route. En descendant de Tivoli et en parcourant la villa d'Adrien, il song'eait tristement
Aux ans qui resteront et sans un bras au mien.
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SAINTE-BEUVE ET ONDINE DESBORDES-VALMORE 311
Les rêves devinrent plus obsédants et plus précis lorsque, revenant en France, il traversa Marseille. Ce soir-là il avait été promener en barque. Au moment du crépuscule un bateau sortit portant une musique à son bord; les feux du rivage illuminaient le port et la lune se levait.
Cette musique, ainsi encadrée et bercée par les flots, nous allait au coeur : " Oh! rien n'y manque, m'écriai-je, en montrant le ciel et l'astre si doux. — Oh! non, rien n'y manque, » répéta après moi la plus jeune, la plus douce, la plus timide voix de quinze ans, celle que je n'ai entendue que ce soir-là, que je n'entendrai peut-être jamais plus. Je crus sentir une intention dans cette voix de jeune fille; je crus, Dieu me pardonne, qu'une pensée d'elle venait droit au coeur du poëte, et je répétai encore, en effleurant cette fois son doux oeil bleu : Non! rien. — Et semblables à ces échos de nos coeurs, les sons déjà lointains de la musique moururent sur les flots.
Quand un homme de trente-six ans en est là, il a Aite fait de s'éprendre. Rentré à Paris, Sainte-Beuve tomba donc amoureux de Mlle Pelletier, fille d'un général chez qui fréquentaient alors les libéraux. Il fit le sacrifice de son indépendance et de ses habitudes de bohème; il quitta les deux pampres chambres d'étudiant qu'il habitait dans la cour du Commerce. Joseph Delorme devint fonctionnaire, et Victor Cousin le fit nommer conservateur de la bibliothèque Mazarine. Alors il se déclara. On reconduisit avec grâce, mais sans retour. Il fut très malheureux et erra ce trois jours durant, comme un chien, sous le soleil. »
Des poésies que lui avait inspirées Mlle Pelletier, il fit un recueil et l'intitula : Dernier rêve.
Ce ne fut point le dernier.
Sainte-Beuve montra toujours une sincère et généreuse affection pour Marceline Desbordes-Valmore. Il fut l'annonciateur de sa
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renommée. Il composa une préface pour le recueil de ses poésies choisies, il écrivit de nombreux articles sur ses oeuvres, de son vivant et après sa mort. Il a été le premier éditeur de sa correspondance. Il admirait son lyrisme passionné, naïf et déchirant. Il admirait peut-être encore davantage l'infinie bonté de cette créature de douleur et de dévouement qui traînait son destin, ce avec sa pauvre couvée, une aile brisée et chantant toujours. » Aux heures de détresse on trouve, auprès de Marceline, cet ami ce affectueux et serviable. » Vraiment il fait figure de brave homme quand on le voit au travers des billets d'enthousiasme et de gratitude qu'elle lui adressait à tout propos. Marceline, dans son délire de charité, vénérait et bénissait souvent à tort et à travers : elle appelait M. Auber, un ce grand missionnaire de Dieu. » Mais elle n'a pas exagéré la reconnaissance qu'elle devait à Sainte-Beuve : nous en tenons la preuve dans les articles du critique et dans les lettres de l'ami.
Mme Desbordes-Valmore avait un fils et deux filles. La cadette, Inès, s'éteignit d'une maladie de langueur dans sa vingt-et-unième année. L'aînée s'appelait Hyacinthe; mais elle conserva toujours son surnom d'enfant, Ondine. Née en 1821, elle était de dix-sept ans plus jeune que Sainte-Beuve.
Ondine avait partagé les privations, les transes, les déceptions, toute la " vie haletante » de ses parents; enfant, elle avait été témoin des angoisses de sa mère aux prises avec la misère et des déboires de son père, pauvre comédien malchanceux. Ces trop rudes épreuves avaient développé chez elle le germe du mal qui la tua à trente ans; peut-être aussi avaient-elles donné à sa jeune âme endolorie cette réserve silencieuse qui devait consterner et désespérer le coeur maternel de Marceline.
Il faut laisser Sainte-Beuve lui-même dessiner le portrait de la jeune fille : ce Cette charmante Ondine avait des points de ressemblance et de contraste avec sa mère. Petite de taille, d'un visage
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MÉDAILLON DE SAINTE-BEUVE A L'AGE DE 24 ANS PAR DAVID D'ANGERS.
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SAINTE-BEUVE ET ONDINE DESBORDES-VALMORE 313
régulier avec de beaux yeux bleus, elle avait quelque chose d'angélique et de puritain, un caractère sérieux et ferme, une sensibilité pure et élevée. A la différence de sa mère qui se prodiguait à tous, et dont toutes les heures étaient envahies, elle sentait le besoin de se recueillir et de se réserver ; ces réserves d'une si jeune sagesse donnaient même parfois un souci et une alarme de tendresse à sa mère qui n'était pas accoutumée à séparer l'affection de l'épanchement. Elle se disait quelquefois, à propos d'Ondine et pendant l'ennui qu'elle éprouvait de ses absences, ennui qui devenait par moments un cauchemar dans les insomnies : ce Quoi ! cet amour-là fait le même mal que l'autre ! »
Les lettres de Mme Desbordes-Valmore éclairent d'une façon pathétique le contraste indiqué par Sainte-Beuve. L'amour maternel s'y déchaîne avec des accents admirables : il adore, tremble, prie, pleure et crie. On ne possède point les réponses d'Ondine. Mais à la violence même de l'assaut on soupçonne qu'une résistance arrêtait ces élans éperdus... D'ailleurs, il suffit de lire ces lignes brûlantes écrites par la mère, un jour que son enfant avait montré un peu plus d'effusion que de coutume : « Dans une vie aussi haletante que. la nôtre, où prendre le temps d'un récit, d'une confidence? Tout s'y jette par larmes, par sanglots, par une étreinte passionnée qui n'a rien dit, mais qui a empêché de mourir. AVEC TOI SURTOUT J'AI VECU DE SILENCES FORCÉS. Je croyais les devoir à ton repos, à ta santé. J'ai fait ce que j'ai pu pour tourner toujours du côté du soleil, la nuit même, en t'appuyant à mon coeur, il te chantait : ce Cachonsnous! cachons-nous pour avoir bien chaud! »
Ondine tenait de sa mère le don de la poésie. On a retrouvé quelques-uns de ces essais ; ils nous touchent par leur grâce naturelle et leur juvénile fraîcheur. C'est la voix de Marceline, mais sans ces résonnances profondes, sans ces intonations brusques qui bouleversent et déchirent. Sainte-Beuve aimait à citer ces très beaux vers
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tirés d'une pièce qu'Ondine avait composée sur le Jour des morts :
Ah! qu'importent les noms! ah! qu'importent les sphères! Amis de nos amis, nous demeurons vos frères.
Dites, recueillez-vous l'hommage de nos larmes?
Ces pleurs versés pour vous ont-ils pour vous des charmes?
Dans le céleste asile où sont tous les amours,
Vous qui ne pleurez plus, nous aimez-vous toujours?
Dans une poésie qu'elle envoyait ce à maman » elle célébrait le vingtième anniversaire de sa naissance, elle disait son émerveillement ingénu en face de la vie avec des abandons et des élans qui firent sans doute palpiter de joie et de fierté le coeur de Mrae Desbordes-Valmore- :
Ne crains pas, j'ai vingt ans, tout s'éveille en mon âme. Je n'ai pas peur de vivre et ne recule pas. Dans mon coeur qui bat vite entre une sainte flamme. Une roule sans fin s'ouvre devant mes pas.
Va! je vivrai toujours! je me sens immortelle! Et c'est pourquoi je marche en relevant mon front. Va ! Je vivrai toujours! et la flamme éternelle Nes'obscurcira pas sous un terrestre affront.
J'ai vingt ans! à vos pieds je me mets tout entière, Dieu, père de ma mère, et qui l'aimez en moi! J'ai vingt ans! sur ton sein presse-moi la première, Mère ! Mon âme est tienne et s'en retourne à toi.
Je m'arrête charmée. Oh! que la vie est belle!
Que Dieu qui fait tout vivre est grand devant mes yeux!
Que je l'aime partout! Que le bonheur fidèle
Règne bien avec lui dans l'infini des cieux!
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SAINTE-BEUVE ET ONDINE DESBORDES-VALMORE 315
Ne vous cachez donc plus, ma craintive pensée; N'enfermez plus l'essor d'un vouloir frémissant ; Mesurant votre course à ma force oppressée, Ne craignez plus au loin de devancer l'enfant.
Sainte-Beuve se laissa prendre au charme. Le nom d'Ondine revient souvent dans ses lettres et souvent aussi le nom de SainteBeuve revient dans les lettres de Mme Desbordes-Valmore à Ondine. Dès 1837, traversant le Jura pour se rendre à Lausanne, SainteBeuve compose un sonnet et l'envoie à Mme Desbordes-Valmore ce comme une pauvre petite fleur à offrir de loin à Mlle Ondine. » Les années passent; la fillette a grandi : c'est Sainte-Beuve qui lit et corrige ses premiers vers. Est-ce simplement par amitié pour Mme Desbordes-Valmore? Non, lui-même s'intéresse à l'éveil de ce jeune talent. A la fin de la préface qu'il écrit pour le recueil des poésies de Marceline, en 1842, il glisse une allusion délicate aux vers d'Ondine : « Déjà même du bord de ce doux nid, gloire et douceur maternelle ! une jeune voix bien sonore lui répond. Je voudrais dire, mais je ne me crois pas le droit d'en indiquer davantage. Je rappellerai seulement, en l'altérant un peu, la jolie épigramme antique : ce La vierge Erinne était assise, et tout en « remuant le fil de soie de la broderie légère, elle distillait avec ce murmure quelques gouttes de miel de l'abeille d'Hybla. » Et dans les papiers de Sainte-Beuve on a retrouvé des poésies d'Ondine au bas desquelles lui-même avait mis des notes comme celles-ci : « Quelle jolie pièce! quelle touchante inspiration! c'est de l'André Chénier moral ! » — ce C'est comme les Hymnes du Bréviaire traduites par Racine. »
Ondine était malade; elle ressentait les premières atteintes de la phtisie qui devait l'emporter. Sa mère accepta de l'envoyer à Londres, chez des amis, pour qu'elle y reçût les soins du docteur
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316 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Curie, médecin homoeopathe qui jouissait alors d'une grande célébrité. Elle partit déchirée par la toux. Elle demeura deux années à Londres et ne mourut pas de ce traitement vraiment homoeopathique. Elle revint même en France plus vaillante, presque guérie. Elle avait mis à profit ce séjour pour étudier la littérature anglaise et en particulier les lakistes dont elle fit des imitations en vers français.
De Londres elle correspondait avec Sainte-Beuve et celui-ci n'était pas indifférent au souvenir de la jeune fille, « En attendant, écrivait Marceline à sa fille le 1er mai 1843, tu es bien gentille de faire de nécessité vertu et d'avoir obtenu cette trêve où tes forces se seront retrempées pour produire tout ce qui couve en toi de bonnes et saintes choses. M. Sainte-Beuve l'attend sur les gages donnés. Il le met haut et à une place pure. Je ne t'ai pas dit que je connais maintenant sa mère, toute petite et adorable d'amour ponr son fils. Sa maison est celle de la Fée aux miettes. Il y sent bon de calme et de fleurs. Elle m'a demandé de tes nouvelles. » Quels étaient ces ce gages donnés? » Les poésies qu'Ondine avait envoyées à Sainte-Beuve? quelques promesses échangées ? On incline à cette dernière conjecture, lorsqu'on voit, ensuite, Marceline conter sa visite à Mme SainteBeuve.
Lorsqu'elle fut de retour, Ondine, pour ne point demeurer à la charge de ses parents, accepta une place de sous-maîtresse dans un pensionnat de jeunes filles situé à Chaillot et tenu par Mme Bascans. Sainte-Beuve connaissait les Bascans; la femme passait pour une personne distinguée; le mari, ancien rédacteur au National, était lié avec Armand Marrast.
Chaque soir il y avait au pensionnat des Bascans une réunion de famille : on y recevait quelques amis du dehors ; les jeunes maîtresses préparaient le thé; on installait une table de wisth ; dans une autre partie du salon, on jouait aux petits papiers et aux bouts rimés et
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SAINTE-BEUVE ET ONDINE DESBORDES-VALMORE 317
l'on riait aux éclats. Sainte-Beuve s'acheminait souvent vers Chaillot et aimait à se mêler à ce cercle de jeunes filles. Il se trouvait plus à son aise, dans ce milieu simple et sans façons que dans le monde où l'avaient naguère fourvoyé ses ambitions académiques : personne n'y remarquait ses pantalons trop longs et ses redingotes mal taillées.
Ce qui l'attirait surtout chez les Bascans, c'était le plaisir d'y rencontrer Ondine ce souriante, prudente et gracieusement confiante » ; lui-même a évoqué plus tard avec émotion le souvenir de leurs causeries. Ondine avait beaucoup étudié : sa mère ne se lassait point d'admirer son savoir ; « O ma douce lettrée ! » lui dit-elle dans cette pièce charmante qui est intitulée Ondine à l'école. Sainte-Beuve trouvait en elle une élève docile ; il la guidait dans ses lectures ; il venait à son secours lorsque la jeune latiniste hésitait devant un passage difficile des odes d'Horace et, en échange, elle traduisait pour lui des poésies puritaines de William Cooper. Un jour qu'il lui avait envoyé un exemplaire de Pascal, il recevait d'elle le billet suivant : ce En rentrant ce soir, j'ai trouvé votre lettre et Pascal que je n'ai point quitté depuis. Me voilà occupée et heureuse pour bien des jours. C'est une douceur profonde que de trouver de pareils amis dans le passé et de pouvoir vivre encore avec eux malgré la mort... »
Les lettres et la poésie resserraient ainsi doucement l'intimité du maître et de son aimable disciple, et, de part et d'autre, on songeait au mariage. Mme Bascans était dans la confidence. Les Valmore eussent été fiers et heureux de voir un tel projet réussir.
C'est Sainte-Beuve lui-même qui a écrit un jour ces lignes mélancoliques : « La nature se présente deux fois à nous pour le mariage : la première fois à la première jeunesse. On peut lui dire alors : Repassez! elle n'insiste pas trop. Mais la seconde fois, à cette limite extrême, lorsqu'elle reparaît, lorsqu'elle insiste avec un dernier sou-
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rire; prenez garde : si vous la repoussez encore, elle se le tiendra pour dit, elle ne reviendra plus. »
Il venait de passer la quarantaine lorsque, sous les traits d'Ondine, la nature lui adressa son dernier appel et son dernier sourire : il la repoussa. Elle ne revint plus. Pourquoi, « à cette limite extrême », cette hésitation, puis ce refus?
Le 25 décembre 1846, il écrivit à Mme Bascans une lettre dont il n'est point difficile de pénétrer le sens : « Je suis dans une grande contrariété depuis quelque temps, et j'ai besoin de m'en ouvrir à vous. Il m'est survenu toutes sortes de mécomptes dans mes affaires privées, et je me trouve hors d'état de suffire, pour le moment, à l'engagement que j'ai pris de concert avec vous. Je suis brouillé avec la Revue des Deux-Mondes... Tout cela m'a donné bien de l'ennui et du travail de tête, mais la partie la plus sensible pour moi est l'impossibilité où cela me réduit, pour le moment, de faire face à une dette la plus sacrée pour moi et la plus douce. Je voulais vous dire ces choses verbalement, mais je ne vous ai pas vue seule les dernières fois que je suis allée chez vous, et j'ai été trop souffrant pour y retourner depuis quinze jours... » Tout fait croire qu'en parlant ici de la dette la plus sacrée et la plus douce, Sainte-Beuve fait allusion à son dessein déclaré d'épouser Ondine. La raison qu'il donne de sa retraite, c'est un embarras d'argent; mais cette raison a tout l'air d'un prétexte. Sainte-Beuve était alors conservateur de la Bibliothèque Mazarine, académicien et jouissait d'un logement à l'Institut. Ses biographes affirment qu'en ce temps-là l'état de fortune n'était point si précaire.
On a donc cherché ailleurs. Il avait réfléchi, a-t-on dit, aux dix-sept années qui le séparaient de la jeune fille ; ou bien il avait été effrayé sachant que malgré une apparence de guérison, celle-ci était gravement atteinte, « Il comprit, écrit M. Jules Lemaître, que ni l'indépendance et l'infinie curiosité de son esprit
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toujours en quête, ni ses habitudes irrégulières de célibataire sans gêne et assez peu dégoûté n'auraient pu se plier à la loi du mariage. » Peut-être. Ces calculs de prudence et d'honnêteté lui vinrent sans doute à l'esprit. Il nous est si agréable d'attribuer nos actions à des causes diverses, complexes et raisonnables. Nous esquivons ainsi l'ennui d'en découvrir le vrai mobile qui est toujours unique, simple et de pure passion. Si l'on sait la chronologie de l'existence sentimentale de Sainte-Beuve, tout devient clair. Il désirait se marier; Ondine lui plaisait. Mais en même temps il aimait Mme d'Arbouville.
Il n'allait pas alors, tous les jours, faire la dînette au pensionnat, causer d'Horace ou de Pascal avec Ondine, dans le « boudoir » de Mme Bascans, ce meublé d'un poêle de faïence et de quatre chaises de paille. » Il passait aussi de longues heures à la place Vendôme auprès de Mme d'Arbouville, à qui l'attachait une passion profonde et sans espoir. Une pensée d'ambition l'avait amené chez elle. Il désirait entrer à l'Académie française et, pour le succès de sa candidature, il ne pouvait se dispenser de fréquenter le salon de Mme d'Arbouville. On l'y accueillit avec faveur : la délicieuse vivacité de sa conversation faisait oublier la disgrâce de son visage et la négligence de sa tenue.
Comme il se sentait aimé, il avait longtemps supplié :
Amie, il faut aimer, pour qu'à l'heure où tout passe, A l'âge où toutes fleurs quitteront le chemin, Dans les landes du soir en entrant, tête basse, Nous nous serrions la main.
Mais Mme d'Arbouville répondait :
Je veux qu'en nos vieux jours, au déclin de la vie, Nous détournant pour voir la route... alors finie,
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Nos yeux en parcourant le long sillon tracé, Ne trouvent nul remords dans les champs du passé. Laissez les sentiments qu'on brise et qu'on oublie; Gardons notre amitié, que ce soit pour la vie! Votre soeur, chaque jour, vous suivra pas à pas... Oh! je vous en conjure, ami, ne m'aimez pas!
Ce dialogue décourageant s'était longtemps poursuivi ; et, vaille que vaille, Sainte-Beuve avait dû se contenter d'une amitié amoureuse. En 1840, il était résigné, mais plus épris que jamais. Pour deviner quel motif l'empêcha de s'acquitter de « la dette la plus sacrée et la plus douce », est-il besoin d'en savoir davantage?
Ayant renoncé à tout projet de mariage, Sainte-Beuve n'oublia point cependant le chemin de la pension Bascans; il resta l'ami et le conseiller d'Ondine.
En 1848, celle-ci obtint une place d'inspectrice des institutions de jeunes filles, et, trois ans plus tard, elle épousa M. Langiais, représentant du peuple. Elle eut un fils qui vécut seulement quelques mois et elle-même s'éteignit le 12 février 1853, consumée par la phtisie.
Peu de jours après, Mme Desbordes-Valmore écrivait à SainteBeuve : ce Parmi tous, vous seul, je crois, devinez l'étendue de ma douleur... Vous l'avez bien connue, vous lui avez donné de la lumière pure. Vous avez aimé l'innocence de son sourire... Elle l'avait encore en fuyant!... Oui, je vous remercie pour elle, sainte et douce colombe; je vous remercie pour moi! — et pour vous — d'avoir été son ami. » Il faut lire attentivement la réponse de SainteBeuve, si l'on veut connaître le fond du sentiment que lui avait inspiré Ondine.
Vous êtes véritablement une mère de douleur : ici, du moins, il y
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a tout ce qui peut adoucir, élever et consoler le souvenir; cette pureté d'ange dont vous parlez, cette perfection morale dès l'âge le plus tendre, cette poésie discrète dont elle vous devait le parfum et dont elle animait modestement toute une vie de règle et de devoir, cette gravité à la fois enfantine et céleste, par laquelle elle avertissait tout ce qui l'entourait du but sérieux et supérieur de la vie... Vous qui ne pleurez plus, vous souvient-il de nous? C'est à vous, poète et mère, qu'il appartient de recueillir et de rassembler toutes ces chères reliques, toutes ces reliques virginales, car je ne puis m'accoutumer à l'idée qu'elle a cessé d'être ce qu'il semblait qu'un Dieu clément et sévère lui avait commandé de rester toujours.
[Il y a de tout dans ces mots inattendus et douloureux, de la tendresse, du regret, peut-être même le ressouvenir d'une jalousie inavouée.]
Rassemblez toutes ces traces de poésie, toutes ces gouttes de parfum qu'elle a laissé tomber dans son passage; un jour, quand le temps aura coulé sur cette plaie trop saignante, et quand nos cheveux auront encore plus blanchi, nous les parcourrons ensemble avec une bienfaisante tristesse... Mon coeur, croyez-le bien, reste fidèle au passé et inviolable dans ses souvenirs.
La question de savoir pourquoi Sainte-Beuve n'a pas épousé Ondine Desbordes-Valmore est sans doute de médiocre importance dans la chronique littéraire du dix-neuvième siècle et même dans la biographie de l'écrivain. Mais on a pu noter ici, chemin faisant, quelques traits mal connus de la physionomie du personnage. L'homme — selon la légende — n'aurait jamais montré dans sa vie privée cette sensibilité diverse, délicate, nuancée, que tout le monde reconnaît au critique. Or il semble que la légende a tort.
ANDRÉ HALLAYS.
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LES LOGIS PARISIENS DE SAINTE-BEUVE
Il est un vers des Consolations de Sainte-Beuve que l'on cite volontiers :
Naître, vivre et mourir dans la même maison,
— et qui, pris isolé, semble être l'expression d'un souhait, d'un idéal à réaliser. Il n'en est rien, cependant, car la strophe se termine ainsi :
O mon coeur! Toi qui sens, dis, est-ce avoir vécu!
Au surplus, Sainte-Beuve ne pouvait pas concevoir pour lui-même un tel rêve, car tout jeune encore, à l'âge où l'on ne saurait avoir de AMDlontés, il avait déjà quitté sa maison natale pour habiter un autre logis de Boulogne, et si le destin avait voulu qu'il ne délaissât pas la ville même, sans doute l'administration de l'octroi boulonnais eût-elle plus tard compté un excellent fonctionnaire, — le fils succédant au père, — mais nous n'aurions pas eu les Lundis.
Quand il vint à Paris pour la première fois, au mois de septembre 1818, c'est-à-dire n'ayant pas encore quatorze ans, sa première demeure fut somptueuse : rue de la Cerisaie, l'hôtel de Lesdiguières bâti au XVIe siècle par le financier Zamet, et alors occupé par l'institution Landry : ce rue de la Cerisaie au Marais » dit-il dans son autobiographie destinée au Liber Memorialis de Liège (Souvenirs et
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indiscrétions, p. 72). Est-il bien exact de dire : au Marais? C'est plutôt : au quartier de l'Arsenal qu'il eût fallu dire, car le Marais est situé, à proprement parler, de l'autre côté de la rue Saint-Antoine.
C'est durant ce temps qu'il suivit les cours du lycée Charlemagne (dont on a célébré aussi cette année le centenaire) et remporta au Concours général de 1819 le premier prix d'histoire.
Deux ans après, en 1821, l'institution Landry se transporta rue Blanche, ce quartier de la Chaussée-d'Antin », et conséquemment, envoya ses élèves au collège Bourbon, — aujourd'hui lycée Condorcét, autre centenaire de 1804. Sainte-Beuve y acheva ses études, qu'il couronna par un nouveau prix au Concours général de 1822, celui de vers latins (1).
Telles' furent les deux seules résidences qu'il devait faire sur la rive droite, si toutefois même on peut envisager les murs d'une pension scolaire à l'égal d'une véritable demeure. On sait qu'une fois sorti du collège, la médecine l'attira; il était naturel que, deve(1)
deve(1) n'eût pas manqué, sans doute, d'obtenir aussi aisément le prix de vers français, s'il y en avait eu un, car la translation de la pension Landry lui avait fourni, l'année précédente, l'occasion de se révéler poète. M. Claretie a publié dans l'Indépendance belge du 27 août 1871, et M. Michaut a réimprimé (Sainte-Beuve avant les Lundis, pp. 586-8), le texte d'une poésie de circonstance : la Crémaillère, vraiment fort bien tournée pour être oeuvre d'un collégien de dix-sept ans. En voici le début :
Toi qu'a chanté le bon Homère, Guerrier si valeureux, si mauvais cuisinier, Achille, toi qu'on voit tour à tour manier
Et la broche et le cimeterre, Et toi, fils de Vénus, de qui les doigts pieux Faisaient fumer l'encens sur l'autel de les dieux Et cuire ton dîner par terre ; Compagnons de voyage à l'immortalité, Oh! que de peine journalière Se fût à jamais évité Votre héroïque caractère, Si l'un ou l'autre eût inventé L'usage de la crémaillère!
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nant carabin, il se rapprochât de l'École; c'est ce qu'il fit, et désormais le voici, pour le reste de sa vie, habitant de la rive gauche, encore que sa carrière médicale n'ait pas été de longue durée.
Rien d'étonnant, d'ailleurs, à cette prédilection d'un homme d'allure discrète et paisible pour un quartier qui a la même allure, — exception faite de quelques rues parfois déjà bruyantes sous ce règne compassé de Louis XVIII, — mais ce n'est pas celles-là où Mme Sainte-Beuve chercha logis pour elle et son fils; au mois de janvier 1823, dans une lettre à son ami Barbe, le jeune étudiant donnait son adresse : rue de Vaugirard, 94, c'est-à-dire la partie la plus monacale d'une voie morose entre toutes. Victor Hugo habitait à deux maisons de là, au 90 (1). Il est permis d'affirmer que ce voisinage eut de graves conséquences. Faut-il aussi voir autre chose qu'une coïncidence de convenances dans ce fait qu'en 1829, Hugo demeurant rue Notre-Dame-des-Champs, 11, Sainte-Beuve et sa mère vinrent habiter au numéro 19 de la même rue? Nous faisons ici de la topographie, et non de la psychologie...
Logis bien modeste, assurément, dont les petites rentes de Mme Sainte-Beuve payaient le loyer. L'écrivain n'en rougit pas ; en décembre 1831, il écrit à son ami Barbe : « ... Tu me trouves donc, aujourd'hui comme il y a deux ans, installé modestement dans ma rue Notre-Dame-des-Champs, 19, avec ma mère... » (Morand, Les Années de jeunesse, p. 34). C'est là, dans ce sa chambre » de la rue Notre-Dame-des-Champs, que Villemain vint, un jour, le prendre pour le mener chez Chateaubriand (Portraits contemporains, I, 75).
Peu après, nouveau déménagement, et cette fois domicile en double ! Dans une note biographique qu'il a rédigée sur lui-même
(1) La maison habitée par Sainte-Beuve et sa mère rue de Vaugirard, 94, a disparu sous le second Empire; son emplacement est représenté par le sol de la rue de l'AbbéGrégoire. Quant à la maison de Victor Hugo (n° 90), également démolie, elle correspond au n° 88 actuel.
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en 1848, Sainte-Beuve dit : « De 1830 à 1840, j'ai vécu dans ma chambre d'étudiant (cour du Commerce, n° 2) au quatrième étage, et au prix de 23 francs par mois, y compris les déjeuners » (Souvenirs et indiscrétions, p, 195). Et M. Troubat, frappé de la modicité de cette somme, est pris d'un scrupule : il se demande si ce n'était pas 23 francs sans les déjeuners, et 27 avec les déjeuners. Ne s'agît-il même, comme cela est vraisemblable, que du petit déjeuner du matin, c'était pour rien.
Sa mère ne l'y avait pas suivi, et cela se comprend de reste. Elle habitait, pendant cette période, rue du Montparnasse, 1 ter, maison aussi disparue, et, dans certains cas, c'est ce domicile que Sainte-Beuve indiquait comme le sien, à des correspondants dont il eût pu redouter une visite inopinée — dans sa ce garçonnière », dirait-on aujourd'hui, — à la comtesse Christine de Fontanes (Correspondance, I, 32), à l'abbé Barbe (Morand, ouv. cité, p. 45), etc. (1).
Sainte-Beuve avait gardé le souvenir de la cour du Commerce. Dans une autre note biographique qu'il écrivit sur lui-même vers 1865, il n'oublie pas d'en parler : « ... Je n'étais rien, vivais au quatrième sous un nom supposé (Charles Delorme), dans une chambre d'étudiant (deux chambres, c'était mon luxe), cour du Commerce. M. Buloz, je dois le dire, fut des premiers à remarquer le désaccord un peu criant. J'en souffrais peu pour mon compte... » (Souvenirs et indiscrétions, p. 52).
ce Ces chambres, dit M. Troubat (Ibid., p. 200, note) portaient les
(1) Il ne faut pas donner à ce mot « garçonnière » un sens trop précis. Bien que soucieux, comme tous les jeunes gens, d'une certaine indépendance, Sainte-Beuve gardait ces deux chambres surtout pour y travailler en paix durant de longues heures. Lorsqu'il alla à Lausanne faire son cours sur Port-Royal, il indiqua à son ami Juste Olivier ce même besoin absolu de solitude et refusa l'hospitalité qui lui était si cordialement offerte, préférant s'enfermer jusqu'à trois heures de l'après-midi dans une chambre d'hôtel, où il déjeunait tout en travaillant.
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numéros 19 et 20 de l'hôtel de Rouen, au dernier étage, à l'extrémité d'un long' et étroit couloir. L'hôtel existe encore aujourd'hui sous le même vocable ; il a son entrée dans l'artère principale du passage du Commerce, mais le bâtiment s'étend en retour d'équerre sur la cour dite à tort de Rohan, qui met le passage en communication avec la rue du Jardinet; rien n'est changé à l'aspect des lieux depuis ces soixante-dix ans écoulés.
Après l'hiver de 1837-1838 passé à Lausanne (à l'hôtel d'Angleterre auquel a succédé l'hôtel du Nord, rue de Bourg), Sainte-Beuve revint à l'hôtel de Rouen. Un arrêté ministériel en 1840 vint l'en tirer: Naudet, conservateur à la Bibliothèque Mazarine, devenant directeur de la Bibliothèque nationale, Sainte-Beuve lui succédait, avec logement dans le palais de l'Institut. « Dès lors, dit-il lui-même, je me trouvai riche ou très à l'aise pour la première fois de ma vie. Je me remis à l'étude, je rappris le grec. Mes travaux se sont ressentis de ce loisir et du choix que j'y pouvais mettre. » (Ibid., p. 199.)
L'appartement du nouveau conservateur était bien différent de ceux qu'il avait jusque-là occupés, et sans doute n'en dut-il meubler qu'une faible partie. Situé dans la partie sud-ouest de la grande et froide cour de l'Institut, c'est, paraît-il, l'appartement actuel de M. Berthelot (1). .
Son élection à l'Académie française, en 1844, ne pouvait que resserrer les liens qui l'attachaient à ses fonctions et à sa demeure au palais Mazarin; eu fait, la carrière de Sainte-Beuve eût peut-être été un peu différente, il fût devenu plus bibliothécaire et moins journaliste sans le fameux incident de la cheminée qui fumait. On sait l'histoire : au lendemain de la révolution de 1848, la Revue rétrospec(1)
rétrospec(1) Alfred Franklin le dit expressément dans son Histoire de la Bibliothèque Mazarine et du Palais de l'Institut (Paris, Welter, 1901, in-8°, note de la page 307), et M. Leblanc, architecte de l'Institut, a bien voulu nous confirmer le fait, sur lequel les souvenirs de M. Pingard semblaient hésitants.
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tive publiait une liste de sommes distribuées par le gouvernement de Louis-Philippe à un certain nombre d'hommes en vue, et on chuchotait que ces sommes avaient payé leurs consciences. SainteBeuve y figurait pour... cent francs. Stupéfait d'abord, il se rappela, non sans peine, que, l'année précédente, il avait demandé la réparation d'une cheminée de son appartement; le payement de ce travail, ordonnancé trop tard, avait été effectué sur les fonds particuliers du roi. Sainte-Beuve n'admit pas qu'on pût le soupçonner; il donna sa démission, et la Note justificative qu'il adressa, le 31 mars 1848, à Jean Reynaud est un modèle de sincérité, de probité en révolte contre la malveillance d'une insinuation (Souvenirs et indiscrétions, pp. 194-208).
Le voilà de nouveau sans logis, privé des quatre mille francs de la Mazarine, n'ayant pour vivre que ses articles et le maigre traitement d'un académicien.
Il ne retourna pas, cependant, à l'hôtel de Rouen, mais chez sa mère, qui avait acheté depuis peu la petite maison de la rue du Montparnasse. Six mois après, il partait pour Liège, où il professa son célèbre cours sur Chateaubriand, et revint, en septembre 1849, se fixer rué du Montparnasse, où l'année suivante, en novembre 1850, sa mère s'éteignait plus qu'octogénaire.
Nous sommes arrivés à la dernière étape, celle sur laquelle les biographes du maître n'ont rien laissé de nouveau à dire. La modestie de cette tranquille demeure ferait sans doute un peu sourire certains de nos écrivains à la mode, qui laissent si complaisamment décrire le faste des moindres recoins de leur logis; du moins, M. Buloz n'avait plus désormais à reprocher au collaborateur d'autrefois l'extrême simplicité de son appartement du passage du Commerce.
La rue du Mont-Parnasse évoque nécessairement la pensée du cimetière voisin, mais les historiens peuvent, s'ils le veulent, ne voir
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Nég. E. Mareuse. Grav. impr. par GILLOT
MAISON MORTUAIRE DE SAINTE-BEUVE, RUE DU MONTPARNASSE, N° II, A PARIS.
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dans son nom qu'un souvenir poétique et gracieux. A ce titre, elle était bien choisie pour l'auteur du Tableau de la Poésie française au XVIe siècle. Les vingt ans qu'il y vécut servirent singulièrement à la faire connaître de toute cette catégorie de Parisiens qui trouvent fort spirituel de dédaigner la rive gauche et de gémir lorsqu'il leur faut aller à l'Odéon. C'est pour cela que Sainte-Beuve l'aimait : à distance, on ne saurait se le figurer habitant le faubourg' Montmartre, la rue Bréda ou la rue du Temple : il faut certains cadres pour certaines figures.
L'esprit de méthode, de déduction qui présida aux Lundis se ressent peut-être du recueillement de ce coin de quartier, où la mémoire de l'hôte qui l'honora se trouve perpétuée par le nom d'une rue voisine, par un buste érigé dans l'ancienne pépinière du Luxembourg', par un monument au cimetière Montparnasse, par une inscription que la Ville de Paris fit placer sur la maison mortuaire en l'honneur de ce Sainte-Beuve, critique et poète, mort dans cette maison le 13 octobre 1869. »
FERNAND BOURNON.
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LES PORTRAITS DE SAINTE-BEUVE
Sainte-Beuve, — comme sa mère l'appelait dès son enfance en mémoire du père et de l'époux si promptement disparu, — SainteBeuve avait neuf ans et trois mois lorsque, durant un séjour de la veuve et de son fils au château de Wierre, M. Eugène de Bonnières traça du petit garçon, le 15 septembre 1814, un portrait au crayon conservé par M. Jules Troubat et reproduit par M. Léon Séché dans le tirage in-8° de son récent ouvrage. C'est Mme Sainte-Beuve qui a inscrit au verso de ce croquis ces identifications précieuses, puisqu'elles évoquent le nom de ce château de Wierre dont s'est souvenu l'auteur de Volupté et que le dernier descendant de l'artiste amateur est un poète et un romancier de talent.
Dans ce croquis, le front est haut, le sourcil épais, la chevelure roussâtre et l'on y retrouve déjà les signes caractéristiques du médaillon très connu modelé par David d'Angers en 1828. C'est, semble-t-il bien, le seul document iconographique subsistant de cette période (1), malgré la liaison du poète des Rayons jaunes avec Louis Boulanger et quoiqu'il eût certainement rencontré dans le salon de la rue Notre-Dame-des-Champs Achille et Eugène Devéria, Auguste
(1) Une petite lithographie très rare signée E. L. (Lessore) doit être postérieure de quelques années seulement à ce médaillon maintes fois reproduit dans les divers albums de l'oeuvre de David d'Angers et dans l'Illustration (8 mars 1845), lors de la réception de Sainte-Beuve à l'Académie française.
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de Chatillon et probablement même Eugène Delacroix. Il faut reléguer parmi les mythes certain portrait peint par Chenavard et que le modèle n'aurait pas montré volontiers, parce qu'il lui semblait trop « Joseph Delorme » : le seul indice qu'on trouve de ce portrait est une note de la Petite Revue (29 juillet 1865, p. 157), et j'ai tout lieu de croire que c'est là une de ces mystifications dont l'auteur de cette note (Poulet-Malassis) était coutumier ; il ajoutait d'ailleurs, avec raison, que Sainte-Beuve, « loin d'avoir pactisé avec le goût moderne de multiplier son image, n'a jamais aimé à se voir et à se montrer figuré. » Il ne put cependant pas éluder les sollicitations de son confrère de l'Académie des Beaux-Arts, F. Heim, lorsque celui-ci reprit vers 1856 la série des crayons de ses collègues de l'Institut, commencée trente ans auparavant. Celui de Sainte-Beuve, exposé au Salon de 1859, avec soixante-trois autres portraits dont le livret donne le détail, a été depuis offert au Louvre par la veuve du peintre et le lecteur en a sous les yeux une reproduction fidèle : affaissé dans son fauteuil, les mains croisées sur le ventre et tenant un mouchoir, le regard errant, Sainte-Beuve semble avoir été saisi par l'artiste dans une période de malaise et de lassitude (1).
Tout autre est le caractère du portrait en buste peint par M. Demarquay, ancien élève de Charlet, qui consacrait à l'art les rares loisirs que lui laissaient ses fonctions de commissaire aux délégations judiciaires. Ce n'est ni l'académicien, ni le sénateur qu'il a représenté, mais l'homme même, tel que tous ses familiers l'avaient connu et dans le négligé, minutieusement exact, qui lui convenait
(1) Il convient de n'accorder qu'une confiance limitée à trois autres images pour lesquelles Sainte-Beuve n'a certainement pas pose' : un profil gravé sur acier pour la Galerie des Contemporains illustres, de Louis de Loménie (tome IX), un autre petit portrait gravé sur acier, par E. Carey, pour les Contemporains d'Eugène de Mirecourt (42e livraison), et un portrait gravé sur bois, dans une page du Monde illustré (12 novembre 1859), où sont groupés les divers collaborateurs du Moniteur officiel.
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mieux que l'habit brodé. Sur sa couronne de cheveux drus et roux, est noué un mouchoir blanc (la célèbre calotte de velours ne servait que pour sortir ou pour les réceptions d'apparat). Un tricot jaunâtre sur une chemise blanche à pois, une cravate noire, une robe de chambre brune, tel est le costume, aussi peu officiel que possible, sous lequel M. Demarquay.avait cru pouvoir représenter son voisin et ami. Le jury du Salon de 1870 prit, pour prétexte de son refus, cette tenue que le titre de sénateur rendait, paraît-il, inconvenante, et renvoya l'oeuvre à son auteur, qui n'eut même pas le plaisir d'en offrir une reproduction fidèle aux intimes du maître. Photographié par un amateur qui n'obtint que des résultats assez médiocres,-le tableau fut confié à un graveur dont l'eau-forte, tirée à quelques épreuves d'essai, a tout à fait altéré l'expression souriante et les plis énergiquement rendus du modèle. Ce mot « modèle », n'est point d'ailleurs rigoureusement exact, car Sainte-Beuve ne posa pas plus pour Demarquay que pour Chenillion : la promesse, dix fois renouvelée, d'accorder quelques heures au peintre ne reçut jamais son effet; le mal envahissant et un labeur opiniâtrement poursuivi au milieu de ces tortures prirent ses derniers mois. M. Demarquay a donc travaillé de mémoire, s'aidant des souvenirs de chacun, des siens propres, et de photographies diverses.
A l'époque où il fut repoussé par le jury (avril 1870), les journaux s'emparèrent de l'incident, la plupart sans connaître l'oeuvre, et cette ignorance donna lieu à une méprise assez curieuse : Lorédan Larchey (qui avait vu ce tableau) parla, dans une note insérée au Moniteur, du négligé prémédité du costume : « C'était bien là Sainte« Beuve, — ajoutait-il, — tel qu'on l'avait pu voir dans son intérieur, en jaquette flottante et en caleçon. » Il n'en fallut pas plus aux feuilles bien informées pour improviser une description absolument fantaisiste où le caleçon ne fut pas oublié et servit même de titre à un article! Plus d'un lecteur pudibond dut se dire peut-être que le
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jury avait, une fois encore, sauvegardé le bon goût et la décence, et M. Demarquay porta la peine d'avoir osé faire pour un ami ce que Chardin avait fait pour lui-même ; mais Chardin n'était pas sénateur (1).
C'est par la même recherche de la vérité que se distingue le petit buste de Jean-Louis Chenillion, tiré à quelques exemplaires et non mis dans le commerce. Cette figurine, exécutée du vivant de Sainte-Beuve, mais sans qu'il ait, à proprement parler, posé pour l'artiste, car il ne lui accordait que de courts moments de séance pendant qu'il révisait les épreuves de la dernière édition de PortRoyal, le représente en buste, vêtu de ce tricot qu'il ne quittait guère, la tête nue, les sourcils épais, la bouche froncée par un sourire moqueur, tel en un mot que le sculpteur l'avait vu maintes fois. Outre un grandissement en bronze, Chenillion a fait depuis un plâtre, exposé au Salon de 1870 et qui n'avait en rien la valeur de cette précieuse étude. Il s'était servi pour ce second travail d'un moulage, pris le jour même de la mort de Sainte-Beuve ; ce masque aux paupières fermées, aux cils collés, a la rigidité effrayante de la réalité même.
Les portraits peints par M. Demarquay et par M. Marius Barthalot appartiennent aujourd'hui au musée de Boulogne-sur-Mer ; la bibliothèque de la ville possède un buste en marbre de Mathieu Meusnier exposé, comme le crayon de Heim, au Salon de 1859, et proposé, l'année suivante, par Sainte-Beuve à ses compatriotes qui eurent le bon goût de l'accepter. Une réplique de ce buste au Salon de 1870 est placée actuellement dans le vestibule du palais de
(1) Signalons, au sujet de ce portrait une première lettre de M. J. Troubat dans la Cloche du 19 décembre 1869, un article du même (après le verdict du jury) dans le Temps du 10 avril 1870, et une autre lettre, écrite ab irato pour le même motif et insérée dans l'Argus Soissonnais, du 12 mai 1870. Renvoyons aussi aux Souvenirs et Indiscrétions, p. 316,
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l'Institut conduisant à la bibliothèque et aux salles de délibérations.
Deux autres bustes de Sainte-Beuve ont été depuis érigés en plein air : l'un, dû à M. Denys Puech, se dresse à l'extrémité du jardin du Luxembourg donnant sur la rue d'Assas; l'autre, dont M. José de Charmoy est l'auteur, surmonte la modeste tombe du critique au cimetière Montparnasse. M. Puech et M. de Charmoy se sont visiblement et volontairement inspirés du premier buste de Chenillion ; M. E. Vernier, qui l'a eu, lui aussi, sous les yeux pour le médaillon destiné à la maison natale de Boulogne-sur-Mer, s'en est servi avec plus de discrétion et en donnant volontiers la préférence aux autres documents ad vivum qui nous sont parvenus.
Lors d'un court séjour de Sainte-Beuve à Aix-en-Savoie, en 1859; M. de Solms fit, d'après lui, une photographie où il est représenté assis sur un banc de jardin, contre un mur couvert de lierre. Les amis de la maison eurent eux-mêmes quelque peine à se procurer cette image, que chacun s'accordait à trouver parlante. Jules Levallois, ayant écrit pour en obtenir une, reçut une réponse dont voici la partie essentielle :
« ... Je n'ai eu primitivement qu'un seul de ces marmousets, « faits en Savoie par M. de Solms; mais Mathieu Meusnier, la « voyant un jour chez moi, a demandé à faire photographier. « l'unique exemplaire, et cette photographie de seconde main, ces « dames l'ont accaparée et distribuée, il n'en restait plus qu'une « épreuve l'autre jour. Oui, mais on a la plaque et on en fera faire « une pour vous tout exprès.... »
La promesse, cette fois, fut tenue : « C'est bien lui dans un de « ses meilleurs moments, dans une de ses heures trop rares de « douce sérénité, quand, par exemple, il descendait au jardin vers « quatre heures de l'après-midi, après avoir lu un chant d'Homère, « et qu'il oubliait les contrariétés et les souffrances du présent pour
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« songer à cette antiquité qu'il n'a jamais cessé d'aimer, qu'il comet prenait et sentait à merveille. » (1)
Une autre photographie, celle de M. Pierson, a servi à M. Bornemann pour la lithographie qui accompagne la notice de George Bell dans le Panthéon du XIXe siècle de M. V. Frond. Sainte-Beuve se montra très satisfait de la notice et du portrait ; c'est également à celui-là que M. Jules Troubat donne la préférence. L'Illustration, dans son numéro du 30 décembre 1865, a joint à un article de M. Jules Claretie un grand portrait en pied, dessiné par M. Mouilleron, gravé par M. J. Robert, d'après la photographie exécutée spécialement pour le journal par Bertall : Sainte-Beuve, debout, la main gauche appuyée sur une table chargée de papiers et de volumes, le pouce droit dans la poche du pantalon, est vu de face. Un autre portrait-carte, sortant des mêmes ateliers, le montre assis dans un grand fauteuil, tête nue et vêtu d'une ample redingote (2). Deux autres portraits sur bois parurent le même jour — 23 octobre 1869 — dans le Monde illustré, et dans l'Univers illustré ; dans le premier, il est vu de face, en buste, la calotte de velours sur l'oreille gauche (dessin de Bocourt, gravure de Sotain d'après la photographie de Bertall); dans le second, il est assis, profil à gauche, la calotte sur la tête (dessin de H. Rousseau, gravure de Méaulle, d'après la photographie de Pierson).
Un très bon portrait sur papier teinté, dessiné par M. A. Gilbert, gravé par J. Robert (en buste, calotte de velours) est joint à la 9° livraison de Nos contemporains (1869-1871, gr. in-8°) par Ferragus
(1) Sainte-Beuve, par J. Levallois (Didier, 1873, in-181, p. 189-190.
(2) La lithographie de Bornemanu a été réduite dans la nouvelle édition de l'Histoire de la Bibliothèque Mazarine de M. A. Franklin (p. 306) ; la seconde photographie de Bertall a servi de modèle pour un portrait au burin édité par la librairie Garnier frères.
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(Louis Ulbach). Il a été reproduit sur papier blanc dans les Grands poètes français de M. Alph. Pages (1873, gr. in-8°).
Enfin, dans une publication que la déclaration de la guerre empêcha de paraître et dont il ne subsiste qu'un introuvable numéro spécimen (la Correspondance illustrée), M. Bracquemond a dessiné et gravé sur bois une tête dé Sainte-Beuve, vu de trois quarts, insérée à mi-page d'un article de Jules Levallois, repris plus tard dans son excellent petit livre.
Il n'existe que de rares caricatures de Sainte-Beuve. Sa vie studieuse et retirée, le silence forcé de la presse en 1855, lors des tempêtes soulevées par son cours de poésie latine au Collège de France, la popularité que lui avait faite dix ans plus tard sa courageuse attitude au Sénat, né permettaient guère ces travestissements toujours faciles des traits ou du caractère d'un homme célèbre. A proprement parler les seules charges que l'on connaisse datent précisément de la dernière période et ne méritent qu'une brève mention ; ce sont celles de Pescheux dans le Bouffon (3 mai 1867), de P. Bernay dans le Hanneton (3 octobre 1867), de Montbard dans le Masque (11 juillet 1868) ; toutefois une d'elles doit être citée à part : André Gill avait dessiné pour l'Éclipsé (3 mai 1868), au lendemain du mémorable dîner du Vendredi-Saint, un M. Sainte-Beuve libre-mangeur dont la vente fut interdite. Debout sur le toit d'une maison, le critique soulève d'une main le chapelet de boudins pendu à son cou et tient de l'autre un jambon; il a le tablier blanc, les bas bleus, les sabots d'un charcutier. Au-dessus de sa tête, voltige une bassinoire ailée, — allusion alors transparente, aujourd'hui plus obscure, au facies grêlé de Louis Veuillot. « J'aurais bien du regret, écrivait le « maître à M. Ernest d'Hervilly, si j'étais pour quelque chose dans « ce refus d'autorisation. Je ne suis pas assez sot pour ne pas sentir « un ami sous cette gaie licence rabelaisienne où s'est joué un vigou« reux crayon. »
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Un album publié par Poulet-Malassis sous le titre de Sept dessins de gens de lettres (P. Rouquette, 1874, in-folio) a fait connaître.aux curieux un dessin improvisé par Charles Asselineau, après une soirée passée, dans la société même de Sainte-Beuve, à rire des contemporains. Les fameux vers :
Pour trois ans seulement, oh! que je puisse avoir Sur ma table un lait pur, dans mon lit un oeil noir !
ont été commentés de la façon la plus gaie par Asselineau ; le dessin original existe encore et l'exactitude du fac-simile exécuté par Aglaüs Bouvenne ne laisse rien à désirer.
Un autre portrait, où la fantaisie serre de très près la réalité, est celui qu'Eugène Giraud dessina pour la curieuse série de charges des familiers de la princesse Mathilde, dont un legs de celle-ci a enrichi le cabinet des Estampes.
Deux autres indications" pourront compléter ce modeste essai iconographique : M. Trimolet fils a gravé à l'eau-forte une vue de la maison de la rue Montparnasse (prise du petit jardin), publiée jadis par l'éditeur Cadart, et fait de la chambre mortuaire un dessin à la mine de plomb qui appartient à M. Jules Troubat.
MAURICE TOURNEUX.
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LA BIBLIOTHÈQUE DE SAINTE-BEUVE
Fils unique et posthume d'un lettré dont il a, dans des vers souvent cités, évoqué les prédilections et les habitudes que plus tard on a pu noter presque toutes chez lui-même, Sainte-Beuve fut de très bonne heure mis en possession par sa mère de la petite collection paternelle composée surtout de classiques latins et français et il la conserva toute sa vie. Il en fut de même pour les livres de prix décernés à l'élève de l'institution Blériot, de Boulogne-sur-Mer, au lauréat du collège Charlemagne et du concours général à Paris; mais, à proprement parler, la formation de sa bibliothèque ne commence que lorsqu'il entreprit le Tableau de la poésie française au XVI° siècle dont l'Académie française avait tracé le programme. Tout en usant, j'imagine, des richesses, alors assez mal connues, de la Bibliothèque Royale ou de l'Arsenal, il constitua, très probablement à peu de frais, une collection spéciale dont les éléments traînaient un peu partout : les poètes de la Pléiade voisinaient dans les échoppes de l'ancienne place du Carrousel et dans les boîtes des bouquinistes du quai avec les livres à vignettes du XVIIIe siècle, les exemplaires armoriés des grands seigneurs et amateurs de jadis, et les catalogues de ventes de tableaux et d'objets d'art dont personne ne soupçonnait encore l'intérêt.
Sainte-Beuve, peu difficile d'ailleurs, surtout à cette époque, sur la « condition » matérielle de ses instruments de travail, put ainsi
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340 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
tenir à portée de sa main les oeuvres de Ronsard, de Du Bellay, de Baïf, de Rémi Belleau, de Tahureau, d'Amadis Jamyn, de Philippe Desportes et de tant d'autres rimeurs que l'on trouve décrits dans le catalogue de sa vente posthume. Un seul de ces volumes n'y figure point et pour cause : c'est le fameux exemplaire des OEuvres de Pierre de Ronsard, prince des poètes françois (Paris, Nicolas Buon, 1609, in-folio), portrait sur bois et titre gravé par Léonard Gaultier, relié en vélin aux armes de Louis Habert de Montmor, l'un des premiers membres de l'Académie française, et offert par Sainte-Beuve à Victor Hugo en ces termes: « Au plus grand inventeur lyrique que la poésie française ait eu depuis Ronsard, le très humble commentateur de Ronsard, S.-B. » Les vastes marges de ce volume avaient servi d'album amicorum aux familiers du maître et au maître luimême. Compris dans la vente « pour cause de départ », effectuée en 1852 au domicile du poète exilé, cet exemplaire y fut acheté pour le compte de M. Charles Giraud qui s'en défit d'ailleurs trois ans plus tard (n° 1260 de son catalogue), Maxime Du Camp en fit hommage à Mme Benjamin Delessert et il demeura entre les mains de celle-ci jusqu'au jour où il prit le chemin d'une bibliothèque à bon droit fameuse, formée hors de France par l'homme le mieux informé sur notre littérature contemporaine.
Sainte-Beuve n'était nullement encore détaché du « tronc romantique » lorsqu'il adressait à son ami P. L. (Paul Lacroix) une épître dont l'enjouement contraste, il faut le reconnaître, avec la note habituelle des autres poésies de Joseph Delorme. Déjà s'y décèlent quelques-unes des curiosités multiples qui, jusqu'aux derniers jours, alimentèrent et renouvelèrent « l'esprit le plus rompu à toutes les métamorphoses », ainsi qu'il l'a dit de lui-même.
........ Sauriez-cous pas, de grâce,
En quel recoin et parmi quel fatras
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Grav. impr. par GILLOT
SAINTE-BEUVE A L'ÂGE DE 52 ANS. — DESSIN DE HEIM.
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LA BIBLIOTHÈQUE DE SAINTE-BEUVE 341
Il me serait possible d'avoir trace Du long séjour que fil à Carpentras Monsieur Malherbe? ou de quel air Ménage Chez Sévigné jouait son personnage? Monsieur Conrard savait-il le latin Mieux que Jouy? consommait-il en plumes Moins que Suard? Le docteur Guy Patin Avait-il plus de dix mille volumes? Problèmes fins, procès toujours pendants Qu'à grand plaisir je retourne et travaille!
En cette humeur s'il me vient sous la main, Le long des quais, un vélin un peu jaune, Le titre en rouge et la date en romain, Au frontispice un Saint-Jean sur un trône, Le tout couvert d'un fort blanc parchemin, Oh! que ce soit un Ronsard, un Pétrone, Un A Kempis, pour moi c'est un trésor Que j'ouvre et ferme et que je rouvre encor. Je rôde autour et du doigt je le touche. Au parapet rien qu'à le voir couché, En plein midi l'eau me vient à la bouche, Et lorsqu enfin j'ai conclu le marché, Dans mon armoire il ne prend point la place Où désormais il dormira caché, Que je n'en aie au moins lu la préface.
On est au bal, déjà sur le piano
Dix jolis doigts ont marqué la cadence;
Sur le parquet déjà la contredanse
Déroule et brise et rejoint son anneau;
Mais tout d'un coup le bon Nodier qui m'aime
Se souvenant d'avoir, le matin même,
Je ne sais où, découvert un bouquin
Que souligna de son crayon unique
François Guyet (c'est, je crois, un Lucain),
De l'autre bout du salon m'a fait signe.
J'y cours. Adieu, vierges au cou de cygne,
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342 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Et tout un soir je lorgne un maroquin.
Vers ce temps-là l'on me voit au jardin, Un doigt dans Pope, Addison ou Fontane, Quitter vingt fois et reprendre soudain, Comme en buvant un sorbet la sultane; Chaulieu m'endort à l'ombre d'un platane, Vite, au réveil, je relis le Mondain, Je relis tout, et bouquets à Climène, Et Corilas entretenant Ismène, Et l'Aminta chantant son inhumaine, Mais la Chartreuse est surtout à mon gré; Et mieux refait, la troisième semaine, Je puis aller jusqu'à Goldsmith et Gray.
Dix ans plus tard, à la suite de crises intimes, aujourd'hui divulguées sans pitié, il avait aiguillé cet esprit toujours en éveil vers une autre direction : c'est Port-Royal qu'il étudiait dans ses origines, dans la doctrine de ses solitaires, dans le génie des deux grands écrivains qui en sont la gloire, et il lui fallut s'entourer de tous les écrits émanés des adeptes ou des adversaires de la secte. De là une nouvelle collection, moins attrayante à coup sûr que celle de la Pléiade, mais précieuse à d'autres égards et rapidement accrue par des dons ou des trouvailles. Elle le suivit à Lausanne et revint à Paris dans la petite maison de la rue Montparnasse appartenant alors à Mme Sainte-Beuve qui, ne sachant où loger tant de bouquins, avait eu l'ingénieuse idée d'en remplir par paquets égaux le cadre d'un lit inoccupé et de les dissimuler sous une couverture habilement drapée. Cet envahissement suggéra peut-être à Sainte-Beuve la pensée amère qu'on peut lire parmi celles qui terminent aujourd'hui le tome V des Portraits Contemporains: « A un certain âge de la vie, si notre maison ne se peuple point d'enfants, elle se remplit de manies et de vices. »
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LA BIBLIOTHÈQUE DE SAINTE-BEUVE 343
Manie, soit, mais il en est (et il en connut) de moins innocentes que de sacrifier au g'oût des beaux livres et de faire parfois des acquisitions un peu onéreuses pour sa bourse, alors encore mal garnie, telles qu'un Alain Chartier (1529) provenant de Richard Heber, un Clément Marot de 1545 dans une reliure à la Duseuil, un La Fresnaye Vauquelin (1612) portant l'ex-libris de Pixérécourt et de Nodier, un recueil de pièces (1620-1627) sur Théophile de Viaud colligées par Aimé Martin et tant d'autres raretés dont le détail m'entraînerait trop loin.
« Il n'a jamais de chaussettes! » disait un jour Mme Sainte-Beuve, en parlant de son fils, à Mme Desbordes-Val more et elle n'eut quelque tranquillité à son sujet qu'après sa nomination de conservateur à la Bibliothèque Mazarine et son élection à l'Académie française. Ce fut pour lui cependant l'âge du « dernier rêve » et de ses dernières illusions sur la possibilité d'une union régulière qui faillit en effet se consommer.
On sait par suite de quel futile incident, odieusement travesti, Sainte-Beuve crut devoir donner sa démission à la Mazarine et comment il s'exila volontairement de nouveau, cette fois eh Belgique. Il n'avait empoirté à Liège que le petit nombre de livres qui lui étaient nécessaires pour son cours sur Chateaubriand et son groupe littéraire ; puis, quand la malveillance l'eut forcé à résigner ses nouvelles fonctions, il trouva enfin, grâce aux conditions successivement stipulées par le docteur Véron pour sa première collaboration au Constitutionnel (1849-1852), la sécurité matérielle qui l'avait jusque-là toujours fui ; il ne l'obtenait, il est vrai, qu'au prix d'un labeur incessant et pour lequel il avait fréquemment recours à la Bibliothèque nationale et aux autres dépôts publics et privés. En même temps, il poursuivait la rédaction définitive des cours de l'Université de Liège et la refonte du premier texte de Port-Royal. C'est pour mieux parfaire le premier de ces livres qu'il acquit à
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344 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
l'amiable du libraire Potier l'Essai sur les révolutions anciennes et modernes considérées dans leur rapport avec la Révolution française, couvert de notes par Chateaubriand et qui, des mains d'Augustin Soulié, à qui l'auteur l'avait donné, ne se souvenant plus de cette particularité, était passé dans les cabinets d'Aimé Martin et de Léon Tripier.
Vingt années durant, de 1849 à 1869, Sainte-Beuve fut sur la brèche, ne s'accordant que de rares répits, renonçant au monde où il ne faisait plus que de courtes apparitions et aux voyages qui n'avaient jamais eu beaucoup d'attraits pour lui. « Je descends au fond d'un puits chaque mardi matin, écrivait-il à Mathurin de Lescure le 30 avril 1864, pour n'en ressortir que le vendredi soir, je ne sais à quelle heure », avouant, dans la même lettre, ce qu'il faisait chaque semaine un tour de force et qu'en s'y amusant parfois luimême tout le premier, il courait risque un beau jour de s'y casser un nerf ».
Comme il ne s'astreignait, dans ses causeries, à aucun ordre méthodique ou chronologique et qu'il apportait même, semble-t-il, une sorte de coquetterie à traiter, d'une semaine à l'autre, les sujets les plus disparates, il voyait affluer chez lui des livres de toute nature et de toute valeur. Ceux qui pouvaient servir à ses études étaient mis à part et aussitôt annotés, les autres attendaient le « convoi », c'était son mot, où il se proposait de les faire figurer. Tous sollicitaient et le plus souvent obtenaient un remerciement comme en témoigne abondamment sa correspondance imprimée, et ses remerciements n'avaient jamais la banalité ou la grandiloquence de ceux de Victor Hugo.
Sainte-Beuve trouvait toujours le loisir de lire ou tout, au moins, de feuilleter le livre ou la brochure qu'on lui offrait et si plus d'un de ces volumes ne porte que sa signature, d'autres, et fort nombreux, renferment une note tracée.à l'encre ou au crayon d'où se dégage
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BUSTE DE SAINTE-BEUVE, PAR MATHIEU MEUSNIER (BIBLIOTHÈQUE DE BOULOGNE-SUR-MER).
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tantôt un jugement sommaire, tantôt comme l'embryon d'un article futur qui n'est pas toujours venu à terme. J'ai sous les yeux un exemplaire du Théâtre de Tirso de Molina, traduit pour la première fois par Alphonse Royer (Michel Lévy, 1863, in-12) et qui, outre un envoi du traducteur au faux titre, porte les notes et remarques suivantes jetées aux deux côtés du filet maigre de la couverture :
Molina.
Molière.
Mozart.
Byron.
Mérimée.
Musset.
Il en est de Don Juan comme de Psyché : ce sont des types faits après coup et qui deviennent autres qu'ils n'étaient d'abord; c'est comme l'églogue de Virgile à Pollion qu'on détourne de son sens (voir Rossignol) et qu'on fait chrétienne bon gré mal gré.
Sur Don Juan. Ce qu'est devenu le type. Molière l'a transformé. «Le Don Juan espagnol est bon catholique au milieu de ses désordres, et il ne demande que le temps de se confesser à la statue de pierre dont la main le... [un mot illisible] et l'enlèvera. Molière a fait de ce débauché inconséquent l'incrédule hardi et l'impudent hypocrite qui vivra toujours (1). »
Voici encore sur le titre même des Idées et sensations d'Edmond et Jules de Goncourt un jugement qui se retrouve presque textuellement à la fin de l'article qu'il a consacré aux deux frères :
Ce sont des modernes, de purs modernes, deux hérétiques en littérature, des plus distingués et des plus aimables.
(1) Les mots « Le don Juan espagnol... » jusqu'à la fin du paragraphe sont placés entre guillemets par Sainte-Beuve. J'ignore à quel écrivain il les empruntait, mais il est curieux de rapprocher ce qu'il dit ici de la transformation des types d'une page des Nouveaux Lundis (t. V, p. 307) à la fin d'un article sur Don Carlos et Philippe II.
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Après les annotations (1), ce que la partie moderne de la bibliothèque de Sainte-Beuve offrait de plus curieux, c'étaient les dédicaces. Moins nombreuses qu'on ne serait tenté de le supposer, sur les éditions originales de la période romantique, elles étaient plus fréquentes sur les livres de date récente et il y en avait de fort typiques, comme celle de Barbey d'Aurevilly sur la plaquette (sans titre) de ses poésies imprimées à Caen en 1854 à trente-six exemplaires.
Au grand poète qui a écrit Joseph Delorme A MONSIEUR SAINTE-BEUVE
f
Que le critique se détourne avec indulgence et que le poète généreux comme le génie me donne l'hospitalité.
JULES BARBEY D'AUREVILLY.
Sur un exemplaire du Voyage en Russie, Théophile Gautier se déclare le « dévoué neveu » de « l'oncle Beuve », et les Concourt, qui depuis..., lui adressaient, en se donnant pour « ses très humbles amis », la troisième édition de l'Histoire de la Société française pendant la Révolution et sous le Directoire, tandis qu'Ernest Feydeau se flattait modestement qu'un de ses romans pourrait opérer un miracle : « Mon cher Sainte-Beuve, écrivait-il sur le faux titre de la Comtesse de Châlis (1868, in-12), je ne croirai pas avoir perdu mon temps si la lecture de ce livre vous fait oublier vos souffrances. »
Beaucoup de ces exemplaires, qu'ils provinssent des auteurs ou des libraires, étaient tirés sur papier de luxe, tels, par exemple, que
(1) M. A. Guillois a très ingénieusement présenté aux lecteurs du Bulletin du bibliophile (mars 1002) les noies relevées sur un exemplaire de la première édition d'André Chénier (1519), provenant de Sainte-Beuve.
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les Mémoires de Saint-Simon (édition Chéruel), ou la Correspondance de Déranger, publiée par Boileau; et comme ces raffinements de bibliophile n'étaient alors goûtés que d'une élite, ces exemplaires, intacts dans leur brochage original (car Sainte-Beuve ne faisait point relier), n'en étaient que plus désirables.
M. Léon Séché a le premier fait connaître les négociations concurrentes tentées auprès de M. Jules Troubat au sujet de la bibliothèque du maître qui constituait, pour employer le style notarial l'une des « forces » de sa succession; M. Jacques Adert, directeur du Journal de Genève, se proposait de trier parmi les livres ceux qui seraient à sa convenance propre et de revendre le surplus ; le général Méredith Read avait sans doute l'intention de faire à une des bibliothèques des États-Unis un de ces cadeaux princiers comme elles sont accoutumées à en recevoir. M. Adert estimait à 30,000 francs la valeur totale de la bibliothèque; mais, guidé et conseillé par le. libraire Laurent Potier, M. Jules Troubat tint bon et un catalogue fut rédigé en vue d'une vente publique comportant deux parties.
Le premier de ces catalogues était précédé d'une étude d'Edmond Schérer, insérée d'abord dans le Temps du 15 février 1870 et réimprimée dans ses Études sur la littérature contemporaine (1). Schérer avait apporté beaucoup de soin à cette tâche assez nouvelle pour lui et mis habilement en lumière la plupart des curiosités que, renfermait la bibliothèque de son ami ; à défaut des originaux dispersés par les enchères et dont bien peu ont reparu depuis, on a sous la main, grâce à lui et aussi à M. Léon Séché qui les a presque toutes reprises à son tour, les notes les plus importantes,inscrites par Sainte-Beuve sur ses livres mêmes ou sur des feuilles volantes
(1) Trois paragraphes de cet article relatifs au Dr Véron, aux poésies de Barbey d'Aurevilly et à une bévue oratoire de M. Rouher avaient été supprimés dans la réimpression servant de préface au catalogue, mais Schérer les avait rétablis dans la quatrième série de ses Études (1874).
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à propos d'Homère, d'Horace, de Ronsard, de Pascal, de La Rochefoucauld, de La Bruyère, de Boileau, de Fénelon, ainsi que des citatations empruntées à un volume inachevé et détruit de Fontanes et à l'Essai sur les révolutions de Chateaubriand.
La première vente eut lieu à la salle Silvestre, du 21 au 26 mars 1870; les enchères furent brillantes et dépassèrent de beaucoup les prévisions de l'expert. Le Vauquelin de. la Fresnaye, qu'il cotait 1,000 francs, atteignit 3,105 francs, et les prix de toute cette portion de la bibliothèque se soutinrent en proportion : on en trouvera d'ailleurs dans le Rullelin du bibliophile de 1870 (pp. 226-228) une liste à peu près complète, ainsi que celle des livres modernes les plus importants, et le total dépassa 41,000 francs.
La seconde vente, composée d'ouvrages de travail en divers genres, occupa cinq vacations, du 23 au 28 mars 1870, et malgré les préoccupations politiques aiguës du moment, les 805 numéros qu'elle comportait réalisèrent le chiffre global de 5,000 francs.
Cependant les chambres et les resserres de la petite maison de la rue du Montparnasse n'étaient pas encore vidées. A aucune époque de sa vie, semble-t-il, Sainte-Beuve ne s'était défait des livres qu'on lui adressait de toutes parts. M. Jules Troubat, ne pouvant conserver ce résidu, le fit vendre en lots, au lendemain de la Commune (26 juin 1871) à la salle Silvestre, par M. Adolphe Labitte; un prospectus sur un feuillet grand in-8° est le seul vestige subsistant de cette vente hâtive et généralement ignorée.
Les libraires qui y assistaient n'eurent pas à regretter de s'être dérangés, car lés exemplaires annotés par Sainte-Beuve, les dédicaces et les lettres jointes aux oeuvres de Dumas fils, de George Sand, de Champfleury, de Ch. Monselet, de Feydeau, se vendaient à raison de douze ou quinze volumes à la fois et le produit de cette unique vacation fut de 2,114 francs.
Restait la collection spéciale sur Port-Royal et le jansénisme,
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formant plus de quatre cents numéros; après divers pourparlers, elle fut acquise pour 3,000 francs par M. le baron de Schickler, qui en fit don à la bibliothèque de la Société de l'histoire du protestantisme français où elle est soigneusement inventoriée et conservée.
Sainte-Beuve avait promis à Taschereau de léguer à la Bibliothèque le recueil des lettres de Chapelain jadis acquis par lui du libraire J.-A. Toulouse et auquel manquait un volume perdu ou égaré depuis le temps où l'abbé Goujet avait tenu entre ses mains et signalé cette collection. Bien que ce legs ne fût pas spécifié dans le testament qu'il avait à faire exécuter, M. Troubat n'hésita point à remplir la volonté du maître et les volumes déposés par lui au département des manuscrits (cotés aujourd'hui fr. nouv. acq. 1885-1890) servirent de base à la publication des Lettres de Jean Chapelain, éditées par Ph. Tamizey de Larroque dans la collection des Documents inédits.
Plus de trente ans se sont écoulés depuis lors et les livres de Sainte-Beuve jetés ainsi dans la circulation ont presque tous de nouveau changé de mains. Il va sans dire qu'il ne saurait être question ici de rechercher la trace de chacun d'eux; cependant il peut n'être pas inutile de signaler au moins quelques-uns de ceux qu'on a vu passer dans des catalogues notables : par exemple, dans la vente de M. Jacques Adert (1887), sous le n°620, l'édition originale des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné (1616) qui avait, entre temps, appartenu à M. H. Bordes, et sous le n° 1353, les Poetae minorés grseci, édités par Thomas Gaisford (Oxoniae, e typographaeo Clarendoniano, 18141820, 4 tomes en 3 volumes in-8° reliés en parchemin) ; dans la vente Philippe Burty (1891), le Regnier annoté par Brossette (réimp. de 1829), exemplaire couvert de notes au crayon et à l'encre, dont Sainte-Beuve se servait pour son cours de l'École normale ; l'édition de 1838 du Tableau historique et critique de la poésie française au
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XVIe siècle, chargé d'additions et de corrections, et aussi un exemplaire d'épreuves de Volupté (1834).
Toutes incomplètes et hâtives qu'elles soient, les indications groupées au cours de cet article montreront, je l'espère, que les outils et les témoins du plus prodigieux labeur critique de notre XIXe siècle méritent de figurer avec honneur, et au même titre que les épaves des bibliothèques de Montaigne, de Racine, de Montesquieu, de Voltaire, parmi les livres véritablement précieux dont un délicat, digne de ce nom, a le droit de s'enorgueillir.
MAURICE TOURNEUX.
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UNE PROFESSION DE FOI DE SAINTE-BEUVE
Nous publions ici, en quelque sorte en appendice, parce qu'elle nous est communiquée au dernier moment (1), la lettre suivante adressée à M. l'abbé Marcou, de Nîmes, lettre pleine d'intérêt par les indications qu'elle donne sur les préoccupations de Sainte-Beuve au regard de la religion catholique :
Ce 30 octobre 4862.
Monsieur l'Abbé,
J'ai à vous remercier des deux articles que je lis dans les Annales. Catholiques de Nîmes. Je ne suis pas accoutumé depuis quelques années à tant d'indulgence de la part de ceux qui sont de ce côté. Je n'ai pourtant jamais été un ennemi, mais plutôt j'avais commencé par être un ami extérieur.
Il y a eu, de 1830 à 1835, un mouvement religieux tendant à une réforme, qui était fait pour convier ceux qui sentaient le Christianisme et qui faisaient plus que le comprendre. Cela a échoué pour des causes que vous savez bien.
Je suis resté longtemps dans de bons termes avec les hommes qui représentaient ce mouvement, et il en est un, l'Abbé Gerbet, que je n'ai cessé d'aimer et de vénérer : sans qu'il me l'ait dit (ne l'ayant pas vu depuis des années) je suis bien sûr qu'il m'a également conservé son affection; mais les choses ont changé, les nouveaux venus sont impatients, intolérants, injurieux même. Quoi d'étonnant que ceux qui n'étaient que sympathiques se retirent? On ne prend pas les mouches
(1) Par M. le Dr Paul Raymond, professeur agrégé des Facultés de médecine.
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LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
avec du vinaigre. Votre procédé est autre, Monsieur l'Abbé, vous pratiquez l'indulgence et vous cherchez l'équité. Si j'avais l'honneur de causer avec vous j 'aurais sans doute sur bien des points à vous répondre, et peut-être vous ferais-je revenir sur deux ou trois. Mais moi qui ai jugé tant de gens à tort et à travers, je ne saurais m'étonner d'être sujet à mon tour à des jugements fort divers. Il me suffit de sentir un fonds de bienveillance et de sincérité pour me croire obligé, et je le suis envers vous, Monsieur, pour une attention si prolongée et qui penche le plus qu'elle peut du côté favorable.
Veuillez agréer l'expression de ma considération respectueuse.
SAINTE-BEUVE.
PLAQUETTE COMMÉMORATIVE DU CENTENAIRE FACE
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BIBLIOGRAPHIE
Nous ne pouvions songer à donner ici une chronologie de l'oeuvre de Sainte-Beuve semblable à celles qui ont été dressées pour quelques auteurs classiques ou, parmi les modernes, pour Balzac et Théophile Gautier. Toutes les pages du présent LIVRE D'OR seraient insuffisantes pour la publication d'un travail analogue à celui de l'Histoire des oeuvres de Théophile Gautier par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul. D'ailleurs, cette chronologie, projetée par M. Victor Giraud, a été faite en partie, pour la période de 1818 à 1849, par M. G. Michaut à la. suite de son livre sur Sainte-Beuve avant les Lundis.
On trouvera ci-après la liste des ouvrages de et sur Sainte-Beuve qui ont été publiés séparément; ils sont classés de la façon suivante :
I. Poésie. — II. Roman. — III. Histoire Littéraire. Critique. Ouvrages divers : A. MONOGRAPHIES. — B. RECUEILS. — C. PAGES CHOISIES. — D. TABLES. — E. PRINCIPAUX OUVRAGES PUBLIÉS, JUSQU'EN 1869, AVEC PRÉFACE, NOTICE, JUGEMENT, APPRÉCIATION, ETC., DE SAINTE-BEUVE. — IV. Correspondance. — V. Ouvrages relatifs à Sainte-Beuve et à ses oeuvres.
La division contenant les ouvrages publiés avec préface, limitée à la date de 1869, nous a paru indispensable pour établir une des formes de l'influence exercée sur le public par la pensée du critique. Sainte-Beuve avait pour principe, nous dit M. Jules Troubat, de ne jamais faire de préface à un livre; « c'était de sa part une question de haute probité littéraire : il tenait essentiellement à son autorité de critique et ne voulait pas la laisser entamer par des complaisances ». Très peu de ces préfaces ont donc été écrites pour les livres en tête desquels elles se trouvent; mais telle classe de lecteurs qui ne connaissait ni l'article de la Revue de Paris ou de la Revue des DeuxMondes, ni celui du Constitutionnel ou du Moniteur, qui n'avait jamais ouvert les Portraits littéraires ou les Causeries du Lundi, a lu la Notice reproduite en tête de l'un des volumes publiés chez les libraires Charpentier, Garnier ou Michel Lévy.
Dans la division V, concernant les ouvrages relatifs à Sainte-Beuve et à son oeuvre, nous avons catalogué seulement ceux qui existent à l'état d'unité bibliographique; c'est ainsi que, malgré leur importance, les leçons de M. Ferdinand Brunetière consacrées à Sainle-Beuve dans l'Évolution des genres et l'Évolution de la Poésie lyrique en France au XIXe siècle, l'étude de M. Emile Faguet dans Politiques et Moralistes du XIXe siècle, celle de M. Albert Sorel (Revue Polit, et Litt., 17-24 décembre 1904, 7-14 janvier 1905,
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384 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
ne peuvent être que rappelés ici. Quelques articles spéciaux, indiqués à propos des ouvrages qu'ils concernent, figurent à la table.
Pour corriger un peu ce qu'une bibliographie a toujours d'aride, nous avons inséré quelques lettres placées les unes à la suite des articles auxquels elles se rapportent, les autres à la suite de la correspondance.
L'in-12 de La Bruyère et La Rochefoucauld, l'in-18 moderne (grand in-18, in-18 anglais, in-18 Jésus), Tin-16 de la maison Hachette, étant des volumes de même hauteur, ils sont indiqués uniformément comme des in-12, afin de les distinguer de l'ancien in-18, plus court de 4 centimètres.
En dehors des abréviations usuelles (f. : feuillet, p. : page, la d. n. ch. : dernière non chiffrée, bl. : blanche, imp. : imprimerie, s. I. n. d. : sans lieu ni date); nous ne voyons guère à signaler que les suivantes : Port. Litt. ou Cont.: Portraits Littéraires pu Contemporains; Rev. des D.-M. : Revue des Deux-Mondes; B. F. ou B.de la F.: Bibliographie de la France.
En bibliographie, on ne saurait dire : « Le temps ne fait rien à l'affaire »; aussi, voudra-t-on bien pardonner les erreurs ou les omissions d'un simple essai, dont il était impossible de différer plus longtemps la livraison.
45 janvier 4905
I. — POÉSIE
1.—Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Paris, Delangle frères, (Imp. G. Doyen), 1829; in-16, 2 f., 243 p.
Pseudonyme. — Au verso du faux titre, épigraphes empruntées à saint Augustin et à Sénancour.
B. F., 4 avril 1829, n° 2109.
L'exemplaire de la Bibliothèque Sainte-Geneviève (A 62459. Réserve) porte cette dédicace :
A mon bien cher ami Edouard Delorme.
Ste-BEUVE.
1a. — Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. Paris, N. Delangle, (Imp. Pinard), 1830 ; in-8, 2 f., 345 p.
Pseudonyme. — Faux titre en caractères gothiques; au verso, épigraphes empruntées à saint Augustin et à Sénancour; titre en caractères gothiques.
B. F., 30 octobre 1830, n° 5917.
Dans cette seconde édition, la Vie est datée (p. 41) de « Paris, février 1829 » et l'on ! trouve pour la première fois les poésies suivantes :
A MADAME F. Le fleuve Poésie épand ses chastes eaux (p. 199-203).— POUR MON AMI ULRIC G... (p. 227-235). — I. Au temps de nos amours, en hiver, en décembre. — II. SONNET. Il est au monde un lieu, quel lieu! quelles délices! — III. LE COTEAU. Voilà deux ans, ici, c'était bien ce coteau. La première édition ne contenait que XVIII pensées ; celle-ci, avec les pensées VIII et XVII qui sont nouvelles, en contient XX.
M. Adolphe Jullien a, dans sa bibliothèque, l'exemplaire de Renduel, en grand papier.
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BIBLIOGRAPHIE 358
Voir l'article anonyme de S.-B. publié sur celle édition dans Le Globe du 4 novembre 1830 et reproduit dans les Premiers Lundis, I, 407.
Quérard, dans la France littéraire, annonce une nouvelle édition de Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, Paris, Eug. Renduel, 1830, in-8. Il nous a été impossible d'en voir un exemplaire; et cependant, que ce soit une nouvelle édition réelle, ou, ce qui est plus probable, la seconde édition de Delangle avec un titre de relais, il doit exister un Joseph Delorme. au nom de Renduel Les couvertures des tomes IV et V des Critiques et portraits littéraires (1839), celle des Pensées d'Août (1837) et des Consolations (1834), un extrait du catalogue de Renduel, s. d., mais probablement de 3835, in-8°de 11 pages, que possède M. Tourneux, indiquent : JOSEPH DELORME, Vie et poésies, 1 vol. in-8°. D'autre part, la deuxième édition des Consolations, publiée chez Renduel, en 1834, porte : OEuvres de Sainte-Beuve, Poésie, tome II, ce qui semble impliquer un tome I, qui serait Joseph Delorme. Enfin, le Feuilleton du Journal de la Librairie, du 15 novembre 1834, annonce les Livres pour étrennes en vente chez Renduel; on y voit : SAINTE-BEUVE, POÉSIE, Les Consolations, Josepli de Lorme (sic), 2 vol. Prix 15 fr. Il est vrai que, dès 1835, Renduel faisait réimprimer un titre pour son édition des Consolations. Voir n° 2b.
Voir les notes des n" 8, 10 et 12.
2.— Les Consolations, poésies. Paris, Urbain Canel, levavasseur, (Imp. David), 1830; m-16, XXXII-237 p.
Anonyme. — Au verso du faux litre, épigraphes empruntées à René et à la Vita solitaria de Pétrarque.
B. F., 27 mars 1830, n° 1670.
Longue dédicace : « A VICTOR H. » (p. V-XXXII), datée, à la dernière page, de décembre 1829.
La pièce VI : A M. A. DE L , provoqua la belle épître de Lamartine : Oui, mon coeur s'en souvient de cette heure tranquille... recueillie dans les Harmonies poétiques et religieuses, où elle est accompagnée d'un curieux commentaire : « C'était en 1829. J'aimais alors beaucoup un jeune homme pâle, blond, frêle, sensible jusqu'à la maladie...».
L'exemplaire de la Bibliothèque nationale (Réserve p Y e. 227) porte cet envoi : « à Madame Nodier, hommage respectueux. S1O-BEUVE ».
2a. — OEuvres de Sainte-Beuve. Poésie. Tome II. Les Consolations. Deuxième édition. Paris, Eugène Renduel, (Imp. Plassan), 1834; in-8, 284 p., les XXVII premières (faux titre : OEuvres de Sainte-Beuve. Poésie., titre et dédicace : A. VICTOR H.) numérotées en chiffres romains.
B. F., 20 décembre 1834, n° 6915.
Cette seconde édition est suivie de cinq pièces nouvelles, accompagnées de la note suivante (p. 233) : « On a cru pouvoir ajouter à la fin de ce recueil, et sans eh déranger le ton, quelques pièces composées depuis 1830 ».
I. — A M. de Lamartine (Revue des Deux-Mondes, 1er octobre 1832). II. — Vers tirés de Volupté.
III. — Épitre à M. Achille du Clésieux, auteur d'Exil et Patrie. Précy, 12 octobre 1834.
IV. — Sonnet : Heureux, loin de Paris, d'errer en ce doux lieu Précy, 9
octobre 1834.
V. — Vers à Amaury, « qui auraient pu être imprimés à la fin du livre Volupté, auquel ils se rapportent... ». Précy, octobre 1834.
Ces trois dernières pièces ont été insérées depuis dans les Pensées d'Août.
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386 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
M. Adolphe Jullien possède les exemplaires mêmes de Renduel; l'un sur papier de Chine, l'autre en grand papier avec la couverture imprimée portant l'annonce suivante :
OEUVRES DE A.-C. (sic) SAINTE-BEUVE, belle édition in-octavo. VOLUPTÉ, roman, 2 vol., 15 fr. — CRITIQUES ET PORTRAITS LITTÉRAIRES, 1 vol. 8 fr. — JOSEPH DELORME, Vie et Poésies, 1 vol., 7 fr. 50. — POÉSIE FRANÇAISE AU XVIe SIÈCLE, 2 vol., 15 fr. — LES CONSOLATIONS, 1 vol., 7 fr. 50. — Sous presse : CRITIQUES ET PORTRAITS LITTÉRAIRES, Ouvrage nouveau, 1 vol., 8 fr.
2b.— Les Consolations. Poésies. Deuxième édition. Paris, Eugène Renduel, (Imp. Plassan), 1835; in-8, 284 p., les XXVII premières numérotées en chiffres romains.
Faux titre : OEuvres de Sainle-Beuve. Poésies.
Même édition que la précédente avec un nouveau titre.
3. —Pensées d'Août. Poésies. Paris, Eugène Renduel, (Imp. Terzuolo), 1837; in-12, VII-219 p.
Anonyme. — La couverture porte au dos le nom : Sainte-Beuve.
B. F., 30 septembre 1837, n° 4971.
Avant-propos, sans titre (p. V-VII) :
« Le titre général de ce volume est tiré de la première pièce, comme c'était la coutume, dans plusieurs recueils poétiques des anciens .... ». Cette première pièce avait paru, en septembre 1836, dans le Magasin pittoresque (IV, 281-4), avec la note suivante : « Nous désirions, depuis longtemps, donner à nos lecteurs quelques vers qui, par le caractère moral, s'accordassent avec le ton général de notre publication. M. Sainte-Beuve, avec qui d'anciennes relations d'amitié nous unissent, nous communique, comme pouvant répondre en partie à notre pensée, la poésie suivante; si notre public l'agréait, elle pourrait être suivie de quelques autres, et nous espérons que plus d'un poète y contribuerait...». Le mois suivant, le même recueil contenait (p. 377-383) : Monsieur Jean, Maître d'École.
A la dernière page de la couverture, on lit l'annonce suivante : OEUVRES DE A.-C. (sic) SAINTE-BEUVE, belle édition in-octavo : VOLUPTÉ; roman, 2 v... 15 fr. — CRITIQUE ET PORTRAITS LITTÉRAIRES, 3v ... 24 fr. — JOSEPH DELORME, Vie et poésies, 1 v... 7 fr. 50. — LES CONSOLATIONS, 1 v... 7 fr. 50. — POÉSIE FRANÇAISE AU X-VIe SIÈCLE, 2 v... 15 fr. — Sous presse : PORT-ROYAL, 2 v... 15 fr.
En 1840, cette édition reçut une nouvelle couverture, imprimée chez A. Saintin, portant le titre suivant :
3a — Pensées d'Août. Poésies par Sainte-Beuve. Paris, chez tous les Libraires de Paris et des départemens, 1840.
Épigraphe : C'est ta main qui sèche mes pleurs, Quand je vais triste et solitaire Répandre en secret ma prière Près des autels consolateurs.
A. DE LAMARTINE.
Voir sur ce volume l'article de G. Planche dans la Rev. des D.-M. du 1er octobre 1837, p. 73-89; et dans le n°. du 1er novembre 1837, à la fin de la Chronique, la note relative à la « malveillance » à laquelle « la publication des Pensées d'Août a donné lieu dans la presse ». — Voir aussi la note des n°s 9 et 12.
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BIBLIOGRAPHIE 387
4. — Un dernier rêve. S. I. (Paris, Imp. Pommeret et Guénot), n. d. [1840]; in-8, 24 p.
B. F. 19 septembre 1840, n° 4639.
Anonyme. — Titre: «Un dernier rêve » et deux épigr.: Et pour jamais, pour ne plus revenir! (SCHUBERT, Barcarolle.) — Jamais! ô jamais plus! (Mme TASTU ) (p. 1, n. ch.); note en prose, sans titre : « Il fut court; il a commencé sur le plus vague et le plus tendre nuage de la poésie... » (p. 3, n. ch.); SONNET, traduit d'Uhland (p. 5, n. ch.) ; SONNETS. A DEUX SOEURS. I. A MADEMOISELLE FRÉDÉRIQUE. .. (p. 7, n. ch.); II. A MADEMOISELLE ÉLIZA-WILHELMINE... (p. 8); SONNET: J'ai fait le tour des choses de la vie (p. 9, n. ch.); Paroles, voeux d'un coeur amoureux et timide (p. 11, n. ch.); On parlait de la mort ; un ami n'était plus (p. 13-14); A DEUX SOEURS. Sur un exemplaire de la Marie de Brizeux. Dans un chagrin (p. 15, n.ch.); (Un jour qu'on croyait avoir trouvé.) Il est trouvé le bonheur et le charme (p. 17-18); Ne coulez plus, larmes de Poésie (p. 19, n. ch.); NOTE [en prose]. UN CANEVAS. (Le rêve était détruit avant que la pièce songée fût éclose), (p. 21., n. ch.) Au bas de la p. 21 le nom de l'imprimeur. Les p. 22 à 24 sont blanches. — Voir la note du n° 6.
5. —Livre d'Amour. Paris, (Imp. Pommeret et Guénot), 1843; in-12, 2 f., (faux titre et titre), 108 p., la d. n. ch.
Anonyme. — Épigraphe au verso du faux titre :
Amor ch'a nullo amato amar perdona.
DANTE.
B. F., 11 novembre 1843, n° 5157.
Les pièces de ce recueil de poésies, numérotées de I à XLI, sont suivies de « quatre pièces finales », au sujet desquelles il est dit, page 103 :
« On a pensé que les quatre pièces suivantes, bien qu'elles ne se trouvassent pas classées parmi celles du Recueil, se rapportaient a la même passion, dont elles exprimaient ou le déchirement ou la décroissance ».
La plus ancienne date du volume est celle de la pièce IV (L'Enfance d'Adèle): 9 août 1831 ; la plus récente est celle de la dernière pièce : décembre [1837 ?].
D'après une note manuscrite de P. Chéron sur l'exemplaire annoté par Sainte-Beuve et relié à la suite des Poésies complètes (Paris, Charpentier, 1840) qui se trouve à la Bibliothèque nationale (Y e 4800, 4801), ce livre aurait « été tiré à 500 exemplaires, qui ont été détruits par l'auteur, sauf quatre ou cinq donnés, lors de l'impression, à différentes personnes (Mmes d'Arbouville, de Rozan, Hortense Allart, etc.), un paquet de 10 ou 12 trouvé chez l'auteur après sa mort et 7 qu'il a corrigés et annotés de sa main et fait relier avec différents ouvrages... ». Mais le testament même de S.-B., écrit, un mois après le dépôt du volume, le 19 décembre 1843 et annexé à sa lettre du même jour adressée à Juste Olivier, parle de 204 exemplaires « plus un paquet de bons à tirer » qui semblent bien représenter la totalité de l'édition: « 202 brochés en vert, 1 exemplaire mal broché en jaune, 1 exemplaire non broché, de bonnes feuilles».
Voir : E. Lemaître : Le Livre d'Amour (n° 181); L. Séché: Sainte-Beuve, II, 55-74 (n° 197) : G, Michaut : Le Livre d'amour de Sainte-Beuve (n° 199) ; la notice de M. J. Troubat en tête de la réimpression annoncée ci-après (n° 5b) ; Correspondance inédite de Sainte-Beuve avec M. et Mme Juste Olivier, p. 346 (n° 148); et la note du n° 11.
5a. — Livre d'Amour. Paris, (Imp. Pommeret et Guénot), 1843; in-8, 3 f., 108 p., la dernière non chiffrée.
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388 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
On lit au verso du premier feuillet; avant le faux titre :
« Pour satisfaire la curiosité de quelques Bibliophiles, ce Livré, réimpression de l'édition originale, a été tiré à treize exemplaires numérotés sur papier vélin à la forme des Manufactures du Marais, plus un exemplaire sur papier de Chine. — Texte et imposition strictement conformes à ceux de « l'édition princeps ».
5b. — C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. — Livre d'Amour. Préface par Jules Troubat. Paris, A. Durel, (Imp. Ph. Renouard), décembre 1904; in-8, XV-187 p.
Même épigraphe que ci-dessus.
Il a été tiré 450 exemp. pet. in-8 sur pap. vélin, numérotés à la presse de 1 à 450 ; 50 exemp. in-8 sur pap. du Japon, numérotés de 1 à L; plus quelques exemplaires destinés à être offerts.
B. F. 31 décembre 1904, n° 12122.
Préface et P.-S. (p. V-XII); Note de l'éditeur (p. XIII-XV). L'ODE AU SOIR : Si quelque flûte de Sicile, non numérotée dans l'édition originale, porte le n° XX; par suite, la pièce XX de l'édition de 1843 : Un mot qu'on me redit, est numérotée XXI, et ainsi de suite jusqu'à la pièce XLI devenue XLII. Dans la réimposition pour le tirage sur papier du Japon, les pièces XXVIII à XXXII ayant été mêlées, on réimprime en ce moment les feuilles 15 et 16 de ces exemplaires; tout est régulier avant et après. — Les notes autographes de l'auteur qui se trouvent sur l'exemplaire de Paul Chéron, donné à la Bibliothèque Nationale, ont été reproduites dans cette édition.
6. — [Poésies] s. l. n. d. ; in-8, 29 p. en partie non chiffrées.
Anonyme. — Recueil de treize pièces en vers et en prose, imprimées au recto seulement de chaque feuillet quand la pièce tient sur une page, ou au recto et au verso quand elle est plus longue, et ainsi composé :
P. 1, Épigraphe : Depuis déjà longtemps, je ne chante plus empruntée à un
« poète persan ». P. 3-4, Amie, il faut aimer... (Vers précédés de cette épigraphe : Je ne veux plus, je ne chercherai plus, me disait-elle. — Je répondais: ). P. 5-6, CHANSON: Dans des coins bleus parsemés d'or. P. 7-8, Quand votre père octogénaire. P. 9 (non chiffrée), Plus que narcisse et pâle tubéreuse. P. 11-12, RONDEAU. A UNE BELLE CHASSERESSE. P. 13, SONNET : Une soirée encore était presque passée. P. 15-17, Comment chanter quand l'Amie est en pleurs? P. 19 (non chiffrée), IMITÉ DE L'ANTHOLOGIE [en prose] : Ils disent que votre lèvre charmante... P. 21, (EN VUE D'ELLE), [en prose] : Dans l'amour même, à le prendre au vrai. [A la fin] : (Pensées morales). P. 23-25, A UNE CHASSERESSE. HÉROÏDE : Chez Tibulle, autrefois. P. 27, Dans ces essors fougueux d'un galop insensé. P. 29, SONNET : Osons tout et disons nos sentiments divers.
Les dix pièces de vers indiquées ici ont été réimprimées par l'auteur, sauf la seconde, sans leurs épigraphes ou arguments en prose, dans les Poésies diverses qui forment une sorte de supplément aux Poésies complètes de 1845 (1), et au tome Ier, p. 204-217 de l'édition de Poulet-Malassis.
L'exemplaire décrit ici nous a été communiqué par M. Maurice Tourneux. Le Bulletin mensuel de la librairie D. Morgand, de novembre 1890, annonçait, sous le n° 19194, une plaquette contenant cette brochure reliée avec Un dernier rêve. Sur la garde, S.-B. avait écrit, au-dessous de sa signature : « Ces vers sont de moi ».
Pour plus de simplicité, nous conservons à cette plaquette la date approximative
(1) On trouve d'ailleurs dans cette édition de 1845 six de ces pièces : les 1re, 5e, 6e 7°, 9e et 10e, plus la seconde, imprimée (p. 467-8) dans les Romances.
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BIBLIOGRAPHIE 389
de 1844 qui lui a été assignée par M. G. Michaut : Sainte-Beuve avant les Lundis, p. 689.
7. — Poésies de Sainte-Beuve. — Joseph Delorme. — les Consolations. —
Bruxelles, E. Laurent, imprimeur-éditeur, place de Louvain, n° 547, 1834; in-32, 384 p.
Ce volume reproduit le texte des éditions originales; il est terminé par la pièce empruntée à Arthur et intitulée DÉSIR : Eh quoi! ces doux jardins, cette retraite heureuse. ..
M. Maurice Tourneux possède, de cette jolie contrefaçon, l'exemplaire même de Sainte-Beuve, portant cet envoi : « A l'Auteur, respectueux souvenir. DOURDAIN, 4 mai 4837 ». Le donateur est probablement Charles-Aristide Dourdain, le plus ancien secrétaire de Sainte-Beuve, dont il est parlé dans l'appendice, intitulé : Mes Secrétaires du tome IV des Nouveaux Lundis (p. 457-8).
8. — Poésies complètes de Sainte-Beuve.— Joseph Delorme. — Les Consolations.
— Pensées d'Août. — Paris, Charpentier, (Imp. Béthune et Plon), 1840 ; in-12, 2 f. 403 p.
Épigraphe : Hos inter si me ponere Fama volet!
PROPERCE. B. F. 23 avril 1840, n° 1806.
Préface (p. 1-2) : « On trouvera ici réunies toutes les poésies que j'ai publiées en volumes jusqu'à ce jour, augmentées du petit nombre de celles qui me restaient à recueillir. Elles forment un ensemble qui se complète et auquel j'aurai désormais bien peu à ajouter... ».
Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (p. 3-142). Les vers « A Madame F. » et ceux « Pour mon ami Ulric G. » ajoutés à la deuxième édition de Joseph Delorme, sont compris ici dans les Poésies diverses. Les Pensées sont au nombre de vingt comme dans la seconde édition, mais avec un paragraphe de plus à la neuvième.
Poésies diverses (p. 143-164 et 243-248); les Consolations (p. 165-241) ; Pensées d'Août (p. 249-364); Notes et Sonnets (p. 365-396); Romances (p. 397-399); Sonnet - Épilogue (p. 400).
Les vers : Pour de lointains pays (quand je devrais m'asseoir) (p. 389), dédiés ici « A J.-B. Soulié », portent dans les éditions suivantes le litre : « Elégie ».
9. — Poésies complètes de Sainte-Beuve. Édition revue et augmentée.— Joseph
Delorme. — Les Consolations. — Pensées d'Août. — Paris, Charpentier, (Imp. Crapelet), 1845; in-12, 2 f., 476 p.
Épigraphe : Hos inter si me ponere Fama volet!
PROPERCE.
La couverture porte : « Nouvelle édition revue, corrigée et très augmentée », et la date de 1846.
Cette édition ne paraît pas avoir été enregistrée par la B. de la F.
P. 1-2, Préface, datée d'avril 1840, avec un P.- S. de décembre 1844, annonçant qu'on « a ajouté dans cette réimpression quelques pièces qui ne faisaient point partie de l'édition de 1840, en s'attachant toutefois à ne pas rompre l'ordre et la gradation des nuances, ce qui est important dans ces volumes de Sylves... ».
Cette édition contient 10 pièces nouvelles dans les Poésies diverses; 6 dans les
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360 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Pensées d'août; 4 dans les Notes et Sonnets ; 3 dans les Romances; des vers en réponse à ceux d'Edouard Turquety (p. 463-464); et (p. 472), une Pensée omise parmi celles de Joseph Delorme, à intercaler après le numéro VI.
I. — Comment chanter quand l'Amie est en pleurs. — A UNE AMAZONE: Dans ces essors fougueux d'un galop insensé. — SONNET : Osons tout et disons nos sentiments divers,
— POUR MON AMI AUGUSTE DESPLACES : De nos folles ardeurs, Amour, que tu l'amuses.
— TROIS PIÈCES DE MOSCHUS : Dans un souffle apaisé, quand rit la mer sereine. Pan aimait Écho, sa voisine. Quittant Pise et ses jeux, Alphée, au flot d'argent. — SONNET : Le vieux coursier hennit aux escadrons fumants. — IMITÉ D'OVIDE : De tous les dons du Ciel, de tout ce que la Terre. — SONNET : J'étais roi arbre en fleur où chantait ma jeunesse.
II. — On parlait de la mort : un ami n'était plus. — LE JOUEUR D'ORGUE : Nous montions lentement, et pour longtemps encore. — SONNET : Mais dans l'autre moitié du rapide passage. — SONNET : J'aime Paris aux beaux couchants d'automne. — LA FONTAINE DE BOILEAU, ÉPITRE : Dans les jours d'autrefois qui n'a chanté Bâville? — MARIA : Sur un front de quinze ans la chevelure est belle.
III. — LE DERNIER DES ONZE SONNETS DE CH. LAMB : Nous étions deux enfants à passer notre enfance. — (UN SOIR, LE LENDEMAIN DU SONNET DE LAMB) : Paroles, voeux d'un coeur amoureux et timide. — SONNET : Ces jours derniers, dans les airs, la Nature. — SONNET, IMITÉ DE RUCKERT : Et moi je fus aussi pasteur en Arcadie.
IV. — CHANSON : Dans les coins bleus parsemés d'or. — BALLADE DU VIEUX TEMPS : A qui mettoit tout dans l'amour. — (UN JOUR, QU'ON CROYAIT AVOIR TROUVÉ) : Il est trouvé le bonheur et le charme.
L'avertissement des Pensées d'Août, septembre 1837, est suivi d'un P.-S, de décembre 1844, où il est dit que « l'auteur a composé en tout quatre recueils de vers dans chacun desquels, n'aimant pas trop à se répéter, il aurait voulu avoir fait quelque chose de nouveau et de distinct. On a dans Joseph Delorme et Les Consolations les deux premiers de ces recueils; les Pensées d'Août sont le quatrième. Entre celui-ci et Les Consolations, il y a donc, à certains égards, une lacune, un intervalle [le Livre d'Amour]: la nuance certainement est autre... ».
10. — Poésies diverses. S. l. ( [Paris], De l'Imprimerie de Crapelet, rue de Vaugirard, 9), n. d. [1845] ; in-12, 1 f. (faux titre), 44 p.
B. F. 2 août 1845, n° 3953.
Anonyme. — Brochure sans titre, en tête de laquelle on lit (p. 1) : « (On a fait réimprimer ici, à un petit nombre d'exemplaires, et avec quelques additions, ces quelques pièces qui rappellent plus ou moins le ton de Joseph Delorme, et qui se placeraient naturellement après, dans le recueil des Poésies complètes. — Voir l'édition de 1845) ».
Ces poésies diverses ne forment pas, à proprement parler, un supplément au volume de 1845, car sur les trente-six pièces dont elles se composent, huit seulement manquent à celte édition; ce sont : ÉPODE. Le matin en passant sous l'humide ramée (p. 4-5). — Quand votre père octogénaire (p. 8-9). — Plus que narcisse et pâle tubéreuse (p. 9). — A UNE CHASSERESSE ENCORE. HÉROÏDE : Chez Tibulle, autrefois, Sulpicie à Cérinthe (p. 12-14). — A MON CHER MARMIER : Oh! oui, comme autrefois, comme aux jours de folie (p. 28-30). — Sous L'ODÉON. A AUGUSTE DESPLACES : O la belle élancée,
élégante et nu-tête (p. 31-32). — A H AVEC UN MARC-AURÈLE QU'ELLE A DEMANDÉ:
Voici donc le Stoïque et sa mâle sagesse (p. 37-38). — SONNET. A MARIE, DITE LA PETITE BOHÊME : Ces beaux petit; cheveux aux doux flots ondulés (p. 40).
Le sonnet : Le vieux coursier hennit aux escadrons fumants (p. 186 de l'édition de 1815) porte (p. 39) une dédicace « A la Comtesse Marie d'.... ».
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BIBLIOGRAPHIE 361
Sur les dix pièces de vers de la brochure de [1844?] décrite ci-dessus (n° 6), neuf figurent ici; il n'y manque que la chanson : Dans des coins bleus parsemés d'or, imprimée dans les Poésies complètes de 1845 (p. 467-68).
Ce projet de supplément à Joseph Delorme a été réalisé plus complètement dans l'édition de 1861 (Voir le n° suivant).
11. — Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Nouvelle édition très augmentée. Paris, Poulet-Malassis et de Broise, (Imp. S. Raçon et Cie), 1861 ; in-8, 2 f., 306 p.
Titre rouge et noir. Le faux titre porte : Poésies de Sainte-Beuve. Première partie. Joseph Delorme.
B. F, 13 avril 1861, n° 3593.
Épigraphe, au verso du faux titre : Hos ego versiculos, quoad ebria saeviit aelas
Avertissement, daté du 24 octobre 1860 (p. 1-2).— Vie, Poésies et Pensées de Joseph Délorme (p. 3-172). — Suite de Joseph Delorme. Poésies du lendemain ou dans le même Ion (p. 173-285). — Jugements divers et témoignages sur Joseph Delorme (p. 287-301).
Une note indique (p. 301) qu'il « est bien entendu que tous ces jugements et témoignages des anciens amis ne s'appliquent qu'au Joseph Delorme primitif, qui se termine à la page 172 de ce volume ».
Les poésies de Joseph Delorme contiennent (p. 137) un nouveau sonnet : Piquante est la bouffée à travers la nuit claire. — La Suite est le développement de l'idée qui avait présidé à la composition de la plaquette: Poésies diverses (n° 10) dont les vers, joints à ceux empruntés au Livre d'Amour, forment la majeure partie des soixantequinze pièces de ce supplément.
On trouve dans les Portraits contemporains (II, 84-85 et 88-89) un autre témoignage d'un « ancien ami » sur Joseph Delorme et sur les Contemplations; c'est celui d'Alfred de Vigny, dans deux lettres des 3 avril 1829 et 21 mars 1830.
Un exemplaire « composé de bons à tirer, avec de nombreuses corrections et additions de la main de M. Sainte-Beuve et des observations caractéristiques adressées à l'Éditeur », a été catalogué, sous le n° 268, dans la Notice d'une jolie collection de livres modernes, spécialement de l'École romantique [provenant de Ph. Burty], vendus, les 13 et 14 mai 1870, par les soins de MM. Liepmannssohn, expert, et DelbergueCormont, commissaire-priseur.
12. — Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Nouvelle édition très augmentée. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. S. Raçon et Cie), 1863; in-8, 2 f., 306 p.
Le faux titre porte : Poésies de Sainte-Beuve. Première partie; et la couverture : Sainte-Beuve. Poésies complètes. Première partie. Nouvelle édition très augmentée : Vie, Poésies et Pensées de Joseph Délorme.
B. F, 14 mars 1863, n° 2346.
Même édition que la précédente (n° 11) avec un nouveau litre, tiré en noir, et une nouvelle couverture.
Les Consolations. — Pensées d'Août. — Notes et Sonnets. — Un Dernier rêve. — Par C.-A. Sainte-Beuve. Nouvelle édition revue et augmentée. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. S. Raçon et Cie), 1863; in-8, 2 f, 353 p.
Le faux titre porte : Poésies de Sainte-Beuve. Seconde partie; et la couverture
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962 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Sainte-Beuve. Poésies complètes. Seconde partie. - Nouvelle édition revue et augmentée. — Les Consolations. — Pensées d'Août. — Notes et Sonnets. — Un dernier rêve. B. F. 14 mars 1863, n° 2346.
Epigraphe, au verso du faux titre : Hos inter si me ponere Fama volet.
PROPERCE.
Avertissement, daté du 16 juin 1862 (p. 1-2); Les Consolations (p, 3-93); Poésies diverses faisant suite aux Consolations (p. 95-104); Jugements divers, et témoignages sur Les Consolations (p. 105-127); Pensées d'Août avec des pièces nouvelles (p, 129-285); Notes et Sonnets faisant comme suite aux Pensées d'Août (p. 287-334): Un Dernier rêve (p, 335-347).
Les Pensées d'Août portent pour la première fois en épigraphe les « Paroles de Goethe à Eckermann : Tous les petits sujets qui se présentent, rendez-les chaque jour dans leur fraîcheur »
Les vers : On parlait de la mort ; un ami n'était plus, de l'édition précédente des Pensées d'Août, font partie de Un Dernier rêve (p.343-344).
Les poésies se terminent par cette note (p. 347) : Toutes ces poésies qu'on vient de voir étant ainsi assemblées et la gerbe liée, ne suis-je pas autorisé à dire : « Aujourd'hui on me croit seulement un critique; mais je n'ai pas quitté la poésie sans y avoir laissé tout mon aiguillon. »
Errata (p. 353), à la fin de la table.
Dans la notice autobiographique qu'il a rédigée en 1868 et qui se. trouve dans Souvenirs et Indiscrétions, S.-B. parlant des éditions de ses Poésies dit (p. 88) : « Une édition dernière qui a paru chez le libraire Michel Lévy en 1863 forme deux volumes et est préférable pour le complet à toutes les autres ".
A propos de cette édition, Lamartine, sous forme de « Lettre à M. Sainte-Beuve », consacra les Entretiens CI et CII du Cours familier de Littérature (XVII, 313-488) à l'examen de l'oeuvre du Critique, Sainte-Beuve l'en remercia par une lettre du 13 juillet 1864, insérée dans les Causeries du Lundi (IX, 563-5), avec une lettre à Paul Verlaine, 19 novembre 1865, « qui avait parlé légèrement de Lamartine ».
13. — Poésies complètes de Sainte-Beuve. Édition revue et augmentée, - Joseph
Delorme. - Les Consolations. — Pensées d'Août, — Paris, Charpentier et Cie, (Imp. S. Raçon et Cie), 1869; in-12, 2 f., 476 p.
Epigraphe : Hos inter si me ponere Fama volet!
PROPERCE.
B. F. 27 novembre 1869, n° 10971.
Edition conforme à celle de 1845 ; elle a été réimprimée et le dernier tirage en vente (Sceaux, Imp. Charaire et fils) porte la date de 1890.
14 - OEuvres de Sainte-Beuve. Poésies complètes. Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. — Les Consolations. - Pensées d'Août. — Notes et sonnets. — Un dernier rêve. — Notice par A. France. Paris, A. Lemerre, (Imp. Ch. Unsinger), 1879; 2 vol. pet. in-12, 2 f, xxxix-385 p. et 2 f., 430 p.
Titre rouge et noir. — Petite bibliothèque littéraire.
Outre l'édition ordinaire sur papier vélin teinté, il a été tiré 25 exemplaires sur papier de Hollande et 25 sur papier de Chine, numérotés et paraphés. B. F. 19 juillet 1879, n° 7848.
Aux indications du titre, il convient d'ajouter les suivantes : Tome I, — En regard du litre, portrait de Sainte-Beuve gravé à l'eau-forte par
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BIBLIOGRAPHIE 363
Martinez (les exemplaires numérotés l'ont en deux états, noir et sanguine).— La notice de M. Anatole France, occupant les xxxix pages du début, est intitulée : Sainte-Beuve poète. — En tête de la vie de Joseph Delorme, avertissement de S.-B. pour l'édition de 1861 avec l'épigraphe de l'édition originale de 1829 (p. 1-3). — Jugements divers et témoignages sur Joseph Delorme (p. 357-79).
Tome II. — Avertissement de S.-B., daté du 16 juin 1862 (p. 1-3). — Dédicace des Consolations « à Victor H. », datée de décembre 1829 (p. 7-21). — Jugements divers et témoignages sur les Consolations (p. 127-163). — En tête des Pensées d'Août, « paroles de Goethe à Éckermann » (p. 165) et Avertissement, daté de septembre 1837 avec P.-S de décembre 1844 (p. 167-171). — Notes et Sonnets faisant suite aux Pensées d'Août (p. 353-409). — Un Dernier rêve (p. 411-424).
Celte édition est conforme pour le texte à celle de 1863.
II. — ROMAN
15. — Arthur.
Premier roman de S.-B, inachevé. Connu par les fragments donnés par l'auteur dans son article sur Ulrich Guttinguer (Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1836) et dans les Critiques et Portraits littéraires (IV, 336-341), puis dans les Portraits contemporains (II, 406-411). — Publié dans Sainte-Beuve inconnu. Voir n° 192.
16. — Volupté. Paris, E. Renduel, (Imp. Plassan et Cie, rue de Vaugirard, 45, pour le premier volume; et Plassan, rue de Vaugirard, 11, pour le second), 1834 ; 2 vol. in-8, 335 et 291 p.
B. F. 19 juillet 1834, n° 4011.
Anonyme. — Errata au verso du titre du tome II.
Un exemplaire formé d'épreuves avec de nombreuses corrections et additions de Sainte-Beuve, qui « indique à l'imprimeur de remettre le jugement primitif sur Chateaubriand au t. Ier p. 157 », et demande une seconde éprouve, figure sous le n° 973 du Catalogue de la bibliothèque de M. Philippe Burty (Paris, Em. Paul, L. Huard et Guillemin, 1891).
Un exemplaire avec envoi de S.-B. A Madame Dudevant. Hommage de respect et d'amitié, figurait, sous le n° 741, dans le Catalogue de la Bibliothèque de Mme George Sand et de M. Maurice Sand. Paris, Ferroud, 1890, in-8.
M. Adolphe Jullien qui, dans son livre sur Le Romantisme et l'Éditeur Renduel, a parlé « des tirages sur beau papier de Chine ou des Vosges, sur papier rose ou vert», que le vieux libraire « avait faits pour lui-même », possède un exemplaire de Volupté sur papier de Chine.
16a. — Volupté. Nouvelle édition, revue et corrigée: Paris, Charpentier, (Imp. Béthune et Plon), 1840; in-12, 2 f, 422 p.
B. F, 4 avril 1840, n° 1448.
Anonyme. — L'avant-propos est daté de 1834 et signé S.-B. — A la fin (p. 421-2), Note.
16b. — Volupté. Troisième édition, revue et corrigée. Paris, Charpentier, (Imp. Crapelet), 1845; in-12.
La couverture porte : par Sainte-Beuve. B. F., 5 juillet 1845, n° 3448.
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364 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
16°. — Volupté. Quatrième édition, particulièrement revue et corrigée. Paris, Charpentier, (Imp. de Gratiot), 1855; in-12.
B. F, 7 avril 1855, n° 2150.
Sur un exemplaire de cette édition (n° 606 de la première partie du Catalogue des livres de sa bibliothèque), Sainte-Beuve avait écrit : Cette édition, revue par moi, est la meilleure de Volupté.
16d. — Volupté. Cinquième édition. Paris, Charpentier, (Imp. P.-A. Bourdier et Cie), 1861 ; in-12, 2 f., 388 p.
B. F, 2 novembre 1861, n° 10310.
16e. — Volupté. Sixième édition, avec un appendice contenant les témoignages et jugements contemporains. Paris, Charpentier, (Imp. P.-A. Bourdier, Capiomont fils et Cie), 1869; in-12, 2 f., 416 p.
B. F, 3 juillet 1869, n° 5991.
La Note occupe, comme dans l'édition précédente, les p. 387-8 ; elle est suivie d'un Appendice (p. 389-416). Dans une lettre de Sainte-Beuve, à Charpentier, du 28 mai 1869, il est question de cet « appendice des plus curieux, qui ne se lit si couramment que parce que j'ai mis beaucoup de temps et de soin à l'assembler, à le digérer à le rendre facile, sans rien modifier sans doute dans les textes, mais en y apportant, toutefois, un certain goût caché dans la manière de présenter, d'extraire et de choisir... Cet appendice, attaché désormais à l'édition in vernum, est une curiosité littéraire d'un intérêt durable. »
La couverture des cinquième et sixième éditions porte : « par Sainte-Beuve, de l'Académie française » et la mention : « cinquième [ou sixième] édition revue et corrigée. »
16r. — Volupté, par Sainte-Beuve, de l'Académie française. Septième édition revue et corrigée, avec un appendice... Paris, Charpentier, (Imp. Viéville et Capiomont), 1872; in-12, 2 f., 416 p. B. F, 15 juin 1872, n° 4500.
16g. — Volupté Huitième édition Paris, Charpentier et Cie, (Imp.
Viéville et Capiomont), 1874; in-12, 2 f., 416 p. B. F., 15 août 1874, n° 7188.
16h. — Volupté. ... Neuvième édition Paris, Charpentier et Cie, (Imp.
Capiomont et Renault), 1877; in-12, 2 f., 416 p.
B. F., 8 décembre 1877, n° 11879.
Le dernier tirage en vente (Imp. L. Maretheux, s. d.) porte la mention « nouvelle édition ».
17. — Madame de Pontivy.
Nouvelle publiée dans la Revue des Deux-Mondes du 15 mars 1837. Réimprimée dans le t. IV des Critiques et Portraits littéraires et dans les Portraits de Femmes.
On lit à la p. 107 de l'exemplaire du Livre d'Amour, annoté par Sainte-Beuve et
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BIBLIOGRAPHIE 365
conservé à la Bibliothèque nationale (Réserve Y e 4801) : « C'est à ce moment, et pour s'efforcer de la ramener, qu'a été écrite la petite nouvelle qui a pour titre Madame de Pontivy ».
18. — Christel.
Nouvelle publiée dans la Revue des Deux-Mondes du 15 novembre 1839. Réimprimée dans La Bruyère et La Rochefoucauld et dans les Portraits de Femmes.
19. — C.-A. Sainte-Beuve. — Le Clou d'or. — La Pendule. Avec une préface de de M. Jules Troubat. Paris, Calmann Lévy, (Corbeil, imp. Crété), 1881; pet. in-8 carré, 2 f., VIII-91 p., la d. n. ch.
B. F., 8 janvier 1881, n° 453.
Titre rouge et noir. — La Pendule, dédiée « à mon ami Tôpffer, de Genève », est signée Joseph Delorme.
III. — HISTOIRE LITTÉRAIRE. — CRITIQUE. OUVRAGES DIVERS
A. — Monographies.
20. — Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle, par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, A. Sautelet et Cie et Alexandre Mesnier, (Imp. de Guiraudet), 1828; in-8, 4 f. (faux titre, titre, dédicace à P. Dubois et préface), et 396 p.
Le faux titre porte : Poésie française au xvi° siècle, tome Ier. Errata, p. 396.
OEuvres choisies de Pierre de Ronsard, avec notice, notes et commentaires, par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, A. Sautelet et Cie et Alexandre Mesnier, (Imp. de Guiraudet), 1828; in-8 de XXXV (la dernière, errata, non chiffrée) et 350 p.
Le faux titre porte : Poésie française au xvie siècle, tome II.
Epigraphe de ce vol. : Habent sua fata libelli.
B. F, 19 juillet 1828, n°s 4459 et 4431.
Il existe un prospectus de 4 p. in-8, sorti des presses de l'imprimerie Guiraudet, annonçant la mise en vente de cet ouvrage — dont le prix était de 14 francs— pour le lundi 14 juillet 1828.
Voir (n° 195) la thèse de M. G. Michaut : Quibus rationibus Sainte-Beuve opus suum de XVIe seculo.
20a. — Tableau historique et critique... Seconde édition. Paris, RaymondBocquet, 1838, 2 vol. in-8.
Même édition que la première, avec de nouveaux litres, imprimés chez Terzuolo, semblables pour les deux volumes; seul le faux-titre du deuxième volume porte l'indi-
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366 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Cation « tome second ». Mise en vente, le 7 avril 1838, à 14 francs, elle fut, peu après, vendue au rabais (v. n° 48 b).
L'exemplaire de Sainte-Beuve, « corrigé de sa main, avec de nombreux changements et additions dans le corps du texte, en vue d'une nouvelle édition », figure, sous le n° 970, dans le Catalogue de la Bibliothèque de M. Philippe Burly (Paris, Em. Paul, L. Huard et Guillemin, 1891, in-8).
20b. — Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au xvie siècle.; par C;-A. Sainte-Beuve. Edition revue et très augmentée, suivie de portraits particuliers des principaux poètes. Paris, Charpentier, (Imp. Béthune et Plon), 1843; in-12, 2 f., 509 p., la d. n. ch.
B. F., 4 mars 1843, n° +1081.
« Errata » au verso du faux titre. — Dédicace « à Monsieur P. Dubois », mai 1842 (p. 1-2). L'auteur y dit : « J'ai beaucoup revu, beaucoup vérifié, quant aux faits de détail et aux particularités dont ce genre d'ouvrage abonde; j'ai dû m'arrêter. Une correction plus minutieuse et poussée plus avant serait, j'ose dire, dans l'intérêt de mon amour-propre plutôt que dans celui de la question littéraire elle-même. » — « Préface de la première édition ", juin 1828; suivie d'une note signalant les quatre articles consacrés à cet ouvrage, en 1828, dans le Globe par MM. Dubois et de Rémusat,
(p. 3-4). « Tableau historique et critique » (p. 5-262). — « Du Roman au
xvie siècle et de Rabelais » (p. 263-280). — « Conclusion », avril 1828, (p. 281-289). — Appendice : « Vie de Ronsard », empruntée au t. II de l'édition de 1828 (p. 291308) et suivie de « Pièces et notes » (p. 308-316) — Note indiquant le commencement d' " une seconde partie de cette publication, et comme la seconde moitié qui ne se rattache que librement à la première » (p. 317). — « Mathurin Régnier et André Chénier » (p. 319-332); article publié dans la Revue de Paris, août 1829.- — Joachim Du Bellay » (p. 333-364), Revue des Deux-Mondes, 15 octobre 1840. — « Jean Bertaut » (p. 365-386), Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1841. — « Du Bartas » (p. 387-414), Revue des Deux-Mondes, 15 février 1842. — « Philippe Des Portes » (p. 415-439), Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1842. — « Anacréon au XVIe siècle » (p. 440-456), Revue des DeuxMondes, 15 avril 1842. — « De l'esprit de malice au bon vieux temps. La Monnoye. Grosley » (p. 457-483), Revue de Paris, octobre 1842. — « Clotilde de Surville » (p. 484508), Revue des Deux-Mondes, 1er novembre 1841. — Table et Errata (p. 509).
Voici, à propos de l'article sur « Anacréon au xvie siècle « et de celui sur Grosley, deux lettres de Sainte-Beuve, du 16 février [1842?] et du [8 octobre 1842], copiées sur les originaux, de 1 p. 1/3 in-8 pour la première et deux pages in-8 pour la seconde, que nous devons à l'amilié de M. Noël Charavay:
Monsieur,
Je viens recourir à votre obligeante érudition pour un renseignement. J'ai l'idée d'un petit article dont le sujet serait l'influence directe d'Anacréon sur les poêles français du xvie siècle. En effet, dès l'apparition de l'Anacréon de 1554, ils se mirent tous à le traduire, à l'imiter, à en faire : tellement qu'il semble presque un poète de circonstance. Or, où en est la question anacréontique? pourriez-vous m'indiquer quelque édition ou dis-
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BIBLIOGRAPHIE 357
sertation ou volume, où soit traitée l' authenticité d'Anacréon, et où se trouve l'opinion des critiques sur la qualité de la publication d'Henri Estienne?
Excusez-moi de ce recours si familier, mais je sais votre obligeance non moins que vos mérites.
Votre bien dévoué serviteur,
STE-BEUVE.
Ce 15 fév[rier 1842?]
Suscription : Monsieur,
Monsieur Rossignol,
Rue Jacob, n° 27 au 29
Ce samedi [5 octobre 1942] Cher Monsieur,
Au marnent d'imprimer un petit article où il est question de Grosley, il me prend un scrupule d'exactitude. Est-ce avec les tisserands ou les tanneurs du faubourg de... qu'il aimait à venir causer au soleil dans ses derniers jours ? J'ai oublié le nom du faubourg et de la rue, et je ne suis pas sûr de la qualité et du métier de ces bonnes gens. Avec une figure comme celle de Grosley, tous ces détails ont leur prix.
Je m'aperçois aussi que dans la copie qu'on m'a faite de l' appendice manusc [rit] à la Vie, il y a un passage fautif. C'est à la note 3, page 13, lignes 17, 22, etc. : Le subdélégué sur lequel etc. Auriez-vous la bonté de me copier les dernières lignes de la note après Conseiller du Roi. Ce qu'on m'a copié ici est inintelligible.
Voilà bien des choses, Monsieur, que je réclame de votre obligeance, mais vous m'avez accoutumé à tout cela et à plus encore,
Recevez l'expression de mes sentiments bien affectueux.
STE-BEUVE. à l'Institut.
Suscription : Monsieur,
Monsieur Harmand, Bibliothécaire, de la ville de Troyes, à la Bibliothèque,
à TROYES (Aube). (Le timbre de la poste porte la date du 9 octobre 1842.)
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368 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
20°. — Tableau... par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Nouvelle édition... Paris, Charpentier et Cie (Imp. S. Raçon et Cie), 1869 ; in-12, 2 f., 500 p., la d. n. ch.
B. F., 29 janvier 1870, n° 1030.
Édition conforme à celle de 1843. — Nouveaux tirages, Imp. Vve P. Larousse et Cie, s. d. [2 novembre 1878 et 5 avril 1884], et Imp. L. Maretheux, s. d. Dans celui que nous avons sous les yeux, les errata du commencement et de la fin ont disparu, mais les fautes subsistent.
20d. — OEuvres de C.-A. Sainte-Beuve. Tableau de la poésie française au XVIe siècle. Édition définitive, précédée de la Vie de Sainte-Beuve par Jules Troubat. Paris, A. Lemerre,(Imp. A. Quantin), 1816; 2 vol. pet. in-12.
Titre rouge et noir. Petite bibliothèque littéraire.
Outre l'édition ordinaire sur papier vélin teinté, il a été tiré 20 exemplaires sur papier vergé et 25 sur papier de Chine, numérotés et paraphés.
B. F , 9 décembre 1876, n° 12625.
Le tome I, de 2 f., LIX-439 p., les 4 d. n. ch., contient : « La vie de Sainte-Beuve » (p. I-LIV), signée Jules Troubat, suivie d'un « appendice à la vie de Sainte-Beuve : le livre de M. d'Haussonville » (p. LV-LIX) non signé. — Dédicace « à Monsieur P. Dubois, son dévoué et reconnaissant élève, Sainte-Beuve », datée de mai 1842 (p. 1-4). — Préface de la première édition, datée de juin 1828 (p. 5-7). — Tableau historique et critique de la Poésie française au XVIe siècle (p. 9-288). — Histoire du Théâtre français au XVIe siècle, (p. 289-435).
Le tome II, de 2 f., 419 p., la d. n. ch., contient : « Du roman au XVIe siècle et de Rabelais », suivi d'une « conclusion » datée d'avril 1828 (p. 1-44). — Un « Appendice » reproduisant la notice biographique de Ronsard qui était placée dans l'édition originale du Tableau en tête du tome II (p. 45-89). — Avertissement [de S.-B.] pour les huit morceaux qui suivent : Mathurin Régnier et André Chénier; Joachim du Bellay; Jean Bertaut; Du Bartas; Philippe Des Portes; Anacréon au XVIe siècle; De l'esprit de malice au bon vieux temps; Clotilde de Surville (p. 90-402). — Préface des OEuvres choisies de Ronsard et préface de la Franciade ; reproduction de deux morceaux qui se trouvent au tome II de l'édition originale de 1828, (p. 403-408). — Observations sur la préface de la Franciade de Ronsard (p. 408-10) et note sur le Bocage Royal (p. 411) extraits du Choix de Ronsard. — Notes posthumes de S.-B. sur les projets d'articles destinés à compléter le Tableau de la Poésie française au XVIe siècle (p. 411-14), et enfin, une courte note de M. J. Troubat ajoutant à ces projets quelques indications bibliographiques (p. 414-15).
21. — Souscription. — OEuvres complètes de Victor Hugo. Prospectus. S. 1. (Paris, Imp. Lachevardière), n. d. [1829] ; in-8, 16 p.
B. F. 24 janvier 1829, n° 492.
Dans une note de S.-B., publiée dans les Premiers Lundis (III, 344), i est dit : « Il y a tel prospectus des OEuvres de Victor Hugo (en 1829, chez Gosselin) signé Amédée Pichot, et où Wordsworth est cité sur Shakespeare, qui est de moi. » En réalité, le texte même du prospectus (p. 1 à 12), écrit pour les libraires Gosselin et Bossange, est signé des initiales E. T.
M. Georges Vicaire a bien voulu nous communiquer l'exemplaire qu'il possède de celte pièce rarissime, décrite dans son Manuel de l'Amateur de Livres du XIXe siècle (IV, 247),
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BIBLIOGRAPHIE 369
et dont le texte a été publié par M. de Spoelberch de Lovenjoul dans Sainte-Beuve inconnu, p. 165-179.
22. — Port-Royal, par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, Eugène Renduel, [puis Hachette], 1840-1859; 5 vol. in-8.
Tome 1, (Renduel, Imp. Pommeret et Guénot, 1840), 2 f., 526 p.— Au verso du titre: a A mes auditeurs de Lausanne. Pensé et formé sous leurs yeux, ce livre leur appartient ». Au bas, Errata pour la p. 234. — Avertissement (p. 1-3) ; — Discours prononcé dans l'Académie de Lausanne, à l'ouverture du cours sur Port-Royal, le 6 novembre 1837, (p. 5-31), publié d'abord dans la Revue des Deux-Mondes du 15 décembre 1837;
— Livre 1 et première partie du livre 2 de Port-Royal (p. 35-519); — table des matières suivie d'une note de onze lignes indiquant les divisions des trois autres volumes à paraître — Sainte-Beuve ne prévoyant alors que quatre tomes — et remerciant MM. Labitte, Chabaille et Louandre (p. 521-26).
B. F., 18 avril 1840, n°1641. — Le 9 janvier 1841, le Feuilleton du Journal de la Librairie annonce que, par suite de conventions récentes entre M. E. Renduel et M. Hachette, ce dernier est exclusivement chargé de la vente de Port-Royal, tome Ier.
Tome II, (Renduel, Imp. Pommeret et Guénot, 1842), 2 f., III-569 p., suivies d'un f. non chiffré. — Avertissement, daté du 1er février 1842 (p. I-III); — fin du livre 2 et commencement du livre 3 de Port-Royal (p. 3-561); — note sur la composition du t. III (p. 564); table des matières (p. 565-69); remerciements à M. Chabaille (note p. 569); une page non chiffrée d'Errata pour les t. I et II.
B. F., 19 février 1842, n° 962.
Tome III, (L. Hachette et Cie, Imp. Gustave Gratiot, 1848), 2 f., 604 p., les 6 premières numérotées en chiffres romains, et la dernière n'étant pas chiffrée. — Avertissement, daté du 15 mai 1846, (p. I-VI); — fin du livre 3 et livre 4 de Port-Royal (p. 9-588); — note sur la composition du t. IV (p. 588) appendice sur l'abbé de Rancé (p. 589-98) ; table des matières (p. 599-603) ; remerciements à M. Moriès (note p. 603); à la fin, une page d'Errata pour les t. II et III, non chiffrée.
B. F. 2 septembre 1848, n° 4679.
Tome IV, (L. Hachette et Cie, Imp. P.-A. Bourdier et Cie, 1859), 2 f., 562 p., les deux premières numérotées en chiffres romains. — Avertissement, septembre 1858 (p.I-II);
— livre 5 de Port-Royal (p. 5-535); — appendices sur M. de Bernières, la Mère Agnès, M. Hamon, Nicole, Mme de Sablé (p. 536-58);— table des matières (p. 559-621.
Tome V, (L. Hachette et Cie, Imp.P.-A. Bourdier et Cie, 1859), 2 f., 614 p. suivies de 1 f. non chiffré.— Livre 6 de Port-Royal (p. 3-594);— Appendices sur l'Institut de l'Enfance, Santeul, le Projet de traité saisi dans les papiers du P. Quesnel, Mlle de Joncoux (p. 595-609); table des matières (p. 610-614); le feuillet non chiffré contient des Errata aux trois premiers volumes. — En regard de la page 121, plan gravé, par C. Maurand, de l'abbaye de Port-Royal-des-Champs vue à vol d'oiseau.
B. F., 10 décembre 1859, n° 11178, (T. IV et V).
Voir sur cet ouvage les n°s 150 et 198, ainsi que les articles de Lerminier (Rev des D.-M., 1er juin 1840, p. 804-824), et de S. de Sacy (Journal des Débats, 21 mai 1841 et 13 décembre 1842, recueillis dans ses Variétés littéraires, morales et historiques).
22e. — Port-Royal... Deuxième édition. Paris, L. Hachette et Cie, (Imp. P.-A. Bourdier et Cie), 1860; 5 vol. in-8.
B. F., 7 janvier et 18 août 1860, n°s 189 et 7462.
Tome 1, 2 f., 553 p. — Appendice : Les Jansénistes et les Jésuites, par le P. de
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370 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Montézon (p. 513-539); jugements divers sur Port-Royal: M. Vinet, M. de Balzac, (p. 539-548).
Tome II, 2 f., 586 p., la d. n. ch. — Appendice : Sur l'auteur même de Port-Royal; sur Pascal; sur les Lettres Provinciales; sur la Réponse en tête de la troisième Provinciale (p. 571-580).
Tome III, 2 f., 636 p. — Appendice : Encore un débat sur Pascal [à propos de l'édition des Pensées données par M. Astié] (p. 613-618); sur l'abbé de Rancé (p. 618-628) Lettre en réponse à un magistrat [M. Dubédat], amateur de Port-Royal, contenant le catalogue d'une petite bibliothèque janséniste (p. 628-631).
Tomes IV et V. Même tirage que celui de la première édition avec de nouveaux titres, au verso desquels une note fait connaître que les rappels et renvois à certaines pages des tomes précédents « ne se rapportent qu'aux tomes I, II et III de la première édition ».
Port-Royal, par C.-A. Sainte-Beuve. Deuxième édition. Table alphabétique et analytique des noms propres de personnes contenus dans l'ouvrage, avec les principaux faits qui s'y rapportent. Paris, Hachette et Cie, (Imp. P. A. Bourdier et Cie), 1861 ; in-8, 2 f., 88 p.
B. F., 28 septembre 1861, n° 9214.
Une note indique (p. 1) que « cette table a été rédigée par M. A. R. » [Adolphe Régnier].
Le morceau concernant l'histoire d'Esther et d'Athalie (liv. VI, chap. XI), avait paru dans le Journal des Débats du 12 décembre 1859, avec quelques lignes de S. de Sacy. L'étude de Renan sur cette édition, recueillie dans les Nouvelles études d'histoire religieuse, fut donnée, dans le même journal, les 28 et 30 août 1860.
22b. — Port-Royal... Troisième édition. Paris, Hachette et Ce., (Imp. Lahure), 1867-71 ; 7 vol. in-12.
Bibliothèque variée.
B. F., 23 novembre 1867, n° 10231 et 1°r juillet 1871, n° 1261.
Tome 1, 2 f. IV-566 p. — Errata (v° du titre). — Avertissement, daté de mars 1866, indiquant que cette « troisième édition de Port-Royal (troisième édition pour les trois premiers volumes et deuxième pour les deux derniers) [il ne prévoyait que cinq volumes comme aux éditions précédentes] contient des perfectionnements et des additions » (p. I-IV). — « Dédicace et préface de la première édition », 1840 (p. 1-4). — « Discours prononcé dans l'Académie de Lausanne », 6 novembre 1837, (p. 5-30). — Livre Ier : « Origines et renaissance de Port-Royal » ; et livre II : « Le Port-Royal de M. de Saint-Cyran », chap. I à VI (p. 31-511). — « Appendice : L'Académie de Lausanne en 1837; A propos du discours préliminaire; Sur M. Le Maître; Mémoire du P. de Montézon; Jugements divers sur Port-Royal : M. Vinet, M. de Balzac, (p. 513-559).
Tome 11, 2 f., 684 p.— a Préface de la première édition », 1er février 1842 (p.1-2).— Fin du livre II et chap. I à V du livre III : « Pascal » (p. 3-510). — « Appendice» : Sur la comédie et le ballet du Palais-Cardinal; l'auteur même de Port-Royal; Balzac le grand Épistolier; la doctrine de la Grâce; la mort de M. de Saint-Cyran; M. de Barcos; M. de La Petilière et M. de La Rivière; M. du Hamel; l'affaire de M. de Chavigny; M. de Pontis; les mésaventures du P. Bouhours; Pascal (p. 511-578).
Tome III, 2 f., 640 p. — Errata (v°. du titre). — « Préface de la première édition », 15 mai 1846 (p. 1-4). — Fin du livre III et chap. I à IV du livre IV : « Ecoles de PortRoyal » (p. 5-589). — « Appendice » : Sur Gorin; le voyage à Rome des députés Jansénistes; M. de Launoi; les Lettres provinciales; Mm° du Plessis-Guénégaud et
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BIBLIOGRAPHIE 371
l'Hôtel de Nevers; la Réponse en tête de la Troisième Provinciale; le Cardinal de Retz; Massillon; le parallèle de Port-Royal et des Jésuites; le chevalier de Méré ; l'ascétisme de Port-Royal et son utilité. — Encore un débat sur Port-Royal. — Sur l'enseignement de Port-Royal; le P. Labbe. — Le P. Vavassor et le P. Rapin. — La Bastille et les Jausénistes. — Lettre en réponse à un magistrat [M. Dubédat]... (p. 591-634).
Tome IV, 2 f., 605 p. — « Préface de la première édition des t. IV et V », septembre 1858, (p. 1-2). Fin dulivre IV et chap. I à VIII du livre V : « La seconde génération de Port-Royal » (p. 3-516). — «Appendice » : Sur l'abbé de Rancé; l'abbé et l'abbaye de Sept-Fonts; M. le Camus; M. de Bernières; M. de Sainte-Beuve; la Mère Agnès; M. Hamon; Mme Angran; un arbitrage de Mme de Longueville; Nicole; encore Nicole (p. 517-600).
Tome V, 2 f., 631 p. En regard de la p. 273 : « Plan de l'Abbaye de Port-Royal des Champs, à vuë d'oyseau ».— Fin du livre V et chap. I à VII du Livre VI : « Le Port-Royal finissant » (p. 1 à 524). — « Appendice » : Sur les dispositions finales du cardinal de Retz. — Le cardinal de Retz et les Jansénistes. Mémoire de M. de Cbantelauze. — Sur Mme de Sablé; le P. Comblat; M. de Pontchâteau; le docteur Targni; M. de Harlai; le P. Du Breuil; l'Institut de l'enfance; Santeul; M. Feydeau, (p. 525-626).
Tome VI, 2 f:, 371 p. — Fin du Livre VI (p. 1-242). — Conclusion, août 1857, (p. 243-246). — « Appendice » : Sur Racine; le projet de traité saisi dans les papiers du P. Quesnel; un épisode de la vie du P. Quesnel; Mlle de Joncoux; M. Feydeau; M. de Ponchâteau; M. Issali; un chapitre de Miscellanées (p. 247-368).
Tome VII, 2 f., 422 p. — Ce volume, publié quatre ans après les six premiers, est formé par la " Table alphabétique et analytique des matières et des noms contenus dans les six volumes de la troisième édition de Port-Royal, par M. Anatole de Montaiglon ».
A « un compatriote » qui lui avait demandé s'il n'y aurait pas lieu de publier à part pour les acheteurs des premières éditions, les nombreux appendices de cette nouvelle édition, S.-B. répondait, le 20 octobre 1867, que la chose était « impossible ». Il ajoutait : « On pouvait reprocher à Cousin qui faisait un tirage de ses livres tous les six mois, d'y changer ou d'y ajouter sans cesse, mais après dix ans et vingt ans, il n'a jamais été défendu à un auteur de perfectionner son ouvrage; et ce ne saurait être une malhonnêteté au libraire éditeur de vendre cette seconde édition » (Nouv. Corr. p. 241-5).
A propos de cette édition, Renan publia, dans le Journal des Débats du 15 novembre 1867, un troisième article sur Port-Royal, recueilli, comme les deux premiers, dans ses Nouvelles études d'histoire religieuse.
22e. — Port-Royal... Quatrième édition. Paris, Hachette et Cie, (Imp. Lahure), 1878; 7 vol. in-12.
22d. — Port-Royal... Cinquième édition. Paris, Hachelle et Cie, (Imp. Lahure), 1888-1891; 7 vol. in-12.
22e. — Port-Royal .. Sixième édition. Paris, Hachette et Cie, (Imp. Lahure), 1900; 7 vol. in-12.
23. — Extrait de la Revue des Deux-Mondes, livraison du 1er juillet 1844. — Pensées, fragmens et lettres de Blaise Pascal, publiés pour la première fois conformément aux manuscrits originaux en grande partie inédits, par
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372 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
M. Prosper Faugère. S. L ([Paris], Imp. H. Fournier et Cie), n. d. [1844]; in-8, 19 p.
Article signé: Sainte-Beuve (p. 19), et reproduit dans les Port. Conl., V, 193-223.
21. — Institut royal de France. Discours prononcés dans la séance publique tenue par l'Académie française, pour la réception de M. Sainte-Beuve, le 27 février 1845. (Paris, Typ. Firmin-Didot frères), 1845; in-4, 2 f., dont un blanc, et 38 p.
B. F., 22 mars 1845, n° 1441.
La Réponse de M. Victor Hugo, directeur de l'Académie française, au discours de M. Sainte-Beuve, occupe les p. 23-38.
Le Discours de Sainte-Beuve prononcé « en venant prendre séance à la place » de Casimir Delavigne et la réponse de Victor Hugo, font partie du Recueil des discours, rapports et pièces diverses, lus dans les séances publiques et particulières de t'Académie française, 1840-1849. Première partie. Paris, Firmin-Didot frères, 1850; in-4, p. 455-492.
Le Discours de S.-B. a été reproduit dans les Portraits Contemporains, V, 169-192.
23. — Écrivains critiques et Historiens littéraires de la France. XV. Charles Labitte, S. l. (Paris, Imp. H. Fournier et Cie), n. d. [1846] ; in-8, 42 p.
Il n'y a qu'un titre de départ. Le faux titre (p. 1) porte : « Extrait de la Revue des Deux-Mondes. Livraison du 1er mai 1846».
Cette étude, signée : Sainte-Beuve (p. 42), a été reproduite en tête des Études littéraires de Ch. Labitte (v. ci-après, n° 98), puis dans les Port. Litt., III,362-393.
26. — Fragments extraits du Constitutionnel, n° du 14 janvier 1850, et imprimés par Bénard, typographe, sous-officier au 4° de ligne en 1812, blessé à la bataille de la Moskowa, blessé une deuxième fois à la bataille de Krasnoi. Journal de la Campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. 1849. Compte rendu par M. Sainte-Beuve. [Paris], Imp. Bénard, [1850], in-f°.
Nous n'avons pas vu cette pièce, mentionnée dans le Catalogue de l'Histoire de
France (Lh4) ) de la Bibliothèque nationale, mais qui manque en place.
27. — Institut national de France. Académie française. Funérailles de M. Droz.
Discours de M. Guizot, Directeur de l'Académie française, prononcé aux funérailles de M. Droz, le mardi 12 novembre 1850. S. l. (Paris, Typ. F. Didot frères), n. d. [1851] ; grand in-8, 32 p.
La couverture imprimée sert de titre.
B. F., 1er mars 1851, n° 1070.
Après les discours de M. Barthélemy Saint-Hilaire (p. 4-8), Duvernoy (p. 9-11) et
Mauvais (p. 12 et 13), Notice de M. Sainte-Beuve, membre de l'Académie française,
insérée dans le Constitutionnel du 9 décembre 1850 (p. 14-29), et liste des ouvrages de
Joseph Droz, publiés de 1797 à 1848 (p. 30-32). — Voir Causeries du Lundi, III, 163-184.
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BIBLIOGRAPHIE 373
28. — Le comte Roederer. Paris, Typ. Panckoucke, 1853; in-8, 68 p.
Extrait du Moniteur universel des 18 et 25 juillet et du 1er août 1853. Notice signée, p. 68 : Sainte-Beuve.
B. F., 13 août 1853, n° 4821.
Réimprimé, avec un appendice, dans les Causeries du Lundi, VIII, 325-393.
29. — Collège de France. Discours prononcé à l'ouverture du Cours de Poésie
latine, le 9 mars 1855, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Imp. J.Claye), 1855; in-12, 2 f., 48 p.
B. F., 24 mars 1855, n° 1710.
Ce discours a été reproduit dans le volume intitulé Étude sur Virgile (v. ci-après, n° 31); mais la note (p. 46-48) contenant l'indication de « quelques pièces qui, avec l'ouvrage de l'abbé Goujet, serviraient à une Histoire du Collège de France » et les renseignements fournis par M. Sedillot, secrétaire du Collège de France, sur la Chaire de Poésie latine, est ici terminée par les lignes suivantes :
« J'ai aussi consulté utilement un homme dont je m'honore de me dire le collègue' M. Quatremère, qui a bien voulu m'instruire de vive voix et m'éclairer de ses souvenirs sur quelques circonstances déjà anciennes du Collège: »
30. — Notice sur le maréchal de Villars, par M. Sainte-Beuve, membre de l'Institut.
l'Institut. J. Corréard, (Typ. Panckoucke.— Le faux titre et le titre ont été imprimés chez Gaittel et Cie), 1857 ; in-8, 2 f., 112 p.
Extrait du Moniteur universel, novembre et décembre 1856.
B. F., 24 janvier 1857, n° 770.
Voir les Causeries du Lundi, XIII, 39-131.
31. — Étude sur Virgile, suivie d'une étude sur Quintus de Smyrne, par C.-A.
Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Imp. S. Raçon et Ce ), 1857; in-12, 2 f., 472 p.
B. F., 7 mars 1857, n° 2069.
Discours prononcé à l'ouverture du Cours de Poésie latine au Collège de France (v. n° 29), p. 1 à 31; " Note » sur ce discours, p. 32-33; Virgile, p. 35-208 (Moniteur, 17 décembre 1855-17 mars 1856); le premier livre de l'Énéide, p. 209-340; Quintus de Smyrne et son épopée, p. 341-454 (Moniteur, 12 mai-23 juin 1856); Horace, p. 455-470, (Moniteur, 3 décembre 1855).
Errata, au bas de la page 472, à la fin de la table.
Voir : Éloge de Sainte-Beuve, par M. Gaston Boissier. Leçon d'ouverture du Cours de Poésie latine au Collège de France. (Revue des Cours littéraires de la France et de l'Étranger, 18 décembre 1869, p. 34-37); et, en tête du présent volume (p. 1-11) : L'Étude sur Virgile de Sainte-Beuve.
31a. — Étude sur Virgile... Deuxième édilion revue et corrigée. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. Rouge frères, Dunon et Fresné), 1870; in-12, 2 f., 444 p.
Bibliothèque contemporaine. B. F., 18 juin 1870, n° 5182. C'est le quatrième tirage, fait chez Colin, en 1891, qui est actuellement en vente.
32. — Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire. Cours professé à
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374 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Liège en 1848-1849, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Imp. P.-A. Bourdier et Cie), 1861; 2 vol. in-8.
Tome I, 2 f., 410 p.: « Préface », datée de 1849, p. 13-19. Note et errata au bas de la p. 410. — T. II, 2 f., 457 p.: Appendice : Chateaubriand et ses amis littéraires, p. 143453. Errata, p. 457.
B. F., 3 novembre 1860, n° 10000.
Voir dans la Correspondance (I, 163-5), la letlre de S -B. à Hachette, Liège, 11 février 1849, pour lui proposer « un volume presque fait.... qui serait le premier de de l'Histoire littéraire des cinquante premières années de ce siècle, et qui contiendrait Chateaubriand, Fontanes, Joubert, Chênedollé, c'est-à-dire ce groupe d'écrivains traités par moi de nouveau. »
Voici deux lettres, relatives aux quatrième et quatorzième leçons du cours professé par S.-B., qui proviennent des papiers de Ferdinand Denis, ancien administrateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève:
Ce samedi 25 août [1849]. Mon cher ami,
Me voici de retour. Je voudrais bien vous montrer le chapitre sur Ginguené, et celui sur Senancour, composé à demi, lequel a besoin, pour se compléter, de vos libérales communications.
Voudriez-vous, demain dimanche, dans la matinée, me donner une heure; ce serait, si cela ne vous dérangeait pas trop, dans mon gîte de circonstance, là où j'ai tous mes papiers. La bonne retournera demain malin savoir votre réponse, si elle ne vous trouve pas aujourd'hui.
[Toutes mes?] amitiés. Mille choses aimables à M. Arsène.
STE-BEUVE.
Suscription : Monsieur,
Monsieur Ferdinand Denis,
rue de l'Ouest.
Ferdinand Denis a ajouté la note suivante : « Ste-Beuve demeurait à cette époque rue Saint-Benoît, n° 5, chez le Dr Paulin ».
Mon cher Ferdinand, Voici l'album et les lettres de Senancour avec mille remercîmens. Il n'y manque qu'une seule lettre intitulée : Une journée dans les montagnes, qu'au dernier moment je remarque assez pour désirer en faire prendre une copie. Elle vous sera remise dans la huitaine — tout le reste d'ailleurs du paquet a été soigneusement conservé à travers toutes mes pérégrinations et vous le trouverez j'espère, dans toute son intégrité. Mille amitiés, ainsi qu'à M. Arsène.
Tout à vous,
STE-BEUVE.
Ce 31 août 1851.
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BIBLIOGRAPHIE 375
S.-B. a publié une lettre de Sénancour à Mme A. Dupin (I, 355), en indiquant qu'il en doit « la communication à l'amitié de M. Ferdinand Denis, resté si fidèle à la mémoire du respectable mort ».
Voir, ci-après, les n°s 190, 191 et 198.
32a. — Chateaubriand Deuxième édition. Paris, Gamier frères, (Imp.
P.-A. Bourdier et Cie), 1861; 2 vol. in-12.
Même composition que pour l'édition in-8. B. F., 22 juin 1861, n° 5902.
32°. — Chateaubriand... Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée de notes par l'Auteur. Paris, Michel Lévy frères, (Mesnil, Imp. Firmin Didot), 1873; 2 vol. in-12.
Bibliothèque contemporaine.
Tome I, 2 f., 419 p. P. 411-413 : Appendice contenant un fragment d'une lettre à Barbey d'Aurevilly, 10 novembre 1860, et la note de Sainte-Beuve envoyée à Charles Clément, du Journal des Débats, pour être mise sous les yeux de M. Duchâtel, ancien ministre de l'Intérieur. Voir : Souvenirs et Indiscrétions, p. 208.
Tome II, 2 f., 456 p.
B. F., 1er février 1873, n° 907.
C'est le troisième tirage de cette édition, fait chez Colin en 1899, qui est actuellement en vente.
33. — Die Prinzessin Mathilde eine Charakter-Schilderung aus dem französischen des Sainte-Beuve. Paris, E. Glaeser, (Imp. Bonaventure et Ducessois), 1862; in-8, 22 p.
Extrait de la Galerie Bonaparte : Biographies et portraits. B. F., 6 septembre 1862, n° 7848.
Le texte français a été inséré dans les Causeries du Lundi, troisième édition, t. XI, p. 389-400.
— Notice sur M. Littré, sa vie et ses travaux, par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, Hachette et Cie, (Imp. Ch. Lahure), 1863; in-8, 2 f., 107 p.
B. F., 19 septembre 1863, n° 8716.
Une note de l'éditeur placée au verso du faux titre fait connaître que « celte notice est extraite des Nouveaux Lundis, propriété de MM. Michel Lévy frères, éditeurs », et une autre note, de S.-B., au bas de la page 1, qu' « on a réuni dans cette notice trois articles du Constitutionnel (juillet 1863) en les revoyant avec soin, en les corrigeant et en y ajoutant ». Celte notice fait partie des Nouveaux Lundis, V, 200-256. Dans la brochure publiée par la librairie Hachette, elle n'occupe que les 57 premières pages et se termine par la signature « Sainte-Beuve ».
Les pages suivantes (59-107) contiennent la réimpression de la préface (sans le complément) du Dictionnaire de Littré.
35. — Réponse de M. Sainte-Beuve à un article de M. Taxile Delord dans le Siècle du 31 janvier 1864, commençant par ces mots : « 2 février 1864. —
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376 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Jeune homme qui vous destinez aux lettres... ». Paris, Imp. de Jouaust et fils, s. d., in-8°, 4 p.
Publié dans Le Constitutionnel du 3 février 1864, réimprimé à 24 exemplaires, puis recueilli dans le tome XI des Causeries du Lundi, dont la table porte : Riposte à Taxile Delord.
Le catalogue Ed. Fournier (1880, n° 2388) intitule cette plaquette, sans titre : Conseils à un jeune homme de lettres.
36. — Institut impérial de France. Académie française. Séance publique annuelle du jeudi 3 août 1865, présidée par M. Sainte-Beuve, Directeur. Paris, Typ. Firmin-Didol frères, fils et Cie, 1865; in-4, 2 f., dont 1 bl., 73 p.
Ne figure pas à la B. de la F.
Le Discours sur les prix de vertu, lu par « M. Sainte-Beuve, directeur de l'Académie française », occupe les p. 55-73; il se trouve dans le Recueil des discours, rapports et pièces diverses lus dans les séances publiques et particulières de l'Académie française, 1860-1869. Première partie. Paris, Typ. Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1866, in-4 p. 373-391.
36a. — Prix de vertu fondés par M. de Montyon. Discours prononcé par M. Sainte-Beuve, Directeur de l'Académie française, dans la séance publique du 3 août 1865, sur les prix de vertu. Paris, Typ. de Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1865 ; in-18, 67 p.
Le faux titre porte : Institut impérial de France. Académie française. Prix Montyon.
B. F., 14 octobre 1865, n° 9040.
Le discours de S.-B. (p. 11-43) a été recueilli dans les Nouveaux Lundis, IX, 437453. — Voir un article d'E. Scherer : Discours de M. Sainte-Beuve sur les Priv de Vertu (4 août 1865), réimprimé dans ses Études critiques sur la Littérature contemporaine, III, 381-5.
37. — Littérature. Programme. S. I. (Paris, Imp. J. Claye), n. d.; in-8, 12 p.
Au bas de la p. 1 et de la p. 5, signature XV.
Au sujet de cette brochure qui se rapporte au projet d'encyclopédie rêvé Ch. Duveyrier et les Pereire, M. Jules Troubat (Sainte-Beuve et l'Encyclopédie Pereire, Revue polit. et litt., 3 janvier 1903) écrivait : « J'y reconnais la main du maître à certains points et idées familières, dont je retrouve l'expression même».
Ce programme prévoit douze chapitres : I, Mouvement littéraire au XIXe siècle, (comprenant la Langue, les Salons, les Académies); II, III, IV et V, Poésie épique, dramatique, lyrique, didactique et morale; VI, le Roman; VII, l'Histoire; VIII, Éloquence; IX, § 1, Critique didactique, § 2, Critique pratique; X, le Journal; XI, Histoire littéraire : Genre nouveau, presque contemporain. — Intelligence du génie des différentes époques et des différents peuples. On met en pratique le mot de Ronald : « La littérature est l'expression de la Société »; XII, Bibliographie.
En tête, on lit ce N. B. : C'est un canevas. En voici l'esprit : Dans chaque branche et sur chaque point, bien établir l'état présent de la question, se rendre compte de tout ce qui s'est fait d'important dans le passé, et ouvrir le plus de vues et d'aperçus possible sur l'avenir.
38. — Paris Guide, par lès principaux écrivains et artistes de la France. Première partie : La Science, l'Art. — Deuxième partie : La Vie. Paris, Librai-
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BIBLIOGRAPHIE 377
rie internationale, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, (Imp. L. PoupartDavyl), 1867 ; 2 gros vol. in-12.
B. F., 8 juin, 6 juillet 1867, n°s 4711, 5608.
L'article sur « l'Académie française, par Sainte-Beuve, Un des Quarante » (I, p. 90110), a été reproduit dans les Nouveaux Lundis, XII, 402-438.
Nous avons hésité — du moment que nous écartions les oeuvres collectives comme Paris, ou le Livre des Cent-et-un, où se trouve (11, 121-137) l'article de S.-B.: Des soirées littéraires ou les Poètes entre eux — à faire figurer cet ouvrage, mais il nous a paru trop célèbre pour être omis.
39. — A propos des Bibliothèques populaires. Discours de M. Sainte-Beuve prononcé dans la séance du Sénat, le 25 juin 1867. Paris, Michel Lévy frères, Librairie nouvelle, (Imp. J. Claye), 1867 ; in-8, 24 p.
B. F., 17 août 1867, n° 7059.
En appendice, p. 20-24, les lettres du Baron de Heeckeren et de M. B. Lacaze, sénateurs, avec les réponses de Sainte-Beuve des 30 juin et 4 juillet 1867, écrites à la suite de ce discours.
Le Discours de S.-B., et le récit de la polémique à laquelle il donna lieu ont été recueillis dans les Premiers Lundis, III, 205-237.
40, — Le comte de Clermont et sa cour. Étude historique et critique par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Académie des Bibliophiles, (Imp. D. Jouaust), 1868; pet. in-8, 2 f., 76 p., se terminant par la signature « Sainte-Beuve », suivies de 4 f. non chiffrés contenant la composition du Conseil de l'Académie des Bibliophiles, l'état de la collection et l'achevé d'imprimer, le 30 janvier 1868. En regard du titre, fac-simile de l'écriture du comte de Clermont.
N° 26 de la collection de l'Académie des Bibliophiles. Tirage à 412 exemplaires numérotés : 12 sur chine, 400 sur hollande.
B. F., 4 avril 1868, n° 2799.
Le litre de départ est ainsi conçu : « Le comte de Clermont, lettres et documents inédits, par M. Jules Cousin », et une note placée au bas de la première page fait connaître que cette publication est la reproduction de trois articles insérés dans le Moniteur des 4, 11 et 18 novembre 1867, et qu'ils « feront partie du tome XI des Nouveaux Lundis », où ils figurent, en effet (p. 113-173), avec l'indication complémentaire qu'il s'agit du compte rendu d'un ouvrage publié par Jules Cousin dans la collection de l'Académie des Bibliophiles [n° 15 : Le comte de Clermont, sa cour et ses maitresses. Lettres familières, recherches et documents inédits publiés par Jules Cousin, de la Bibliothèque de l'Arsenal; 1867, 2 vol. pet. in-8].
M. Paul Lacombe (1) a bien voulu nous communiquer la lettre suivante, adressée à Jules Cousin, qui n'a pas été recueillie dans la Correspondance de Sainte-Beuve:
(1) Dans une note de son Jules Cousin, 1830-1899, Souvenirs d'un ami (Paris, H. Leclerc, 1900, in-8), il s'est occupé de l'ouvrage de S.-B., et il a montré que « les trois éditions de cet important compte rendu .. sont différentes ».
48
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378 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Ce 2 décembre 1867.
Cher Monsieur,
Je fais remettre aujourd'hui les articles chez Jouaust, à l'imprimerie. J'ai arrangé le tout comme je le conçois. Je laisse le litre sans y mettre les Maitresses. Vous me permettrez aussi de ne pas mettre... de noces, mais de laisser ce qui était au Moniteur. Chacun a sa manière et son ton, et il me serait impossible, sans manquer à ce qui est relativement pour moi le goût, de gaudrioler à ce point. Pour le reste, j'ai rétabli les mois crus et la citation telle quelle des Mémoires de M. de Voyer, en mettant deux ou trois points qui permettent de lire les mots. Troubat doit voir M. Rousset pour négocier l'échange. Veuillez agréer mille amitiés.
SAINTE-BEUVE.
41. — De la Loi sur la Presse. Discours prononcé au Sénat, le 7 mai 1868, par M. Sainle-Beuve. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye), 1868; in-8, 15 p.
B. F., 13 juin 1868, n° 4787.
Réimprimé dans les Premiers Lundis, III, 243-279.
42. — De la Liberté de l'enseignement. Discours prononcé au Sénat, le 19 mai 1868, par M. Sainte-Beuve. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye), 1868, in-8, 15 p.
La couverture imprimée sert de titre.
B.F., 13 juin 1868, n° 4786.
Réimprimé dans les Premiers Lundis, 111, 280-326.
43. — Discours de M. C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française, prononcé le 13 octobre 1868, jour de l'inauguration du monument à la mémoire de J.-Fr. Dübner, Paris, Gaume frères et J.Duprey, (Corbeil, Imp. Crété et fils), 1869; in-8, 13 p.
B. F., 27 mai 1869, n° 2642.
Ce discours, lu le 13 octobre 1868, au nom de S.-B., " empêché par sa santé », devant le monument, dû au ciseau de Mathieu Meusnier, élevé à la mémoire de Dübner dans le cimetière de Montreuil-sous-Bois, a été reproduit dans les Nouveaux Lundis, XI, 433-440, où il est accompagné d'une note, p. 440-6.
44.— Le général Jomini, étude, par Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye), 1869; in-12; 2 f., 238 p.
Bibliothèque contemporaine. B. F., 16 octobre 1869, n° 9417.
44a. — Le général Jomini... Deuxième édition. Paris, Michel Lévy frères, (Poissy, Imp. Arbieu, Lejay et Cie), 1870; in-12, 2 f., 238 p.
B. F., 9 avril 1870, n° 3053.
L'étude sur le général Jomini, qui en est à son troisième tirage (1880, imp. F. Au-
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BIBLIOGRAPHIE 379
reau), avait été publiée dans Le Temps des 18 mai, 1er, 15 et 29 juin et 13 juillet 1869; elle est réimprimée dans les Nouveaux Lundis, XIII, 49-182.
45. — Madame Desbordes-Valmore, sa vie et sa correspondance, par C.-A. SainteBeuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Châtillon-surSeine,Imp. E. Cornillac), 1810; in-12, 2 f., 246 p.
Bibliothèque contemporaine. B. F,. 13 août 1870, n° 6837.
Cette étude, publiée dans Le Temps des 23 mars, 6. et 20 avril, 4 et 5 mai 1869, a été reproduite dans les Nouveaux Lundis, XII, 134-254.
46.— Monsieur de Talleyrand, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Châlillon-sur-Seine, Imp. E. Cornillac), 1870; in-12, 2 f., 243 p.
Bibliothèque contemporaine. B. F., 27 août 1870, n° 7311.
Étude publiée dans Le Temps des 12 et 26 janvier, 9 et 23 février et 9 mars 1869; et terminée (p. 226-243) par des lettres et documents communiqués à Sainte-Beuve à l'occasion de ses articles. Voir: Nouveaux Lundis, XII, 12-133.
46a. — Monsieur de Talleyrand... Deuxième édition. Paris, Michel Lévy frères, (Clichy, Imp. Loignon, P. Dupont et Cie), 1870; in-12, 2 f., 243 p.
B. F., 3 septembre 1870, n° 7544.
Un troisième tirage, fait à l'imprimerie Aureau, en 1880, porte la mention « nouvelle édition ».
47. — P.-J. Proudhon, sa vie et sa correspondance, 1838-1848, par C.-A. SainteBeuve,
SainteBeuve, l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye), 1872; in-12, 2 f., 352 p.
Bibliothèque contemporaine.
B. F., 19 octobre 1872, n° 8007.
Ce livre, qui avait paru dans la Revue contemporaine des 31 octobre, 15 et 30 novembre et 15 décembre 1865, sous le titre de Proudhon étudié dans ses correspondances intimes, première partie, 1838-1848, est terminé par un appendice contenant les lettres de Proudhon au prince Napoléon et dos Lettres, notes et fragments de et sur Proudhon, les unes recueillies, les autres préparés et rédigés « de la main même de Sainte-Beuve en vue de la seconde partie de son ouvrage, qu'il n'a pas eu le temps d'achever ».
Voir dans la Revue politique et littéraire, du 25 octobre 1873, p. 399-404 : C.-A. Sainle-Beuve et P.-J. Proudhon, par J. Assézat.
B. — Recueils.
48. — Critiques et portraits littéraires, par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, E. Renduel,
(Imp. A. Barbier), 1832; in-8, 2 f., III-575 p., la d. n. ch.
B. F., 21 avril 1832, n° 1857.
Avertissement sans titre (p. I-III), terminé par un errata.
Articles publiés dans la Revue de Paris, d'avril 1829 à janvier 1832; dans la Rev. des
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380 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
D.-M., de juin 1831 au 1er février 1832; dans Le Globe, 12 août et 12 septembre 1829; dans le tome II de Paris, ou le Livre des Cent-et-un, en 1831.
48a — Critiques et portraits littéraires, par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, E. Renduel, (Imp. de Mme Poussin), 1836-39 ; 5 vol. in-8.
B. F. 4 juin 1836, n° 2745, et 4 mai 1839, n° 2160.
Il existe deux états du tome I; l'un n'est autre que le volume de 1832, avec un nouveau titre (v. n° 48); l'autre, de 2 f. IV-560 p. la d. n. ch., est décrit ci-après. Une note, sous l'avertissement de 1832, indique que dans cette réimpression l'auteur s'est, « de plus en plus, efforcé de faire disparaître les taches et défauts, et, tout en conservant aux jugements leur caractère primitif, d'y introduire les rectifications ou d'y ajouter les notes qui les rendissent plus vrais et plus complets... », et signale les additions : Espoir et voeu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830 (Le Globe, 11 otobre 1830), p. 247-261; et, en appendice, articles du Globe, sur La Fontaine (15 septembre 1827), Victor Hugo (2-9 janvier 1827), Casimir Delavigne (20 mars 1827), p. 526-559.
Les tomes II et III, parus en 1836, avec un avertissement, daté d'avril, dans lequel l'auteur prévoit un quatrième volume, se composent de 2 f., VIII-495 p. les 2 d. n.ch. et de 2 f. 575 p. les 2 d. n. ch. Le tome II se termine (p. 479-493) par des Pensées diverses, dont une en vers (Sonnet d'Haslitt).
Les tomes IV et V, parus en 1839, avec un avertissement daté d'avril, portent les noms de Félix Bonnaire et d'Eugène Renduel. Le tome IV (2 f., II-491 p., les 2 d. n. ch.) est terminé (p. 454-489) par Madame de Pontivy; le tome V (2 f. 555 p., les 2 d. n. ch.) est terminé (p. 527-551) par des Pensées et fragments, précédés d'un avertissement très important, et (p. 552-553) une Élégie: Simonide l'a dit après l'antique Homère.
Articles publiés dans la Revue de Paris, avril 1829-janvier 1832; la Rev. des D.-M., juin 1831-15 mars 1839; Le Globe, 2 janvier 1827-11 octobre 1830; le Journal des Débats, 24 juillet 1832; Le National, 5 octobre 1832-18 janvier 1834; Paris ou le Livre des Cent-et-un, t. Il, 1831. — Préfaces pour les OEuvres de Molière, 1835; lesLettres inédites de Mme Roland, 1835; et Paul et Virginie, 1836.
Les couvertures de 1839 annoncent les OEuvres de Sainte-Beuve en vente chez Renduel : Pensées d'Août, 1 vol.; — Volupté, roman, 2 vol. ; — Critiques et Portraits littéraires, 5 gros volumes ; — Joseph Delorme, Vie et Poésies, 1 vol. ; — Les Consolalions, 1 vol.; — Poésie française au XVIe siècle, 2 vol.; — et Port-Royal, sous presse.
Voir sur cette édition la note de Sainte-Beuve insérée dans La Bruyère et La Rochefoucauld, et reproduite ci-après, n° 49.
48b. — Critiques et portraits littéraires, par C.-A. Sainte-Beuve. Deuxième édition. Paris, Raymond Bocquet, (Imp. Pommeret et Guénot), 1841; 5 vol. in-8.
Cette édition, non mentionnée dans la Bibliographie de la France, est la même que la précédente. Seuls les faux titres, titres et couvertures ont été réimprimés. On trouve sur la dernière page de la couverture le renseignement suivant :
OEUVRES DE C.-A. SAINTE-BEUVE. TABLEAU DE LA POÉSIE FRANÇAISE au XVIe SIÈCLE, 2e édition, 2 vol. in-8, au lieu de 15 fr., 7 fr. 50. — POÉSIES COMPLÈTES, 1 vol., 3 fr. 50. — VOLUPTÉ, 1 vol., 3 fr. 50. — PORT-ROYAL, tome Ier, 7 fr. 50. — Sous presse : PORT-ROYAL, 2e vol.
49. — La Bruyère et La Rochefoucauld. Mme de La Fayette et Mme de Longueville. Paris, Imp. H. Fournier et Cie, 1842; in-12, 2 f. (titre et avertissement), 284 p.
B. F., 10 décembre 1842, n° 5971.
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BIBLIOGRAPHIE 381
Anonyme. — L'exemplaire de la Bibliothèque de l'Institut porte au faux titre, cette mention autographe : Offert à la Bibliothèque de l'Institut. Ste-Beuve.
Ce volume comprend les chapitres suivants, tous datés à la fin : La Bruyère, 1er juillet 1836 (p. 1-42); Mme de La Fayette, 1er septembre 1836 (p. 43-107); M. de La Rochefoucauld, 15 janvier 1840 (p. 109-164); Mme de Longueville, 1er août 1840 (p. 165-215), suivi du texte (en deux pages) d'une pièce provenant de la Bibliothèque du Roi et intitulée : Caractère de Mme de Longueville; Une ruelle poétique sous Louis XIV, 15 octobre 1839 (p. 217-250); Christel [nouvelle], 15 novembre 1839 (p. 251-282). — La table des matières est terminée par la note suivante :
« Pour les bibliographes seulement, et ne fût-ce que pour l'estimable M. Quérard, l'auteur insère ici, faute d'autre lieu, le renseignement qui suit :
» Les Critiques et Portraits, auxquels se rattache ce petit volume, forment, à celte date de 1842, 5 volumes in-8° ; le premier volume publié en 1832; les second et troisième en 1836, les quatrième et cinquième en 1839. De plus, le premier volume a eu une seconde édition véritable en 1836 et a été notablement augmenté et corrigé dans cette réimpression, reconnaissable à ses 560 pages et au post-scriptum de la préface. Mais, contre ce qu'on croyait prévu, la première édition non épuisée du premier volume a continué de se débiter de préférence à la seconde, qui n'a été mise qu'incomplètement en circulation, et que l'auteur signale aux gens du métier, parce que c'est en définitive sur elle que, pour ses débuts critiques, il aimerait être jugé ».
50. — Portraits littéraires, par C.-A. Sainte-Beuve, membre de l'Académie française. Édition revue et corrigée. Paris, Didier, (Imp. Belin-Leprieur fils, les titres tirés chez Ducessois), 1844; 2 vol. in-12. B. F., 27 avril 1844, n° 2095.
I. — 2 f., 503 p., les 2 d. n. ch., la p. 502 est bl. — Avertissement, sans titre, septembre 1843 (p. 1-2). L'auteur y annonce que « les portraits des morts seuls ont trouvé place dans ces volumes: ç'a été un moyen de rendre la ressemblance de plus en plus fidèle »; et qu'il a " ajouté çà et là bien des petites notes et corrigé quelques erreurs». Appendice (p. 425-449) sur La Fontaine (le Globe, 15 septembre 1827) et sur Racine : reprise de Bérénice (Rev. des D.-M., 15 janvier 1844). Pour finir (p. 450-501), article sur Nodier (Rev. des D.-M., 1er mai 1840) — que « la mort qui se hâte » permet de faire entrer dans ce volume — suivi de quelques pages complémentaires (Rev. des D.-M., 1er février 1844).
II. — 2 f., 515 p. la d. n. ch. — Appendice (p. 507-514) sur Joseph de Maistre (Rev. des D.-M., 1er octobre 1843).
En dehors des appendices mentionnés ci-dessus, ces volumes contiennent des articles publiés dans la Revue de Paris (avril 1829-juillet 1842), la Rev. des D.-M. (15 juin 1831 - 1er février 1844), Le Globe (12 août et 12 septembre 1829), Le National (17 mai 1833), le Journal des Débats (21 avril 1843), Paris, ou le Livre des Cent-et-un (1831) et les préfaces pour les OEuvres de Molière (1835, voir n° 77) et Paul et Virginie (1836, voir n° 79).
50a — Portraits littéraires... I. Boileau, Pierre Corneille, La Fontaine, Racine, Jean-Bapt. Rousseau, Le Brun, Malhurin Régnier [et] André Chénier, George Farcy, Diderot, l'abbé Prévost, M. Andrieux, M. Jouffroy, M. Ampère, Bayle, La Bruyère, Millevoye, Ch. Nodier. — II. Molière, Delille, Bernardin de Saint-Pierre, le Général La Fayette, Fonlanes, Joubert, Léonard, Aloïsius Bertrand, le comte de Ségur, Joseph de Maistre, Gabriel
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382 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Naudé. Paris, Didier, (Imp. Belin-Leprieur fils; titres tirés chez Ducessois),
1845 ; 2 vol. in-12.
Même édition que ci-dessus, avec de nouveaux litres. N'est pas mentionnée dans la B. de la F.
50b. — Portraits littéraires, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française.
Nouvelle édition. — I. Boileau — II. Molière Paris, Didier, (Imp.
G. Gratiot; titres tirés chez Bonaventure et Ducessois), 1852; 2 vol. in-12.
Ne paraît pas avoir été enregistré dans la B. de la F.
I. — 2 f., 497 p. la d. n. ch. — L'Appendice concernant la reprise de Bérénice, de l'édition de 1844 (N° 50) est devenu (p. 111-125) un chapitre à la suite du portrait de Racine.
II. — 2 f., 516 p., la d. n. ch. — Appendice sur Gabriel Naudé (p. 512-5), à la suite de celui sur Joseph de Maistre (Voir n° 50).
50e. — Portraits littéraires... Paris, Didier, (Imp. G. Gratiot pour les volumes; Bonaventure et Ducessois pour les titres), 1854; 2 vol. in-12. Tirage identique au précédent.
50d. — Derniers portraits littéraires, par M. C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. — Théocrite, François Ier poète, le chevalier de Méré, Mlle Aïssé, Benjamin Constant, M. de Rémusat, Mme de. Krüdner, l'abbé de Rancé, Mme de Staal-Delaunay, etc. Paris, Didier, (Imp. Bonaventure et Ducessois), 1852; in-12, 2 f., 537 p , les 2 d. n. ch.
B. F., 14 février 1852, n° 950.
Avertissement, de Décembre 1851, indiquant que ce recueil « sert de complément aux six volumes de Portraits déjà publiés chez M. Didier ». Ce volume, terminé (p. 497523) par la réimpression de la Relation inédite de La dernière maladie de Louis XV (N° 97) et (p. 524-535) par des Pensées numérotées de I à xxxv, est compris depuis 1864 dans les Portraits littéraires, dont il forme le t. III. — Il contient des articles publiés dans la Rev. des D.-M. (15 avril 1844-15 septembre 1849), le Journal des Débals (25 août 1846-5 janvier 1849), le Journal des Savants (mai 1847), et la préface de Rose et Gertrude (1846, N° 99).
50e. — Portraits littéraires... Nouvelle édition revue et corrigée... — I. Boileau... — II. Molière... — III. Théocrite, François Ier poète, le chevalier de Méré, l'abbé Prévost, Mademoiselle Aïssé, Madame de Krüdner, Madame de Staal-Delaunay, Benjamin Constant, M. Rodolphe Tôpffer, M. de Rémusat, M. Victor Cousin, Charles Labitte. Paris, Gamier frères, (Imp. P.-A. Bourdier et Cie), 1862-1864; 3 vol. in-12.
B. F., 22 mars et 3 mai 1862, n°s 2518 et 3704; 23 juillet 1864, n° 6732. Edition conforme à celle de 1852, avec quelques notes nouvelles et un troisième volume.
I. —2 f., 503 p., la d. n. ch.
II. — 2 f., 527 p., la d. n. ch. — A la fin, " Un mot sur mio-même » (p. 525-6), remarque qui « porte sur l'ensemble de mon oeuvre critique ».
III. — 2 f., 551 p., la d. n. ch. — Un avant-propos, non spécifié, daté de décembre 1862, reproduit l'avertissement de la première édition de ce volume publié avec le titre :
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BIBLIOGRAPHIE 383
Derniers portraits littéraires (N° 50d) et dit que l'Auteur, en l'ajoutant à « la collection acquise par MM. Garnier », en fait le t. III « des Portraits littéraires, auxquels il se rapporte en effet par la plus grande partie de son contenu ».
50f.— Portraits littéraires Paris, Garnier frères, (Imp. Viéville et Capiomont,
puis E. Capiomont et V. Renault), 1876-78 ; 3 vol. in-12. Ces volumes sont depuis réimprimés sans changement.
M. — Portraits de femmes, par C.-A. Sainte-Beuve, membre de l'Académie française. Édition revue et augmentée» Paris, Didier, (Imp. Ducessois), 1844; in-12, 2 f., 504 p., lad. n. ch.
B. F., 27 avril 1844, n° 2094.
En tête de ce volume, qui avait dû porter le titre : Douze Portraits de Femmes (Voir l'avertissement des Portraits littéraires, édition de 1844), on lit (p. 1) : « Il a semblé plus commode et même assez piquant de ranger de suite et de réunir en un même volume les divers portraits de femmes qui étaient disséminés dans les cinq tomes des Critiques et Portraits; on y a ajouté trois ou quatre articles, avec le soin d'excepter toujours les vivants ". Errata (p. 504), après la Table.
Les articles réunis dans ce volume avaient paru, le premier, sur Mme de Sévigné, dans la Revue de Paris, au mois de mai 1829, elles autres dans la Rev. des D.-M., du 15 mars 1834 au 15 avril 1843. En outre des portraits de femmes, on y trouve celui de La Rochefoucauld qui n'a « point paru pouvoir se séparer des deux femmes qui ont tenu une si grande place dans sa vie » ; deux nouvelles : Madame de Ponlivy et Christel; et une poésie : Maria.
51a — Portraits de femmes, par C.-A. Sainte-Beuve, membre de l'Académie française. Édition revue et augmentée. — Mesdames de Sévigné, de Souza, de Duras, de Staël, Roland, Guizot, de La Fayette, M. de La Rochefoucauld, de Longueville, des Houlières, de Krüdner, de Charrière, de Rémusat, de Pontivy, Christel, Maria. Paris, Didier, (Imp. Ducessois), 1845; in-12, 2 f., 504 p., la d. n. ch.
Même édition que la précédente avec un nouveau titre.
51b. — Portraits de femmes Nouvelle édition. Mme de Sévigné, Mme de Staël,
Mme de Duras, Mme de Souza, Mme de La Fayette, M. de La Rochefoucauld, Mme de Longueville, Mme Roland, Mme des Houlières, Mme de Krüdner, Mme Guizot, etc., etc. Paris, Didier, (Imp. G. Gratiot; titres tirés chez Bonaventure et Ducessois), 1852; in-12, 2 f. 533 p., la d. n. ch.
Épigr. : « Avez-vous donc été femme, Monsieur, pour prétendre ainsi nous connaître — Non, Madame, je ne suis pas le devin Tirésias, je ne suis qu'un humble mortel qui vous a beaucoup aimées».
(Dialogue inédit). B. F., 10 avril 1852, n° 2187.
Dans cette édition, les Portraits de femmes prennent leur aspect définitif, avec deux nouveaux morceaux: Du Roman intime (Rev. des D.-M., 15 juillet 1832) et Les Fleurs, apologue.
51°.— Portraits de femmes Nouvelle édition revue et corrigée.... Paris,
Didier, (Imp. Bonaventure et Ducessois), 1855; in-12. B. F., 14 juillet-1855, n° 4370.
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384 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Cette édition, que nous n'avons pas vue, est probablement la même que la suivante, imprimée chez Gratiot; ses titres, au nom de Didier, imprimés chez Bonaventure, auront été remplacés par de nouveaux, au nom de Garnier, imprimés chez Bourdier.
51a. — Portraits de femmes.... Nouvelle édition revue et corrigée Paris,
Garnier frères, (Imp. Gustave Gratiot; titre tiré chez P.-A. Bourdier et Cie), 1862; in-12, 2 f., 483 p., la d. n. ch.
Même épigraphe que ci-dessus.
Cette édition ne figure pas à la R. de la F. ; c'est probablement la même que la précédente avec un nouveau titre.
Errata (p. 483), au bas de la table, pour le t. II des Port. cont., édition de 1855.
51°. — Portraits de femmes Nouvelle édition revue et corrigée Paris,
Garnier frères, (Imp. P.-A. Bourdier, Capiomont fils et. Cie), 1870; in-12,2 f., 543 p., la d. n. ch.
Même épigraphe que ci-dessus.
B. F., 2 octobre 1869, n° 8954.
Edition définitive, conforme à celle de 1852, avec des notes nouvelles. L'une d'elles (p. 543) ajoute un « trait final » au portrait de Mme de Souza; une autre (p. 321) annonce que l'article La Rochefoucauld « indique une date et un temps, un retour décifif dans la vie intellectuelle » de l'auteur.
Quelques suppressions ou modifications ont été faites dans lès anciennes notes.
51f. — Portraits de femmes Paris, Garnier frères, (Imp. Viéville et Capiomont), 1876; in-12, 2 f., 543 p., la d. n. ch.
Ce volume est réimprimé depuis sans changement.
52. — Portraits contemporains, par C.-A. Sainte-Beuve, membre de l'Académie française. — I. Chateaubriand, Béranger, de Senancour, de Lamennais, de Lamartine, Victor Hugo, Ballanche, A. de Vigny, Alfred de Musset, Balzac, Villemain ; Mesdames Desbordes-Valmore, A. Tastu, etc., etc. II. Xavier de Maistre, Eugène Sue, Scribe, Lebrun, comte Molé, Töpffer, Mérimée, de Barante, Thiers, Fauriel, Vinet, Nisard, Jasmin, etc., etc. III. Daunou, Désaugiers, Parny, Casimir Delavigne, Leopardi, Louise Labé, Fléchier, Gresset, M. Mignet, etc., Homère, Apollonius de Rhodes, Méléagre, etc., etc. Paris, Didier, (Imp. Gustave Gratiot), 1846; 3 vol. in-12. Le tome III est intitulé : Portraits contemporains et divers.
B. F., 4 avril et 5 septembre 1846, n°s 1634 et 4081.
T. — 2 f., 539 p., les 2 d. n. ch. ; la p. 538 est bl.,— Avertissement, 15 août 1845, (p. 1-6) : « Je continue de mettre ordre de mon mieux à ce que j'appelle mes affaires littéraires. Après avoir recueilli, il y a deux ans, les portraits que j'avais faits des
morts, je rassemble aujourd'hui ceux des écrivains vivants ». Appendice :« M. de
Vigny » (p. 533-537; Le Globe, 8 juillet 1826).
II. — 2 f., 600 p., les 2 d. n. ch. — Post-Scriptum, mars 1846, (p. 593-5); Appendice : " M. Scribe » (p. 596-8), article de la Rev. des D.-M., 1er mars 1840, sur la Calomnie.
Errata, pour les t. I et II (p. 600).
III. — 2 f., 539 p., la d. n. ch. — Note, du 5 mars 1846, indiquant (p. 1) que « ce volume est le complément naturel de tous ceux...précédemment publiés : on y trouvera
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BIBLIOGRAPHIE 385
tour à tour des portraits de femmes, d'historiens ou de poètes, et il contient, de plus, quelques études de l'antiquité ». A la fin (p. 515-524) : « quelques-unes [XL] de ces pensées familières que je n'écris guère que pour moi. En les livrant au lecteur qui m'aura suivi jusqu'à la fin de ce sixième volume de Portraits, je me persuade avoir affaire à un ami ». Un appendice (p. 525-538) sur C. Delavigne, reproduit deux articles du Globe, 20 mars 1827, et de la Rev. des D.-M., 15 décembre 1838.
Ces volumes contiennent des articles publiés, en grande partie, dans la Revue des Deux-Mondes (1er août 1831-15 mars 1846); et, quelques-uns, dans la Revue de Paris (janvier 1832-février 1845); un, sur Béranger, dans Le National (4 mars 1833); deux, sur Homère et Fléchier, dans le Journal des Débats (27 janvier et 21 février 1843 et 17 août 1844) ; enfin la préface d'Obermann (1833, n° 76).
52a — Portraits contemporains [et divers]... Nouvelle édition revue et corrigée. Paris, Didier, (Imp. Ch. Lahure; titres tirés chez Bonaventure et Ducessois), 1855; 3 vol. in-12.
Epigr. : Nous sommes mobiles et nous jugeons des êtres mobiles.
SÉNAC DE MEILHAN.
B. F., 9 décembre 1854, n° 7314.
1. — 2 f., 528 p., la d. n. ch.
II. — 2 f., 592 p., la d. n. ch.
III. — 2 f., 539 p., la d. n. ch. — Nouvel appendice, à propos de Léopardi : L'Automne, imité de l'anglais de Southey (p. 521-3).
On trouve dans l'édition des Portraits de Femmes, donnée en 1862, chez Garnier, et probablement dans celle de 1855, chez Didier, un errata pour cette édition où (t. II, p. 587, ligne 33) l'on a imprimé dans le Post-Scriplum : « les ravissements et les prudences de l'âge mûr », au lieu des ravisements.
Il a été imprimé chez J. Claye, pour l'écoulement de cette édition, de nouvelles couvertures portant le titre suivant :
52». — Portraits contemporains et divers, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie
française. Nouvelle édition revue et corrigée Paris, Garnier frères, 1860.
On y trouve l'annonce des Causeries du Lundi, en 13 vol. grand in-18 anglais, avec' l'indication des Portraits principaux qu'ils contiennent, classés par époque.
52e. — Portraits contemporains, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Nouvelle édition revue, corrigée et très augmentée. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye), 1869-71, 5 vol. in-12.
Même épigraphe que ci-dessus. Bibliothèque contemporaine.
B. F., 17 juillet 1869, n° 6494; 26 août 1871, n° 3303. I. — 2f., 525 p., les 2 d. n. ch. II. — 2 f., 544 p. — Errata pour les t. I et II (p. 544).
III. — 2 f., 497 p., la d. n. ch.— Un carton (p. 493-6) contenant, en Appendice, l'article sur La Calomnie (Voir n° 32), est ajouté entre la page 493, au bas de laquelle on lit : " fin du tome troisième», et la table; lorsqu'il manque, le volume semble n'avoir que 493 p.
IV. — 2 f., 475 p., les 2 d. n. ch., la p. 474 est bl. V. — 2f., 487 p., la d. n. ch.
Édition définitive, avec un avertissement (6 juillet 1868) sur cette réimpression: L'auteur, tout en « ajoutant çà et là quelques mots et parfois une ou deux pages » à
49
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386 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
ses Portraits, s'attachera " à les maintenir dans leur première mesure ». — On y trouve des articles publiés, en grande partie, dans la Rev. des D.-M. (1er août 1831-15 mars 1846) et, quelques-uns, dans la Revue de Paris (janvier 1832-février 1845), Le Globe (23 octobre 1830), le Journal des Débats (24 juillet 1832-17 août 1844) et Le National (5 octobre 1832-29 septembre 1833); enfin, la préface d'Obermann (1833, n° 76).
Ces volumes en sont actuellement : le 1er au 6° tirage (Imp. Colin, 1901); le 2e au 5e tirage (Imp. Colin, 1889); les 3e, 4e et 5e au 4e tirage (Imp. Crété, 1889). Voir : Le Portefeuille de Sainte-Beuve, (juillet 1869), étude de Scherer publiée sur les deux premiers volumes de cette édition (Études critiques sur la Littérature contemporaine, IV, 113-139). — Les Post-Scriptum de Sainte- Beuve, par Désiré Nisard (Revue de France, 1er juillet 1878, p. 1-30).
53. — Causeries du Lundi, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, 1851-62, 15 vol. in-12.
I. — Imp. Gerdès, 1851 ; 2 f., 414 p., la d. n. ch. — Préface de Décembre 1850, et articles publiés dans Le Constitutionnel, du 1er octobre 1849 au 25 mars 1850.
B. F. 15 février 1851, n° 787.
II. — Imp. Gerdès, 1851; 2 f., 531 p., les 2 d. n. ch.; la p. 530 est bl.— Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 1er avril au 30 septembre 1850.
B. F. 21 juin 1851, n° 3237.
III. — Imp. Gerdès, 1851; 2 f., 424 p., la d. n. ch.— Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 7 octobre 1850 au 31 mars 1851. — P. 424, après la table, errata pour la p. 128.
B. F., 18 octobre 1851, n° 5689.
IV. — Imp. Gerdès, 1852; 2 f., 451 p., la d. n.ch. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 7 avril au 29 septembre 1851.
B. F., 24 janvier 1852, n° 471.
V. — Imp. Gerdès, 1852; 2 f., 431 p., les 2 d. n. ch. ; la p. 430 est bl. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 6 octobre 1851 au 29 mars 5852.
B. F., 7 août 1852, n° 4504. — Une note indique que « l'ouvrage est annoncé dans le catalogue de MM. Garnier, comme devant former 6 volumes ».
VI. — Imp. J. Claye et. Cie, 1853; 2 f., 443 p., les 2 d. n. ch. ; la p. 442 est bl. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 5 avril au 27 septembre 1852. Appendice : Treize lettres inédiles de Bernardin de Saint-Pierre.
VII. — Imp. J. Claye et Cie, 1853; 2 f., 427 [ou 428] p., la d. n. ch. - Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 4 octobre au 29 novembre 1852, puis dans Le Moniteur (1) du 6 décembre 1852 au 21 mars 1853 ; suivis de quelques pages sur La Fontaine, à propos « d'une opinion singulière de M. de Lamartine » sur le fabuliste.
N. B. — Dans les exemplaires ayant 428 p., on trouve, à la p. 427, un appendice sur Montesquieu.
Les tomes VI et VII ne semblent pas avoir été mentionnés dans la B. de la F.
VIII. — Imp. J. Claye et Cie, 1854; 2 f., 435 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Moniteur, du 28 mars au 19 septembre 1853, suivis d'un appendice aux articles sur Roederer.
B. F., 26 novembre 1853, n° 7023.
(1) Le samedi 4 décembre 1852, Le Moniteur avait publié la note suivante : « M. Sainte-Beuve passe de la rédaction du Constitutionnel à celle du Moniteur. Il continuera de donner tous les lundis un article littéraire, et il commencera dès lundi prochain 6 décembre ».
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BIBLIOGRAPHIE 387
IX. — Imp. J. Claye, 1854 ; 2 f., 423 p., les 2 d. n. ch.— Articles publiés dans Le Moniteur du 26 septembre 1853 au 13 mars 1854, suivis d'un appendice (p. 411-421), contenant : Notice sur M. G. Duplessis (Moniteur, 31 mai 1853, voir n° 109) ; Rapport sur les prix à décerner aux ouvrages dramatiques (Moniteur, 27 février 1853); fragments d'un article sur l'ouvrage de M. de Latena : Étude de l'Homme (Moniteur, 4 février 1854), avec quelques explications; et (p. 422) note relative à Bourdaloue.
B. F., 1er juillet 1854, n° 3632.
X. — Imp. J. Claye, 1855; 2 f., 411 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Moniteur, du 20 mars au 18 septembre 1854. — Post-scriptum (p. 404) annonçant que " ce Recueil commencé sans trop de dessein finira donc de même... ». Appendice (p. 405-410) : Rapport sur les primes à décerner aux ouvrages dramatiques (Moniteur, 12 juin 1854). Errata, au bas de la table (p. 411).
B. F., 23 décembre 1854, n° 7634.
XI. — Imp. J. Claye, 1856. « Tome complémentaire, contenant les derniers articles non encore recueillis', avec une Table générale alphabétique des onze volumes ». 2 f., 439 p. — Articles publiés dans Le Moniteur, du 25 septembre 1854 au 8 janvier 1865, suivis de « morceaux » sur Werther, Dangeau, et Henri IV écrivain, publiés dans la Revue contemporaine et l'Athenoeum. — Au moment d'aller professer au Collège de France, l'auteur prend congé de ses lecteurs.— La table alphabétique (p. 329-439), rédigée « avec un soin tout particulier » par Paul Chéron, est précédée (p. 321-8) d'une table des articles par ordre chronologique, dressée « pour les personnes qui voudraient établir dans cette série d'articles un certain ordre de lecture selon la suite des temps ». Il est dit en note que « les premiers volumes ayant été imprimés plusieurs fois, on s'est réglé pour l'indication des pages sur la dernière édition ».
B. F., 2 février 1856, n° 826.
XII. — Imp. J. Claye, 1857; 2 f., 428 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans l'Athenoeum, du samedi 28 juillet 1855 au samedi 9 février 1856 ; dans Le Moniteur, du lundi 31 mars au lundi 6 octobre 1856, et le 5 janvier 1857. Appendice : Rapport sur les primes à décerner aux ouvrages dramatiques (Moniteur, 29 décembre 1856). En tête (p. 1): Note sur ce nouveau volume « qui sera probablement le dernier à ranger sous le titre actuel... ». Errata (p. 428), après la table.— Voir un autre errata pour ce volume, dans le t. XIII.
B. F., 16 mai 1857, n° 4391.
XIII. — Imp, J. Claye, 1858 ; 2 f., 379 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Moniteur, du 20 octobre 1856 au 11 mai 1857, suivis de deux morceaux sur le duc de Nivernais et sur le maréchal de Saint-Arnaud, [publiés dans la Revue contemporaine des 31 janvier et 31 mai 1857, et d'un appendice contenant le Rapport sur le Concours de la Société des Gens de lettres (Moniteur, 18 avril 1856).» Errata pour le t. XII (p. 379), après la table.
B. F., 12 décembre 1857, n° 11572.
Après les t. X, XI et XII, le t. XIII fut considéré, à son tour, comme le dernier volume de la série; et, en 1860, la librairie Garnier annonçait les Causeries du Lundi en 13 vol. (Voir n° 52b).
XIV. — Imp. P.-A. Rourdier et Cie, s. d. [1861], 2 f., 480 p., la d, n. ch. — Articles publiés dans Le Moniteur du 24 août 1857 au 10 septembre 1860.
B. F., 27 avril 1861, n° 4018.
XV. — Imp. P.-A. Bourdier et Cie, 1862, 2 f., 462 p. — Articles publiés dans Le Moniteur, du 24 septembre 1860 au 26 août 1861; suivis (p. 285-460) do divers morceaux publiés soit dans Le Moniteur, soit en tête d'éditions des Élégies de Parny (n° 121), des Mémoires sur les grands jours d'Auvergne de Fléchier (n° 113), des Mémoires de Saint(Simon n° 112), etc. On y trouve (p. 356-382) une. leçon d'ouvertu e faite à l'École nor-
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388 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
male, le 12 avril 1858, sur La Tradition en Littérature. — Voir un errata pour ce volume, dans le t. VII de la. 3e édition. B. F., 14 juin 1862, n° 5120.
33a — Causeries du Lundi, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Seconde édition. Paris, Gamier frères, (Imp. J. Claye et Cie), 1852-18..., in-12.
I. — 1852; 2 f., 373 p., la d. n. ch. — Seule, la couverture porte : Seconde édition ; dans un autre tirage identique, cette indication se trouve sur le titre.
B. F., 4 septembre 1852, n° 5044.
II. — 1852; 2 f., 443 p., les 2 d. n. ch. ; la p. 442 est bl. B. F., 30 octobre 1852, n° 6236.
III. — 1852; 2 f., 427 p., les 2 d. n. ch; la p. 426 est bl. B. F. 18 décembre 1852, n° 7419.
IV. — 1853 et s. d. ; 2 f., 449 p., les 2 d. n. ch.; la p. 448 est bl.
V. — 1853; 2 f., 427 p., la d. n. ch.
VI. — 1853; 2 f., 443 p., les 2 d. n. ch. ; la p. 442 est bl. VIL — 1853; 2 f., 427 p , les 2 d. n. ch.; la p. 426 est bl.
Les t. IV à VII ont été enregistrés dans la B. de la F. le 30 juillet 1853, sous le n°4517.
VIII. — 1855; 2 f., 435 p., la d. n. ch.
IX. — 1836; 2 f., 423 p., les 2 d. n. ch.
Ces deux volumes ne semblent pas avoir été enregistrés dans la B. de la F.
Nous n'avons rencontré aucun exemplaire des autres volumes de celte seconde édition, sauf un tome XIII qui, par sa date, ne doit pas être du premier tirage :
XIII. — Imp. P.-A. Bourdier, Capiomont fils et Cie, 1869; 2 f., 464 p., la d. n. ch.; après la table, errata pour le t. XII de la première édition.
53b. — Causeries du Lundi, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Troisième édition revue et corrigée. Paris, Gamier frères, 1857-1872, 15 vol. in-12.
Dans un avis de janvier 1857, publié en tête du t. XII de ces Causeries (1re édition),
est dit que " MM. Garnier ont acquis, à ce nombre déterminé de douze volumes, la
propriété des Causeries du lundi; ils ne négligeront rien, de concert avec l'auteur, pour
en perfectionner l'édition qui, en ce moment, recommence de nouveau par les premiers
volumes ».
I. — Imp. J. Claye, 1857, et s. d. [1869] ; 2 f., 474 p.
B. F., 24 janvier 1857, n° 769 ; et 17 avril 1869, n° 3312.
II. — Imp. J. Claye, 1858, et s. d. [1867]; 2 f., 565 p., la d. n. ch. — Voir un errata pour ce volume dans le t. VIII.
B. F., 12 décembre 1857, n° 11572; et 23 février 1867, n° 1741.
III. — Imp. J. Claye, 1858 ; 2 f., 549 p., les 2 d. n. ch., la p. 548 est bl.; et s. d., 2 f., 548 p., la d. n. ch. — Voir un errata pour ce volume dans le t. VIII.
B. F., 22 janvier 1859, n°836.
IV. — Imp. J. Claye, 1859, et P.-A. Bourdier, s. d. [1865]; 2 f., 587 p., la. d. n. ch. B. F., le premier tirage non mentionné; le second 9 décembre 1865, n° 10925.
V. — Imp. P.-A. Bourdier et Cie, s. d. [1865], et Viéville et Capiomont, s d. [1871]; 2 f., 545 p., la d. n. ch. — Appendice (p. 541-544): « Note concernant M. Laurent Pichat et Hégésippe Moreau ». — Voir un errata pour ce volume dans le t. VII.
B. F., 18 novembre 1865, n° 10212 ; et 30 septembre 1871, n° 4370.
VI. — Imp. P.-A. Bourdier et Cie, s. d. [1865], et Viéville et Capiomont, s. d. [1872];
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BIBLIOGRAPHIE 389
2 f., 540 p., la d. n. ch. — L'appendice contienten plus (p. 514) une note sur le comte Dandolo.
B. F., 6 mai 1865, n° 4026 ; et 16 mars 1872, n° 2015.
VII. — Imp. P.-A. Bourdier et Cies, s. d. ; 2 f., 537 p., la d. n. ch.— Errata (p. 536) pour le t. V de la 3e édition et pour le t. XV de la première. La note sur Montesquieu, p. 428 de certains exemplaires de la 1re édition, est fondue dans celle qui se trouve ici, p. 65-66.— Autres tirages s. d.: E. Capiomont et V. Renault; E.Capiomont et Cie, etc.
VIII. — Imp. P.-A. Bourdier et Cie, s. d., 2 f., 549 p., les 2 d. n. ch. ; les p. 544 et 548 sont bl. — Post-scriptum aux articles sur Bernis (p. 543); note sur Galiani, au sujet d'une imputation de P. Ristelhuber (p. 545-6) et errata pour les t. II et III de la 3e édition (p. 546-547). — Autres tirages, s. d.: Viéville et Capiomont; E.Capiomont et V. Renault; E. Capiomont et Cie.
IX. — Imp. P.-A. Bourdier, Capiomont fils et Cie, 1869; 2 f., 536 p., la d. n. ch. — L'appendice contient en plus une note sur l'article Villehardouin, quelques anecdotes littéraires sur Baudelaire et le Dr Véron, et deux compléments ou correctifs aux articles sur Jouffroy (t. VIII) et Lamartine (t. I et IV), soit deux lettres de S.-B. à Lamartine, 13 juillet 1864, et à P. Verlaine, 17 novembre 1865. — Autres tirages, s. d. : Viéville et Capiomont; E. Capiomont et V. Renault, etc.
X. — Imp. Viéville et Capiomont, 1870; 2 f., 503 p., la d. n. ch. B. F., 30 avril 1870, n° 3732.
XI. — Imp. P.-A. Bourdier, Capiomont fils et Cie, 1868; Viéville et Capiomont, 1874; E. Capiomont et Cie, s.d.; etc ; 2 f., 536 p., la d. n. ch. — Les tables qui se trouvaient dans la première édition ont été remplacées (p. 389-535) par les articles suivants : La princesse Mathilde (N° 33); Riposte à Taxile Delord (N° 35); Préface pour une édition de La Rochefoucauld (N°109); Lettres sur l'orthographe, à M. de Villemessant, 15 mars 1867; sur Adolphe, de Benjamin Constant (N° 138); Notes et pensées numérotées de I à CCVII.
M. Jules Troubat possède un précieux carton sur lequel on lit la note suivante: Autre fin de volume pour les tirages à faire de mon vivant. Ste-Beuve. C'est la troisième épreuve,datée du 16 juin 1868, des feuilles 25 et 26 (p. 433-467, la d. n. ch.) qui devaient terminer le volume. L'article B. Constant, au lieu de s'arrêter au bas de la p. 440, continuait, jusqu'à la p. 443, par « quelques pages tirées du carnet de Benjamin Constant » et finissait par cet avis : « M. Laboulaye, dans son histoire de B. G. conçue au point de vue administratif, devrait bien tenir compte de ces données un peu elliptiques, mais significatives ». Des Notes et remarques occupaient les p. 444-466. Par suite d'une erreur, cette fin fut réservée — elle ne se trouve que dans la Table des Lundis, de M. Pierrot (N°72); — et celle qui, à cause de certaines personnalités, devait être publiée après la mort du critique, fut imprimée de son vivant.
Voici, d'après une note de Sainte-Beuve, copiée par P. Chéron, et que nous devons à l'obligeance de M. Troubat, la clef des Notes et pensées :
P. 442, Salin: Magnin; 443, Turbidus: Quinet; 444, Quintus Turbidus: Quinet; 445, Liris : Pauthier; 446, Filis : Villemain; 454, Phanor : Montalembert; 457, P...: Pongepville; 460, Bariolas: Janin; 465, Trépidans: Ferdinand Denis; 480, Piscis : Patin; 480, X...: Planche; 494, Pauvre F...: Fortoul ; 499, S...: Sacy; 521, L...: Lavoix; 526, Mlle D...: Drouet.
Dans les retouches à son article sur Montalembert (Port. Cont., II, 438), S.-B. a reproduit le portrait de Phanor, en ajoutant cette indication: Je retrouve dans des notés écrites pour moi seul le portrait suivant qui, si je ne me trompe, doit être le sien quand il avait vingt-cinq ans.
XII. — Imp. Viéville et Capiomont, 1870; 2 f., 517 p., la d. n. ch. B. F., 30 avril et 20 août 1870, n°s 3732 et 7050.
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390 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
XIII. — Imp. Viéville et Capiomont, s. d., 2 f., 464 p., la d. n. ch. — Après la table, errata pour le t. XII de la première édition. — Autres tirages, s. d.: Imp. E. Capiomont et V. Renault, ou E. Capiomont et Cie.
XIV. — Imp. P.-A. Bourdier, Capiomont fils et Cie, s. d.; 2 f., 480 p., la d. n. ch.— Autres tirages, s. d. : Viéville et Capiomont; E. Capiomont et V. Renault; etc.
XV. — Imp. Viéville et Capiomont, s. d. [1872]; 2 f., 462 p. B. F., 11 mai 1872, n° 3496.
Autre tirage, s. d.: E. Capiomont et Cie.
Les t. VII, VIII, IX, XI, XIII et XIV ne paraissent pas avoir été enregistrés dans la Bibliographie de la France.
Nous avons vu un tirage des t. VI, X, XII et XV, fait à l'imprimerie Viéville et Capiomont, qui porte la date de 1876.
D'après une note de la maison Garnier, « les tomes I et II des Causeries du Lundi en sont à leur 5° édition; les tomes IV, VI, XIV et XV à leur 4e; les tomes III, V, VII, VIII, IX, X, XI, XII et XIII à leur 3e édition. » Cependant, nous avons trouvé la mention d'une 6° édition du t. II, dans la B. de la F. du 21 mai 1892 (n° 5414), et nous avons vu une 7° édition du même volume, s. d., tirée à l'imprimerie P. Mouillot.
A la vente de la bibliothèque de S.-B., son exemplaire des Causeries du Lundi, « couvert de notes de la main de l'auteur » (n° 665 du catalogue), fut adjugé, le 24 mars 1870, pour 561 francs, à M. A. Parran, dont on connait les intéressantes recherches sur les Romantiques : Balzac, Alexandre Dumas, Pétrus Borel. Cet exemplaire, qui nous . a été communiqué avec beaucoup de bonne grâce, est composé des volumes de la première édition, sauf le quatrième; des tomes I à V, VII et XIII de la deuxième ; des tomes I à VIII et XI de la troisième. Les tomes I de la première et de la troisième édition étant en double, ainsi que le tome II de la seconde, cela fait en tout 33 volumes.
Nous avons surtout remarqué les annotations au crayon, avec quelques notes plus longues, à l'encre, sur feuilles volantes, qui se trouvent aux articles consacrés au Cardinal de Retz, à Fouquet, aux OEuvres de Louis XIV, à Beaumarchais; à l'article *du 23 août 1852, intitulé : Les Regrets; à ceux relatifs à Ducis, Boileau, saint François de Sales, Marguerite de Navarre, à l'Histoire littéraire de la France, au Roman de Renart, à Joinville, la Boëtie, Villehardouin, Daru, Bossnet et Agrippa d'Aubigné (tomes VI, VIII, IX et X de la première édition; V et VII de la deuxième).
Les unes sont des rectifications dont il n'a pas toujours été tenu compte dans la réimpression, comme la date de la représentation d'Eugénie à la Comédie-Française : Janvier et non Février 1767 (VI, 209); les autres sont des remarques que l'auteur a fait passer dans son texte, comme celle relative aux grands hommes, de l'article Montaigne, ou celle ajoutée à la note placée au commencement de l'article sur Daru (p. 261 et 434 du t. IX de la 3° édition) ; beaucoup sont des références, de simples indications. Mais il y a aussi des remarques intéressantes comme les suivantes, concernant le cardinal de Retz (V) : A propos de ses Mémoires: On a dit que c'était le bréviaire des factieux; — de sa langue : Dans une langue bien faite, les mots s'appellent l'un l'autre. Dans un tableau bien fait, les tons, les couleurs s'appellent l'un, l'autre; — de sa parole : Il avait l'éloquence naturelle.
Au sujet de l'amour de Marguerite de Navarre pour son frère (VII), S.-B. ajoute: Elle ne se doute pas d'une chose, elle vaut mieux que lui. Les soeurs bien conservées valent mieux que les frères, et nous les représentent dans un idéal pur.
Pour Bossuet (X), il complète ainsi son portrait : Surtout rien de gigantesque, de colossal, de ces grands crânes bombés et. hydrocéphaliques que David, le sculpteur, est tenté de donner à ses grands hommes. — Chez Bossuet, il n'y a rien du monstre. On connaît la note de cet article: « M. de Lamartine, disons-le une fois pour toutes, est
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BIBLIOGRAPHIE 391
si léger en telle matière, il possède à un si haut degré le don d'inexactitude...» ; mais le critique n'était pas entièrement soulagé. En regard de la citation de Lamartine : « Son regard était une lueur continue et sereine : la lumière ne jaillissait point par éclairs, elle en coulait par un rayonnement qui attirait l'oeil sans l'éblouir » ; il ajoute : Qu'en sait-il? — Plus loin, il formule ainsi son opinion sur le morceau : Style amolli, lascif, ionien à l'excès, non pas d'un historien, mais d'un prêtre de Cybèle, d'un efféminé, — d'une courtisane. N'ayez jamais cette détestable manière de la pire des décadences. Peinture à la Dubuffe, à la Fragonard, à la Weinterhalter ! Et c'est ce qu'il a appliqué aux hommes de la Révolution.
54. — Galerie des femmes célèbres, tirée des Causeries du Lundi, par M. SainteBeuve,
SainteBeuve, l'Académie française, illustrée de douze portraits gravés au burin par MM. Gouttière, Outhwaite, Geoffroy, Girardet, Delannoy, Gervais, etc., d'après les dessins de M. G. Staal. Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), 1859 ; grand in-8.
B. F., 13 novembre 1858, n° 11742.
54a. — Galerie des femmes célèbres... Paris, Gamier frères, (Imp. J. Claye), 1862; gr. in-8, 2 f., 396 p. les 2 d. n. ch. B. F., 7 décembre 1861, n° 11484.
54b. — Galerie des femmes célèbres... Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), 1870; gr. in-8, 477 p.
B. F., 8 janvier 1870, n° 384.
54°. — Galeria de mujeres celebres, par M. Sainte-Beuve, de la Academia francesa. Illustrada con 12 retratos grabados al buril par MM, Gouttière, Outhwaitte (sic), Geoffroy, etc., segun los dibujos de M. G. Staal. Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), s. d. [1863] ; gr. in-8, 2 f., 407 p., les 3 der. n. ch. B. F.,22 août 1863, n° 7774.
55. — Nouveaux Lundis, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris,
Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye), 1863-1870; 13 vol. in-12.
Bibliothèque contemporaine.
I. — 1863 ; 2 f., II-435 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 16 septembre 1861 au 27 janvier 1862.
B. F., 14 mars 1863, n° 2345.
II. — 1864; 2 f., 445 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 3 février au 16 juin 1862.
B. F., 28 novembre 1863, n° 11153.
III. — 1865; 2 f., 463 p., les 2 d. n. ch., la p. 462 est bl. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 21 juillet au 24 novembre 1862.
B. F., 21 janvier 1865, n° 593.
IV. — 1865 ; 2 f., 463 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 1er décembre 1862 au 30 mars 1863. Appendice (p.433-462) sur Salanmbô, le P. Lacordaire, le Caractère de l'École romantique française (voir n° 127), et « Mes Secrétaires », contenant trois lettres non recueillies dans la Correspondance.
B. F., 24 juin 1865, n° 5623.
V. — 1866; 2 f., 479 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du
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392 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
6 avril au 31 août 1863, et portrait de M. Ch. Magnin (Rev. des D.-M., 15 mai 1863).
B. F., 10 février 1866, n° 1244.
VI. — 1866; 2 f., 468 p., la d. n. ch.— Articles publiés dans Le Constitutionnel, du
7 septembre au 28 décembre 1863; portrait d'Alfred de Vigny (Rev. des D.-M., 15 avril 1864), et Appendice (p. 452-467) sur les « Jeune France », sur un cas de pédanterie (Discours sur la tombe du Dr Paulin, Moniteur du 10 septembre 1857), et sur Alfred do Vigny. — Voir un errata pour ce volume dans le t. VII.
B. F., 22 septembre 1866, n° 10554.
VII. - 1867; 2 f., 467 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 4 janvier au 2 mai 1864; Étude sur Alexis Piron (Rev. contemporaine, 31 octobre 1864); errata pour le t. VI, après la table. — Voir un errata pour ce volume dans le t. VIII.
B. F., 9 février 1867, n°1273.
VIII. — 1867; 2 f., 499 p., les 3 d. n. ch., la p. 498 est bl. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 9 mai au 18 [19] septembre 1864; Appendice sur l'École normale; errata pour le t. VII (p. 497).— Voir un errata pour ce volume dans le t. X.
B. F., 25 mai 1867, n° 4428.
IX. — 1867; 2 f., 463 p., les 2 d.n. ch., la p. 462 est bl. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 24 octobre 1864 au 6 mars 1865; Appendice : Rapports sur les prix de vertu (voir n° 36) et sur la propriété littéraire (Moniteur, 7 juillet 1866). — Voir un errata pour ce volume dans le t. X.
B. F., 2 novembre 1867, n° 9460.
X. — 1868; 2 f., 463 p., les 2 d. n. ch. — Articles publiés dans Le Constitutionnel, du 20 mars 1865 au 28 janvier 1867; Appendice contenant deux articles nécrologiques sur Victor Cousin et sur la comtesse de Boigne (p. 449-461); on y trouve une lettre à la comtesse de Boigne, 17 février 1863, qui n'a pas été recueillie dans la Correspondance. Errata (p. 462) pour les t. VIII et IX. — Voir un errata pour ce volume dans le t. XI.
B. F., 8 août 1868, n° 6434.
XI. — 1869; 2 f., 447 p., la d. n. ch.— Articles publiés dans Le Moniteur, du 16 septembre 1867 au 21 novembre 1868; Discours sur Dûbner, 13 octobre 1868 (voir n° 43), suivi d'une note; errata pour le t. X (p. 447), après la table.
B. F., 23 octobre 1869, n° 9679.
XII. — 1870; 2 f., XVI-456 p., la d. n. ch. — Note sur la « Dernière année de SainteBeuve», p. I-XVI, [par M. J. Troubat], reproduite dans Souvenirs et indiscrétions (1). Articles publiés dans Le Temps, du 4 janvier au 5 mai 1869 ; trois morceaux sur Camille Jordan et Mme de Staël, sur Eugène Gandar (voir n° 141) et sur l'Académie française, publiés dans la Revue des Deux-Mondes, le Journal des savants et dans Paris-Guide (N° 38) ; Appendice (p. 439-455) sur Viennet, sur la traduction de Lucien par Pongerville, et sur Talleyrand. — B. F., 22 juillet 1871, n° 2063.
XIII. — 1870 ; 2 f., 483 p., la d. n. ch. — Articles publiés dans Le Temps, en 1868 : Le Général Jomini; la Rev. des D-M., eu 1868, J.-J. Ampère; le Journal des savants, en 1867 : Joachim Du Bellay, et, en 1868 : Saint-Évremond; la Revue européenne, en 1859 : Malherbe; précédés (p. 1-38) de Ma Biographie et (p. 38-47) d'une Notice anonyme de M. Troubat sur le père de Sainte-Beuve ; suivis d'un Appendice (p. 457-482) relatif à l'Histoire de César, aux Mémoires du comte d'Alton-Shée, au, Général Jomini, à
(1) M. J. Troubat explique dans ce dernier ouvrage (p. 249), que celte note était composee « dès le mois de mai 1870, et devait paraître au commencement de l'hiver suivant, avec volume en tête duquel [elle se trouve], sans les événements qui en ajournèrent l'apparition jusqu'en août 1871 ».
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BIBLIOGRAPHIE 393
l'exemplaire des Diverses poésies du sieur de La Fresnaie-Vauquelin, que S.-B. possédait dans sa bibliothèque.
B. F., 17 février 1872, n° 1193.
55a. — Nouveaux Lundis, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Deuxième édition revue. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye, sauf les t. XII, Unsinger, et XIII, Chaix), 1864-1878 ; 13 vol. in-12.
Actuellement, d'après une note de la maison Calmann Lévy, les Nouveaux lundis en sont à : I, 7e édition (Imp. Brodard), 1891; II, 8° (Colin), 1904; 111,5° (Colin), 1891; IV, 6° (Entr'acte), 1896 ; V et VI, 5e (Colin), 1893 ; VII, 5e (Brodard), 1892 ; VIII, 5e (Colin), 1895 ; IX, 5e (Colin), 1893; X. 5e (Colin), 1899; XI, 6° (Colin), 1904; XII, 4e (Brodard), 1893 ; XIII, 4e (Colin), 1894.
56. — Nouvelle galerie de femmes célèbres, tirée des Causeries du Lundi, des
Portraits littéraires, etc., par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Illustrée de portraits gravés au burin par MM. Regnault, Massard, Nargeot, Geoffroy et Delannoy, d'après les dessins de M. G. Staal. Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), 1865 ; gr. in-8, 3 f., 564 p. et 2 f., n. ch., 10 portraits. B. F., 17 décembre 1864, n° 11532.
Souvenirs et indiscrétions. Le Dîner du Vendredi-Saint, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Publiés par son dernier secrétaire. V. ci-après n° 167.
57. — Premiers lundis, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris,
Michel Lévy frères, (Corbeil, Imp. Crété fils), 1874-5; 3 vol. in-12.
Bibliothèque contemporaine.
B. F., 1er mai et 17 juillet 1875, n°s 4297 et 7490.
I. — 2 f., VII-425 p. — Avant-propos, par M. Jules Troubat, p. I-VII.
H. — 2 f., 427 p.
III. — 2 f., 416 p., la p. 414 est bl. — Ce volume est terminé (p. 397-413) par une Table générale des OEuvres de C.-A. Sainte-Beuve, [par M. Jules Troubat]. Table peu connue, mais excellente et d'un usage très pratique.
Eugène Despois, qui avait consacré à S.-B., les 2, 9 et 16 décembre 1871, trois articles de la Revue politique et littéraire, donna, dans la même revue, le 19 juin 1875, à propos de cette publication, une remarquable étude sur Sainte-Beuve Saint-Simonien.
Les Premiers Lundis en sont actuellement à : 1, 5e édition (Imp. Colin), 1898; II, 4e (Colin), 1894; III, 4e (Colin), 1891.
58. — Les Cahiers de Sainte-Beuve. Suivis de quelques pages de littérature
antique. Paris, A. Lemerre, (Imp. J. Claye), 1876; in-12, 2 f., 211 p.
B. F., 4 mars 1876, n° 2355.
Pages 1-2 : « Avertissement », daté de 1868 et signé de M. J. Troubat, qui déclare que cet avertissement lui a été dicté par S.-B.; pages 3-149 : Cahiers; pages 151-201 : Quelques pages de littérature antique (extraits d'un cahier consacré spécialement au grec); pages 202-3 : Lettre à M. Cobet, professeur à la Faculté de Leyde (5 janvier 1869); Table des noms
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394 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
59. — Chroniques parisiennes (1843-1845), par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, Calmann
Calmann (Imp. E. Martinet), 1876 ; in-12, 2 f., VIII-348 p.,
Bibliothèque contemporaine.
B. F., 29 avril 1876, n° 4117.
L'introduction, paginée en chiffres romains, est intitulée : Sainte-Beuve chroniqueur, et signée Jules Troubat: On a ici, « dans leur état primitif », les chroniques adressées par Sainte-Beuve à son ami Juste Olivier, de Lausanne, directeur de la Revue suisse. Insérées dans cette revue, sous le voile de l'anonyme, de 1843 à 1845, elles étaient fondues avec d'autres communications reçues par Olivier, qui les arrangeait et « y ajoutait de son propre fonds ».
59a. — Chroniques parisiennes... Deuxième édition. Paris, Calmann Lévy, (Lagny, Imp. F. Aureau), 1876; in-12, 2 f., vin-348 p.
60. — Galerie des grands écrivains français, tirée des Causeries du Lundi et des
Portraits littéraires, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Illustrée de portraits gravés au burin par MM. Goutière, Delannoy, Leguay, Nargeot, etc., d'après les dessins de Staal, Philippoteaux, etc. Paris, Gamier frères, (Imp. A. Quantin), 1878; gr. in-8, 585 p., lad. n. ch., 16 portraits. B. F., 24 mai 1879, n° 5764.
61. — Nouvelle galerie des grands écrivains français, tirée des Causeries du
Lundi et des Portraits littéraires, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française, illustrée de portraits gravés au burin par MM. Massard fils, Delannoy, Nargeot, Regnault, etc., d'après les dessins de Staal, Philippoteaux, etc. Paris, Garnier frères, (Imp. A. Quantin), 1881; gr. in-8, 4 f., 649 p., la d. (table) n. ch., 16 portraits.
B. F., 29 janvier 1881, n° 1080
62. — Galerie de portraits historiques, souverains, hommes d'état, militaires,
tirés des Causeries du Lundi et des Portraits littéraires, par M. SainteBeuve, de l'Académie française, illustrée de portraits gravés au burin par M. Delannoy, Mme Fournier, etc., d'après les dessins de Staal, Paul Delaroche, etc. Paris, Garnier frères, (Imp. A. Quantin), 1883; gr. in-8, 2 f., III-604p., 10 portraits.
B. F., 11 novembre 1882, n° 11350.
63. — Galeria de escritores celebres, por M. Sainte-Beuve, de la Academia francesa.
francesa. castellana por D. N. Estévanez, ilustrada con 24 retratos sobre acero dibujados por Staal. Paris, Garnier frères, (Corbeil, Imp. Crété), 1883; gr. in-8, VIII-487 p.
Titre rouge et noir. B. F., 16 juin 1883, n° 6260.
64. — Originaux et Beaux esprits. Notices tirées des Portraits littéraires et des
Causeries du Lundi, avec les portraits des principaux personnages, par
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BIBLIOGRAPHIE 395
Sainte-Beuve. Paris, Garnier frères, (Imp. G. Rougier et Cie), 1886; in-8,
VIII-367 p., la d. n. ch., portraits.
Bibliothèque instructive et amusante. B. F., 2 janvier 1886, n° 239.
65. — Galerie de portraits littéraires, écrivains, politiques et philosophes, tirée
des Portraits littéraires et des Causeries du Lundi, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française, illustrée de portraits gravés à l'eau-forte par MM. Abot, Burney, Courboin, Jeannin, Manesse, Massard. Paris, Gamier frères, (Imp. Chamerot et Renouard), 1893; gr. in-8, 2 f., n-519 p., les 2 d. n. ch., la p. 518 est bl., 14 portraits.
B. F., 18 février 1893, n° 1455.
C. — Pages choisies.
66. — Sainte-Beuve. — Extraits des Causeries du Lundi, choisis et mis en ordre
par A. Pichon, professeur de rhétorique au lycée Saint-Louis. Avant-propos par Léon Robert, inspecteur général de l'instruction publique. Avec un portrait de Sainte-Beuve. Deuxième édition. Paris, Garnier frères, (SaintDenis, Imp. H. Bouillant), 1892; in-12, 2 f., XIV-615 p.
B. F., 24 octobre 1891, n° 11570.
L'avant-propos, paginé en chiffres romains, est daté de « mars 1891 ».
67. — Sainte-Beuve. — La Grande Mademoiselle. La Bruyère. Paris, H. Gautier,
(Angers, Imp. A. Rurdin et Cie), s. d., [1892] ; in-8, 36 p. (paginées 109-144).
Nouvelle bibliothèque populaire à 10 centimes, n°274. La couverture imprimée sert de titre. B. F., 30 janvier 1892, n° 1170.
68. — C.-A. Sainte-Beuve. — Fauriele Manzoni. Leopardi. Traduzione di
G. Z.-J. In Firenze, G.-C. Sansoni, editore, 1895; in-8, 2 f., 80 p.
De la collection : Biblioleca critica della litteratura italiana, diretta da Francesco Torraca.
Cette traduction comprend les pages consacrées aux relations de Fauriel et de Manzoni dans l'étude de Sainte-Beuve sur Fauriel (Rev. des D.-M., 15 mai et 1er juin 1845 ; réimprimée dans les Portraits contemporains, IV, 125-268), et l'article sur Léopardi (Rev. des D.-M., 15 septembre 1844, et Portraits contemporains, IV, 363-422). L'imitation en vers français des poésies de Léopardi : L'Infinito, La Sera del di di festa, Alla Luna (L'Anniversaire), Il Passero solitario, que Sainte-Beuve déclare avoir « par instant paraphrasé [es] plutôt que traduil [es] » est rejetée en appendice (p. 74-80 )
69. — Juicios y estudios literarios (de Causeries du Lundi), por Sainte-Beuve,
traduccion de N. Estévanez. Paris, Tip. y Libr. Garnier Hermanos, 1899; in-12, VIII-379 p., la d. n. ch. B. F., 17 juin 1899, n° 6288.
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396 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
70. — Pages choisies de Sainte-Beuve, publiées par Henri Bernès. Paris,
Calmann Lévy, Armand Colin et Cie, (Coulommiers, Imp. P. Brodard), 1899; in-12, 2 f., in-421 p.
B. F., 2 septembre 1899, n° 9152.
Ce volume comprend, à la suite de la note de Sainte-Beuve : Ma biographie, et d'extraits de la lettre auto-biographique publiée dans Souvenirs et indiscrétions (voy. n° 167), des extraits de l'oeuvre de Sainte-Beuve ainsi groupés : Doctrines et idées générales; l'Antiquité; Dix-septième et dix-huitième siècles; Chateaubriand; le Romantisme; Quelques tendances plus récentes de la littérature; Réflexions diverses; Extraits de la Correspondance.
71. — Sainte-Beuve. — Causeries du Lundi, Portraits littéraires et Portraits de
femmes. Extraits publiés avec une introduction par Gustave Lanson, maître de conférences suppléant à l'Ecole normale supérieure. Paris, Garnier frères, 1900; in-12, XLVI-630 p.
L'Introduction, paginée en chiffres romains, est une « Étude biographique ». Ne paraît pas avoir été enregistré dans la B. de la F.
D. — Tables (1).
Port-Royal. Deuxième édition. — Table alphabétique et analytique des noms
propres de personnes contenus dans l'ouvrage, par A[dolphe] R[égnier].
(Voir n° 21a. ) Port-Royal. — Table alphabétique et analytique des matières et des noms
contenus dans les six volumes de la troisième édition de Port-Royal, par
Anatole de Montaiglon. (Voir n° 21b.)
Causeries du Lundi. — Table générale alphabétique des onze volumes publiés de 1851 à 1856, par Paul Chéron. (Voir n°53.)
Table générale des OEuvres de C.-A. Sainte-Beuve [par M. Jules Troubat].
(Voir n° 57.)
Les cahiers de Sainte-Beuve. — Table des noms. (Voir n° 58.)
72. — Causeries du Lundi. Portraits de femmes et Portraits littéraires, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Table générale et analytique, par Ch. Pierrot. Paris, Garnier frères, (Imp. E. Capiomont et V. Renault), s. d. [1881] ; in-12, 2 f., III-448 p.
H. F., 2 avril 1881, n° 3334.
On trouve en tête de ce volume deux articles de S.-B., qui n'avaient pas encore été recueillis : l'un, consacré à Madame Tastu (p. 1-21), avait paru dans la Galerie
(1) Les Tables auraient été classées parmi les ouvrages relatifs à Sainte-Beuve et à ses ouvrages, si elles ne faisaient partie intégrante avec les ouvrages dans lesquels elles se trouvent ou qu'elles complètent.
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BIBLIOGRAPHIE 397
des Femmes célèbres ; l'autre, intitulé : Jugements et témoignages sur Gil Rlas et sur Le Sage (p. 22-34) avait été joint à la notice de S.-B. reproduite en tête de l'édition de Cil Blas, donnée chez Garnier, en 1864, dans les Chefs-d'oeuvre de la Littérature française (voy. n° 126); puis les Notes et Remarques (p. 35-45) qui, destinées à compléter le t. XI de la troisième édition des Causeries du Lundi, furent, par erreur, remplacées par les Notes et Pensées (voy. n° 53b); enfin (p. 45-46), une lettre de Prévost-Paradol à S.-B. du 4 novembre 1861. La table des articles par ordre chronologique, donnée dans le t. XI de la première édition, a été refaite et complétée; elle occupe les p. 49-60. La table alphabétique est imprimée sur deux colonnes.
73. — C.-A. Sainte-Beuve. — Table alphabétique et analytique des Premiers Lundis, Nouveaux Lundis et Portraits contemporains, avec une étude sur Sainte-Beuve et son oeuvre critique, par Victor Giraud, professeur de littérature française à l'Université de Fribourg (Suisse). Paris, Calmann Lévy, (Saint-Amand, Imp. Bussière), s. d.; in-12, 2 f., XXVII-379 p.
B. F., 2 janvier 1904, n° 147.
L'étude sur S.-B., intitulée, en titre courant: « Avant-propos », occupe les p. I-XXIV, et est datée de " Fribourg, août 1902 » ; elle est suivie d'une « Note préliminaire » (p. XXV-XXVII). La table, paginée en chiffres arabes, est imprimée sur deux colonnes.
Dans une note intitulée : Quelques articles perdus de Sainte-Beuve (1) (Revue d'histoire littéraire de la France, 1896, p. 613-5), M. V. Giraud annonçait son intention de joindre à cette table, qu'il préparait, « une liste chronologique aussi exacte et complète que possible des articles et autres oeuvres de Sainte-Beuve, avec dates et références aux recueils, aux revues et aux éditions successives ».
Ce projet a été réalisé pour la période de 1818 à 1849, par M. G. Michaut (voir n° 196).
(1) Ce n'est pas le lieu de rechercher ces articles perdus; mais, incidemment et en passant, nous pouvons en signaler un à M. Victor Giraud. — Le Catalogue des autographes composant le Cabinet de feu M. Antoine de Latour (Paris, E. Charavay, 1885, in-8), mentionne, sous le n° 142, une lettre d'Alfred de Vigny, du il mai 1834, adressée « à un ami », pour le féliciter de « son bel article sur La Mennais et lui rappeler celui qu'il a promis de faire sur le peintre Ziegler ». Or, la Rev. des D.-M. avait publié le 1er mai un article sur les Paroles d'un Croyant; et, le 15 mai, à la fin de la Chronique de quinzaine, on pouvait lire (p. 495-6) une noteanonyme sur Eloa ou la soeur des anges, par M. Ziegler, compositions au trait sur le poème de M. Alfred de Vigny. L'article du 1er mai étant de S.-B., il y aurait tout lieu de penser que la note du 15 est de lui et que le correspondant du Poète n'est autre que le Critique; il ne peut plus y avoir de doute, si l'on remarque que tout le passage relatif à Eloa et à Vigny, dans la note sur Ziégler, se retrouve dans l'étude de S.-B. sur M. de Vigny, insérée le 15 octobre 1835 dans la Rév. des D.-M. Voici notamment quelques lignes empruntées à l'une (p. 496) et reproduites dans l'autre (p. 218) : Or suivant nous, toute poésie de M. Alfred de Vigny est engendrée par un procédé assez semblable, par un mode de transfiguration exquise et merveilleuse. [Dans le nouveau texte, il y a : aussi merveilleuse, bien que plus douloureuse]. Il ne donne jamais dans ses vers, ses larmes à l'état de larmes, mais il les métamorphose, il en fait éclore des êtres comme Dolorida, Symétha, Eloa. S'il veut exhaler les angoisses du génie et la solitude de coeur du poète, il ne s'en décharge pas directement par une effusion toute lyrique, comme le ferait M. de Lamartine, mais il crée Moïse.
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398 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
E. — Ouvrages publiés jusqu'en 1869,
avec Préface, Notice ou Introduction, etc.,
de Sainte-Beuve (1).
OEuvres choisies de Pierre de Ronsard, avec Notice, notes et commentaires par C.-A. Sainte-Beuve. Paris, Sautelet et Cie et A. Mesnier, 1828; in-8. (Voir n° 20.)
74. — OEuvres choisies de P. de Ronsard, avec Notice, notes et commentaires
par C.-A. Sainte-Beuve. Nouvelle édition, revue et augmentée par Louis Moland. Paris, Garnier frères, (Imp. A. Quantin et Cie), 1879; in-8, 2 f., p. LXIX-439, portrait.
Chefs-d'oeuvre de la Littérature française.
B. F., 24 mai 1879, n° 5761.
M. L. Moland dans 1' « Avertissement pour la présente édition » fait connaître le projet caressé par S.-B., dans les dernières années de sa vie, de « refondre » et de donner « plus d'ampleur » au choix de Ronsard, qu'il avait publié en 1828. « Remanié et développé », il devait prendre place dans les Chefs-d'oeuvre de la Littérature française, édités par MM. Garnier frères, et « le prospectus traçant le plan de cette collection, annonçait, en effet, les OEuvres choisies de Ronsard, par MM. SainteBeuve et Louis Moland ». Après la mort de S.-B., M. Louis Moland crut devoir laisser au livre sa forme première et se borner à y faire quelques légères corrections, dont la nécessité était indubitable ». — En 1888, cette édition a été réimprimée dans le format in-12.
75. — J.-G. Farcy. — Reliquiae. Paris, L. Hachette, (Imp. Marchand-Du Breuil),
29 juillet 1831; in-18, 2 f., 208 p. et 2 f. n. ch.
B. F., 13 août 1831, n° 3820.
La Notice de S -B. sur Jean-George Farcy, datée de juillet 1831, publiée dans la Rev. des D.-M., a été reproduite dans les Port. litt., 1, 209-236; elle y est suivie (p. 236-8) d'une note de Farcy sur S.-B., dans laquelle il juge Joseph Delorme et les Consolations.
76. — Obermann. Par de Senancour. Deuxième édition, avec une Préface de
Sainte-Beuve. Paris, Abel Ledoux, (Imp. d'Everat), 1833 ; 2 vol. in-8, 2 f., XVI-408 p., et 2 f., 379 p.
B. F., 1er juin 1833, n° 2882.
La préface de S.-B. (p.III-XVI), datée du 18 mai 1833, a été reproduite dans les Port. Cont., I., 173-183. M. Jules Claretie a bien voulu nous communiquer un précieux exemplaire de ce livre, sur papier de Chine, avec cette épigraphe manuscrite, sorte d'envoi à George Sand qui écrivit la préface jointe aux éditions suivantes d'Obermann :
" Comme si tous les hommes n'avaient point passé, et tous passé. en vain!... C'est
(1) Tous les renvois se rapportent aux éditions définitives des Portraits littéraires (en 3 vol.). des Portraits de Femmes, des Portraits contemporains (en 5 vol.), et des Causeries du Lundi (3e édition).
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BIBLIOGRAPHIE 399
l'oubli qui est le véritable linceul des morts ; c'est celui-là qui serre le coeur; cest le lendemain tranquille, et la vie qui reprend son cours sur la tombe à peine fermée.
Obermann à Indiana ".
A ce volume est jointe une lettre de Sénancour adressée à « Monsieur, Monsieur Sainte-Beuve, rue du Mont-Parnasse, 1 ter » et dont voici quelques lignes :
« Mon billet remerciera mais bien trop minimement Monsieur Sainte-Beuve au sujet de sa très grande complaisance d'avoir interrompu ses occupations pour dire avec son heureuse manière habituelle et sa complaisance déjà si connue un précieux bonjour à Mr. Obermann malgré son nom teutch-welche ».
Voici une lettre, sans date — le timbre de la poste est illisible — adressée , à Ferdinand Denis, qui se rapporte à cette édition :
Mon cher Denys,
J'ai été hier matin chez M. de Senancour. J'ai vu les mutilations qu'il va faire à Oberman. J'ai parlé pendant une heure aussi énergiquement et vivement que je pouvais contre. Les plus belles et naïves effusions de couleurs si rares dans la littérature de 1804, et qui font de M. de Senancour, un des pères de l'émancipation littéraire, sont comme grattées avec effort et font place à un dessin de plomb didactique et classique. C'est Oberman publié et corrigé par M. Jay. Qu'y faire? Seulement, comme M. Ledoux, à ce qu'il paraît, a mêlé mon nom à une des annonces, je le prie de l'ôter et ne l'autorise en rien à' s'en servir. Quand j'ai écrit d'Oberrnan, ce n'est pas de celui-ci, du nouveau, c'est de l'ancien. Je ne veux me prêter en rien à ce regrattage.
M. de Senancour traite ce beau poème comme il ferait un traité de physique, qu'on corrige et augmente après 20 ans. J'ai pris avec lui le Lac, de Lamartine, et je lui ai dit : Voyez, si Lamartine voulait retoucher ces flots, ces ondes, qui sont répétés à chaque vers, ces inexactitudes, il ferait du beau. — Il a prétendu que Lamartine ferait bien. — En un mot, dites à M. Ledoux de ne mêler en rien mon nom aux annonces, autrement je dirais mon avis dans les journaux sur le nouvel Oberman. Je le dirai même sans cela. C'est pour moi une affaire de principes littéraires et de conscience poétique. C'est comme si on s'appuyait du nom de Vitet ou tel autre critique d'art pour badigeonner une église gothique.
Adieu, mon cher Denys et à tous de coeur.
STE-BEUVE. Mes respects à Mademoiselle Denys et à M. Arsène.
Suscription : Monsieur Ferdinand Denys,
rue Notre Dame des Champs, 21.
77. — OEuvres de Molière, précédées d'une Notice sur sa vie et ses ouvrages, par M. Sainte-Beuve; vignettes par Tony Johannot. Paris, Paulin, (Imp. E. Duverger), 1835-36 ; 2 vol. gr. in-8.
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400 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
B. F. 15 août 1835, n° 4368; 23 juillet 1836, n° 3667; et 11 février 1837, n° 728.
La notice de S.-B. (I, 5-63), reproduite dans les Port. Litt. (II, 1-63), a été conservée en tête des réimpressions de cette édition (Paris, Dubochet, 1842; V. Lecou, 1853) et dans l'édition suivante.
77a — OEuvres de Molière, précédées d'une Notice sur sa vie et ses ouvrages, par M. de Sainte-Beuve. Paris, V. Lecou, (Imp. Plon frères), 1883 ; in-12, 2f., 1094 p., la d. n. ch.
La couverture est datée de 1854. B. F., 15 octobre 1853, n° 6228. La notice (p. 1 à 42), est celle de janvier 1835. Voir le n° précédent.
78. — Lettres autographes de Madame Roland, adressées à Bancal-des-Issarts,
membre de la Convention. Publiées par Mme Henriette Bancal-des-Issarts, et précédées d'une Introduction par Sainte-Beuve. Paris, Eugène Rendues, (Imp. Cosson), 1835; in-8, LIX-356 p.
B. F. 26 septembre 1835, n° 5075.
L'introduction de S.-B. (p.XVII-LIX) a été reproduite dans les Port. de F., p. 165-193. — Errata, au v° de la p. LIX.
79. — Paul et Virginie [suivi de La Chaumière indienne], par J.-H. Bernardin
de Saint-Pierre. Paris, L. Curmer, (Typ. A. Everat et Cie), 1838; gr. in-8, LVI p., 7 f., dont 1 entre les p. VIII et IX, 459 p., la d. n. ch., carte de l'Ilede-France, 7 gravures sur acier, nombreuses et admirables vignettes de Français, Ch. Jacque, T. Johannot, Meissonier, Paul Huet, etc.
B. F. 3 décembre 1836, n° 6087.
La notice sur « J.-H. Bernardin de Saint-Pierre », par S.-B. (IX-LII), reproduite en tête de plusieurs éditions de Paul et Virginie, fait partie des Port. Litt., II, 106-140. Ouvrage publié en 30 livraisons qui devaient paraître de quinzaine en quinzaine.
80. — Valérie. Roman de Madame de Krüdner, avec une Notice par M. SainteBeuve.
SainteBeuve. Ollivier, (Imp. P. Baudouin), 1837; 2 vol. in-8, LXXV-292, et 2 f., 284 p., la d. n. ch.
B. F., 21 octobre 1837, n° 5314.
La notice de S.-B. sur Madame de Krüdner (p. XVII-LXXV) avait paru dans la Rev. des D.-M., 1er juillet 1837. Reproduite dans les Port. de F., on la retrouve dans l'édition suivante, plusieurs fois réimprimée.
80a. — Valérie, par Mme de Krüdner. Nouvelle édition, avec une Préface de M. Sainte-Beuve. Paris, Charpentier, (Imp. Béthune et Plon), 1840; in-12. B. F., 28 mars 1840, n° 1346.
81. — Corinne ou l'Italie, par Mme de Staël. Nouvelle édition, augmentée d'une
Préface par M. Sainte-Beuve. Paris, Charpentier, (Imp. Everat), 1839; in-12, 2f., VII-519 p., lad. n. ch.
B. F., 22 décembre 1838, n° 6382.
La préface, signée S.-B., (p. I-VII) emprunte quelques pages, en les arrangeant et en y ajoutant un commencement et une fin, à la notice sur Mme de Staël publiée dans
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BIBLIOGRAPHIE 401
la Rev. des D.-M. 1er et 15 mai 1835 et recueillie dans les Port, de F., avec la conclusion de cette préface, donnée en note. — Cette édition a été réimprimée.
82. — OEuvres [choisies] de M. de Fontanes, recueillies pour la première fois et
complétées d'après les manuscrits originaux ; précédées d'une lettre de M. de Chateaubriand, avec une Notice biographique par M. Roger, de l'Académie française, et une autre par M. Sainte-Beuve. Paris, L. Hachelle, (Imp. A. Gratiot et Cie ), 1839 ; 2 vol. in-8.
B. F., 9 février 1839, n° 717.
La notice de S.-B. (I,XXXV-CXXI), écrite en vue de cette édition, avait paru les 1er et 15 décembre 1838 dans la Rev. des D.-M.; elle fait partie des Port. Litt., Il, 207-305.
La Correspondance de S.-B. contient de nombreuses lettres adressées à la comtesse Christine de Fontanes, de 1837 à 1839, au sujet de la publication des oeuvres de son père. — Voir la note de Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire, où S.-B. parle (II, 67 et 132) des « six mois de ma peine » consacrés à cette édition et de « l'espèce de surveillant chicaneur..., M. Roger », qui lui avait été imposé. Voir aussi le chapitre Consacré à Mlle de Fontanes dans l'ouvrage de M. G. Paithès : Du nouveau sur J. Joubert, Chateaubriand, Fontanes et sa fille, Sainte-Beuve, avec plusieurs portraits et fac-similé (Paris, Garnier frères, 1900, in-12, p. 399-442 et 37-42). On y trouve de nombreuses lettres de Ballanche, Chateaubriand, Laborie, Roger, Sainte-Beuve et Villemain relatives à cette édition. Voici un fragment d'une lettre de S.-B., adressée à Antoine de la Tour [en 1838 ou 1839], dans laquelle il précise son rôle d'éditeur : « D'abord, je ne suis pas éditeur de Fontanes, c'est-à-dire que je n'ai pas été le maître d'y faire ou de n'y pas faire : l'admission, la suppression de certains morceaux a été décidée par d'autres que par moi; seulement sur ces premières décisions, j'ai servi l'édition et j'y ai aidé de mon mieux.
83. — Delphine, par Mme de Staël. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée
augmentée Préface par M. Sainte-Beuve. Paris, Charpentier, (Imp. A. Everat et Cie), 1839; in-12, 2 f., VI p., 1 f., et 670 p.
B. F. 16 mars 1839, n° 1296.
La préface (p. I-VI) est un fragment de l'étude sur Mme de Staël (Rev. des D.-M., 1er et 15 mai 1835), insérée dans les Portraits de Femmes.
Nombreuses réimpressions.
84. — Histoire de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux, par l'abbé Prévost.
Nouvelle édition, précédée d'une Notice sur la vie et les ouvrages de Prévost, par M. Sainte-Beuve; suivie d'une appréciation de Manon Lescaut, par M. Gustave Planche. Paris, Charpentier, (Imprimerie de Mme Vve DondeyDupré), 1839 ; in-12, 2 f., LII-295 p., les 2 d. n. ch.
B. F., 13 avril 1839, n° 1803.
La notice de S.-B. reproduit l'article de la Revue de Paris, septembre 1831, inséré dans les Port. Litt., I, 265-289. Celte édition a eu de nombreuses réimpressions.
84a. — Suite de l'Histoire du chevalier Desgrieux et de Manon Lescaut. Paris, F. Sartorius, (Imp. Gerdès), 1847; in-12, 153 p , la d. n. ch. B. F., 18 décembre 1847, n°5396.
La couverture porte : Suite de l'Histoire de Manon Lescaut (livres III, IV et V), attribuée à l'abbé Prévost, et la date de 1848.
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402 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
On trouve dans ce volume des fragments sur Manon Lescaut par Sainte-Beuve (p. 8-10), Jules Janin (p. 10-11) et A. Houssaye (p. 143-152).
85. — OEuvres de Madame de Souza. Nouvelle édition, précédée d'une Notice
sur l'auteur et ses ouvrages, par M. Sainte-Beuve. — Adèle de Sénange, Charles et Marie, Eugène de Rothelin.— Paris, Charpentier, (Imp. Béthune et Plon), 1840; in-12, 2 f., XIX-479 p., les 2 d. n. ch.
B. F., 8 février 1840, n° 579.
La notice de S.-B. (p. I-XIX), publiée dans la Rev. des D.-M. du 15 mars 1834, reproduite dans les Port. de F., conservée dans les réimpressions de cette édition, a été donnée partiellement dans celle qui fait partie de la Bibliothèque amusante de la maison Garnier frères.
86. — Contes de Charles Nodier. Nouvelles éditions. Trilby. La Fée aux miettes.
Contes divers en prose. Contes en vers. Paris, Charpentier, (Imp. Béthune et Plon), 1840; in-12, 2 f., 540 p.
B. F., 4 juillet 1840, n° 3175.
La « Notice sur Charles Nodier et ses ouvrages » (p. 1-42) est signée : Sainte-Beuve ; publiée dans la Rev. des D.-M., le 1er mai 1840, elle a été reproduite dans les Port. Litt., I, 441-482.
87. — Maladie et Guérison. Retour d'un Enfant du siècle au Catholicisme.
Poésies, précédées d'une Lettre de Sainte-Beuve, par J.-L. Tremblai. Moulins, P.-A. Desrosiers ; Paris, Chamerot, (Moulins, Imp. Desrosiers), 1840; in-8, titre lithographié, 16 et 350 p., les 4 d. n. ch.
B. F., 5 septembre 1840, n° 4356.
Cette lettre, du 1er juin 183. [1830], publiée partiellement ici (p. XI-XII), et dans la Correspondance (I, 96-7, sous la date de 1839), l'a été complètement, avec sa date et les quelques mots qui manquaient, dans la Vie à Paris, année 1898, p. 330, par M. Jules Claretie, qui possède l'autographe. Sainte-Beuve y déclare : Quand on a la foi et l'appui d'une religion positive, la source de toute consolation est trouvée; quand on n'a pas le bonheur de croire, le mal est presque irrémédiable...
88. — Arthur, par Eugène Sue, avec un Jugement littéraire par M. Sainte-Beuve.
Nouvelle édition, revue et corrigée. Paris, Ch. Gosselin, (Imp. Béthune et Plon), 1840; 2 vol. in-12.
B. F., 7 novembre 1840, n° 5334.
Le « Jugement littéraire sur Arthur » (I, I-VIII) est extrait de l'article sur Eugène Sue, inséré dans la Rev. des. D.-M. du 15 septembre 1840. — Port. Cont., III, 87-117.
89. — OEuvres choisies de Joachim Du Bellay, précédées d'une Notice par
M. Sainte-Beuve, avec un nortrait d'après M. David. Publiées sous les auspices de la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers. Angers, Victor Pavie ; Paris, Téchener, (Imp. V. Pavie, à Angers), 1841; in-8, 2 f. (faux titre et titre), XLI p. (notice), 3 f. (avertissement de l'éditeur, sans titre), et 256 p.. B. F., 11 décembre 1841, n° 5922.
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BIBLIOGRAPHIE 403
La notice (p. I-XLI), publiée dans la Rev. des D.-M., 15 octobre 1840, fait partie depuis 1843, de la seconde partie du Tableau.
Il est dit dans l'Avertissement de l'éditeur : « M. Sainte-Beuve n'a point, ainsi qu'il s'obstine à le dire, été convié par l'Éditeur à la notice qui précède. Le convié, c'est celui-ci. Rétablissons les termes, sa loyauté l'exige : la Notice fut la cause et l'édition l'effet ». — On trouve dans David d'Angers et ses relations littéraires. Correspondance du Maître..., publiée par M. Henry Jouin (Paris, Plon, Nourrit et O, 1890, in-8), deux lettres de David à V. Pavie, 31 janvier 1842, et de V. Pavie à David, 7 février 1842, relatives aux portraits de J. Du Bellay et d'A. Bertrand. — Voir la note du n° 93.
90. — Poésies de Mme Desbordes-Valmore, avec une Notice par M. Sainte-Beuve.
Paris, Charpentier, (Imp. Béthune et Plon), 1842; in-12.
B. F., 2 juillet 1842, n° 3356.
Cette édition, qu'il nous a été impossible de voir, a été réimprimée en 1860, Paris, Charpentier, (Imp. S. Raçon et Cie), in-12, 2 f., 320 p., les dix premières numérotées en chiffres romains.
La notice (p. I-X), publiée dans la Revue de Paris, juin 1842, a été reproduite dans les Port. Cont. II, 124-137.
91. — Essai sur la Philosophie des sciences, ou exposition analytique d'une
classification naturelle de toutes les connaissances humaines, par AndréMarie Ampère... Paris, Bachelier, (Clermont-Ferrand, Imp. ThibaudLandriot, pour la 1re partie, et Paris, Imp. E.-J. Bailly, pour la seconde), 1834-1843; 2 vol. in-8.
B. F., 27 octobre 1838, n° 5358; 21 octobre 1843, n° 4732.
Le second volume, publié par J.-J. Ampère, contient une « Notice sur M. Ampère » divisée en deux parties: I. Sa jeunesse, ses études diverses, ses idées métaphysiques, etc., par Sainte-Beuve (p. I-LIX); II. Physique, par E. Littré (p. LX-XCVI).
Voici comment le fils apprécie l'étude de S.-B. sur son père : « Jamais peut-être la finesse de sa touche et cette délicatesse exquise de sentiment qui le fait pénétrer dans les organisations d'élite ne se sont mieux rencontrées que dans les pages où il a esquissé l'âme, le caractère, la vie intérieure de celui qui fut aussi tendre, aussi bon, aussi simple qu'il était grand ».
Publiée dans la Rev. des D.-M. du 15.février 1837, cette étude fait partie des Port. Litt., I, 325-363, où elle est accompagnée de la note ci-jointe : « On a fait à cette notice l'honneur de la joindre à une publication posthume de M. Ampère ; mais comme il ne nous a pas été donné de la revoir nous-même, c'est ici qu'on est plus assuré d'en lire le texte dans toute son exactitude ».
92. — Galerie morale, par M. le comte de Ségur, de l'Académie française. Précédée d'une Notice sur M. de Ségur, par M. Sainte-Beuve, 5e édition. Paris, Didier, (Imp. Ducessois), 1844; in-12, XXII-536 p.
B. F., 11 novembre 1843, n° 5127.
La « Notice sur M. le comte de Ségur » (p. V-XXII), avait paru le 15 mai 1843 dans la Rev. des D.-M.; elle a été reproduite dans les Port. Litt., II, p. 365-386.
93. — Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot,
par Louis Bertrand. Précédé d'une Notice par M, Sainte-Beuve. Angers, Pavie;
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404 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Paris, Labitte, (Imp. de Pavie, à Angers), 1842; in-8, 2 f., XXII-324 p.,
1 f. blanc entre les p. XXII et 1.
B. F., 2 décembre 1843, n° 5524.
La notice de S.-B. (p. I à XXII), écrite pour cette édition, avait paru dans la Revue de Paris en juillet 1842; elle a été réimprimée dans les Port. Litt., II, 343-364. — Voir : Victor Pavie. Sa jeunesse, ses relations littéraires, [par Th. Pavie]. Angers, Imp. P. Lachèse et Dolbeau, 1887, in-12, x-376 p. Le chapitre V de la deuxième partie (p. 233-9) Du Bellay et Gaspard de la Nuit, contient quelques lettres relatives à la publication précédente (n° 89) et surtout à celle-ci. — D'autres parties du livre concernent également Sainte-Beuve et contiennent des lettres du critique: Première partie, chap. VIII: La liaison avec Sainte-Beuve (p. 75-88) ; Deuxième partie, chap. VIL Suite et fin des relations avec les grands amis (§ III, p. 272-282). — Voir aussi le livre de M. Adolphe Jullien sur Le Romantisme et l'Éditeur Renduel (Paris, E. Fasquelle, 1897, in-12). Le chapitre IX, consacré à « Sainte-Beuve, David d'Angers, Aloïsius Bertrand », contient plusieurs lettres de S.-B.
94. — OEuvres de Pierre Lebrun, de l'Académie française. Paris, Perrotin, (Imp.
H. Fournier et Cie, puis J. Claye), 1844-1861 ; 5 vol. in-8, suivis d'un tome VI, Paris, Imp, J. Claye; 1870, contenant les « Jugements divers de la critique contemporaine».
B. F., 6 avril 1844, n° 1731. — Le dernier volume ne paraît pas avoir été déposé.
Le tome I est précédé (p. I-XXXVIII) d'une « Notice sur les ouvrages de M. Lebrun »
par Sainte-Beuve; c'est le remaniement d'une étude publiée, à propos de la reprise
de Marie Stuart, dans la Rev. des D.-M. du 15 janvier 1841 (Port. Cont., III, 116-189). Le
début de l'article, supprimé dans le premier volume, a été donné dans le t. VI, p. 235-242.
94 bis,— Marie-Laure [Mlle Grouard]. Essais en prose et poésies, recueillis, publiés et précédés d'une Notice biographique par M. Théodore de Banville; de Lettres par MM. Chateaubriand, Jules Janin, Sainte-Beuve et Mmes DesbordesValmore, Amable Tastu. Paris, Jules Labitte, [Imp. Bourgogne], 1844; ih-12,
2 f., 491 p., les 3 d. n. ch., la p. 390 est bl., portrait.
B. F., 21 septembre 1844, n° 4674.
Les lettres de S.-B. (p. 60-63) sont datées du 1er février 1843, du 1er avril 1842 et de « ce mercredi »; elles ont été recueillies dans la Correspondance. — On trouve dans ce volume (p. 291-2) un fragment en prose : « Après une lecture de Sainte-Beuve », et une-poésie (p. 313): « A M. Sainte-Beuve, en lui envoyant Solitude ».
95. — Les Caractères, ou les Moeurs de ce siècle, par La Bruyère. Suivis du
Discours à l'Académie et de la Traduction de Théophraste. Paris, BelinLeprieur, (Poissy, Imp. Olivier Fulgence), 1845; grand in-8, 2 f., XXVI p., 1 f., 488 p., 26 planches et nombreuses figures dans le texte.
B. F., 21 décembre 1844, n° 6356; 12 juillet 1845, n° 3471.
La « Notice sur La Bruyère », datée du 1er juillet 1839 (sic, p. I-XXVI), n'est pas signée; publiée dans la Rev. des D.-M., le 1er juillet 1836, elle a été reproduite dans les Port. Litt., I, 389-413. — Cette édition a été réimprimée eu 1864.
96. — Caliste, ou Lettres écrites de Lausanne, roman, par Mme de Charrière.
Nouvelle édition, avec une Notice par M. Sainte-Beuve. Correspondance
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BIBLIOGRAPHIE 405
inédite de Mme de Charrière, relations avec Benjamin Constant, Madame de Staël, etc., etc., d'après les pièces originales et les documents de M. E.-H. Gaullieur. Paris, Jules Labitte, (Imp. Bourgogne et Martinet), 1845; in-12, 2 f., 342 p.
B. F., 26 avril 1845, n° 2066.
La notice de S.-B. (p. 3 à 51) avait paru dans la Revue des D.-M. du 15 mars 1839; elle fait partie des Port. de F. (p. 411-457). — Voir, dans les lettres de S.-B. au professeur Gaullieur, publiées par M. Eugène Ritter (n° 146), celles des 12, 18, 30 juillet et 23 octobre 1844, ainsi que celle du 24 avril 1845, relatives à cette édition.
Il est dit dans les Port. Cont., V, 275 : La publication de ce petit volume m'a dispensé de recueillir dans ces Portraits mon travail sur Renjamin Constant [Rev. des D.-M., 15 avril 1844] : Je l'ai encadré à la suite de Caliste, à côté de tout ce qui peut s'y rapporter et l'éclairer. J'y renvoie donc...
97. — Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. S. l. n. d. ([Paris],
H. Fournier et Cie [1846]); in-8, 23 p.
B. F., 28 février 1846, n° 1045.
La notice de S.-B. (p. 1-6) n'est pas signée.
Cette relation, attribuée au duc de La Rochefoucauld-Liancourt, a été insérée, en 1852, dans les Derniers Portraits Littéraires (devenus le t. III des Port. Litt.). S.-B. y indique, en note, que l'impression de 1846 a été faite « à un très petit nombre d'exemplaires » et que son but, en reproduisant cette pièce, " est de montrer, dans un frappant et hideux tableau, comment les monarchies finissent, comment elles sont atteintes en quelque sorte de gangrène sénile ».
98. — Études littéraires, par Charles Labitte, avec une Notice par M. SainteBeuve. Paris, Joubert; Comptoir des Imprimeurs-unis, Comon et Cie, (Imp. Claye et Cie), s. d. [1846] ; 2 vol. in-8, 2 f., 423 p., et 2 f., 437 p.
29 août 1846, n° 3917.
La notice de S.-B. (I, 1-30), intitulée « Charles Labitte », publiée dans la Rev. des D. M. du 1er mai 1846 (V. ci-dessus, n° 25), a été reproduite dans les Port. Litt. (III, 362-393). Elle est suivie (p, 31-34) des discours prononcés sur la tombe de Ch. Labitte au cimetière de l'Est, le 23 septembre 1845, par Tissot et Sainte-Beuve. — L'article de Labitte sur Sainte-Beuve, à propos de sa réception à l'Académie française (Rev. des D.-M., 1er mars 1845), est inséré dans le t. II, p. 405-416. On lit dans un compte rendu de cet ouvrage par H. Patin (Journal des Savants, avril 1847, p. 204) : « Si l'on a pu louer justement chez Charles Labitte la recherche curieuse, patiente, exacte, de tous les faits propres à éclairer, avec le caractère des écrivains et de leurs oeuvres, l'esprit de leur époque, l'art de grouper, par écoles, les productions littéraires... une part de l'éloge doit remonter à M. Sainte-Beuve dans les ouvrages duquel il avait trouvé le modèle de ce détail savant, de ces inductions fines, de ces rapprochements inattendus et piquants ».
99. — Rosa et Gertrude, par Rodolphe Töpffer, précédé de Notices sur la vie
et les ouvrages de l'auteur, par MM. Sainte-Beuve et de La Rive. Paris, J.-J. Dubochet, Le Chevalier et Cie, (Imp. Cosson), 1847; in-12, 2 f., LXIII-263 p.
B. F., 7 novembre 1846, n° 5129.
La notice sur Töpffer, publiée dans la Rev. des D.-M. du 15 mars 18.41, et repro-
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406 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
duite ici (p. I-XLI), est complétée (p. XLII-LVI) par quelques pages datées du 1er octobre 1846, comprenant la note nécrologique insérée, le 13 juin 1846, dans le Journal des Débats. Elle avait dû faire partie de l'édition des Nouvelles Génevoises donnée, en avril 1841, chez Charpentier, qui lui substitua une « Lettre-adressée à l'Éditeur par M. le comte Xavier de Maistre ». Voir, à ce sujet, une très curieuse lettre de S. -B. à Charpentier, datée de « ce jeudi », publiée dans le Cinquantenaire de la Bibliothèque Charpentier, par Louis de Hessem.
La notice de 1841 fait partie des Port. Cont., III, 211-255; le complément de 1846, des Port. Litt., III, 485-498. Le tout a été réimprimé dans l'édition suivante.
99a, — Nouvelles génevoises. Rosa et Gertrude, par R. Töpffer. Nouvelle édition, précédée d'une Notice par Sainte-Beuve, Paris, V. Lecou, (Corbeil. Imn. Crété), 1853; in-12, 2 f., XXXIV p., 1 f., 468 p. B. F., 26 février 1853, n° 1361. — Voir n° 108.
100. — Lettres de Mademoiselle Aïssé à Madame Calandrini. Cinquième édition, revue et annotée par M. J. Ravenel, Conservateur adjoint à la Bibliothèque dn Roi, avec une Notice de M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Gerdès, Lecou, (Imp. Gerdès), 1846; in-18, 2 f. (faux titre et titre), 325 p.; portraits de Mlle Aïssé et du chevalier d'Aydie.
Il a été fait un tirage de 50 exemplaires sur papier de Hollande.
B. F., 12 décembre 1846, n° 5643.
La notice sur Mlle Aïssé (Port. Litt., III, 129-183), qui avait paru dans la Rev. des D.-M. du 15 janvier 1846, est reproduite ici « non sans beaucoup d'additions et de corrections... venues de bien des côtés»; elle occupe les p. 3 à 61 et est suivie de nouvelles notes, marquées des lettres A à O, qui occupent les p. 63 à 80. On trouve dans la Correspondance de Sainte-Beuve (I, 137-139) deux lettres à M. Gerdès, et dans la Nouvelle Correspondance (p. 103-105) deux lettres à Rodolphe Töpffer relatives à cette édition et aux portraits d'Aïssé et de d'Aydie. Un bibliophile ami, M. Jules Coüet, a bien voulu nous communiquer l'exemplaire interfolié par M. Ravenel en vue d'une nouvelle édition, auquel il a joint la lettre suivante, qui doit avoir été adressée à Mme Du Gravier :
Ce 23 août [1846]. Madame,
Je reçois avec une vive reconnaissance et une vraie joie le charmant portrait de notre chevalier : veuillez en remercier M. Du Gravier comme j'aimerais à le faire moi-même. Ce dessin est charmant : il est un digne pendant de celui d'Aïssé. L'affection et la tendresse me paraissent respirer dans cette physionomie; si le menton promet de se doubler avec les années, les yeux resteront toujours beaux et tendres. Enfin, c'est un très parfait héros de roman. On le mettra dans l'édition à l'endroit où commencent les quelques lettres du chevalier. Je regrette que l'avertissement, où j'indique toutes les obligations que nous avons à plus d'une personne soit imprimé; car je ne saurais taire une bonne grâce comme celle-ci. M. Du Gravier est devenu l'un des collaborateurs de notre petit monument à la mémoire d'Aïssé. Quant à vous, Madame, vous en êtes presque l'âme par l'aimable et active coopération
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BLIOGRAPHIE 407
que vous y avez donnée dès l'origine. De tels procédés ne sont pas de ceux dont on remercie une seule fois; on aime mieux se réserver d'en reparler ongtemps et toujours.
Veuillez agréer, Madame, l'expression de mes hommages les plus touchés.
STE-BEUVE.
A la page 276, avant les Lettres du Chevalier d'Aydie et de Mme du Deffand, qui suivent celles de Mlle Aïssé, Sainte-Beuve a ajouté une note sur le portrait du chevalier, dont l'original appartient à la famille de Bonneval : « ... Le dessin a été fait à notre intention par un amateur distingué, M. Dugravier (sic), qui nous pardonnera bien de le nommer ici et de le remercier comme un de nos donateurs »,
100a. — Lettres de Mademoiselle Aïssé... Paris, Dentu, (Imp. Walder), 1853; in-12.
En 1853, il a été imprimé chez Walder un faux-titre, un titre et des cartons pour les feuillets 29-30, 173-176, 245-248, en tout 14 pages.
La couverture, imprimée chez Raçon, porte : Nouvelle édition, revue et augmentée. B. F., 1er octobre 1853, n° 5910.
101. — Fables de J. La Fontaine, suivies de Philémon et Baucis et des Filles de Minée, précédées de la Vie d'Esope et d'une Préface par La Fontaine. Édition variorum, publiée par M. Charles Louandre, accompagnée d'une Notice par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française, et ornée d'un beau portrait gravé sur acier. Paris, Charpentier, (Corbeil, Imp. Grété), 1851 ; in-12, 2 f., 464 p.
B. F., 3 mai 1851, n° 2262.
La notice de S.-B., intitulée « Jean de La Fontaine » est empruntée à l'article publié dans la Revue de Paris, en septembre 1829, et reproduit dans les Port. Litt. 1, 51-67. — Nombreuses réimpressions. — Voir n° 106.
102. — Hégésippe Moreau. — Le Myosotis. Nouvelle édition, précédée d'une Notice biographique par M. Sainte-Marie Marcotte, augmentée d'un portrait littéraire de H. Moreau, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française, et d'oeuvres posthumes (poésies et lettres), recueillies et mises en ordre par M. Octave Lacroix. Paris, Paul Masgana, (Imp. J.Claye et Cie ), 1851; in-12, 2 f., LVI-264 p., les 5 d. n. ch.
B. F., 14 juin 1851, n° 3141.
La Notice littéraire de S.-B. (p. XXI-XXX) est empruntée à l'article du Constitutionnel, 21 avril 1851 (Causeries du Lundi, IV, 51-75,1, reproduit en tête de l'édition suivante souvent réimprimée. — Voir sur cet article le n° 152.
102a — OEuvres de Hégésippe Moreau. Nouvelle édition, précédée d'une Notice littéraire par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Le Myosotis. Poésies diverses. Contes en prose. Paris, Garnier frères, (Imp. E. Blot), 1864 :
in-12, 2 f., 319 p.
Épigr. : Parvulos ne despicias.
SALOMON. B. F., 3 octobre 1863, n° 9121.
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408 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
103. — OEuvres de Fontenelle. Études sur sa vie et son esprit, par Voltaire, la marquise de Lambert, Grimm, Garat, Sainte-Beuve et Arsène Houssaye. Paris, Eugène Didier, (Imp. Schneider), 1852; in-12, 358 p., les 2 d. n. ch.
B. F., 24 avril 1852, n° 2453.
Le fragment de S.-B. (p. 18-19) est emprunté à l'article du Constitutionnel du 27 janvier 1851. Causeries du Lundi, III, 314-335.
104. — OEuvres de Rivarol. Études sur sa vie et son esprit, par Sainte-Beuve, Arsène Houssaye, Armand Malitourne. Paris, Eug. Didier, (Imp. S. Raçon et Cie), 1852; in-12, 321 p., les 2 d. n. ch., portrait.
B. F., 5 juin 1852, n° 3279.
L'étude sur Rivarol par S.-B.(p. 5-23) est empruntée au Constitutionnel du 27 octobre 1851. Causeries du Lundi, V, 62-84.
105. — OEuvres complètes. Proverbes dramatiques de Thédore Leclercq. Nouvelle édition augmentée de Proverbes inédits, précédée de Notices par MM. Sainte-Beuve et Mérimée, membres de l'Académie française. Paris, E. Lebigre-Duquesne, Victor Lecou, (Saint-Denis, Imp. Prevot et Drouard), 1852-3; 4 vol. in-12.
B. F., 20 novembre 1852, n° 6748; 14 mai 1853, n° 3044.
L' « appréciation » de S.-B. sur l'esprit et le talent « de M. Th. Leclercq (I, I-XIV) est extraite d'une notice insérée dans Le Constitutionnel, le 31 mars 1851, et qui se trouve au tome III des Causeries du Lundi, publiées chez les frères Garnier ». (Note de l'éditeur).
106. — Fables de La Fontaine, précédées d'une Notice par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française; gravures par Tony Johannot. Paris, Furne, (Imp. J, Claye), 1853; in-8, 2 f., XV-393 p.
B. F., 27 novembre 1852, n° 6835.
La notice de S.-B. (p. I-XV) a été reproduite dans les Causeries du Lundi, VII. 518-536. Cette édition a été réimprimée. — Voir n° 101.
107.— OEuvres de Boileau, avec notes et imitations des auteurs anciens, précédées d'une Notice par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Fume et Cie, (Imp.J. Claye et Cie ), 1853; in-8, 2 f., XV-403 p.
B. F., 27 novembre 1852, n° 6872.
La notice sur Boileau (p. I-XV) avait paru dans Le Constitutionnel du 27 septembre 1852 (Causeries du Lundi, VI, 494-513); elle a été reproduite dans l'édition suivante, et dans celles des OEuvres [choisies] de Boileau publiées depuis 1860, dans le format in-12, par la maison Garnier.
107a. — OEuvres complètes de Boileau. Nouvelle édition conforme au texte donné par Berriat-Saint-Prix, avec les notes de tous les commentateurs, publiée par Paul Chéron, de la Bibliothèque impériale. Précédée d'une Notice sur la vie et les ouvrages de Boileau, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française, et suivie du Boloeana, d'un extrait de La Harpe, etc. Illustrée de. vignettes sur acier, d'après les dessins de G. Staal, gravés par
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BIBLIOGRAPHIE
F. Delannoy. Paris, Garnier frères, (Imp. S. Raçon et Cie), 1861 [1860]; gr. in-8, XX-540 p., à 2 colonnes.
108. — Nouveaux Voyages en zigzag, à la Grande Chartreuse, autour du MontBlanc, dans les vallées d'Herenz, de Zermatt, au Grimsel, à Gênes et à la Corniche, par R. Töpffer. Précédés d'une Notice par Sainte-Beuve. Illustrés d'après les dessins originaux de Töpffer, par MM. Calame, Karl Girardet, Français, Daubigny, de Bar, Gagnet, Forest. Paris, V. Lecou, (Imp. Plon), 1854; gr. in-8, 2 f., XVII-454 p.
B. F., 14 mai et 15 octobre 1853, n° 3014 et 6225.
La notice de S.-B. « sur Töpffer considéré comme paysagiste » (p. I-XVII), insérée dans Le Moniteur du 16 août 1853, a été reproduite dans les Causeries du Lundi, VIII, 413-320. — Voir n° 99.
109. — Réflexions, sentences et maximes morales de La Rochefoucauld. Nouvelle édition conforme à celle de 1678, et à laquelle on a joint les annotations d'un contemporain sur chaque maxime, les variantes des premières éditions, et des notes nouvelles par G. Duplessis. Avec une Préface par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, P. Jannet, (Imp. Guiraudet et Jouaust), 1853; in-16, 2 f., XXIV-320 p.
Bibliothèque elzévirienne.
B. F., 24 septembre 1853, n° 5799.
La préface, datée du 1er septembre 1853, occupe les p. I-XXIV; elle a été reproduite dans le t. XI, 3° édition, des Causeries du Lundi. Le volume est terminé (p. 314-318) par une Notice de S.-B. sur M. Duplessis, mort au cours de l'impression (Causeries du Lundi, IX, 515-7).
110. — Gazette littéraire de Grimm. Histoire, littérature, philosophie, 1753-1790. Études sur Grimm par Sainte-Beuve et Paulin Limayrac. Paris, Eug. Didier, (Corbeil, Imp. Crété), 1854; in-12, 381 p.
B. F., 1er avril 1854, n° 1800.
Le faux titre porte : OEuvres choisies de Grimm (le baron de).
L'étude de S.-B., intitulée « Grimm » (p. 9-20), est un fragment des deux articles consacrés à la Correspondance littéraire de Grimm dans Le Moniteur des 10 et 17 janvier 1853. Causeries du Lundi, VII, 287-328.
111. — Mémoires de Mme de Motteville, sur Anne d'Autriche et sa Cour. Nouvelle édition d'après le manuscrit de Conrart, avec une Annotation extraite des écrits de Monglat, Orner Talon, de Retz, Gourville, Loret, Mlle de Montpensier, etc., etc., des Éclaircissements et un Index par M. F. Riaux et une Notice sur Mme de Motteville, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Charpentier, (Imp. S. Raçon et Cie ), 1855; 4 vol. in-12.
B. F., 5 mai 1855, n° 2743.
La notice sur Mme de Motteville (I, III-XXVI), publiée dans Le Constitutionnel du 1er décembre 1851, fait partie des Causeries du Lundi, V, 168-188.
112. — Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle
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410 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
de Louis XIV et la Régence, collationnés sur le manuscrit original par M. Chéruel, et précédés d'une Notice par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, L. Hachette et Cie — (Imp. Lahure), 1856-1858 ; 20 vol. in-8. Il a été fait un tirage en grand papier à 100 exemplaires numérotés. B. F., 17 mai 1856, n° 4419; 24 juillet 1858, n° 7316.
La notice de S.-B. (I, III-XXXVII), reproduite dans les diverses éditions de SaintSimon données par la maison Hachette, sauf dans celle dite des Grands Écrivains, a été insérée dans les Causeries du Lundi, XV, 423-460.
113. — Mémoires de Fléchier sur les Grands Jours d'Auvergne en 1665. Annotés et augmentés d'un appendice par M. Chéruel, et précédés d'une Notice par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, L. Hachette et Cie, (Imp. Ch. Lahure), 1856; in-8, 3 f. (faux-titre, titre et médaille), XLIX p., 1 f., 432 p., planche repliée : Séance des Grands Jours.
B. F., 9 août 1856, n° 7340.
L'introduction de S.-B. (III-XXXIII), suivie d'une pièce de vers de Fléchier : Nouvelle de l'Autre Monde (XXXIV-XXXIX), a été reproduite dans les Causeries du Lundi, XV, 383-422.
114. — Lettres inédites de la Marquise de Créqui à Sénac de Meilhan (17821789), mises en ordre et annotées, par M. Edouard Fournier, précédées d'une Introduction par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, L. Potier, (Typ. Firmin-Didot frères, fils et Cie), 1856; in-12, 2 f., CXXII-301 p., les 2 d. n. ch., la p. 300 est bl.
B. F., 6 décembre 1856, n° 11188.
L'introduction (p. V-CXVII), publiée dans Le Moniteur des 22 et 29 septembre et du 6 octobre 1856, fait partie des Causeries du Lundi, XII, 432-491.
115. — Lettres du Maréchal de Saint-Arnaud, 1832-1854. Deuxième édition ornée du portrait et d'un autographe du Maréchal et précédée d'une Notice par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. A. Wittersheim), 1858; 2 vol. in-8.
B. F., 13 mars 1858, n° 2737.
La notice de S.-B. (I, I-XXXVIII), publiée le 31 mai 1857 dans la Revue Contemporaine, est empruntée au t. XIII des Causeries du Lundi.
116. — Mémoires de Beaumarchais dans l'affaire Goezman. Nouvelle édition collationnée avec le plus grand soin sur les éditions originales et précédée d'une Appréciation, tirée des Causeries du Lundi, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Corbeil, Imp. Crété), 1859; in-12, XX-411 p.
B. F., 2 avril 1859, n° 2907.
Fragment (p. VII-XVI) de l'article du Constitutionnel du 14 juin 1852. — Causeries du Lundi, VI, 201-219.
117.— OEuvres de Virgile, traduction française de la collection Panckoucke. Nouvelle édition très soigneusement revue et améliorée, avec des correc-
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BIBLIOGRAPHIE 411
tions importantes et de nombreux changements dans la traduction de l'Enéide, par M. Félix Lemaistre, et précédée d'une Étude sur Virgile, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Imp, Ed. Blot), s. d. [1860] ; 2 f., 699 p., les 2 d. n. ch., la p. 698 est bl.
B. F., 22 décembre 1860, n° 11614.
L' « Étude sur Virgile » (p. 1-59), emprunte au volume de 1857 (voir n° 31), le préambule et les trois premiers chapitres, sur neuf, consacrés à ce que S.-B. avait à « coeur de dire encore sur le génie de Virgile et le caractère de son oeuvre ».
118.— Maurice de Guérin. Reliquiae, publié par G.-S. Trébutien, avec une Étude biographique et littéraire par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Didier et Cie, (Caen, Imp. Domin), 1861, 2 vol. in-16, LXXI-196 p. et LV-223 p.
B. F., 16 mars 1861, n° 2583.
L'étude de Sainte-Beuve, intitulée Maurice de Guérin (I, IX-LXXI), reproduit les articles du Moniteur, 24 septembre et 1er octobre 1860, insérés dans les Causeries du Lundi, XV, 1-34.
La seconde édition de cet ouvrage, « revue et considérablement augmentée », a paru sous ce titre : Maurice de Guérin. Journal, lettres et poèmes. (Paris, Didier et Cie, 1862, in-8).
119. — Mémoires de Mme Elliott sur la Révolution française, traduits de l'anglais par le comte de Baillon, avec une Appréciation critique par M. SainteBeuve, membre de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. A. Wittersheim), 1861 ; in-12, 2 f.. 266 p., portrait.
B. F., 15 juin 1861, n° 5606.
L'appréciation de S.-B. (p. 225-251) est précédée de la note suivante : « Ce volume allait paraître lorsque M. Sainte-Beuve, à qui nous avions communiqué les bonnes feuilles, a publié dans Le Moniteur du 27 mai 1861 une appréciation critique que nos lecteurs, nous le croyons, seront bien aises de trouver ici ». — Causeries du Lundi, XV, 190-206.
120. — Les Poëtes français. Recueil des chefs-d'oeuvre de la poésie française depuis les origines jusqu'à nos jours, avec une Notice littéraire sur chaque poëte par MM. Charles Asselineau, Hippolyte Babou, Charles Baudelaire, Théodore de Banville, Philoxène Boyer, Charles d'Héricault, Edouard
Fournier, Théophile Gautier, Jules Janin, Louis Moland, A. de Montaiglon, Léon de Wailly, etc. Précédé d'une Introduction par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Publié sous la direction de M. Eugène Crépet. Paris, Gide, [puis L. Hachette et Cie], (Imp. J. Claye), 1861-62; 4 vol. in-8.
B. F., 6 juillet 1861, n° 6339; 2 août 1862, n° 6715.
L'introduction de S.-B. (I, IX-XXXIX), publiée, quelques jours avant la mise en vente du tome Ier, dans Le Moniteur des 17 et 24 juin 1861, a été reproduite dans les Premiers Lundis, III, 142-186. — La notice sur S.-B., accompagnant un choix de ses poésies (IV, 357-376), est de H. Babou. — Sainte-Beuve a apprécié l'ouvrage dans un article du 20 octobre 1862. Voir : Nouveaux Lundis, III, 340-351.
121. — OEuvres de Parny. Elégies et poésies diverses. Nouvelle édition revue et
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412 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
annotée par M. A.-J. Pons, avec une Préface de M. Sainte-Beuve. Paris, Garnier frères, (Imp. Ed. Blot), 1862, XXVI p., 1 f., n. ch. et 440 p.
B. F., 30 novembre 1861, n° 11242.
La préface, datée d'août 1861 et intitulée « Parny poète élégiaque » (p. V-XXVI), a été reproduite dans le tome XV des Causeries du Lundi.
122. — André Lemoyne. — Chemin perdu. — Ecce Homo. — Renoncement. — Une larme de Dante. — Lettre de Sainte-Beuve. — Troisième édition. Paris, Firmin-Didot, (Mesnil, l'yp. H. Firmin-Didot), 1862; pet. in-12, 114 p.
B. F., 8 mars 1862, n° 2046.
La lettre « à M. André Lemoyne », (p. 5), 20 novembre 1859, simple billet, n'a pas été recueillie dans la Correspondance; elle ne figure plus en tête de la 4e édition du Chemin perdu, etc , imprimée chez Didot en 1863.
123. — Pensées de J. Joubert, précédées de sa correspondance, d'une Notice sur sa vie, son caractère et ses travaux par M. Paul de Raynal, et des Jugements littéraires de MM. Sainte-Beuve, Silvestre de Sacy, Saint-Marc-Girardin, Géruzez et Poitou. Troisième édition revue et augmentée. Paris, Didier et Cie, (Imp. P.-A. Bourdier et Cie), 1862; 2 vol. in-12.
B. F., 31 mai 1862, n° 4578.
Cette édition, la quatrième, si l'on compte celle de 1838, a été donnée par M: Louis de Raynal; on y trouve (I, XCV-CV) des fragments de deux études de S.-B. publiées le 1er décembre 1838 dans la Rev. des D.-M. (Port. Litt., II, 306-26) et le 10 décembre 1849 dans Le Constitutionnel (Causeries du Lundi, I, 159-178). — Voir sur S.-B. et Joubert : Du nouveau sur J. Joubert, Chateaubriand, Fontanes et sa fille, Sainte-Beuve, avec plusieurs portraits et fac-similé, par G. Pailhès. Paris, Garnier frères, 1900, in-12,. XIV-538 p.
124. — OEuvres complètes du comte Xavier de Maistre. Edition illustrée pour la première fois, précédée d'une Notice sur l'Auteur par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Vignettes dessinées par Staal et gravées par les meilleurs artistes. Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), s. d. [1862]; grand in-8, XXXVI-471 p., les 2 d. n. ch., la p. 470 est bl.; 4 pl. hors texte.
B. F., 29 novembre 1862, n° 10736.
La notice (p. V-XXXVI) est accompagnée de. la note suivante : « Cette étude sur le comte. Xavier de Maistre a été écrite par M. Sainte-Beuve en 1839, à l'occasion du seul et unique voyage que le comte Xavier fit à Paris. L'auteur des Portraits Contemporains se hâta de saisir au passage la figure de cet homme sensible et de ce talent aimable : c'est une esquisse d'après nature ». Publiée dans la Rev. des D.-M. du 1er mai, puis dans les Port. Cont., S.-B., en la faisant réimprimer en tète de cette édition, y a « encore ajouté quelques notes et quelques indications » (Lettre de S.-B. à Gaullieur, 23 mai 1864, publiée par M. Eug. Ritter). — Il existe une édition in-12, de la même année, plusieurs fois réimprimée.
125. — Conversations de Goethe pendant les dernières années de sa vie — 18221832 — recueillies par Eckermann, traduites par Emile Délerot, précédées d'une Introduction par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française, et suivies
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BIBLIOGRAPHIE 413
d'un Index. Paris, Charpentier, (Imp. S. Raçon et Cie), 1863; 2 vol. in-12.
B. F., 6 juin 1863, n° 5059.
L'introduction de S.-B. (I, I-XXII), sous forme de lettre « à M. Charpentier, libraireéditeur », est datée du 1er mai 1863; elle reproduit, avec des modifications, une partie des trois articles de 1862 sur les Entretiens (Nouveaux Lundis, III, 264-329).
126. — Histoire de Gil Blas de Santillane, par Le Sage, avec les principales remarques des divers annotateurs, précédée d'une Notice par M. SainteBeuve, de l'Académie française ; des jugements et témoignages sur Le Sage et sur Gil Blas, suivie de Turcaret et de Crispin rival de son maître. Paris, Gamier frères, (Imp. J. Claye), 1864; 2 vol. in-8.
Chefs-d'oeuvre de la Littérature française.
B. F., 1er août 1863, n° 6977; 3 décembre 1864, n° 10997.
La « Notice sur Gil Blas » (I, I-XXVIII), avait été publiée dans Le Constitutionnel du 5 août 1850, puis dans les Causeries du Lundi (II, 353-375); elle est suivie des « Jugements et témoignages sur Le Sage et sur Gil Blas (XXIX-XLV) réimprimés en tête de la Table des Causeries du Lundi par M. Ch. Pierrot (p. 22-34).
127. — Corneille, Shakspeare et Goethe. Etude sur l'influence anglo-germanique en France au XIXe siècle, par William Reymond. Avec une Lettre-préface de M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Berlin, Luederilz; Paris, Klincksieck ; Londres, Williams et Norgate, (Rerlin, Imp. G. Schade), 1864; pet. in-8, XVI-311 p.
La lettre de S.-B., 2 novembre 1863 (p. IX-XIV), a été réimprimée dans les Nouveaux Lundis, IV, 452-456.
128. — OEuvres complètes de Charles de Chênedollé. Nouvelle édition, précédée d'une Notice par Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Firmin-Didot frères, fils et Cie, (Mesnil, Typ. H. Firmin-Didot), 1864; in-18, XXX-420 p.
B. F., 24 septembre 1864, n° 8612.
La notice (p. V-XVII) condense la partie essentielle de l'étude sur Chênedollé, publiée les 1er et 15 juin 1849 dans la Rev. des D.-M., et insérée dans Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire, II, 148-321.
129. — Laure d'Estell, par Sophie Gay. Précédée d'une Étude par M. SainteBeuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Beaugency, Imp. F. Renou), 1864 ; in-12, 2 f., XXIV-276 p.
B. F., 31 décembre 1864, n° 11915.
La notice (p. I-XXI) est empruntée aux Causeries du Lundi, VI, 64-83.
130. — Lettres choisies de Mme de Sévigné, accompagnées de notes explicatives sur les faits et les personnages du temps, précédées d'Observations littéraires par M. Sainte-Beuve et du portrait de Mme de Sévigné par Mme de La Fayette, sous le nom d'un inconnu. Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), 1865; in-12, 2 f. (comprenant un portrait), XIX-535 p.
B. F., 18 mars 1865, n° 2468.
Les " observations » de S.-B. (p. I-XV) sont empruntées à l'article de la Revue de Paris, mai 1829, recueilli dans les Portraits de Femmes.
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414 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
131. — OEuvres de Millevoye, précédées d'une Notice par M. Sainle-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), 1865; 2 f., 443 p.
B. F., 15 juillet 1865, n° 6226.
La notice (p. 1-20) publiée dans la Rev. des D.-M. du 1er juin 1837, est empruntée aux Port. Litt., 1,414-429.
132. — Paroles d'un Croyant.— Une Voix de prison. — De l'Esclavage moderne. Par F. Lamennais, précédées d'une Etude sur Lamennais par M. SainteBeuve, de l'Académie française. Nouvelle édition. Paris, Michel Lévy frères, (Abbeville, Imp. P. Briez), 1866; in-12, 2 f., 256 p., la d. n. ch.
B. F., 24 février 1866, n° 1648.
L'«introduction » (p. 1-23) reproduit l'article de S.-B. donné le 1er mai 1834 dans la Rev. des D. M. (Port. Cont., I, 231-247), et l'anecdote relative à la publication des Paroles d'un croyant, racontée par S.-B. dans Le Constitutionnel du 23 septembre 1861 (Nouveaux Lundis, I, 39-41).
133. — Armand Lefebvre. — Histoire des Cabinets de l'Europe pendant le Consulat et l'Empire, 1800-1815 ; précédée d'une Notice par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française, sénateur, et complétée par M. Ed. Lefebvre de Behaine, secrétaire d'ambassade. Deuxième édition. Paris, Amyot, (Imp. S. Raçon et.Cie), 1866-69; 5 vol. in-8.
B. F., 24 février 1866, n° 1651 ; 2 octobre 1869, n° 8888.
La notice, 20-27 mars 1865 (I, V-LIII), est empruntée aux Nouveaux Lundis, X, 1-45.
134. — OEuvres choisies de Piron, avec une analyse de son théâtre et des notes par M. Jules Troubat. Précédées d'une Notice par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Imp. Ed. Blot), 1866; in-12, 2 f., 584 p.
B. F., 21 avril 1866, n° 3484.
La notice (p. .1-73), véritable portrait publié dans la Revue Contemporaine du 31 octobre 1864, a été réimprimée dans les Nouveaux Lundis, VII, 404-466.
135. — Fables de Florian, suivies de son Théâtre, précédées d'un Jugement par La Harpe, et d'Observations littéraires par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Vignettes par Grandville. Paris, Garnier frères, (Imp. J. Claye), 1867, in-12; 3 f., XVIII p., 1 f., 483 p.
B. F., 15 décembre 1866, n° 13246.
Les, « observations » de S.-B. (p. III-XVIII) sont empruntées à l'article du Constitutionnel du 30 décembre 1850. Causeries du Lundi, III, 229-248.
136. — Mémoires du comte de Gramont, par Hamilton. Nouvelle édition, [revue d'après les meilleurs textes, et précédée d'une Notice sur l'auteur, par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Garnier frères, (Imp. S. Raçon et Cie), s. d. [1866]; in-12, XXIII-426 p.
B. F., 22 décembre 1866, n° 13520.
La notice (p. V-XXIII) est empruntée à l'article du Constitutionnel du 12 novembre 1849. Causeries du Lundi, I, 95-106.
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BIBLIOGRAPHIE 415
137. — OEuvres de P. Corneille, précédées d'une Étude par M. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, 1866, 2 vol. in-12.
Cette édition, mise en vente en mai 1866, ne figure pas dans la B. de la F. et manque à la Bibliothèque nationale; nous n'en n'avons vu qu'une réimpression (Paris, Calmann Lévy, 1892).
138. — Adolphe, anecdote trouvée dans les papiers d'un inconnu, par Benjamin Constant. Nouvelle édition, suivie de la Lettre sur Julie et des Réflexions sur le Théâtre allemand du même auteur, avec un Avant-propos de M. SainteBeuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Poissy, Imp. A. Bouret), 1867 ; 2 f., VIII-276 p., la d. n. ch.
B. F., 2 mars 1867, n° 1828.
L'avant-propos, sans titre, (p. I-VIII), a été réimprimé dans les Causeries du Lundi, 3° édition, XI, 432-438.
139. — Une Préface aux Annales de Tacite, par Senac de Meilhan, publiée avec un mol d'avertissement par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française, et suivie d'une lettre du Prince de Ligne à M. de Meilhan, Paris, Académie des Bibliophiles, (Imp. Jouaust), MDCCCLXVIII [1868], in-16, 60 p., les cinq dernières non chiffrées.
Tiré à 430 exemplaires sur papier vergé et 10 sur papier de Chine. Ne paraît pas avoir été enregistré dans la B. de la F.
L'exemplaire de cette traduction des Annales de Tacite que possédait S.-B., lui venait de M. Biston, petit-neveu d'Antoine-Joseph Biston, secrétaire du cabinet de M. de Meilhan dans l'intendance de Valenciennes (Voir n° 173 : Sainte-Beuve et son correspondant Champenois). — Le " mot d'avertissement » a été réimprimé dans les Premiers Lundis, III, 239-42.
140. — OEuvres choisies de Charles Loyson, publiées par Emile Grimaud, avec une lettre du R. P. Hyacinthe, des Notices biographiques et littéraires par MM. Patin et Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, J. Albanel, (Nantes, Imp. V. Forest et E. Grimaud), 1869; in-8, XV-XXXII-344 p., la d. (errata) n. ch., portrait par L. Flameng.
B. F., 19 décembre 1868, n° 10937.
La notice littéraire de S.-B. (p. XVI-XXIV), datée du 15 juin 1840, est un fragment de l'étude publiée dans la Rev. des D.-M. et reproduite dans les Port. Cont., III, 276-294.
141. — Lettres et souvenirs d'enseignement d'Eugène Gandar, publiés par sa famille et précédés d'une Étude biographique et littéraire par M. SainteBeuve, de l'Académie française. — T. I. Lettres. — T. II. Souvenirs d'enseignement. Étude sur Poussin. Homère. Paris, Didier et Cie, (Imp. P.-A. Bourdier, Capiomont fils et Cie), 1869; 2 vol. in-8.
B. F., 29 mai 1869, n° 4529.
L'étude sur « Eugène Gandar » (I, I-LIV), publiée dans le Journal des Savants, octobre et novembre 1868, a été réimprimée dans les Nouveaux Lundis, Xll, 337-401.
142. — Funérailles de Madame A. Regnard, née Caroline Delcher, morte le
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416 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
23 janvier 1868 [1869], à 28 ans. — A... de la part de A. Regnard. — S. l., (Paris, Imp. E. Martinet), n. d. [1869] ; in-12, 16 p.
Épigr. : Date lilia.
La lettre de S.-B. à M. A. Regnard, 28 janvier 1869, dont un fragment se trouve en tête de cette brochure (p. 3), a été publiée dans la Correspondance (II, 356-7).
IV. — CORRESPONDANCE
143. — Lettres à la Princesse, par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Paris, Michel Lévy frères, (Imp. J. Claye), 1873; in-12, 2 f., III-367 p.
Bibliothèque contemporaine.
B. F., 12 avril 1873, n° 3504.
Ces lettres vont du jeudi 20 juin [1861] au 17 janvier 1869 : elles sont précédées (p. I à m) d'un avant-propos signé J [ules] T [roubat], indiquant que les « Lettres recueillies dans ce volume ont été rendues au légataire universel de M. Sainte-Beuve, en échange de celles qui furent un moment l'objet, en 1869, de contestations à peu près oubliées aujourd'hui ». Publiées avec « des coupures et des initiales », les lettres originales, sans aucune suppression, réunies en un fort volume n-8, se trouvent, depuis 1892, dans la bibliothèque de M. Jules Claretie.
Le troisième tirage de cette édition fait à l'imprimerie Colin, en 1887, est actuellement en vente.
144. — Correspondance de C.-A. Sainte-Beuve (1822-1865). Paris, Calmann Lévy, (Imp. A. Chaix et Cie), 1877-1878; 2 vol. in-12, 2 f., 378 et 404 p.
Bibliothèque contemporaine.
B. F., 6 octobre 1877, n° 9793 ; 4 mai 1878, n° 3994.
Bien que le titre du tome 11 (1878) reproduise les indications ci-dessus de dates extrêmes, ce tome comprend la Correspondance de 1865 à 1869.
Le 2° tirage de cette édition, — fait à l'imp. Chaix, en 1878, pour le 1er vol., et à l'imp. Colin, en 1898, pour le 2° vol., — est actuellement en vente.
144a. — Nouvelle Correspondance de C.-A. Sainte-Beuve, avec des notes de son dernier secrétaire [M. Jules Troubat]. Paris, Calmann Lévy, (Imp. A. Chaix et Cie), 1880; in-12, 2 f., 442 p.
B. F., 28 août 1880, n° 7765.
Lettres de 1818 à 1869 et lettres sans date. — Voir, à propos de cette publication, le n° 172.
145. — ;-Correspondance de Sainte-Beuve avec Hermann Reuchlin, publiée par Eugène Ritter, professeur à l'Université de Genève. Extrait du tome XIII de
la « Zeitschrift fur franzôsische Sprache und Litteratur ». Oppeln et Leipzig, G. Maske, 1891; in-8, 13 p.
Sur les sept lettres publiées, quatre (3 mars 1845, 3 février et 22 avril 1858, 12 mars 1865) sont de S.-B.; les trois autres (2 mars 1840, 5 février 1845 et 18 février 1865) sont de Reuchlin.
146. — Lettres de Sainte-Beuve au professeur Gaullieur (1844-1852) [publiées
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BIBLIOGRAPHIE 417
par M. Eugène Ritter]. S. I. n. d. (Extrait du Bulletin de l'Institut nalional genevois, t. XXXIII), [Genève, Georg, 1895]; in-8, 43 p., la d. n.ch.
Simple litre de départ (p. 1) en tête de l'ayant-propos signé (p. 4) : Eugène Ritter. — Tirage à part à 50 exemplaires, contenant vingt lettres de S.-B. à Gaullieur, 2 mars 1814-10 mai 1852; dix lettres de Gaullieur à S.-B., 5 mars 1844-1er octobre 1846, publiées en totalité ou en partie; et une lettre du duc de Broglic à Gaullieur, 28 mai 1844. — On feuillet de 2 pages, intitulé Errata et Addenda, ajouté au Bulletin et lire à part à 25 exemplaires, contient (p. 2) une lettre de S.-B. à Gaullieur, du 12 juillet 1844.
147. — Lettres inédites de Sainte-Beuve à Collombet, publiées par C. Latreille et M. Roustan. Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, ancienne librairie Lecène, Oudin et Cie, (Poitiers, Société française d'imprimerie et de librairie), 1903; in-12, xv-272 p., la d. n. ch.
B. F., 21 mars 1903, n°2834.
Après I'avant-propes, qui occupe les pages v-xv, une introduction très étendue (p. 1-153), contient les chapitres suivants : Sainte-Beuve et Lyon; — Quelques détails sur la biographie de Sainte-Beuve; — Sainte-Beuve critique; — Sainte-Beuve poète: les Pensées d'Août; — La crise religieuse de Sainte-Beuve.
Les lettres de Sainte-Beuve et les quelques lettres de François-Zénon Collombet appartiennent à la période de 1834 à 1853.
148. — Correspondance inédite de Sainte-Beuve avec M. et Mme Jusle Olivier, publiée par Mme Bertrand. Introduction et Notes de Léon Séché, avec un portrait de Juste Olivier. Paris, Société du Mercure de France, (Poitiers, Imp. Blais et Roy), 1904; in-12, 2 f., 509 p., les 3 d. n. ch.
Il a été tiré douze exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 1 à 12. B. F., 7 janvier 1905, n° 159.
Cette correspondance avait été publiée dans la Revue des Deux Mondes des 15 octobre, 1er et 15 novembre 1903, 1er et 15 juillet et 1er août 1904.
En outre des diverses publications signalées ici, nous avons cité au cours de cette bibliographie un certain nombre d'ouvrages contenant des lettres de Sainte-Beuve (1). En réunissant celles qui ont été imprimées çà et là (2), on aurait la matière d'un nouveau volume de correspondance qu'il faudrait fondre avec les trois précédents. A défaut, il serait bon, pour établir l'unité de la correspondance, de dresser une liste ou table chronologique des lettres et une table alphabétique des noms cités, comprenant les Lettres à la Princesse, la Correspondance avec M. et Mme Jusle Olivier et les Lettres à Victor Hugo et à Madame Victor Hugo qui resteraient distinctes.
Voici, pour terminer, quelques indications complémentaires et une douzaine de lettres adressées à diverses personnes ; les unes nous ont été communiquées par MM. Noël Charavay et Raoul Bonnet; les autres proviennent des papiers de Ferdinand Denis qui les avait reçues et les a léguées à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.
(1) Voir aussi les n°s 154, 164, 182, 192 et 196bis.
(2) Sans parler de celles qui ont passé en vente et notamment des lettres à Madame Du Gravier, 1847-1866, (N° 140 du Catalogue d'une précieuse collection de Lettres autographes, vendue le] 20 mars 1903. Paris, Noël Charavay).
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418 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Lettres de Sainte-Beuve à Jules Philippe, publiées par M. Eugène Ritter (Revue Savoisihnne, 31e année, Annecy, 1890, in-8). Cinq lettres de 1863 à 1867.
A travers les autographes. Les papiers de Boissonade, par Félix Chambon (Revue d'Histoire littéraire de la France, 1901, p. 462-87). Une lettre à Victor Cousin et cinq à Boissonade, de 1845 à 1851.
Lettres inédites, publiées par M. Eugène Emler (Nouvelle. Revue, ler juin 1903). Six lettres'à George Emler, de 1821 à 1824.
Lettres à une Jeune Fille, publiées par M. Philippe Godet, (Revue de Paris, ler juillet 1904). Quatre lettres de 1857 et 1858.
Lettres inélites recueillies et commentées, par M. G. Michaut (Revue latine,. 25 décembre 1904). Texte ou extraits de 27 lettres ou billets à divers correspondants : Emile Deschamps, Renduel, Amédée Renée, Ernest Chesneau, Didron l'aîné.
Lettres de Sainle-Beuve à Victor Hugo et à Madame Victor Hugo, retrouvées et publiées par M. Gustave Simon, 1827-1867. Ces lettres, en cours de publication dans la Revue de Paris (15 décembre 1904-janvier 1905), doivent paraître à la librairie Calmann Lévy.
I
Ce Dimanche.
J'ai bien l'honneur de saluer Monsieur Denis et de le prier de me pardonner mon étourderie. Quand j'acceptai hier la visite chez M. Villenave pour mardi soir, j'avais tout à fait oublié que j'étais retenu cette même soirée pour entendre le discours d'ouverture du cours de M.Lami à l'Athénée. En rentrant à la maison, une lettre de lui me l'a rappelé. Si donc Monsieur Denis voulait avoir la bonté de me désigner un autre jour, soit aujourd'hui, soit demain, soit mercredi, je serais à ses ordres et doublement obligé de sa complaisance.
STE-BEUVE.
Suscription : Monsieur,
Monsieur Ferdinand Denis,
Rue Notre-Dame-des-Champs,
au coin, de la rue de Chevreuse.
M. Crussolle-Lami fit, en 1827, un cours à l'Athénée royal sur.la Révolution des Pays-Bas (1560-1609); il est probable que cette lettre y fait allusion.
II
Ce Vendredi (décembre 1827).
Mon cher ami,
Je vous renvoie quelques-uns des ouvrages que vous avez eu la compilaisance
compilaisance me prêter, et en particulier votre André que j'ai lu avec beaucoup
d'intérêt. C'est un Roman de la famille de Paul et Virginie et qui ne dépare
nullement ses aînés. Je vous ferai, si vous jugez à propos d'en envoyer un
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BIBLIOGRAPHIE 419
exemplaire au Globe, une petite annonce que nous tâcherons de faire passer avant le 1er janvier. Veuillez me le dire; elle sera faite aussitôt que le livre envoyé au bureau. Si vous avez fini du Montaigne, je vous serai obligé de le remettre à la porteuse du billet, parce que je vais m'y mettre, et à Rabelais pour clore mon in-4 8 .
Mille amitiés. Mes respects chez vous. '
STE-BEUVE.
Suscription : Monsieur;
Monsieur Ferd. Denys.
André le Voyageur, histoire d'un marin, par Ferdinand Denis (Paris, L. lanet, in-18), parut à la fin de novembre 1827. L' « annonce » offerte par S.-B. se trouve dans Le Globe du 25 décembre; elle est anonyme et débute par ces mots:« Ce petit roman est de la famille de Paul et Virginie ». La dernière ligne do celte lettre montre que S.-B. ne prévoyait pas encore les deux volumes iu-8 du Tableau de II Poésie française au XVIe siècle.
III
Ce Dimanche. Mon cher Ferdinand,
Seriez-vous assez aimable pour vouloir bien faire (demain lundi à 6 heures moins le quart) un petit dîner bien simple et frugal chez ma bonne mère? Vous nous feriez bien du plaisir. — Vous n'en pouvez douter.
Tout à vous. Amitiés à M. Arsène.
STE-BEUVE.
Tout l'intérêt de ce petit billet, sans date, adressé à Ferdinand Denis, est dans sa note intime qui fait penser à ces lignes de Lamartine : « Il vivait à Paris, avec une mère âgée, sereine, absorbée en lui, dans une petite maison sur un jardin retiré dans le quartier du Luxembourg ».
IV
Voici, Monsieur, trois parterres. Il faudrait être avant 5 h. 4\2 au Théâtre, du côté de la rue de Montpensier.
J'ai l'honneur de vous saluer. Pour M. V. Hugo.
STE-BEUVE.
Ferdinand Denis a ajouté la note suivante: « Envoi de billets de parterre pour la troisième représentation d'Hernani [Ier] mars 1830 ». La première avait eu lieu le 25 février. — Ce billet, très court, montre S.-B. dans ses fonctions de Hernanisfe.
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420 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
V
Mon cher Roche, Le journal le Mouvement paraît-il, y serez-vous ? Dans ce dernier cas, comme le journal serait bon, je serais heureux d'être quelquefois à votre service. — De plus, un de nos amis, M. Slourm, ce substitut destitué au sujet des associations, homme loyal et dans lesprincipes du mouvement, serait heureux aussi d'entrer en rapport avec vous, et vous n' auriez qu'à vous féliciter de ce rapprochement.
Tout ceci vient de ce qu'on m'a dit que vous seriez rédacteur en chef de ce journal. Il n'en est peut-ètre rien, mais je le voudrais. Tout à vous d'estime et de coeur.
STE-BEUVE. Chenavard a dû aussi vous parler de Planche pour les Théâtres.
Suscription : Monsieur Roche,
Rue de Sèvres, 103.
L'acte de société du Mouvement est du 30 octobre 1831, et il fut enregistré le 3 noMembre suivant. Dans une lettre du 9 décembre 1831, signalée par M. G. Michaut, SainteBeuve adresse Charles Didier à Achille Roche, au bureau du Mouvement.
VI
Ce Lundi [23 septembre 1839]. Mon cher Antony, Recevez mon cordial remerciement pour les beaux vers que vous rattachez à mon nom et que la Revue de Paris m'apporte ce matin : poète qui vivez sur voire montagne et nous fuyez, on ne peut vous serrer la main comme on voudrait, il me larde de vous rencontrer pour causer avec vous de tout ce que vous nous déduisez si bien.
Amitiés de coeur.
STE-BEUVE, Suscription : Monsieur,
Monsieur Antony Deschamps,
Maison de santé du Docteur Blanche, à Montmartre, près Paris.
Le timbre de la poste poste la date du 23 septembre 1839, qui était bien un lundi. .
Le numéro de la Revue de Paris qui venait de paraître contenait quelques poésies d'Antoni Deschamps et d'une d'elles (16 vers), était dédiée : A MONSIEUR SAINTE-BEUVE. Dans le recueil des Poésies de Antoni Deschamps (Paris, Delloye, 1841, in-12), ces vers :
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BIBLIOGRAPHIE 421
Celle qu'on appelait l'âme de la maison, ont partie du livre III : RÉSIGNATION, avec ce nouveau titre : A CELLE QUI NOUS ÉLEVA. Le nom de S.-B., supprimé ici, se retrouve dans le premier livre : LES ITALIENNES, dont la pièce V : NAPLES, lui est dédiée.
VII
Ce 19 mai 1841. Mon cher Monsieur Gétrat, Auriez-vous la bonté de me dire si vous avez connaissance d'une tragédie en 5 actes et en vers qui a été déposée au Théâtre-Français, le 25 mars dernier, et qui a pour titre Marie de France ? Je connais l'auteur, qui est modeste et qui désire un avis sérieux. Je me suis permis (avec toute sorte de discréliori) de vous écrire pour vous adresser cette question. Quelle que soit votre réponse, comptez sur celte même discrétion qui vous couvre.
Il doit de plus être déposé dans quelques jours le manuscrit d'une tragédie en cinq actes et en vers intitulée l'Esclave ou la Mort de Séjan. Un examen attentif et un avis sérieux sont également réclamés avec prière par un auteur, homme très honnête et très modeste.
Pardonnez-moi, mon cher ami, d'aller ainsi à vous à travers un incognito que je saurai plus que personne respecter.
Tout à vous.
STE-BEUVE.
VIII
Ce Dimanche. . Cher Monsieur,
Je suis passé ce malin chez vous pour vous remercier de votre bonne et cordiale parole d'hier. — J'avais aussi à coeur de mieux répondre que je ne l'ai fait à l'autre mot que vous m'avez dit. Je vous assure que rien ne serait plus injuste que l'imputation dont il s'agit. Non, je n'ai fait aucune stipulation avec personne. M. Campenon mort, j'ai déclaré que je ne me présentais pas, parce que, sans des chances prochaines, il me semblait insupportable de m'élablir en candidature permanente. Si j'avais voulu arriver à une stipulation, je me serais mis en campagne, j'aurais formé un noyau plus ou moins considérable, et je ne me serais désisté que moyennant arrangement et conditions. Or, j'ai fait tout le contraire : dès le premier jour, j'ai dit non et me suis tenu dans ma chambre. M. S.-M. G. [Saint-Marc Girardin] pourtant, dont j'aurais pu, non pas empêcher, mais gêner l'élection, est venu me remercier de ce qu'il a bien voulu prendre pour un bon procédé. Mon premier mot a été pour lui expliquer mes motifs et les réduire à leur juste valeur. Il m'a
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422 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
déclaré ne pas m'en savoir moins bon gré, et je n'ai pas dû repousser un retour si bienveillant. D'ailleurs, je ne l'ai pas vu une seule fois depuis lors. Voilà le vrai. — Quant à ma candidature actuelle, je ne m'y suis décidé que parce qu'il m'importe d'éclaircir cette situation gênante dans laquelle je suis, sur le seuil et presque logé dans le mur de l'Académie. Les choses paraissent prendre une bonne tournure. La plupart de mes voix me sont venues comme la vôtre, mon cher Monsieur, c'est-à-dire comme preuves d'estime dont je suis et resterai heureux et fier, quelle que soit l'issue. S'il fallait, pour en grossir le nombre, manquer en rien à ce que je crois dignité et même fierté dans un certain sens, je ne le ferais pas, et même plus d'un exemple que je pourrais vous citer vous prouverait que je ne l'ai pas fait, à l'égard de [deux ou trois, remplacé par] plusieurs membres influents de l'Académie. — Pardon de ces détails qu'un quart d'heure de conversation aurait mieux expliqués, mais je tiens trop à votre parfaite estime pour laisser aucun doute sur un point qui ne saurait m'être secondaire ; votre conclusion si favorable pour moi pie rend cette justification plus facile en ce qu'elle est toute désintéressée. Croyez, cher Monsieur, à tous mes sentiments obligés et dévoués.
STE-BEUVE.
Saint-Marc-Girardin a été élu, en remplacement de Campenon, le 8 février 1844. Le même jour, l'élection du successeur de C. Delavigne était ajournée, après 7 scrutins successifs qui avaient donné, en dernier lieu, 16 voix à S.-B., 16 à Vatout, 3 à Alfred de Vigny. C'est seulement le 14 mars que S.-B. fut élu, au deuxième tour, par 21 voix contre 12 à Vatout et 3 à Vigny. — Cette lettre, qui parait postérieure à l'élection de Saint-Marc Girardin, pourrait donc être de l'un des dimanches de février (11, 18 ou 25) ou de mars (3 ou 10) eutre ces deux dates.
IX
Ce 25 Janvier. Cher Monsieur,
Je ne vous ai pas remercié comme je l'aurais dû de l'envoi que vous m'avez fait de l'excellente notice sur Ilerluison : j'en ai tiré mes notes et je vous la rendrai quand vous la désirerez. — J'ai également reçu et j'ai déposé au Secrétariat de l'Institut le Discours de notre ami Des Giierrois, il est venu avant tous les autres et il a le n° 1. Ce n'est que dans quelques mois que nous aurons à nous occuper de la lecture.
Je suis indisposé en ce moment et dans l'impossibilité d'écrire longuement. Veuillez dire à notre ami tous mes compliments affectueux et que je lui écrirai au premier jour; qu'il m'écrive lui-même quand il aura quelque bonne idée de le faire, il est sûr de me causer un plaisir de coeur.
N'y aurait-il moyen d'avoir là-bas, d'acheter du bouquiniste que j'ai visité dans mon séjour à Troyes, l' Éloge de Pithou par Herluison et celui
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BIBLIOGRAPHIE 423
de Grosley, s'il était possible ? J'aimerais assez prendre par là une idée de sa manière d'écrire.
Adieu, cher Monsieur, gardez-moi toujours un bon souvenir et comptez sur le mien.
Tout à vous.
STE-BEUVE.
Si le livre noté au nom de Pascal vous repassait sous la main, si tard que ce soit, je me recommande à vous toujours.
Cette lettre est certainement adressée à M. Harmand, bibliothécaire de la ville de Troyes, à qui S.-B. écrivait le S octobre 1842, au sujet de Grosley (voir ci-dessus, n° 20b); et elle est probablement de 1848, car la note sur Herluison fait partie du tome III de Port-Royal (Paris, Hachette, 1848, p. 586-7).
X
Paris, ce 13 Octobre 1851. Monsieur et très honorable Confrère,
Je viens vous demander un renseignement que vous pourrez peut-être me donner. Il s'agit de Mlle Le Couvreur. Un manuscrit, espèce de recueil de Coste d'Arnobal, contenant des miscellanées de diverses sortes, avait en tête, à ce qu'il paraît, un certain nombre de lettres de Mlle Le Couvreur. M. Goizet, que vous avez souvent employé, ayant acheté ce manuscrit qui a été revendu depuis à d'autres, on suppose qu'il a pu en détacher les lettres qui étaient en tête, et que vous en auriez peut-être fait l' acquisition pour votre bibliothèque, si riche particulièrement, en tout ce qui concerne le théâtre. Cette partie du théâtre n'a pas été comprise dans la vente qui a eu lieu, il y a quelques années. Je viens donc vous demander si vous n'auriez pas ces lettres de Mlle Le Couvreur ou si vous ne sauriez pas en quelles mains elles ont pu passer. Je me suis occupé avec un de mes amis de recueillir tout ce qu'on pourrait trouver d'intéressant sur cette grande actrice, la première qui ail véritablement conquis pour ses pareilles rang et considération dans la. société. Excusez-moi, si ma conjecture relativement à ces lettres est en défaut; mais vous vous êtes toujours montré si obligeant à mon égard que je n'ai pas hésité à m'adresser à votre bienveillance dans cette occasion comme dans toute autre.
Agréez, Monsieur et cher Confrère, l'expression de ma haute considération.
STE-BEUVE,
rue Montparnasse, n° 11. Celte lettre doit avoir été adressée au baron Taylor qui possédait une copie, faite au
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424 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
XVIII° siècle, des lettres d'Adrienne Le Couvreur; copie figurant, sous le 120, dans le Catalogue d'une intéressante collection de lettres autographes faisant partie du cabinet de feu. M, le baron Taylor, membre de l'Institut, vendue le 23 mars 1885. — L'ami est Ravenel, « bibliophile avec passion et avec choix », qui préparait un ouvrage sur Mlle Le Couvreur, dont il avait « ressenti... le charme »; on a lu ci-dessus (p. 148), deux billets de 1849 relalifs au même projet. — Les lettres d'A. Le Couvreur n'ont été publiées que quarante ans plus tard, en 1892, par M. G. Mon val.
XI
Mon cher Ami, Je suis indisposé et d'un mal de gorge qui m'interdit toute conversation un peu longue .
J'ai reçu votre danse, voire océan; vous suivez votre veine. Ce n'est qu'en causant que je pourrais vous expliquer et les éloges et les réserves.
Ne vous inquiétez plus du Babou. Je ne sais si je répondrai jamais à ce qui n'est pas une espièglerie mais une petite infamie; car il a mis l'honnêteté en jeu. Dans tous les cas, j'ai la Némésis très lente et boiteuse.
J'espère pourtant que, si vous restez ici quelques semaines, je pourrai vous voir et causer.
Tout à vous.
STE-BEUVE. Ce 5 mars [1859 ?]
Cette lettre est adressée'à Baudelaire.
On trouve dans la Nouvelle correspondance, une autre lettre à Baudelaire, 23 février [1859], dans laquelle il est encore question de Babou. Voir sur la querelle de SainteBeuve et d'Hippolyte Babou : Ombres et fantômes. Profils disparus. Hippolyle Babou, par Firmin Maillard (Revue biblio-iconographique, mars-avril 1904).
XII
Ce Mercredi. Mon cher et docte Confrère, L'article Boissonade est à peu près fini et esquissé. Je voudrais pourtant vous le lire quoi qu'il ne soit en grande partie que le résumé de notre entretien. J'ai un doute sur un point. Est-ce bien à Nogent-sur-Seine qu'habitait le savant farouche? Je vois dans la notice de M. Naudet qu'en 1830 il habitait à Nogent-sur-Marne; aurait-il habité successivement aux deux Nogent? Est-ce bien à Nogent-sur-Seine, en un mot, que Letronne et Gail le voulurent visiter, sans être reçus ? Je fais appel à voire souvenir toujours si précis. Si demain soir, Jeudi, vous pouviez m'accorder une heure, je vous lirais la pièce ou plutôt, à cause de l'état de mes yeux, je vous la ferais lire par mon Secré-
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BIBLIOGRAPHIE 425
taire. Mais alors ce serait chez moi que serait le rendez-vous : cela vous dérangerait-il trop? et bien mieux, ne me feriez-vous pas le plaisir de venir dîner demain à 6 heures, dîner bourgeois, sans façon, sans toilette, et après le dîner, la pièce lue, vous seriez libre. En fin, ce dernier parti me ferait bien plaisir. Voyez et dites oui, — ou plutôt ne dites rien et venez.
Tout à vous.
STE BEUVE.
Cette lettre est certainement adressée à J.-P. Rossignol. En effet, dans l'article sur: M. Boissonade, ses articles de critique littéraire recueillis et publiés par M. Colincamp, publié le lundi 28 septembre 1863 (Nouveaux Lundis, VI, 82-113), Sainte-Beuve place la scène dont il parle à Nogent-sur-Mame, et termine ainsi: « Je serais ingrat si je ne disais que, dans ce portrait où j'ai tâché d'être ressemblant et de me tenir avant tout dans la ligne du vrai, j'ai beaucoup dû à un successeur et à un ami de AI. Boissonade. ., à M. Rossignol, dont l'amitié m'est précieuse autant qu'honorable ».
V. — OUVRAGES RELATIFS A SAINTE-BEUVE ET A SES OEUVRES
149. — La Conversion d'un Romantique, manuscrit de Jacques Delorme, publié par M. Jay ; suivi de deux Lettres sur la Littérature du siècle, et d'un Essai sur l'Éloquence politique en France. Paris, Moutardier, (Imp. Guiraudet), 1830; in-8, 431 p.
Épigr. : Every absurdity has nom a champion lo défend it.
(GOLDSMITH).
S.-B. ligure dans cet ouvrage sous le nom transparent de Sainte-Barbe: on le voit (p. 303), à une soirée romantique, relever « deux ou trois fois la touffe de cheveux qui ombrageait son front " et réciter, « avec une emphase monotone », les vers de Ronsard : Ma petite colombelle.
Ailleurs (p. 15), il est dit de lui : « On ne saurait pousser plus loin que ce jeune écrivain l'oubli du respect pour soi-même et pour le public ».
130. — Extrait de la Revue de bibliographie analytique (Février 1843). — Notice sur l'Histoire de Port-Royal de MM. de Sainte-Beuve et Reuchlin, par P. Nicard. 5. L, (Paris, Imp. Vre Dondey-Dupré), n. d. [1843] ; in-8, 23 p.
L'étude de M. Th. Foisset sur le livre de Sainte-Beuve, publiée dans Le Correspondant du 15 janvier 1843, a donné lieu à la brochure suivante :
Sur un article de M. Foisset, dans Le Correspondant, revue mensuelle (première livraison), s. l. (Beaune, Imp. Blondeau-Dejussieu), n. d. [1843]; in-8, 8 p., la d. bl. n. ch. porte le nom de l'imprimeur. M. Foisset, offensé, ayant fait traiter « cette courte réponse » de « pamphlet anonyme », l'auteur se fit connaître en ajoutant un « PostScriptum » (s. I. n. d.) d'une page in-8, signé " Suremain de Missery ».
loi. — Galerie des Contemporains illustres, par un homme de rien [L. de Loménie]. M. Sainte-Beuve. Paris, A. René et Cie [1843]; in-12, 48 p., portrait gravé par Demary.
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426 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
La couverture imprimée sert de titre. Celte livraison fait partie du t. IX de la Galerie des Contemporains illustres.
132. — Hégésippe Moreau. S.l.n.d. (Provins, Imp. de Lebeau, [1881]); in-8, 8 p.
Article, signé (p. 8) : C. Angebert, extrait de La Feuille de Provins du 7 juin 1851, en réponse à celui de Sainte-Beuve, inséré dans Le Constitutionnel du 21 avril 1851 (Causeries du Lundi, IV, 52-75). — Simple titre de départ.
153. — William Reymond. — La Harpe et Sainte-Beuve. Lausanne, 1854; in-12.
Cet ouvrage, cité par M. Michaut (Sainle-Beuve avant les Lundis), manque à la Bibliothèque nationale.
154.— De la Causerie et des Causeurs littéraires au dix-huitième et au dixneuvième siècle. Lettres à M. Sainte-Beuve, par Charles des Guerrois. Fréron, Grimm, La Harpe, M. de Feletz, Sainte-Beuve, Saint-Marc Girardin, Armand de Pontmartin, Jules Janin, Cuvillier-Fleury. Paris, Ledoyen, Schulz et Thuillié, (Troyes, Imp. Bouquot), 1853; in-18, 104 p.
Préface (p. 5-7). Les Causeurs de ce temps-ci : MM. Sainte-Beuve, Armand de Pontmartin, Cuvillier-Fleury (p.9-57); Lettres à M.Sainte-Beuve (juin 1850-mars 1854, p. 59-102); Note à ajouter à la p. 15 (p. 102-104).
Après avoir parlé de Musset, de Lamartine, de V. Hugo et de Chateaubriand, l'auteur ajoute, p. 91 : « Si votre nom n'était pas en tête de ces pages, je vous dirais un poète dont je crois qu'il restera plus peut-être que d'aucun de ceux que j'ai nommés tout à l'heure, poètes que j'honore et que j'aime. Ce nom c'est celui de l'auteur des Consolations ».
155. — Les Contemporains. Sainte-Beuve, par Eugène de Mirecourt. Paris, G. Havard, 1855; in-32, 92 p., portrait gravé par Carey, fac-similé (sonnet imité de Wordsworlh : Les passions, la guerre; une âme en frénésie).
156. — Quelques mots sur les manuscrits du marquis d'Argenson et sur les extraits qui en ont été donnés par M. de Sainte-Beuve. Paris, Imp. de Dubuisson, 1856, in-12, 16 p.
Par le marquis René d'Argenson, arrière-petit-neveu de l'auteur des Considérations sur le Gouvernement de la France.
Cette brochure est relative à l'étude de Sainte-Beuve sur Le Marquis d'Argenson, d'après les manuscrits, publiée dans l'Athenoeum français des 3, 10 et 17 novembre 1855 (Causeries du Lundi, XII, 93-156); elle continue la polémique commencée dans le numéro du 29 décembre suivant.
157. — Sainte-Beuve, (par Georges Bell). S. I. n. d, (Paris, Typ. Laine et Havard), [1865] ; in-f°, 4 p., portrait lithog. par Bornemann, d'après une photographie de Pierson, imp. chez Lemercier et Cie ; fac-similé emprunté à la
Notice sur la comtesse de Bouffiers, née Campel de Saujon.
Cette biographie, signée à la quatrième page, faitpartie du Panthéon des Illustrations françaises du XIXe siècle, publié sous la direction de Victor Frond (Paris, A. Pilon, 1865, in-f°). Le portrait, dessiné d'après une photographie, a été retouché d'après nature.
158. — Lettres à M. Sainte-Beuve, académicien et sénateur, au sujet de ses idées philosophiques, par M. Ramon de La Sagra, membre correspondant de
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BIBLIOGRAPHIE 427
l'Institut de France... (Insérées dans les numéros du journal L'Union, du (sic) 30 juillet, 13 et 20 août, 1er septembre 1867). Paris, Germer-Baillière, 1867, in-8, 24 p.
Lettres écrites à l'occasion de la publication, dans le Courrier de la Moselle, d'une lettre de Sainle-Beuve, en date du 14 juillet 1867. Celte lettre, reproduite par l'Union du 23 juillet suivant, a été publiée partiellement dans les Premiers Lundis, III, 237-8, et complètement dans la Correspondance de Sainte-Beuve, II, 187-8. Elle est adressée à M. Albert Collignon, de Metz.
159. — Les Contemporains. Sainte-Beuve, par Ferragus [Louis Ulbach]. Paris, chez tous les libraires, 1869; grand in-8, 8 p. (p. 65 à 72), portrait par A. Gilbert, gravé par J. Robert. .
La couverture imprimée sert de titre. Fait partie de la collection : Les Contemporains. Portraits à la plume, par Ferragus [Louis- Ulbach]. A été réimprimé dans : Nos Contemporains, par Louis Ulbach. Paris, Calmann Lévy, 1883, in-12.
160. — Sainte-Beuve, sa vie et ses oeuvres, par Ernest Deseilles. Boulognesur-Mer, Imp. Ch. Aigre, 1870; in-8, 32 p.
Dans le volume intitulé L'Année Boulonnaise, recueil historique, Boulogne-sur-Mer, édité par la Société académique de l'arrondissement, 1887, in-8, VIII-788 p., M. Deseilles, alors archiviste de la ville, a consacré à la biographie et à la bibliographie de S.-B. une importante notice, qui occupe les p. 703-716.
161. — Catalogue des livres rares et curieux composant la bibliothèque de M. Sainte-Beuve, membre de l'Académie française, dont la vente aura lieu le lundi 21 mars 1870, et les cinq jours suivants, à sept heures du soir, rue des Bons-Enfants, 28 (maison Silvestre), salle n° 1, par le ministère de Me Delbergue-Cormont... Première partie : Poètes français du moyen-âge et du XVIe siècle. Éditions originales des auteurs romantiques. Livres annotés par M. Sainte-Beuve. Belles éditions en grand papier. Essai sur les révolutions de Chateaubriand, avec annotations autographes. Paris, L. Potier, A. Labitte, (Imp. A. Laine), 1870; in-8, 2 f. (faux litre et Litre), xx-155 p.
En tête, p. I à XX : La Bibliothèque de Sainle-Beuve, reproduction de l'article de Edmond Sehérer, publié dans Le Temps du 15 février 1870, et réimprimé dans ses Études critiques sur ta Littérature contemporaine (IV, 141-163). — Voir, dans les Nouveaux Lundis, VI II, 480-2, la note de M. Jules Troubat : Sur un exemplaire de Vauquelin de La Fresnaie (n° 361 du catalogue, vendu 3105 fr.).
161a. — Catalogue des livres composant la bibliothèque de M. Sainte-Beuve... dont la vente aura lieu le lundi 23 mai 1870 et les quatre jours suivants, à sept heures et demie du soir, rue des Bons-Enfants, 28... Deuxième partie. Paris, L. Potier, A. Labitte, [Imp. A. Laine), 1870 ; in-8, 2 f., 83 p. Il y a de ces deux parties, des exemplaires sur papier de Hollande.
161b. — Vente en lots de la Troisième Partie des Livres anciens et modernes composant la Bibliothèque de feu M. Sainte-Beuve, de l'Académie fran-
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428 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
çaise. Collection de Livres anciens et modernes avec notes de la main de M. Sainte-Beuve, la plupart portant sa signature en tête, et des appréciations sur l'auteur; Nombreux Livres modernes : Romans, Histoire, Littérature, Politique, etc., ont des dédicaces, lettres ou envois d'auteur à M. Sainte-Beuve : Feycleau, George Sand, Monselet, Champfleury, etc.; Pièces de Théâtre : Dumas fils, George Sand, etc.; Collection de Poëtes anglais, italiens, siciliens, avec vignettes ; quelques-uns portant la signature et des notes de la main de M. Sainte-Beuve; rue des Bons-Enfants, 28 (Maison Silvestre), le lundi 26 juin 1871, à 7 h. 1/2 précises du soir.— Me DelbergueCormont, commissaire-priseur à Paris, rue de Provence, n° 8 ; Assisté de M. Labitte, libraire-expert, rue de Lille, n° 4, chez lesquels se distribue la Notice. — La vente de la belle série de Livres et Manuscrits sur Port-Royal, collectionnés par M. Sainte-Beuve, sera annoncée par un Catalogue qui sera distribué ultérieurement. Au comptant. Les acquéreurs paieront 5 pour 100 en sus des enchères. — 9934. Renou et Maulde, imprimeurs de la Compagnie des Çommissaires-Priseurs, rue de Rivoli, 444. Placard pet. in-4.
162. — Les Nouveaux Strauss. Lettre à M. Sainte-Beuve, en réponse à l'article qu'il a publié dans Le Constitutionnel du 7 septembre 1863 sur la Vie de Jésus de M. Renan, par M. de Plasman, ancien magistrat. Suivi de la réponse de M. Sainte-Beuve à l'auteur, le 6 février 1864. Deuxième édition. Paris, Dentu, Douniol, (Imp. E. de Soye et fils), 1871 ; in-8, 1 f., 41 p., la d. n. ch.
Une note, sur le titre, fait connaître que cette brochure, du prix de 1 fr. 50, était vendue au profit des « pauvres familles d'Auteuil, victimes des deux sièges ». — La lettre de S.-B., 6 février 1864 (p. 41), n'est pas la Correspondance.
163. — Institut de France. Académie française. Discours prononcé dans la séance publique tenue par l'Académie française, pour la réception de
. M. Jules Janin, le 9 novembre 1871. Paris, Typ. Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1871 ; in-4, 2 f., dont 1 blanc, 51 p.
La Réponse de M. Camille Doucet, directeur de l'Académie, au discours de M. Jules Janin occupe les p. 27-51. — Le Discours de J. Janin, prononcé « en venant prendre séance à la place de M. Sainte-Beuve », et la réponse de Camille Doucet se trouvent dans le Recueil des Discours, rapports et pièces diverses lus dans les séances jmbliques et particulières de l'Académie française, 1870-1879. Paris. Typ Firmin-Didot et Cie, 1876, in-4, première partie, p. 3-53.
Le discours de J. Janin a été réimprimé dans : Les deux discours de M. Jules Janin à l'Académie française. Avril 1865-Novembre 1871. Paris, Librairie des Bibliophiles, 1872, in-12, p. 53-90.
164. — Les jeunes années de Sainte-Beuve, suivies' de réflexions et jugements de son père, avec notices et notes, par François Morand, juge au tribunal de Boulogne-sur-Mer. Paris, Didier, 1872; in-8, xix-155 p., les 2 d. n. ch.
Ce volume comprend une « Notice préliminaire » (p. v-xix) sur la vie privée de
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BIBLIOGRAPHIE 429
S.-B. ; — dix-huit lettres de S.-B. à l'abbé Barbe, de 1818 à 1865 (p. 1-65); — vingtet-une lettres de S.-B. « à un compatriote », qui n'est autre que l'auteur du livre, F. Morand (p. 67-112) ; trois lettres de S.-B. à M. Laisné « sur l'abbé Prévost », c'està-dire relatives à l'inauguration, à Hesdin, en 1853, d'un buste de l'abbé Prévost (p. 113-117); — des « stances et épitres en vers », extraites des Poésies de S.-B. (p. 119-132), des " réflexions et jugements de C.-F. de Sainte-Beuve [père du critique] sur le régime de la Terreur dans la Révolution française », précédées d'une notice de cinq pages sur le père de Sainte-Beuve , par Morand (p. 135-153).
165. — Étude sur Sainte-Beuve, par Léon de Monge, professeur à l'Université catholique de Louvain. Bruxelles, Comptoir universel d'imprimerie et de librairie, Victor Devaux et Cie, 1872; in-12, 130 p.
En dépit de sa date, ce volume a été rédigé avant la mort de S.-B.
166. — Sainte-Beuve. L'oeuvre du poète. La méthode du critique. L'homme privé, par Jules Levallois. Paris, librairie académique Didier et Cie, 1872;
in-12, XLIV-279 p., la d. n. ch.
En épigraphe, une citation de Fontanes. — La préface, paginée en chiffres romains, est datée de « Paris, 5 janvier 1872 ».
167. — Souvenirs et indiscrétions. Le Diner du Vendredi-Saint. Par C.-A. Sainte-Beuve, de l'Académie française. Publiés par son dernier secrétaire [M. Jules Troubat]. Paris, Michel Lévy frères, (Clichy, Imp. P. Dupont et Cie), 1872; in-12, 2 f., 354 p.
Bibliothèque contemporaine. B. F., 30 mars 1872, n° 2490.
167a. — Souvenirs et indiscrétions.... Deuxième édition. I^aris, Michel Lévy frères, (Clichy, Imp. P. Dupont et Cie), 1872; in-12, 2 f., 354 p.
167b. — Souvenirs et indiscrétions.... Nouvelle édition avec Préface par Ch. Monselet. Paris, Calmann Lévy, 1880 ; in-12, 2 f., vi-354 p.
La préface de Monselet (publiée d'abord, sous forme d'article, dans Le Petit Journal) occupe les pages numérotées en chiffres romains.
Nous avons classé ce volume dans les ouvrages relatifs à Sainte-Beuve, car les parties dues à la plume du critique sont entremêlées de chapitres — préambules ou commentaires — rédigés par M. Jules Troubat qui, en réalité, est l'auteur du livre.
De S.-B. nous citerons surtout trois Notes autobiographiques (p. 17-102) dont une écrite pour M. A. Le Roy (voir ci-dessous); — trois lettres à Loudierre, 6 et 22 décembre 1828 et 23 avril 1829 (p. 159-183); la note du 12 août 1861, pour le rédacteur en chef du Constitutionnel (p. 186-190), et diverses lettres se rapportant au fameux dîner du Vendredi saint.
De M. Troubat, de précieux renseignements sur le père de S.-B.; sur S.-B. chez lui et intime, sur sa dernière maladie, sa mort et ses funérailles, etc.
La note autobiographique rédigée par Sainte-Beuve dans la forme impersonnelle, pour M. A. Le Roy, avait paru, d'abord, dans l'ouvrage ci-dessous, où elle occupe les colonnes 703-730 :
Liber Memorialis. L'Université de Liège depuis sa fondation, par Alphonse Le Roy professeur ordinaire à la Faculté des lettres... Liège, imprimerie de J. G. Carmarne
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430 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
(H. Vail ant-Carmanne et Cie), rue Saint-Adalbert, 8, 1869; gr. in-8, 80-LXXIX - 1-179 — CXLIII p. en partie à 2 colonnes.
168. — Le libre penseur solidaire, suivi d'une correspondance avec SainteBeuve, et de deux lettres autographes de ce critique relatives à ses festins du Vendredi saint, par Gustave de Longeville. Paris, Haton, 1873; in-8, VII-63 p., la dernière non chiffrée, fac-similés d'une lettre du 12 mai 1868, 3 p. in-8, et d'un billet du 26 mai 1868, 2 p. in-12.
La lettre du 12 mai 1868 se retrouve dans la Correspondance de S.-B.,II, 301-3.
169. — C.-A. Sainte-Beuve. Sa vie et ses oeuvres, par le vicomte d'Haussonville, député à l'Assemblée nationale. Paris, Michel Lévy frères, 1875; in-12, 2 f., 338 p.
Publié dans la Revue des Deux Mondes, 1er, 15 janvier et 1er février 1875. — Voir ci-dessus (20d) : Appendice à la Vie de S.-B. Le Livre de M. d'Haussonville, par M. J. Troubat.
170. — OEuvres choisies de Juste Olivier, publiées par ses amis. Lausanne, Bridel, 1879; 2 vol, in-12.
Les Souvenirs, consacrés à S.-B., occupent les pages 1-128 du tome I.
171. — Sainte-Beuve et ses inconnues, par A.-J. Pons. Avec une Préface de Sainte-Beuve. Paris, Ollendorff, 1879; in-12, 2 f., ix-328 p.
La préface, paginée en chiffres romains, est signée :« SAINTE-BEUVE, passim ». Elle se compose, en effet, d'une série de pensées de S.-B. citées sans indication de provenance.
172. — Une atteinte à la propriété littéraire. Boulogne-sur-Mer, Imp. Veuve Charles Aigre, 1880; in-8, 31 p.
Cet exposé des faits est relatif à la reproduction, dans la Nouvelle correspondance de Sainte-Beuve (n° 144a), des lettres publiées par F. Morand (voy. n° 164); il est (p. 10) signé: « François Morand », et daté de « Boulogne-sur-Mer, 10 octobre 1880 ». Les a Pièces justificatives », qui suivent, contiennent des lettres de MM. Jules Troubat, Michel Lévy frères, F. Morand, l'abbé Barbe et Calmann Lévy.
173. — Sainte-Beuve et son correspondant champenois. [Par P. de Berthenay]. S. I. n. d. (Paris, Imp. Ch. Unsinger), [1881]; in-12, 12 p.
Extrait de l'Alliance des Arts et des Lettres, n° du 15 avril 1881.
Cette brochure contient quatre lettres (23 août 1863, 24 juillet, 25 octobre 1866 et 25 juin 1869) à M. P. B*** [iston], avocat à Châlons-sur-Marne, auteur de la Fausse noblesse de France, publiée en 1861; celui-là même qui, en 1866, communiqua à Sainte-Beuve la traduction de Tacite par Senac de Meilhan (Voir n» 139).
174. — Louis Nicolardot. — Confession de Sainte-Beuve. Paris, Rouveyre et Blond, 1882 , in-12, 305 p. la d. n. ch.
Cinquante exemplaires sur papier vergé. — La Préface (p. 6-8) est chiffrée I-IV. Voir le n° suivant.
175. — Une Causerie sur Sainte-Beuve, à propos du livre de M. Nicolardot : La Confession de Sainte-Beuve. (Boulogne-sur-Mer, Imp. Vve Charles Aigre, 1883); in-8, 27 p.
Sigm'j (p. 27) : François Morand.
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BIBLIOGRAPHIE 431
176. — Étude littéraire. Sainte-Beuve et sa critique, par le comte V. d'Adhémar; — Extrait du Correspondant. — Paris, E. de Soye et fils, imprimeurs, 1888. in-8, 22 p.
177. — Jules Troubat. — Souvenirs du dernier Secrétaire de Sainte-Beuve. Paris, Calmann Lévy, 1890; in-12, n-396 p.
La seconde moitié du volume est presque exclusivement consacrée à des souvevenirs sur Sainte-Beuve depuis l'époque où M. Troubat devint son secrétaire, en septembre 1861.
178. — État civil de la famille Sainte-Beuve-Daubigny avec ses ascendants et descendants, sous forme de tableaux généalogiques. Établi par Victor Picou, son petit-fils, avec le concours de H. Jourdain, G. Picou et plusieurs autres descendants. Imprimé aux frais de la famille. (Paris, Imp. Michels et fils), 1890, in-fol.; 5 p. de texte et tableaux généalogiques non paginés.
Celui qui a trait à la famille de l'académicien C.-A. Sainte-Beuve est désigné sous la lettre C.
179. — G. Vattier. — Sainte-Beuve. Portrait littéraire. Nouvelle édition, augmentée de notes et éclaircissements. Paris, Ch. Delagrave, (Villefranche-de-Rouergue, Société anonyme d'imprimerie), 1892; petit in-8, 55 p. la d. n. ch.
Titre rouge et noir; couverture bleue imp. chez Gautherin et Cie .
Au sujet de ce portrait, publié dans la Correspo?idance littéraire du 25 janvier 1861, et réimprimé dans la Galerie des Académiciens, par G. Vattier (Paris, Amyot, 1863-66, 3 vol. in-12), on trouve dans la Correspondance de Sainte-Beuve (II, 106-110) une lettre à Ernest Bersot, qui avait parlé de ce livre dans le Journal des Débats. Celle nouvelle édition comprend: Avertissement, daté d'octobre 1891 (p. 5-6) ; M. SainteBeuve (p. 7-37), réimpression de l'article de la Correspondance littéraire, avec de nouvelles notes datées de 1891; A M. Ernest Bersot, membre de l'Institut (p. 39-43), lettre de Sainte-Beuve, du 4 décembre 1866, relative à l'article des Débats du même jour; Éclaircissements en réponse à la lettre de Sainte-Beuve (p. 45-54).
180. — G. Brandès. — Portraits de romantiques : Théophile Gautier, SainteBeuve. Paris, H. Gautier, s. d. [1892] ; in-8, 36 p. (p. 325-360).
Nouvelle Bibliothèque populaire à 10 centimes. La couverture imprimée sert de titre.
181. — E. Lemaître. — Le livre d'amour, Sainte-Beuve et Victor Hugo. Lettre-préface d'Arsène Houssaye. Reims, F. Michaud, 1895 ; in-8, 5 f. (fauxtitre, justification du tirage, fac-similé d'une lettre de Sainte-Beuve à Arsène Houssaye, 14 juillet [1845], titre, dédicace à « mon cher Glinel »),
89 p., les 2 d., dont 1 bl., n. ch.
Tiré à 100 exemplaires sur papier de Hollande et 25 sur papier ordinaire non mis dans le commerce.
La lettre de Sainte-Beuve, reproduite ici en fac-similé, se trouve dans la Nouvelle correspondance, p. 99-100.
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432 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
182. — George Sand. — Lettres à Alfred de Musset et à Sainte-Beuve. Introduction de S. Rocheblave. Paris, Calmann Lévy, 1897; in-12, 2 f., xxxv-271 p., les 2 d. n. ch.; la p. 270 est bl.
Les lettres à Sainte-Beuve (p. 97-269), numérotées de I à LXXXI, comprennent une période de trente-cinq ans, du 25 janvier 1833 au 18 février 1868. Quelques-unes avaient été publiées par S.-B. lui-même dans la deuxième édition des Port. Conl. I, 506-523, où elles sont accompagnées d'une lettre de S.-B. à George Sand, 10 août 1855, relative au passage de l'Histoire de ma Vie (Ve partie, chapitre sixième) qui le concernait.
183. — Trois idées politiques. Chateaubriand. Michelet. Sainte-Beuve. Par Charles Maurras. Paris , H. Champion, 1898; pet. in-8, 2 f., 79 p., les 2 d. n. ch.
Épigr. empruntée à Edgar Poe.
Le chapitre consacré à S.-B. est intitulé : « Sainte-Beuve, ou l'Empirisme organisateur ».
184. — L. Morel. — Études littéraires : Sainte-Beuve. Sainte-Beuve poète et romancier. Pascal et les Pensées. Zurich, Imp. F. Schulless, 1898; in-8, 4 f., 248 p.
« De ces trois études, les deux premières (p. 1-161), sont des fragments détachés d'un cours sur l'Histoire de la Critique en France, professé il y a quelques années à l'Université de Zurich » (Préface).
185. — Sainte-Beuve. Conférence lue au « Cercle populaire d'Enseignement laïque», le 1er mai 1898, sous la présidence de M. Eugène Ledrain, par Jules Troubat. Paris, Imprimerie Modèle [F. Ternate], 1898; in-8, 31p.
La couverture imprimée sert de titre.
Réimprimée dans le volume de M. Troubat : Une amitié à la d'Arthez (voir n° 189).
186. — Institut de France. — Académie française. — Inauguration du monument élevé à la mémoire de Sainte-Beuve à Paris, le 19 juin 1898, Paris, Typ. de Firmin-Didot et Cie, 1898; in-4, 30 p.
Discours de M. Gustave Larroumet, secrétaire perpétuel de l'Académie des BeauxArts, délégué du Ministre de l'Instruction publique (p. 3-9); Discours de M. François Coppée, membre de l'Académie française, président du Comité (p. 11-17); Discours de M. Albert Vandal, chancelier de l'Académie française, (p. 19-25); Discours de M. Gaston Boissier, secrétaire perpétuel de l'Académie française, professeur au Collège de France (p. 27-30). — Les discours de MM. F. Coppée, A. Vandal et G. Boissier à l'inauguration du monument élevé dans le jardin du Luxembourg, ont été reproduits dans le Recueil des discours, rapports et pièces diverses lus dans les séances publiques et particulières de l'Académie française, 1890-1899. Deuxième partie Paris, Typ. Firmin-Didot et Cie, 1900; in-4, p. 1335-1351.
186a. — A. Dorchain. — Stances à Sainte-Beuve, lues à la cérémonie d'inauguration de son monument au jardin du Luxembourg, le 19 juin 1898. Paris, A. Lemerre, 1898; in-12, 4 p.
La couverture imprimée sert de titre; au verso épigraphes en prose et envers empruntées à Sainte-Beuve.
187. — M. J. Troubat. — Le père de Sainte-Beuve. — Extrait des comptes
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BIBLIOGRAPHIE 433
rendus de l'Association française pour l'avancement des sciences. Congrès de Boulogne-sur-Mer, 1899. Paris, Secrétariat de l'Association, s. d. [1900] ; in-8,11 p. (p. 933-43).
Réimprimé dans les Essais critiques de l'auteur (Paris, Calmann Lévy, 1902, in-12, p. 255-276).
188. — Discours de M. Jules Troubat, lu le 17 août 1899, à l'inauguration du Portrait de Sainte-Beuve, peint par M. Marius Barthalot, pour l'Hôtel-deVille do Boulogne-sur-Mer. S. L, (Boulogne-sur-Mer, Imp. G. Hamain), n.d., in-8; 27 p.
Simple titre de départ. —Extrait des Mémoires de la Société Académique de Boulogne-sur-Mer, t. XIX.
189. — Jules Troubat. — Une amitié à la d'Arthez. Champileury, Courbet, Max Buchon. Suivi d'une conférence sur Sainte-Beuve. Paris, Lucien Duc, 1900, in-12, 360 p., portrait compris dans la pagination.
Il a été tiré 20 exemplaires sur papier teinté et 2 sur vélin fort numérotés.
On trouve dans ce volume deux conférences : l'une (p. 260-318) sur C.-A. SainteBeuve, lue au Cercle populaire d'enseignement laïque, le 1er mai 1898 (voy. n° 185) ; l'autre (p. 319-345) sur la Maison de Sainte-Beuve, lue à la Société historique du VIe arrondissement de Paris, le 26 novembre 1898.
190. — G. Michaut,... Chateaubriand et Sainte-Beuve. Fribourg, Librairie catholique suisse, 1900; in-8, 36 p.
191. — Sainte-Beuve et les Mémoires d'Outre-Tombe. Noies prises par SainteBeuve, en 1834, sur le manuscrit des Mémoires de Chateaubriand. Par Jules Troubat. (Extrait de la Revue d'Histoire littéraire de la France, numéro du 15 juillet 1900). Paris, A. Colin, (Coulommiers, Imp. Paul Brodard), 1900; in-8, 27 p.
La couverture imprimée sert de titre.
192. — Vte de Spoelberch de Lovenjoul. — Sainte-Beuve inconnu. Paris, PlonNourrit et Cie, 1901 ; pet. in-8; VIII-245 p., la d. n. ch.
Ce volume comprend, après un avertissement de deux pages (VII-VIII) daté de mai 1900, trois chapitres intitulés : l, Son premier roman. Arthur, notice, texte et appendice (p. 1-139) ; II, Le prospectus pour les oeuvres de Victor Hugo, notice et texte (p. 143185); III, Lettres de Mme Desbordes-Vahnore à Sainle-Beuve, 1836-1855 (p. 189-244).
193. — Notes inédites de Sainte-Beuve sur un exemplaire de la première édition des OEuvres d'André Chénier, par Antoine Guillois. Paris, H. Leclerc, (Ve?idôme, Imp.-F. Empaytaz), 1902; in-8, 17 p.
Extrait du Bulletin du Bibliophile, tiré à cinquante exemplaires.
194. — Jules Troubat. — Sainte-Beuve intime et familier. Paris, Librairie de la Province, L. Duc et Cie, 1903, in-8; 31 p.
En regard du titre, phototypie d'un portrait de S.-B. pris en photographie « par le
85
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434 LE LIVRE D'ORDE SAINTE-BEUVE
premier mari de M'»» de S. » au chalet d'Aix-les-Bains peu avant l'annexion de la Savoie. —Voir ci-dessus, p. 335, Les portraits de Sainle-Beuve, par M. Maurice Tourneux. Une note de l'auteur, au bas de la première page du texte, indique que cette étude, lue le 6 mars 1903 à la Société historique du VIe arrondissement, a paru d'abord, avec quelques modifications dans la Revue Bleue du 2 mai suivant, et in extenso dans la Province, n°s de juillet et d'août 1903. — La présente brochure est donc un tirage à part (non indiqué) de ce dernier périodique.
195. — Quibus rationibus Sainte-Beuve opus suum de XVIe seculo iterum atque iterum retractaverit, cui dissertationi adjectus est ejusdem operis apparatus criticus. Thesim proponebat Facultati Litterarum Universitatis Parisiensis G. Michaut, Scholae normalis olim alumnus, nunc ordinis philosophorum Universitatis Friburgensis Helvet. decanus. Lutetioe Parisiorum, apud Fonlemoing, (Auxerre, Imp. Lanier), 1903 ; in-8, 2 f., 129 p., les 2 d. n. ch.
Cette thèse a été reproduite, en français, dans les Etudes sur Sainte-Beuve de M. Michaut (voy. n° 198).
196. — Sainte-Beuve avant les « Lundis». Essai sur la formation de son esprit et de sa méthode critique, par G. Michaut. Thèse présentée à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris, par G. Michaut, ancien élève de l'École normale, agrégé des Lettres, doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Fribourg en Suisse. Paris, A. Fontemoing, (Fribourg, Imp. Saint-Paul), 1903; grand in-8, VII-735 p.
La préface (p. V-VII) est datée de « Fribourg, juillet 1902 » ; le visa du Doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Paris (p. 583 et 722) est donné le 14 janvier 1903.
196a. — Sainte-Beuve avant les « Lundis ». Essai sur la formation de son esprit et de sa méthode critique, par G. Michaut. Fribourg [Suisse), Librairie de l'Université; Paris, A. Fontemoing, 1903 ; gr. in-8, 1 f., VII-735 p.
Le feuillet préliminaire, ajouté en regard du titre, porte l'indication suivante : " Colleclanea Friburgensia. Publications de l'Université de Fribourg (Suisse). Nouvelle série, fasc. V (XIVme de la collection.) Fribourg (Suisse). En vente à la librairie de l'Université, 1903 ».
Sous le titre : Appendice, cet ouvrage comprend (p. 583-711) une très complète « Bibliographie des écrits de Sainte-Beuve, de ses débuts aux Lundis » [1818-1849] et (p. 712-22) des « Notes bibliographiques » non moins importantes sur les travaux relatifs à S.-B.
La partie de la Bibliographie comprise entre les dates 1818-1840 avait paru dans la Revue d'histoire littéraire de la France, en 1902 et 1903.
196bis. — Lettres de Chateaubriand à Sainte-Beuve, publiées et annotées par
Louis Thomas. Paris, Honoré Champion, s. d. [1904]; in-8, 8 p.
Papier vergé. Extrait du Mercure de France [février 1904], tiré à cinquante exemplaires.
197. — Léon Séché. — Études d'histoire romantique. Sainte-Beuve. — I. Son esprit, ses idées. Avec les portraits de son père, Daunou, Dubois du Globe, Victor Hugo, Guttinguer, Lamennais, Vinet, Chateaubriand. Documents
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BIBLIOGRAPHIE 43S
inédits. — II. Ses moeurs. Avec les portraits de Madame Victor Hugo, George Sand, Madame Juste Olivier, Madame d'Arbouville, Madame Desbordes-Valmore et Ondine Valmore, la princesse Mathilde. Appendice : Juliette Drouet. Documents inédits. Paris, Société du Mercure de France, 1904; 2 vol. in-8, 390 et 331 p.; 1 vue, 17 portraits et 2 fac-similés.
II a été tiré dix exemplaires sur papier de Hollande numérotés de 1 à 10. Il existe du même ouvrage un tirage en 2 vol. in-12, sans les portraits.
198. — G. Michaut, professeur à l'Université de Lille. — Études sur SainteBeuve : Sainte-Beuve et Michiels; Chateaubriand et Sainte-Beuve; Le Tableau de la poésie française au XVIe siècle; Port-Royal cours et PortRoyal livre. Paris, A. Fontemoing, 1905; pet. in-8, vi-300 p.
Collection Minerva.
199. — G. Michaut, professeur à l'Université de Lille. — Le livre d'Amour de Sainte-Beuve. (Documents inédits). Paris, A. Fontemoing, 1905; pet. in-8, VII-327 p., les 2 d. n. ch., la p. 326 est bl.
Épigraphe : Il n'en faut parler qu'à son coeur. Sainte-Beuve à Arsène Houssaye.
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TABLE DE LA BIBLIOGRAPHIE(i)
ADHÉMAR (Comte V. d')- S.-B. et sa critique, 176.
ANGEBERT (G.). Bégésippe Moreau, 152.
ARGENSON (R. d'). Quelques mots sur les manuscrits du marquis d'Argenson, 156.
ASSÉZAT (J.). C.-A. Sainte-Beuve et P.-J. Proudhon, 47.
BABOU (H.). Sainte-Beuve, 120.
BELL (G.)- Sainte-Beuve. 157.
BERNÉS (H.) Pages choisies de S.- B., 70.
BERTHENAY (P. de). S.-B. et son corresspondant champenois, 173.
BERTRAND (Mme). Correspondance inédite de S.-B. avec M. et Mme Juste Olivier, 448.
BOISSIER (G.). Discours (1898), 486.
— Eloge de Sainte-Beuve, Si.
BRANDÈS (G.). Portraits de romantiques, 180..
BRUNKTIÈRE (F.). L'OEuvre de S.- B.; l'OEuvre poétique de S.-B , p. 353.
Catalogue des livres... composant la bibliothèque de M. S.-B., 161161 b.
CHAMBON (F.). A travers tes autographes. Les papiers de Boissonade, 148.
CHATEAUBRIAXD, Lettres à S.-B., 196 lis.
CHÉRON (P.). Table générale alphabétique des onze volumes des Causeries du Lundi, 53.
COLLOMBET (F.-Z.). Lettres à S.-
B., 147. COPPÉE (F.). Discours, 186. DESBORDES-VALMORE (Mme). Lettrès à S.-B., 192. DESCHAMPS (A ). A Monsieur S.-
B. (vers), 148. DESEILLES (E.). L'Année boulonnaise,
boulonnaise,
— Sainte-Beuve, sa vie et ses oeuvres, 160.
DES GUERROIS (C). De la Causerie et des Causeurs littéraires au XVIIIe et XIXe siècle, 154.
DESPOIS(E.). Sainte-Beuve; SainteBeuve Saint-Simonien, 57.
DORCHAIN (A.). Stances à SainteBeuve, 186a.
DOUCET (C). Réponse au discours de M. Jules Janin. — Voir : Institut de France.
EMLER (E.). Lettres inédites de S.-B. à G. Emler, 148.
ESTÉVANEZ (D.-N.). Galeria de escritores célèbres, 63.
— Juicios y estudios literarios, 69. Etat civil de la famille Sainte-BeuveDaubigny,
Sainte-BeuveDaubigny, FAGUET (E.). Sainte-Beuve, p. 353. FERRAGUS. Voir : ULBACH (L.). FOISSET (Th.). Port-Royal, 150. FRANCE (A.). Sainte-Beuve poète,
14. GAULLIEUR (E.-H.). Lettres à S.-B..
146.
GIRAUD (V.). Quelques articles perdus de S.-B., 73. -
— Table alphabétique et analytique des Premiers Lundis, Nouveaux Lundis et Portraits contemporains, 73.
GODET (Philippe;. Lettres de S.-B. à une jeune fille, 148.
GUILLOIS (A.). Notes inédites de S.-B. sur un exemplaire des OEuvres d'A. Chénier,193.
HAUSSONVILLE (Vicomte d'). C.-A, Sainte-Beuve. Sa vie et ses oeuvres, 169.
HESSEM (L. de). Cinquantenaire de la Bibliothèque Charpentier, 99.
HUGO (V.). Lettres à S.-B., 148.
■— Réponse au discours de M. S.-B. — Voir: Institut royal de France.
Institut de France. Académie française. Discours prononcés dans la séance.,, tenue... pour la réception de M. Jules Janin, 163.
Institut de France. Académie française. Inauguration du monument élevé à la mémoire de S.-B , à-Paris, 186.
Institut impérial de France. Académie française. Séance publique annuelle., présidée par M. S.-B., 36, 36».
Institut national de France. Académie française. Funérailles de M. Droz, 27.
(1) Les chiffres, à moins d'indication spéciale, renvoient aux numéros et non aux pages; les chiffrés italiques se rapportent au petit texte.
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438
LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Institut royal de France. Discours prononcés dans la séance publique tenue par l'Académie française, pour la réception de M. S.-B , 24.
JANIN (J.). Discours prononcé pour sa réception à l'Académie française. Voir : Institut de France.
JAY. La Conversion d'un Romantique, 449.
JOUIN (H.). David d'Angers et ses relations littéraires, 89.
JULLIEN (A.). Le Romantisme et l'Éditeur Renduel, 93.
LACOMBE (P.). Jules Cousin, 18304899. Souvenirs d'un ami, 40.
LAMARTINE. Épitre à M. SainteBeuve, 3 2.
— Lettre à M. Sainte-Beuve, 12.
LANSON (G.). Causeries du Lundi, etc., Extraits, 71.
LARROUMET (G.). Discours, 186.
LATREILLE (C). Lettres inédites de S.-B. à Collombet, 147.
LEMAITRE (E.). Le Livre d'amour,
LERMINIER. Port-Royal, 22.
LE ROY (A.). Liber Memorialis. L'Université de Liège, 167b.
LEVALLOIS (J.). Sainte-Beuve, 166.
LOMÉNIE (L. de). M. Sainte-Beuve, 151.
LONGEVILLE (G. de) - Le Libre penseur solidaire, 168.
MAILLARD (F.). Ombres et fantômes. Profds disparus. Hippolyte Babou, 148.
MAURRAS (C). Trois idées politiques, 183.
MICHAUT (G.). Chateaubriand et Sainte-Beuve, 190.
— Études sur Sainte-Beuve, 198.
— Lettres inédites, 148.
— Le Livre d'amour de SainteBeuve, 199.
— Quibus rationïbus S.-B. opus suum de XVIe seculo, 195,
— Sainte-Beuve avant les « Lundis», 496, 196a.
MIRECOURT (E. de). Sainte-Beuve, 155.
MOLAND (L.). OEuvres choisies de Ronsard, 74.
MONGE (L. de). Étude sur SainteBeuve, 365.
MONSELET (Ch.). Préface de Souvenirs et Indiscrétions, 167b.
MONTAIGLON (A. de). Table alphabétique et analytique des matières et des noms contenus dans la troisième édition de Port-Roval, 22b
MORAND (Fr.). Les jeunes années de Sainte-Beuve, 164.
— Une atteinte à la propriété littéraire, 172.
— Une causerie sur Sainte-Beuve, 175.
MOREL (L.). Études littéraires :
S.-B. — S.-B. poète et romancier.
184. NICARD (P.). Notice sur l'Histoire
de Port-Royal de MM. S.-B. et
Reuchlin, 150. NICOLARDOT (L.). Confession de
S.-B.,174. NISARD (D.). Les Post-scriptum de
S.-B., 52r . OLIVIER (J.). OEuvres choisies, 170.
— Voir : SAINTE-BEUVE ; Correspondance inédite avec M. et Mme Juste Olivier.
PAILHÊS (G.). Du nouveau sur J. Joubert, 82, 123.
Paris, ou le Livre des Cent-et-un, 38, 48, 48a .
Paris-Guide, 38.
PAVIE (Th.). Victor Pavie. Sa jeunesse, ses relations littéraires, 98.
PICHOK (A..). Extraits des Causeries du Lundi, 66.
PICOU (V.) . Etat civil de la famille Sainte-Beuve-Daubigny, 178.
PIERROT (Ch.). Causeries du Lundi. Portraits de Femmes et Portraits littéraires. Table générale et analytique, 72.
PLANCHE (G.). Pensées d'Août, 5a.
PLASMAN (de).Les nouveaux Strauss, 162.
PONS (A.-J.). Sainte-Beuve et ses inconnues, 171.
RÀMON DE LA SAGRA. Lettres à M. S.-B., 158.
R[ÈGNIER] (Adolphe). Port-Royal. —Table alphabétique et analytique des noms propres de personnages contenus dans l'ouvrage (1861), 22 .
RENAN (E.). Port-Royal, 22a, 22b
REUCHLIN (II.). Lettres à S.-B., 145.
REYMOND (W.). La Harpe et S.-
B., 153. —Voir : SAINTE-BEUVE. Lettre à W. Reymond.
RITTER (E-.). Correspondance de S.- B. avec H. Reuchlin, 145.
- Lettres de S.-B. au professeur Gaullieur, 146.
— Lettres de S .-B, à Jules Philippe, 148.
ROBERT (L.). Extraits des Causeries du Lundi, 66.
R OUST AN (M.). Lettres inédites de S.-B. à Collombet, 147.
SAINTE-BEUVE (C.-A.). L'Académie française, S8.
— A propos des bibliothèques populaires, 39.
— Arthur, 15.192.
— Les Cahiers de S.-B., 58.
— Causeries du Lundi (1851-1872), 53-53 b .
— Causeries du Lundi, Portraits littéraires et Portraits de femmes. Extraits, 71.
— Charles Labitte, 25.
— Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire (1861-1873). 32-32 b .
— Christel, 18.
— Chroniques parisiennes, 59. 59a.
— Le Clou d'or, la Pendule, 19.
— Collège de France. Discours prononcé à l'ouverture du Cours de Poésie latine, 29.
— Le comte de Clermont et sa cour, 40.
— Le comte Roederer, 28.
— Conseils à un jeune homme de lettres. — Voir : 2 Février 1864. — Jeune homme qui vous destinez aux lettres...
— Les Consolations (1830-1835), 2-2 b.
— Les Consolations. Pensées d'Août. Notes et Sonnets. Un dernier rêve (1863), 12.
— Correspondance, 144, 144 .
— Correspondance avec H. Reuchlin, 145.
— Correspondance inédite avec M. et Mme J. Olivier, 148.
— Critiques et portraits littéraires, (1832-1841), 48-48b.
— De la Liberté de VEnseignement, 42.
— De la Loi sur la Presse, 41.
— Derniers portraits littéraires, 50d.
— Des Spirées littéraires, ou les Poètes entre eux. — Voir : Paris ou le Livre des Cent-et-un.
— 2 Février 1864. — Jeune homme qui vous destinez aux lettres... 35.
Les mots : Réponse de M. S.-B., jusqu'à commençant par ces mots, qui ne se trouvent pas sur cette pièce — sans litre, de format in-12, signée (p. 4) : SAINTEBEUVE — devraient être entre crochets.
— Die Prinzessin Mathilde, 33.
— Discours... prononcé... à l'inauguration du monument à la mémoire de J.-F. Dûbner, 43.
— Discours prononcé pour sa réception à l' Académie française. — Voir : Institut royal de France.
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TABLE DE LA BIBLIOGRAPHIE
439
SAINTE-BEUVE (C.-A.). Discours sur les prix de vertu. — Voir : Institut impérial de France.
— Eloa ou la soeur des anges, par Ziegler, 73.
— Etude sur Virgile, suivie d'une Etude sur Quintus de. Smyrne (1857-1870), 31 et 31 .
— Extraits des Causeries du Lundi, 66.
— Fauriel et Manzoni. Leopardi, 68.
— Galeria de escritores célèbres, 63.
— Galerie de portraits historiques : souverains, hommes d'État, militaires, 62.
— Galerie de portraits littéraires : écrivains, politiques et philosophes, 65.
— Galerie des femmes célèbres (1859-1870), 54-54 .
— Galerie des grands écrivains français, 60.
— Le Général Jomini (1869-1870), 44, 44a.
— La Grande Mademoiselle. La Bruyère, 67.
— Introduction . Voir : Notices.
— Journal de la Campagne de Russie, en 1813, 26.
— Juicios y estudios literarios, 69.
— La Bruyère et La Rochefoucauld, Mme de La Fayette et Mme de Longueville, 49.
— Lettres à la Princesse, 143.
— Lettres à Jules Philippe (18631867), 148.
— Lettres à une jeune fille, 148.
— Lettres à Victor Hugo et à Madame Victor Hugo, 148.
— Lettres au professeur Gaullieur, 146.
- lettres inédites, publiées par M. G. Michaut, 148.
— Lettres inédites à Collombet, 147.
— Lettres inédites à George Emler (1821-1824), 148.
— Lettres... à un ACADÉMICIEN, 148:
— l'abbé BARBE, 164 ; — BAUDELAIRE , 148 ; — P. BISTON, 173 ; — BOISSONADE , 148 ; — CHARPENTIER, 10e, 99; — E. CHESNEAU , 148 ; — Jules COUSIN, 40; — Victor COUSIN, 148; — Ferdinand DENIS, Si, 76, 148;
— Antoni DESCHAMPS, 448; — Emile DESCHAMPS, 448; — Ch. DES GUERROIS, 154; — DIDRON aine, 148; — Mme Du GRAVIER, 100, 148; — GÉTRAT, 148; - Mlle GROUARD, 94 bis; — HARMAND , 20h, 148; — Arsène HOUSSAYE, 181 ; — LAISNE, 164;
— A. LEMOYNE, 122; — G. DE LONGEVILLE, 168; — F.MORAND,
164; — V. PAVIE, 93; — M. DE PLASMAN, 162; — A. REGNARD, 142; — RENDUEL, 93, 148; — A. RENÉE, 148; — W. REYMOND, 127; - Achille ROCHE, 148; — J.-P. ROSSIGNOL, 20b, 148; — George SAND, 182 ; — Baron TAYLOR, 148; - J.-L. TREMBLAI, 87. SAINTE-BEUVE (C.-A.). Littérature. Proqramme. 37.
— Livre d'amour (1843-1904), 5-5 b.
— Madame de Pontivy, 17.
— Madame Desbordes-Valmore , 45.
— Monsieur de Talleyrand,46,46a.
— Notes inédites sur un exemplaire... des OEuvres d'A. Chénier, 193.
— Notice sur le maréchal de Villars, 30.
— Notice sur M. Littré, 34.
— Notices sur Mlle AÏSSÉ, 100, 100a ; — A.-M. AMPÈRE, 91; — BEAUMARCHAIS, 116; — Louis BERTRAND, 93; — BOILEAU, 107, 107 a ; — Mme de CHARRIÉRE, 96 ; — CHÊNEDOLLÉ, 128; — Benjamin CONSTANT, 138 ; — P. CORNEILLE, 137 ; — Marquise de CRÉQUI, 114 ;
— Mme DESBORDES-VALMORE, 90;
— Joseph DROZ, 27 ; — Joachim Du BELLAY, 89;— G. DUPLESSIS, 109; — Mme ELLIOTT, 119; —
— J.-G. FARCY, 75; — FLÉCHIER, 113 ; — FLORIAN, 135 ; — FONTANES, 82; — FONTENELLE, 103; — Eugène GANDAR, 141;
— Sophie GAY, 129 ; — GOETHE : Conversations, 125; — GRIMM, 110; —Maurice de GUÉRIN, 118.;
— HAMILTON, 136; — J. JOUBERT, 123; — Mme de KRÛDNER, 80, 80a; — Charles LABITTE, 98;
— LA BRUYÈRE, 95 ; — LA FONTAINE, 101, 106; — LAMENNAIS, 132 ; — LA ROCHEFOUCAULD, 109 ;
— Pierre LEBRUN, 94; — Th. LECLERCQ, 105 ; — Armand LEFEBVRE, 133 ; — LE SAGE : Gil Rlas, 126; — Charles LOYSON, 140 ; — Xavier de MAISTRE, 124 ;
— MILLEVOYE, 131; — MOLIÈRE, 77, 77a ; — Hégésippe MOREAU, 102, 102 a « ; — Mmc de MOTTEVILLE, 111; — Charles NODIER, 86; — PARNY, 121; — PIRON, 134; — Les Poètes français, 120; — L'abbé PRÉVOST, 84; — RIVAROL, 104;
— Mme ROLAND, 78; — RONSARD. Voir : OEuvres choisies de Ronsard; — Maréchal de SAINT-ARNAULD, 115; — J.-H. Bernardin de SAINT-PIERRE, 79; — SAINTSIMON, 112; — Comte de SÉGUR, 92; — SENAC DE MEILHAN. Voir: Une Préface aux Annales de Tacite : —- SÉNANCOUR : Obermann,
76 ; — Mme de SÉVIGNÉ, 130 ; — Mme de SOUZA, 85; — Mme de STAËL : Corinne, 81 ; Delphine, 83; —Eugène SUE: Arthur, 88 ;
— TÔPFFER, 99, 99a, 108; — VIRGILE, 117.
SAINTE-BEUVE (C.-A.). Nouveaux Lundis (1863-1878), 55, 55a.
Au t. XII, il faut lire : « la traduction de Lucrèce », au lieu de Lucien.
— Nouvelle Correspondance, 144a.
— Nouvelle galerie de Femmes célèbres, 56.
— Nouvelle galerie des grands écrivains français, 61.
— OEuvres choisies de Ronsard, 20, 74.
— OEuvres. Poésie (1834), 2a.
— OEuvres. Poésies complètes (1879), 14.
— OEuvres. Tableau de la poésie française au XVIe siècle (1876), 20d.
— Originaux et Beaux Esprits, 64.
— Pages choisies, 70.
— Pensées d'Août (1837, 1840\ 3, 3a.
- Pensées, fragments et lettres de Blaise Pascal, 23.
— P.-J. Proudhon, 47.
— Poésies (Bruxelles, 1834), 7.
— [Poésies] (1844?), 6.
— Poésies (1861, 1863), il, 12.
— Poésies complètes (1840-1879), 8, 9, 12, 13, 14.
— Poésies diverses [1845], 10.
— Portraits contemporains [et divers] (1846-71), 52-52c.
— Portraits de Femmes (1844-1876), 11-51f.
— Portraits littéraires (1844-78), 50-50f.
— Port-Royal (1840-59 à 1900), 22-22c.
— Préface. Voir : Notices.
— Premiers Lundis, 57.
— Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV, 97.
— Réponse ou Riposte à Taxile Delord. Voir : 2 Février 1864. — Jeune homme qui vous destinez aux lettres...
— Souscription. OEuvres complètes de Victor Hugo. Prospectus, 21, 192.
— Souvenirs et indiscrétions, 167167b.
— Tableau historique et critique de la Poésie française et du théâtre français au XVIe siècle (1828-1876), 20-20d.
Ouvrage publié dans Le Globe, du 7 juillet 1827 au 30 avril 1828, sous ce titre : Poésie française au seizième siècle. Cette version primitive formait onze articles dont
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440
LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
le premier, intitulé : Etat de la poèsie française à la fin du quinzième et au commencement du seizième siècle, est accompagné de cette note :
La série d'articles qu'on se propose de publier sur l'ancienne poésie française embrassera tout le seizième siècle, et portera particulièrement sur l'époque décisive de 1550 , où l'imitation de l'antiquité vint brusquement interrompre le développement naturel et lent de notre vieille littérature gauloise.
- Un dernier rêve, 4.
- Une Préface aux Annales de Tacite, 439.
- Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (1829-1863), 1, 1a 11,12.
- Volupté (1834-1877), 16-16h
Nous avons vu la contrefaçon suivante :
Volupté, par Sainte - Beuve. Bruxelles, Louis Hauman et Campe. (Imp. C.-J. de Mal), 1835 ; 2 vol. in-18, 2 f., 842 p. et 2 r. 295 p.
Il est annoncé sur la couverturi , parmi les « récentes publi- ' cations » de Hauman et Cie : Portraits et critiques littéraires, par Sainte-Beuve, 2 vol. in-18.
SACY (S. de). Port-Royal. 22, 22a. SAND (George). Histoire de nui vie, 182.
— Lettres à A. de Musset et à Sainte-Beuve, 182.
SCHÉRER (Edmond). La Bibliothèque de S.-B., 161.
— Discours de M, S.-B. sur les prix de vertu. 36a.
— Le Portefeuille de Sainte-Beuve. 52 .
SÉCHÉ (Léon). Correspondance médite de S.-B. avec M. et Mme Juste Olivier, 148.
— Etudes d'histoire romantique. Sainte-Beuve, 197.
SIMON (Gustave). Lettres de S.-B. à Victor Hugo et à Madame Victor Hugo, 148.
SOREL (Albert). Sainte-Beuve, p. 353.
SPOELBERCH DE LOVENJOUL (Vicomte
(Vicomte Sainte-Beuve, inconnu, 192.
SUREMAIN DE MlSSERY. Sur un
article de M. Foisset, 150.
THOMAS (Louis). Lettres de Chateaubriand à S.-B., 196 bis.
TROUBAT (Jules). Avertissement pour Les Cahiers de SainteBeuve, 58.
TROUBAT (Jules). La Dernière année de S.-B., 55.
— Discours, lu le 17 août 1899,188.
— Essais critiques, 187.
— Introduction des Chroniques Parisiennes, 59.
— La Maison de S.-B., 189.
— Le Père de Sainte-Beuve, 55,187.
— Préface de Le Clou d'or, 19.
— Préface du Livre d'Amour, 5b.
— Sainte-Beuve, conférence, 385.
— S.-B. et l'Encyclopédie Pereire. 37.
— Sainte-Beuve et les Mémoires d'outre-tombe, 191.
— S.-B. intime et familier, 194.
— Souvenirs du dernier secrétaire de Sainte-Beuve, 177.
— Souvenirs et indiscrétions. 167—
167— générale des OEuvres de Sainte-Beuve, 57.
— Une Amitié à la d' Art hez. 189.
— Vie de Sainte-Beuve, 20d. ULBACH (L.). Sainte-Beuve, 359. VANDAL (Albert). Discours, 186. VATTIER (G-.). Sainte-Beuve, 179. VICAIRE (Georges). Manuel de
l'Amateur de Livres du XIXe siècle, 21.
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COMMÉMORATION
DU
PREMIER CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE SAINTE-BEUVE
I. — BOULOGNE-SUR-MER
La difficulté de fixer au vendredi 23 décembre, — jour anniversaire de la naissance de Sainte-Beuve — ou de reporter au dimanche suivant, jour de Noël, la cérémonie de Boulogne-sur-Mer avait décidé le Comité institué par le Journal des Débats à choisir le dimanche précédent 18 décembre. MM. Gaston Boissier, président d'honneur, Ferdinand Brunetière, président effectif du Comité, d'autres membres encore,,parmi lesquels nous citerons MM. Jules Lemaître, de Vogué, Georges Perrot, Jules Troubat, retenus par les indispositions qu'engendre la saison hivernale, s'étaient fait excuser. La délégation parisienne se trouva composée de MM. Jules Claretie, président, Félix Chambon, Francis Charmes, A. Chuquet, de Nalèche, Maurice Tourneux, membres, et Fernand Bournon, secrétaire du Comité. Reçue à la g'are de Boulogne par le maire, M. Charles Péron, et son premier adjoint, M. Duboc, MM. Farjon, président de la Chambre de commerce, Henri Réveillez, secrétaire général de la mairie, Alphonse Lefebvre, homme de lettres, et la majeure partie du Conseil municipal, elle se joignit à ce groupe
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442 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
pour aller inaugurer sur la maison natale de Sainte-Beuve, rue du Pot-d'Étain, 16, la plaque commémorative due à l'habile ébauchoir du sculpteur Vernier.
M. Jules Claretie en fît la remise officielle à la municipalité dans les termes suivants :
Monsieur le Maire, Messieurs,
Au nom du comité constitué à Paris pour célébrer le Gentenaire de votre illustre compatriote Charles-Augustin Sainte-Beuve, j'ai le grand honneur de remettre à la ville de Boulogne la plaque commémorative rappelant qu'ici même, il y a cent ans, naissait un homme dont le nom allait devenir immortel, et donner à sa ville natale, en même temps qu'à la littérature française, une gloire universelle.
Je ne me doutais pas, quand Sainte-Beuve voulait bien m'accueillir dans cette petite maison de la rue du Mont-Parnasse où Lamartine l'avait vu, tant d'années auparavant, pâle, blond, frêle, « poète jusqu'aux larmes », vivant avec sa mère âgée, entre les fleurs d'un petit jardin et les pigeons d'un petit colombier — et où il était demeuré pour mourir, — non, je ne me doutais pas que j'aurais, un jour, à vous présenter cette plaque où le talent de M. Vernier nous rend le Sainte-Beuve que nous avons connu, méditatif et penché, l'oeil pénétrant, le crâne chauve, avec un lin profil où passe un sourire désabusé.
A l'heure où vous célébrez ici la mémoire de votre grand compatriote, la ville de Liège, où il étudia les origines françaises, fête aussi le souvenir de sa présence et l'écho de sa parole ; et, dans huit jours, l'Université de Lausanne rendra hommage à l'écrivain qui trouva en Suisse un asile pour sa pensée et un toit pour son travail.
Mais la maison natale restera toujours pour les fidèles de Sainte-Beuve—avec cette maisonnette voisine du Luxembourg où nous l'avons connu — le coin de terre où aboutiront les admirations et les hommages.
Et ces traits d'un homme devenu illustre en devenant vieillard resteront encadrés dans ce logis qui vit ses premiers pas, entendit ses premiers cris, ceux que l'enfant jette à la vie comme s'il en devinait les tristesses.
Naître, vivre et mourir dans la même maison, N'avoir jamais changé de toit ni d'horizon...
Ce sont des vers de Sainte-Beuve. Et cette retraite, cette vie tranquille et unie, c'était son rêve. Il vécut cependant loin de la maison natale vers laquelle nous nous acheminons aujourd'hui et — cet horizon, ce bel horizon de cité maritime, il l'élargit jusqu'à le rendre vaste comme une encyclopédie, large comme les recherches et les efforts et l'espérance même de l'humanité...
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE 443
Et c'est pourquoi les lettres françaises honorent pieusement le grand homme de lettres que fut l'enfant de Boulogne-sur-Mer.
M. Péron ayant remercié en quelques mots, le cortège reprit
place dans les landaus qui l'avaient amené, et se rendit à l'Hôtel de
Ville où un banquet de soixante couverts, excellemment préparé,
pétait dressé dans la salle du Conseil municipal. Au dessert, M. Pérou
porta le toast suivant :
Messieurs,
Depuis un siècle, Boulogne s'est transformé, et pourtant il est une partie de cette ville qui n'a guère changé, c'est précisément celle où nous nous trouvons ce matin.
Il m'est particulièrement agréable de vous réunir dans cet Hôtel de Ville. C'est ici même que le 24 décembre 1804, deux vieux Boulonnais signaient, comme témoins, l'acte de naissance d'un jeune parent, né dans le deuil, comme il l'écrivit plus tard, et qui s'appelait Charles-Augustin Sainte-Beuve.
La physionomie de la basse ville s'est peu modifiée, du moins dans la partie qui renferme la maison natale que vous venez d'honorer par la pose d'un monument si artistique. Mais ici, je le répète, rien n'a changé : à deux pas de l'Hôtei de Ville, se trouve l'ancien hôtel des ducs d'Aumont, qu'occupait la pension Blériot où Sainte-Beuve passa ses premières années ; à deux pas aussi, vous pourriez voir la petite maison de la rue Saint-Martin, le « bâton de perroquet » qu'il voulait garder pour ses derniers jours ; à quelque coin de rue, vous rencontreriez les vieux promeneurs renseignés, qu'en 1831, dans une lettre à un
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444 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
ami, le critique appelait « les collègues du rempart » et que la malice populaire désigne aujourd'hui sous le nom de sénateurs.
Ce qui est plus moderne, plus contemporain, c'est le joli buste de Meusnier, offert à ses concitoyens en 1860 par l'illustre écrivain et qui a sa place habituelle dans la grande salle de notre bibliothèque publique; c'est aussi le portrait par Marius Barthalot que nous voyons devant nous.
Nous avions donc, Messieurs, avec la mémoire des oeuvres immortelles de notre grand citoyen, bien des souvenirs matériels qui, tous les jours, nous le rappelaient. Une très modeste inscription due à la générosité privée, désignait à l'attention publique la maison où il reçut le jour. Le comité formé par le Journal, des Débats, dont la composition marque bien le caractère purement littéraire d'une telle manifestation, a voulu faire davantage : Il a profité du Centenaire de Sainte-Beuve pour doter Boulogne d'une oeuvre remarquable de l'artiste distingué qu'est M. Vernier et qui montrera aux passants la physionomie spirituelle et fine de l'illustre écrivain.
J'en remercie, au nom de la population boulonnaise, les littérateurs, les journalistes, tous ceux qui, en cette circonstance, ont été la meilleure et la plus délicate expression de la pensée française.
J'aurais voulu voir ici le vénéré M. Gaston Boissier, et je regrette que le grand âge du secrétaire perpétuel de l'Académie française lui ait interdit de venir, en cette froide saison, au bord de la mer brumeuse où naquit SainteBeuve. Je désire toutefois lui envoyer un salut respectueux et un témoignage de sincère gratitude, de même qu'à M. Brunetière, l'un des successeurs du critique, bien désigné pour la présidence du comité, et qui s'est imposé la tâche, difficile pour tout autre que lui, de parler aujourd'hui du maître de la critique.
Rien ne pouvait être plus agréable à la municipalité boulonnaise que de voir à la tête du comité un suppléant tel que M. Claretie : historien, romancier, auteur dramatique, critique et journaliste, il a montré, dans toutes les branches de la littérature, l'accord du patriotisme, du talent, de l'imagination et surtout de la bienveillance. Sa présence dans la maison de Molière honore notre grande scène. La ville de Boulogne marquera d'une pierre blanche le jour du 18 décembre 1904, où elle a reçu la visite d'un écrivain aussi sympathique.
L'on me permettra de remercier d'une façon toute particulière M. de Nalèche, directeur du Journal des Débats, dont le dévouement éclairé et la bonne grâce ont assuré le succès de la commémoration d'aujourd'hui; mais je ne veux pas m'étendre et je me contenterai, Messieurs, de comprendre, dans un même sentiment de reconnaissance, les éminents membres de l'Académie française, de l'Institut, de la Société des gens de lettres et des Rosati, la toute charmante Mlle Delvair et mon vieil ami Coquelin cadet, réunis dans une oeuvre commune pour célébrer la mémoire d'un Boulonnais illustre dont les oeuvres honorèrent sa ville natale, sa patrie et toute l'humanité pensante.
C'est dans ce cordial sentiment de gratitude que je lève mon verre à vous tous.
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE 443
A ce toast, M. Jules Claretie répondit en ces termes :
Monsieur le maire,
Lorsque le très aimable et distingué directeur du Journal des Débats, M. de Nalèche, voulut bien me demander, au nom du Comité Sainte-Beuve, de faire le petit voyage de Boulogne, il m'aivait averti du cordial et charmant accueil qui nous attendait. De cet accueil, de votre courtoisie, de votre hospitalité, de vos paroles, je vous remercie.
Je vous remercie de tout coeur et je ne voudrais pas prolonger l'attente où vous devez être des discours que vous allez entendre. Il m'est bien permis pourtant et je dirai presque qu'il m'est ordonné par la gratitude de dire à cette ville de Boulogne, qui célèbre aujourd'hui la mémoire d'un illustre écrivain, combien les lettrés doivent être touchés de voir votre cité se mettre en fête pour honorer un écrivain qui souhaitait tout au plus, — il l'a dit, — un buste dans un coin de la bibliothèque de sa ville natale.
Car Sainte-Beuve, devenu parisien par aventure — comme la plupart d'entre nous, — n'oubliait pas la demeure où il était né, la rue d'où il était parti, et que nous visitions tout à l'heure. Le nom de Boulogne revenait parfois dans ses vers, et si son dernier et fidèle secrétaire, M. Jules Troubat, qu'un accident empêche de venir avec nous honorer son maître, était ici, il vous dirait que Sainte-Beuve contait volontiers qu'à sept ans il assistait à une revue passée par l'empereur et que, pour lui permettre de mieux voir la redingote grise de Napoléon, on l'avait habillé en hussard. Le petit hussard du premier empire devait devenir sénateur du second. Mais — pour nous, jeunes gens, qui admirions et attendions ses Lundis comme une manne hebdomadaire, — nous savions qu'au Sénat cet impeccable homme de lettres défendrait toujours sans hésiter la liberté d'écrire. « Le drapeau est planté! » me disait-il à moi-même après un discours où ni les interruptions, ni les injures, ni les menaces ne lui avaient manqué. Messieurs, il y eut toujours chez le travailleur de la rue du Montparnasse, chez l'historien des solitaires de Port-Royal, un peu du petit hussard de Boulogne-sur-Mer, et quand il s'agissait de la pensée et des lettres, SainteBeuve « chargeait », bravement, à la française.
C'est l'enfant devenu grand homme qui vous est cher, c'est lui que vous célébrez dans cette journée consacrée à un poète et à un critique dont la renommée survit à celle de tant de noms qui semblaient retentissants à l'heure du camp de Boulogne. En honorant un de ses fils, votre belle ville de Boulogne-surMer s'honore elle-même.
Elle n'oublie d'ailleurs aucun de ses enfants. Elle est justement fière d'un Daunou, qui fait des lois et garde les archives ; d'un Sauvage, qni invente l'hélice, d'un Mariette, qui refait de la vie avec la poussière du passé, d'un
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446 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Sainte-Beuve qui, de ses mosaïques précieuses, élève un monument à l'esprit même de sa patrie, et je dirai, à l'esprit humain.
Boulogne a la fierté de ces gloires. Je ne parle que des morts. Il est tel logis où des artistes, un jour, graveront aussi une inscription sur la muraille.
Monsieur le maire, en vous remerciant encore une fois de votre accueil, je salue, avec la mémoire impérissable de Sainte-Beuve, les noms qui sont la gloire de Boulogne-sur-Mer et qui sont aussi la gloire de la France!
A trois heures, les invités de la mairie se rendirent au théâtre municipal, dont la salle était, depuis longtemps déjà, absolument comble. Le maire ouvrit la séance par le discours suivant :
Mesdames, Messieurs,
Au cours des fonctions publiques, il est parfois des missions difficiles à remplir. Il n'en est point, à mon avis, de plus ardue que celle dont je suis chargé aujourd'hui, car j'ai à souhaiter la bienvenue à des hommes qui comptent parmi les premiers dans les lettres de notre temps.
J'ai pu, ce matin, leur dire avec quelle joie la ville de Boulogne leur donne aujourd'hui l'hospitalité et quelle reconnaissance elle leur garde désormais, pour le pèlerinage qu'ils ont accompli en venant célébrer ici le centenaire de Sainte-Beuve.
Mais je dois aussi leur apprendre, en fort peu de mots, ce que les Boulonnais pensent de leur illustre concitoyen, et c'est là que gît pour moi la difficulté, car je ne me sens pas, à côté d'eux, autorisé ni qualifié pour en parler comme il convient.
Je ne m'attarderai pas à une biographie. Tout le monde sait que, né à Boulogne le 23 décembre 1804, Sainte-Beuve mourut à Paris après avoir parcouru la plus belle carrière d'homme de lettres qui soit. Éloigné de sa ville natale, qu'il avait quittée jeune encore, il garda des relations avec plusieurs Boulonnais et entretint même, de loin en loin, quelque correspondance intime; à plusieurs reprises, soit par le don de son buste en marbre, qui est à la bibliothèque, ou par l'envoi d'un ouvrage à cet établissement, il prouva qu'il avait gardé le souvenir du clocher. Pendant ce temps, ses contemporains admiraient la merveilleuse ascension qui faisait de Joseph Delorme le grave historien de Port-Royal, le judicieux critique des Lundis. Les Boulonnais applaudissaient, de loin, aux succès de leur concitoyen, à son élection comme membre de l'Académie française et même à sa nomination de sénateur.
Au lendemain de sa mort, les hommes de lettres du cru ne furent pas les
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE
derniers, sinon à le juger — ce qui aurait pu être imprudent, — au moins à le raconter et à émettre quelques opinions sur ses oeuvres.
Parmi ceux-là, M. Ernest Deseille qui fut, pendant de longues années, le conservateur des gloires locales, en a parlé avec une louable franchise, et avec une réelle intelligence. S'il apprécie l'écrivain, il en dit : « Avec le calme de la force, il jouait de la langue française comme un maître exercé qui connaît le secret de lui faire dire tout et d'en faire entendre davantage. » S'il étudie le philosophe et le critique, c'est surtout son éclectisme qui le frappe : « Il fut un curieux spectateur de la vie, spectateur sans illusion, cherchant à se rendre compte de tout, sans épouser aucune des causes qui s'agitaient devant lui. »
Deseille, qui était poète, s'intéresse moins au poète qu'à l'historien ou au critique. Ainsi, selon sa tournure d'esprit, chacun peut-il choisir dans l'oeuvre eonsidérable de Sainte-Beuve la partie qui fixe ses goûts et ses opinions. Le maître lui-même, dans les courtes notes qu'il intitula : Ma Biographie, ne semble-t-il pas faire bon marché de tout ce qu'il fut pour n'être que le critique : « Voué et adonné à mon métier de critique, j'ai tâché d'être de plus en plus un bon et, s'il se peut, habile ouvrier! »
Habile ouvrier, nul ne le fut davantage, et Victor Hugo le laissait bien entendre lorsque, répondant au discours de réception de Sainte-Beuve à l'Académie française, il faisait ressortir, en des termes admirables, le côté humain de la philosophie, vis-à-vis du caractère divin de l'art. En prononçant au Sénat l'éloge funèbre de l'écrivain, M. Rouher, dans un langage très élevé, louait aussi l'artiste. Parlant des écrits du maître, il disait : « Ils franchiront les régions contemporaines et survivront à leur temps, car ils ont à la fois la pensée et le style. »
Ce jugement s'est réalisé.
Tous ceux, et ils sont légion, qui se sont occupés de Sainte-Beuve ont reconnu chez lui deux qualités rares : l'indépendance et le désintéressement. Il y ajoutait une autre vertu, le culte du souvenir, et il faut remarquer qu'il l'inspirait également, puisque sa mémoire a été entretenue avec tant de fidélité par les hommes qui l'avaient connu ou qui l'approchèrent.
La cérémonie d'aujourd'hui en est une preuve. Cette grande mémoire est si précieusement gardée, qu'à l'étranger même on en célèbre le centenaire : —■ à Lausanne, où Sainte-Beuve professa en 1837 un cours qui devint le fond de son grand ouvrage Port-Royal; — à' Liège, où il alla en 1848 parler de Chateaubriand, on inaugure actuellement des plaques commémoratives en son honneur. Ces nombreuses manifestations montrent quel sillon profond a tracé ce fécond et magistral ouvrier, dont les doctes et décisifs jugements continuent, avec le temps, à gagner en force et en autorité dans le monde des lettres.
Mais je m'aperçois, Mesdames et Messieurs, que, malgré moi, j'empiète sur un terrain où je m'étais promis de ne pas me risquer. Mon devoir, et je le trouve vraiment doux à remplir, c'est de dire au comité du Journal des Débals,
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448 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
aux illustrations de la littérature qui ont bien voulu, en cette saison rigoureuse, venir inaugurer ici la plaque du centenaire, la très vive reconnaissance de la population de Boulogne-sur-Mer pour leur généreuse initiative, grâce à laquelle notre cité se voit dotée d'un monument aussi plein d'intérêt que d'élégance.
M. Jules Claretie prit ensuite la parole :
Messieurs,
Le président de cette fête toute littéraire ne peut donner la parole aux orateurs et aux poètes que vous allez écouter sans s'excuser d'occuper ici la place que devaient prendre tour à tour deux de ses confrères de l'Académie, le critique éminent dont vous allez entendre la conférence et notre cher secrétaire perpétuel, M. Gaston Boissier.
Si j'ai accepté de leur succéder — sans les remplacer — c'est qu'il m'était doux de participer à la glorification d'un homme qui m'accueillit avec bonté à mes débuts et qui, plus que personne, m'enseigna, enseigna à la jeunesse de mon temps, la liberté de l'esprit et l'ardent amour du travail.
« Étudiez, travaillez, Messieurs, disait-il un jour à une députation d'étudiants en médecine, travaillez à guérir nos malades de corps et d'esprit». Il semble que ce mot d'ordre, Sainte-Beuve se le fût donné à lui-même. Il resta, pour les oeuvres, ce qu'il avait été pour les membres épars des amphithéâtres, le grand prosecteur de la littérature universelle. Ce cerveau encyclopédique, égal à celui d'un Goethe, a laissé une oeuvre que doivent consulter page à page tous ceux qui, après lui, veulent reprendre les sujets qu'il a traités. Car c'est la puissance de Sainte-Beuve d'avoir tout dit, tout indiqué, tout deviné!
Il fut en vérité le plus compréhensif des juges, des divinateurs d'âmes. Il comprit tout, depuis les soupirs d'une Valmore jusqu'aux coups de boutoir d'un Proudhon, tout depuis l'Iliade jusqu'à Madame Bovary.
L'hysope quelquefois l'attirait plus que le cèdre. Naturaliste de génie, rien ne lui semblait à dédaigner dans la nature, et toujours il chercha la vérité,- l' âpre vérité, disait Stendhal après le tribun.
Que d'autres énumèrent ses faiblesses! Aujourd'hui, dans cette ville où il naquit, devant cette postérité qui le salue, je ne veux parler que de ses grandeurs : « Je vous prie, m'écrivait un témoin de sa vie — son exécuteur testamentaire, M. Jules Troubat — d'être dimanche l'interprète de ma sympathie pour tout ce que j'ai vu se faire et se dire de grand, de noble, d'élevé, digne en un mot de l'illustre serviteur de l'esprit humain que fut Sainte-Beuve ». SainteBeuve, c'est la critique doublée de la poésie, c'est l'histoire immortalisant la vie.
« La critique, puissance des impuissants, » disait injustement Lamartine en parlant de ce Sainte-Beuve qu'il trouvait supérieur même à ses Lundis et dont il disait : « C'est un de ces hommes qui, en s'éloignant, emportent toujours un
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE 449
morceau du coeur; il ne vous deviennent jamais étrangers, fussent-ils même ennemis. »
Il n'y a plus, Messieurs, ni d'étrangers ni d'ennemis quand la postérité a commencé. Sainte-Beuve poète a écrit ce vers :
Le temps, vieillard divin, honore et. blanchit tout.
Rendons grâce au temps qui nous permet d'être justes! Honorons ceux qu'il emporte — et ne noircissons pas ceux qui nous restent. Les défenseurs de la Révolution française s'égorgeaient dans la nuit et se réconciliaient dans la mort. Réconcilions les grands hommes et les grands coeurs du siècle passé, réconcilions-les dans notre admiration et dans la gloire!
Mais j'oublie que ce n'est pas moi que vous êtes venus entendre, et je donne la parole à M. de Nalèche pour lire le discours de M. Brunetière.
Après cette lecture, fréquemment interrompue par de vifs applaudissements, M. Arthur Chuquet, professeur au Collège de France, prononça le discours suivant au nom du Collègue de France, et de la Société d'histoire littéraire de la France, dont il est le président :
Messieurs,
Permettez-moi d'ajouter, au nom du Collège de France et de la Société d'histoire littéraire de la France, quelques mots aux beaux discours que vous venez d'entendre.
Boulogne, a dit Sainte-Beuve, est une ville où on aime à se moquer. Mais la moqueuse Boulogne sait rendre justice à ses grands hommes, et elle n'ignore pas que Sainte-Beuve est le critique par excellence.
Des poètes, des écrivains qui se croyaient créateurs, disait-il une fois, ont passé très vite et ils sont morts tout entiers ; mais il y a des critiques qui vivent, des critiques qu'on feuillette, qu'on cite toujours. Sainte-Beuve est de ceux-là. Il a le goût le plus délicat, le plus éclairé. Il a un style original, ingénieux, piquant, nuancé, plein de détours, et sous son style — je me sers d'une de ses propres expressions — court un ruisseau caché de poésie qui répand le mouvement et la vie. Il perce aussi avant que possible dans les âmes. Il fait, comme il dit en se souvenant de ses anciennes études, de la dissection anatomique. Il ne sépare pas l'homme de l'écrivain, et dans l'un et l'autre, il discerne et caractérise avec un art incomparable le mélange inévitable du bon et du mauvais, du vrai et du faux, des qualités et des imperfections. A la finesse il joint la solidité. Il est exact, précis, consciencieux, profond. Et quelle largeur de vues! Quelle
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480 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
merveilleuse étendue de compréhension ! Quelle universelle curiosité ! Comme Béranger, qui, suivant lui, fait tenir tout dans la chanson, il fait tenir tout dans la critique.
Grâce à ses connaissances si variées et si abondantes, grâce à son investigation pénétrante et sagace, il évoque tout un peuple de figures, non seulement de figures littéraires, mais de figures historiques, et sa galerie des Lundis offre à nos regards une foule de personnages attachants et de grands Français dont la vue réchauffe et réconforte le coeur; Jeanne d'Arc, qu'il qualifie de touchante et sublime héroïne, et qu'un « cri public d'enthousiasme, plus vrai que toute réflexion et toute doctrine, plus fort que toute puissance régulière, n'a cessé d'environner »; Monluc, l'énergique défenseur de Sienne; Richelieu, « un des plus glorieux artisans politiques qui aient existé » ; Louvois, ce ministre dans lequel il y avait du Davout, du Carnot et du Daru; Vauban, probe et antique; le sage et hésitant Catinat; l'audacieux et heureux Villars; Maurice de Saxe, qu'il nomme un des plus français de nos généraux; le chevaleresque comte de Gisors, le plus accompli des colonels; Mirabeau, dont il admire la prévoyance et le coup d'oeil prophétique; Barnave, qui lui paraît exprimer le mieux, par l'ensemble de ses mérites, la physionomie de la Constituante ; l'ardent Dagobert ; le brave et simple Dugommier; Merlin de Tbionville, qui lui semble représenter le guerrier de la première République; Jean Bon SaintAndré, vaillant et dévoué serviteur de la France; et Franceschi-Delonne ; et Joubert; et Friant; et le fier et intrépide Carrel.
Sainte-Beuve, Messieurs, aimait la patrie. Il honora en Thiers un historien qui « parle au coeur de-la France ». Il retrace volontiers la carrière des généraux de la Révolution qui « sauvèrent le pays en s'illustrant » et il s'incline avec respect devant les Drouot et les Pelleport, devant ces soldats modestes, purs, aussi scrupuleux que vaillants, qui pratiquent « la religion de leur noble métier » et qui « ont le culte de l'honneur, du devoir, de la règle ». Lorsqu'il rappelle qu'un ministre de la Restauration partageait les Français en deux catégories, les émigrés et les régnicoles ou non émigrés : « Ainsi, s'écrie-t-il, Français de 1792 qui couriez à la frontière, qui passiez le Rhin et l'Escaut et les Alpes, qui combattiez à Rivoli, à Zurich et aux Pyramides, vous étiezdes régnicoles! » En 1862, un journaliste écrivit que Waterloo le laissait indifférent : « Grâce à Dieu, répondit Sainte-Beuve, cette indifférence ne viendra jamais et tant qu'il y aura une vraie France, l'âme de la France sera contemporaine de ces douloureuses journées. Ah! qu'il ne vienne jamais, le jour où les générations renouvelées ne paraîtraient plus que froides et indifférentes à ce qui a remué et déchiré les entrailles de la patrie! hommes, soyons ouverts à tous les sentiments d'humanité ; nation, gardons intègre le nerf des nations ! »
M. Henri Malo, poète et historien boulonnais, délégué de la
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE 451
Société des Rosati, lut ensuite la pièce de vers suivante, composée par lui pour la circonstance :
A SAINTE-BEUVE
HOMMAGE DES ROSATI
Certes, ce fut un grand savant Connaissant le « comment » et le « pourquoi des choses »,
Ce fut un érudit fervent, Et des recoins obscurs des archives moroses Où l'oubli tristement les laissait sommeiller, Il tira, pour les mettre au grand jour de l'Histoire, Maints auteurs qui, sans lui, seraient loin d'y briller Et pourtant méritaient quelques rayons de gloire.
Il fut encor philosophe profond Et laborieusement creusa les vieux systèmes
Où la pensée humaine se morfond A vouloir expliquer d'insolubles problèmes. Les Lundis, Sa critique passait au crible Les vivants : mais aucun, même des moins hardis, Ne s'effrayait : il était juste, et point terrible...
Et bien avant Sarcey, De nos Oncles il fut l'aimable prototype ! Or, dans ce champ ardu, par lui ensemencé, Sa muse sérieuse un instant s'émancipe ; Un coin plein de soleil aux fleurs est réservé,
Un coin tout de charme et de grâce,
Tout de clarté, le port rêvé Pour reposer paisiblement sa tête lasse. C'est là qu'il évoquait le souvenir lointain
De la maison qui le vit naître; Dans le calme enchanteur de son secret jardin, Ses yeux intérieurs aimaient voir reparaître
La ville où son enfance s'écoula... Et pour cela Au bouquet lumineux de son apothéose, Je viens joindre aujourd'hui l'hommage d'une rose.
La représentation se termina par la lecture de poésies de Sainte-
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432 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE ■
Beuve : les Larmes de Racine et la pièce « A Ernest Fouinet » interprétées par Mlle Jeanne Delvair, pensionnaire de la Comédie-Française; — les Rayons jaunes et Ma Muse, interprétées par M. Coquelin cadet, sociétaire de la Comédie-Française.
II. — LIEGE
Le projet, présenté par le Journal des Débats de célébrer le centenaire de la naissance de Sainte-Beuve, fut accueilli à Liège avec faveur. Une circonstance particulière y aida. Parmi les survivants, peu nombreux sans doute, des auditeurs du cours sur Chateaubriand et son groupe, habite à Liège — ou plus exactement à Spa — M. le chevalier Charles de Thier, président honoraire de la Cour d'appel de Liège, proche parent de M. le chevalier Maurice de Thier, directeur du journal la Meuse, et de M. Micha, adjoint au bourgmestre de Liège. L'honorable président voulut bien entrer en rapports avec le secrétaire du Comité parisien et mettre à notre disposition, outre son concours personnel, l'utile appui de ses relations de famille.
Grâce à cet ensemble de bonnes volontés, la mémoire de SainteBeuve a été honorée comme il convenait dans la grande cité meusienne : pour le Livre d'Or, M. le chevalier Ch. de Thier a écrit l'intéressant article « Sainte-Beuve à Liège » (voir ci-dessus, pages 193-202), accompagné d'un joli dessin à la plume, que nous procura M. Micha, de la maison habitée à Liège par Sainte-Beuve. De son côté, M. le chevalier Maurice de Thier provoquait, dans la 3Meuse, le zèle de la population universitaire et lettrée de Liège. Finalement, ces efforts combinés aboutirent à l'organisation, pour le 18 décembre, d'une cérémonie dont l'attrait principal devait être une conférence
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE 453
de M. Gustave Lanson, professeur à la Sorbonne et membre de notre comité, sur Sainte-Beuve.
Nous ne pouvons mieux faire qu'emprunter à la Meuse même le compte rendu de la journée :
Notre jeunesse universitaire ne chôme pas, et les initiatives qu'elle prend sont hautement louables... Hier dimanche, elle consacra à Sainte-Beuve toute une journée. On sait que l'émment critique, le plus grand critique du XIXe siècle, fit, à la demande de Charles Rogier, pendant l'année académique 1848-1849, des cours de littérature française à l'Université de Liège. Il publia l'un de ces cours sous le titre : « Chateaubriand et son groupe littéraire. »
Comme la France célèbre aujourd'hui le centenaire de la naissance de SainteBeuve (né en 1804, mort en 1869), les étudiants ont voulu s'associer à cette manifestation et, par une marque durable, rappeler que leur Université fut honorée jadis du professorat de l'auteur des « Lundis ». Ils ont bien fait. Nous savons — et certains journaux ont mis ces jours derniers une complaisante insistance à réveiller des choses anciennes — que Sainte-Beuve ne fut pas un parangon de moralité, que, dans ses relations avec le plus grand poète de France, il n'usa pas de la délicatesse la plus élémentaire. Mais on célébrait hier l'écrivain illustre, l'homme étonnant qui, dans ses études admirables, résuma toute l'activité intellectuelle française.
Donc, dimanche, à onze heures, nos étudiants se sont réunis dans la salle des Pas-Perdus de l'Université, et de là, se sont rendus en cortège rue des Anges.
Les participants, qui auraient pu être plus nombreux, avaient à leur tête la vaillante Harmonie des étudiants, qui est aujourd'hui excellemment reconstituée et qui a fait entendre ses plus entraînants pas redoublés. Dans le cortège on remarquait la présence de MM. Merten, recteur de l'Université, et Thiry, professeur à la Faculté de droit.
La plupart des drapeaux universitaires assistaient à la manifestation : ceux de l'Association générale, de l'Harmonie, des Écoles spéciales, du Droit, des Sciences, de la Médecine, de l'Association des sciences commerciales, de Onze Taal.
A 11 heures 1/4, le cortège est arrivé rue des Anges et s'est arrêté devant le numéro 25 de cette rue. C'est une maison de modeste apparence, à deux étages, et qui offre un coup d'oeil agréable sur le Jardin Botanique. C'est là que SainteBeuve, comme il l'a écrit, a vécu toute une année avec les illustres et aimables morts : Villehardouin, Joinville, Froissart, Commines, Montaigne, Chateaubriand, etc.
Cette maison est occupée à présent par M. G. Falize.
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454 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
Les manifestants se sont formés en cercle et M. Laurent, président, de.la Fédération des Cercles facultaires, a prononcé un excellent discours dans lequel il a dit pourquoi les étudiants organisaient une manifestation en l'honneur de Sainte-Beuve.
« Il appartenait à la ville de Liège en général, et à la jeunesse estudiantine en particulier, a-t-il dit, de rendre un hommage à la mémoire de ce grand homme, qui fut professeur à notre Université, car nos pères ont eu le bonheur de suivre ses leçons. »
M. Laurent rappelle ensuite le séjour de Sainte-Beuve dans notre ville et il termine ainsi :
« Nous avons eu le temps d'admirer le grand critique et nous sommes fiers de savoir qu'il a professé à notre " Alma Mater », nous sommes fiers de l'avoir possédé dans nos murs.
« Aussi, nous voulons perpétuer ce souvenir.
« Nous le perpétuons par cette plaque apposée sur la maison qu'a habitée le célèbre critique pendant son année de professorat à Liège.
« Que cette plaque rappelle à nos enfants que Liège a compté parmi ses habitants un homme tel que Sainte-Beuve.
« Qu'elle montre aux étrangers que Liège rend justice au talent et sait honorer le génie. »
De chaleureux bravos saluent le discours de M. Laurent, et l'Harmonie des étudiants exécute une vibrante Marseillaise et une non moins vibrante Brabançonne.
Nous notons en ce moment dans l'assistance la présence de MM. Gustave Lanson, professeur en Sorbonne, et Wilmotte, professeur à l'Université de Liège.
La plaque commémorative, qui est apposée sur la façade du numéro 28 de la rue des Anges — à droite de la porte — est en bronze et porte l'inscription suivante :
ICI HABITA SAINTE-BEUVE PENDANT SON ANNÉE DE PROFESSORAT
: (1848-1849)
Il y avait foule choisie et élégante dans la salle Académique de l'Université, où avait lieu, à 4 heures, la conférence de M. Gustave Lanson, professeur à l'Université de Paris.
Dans l'assistance, nous remarquons : MM. Kleyer, bourgmestre; Merten, recteur; Éric Gérard, Michel, Chauvin, Thiry, Wilmotte, Mahaim, Parmentier, Julin, Grafé, Laurent, professeurs, et Delmer, bibliothécaire, ainsi que M. Henrot, bourgmestre de Durbuy, un vénérable octogénaire, ancien élève de SainteBeuve,
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE
Disons tout de suite que la conférence de M. Lanson a été tout à fait admirable. M. Lanson a analysé le grand talent de Sainte-Beuve et il a émaillé son discours de traits savoureux et charmants, qui ont, à plusieurs reprises, été salués par des applaudissements unanimes.
M. Lanson, après avoir souhaité voir les liens de sympathie qui unissent les Universités de Paris et de Liège s'affirmer toujours plus souvent par de fréquents appels réciproques, a abordé immédiatement son sujet en contant une petite histoire ravissante.
Si Sainte-Beuve est venu à Liège, c'est à la suite d'un froissement de sa fierté. Une cheminée avait fumé dans la salle de l'établissement officiel où il faisait son cours. Par suite d'on ne sait quelle circonstance, il fut noté que SainteBeuve avait émargé aux fonds secrets pour la somme de... 100 francs ! On avait, sans doute, fait les réparations indispensables à la susdite cheminée au moyen des fonds secrets, les crédits étant épuisés. Sainte-Beuve réclama, mais en vain. Les ministres sont timides, parce qu'ils sont puissants et qu'ils désirent garder leur portefeuille. On n'écouta pas les réclamations de Sainte-Beuve et SainteBeuve vint à Liège.
Je veux, continue M. Lanson, tirer la moralité de la fête d'aujourd'hui. Car, notons-le bien, nous ne célébrons pas un grand écrivain, au sens réel du mot. A ce compte, les noms de Michelet, de Taine et de Renan s'imposent avant celui de Sainte-Beuve.
Que Boulogne-sur-Mer, la ville natale du critique, ou bien Paris, la ville où il a vécu, célèbrent le centenaire de Sainte-Beuve, rien de plus naturel. Mais pourquoi Lausanne, pourquoi Liège se sentent-elles fières de l'avoir entendu ? Pourquoi les Belges et les Suisses fêtent-ils le souvenir de son court passage dans une de leurs villes ?
Au surplus, Sainte-Beuve est l'homme légendaire des dîners gras du vendredi-saint ; il fut incroyant jusqu'à l'enterrement civil. Et par quel journal voyons-nous prendre l'initiative de son centenaire ? Par le Journal des Débats, qui n'est pas suspect d'affection excessive pour la libre-pensée. Bien plus, qui prend aujourd'hui la parole à Boulogne-sur-Mer ? L'homme qui a proclamé la faillite de la science, M. Ferdinand Brunetière.
' Pourquoi donc cette quasi-unanimité des libres-penseurs et des croyants, des Français et des étrangers, dans le culte que l'on voue à Sainte-Beuve ?
C'est que Sainte-Beuve fut et reste le patron des critiques. Ce n'est pas le vieux Boileau, ni Taine, cet homme au caractère très haut, à la science sûre, ni Renan, ce maître délicieux et ce fin séducteur.
Ni Boileau, ni Taine, ni Renan, aucun des trois n'est le patron derrière qui on veut marcher.
C'est Sainte-Beuve, ce petit homme replet, aux allures prosaïques, sur le compte de qui on raconte des histoires fâcheuses.
Au reste, Sainte-Beuve vaut mieux que la réputation qu'on lui a faite. Certes,
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486 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
il fut hanté par la femme ; il eut besoin de vivre dans le sillage d'une femme; mais on a considérablement exagéré.
Seulement, Sainte-Beuve fut désintéressé, indépendant, serviable, libéral, courageux à défendre et, ce qui est mieux, à avouer ses amis.
Pourquoi est-il choisi comme le patron des critiques? C'est, en un mot, parce qu'il a eu le goût du vrai.
Il ne faut pas s'y méprendre, la sincérité a souvent aidé bien des gens à se tromper.
Voltaire croyait par son sentiment de Français poli ; son souci de la vérité le mena à railler Sophocle et à injurier Shakespeare.
Mme de Staël transforma son sentiment en propositions philosophiques et elle jugea l'Allemagne avec l'idée qu'elle avait du despotisme napoléonien.
Guizot, ce doctrinaire protestant, prenait pour base de sa vérité l'ambition et l'orgueil de sa classe.
Sainte-Beuve arriva entre 1840 et 1850 et il lui fallut un rare courage pour affirmer le goût qu'il avait du vrai. Personne n'eut des curiosités plus larges. Il chercha en vain dans la foi la règle des moeurs et le repos de son coeur. Il a été poète, artiste. Il a été créateur dans Joseph Delorme. Il avait rêvé, eh plein romantisme, une poésie familière dont le sentiment fût en profondeur. Entre les Orientales et les Harmonies Poétiques, on n'a pas le droit de trouver médiocres les poésies de Sainte-Beuve, qui, à l'époque romantique, font l'effet d'une plaine, d'un marais aux émanations inquiétantes et subtiles.
D'autre part, son roman Volupté est en avance de 50 ans sur son temps. Après Barrés et Bourget, nous avons l'âme qu'il faut pour comprendre ce livre qui parut entre Notre-Dame-de-Paris et Lélia - Volupté prend rang entre Obermann et l' Éducation sentimentale.
Mais l'artiste se relégua dans la critique. Venu à l'incrédulité par la poursuite toujours vaine d'une foi chrétienne ou sociale, il ne méprisa jamais les consciences déchirées ni les consciences tranquilles.
Persuadé que les certitudes absolues ne sont pas des certitudes rationnelles, il donna au beau la large part de ses scrupules d'érudition. Il avait la conscience que de tous les infiniment petits de l'investigation personnelle on peut faire une vérité lumineuse.
Il posséda ainsi une pratique technique très sûre, en soumettant sa critique à la règle du vrai.
Sainte-Beuve avait le goût du vrai de façon pleine et efficace. Il n'eut pas de confiance orgueilleuse en sone sprit.il ne fut pas de ces critiques qui font semblant de parler des autres et ne parlent que d'eux-mêmes, pareils à l'araignée de Pline qui tisse sa toile en la tirant de son ventre.
Il eut la modestie de croire qu'il ne savait pas tout.
Pendant vingt ans, il écrivit ses fameux Lundis, fruit d'un travail acharné, quotidien, puisé aux sources originales.
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE 457
Ce n'étaient pas les « affres du style » qui le tourmentaient. Il voulait rendre le vrai en sa manière exacte et dans sa note juste. Il aimait les livres touffus, gonflés de documents sûrs, et du fatras succulent de ces volumes, il pouvait extraire de quoi faire revivre une figure.
Il pensait que les idées générales ne sont vraies qu'à la condition d'être une collection de faits particuliers. Il voulait voir dans l'écrivain l'être humain, au moment où l'homme ne se regarde pas. Il voulait, en un mot, savoir assez pour dire juste ce qu'il faut. Il pratiquait, si l'on peut dire, des sciences de modèle vivant, quand il étudiait ses contemporains. Il avait la maladie noble de l'exactitude.
C'est tout cela qui fait la profonde solidité de ses « études ».
Une transigea jamais avec personne. Il pressentit le talent des « jeunes » de son époque, il fut toujours scrupuleusement vrai avec ses amis.
M. Lanson, à ce propos, rappelle quelques traits caractéristiques de la vie de Sainte-Beuve.
Sainte-Beuve mettait la vérité au-dessus du savoir-vivre.
Il réclamait le droit de voir les gens tels qu'ils sont. Il professait le refus de s'aveugler. Peut-être aussi avait-il un peu de joie à montrer le défaut de sa cuirasse. La vérité semble avoir été sa revanche et sa vengeance. Il abominait le faux convenu et souffrait d'une sorte d'enragement de voir tant de bonnes gens dupes des beaux dehors.
Il avait le tempérament du vrai comique qui ne peut garder le mot qu'il a sur les lèvres : « Midas, le roi Midas, a des oreilles d'âne!»
Ce qui reste de Sainte-Beuve, c'est non seulement son oeuvre, mais sa méthode qui persiste tout entière. Nous avons de lui quelques maximes excellentes et nous prenons de lui quelques bonnes habitudes. Il ne nous demande pas un engagement général, à l'instar de Taine, dont la méthode est despotique et qui fait de son système un rituel.
Sainte-Beuve est plus souvent moraliste et psychologue que critique et historien.
Son oeuvre reste jeune avec un minimum de déchets.
« Le vrai, le vrai seul, et que le beau et le vrai s'en tirent comme ils peuvent », telle est sa devise.
Gaston Paris, un des esprits les plus admirablement équilibrés de notre temps, fut un disciple immédiat de Sainte-Beuve. Il en avait recueilli l'esprit qui peut se résumer ainsi : plus de probité que d'honnêteté ; aimer la vérité et s'efforcer d'y atteindre.
Sainte-Beuve fut une belle conscience d'écrivain qu'il sera toujours profitable de regarder.
Une véritable ovation a salué le magistral discours de M. Lanson qui, dans une langue sévèrement châtiée, a uni à une profonde érudition littéraire un sens critique merveilleux. Et dans l'espèce, peut-être nous sera-t-il permis de faire
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l'éloge du conférencier en lui disant que nous avons retrouvé dans son étude médullaire toutes les qualités maîtresses de Sainte-Beuve.
M. Laurent, président de la Fédération des Cercles facultaires, a excellement remercié l'éminent conférencier et a fait acclamer un voeu réclamant la présence du buste de Sainte-Beuve parmi les bustes qui se trouvent dans la galerie de la salle des Pas-Perdus de notre Université.
A 7 heures, une quarantaine de convives étaient réunis à l'Hôtel d'Angleterre sous la présidence de M. le recteur Merten. Parmi les convives se trouvaient MM. Gustave Lanson, Chauvin, Julin, Wilmotte, Mahaim, Parmentier, Feller, etc.
A l'heure du Saint-Marceaux, M. Merten a remercié en termes heureux M. Lanson de sa superbe conférence. L'Université de Liège, a-t-il ajouté, a été très honorée de votre collaboration. (Vifs applaudissements).
M. Lanson a, à son tour remercié M. le recteur, les professeurs et les étudiants de l'accueil qui lui a été fait, puis il a levé son verre en l'honneur de l'Université de Liège. (Acclamations).
M. Wilmotte rappelle alors qu'il existe au pays de Liège d'anciens élèves de Sainte-Beuve et, entre autres, M. Charles de Thier, un homme d'infiniment d'esprit, plein de vigueur et d'énergie, qui a exercé et exerce dans notre pays une bienfaisante influence. M. Charles de Thier a envoyé au Comité organisateur de la manifestation une lettre dont M. Wilmotte donne lecture et qui a été onguement applaudie :
Spa, 17 décembre 1903.
A Monsieur le Secrétaire du Comité de l'Association générale des étudiants de l'Université de Liège.
Monsieur,
Un malencontreux accès de rhumatisme m'empêche de me rendre demain au milieu de vous pour commémorer le centenaire de Sainte-Beuve. Je le regrette d'autant plus que j'ai eu l'honneur et le bonheur de suivre autrefois les cours donnés par l'illustre professeur à l'Université de.Liège et que, parmi ses anciens élèves, les survivants, hélas ! sont devenus bien rares !
Lorsque, le 3 novembre 1867, l'Université célébra, dans une belle et imposante solennité, le cinquantenaire de sa fondation, l'un des étudiants de la première heure, devenu un grand avocat et un homme politique célèbre, M. Forgeur, sénateur, rappelait que « Sainte-Beuve, l'éminent critique, l'inépuisable causeur « du lundi, s'était fait (sous le Second Empire), dans le sein du Sénat français, « le courageux défenseur des droits de la pensée. » — Et l'assemblée applaudissait à tout rompre...
Le bruit de ces applaudissements avait passé la frontière et était allé droit au
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COMMÉMORATION DU CENTENAIRE
coeur de Sainte-Beuve. Personne ne fut plus heureux que lui de cette admiration professée par les citoyens d'une nation libre pour un acte qu'il considérait comme l'un des plus dignes et des plus glorieux de sa vie.
Ce n'est pas sans regrets que Sainte-Beuve nous avait quittés après un an de séjour parmi nous. Dans une lettre que l'illustre critique me faisait l'honneur de m'écrire en novembre 1867 : « Mon désir sincère, disait-il, eût été de vivre « parmi vous plus longtemps. Ce qui est certain, c'est que, dans les motifs qui « m'ont déterminé à me délier plus tôt que je ne l'aurais cru, il n'en était aucun « qui vînt de Liège même, ni de l'Université, où je n'avais reçu que bon accueil, « témoignages obligeants, et où j'avais déjà noué des relations, non seulement « d'estime, mais d'affection. »
Et ce n'est pas seulement sa nouvelle famille universitaire qu'il quittait avec regret, c'est également notre belle ville et cette modeste maison dont il disait, dans sa préface de Chateaubriand, en 1860 :
« J'ai vu un beau pays, une riche nature, et dans cette vallée de la Meuse, où « je pouvais me croire loin de la ville, comme dans un verger, j'ai joui, pour la « première fois peut-être, de la naissance d'Avril et des premières fleurs du « printemps. »
La plaque commémorative que vous allez apposer sur cette maison rappellera aux admirateurs du grand écrivain qu'elle lui fut doublement chère, puisqu'elle lui avait permis, au milieu des sombres événements de l'époque, de profiter d'un gai printemps pour travailler à l'aise.
Je vous prie de recevoir, Monsieur le secrétaire, avec toute ma gratitude et tous mes regrets, l'assurance de ma haute considération et de mon dévouement.
Chevalier CHARLES DE TEIER, Président honoraire à la Cour d'appel de Liège.
Le banquet a ensuite continué, au milieu de la plus charmante animation, et ainsi s'est close la belle journée Sainte-Beuve, que nos étudiants peuvent être fiers d'avoir organisée.
III. — LAUSANNE
Bien que plus ancien de dix ans que pour Liège, le souvenir du séjour de Sainte-Beuve à Lausanne ne s'en est pas moins conservé très vivace dans la belle cité vaudoise, flore à bon droit d'avoir provoqué l'éclosion du livre sur Port-Rot/al, dont l'édition définitive ne
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devait paraître que trente ans plus tard. Et puis, sur la rive suisse du Léman, la littérature française est trop en honneur pour que la mémoire de l'auteur des Lundis ait pu courir le risque de s'effacer.
L'approche du centenaire fut l'occasion de la remettre mieux en lumière. Dans le courant de l'été, la Revue des Deux-Mondes publiait la correspondance si curieuse, si touchante parfois, de Sainte-Beuve avec M. et Mme Juste Olivier, où le charme de Lausanne est célébré, chanté presque à chaque page. De plus, l'annotateur éclairé de cette correspondance, M. Léon Séché, vint à Lausanne faire quelques conférences sur Sainte-Beuve ; il n'eut pas de peine à réveiller les sympathies autour de ce grand nom, et si le projet de monument qu'il proposa ne fut pas exactement celui qui fut adopté, on doit lui rendre cette justice d'avoir été le promoteur de l'idée : le canton de Vaud ne fit pas difficulté d'acquitter la double dette de reconnaissance qu'il avait contractée envers l'auteur de Port-Royal et l'auteur des lettres aux Olivier.
Au mois d'octobre, un comité se forma sous la présidence d'honneur de M. le conseiller d'Etat Camille Decoppet, chef du département de l'Instruction publique du canton, et la présidence réelle de M. Van Muyden, syndic de Lausanne. Parmi les membres qui le composaient, nous citerons MM. Albert et Jean Bonnard, Charles Burnier, professeur de littérature française à l'Université ; le Dr Emile Dind, recteur de l'Université ; Paul Vallette, doyen de la Faculté des lettres; Louis Grenier, pro-recteur de l'Université; Louis Dupraz, directeur de la Bibliothèque cantonale.
Ce comité, dans la séance qu'il tint le 14 octobre, décida d'ouvrir une souscription pour couvrir les frais d'un médaillon commémoratif à apposer sur la façade de l'ancienne Université, celle où avait été professé le cours sur Port-Royal,. Il fixa la cérémonie d'inaugration au vendredi 23 décembre, jour séculaire de la naissance de Sainte-Beuve.
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COMMEMORATION DU CENTENAIRE 461
La cérémonie eut lieu le jour dit ; elle comporta l'ignauguration du médaillon, une séance solennelle à l'Aula, où des discours furent prononcés par MM. Decoppet, Van Muyden, Léon Séché, — et un banquet.
La Gazette de Lausanne a reproduit le texte de ces discours, trop étendus pour que nous puissions les donner ici. M. Gaston Boissier, secrétaire perpétuel de l'Académie française, avait écrit la lettre suivante, au nom de la Compagnie :
INSTITUT DE FRANCE
ACADÉMIE FRANÇAISE
Paris, 16 décembre.
Le secrétaire perpétuel de. l'Académie à M. le président du comité vaudois du centenaire de Sainte-Beuve.
Monsieur,
L'Académie française aurait bien voulu, comme vous le lui demandez, se faire représenter par quelqu'un de ses membres à la fête que donne Lausanne pour célébrer le centenaire de Sainte-Beuve, mais les circonstances ne le lui ont pas permis, et elle vous en exprime tous ses regrets.
Elle y aurait participé avec d'autant plus de plaisir qu'elle sait bien qu'aucun hommage n'aurait plus touché Sainte-Beuve que celui que vous lui rendez. Ceux de nous qui l'ont pu connaître se rappellent le souvenir qu'il avait gardé de votre ville, et comme il parlait des solides affections qu'il y avait trouvées. Ce cours de 1837 était une des dates heureuses de son existence. Pendant un an, il avait vécu chez vous dans une atmosphère de science et de sympathie, en dehors de ces rivalités mesquines, de ces basses jalousies, de cette ironie desséchante qui troublent trop souvent la vie littéraire. L'accueil que vous avez fait à ses leçons l'a encouragé à poursuivre et à terminer son Port-Royal. C'est ainsi qu'une part vous revient dans ce bel ouvrage, et qu'il n'a fait que payer une dette en vous le dédiant.
Vous parlez, Monsieur le président, de l'intérêt que doit prendre notre Compagnie aux efforts qui se font en dehors de nos frontières pour répandre la culture française. Cette culture vous appartient comme à nous : c'est un bien commun aux uns et aux autres. Dans notre littérature, vous avez su vous faire une province, qui n'est pas la moins riche et la moins cultivée. Vous nous avez donné une élite d'écrivains distingués, dont nous sommes fiers comme vous, et
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462 LE LIVRE D'OR DE SAINTE-BEUVE
les lettres forment entre nous un lien qui, nous l'espérons bien, ne sera jamais brisé.
La fête d'aujourd'hui en est une manifestation nouvelle; quoiqu'elle ne s'adresse qu'à un seul de nos grands écrivains, l'honneur en rejaillit sur tous les autres. L'Académie vous est reconnaissante d'avoir montré une fois de plus que les frontières ne peuvent pas complètement séparer ceux qu'a unis une même langue, et elle me charge de vous en remercier au nom des lettres françaises.
Le secrétaire perpétuel de l'Académie française,
G. BOISSIER.
D'autre part, M. Barthélémy, consul de France à Genève, donna communication du télégramme suivant, que lui avait adressé M. Jules Claretie au nom du Comité du Journal des Débats :
Le Comité qui a célébré Sainte-Beuve à Boulogne envoie à l'Université de Lausanne ses remercîrnents pour le souvenir qu'elle garde du grand critique. Personnellement, j'aurais été fier de me joindre à vous. M. Etienne de Nalèche, directeur du Journal des Débats, et moi, nous vous prions de dire la communauté de sentiments qui associe les admirateurs de Sainte-Beuve à la manifestation de Lausanne. Dévoûment.
JULES CLARETIE.
Le médaillon reproduit les traits de Sainte-Beuve d'après David d'Angers. II est accompagné d'une inscription où est rappelée la dédicace inscrite par Sainte-Beuve en tête du Port-Royal :
A MES AUDITEURS DE LAUSANNE.
PENSÉ ET FORMÉ SOUS LEURS YEUX
CE LIVRE LEUR APPARTIENT.
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
Plaque commemorative apposée sur la maison natale de Sainte-Beuve, à Boulogne-sur-Mer. S.-E. Vemier.
sculpteur En regard du titre.
Portrait de Sainte-Beuve (médaillon de David d'Angers). . Frontispice du titre.
Fac-similés de l'écriture de Sainte-Beuve Pages 47 et 78
Vue de l'Académie de Lausanne où Sainte-Beuve professa
en 1837-1838 En regard de la page 192
Vue de la maison de la rue des Anges, à Liège, où SainteBeuve habita en 1848-1849 Page 195
Maison natale, rue du Pot-d'Étain, à Boulogne-sur-Mer. . . En regard de la page 288
Sainte-Beuve enfant; dessin d'Eug. de Bonnières En regard de la page 296
Sainte-Beuve à l'âge de vingt-quatre ans ; médaillon de
David d'Angers En regard de la page 312
Maison mortuaire, rue du Mont-Parnasse, à Paris En regard de la page 328
Sainte-Beuve à l'âge de cinquante-deux ans ; dessin de
Heim En regard de la page 340
Buste de Sainte-Beuve, par Mathieu Meusnier En regard de la page 344
Plaquette commémorative du Centenaire. Face. ... Page 335
Revers Page 443
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TABLE DES MATIÈRES
FERDINAND BRUMETIÈRE. — Discours à la cérémonie du centenaire III
I. — L'OEUVRE
GASTON BOISSIER. ..... — L'Étude sur Virgile de Sainte-Beuve. —Appendice par
M. Henry MARTIN 1
PAUL BQURGET, — Sainte-Beuve poète 15
JULES CLARETIE — Sainte-Beuve et la Comédie-Française 31
G. MICHAUT., — La Confession de Sainte-BeuM. 49
JULES LEMAÎTRE. ...... —Sainte-Beuve fut-il « envieux »? 69
J. BOURPEAU — La psychologie et la philosophie de Sainte-Beuve. 79
PHJXIBERT AUDEBRAND.. — Les critiques de 1830. 101
LÉON DOREZ — Sainte-Beuve et la Bibliothèque nationale. — Lettres à
Jules Ravenel (1845-1865) 1-21
CH. MALO. — Sainte-Beuve critique militaire 155
ANDRÉ CHAUMEIX — Sainte-Beuve et le Journal des Débats 465
FIRMIN Roz — Sainte-Beuve à Lausanne 173
CH. DE THIER — Sainte-Beuve à Liège 193
ABEL LEFRANC — Sainte-Beuve professeur au Collège de France 203
EMMANUEL DES ESSARTS. — Sainte-Beuve professeur à l'École normale (1859-1861); 221
LOUIS THOMAS — Sainte-Beuve et Madame Lemercier. . 227
E. SAEELLARIDÈS — Lettres de Sainte-Beuve à Prosper Enfantin. ..... 327
FÉLIX. CHAMBON — Lettres inédites de Sainte-Beuve à Villemain 243
Lettres boulonnaises 253
II. — L'HOMME
JULES TROUBAT — Sainte-Beuve intime 259
FERNAND BOURNON .... — Les origines. — Les premières années de Boulogne. . . 287
E.-T. HAMY — Le premier maître de Sainte-Beuve, Louis Blérrot
(1813-1818) 297
ALPHONSE LEFEBVRE. ,. — Premières amours de Sainte-Beuve au pays natal.. . . 303
59
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462 TABLE DES MATIÈRES
ANDRÉ HALLAYS — Sainte-Beuve et Ondine Desbordes-Valmore 309
FERNAND BOURNON — Les logis parisiens de Sainte-Beuve 323
MAURICE TOURNEUX.... — Les portraits de Sainte-Beuve. 331
— — La bibliothèque de Sainte-Beuve . 339
UNE PROFESSION DE FOI DE SAINTE-BEUVE 351
BIBLIOGRAPHIE 353
COMMÉMORATION DU CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE SAINTE-BEUVE.
I. — Boulogne-sur-Mer 441
IL — Liège 452
III. — Lausanne 460
Table des illustrations 463
FIN DE LA TABLE DES MATIERES
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SAINT-DENIS IMPRIMERIE H. BOUILLANT
20, RUE DE PARIS, 20