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PUBLIÉ PAR M»' A. BEAU, NÉK SOUVESTRE Préface de L. Dugas, professeur agrégé de philosophie Doctèur és lëtlres
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|UR LE XIXe SIÈCLE
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EMILE SOUVESTRE
CAUSERIES ~çu LITTÉRAIRES
î^gUR LE Xir SIÈCLE
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J.\ ¡ (1800-1850)
OUVRAGE INÉDIT
PUBLIÉ PAR Mme A. BEAU, NÉE SOUVESTRE éface de L. Dugas, professeur agrégé de philosophie Docteur es lettres
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PARIS
HENRY PAULIN ET C'% ÉDITEURS 21, RUE HAUTEFEUILLE (6e)
1907
Tous droiLs rdservés.
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ERRATA
Page 123, lire Coffinhal au lieu de Coffinat. – 175 – Carron – Caron. 2j6 – Demoustier – Desmoutiers, – 292 – Gans Qauss – 308 – Lerminier – Lherminier.
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PRÉFACE
Émile Souvestre, connu et estimé comme romancier et comme révélateur de l'âme poétique de la Bretagne, de ses légendes et de ses mœurs, ne s'est guère présenté au public sous la forme la plus éminente et la plus typique de sa personnalité, comme orateur, comme professeur, comme vulgarisateur d'idées. La force, la conviction, la communication, faisaient de lui un être de sympathie humaine et lui donnaient l'âme d'un éducateur. Il avait été dans l'enseignement: enseignement privé et enseignemen, d'État. La Révolution de 1848,'qui le berça quelques mois de l'espoir de réaliser ses rêves généreux, l'arracha à son travail solitaire et le lança dans la vie active. Nommé professeur à l'École d'administration, fondée pour préparer les jeunes gens aux fonctions publiques, il y exerça une année avec éclat. Le soir, après une journée de labeur pour lui-même, il réunissait dans la salle du Conservatoire, qui lui avait été accordée, les ouvriers désireux de s'instruire et attirait un auditoire nombreux et enthousiaste à ses lectures littéraires (1) et à son cours d'histoire géné(1) Sur ces lectures, voir Sainte-Beuve. Causeries du lundi, tome I. Des lectures publiques du soir, de ce qu'elles sont et de ce qu'elles pourraient être..
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raie. Parmi ceux qui l'entendirent, les survivants pourraient témoigner de cette chaude éloquence, de cet esprit brillant et de cette âme généreuse, qui transportaient un public encore neuf et que n'avaient point imprégné l'ironie et le désabusement. Le gouvernement du Deux-Décembre devait prendre ombrage de ces libres causeries aux travailleurs. La courageuse attitude de Souvestre durant les néfastes journées de 1852, sa complicité dans les évasions de Quinet et de Hugo en faisaient plus qu'un suspect: les conférences ouvrières furent interdites. Mais Souvestre s'était révélé à lui-même et avait pris, dans l'exercice de la parole, le sentiment de son prestige sur la foule. Il songeait à faire, hors d'une patrie dont le régime lui était odieux, des cours de littérature, quand un appel inattendu lui vint de Suisse, où il comptait depuis longtemps des amitiés précieuses, entre autres, celle de Vinet (1). On le pressait de venir faire des conférences littéraires en ce pays, où sa réputation l'avait précédé, où«seslivres se trouvaient dans toutes les mains,où plusieurs.d'entre eux, admis dans les écoles publiques, servaient à l'éducation de l'enfance. »Touché de cette sympathie, qui s'offrait à lui, Souvestre partit pour la Suisse, accompagné de sa famille. Il devait y être « plus heureux qu'il ne l'avait espéré. A Genève, à Lausanne, à Neufchâtel, à la Chaux-de-Fonds, la foule accourut à ses leçons.» Bien plus, « il s'éleva (1) Voir notre étude A. Vinet et É. Souvestre d'après une correspondance inédite, dans les Annales de Bretagne, 1893.
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partout sur son passage comme une rivalité de bienveillance, un conflit de bons offices, d'offres hospitalières, qui lui improvisa une patrie. Cette approbation, cette estime d'un peuple éclairé le remplit de joie ce fut comme une sanction de sa vie entière, et il revint fortifié, raffermi, renouvelé (1). » En quittant la Suisse après un tel triomphe, Émile Souvestre avait pris l'engagement d'y retourner. Le cours de 1853 sur l'histoire des littératures anciennes (qui a paru chez Michel Lévy sous le titre de Causeries littéraires), devait être suivi d'un autre sur la Littérature confemporaine. C'est cet autre, resté inédit, que nous publions aujourd'hui sous le titre, rappelant son aîné, de Causeries littéraires sur le X7X° siècle (1800-1850).
Émile Souvestre mourut subitement l'année même où il devait revoir la Suisse (juillet 1854) mais le cours qu'il y devait faire était prêt il avait assemblé ses matériaux, rédigé ses leçons, au moins en partie. Le texte sans doute n'en est pas définitivement fixé lapensée apparaît sous sa forme première, parfois négligée, familière, mais souvent piquante et toujours vive et spontanée. Le livre (si on peut appeler ainsi un recueil de notes d'ailleurs très soigneusement prises et d'impressions souvent artistement rendues), le livre est inachevé. Des chapitres entiers manquent; le plan indiqué n'est ni exactement suivi (1) Eugène Lesbazeilles Notice sur la vie d'Émile Souvestre. Paris. M. Lévy, 1859.
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ni pleinement exécuté. C'est ainsi que, dans cette histoire littéraire de la première moitié du dernier siècle, la poésie figure à peine et en ses moindres représentants, et le roman pas du tout. D'autres fois, au cours d'un chapitre,le développement n'est qu'indiqué,l'auteur s'en remettant sans doute à l'inspiration de la parole, à la facilité de l'improvisation, qui, chez lui, étaient grandes. Car, il convient de le remarquer, c'est par les dons de l'orateur que Souvestre, en Suisse, avait conquis son public il avait la parole chaude et vibrante, l'accent sincère et prenant, l'art de dire et de lire. Mais il ne laisse pas d'avoir d'autres qualités aussi, plus foncières et qui survivent l'élévation des idées, l'étendue et la pénétration de l'intelligence, la liberté, la droiture et la fermeté du jugement. C'est par là que son œuvre inédite, tout incomplète qu'elle soit, paraît encore digne de voir le jour, exactement un siècle après la naissance de l'auteur.
En vieillissant, elle n'a point perdu de son intérêt. Elle a d'abord la valeur d'un témoignage immédiat, d'une vision directe des événements et des hommes. On a souvent dit ce que la critique gagne à l'éloignement du temps on n'a pas remarqué ce qu'elle y perd. Il y a une acuité d'impression, une verdeur, une âpreté et une vigueur de jugement, qui ne se trouvent que chez les contemporains. Les grands hommes sont, pour la postérité, toujours plus ou moins drapés et figés dans l'attitude glorieuse de statues de leur vivant, au contraire, pour ceux qui les coudoient, ils restent des hommes et, chez leurs
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admirateurs les plus sincères, la familiarité tempère, assaisonne et relève le respect. La postérité de même se croit impartiale elle est simplement détachée, indifférente et enfin oublieuse. Elle est censée planer au-dessus des passions qui ont agité les hommes d'autrefois la vérité est qu'elle n'y entre plus, qu'elle s'étonne de ne les plus éprouver. Aussi fautil se replonger dans les écrits d'une époque pour en retrouver l'histoire, comme l'entend Michelet, c'està-dire pour en sentir battre le cœur et palpiter la vie. Souvestre, faisant connaître à un public étranger la littérature de son temps, est, pour l'information même, en un sens inférieur aux critiques et historiens d'aujourd'hui d'ailleurs il fait œuvre de vulgarisation, non d'érudition et de science mais il a et nous rend la vision concrète du milieu, dans lequel se développent et vivent les écrivains et les oeuvres; il abonde en anecdotes,.bons mots.récits pittoresques; il sait, et indique le détail significatif des événements, il écrit sous le coup des émotions et passions qu'ils soulèvent il sait aussi et indique, d'un trait vif et enlevé, les faiblesses, les travers, les singularités et les manies des hommes célèbres par suite il parle d'eux avec une admiration respectueuse, mais avertie et juste le réalisme, entendez le contact avec la réalité, le sauve de l'idolâtrie et de la superstition des cultes consacrés.
En outre sa critique vaut par elle-même. Elle a le mérite rare, exceptionnel, pour ne pas dire l'originalité, d'une franchise entière. Elle se donne d'abord
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pour ce qu'elle est elle ne se pique point d'être impartiale. Il lui suffit d'être désintéressée et généreuse.
« Nous abordons cette étude, dit-il, comme Tacite abordait l'histoire des Césars, sans engoûment et sans haine. Nous ne vous promettons pas pour cela l'impartialité, cette vertu inaccessible à l'homme, qui ne peut rester en équilibre entre toutes les opinions, qui ne le devrait pas, s'il le pouvait. Il suffit de croire à une vérité pour avoir des affections et des répugnances, pour se faire un devoir de les exprimer sans détour, je ne dis pas sans réserve. Les miennes seront visibles. »
Déclaration sincère. Souvestre a les passions de son temps, de son école littéraire, de son parti politique, de son tempérament, mais il estime qu'il n'y a point faute à les avoir, qu'il y aurait faute seulement, les ayant, à ne pas les avouer.
D'autre part, il ignore les distinctions artificielles, les abstractions forcées il ne sépare point l'histoire littéraire de l'histoire politique et sociale; il demande compte à un écrivain, non seulement de son style, mais de ses idées, de son esprit, de ses tendances, de ses convictions morales, de sa vie, de son caractère, et il démêle et saisit le rapport de tout cela; il porte, à ses risques et périls, sur les hommes ou les œuvres, des jugements densemble, vivants, où tout se tient il n'a point les finesses de là critique analytique et ses partis pris d'impartialité, lesquels ne sont, à y regarder de près, qu'une façon
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honnête de se récuser, de ne pas prendre parti. Quand Souvestre déclare qu'il n'est pas impartial, il veut dire qu'il n'est pas indifférent ou sceptique, qu'il juge selon son esprit et sa conscience, et le parti qu'ils lui dictent, 11lais non pas avec ses passions ou esprit de parti, au sens étroit et fâcheux du mot. Nul n'apporte plus que lui, dans la critique littéraire, d'esprit de justice, d'effort généreux et sincère pour entrer dans la pensée des autres, pour en sentir toute la force, l'étendue et la portée, et pour la rendre dans tout son éclat. Mais si nul esprit n'est plus sympathique et plus ouvert, nul aussi n'est moins complaisant. Le danger serait même que cette nature morale rigide ne montrât en art des sévérités déplacées. S'il rencontre la bassesse, la servilité et la vénalité du caractère (les auteurs de la Némésis, Janin), la mauvaise foi (Veuillot), ou seulement la platitude d'esprit (Odilon Barrot), il les marque d'un trait inoubliable son indignation vertueuse, sa verve spirituelle le rendent, à l'occasion, redoutable et cruel. Il a le propos libre et la dent dure. Il est de ces excellentes gens, dont le coeur est exempt de méchanceté et qui se croient autorisés par là même à donner libre cours à toutes les impulsions et saillies d'un esprit malicieux. Il y a chez lui un satirique sans fiel, amusant et enjoué.
Toutefois sa critique en général est plutôt sérieuse eî, grave. Elle l'est en raison de son caractère dogmatique. Pour être éminemment personnelle, elle n'en part pas moins, en effet, de principes assurés.
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Souvestre n'est point ce qu'on appellerait aujourd'hui un impressionniste. Il ne prend point pour règle ses goûts, au sens où ce mot veut dire sa fantaisie et son caprice. Des convictions fortes et systématiques dictent ses jugements. Il est attentif à relever les progrès qui s'accomplissent dans tous les ordres de la pensée et à assigner à chacun sa part dans le travail commun des esprits. Il signale ce qu'il appelle « les bons désirs », les aspirations généreuses, les conquêtes intellectuelles et morales du siècle.
Mais il met au -service des idées désintéressées ou impersonnelles un tempérament passionné, partant très individuel. Il a l'esprit tranchant, le caractère absolu. Et c'est pourquoi il a raison de ne prétendre point à l'impartialité. Mais on aurait tort de croire que la passion est incompatible avec l'esprit critique. Il ne faut pas dire qu'elle aveugle; c'est elle au contraire qui ouvre l'esprit. Souvestre a la clairvoyance élective. Il comprend ceux qu'il aime; son intelligence est sympathie. Il se laisse conquérir tout entier par le talent et le génie et les élans de son cœur deviennent les lumières de son esprit. S'il est vif dans la critique, il est ardent et enthousiaste dans l'éloge. Son admiration est affinité. Là est le secret de ce talent à pénétrer les âmes, que Vinet reconnaissait en lui. Il l'appelait, dans une lettre, l'écrivain peutêtre de notre époque doué du sens psychologique le plus exquis et le plus profond. »
Mais, pour être entière, la sympathie de Souvestre
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n'est jamais aveugle. Elle se connaît, se juge et se modère. On dirait qu'elle prend ombrage d'ellemême et arrête ses propres élans. Souvestre n'épargne pas ses amis il sait leurs faiblesses, et en livre le secret. 11 a été du parti des Saint-Simoniens; il a connu Michelet et en a subi la séduction et le charme. On peut voir que sa sympathie pour eux n'altère pas la liberté de son jugement. Le même principe, j'allais dire la même coquetterie de conscience, qui l'arme de sévérité à l'égard de ses amis (1), le rend indulgent pour ses adversaires, ou, pour mieux dire, appliqué à saisir leurs qualités réelles, à leur rendre hommage. C'est ainsi qu'il parle avec respect des orateurs royalistes, de leur loyalisme, de leurs qualités morales, de la droiture dfi leur caractère. Souvestre, en un mot, est un passionné qui se défie de lui-même et a souci de la justice.
(1) Le même trait de caractère a été relevé chez sa fille, M11" Marie Souvestre, et défini avec un grand bonheur d'expression par le pasteur C. Wagner (Discours prononcé aux obsèques de M110 Souvestre, 15 avril 1905. « Elle donnait à son amour une certaine forme particulière un peu rare, souvent méconnue, qui est cependant une des formes les plus parfaites de la bonté et en même temps une des manifestations du courage moral je veux dire la sincérité sévère. Elle prenait sur elle-même, quand elle était parmi nous, de nous dire ces dures vérités, qui ne se disent bien qu'en famille. Parfois, quand elle avait affaire à des esprits pour lesquels la critique est de la traîtrise, ses intentions pouvaient être mal interprétées. » Cf. A. Ribot (Paroles prononcées sur la tombe de M11' Souvestre) « Elle exerçait sur les esprits une séduction un peu impérieuse et qui, pourtant, avait beaucoup de chprrre, celui d'une entière et absolue sincérité. »
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Il n'a pas seulement les qualités qui inspirent ou commandent la confiance: la pénétration et la droiture de l'esprit il a encore le charme, le don d'évocation. 11 a dit, en parlant de Mignet, que c'est n'avoir pas de style que d'en avoir un, toujours égal à lui-même, d'une perfection soutenue. Le style, en effet, c'est, pour lui, et c'est, chez lui, le « mouvement », le rythme de la passion. Souvestre s'imprègne du sujet qu'il traite, entre dans l'âme de ses personnages, en reproduit l'accent. Il a, au plus haut degré, ce que Buffon appelle le « ton, la convenance du style à la nature du sujet ». Il définit une œuvre en l'analysant, un auteur, en le citant, en le laissant parler mais il les fait aussi connaître en s'en inspirant, en les imitant, en leur empruntant le tour et la forme de leur pensée; « son style prend le caractère des objets (1) », comme l'animal prend la couleur de son habitat. Ce mimétisme littéraire, cette adaptation de la critique à l'œuvre d'art, cette harmonie qui s'établit entre l'une et l'autre, ce serait même tout l'art de Souvestre, si,après être allé,aussi avant que le peut faire une sympathie intelligente, dans la pensée des auteurs, il ne se dégageait d'eux, il ne reprenait, pour les juger, sa liberté d'esprit et ne finissait sur l'impression personnelle qu'il en a reçue et qu'il en veut garder.
De tout cela résulte une critique très originale, de forme oratoire, pleine de mouvement et de verve, de (1) Expression de Condorcet. parlant de Buffon.
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? malice, d'esprit, d'éloquence et de raison. Elle mérite de rester comme échantillon d'un genre disparu et et comme portant la marque de cette littérature même, dont elle raconte l'histoire.
La famille Souvestre a hésité longtemps à livrer au public cette œuvre inachevée. C'est sur nos instances qu'elle y a consenti. Je suis heureux, un peu fier, et surtout reconnaissant à Mme Beau, la dernière survivante des filles d'Émile Souvestre, de la nouvelle marque de sympathie et d'affection qu'elle me donne, en partageant ma confiance dans le succès, que je ne puis dire que ce livre rencontrera, mais dont je sais bien qu'il est digne.
Je veux remercier ici M. Beck, professeur de Première au lycée de Rennes, d'avoir bien voulu corriger avec moi les épreuves de ce livre et y ajouter un index biographique, qui en fait un instrument de travail précieux.
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CAUSERIES LITTÉRAIRES SUR LE XIXe SIÈCLE
PREMIÈRE LEÇON (1)
La Littérature sous l'Empire
SOMMAIRE
Au commencement du xixe siècle la société était tournée tout entière vers la guerre et l'action. La littérature, reléguée à un rang secondaire, ou était l'objet d'odieuses et mesquines persécutions, ou était enrégimentée au service de l'Empire. Napoléon et son influence littéraire. Étranger à l'art, il ne laissait pas d'exercer un Mécénat politique. Son manque de goût, son amour de la pompe et du convenu. Le jargon poétique de l'Empire les périphrases nobles. Une personnalité indépendante Népomucène Lemercier. En 1815, changement de régime, persistance de l'adulation du pouvoir. Apostasies littéraires. Réaction royaliste. Lois antilibérales. Platitude de l'éloquence parlementaire. La pléiade littéraire de l'Empire et de la Restauration Fontanes, Michaud, A. Soumet, Baour-Lormian, Delrieu, Arnault, Raynouard, Étienne (de Jouy), A. Duval, Picard, Andrieux. Écrivains secondaires Berchoux, Chênedollé, etc. (1) Pour guider le lecteur et lui faciliter les recherches, nous avons mis en tête de chaque leçon un résumé analytique. conformément à l'usage adopté dans la publication de tous les cours. Ces résumés formeront la table des matières à la fin du volume. (Alote de l'Éditeur.)
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Écrivains originaux de Maistre, Bonald, et. au-dessus de tous, Chateaubriand. Son génie novateur, sa prépondérance littéraire. Sa grande oeuvre apologétique les Mémoires d'Outre tombe. Grandeur et mélancolie de cette gloire à son déclin: isolement et orgueil.
Esprit du cours amour de la vérité, non impartialité. La Restauration marque l'avènement des idées modernes, de l'égalité sociale,des grandes fortunes élevées par le travail: Laffitte. A ce régime nouveau répond une littérature nouvelle. Sa division par genres la tribune, le journalisme, la chaire professorale, la chaire sacrée, le barreau le théâtre, les livres (philosophie, histoire, critique, roman, poésie). Causes extérieures du développement littéraire la prospérité économique, la liberté accrues, la paix, la fin de la haine des races. Anecdote. Caractères de la littérature nouvelle au contact des littératures étrangères (le livre de M"1 de Staël sur l'Allemagne sa nouveauté, son influence – les traductions), elle acquiert plus de vérité et de couleur. Résurrection du moyen âge, éveil du sens historique. Éveil du sentiment religieux. Réaction contre le sensualisme. Victor Cousin.
Chaque époque choisit une voie à son activité, et ce choix est préparé par l'époque précédente. Tous les instincts violents, mis en mouvement par la Révolution, trouvèrent une explosion naturelle dans les occupations militaires de l'Empire la nation s'était accoutumée à jouer avec la mort, et la guillotine avait ôté sa terreur au canon. Toutes les âmes, qui sentaient en elles quelque énergie, se tournèrent vers ce sanglant tournoi, où se distribuaient la gloire, la fortune et les couronnes. En consultant la biographie des grands artistes contemporains, on voit que tous ont débuté dans les lycées impériaux par des aspirations guerrières, et, si la lutte eût pu se conti nuer, la plupart, sans doute, auraient cherché sur
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les champs de bataille ce qu'ils ont trouvé depuis dans les lettres ou dans les arts. Un des plus beaux privilèges des organisations supérieures est de pouvoir donner ainsi à leur supériorité le caractère du temps les hommes, nés exclusivement pour une seule chose, sont rares le plus grand nombre (et je parle des meilleurs), le plus grand nombre obéit au siècle, en portant sa force là où Dieu a mis le travail. Il y a, dans chaque période de l'humanité, un courant sur lequel s'embarquent les destinées; bien peu songent à le remonter.
L'Empire emportait donc tous les génies vers la guerre; on ne chantait point alors l'Iliade; on en faisait une, dont l'Homère était Napoléon. Dans ce temps, nos Corneille, nos Molière, nos Bossuet, nos Voltaire se nommaient Montebello,Masséna, Drouot, Ney ou Murat. Le drame, la poésie, l'histoire et la philosophie de la France s'écrivaient en lettres sanglantes sur la carte de l'Europe le titre de chaque chapitre était le nom d'un champ de bataille. Quant à la République des lettres, elle avait eu le même sort que l'autre. Le nouveau maître s'était déclaré l'ennemi des idéologues, et la police, qui ne s'est jamais piquée de comprendre rigoureusement le français, crut que l'on désignait sous ce nom tous ceux qui ne louaient pas suffisamment l'Empereur. De là des entraves et des persécutions inouïes. On en revenait sans cesse à la fable de l'Ours et l'amateur des jardins. Que de pavés lancés ainsi à la tête du maître, pour écraser une mouche qu'il ne sentait pas Tantôt c'était un petit opéra de Dupaty, où la police avait l'esprit de découvrir, dans des laquais
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jouant des grands seigneurs, une allusion à la nouvelle cour, et qui exposait l'auteur à un embarquement pour Saint-Domingue tantôt c'était l'Édouard en Ecosse d'Alexandre Duval, coupable d'avoir été applaudi, à la première représentation, par une loge de royalistes, et où l'intérêt, jeté sur un prétendant, semblait dangereux. Un des personnages, qui, dans le drame, refuse de boire à la mort du prétendant, devait briser son verre; Fouché s'y opposa formellement, dit l'auteur, voulant sans doute le garder pour boire encore à la mort de quelqu'un. Enfin, Mme de Staël, après avoir soumis son livre à la censure, vit l'édition entière saisie et lacérée par ordre du préfet de police, qui motiva sa violence « sur ce que nous n'en étions pas réduits à chercher des modèles dans les peuples dont l'auteur faisait l'éloge » 1
Nous pourrions multiplier à l'infini les faits du même genre. La littérature en était arrivée à ce point que le silence même ne lui était plus permis. Lors du couronnement, les auteurs dramatiques furent appelés au ministère de police, et reçurent l'ordre de faire chacun une pièce pour la circonstance. Défense de refuser On était tenu d'être inspiré sur le sujet donné, et il fallait avoir de l'esprit. par ordre supérieur. Les pièces imprimées prouvèrent que, sur ce dernier point du moins, la désobéissance fut générale.
Napoléon apportait dans ceci, comme dans tout le reste, l'esprit des races latines, dont il était l'expression suprême :,esprit plus organisateur qu'inventif, qui confond l'unité avec l'uniformité et ne comprend l'ordre que par l'absolu. Dans cette nation, dont il
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avait fait une armée, il voulait bien une petite place pour les Muses, comme on disait alors, mais à condition qu'elles seraient enrégimentées, ornées d'une seule cocarde, et prêtes à donner au signe du chef. En réalité, art, littérature, sciences, religion même, tout cela n'était, pour lui, que des moyens secondaires. La force, exprimée par la guerre, voilà où était, à ses yeux, la véritable impulsion; tout homme lui semblait être né soldat, et ne pouvoir être autre chose qu'en dérogeant à sa destinée naturelle; aussi eût-il volontiers traité les écrivains insoumis, comme ces séminaristes de Gand qui, pour n'avoir pas voulu laisser leur foi par ordonnance, furent brusquement transportés à Wésel et incorporés dans l'artillerie. Un fait, entre mille, prouvera jusqu'à quel point les préoccupations militaires étaient chez lui persistantes et exclusives. Lors du Concordat, la cour de Rome lui fit savoir que l'on avait découvert, dans sa famille, un ecclésiastique, mort en odeur de sainteté et qu'on lui proposait de canoniser. Napoléon se laissa tenter. Au moment où le catholicisme se relevait en France, un parent, qui passait parmi les saints, pouvait servir sur la terre, en attendant qu'il servît dans le ciel cela relevait d'ailleurs la famille, et Napoléon avait tant fait pour les membres vivants qu'il pouvait bien faire quelque chose pour les morts. La négociation fut donc poursuivie et menée à fin. Seulement les frais de canonisation devaient monter à près d'un million. Le futur Empereur trouva la somme exorbitante cependant il allait consentir à en faire la dépense il avait déjà pris les papiers des mains de l'ecclésiastique, qui s'était entremis
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pour l'affaire, et il tenait la plume pour signer. Mais le chiffre lui blessait l'ceil. « Un million », répétaitil, « eh monsieur l'abbé, savez-vous qu'à ce prix-là un saint, dans une famille, est un objet de luxe Un million » Et s'arrêtant tout à coup « Eh j'y pense », s'écria-t-il, « c'est de quoi lever deux bataillons L'abbé, reprenez vos titres, je renonce à avoir un des miens dans le calendrier. »
Pour revenir à la littérature, Napoléon la jugeait, parce que son omnipotence l'obligeait à décider de toutes choses; mais la vérité vraie, (celle que l'on ne lui disait point), c'est qu'il n'en avait ni la connaissance ni le goût. Une œuvre ne le frappait jamais, par ce qui faisait sa valeur comme art, mais par son côté politique. Dans le poète, il ne cherchait que le fonctionnaire à utiliser. Il disait de Corneille « S'il eût vécu de mon temps, j'en eusse fait un conseiller d'État ». Il eût placé Montesquieu au sénat, sous la condition de ne pas écrire l'Esprit des Lois. Lorsqu'il hasardait une critique, elle trahissait sa préoccupation politique et son manque de sens littéraire. Un jour Legouvé lui lisait sa tragédie de la Mort de Henri IV; arrivé à ce vers, où le Béarnais pressent quelque malheur prochain, et dit
Je tremble, je ne sais quel noir pressentiment. il interrompit brusquement Talma, qui faisait la lecture, en s'écriaht « Un roi ne peut dire qu'il tremble. comme un homme ordinaire; mettez plutôt Je frémis. » Et l'auteur s'empressa d'adopter cette curieuse correction, qui fit pousser des cris d'admiration à toute la cour.
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Outre sa puérilité, elle révélait le goût de l'Empereur pour la pompe et pour le convenu. Certes, il y avait chez lui de la vraie grandeur, mais sans simplicité. Sublime parvenu, il n'était point à l'abri de la faiblesse ordinaire à ses pareils, et il étalait un peu trop son manteau impérial. Aussi son influence contribua-t-elle à exagérer la rhétorique fleurie, dont on enguirlandait toutes choses. L'Empire fut l'âge d'or des périphrases. Sous prétexte de noblesse, la poésie n'appelait plus rien par son nom. Le café était devenu la féve de Moka; le sucre, le miel américain le papillon, un insecte parvenu, de lui-même étonné la toile s'appelait un chanvre salutaire; pour ne pas nommer le Nil et ses débordements, on disait le fleuve qui, sur lémail des prés, égare les poissons etles épingles s'appelaient, en poésie, des dards utiles à la beauté. L'hôtel Rambouillet, comme vous le voyez, était de beaucoup dépassé.
Ajoutez à ces logogriphes ingénieux une profusion de souvenirs mythologiques, et vous comprendrez la fadeur d'une littérature tout artificielle, qui n'avait ni la liberté de la forme ni le souffle de la passion. Il n'y eut que trois exceptions, qui, en sortant du cercle conventionnel, ameutèrent contre elles presque tous les écrivains et excitèrent le courroux de l'Empereur; car les indépendances sont tellement solidaires, que les trois seu!s auteurs, qui voulurent la liberté pour leur génie, la voulurent aussi pour leurs actions, et qu'ils devinrent en même temps trois innovateurs et trois suspects. Longtemps persécutés à différents titres, il y en eut deux, Chateaubriand
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etMme de Staël, qui se réfugièrent dans la gloire. Le troisième, moins heureux, ne put attacher son nom à aucune œuvre persistante; la parole manquait à son audace; il resta toujours ce qu'était, diton, Démosthène avant l'emploi des cailloux la voix confuse et bégayant. C'était Népomucène Lemercier, sifflé, pour avoir essayé la comédie antique dans Plaute, resifflé, pour s'être affranchi de la règle des trois unités, et surtout pour avoir mêlé la comédie au drame, dans son Christophe Colomb meurtri par vingt autres chutes, dans lesquelles il y avait les éléments de vingt triomphes, et faiblement dédommagé de tant d'épreuves par le succès, déjà oublié, de Pinto. Il a été la preuve que l'invention, la force, la profondeur même ne peuvent faire vivre une œuvre sans le style; que celui-ci est seul souverain, et que nous sommes tous enfin, plus ou moins, pour le livre dont la forme nous charme, ce que le Misanthrope est pour Célimène, prêts à dire comme lui, quelques défauts que nous y apercevions sa grâce est la. plus forte (1).
Lorsque l'Empire s'écroula enfin, on put espérer qu'il envelopperait sous ses ruines la littérature fac(1) Cas littéraire curieux, et finement analysé, que celui de ce génie malheureux, qui avait tous les dons, et à qui manqua toujours l'inspiration. Ce cas est précisément l'inverse de celui du poète Tynnichos, génie médiocre, qui, en un jour d'inspiration, s'éleva au-dessus de lui-même (PLATON, Ion), et de tant d'autres, parmi les plus grands, qui arrivèrent à la gloire une fois, p"" hasard, hommes de génie ordinaire et commun, peutêtre, comme dit Platon, mais « par la bouche » desquels « le Dieu a chanté ». (Ex Rouget de l'Isle, l'abbé Prévost, Bernardin de Saint-Pierre, Arvers, etc.) (Note de l'Éditeur.)
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tice qu'il avait encouragée, que, dans une atmosphère plus calme et plus libre, des voix nouvelles s'élèveraient mais il fallait pour cela un peu de temps. Toutes les grandes révolutions font autour d'elles une poussière, qui obscurcit quelque temps les intelligences. On ne s'occupa guère d'abord que du grand changement qui venait de s'accomplir chacun songeait à s'en défendre ou à en profiter. On eut de nouveau la preuve que, dans ces crises sociales, la moralité n'appartient à aucune opinion, que les passions différentes produisent les mêmes crimes et que la cruauté n'est pas le privilège d'un parti, mais hélas! 1 celui de la victoire. Il y eut une émulation d'apostasie et de lâcheté les hommes, qui avaient tourmenté la langue, pendant dix ans, pour inventer de nouvelles formes d'adulation pour l'Empereur, la fouillèrent avec un nouvel acharnement pour y chercher contre lui des anathèmes et des injures. Un de ses chapelains, l'abbé de Pradt, qui s'intitulait naguère l'aumônier du Dieu Mars, publia une brochure, dans laquelle il l'appelait l'ogre de Corse. Les cours impériales, devenues des cours royales, faisaient allumer des feux de joie pour brûler les portraits, les bustes, les gravures, qui rappelaient l'usurpateur et venaient danser autour, en toque et en robe rouge. La chose eut lieu à Orléans et dans le département de l'Aude. Les Académies épurées, c'est-àdire privées de leurs membres les plus illustres, tels que Monge, Arnault, Carnot, réunissaient tout ce qui leur restait de fleurs fausses, au service des précédents gouvernements, pour offrir un bouquet de rhétorique au descendant de Saint Louis. Les historiens de
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Rome nous racontent que, pendant la guerre civile, un cordonnier du quartier de Suburre avait élevé deux corbeaux qu'il devait produire, selon les résultats de la lutte, et dont l'un savait crier Vive César! et l'autre Vive Pompée Toute la France officielle avait imité ce cordonnier seulement, par suite des progrès de la civilisation, elle n'avait qu'un corbeau qui savait jeter alternativement les deux cris. De leur côté, les royalistes, qui n'avaient rien appris ni rien oublié », (et par malheur ils étaient nombreux), réclamaient le rétablissement de l'ancien ordre de choses. Les uns exigeaient les trois coups d'encensoir, dont leurs aïeux avaient toujours été honorés par le curé de la paroisse; les autres, le pain bénit. Tous demandaient la restitution des biens confisqués aux émigrés, c'est-à-dire le bouleversement de la propriété nouvelle. On avait rétabli les mousquetaires rouges, en attendant les gardes du corps, et le public venait voir dîner le roi. Ajoutez les demandes de places, de pensions, de croix de Saint-Louis à laquelle on ne pouvait prétendre qu'en prouvant qu'on était catholique, les innombrables réclamations pour services rendus à la royauté. Pendant quelque temps, tout le monde se trouva avoir servi parmi les émigrés, ce qui faisait dire au prince de Condé « C'est singulier, là-bas je n'avais que quelques régiments ici, je me trouve avoir eu une armée. »
Mais ce n'était là que la parade du nouveau règne; derrière se jouait la tragédie. Je ne parle point des massacres des protestants, sous les yeux des autorités qui laissaient faire, des généraux assassinés, comme
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Brune des cours prévôtales, imposant silence aux défenseurs et enlevant au roi le droit de grâce, de l'horrible misère des campagnes, ruinées par les armées étrangères,et où le pain valut jusqu'à un franc la livre mais deux faits donneront idée de l'abaissement auquel était descendue la conscience publique. Lorsque Labédoyère fut exécuté, on réclama de sa veuve non seulement les frais du procès, auxquels il avait été condamné, mais une gratification pour les soldats, qui avaient fusillé son mari. La justice voulait bien tuer, mais ne faisait pas les frais de la mort. En 1793, elle avait moins d'ordre, elle vous guillotinait gratis.
Le second fait est encore plus significatif, parce qu'il est d'ordre plus général. Il se rapporte à M1" de Lava- lette qui, comme vous le savez, aida sa mère, lorsque celle-ci se substitua, dans la prison, à son mari, condamné à mort, et réussit ainsi à l'arracher aux vengeances politiques. M"' de Lavalette avait alors à peine quinze ans, et était élevée dans un des principaux couvents de Paris. Elle y rentra aussitôt après l'évasion, mais ses compagnes, qui appartenaient a des familles royalistes, refusèrent de lui parler, et les mères accoururent déclarer à la supérieure qu'elles retireraient, toutes, leurs filles, si on ne chassait pas une malheureuse, qui avait donné un si mauvais exemple. Ce fut le mot dont on se servit. Le mauvais exemple, c'était d'avoir sauvé son père 1 Elle fut forcée de quitter le couvent.
Louis XVIII était fort loin d'approuver de tels excès c'était un prince éclairé, sans vives passions, qui se fût accommodé d'une liberté modérée,
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mais, dans sa propre cour, on le traitait do Jacobin. Les attaques lui venaient surtout de ceux qui s'étaient déclarés plus royalistes que le roi elles furent portées jusqu'aux dernières limites de la calomnie. Il entendit un député du côté droit dénoncer à la tribune M. Decazes, son ministre favori, sa doublure constitutionnelle, comme il l'avait avoué publiquement, et le déclarer complice de l'assassinat du duc de Berry. Autant accuser le roi luimême de ce crime Mais rien n'arrêtait les passions royalistes la monarchie -avait alors sa Montagne, comme autrefois la République on peut en juger par les écrits et les discours du temps. Dans la discussion d'une loi, qui prononçait la peine de la déportation contre ceux qui se rendraient coupables de cris séditieux, un M. Piet avait dit tranquillement « Je propose une légère interversion dans les termes des deux premiers articles, la substitution de la peine de mort à celle de la déportation ce changement, comme on le voit, est bien peu de chose. »̃ Et la Chambre ne fut nullement scandalisée. La forme était digne du fond, et l'éloquence à la hauteur des sujets. Un de mes compatriotes, M. Duplessis de Grénédan, montait à la tribune pour proposer le rétablissement de la potence, qui avait surtout, disait-il, l'avantage d'attacher une honte indélébile à la famille du condamné, et s'écriait à ce propos « Heureux le peuple chez lequel la tache d'un seul crime se transmet de père en fils! a M. de Béthisy, parlant de Henri IV, à la Chambre introuvable, l'appelait « le diable à quatre d'adorable mémoire ». M. de Marcellus, célèbre par son ode
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sur l'ail, proclamait, à propos de la Charte, « que ta liberté est la plus dangereuse passion du cœur humain. » ire avait
A la phraséologie alexandrine de l'Empire avait succédé une autre série de lieux communs c'était l'alliance de l'autel et du trône – le volcan révolutionnaire le drapeau de Bouvines. Les différents membres de la famille royale avaient leurs patrons obligés dans l'histoire; on appelait Louis XVIII le successeur de Charlemagne, à cause de sa Charte octroyée, qui rappelait les Capitulaires le duc de Berry était LE petit fils de Henri 1 V, parce qu'il aimait la chasse et le vin le duc dAngoulême, le descendant de Saint Louis, parce qu'on le savait dévot le comte d'Artois,l'héritier de François 2«, parce qu'on lui avait connu plusieurs Diane de Poitiers. Tel était le fond, que la presse variait en prose et en vers. Nous parlons de la presse royaliste, car il en existait déjà une autre, dont l'opposition grandissait chaque jour. M. Fleury avait dit, en parlant du retour des Bourbons « Tout ira bien, s'ils viennent chez nous tout ira mal, s'ils viennent chez eux. » Malheureusement, faute de comprendre le temps, ou plutôt, emportés sur la pente fatale de leur situation, ils avaient repris possession de la France, comme d'un bien de famille reconquis le roi, en montant sur le trône, effaçait d'un mot toute l'histoire contemporaine et datait son premier acte de la dix-neuvième année de son règne. On blessait le sentiment national, en célébrant des services solennels en souvenir de Moreau et de Pichegru, qui s'étaient vendus aux ennemis de la France on outrageait la
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morale publique, en honorant la mémoire de Cadoudal et de ses compagnons de la machine infernale, horribles prédécesseurs de Fieschi on rétablissait partout les couvents on laissait certains fonctionnaires, pour faire preuve de zèle, créer des conspirations, qui conduisaient une foule de malheureux à l'échafaud et un préfet, M. de Chabrol, était conduit à déclarer, dans une lettre adressée au ministre, le 27 octobre 1816, que « le complot de Lyon était imaginaire et que, si l'on avait prononcé des condamnations, c'était seulement par égard pour ceux qui l'avaient inventé. » Des têtes coupées par égard Il était difficile de porter plus loin le respect pour la vieille politesse française.
Si je m'arrête sur ces tristes détails, ce n'est pas pour accuser, mais pour expliquer. La littérature est la voix du siècle; pour bien comprendre ce qu'il dit, il importe de savoir ce qu'il fait. La pauvre littérature des premières années de la Restauration est la conséquence des pauvretés, niaises ou sanglantes, de la société qui se reconstituait l'histoire du temps justifie ses livres. En réalité, le mouvement intellectuel fut d'abord modifié plutôtque renouvelé. Pour la littérature, comme pour l'armée, c'étaient les mêmes soldats; on avait seulement pris un nouvel uniforme.Or,avant d'aller plus loin, il importe de dire un mot de ces vétérans littéraires de l'Empire, auxquels nous ne reviendrons plus. Ce sera un dénombrement, à la manière de l'Iliade, auquel il ne manquera que des héros et un Homère.
Delille et Millevoye étaient morts, laissant leur héritage aux poètes de leur école. C'était d'abord
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Fontanes, médiocrité élégante, qui avait commencé sa réputation dans le Mercure et YAlmanach des muses, était parvenu, par des influences de salon, à une haute position politique, et qui, après avoir eu, pendant dix ans, le monopole des madrigaux officiels à l'Empereur, se délassait de ses apothéoses, à la Chambre des pairs, en condamnant à mort le maréchal Ney.
C'était Michaud, l'auteur du Printemps d'un proscrit et de l'Histoire des Croisàdes, qui oubliait, dans les transports royalistes de la Quotidienne, le temps où il écrivait des vers comme ceux-ci:
Oh! si jamais des rois et de la tyrannie
Mon front républicain subit le joug impie,
La tombe me rendra mes droits, ma liberté
Et mon dernier asile est l'immortalité.
C'était Alexandre Soumet, véritable talent, caractère aimable, mais qui devait toujours flotter, comme Népomucène Lemercier, entre d'anciennes formes et des aspirations nouvelles.
C'était Baour-Lormian, illustre surtout par les épigrammes de Lebrun, fade traducteur du Tasse et d'Ossian qui, pour obtenir la faveur de la Restauration, se posait en victime de l'Empire, et allait, répétant partout, avec son accent languedocien.* que ce tyran de Buonaparte l'avait forcé de recevoir,pendant dix années, une pension de 6.000 francs, total 60.000 francs » ajoutait-il,et, à ce chiffre, il s'attendrissait sur une persécution si obstinée.
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C'était Delrieu, gascon parisien, qui, après avoir fait des couplets, en 1793, à la gloire de la Montagne, plus tard une ode sur la naissance du roi de Rome, était resté exhaussé par le succès de sa tragédie d'Artaxerce comme par un piédestal, et allait, chaque fois que cette pièce était jouée, faire une station devant chaque affiche de théâtre, en murmurant de manière à être entendu des passants « On joue donc cette magnifique tragédie d'Artaxerce. du vrai Corneille J'irai ce soir aux Français. »
C'était Arnault, poète un peu sec, mais énergique, esprit fin, imagination facile, que la réaction royaliste exila, et qui, dans une dernière promenade, voyant la bise d'automne emporter une feuille flétrie, trouva cette charmante inspiration, voilée d'une mélancolie discrète
De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,
Où vas-tu? – Je n'en sais rien.
L'orage a brisé le chêne
Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine,
Le Zéphyr ou l'Aquilon,
Depuis ce jour, me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans me plaindre ou m'effrayer;
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la, feuille de laurier. »
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Il y avait encore Raynouard, qu'avait fait connaître sa tragédie des Templiers, intelligence choisie et cœur de bon aloi, qui traversa trois règnes, en ne laissant, après lui, que des actes et des œuvres, dont il pouvait s'honorer.
Puis, Victor Étienne, né à Jouy,dont il prit le nom; espèce de Joconde littéraire, qui avait parcouru beaucoup de pays et de professions, tantôt militaire dans la Guyane et dans l'Inde, tantôt réfugié en Suisse, tantôt attaché à la censure impériale faisant applaudir son Ermite de la Chaussée d'Antin, pâle résurrection du Spectateur anglais, qu'on s'efforcerait en vain de lire aujourd'hui, et obtenant dans ses tragédies de Bélisaire et de Sylla un succès de scandale, grâce à la perruque de Talma, qui rappelait la coiffure de l'Empereur.
Quelques autres auteurs étaient depuis longtemps en possession de la vogue au théâtre, tels qu'Alexandre Duval, dont la méchante prose et les plus méchants vers se cachaient assez habilement dans des combinaisons d'un effet scénique; Picard, nouveau Dancourt, plein d'observation, d'instinct comique et d'heureuses rencontres, mais qui, faute de verve, laissait avorter toutes ses créations. « 11 pond bien son œuf », disait spirituellement Lemercier, « mais il ne peut jamais le faire éclore ». On devait à Étienne Les deux gendres, la meilleure comédie en vers de l'Empire, à Andrieux Les étourdis et Le manteau, outre quelques contes qui rappelaient l'élégante facture de Voltaire.
Au-dessous de ces talents, plus ou moins incomplets, mais réels par certains côtés, venait se grou-
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per une phalange de poètes douteux, Hollevault, Berchoux, Boisjolin, Castel, Tréneuil, Chênedollé, Parseval-Grandmaison, pâles clairsde lune de Delille. Plusieurs génies, originaux ou vigoureux, n'ont pu être compris dans cette rapide nomenclature ce sont ceux qui s'étaient tenus loin du courant de l'Empire et appartenaient, soit par les idées, soit par le style, au monde littéraire, qui devait surgir de la Restauration, bien plus qu'à celui qui allait insensiblement s'y éteindre. A cette avant-garde brillaient Joseph de Maistre et de Bonald, que nous retrouverons à leur place dans le travail intellectuel contemporain; mais surtout Chateaubriand, le véritable initiateur, qui, dans l'ordre littéraire, comme dans l'ordre politique, s'efforçait de relier la tradition antique à la tradition révolutionnaire, et jetait sur ce déluge l'arnen-ciel de sa poésie comme une arche d'alliance. L'auteur du Génie du Christianisme est en réalité l'anneau qui relie l'Empire à la littérature de notre temps: fils du premier et père de la seconde, il a vécu 1. avec tous deux. 1 L'histoire des lettres contemporaines commence | forcément à lui ah Jove principium. Telle a été la 1 destinée de Chateaubriand que tous les glorieux I élans, imprimés à la littérature nouvelle, sans sa I participation, souvent à sa grande colère, lui ont été attribués. Certains hommes naissent ainsi avec je ne 1 sais quel don de souveraineté ils prennent posses- S sion de la gloire, comme nos anciens rois de France prenaient possession du trône tout se range naturellement au-dessous d'eux, tout se fait en leur nom la grandeur des autres, au lieu de les abaisser, les
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exhausse. Le génie ne suffit point pour cela, il faut encore naître à l'heure voulue, il faut avoir l'instinct qui pousse vers les hauteurs plutôt que vers les vallons, savoir tout ramener à sa personnalité et ne rien dépenser de soi-même qu'à son profit; se servir des circonstances sans les servir s'estimer, enfin, constamment assez supérieur aux autres, pour accepter cette tranquille souveraineté des rois par la grâce de Dieu. Ce fut ainsi que se fonda, en Allemagne, la royauté littéraire de Goethe, en France, celle de Chateaubriand.
Que dire de la vie de ce dernier après lui-même t Tout le monde a lu cette magnifique glorification de sa personnalité, à laquelle il a donné le titre de I Mémoires d'outre-tombe. Jamais gentilhomme, jamais poète ne s'était traité avec cette admiration respectueuse. Pour l'Odyssée, dont il était lui-même le héros, notre nouvel Homère a épuisé tous ses trésors grâce, éloquence, hardiesse, splendeur, rien nemanque rien, pas même l'épigramme, pas même l'éclair joyeux Triste pour tout le monde, René s'est fait violence pour sa propre personne; n'avoir à parler que de lui seul l'a égayé; Trop attendus et trop mal appréciés dans un journal, qui en jetait, chaque jour, une feuille au vent de la publicité, les Mémoires d'outre-tomhe n'ont pu conquérir toute l'admiration à laquelle ils avaient droit. L'homme et les faits étaient d'ailleurs trop près de nous il y avait dans chaque esprit des sentiments qui discutaient l'auteur on plaidait tout bas contre lui-; on ne pouvait consentir à se laisser conduire, comme Dante par Virgile, à travers son Enfer et son Paradis.
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Mais le temps apaisera ces résistances des opinions; • plus désintéressé sur les hommes et sur les choses, on s'abandonnera naïvement aux enchantements du récit, on laissera le siècle entier tourner autour de cet orgueil, qui se chante en un si merveilleux langage, et on s'oubliera devant cet admirable monument où, au lieu de graver comme sur notre Panthéon Aux grands hommes la patrie reconnaissant. l'auteur aurait pu écrire Un grand homme reconnaissant. à lui-même r
Au reste, nous l'avons déjà dit, tout avait favorisé, chez Chateaubriand, cette prodigieuse estime de luimême. Son génie accepté était sorti de la discussion vivant, il assistait, peur ainsi dire, à la postérité Sa ville natale lui offrait un rocher, battu par la mer, sur lequel il disait construire d'avance son tombeau, comme s'il eût voulu autant de bruit autour de son sépulcre qu'il en avait eu autour de sa vie. La dynastie, qu'il avait présentée à la France comme son salut, était balayée dans une révolution et, loin d'en recevoir le contre-coup, il était porté en triomphe par les vainqueurs de Juillet qui venaient de détrôner son vieux maître. Sous le règne de LouisPhilippe, une maladresse ministérielle le faisait arrêter, comme complice de complots légitimistes, et le préfet de police, chargé de l'emprisonner, lui offrait son salon, les commis de la geôle lui adressaient des vers, les guichetiers lui demandaient un autographe. Évidemment la persécution ne pouvait plus 1 atteindre son nom marchait partout devant lui et lui faisait faire place s'il venait à passer, on se découvrait; s'il parlait, tout le monde faisait silence. Prodigieux
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triomphe, sans doute, mais fatigant à la longue tant d'admiration l'isolait. Chateaubriand finissait par n'avoir plus d'interlocuteurs, parce que tous s'interdisaient la contradiction; à force de déférence pour cette gloire, on la laissait plongée dans le calme des sanctuaires. L'illustre vieillard, qui avait entendu si longtemps les applaudissements et les huées, qui s'était animé à la fièvre de tous les combats et aux enivrements de tous les triomphes, n'était plus qu'une sorte de monument vénérable, devant lequel la foule passait respectueusement muette. Une tristesse profonde le saisit au milieu de ce culte solennel rendu à son génie. Il déplorait amèrement la fuite de la jeunesse, la venue des infirmités il prétendait avoir perdu l'ouïe. Comme on l'en plaignait ̃ devant une femme qui le connaissait « Laissez donc, dit-elle en riant, il se croit sourd, parce qu'il n'entend plus parler de lui. » Vérité plaisante et cruelle à la fois i Il était trop vrai que l'insatiable orgueil du vieillard ne pouvait s'accommoder de cette admiration universelle, mais sans bruit il devenait chaque jour plus morose; il jetait sur la société qui l'entourait un regard de dédain et presque de colère il ne pouvait comprendre à quoi servait encore ce monde, dont il ne faisait plus partie son rôle terminé, il ne s'expliquait point pourquoi la pièce continuait encore. C'est que, les yeux obstinément attachés sur lui-même, il n'avait point remarqué l'arrivée de nouveaux acteurs et les changements progressifs qui s'étaient accomplis dans le drame littéraire et social, dont il avait occupé les premiers actes. Or, ce drame est celui que nous voulons dérouler
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devant vous, non point en tous ses détails, mais en suivant ses grandes scènes et ses principaux personnages. Témoin obscur des premières, interlocuteur désintéressé des seconds, nous abordons cette étude, comme Tacite, abordait, dit-il, l'histoire cHs Césars, sans engoûment et sans haine. Nous ne vous promettons pas pour cela l'impartialité, cette vertu des anges, inaccessible à l'homme, qui ne peut rester en équilibra entre toutes les opinions, qui ne le devrait pas, s'il le pouvait. Il suffit de croire à une vérité pour avoir des affections et des répugnances, pour se faire un devoir de les exprimer sans détour. je ne dis pas sans réserve. Les miennes seront visibles et ne correspondront pas, sans doute, à celle de tous mes auditeurs. Plus d'une fois, j'irai heurter, à mon insu, des opinions arrêtées, des goûts personnels, des préjugés peut-être. car les auditeurs en ont, comme les professeurs. Tout ce que je demande, dans ce cas, c'est qu'on me pardonne de ne pas voir et sentir comme on a vu et senti. Aux plus indulgents je demanderai même de ne point tenir, de parti pris, à leurs premières opinions, de les examiner de nouveau, en contrôlant la mienne, et de voir s'il n'y aurait point par ici un peu de vérité. L'appréciation des contemporains est chose difficile et toujours soumise à l'appel. Nous les voyons de trop près, nous les regardons à travers nos intérêts ou nos passions de là tant de jugements entièrement contradictoires. Chacun lés a regardés par un certain côté; et il en résulte autant de sensations différentes. Nous n'acceptons le portrait ques'iLaété peint de notre point de vue d'où l'on peut con-
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clure que la ressemblance résulte surtout de la sympathie entre le peintre et le public. A ce titre j'ai quelque confiance que nous pourrons nous entendre, et il se pourra peut-être qu'à force de bienveillance vous me trouviez raison (1 ).
Je vous ai dit tout à l'heure les premiers excès de la Restauration et les tendances rétrogrades, auxquelles le bon sens du roi s'efforçait de résister; mais une barrière plus forte s'opposait à la reconstitution de l'Ancien Régime, c'étaient les résultats bienfaisants de la Restauration elle-même. La paix avait ranimé partout le commerce anéanti les capitaux rassurés se portaient vers l'industrie; à ce bruit de canons et de tambours, qui avait étourdi la France pendant vingt ans, succédait la joyeuse rumeur du travail. Toutes les carrières avaient été ouvertes à l'activité nationale par les admirables conquêtes de 1789; chacun prenait sa place au travail universel, non d'après le hasard de la condition, mais selon les capacités que Dieu lui avait données, et, dans ce concours général offert aux plus intelligents, aux plus probes, aux plus laborieux, un mouvement continuel d'ascension reportait de bas en haut le meilleur sang de la nation. Mais, par suite, le principe d'égalité chrétienne grandissait dans la société on se désaccoutumait tous les jours davantage (1) Le manuscrit porte ici l'indication d'un renvoi, mais rien de plus. Peut-être l'auteur, qui n'était pas un inconnu pour son public, voulait-il faire allusion à la sympathie, qui avait accueilli lecours de littérature ancienne, qu'il avait fait en Suisse en 1853, et exprimait-il l'espoir que cette sympathie lui serait continuée pour les leçons présentes. (Note de l'Éditeur.)
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de demander à chaque homme d'où il venait; on voulait savoir seulement ce qu'il valait, et lui-même s'honorait de sa position acquise, sans songer à cacher son origine. Pendant des siècles, les hauts emplois et les grandes fortunes avaient été exclusivement aux mains de l'aristocratie de naissance maintenant la plupart des places étaient occupées par ce qu'on eût appelé autrefois des parvenus, et la grande industrie, la haute finance avaient à leur tête des bourgeois comme Périer, des fabricants comme Ternaux, des fils d'ouvrier comme Laffitte. Ce dernier surtout était un exemple éclatant de ce que pouvait la valeur personnelle. Né à Bayonne d'un pauvre charpentier, il eût dû, sous l'ancienne monarchie, apprendre le métier de son père; grâce aux écoles gratuites, établies pour le peuple, il put acquérir une instruction élémentaire, entrer chez un notaire d'abord, puis chez un négociant. Il n'avait pas vingt ans, lorsqu'il se hasarda à partir pour Paris. On lui avait fait espérer une place dans la maison de banque de M. Perregaux, mais celui-ci le reçut très froidement et, après l'avoir interrogé, lui déclara qu'il verrait plus tard, qu'il pouvait revenir dans quelques semaines 1 Au mot de quelques semaines, le jeune postulant tressaillit; il possédait à peine de quoi attendre quelques jours. Cependant il salua, et, traversant le vaste bureau où il avait été reçu, il gagnait la porte, triste et préoccupé, lorsque, apercevant à terre une épingle, il se baissa machinalement, la releva et la piqua à la pelote, posée sur l'un des pupitres. M. Perregaux, qui le suivait de l'œil, le rappela. « Pourquoi avez-vous
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relevé cette épingle? » lui demanda-t-il. « Mon Dieu 1 je ne sais », dit le jeune homme en rougissant, « elle était à mes pieds, et je ne puis voir les choses hors de leur place. » Le banquier, frappé de cet instinct d'ordre, l'interrogea de nouveau et finit par lui dire:-« Restez, nous trouverons à vous employer. » Il fut en effet chargé de la tenue des livres et rendit de tels services que, quelques années après, la maison Perregaux, enrichie par ses soins et ses conseils, le prenait pour associé encore quelques années, et il était nommé régent de la Banque de France, en attendant la députation et le ministère.
Pendant que ces merveilleuses fortunes exprimaient si haut, et d'une manière si triomphante, la profonde révolution qui s'était accomplie, la liberté, que l'on devait à la Charte, aidait à consolider les droits conquis et tendait à les agrandir. Un double mouvement, l'un qui emportait en avant, l'autre qui ramenait an arrière, imprimait à l'ensemble des secousses continuelles, qui pouvaient enfiévrer parfois, mais qui entretenaient la vie publique. Entre ces deux efforts contraires, se tenaient les esprits modérateurs, qui eussent voulu parcourir la chaîne des temps, anneau par anneau, sans brisure, et faire vivre le présent avec le passé, comme vit le fils, qui a pris la direction des affaires, avec le père respecté, qui les lui a sagement cédées. Le travail intellectuel du temps reproduisait cette triple tendance sous toutes les formes et avec des nuances infinies. Cependant ceux qui prenaient part à l'oeuvre peuvent se classer en un certain nombre de grouoes.
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correspondant aux différentes expressions du grand labeur des esprits. La première, la plus éclatante de cesexpressions, était latribuneoùmontaientsuccessivement pour se faire entendre, des orateurs, hommes d'État ou hommes d'affaires.
Puis venait le journalisme, arme peu expérimentée, sinon nouvelle, dont s'étaient emparées toutes les opinions.
Puis la chaire professorale, puissante alors sur la jeunesse des écoles. i -)
La chaire sacrée, dont on favorisait le réveil. Le barreau, où se débattaient les nouveaux intérêts de la société, avec un éclat jusqu'alors inconnu. Le théâtre, qui s'efforçait à échapper aux bandelettes des unités.
Enfin les livres, embrassant la philosophie, l'histoire, le roman, la critique, la poésie.
Tout cela s'agitait à la fois,au milieu des douceurs toutes nouvelles d'une paix générale et d'une prospérité toujours croissante. La France, tour à tour éprouvée par mille fléaux, et que la cognée de la Sainte Alliance avait coupée au pied, comme un -chêne, dont l'ombrage a trop longtemps appauvri ses voisins, la France repoussait en rameaux jeunes et vigoureux, qui annonçaient une forêt. Admirable époque de renaissance générale, où les élans convulsifs de la Révolution, réglés enfin, se traduisaient en forces normales. On nous disputait en vain ce que nos pères avaientconquis de liberté; elle était passée dans l'air ses ennemis même en vivaient et, sans elle, auraient étouffé.'
Puis ces barrières de baïonnettes, qui nous sépa-
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raient naguère des autres peuples, étaient enfin tombées. La civilisation européenne courait sans obstacles d'une capitale à l'autre les nations, qui avaient si longtemps échangé la mort sur les champs de bataille, échangeaient maintenant la vie par le commerce, par la science, par les lettres les folles haines de races se sentaient mourir au fond des cœurs. Je n'oublierai jamais un fait qui fut, pour moi, le premier témoignage de cette transformation qui s'opérait mystérieusement dans les âmes, à leur propre insu. J'étais encore enfant, (c'était en 1817), etj'habitais la Bretagne. Là tout ce qui ne vit pas de la charrue vit de la mer, et souvent en meurt c'est du vieux duché que la France tire ses plus vaillants équipages le Vengeur était monté par des Bretons, quand il s'abîma sous les flots. Aussi, depuis trois cents ans, toutes les guerres navales contre l'Angleterre ont été faites, en grande partie, par la Bretagne pour le compte de la France. La haine des Saxons (c'est ainsi qu'on appelle là-bas nos voisins d'outre-mer) y est héréditaire les désastres maritimes de l'Empire l'avaient encore envenimée. On n'eût pu trouver, sur nos cent lieues de côtes, une seule famille qui n'eût à regretter un des siens, frappé par la mitraille anglaise, ou mort sur les pontons de Portsmouth. Vous pouvez juger de l'impression que produisit dans ma ville natale l'apparition du premier uniforme anglais.Il était porté par le capitaine d'un schooner de guerre, que l'orage avait forcé de cher, cher refuge dans notre port. A la vue de cet habit rouge, qui, depuis si longtemps, ne s'était montré chez nous qu'à l'arrière des péniches armées, qui
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attaquaient nos forts,brûlaientnos villages, enlevaient nos pêcheurs, il y eut un premier cri de surprise irritée. On accourut de toutes parts femmes, enfants, matelots; on se montrait l'officier du doigt, en répétant « C'est un Saxon. » Mais, lui, ne semblait point y prendre garde. Il allait librement son chemin, l'air franc, le visage épanoui, comme un homme qui a oublié ses haines d'autrefois, et la foule accourue semblait elle-même étonnée de ne plus retrouver la sienne. Le souffle de paix, qui courait parmi nous depuis deux années, avait tout adouci. Un vieux matelot, qui fumait sur le seuil de sa porte, montra l'étranger à mon père, avec qui je sortais, et lui dit d'un air pensif « C'est drôle pourtant, monsieur songer qu'un Anglais passe là, et que je n'ai pas envie de l'assommer 1 » Mot naïvement profond qui révélait l'immense changement déjà accompli dans les cœurs.
C'était le même sentiment que traduisait un de nos grands poètes, quand il appelait les peuples, naguère ennemis, à une sainte fraternité
Pauvres mortels, tant de haine vous lasse,
Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil
D'un globe étroit divisez mieux l'espace,
Chacun de vous aura place au soleil.
Tous, attelés au char de la puissance,
Du vrai bonheur vous quittez le chemin.
Peuples, formez une Sainte Alliance
Et donnez-vous la main.
Chez vos voisins vous portez l'incendie
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L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés
Et, quand la terre est enfin refroidie,
Le soc languit sous des bras mutilés.
Près de la borne, où chaque état commence, Aucun épi n'est pur de sang humain.
Peuples, formez une Sainte Alliance
Et donnez-vous la main.
Cette Sainte Alliance des peuples, les lettres devaient y aider. Jusqu'alors les écrivains étrangers avaient été peu connus en France. Au dernier siècle, Shakespeare passait encore chez nous pour un barbare nous' savions à peine .les noms de Lope de Vega et de Calderon nous ne soupçonnions même pas que l'Allemagne pût avoir une littérature. Sur ce dernier point, Mme de Staël avait commencé l'initiation. Son livre, que des études plus approfondies font paraître aujourd'hui un peu superficiel et incomplet, était, à son époque, une révélation aussi nouvelle que hardie. On ignorait tout ce qu'il venait dire, et tel fut l'étonnement général que des critiques du temps ne voulurent croire ni aux auteurs ni aux oeuvres, qu'il produisait chez nous pour la première fois ils accusèrent Mme de Staël de les avoir inventés. Elle fut donc, en réalité, le Christophe Colomb d'une Amérique littéraire, pleine de trésors inespérés. Mais ce n'était là qu'une découverte isolée et incomplète; la Restauration devait seule compléter cette tentative. Par suite des relations qui venaient de s'établir entre tous les peuples de l'Europe, on voulut s'entendre, se mieux connaître vingt entreprises se formèrent pour nous traduire tous les chefs-
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d'oeuvre des littératures étrangères. Leur théâtre, leurs discours politiques, judiciaires ou religieux, leurs romans, leurs poésies, nous furent successive. ment livrés et exercèrent une sérieuse influence' Arrachés à la tradition exclusivement antique, et ravis par ces voix, à l'accent un peu sauvage, qui les introduisaient dans un ordre tout nouveau de sentiments intimes, de témérités poétiques et de passions naïves, nos jeunes écrivains tentèrent de nouvelles voies. Les essais furent souvent excessifs comme nous aurons occasion de le constater, notre littérature eut aussi son 93, pendant lequel la Terreur romantique mit en coupe réglée la grammaire et le bon sens mais des conquêtes incontestables furent obtenues. La littérature contemporaine sortit de ces épreuves, plus colorée et assouplie les dieux mythologiques, décidément mis à la réforme, durent se réfugier dans les devises de confiseurs. On se décida à appeler les choses par leur nom. A ces petits tableaux du genre descriptif, espèce de marqueterie faite à l'emporte-pièce, se substitua l'étude psychologique, le lyrisme de la passion, la mise en scène des personnages, en un mot, tout ce qui pouvait traduire la réalité vivante et en action.
D'un autre côté, le rétablissement de la monarchie avait réveillé les sympathies pour le passé. On se mit à fouiller dans ce Moyen Age, où le xvin0 siècle n'avait vu que barbarie, et on fut surpris d'y trouver une organisation confuse, mais savante, et des générations pleines de sève, dont le génie s'était révélé dans mille œuvres, prodigieuses de force ou de grâce. La surprise d'une telle découverte dégénéra, sans
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doute, en engouement, et il y eut quelque chose de puéril dans l'adoration des artistes pour le Moyen Age. Peintres, sculpteurs, hommes de lettres ne voulurent plus travailler qu'au milieu des vieilles armoires, des bahuts sculptés, des tapisseries à personnages ou des antiques bannières d'église. Beaucoup adoptèrent, pour le matin, le haut-de-chausse en tricot et le couvre-chef à la Louis XI. On citait un peintre qui portait, en guise de rc>e de chambre, une cotte de maille, et l'auteur d'Eugénie Grandet écrivait, enveloppé dans une cagoule de moine. Mais, derrière ces excentricités, s'accomplissaient des œuvres sérieuses. L'histoire, revenue de ses dédains systématiques, remontait aux sources pour connaître cette curieuse époque, et la reconstruisait patiemment la critique cherchait dans nos vieilles poésies les premiers bégaiements de notre littérature la philosophie elle-même étudiait cette scolastique, longtemps présentée comme une longue divagation, et y trouvait avec surprise la constatation d'une science, qui ne péchait que par son excès même. Enfin une dernière révolution venait couronner toutes les autres c'était le réveil du sentiment religieux. Nous ne voulons pas parler de cette recrudescence de dévotion officielle, dont on avait fait une machine de gouvernement celle-là s'exprimait par des persécutions, par des parodies scandaleuses, où les textes sacrés servaient de réclame à la vente des reliques et des chapelets ses missionnaires catéchisaient sous la protection des gendarmes, et suppléaient à l'insuffisance de leurs arguments par l'éloquence de la police correctionnelle. Loin de seconder le retour
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vers les choses divines, de tels scandales semblaient devoir s'y opposer mais les âmes avaient une soif, que les sources du XVIII. siècle ne pouvaient satisfaire. Cette génération, qui survivait aux deux grands naufrages de la Révolution et de l'Empire, en était restée grave et pensive on eût dit qu'elle avait senti passer devant sa face le vent de la mort et que, saisie par la fragilité des choses humaines, elle se retournait instinctivement vers Dieu. La croyance n'était pas venue, mais on était las de l'incrédulité on se découvrait avec respect devant la foi des autres. Les manifestations, qui constataient ce changement, furent nombreuses, mais aucune d'elles n'eut l'éclat de celle qui se produisit au cours de philosophie de la Sorbonne. C'était du haut de cette chaire que le sensualisme avait répandu ses doctrines sur la France et sur l'Europe entière. Tous les professeurs, qui y étaient montés, avaient placé près d'eux la statue de Condillac, l'avaient fait voir s'animant successivement à réveil de chacune de ses facultés sensitives et devenant homme par la seule conquête des sens. Dieu était ainsi dépossédé de la créature, et celle-ci délivrée de son âme; ce n'était plus qu'un composé d'organes en mouvement, un automate plus parfait que ceux de Vaucanson. Les conséquences d'une pareille philosophie n'ont pas besoin d'être indiquées; elle avait fait de l'homme une simple force, qui agissait en raison du hasard de sa constitution, et de la société, une combinaison plus ou moins heureuse de tempéraments divers, ballottée entre le bien et le mal, selon la prédominance des bons ou des méchants. L'humanité n'était plus ainsi
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qu'une sorte de grand livre par doit et avoir; la Providence était remplacée par une balance de comptes entre les instincts.
C'était là qu'en était resté l'enseignement, malgré quelques efforts de MM. de Laromiguère et RoyerCollard, lorsque M. Cousin monta dans la chaire de la Sorbonne. Après avoir posé les bases de l'histoire de la philosophie, il arriva à cette. déclaration que le scepticisme était la première forme, la première apparition du sens commun dans la métaphysique. A ces mots, quelques applaudissements se firent entendre. c'étaient les derniers élèves de Condillac qui prenaient acte des paroles du professeur. « Patience, messieurs », ajouta-t-il, en souriant, « voyez par où le scepticisme commence, vous verrez tout à l'heure par où il finit. » Et le suivant, av.ec une perspicacité admirable, dans son travail successif, il le montre détruisant tour à tour chaque doctrine, niant toute certitude et affirmant la sienne, déclarant l'illégitimité des systèmes et en créant un plus exclusif que tous ceux qu'il combattait. Ici les applaudissements furent unanimes et prolongés. On eût dit que chacun se sentait soulagé par cette défaite du doute et remerciait le jeune professeur d'avoir prouvé que nier tout, c'était croire encore. mais croire à soi seul contre tout le monde.
Ces*préliminaires établis, M. Cousin alla plus loin; il en vint à chercher si Dieu ne mettait point dans les faits humains quelque chose de lui-même, et, après avoir déclaré que « la Providence était engagée dans la question de la nécessité des lois de l'histoire », il ajouta
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« Un jour, Messieurs, le père Malebranche, entrant chez un jeune homme qui fut depuis l'illustre chance- g lier d'Aguesseau, le trouva occupé à lire Thucydide, sur quoi le bon et doux Malebranche se mit un peu en colère et reprocha à son jeune ami de ne rechercher g que des amusements pour son imagination, de s'arrê- ter comme un enfant à des faits accidentels, qui 3: avaient pu arriver ou n'arriver pas, au lieu de s'oc- | cuper de lui-même, de l'homme, de sa destinée, de g Dieu. Si j'avais été à la place de d'Aguesseau j'au- | rais dit à Malebranche Comment se fait-il que vous, g philosophe, dédaigniez ainsi l'histoire ? Vous voyez tout en Dieu, et vous avez raison, avec quelque expli- | cation mais, si tout est en Dieu, il semble que Dieu g doit être dans ce monde et surtout dans l'humanité. Si g de votre aveu, rien n'existe qu'à la condition de se g rapporter à Dieu et aux idées qu'il manifeste, il s'en- 1 suit qu'il n'y a rien dans l'histoire qui n'ait sa raison | d'être, son origine, son principe que c'est Dieu en fin qui la veut et qui la fait.
« Et, en effet, Messieurs, le monde des idées est caché dans le monde des faits; ceux-ci sont les manifestations visibles des desseins de la Providence; une révolution, un grand homme ne se produisent que parce que Dieu les a jugés nécessaires. Un grand homme représente toujours une idée, telle idée et non telle autre; il la représente tant que cette idée a de la force et vaut la peine d'être représentée: pas avant, pas après. On disait à ce soldat, assis sur un trône, qui s'est appelé Napoléon: – Sire, il faut surveiller attentivement l'éducation de votre fils; il faut qu'on l'élève avec le plus grand soin, de manière à
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ce qu'il vous remplace. Me remplacer! répondit-il, je ne m3 remplacerais pas moi-même, je suis l'enfant des circonstances. eût pu ajouter. que les circonstances étaient filles de Dieu.
La jeunesse écoutait ces éloquentes paroles, si différentes de celles qui tombaient autrefois de cette même chaire elle écoutait avec une surprise sympathique, et le professeur, arrivant enfin au Christianisme dans le cours de ses développements, s'écriait La dernière religion qui a paru sur la terre est aussi de beaucoup la plus parfaite. Le Christianisme est le complément de toutes les religions antérieures, le dernier résultat du mouvement religieux du monde, il en est la fin, et avec le Christiani,sme toute religion est consommée. Il réunit en lui tout ce qu'il y a de vrai, de saint et de sage dans le théisme de l'Orient, et dans l'héroïsme et le naturalisme mythologique de la Grèce et de Rome. La religion d'nn Dieu fait homme est une religion qui, d'une part, élève l'âme vers le ciel et qui, en même temps, lui enseigne que son œuvre et ses devoirs sont en ce monde et sur cette terre. La religion de l'HommeDieu donne un prix infini à l'humanité, car il faut que l'humanité soit quelque chose de bien grand pour devenir ainsi le réceptacle et l'image d'un Dieu. De là,dans le Christianisme, la dignité de l'humanité, confondue avec la sainteté de la religion et partout répandue avec elle. Le Christianisme est une religion éminemment humaine, éminemment sociale, et la
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preuve, c'est qu'elle a seule fondé la liberté moderne. Elle est, à vrai dire, la racine de notre philosophie, et tout ce qu'il y a de vrai en celle-ci se trouve en germe dans les mystères chrétiens.
Voilà ce qu'un professeur, qui n'appartenait ostensiblement à aucune communion chrétienne, faisait applaudir à des jeunes gens, qui avaient abandonné, pour la plupart, l'Église dans laquelle ils étaient nés. Évidemment ce n'était point encore là une foi, mais c'était une aspiration commune. Le sentiment religieux battait des ailes dans tous les cœurs, et cherchait de l'espace pour prendre sa volée.
Nous verrons plus tard comment l'étroit horizon du catholicisme officiel et gouvernemental de la Restauration fut un obstacle à ces bons désirs mais, bien que cette résurrection des âmes n'ait point encore amené l'acceptation d'une croyance certaine et formulée, il importait de constater quel avait été le jour du réveil. Ajoutons que cette génération, qui se sentait émue aux témoignages religieux d'un libre penseur, succédait immédiatement à celle qui n'avait pu entendre Bernardin de Saint-Pierre proclamer l'existence de Dieu, sans le poursuivre de ses colères et de ses huées. Un tel rapprochement en dit plus que toutes les réflexions; il prouve quelle immense révolution morale s'était accomplie. Nous en retrouverons les traces partout dans notre rapide histoire de la littérature contemporaine, et nous y appuierons souvent. On parle beaucoup de l'immoralité des livres de notre époque; sans doute il en estplusieurs qui peuvent être sévèrement jugés, bien
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que, dans le détail, il soit assez difficile de se mettre d'accord sur les condamnations. Mais que l'on compare l'ensemble de notre littérature actuelle à celle du xvm" siècle ou même du commencement du xixe. Qui voudrait signer aujourd'hui le trop célèbre poème de Voltaire ? Quelle œuvre contemporaine atteint la cynique crudité de ses contes ? Avons-nous aujourd'hui un Crébillon fils, un Laclos, un Louvet, même un Pigault-Lebrun ? N'a-t-on pas cessé de rire du libertinage, et d'en tenir école ? Nos livres les plus futiles sont devenus plus décents, plus sérieux. (1)
(1) La leçon est inachevée.
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DEUXIEME LEÇON
La tribune sous la Restauration.
La Restauration vit renaître l'éloquence parlementaire. Caractère de cette éloquence plus littéraire que politiquo, epposée par là à celle des orateurs anglais..
Trois groupes d'orateurs
I. Les royalistes ultras.- La Bourdonnaye, violent en paro les, timide dans l'action. De Bonald, esprit systématique. Sa théorie du langage révélé revient à celle des idées innées. En politique, comme en religion, trois notions essentielles la cause,le moyen, l'effet. Le roi est cause; la noblesse, moyen; le peuple, effet. Absolutisme logique.
II. Les royalistes constitutionnels. Camille Jordan. Son évolution politique; de Serre; Lainé, royaliste sincère et éloquent. Son discours contre l'élection de l'abbé Grégoire. De Martignac. Son discours contre la loi de bannissement. RoyerCollard. Sa lutte contre les factions extrêmes, son loyalisme monarchique, son attachement aux libertés constitutionnelles. Le type du doctrinaire foi aux principes, défiance des hommes, caractère hautain, esprit mordant. Son discours sur la liberté de la presse. Caractère philosophique de l'éloquence de Iloyer-Collard. Grandeur et faiblesse de cette éloquence. Elle n'est que l'expression, d'u4 tempérament individuel. 111. Les libéraux. Manuel. Son implacable logique, son sang-froid dans la discussion. Souvenir personnel: une séance ,à la Chambre en 1823. Manuel, victime des manœuvres de ses adversaires politiques, expulsé delà Chambre. Comment il se défendit. Le général Foy. Son éloquence toute militaire, chaude et vibrante.
Conclusion.
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Les traditions du langage parlementaire s'étaient S complètement perdues sous le gouvernement mili- S taire de Nàpoléon. Celui-ci semblait avoir voulu ̃ garder le monopole de l'éloquence pour ses procla- g mations les corps délibératifs, réduits au rôle de ̃ comparses complaisants, n'avaient droit d'élever la ̃ voix que pour entonner en chœur les louanges du '̃ nouveau César. Aucun débat sérieux ne permettai S l'éducation oratoire de ces fantômes, qui passaien M alors pour les représentants de la nation. Aussi la Res- ̃ tauration prit-elle cette dernière au dépourvu. Les ̃ premières assemblées délibératives se firent remar- ̃ quer, non seulement par leur inexpérience constitu- ̃ tionnelle, mais par l'absence complète d'orateurs. ̃ On n'y prononça pendant assez longtemps que des p discours écrits qui, étant préparés d'avance, avaient M l'inconvénient de ne jamais se répondre l'un à l'au- ̃ tre ce qui faisait dire plus tard spirituellement à ̃ M. de Cormenin « Lorsque j'aperçois les liseurs de ̃ l'opposition et les liseurs du ministère gravir, de ̃ droite et de gauche, l'estrade dé la tribune, il me ̃ semble voir deux armées qui traîneraient parallèle- ̃ ment leur artillerie, le long des deux rives d'un fleuve, M sans pouvoir jamais s'aborder. » m
La Chambre des députés de 1814 et 1815 ne compta ̃ guère que deux anciens magistrats, MM. Bedoch et ̃ Dumolard, à qui l'exercice du parquet avait donné ̃ l'habitude de répliquer sur simples notes. Les jour- ̃ naux du temps ne négligeaient jamais de faire remar- 1 quer lorsqu'ils improvisaient, et cette nouveauté leur 1 conquit alors une sorte de célébrité. 1
Mais ce n'était point dans un pays comme la I
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France que l'on devait manquer de gens osant et sachant parler. Nos provinces méridionales, seules, et spécialement la Gascogne, auraient suffi pour défrayer la tribune nationale. Henri IV, entendant quelqu'un se plaindre d'une terre qui ne pouvait rien produire, s'écria « Semez-y des Gascons, ils poussent partout. » On pourrait dire, avec non moins de vérité, à quiconque chercherait des orateurs « Appelez des méridionaux; ils peuvent parler toujours et de tout, sans se fatiguer eux-mêmes et sans fatiguer les autres. » Aussi nous ont-ils fourni, sous le régime représentatif, la plupart de nos hommes politiques. Leur influence a, en outre, puissamment contribué à la direction adoptée chez nous par l'éloquence parlementaire. Ce sont eux surtout qui l'ont détournée de ces formes simples, si judicieusement choisies par les Anglais, et qui ont changé une délibération d'affaires en une sorte de concours académique, où il s'agit bien moins d'éclairer que de bien dire. Secondés en cela par notre esprit athénien, qui aime surtout ce qui plaît, ils nous ont désaccoutumés de ce qui sert. La tribune est devenue un théâtre," où chaque acteur n'a dû se produire qu'à condition de grands èffets qui pussent enlever l'auditoire il a fallu recourir à tous les élans de la passion, à toute la splendeur des images, à toutes les finesses de l'ironie au lieu d'une délibération, on a eu un spectacle. De là cette surexcitation de l'orateur et de l'auditoire, qui se résout toujours en quelque chose d'excessif dans l'action, et cette orageuse mobilité qui a eu, depuis un demi-siècle, l'étrange résultat de nous montrer une race-, qui l'emporte peut-être sur
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toutes les autres par la netteté logique de l'intelligence, par la sociabilité, par le sentiment d'honneur, successivement livrée aux égarements des plus folles utopies, aux violences-des partis extrêmes et à tous les abaissements des apostasies politiques.
Par contre, il est vrai, nous n'osons dire par compensation, la France peut se glorifier d'avoir produit les plus grands orateurs des temps modernes, à une seule exception près. Retranchez, en effet, du parlement anglais O'Connell, homme à part, qui est bien moins un orateur délibératif qu'un tribun, et vous chercherez en vain, dans son histoire contemporaine, cette éloquence littéraire, qui fait d'un discours une œuvre d'art, précieuse par elle-même et abstraction faite des circonstances qui l'ont inspirée. Certes, Fox et Burke étaient de grands esprits, heureusement servis par la parole, mais jamais les fragments de leurs plus éloquentes harangues ne pourront être utilement offerts comme des modèles de style. Ces harangues appartienne it bien plus à l'histoire qu'à la littérature; ce qu'on y cherche et ce qu'on y trouve, c'est l'autorité d'une haute raison, c'est le souffle puissant, c'est la force, et parfois même la grâce involontaire des développements; mais on sent que partout la forme a été, pour l'orateur, une chose secondaire, qu'il s'est moins occupé d'éviter une répétition, d'imager une idée, d'orner un argument ou de choisir une expression, que de compléter sa pensée et d'arriver au bout de sa démonstration. A tout prendre, leurs discours sont de magnifiques documents politiques, ce ne sont
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point des chefs-d'œuvre d'art, comme les harangues de Démosthène ou de Cicéron.
Sans égaler ces deux grands génies, que servaient d'ailleurs des circonstances et des langues bien autrement favorables, plusieurs de nos orateurs français laisseront des traces ineffaçables, non seulement dans l'histoire politique de notre temps, mais dans son histoire littéraire. Nous espérons pouvoir vous le prouver.
Nous avons parlé de l'inhabileté oratoire des premières assemblées délibérantes de la Restauration; elle fut de courte durée. Après la dissolution de cette Chambre introuvable, dont le royalisme avait épouvanté le roi, on vit arriver successivement à la législature des hommes déjà célèbres, ou qui allaient le devenir. Nous parlons ici de la Chambre des députés, la seule qui puisse nous arrêter. L'absence de publicité pour les débats de la Chambre des pairs, en détournant d'elle l'attention, et h i laissant peu d'influence sur l'opinion publique, y avait, pour ainsi dire, éteint l'éloquence parlementaire. Quelques gentilshommes, entre autres MM. de Dreux-Brézé et Fitz-James, étaient pourtant des parleurs éloquents mais ils conservèrent à la tribune cette négligence aristocratique de grands seigneurs qui ne se donnent la peine de bien parler qu'à leurs heures et selon leur fantaisie. On les eût dit en robe de chambre, ainsi que le fait observer Timon, et voulant bien recevoir la législature à leur petit lever. Une grande figure apparaît seule au milieu de ces orateurs, noblement familiers ou agréablement diserts c'est celle de Chateaubriand, mais elle est
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là telle que nous l'avons déjà montrée, et que nous la trouverons encore ailleurs. Chateaubriand orateur n'a rien qui le distingue de Chateaubriand écrivain; nous pourrons le constater plus tard, lorsque nous le verrons se retirer de la Chambre des pairs devant la Révolution de Juillet, en jetant une malédiction suprême aux royalistes, qui avaient conduit la monarchie aux abîmes.
Dès 1816, la Chambre des députés s'était partagée en trois camps distincts qui, dans les diverses évolutions de ces quinze années, échangèrent quelquefois leurs soldats, mais sans abattre leurs drapeaux. Le premier camp était celui des royalistes ultras, commandés par MM.de la Bourdonnaye et de Bonald, et servis plus tard par M. de Villèle.
Le second, celui des royalistes plus ou moins constitutionnels, parmi lesquels se faisaient remarquer de Serre, Camille Jordan, Lainé, Royer-Collard, Martignac.
Le troisième, enfin, était le camp libéral, où s'étaient réfugiés un certain nombre de Bonapartistes, amis ardents de la liberté, depuis que le despotisme ne les employait plus, mais où se trouvaient aussi Manuel, Benjamin Constant, le général Foy, Laffitte, Casimir Périer, Lafayette et Dupin.
Les royalistes ultras brillaient moins par l'éloquence proprement dite que par une sorte de sincérité audacieuse, qui ne s'effrayait d'aucun excès de parole et semblait affronter à plaisir l'opinion. M. de la Bourdonnaye ne paraissait jamais à la tribune, sans fulminer contre les libertés modernes quelque impitoyable anathème. Véritable conventionnel roya-
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liste, il sollicitait sans cesse la violence, préconisait les bienfaits d'une terreur salutaire, et déclarait traître à la royauté quiconque essayait de la concilier avec une liberté réglée. Or, après avoir ainsi poussé pendant quinze ans les Bourbons à reprendre des mains de la nation la Charte octroyée, cet homme, si hardi en paroles, ne fut pas plutôt appelé au ministère pour exécuter ce qu'il avait conseillé, qu'il hésita devant l'action et saisit le premier prétexte pour se retirer, ne laissant, comme trace de son passage aux affaires, qu'un règlement pour la boucherie et une ordonnance sur les marionnettes. M. de Bonald était le Montesquieu de ce parti; c'était lui qui, en appuyant la loi du sacrilège, qui faisait dé l'homme le vengeur de Dieu, réclamait la mort contre l'impie en s'écriant: Je demande qu'on renvoie le coupable devant son juge naturel. M. de Bonald n'était pourtant rien moins qu'un homme cruel; mais il avait un système à défendre, et rien d'impitoyable comme un système.
On a beaucoup parlé de celui de M. de Bonald, sans le connaître. Les nombreux volumes, dans lesquels il l'a exposé, sont d'un abord peu engageant. En réalité, toute sa philosophie peut cependant se réduire à un seul principe selon M. de Bonald « l'homme pense saparole avant de parler sa pensée. » Ce qui, traduit en français, veut dire que l'homme ne peut penser sans les mots, et que ces mots, il ne les invente pas, mais qu'ils lui sont révélés directement par Dieu.
C'est, sous une autre forme, la théorie des idées | innées, car, en nous révélant les paroles, Dieu nous a
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nécessairement révélé les notions, dont elles sont l'expression.
Ces notions, au dire de M. de Bonald, peuvent se ramener à trois la cause, le moyen et l'effet. Dans l'ordre religieux, Dieu est la cause, le Christ, le moyen, le Saint-Esprit, l'effet. Dans l'ordre politique, on a également le roi, qui est la cause, la noblesse, qui est le moyen, le peuple, qui est l'effet; dans l'ordre domestique, le père, la mère et l'enfant.
Toute organisation sociale, qui dérange cette disposition providentielle, est donc une monstruosité. Le pouvoir, étant la cause, doit être' souverain; la noblesse, étant le moyen, doit avoir des privilèges, indispensables à son action; le peuple, qui est l'effet, n'a rien à faire qu'à subir l'impulsion, à obéir. « Les peuples, dit M. de Bonald, sont faits pour être gouvernés et les rois pour régner. »
Seulement, comme il pourrait arriver que cette immense multitude, dont le seul rôle est de faire la volonté de quelques hommes, se méprît sur les intentions de la Providence et arrivât à croire que Dieu lui a donné une raison pour s'en servir, le philosophe absolutiste avertit qu'il est dangereux de cultiver cette raison; les sujets ne doivent point chercher un développement intellectuel, qui les ferait prétendre à un déclassement; le pouvoir doit les maintenir dans leur sphère, et pour cela rendre les métiers héréditaires.
M. de Bonald tire -de ces principes toutes les conséquences qui en découlent logiquement, et arrive à reconstituer l'ancien régime, en le régularisant,
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c'est-à-dire en faisant disparaître toutes les garanties, accordées aux communes et au tiers état. Ce sont ces doctrines qui excitaient l'enthousiasme de Joseph de Maistre et lui faisaient dire « que M. de Bonald n'avait rien formulé que lui, de Maistre, n'eût pensé, et rien pensé qu'il n'eût formulé.» » Lorsque la Sorbonne réfuta les doctrines de l'auteur de la Législation primitive, le comte de Maistre lui écrivit de Saint-Pétersbourg « Laissez coasser ces grenouilles. » Il en eût dit autant, sans doute, de ses adversaires de la Chambre des députés, qu'exaspérait sa logique rétrograde, difficilement admise dans toutes ses déductions par les ultra-royalistes mêmes.
L'école des royalistes constitutionnels comprenait plusieurs nuances d'opinion, et subit, dans ses principaux chefs, plusieurs transformations. Ainsi Camille Jordan qui, au Conseil des Cinq-Cents, en 1797, avait osé le premier attaquer les préjugés révolutionnaires, en proposant de rendre la publicité au culte par un signe sonore et sensible, il n'osait dire les cloches, Camille Jordan, proscrit le 18 fructidor, toujours hostile à l'Empire, et qui avait d'abord voté avec les royalistes, en 1816, des lois répressives, finit par désespérer de leur justice et de leur bon sens; il passa à l'opposition en 1819. De Serre, au contraire, autrefois émigré, qui avait combattu ses anciens compagnons à la Chambre et s'était montré l'auxiliaire éloquent des libéraux, changea brusquement d'armée et passa aux royalistes.
Lainé fut plus fidèle à la ligne de conduite qu'il
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avait adoptée dès l'abord. Enrôlé dans le tiers parti, il fit preuve en toute occasion d'un royalisme qui, pour être modéré, n'en était ni moins solide ni moins sincère. Ainsi, quand un choix malheureux des électeurs de l'Isère envoya à la Chambre l'abbé Grégoire, qui avait voté la mort de Louis XVI, ce qui était une injure évidente, adressée aux Bourbons, il trouva dans son loyalisme une inspiration véritablement éloquente.
Je sais, dit-il, que par une clémence toute divine, ou, si vous voulez, pour le besoin de la scxuété ou' même pour l'intérêt de tous, il a été promis que l'oubli serait recommandé à tous les citoyens. Aussi qui donc se souvenait du quatrième député de l'Isère? Qui donc le recherchait pour ses opinions ou pour ses- votes, ignorés même de la plupart des vivants? L'oubli n'a-t-il donc été prescrit qu'aux victimes et ceuxlà seuls, qui avaient besoin d'en être couverts, ont-ils conservé le droit de se souvenir?
Est-il recherché, celui qui, depuis six ans, jouit en paix de ses biens, de ses titres, qui multiplie librement ses écrits pour propager ses opinions ? N'est-ce pas lui qui dédaigne la loi d'oubli lorsque, loin d'exprimer le moindre regret, le plus léger repentir, il provoque les citoyens au scandale et à la discorde; lorsque, résistant à de patriotiques sollicitations, il persévère à frapper à la porte de cette Chambre, quoiqu'il sache que, toute indignité à part, les dispositions de la loi s'opposent à ce que cette porte lui soit ouverte ?. C'est un principe de notre droit public que la liberté ne peut exister sans les deux Chambres représentatives et la
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royauté. Or, envoyer à la Chambre l'élu de l'Isère, c'est insulter à la royauté légitime, inséparable des Chambres, et dont l'éclat ou l'ombre se répand sur elles. Il devait le savo ir, le collège électoral de ce département. Il n'appartient à aucune section du royaume de pouvoir faire injure et violence à la couronne et aux Chambres législatives, de violer les moeurs publiques, l'honneur national, et ces lois, qui n'ont pas besoin d'être écrites, pour proclamer une indignité notoire au monde entier. Le souffrir, ne pas annuler l'élection par ce motif, ce serait préférer le cruel ennemi de la royauté à la royauté elle-même car, messieurs, il faut que cet homme se retire devant la dynastie régnante, ou que la race de nos rois recule devant lui.
Un autre Bordelais suivit M. Lainé dans sa voie politique ce fut M. de Martignac. Tous deux se ressemblaient au reste par l'abondance ornée du langage et par l'aménité de la polémique. Ils enveloppaient leurs coups de phrases mélodieuses et fleurissaient leur véhémence d'une rhétorique attendrie. Girondins-légitimistes, tous deux défendirent jusqu'au bout, avec une chaleur honnête, les doctrines qu'ils avaient adoptées mais M. de Martignac eut la douleur de voir la chute d'une dynastie, qu'il avait voulu et qu'il eût pu sauver. Charles X, à qui il s'était sincèrement dévoué, affectait de ne voir en lui qu'un parleur mélodieux il le nommait la Pasta de la Chambre des députés. Remplacé au ministère par M. de Polignac, sous qui la vieille monarchie devait si vite crouler, M. de Martignaè eut la gloire
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douloureuse de venir défendre devant la wuumn« des pairs celui qui l'avait chassé du pouvoir. Il le fit avec une noblesse émue, qui contribua sérieusement à adoucir la condamnation. Peu après, un député, ayant soumis à la Chambre un projet de loi, ÏS dé liait tous les membres de la branche aînée des Bourbons proscrits à perpétuité, de telle sorte que celui d'entre eux, qui mettrait le pied sur la terre de France, encourrait, par ce seul fait, la peine de mort, M. de Martignac demanda la parole. Il était déjà atteint du mal qui devait l'emporter quelques jours après; se soutenant à peine, pâle, les yeux creusés par la fièvre, mais encore brillants de douceur, il se pencha sur ce marbre de la tribune, qui semblait lui annoncer celui de sa tombe, et, élevant la voix avec effort au milieu de cette assemblée, qu'un respect sympathique rendait silencieuse, il dit
Messieurs,
Le bannissement est, dans nos lois, une peine infamante, prononcée par le juge après mûr examen, et l'on vous propose de la prononcer d'avance contre les générations nées et à naître, sans examen, par anticipation, sans savoir quel sera celui que vous condamnerez. Un orateur disait naguère à cette tribune « En France, la proscription absout. » Eh bien, ce mot profond et vrai a jugé votre loi. Ainsi un prétendant arrivera en France; on avertira l'autorité du danger que peut courir la sécurité publique; mais qu'un proscrit, condamné d'avance, y vienne, -où trouverez-vous un homme qui ira frapper sur r épaule du
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bourreau, en lui disant « Regarde cette tête royale, reconnais-la, et fais-la tomber. »
Lorsque j'étais ministre, un proscrit, un régicide, ramené en France par l'ennui de l'exil et par des intérêts de famille, fut reconnu; on m'avertit de sa présence, je n'hésitai pas sur ce que je devais faire. Le vieillard fut soigné, car il était malade; il reçut des secours, car il en avait besoin; il fut conduit avec les égards dus à sa vieillesse et à son malheur jusqu'à la frontière je rendis compte ensuite de ce que j'avais fait, et je fuc approuvé alors, comme je le serais par vous aujourd'hui.
Or, il s'agissait pour cet homme seulement de prison que serait-ce donc s'il avait été question de la peine de mort ? Dans ce cas, le devoir de le secourir, de le sauver, eût été si impérieux, que je crois en vérité que je ne vous en aurais pas parlé.
Aussi, messieurs, je ne crains pas de le dire, si l'un de ces proscrits, que votre proposition punit, était conduit en France, s'il y cherchait un asile, qu'il aille frapper sans crainte à la porte de l'auteur même de la proposition, que cette porte s'ouvre, que le proscrit se nomme, qu'il entre, et moi, je lui réponds d'avance de sa sûreté.
La Chambre entière répondit par un cri affirmatif, et la proposition n'eut pas de suite.
Cette courte citation caractérise l'éloquence de M. de Martignac: éloquence aimable, pénétrante, qui vient du cœur et qui y retourne.
Celle de M. Royer-Collard en diffère essentielle-
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ment. Ce seul nom prononcé réveille un ordre d'idées si grave et de tels souvenirs, que nous vous demanderons la permission de nous arrêter davantage sur cette sérieuse figure, qui restera debout, dans notre histoire contemporaine, comme un de ces simulacres de bronze qui personnifient certaines faces d'une société.
Royer-Collard était né dans cette Champagne, dont une prévention injuste a voulu faire notre Béotie, et qui a toujours été le cœur de notre vieille France, le pays de nos vins les plus nationaux et de nos premiers soldats. Il fut élevé à Chaumont par les Pères de la Doctrine chrétienne, dont on crut reconnaître plus tard la métaphysique abstraite dans ses opinions; d'où lui vint le surnom de doctrinaire, donné ensuite, comme vous le savez, à toute une école. Royer-Collard professa d'abord les mathématiques, ce qui a, sans aucun doute, accoutumé son esprit à cette formulation absolue, et pour ainsi dire algébrique, dont il n'a jamais pu se défaire entièrement.
Venu à Paris avec le titre d'avocat au Parlement, il accueillit la Révolution comme une régénération sociale et devint secrétaire adjoint de la Commune de Paris, où il se lia d'amitié avec Bailly. Resté royaliste après la chute de la monarchie, il ne rentra dans la vie politique qu'au retour des Bourbons. Il se joignit d'abord à la droite, puis, épouvanté de ses exigences rétrogrades, il forma le tiers parti des royalistes constitutionnels. Dans cette position mitoyenne, il jugeait avec sagacité les deux factions extrêmes, et entrevoyait clairement leurs intentions.
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Pendant cette comédie de quinze ans, il comprit que l'alliance toujours proclamée de la royauté et de la constitution n'avait rien de sincère. En réalité, les uns voulaient le roi sans la Charte et les autres la Charte sans le roi. Également opposé aux deux partis, Royer-Collard déchira le voile qui les masquait. Il y a une faction, dit-il, née des mauvaises doctrines de la Révolution et de ses mauvaises actions, qui cherche vaguement peut-être, mais qui cherche toujours l'usurpation, parce qu'elle en a le goût encore plus que le besoin. Il y a une faction, née du privilège, que l'égalité indigne, qui a besoin de la détruire. Je ne sais pas ce que font ces factions, mais je sais ce qu'elles veulent, et surtout j'entends ce qu'elles disent. Je reconnais l'une à la haine de toute autorité légitime, politique, morale, religieuse l'autre, à son mépris instinctif pour tous les droits, publics et privés, et à la cupidité arrogante, qui lui fait tout convoiter dans le gouvernement et dans la société. Les factions dont je parle, réduites à elles-mêmes, sont faibles en nombre elles sont odieuses à la nation et n'y auront jamais de racines mais elles sont ardentes, et, pendant que nous nous divisons, elles marchent vers leur but. Si, le gouvernement persistant à nous abandonner et à s'abandonner lui-même, elles doivent s'entrechoquer encore, si notre malheureuse patrie doit être encore déchirée, ensanglantée par elles, je prends mes sûretés, je déclare d'avance à la faction victorieuse, quelle qu'elle soit, que je détesterai sa victoire je lui demande, dès aujourd'hui, de m'inscrire sur les tables de ses proscriptions.
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Ces avertissements, donnés dans un si beau langage, furent inutiles. Les ultras poussèrent au pouvoir M. de Polignac, la Révolution de Juillet eut lieu. Fidèle à ses doctrines de légitimité, RoyerCollard accueillit le nouveau règne avec une visible répugnance. Il refusa d'assister à la séance, d'introduction de Louis-Philippe et de signer au procèsverbal. Parlant sur la tombe de Casimir Périer, il le loua surtout de n'avoir pas désiré le changement de dynastie, qui l'avait porté au ministère. 11 suivait avec une sombre animadversion le grand mouvement qui s'opérait dans notre société, et répétait souvent le mot, qu'il avait laissé tomber un jour du haut de la tribune La démocratie coule à pleins bords. Cependant, loin d'imiter ces hommes que le dégoût des révolutions conduit à l'abandon de la liberté, il persévérait dans son libéralisme monarchique et, lorsqu'on lui demandait quel était, à ses yeux, le meilleur gouvernement, il répondait sans hésitation « Le gouvernement représentatif, parce qu'il est la justice organisée, la raison vivante et la morale armée. »
Si on lui opposait les difficultés d'une autorité toujours discutée, il disait dans son magnifique langage « Les constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil. Les gouvernements constitutionnels ont été condamnés au travail comme le laboureur, ils doivent vivre à la sueur de leur front. »
Lorsqu'on lui parlait des excès de la presse, qu on l'accusait de l'insoumission des générations présentes et qu'on réclamait la censure des journaux, la
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condamnation des livres, il haussait les épaules et répondait brusquement « Ne voyez-vous pas que toutes les idées sont désormais en circulation, que livres et journaux sont passés des bibliothèques dans les esprits ? C'est de là qu'il faut les chasser. Avezvous pour cela un projet de loi ? Tant que nous n'aurons pas oublié ce que nous savons, nous serons mal disposés à l'abrutissement et à la servitude. » Enfin le jour où le gouvernement, obéissant à sa colère plutôt qu'à sa prudence, réclamait de nouvelles pénalités contre ses-ennemis, il s'écriait: « Prenez garde Les lois d'exception sont des emprunts usuraires; elles ruinent le pouvoir qu'elles ont l'air d'enrichir. -» »
Mais, toujours aussi ferme dans sa foi aux principes, il ne croyait plus aux hommes. Rendu morose par l'âge, et, il faut bien l'avouer, endurci par un de ces orgueils solitaires qui naissent d'une trop longue contemplation de nous-mêmes, il était insensiblement tombé du doute au dédain. Lui-même avait congédié son armée parlementaire, comme un général qui donne sa démission de l'influence et de la gloire. Assis à l'écart sur son banc, les bras croisés et l'air indifférent, il ne sortait de son silence que par des mots, profonds parfois, mais souvent injustes et toujours cruels.
Ainsi, à Odilon Barrot, qui se plaignait de n'être point connu de lui, il répondait « Vous vous trompez, monsieur, j'ai fait votre connaissance, il y a quarante ans; seulement, dans ce temps-là, vous vous nommiez Pétion. »
Passant un jour devant Cabet, alors député, et
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devenu depuis chef des communistes Icariens, il lui demanda de se ranger pour lui faire place, et dit à M. Molé, qu'il rencontra un instant après « On rie répétera plus que je suis fier; je viens de parler à Cabet. » t t
Nous n'osons redire ici ses mots sur M. Guizot et sur M. Thiers, connus d'ailleurs de tout le monde, et qui sont moins des jugements que des injures. Ce qui précède suffit pour faire apprécier son esprit •supérieur, mais hautain, à qui manqua toujours ce qui rend le génie aimable et les vertus contagieuses, c'est-à-dire la tendresse. Son espèce de malveillance instinctive pour l'individu ne s'étendait point cependant jusqu'à l'espèce par une singulière contradiction, ce philosophe chagrin, qui méprisait les hommes, estimait quelque peu l'humanité. Non pas, peut-être, il est vrai, pour elle-même, mais parce qu'elle était le champ ouvert à l'application des principes. Ceux-ci semblaient, en effet, la seule véritable préoccupation de M. Royer-Collard. C'est en parlant d'eux qu'il trouve ses mouvements les plus nobles et ses plus heureuses expressions. Les idées le passionnent, comme d'autres, les personnes ou les faits. A leur contact, il s'anime comme un général devant ses soldats il les range en bataille, il les distribue dans un ordre formidable, il les pousse en avant sans impétuosité, mais avec un irrésistible ensemble. L'ennemi est emporté dans ce flot puissant et indiseontinu. C'est la mer qui monte, sans menaces, sans colère, mais que l'on efforcerait en vain d'arrêter. Si vous voulez des preuves de ce que nous avançons, relisez la haradgue de M. Royer-Collard contre le
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droit d'aînesse, contre la septennalité de la Chambre; relisez surtout son discours contre la loi dusacrilège, -admirable défense de la liberté humaine, citée et commentée par Vinet. ,j
Du reste, nous l'avons déjà dit, une des gloires de Royer-Collard fut ce dévouement obstiné à l'indépendance de l'âme et de la pensée. Rentré dans le silence après la Révolution de Juillet, il en sortit une seule fois pour défendre la presse, que les lois de Septembre voulaient arracher à sa juridiction et traduire devant un tribunal exceptionnel. Après une démonstration, évidente pour la raison, mais qui ne pouvait convaincre ni la colère ni la peur, il termina ainsi
Je n'ai nulle sympathie pour le désordre si vous savez des rép essions efficaces, que la Charte avoue et la prudence conseille, je les appuierai. Je viens à la loi. Elle n'est pas franche ce qu'elle ose faire, elle n'ose'pas le dire. Par un subterfuge, peu digne de la gravité du gouvernement, en appelant tout à coup attentat ce qui est délit selon la loi et selon la raison, les délits les plus importants de la presse, transformés, sortent du jury et s'en vont clandestinement à laChambre des pairs. Et qu'on ne dise pas que c'est une simple possibilité, une faculté dont on usera discrètement; vaine assurance Il ne s'agit pas de ce que vous ferez; la loi ne le sait pas, vous ne le savez pas vous-mêmes; il s'agit de ce que vous aurez le pouvoir de faire. Or, le pouvoir de faire est, dans l'ordre légal, le fait même la faculté est l'action. Par le délit, érigé en attentat, le jury est destitué, spolié de ses attributions
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constitutionnelle! A la bonne heure Je n'invoque pas la bonne foi, je n'invoque pas la Charte, trop faibles secours! mais il y a quelque chose au delà. Cette destitution est une sérieuse entreprise.
Ici commence un admirable éloge du jury, que le manque de temps et d'espace me force à passer, et, parlant enfin de l'état de la société, il ajoute en terminant
Non, messieurs, tout n'est pas perdu. Dieu n'a pas retiré sa main, il n'a pas dégradé la créature faite à son image le sentiment moral, qu'il lui a donné pour guide, et qui fait sa grandeur, ne s'est pas retiré des cœurs. Le remède que vous cherchez n'est que là. Les remèdes, auxquels le président du conseil se confiait hier,illusions d'un homme de bien irrité, sont des actes de désespoir,, et ils porteraient une mortelle atteinte à la liberté à cette liberté, dont nous semblons avoir perdu à la fois l'intelligence etle besoin, achetée cependant par tant de travaux, de douleurs, de sang répandu pour sa noble cause. Je rejette ces remèdes funestes, je repousse ces inventions législatives, où la ruse respire. La ruse est l'âme de la force et une autre école de l'immoralité, AyoïH plus de confiance, messieurs, dans le pays rendons-lui honneur. Les sentiments honnêtes y abondent; adressons-nous à ces sentiments; ils nous entendront, ils nous répondront. Pratiquons la franchise,la droiture, la justice exactement observée, la miséricorde judicieusement appliquée si c'est une révolution, le pays nous en saura gré, et la Providence aidera à nos efforts.
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La voix de Royer-Collard ne fut pas plus écoutée par les ministres de la branche cadette qu'elle ne l'avait été par ceux de la branche aînée; on vota les lois de Septembre.
Vous venez de voir quel était le genre d'éloquence de cet orateur philosophique. M. de Cormenin l'a analysée avec sa finesse habituelle et dans son style à images travaillées.
Un mot, dit-il, un seul axiome, fécondé par la méditation de cette forte tête, se grossissait, épaississait, grandissait, comme le gland qui devient chêne, dont toutes les ramifications partent du même tronc, et qui, animé de la même vie, nourri de la même sève, ne forme qu'un même tout, malgré la variété de son feuillage et la multiplicité infinie de ses rameaux. Tels étaient les discours de M. Royer-Collard, admirables parl'unité de leurs principes, par les poussées vigoureuses du style et par la beauté de la forme.
Il faut tout dire pourtant. Cette argumentation, procédant par la méthode philosophique, n'est point sans inconvénients, et, à l'examen, on trouve parfois, dans les discours de M. Royer-Collard, que l'extérieur de la logique trompe sur le fond que ses déductions, si habilement conduites, partent d'un principe vague ou contestable, que cet échafaudage enfin, dans lequel tout se tient, tient lui-même à peu de chose. Le recours perpétuel aux axiomes, la brièveté des formules, je ne sais quoi d'absolu dans l'accent, donnent aux discours de ce chef de l'école doctrinaire une autorité, qui s'impose de prime abord mais qui s'écroule à la réflexion. Sa profon-
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deur, réelle souvent, souvent aussi n'est qu'apparente. La ligne des arguments est si serrée qu'on suppose derrière une armée, tandis qu'il n'y a que le vide. Ajoutons que cette manière ne peut évidemment convenir qu'à une individualité exceptionnelle et *t n'est pas, à vrai dire, une école d'éloquence parle. mentaire. M. Royer-Collard est bien moins un parleur qu'un écrivain. Ses rares discours sont des mor. ceaux parfaits, mais longuement médités, faits et refaits à loisir pour une occasion solennelle. Il n'y a rien, chez lui, de l'abondance et de la spontanéité, qu'il faut aux chefs de parti dans les assemblées délibératives. Les hommes comme Royer-Collard y sont nécessaires, sans doute, mais ne peuvent y être que de brillantes spécialités. L'orateur véritable, celui que la discussion trouve toujours prêt, que rien ne trouble, et qu'on peut vaincre, mais jamais abattre, a eu dans notre histoire parlementaire un représentant, moins littéraire, mais bien autrement complet. Nous parlons de Manuel.
Il s'était fait connaître à la Chambre des Cent Jours, où son influence avait rapidement grandi. Nommé député sous la Restauration, il se trouva naturellement placé à la tête du parti libéral il lui apporta une facilité de parole, une rigueur de dialectique et une fermeté de caractère, dont nous n'avons point eu d'autre exemple. N'essayant ni à passionner ni à émouvoir, il passionnait, il émouvait à force d'avoir raison. Il vous montrait si clairement la vérité que vous l'adoptiez avec l'activité énergique de la foi il vous forçait à mettre votre cœui
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lui-même au service de votre esprit convaincu. Cette forme de l'éloquence, que je vous ai autrefois signalée dans Démosthène (1), et qui se montre aussi dans Mirabeau, donna à l'opposition de Manuel un caractère particulier. Toujours vaincu dans les votes, mais toujours victorieux dans la discussion, il avait amené la majorité à être embarrassée de ses propres succès. Rien ne pouvait lasser l'implacable logicien. Debout à la tribune, il arrêtait au passage chaque loi de ses adversaires, lui arrachait le masque, sous lequel on avait tenté de la déguiser, et ne la laissait passer qu'après l'avoir marquée d'un stigmate, qui la signalait à la France entière comme folle ou coupable.
Or, les majorités n'étaient point encore accoutumées à prendre leur force pour un droit elles avaient assez d'ignorance des assemblées délibératives pour se sentir mal à l'aise dans l'absurde. On essayait bien à étouffer les discussions par les cris la clôture On connaissait déjà la tactique des interruptions et les comédies d'indignation mais Manuel, inébranlable au milieu de toutes les tempêtes, attendait le silence et reprenait son inflexible raisonnement au point où il l'avait laissé. Ce sangfroid exaspérait surtout ses adversaires, et de l'impatience ils passaient parfois à l'injure; mais c'était alors que la fermeté tranquille de Manuel grandissait jusqu'à un véritable héroïsme parlementaire. Nous ne pourrons jamais oublier le dramatique spec(1) Allusion aux Causeries littéraires, cours de littérature ancienne, professé en Suisse, par K. Souvestre en 1853. (Note de l'éditeur.)
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tacle que nous offrit une de ces orageuses discussions, où le hasard nous servit au delà de nos espérances. Nous sortions du collège, et c'était la première fois que nous apercevions, du haut des tri.bunes, cette Chambre, dont les débats passionnaient. alors la France et occupaient l'Europe entière. Nous arrivions là, enflammé par tous les enthousiasmes de nos dix-sept ans, et notre œil cherchait avec respect les orateurs illustres, qu'un ami nous indiquait l'un après l'autre. Ici il nous montrait un homme à figu.re fine et aristocratique, dont les longs cheveux tombaient jusque sur les épaules en boucles grisonnantes. Une plume à la main, il écoutait l'orateur et écrivait à mesure ce qu'il allait lui répondre c'était Benjamin Constant..
Près de lui siégeait un vieillard, qui semblait tenir le milieu entre le militaire et le gentilhomme la tête haute, les lèvres souriantes, il avait, au fond du regard, je ne sais quelle expression de courage insouciant et presque étourdi. C'était Lafayette.
Deux de ses voisins se faisaient remarquer, l'un par son air de bonhomie un peu matoise, l'autre par ses brusques mouvements, sa physionomie impérieuse on me nomma Laffitte et Casimir Périer.
Enfin, au milieu d'un groupe formé par le général Sebastiani, reconnaissable à ses gants jaunes, M. de Serre, dont tous les muscles du front s'agitaient sous le travail de la pensée, Royer-Collard, qui ne laissait rien deviner sur son visage aux lignes solides, mais un peu lourdes, j'aperçus un homme de petite taille, mais dont le port, les gestes, le hocne-
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înt de' tête avaient quelque chose de chevalerese c'était le général Foy. Je m'oubliais à regarr ce brillant défenseur de la gloire militaire de împire et des libertés de la Restauration, lorsqu'un and mouvement se fit dans l'immense salle il yeva, à droite, une rumeur prolongée, comme Ile qui annonce l'orage Manuel venait de monter la tribune.
Sa taille était haute, son visage pâle, ses manières mples, sa voix agréable, bien que timbrée par iccent méridional. Je ne me souviens plus de )bjet du débat, et je ne pus suivre les développeents par lesquels il appuyait son opinion. L'inatntion systématique de la majorité, ses conversations rayantes et ses rires moqueurs ne permettaient entendre que des phrases interrompues.
Après avoir lutté quelque temps contre le bruit, Manuel, qui ne cédait jamais en pareilles circonsmces, s'arrêta court en croisant les bras. Parlez âne cria la droite, ironiquement.
-Je parlerai, quand vous ferez silence pour m'enmdre, répliqua tranquillement Manuel.
Insolent cria une voix.
Manuel tressaillit une rougeur rapide traversa ses 'aits la Chambre avait fait silence. Il se tourna internent vers le point d'où l'injure était partie, et, ans élever la voix, sans la ralentir ni la précipiter, Idit:
J'ose affirmer que celui qui vient de prononcer e mot ne se nommera pas. ̃̃>̃ Une réponse confuse partit du milieu des )ancs.
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Je somme l'auteur de l'insulte de se faire connaître, reprit Manuel, dont la haute taille se redressa, et qui promenait sur la foule des députés un regard, où venait de s'allumer une flamme.
Il y eut une pause solennelle, que la droite interrompit enfin par les cris « A la question » Ainsi, personne n'a répondu ? demanda l'orateur, l'œil toujours fixé dans la même direction. Non! s'écrièrent plusieurs voix.
Personne ne veut répondre ? ajouta-t-il, en insistant.
Non! non! répliqua-t-on de toutes parts. Un sourire de dédain effleura ses lèvres, mais, reprenant aussitôt sa première attitude:
Alors il ne me reste plus qu'à conclure, dit-il. Ce qu'il fit, avec le même calme et la même lucidité d'esprit que si rien ne se fût passé.
Mais cette constante supériorité sur ses adversaires les avait poussés à bout. En 1823, ils n'y tinrent plus et résolurent de se débarrasser à tout prix d'un pareil contradicteur. ,-t
Chaque fois que Manuel prenait la parole, vingt députés accouraient s'embusquer au pied de la tribune, guettant chaque mot, et Efforçant par leurs exclamations, de faire croire à un scandale. Enfin ils trouvèrent le prétexte qu'ils cherchaient depuis si longtemps.
Ce fut à l'occasion de la campagne, préparée contre lesCortès d'Espagne, pour rendre à Ferdinand VU le pouvoir absolu. Manuel improvisa un discours dan. lequel il déclarait que la guerre, faite par un gouvernement constitutionnel pour détruire la constitu
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tion d'un peuple voisin, était une iniquité et un non-sens. Il ajouta qu'elle pouvait faire courir de sérieux dangers au prince que l'on prétendait secourir.
Avez-vous oublié, messieurs, dit il, que l'appui de l'étranger, donné aux Stuarts, les a fait renverser du trône? Avez-vous oublié que c'est parce que les puissances étrangères étaient venues en France, que Louis XVI a été précipité ?
Ici de violents murmures éclatent et l'interrompent.
Je ne sais, reprend Manuel, si c'est l'analogie de ces faits ou leur vérité, que l'on prétend contester. Ai-je besoin de répéter que le moment où les dangers de la famille royale, en France, sont devenus plus graves, c'est lorsque la France la France révolutionnaire a senti qu'elle avait besoin de se défendre par une force et par une énergie toutes nouvelles. Les clameurs ne lui permirent pas de continuer. Ses adversaires avaient trouvé ce qu'ils cherchaient; ils crurent que l'orateur faisait l'apologie du régicide. Ils demandèrent au président de lui ôter la parole et, comme ce dernier faisait observer que le règlement lui permettait de s'expliquer, ils répondirent Nous sommes plus forts que le reglement, et l'expulsion de Manuel fut proposée. Il remonta alors à la tribune et n'eut pas de peine à prouver qu'avertir que l'on mettait en danger la vie d'un roi, c'était précisément le contraire de pousser au régi-
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cide. Puis, comme M. Hyde de Neuville avait dit que, pendant la Révolution, ton l'honneur de la trance s'était réfugié dans l'armée, mensonge historique qui était devenu un des lieux communs favoris de cette époque, il termina par une courageuse protestation
Trop jeune, dit-il, pour prendre une part active à la Révolution française, je me trouvais alors dans les rangs de cette armée, où l'on a dit que tout l'honneur de la France s'était réfugié. Toutefois je me hâte de dire que je n'accepte pas cet hommage, rendu àl'armée aux dépens de la nation. L'honneur français était partout, et nous ne pourrons jamais oublier que nous devons à la Révolution des bienfaits immenses et solennellement reconnus.Mais vous voulez m' éloigner de cette tribune; c'est là seulement ce qui vous importe.Eh bien! prononcez votre arrêt;je ne chercherai pas à l'éviter. Je sais qu'il faut que les passions aient leur cours; votre conduite est tracée par celle de vos devanciers et de vos modèles tout ce qui a été fait par eux, vous le ferez; les mêmes éléments doivent produire les mêmes résultats. Je serai votre première victime, puisse-je être la dernière! Je n'emporterai aucun ressentiment; mais, si je pouvais être animé de quelque désir de vengeance, victime de vos fureurs, je confierais à vos fureurs le soin de me venger. Une commission, nommée par la majorité, conclut à l'exclusion de Manuel plusieurs députés prirent sa défense quant à lui, il refusa de subir le rôle d'accusé.
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Jamais, s'écria-t-il, je ne donnerai à mes adversaires la satisfaction de me voir placé devant eux sur une sellette, où ils n'ont pas le droit de me faire descendre. Que d'autres cherchent à avilir la représentation nationale; ils y ont, sans doute, un coupable intérêt moi, poussé par un sentiment bien différent, je ferai tout ce qui dépendra de moi pour lui conserver son lustre. Je déclare donc que je ne reconnais ici à personne le droit de m'accuser ni de me juger. Si je cherchais ici des juges, je n'y trouverais que des accusateurs. Ce n'est point un acte de justice que j'attends, c'est à un acte de vengeance que je me résigne. Dans un tel état de choses, j'ignore si la soumission est de la prudence, mais je sais que, dès que la résistance est un droit, elle est aussi un devoir. Arrivé dans cette Chambre par la volonté de ceux qui avaient le droit de m'y envoyer, je ne dois en sortir que par la violence de ceux qui n'ont pas le droit de m'en exclure et, si cette résolution doit attirer sur ma tête déplus grands dangers,je me dis que le champ de la liberté a été quelquefpis fécondé par un sang généreux. Vous savez le reste. L'exclusion fut prononcée, mais le lendemain Manuel vint reprendre sa place dans l'assemblée, en grand costume de représentant. Il fallut appeler les gendarmes un officier leur cria Empoignez M. Manuel, et celui-ci, satisfait d'avoir constaté l'attentat commis contre l'inviolabilité représentative, se retira, suivi de tous ses amis.
Vous avez pu juger par ces citations le genre de talent de Manuel. Ce qui domine dans ce talent,
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c'est la puissance de démonstration, que donne à l'orateur une constante possession de lui-même. La forme, bien qu'élégante et noble, n'est jamais colorée d'images. Le sentiment ne sort point d'une sphère sereine, où la dialectique n'a que faire du secours des passions.
L'éloquence du général Foy a un tout autre caractère. On y retrouve l'argumentation bien déduite, la sève de bon sens, qui ne peut faire défaut au véritable orateur mais ce qui frappe surtout chez lui, c'est une sorte d'accent militaire, admirablement servi, à la tribune, par une impétuosité qui n'était point de la violence. Si l'éloquence de RoyerCollard a sa source dans la philosophie, celle de Manuel dans la dialectique, celle de Lainé et de Martignac dans un loyalisme qui réchauffe le cœur, l'éloquence du général Foy a été évidemment, puisée dans les camps. Elle se distingue par je ne sais quoi de généreux, de sonore et d'éclatant. On sent que l'orateur a autrefois parlé à des soldats au milieu de la bataille, quand il fallait trouver sur-le-champ la phrase qui touche et qui enlève. Les mots de patrie, de gloire et d'honneur ont dans sa bouche une vibration particulière il semble qu'il les prononce mieux qu'un autre. On le comprit dès son apparition à la tribune, le 30 décembre 1819, lorsque, soutenant la pétition d'un légionnaire, qui se plaignait des réductions opérées sur son traitement, il prononça ces paroles, restées dans la mémoire de tous les contemporains
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Pendant un quart de siècle, presque tous nos citoyens ont été soldats depuis la paix, nos soldats sont redevenus citoyens. Souvenirs, sentiments, espérances, tout fut, tout est resté commun entre la masse du peuple et notre vieille armée aussi les paroles, qui s'élèvent de cette tribune pour consoler de nobles misères, sont-elles recueillies avec avidité jusque dans les moindres hameaux. Il y a de l'écho en France lorsque l'on prononce les mots d'honneur et de patrie.
De même que Manuel saisissait toutes les occasions de défendre la Révolution dans ce qu'elle avait eu de légitime, le général ne laissait passer aucune de celles qui lui permettaient de défendre les guerres de l'Empire dans ce qu'elles avaient eu de glorieux. Cette fidélité à ses frères d'armes et à son drapeau soulevait parfois des tempêtes, mais c'était alors surtout que brillait l'éloquence spontanée de l'orateur.
Parlant un jour des arrière-pensées du gouvernement, qui espérait rétablir bientôt la censure, il assura que les censeurs n'avaient point été renvoyés, qu'ils continuaient à recevoir leur salaire.
Ils sont à la demi-solde s'écria une voix de la droite.
Si cela est vrai, répliqua vivement le général Foy, je désire que vous les traitiez comme vous avez traité les officiers qui avaient versé leur sang pour la patrie. Je désire qu'ils ne soient jamais rap pelés au service.-» »
Une autre fois, M. de Serre, passé des rangs de
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l'opposition au banc du ministère, ayant fait voter, comme garde des sceaux, une loi qui outrageait la justice, le général Foy se leva et lui dit
– Pour toute vengeance et pour toute punition, monsieur; je vous condamne à regarder en face, lorsque vous sortirez de cette enceinte, les statues de l'Hôpital et de d'Aguesseau.
Il s'était inquiété de quelques mouvements de l'armée autrichienne sur nos frontières, et communiquait à la Chambre ses inquiétudes. Un de ces aboyeurs du ministère, qui n'avaient de voix que pour insulter et interrompre, lui cria ironiquement
Envoyez ces nouvelles à la Bourse 1
Le général Foy se retourna vivement.
« Quelqu'un, que je ne connais pas, vient de me dire d'envoyer ces nouvelles à la Bourse, reprit-il, sans doute il a cru s'adresser à un de ses amis je ne connais point les jeux de la Bourse, moi; je ne joue qu'à la hausse de l'honneur national. » C'était dans ces moments que la majorité, confuse, interrompait la discussion, en criant La clôture et le général répondait en s'écriant.
Vous voulez la clôture et non des vérités; les vérités vous submergent!
Mais lui-même fléchissait sous le poids de cette lutte sans trêve. En vain ses médecins, ses amis le suppliaient de prendre du repos chaque jour il venait se replonger dans la fournaise d'où il sortait le soir plus pâle. Enfin il succomba à cette continuité de luttes et d'émotions, qui en a tué >.ant d'autres avant et après lui. Car, lorsque la pensée remonte
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dans notre histoire parlementaire des dernières années, elle retrouve à chaque pas quelque précieuse existence ainsi sacrifiée aux intérêts publics. Les gouvernements représentatifs de la Restauration et de Louis-Philippe ont été presque aussi meurtriers à leurs hommes politiques que le gouvernement militaire de Napoléon à ses généraux. Ce que faisait le boulet sur les champs de bataille, l'effort de la pensée l'accomplissait dans nos assemblées délibératives. Là aussi, les plus hasardeux tombaient bientôt frappés au foie, à la tête ou au cœur. Ce fut ainsi que moururent successivement Camille Jordan, de Serre, Lainé, le général Foy, Manuel, Martignac, le général Lamarque, Garnier-Pagès, Casimir Périer et vingt autres, dont les noms occupent une place moins importante dans ce long martyrologe. Tristes et inutiles dévouements, s'il était vrai, comme on nous le dit, que toute discussion des intérêts publics est inutile, que Dieu n'a pas donné aux hommes la raison et la parole pour qu'ils s'éclairent réciproquement, que la volonté d'être libre n'est pas la conséquence de la loi qui nous fait responsables, mais une inspiration de l'orgueil envieux ou de l'anibition turbulente. Grâce au ciel, ils ne l'ont point cru, ces hommes de bonne volonté et de grand courage qui, pendanttant d'années, ontlutté pour cequ'ils croyaient la vérité. Quelque opinion qu'ils aient défendue, quand ils l'ont fait avec génie et loyauté, nous ne leur refuserons, pour notre part, ni notre sympathie ni notre admiration. Bien que nos cheveux soient déjà blancs; nous n'en sommes point encore arrivés) (et nous en'remercions Dieu), à l'incrédulité des
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grands principes et au dégoût des hommes illustres qui ont passionné notre jeunesse. Non, ils ne travaillaient point à une œuvre vaine, ces orateurs de la Restauration qui faisaient dire à un de nos historiens, Sismondi, dans une lettre que je possède: Tant que la tribune française sera ce qu'elle est, je ne désespérerai pas de la cause libérale en Europe. » Et j'ajouterai, aujourd'hui même que cette tribune fait silence, après avoir retenti de tant de discours étranges; aujourd'hui que l'attention générale, fixée à des questions sanglantes de faits, se détourne du débat des idées: j'ai confiance dans les lois de Dieu qui, au milieu des délires humains, construisent lentement, mais sûrement l'avenir. Cette parole, dont notre âge a beaucoup abusé sans doute, j'ai encore espérance en elle, parce que c'est après tout l'arme véritable de la civilisation, la seule qui, comme la lance d'Achille, puisse guérir les blessures qu'elle a faites, parce que se soumettre en silence, c'est être seulement une chose, tandis que parler, sous l'impulsion de sa conscience et- de sa raison, c'est être un homme.
Un mot encore, et j'achève. Vous avez remarqué peut-être que la plupart des orateurs, cités par nous, appartenaient à l'opposition, bien qu'à des titres différents la même observation pourra être faite de nouveau, lorsque nous aurons à reprendre l'histoire de la tribune parlementaire pendant le règne du roi Louis-Philippe. Est-ce à dire que, sous les deux dynasties, aucun homme éloquent n'a soutenu le pouvoir, ou qu'une prévention aveugle nous empêche de leur rendre justice? Ni l'un ni l'autre. Si nous
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avons pris nos modèles d'éloquence parmi les assaillants, c'est que, sauf de très rares exceptions, on ne peut les trouver ailleurs. Cela est vrai, non seulement cour la tribune française, mais pour toutes les tribunes. Fox, Burke, Sheridan, O'Connell étaient aussi des orateurs de l'opposition, et comment en serait-il autrement? L'opposition, c'est la défense, apparente ou réelle, des principes contre le fait, de ce qui est faible contre ce qui est fort. Alors même qu'elle est injuste, elle a pour elle un air d'audace et d'indépendance et tout l'éclat de l'attaque. Tandis que les hommes du gouvernement, retranchés dans l'autorité comme dans un fort, font feu de leurs casemates, l'opposition se précipite à l'assaut, en plein soleil, précédée de drapeaux, sur lesquels se lisent les plus nobles devises et animée par toutes les fanfares de la publicité. De là des prouesses héroïques. A égalité de valeur, l'assaillant joue évidemment une partie plus éclatante que le défenseur. J'ajouterai qu'il a, en général, plus souvent raison, parce qu'il est plus facile à chacun de voir les fautes d'un gouvernement qu'au gouvernement de les éviter, parce que celui qui critique s'en réfère aux principes absolus, sans vouloir ni sans pouvoir tenir compte des obstacles de détail ceci vous explique comment tant de talents oratoires semblent tout à coup faiblir après l'élévation de l'orateur.
Nous aurons pourtant occasion de signaler quelques remarquables exceptions parmi les contemporains plus rapprochés de nous. Mais, avant d'y arriver, nous devons parcourir le cercle entier des tentatives littéraires de la Restauration, en suivant
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leur ordre d'importance sociale; or, après la tribune vient naturellement la presse, dont nous aurons l'honneur de nous occuper laséance prochaine (1). (lj Contrairement à ce qui est indiqué ici, la troisième leçon traite de la Tribune sous Louis-Philippe. L'auteur a hésité entre l'ordre chronologique et l'ordre logique, entre la division par époques et la division par genres, et a adopté finalement la seconde. (Note de l'éditeur.)
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TROISIEME LEÇON
La tribune sous Louis-Philippe.
SOMMAIRE
Le gouvernement de Louis-Philippe, époque la plus brillante de l'éloquence parlementaire.
Le général Lamarque. Ses aventures héroïques orateur confus, mais qui a de nobles et généreuses inspirations. Guizot. Sa conception étroite de l'autorité. Sa logique impérieuse et tranchante, son ton hautain. Esprit porté aux généralités, il perd de vue le détail des faits, se soustrait à l'examen des questions par la diversion des principes, fait la leçon à l'adversaire, professeur à la tribune. Thiers. Son éloquence familière et concrète. Traite avec une clarté superficielle tous les sujets, parait tout comprendre et tout expliquer. Vulgarisateur parlementaire caractère souple et ambitieux, visant le succès. Talent fait pour l'opposition, humeur taquine. Ce qui fait sa grandeur l'intelligence. Ce qui lui manque l'élévation.
Odilon Barrot. Son opposition sans portée. Son éloquence vide et creuse. – Garnier-Pagès. Noblesse de son caractère. Touchant exemple d'amour fraternel. Le discours en faveur de la liberté d'association, contre les sociétés secrètes éloquente profession de foi.
Berryer. Orateur complet, grand par l'action, le geste et la parole. Improvisateur de génie, fait pour être entendu, non pour être lu. Son patriotisme. Son royalisme indépendant et courageux. Lamartine. Poète royaliste et catholique, le
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libéralisme lui oppose d'abord, comme rival, Casimir Delavigne. Une épître de C. Delavigne à Lamartine. Chez Lamartine, deux influences contraires l'éducation et la réflexion personnelle. A la chute de Charles X, Lamartine quitte la carrière diplomatique et se présente à la députation. Attaques de la Némésis contre sa candidature. La réponse du poète. Le voyage en Orient. Lamartine à la Chambre. Ses débuts éclatants. Caractère de son éloquence. L'inspiration oratoire. Son opposition au gouvernement de Louis-PhilippeSa valeur politique esprit flottant, qui a des aspirations plutôt que des principes. Son vrai rôle à la Chambre il y apporte la chaleur et la flamme des sentiments généreux. La Révolution de Juillet, en renouvelant le personnel politique de la France, amena à la tribune représentative de nouveaux orateurs, et accrut l'importance de quelques-uns de ceux qui s'étaient révélés à la fin du règne précédent. Les débats, plus étendus et plus libres, surtout au début, profitèrent à l'éloquence parlementaire. On vit se produire des personnalités oratoires, jusqu'alors inconnues dans nos assemblées. La Chambre, ouverte à plus d'intelligences, offrit un ensemble plus varié, où presque toutes les opinions et toutes les habitudes du pays se trouvèrent représentées. Ce fut véritablement chez nous la brillante époque des assemblées délibératives non que les talents aient été supérieurs peut-être, mais parce qu'ils furent plus divers et plus nombreux. Le génie français parcourut, en quelque sorte, tout le clavier de l'éloquence oratoire, en partant de la causerie de M. Thiers pour arriver aux poétiques improvisations de Lamartine, et depuis la dialectique sans ornements de M. Guizot jusqu'aux images éblouissantes de Victor Hugo.
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Mais ce recrutement d'orateurs, si éminents et si dissemblables, ne se fit que lentement. La Chambre, qui avait proclamé le nouveau règne, bien qu'elle renfermât beaucoup d'hommes nouveaux, se laissa conduire par les vieilles renommées. Lafayette, Casimir Périer, Laffitte, Dupont de l'Eure, Dupin, furent, -au début, ses chefs et ses orateurs. Mais d'autres noms ne tardèrent pas à surgir. Un des premiers fut celui du général Lamarque. Sa vie militaire avait été uue suite d'aventures héroïques. Après avoir fait son apprentissage sous La Tour d'Auvergne, ce Breton de Sparte, illustre par son caractère, comme d'autres l'ont été par le génie, Lamarque prit avec deux cents grenadiers la ville de Fontarabie, que défendaient quatre-vingts bouches à feu et dix-huit cents Espagnols. Envoyé plus tard d'Autriche dans le royaume de Naples avec sept soldats d'escorte, il avait dû traverser le Ferstein, haute montagne du Tyrol, où une avalanche l'avait englouti, lui et ses compagnons. Retirés vivants par miracle, ils rencontrèrent aux approches de Naples une troupe de cinquante hommes, commandée par le terrible Fra Diavolo, à travers laquelle ils s'ouvrirent un passage. Mis à la tête de quelques bataillons, il purgea ensuite le pays des brigands qui l'infestaient. Mais les Anglais s'étaient retranchés dans l'île de Capri, qu'ils pensaient avoir rendue imprenable, et à laquelle ils avaient donné le nom de Petit Gibraltar. Leur présence à l'entrée de la rade tenait en échec les troupes françaises Lamarque partit à la tête de dix-huit cents hommes et l'on aperçut le lendemain le drapeau tricolore qui flottait sur la citadelle. Le
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ministre Saliceti vint s'assurer du succès de l'entreprise dans l'île elle-même, et s'en retourna frappé de stupéfaction. « J'ai trouvé les Français à Caprin, écrivait-il le soir même, « mais je ne puis croire qu'ils y soient entrés. »
Plus tard, à Laybach, avec six bataillons seulement, il enleva à l'ennemi un camp retranché, cinq mille prisonniers et soixante pièces de canon. A Wagram, il eut quatre chevaux tués sous lui. Appelé, pendant les Cent-Jours, à combattre l'insurrection de la Vendée, il fit tous ses efforts pour prévenir les hostilités. Après le combat de la Roche-Servière, il écrivait au ministre
« L'aspect du champ de bataille, où l'on ne voit que des Français, déchire l'âme je vais poursuivre les Vendéens bien plus par mes propositions de paix que par mes colonnes. » ie
Tel était l'homme qui allait prendre, à la tribune, la place du général Foy. Supérieur à ce dernier par un génie militaire qui l'appelait à remplacer les plus célèbres maréchaux de l'Empire, son égal pour la chaleur généreuse des sentiments, Lam^rque fut toujours très loin de lui comme orateur. Son argumentation était confuse, ses preuves mal développées et présentées sans ordre, son style gonflé de rhétorique. Par éclairs seulement, il trouvait d'heureuses et rapides inspirations, qu'il lançait dans le débat, comme autrefois ses bataillons sur l'ennemi. Les désastres de 1815 lui avaient laissé une blessure au cœur, et il eût voulu déchirer les traités imposés le lendemain d'une défaite.Dans le discours qu'il prononça, le 6 janvier 1831, pour conseiller la
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réunion de la Belgique à la France, il soutint, avec raison, que ces traités avaient été faits uniquement contre nous, qu'ils ne constituaient pas un équilibre sérieux en Europe et, qu'à la première occasion, la Sainte Alliance se reformerait pour nous combattre.
Mais, vont me dire les ministres, les rois seront enchaînés par les traités et liés par leurs promesses. Liés parleurs promesses 1 Écoutez! Lorsque, vaincu par les éléments, Napoléon eut repassé le Rhin, que proclamaient, à la face du monde, les puissances coalisées? Elles voulaient, disaient-elles, que la France fût grande et forte il le fallait pour la balance de l'Europe, il le fallait pour honorer la victoire par la justice et la modération. Mais, quand la nation trompée eut séparé sa cause de celle de Napoléon; l'esprit de la coalition se développa sans contrainte. Metternich insista pour qu'on changeât en position défensive notre position offensive pour que Landau, livré aux Allemands, les dédommageât de la destructionde Philippsbourg;pour que Strasbourg, trop menaçant, fût réduit à sa citadelle. Allant plus loin, et peut-être son organe secret, le ministre des Pays-Bas disait que la prescription était un droit civil, et non un droit naturel qu'on pouvait, qu'on devait donc, nous éloigner du Rhin et nous enlever l'Alsace, qui n'était pas une province française. Sans la Russie, cette étrange argumentation eût prévalu. Et c'est ainsi, après tant de promesses, qu'on nous imposa cette paix, qui mutilait notre territoire, qui nous déshéritait de nos places fortes et ouvrait les avenues de notre capitale cette paix honteuse, qu'en
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présence des princes, qui l'avaient signée, et bravant leur courroux, j'osai appeler une halte dans la bone.
Ce dernier mot est resté célèbre; il caractérise bien le genre d'éloquence du général Lamarque, toute d'élan et de rencontres. Il en eut un autre, non moins heureux, lorsqu'il conseillait à la nouvelle dynastie d'accepter pour le duc de Nemours le trône de Belgique. Quelques orateurs menaçaient de l'Autriche. Lamarque s'écria
« L'Autriche, messieurs, doit s'apercevoir que la patience des peuples a un terme, et que le Vésuve n'est pas le seul volcan qui fume en Italie. » Lorsqu'il fallut parler en faveur de l'indépendance polonaise, le général Lamarque, bien que déjà souffrant, monta à la tribune. A peine en était-il descendu que le choléra l'atteignit. Il lutta plusieurs jours contre cet ennemi, resté, hélas invincible, et jusque dans son agonie ne parut préoccupé que de l'abaissement de la France. Au souvenir de ses campagnes, une sorte d'exaltation guerrière l'avait saisi, il se fit apporter son épée, il demanda pourquoi on ne vengeait pas Waterloo, il prononça le nom de Wellington en murmurant « Cet homme. je suis sûr que je l'aurais battu » Puis il se retourna, en serrant la garde de son épée, et ferma les yeux pour ne plus les rouvrir. C'était le génie militaire, l'héroïsme de l'Empire, qui venait de rendre le dernier soupir. Un autre ordre d'idées allait présider aux affaires du monde, et demandait d'autres représentants.
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Parmi ceux-ci, M. Guizot fut le premier à se produire. Il apporta, dès le premier jour, à la tribune, sa raison élevée, mais dogmatique et un peu dure. L'idée de compression semblait dès lors primer chez lui toutes les autres; ce qu'il voyait dans le peuple, c'était bien moins des hommes à aimer que des forces brutales à contenir. Non qu'il ne leur voulût du bien, mais il le voulait froidement. On sentait au sommet de sa morale le devoir placé plus haut que lacharilé; sa défiance du genre humain ne s'était jamais adoucie en traversant son cœur. Lorsqu'on demanda de voter des fonds pour occuper les ouvriers de Paris, qui mouraient de faim « Votons, dit-il froidement, le travail est un frein. »
Dans une autre occasion, après avo;r discuté les différentes doctrines gouvernementales et les sympathies nationales, il ajouta •:
« Je respecte les théories, parce qu'elles sont le travail de la raison humaine; les passions, je les honore, parce qu'elles j jouent un grand et noble rôle dans l'humanité mais ce n'est pas avec des forces de cette nature que l'on fonde les gouvernements. »
Ce qui suppose que ceux-ci ne doivent tenir compte ni des élans de l'âme ni des aspirations de l'intelligence. Laissé d'abord en dehors du ministère, M. Guizot se rattacha à la droite de la nouvelle Chambre, tandis que M. Thiers commandait la gauche ralliée, et que M. Dupin devenait l'orateur du centre. Au commencement, sa parole avait conservé une sorte d'impartialité il avait paru comprendre les opinions contraires à la sienne et en admettre l'ex-
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pression; mais cette tolérance alla bientôt s'affaiblis. sant, et finit par disparaître lorsqu'un portefeuille lui fut confié en 1832. Dans la lutte entre l'autorité et la liberté, M. Guizot avait été naturellement porté par ses instincts à la défense de l'autorité, mais, comme il arrive toujours, son intelligence, mise au service de ses penchants, avait fini par les exagérer. Cependant, aussi longtemps qu'ils resta hors du pouvoir, il aperçut les limites une fois au centre de l'autorité, il cessa de les voir, il crut que gouverner, c'était seulement retenir. Son ambition avait d'ailleurs pris feu le goût du commandement lui était venu, et, soutenu par une confiance en lui-même, qui a été l'infirmité de cette nature choisie, il arriva insensiblement à se confondre avec le droit, avec la vérité, et à ne voir dans ses adversaires que le mensonge ou la folie.
A mesure que l'opposition se dressa plus hostile autour de M. Guizot, il affecta de la braver plus ouvertement, de formuler ses doctrines d'une manière plus tranchante. Sa logique avait l'air d'un perpétuel défi. A chaque demande il répondait par un refus plus hautain chaque accusation exhaussait son piédestal on eût dit qu'il tenait à honneur de pousser à bout ses adversaires. Il en résulta, dans les derniers débats, une amertume et un emportement à froid, dont aucune parole ne peut donner idée.
Il faut avoir vu M. Guizot à la tribune, toujours plus pâle de colère, mais la tête droite, la voix ferme, le geste dédaigneux, provoquant d'un regard d'acier ceux qui l'attaquaient et les flagellant de sa parole
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magistrale, comme le maître qui châtie un écolier ignorant et vicieux il faut l'avoir entendu s'interrompre, en se tournant vers la gauche furieuse, qui lui reprochait son voyage de Gand, et lui dire, d'une voix qui semblait résumer tous les mépris « Vous avez beau faire, vos injures ne pourront jamais s'élever au niveau de mon dédain » il faut avoir enfin senti passer dans l'air ce souffle éloquent, comme une rafale puissante, mais glacée, pour savoir ce que l'honnêteté implacable et l'inflexible orgueil peuvent dépenser de raison à ne convaincre personne, et de nobles sentiments à froisser les cœurs. Et cependant ne croyez point que ce soit la souplesse qui fasse défaut au talent de M. Guizot. Son esprit peut se plier à toutes les études, et sa parole, prendre le ton convenable à tous les sujets ce qui lui manque, c'est la tendresse. Les arguments, que lui fournit sa belle intelligence, ne passent jamais par son cœur. Il a une manière à lui de traiter les questions, qui le porte dans une sphère, en apparence plus élevée, mais en réalité plus vague. Remontant toujours des faits particuliers à un principe, il le développe, le poursuit dans toutes les directions, et arrive à la conséquence voulue par cette belle et trompeuse route des généralités. Il en résulte je ne sais quoi de magistral et de souverain dans sa dialectique elle semble prouver plus qu'il ne fallait et élargir la question; mais il change ainsi votre point de vue le fait débattu devient un accessoire, qui se perd au loin, dont les détails disparaissent, auquel vous avez presque honte de vous arrêter, et, victime d'un piège d'optique intellectuelle, vous n'avez étendu
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votre horizon que pour perdre la perception précise de ce qui vous occupait.
Que l'opposition de 1836, par exemple, reproche au ministère de M. Guizot d'avoir touché aux libertés de la presse, aggravé les primes, porté atteinte à l'institution du jury, ne croyez point que M. Guizot entre dans la discussion de ces différentes accusations il les résumera toutes sous une formule générale, et voici ce qu'il répondra
Tous les reproches faits à notre politique se réduisent à ceci on l'accuse d'être rétrograde. Je ne pense pas, messieurs, que le progrès consiste à marcher en aveugle. Quand la société a été longtemps enfoncée dans la licence, le progres, c'est de retourner vers l'ordre le progrès, c'est de rentrer dans la vérité. dans les conditions éternelles de la société. Si la société avait besoin d'une extension indéfinie, je dirai même d'une extension nouvelle des libertés publiques, si ce besoin était hautement exprimé. si tel était le vœu bien clair de la nation alors il y aurait progrès à y déférer. Mais si la société a besoin d'autre chose, si elle a besoin de retrouver l'esprit et les principes de conservation, qu'elle a perdus longtemps, le retour à ces principes conservateurs est un progrès. Il n'y a pas de progrès à rebrousser vers 1791 ce qui était progrès alors serait rétrograde aujourd'hui. Les besoins qu'on avait alors sont satisfaits les besoins d'aujourd'hui n'existaient pas alors. Il ne faut pas nous pousser de nouveau, et aveuglément, dans les voies dont nous avons essayé de clore le passage, et au bout desquelles nous avons vu ruine et destruction. Je repousse donc cette accusation
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de politique rétrograde c'est un préjugé, c'est un anachronisme, c'est une routine vous vous traînez dans l'ancienne ornière vous répétez ce qu'on disait autrefois, sans voir que tout est changé. C'est nous, oui, nous, qui avons l'intelligence des besoins nouveaux.
Tout M. Guizot est là il établit de hauts principes, les déduit avec une noble raison dans un très beau langage, puis il conclut, sans établir la liaison obligée de ces principes et du fait en question. Nul doute que sa manière d'expliquer le progrès ne soit la vraie, et que celui-ci ne résulte d'un gouvernement conforme aux besoins mais restait à savoir si son ministère était dans ce cas c'était là ce qu'il affirmait sans le prouver. On retrouve le même procédé oratoire dans la plupart de ses discours ils laissent toujours une grande idée de l'orateur, un remarquable enseignement, mais rarement une démonstration suffisante. On dirait que M. Guizot s'enfuit du fait, comme de quelque chose d'inférieur à son intelligence, pour se déployer à l'aise dans les généralités.
Cette méthode, il la devait incontestablement pour une part à la nature même de son esprit, mais, pour une autre part, à ses habitudes de Sorbonne. Il est clair que l'ancien professeur perçait sous le ministre que celui-ci continuait toujours, à son insu, son cours d'histoire, et qu'il avait seulement changé d'écoliers.
Rien de pareil chez M. Thiers. Loin d'avoir l'air
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magistral, sa faconde charmante côtoie sans cesse la familiarité. M. Guizot a de la dignité jusqu'à la roideur M. Thiers est forcé de s'observer pour ne pas devenir trivial. Mais aussi, comme le dit Timon, au bout d'une demi-heure d'oraison, le premier nous fatigue au bout de deux heures, le second nous délasse. Cependant ses débuts à la Chambre furent peu encourageants. On n'était point accoutumé à ce laisser-aller d'un causeur, toujours prêt à ouvrir une parenthèse pour vous donner une explication, ne cherchant aucun effet oratoire, et parlant des affaires publiques, comme il eût parlé de ses propres affaires. On le prit d'abord pour un bavard et l'on s'épargna la fatigue d'écouter. Mais M. Thiers n'était pas de ceux qu'un échec amène à douter d'eux-mêmes. Il se dit que, puisque la Chambre ne le comprenait pas, c'était preuve que son éducation parlementaire n'était pas achevée, et il se chargea de la compléter. La réussite fut telle, qu'avant 1848, M. Thiers était l'orateur le plus écouté. Dès que sa petite taille se dessinait derrière le marbre de la tribune, les députés de tous les partis se hâtaient de regagner leurs bancs. Il attendait que le silence se fût établi, et alors, accoudé sur la tribune, dans une pose nonchalante et familière, il commençait de sa petite voix perçante, qui allait chercher l'oreille la plus éloignée ou la plus rebelle. Loin d'affecter, comme M. Guizot, un retour perpétuel aux principes, il affectait de s'en tenir au côté pratique des questions il se posait en homme positif, sans aucune prétention doctorale, mais qui sait, par hasard, la chose dont il est question, et qui se hasarde à vous faire connaître le résul-
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tat de son expérience. A chaque explication nouvelle, il s'excuse, il prie de lui permettre, il fait simplement observer. les formes oratoires sont aussi petites que l'orateur, mais, comme lui, à force de se hausser sur la pointe des pieds et d'élever la voix, elles finissent par dominer l'assemblée. Non pas que l'argumentation de M. Thiers soit de celles qui forcent à se rendre mais à force d'ondoiements, de considérations partielles, d'entrelacements et d'objections, elle laisse l'esprit de l'adversaire embarrassé. On dirait ces mille petits câbles dont les Lilliputiens enchaînèrent Gulliver pendant son sommeil. Puis les discours de M. Thiers sont si longs, si pleins de retours, d'incidentes, de digressions, qu'on s'efforce en vain d'en saisir le plan. Tant qu'il parle, tout paraît clair, suffisamment suivi dès qu'il a fini, vous cherchez en vain la marche à suivre pour lui répondre. Perdu dans les mille méandres de cette causerie démonstrative, vous ne pouvez tout combattre et vous ne savez que choisir. Votre adversaire ne vous fait pas obstacle, il vous échappe vous ne savez où le prendre, il est partout et nulle part.
Ajoutez que M. Thiers traite avec une égale facilité tous les sujets. Qu'il s'agisse de guerre, de finances, de politique générale, d'administration, il vous déduira ses raisons aussi nettement quelle que puisse être votre ignorance, il vous forcera à comprendre. Cette clarté, apportée dans les questions spéciales, habituellement inaccessibles au plus grand nombre, est même le côté véritablement original du talent de M. Thiers, et la première cause de tous ses suc-
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ces II est devenu, dans la politique, ce que M. Arago était, dans la science, le vulgarisateur obligé; c'est de lui qu'on a attendu l'explication courante de tous les problèmes on s'est accoutumé à ses manières on n'a voulu comprendre que par lui.
Or, malgré son incontestable aptitude à éclairer, M. Thiers n'y arrive le plus souvent que par l'élimination. Il écarte tout ce qui le détournerait de la démonstration générale il la réduit aux proportions les plus élémentaires sa simplification ne procède pas par concentration, mais par retranchement. 11 s'occupe moins de vous apprendre beaucoup que d'abréger ce que vous avez à apprendre. Aussi ne savez-vovs point tout ce que vous pensez savoir; et le problème, si clairement expliqué, vous arrête au moindre détail d'application. M. Thiers ressemble un peu à ces professeurs expéditifs, qui vous apprennent une langue en douze leçons. Lorsque vous les quittez, il semble que rien ne vous embarrassera, et, au premier étranger qui la parle, vous êtes tout surpris de rester court.
Quant au caractère politique de M. Thiers, tout le monde le connait.Ses instincts sont plébéiens,comme sa naissance; mais il veut avant tout réussir. Il va où est la force; par intérêt, sans doute, mais aussi par système, dans la pensée qu'elle assure le succès et que le succès a toujours raison. Sa conduite s'est presque toujours confirmée à cette doctrine. Ainsi, lorsque les lois de Septembre furent présentées, celle qui modifiait l'organisation du jury, ayant soulevé des répugnances jusque sur les bancs de la majorité, M. Thiers, qui était le rédacteur du projet,
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déserta la discussion dans la crainte d'un échec; tandis que M. Guizot, opposé à la loi dans le sein du conseil, crut devoir, comme membre du cabinet, la défendre devant la Chambre. Ceci donne la juste mesure des deux caractères.
A la vérité, les deux talents semblent appelés à des missions contraires. Si M. Guizot est du très petit nombre des orateurs dont l'éloquence peut s'accommoder d'un rôle défensif, M. Thiers est évidemment fait pour l'attaque. Sa voix criarde, son humeur taquine, comme celle de tous les petits hommes, ses audaces libérales, mitigées de prudence bourgeoise tout en fait le représentant de cette :opposition, plus tracassière qu'hostile, dont les commérages affaiblissent le pouvoir, sans qu'elle ait le désir de l'abattre, et qui, après avoir chargé son arme d'idées révolutionnaires, s'étonne qu'elle porte coup, en criant qu'elle ne voulait tirer qu'à poudre. Ceux qui se rappellent la fameuse coalition contre le ministère Molé,ne peuvent avoir oublié les batailles parlementaires, livrées à cette occasion par M. Thiers, et qui lui valurent le surnom de Mirabeau Mouche. En définitive, ce qui manque à son talent, c'est quelque chose qu'il n'a point cherché, qui lui eût été nuisible peut-être, l'élévation. On voit clairement qu'il s'en défie, qu'il cherche à se tenir au niveau du plus grand nombre des intelligences et à leur plaire par son affectation de médiocrité. M. Thiers a mis tout son esprit à n'en point avoir plus que ses auditeurs n'en pouvaient admettre. Chez lui, le fond est plus distingué que l'apparence. Bien qu'il lui soit resté dans les manières une certaine pétulence tri-
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viale et des familiarités de mauvais goût, il sent ce qu'il faudrait faire le tact, qui manque aux formes, ne manque point à l'intelligence, et l'on comprend que M. de Talleyrand ait répondu à quelqu'un, qui le traitait de parvenu « M. Thiers n'est point parvenu, il est arrivé. »
On ne saurait en dire autant d'un autre orateur contemporain, M. Odilon Barrot. Sa spécialité, à lui, semble avoir été de marcher toujours pour ne jamais arriver. Il s'est constamment trouvé d'une journée en avant ou d'une journée en arrière du gouvernement et, par suite, dans l'impossibilité d'y trouver place. Goethe parle d'un apprenti sorcier qui, s'étant mis à lire maladroitement dans le grimoire et à balbutier des incantations inconnues, voit surgir tout à coup, autour de lui, mille prodiges dont il est victime. M. Odilon Barrot a toujours un peu ressemblé à ce sorcier-là. Il a fait, sans s'en apercevoir, des révolutions qui ont tourné contre lui, et préparé, à son insu, des coups d'État qui l'ont rejeté hors de la scène politique. Parleur sonore, il a conduit l'opposition parlementaire pendant vingt années, sans qu'il soit resté de cette longue campagne un principe consolidé ou conquis, sans qu'on puisse citer une sérieuse victoire ou même une belle retraite. Le seul mérite de M. Odilon Barrot a été de ne pas mieux réussir dans ses propres affaires que dans celles de son parti il a prouvé, par son propre exemple la loyauté de son incapacité. Ce qui doit surprendre aujourd'hui, c'est que l'illusion ait pu se prolonger si longtemps. On se demande d'où est
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venue l'autorité acquise à une faconde qui n'a jamais eu pour elle que la pompe stérile des mots. Prenez un discours de M. Barrot, cherchez à dégager l'idée de sa phraséologie redondante, et vous vous trouverez devant le vide. Ici la montagne n'accouche pas même d'une souris Mais la gravité de l'orateur et sa confiance en lui-même ont fait croire, jusqu'à la Révolution de Février, que M. Odilon Barrot était un penseur profond. Proudhon a, le premier, donné le mot de l'énigme, en disant « Il pense profondément à rien. »
Mais, à côté de l'opposition dirigée par M. Barrot, il s'en était formée une autre, peu nombreuse, désignée sous le nom d'opposition radicale, et à la tête de laquelle se trouvait un homme qui n'a point eu le temps de donner toute sa mesure. Nous voulons parler de M. Garnier-Pagès.
Le talent de M. Garnier-Pagès rappelait en beaucoup de points celui de Benjamin Constant. C'était la même souplesse à se glisser entre les arguments d'un adversaire, la même présence d'esprit, la même abondance, avec plus de chaleur d'âme. Aussi clair que M. Thiers, mais moins digressif, moins négligé de forme, il ne lui a manqué, pour arriver à une haute influence, que le temps et l'exercice du pouvoir. Dès le collège, il avait annoncé des aptitudes générales; mais, pour les développer, il lui manquait la fortune, qui donne les loisirs de l'étude son frère, qui comprenait sa supériorité, voulut les lui donner; il lui dit « Travaille à la gloire de notre nom, je travaillerai à notre fortune. » Et il se fit
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l'homme de peine de cette destinée, dont il entrevoyait l'éclat, il garda pour lui les soucis, les affaires, en laissant à son frère aîné le repos et les profits. Aussi longtemps qu'il vécut, ce dévouement continua, sans effort de sa part, sans étonnement de celle de son frère. Tous deux s'aimaient assez pour ne pas chercher qui était l'obligé de l'autre et, s'ils y eussent pensé, tous deux auraient cru que le plus heureux était celui qui donnait le plus.
Bien que les opinions, représentées par M. Garnier-Pagès àla Chambre, y eussent alors peu d'écho, il sut se faire écouter par une majorité souvent intolérante. L'aménité de son caractère et l'honnêteté de sa vie lui faisaient pardonner ses convictions. Les plus aveuglés par la passion sentaient, derrière sa parole, loyalement agressive, une conscience jusqu'au fond de laquelle on pouvait regarder. Prompt aux épigrammes dans les conversations de couloir, il ne leur faisait point monter avec lui la tribune. Son argumentation était spirituelle, ses attaques pressantes, mais toujours sans aiguillon. On pouvait avoir à se plaindre du discours, jamais de l'orateur. Il s'abstenait également de toute flatterie aux partis et évitait ce qui eût pu encourager au dehors les instincts de désordre ou de violence. Dans la séance du 13 mars 1834, il combattit, avec autant de force que de mesure, cette loi inique, par laquelle toute réunion de personnes, quel qu'en fût l'objet, était regardée comme une association illicite. Après avoir prouvé que la loi nouvelle substituerait aux associations publiques les sociétés secrètes, il s'adressa aux hommes de son parti, qui se laissaient entraîner à
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des complots, suivis d'insurrections avortées, et ajouta, avec un accent plein d'émotion
Que reste-t-il de ces actes aventureux, où s'est hasardée une jeunesse trop facile à de nobles impressions ? Une famille désolée, une vie éteinte, et quelques traces de sang sur un échafaud. Non, l'indépendance des peuples ne sortira pas des sociétés secrètes Un mouvement irrésistible pousse le genre humain vers le progrès tout homme de cœur, de talent, de prévision, doit s'associer à cette tendance universelle mais toute accélération partielle vient troubler l'harmonie nécessaire à cette marche de progression et d'avenir. Les gouvernements stationnaires, les Chambres rétrogrades se perdront sur la route. Soldats de la liberté, nous devons combattre pour elle, mais en plein jour, sous le bouclier des lois, en face de nos adversaires. Je crois à son triomphe, parce qu'elle est dans les desseins de la Providence pour le bonheur de l'humanité; parce que, depuis dix-huit cents ans, elle a ses apôtres et ses martyrs; parce que la morale et la raison font, chaque jour, disparaître de l'Europe l'esclavage,le privilège, le monopole devant les immunités du genre humain.
Dans notre état de civilisation, les peuples seuls peuvent faire leurs destinées. Le temps des sociétés secrètes est passé; elles doivent nuire et ne sauraient servir. Ces troubles infructueux, parce qu'ils sont toujours prématurés, loin d'introduire la liberté, affermissent la tyrannie. Les vraies révolutions ne se font jour que lorsque la mesure des malheurs publics est comblée. Alors seulement on peut compter sur les
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peuples. La Bible, sur laquelle les États-Unis jurent la liberté, l'ossuaire de Morat, sur lequel les Suisses jurent l'indépendance del'Helvétie, le 14 juillet 1789: voilà les véritables révolutions.
Malgré ses efforts, le principe de la loi fut adopté. Garnier-Pagès soutint plusieurs amendements, qui tendaient à sauvegarder au moins les associations dont le but serait pacifique, honorable et connu. 11 termina son discours du 25 mars 1834 par cette péroraison d'un mouvement plein de flamme et de grandeur:
Si, contre mes plus vives espérances, contre ma plus ferme attente, vous rejetez cet amendement, ma conscience m'impose le devoir de prononcer à cette tribune ma profession de foi (Écoutez, écoutez).
D'abord, je déclare hautementque, malgré son inique arbitraire, j'aiderai le pouvoir contre toute association perturbatrice'; que je le ferai avec force, avec courage, de bonne foi, sans arrière-pensée.
Mais je déclare aussi, que, sous l'Empire, j'ai fait partie d'une réunion. Magistrat alors, ma maison était son asile, et jamais je n'inspirai d'ombrage. Le despotisme n'est point la tyrannie. Si quelques bassesses se couchaient à plat-ventre devant Napoléon, planant audessus de cette poussière, il comptait sur la France et sur son génie.
Je déclare que, sous la Restauration, j'ai fait partie de deux réunions l'une pour les élections, l'autre pour l'instruction primaire. Alors le ministère n'était pas assez absurde pour m'imposer, et je n'étais pas
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assez stupide pour lui demander, l'autorisation de faire sortir de l'urne électorale le nom des députés indépendants je n'étais pas assez naïf pour solliciter d'un jésuite la licence de progager l'enseignement mutuel. Je déclare que je ne ferai pas au roi des Français une injure que je n'ai faite ni à Napoléon ni à la Restauration. J'ai cru au puissant génie de l'empereur, j'ai cru à la religieuse probité de Charles X, je veux croire à la sagesse prudente de Louis-Philippe. Si je me trompe, députés magistrats, députés fonctionnaires, je vous ajourne (mouvement) nous nous retrouverons hors de cette enceinte vous me verrez sur la sellette des accusés, seul devant Dieu et le pays, seul avec ma conscience, la raison et la liberté et vous, sous la pourpre, vous, avec vos honneurs, vos places, vos traitements.
Ainsi, sachez-le bien:
Si un -Français, homme de bien, veut se réunir à moi pour propager, affermir, garantir le christianisme, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi. Si un Français, homme de bien, veut se réunir à moi pour étendre le secours de la bienfaisance à la classe pauvre et laborieuse, aux malades, aux infirmes, aux ouvriers sans travail, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi.
Si un Français, homme de bien, veut une plus puissante diffusion des vérités acquises, des saines doctrines, de ces lumières qui préparent la moralité de l'avenir et le bonheur de l'humanité, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi.
Si un Français, homme de bien, veut donner au pays la sauvegarde de l'indépendance électorale et
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s'opposer à ces choix honteux, qui livrent la vénalité politique à la corruption ministérielle, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi.
Car je ne connais pas de pouvoir humain qui puisse me faire apostasier Dieu, l'humanité, la France, et je désobéirai à votre loi pour obéir à ma conscience. 11 est impossible de ne pas reconnaître, dans une pareille déclaration, l'accent sincère d'un homme convaincu. Aussi, malgré sa hardiesse, souleva-t-elle peu de murmures. La majorité fit preuve, en cette occasion, d'une sorte de déférence pour le talent et le caractère de l'orateur. Ses opinions déplaisaient au plus grand nombre, mais tous étaient sympathiques à sa personne.
Au reste, Garnier-Pagès ne fut pas le seul qui donna lieu à cette distinction. La Chambre en offrit un second exemple encore plus éclatant dans M. Berryer, représentant d'un parti alors sans autorité, et dont l'éloquence imposait l'admiration à ses plus ardents adversaires.
M. Berryer a été élevé, pour ainsi dire, au milieu des débats oratoires. Son père, avocat de quelque renom, le conduisait, tout jeune, à l'audience. Il y écoutait, un jour, une plaidoirie dont la fastidieuse longueur fatiguait tout le monde. A plusieurs reprises, le président avait prié l'avocat d'abréger, sans pouvoir rien obtenir. Tout à coup l'enfant, qui avait prêté attention, fait entendre un bâillement bruyant et s'écrie « Papa, en voilà assez, allons-nous-en, je m'ennuie. «Les conclusions de maître Berryer sont
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adoptées, dit vivement le président, en se tournant vers le petit garçon, l'affaire est entendue », et il leva l'audience en riant. Ce fut le premier succès oratoire de notre moderne Cicéron.
Ceux qui n'ont jamais entendu M. Berryer ne peuvent se faire aucune idée de l'espèce de domination qu'il exerce à la tribune. Nul n'a jamais atteint comme lui l'idéal de cette action oratoire, dans laquelle les anciens comprenaient le geste, la voix, le regard, tout ce qui peut enfin faire vivre la parole et l'enflammer. Lire une harangue de M. Berryer, c'est regarder les notes d'un air chanté par Rubini ou Pasta. On a la chose sans le charme, le mot sans l'accent. Car ce qu'il a dit à la tribune ne se trouve point seulement dans les paroles prononcées, mais aussi, mais surtout, dans la noble expression de son visage, dans son geste d'une dignité caressante, dans l'inexprimable mélodie de sa voix, qui s'élève ou s'abaisse, flatte ou s'indigne, sans perdre jamais sa justesse ou sa séduction. Que de mots, traduits par cette voix, ont soulevé toutes les âmes et ne sont plus sur le papier qu'un froid assemblage de caractères Un jour qu'en discutant la réponse à l'Adresse, il résumait, avec une chaleur indignée, toutes les honteuses concessions faites à l'étranger, il étendit sa main vers les ministres, et s'écria « Non, cette main se séchera avant de jeter dans l'urne une boule qui dise que le ministère est jaloux de la dignité de la France! Jamais 1 Jamais » Il y avait dans le geste une énergie si noble, tant d'émotion convaincue dans l'accent, qu'à ces mots répétés Jamais! Jamais! une sorte de^fyémissement parcourut l'assem-
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blée. Des cris partirent de plusieurs bancs, les ministres demeurèrent atterrés. Le moyen de retrouver une pareille émotion à la simple lecture Là où il y avait un mouvement spontané, vous ne voyez qu'un lieu commun oratoire où l'on entendait un cri de la conscience, vous n'avez qu'une affirmation de parti.
Cependant l'éloquence de M. Berryer survit quelquefois, même sous la lettre morte. On peut en citer pour exemple ce passage, où il peint deux ambitions rivales, celles de la Russie et de l'Angleterre,se disputant le monde, tandis que la France assiste, indifférente, au spectacle de leurs conquêtes
Voyez ce vaste antagonisme politique et militaire, qui s'étend depuis les frontières de la Tartarie jusqu'aux rives de la Méditerranée, entre deux nations qui doivent lutter un jour l'une contre l'autre. Voyez, du fond du monde jusqu'à nos frontières, l'Angleterre établir sa parallèle guerroyante contre la Russie, qui la menace à son tour sur les limites de ses magnifiques colonies de l'Inde.
Considérez ces grandes expéditions à cinq cents lieues de leurs frontières. D'un côté l'expédition de Caboul, de l'autre la tentative de Kiva. Voyez ces deux grandes nations marcher, à travers le monde, pour dresser leurs lignes de précautions l'une contre l'autre.
Quoi messieurs, la France ne sera qu'une puissance continentale, en dépit de ces vastes mers, qui viennent rouler leurs flots sur nos rivages et solliciter, en quelque sorte, l'éveil de notre génie 1
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Il y a de la grandeur dans cette dernière image, et beaucoup d'impressions heureuses dans ce qui précède. Mais il est rare que les improvisations de M. Berryer supportent ainsi l'examen littéraire. Faites pour être écoutées, elles ne doivent point être lues. C'est au pied de la tribune qu'il faut les entendre, embellies par tous les prestiges de la diction. La prodigieuse mémoire de l'orateur lui fournit là les faits, les chiffres, les textes indispensables à sa cause; il les groupe ou les éparpille dans son discours il se joue au milieu des arguments, qu'il sait quitter et reprendre, sans marche rigoureusement tracée. Son éloquence entremêle les démonstrations aux élans, elle passe sans effort des détails arithmétiques aux apostrophes véhémentes c'est l'abondance et la variété de Mirabeau. Comme lui, M. Berryer peut s'approprier toutes les questions, après une courte étude; mais, comme lui aussi, il n'en a pas toujours le loisir. Homme du monde, il ne donne à la politique qu'une part de sa vie; le reste appartient au plaisir. La cause qu'il défend ne lui ôte ni le repos ni la gaieté; il ne l'a point prise en missionnaire, mais en avocat l'heure des plaidoiries passée, il oublie son client, non par indifférence, mais parce qu'il ne peut rien pour lui.
Ce légitimisme sans exaltation a fait mettre en doute plus d'une fois, par son propre parti, la sincérité des opinions de M. Berryer. On lui a surtout reprochésa manière de les défendre. On s'est plaint d'entendre revenir si souvent, dans ses discours, les mots de droit et de liberté; on a dit, avec quelque raison, que c'était un soldat de la Révolution sous
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la cocarde blanche. Le scandale a été à son comble, lorsque l'orateur royaliste, emporté par un de ses élans patriotiques, est arrivé à dire qu'il remerciait la Convention d'avoir sauvé l'indépendance de la France. On oubliait que M. Berryer ne pouvait se faire entendre qu'à la condition de rompre avec toutes les exagérations royalistes et de placer son drapeau sous la protection des idées contemporaines. Condamné à la même contradiction que Chateaubriand, il devait défendre la royauté avec les armes de la Révolution, parce qu'il n'en existait plus d'autres dont les coups pussent porter. Enlevez à M. Berryer ses belles émotions patriotiques, vous n'aurez plus qu'un successeur de M. de la Bourdonnaye. La fatalité de sa position a été de ne pouvoir combattre que près de l'opposition libérale et, à peu de chose près, avec les mêmes arguments, bien qu'au nom d'un autre principe; c'est Iâ faute, ou plutôt le malheur de son parti; lui, son mérite eomme orateur a été de ranimer une chose morte, en «'efforçant de la rattacher à tout ce qui vivait, et de faire croire que le passé pouvait devenir le présent. Cette illusion semble avoir été partagée pendant quelque temps par M. de Lamartine. Son éducation toute royaliste l'avait conduit à entrer d'abord dans les gardes du corps de Louis XVIII; mais le succès du premier volume des Méditations lui ouvrit une autre carrière. On le nomma attaché à la légation de Florence, puis secrétaire d'ambassade à Naples et à Londres, enfin chargé d'affaires en Toscane. Successivement illustré par dix chefs-d'œuvre poéti-
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ques, il avait chanté le sacre en io^o, eues portes ae l'Académie s'étaient ouvertes pour lui, à l'applaudissement de tous les partis. Cependant les idées royalistes et catholiques, alors inséparables, continuaient à l'avoir pour poète. Le libéralisme lui opposait Casimir Delavigne et une sorte de lutte s'était engagée entre les deux rivaux, inégaux en génie, mais égaux en loyauté. Soit par suite de la forme choisie (l'épître), soit que l'une des causes fût meilleure à défendre, il sembla même que, dans ce débat poétique, la victoire restait au plus faible, et aujourd'hui encore que les préjugés de partis sont loin de nous, les vers de Casimir Delavigne semblent l'emporter par la force et la vivacité.
Lamartine, en lui parlant de ses nouvelles Messéniennes, s'était excusé de ne pouvoir chanter avec lui cette liberté dont, tout enfant, il avait vu l'image dressée dans le sang. Suivait une sombre peinture de 1793: les églises désertes. les tombes violées, les prisons remplies, les échafauds dressés. Casimir Delavigne répondit à ces images par des raisons Créé pour commander, l'homme naquit sans maître, Et, chef-d'œuvre imparfait du Dieu qui le fit naître, Avec l'instinct du bien vers le mal emporté,
Pour choisir la vertu, reçut la liberté.
La licence est, chez lui, l'abus d'un droit sublime; La liberté gouverne et la licence opprime
Elle seule, à nos jeux, de son front sans pudeur Sous un masque romain déguisa la laideur,
Et, de la liberté simulacre infidèle,
Lui ravit nos respects en se donnant pour elle. a
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Si les lois, si les arts, le bon droit, le bon goût, Si tout admet l'excès, si l'excès flétrit tôut,
Ami, la liberté n'en est pas plus complice
Que toute autre vertu dont l'abus est un vice. A son front virginal ma main n'a pas ôté
Le bonnet phrygien qu'il n'a jamais porté.
Pourquoi donc, trop séduit d'une fausse apparence, Nommer la liberté, quand tu peins la licence? `? Eh 1 que répondrais-tu, si quelque noir censeur, Trompé par tes accords et' sourd à leur douceur, Dans la Vierge immortelle, à qui tu rends hommage(l) Voulait voir cet esprit d'imposture et de rage Qui, sur les bancs dorés d'un concile romain,
Présida, dans Constance, un brandon à la main; De Jean Huss, en priant,.signa l'arrêt barbare Au front d'un Alexandre égara la tiare;
Qui, le doigt sur la bouche, au fond du Louvre assis^ Attisait les complots que soufflait Médicis,
Et poussait Charles neuf; quand ses mains frénétiques Frappaient d'un plomb dévot des sujets hérétiques; Qui, se signant le front, l'air contrit, l'œil ferveni, Pour immoler Henri, s'échappait d'un couvent; Dont partout aujourd'hui la tortueuse audace
Se mêle, en habit court, aux nouveaux fils d'Ignace Qui prêche sous le frac, rampe sous le surplis, Cache son embonpoint sous sa robe à longs plis, Malgré ses trois mentons, vante ses abstinences, Se glisse incognito de la chaire aux finances,
Résigné, s'il le faut, à sauter du saint lieu
Sur le fauteuil royal où s'assit Richelieu.
(1) La Religion.
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Mais non, ce fanatisme est l'abus que je blâme. Il n'a point allumé ces traits de vive flamme
Qui, par l'aigle de Meaux à ta r«iuss inspirés,
Brillent comme un reflet de ses foudres sacrés II n'a pas modulé en sons dont l'harmonie
Semble un écho pieux des concerts d'Athalie. Non, non, ce n'est pas lui que ta lyre a chanté C'est la Religion, sœur de la Liberté
Un flambeau dans les mains, les ailes étendues, Des bras du roi des cieux toutes deux descendues Chez les rois de la terre ont voulu s'exiler,
Pour affranchir l'esclave, ou pour le consoler.
Toutes deux ont ensemble erré parmi les tombes, Toutes deux, s'élançant du fond des catacombes, Sous un même drapeau, marchant d'un même pas, Répandaient la lumière et ne T 'étouffaient pas. L'une, le front paré des palmes du martyre,
Présente l'espérance aux humains qu'elle attire Clémente, elle pardonne avec Guise expirant, Embrase Fénelon d'un amour tolérant,
Guide Vincent de Paul, ensevelit Voltaire,
Brûle de chastes feux ces anges de la terre
Qui, sans faste et sans crainte, à la mort vont s'offrir Pour sauver un malade ou l'aider à mourir.
L'autre, le casque en tête, et le pied sur des chaînes, Sourit à Miltiade, inspire Démosthène,
Joue avec le laurier, cueilli par Washington,
Et l'offre aux dignes fils des Grecs de Marathon, Libres s'ils sont vainqueurs, et libres s'ils périssent. Qu'un poète secourt et que des rois trahissent. Viens, et sans condamner nos cultes différents, Viens aux pieds des deux sœurs échangernos serments;
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Éclairés par leurs yeux, échauffés par leurs ailes, Pour les mieux adorer, unissons-nous comme elles; Et. dans un même temple, à deux autels voisins Offrons nos dons divers, sans désunir nos mains. Mais le moment de ce double culte à la religion et à la liberté n'était pas encore venu pour Lamartine. Ses traditions de famille, ses impressions de jeunesse, sa nature elle-même le retenaient dans un parti, dont il commençait à ne plus avoir les opinions. Cette lutte entre les entraînements de sa position et les tendances nouvelles de son esprit explique le singulier mélange des sympathies qu'il exprime. Parti du royalisme comme Chateaubriand, il se laisse entraîner comme lui par le courant du siècle vers la République, en conservant longtemps à son pic le drapeau blanc. Là est l'origine de tant de disparates qui, chez lui, sont moins des contradictions que des prédominances alternatives d'inclinations contraires. Il y a deux hommes dans Lamartine, l'homme de l'éducation et l'homme de la réflexion. Le premier a composé le « Chant du Sacre », le second a été le défenseur des libertés publiques sous Louis-Philippe tous deux semblent s'être réunis pour écrire l'Histoire de la Restauration, où le royaliste et le radical se trahissent successivement par intermittences.
Avant 1830, le rôle politique de Lamartine s'était borné aux représentations officielles de la diplomatie secondaire. Il venait d'être nommé ministre plénipotentiaire en Grèce, lorsque la Révolution de Juillet renversa la branche aînée. Le nouveau gou-
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vernement proposa de confirmer le choix fait par Charles X, mais Lamartine ne crut pas devoir passer ainsi du camp des vaincus au camp victorieux. Tout en acceptant la Révolution, comme la légitime conséquence d'un pacte rompu par la royauté, il voulut au moins porter le deuil de celle-ci, en s'associant à ses revers. Mais, s'il se fermait lui-même la carrière des fonctions publiques, il ne renonçait p oint pour cela à s'entremettre dans les affaires de son pays. La Chambre était depuis longtemps le but de ses aspirations; il se présenta en même temps aux électeurs de Toulon et de Dunkerque.
A cette nouvelle, il s'éleva de toutes parts un cri d'étonnement qui, çà et là, se transforma en huée. Le public ne pouvait comprendre le chantre d'Elvire et le poète des Harmonies fourvoyé dans une question de budget. On le voyait toujours, tel que son éditeur Gosselin l'avait fait représenter, en tête de ses recueils, les cheveux épars, l'œil tourné vers les étoiles, et jouant de la harpe, au bord d'un lac embrumé. Ses compatriotes eux-mêmes, qui semblaient devoir le connaître mieux, se demandaient ce que le beau châtelain, qu'ils apercevaient, chaque jour, galopant sous les ombrages de Saint-Point, rêvant le long des charmilles, ou lisant, sous les tonnelles, entre sa jeune femme et sa petite fille, pourrait faire à la Chambre nouvelle, au milieu de tant de politiques retors et d'avocats hargneux. Le parti royaliste seul, alors abattu, soutenait timidement une candidature, qui lui laissait l'espérance d'être représenté sous le nouveau gouvernement. Les auteurs de la Némésis, Barthélemy et Méry, exprimaient donc en
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réalité, non le jugement, mais les préventions du plus grand nombre, en adressant au poète des Méditations leur sanglant dithyrambe.
Malgré la violence brutale de l'attaque, il faut bien l'avouer, elle fut généralement applaudie. Outre que le royalisme connu du chantre du Sacre rendait sa candidature déplaisante pour le plus grand nombre, son titre de poète paraissait un suffisant motif d'exclusion. Car, à la différence des Anciens qui regardaient le génie littéraire comme une supériorité et confiaient leurs plus hautes fonctions à leurs grands poètes, à leurs grands philosophes, à leurs grands historiens, nous nous sommes toujours défiés, en France, des artistes et des penseurs. Les hommes d'affaires, les courtisans et les militaires, qui ont seuls envahi chez nous le pouvoir, sont parvenus à nous faire croire que quiconque fait des vers, ou même écrit de belle prose, ne peut rien comprendre au gouvernement des nations. Lamartine ne devait point échapper au commun préjugé. La satire de Barthélemy et Méry courut de main en main et souleva un rire universel. Il fut brusquement interrompu par la réponse du poète. C'était la première fois qu'il avait ainsi à se défendre devant le public. On pouvait regarder ce plaidoyer en vers comme son début oratoire. La curiosité fit prêter l'oicille on voulait savoir comment parlerait le député de Jéricho
Non, sous quelque drapeau que'le barde se range, La muse sert sa gloire et non ses passions 1
Non, je n'ai pas coupé les alies de cet ange
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Pour l'atteler hurlant au char des factions I
Non, je n'ai pas couvert du masque populaire Son front, resplendissant des feux du saint parvis, Ni, pour fouetter et mordre, irritant sa colère, Changé ma muse en Némésis.
D'implacables serpents je ne l'ai pas coiffée 1 Je ne l'ai pas menée, une verge à la main,
Injuriant la gloire avec le luth d'Orphée,
Jeter des noms en proie au vulgaire inhumain Prostituant ses vers aux clameurs de la rue,
Je n'ai pas arraché la prêtresse au saint lieu A ses profanateurs je ne l'ai pas vendue,
Comme Sion vendit son Dieu 1
Non, non, je l'ai conduite au fond des solitudes, Comme un amant jaloux d'une chaste beauté J'ai gardé ses beaux pieds des atteintes trop rudes, Dont la terre eût blessé leur tendre nudité.
J'ai couronné son front d'étoiles immortelles, J'ai parfumé mon cœur pour lui faire un séjour Et je n'ai rien laissé s'abriter sous ses ailes
Que la prière et que l'amour.
L'or pur, que sous mes pas semait sa main prospère, N'a point payé la vigne ou le champ du potier II n'a point engraissé les sillons de mon père, Ni les coffres jaloux d'un avide héritier.
Elle sait où du ciel ce divin denier tombe.
Tu peux, sans le ternir, me reprocher cet or D'autres bouches, un jour, te diront sur ma tombe Où fut enfoui mon trésor.
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Je n'ai rien demandé que des chants à sa lyre Des soupirs pour une ombre, et des hymnes pour [Dieu ï
Puis, quand l'âge est venu m'enlever son délire, A cette muse enfin j'ai dit tout bas Adieu 1
Quitte un cœur, que le poids de la patrie accable, Fuis nos villes de boue et notre âge de bruit Quand l'eau pure des lacs se mêle avec le sable, Le cygne remonte et s'enfuit.
Honte à qui peut chanter, pendant que Rome brûle, S'il n'a l'âme, et la lyre, et les yeux de Néron, Pendant que l'incendie en fleuve ardent circule Des temples au palais, du Cirque au Panthéon 1 Honte à qui peut chanter, pendant que chaque femme Sur le front de son fils voit la mort ondoyer, Que chaque citoyen regarde si la flamme
Dévore déjà son foyer 1
Honte à qui peut chanter, pendant que les sicaires, En secouant leurs torches, aiguisent leurs poignards, Jettent les dieux proscrits aux rires populaires, Ou traînent aux égouts les bustes des Césars. C'est l'heure de combattre avec l'arme qui reste C'est l'heure de monter au rostre ensanglanté, Et de défendre au moins, de la voix et du geste, Rome, les dieux, la liberté.
La liberté 1 Ce mot dans ma bouche t'outrage ? Tu crois qu'un sang d'Ilote est assez pur pour moi, Et que Dieu de ses dons fit un digne partage, L'esclavage pour nous, la liberté pour toi?
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Tu crois que de Séjan le dédaigneux sourire Est un prix assez noble aux cœurs tels que le mien, Que le ciel m'a jeté la bassesse et la lyre,
A toi l'âme du citoyen ?
Tu crois que ce saint nom, qui fait vibrer la terre, Cet éternel soupir des généreux mortels,
Entre Caton et toi, doit rester un mystère,
Que la liberté monte à ses premiers autels ?
Tu crois qu'elle rougit du chrétien qui l'épouse, Et que nous adorons notre honte et nos fers, Si nous n'adorons pas ta liberté jalouse
Sur l'autel d'airain que tu sers ?
Détrompe-toi, poète, et permets-nous d'être hommes. Nos mères nous ont faits tous du même limon La terre qui vous porte est la terre où nous sommes, Les fibres de nos cœurs vibrent au même son. Patrie et liberté, gloire, vertu, courage,
Quel pacte de ces biens m'a donc déshérité ? Quel jour ai-je vendu ma part de l'héritage,
Ésaû de la liberté ?
Va, n'attends pas de moi que je la sacrifie
Ni devant vos dédains, ni devant le trépas
Ton Dieu n'est pas le mien, et je m'en glorifie. J'en adore un plus grand qui ne te maudit pas. La liberté que j'aime est née avec notre âme, Le jour où le plus juste a bravé le plus fort,
Le jour où Jéhovah dit au fils de la femme c
Choisis des fers ou de la mort 1
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Que ces tyrans divers, dont la vertu se joue,
Selon l'heure et les lieux, s'appellent peuple ou roi, Déshonorent la pourpre ou salissent la boue,
La honte qui les flatte est la même pour moi.
Qu'importe sous quel pied se courbe un front d'esclave 2 Le joug d'or ou de fer n'en est pas moins honteux Des rois tu l'affrontas, des tribuns je le brave Qui fut moins libre de nous deux ? 2
Fais-nous ton Dieu plus beau, si tu veux qu'on l'adore, Ouvre un plus large seuil à ses cultes divers,
Repousse du parvis, que leur pied déshonore,
La vengeance et l'injure aux portes des enfers. Écarte ces faux dieux de l'autel populaire,
Pour que le suppliant n'y soit pas insulté.
Sois la lyre vivante et non pas le Cerbère
Du temple de la liberté.
Un jour, de nobles pleurs laveront ce délire
Et ta main, étouffant le son qu'elle a tiré,
Plus juste, arrachera des cordes de ta lyre
La corde injurieuse où la haine a vibré.
Mais, moi, j'aurai vidé la coupe d'amertume,
Sans que ma lèvre même en garde un souvenir Car mon âme est un feu qui brûle et qui parfume Ce qu'on jette pour la ternir.
Supprimez le rythme et la rime, vous avez, dans cette noble réplique, toute l'éloquence de Lamartine, éloquence de sentiments et d'images, qui prouve moins qu'elle ne séduit, et dont on retient plus les détails que l'ensemble. Mais le coup porté par la
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Némésis devait laisser sa blessure bien que la réponse du poète eût été distribuée aux électeurs le jour même du vote, Lamartine ne fut point élu. Il profita des loisirs que lui faisait la politique pour parcourir l'Orient. Au retour il trouva les esprits plus calmes, et une candidature nouvelle réussit cette fois.
Son apparition à la tribune de la Chambre fut un événement littéraire plutôt que politique. Les hommes, qui avaient la prétention de conduire les affaires de la France, ne l'avaient point pris au sérieux. Ils regardaient leur nouveau collègue comme un de ces frivoles invités que l'on a pour chanter au dessert. Évidemment on allait entendre une Méditation en prose. A leur grand étonnement, le député romantique, ainsi qu'on l'appelait, fut clair et plein de mesure. On espérait sourire; on fut presque forcé d'applaudir.
Mais, ne pouvant s'en prendre à lâ forme, on se rejeta sur les idées. L'orateur en apportait de nouvelles sur l'existence de l'empire Ottoman. Il annonçait ce qui s'est réalisé depuis; et proposait une solution de ce problème qui pend sur l'Europe comme une avalanche. Ses prévisions et ses projets furent traités de rêveries. Tous les journaux, sans exception, en parlant, le lendemain, de la séance, signalaient l'orateur comme un poète fourvoyé. L'unanimité fut telle dans la presse qu'un petit journal de province, le Breton, produisit une certaine sensation, pour avoir osé dire que la France comptait un grand orateur de plus. Lamartine écrivit au journaliste inconnu une lettre de remerciements.
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Un second discours, puis un troisième, ébranlèrent pourtant quelques convictions. On était surpris de cette parole qui se déroulait en flots harmonieux et ne reflétait qu'images justes et splendides. Il fut alors décidé que ces prétendues improvisations étaient de laborieuses études de style et que l'orateur voulait faire passer sa mémoire pour de la spontanéité. M. de Cormenin, dans sa première édition du Livre des Orateurs, répéta lui-même cette opinion; il lui reprocha de vouloir faire croire à une facilité qu'il n'avait pas.
Les démentis, donnés parles faits, se multiplièrent tellement qu'il fallut bien enfin reconnaître qu'on s'était trompé. Chaque jour apportait quelque constatation éclatante de ce merveilleux talent, toujours prêt et toujours aussi abondant. L'éloquence oratoire venait évidemment de se révéler sous une apparence nouvelle; Lamartine n'était point seulement un nouvel orateur; il apportait à la tribune une manière inconnue avant lui, qui ne ressemblait à aucune autre. On avait entendu jusqu'ici des variétés de l'éloquence française; on allait entendre main.tenant l'éloquence de l'Orient, simplifiée et éclaircie par un esprit latin. Il ne s'agissait plus de ce travail de la raison qui examine, et à laquelle l'imagination fournit des couleurs, la passion, des élans, mais de cette impulsion spontanée, irréfléchie, involontaire, pour ainsi dire, qui fait répéter à l'inspiré quelque -chose qu'une voix inconnue murmure en lui. Lamartine n'a rien de nos races d'Occident, un peu lentes, mais en possession d'elles-mêmes, qui s'avancent dans le monde intellectuel, comme dans le monde
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visible, par des routes frayées, en mesurant leurs pas et regardant le but. C'est une imagination d'Orient, que le sentiment domine, que l'impression emporte. Une fois l'ébranlement communiqué du fait à sa pensée, il parle comme l'homme joyeux chante, sans volonté et sans effort.
Il suffisait de le voir à l'une de ces assemblées, où sa voix avait fini par conquérir tant d'influence. Renversé en arrière dans une attitude nonchalante, sa belle figure tournée vers quelque confrère, qu'il écoutait avec son sourire bienveillant, qu'un mot tombé de la tribune vînt le frapper, il se redressait vivement, un nuage passait sur ses yeux, tous les muscles de son front s'agitaient il demandait la parole, courait à la tribune, et, sans préparation, sans effort, son discours se déroulait; les idées et les expressions venaient d'elles-mêmes à leur place; les périodes se développaient en méandres amples et soyeux, sans que son esprit s'égarât jamais dans leurs longs replis, et il pouvait continuer ainsi deux heures, plus longtemps, toujours 1 car, à voir l'abondance de cette source, il semble que rien ne puisse l'empêcher de couler. C'est une harpe éolienne, dont le son mélodieux peut continuer tant que le vent qui passe l'effleurera.
Mais aussi n'attendez de cette merveilleuse improvisation ni démonstration arrêtée, ni conclusion définitive, ni marche bien persistante. Lamartine va un peu au hasard. Conduit par sa mobilité sans en avoir conscience, le caprice est le coursier qui porte sa bonne foi. Ajoutez que la bienveillance un peu efféminée de cette nature qui, en aimant le bien, ne hait
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pas le mal, l'expose à de continuelles réticences. Après avoir analysé, avec une sagacité brillante, tous les inconvénients d'une mesure, il termine en votant pour elle. Sans calcul, et faute de cet esprit d'élection virile, qui nous fait mettre une égale énergie dans nos répugnances et dans nos affections, il accorde successivement quelque chose à chaque opinion, applaudit aux bonnes intentions de tous les partis et semble les inviter perpétuellement à un de ces baisers Lamourette, qu'on prend pour des réconciliations et qui ne sont pas même des suspensions d'armes.
Ceci explique la première partie de la carrière politique de Lamartine. Personnellement antipathique au nouveau roi, dont l'esprit positif ne pouvait lui agréer, et contre lequel ses préventions légitimistes avaient survécu, il commença pourtant par appuyer son gouvernement, non sans hasarder, toutefois, quelques critiques et quelques conseils. Un peu plus tard, espérant un champ plus vaste, en quittant la polémique journalière pour se réfugier dans les thèses générales, il forma à la Chambre ce parti social, qui prétendit demeurer étranger aux passions politiques du moment et combattre, sans cocarde, en faveur de vagues aspirations, qu'il prenait pour des principes. Mais, à la longue, Lamartine s'aperçut lui-même qu'il ne suffisait pas à un homme public de refaire Télémaque et de développer en prose poétique l'organisation d'une Salente imaginaire. Les fautes du gouvernement commençaient d'ailleurs à le passionner le système de compression de M. Guizot étouffait cette nature, à qui il fallait
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du mouvement et de l'espace il glissa lentement vers l'opposition, poussé par ses anciens alliés euxmêmes, qui affectaient pour le poète un injurieux dédain. Accueilli, comme il devait l'être, par ceux dont il devenait l'auxiliaire, il leur apporta l'éclat d'une parole à laquelle la France s'était accoutumée et qui, à défaut de raisonnements victorieux, s'armait de figures saisissantes et d'heureux rapprochements. Nul n'a en effet semé du haut de la tribune autant de ces mots qui s'impriment à l'instant dans toutes les mémoires. Ainsi, reprochant au ministère d'arrêter la libre expression de l'opinion publique, il lui disait, par exemple « La police ose mettre sa main sur la bouche de la France. » Et, grâce à sa forme pittoresque, l'accusation était partout répétée. Une autre fois, il montrait cette nation vive, bruyante, expansive, prisonnière dans un cercle toujours plus étroit, s'y agitant avec une lassitude impatiente, et il jetait ce cri d'avertissement prophétique « Prenez garde, la France s'ennuie » » Enfin, lorsqu'après avoir traversé la tempête de Février, où son éloquence et son courage furent notre seul abri, on l'accusa d'avoir conspiré avec les insensés qui préparaient la bataille de Juin, il répondit par ces mots « Oui, messieurs, fai conspiré. J'ai conspiré comme le paratonnerre conspire avec la foudre »
Au reste, la valeur oratoire de Lamartine nous semble désormais hors de contestation on ne peut en dire autant de sa valeur politique'. Les services, rendus par lui dans des circonstances exceptionnelles, services reprochés par les uns, oubliés par les
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autres, ne peuvent fermer les yeux sur ce qui manque de lest à cette nature, trop flottante pour porter les destinées d'une nation, ou même d'un parti. La sincérité ne suffit pas à l'homme qui conduit les autres il lui faut de plus la prudence qui prépare, la ténacité qui exécute, le choix des personnes et des choses. Lamartine n'a ni les qualités qui constituent l'homme politique ni les défauts qui le servent. Il estime peu les hommes en général, et il est facilement dupe de chacun d'eux en particulier. Sa parole le berce, l'enivre quand il s'est persuadé lui-même, il croit avoir persuadé ceux qui l'écoutent. En 1848, lorsque Blanqui préparait le renversement du gouvernement provisoire, il le fit venir et, après lui avoir parlé avec l'élévation magnanime, qui est le fond de son éloquence, il le renvoya, convaincu qu'il n'avait plus rien à craindre du lugubre conspirateur. Le soir même, on proposait, au club de celui-ci, la mise en accusation du girondin Lamartine. Est-ce à dire que cette noble et belle intelligence ne puisse servir en rien les intérêts du pays ? Nous sommes loin de le penser. Tant qu'elle a pu se produire de loin en loin à la tribune, et conseiller selon les subites lumières qui l'illuminaient, la France en a retiré de généreuses excitations, souvent un sérieux profit. Mais là est le véritable rôle de Lamartine. Dans les débats législatifs d'un peuple libre, c'est à lui de venir rappeler, avec son admirable langage, les sentiments éternels de tolérance, de dévouement, de charité il doit être le poète de l'assemblée, qui trouve ailleurs ses légistes, ses administrateurs, ses financiers. Sa présence com-
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plète, pour ainsi dire, la représentation des intérêts et des instincts qui, dans une Chambre nationale, doivent être personnifiés, et l'on pourrait dire, de celle qui ne lui donnerait point place, ce que le poète arabe dit de l'amour Où il n'est pas, on sentira toujours qu'il manque quelque chose.
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QUATRIÈME LEÇON
La presse sous la Restauration.
SOMMAIRE
Asservissement de la presse sous l'Empire. Origine de la presse libre. La brochure de Chateaubriand Bonaparte et les Bourbons.
I. La presse royaliste le Drapeau blanc. Son rédacteur Martainville, aventurier, forban de lettres, écrivain cynique et violent.
II. Le tiers-parti a pour organe le Journal des Débats (rédacteurs Chateaubriand, Fiévée, Nodier, etc.).
III. La presse libérale le Constitutionnel, le Courrier français (rédacteur en chef Châtelain). j
Revues politiques la Minerve elle Conservateur.
Revues littéraires le Globe, fondé par Dubois, exprime et résume les tendances du temps en esthétique, histoire, philosophie et politique. Il signale Lamartine et Hugo. Il accueille toutes les nouveautés. Ses rédacteurs Mérimée, Sainte-Beuve (Histoire de la littérature au xvl° siècle). la Muse française.
Un groupé littéraire le Cénacle (les frères Deschamps, de Vigny, Musset, Sainte-Beuve).
Classiques et romantiques. Luttes ardentes. Exagération des deux Écoles. La représentation d'Hernani.
Sainte-Beuve quitte le Globe pour défendre, dans la Revue de Paris, les théories romantiques.
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La presse mercantile Jules Janin. Sert tous les partis politiques, ne songe qu'à faire sa fortune.
Le Pamphlet P.-L. Courier. Sa vie. Ses campagnes en Allemagne et en Italie. Ses aventures. Humaniste égaré dans les camps, officier deux fois déserteur, il démissionne après Wagram. Ses écrits contre le gouvernement de la Restauration. Bonhomie narquoise, saveur paysanne. Science du style. La Pétition aux deux Chambres, les lettres au Censeur, le Simple discours sur la souscription pour l'achat du château de Chambord, la Pétition pour les villagéois qu'on empêche de danser, la Gazette villageoise, etc. Dialectique de Courier Son habileté, ses artifices. Courier pamphlétaire de tempérament autant et plus que de principes son humeur agressive, son talent frondeur. Caractère détourné de ses attaques politiques. Ce qu'elles ont de déplaisant. Comment il les justifie. Intérêt éphémère des pamphlets en général. Œuvres d'actualité, elles ne durent que par le style. Au moment où laRestauration remplaça l'Empire, il en était de la presse comme de la tribune; elle avait perdu depuis longtemps l'habitude de discuter les affaires publiques. Son asservissement remontait au Consulat. Dès que Bonaparte eut conquis le pouvoir, son premier soin fut d'imposer silence aux journaux. Il en supprima une partie, soumit les autres d'abord à une discipline très sévère, puis à la censure. La presse était donc devenue, entre ses mains, un moyen de publicité pour le gouvernement, au lieu d'être un instrument de contrôle pour la nation. Pendant quinze ans, celle-ci n'avait su que ce qu'on trouvait avantageux de lui apprendre, et aucune publicité n'avait pu se former par l'examen libre et l'appréciation des événements politiques. Sur ce point encore, la France se trouva donc prise au dépourvu.
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La première publication importante fut celle de la fameuse brochure de M. de Chateaubriand, Bonaparte et les Bourbons, dont Louis XVIII disait qu'elle lui avait autant servi qu'une armée. Elle eut, en effet, pour résultat immédiat de présenter le rétablissement des Bourbons comme la seule solution possible; elle exerça une incontestable influence sur l'opinion publique et sur les rois alliés qui, en voulant amoindrir l'Empire, n'étaient point encore décidés à supprimer l'Empereur.
Cette brochure, dans laquelle on retrouve quelque chose de la grande manière de Chateaubriand, ne peut être lue aujourd'hui qu'à la condition de se reporter aux jours et aux circonstances qui la firent nattre. Elle renferme. beaucoup d'accusations, qui seraient des calomnies, si l'ardente imagination de l'écrivain ne disculpait sa bonne foi, beaucoup de mouvements oratoires, qui seraient de la déclamation, si l'exaltation du temps ne les justifiait. A tout prendre, c'est là une œuvre du moment, qui devait conquérir à son auteur une importance de parti, mais qui n'ajoute rien à sa gloire comme penseur ni comme écrivain.
Il en fut de même des mille publications qui surgirent à l'occasion de ce rétablissement inattendu de la vieille dynastie, de sa seconde chute au retour de l'Empereur, et de son nouvel avènement après Waterloo. Ce fut seulement alors que l'action de la presse commença à se régulariser, et qu'elle acquit peu à peu une influence qui en fit, comme on l'a répété souvent, un quatrième pouvoir dans l'État. Mais ce quatrième pouvoir n'était point, ainsi qu'on l'a pré-
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tendu, la coalition de quelques écrivains turbulents ou ambitieux; c'était l'expression de l'opinion publique elle-même. Le succès de chaque journal ne dépendait point, en effet, de la volonté, ou même du talent de ses rédacteurs, mais du degré de sympathie que trouvaient dans la 'nation les idées qu'il représentait; le nombre de ses abonnés indiquait le nombre des adhérents à ses doctrines; son influence ne 'créait point un parti, elle servait seulement à le constater et à lui fournir une tribune. En définitive, les journaux n'étaient que des avocats; pour plaider, il leur fallait des clients et une cause.
La presse se trouva donc naturellement partagée, comme la nation et comme la Chambre, en trois partis le parti royaliste, représenté par le Drapeau blanc, la Gazette de France et la Quotidienne; le tiersparti, dont le Journal des Débats fut l'organe habituel le parti libéral, qui avait pour défenseurs le ̃Constitutionnel et le Courrier Français.
Le premier des journaux que nous venons de nommer, le Drapeau blanc, renchérissait sur les paroles -de la Chambre introuvable elle-même; c'était là que les ultras-royalistes venaient renouveler chaque jour leurs insultes et leurs provocations. Ils étaient admirablement secondés, dans cette œuvre de discorde, par Martainville; espèce de père Duchêne royaliste, qui, ayant mis,comme Hébert, son esprit au service de ses sens, ne- voyait dans la presse qu'un moyen dé satisfaire ses 'haines et de soudoyer ses -vices. Né en Espagne de parents français, il semblait avoir apporté chez nous de son berceau une humeur audacieuse et aventurière, habituellement
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plus commune chez les Guzman d'Alfarache que chez les hommes de plume. On l'avait arrêté, en 1793, pour quelques propos imprudents il s'était sauvé par une cynique audace, qui avait charmé le tribunal révolutionnaire. Le président Coffinat, le croyant noble, l'avait appelé: Citoyen de Martainville, « Martainville tout court» s'était écrié J'accuse, « souvienstoi que je viens ici pour être raccourci, et non pour être allongé! » Cette brutale saillie fit rire les juges et Martainville fut élargi. Depuis il s'était mis aux gages du parti royaliste, et avait écrit dans l'ombre tous ces pamphlets obscurs, qui avaient bourdonné pendant quinze ans autour de la gloire de l'Empire. Sa vie fut une longue conspiration, mêlée à de honteux désordres. Lors de l'invasion, il s'était fait l'introducteur des bataillons ennemis et, le trône des Bourbons rétabli, il avait pris à tâche d'injurier les vaincus. Sa polémique avait des formes, dont la tradition eût été complètement perdue de nos jours sans un [journal religieux, l'Univers. Grâce à M. Veuillot, cette tradition nous a été conservée, mais enrichie de cynisme et de fiel. Le temps ne marche pas en vain; tout se perfectionne, même le mensonge. Martainville n'eût point encore osé soutenir que, lors de l'expédition des Cévennes, c'étaient les dragons qui avaient eu à se plaindre des protestants, et que le seul tort de l'Inquisition était de brûler trop peu d'hérétiques; mais, sans être arrivé à ces nouveautés historiques, il avait déjà très heureusement refait l'histoire contemporaine. Grâce à lui, on savait que la Révolution était un effet sans cause, que tous les hommes, qui avaient illustré la
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République ou l'Empire, devaient être considérés comme des bandits, mis hors la loi, et, pour le prouver, il entassait sur eux les calomnies, il épuisait les formules d'anathèmes. Virgile dit que la mère d'Enée ne pouvait faire un pas sans qu'il naquit une fleur, Martainville ne pouvait écrire un mot sans qu'il en sorttt une injure. C'étaient ses fleurs à lui! 1 Il avait fait de son journal un champ d'orties et de ronces, au milieu duquel toutes nos gloires contemporaines étaient suspendues au gibet.
Les classes mêmes n'étaient point épargnées. Imitant le dédain de la cour pour cette petite bourgeoisie, qui vit du commerce ou de l'industrie, sans autre loisir que celui du septième jour, il ne cessait de railler ces messieurs du dimanche, comme il les appelait. Quant au parti libéral, il le déclarait uniquement recruté aux bagnes, et on lisait dans sa feuille des dialogues rimés, où deux forçats échappés, qui se rencontraient par hasard, échangeaient des vers comme ceux-ci:
Quoi 1 Je te vois aussi, loin du bagne fatal! l
Serais-tu libéré? Non, je suis libéral.
Ces insultes, comme vous le pensez, n'étaient point souffertes sans représailles. Si la censure et les poursuites judiciaires empêchaient les journaux injuriés de répondre comme ils l'auraient voulu, le parti luimême saisissait toutes les occasions de se venger. Martainville, reconnu dans une salle de spectacle, avait été forcé de fuir devant les spectateurs soulevés son nom seul, prononcé, provoquait des huées
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ne pouvant répondre à tous les cartels qui lui étaient adressés, il avait dû refuser de se battre et fermer sa porte. Les écrivains royalistes, qui tenaient à leu r considération, l'évitaient eux-mêmes et craignaient de voir leurs noma près du sien. C'est ainsi que MM. de Chateaubriand et de Bonald le repoussaient du Conservateur. Enfin son journal, soutenu d'abord par l'extrême droite, finit par faire honte à tout le monde, et le mépris le conduisit à la ruine. Si tel avait été le résultat inévitable de la violence du Drapeau Blanc, la modération relative du Journal des Débats devait nécessairement en produire un tout contraire. Cet ancien Journal de l'Empire, avec lequel les frères Bertin avaient habilement louvoyé sous Bonaparte, venait de prendre sa véritable cocarde avec son nouveau nom. Ses rédacteurs, Chateaubriand, Fiévée, Hoffman, Nodier et quelques autres, étaient les plus brillants écrivains du temps. Ils donnèrent au Journal des Débats une supériorité littéraire qu'il a toujours conservée depuis. Mais cette supériorité même ne fut pas sans inconvénients elle servit à envelopper toutes les questions d'une phraséologie élégante, sous laquelle 'les véritables principes demeurèrent cachés. Le style, au lieu d'être un moyen plus net de révélation, devint un voile dont s'obscurcit la pensée. L'école de Chateaubriand, continuée par de moindres talents, ôta à la polémique du Journal des Débats toute simplicité et toute précision. Grâce à sa rédaction fleurie, il flotta leplus souvent à la surface des questions dans des généralités splendides, mais peu concluantes. A examiner pourtant l'ensemble de sa direction, on re-
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connaît dans ses prudentes réserves, sous les différents gouvernements qui ont régi la France, dans ses préférences sans passion, et dans la constante dignité de son langage, ce bon sens personnel et un peu froid du Philinte de Molière, qui prend tout doucement les hommes comme ils sont. Le Journal des Débuts n'est évidemment ni un apôtre ni un tribun c'est un journal bien élevé, désireux de vivre le mieux possible de son vivant, bien réglé, bien instruit, bien rédigé, mais nullement jaloux de sacrifices. En cela, on peut dire qu'il a été de tout temps le journal des classes de loisir, qui aiment le bon sens, le bien dire et le repos.
Le Constitutionnel, au contraire (nous parlons de celui de la Restauration), était le représentant de l'immense majorité appelée à la vie politique par la Révolution et qui constituait les forces vives de la nation. Mélange de perspicacité et d'ignorance, de crédulité et de doutes, d'indépendance et de préjugés, cette classe était, politiquement parlant, tout le peuple, c'est-à-dire celui qui possède, qui lit, qui s'intéresse aux affaires publiques. Ses chefs avaient été recrutés. parmi les grands industriels, les banquiers, les anciens généraux de Bonaparte, les avocats et les écrivains tous gens de vive intelligence et d'inépuisables ressources, qui voulaient conserver les conquêtes de la Révolution.
Le Constitutionnel était écrit par des hommes qui appartenaient eux-mêmes à ces différentes carrières. Il ne se faisait remarquer ni par la variété, ni par la -verve, ni par l'élégance mais son terre-à-terre luimême le rendait plus accessible au commun des lec-
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teurs. On y trouvait les vieilles rancunes contre l'Église et contre la noblesse, que la noblesse et l'Église venaient de raviver par d'intolérables exigences le respect des gloires de l'Empire, adoptées par la France entière, depuis que l'on voulait les effacer de son histoire la défense des droits, concédés par la Charte, et toujours remis en question. Ajoutez à ce fond, qui agréait au plus grand nombre, l'abondance des anecdotes, qui charment les curiosités triviales, des détails sur le grand serpent de mer, agréablement mêlés aux débats de police correctionnelle et aux prouesses des missionnaires qui parcouraient nos départements, et vous comprendrez sans peine le prodigieux succès d'une production, qui s'adressait en même temps aux passions les plus générales et aux instincts les plus vulgaires.
Cependant il -y avait, en réalité, dans la polémique du Constitutionnel, moins de ferme hostilité que de tracasserie et de commérage. Quelques libéraux, qui souhaitaient un organe plus net, fondèrent ie Courrier Français. Il eut pour rédacteur en chef Chatelain, un de ces hommes qui, à défaut de talent, ont un caractère, écrivain de vue courte, mais précise, sachant au juste ce qu'il voulait et ne s'en détournant plus. Ancien militaire, il regarda son journal comme une forteresse, qu'il était chargé de défendre, et y demeura enfermé jusqu'à sa mort. Chaque matin il tirait sur l'ennemi, avec le même canon et la même poudre, mais toujours droit au but. Son apprentissage de journaliste s'était fait dans le Censeur, la revue la plus sérieuse du temps, fon-
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dée par Louis Comte, que sa persistante opposition exposa à une grave condamnation pour délit de presse et qui, en allant chercher un refuge dans le pays de Vaud, y trouva une chaire de professeur. Les deux autres revues les plus importantes étaient la Minerve, que publiaient les écrivains libéraux les mieux accrédités, et le Conservateur, opposé par les royalistes comme un fort, armé de toute leur grosse artillerie. Chateaubriand et M. de Bonald en furent les premiers rédacteurs puis ils s'adjoignirent Lamennais,:ques on Essai sur l'indifférence venait de porter, d'un seul bond, au premier rang. Le Conservateur avait pour épigraphe Dieu, le roi et les honnêtes gens ce qui laissait, parmi les fripons, quiconque n'était pas de ses abonnés. La Minerve et lui se faisaient une guerre plus divertissante pour les lecteurs que profitable à la monarchie. En définitive, tous les combats se livraient sur le champ de la royauté, qui ne s'en trouvait pas mieux. Aussi Louis XVIII y prenait peu de goût, et il avait coutume de dire « Ces messieurs se battent trop près de chez moi toutes les pierres qu'ils se lancent me cassent quelques vitres. »
La presse spécialement littéraire n'était d'abord représentée que par l'ancien Mercure, qui s'en tenait aux bonnes intentions mais elle eut bientôt un interprète, qui a laissé une trace profonde dans l'histoire des lettres de la Restauration. Nous voulons parler du Globe, fondé, en 1824, par un Breton, M. Dubois. Le Globe avait appelé à lui une élite de jeunes professeurs, de jeunes critiques et de jeunes poètes, qui n'avaient pas partagé la servitude intel-
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lectuelle de l'Empire. Ils apportaient au nouveau journal des goûts très élevés et une érudition toute nouvelle, celle des littératures étrangères. Pour la première fois, depuis bien longtemps, on sortit des lieux communs qui défrayaient la presse littéraire depuis un demi-siècle. On songea à regarder en soi, et hors de chez soi. On ne préconisa plus la perpétuelle imitation de l'antique, vu à travers trente siècles, mais on encouragea à l'analyse des sentiments réels on n'imposa plus le monde conventionnel, inventé par les livres et toujours reproduit par eux, mais on demanda l'étude de la société, telle qu'elle se montrait à nos yeux; on ne s'en tint plus enfin aux répugnances classiques de Boileau ou de Voltaire, mais on ouvrit à tout le monde les sources poétiques de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Espagne, de l'Inde elle-même. L'œil étonné pénétra, pour la première fois, dans ces perspectives étranges, où le soleil et les ombres jouaient avec une vigueur inconnue dans nos pâles horizons littéraires; l'oreille s'accoutuma peu à peu aux voix de ces barbares, comme on les avait appelés jusqu'alors. On commença à comprendre que tout n'était pas renfermé dans Delille, et que nous en étions encore pour la poésie au même point que les anciens peuples avant la découverte de l'Amérique: c'est-à-dire en possession d'un monde incomplet.
En même temps de vives poussées se faisaient dans l'esthétique de l'histoire on exhumait le moyen âge tout entier on commençait à comprendre son art, si longtemps méprisé on étudiait ses usages, on recueillait ses traditions.
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En philosophie, on sortait du sensualisme de Condillac, pour traverser l'École écossaise et arriver à Kant.
En politique, on apprenait le droit constitutionnel de l'Angleterre, et l'on s'inquiétait déjà de l'organisation américaine.
Le Globe n'accomplissait pas seul cet immense travail, mais il y présidait: il signalait chaque effort, il dirigeait les tentatives, il donnait le mot d'ordre. Ainsi, tandis qu'il applaudissait à MM. Cousin, Guizot et Villemain, qui relevaient la' Sorbonne par l'éclat d'un enseignement, aussi nouveau pour la forme que pour le fond, il soutenait les débuts de Lamartine, qui venait de faire entendre une note, avant lui inconnue, dans notre poésie il signalait Victor Hugo, qui se levait alors comme un astre au milieu des brouillards il encourageait Scribe à substituer sa comédie de genre aux parades triviales, qui avaient porté jusqu'à ce moment le nom de vaudevilles il remarquait les curieuses recherches de Monteil, substituant l'histoire des Français des divers états à ce que lui-même avait plaisamment appelé l'histoire-bataille il citait la traduction des Chants de la Grèce moderne, publiée par Fauriel il appuyait celle des théâtres étrangers et celle des chefs-d'œuvre du barreau ou de la tribune d'Angleterre. En un mot, il secondait de sa publicité tous les travaux capables de réveiller chez nous la vie intellectuelle et de renouveler l'inspiration. Plusieurs de ses rédacteurs tentaient eux-mêmes de nouvelles routes. Ainsi M. Mérimée imitait le drame de fantaisie des Espagnols dans son Théâtre de Clara
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Gàzul, et essayait le roman historique dans sa Chronique de Charles IX M. Vitet montrait une nouvelle route à la comédie dans ses Soirées de Neuilly M. Sainte-Beuve s'efforçait de nous accoutumer à la poésie intime de Crabbe, de Wordsworth, de Cowper, en préparant Joseph Delorme.
Le sentiment de cette poésie était, pour ainsi dire, héréditaire chez M. de Sainte-Beuve; il le tenait de sa mère, qui éta it Anglaise et d'une nature singulièrement délicate. Elle transmit à son fils l'aptitude à s'impressionner des détails, et, comme dit Byron, « à décomposer les rayons de soleil », qui, chez nos voisins d'outre-mer, en eût fait infailliblement un lakiste. Venu à Paris, en 1818, pour terminer ses études, Sainte-Beuve avait fait sa rhétorique sous M. Dubois, alors professeur au collège Bourbon. Il se distingua assez pour attirer son attention et se lier avec lui d'amitié. Lorsque le Glohe fut fondé, M. Dubois ouvrit donc ses colonnes à son ancien écolier, devenu étudiant en médecine,et qui hésitait encore entre la science et la littérature. M. Daunou, à qui on le présenta, mit sa bibliothèque à son service et l'engagea à étudier et à publier l'histoire de la littérature du xvi' siècle. Plusieurs fragments de ce beau travail parurent dans le Globe. M. Sainte-Beuve y tentait l'histoire de cette littérature de la Pléiade, qui dura cinquante ans et dont Ronsard fut l'Homère. Il fit ressortir avec beaucoup de finesse le charme et l'élan de ces essais, balbutiés dans une langue gracieuse encore dans sa pédanterie, et dont le tort principal avait été de ne pouvoir se faire accepter. Il indiqua en poète ce qu'il y avait à reprendre dans
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ces ruines, surtout sous le rapport du rythme, et fit observer que André Chénier l'avait fait.
Ces belles études rétrospectives étaient entremêées de critiques courantes. Il rendit compte des essais de plusieurs écrivains, devenus célèbres depuis, entre autres des Odes et Balhdes de Victor Hugo (1827) l'article était sympathique, mais louait avec restriction. Sainte-Beuve n'était point encore complètement gagné à la nouvelle école. Victor Hugo vint le voir, et tous deux nouèrent une amitié. dont nous retrouverons les traces lumineuses dans leurs poésies. L'auteur des Odes et Ballades s'était précédemment associé ,à de jeunes royalistes qui, dans leur passion pour la vieille monarchie, voulaient faire revenir notre littérature vers le moyen âge, voulaient reprendre les formes et la langue antérieures au xvne siècle. Ils avaient fondé dans ce but un journal, la Muse Française, mais ils ne s'y étaient point renfermés dans des questions d'art. La Muse Française avait soutenu la politique exclusive et rétrograde, qui commençait à prévaloir dans le gouvernement. Les rédacteurs les plus clairvoyants s'effrayaient de cette direction; ils se retirèrent doucement de la publication, qui tomba, et fondèrent entre eux une réunion purement littéraire, qu'on nomma le Cénacle.
Sainte-Beuve y trouva les frères Deschamps, que l'on appelait alors, et que l'on a toujours appelé depuis, les jeunes poètes, parce qu'ils n'ont jamais donné que des espérances; de Vigny, qui avait mis sa veine sobre et délicate au service de la nouvelle école Alfred de Musset, alors à jeun, et qui devait
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conquérir par une parodie, la Ballade à la lune, une renommée subite, que n'eût pu lui valoir un chefd'œuvre. Quelques peintres, quelques sculpteurs s'étaient joints à eux: Louis Boulanger d'abord, l'auteur de Mazeppa et de la Ronde du Sabbat puis David, qui commençait à peupler la France des simulacres de ses grands hommes. Au milieu de ces esprits, pleins de fantaisie et d'ardeur, que tourmentait l'ambition de renouveler l'art français, Sainte-Beuve ne tarda pas à dépouiller ses derniers scrupules. Il entra avec vivacité dans ce mouvement de libéralisme littéraire, qui semblait parallèle au mouvement de libéralisme politique, mais qui, chose étrange, s'accomplissait hors de ses rangs. Car on eut alors le double spectacle de libéraux, réclamant l'indépendance pour le citoyen, sans la vouloir pour l'écrivain, et de royalistes exclusifs, combattant la liberté politique, en demandant la liberté littéraire. Les premiers ne voulaient rien de l'ancienne monarchie que son art poétique; les seconds voulaient maintenir toutes les vieilles règles, sauf celles d'Aristote. On avait ainsi, des deux côtés, des révolutionnaires conservateurs et des conservateurs révolutionnaires Ils prirent les noms de classiques et de romantiques. La lutte de ces deux écoles fut ce que sont toujours les luttes entre deux partis exclusifs. Les classiques, enfermés dans leur rhétorique comme dans un cachot, s'effarouchaient de toute nouveauté et se déclaraient les derniers Romains de la République des lettres les romantiques, échauffés par leurs convictions, aigris par d'injustes critiques, se réfugiaient dans l'exagération. On s'était armé contre eux des grands
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noms du xvir3 et du xvni" siècles; ils se retournèrent contre ces noms et levèrent la main sur des gloires, sinon surfaites, au moins trop exclusivement admirées. Il y eut dans cette guerre d'incroyables excès de paroles, des excentricités qui, aujourd'hui déjà, paraissent impossibles. On vit, au sortir d'un drame de la nouvelle école, dont la représentation avait été un combat et le succès une victoire chèrement achetée, les romantiques triomphants se prendre par la main dans le péristyle du Théâtre-Français et danser une sarabande injurieuse autour des marbres de Racine et de Voltaire, comme des Peaux Rouges autour des captifs qu'ils vont dévorer. Les classiques s'étaient enfuis, en se voilant la face, et refaisaient le lendemain, dans tous leurs journaux, le cantique des Hébreux aux bords des fleuves de Babylone. Au fond, ils étaient les premiers coupables. En emprisonnant la littérature dans les formes conventionnelles, en accueillant par des huées tout génie qui cherchait son inspiration en lui-même, comme il était arrivé pour Chateaubriand, ils avaient exalté et justifié les exagérations de leurs adversaires.
Au reste, le temps devait faire justice de ces exagérations. M. Vinet a fait remarquer, dans ses études sur la littérature française, quels services avaient été rendus par la nouvelle école combien de libertés, signalées d'abord comme de-monstrueuses violations du goût, c'est-à-dire de la convention qui prenait ce nom, sont aujourd'hui définitivement acquises et acceptées par. ceux-là mêmes qui les repoussaient avec le plus d'horreur. C'est aux Romantiques que nous
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devons la disparition de ce vieil Olympe mythologique, si étrangement conservé dans notre poésie, l'abandon des prétendues règles d'Aristote, l'étude plus naïve de la passion, la recherche plus hardie de la couleur, toute cette vie enfin et tout cet éclat, dont on a abusé sans doute, mais qui n'en donnera pas moins à notre littérature, dans l'histoire de l'art, une physionomie et une attitude. Sainte-Beuve, entré dans le mouvement de la jeune école, grâce à ses relations avec le Cénacle, eût voulu arborer le nouveau drapeau au Globe mais M. Dubois, favorable à l'audace, répugnait aux témérités il voulait la liberté de l'inspiration, non les extravagances de la fantaisie; en renouvelant la forme littéraire, il n'entendait nullement nier l'excellence de celle qui avait précédé son goût d'innovation tendait au perfectionnement et à l'extension du goût national, nullement à sa destruction. Sous sa main, le Globe resta donc dans de justes mesures et adopta vis-à-vis des Romantiques le rôle de modérateur.
Sainte-Beuve, ainsi contenu, ne put développer ses nouvelles convictions aussi vivement qu'il l'eût souhaité aussi accepta-t-il avec empressement les offres de M. Véron, lorsque celui-ci fonda la Revue de Puris, et, commença-t-il dans cette publication une série d'articles sur Boileau, Jean-Baptiste Rousseau et plusieurs autres, dont nous le croyons à cette heure quelque peu repentant et embarrassé. Le nouveau journal n'avait, du reste, adopté aucune doctrine littéraire. Le seul but du fondateur était d'obtenir un succès productif, en réunissant dans son journal les noms les mieux connus, mais en même
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temps les plus disparates. Ainsi M. Scribe écrivait à côté de M. Sainte-Beuve, Casimir Delavigne près de M. Jules Janin. Le succès ne répondit pas aux espérances et la Revue de Paris, malgré les sacrifices successifs de plusieurs directeurs, ne put jamais mettre en balance son actif et son passif.
Toute cette presse sérieuse était alors appuyée par une nuée de petits journaux, qui combattaient sur ses flancs en tirailleurs c'étaient le Miroir, le Nain jaune, l'Album, le Figaro, factieux auxiliaires, qui accoutumaient le public à substituer, peu à peu, la moquerie à la logique, confondaient, dans leurs épigrammes, le ridicule avec le vice, et transformaient l'opinion publique en un long ricanement. Ce fut là que se forma l'école des condottieri littéraires, sans patrie morale, sans drapeau, toujours prêts à porter leur plume, comme les officiers de fortune portaient autrefois leur épée, aux plus offrants. Quelques-uns gagnèrent à ce triste jeu des pensions, des emplois, dont on a depuis oublié l'origine; d'autres, une notoriété qui, soutenue de talent, est devenue de la renommée. Parmi ces derniers on peut surtout citer M. Jules Janin,:qul s'exerçait dès lors à des prestidigitations de style, dans lesquelles il est devenu maître écrivant, comme royaliste, dans la Quotidienne, des articles dont il se moquait, dans le Figaro, comme libéral. Il s'est disculpé depuis de cette légèreté à sa manière.
J'écrivais dans le Figaro, a-t-il dit, comme l'oiseau chante, sans savoir pourquoi; il n'exista jamais homme plus honnête, plus vrai, plus sincère, plus
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dévoué, d'un talent plus incisif (c'est toujours de luimême qu'il parle) j'étais comme un enfant qui met le feu au canon chargé, sans savoir où le boulet porte. Par malheur cet enfant terrible a recommencé depuis, plusieurs fois, les mêmes espiègleries, et on l'a vu célébrer, dans le Journal des Débats, avec un prodigieux cliquetis d'exclamations et d'épithètes, cette même famille d'Orléans, qu'il avait traînée au ruisseau, dans la préface de Barnave.
Après avoir déclaré, dans son livre de l'Ane mort, que « ce qu'il y avait de plus hideux parmi toutes les ordures sociales, c'était un censeur », et en avoir donné un pour mari, comme dernier châtiment, à une prostituée, il a demandé plus tard, dans son feuilleton, le rétablissement de la censure. Si c'est ainsi que l'oiseau chante, il faut reconnaître au moins qu'il a plusieurs chansons.
L'une d'elles lui fit croire un instant que sa fortune était faite. Il travaillait encore alors à la Quotidienne, et était, par conséquent, royaliste, au moins pour moitié. On le chargea d'écrire l'article qui devait être refait, chaque année, le 21 janvier, jour du supplice de Louis XVI. Le jeune rédacteur, qui parlait pour la première fois de ce funèbre anniversaire, y mit une verve que l'on ne pouvait attendre de ceux qui l'avaient déjà célébré à plusieurs reprises. L'article fut remarqué au château, et la Dauphine avertit qu'elle voulait voir l'auteur Jules Janin, ravi, ne doutait point que ce fût le commencement d'une faveur qui pouvait le conduire à tout il courut aux Tuileries et fut présenté à la duchesse d'Angoulême
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qui se rendait à la messe. Elle le regarda en face et lui dit, de sa voix brève et rude:« C'est vous qui avez fait l'article de la Quotidienne ? » « Oui, Altesse 1 » répondit Janin. « Eh bien vous pouvez vous vanter de m'avoir fait bien pleurer », reprit la dauphine, et elle passa. C'était tout 1 Évidemment elle croyait avoir eu affaire à un de ces anciens gentilshommes, pour qui un mot de la bouche des princes était une suffisante récompense. Le journaliste se retira désappointé et décidément convaincu que la branche aînée ne comprenait pas notre époque.
Heureusement la duchesse de Berry répara peu après cette maladresse. Ayant entendu, à l'expoposition de l'industrie, un spectateur s'extasier devant un service de porcelaine et exprimer bien haut son régret de ne pouvoir l'acheter, elle demanda le nom de la personne qui faisait ainsi ses confidences au public; lorsqu'elle l'eut appris, elle ordonna de lui faire porter, de sa part, le service tant désiré. Au reste, Jules Janin n'a jamais éprouvé cette répugnance à recevoir, qui constate aujourd'hui, chez la plupart de nos hommes de lettres, l'affranchissement de la littérature, si longtemps aux gages des rois, des financiers ou des grands seigneurs. Véritable écolier, il a toujours mis sa gloire, non à refuser, mais à obtenir quelque chose. M. de Metternich lui avait fait demander un autographe pour son album Janin écrivit sur la feuille de velin qui lui avait été envoyée :-BoK pour six houteilles de Johannisherg, et le ministre autrichien dut faire honneur à la singulière lettre de change tirée sur son vignoble. Mais nous aurons à revenir sur les habitudes et
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sur le talent de M. Jules Janin, dont l'influence dans la polémique fut secondaire; sous la Restauration, il ne fit, pour ainsi dire, que traverser le journalisme politique et apparaître dans le journalisme littéraire C'est surtout, au titre de fantaisiste, qu'il prit rang au milieu de la nouvelle école, dont il devint plus tard l'ennemi comme critique en réalité, il n'avait point encore trouvé sa vraie place avant 1830. La discussion des affaires publiques ne convenait ni à son humeur ni à son style non qu'elle exigeât des formes plus graves;-le plus remarquable polémiste du temps employa toujours des formes légères mais au lieu de cacher le vide, comme chez M. Janin, cette légèreté ne semblait destinée qu'à donner des ailes au bon sens. Vous devinez déjà que nous voulons parler de Paul-Louis Courier. Avant de nous occuper de l'écrivain, disons quelques mots de la vie de l'homme; l'un nous aidera à comprendre l'autre.
Paul-Louis Courier était sorti officier de l'école d'artillerie de Châlons, en 1793. On l'envoya àl'armée du Rhin, où il s'occupa beaucoup moins de la guerre que de bouquiner dans les abbayes et les vieux châteaux. Dès lors les auteurs anciens le passionnaient, mais au seul point de vue de l'art ou de l'amusement. Il lisait la vie des grands hommes de Plutarque, comme il eût pu lire Peau d'àne et la fable des Deux pigeons. Arrêté devant Mayence, où, selon son expression, il souffrit tellement du froid qu'il ne fut jamais si près d'une cristallisation complète, il y apprit la mort de son père, et partit sans congé,
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laissant là ses canons. En temps de guerre, un pareil départ ressemblait à une désertion; il ne tarda pas à savoir qu'on le cherchait pour le faire fusiller jugeant qu'il était inutile de faciliter une pareille opération, en se présentant lui-même, il se retira dans une maison de campagne, près d'Albi. et se mit à traduire tranquillement le plaidoyer de Cicéron pour Ligarius.
Cependant ses amis s'entremirent; on réussit à arrêter les poursuites. Paul-Louis Courier rentra au service, mais y apporta la même nonchalance que par le passé. Pendant que tous les officiers de son âge se précipitaient à la suite de Napoléon en Italie, lui s'arrêta à Toulouse, où il s'occupa sérieusement d'apprendre à danser. Un ordre l'obligea enfin d'aller se mettre à la tête d'une compagnie en Calabre. Il y reprit son service habituel, c'est-à-dire qu'il dépensa son temps en excursions, en lectures, en rêveries dans lesmontagnes,où les bandits le dépouillèrent trois fois. Appelé à Rome, il y fit partie de la brigade qui fut forcée de capituler, et s'avisa, pendant que nos soldats évacuaient la ville, d'aller faire une dernière visite à la bibliothèque du Vatican. Lorsqu'il en sortit, on le reconnut à son uniforme le peuple voulut le massacrer; il ne dut son salut qu'au hasard et à la nuit. Le navire, sur lequel il était monté, le débarqua à Marseille. Mais PaulLouis Courier était destiné aux aventures de grand chemin. Il rencontra, en se rendant à Paris, une de ces bandes de prétendus royalistes, qui arrêtaient t les diligences pour la bonne cause, et fut dépouillé de tout ce qui lui restait. Il s'en consola en écrivant
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l'Éloge d'Hélène, essai antique dans la manière de Fénelon.
On le renvoya bientôt, comme chef d'escadron, en Italie, où il apprit la candidature de Bonaparte à l'Empire, candidature sur laquelle l'armée fut appelée à voter. Il nous a laissé le récit de ce qui se passa à cette occasion, à Plaisance, où il se trouvait en garnison. La lettre, adressée à un de ses amis, vous donnera la mesure de cet esprit original, et un premier échantillon de son style
Cher ami,
Nous venons de faire un Empereur et, pour ma part, je n'y ai point nui. Voici l'histoire. Ce matin, d'Anthouard (c'était le colonel) nous assemble et nous dit de quoi il s'agissait, mais bonnement, sans préambule ni péroraison. Un Empereur ou la République, lequel est leplus de votre goût? Comme on dit: rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous? Sa harangue finie, nous voilà tous à nous regarder, assis en rond. Messieurs, qu'opinez-vous? Pas le mot. Personne n'ouvre la bouche. Cela dura un quart d'heure ou plus, êt devenait embarrassant pour Anthouard et pour tout le monde, quand Maire, un jeune homme, un lieutenant, que tu as pu voir, se lève et dit S'il veut être Empereur, qu'il le soit; mais, pour en dire mon avis, je ne le trouve pas bon du tout.-Expliquez-vous, dit le colonel, voulez-vous ou ne voulez-vous pas? Je ne le veux pas, répond Maire. A la bonne heure! Nouveau silence. On recommence à s'observer les uns les autres, comme des gens qui se voient pour la pre-
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mière fois. Nous y serions encore, si je n'eusse pris la parole. Messieurs, dis-je, il me semble, sauf correction, que ceci ne nous regarde pas. La nation veut un Empereur; est-ce à nous d'en délibérer? – Ce raisonnement parut si fort, si lumineux, si ad rem. Que veux-tu? j'entraînai l'assemblée. Jamais orateur n'eut un succès si complet. On se lève, on signe, on s'en va jouer au billard. Maire me dit Ma foi, commandant, vous parlez comme Cicéron; mais pourquoi voulezvous donc tant qu'il soit Empereur, je vous prie? Pour en finir et faire notre partie de billard; fallait-il rester là tout le jour? Pourquoi, vous,ne le voulez-vous pas ?- Je ne sais, me dit-il, mais je le croyais fait pour quelque chose de mieux.
Voilà le propos du lieutenant, que je ne trouve pas tant sot. En effet, que signifie, dis-moi. un homme comme lui, Bonaparte, soldat, chef d'armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu'on l'appelle Majesté ? Etre Bonaparte et se faire Sire 1 Il aspire à descendre. Mais non, il croit monter en s'égalant aux rois; il aime mieux un titre qu'un nom.
Cependant 1808 arrive. Paul-Louis Courier, éloigné depuis longtemps de sa famille et de ses affaires, demande un congé; on le lui refuse, il donne sa démission.
Mais ce qui devait arriver, arriva à peine eut-il quitté les rangs de l'armée qu'il fut saisi d'une passion inattendue pour l'état militaire. Le voilà qui sollicite sa rentrée, puis qui, ne pouvant l'obtenir, part comme volontaire avec l'artillerie. Mais Courier, dit Armand Carrel dans sa notice biographique, ne
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savait pas ce que c'était que la guerre, comme Bonaparte la faisait. Il n'avait jamais vu les hommes noyés par milliers, les généraux tués par cinquantaines, les régiments entiers disparaissant sous la mitraille, les tas de morts et de blessés, servant de remparts ou de ponts aux combattants, l'artillerie, la cavalerie roulant, galopant sur un lit de débris humains, et quatre cents pièces de canons, accompagnant de leurs détonations, pendant deux jours et deux nuits, ces déplorables scènes. La victoire de Wagram le dégoûta à jamais de la guerre. Il repartit pour l'Italie, au moment même où l'on venait de rétablir son nom sur les cadres, et se vit exposé de nouveau à être jugé comme déserteur. Enfin, définitivement rayé des contrôles, il put rentrer dans la vie civile, qu'il ne quitta plus.
La chute do l'Empire le laissa assez indifférent,mais ,les tentatives rétrogrades de la Restauration réveillèrent bientôt son humeur frondeuse. On entendit tait à coup s'élever, dans un village de la Touraine, la voix narquoise d'un paysan, qui donnait son avis sur les affaires du temps. C'était l'ancien canonnier à cheval, devenuvigneron, et qui cachait sa prodigieuse science de langage sous une forme demi-campagnarde. Son premier écrit politique fut une pétition aux Chambres en faveur de quelques habitants de Luynes, victimes de la réaction royaliste. Il y avait là déjàla force de logique, l'originalité d'expression et l'accent railleur, particuliers à Paul-Louis Cou, rier. Il estrare, en effet, que son sarcasme soit direct et à ciel découvert; il le lance plutôt à la dérobée, comme les partisans tirent leurs coups de fusils dans
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les guerres civiles. Sa dialectique est une mousqueterie de broussailles; vous sentez le coup avant d'avoir vu l'arme; le prétendu vigneron a bien pris toute l'allure paysanne; il se moque de vous, le sourire sur les lèvres; il vous bâtonne, le chapeau à la main; il vous prouve que vous êtes un sot ou un fripon, en vous demandant pardon de la liberté grande. Il avait beaucoup étudié Amyot, dont il avait adopté le style pour traduire plusieurs fragments de Lucius, de Longus, d'Hérodote ou de Plutarque. Il fit passer dans ses pamphlets quelque chose de ce langage naïvement ingénieux et leur donna ainsi une sorte de teinte faussement campagnarde. Peu d'écrivains avant lui avaient été aussi complètement maîtres de la langue française, non dans son ensemble, mais dans ses détails. Aucun ne s'était exercé comme lui à désarticuler la phrase, à la couper et à la replier dans tous les sens, à faire évolutionner les» mots, comme une cavalerie qui se précipite ou s'arrête court, au premier geste. La science de Paul-Louis Courier pour le côté artificiel du style n'a été égalée ni par Victor Hugo ni par M. de Cormenin, ces grands ouvriers en langage; il faudrait remonter jusqu'à Montaigne et Rabelais pour trouver autant de ressources de phraséologie, avec plus de largeur, il est vrai, et surtout plus d'abondance. L'auteur des Pamphlets a l'haleine courte, mais tout ce qu'il dit est dit autrement que par un autre, et ne saurait être mieux dit par personne. Ses pages sont comme ces pierres gravées, qu'on peut examiner à la loupe, pendant des heures entières, sans y voir un tremblement de main ou une bavure.
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La Pétition aux deux Chambres fut suivie de lettres au journal le Censeur. La première avait été écrite en réponse à un article de ce journal dans lequel, à propos de la pétition de Paul-Louis Courier, un des rédacteurs déplore la position des paysans, exposés sans défense aux vexations des autorités locales. Il faut voir de quel ton Courier le console et l'apaise Vous nous plaignez beaucoup, nous autres paysans, lui écrit-il, et vous avez raison, en ce sens que notre sort pourrait être meilleur. Nous dépendons d'un maire et d'un garde-champêtre, qui se fâchent aisément. L'amende et la prison ne sont pas des bagatelles. Mais songez donc, monsieur, qu'autrefois on nous tuait pour cinq sous parisis. C'était la loi. Tout noble, ayant tué un vilain, devait jeter cinq sous dans la fosse du mort. Mais les lois libérales ne s'exécutent guère, et, la plupart du temps, on nous tuait pour rien. Maintenant il en coûte à un maire sept sous et demi de papier marqué, pour seulement mettre en prison l'homme qui travaille, et les juges s'en mêlent. On prend des conclusions, puis on rend un arrêt conforme au bon plaisir du maire et du préfet. Vous paraît-il, monsieur, que nous ayons peu gagné en cinq ou six cents ans ? `t Nous étions la gent corvéable, taillable et tuahle à volonté; nous ne sommes plus qu'incarcérables. Estce assez, direz-vous? Patience, laissez faire encore cinq ou six siècles, et nous parlerons au maire tout comme je vous parle. Nous pourrons lui demander de l'argent, s'il nous en doit, et nous plaindre, s'il nous en prend, sans encourir peine de prison.
Toutes choses ont leurs progrès. Du temps de ]Vk>n-
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taigne, un vilain, son seigneur le voulant tuer, s'avisa de se défendre. Chacun en fut surpris, et le seigneur surtout, qui ne s'y attendait pas, et Montaigne qui le raconte. Il fut pendu, cela devait être; il ne faut pas devancer son siècle.
Le Simple Discours sur la souscription, qui devait servir à acheter le Château de Chambord, pour l'offrir au duc de Bordeaux, brouilla enfin Paul-Louis Courier avec la justice. Il avait prouvé, avec sa verve ordinaire, que cette ancienne habitation de François Ier et de Diane de Poitiers ne renfermait que des souvenirs dangereux pour le jeune prince mais il avait joint à sa démonstration des remarques historiques sur les mœurs de la cour, qui le firent condamner à 300 francs d'amende et à deux mois de prison. Au sortir de Sainte-Pélagie, il fut arrêté de nouveau à propos de sa Pétitionpour des villageois qu'on empêchait de danser. Bien que cette fois tout se fût borné à une réprimande, il déclara qu'il lui était désormais impossible de causer avec le gouvernement, et eut recours, pour ses pamphlets, à l'impression clandestine. Le secret fut si bien gardé que ses amis eux-mêmes ignoraient ses moyens de publication. Lorsqu'on lui demandait des explications, il se contentait de répondre « Je n'ai qu'à jeter mes feuilles volantes par la fenêtre, elles me reviennent imprimées. » Ce fut ainsi que parurent les Lettres aux anonymes, le Livret, la Pièce Diplomatique et la Gazette villageoise. Cette dernière nous a toujours paru le chef-d'œuvre de Paul-Louis Courier. On y trouve, outre la logique acérée et la gaieté gauloise
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qui lui est ordinaire, des bouffées de poésie que l'on chercherait vainement ailleurs. Elles traversent ses arguments épigrammatiques, comme des brises de printemps, parfumées de toutes les senteurs de la campagne. Ouvrez au hasard cette gazette, voici ses faits divers
Aujourd'hui, Madame, femme de M. le Maire, est accouchée d'un gentilhomme, au son des cloches de la paroisse.
Pierre Moreau et sa femme sont morts, âgés de vingtcinq ans. Trop de travail les a tués, ainsi que beaucoup d'autres. On dit travailler comme un nègre, comme un forçat; il faudrait dire travailler comme un homme libre.
Les rossignols chantent et l'hirondelle arrive; voilà la nouvelle des champs. Après un rude hiver et trois mois de fâcheux temps, pendant lesquels on n'a pu faire charrois ni labours, l'année s'ouvre enfin; les travaux reprennent leur cours.
Paul-Louis, sur les hauts de Véretz, fait des choses admirables. C'est le premier homme du monde pour terrasser un arpent de vigne. Il amène, d'un bois non fort voisin de là, cinq cents charges de gazon ou terre de bruyère. Il la laisse mûrir à l'air, de temps en temps la vire, la remue, avec cent à cent cinquante charges de fumier, qu'il entremêle parmi; puis, ouvrant une fosse entre deux rangs de ceps, il y place ce terreau. Sa vigne, au bout de deux ans, jeune d'ailleurs et n'ayant besoin-que d'aliment, se trouve en plein rapport. Ainsi amendé, un arpent, pourvu qu'on l'entretienne avec soin, diligence, patience, peine et travail, produit au
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vigneron 150 francs par an, et de plus 1.300 francs aux fainéants de la cour. Le compte en est aisé.
Cet arpent donne quelquefois vingt-quatre pièces ou poinçons de vin aux bonnes années, quelquefois rien. Produit moyen, douze poinçons qui se vendent chacun 60 francs. Somme, sauf erreur, 720. Déduisez les façons, le coulage, l'entretien, la garde, le coût de ce terreau qu'il faut renouveler tous les cinq ans, vous trouverez net 150 francs pour le bonhomme.
Mais, pour la cour, c'est autre chose. Ces douze poinçons vont à Paris, où l'on en fait du vin de Bourgogne. Ils payent à l'entrée 75 francs chacun, plus 6 francs de remuage (taxe de l'usurpateur devenu légitime), autant pour droit de patente, et quatre fois autant d'avanies, qu'on appelle réunies, sans les autres, faites par la police au marchand détaillant, plus 30 francs d'impôts sur le fonds, dont la valeur, en ouire, par droits de mutation, passe entière dans les mains du fisc tous les vingt ans. Comptez, et n'en oubliez rien. Droit d'entrée, droit de remuage, droit de patente, droit de police, droit direct, droits indirects, droits réunis plusieurs ensemble, droit de mutation. c'est tout; faisant bien chaque année 1.300 francs pour les courtisans, ou douze cent nonante et six, que je ne mente. Paul-Louis a dix arpents qu'il cultive avec sa famille. Ces bonnes gens en tirent tous les ans, comme on voit, 1.500 francs dont ils vivent, et 13.000 francs pour les splendeurs du trône. Ce sont les appointements du procureur du roi, qui a mis en prison PaulLouis, et l'y remettra pour avoir fait ce calcul.
Nous n'avons pas besoin d'insister sur la grâce
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malicieuse de toutes ces formes, qui ne ressemblent à aucune autre, et que l'on reconnaît toujours, pour peu qu'on les ait remarquées une seule fois. Ici le style n'est point seulement dans la manière dont l'argumentation est présentée, mais dans la nature de cette argumentation elle-même. Sa simplicité affectée, qui n'invoque jamais que le sens commun à l'appui des raisons offertes, sa logique progressive, allant toujours de proche en proche et sans franchir aucun intervalle jusqu'à la conclusion, ses vieilles tournures, qui donnent au raisonnement je ne sais quel air de naïveté villageoise, tout se réunit pour convaincre. C'est l'artifice socratique, avec lequel le maître de Platon confondait les plus adroits rhéteurs de son temps et les conduisait d'aveux en aveux à se condamner eux-mêmes. Il ne faudrait pas trop se fier à ces apparences. Rien de plus perfide que les raisonnements, qui semblent ne procéder jamais que par le bon sens, et habillent leur logique en paysan du Danube leur air ingénu vous déprécautionne, les paradoxes se glissent, mêlés aux arguments vulgaires, et vous vous trouvez tout doucement conduit au faux par le chemin de l'évidence.
Il suffit, pour s'en convaincre, de lire le Pamphlet des Pamphlets de Paul-Louis Courier, où il arrive à démontrer la parfaite innocuité de ces feuilles volantes que le vent emporte comme des étincelles et qui vont semer l'incendie partout. Jamais réseau de dialectique ne fut mieux tissu pour prendre au piège la vérité; jamais forme plus souple, plus variée, plus charmante. C'est une causerie à mille intonations,
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qui vous éblouit; l'auteur vous a pris sous le bras et il vous conduit où il veut, sans que vous songiez à résister; le plaisir ne laisse point de place aux soupçons; “
Lisez la Conversation chez Mma la comtesse d'Albany, c'est le même charme, la même fascination. Paul-Louis vous persuade que, pour être un grand général, il suffit d'en avoir l'idée, qu'il n'y a ni génie militaire, ni tactique.
Un jeune prince, à dix-huit ans, arrive de la cour en poste, dit-il, donne une bataille, la gagne, et le voilà grand capitaine pour toute sa vie, et le plus grand capitaine du monde. Qui donc? demanda la comtesse, qui a fait ce que vous dites là ? Le grand Condé.– Oh celui-ïà, c'était un génie. Sans doute. Et Gaston de Foix ? L'histoire est pleine de pareils exemples. Mais ces choses-là ne se voient pas dans les autres arts. Un prince, quelque génie qu'il ait reçu du ciel, ne fait point, tout botté, en descendant de cheval, le Stabat de Pergolèse ou la Sainte Famille de Raphaël.
Vous avez pu remarquer que cette forme dialoguée était ordinaire à Courier. Il en avait pris modèle dans Xénophon, dans Lucien, dans Platon, ses lectures familières. Car l'étude du grec avait été une des sérieuses occupations de sa vie, et fut pour lui l'occasion de plus d'un débat d'abord avec les bibliothécaires de Florence, à propos d'une tache d'encre, dont il avait sali, par inadvertance, un manuscrit de Longus puis avec l'Académie des Inscriptions et
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Belles-Lettres, à laquelle il s'était présenté pour succéder à son beau-père, M. Clavier, et qui lui préféra un candidat qui n'était que gentilhomme. Chacune de ces querelles nous a valu un mémoire, qui est un chef-d'œuvre, outre vingt autres plaintes ou procès, qui enrichissent ses fragments divers et sa correspondance.
Car il ne faudrait point se laisser prendre à ses airs de placidité et de bonhomie. Paul-Louis Courier est évidemment de l'espèce de ces mouches peu commodes qui, au moindre propos, montrent l'aiguillon. Soldat, il est toujours en guerre avec les chefs citoyen, en lutte contre le maire et le préfet; helléniste, aux prises avec quiconque s'occupe de grec vigneron, en procès contre la commune et ses voisins. Au fond, son opposition est bien plus une affaire de tempérament que de conviction. Non que celle-ci lui ait manqué, mais elle ne lui vint que tardivement. Courier n'était point un de ces hommes qui se sont donnés à un principe et qui lui sacrifient leur fortune, leur repos, leur vie. Nous l'avons vu nommer un Empereur pour ne pas retarder une partie de billard il se fût contenté de rire des exagérations de la Restauration, si elle n'était venue heurter quelques-uns des angles aigus de son caractère. Mais, à ce choc, sa bile s'échauffa et il commença les hostilités. Le succès encouragea sa mauvaise humeur. Il avait enfin trouvé un but pour ses épigrammes la guerre entreprise satisfaisait en même temps à ses tendances agressives, à ses rancunes et à son amour-propre; en couvrant ses adversaires de ridicule, il s'immortalisait. Obligé, comme
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Beaumarchais, de se réfugier sur un piédestal, il prit cette nécessité en patience et s'arrangea seulement de manière à avoir les bénéfices de son opposition, sans en subir les inconvénients. Ses pamphlets clandestins, dont le style trahissait l'auteur pour tout le monde, mais dont il pouvait toujours décliner la responsabilité devant les juges, lui procuraient tous les bénéfices de la renommée, sans en subir les charges connu de la France entière, il ne restait anonyme que devant le Code pénal.
En cela il se trompait peut-être de temps. Que la main, qui réfute l'erreur ou attaque l'injustice, se cache, lorsque la liberté dé la critique est enlevée, nous le comprenons. Ce fut la position faite par l'ancienne monarchie à nos plus illustres écrivains quiconque voulait faire entendre le cri de sa conscience ou éclairer ses contemporains, devait, avoir recours aux presses de l'Angleterre ou de la Hollande. Tout le monde connaît les suites de cette fraude forcée. Tout sembla devenu légitime contre un pouvoir qui punissait la vérité par la Bastille Noëls injurieux, libelles infâmes, rien ne fut épargné la servitude de la pensée expliquait tous les excès. La vérité, obligée de se cacher dans l'ombre avec la calomnie, ennoblissait celle-ci par son voisinage dès que le livre clandestin pouvait être une honorable protestation, il absolvait la clandestinité. Là est le châtiment inévitable de tous les pouvoirs absolus. En ôtant à l'homme le droit de discuter libre # ment, il autorise les attaques cachées en ne souffrant point le contrôle loyal, il provoque l'accusation mensongère.
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Mais telle n'était point la condition faite à l'écrivain par la Restauration. Bien que l'on fît, sans doute, une trop faible part à la liberté de la presse et que l'on montrât trop de tendance à l'amoindrir de jour en jour, la vérité pouvait être dite avec certaines précautions et, si elle-n'était pas toujours sans périls, elle était du moins possible, et dès lors, la dire ouvertement, sous son nom, devenait un devoir. Nous n'aimons pas, pour notre part, sous un gouvernement où les plumes ne sont pas enchaînées, ces livres imprimés dans l'ombre, comme les insurgés fabriquent leur poudre, et ces coups frappés par unè main invisible, à la manière des francs-juges. Disons, au reste, à la décharge de Courier, que la liberté de la presse était encore de son temps une chose nouvelle, médiocrement comprise, et qu'on n'en était point encore arrivé à ce point d'honneur de l'écrivain qui le fait rougir d'une dénonciation sans signature. Le manque de sincérité du gouvernement justifiait aussi la dissimulation de ses adversaires. En voyant la liberté de la presse toujours contestée, ils finissaient par en douter. C'est ce que Paul-Louis Courier explique plaisamment, selon son habitude, dans ses Lettres aux Anonymes.
Un écrivain célèbre en Angleterre, dit-il, auteur d'un des meilleurs ouvrages que l'on ait jamais fait, l'auteur de Robinson, Daniel de Foé, publia un écrit tendant à insinuer que les dépenses de la cour étaient considérables. Aussitôt les ministres le livrèrent à leurs juges. On le mit en prison. Il écrivit encore; on le mit au carcan. Ses amis le blâmaient, mais il leur répon-
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dit Il ne dépend pas de moi de parler ou de me taire, et, lorsque l'esprit souffle, il faut lui obéir. » C'était le langage du temps. On tirait tout de l'Écriture, comme à présent de Jean-Jacques. On parlait la Bible; aujourd'hui on parle Rousseau un abbé met en pièces Émile, pour prêcher aux indifférents en matière de religion.
Quant à moi, ce 'n'est pas l'esprit, c'est la sottise qui me fait aller en prison. J'ai cru bonnement à la Charte; j'ai donné dans la Charte en plein; je le confesse, à ma très grande honte; et pourtant de plus fins y ont été pris comme moi. De ma vie, sans la Charte, je n'eusse imaginé de parler au public de ce qui l'intéresse. Robespierre, Barras et le grand Napoléon, depuis plus de vingt ans, m'avaient appris à me taire, Bonaparte surtout. Ce héros ne trompait pas. Il ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse, ni d'aucune liberté. Un peu Turc dans sa manière, il mettait au bagne ce bon peuple, mais sans l'abuser le moins du monde; il ne nous cacha pas sa royale pensée, qui fut toujours d'avoir en propre nos corps et nos biens seulement. Des âmes, il en faisait peu de cas; ce n'est que depuis lui qu'on a compté les âmes. Voulant parler tout seul, il imposa silence à nous premièrement, puis à l'Europe entière et le monde se tut personne ne souffla, homme ne s'en plaignit, ayant cela de commode qu'avec lui on savait, du moins, à quoi s'en tenir. J'aime cette façon, depuis que j'ai tâté de l'autre. La Charte vint; on me dit Parlez, vous êtes libre, écrivez, imprimez; la liberté de la presse et toutes les libertés vous sont garanties. Que craignez-vous? Si les
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puissants se fâchent, vous avez le jury et la publicité, le droit de pétition, vos députés à vous, élus, nommés par vous. Ils ne souffriraient pas qu'on vous fît tort. Parlez un peu, pour voir, dites-nous quelque chose. Moi, pauvre, qui ne connaissais pas le gouvernement provocateur, pensant que c'était tout de bon, j'ouvre la bouche, et dis « Je voudrais, s'il vous plaisait, ne pas payer Chambord. » Sur ce mot, on me prend, on me met en prison. Sorti, je ne pus croire, tant j'étais de mon pays, qu'il n'y eût à cela quelque malentendu. Ils m'auront mal compris, me disais-je, assurément. Un peu de sens commun (chose rare 1) eût suffi pour me tirer d'erreur mais, imbu de ma Charte et de mes garanties, persuadé qu'on m'écouterait sans mauvaise humeur, cette fois je hasarde une autre requête. « Si c'était, dis-je, tenant mon chapeau à deux mains, si c'était votre bon plaisir de nous laisser danser devant notre logis le dimanche. » Gendarmes, qu'on le mène en prison; maximum de la peine, amende, etc. Du jury, point de nouvelles; droit de pétition, chansons mes députés, ils sont à moi comme mon préfet à peu près. La publicité des jugements, savez-vous, monsieur, ce que c'est? Mes ennemis pourront, s'ils le jugent à propos, imprimer ma défense dans des feuilles à eux, me faire dire cent sottises; à eux, il est permis de déduire mes raisons comme ils veulent au public à moi, à mes amis, défendu d'en dire mot, de réfuter, de démentir en aucune façon les réponses absurdes et les impertinences qu'il leur aura plu de m'imputer. Voilà ce que je gagne à la publicité des débats judiciaires. Heureux, cent fois heureux, ceux que Laubardemont faisaii condamner à huis clos par
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ordre de Son Éminence 1 Ils étaient opprimés, mais non déshonorés.
C'est toujours, comme vous pouvez le voir, la même verve, la même personmlité de style et cependant on sent que cette lecture fatiguerait à la longue. Le premier étonnement passé, on se dégoûte un peu de cette perfection laborieuse on aperçoit la grimace sous ce sourire paysan; tous les artifices de cette forme se trahissent insensiblement; on arrive à se défier de la sincérité et de la bonhomie du soidisant vigneron. Puis, les sujets mêmes de sa polémique nous intéressent médiocrement. Toutes ces questions de politique journalière sont désormais loin de nous ce sont des procès, jugés en dernier ressort et perdus ou gagnés depuis longtemps. Sort inévitable des pamphlets, que la circonstance fait naître, et qui, la circonstance passée, ne sont plus que des curiosités historiques. Si l'art leur a donné, comme ici, une valeur indépendante du sujet, ils peuvent échapper sans doute à l'oubli, mais pour passer d'une popularité retentissante à la gloire restreinte que leur fait un public d'élite. Au lieu de les trouver dans toutes les mains, on ne les voit plus que dans les bibliothèques choisies, comme ces joyaux hors d'usage, que l'on conserve dans les riches collections ou dans les trésors des cathédrales.
Paul-Louis Courier doit fatalement en arriver là. Laissez passer un siècle, et son livre ira rejoindre la Satire Ménippée et tant d'autres pamphlets, dont on a justement admiré, dans leur temps, la gaieté ou l'éloquence. Il n'y a de popularité durable que
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pour les œuvres qui s'adressent aux éternels instincts de l'homme, et qui reflètent, dans une époque, ce qui est de toutes les époques, c'est-à-dire la foi ou le doute, le rire et les larmes, la pitié ou la colère. C'est là ce qui fera vivre, aussi longtemps que notre langue, les Chansons de Béranger. Lui aussi soutint contre la Restauration une guerre sans trêve il fut, avec Paul-Louis Courier, le plus fidèle soldat du libéralisme; mais son action, bien autrement puissante, continua sous le règne suivant et se fait encore sentir aujourd'hui. Ce n'est pas seulement le poète le plus parfait de notre temps et de tous les temps, l'originalité la plus réelle, la plus française il représente de plus, à beaucoup d'égards, notre société contemporaine; il en a été le cœur et la voix. A tous ces titres, Béranger mérite l'étude particulière que nous devons lui consacrer à notre réunion I prochaine (1).
1. Cette étude ne viendra en réalité que dans la T™ Leçon. (Note de l'Editeur.)
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CINQUIÈME LEÇON
La presse sous Louis-Philippe.
SOMMAIRE
Nouveaux partis politiques les républicains, les socialistes, les utilitaires ou indifférents.
I. Les républicains.
a). Avancés Armand Marrast (le Tribun), Raspail (le Réformateur), Louis Blanc (la Réforme).
b). Modérés Armand Carrel (le National). Son caractère. Sa conception nouvelle du journalisme il combat au grand jour et revendique la responsabilité personnelle de ses écrits et de ses actes. Soldat de la Révolution en Espagne, il est fait prisonnier par l'armée française, traduit devant le Conseil de guerre, deux fois condamné, enfin acquitté. Sa part à la Révolution de 1830. D'abord attaché au gouvernement de Louis-Philippe, qui le traite en suspect, il se tourne contre lui.' Sa fin tragique. Popularité posthume on admira en lui l'homme de combat, sa bravoure personnelle, son humeur chevaleresque.
c). Ultramontains Lamennais. Son enfance. Son esprit se développe en toute indépendance. Dans son premier ouvrage, les Réflexions sur l'état de l'Église, il réclame le rétablissement du clergé. Son exil en Angleterre sous l'Empire. Au retour des Bourbons, il revient en France et se fait ordonner prêtre à trente-quatre ans. L'Essai sur l'indifférence la foi, fondée sur l'évidence de la raison, non toutefois de la raison individuelle, mais de celle du genre humain. Lamennais, attaqué à la fois par les catholiques et les libres penseurs, soumet son livre au pape (1824). Poursuivi et condamné
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par le gouvernement de la Restauration pour ses théories ultramontaines, il rêve une théocratie, s'appuyant sur la démocratie, et fonde l'Avenir. Son journal est l'objet de poursuites judiciaires (1831), les écoles, fondées par ses amis (de Montalembert, Lacordaire), dispersées. Il est un sujet d'inquiétude et de scandale pour l'épiscopat. –Second voyage à Rome. La grande crise religieuse de Lamennais. La condamnation de ses doctrines. (Encyclique du Î5 août 1832). -Les Affaires de Rome. – Soumission de Lamennais, qui se retire à la Chênaie, en Bretayne. Les Paroles d'un croyant, attaques contre la royauté, sont condamnées par le Pape. Lamennais passe à la démocratie. Le livre du peuple. Candeur et naïveté de l'écrivain, expliquant la violence de ses pamphlets. La Religion, l'Esquisse d'une philosophie.– Jugement dernier sur Lamennais. hes contradictions de sa nature. Le fond de son âme violente était la tendresse. Sa mort.
Nous avons tâché de faire connaître, dans la précédente séance, le travail de formation et de déve- loppement de la presse sous la Restauration. En politique et en littérature, nous avons vu les représentants du principe de l'autorité lutter contre ceux du principe de la liberté, tandis que le constitutionnalisme artistique et gouvernemental essayait de concilier les deux camps opposés dans un compromis qui, n'ayant pour lui que la raison, demeura naturellement impossible..
Cependant le débat ne pouvait se continuer perpétuellement sur le' même terrain. En France, on se fatigue vite de toute chose l'esprit ressemble à ces touristes de profession, qui ne peuvent faire dans chaque lieu que de courts séjours; nous traversons les idées, nous ne nous y établissons pas. Après avoir parcouru, d'un regard rapide, tous les recoins de la
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monarchie représentative, l'imagination nationale aspirait à d'autres horizons. Les uns, impatients de ce régime constitutionnel, combinaison de contrepoids, toujours oscillante et cherchant son équilibre, tendaient à sortir de la transaction entre la monarchie et la Révolution, pour reprendre la tradition républicaine des Girondins. C'était le très petit nombre, et la plupart n'en étaient encore qu'au rêve, sans aucun espoir d'application. D'autres, frappés des misères persistantes de notre état social et de l'impuissance de la politique à les guérir, s'étaient dégoûtés des batailles stériles de la presse et de la tribune. Laissant le drapeau du libéralisme, planté sur les fortifications métaphysiques du droit, ils étaient montés sur les cimes de l'humanité et, dominant de ces hauteurs toutes les formes de gouvernement, toutes les croyances, tous les partis, ils s'étaient déclarés les transformateurs, non du gouvernement de la société, mais de la société elle-même. Encore moins nombreux que les républicains, n'ayant point, comme ces derniers, une tradition et des conquêtes définitivement concédées, à peu près sans racines dans la nation, ils avaient pour eux, en revanche, une foi plus désintéressée, des formes moins hostiles, la possibilité d'une organisation positive ils avaient, par-dessus tout, la complicité de toutes les espérances trompées. Comme les magiciens du Moyen Age, ils venaient promettre à ceux qui désiraient ou qui souffraient la fin de leur peine et l'objet de leur désir. Ils allaient annoncer au monde la fin de l'injustice, de l'abandon, de l'indigence et remplacer la Constitution des droits de l'homme par le roman du
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Pays de Cocagne 1 Le moyen de ne pas attirer tous les esprits crédules et tous les cœurs de bonne volonté, surtout lorsque ces projets chimériques se trouvaient entremêlés à des critiques saisissantes de notre état social, à des propositions de réformes excellentes et à des aperçus ingénieux ou profonds, présentés avec tout le charme de l'éloquence et toute la force de la conviction 1
Enfin une troisième école s'était formée. Celle-ci innombrable, répandue partout, et qui devait, hélas 1 s'étendre encore, jusqu'à envahir la nation presque entière. C'était celle des hommes qui proclamaient leur indifférence pour toutes les idées générales, traitaient les questions politiques d'arguties, réduisaient la vie sociale aux préoccupations personnelles, et à qui un ministre de la Révolution de Juillet put donner un jour, pour -programme des devoirs du citoyen, ces mots, qui retentissaient alors dans toute la France et qui retentiront dans l'histoire: Enrichissezvous 1 Cette phalange d'utilitaires s'était recrutée parmi ceux qui avaient déserté la politique par ennui, paresse ou lâcheté, et ceux qui, par égoïsme, y étaient toujours demeurés étrangers. Là se trouvait cette foule, qui regarde l'accomplissement des devoirs privés comme un brevet d'exemption pour les devoirs publics gens de tout âge et de toute condition, que recommandent souvent leurs talents ou même leurs vertus, mais qui veulent profiter d'un ordre social, sans rien lui donner, laissent l'orage grossir et la rivière déborder, sans s'occuper de l'inondation, à laquelle ils espèrent échapper, à la manière de ce Champenois qui, en entendant raconter la destruc-
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tion des fils d'Adam par le déluge, haussait les épaules, et s'écriait Les imbéciles moi, si le déluge venait en Champagne, je partirais avec mon mobilier pour la Bourgogne.
Ces trois groupes (les utilitaires, les utopistes et les républicains) étaient venus s'ajouter, vers la fin de la Restauration, aux absolutistes, aux royalistes constitutionnels et aux libéraux. La Révolution de Juillet développa ces éléments nouveaux, et il en résulta une véritable révolution de la presse. Les Républicains, qui avaient pris une part importante à la bataille des trois journées et avaient vainement essayé de faire prévaloir leur opinion, lorsqu'un nouveau pouvoir fut constitué, n'eurent point d'abord de journal important et avoué. Les hommes énergiques du parti songeaient moins à parler qu'à agir. La monarchie, présentée aux acclamations du peuple, sur le balcon de l'Hôtel de Ville, était encore chancelante. Le procès des ministres, la crise commerciale de 1830 à 1831, le bouleversement de la Pologne parurent offrir des chances de la renverser elles furent habilement saisies, mais tournèrent contre le parti républicain. Pour tous ceux que ne possédait pas la monomanie des barricades, il devint clair que l'immense majorité de la nation voulait l'ordre établi. Il fallait donc d'abord la détacher du nouveau gouvernement et la convertir aux opinions dont on voulait le triomphe. Ce fut la mission des journaux.
Ils représentèrent, dès le début, trois écoles, celle de la démocratie extrême, celle de la démocratie tempérée et celle de la démocratie ultramontaine.
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Les républicains ardents eurent successivement pour organes la Tribune, où Armand Marrast commença àaiguisersa plume de grand seigneur jacobin, le Réformateur, que Raspail remplit de ses haines personnelles, à peine entrecoupées, de loin en loin, par quelques vifs éclairs d'intelligence, la Ré forme, fondée par les amis de Louis Blanc et qui, dans les étroites limites que lui avaient faites les lois de Septembre, s'efforçait de développer une partie de ses idées. Les républicains modérés furent représentés dans la presse par le journal Le bon sens, qu'avait fondé Cauchois-Lemaire et surtout par le National qui fut, pendant les dix-huit années du règne de LouisPhilippe, le seul organe sérieux persistant, remarquable de l'idée radicale, et auquel se rattache un des noms les plus célèbres de la presse contemporaine, celui d'Armand Carrel.
Cette célébrité, que ne justifie point peut-être suffisamment ce qui nous reste de l'écrivain, est due, sans doute, quelque peu aux circonstances, mais bien plus au caractère. Par ses qualités et par ses défauts mêmes, Armand Carrel a, en effet, merveilleusement personnifié la polémique quotidienne, telle que les publicistes les plus honorables l'ont comprise, en France, de nos jours, c'est-à-dire comme responsable non seulement devant la loi, mais devant les individus, et faite ouvertement par l'écrivain à ses risques et périls. Dans l'ancien journalisme, l'attaque toujours anonyme venait de Londres ou de Hollande, sans qu'on pût demander compte à l'agresseur. Lors même qu'il étaii connu, le bâton seul punissait ses outrages c'étail une affaire à régler entre le calomniateur et le:
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laquais. La presse contemporaine n'en était pas descendue là. Mais l'ennui d'une responsabilité, toujours invoquée pour de périlleuses réparations ou de désagréables procès, avait créé, dans presque tous les journaux, ce qu'on appelait l'éditeur responsable. L'éditeur responsable était, en général, un ancien militaire, blasé sur les ennuis de la salle de police et rompu aux exercices de la salle d'armes. Il était là pour répondre des articles au procureur du roi et aux gens qui se prétendaient insultés. C'était lui qui se faisait juger bu qui se battait en duel. Seulement, s'il était envoyé en prison, on lui accordait un supplément de traitement s'il était blessé, il avait droit à une indemnité; s'il était tué, on pensionnait sa veuve. Quelques journalistes avaient refusé, il est vrai, de s'abriter derrière ces journaliers de SaintePélagie et de la Porte-Maillot; mais Armand Carrel le fit avec plus d'éclat qu'aucun autre. Il réclama la responsabilité de ses moindres paroles avec autant de soin que certains confrères mettaient à s'en décharger il transporta enfin dans la presse cette susceptibilité du point d'honneur, qu'il tenait à la fois de Ba nature et de ses habitudes militaires. Armand Carrel avait, en effet, débuté par Saint-Cyr, où il s'était fait remarquer par des opinions libérales, alors très mal vues des agents de la Restauration. Le général d'Albignac, qui commandait l'école, les lui reprocha un jour en termes blessants et, comme Armand Carrel essayait de se justifier – Taisezvous, Monsieur, interrompit le général ironiquement, vos opinions sont dignes de votre naissance le plus sage pour vous serait de reprendre l'aune et d'aller mesu-
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rer de la toile au comptoir de Monsieur votre père. Général, s'écria Carrel, si je reprends l'aune de mon père, ce ne sera pas pour mesurer de la toile. Et le regard et le geste expliquait clairement ce qu'il en comptait faire. M. d'Albignac le fit mettre au cachot et voulut lé chasser de l'école il écrivit alors au ministre de la guerre une lettre si ferme et si explicite qu'après examen le général fut blâmé. Mais la carrière militaire ne pouvait convenir à un homme qui prétendait garder, sous l'uniforme, des opinions hostiles au gouvernement. Réprimandé à plusieurs reprises, il fut enfin mis à la réforme pour une lettre sympathique écrite aux Cortès espagnols, contre lesquels la guerre venait d'être décidée. Il donna aussitôt sa démission, s'embarqua, le 20 mars 1823, sur un bateau de pêcheurs, et arriva à Barcelone. Un certain nombre de volontaires libéraux s'j étaient donné rendez-vous pour combattre l'armée qui, sous les ordres du duc d'Angoulême, venait rétablir l'absolutisme en Espagne. Au fond, la plu part obéissaient moins à leur amour pour la liberté qu'à leur ressentiment contre les Bourbons. C'étaien de vieux soldats, jaloux surtout de faire feu sur 1< drapeau blanc, et les souvenirs de l'Empire domi naient tellement ces prétendus libéraux qu'ils choi sirent des aigles pour drapeaux et prirent le non de hataillon de Napoléon II.
Fondus plus tard dans la légion que commandai le colonel Pachiorotti, ils furent battus devan Figuières et durent accepter la capitulation offert par le général Dumas, qui leur promit qu'aucun d'eu ne serait puni pour avoir porté les armes contre 1
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France. Cependant, au retour, tous furent arrêtés on promettait leur grâce, pourvu qu'ils se laissassent flétrir par un jugement. Carrel refusa. Condamné par deux arrêts, qui, furent cassés, il reparut une troisième fois devant le conseil de guerre de Toulouse, qui l'acquitta; il sortit ainsi de prison, sans avoir subi la clémence royale.
Ce fut alors qu'il vint à Paris (septembre 1824), où il devint le secrétaire d'Augustin Thierry, qui achevait son histoire de la Conquête d'Angleterre et sentait déjà les ténèbres venir. Les premières années de la vie littéraire de Carrel ne sont qu'un tâtonnement laborieux et obscur. Il écrit des résumés d'histoire, colporte des articles, partout refusés, essaie une librairie, où il perd quelques mille francs, envoyés par sa famille. C'est seulement en 1828 que ses Souvenirs de la guerre d'Espagne, publiés dans la Revue Française, fixent sur lui l'attention. Il se lie alors avec MM. Thiers et Mignet, qui fondent le National, en 1830, et l'associent à leur entreprise. A la publication des ordonnances, Armand Carrel signa la protestation des journaux mais l'insurrection ne lui parut qu'un acte de courage inutile. Tandis que M. Thiers allait cacher ses inquiétudes dans la banlieue de Paris, Carrel errait sans armes au milieu de la bataille, regardant avec une curiosité émue, bravant la mort, mais sans rien espérer. Le militaire survivait en lui et ne pouvait croire à la victoire de la bourgeoisie. Lorsqu'elle fut remportée, il refusa de partager les dépouilles des vaincus et prit la directiondu National, que MM. Thiers et Mignet venaient de quitter pour des fonctions publiques. Alors Ar-
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mand Carrel n'était point encore converti à l'idée républicaine. Les premières lignes qu'il écrivit furent celles-ci: « Le National n'a point à faire de pro« fession de foi le glorieux événement qui a porté « au trône la famille d'Orléans est la réalisation de « ses plus anciennes espérances. Il ne se retournera € pas contre un résultat, auquel il a contribué de tous « ses moyens- »
Il continua longtemps dans la même voie. Le 22 décembre 1830, il se déclarait encore pour la royauté, en disant « La démocratie absolue nous armerait et nous diviserait. » Prudemment il s'était écrié à propos des parodistes de 1793 « La liberté, « est-ce encore, pour nous, la sanglante idole, qui « prit, sur les autels de la Raison, la place des Dieux « renversés ? Non, c'est le pur et généreux principe, « auquel Foy, Lafayette, Camille Jordan, Royer« Collard, vinrent, il y a dix ans, préparer une des« tinée aujourd'hui accomplie. »
Devant de pareilles citations, et nous pourrions les multiplier à l'infini, on a peine à comprendre que les amis de Carrel aient persisté à le représenter comme acquis, dès le principe, au parti qu'il a si bien servi plus tard. La vérité, c'est que, de plus en plus mécontent de la marche du nouveau gouvernement, irrité du changement, qu'il voyait s'accomplit chaque jour chez ses anciens amis, devenus tout-puissants, il arriva à croire la forme monarchique fatalement hostile à son idéal de liberté et passa, er désespoir de cause, au républicanisme. Encore ne put-il jamais comprendre celui-ci à la manière de 11 Trihune. Dans sa grande querelle avec ce journa
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de l'extrême démocratie, il déclara que ses prétentions se bornaient « à la transformation du pouvoir héréditaire en pouvoir électif, avec extension du droit du suffrage. » Aussi les démocrates purs ne le regardèrent-ils jamais comme un des leurs. Carrel blâmait leur turbulence et leurs complots, il répudiait tous les souvenirs sanglants de la Révolution. Un délit de presse l'ayant conduit à Sainte-Pélagie, il s'y trouvait, le 21 janvier 1835, lorsque les prisonniers de son parti voulurent illuminer pour fêter l'anniversaire de la mort de Louis XVI. Carrel refusa de s'associer à cette manifestation sauvage. Il fut insulté, menacé et les gardiens durent le protéger contre la violence. Cependant il continua à soutenir l'opinion qu'il avait adoptée, à l'honorer par son talent, sa dignité et son courage. Grâce à lui, le National survécut à tous les journaux de son parti mais ces services le rendaient suspect au pouvoir, sans lui attirer la confiance de ceux dont il tenait le drapeau. Toujours opposé à l'agression brutale la veille de l'insurrection, et prenant la défense des insurgés le lendemain de leur défaite, il n'avaitde sa haute position que les dangers et les amertumes. Ici on le regardait comme un traître, là comme un rebelle. Le gouvernement eut le tort de l'aigrir gratuitement, en affectant de le confondre avec des hommes dont il eût été la première victime. Après l'une des tentatives d'assassinat sur la personne du roi, il fut arrêté, comme si on eût pu le soupçonner de complicité dans cet acte infâme. Une pareille injure le blessa au cœur. Sa polémique devint plus implacable, plus indignée. Poussé à bout par ses amis et par ses ennemis, il
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redoubla ses attaques. Chaque jour l'exercice assouplissait son style. Sans acqué rir la couleur, qui lui a toujours fait défaut, il devenait plus libre; la virilité, qui s'y était toujours fait sentir dès le début, se revêtait d'élégance; sa dialectique avait je ne sais quoi de droit et de fort, qui rendait confiant; on sentait souvent l'homme passionné, jamais l'homme capable de tromper.
Mais, à mesure que son talent grandissait, les persécutions, ostensibles ou cachées, devenaient plus intenses. C'étaient sans cesse des procès, des duels. Chaque jour, en arrivant au bureau du journal, il trouvait sa table couverte de lettres menaçantes. Les uns lui reprochaient sa timidité, les autres, sa violence. On le menaçait de mort dans des billets anonymes, dont le cachet portait l'empreinte d'un pistolet ou d'un poignard.
Tant de haine avait fini par l'assombrir, sans l'ébranler. Il se regardait lui-même comme condamné à une fin sanglante; il en parlait tranquillement, mais avec une sorte de conviction, appuy ant moins sur la tristesse d'une telle mort que sur celle de mourir méconnu. Une nuit, il rêva qu'il voyait sa mère en habits de deuil et les yeux pleins de larmes. Carrel s'élança vers elle en s'écriant: -Qui donc est mort? Est-ce mon père? – Non, répondit le fantôme. Est-ce ma soeur ? Non plus. – De qui donc êtesvous en deuil, ma mère? De vous, mon fils. Ce fut le lendemain qu'il écrivit les six lignes, auxquelles Girardin répondit en jetant un doute sur sa loyauté, et qui amenèrent la rencontre du 22 juillet 1836. Mortellement frappé, Carrel ne revint à
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lui que pour s'informer de son adversaire, moins dangereusement blessé. 11 mourut avec calme, entouré de la rédaction du National, dont il emportait la fortune dans sa tombe.
A peine eut-il fermé les yeux que le concert de malédiciions et de menaces, qui avait enveloppé ses dernières années, se transforma en un concert de louanges. Dès qu'on eut cessé de le craindre, on ne parla plus que de sa politesse, de sa bonté, de sa bravoure, de son désintéressement on répéta (ce qui était vrai), qu'il résumait en lui tous les beaux côtés c'e l'ancien gentilhomme français, eny joignant les idéetde droit et les sentiments d'égalité des générations modernes. Son parti, qui l'avait accusé vivant, mort, en fit un martyr. On lui éleva une tombe et David tailla le marbre qui devait l'illustrer. Aujourd'hui encore, bien que le temps ait emporté les feuilles volantes de son journal, le nom de Carrel a survécu, la critique lui a consacré une place dans sa nécropole et l'histoire contemporaine constate son passage.
Nous avons dit, en commençant, le véritable motif d'un tel honneur, et ce qui avait fait du directeur du National le représentant de notre presse. Louis Blanc, dans son Histoire de dix ans, l'avoue par l'éloge même qu'il lui accorde. « Armand Carrel, dit-il, ne réfutait pas ses adversaires, il les châtiait !» » Étrange manière de comprendre la discussion des intéfêts publics que de faire du journalisme un champ clos et d'en revenir au jugement de Dieu du Moyen Age.
Osons donc le dire, cette gloire surfaite prouve
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bien moins en faveur d'un talent et d'un caractère que nous honorons, mais que nous mettons à leur rang, que contre les tendances d'une nation amoureuse, avant tout, de courage militaire et qui, derriere la plume, cherche encore une épée. Sa popularité persistante ne vient pas tant de ses qualités que de ses défauts; ce qu'on a admiré dans Carrel, c'est la folle chevalerie, qui mettait un rédacteur du Drapeau blanc et lui, l'épée à la main, pour un article, que l'un n'avait pas écrit, et une réponse, qui n'était pas de l'autre. La fureur guerrière, cette maladie gauloise, transmise par nos ancêtres, sera encore longtemps, en France, un témoignage de race, auquel le plus grand nombre se laissera séduire, et savoir se faire tuer hors de propos donnera toujours un air d'homme bien né.
Ce genre de courage ne pouvait être celui des démocrates ultramontains. Le prêtre célèbre, qu'ils avaient pour chef, n'avait point oublié la parole du maître: Celui qui frappe de l'épée périra par l'épée. Il s'en tint à la guerre de plume et à la résistance loyale. Rien, dans les débuts de Lamennais, n'avait annoncé les opinions, qu'il voulut faire prévaloir parmi les catholiques et surtout dans le clergé, en fondant le journal l'Avenir. Cette haute intelligence avait traversé une série de révolutions, d'autant plus importantes à faire connaître, qu'elles ne lui ont point été personnelles et que son histoire est celle d'un grand nombre d'autres esprits, dont les transformations, pour avoir eu moins de retentissement, n'en ont pas été moins complètes.
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Lamennais naquit à Saint-Malo, en juin 1752, dans cette même rue des Juifs, où était né Chateaubriand. Ses parents étaient des armateurs, anoblis sous Louis XIV. Il avait perdu sa mère très jeune et fut ainsi sevré de ces premières expansions, qui déposent à jamais dans notre âme des germes de tendresse et de soumission consentie. Il ne connut jamais que l'affection impérieuse d'un père et d'un frère aîné, qui imposaient leurs soins plutôt qu'ils ne les faisaient accepter. Aussi son premier sentiment fut-il la résistance. Tout petit, il ne voulut obéir qu'à une vieille gouvernante qui faisait tout ce qu'il voulait. Ce fut elle qui lui apprit à lire. Lorsque le temps d'étudier arriva, son frère voulut pourtant lui donner quelques leçons de grec et de latin, mais l'enfant eut bientôt rompu avec son maître. Vous voulez m'enseigner à votre manière, lui dit-il; moi, je veux apprendre à la mienne. » Et, prenant des grammaires et des dictionnaires, il se mit à étudier seul les deux langues, dans lesquelles il fit de tels progrès qu'à douze ans, il traduisait Plutarque et Tite-Live.
Cependant cette instruction sans contrôle déplaisait à son père; on l'envoya à un oncle qui habitait la campagne. Le futur hérésiarque s'y montra aussi indiscipliné qu'à Saint-Malo. Ne pouvant le réduire, on le renfermait des heures entières dans la bibliothèque. Or c'était précisément là ce que voulait l'enfant. Il y avait, en effet, dans cette grande pièce, toute garnie de livres, un côté sur lequel on avait écrit, en grosses lettres, le mot Enfer. C'était là qu'étaient réunis les livres des philosophes plus ou
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moins suspects. Le jeune prisonnier les lut tous l'un après l'autre. A quinze ans, il connaissait J.-J. Rousseau, Descartes, Malebranche, Condillac. Cependant ces lectures n'ébranlèrent point alors ses convictions. Par cela même qu'elles attaquaient sa foi, il la défendit en lui-même avec énergie. Car le caractère de l'illustre écrivain breton a toujours été une prédisposition instinctive à repousser ce qui prétendait lui faire violence. Mais les objections des incroyants n'en restèrent pas moins au fond de sa mémoire, comme une semence. Les églises avaient été rouvertes, les cultes rétablis; Lamennais fit sa première communion à vingt-deux ans, puis entra, comme professeur de mathématiques, au collège de SaintMalo. La pratique de cette science encouragea, pour ainsi dire, ce qu'il y avait dans son esprit de rigoureux et d'absolu. On a remarqué bien des fois que, hors de leur domaine, les mathématiciens se faisaient trop souvent remarquer par la fausseté de leurs raisonnements. C'est qu'ils transportent aux choses de la vie une logique rigoureuse, absolue, qui ne peut leur convenir, et qu'ils croient pouvoir traduire l'âme humaine, comme les quantités, en formules algébriques.
Lamennais s'occupait dès lors de questions religieuses, mais surtout au point de vue de l'organisation. Napoléon avait rétabli la religion catholique, mais, ainsi qu'il le disait lui-même, il voulait des prêtres et pas de clergé. Le jaune professeur catholique vit là une oppression dangereuse et publia des Réflexions sur l'état de l'Eglise, pour laquelle il réclamait précisément le rétablissement de l'organisation
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cléricale. Son livre fut défendu. Ceci ne l'empêcha pas de reprendre, plus tard, la parole pour attaquer les libertés de l'Eglise gallicane et soutenir que l'élection des évêques ne pouvait se passer de la validation du pape. A la chute de l'Empire, il vint à Paris, où il publia une brochure hostile à Napoléon. E'ie était à peine publiée que celui-ci reparut à la tête de ses vieux soldats, accourus pour le recevoir. Lamennais, qui craignait d'être arrêté, partit pour l'Angleterre, sans autres ressources qu'une lettre de recommandation pour Lady Jerningham, sœur de Lord Strafford, qui cherchait un précepteur français. L'émigré breton se présenta avec sa chétive mine, son air timide, ses mouvements gauches il répondit par monosyllabes à LadyJeiningham, qui lui refusa la place, en déclarant qu'elle le trouvait trop stioupid. Il dut s'adresser en conséquence à un ecclésiastique français, l'abbé Caron, qui, le voyant sans ressources, l'admit comme maître d'études dans le pensionnat qu'il dirigeait.
Le retour des Bourbons lui permit de revenir en France, et il se fit ordonner prêtre à Rennes, en 1816. Il avait alors trente-quatre ans et personne ne paraissait soupçonner son talent d'écrivain. Pendant une retraite de sept mois au couvent des Feuillantines, il avait beaucoup étudié, beaucoup écrit, mais sans qu'on en eût rien conclu. On le regardait comme un prêtre tranquille, laborieux, dont Mgr l'évêque de Rennes pourrait faire un excellent curé de village. On en était là, lorsque parut le premier volume de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion. Depuis la publication du Génie du christianisme,
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jamais début n'avait eu cet éclat. Ici même le succès était plus sérieux, plus profitable à l'Eglise. Il ne s'agissait plus d'une thèse littéraire, développée au profit de la religion, comme l'avait fait Chateaubriand, mais d'une attaque victorieuse contre les plus redoutables ennemis du catholicisme et d'un appel à la foi.
Les volumes suivants devaient démontrer la vérité du catholicisme et le placer, à jamais, hors de l'atteinte des philosophes. Aussi les attendait-on avec une inexprimable impatience lorsqu'ils parurent, le succès redoubla, mais disputé cette fois. Les arguments, invoqués par Lamennais, étaient d'une nature si nouvelle qu'une partie du clergé s'en montra scandalisée.
Depuis trois siècles, disait l'auteur, la certitude n'a jamais eu que deux bases: pour les philosophes, c'est l'évidence pour les chrétiens, c'est la révélation. Si donc on peut joindre ces deux bases, c'està-dire appuyer la révélation sur l'évidence elle-même, on aura une certitude que tous devront accepter forcément. Eh bien! c'est là ce que je prétends faire. Je prouverai que la révélation est démontrée, non pas par l'évidence qui résulte d'une raison individuelle, mais, ce qui est bien autrement concluant, par celle qui résulte de la raison générale du genre humain.
Et, pour compléter cette démonstration, il avait analysé toutes les croyances, faisant sortir de toutes un témoignage en faveur du symbole chrétien, d'où il concluait que ce dernier avait pour lui le consentement perpétuel et universel des hommes, et que
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chacun devait, par conséquent, y croire, s'il ne voulait mettre sa raison personnelle au-dessus de la raison de l'humanité entière.
Mais beaucoup d'objections s'élevaient contre une pareille argumentation.
Les catholiques la réprouvaient, parce qu'elle cherchait à démontrer ce qui devait être accepté par la foi, et donnait ainsi une protection humaine à la loi divine.
Les libres penseurs se récriaient contre ce sacrifice de la raison particulière au consentement unanime. Ils dirent que c'était faire voter le régiment, à condition que la voix des soldats ne compterait pas. Lamennais s'inquiéta peu de ces scrupules; il y avait pour lui une autorité suprême, la seule qu'il voulût reconnaître, et à laquelle il résolut de soumettre son livre: c'était le pape. Il se rendit à Rome, en 1824, pour déposer à ses pieds son Essai sur l'indifférence. Léon XII le reçut avec une admiration attendrie il l'appela le dernier Père de l'Église; il avait son portrait et voulut lui faire accepter le chapeau de cardinal mais Lamennais avait remarqué la froideur du Sacré Collège, les regards obliques et les paroles compassées de tous les hauts dignitaires, qui entouraient le Saint-Siège il comprit que sa place n'était pas là et, refusant toutes les faveurs du Saint-Père, il revint en France, où il recommença avec plus d'ardeur que jamais sa guerre à l'Église gallicane. Cet esprit profond, et qui suivait toujours la logique en ligne droite, sans s'inquiéter du fait, soutint avec raison que le catholicisme entraînait forcément la soumission entière au Saint-Sièga, que prétendre
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ménager des libertés à une Église particulière, c'était transformer l'autorité papale, qui venait directement de Dieu par le Christ et les apôtres, en une sorte de royauté [ constitutionnelle. Ces doctrines ultramont aines firent tant de bruit que le gouvernement de la Restauration se crut forcé de sévir. Lamennais ne lui avait jamais été sympathique. Ce génie entier et agressif embarrassait la royauté, même en la défendant elle voulut prouver qu'il ne parlait pas par son ordre, ni même avec son agrément, et elle ordonna au ministère public de l'assigner devant les tribunaux.
Lamennais ne parut nullement effrayé des poursuites. Je leur ferai voir ce que c'est qu'un prêtre, dit-il,en recevant l'assignation; mot que le libéralisme de l'époque a beaucoup calomnié, et qui exprimait seulement la résolution de montrer un ministre de la religion, inflexible au milieu de toutes les persécutions, pour la défense de ce qu'il croyait la vérité. Les juges, qu'impressionnaient cette conviction et cette gloire, n'osèrent le condamner qu'à une amende insignifiante.
Mais il n'en restait pas moins établi pour Lamennais que la royauté refusait l'absolutisme sous le patronage de l'Église. La Révolution venue, il offrit cet absolutisme à la démocratie sous les mêmes conditions. Ce n'était pour lui qu'un changement d'allié; le principe restait inamovible. On avait toujours, au sommet, le pape, au-dessous, le souverain celui-ci seulement n'était plus le roi, mais le peuple. Joseph de Maistre avait voulu établir la théocratie sur la servitude; Lamennais la fondait sur la liberté.
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Ce fut là le programme du journal qu'il créa sous le titre l'Avenir. Il y demandait la séparation de l'Église et de l'État, la liberté absolue de la presse et du droit d'association, le suffrage universel, la décen. tralisationau profit des libertés communales. Le gouvernement ne devait plus être qu'une sorte d'administration des intérêts matériels, sous la surveillance de la démocratie les affaires spirituelles relevaient seulement du pape.
Ce double rôle de radical et d'ultramontain exposait l'Avenir à de fréquentes contradictions ainsi, pendant qu'il approuvait les insurrections polonaise, espagnole, irlandaise, il était forcé de blâmer celle des Bolonais contre le gouvernement temporel du pape. Mais, à part ces difficultés de détail, le nouveau journal fournissait une brillante carrière. Lamennais avait réuni autour de lui une phalange de jeunes écrivains, pleins de force et de foi, qui avaient déclaré qu'ils étaient prêts à combattre et à mourir pour leurs doctrines. A la vérité, tous se portent encore bien, sauf leur chef, qui est mort dans des doctrines contraires à celles qu'il défendait alors. Le journal ne tarda pas à être traduit en Cour d'assises (le 31 janvier 1831). Un de ses rédacteurs plaida l'alliance de l'ultramontanisme et de la liberté; il fut acquitté.
En même temps se formait une association pour la liberté religieuse. Elle ouvrit, sans autorisation, une classe dont MM. de Montalenabert, de Coux et Laco r daire s'étaient faits les maîtres d'école. Ce dernier donnait sa leçon à vingt-cinq enfants réunis (avril 1831), lorsqu'un commissaire de police se présenta
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– Au nom de la loi, dit le magistrat, je somme les enfants ici présents de se retirer.
Au nom de leurs parents, dont j'ai l'autorité, répond Lacordaire, je les somme de rester. Les enfants demeurent immobiles jusqu'à l'apparition de la gendarmerie. Alors maître et écoliers se retirent, en constatant qu'ils n'ont cédé qu'à la force. Le journal racontait toutes ces persécutions avec une éloquence indignée. Pour la première fois, on entendait retentir dans la presse comme un écho de Massillon ou de Bossuet. MM. de Montalembert. Gerbet, Lacordaire se révélèrent ensemble, conduits par la grande voix du maître. Ils proclamaient, dans un magnifique langage, l'avènement de la démocratie et offraient à Rome d'en prendre le commandement. Un Hildebrand eût accepté peut-être, mais Grégoire XVI ne savait comment se débarrasser de ses terribles amis. Plus ils mettaient d'énergie dans leurs adjurations, plus l'effroi grandissait à Rome. Les soldats mêmes, rassemblés sous la nouvelle bannière, s'épouvantaient. C'étaient pour la plupart des esprits aventureux, fort peu soumis jusqu'alors au Saint-Siège et qui, retournant, au fond du cœur, les intentions sincères de Lamennais, voyaient dans la papauté bien moins une boussole qu'un levier. En acceptant nominativement sa domination temporelle, ils espéraient bien la secouer, dès qu'ils n'en auraient plus besoin.
D'un autre côté, si le clergé inférieur accueillait favorablement le journal l'Avenir, l'épiscopat le signalait comme une torche, jetée dans le sanctuaire, et qui menaçait de l'incendier. Lamennais, appelé
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en police correctionnelle pour délit de presse, s'était défendu en exposant sa doctrine. La foule, accourue pour l'entendre, s'était émue, mais tous, ainsi qu'il le répète lui-même dans sa lettre au pape, se demandaient s'il était bien vrai que ce fût là la religion catholiqlle.
Enfin les rédacteurs du journal, qui attendaient un encouragement venu du Vatican et qui n'en recevaient aucune réponse, voulurent se montrer conséquents à leur foi. Ils suspendirent leur publication au milieu de son succès croissant et annoncèrent qu'ils allaient à Rome soumettre au pape leurs doctrines. Ici commence la crise suprême dans les opinions de Lamennais. Ce second voyage à Rome est comme le point culminant qui sépare deux existences distinctes et toujours plus contradictoires. Lui-même nous a laissé le douloureux récit de cette lutte d'une bonne volonté, pleine d'illusions enflammées, contre les préjugés aveugles et l'astuce du clergé romain. Il faut voir cette raison vigoureuse, qui demande à se défendre et à qui on impose silence, qui sollicite un arrêt et à qui on ne répond rien, qui se soumet enfin, par un dernier effort, en consentant à ne point dire au monde de quel côté vient le jour, et à qui on impose de signer que ce jour est la nuit 1 Le livre, intitulé Affaires de Rome, restera comme un des documents les plus importants sur l'histoire religieuse de notre temps; ce sont les mémoires d'une conscience qui se trouble progressivement et que l'on repousse violemment de la foi par l'absurde. Quiconque lit .ce volume avec attention voit s'accomplir dans l'âme du fondateur
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de l'Avenir cette transformation qui devait le conduire de l'Essai sur l'indifférence au Livre du peuple et aux Paroles d'un croyant.
Lui et ses compagnons partaient, animés par l'agitation de la lutte, mais avec les sentiments d'une sincère soumission. En atteignant les Etats de l'Église, ils ne trouvent partout que ruines, abjection et tyrannie, mais ils résistent d'abord à ces accusations qui semblent s'élever des choses et des hommes. Ils arrivent enfin à cette capitale de la chrétienté où, durant trente siècles, des hommes de toute race et de toute contrée ont entassé leurs ruines. « Vous reconnais« sez encore, dans cet amas confus de débris, dit « Lamennais, les traces des peuples divers et des « divers âges et de tout cela s'élève je ne sais « quelle vapeur de tombeau, qui calme et endort et « berce l'âme dans les rêves du dernier sommeil. On « peut venir là pour y mourir, mais non pour y « vivre car de vie à peine y en a-t-il une ombre. « Nul mouvement, si ce n'est le mouvement caché « d'une multitude de petits intérêts, qui rampent et « se croisent au sein des ténèbres, comme le ver au « fond du sépulcre »
Cependant nos trois pèlerins se présentent chez ceux dont ils espèrent conseil et appui. Malheureux leur dit-on, que venez-vous faire? Ne savezvous pas que vous avez ici votre plus mortel ennemi? Qui donc? La peur.
En effet, la papauté tremblait d'avoir à se prononcer entre les doctrines qui dans ce moment agitaient le monde. Cette directrice des âmes ne voulait même pas dire ce qu'il fallait penser; elle ne demandait
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que le silence et l'immobilité 1 On eût dit que, pareille à ces hommes foudroyés qui gardent leur apparence, elle ne pouvait être touchée sans tomber en cendres. On consentit à présenter les rédacteurs de l'Avenir au Saint-Père, mais à condition qu'ils ne diraient pas un mot de l'affaire pour laquelle ils étaient venus. Ils écrivirent alors un mémoire, dans lequel ils exposaient les idées qui avaient présidé à la création de l'Avenir, en demandant que le SaintSiège se prononçât. On leur répondit par des promesses évasives. Enfin, comprenant qu'on n'osait les condamner ni les absoudre en face, ils se décidèrent à partir.
Qui peut dire les changements que ce séjour à Rome avait déjà apportés aux opinions de Lamennais? Cette autorité infaillible, qu'il voulait donner pour maîtresse au monde, il l'avait vue de près, et il avait contemplé longtemps cette terre, où le temps semblait avoir fini sa route et, en regardant l'horizon du haut de ces décombres, il n'avait pas aperçu un signe qui annonçât le lever de l'avenir.
Il repartit donc, le cœur serré, l'esprit plein de pressentiments amers il traversa l'Italie dans ces dispositions et tout choqua son regard. Enfin, à Munich, il fut rejoint par la fameuse encyclique du 15 août 1832. Dès qu'il n'avait plus été là, le Sacré Collège s'était retrouvé le courage de le condamner. Une lettre du cardinal Pacca, jointe à l'encyclique, lui en commentait les intentions. Il était bien établi que le Saint-Père ne voulait pas voir débattre en présence du public les questions qui doivent être résolues seulement par l'Église. C'est dire que les
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afiaires de notre conscience ne nous regardent pas et sont abandonnées à un procureur ecclésiastique. Le pape désapprouvait la liberté civile et politique.
Il condamnait expressément la liberté des cultes et la liberté de la presse, comme opposées aux maximes de l'Église.
Enfin il ordonnait la soumission aux princes, quels qu'ils fussent, ce qui entraînait la subordination de la conscience à l'ordre temporel.
Vous le voyez, toutes les conquêtes, accomplies par les sociétés modernes, étaient déclarées illégitimes et, si elle eût été logique, la papauté devait demander le retour des Bastilles et des bûchers. Bien que blessé dans toutes les profondeurs de sa raison, Lamennais se soumit. Il annonça que le journal l'Avenir n'existait plus, il détruisit l'Agence générale pour la dé fense de la liherté religieuse, il signa son adhésion aux doctrines de l'encyclique. Déplorable faiblesse d'un esprit, qui voulait être conséquent jusqu'au bout et qui espérait qu'en acceptant les fers, il pourrait oublier la liberté 1 Mais tout son être protestait contre ce qu'on voulait lui faire subir. Ainsi, se disait-il à lui-même, « l'autorité, à qui la « décision appartient, a prononcé solennellement. « Elle a étendu le bras pour saisir le passé qui fuyait, « au risque d'être elle-même emportée dans sa fuite; « elle a dit que c'était à lui de régner. Quelques « individus, dociles à sa voix, se sont aussitôt reti«. rés du mouvement social, mais les peuples, sans « même détourner la tête, ont poursuivi leur route. « Aucun changement dans les esprits, aucune émo-
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« tion dans les âmes. Et comment en eût-il été « autrement? Imposer la servitude ancienne par la « force, cela se comprend mais la faire accepter « volontairement, quelle espérance plus insensée ? « Montrez à l'aigle, planant dans les airs, le bout de « la chaîne, qu'il a rompue, et vous verrez si, à cet « appel, il abaissera son aile puissante. Ainsi la scis« sion entre les peuples et la papauté devient tou« jours plus évidente; l'abîme qui les sépare s'élar« git! La papauté s'obstinera-t-elle donc à condamner ̃« les principes vainqueurs, à maudire les hommes «affranchis par eux? Ce serait mettre le dernier « sceau à la séparation, si avancée déjà, s'excom« munier de la race humaine, et que resterait-il, « après cela, au pontife solitaire, qu'à se creuser une « tombe à l'écart, avec un tronçon de sa crosse bri« sée?» »
Vous le voyez, l'ultramontain a perdu ses anciennes espérances; il ne croit plus à l'éternité du SaintSiège, ni, par conséquent, à son institution divine; il a touché du doigt sa faillibilité et il comprend qu'il n'a devant lui qu'un fantôme: voilà le point de départ de la conversion qui va s'opérer en lui. Cet obscurcissement de l'intelligence papale, il l'attribue au mélange du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. C'est parce que le Saint-Père est souverain d'un royaume terrestre qu'il a perdu le véritable sens de l'Évangile et qu'il prend sous sa protection toutes les doctrines favorables au pouvoir, sans contrôle; ce sont les rois, ses confrères en domination, qui l'ont entraîné dans leur lutte contre la civilisation, et qui ont altéré son entendement D'où
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Lamennais conclut que les rois sont les ennemis naturels de la religion et des peuples! 1
De là sa haine contre les trônes; sa sombre imagination s'exalte il a des visions volontaires, dans lesquelles il voit les idées, qui l'assiègent, personnifiées, et la. société reproduite sous des images terribles et douloureuses. Il écrit cette espèce de court poème, intitulé Épilogue, tableau lugubre du despotisme et de l'incrédulité conduisant le genre numain à sa destruction.
On croit entendre un écho de la voix de saint Jean, mêlée à celle d'Ezéchiel. C'est l'hymne du désespoir, écrit à l'entrée de la vallée de Josaphat, à la lueur des éclairs, annonçant celui qui va venir juger les vivants et les morts.
Ces terribles inspirations d'une âme, qui avait perdu son gouvernail, ne furent d'abord confiées qu'à quelques amis. Retiré à la Chênaie, en Bretagne, le prêtre anathématisé semblait vouloir se faire oublier du monde. Seulement des bruits sourds s'échappaient par instants de sa retraite; on parlait tout bas d'un livre redoutable, qui s'y préparait; mais l'ancien soldat de Rome hésitait encore à se déclarer ouvertement contre son ancien drapeau. Une démarche conciliante, un mot de cœur pouvait l'arrêter ou lui imposer silence On alla l'attaquer dans sa retraite on lui enjoignit d'un ton de hauteur de faire cesser les bruits qui l'accusaient; sa résignation apparente et son silence ne suffisaient pas il fallait qu'il s'humiliât publiquement. Cette fois, c'en était trop. Lamennais, placé entre une rétractation de toutes ses opinions nouvelles (d'autant plus
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chères pour lui qu'elles étaient persécutées) et une rupture ouverte avec son passé, ne balança plus. Il sortit tout à coup de sa retraite, tenant à la main cette Marseillaise biblique, connue sous le nom de Paroles d'un croyant. Depuis Dante, l'indignation n'avait jamais retrouvé d'anathèmes aussi sombres, mêlés d'accents aussi suaves. Après le terrible épisode des sept rois, méditant la destruction de la religion du Christ sur leurs sept trônes de fer, venait le ravissant épisode de la veuve et de la jeune fille. A côté de la description du bazar humain où se vendent les nations, et après le rêve du vieux bûcheron qui voit, dans son sommeil tourmenté, les souverains de la terre et cet homme, usé par les ans, qui désigne le pape, on trouvait l'hymne touchant adressé à l'exilé. Puis, au milieu des malédictions sur les méchants et sur les forts, surgissaient, de loin en loin, des paroles de tendresse ineffable pour encourager le faible et consoler l'affligé. Derrière ce lugubre tableau de la terre s'ouvraient les horizons du ciel. Encore troublé de la vision des ombres vaincues, on entendait s'élever une voix, qui racontait ce que le croyant avait aperçu dans les profondeurs de l'éternité. Et il semblait que le poète de Florence vous ouvrait les dernières sphères de son paradis. C'étaient la même splendeur infinie, les mêmes sources d'extase, avec un sentiment plus vif de charité pour les exilés de 1 a terre.
A l'apparition des Paroles d'un croyant, l'Église et l'État poussèrent un cri d'alarme. Grégoire XVI fulmina un anathème contre le nouveau livre, qu'il déclarait: « petit par son volume, mais immense pa r
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sa perversité. » Les républicains de toutes les nuances applaudirent. Lamennais arrivait forcément à eux. cette fois sans conditions. Repoussé par la royauté et par le catholicisme, il ne lui restait plus que la démocratie, dans laquelle il s'efforça d'infuser l'Évangile.
« Le christianisme, dit-il dans le Livre du peuple, « aujourd'hui enseveli sous l'enveloppe matérielle, « qui le recouvre comme un suaire, reparaîtra dans « la splendeur de sa vie perpétuellement jeune,et le « monde ne formera plus qu'une même cité qui «saluera dans le Christ son législateur suprême « et dernier. »
C'est là l'idée qu'il développe, dès lors, dans toutes les publications qu'il multiplie sous forme de pamphlets politiques. Il y ajoute seulement tout ce qui peut se déduire de la souveraineté du peuple. Comme tous les esprits absolus, il marche droit devant son principe, sans s'inquiéter si ses conclusions nouvelles contredisent ouvertement celles qu'il tirait naguère. De trop bonne foi pour songer aux précautions personnelles, il s'occupe de se mettre d'accord avec ce que lui dicte aujourd'hui sa conscience, nullement avec ce qu'elle lui inspirait hier. C'est ainsi qu'après avoir écrit, en 1808 « La politique qui assujettit le souverain au peuple et le pouvoir au sujet est une politique absurde et coupable », il écrit, en 1835: « Dans une société libre, le pouvoir, « simple exécuteur de la volonté nationale, ne com« mande pas, il obéit! »
Il n'y a que les logiciens pour en venir à des contradictions aussi patentes. J'ajouterai, il n'y a que
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les gens étrangers au sens pratique des choses qui puissent ainsi établir, pour le gouvernement du monde, des règles sans concessions. La vérité, c'est qu'il y avait deux hommes dans Lamennais: le penseur puissant et le solitaire qui ne savait rien des affaires du monde. Le premier avait les illuminations du génie, le second, les crédulités de l'enfant. On pouvait lui faire croire tout ce qui flattait ses convictions. Quand les autres ne le dupaient point, il se dupait lui-même son imagination conduisait son bon sens, un bandeau sur les yeux. Vers la fin de sa'vie, il avait été saisi du désir de faire fortune, afin de pouvoir fonder des établissements de charité quelqu'un lui ayant parlé des vieilles peintures, que l'on pouvait laver, et sous lesquelles on retrouvait souvent des tableaux des plus grands maîtres, il se mit à acheter chez tous les brocanteurs de vieilles toiles qu'il supposait surpeintes. Béranger, de qui nous tenons l'anecdote, le trouva un jour devant une feuille de papier couverte de chiffres. Que faites-vous donc là? demanda le chansonnier. Je fais ma fortune, répliqua Lamennais; et il se mit à lui expliquer ses calculs, d'après lesquels il devait réaliser en quelques années deux millions cinq cent mille francs Béranger se mit à rire. Allons vous doutez toujours, reprit Lamennais; eh bien voyons, je veux bien vous faire une concession: retranchons cinq cent mille francs Vous ne pouvez nier toujours qu'il restera deux millions de bénéfice assurés. Cette crédulité ne s'exerce pas toujours d'une manière aussi innocente la passion politique en abusa pour faire accepter à Lamennais les plus
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incroyables accusations. De là sa haine sincère contre des hommes qu'il calomniait en croyant les juger, et ses violences de parole contre le gouvernement. Un fabuliste a dit, en parlant de l'enfance cet âge est sans pitié; la remarque est vraie pour l'enfance de l'esprit comme pour celle des années. Lamennais attaqua ce qu'il croyait le mal avec une implacabilité que ne modérait aucune prudence. Sa dialectique et son éloquence formidables, mises aux ordres de ses nouvelles croyances politiques, furent autant de mines placées sous les fondements de la royauté. Chacune de ses petites brochures semblait une explosion qui en emportait quelque chose. Et cependant, pour les lecteurs les plus sympathiques au génie de Lamennais, ces plaidoyers éloquents, lorsqu'on les discute de bonne foi, ont plus d'apparence que de réalité; le raisonnement se fonde sur un malentendu de mots plus souvent encore il aboutit à une insignifiante conclusion. Après avoir sonné le toscin social et ameuté la multitude des déshérités, le prêtre-tribun les renvoie en leur conseillant la résignation, ou en demandant pour eux, savez-vous quoi? La réforme électorale Ceci prouve, comme on l'a fort bien fait observer, quelle est la position d'un esprit philosophique mis à la remorque des partis; il remonte, malgré lui, aux plus hautes régions, et là, assis sur les nuées, comme Jupiter entre les tempêtes et les éclairs, il envoie simplement une petite pluie 1
On demande souvent ce qu'étaient devenues au juste les croyances de Lamennais, au milieu de ces revirements d'opinions. La réponse se trouve dans
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un petit écrit, publié, à ce que nous croyons, en 1841, et intitulé de la Religion, mais surtout dans un livre postérieur, l'Esquisse d'une philosophie, qui complète et coordonne les idées indiquées dans la précédente publication. Lamennais maintient l'existence d'un Dieu libre, personnel et distinct de la création (ce qui prouve l'injustice de ceux qui l'ont accusé de panthéisme); mais il n'admet pas que la religion dérive d'un ordre surnaturel; selon lui, la révélation de Dieu n'a pas eu besoin d'une parole inspirée; elle se fait par la nature, par la raison et par la société. Dieu est puissance, intelligence, amour, et ses trois essences se reproduisent sous toutes les formes dans l'univers physique, dans l'homme intérieur et dans le monde sociai. La vie humaine ne doit être, par conséquent, qu'une sorte de miroir de la vie divine. Il poursuit cette doctrine dans ses moindres détails et s'efforce de trouver dans la création entière une fidèle image de la Trinité chrétienne.
Nous renvoyons ceux qui voudraient connaître le système entier au livre lui-même. Là, comme dans ses pamphlets, ils retrouveront une argumentation nette et serrée, mais qui ne s'appuie, très souvent, que sur des illusions l'auteur traite la logique comme ces horizons nuageux dans lesquels on retrouve toutes les images que l'on désire voir. Il marche, entouré de perpétuels mirages, qui le passionnent comme la réalité. Lorsqu'il s'agit de philosophie religieuse, ces mirages ne le conduisent qu'à l'erreur; mais, dans les questions sociales,ils le poussent à la haine. Sa parole prend alors un accent d'emportement, dont on ressent, malgré soi, la con-
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tagion. Avec l'esprit de La Fontaine, Lamennais a .la voix de Dante et semble parfois remonter, comme lui, de l'enfer.
Ceci a trompé sur sa véritable nature. En lisant ces pages menaçantes, gravées sur l'airain, on a supposé une âme inflexible rien de plus contraire à la vérité 1 Cet homme, si dur dans ses jugements, si absolu dans ses injonctions, si funeste parfois dans son influence, nous devons l'avouer, cet homme avait en lui tous les dévouements et toutes les tendresses. Jamais cœur ne fut plus ouvert au souffle chrétien. Un pasteur, dont le nom est connu en Suisse, comme à Paris, M. Martin Pachoud, nous a raconté qu'il le rencontra un jour, par hasard, chez un ami commun. C'était la première fois qu'il voyait l'auteur de l'Essai sur l'indifférence, avec lequel il se lia plus tard; il le savait alors occupé d'une traduction et d'un commentaire sur les Évangiles; il osa lui parler de ce que lui imposait une pareille tâche; faisant allusion aux Paroles d'un croyant, il rappela que l'Évangile était le code de la charité, non celui de la colère; il adjura le grand écrivain de n'en faire sortir que ce que les apôtres y avaient mis au nom du Christ Il parla longtemps avec ce flot de cœur, que lui connaissent ses amis, mais à demi-voix, car l'entretien avait lieu dans un coin obscur du salon, où causaient plusieurs invités. Tout à coup il sentit deux bras qui l'étreignaient et entendit un sanglot C'était Lamennais qui, oubliant le lieu et les spectateurs, n'avait pu contenir son émotion, à ce rappel de la doctrine de pardon et d'amour.
Tel é lait le fond de l'homme. Capable de tout
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comprendre, il ne lui manquait que le gouvernail nécessaire pour diriger sa sensibilité et son intelligence. Le caractère était énergique, mais mobile, et mettait facilement sa ténacité au service de mille chimères ou de mille ignorances. L'extérieur de l'écrivain breton répondait à la nature de son génie. Bien que petit et chétif, il portait sur son front, qu'avait plissé la pensée, et dans les lignes fermement accentuées de son visage, toutes les marques d'une énergique vitalité. Mais, en même temps, son attitude, ses gestes, sa démarche rappelaient la timide gaucherie d'un écolier. Il écoutait, les yeux baissés, les pieds retirés sous sa chaise, et répondait presque bas. Son rire avait la fraîcheur et la gaieté d'un rire d'enfant. Au premier moment, sa parole était lente, un peu gênée; mais, dès qu'il était entré dans son idée, il la déroulait avec une admirable lucidité. Il avait tous les désintéressements, mais surtout celui de la gloire. Sans être indifférent à l'éloge, il n'allait jamais à sa rencontre. Nul ne faisait meilleur marché que lui de sa célébrité; il la regardait bien moins comme un motif d'orgueil que comme un embarras. Tandis que Chateaubriand se faisait tailler, dans un rocher de nos grèves, une tombe que l'on pût apercevoir de tous les points de l'horizon, Lamennais demandait à être enterré dans la fosse commune, où il a disparu au milieu des pauvres qu'il avait toujours aimés. Sa mort a été sa dernière joie n'ayant plus rien à attendre de la vie, indifférent à la gloire, avide de retrouver la vérité qu'il avait poursuivie par tant de chemins, il hâtait, de toutes les aspirations de son cœur, le moment où il devait
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voir l'éternité face à face. C'est là ce qui lui fit dire, dans une de ses convulsions: Voilà les bons moments! En racontant, dans un journal, les derniers moments de Lamennais, M- Pelletan n'a pu se défendre d'enjoliver cette mort d'images brillantes; il a montré le jour venant saluer le lit funéraire et a essayé, comme on nous l'écrivait spirituellement de Suisse, de faire au mourant une auréole avec un rayon de soleil. Pour être vrai, il fallait relever plutôt la simplicité, la nudité de cette agonie, dans laquelle le mourant, forcé, par sa conscience, de renoncer au ministère du prêtre, s'assistait lui-même silencieusement et, seul sur le bord de la vie, s'entretenait avec le Dieu, en qui il avait toujours eu confiance, à ses heures de foi comme à ses heures d'hérésie. Alors, sans doute, il entendit murmurer en lui-même ce passage des Paroles d'un croyant
Paix sur la terre aux hommes dont la volonté est bonne.
Leur sommeil est doux, et leur mort est encore plus douce, car ils savent qu'ils retournent vers leur père. Comme le pauvre laboureur, au déclin du jour, quitte les champs, regagne sa chaumière, et, assis devant la porte, oublie ses fatigues en regardant le ciel; ainsi, quand le soir se fait, l'homme d'espérance regagne avec joie la maison paternelle, et, assis sur le seuil, oublie les travaux de l'exil, dans les visions de l'éternité.
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SIXIÈME LEÇON
La presse sous Louis-Philippe (suite).
SOMMAIRE
La presse sous Louis-Philippe. II. Les utopistes SaintSimoniens; Fouriéristes, Communistes.
Saint-Simon. Sa vie. Prend part à la guerre d'Amérique, avec La Fayette. S'enrichit sous la Révolution par des spéculations sur les biens nationaux. Sa façon originale de s'instruire. Son mariage, son divorce. Sa ruine complète. Le dévouement d'un domestique. – Son désintéressement et son zèle philanthropique. Les Lettres d'un habitant de Genève. Son livre du Nouveau Christianisme. Ses théories il divise l'histoire en époques organiques e critiques il définit le rôle social de la religion, mais méconnaît son action sur les âmes individuelles. Premiers disciples A. Thierry et A. Comte. Disciples postérieurs Bazard et Enfantin. Organes saint-simoniens le Prodncteur, l'Organisateur, le Globe de Pierre Leroux. – Extravagances des Saint-Simoniens. Leur action positive, réelle et féconde.
Fourier. La Théorie des quatre mouvements (social, animal, organique, matériel). La Théorie de l'association domestique agricole (1821). Le journal le Phalanstère (1834). L'attraction, transportée du monde physique au monde social: l'attraction passionnelle. Identité des lois physiques et des lois morales. Légitime souveraineté des passions.Les douze passions fondamentales: sensitives (répondant aux cinq sens), affectives (ambition, amitié, amour, familisme), distributives (la cabaliste, la papillonne, la composite), dont 1620 combinaisons ou caractères forment le groupe social
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(phalange), destinés à vivre sur une lieue carrée (phalanstère). La logique du système le distingue de Saint-Simon; elle fait théoriquement sa force mais, pratiquement, sa faiblesse. Vues r omanesques éclosion en masse d'hommes de génie, longévité assurée, transformations merveilleuses de la planète, déification de l'homme sur la terre. Successeurs de Fourier ils affaiblissent la doctrine, lui font perdre son originalité.
Les communistes Cabet, Voyage en Icarie.
Les utilitaires ou le parti sans idées. Le cas d'Émile de Girardin. Louis Veuillot pousse jusqu'au paradoxe et air cynisme l'apologie des thèses les plus compromettantes et les plus risquées du catholicisme rétrograde..
La Presse littéraire la Reine de Paris, la Revue des Deux Mondes. Leur vogue justifiée, leur influence néfaste sur la littérature et le goût public. Abaissement de la critique. Le chantage littéraire. Anecdote. Gustave Planche. Critique des défauts, insensible aux beautés. Sa conception étroite du style. Théophile Gautier, disciple de Janin. Culte exclusif de la forme et de l'image; recherche prétentieuse des termes techniques. Eug. Pelletan, talent sans mesure, critique lyrique. Alphonse Karr. Sa première manière fantaisie prétentieuse. – Sa seconde manière: l'humour, mélange d'esprit et de raison. Le Magasin pittoresque.
Nous en sommes restés, dans notre histoire de la presse périodique sous Louis-Philippe, au journal l'Avenir et à Lamennais. Lés dernières publications de celui-ci sortaient, comme nous l'avons vu, du domaine politique pour entrer dans le domaine social elles forment donc une véritable transition entre la démocratie et le socialisme. Aussi nous conduisent-elles naturellement aux utopistes, qui produisirent leurs systèmes dans les journaux, à l'époque dont nous nous occupons.
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Ces systèmes peuvent être ramenés à trois le système Saint-Simonien, le système Fouriériste et le système communiste.
Le fondateur du premier, Saint-Simon, prétendait descendre de Charlemagne. Il était le plus proche parent du duc de Saint-Simon, le fameux auteur des Mémoires, qui devait lui laisser la duché-pairie, le titre de grandesse d'Espagne et cinq cent mille livres de rente. Mais une brouillerie du duc et de son père le priva de cet opulent héritage.
Il fut élevé par d'Alembert et témoigna de bonne heure le désir de s'illustrer. Un domestique le réveillait tous les matins, dès le point du jour, en lui disant « Levez-vous, monsieur le comte, vous avez de grandes choses à faire. »
Parti avec La Fayette pour la guerre d'Amérique, il ne la vit pas plus tôt terminée qu'il gagna les possessions espagnoles et proposa au vice-roi du Mexique d'établir une communication entre l'Océan et la mer du Sud. On rejeta son projet il repassa l'Atlantique, débarqua en Espagne et y sollicita la création d'un corps de six mille soldats industriels, pour creuser un canal de Madrid à la mer. Les embarras financiers de l'Espagne et la Révolution française, qui éclata, ne lui permirent point de donner suite à ce projet.
De retour à Paris, Saint-Simon, qui voyait tout crouler autour de lui, est saisi du sentiment que la société appelle une organisation nouvelle il veut y travailler, mais, pour cela, il faut se mettre au niveau de toutes les connaissances humaines. Des spéculations sur les biens nationaux lui avaient procuré
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cent quarante-quatre mille livres il se décide à s'en servir pour compléter son instruction, en donnant successivement à dîner à tous les savants et en s'éclairant par leurs conversations.
Il commença par les mathématiciens, puis il passa aux naturalistes, aux médecins mais il ne connaissait point d'artistes. Le hasard lui fait rencontrer la fille d'un de ses anciens compagnons de guerre en Amérique, Mlle de Champgrand, alors sans fortune, mais très répandue dans le monde qu'il désirait connaître. Saint-Simon lui propose de l'épouser, pour continuer ses études. M11" de Champgrand accepte, et la maison des nouveaux mariés est aussitôt ouverte à toutes les célébrités du temps. On leur donne trois dîners par semaine, pendant lesquels Saint-Simon mange peu, ne parle pas, mais écoute beaucoup, afin de reconnaître, dit-il, l'influence que chaque profession exerce sur les passions. Malheureusement son mode d'étude l'eut bientôt ruiné; alors, n'ayant plus besoin de M110 de Champgrand et ne voulant pas l'associer à sa misère, il lui rendit sa liberté au moyen d'un divorce par consentement mutuel. M118 de Champgrand s'est fait connaître depuis, sous le nom de Mme de Bawr, par des romans agréables et des pièces qui ont réussi au théâtre.
Cependant Saint-Simon comprit que, s'il voulait réformer la société, il fallait d'abord ne pas mourir de faim. Ses démarches multipliées près de ses vieilles connaissances royalistes, devenues des notabilités impériales, ne l'avaient conduit qu'à obtenir une place de mille francs au Mont de Piété, lorsqu'il rencontra un de ses anciens serviteurs, qui le recueillit
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chez lui. Diard (c'était le nom de ce Caleb français) se donna corps et âme à celui qui avait été son maître. Sans comprendre ses idées, sans les discuter, par ce pur et noble mouvement du cœur qui fait qu'on trouve du bonheur à se dévouer, il devint la providence de Saint-Simon, tout en continuant de jouer le rôle d'inférieur. Pendant deux ans, il l'entretint, le servit, employa ses épargnes à l'impression de son livre, Introduction aux travaux scientifiques du XIXe siècle, qui fut tiré seulement à cinquante exemplaires. Notre utopiste avait enfin trouvé ce qu'il lui fallait, un humble protecteur, qui veillait sur lui sans l'enchaîner. Mais ce bonheur ne devait être qu'une halte dans ses épreuves Diard mourut, laissant son ancien maître sans ressources et sans espérances. L'obsession de ses idées réformatrices lui avait ôté tout souci de lui-môme il se laissa tomber jusqu'aux dernières horreurs de la misère. Il écrivait, dans son grenier, sur une feuille de papier, trouvée après sa mort, et qui porte la date de 1812
Depuis quinze jours, je vis de pain sec et d'eau, je travaille sans feu et j'ai vendu mes habits pour fournir aux frais de copie de mon travail. C'est la passion de la science et du bonheur public, c'est le désir de trouver un moyen de terminer d'une manière douce l'effroyable crise, dans laquelle toute la société européenne se trouve engagée, qui m'ont fait tomber dans cet état de détresse.
Enfin la famille de Saint-Simon se décida à lui
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faire une pension, mais insuffisante pour ses projets. Toujours dévoré par les frais de copie ou d'impression, elle le laissa, livré au froid et à la faim, rêver, sous ses haillons, le bonheur du genre humain. Obstination touchante qui, malgré toutes les aberrations du novateur, tempère le sourire par l'attendrissement et fait dire de lui, comme autrefois de la pécheresse: «Il doit lui être beaucoup pardonné, parce qu'il a beaucoup aimé 1 »
Cependant les publications de Saint-Simon avaient fini par frapper quelques esprits; elles lui amenèrent deux jeunes gens, dont l'un devait être notre plus grand historien, l'autre, un de nos savants les plus universels. C'étaient Augustin Thierry et Auguste Comte. Tous deux furent des collaborateurs plutôt que des disciples et se séparèrent bientôt pour suivre leurs voies personnelles, mais ils furent remplacés par d'autres adhérents. Une sorte d'église se formait autour de Saint-Simon et travaillait avec lui à éclaircir et à compléter ses idées.
Celles-ci avaient longtemps flotté incertaines. Bien que, dès 1802, dans sa première publication, parue à Genève sous le titre de Lettres d'un habitant de Genève, Saint-Simon eût proclamé que la direction de la société appartenait aux plus capables qu'un peu plus tard, au milieu de la guerre qui bouleversait l'Europe et de la gloire militaire de Napoléon,il il se fût écrié « Plus d'honneur pour les Alexandre; vivent les Archimède! » bien qu'il eût enfin posé le problème social sous cette forme remarquable: « Mettre chaque homme dans une position telle que son intérêt personnel soit dans la même direction
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que l'intérêt général », il était loin d'avoir tiré de ses principes toutes leurs conséquences. Plus tard, toutes ses publications avaient tendu àla glorification du travail dans la liberté. Il avait partagé l'histoire en époques organiques, où, la constitution sociale se trouvant conforme aux besoins du moment, l'humanité accomplissait harmonieusement son évolution, et en époques critiques, où le désaccord entre l'organisation générale et les tendances particulières produisait les convulsions dont notre siècle avait donné tant de sanglants exemples. Dans son livre du Nouveau Christianisme, il accepta l'origine surhumaine de la religion chrétienne, mais en répudiant sa théologie. Celle qu'il proposa de substituer avait l'inconvénient de toutes les théologies socialistes, dans lesquelles la religion n'est qu'un élément d'association et ne sert qu'aux rapports de l'homme avec l'homme, négligeant complètement ceux de l'homme avec Dieu; aussi résume-t-il sa pensée en ces mots: « La religion doit diriger la société vers l'amélioration la plus rapide possible de l'existence morale et physique de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. La société doit s'organiser de la manière la plus propre à atteindre ce but. »
Vérité incontestable, mais incomplète. Ce que SaintSimon signale ici n'est que le côté d'action humaine de la religion; celle-ci embrasse dans son effort un champ plus vaste elle ne s'occupe pas seulement de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre elle existe indépendamment de la société, pour chaque homme, qui est isolément devant elle toute une société. Le christianisme ne règle pas seulement le
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salut de l'espèce, mais le salut de l'individu, et même celui-ci prédomine c'est par lui qu'on arrive à l'autre le perfectionnement des âmes est la seule voie pour le perfectionnement de la société. Voilà ce qu'aucune école socialiste n'a compris dans le domaine religieux, comme dans le donaine politique, toutes ont supprimé l'individualité.
Saint-Simon mourut le 19 mai 1825, entouré de ses disciples, qu'il croyait destinés à conquérir la terre promise. Ses derniers mots furent « Enfants, la poire est mûre, vous la cueillerez. »
Ce ne fut, pourtant, que cinq années plus tard, après 1830, qu'ils essayèrent d'accomplir la prophétie. Ils avaient coordonné les idées du maître, de manière à leur donner une apparence de système. Deux journaux, le Producteur et l'Organisatetir. furent successivement consacrés à les expliquer au public enfin l'école, constituée sous MM. Bazard et Enfantin, entreprit avec éclat des prédications et s'empara du journal le Globe, que M. Dubois avait laissé aux mains de Pierre Leroux. Le Glohe saintsimonien introduisit dans la presse une sorte de lyrisme jusqu'alors inconnu. Les idées d'association, de glorification du travail, d'emploi de chacun selon ses capacités et de rétribution selon les œuvres, qui formaient les bases de la doctrine, furent préconisées avec un enthousiasme sincère, bien qu'un peu emphatique. Quelques adeptes entremêlèrent heureusement à ces expositions de l'école des recherches positives, dont l'importance a survécu. Elles ne cessèrent d'enrichir le Globe qu'après la séparation des deux chefs Saint-Simoniens, et lorsque les dis-
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ciples d'Enfantin, livrés à cette aberration contagieuse, qu'ils appelèrent la proclamation d'une nouvelle morale, commencèrent à remplir les colonnes du journal d'Orientales en prose, parmi lesquelles se firent spécialement remarquer, par un succès de ridicule, celles de Duveyrier, ancien vaudevilliste, destiné à devenir agent d'annonces pour les journaux et qui, dans l'intervalle, s'était proclamé le poéte de Dieu.
Nous ne pouvons suivre, dans ce rapide examen du mouvement de la presse,les différentes révolutions du Saint-Simonisme qui, après avoir popularisé une partie de l'économie politique de Sismondi et traité, avec une incontestable supériorité, les questions financières et industrielles, alla s'abîmer dans les extravagances de la loi vivante et de la femme libre. La dispersion des étranges reclus de Ménilmontant rendit à la société existante beaucoup de vives intelligences qui firent accepter, en détail, les idées acceptables de leur école. Sa trace se retrouve encore aujourd'hui dans les plus heureuses réformes, accomplies ou projetées, et ses hommes occupent le premier rang dans toutes les entreprises constatant l'activité nationale. Quant au journalisme, elle a incontestablement contribué à en élever le ton, mais en nuisant peut-être à sa netteté et à son naturel. C'est elle qui a accoutumé les lecteurs au style à ramages, dont M. Pelletan est aujourd'hui le plus habile ouvrier.
Mais, au moment où l'église Saint-Simonienne s'écroulait, étouffant la voix du Globe dans ses
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débris, un autre utopiste, Fourier, commençait à se faire connaître.
Celui-ci n'était point un grand seigneur. Né à Besançon de petits commerçants, il avait été tour à tour épicier, courtier marron, commis, et n'avait connu ni la grande opulence ni l'extrême pauvreté. Cinq ans après la publication du premier livre de Saint-Simon, il avait fait paraître la Théorie des quatre Mouvements, espèce de prospectus d'un système, qui avait simplement pour but de changer la face de l'humanité. On crut que c'était l'ouvrage d'un échappé de Charenton. Il fallut huit ans à Fourier pour trouver dans la France entière un disciple. Ce précieux adhérent fut M. Juste Mairon, homme de noble intelligence et,de grand cœur, qui s'efforça de modifier ce qu'il y avait d'excessif dans les vues de Fourier. Aussi fut-il quatorze ans avant de trouver un second adepte. Il avait publié, dans l'intervalle, (en 1821), la Théorie de l'association domestique agricole, et était venu à Paris, où il vil les éclatants débuts de l'école dirigée par Bazardel Enfantin. Malgré la mauvaise humeur qu'excitaient chez lui les succès des Simoniens, comme il les appelait, il s'efforça d'abord de se glisser dans leur camp avec son système. Repoussé, il se vengea par des critiques et des injures jusqu'au moment de leur chute. Celle-ci lui profita. Quelques Saint-Simoniens désabusés se tournèrent vers lui, dans l'espoir que ses idées réaliseraient mieux la réorganisation sociale à laquelle ils aspiraient. Ils fondèrent lejournal le Phl1lanstere, en juin 1832. Un premier essai d'application, tenté par M. Baudet-Dulary à Condé-
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sur-Vesgre, ne put même arriver à un commencement d'exécution. Mais la mort de Fourier, qui eut lieu le 10 octobre 1837, en délivrant l'école phalanstérienne de sa domination tyrannique et de ses compromettantes boutades, lui permit de populariser la doctrine, en en déguisant les bizarreries et ne développant guère que le côté économique.
A vrai dire, le système de Fourier avait besoin de ces précautions. Mélange d'analyses profondes, de combinaisons ingénieuses et de grossières excentricités, il unissait toutes les trivialités de l'esprit le plus positif à toutes les hallucinations de l'imagination la plus folle on y passe, à chaque instant, de la Cuisinière bourgeoise aux contes des Mille et une nuits. Au reste, voici en quelques mots ce système.
Le monde est, d'après Fourier, soumis à quatre mouvements le mouvement social, le mouvement animal, le mouvement organique et le mouvement matériel. Newton a découvert le mouvement matériel, celui qui régit l'univers Fourier a découvert les trois autres. On ne connaissait que l'harmonie des sphères, il a découvert l'harmonie universelle. Jusqu'ici les hommes ont marché à rebours de leur destinée. La civilisation est un chaos et ce que nous appelons le progrès, un mouvement sur place qui ne conduit à rien. Le genre humain évolutionne dans une impasse Fourier est venu lui apporter le moyen d'en sortir. Ce moyen n'est autre que la généralisation de la loi d'attraction, que Newton a reconnue pour les astres, et qui doit régler également les trois autres mouvements du monde. Dans le genre
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humain, comme dans l'espace, tout est régi par l'attraction passionnelle.
Il en résulte deux conséquences principales la première, c'est que les lois physiques sont identiques aux lois morales la seconde, c'est que les passions sont légitimement souveraines. L'erreur a été de les combattre. L'intelligence doit être employée à les soigner et à les atteler dans un certain ordre, en les divisant en séries contrastées, rivalisées, exaltées et engrenées. Chacune de ces séries est l'objet d'une longue étude, dans laquelb nous ne pouvons suivre Fourier. Qu'il nous suffise de savoir que ces passions, dont il fait, comme vous le voyez, les véritables coursiers du char social, sont, d'après lui, au nombre de douze; il y a cinq passions sensitives, correspondant aux cinq sens et qui tendent à la jouissance quatre passions affectives, l'ambition, l'amitié, l'amour, le familisme, qui tendent à former des groupes; trois passions distributives, la cabaliste (passion de. l'intrigue, du discord), la papillonne ou alternative (passion du changement), la composite (passion de l'accord), lesquelles tendent à former des séries.
Ces douze passions, tirées de l'analogie avec les douze notes de la gamme (y compris les tons et les demi-tons), se fondent en une seule passion, la passion de l'harmonie ou l'unitéisme. Mais, dans la pratique, elles se combinent nécessairement de différentes manières, et donnent lieu à des caractères différents. Fourier en compte huit cent dix. Cependant, comme il faut tenir compte des caractères anormaux, des caractères incomplets (comme ceux
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des enfants), des caractères énervés (comme ceux des vieillards), il a multiplié ce nombre par deux et est ainsi arrivé à seize cent vingt caractères qui, représentant toutes les combinaisons possibles, devront constituer un groupe harmonisé pour l'évolution sociale ce sera la phalange. Elle s'établira sur une lieue carrée et bâtira un phalanstère, splendide ruche où toutes les jouissances seront rassemblées. Tous les membres de la phalange, divisés en groupes et en séries, se livreront successivement à différents travaux, choisis selon leurs penchants, en conséquence de ce principe fondamental de la doctrine, que les attractions sont proportionnelles aux destinées.
Voilà très imparfaitement, mais exactement, à ce que nous croyons, le système de Fourier. Il est basé, comme vous avez pu le voir, sur la découverte de Newton, transportée du monde physique dans le monde social. Tous les raisonnements sont fondés sur l'analogie. Il y a une incontestable puissance dans cet ensemble, dont les parties sont tellement enchaînées qu'une fois le principe admis, tout s'ensuit fatalement c'est là sa supériorité sur le Saint-Simonisme, qui ne s'est jamais assez rigoureusement coordonné pour mériter le nom de système mais, pour le résultat social, c'est là aussi une infériorité. L'assise enlevée, tout l'édifice de Fourier s'écroule, sans que les pièces, appropriées à lui seul, puissent même servir à quelque chose. La doctrine Saint-Simonienne, au contraire, un peu confuse et mélangée d'erreurs et de vérités, a permis d'utiliser plusieurs de ses ruines. Mais, dans tout ce qui précède, nous n'avons exposé
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que le côté logique du phalanstérien; reste le roman! 1 Fourier déclare qu'une fois le premier phalanstère établi, le bonheur prodigieux, dont jouiront les associés, suffira pour convertir spontanément le genre humain à la méthode sociétaire. Celle-ci se propagera par explosion et, en moins de six ans, le globe entier sera couvert de phalanstères.Or, lorsque ces établissements compteront trois milliards d'habitants, ce qui ne pourra tarder beaucoup, une telle transformation se sera accomplie dans le genre humain que les génies, qui nous frappent aujourd'hui comme des exceptions séculaires, deviendront innombrables. Ainsi Fourier se porte garant qu'il y aura alors sur la terre trente-sept millions de poètes égaux à Homère, trente-sept millions de géomètres égaux à Newton, trente-sept millions d'auteurs comiques égaux à Molière, et ainsi de tous les autres talents. L'auteur vous avertit toutefoia, avec une honorable candeur, que ce sont là des estimations approximatives Alors aussi, les hommes vivront plusieurs centaines d'années, sans doute aussi parce qu'il n'y a pas d'attraction passionnelle pour la mort. Notre planète, soumise au travail de tant d'activités volontaires et de tant de merveilleuses intelligences, changera complètement de face; elle engendrera la couronne boréale, espèce de Carcel gigantesque, qui nous éclairera la nuit et nous procurera un printemps éternel. L'Océan, passé aux grands remèdes (c'est l'expression de Fourier) par l'expansion d'un acide citrique boréal, quise combinera avec le sel, prendra le goût d'une limonade, à laquelle notre épicier utopiste donne par avance le
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nom d'aigre de cèdre; les poissons apprivoisés fourniront des attelages aux vaisseaux, et les bêtes féroces serviront de monture aux dames. Quant à la durée de cet état miraculeux du globe, elle sera de soixante-dix mille ans. Toujours par estimation approximative 1 Quelque bouffonnes que puissent paraître de semblables prophéties, elles ne sont que l'exagération de cette apothéose de l'homme, qui le suppose mattre du monde et capable, non de s'en servir, ce qui est évidemment son droit et son devoir, mais de .le recréer. Fourier est l'applicateur brutal de la philosophie allemande, qui a déifié la créature en faisant d'elle le but et l'origine de toutes choses. Au reste, il en a été de ce programme de l'avenir du genre humain comme de tous les programmes nul n'y a cru, et les disciples de Fourier se sont bien gardés d'en renouveler les promesses. Leurs expositions du système, poursuivies dans une revue, la Phalange, puis dans un journal quotidien, vanté par les phalanstériens du monde entier, la Démocratie Paci fique, ont singulièrement amoindri les proportions de la réforme proposée par Fourier. Mais, en appuyant presque exclusivement sur les procédés d'association du maître, ils ont laissé dans l'ombre ce qu'il avait de véritablement original. Leur école s'est de plus en plus dégagée des principes absolus, sur lesquels reposait toute la doctrine, et, entraînée par le courant des faits, elle est venue se mêler à la politique de 1848, qui l'a emportée. Son intervention dans la presse, plus longue que celle des Saint-Simoniens, y a pourtant laissé moins de vestiges et n'est déjà plus guère qu'un souvenir. La cause en est surtout
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dans son infériorité littéraire. A l'exception d'un fantaisiste contestable, M. Toussenel, les phalanstériens n'ont eu aucun écrivain capable d'attacher au système de Fourier cette beauté de la forme qui peut immortaliser l'erreur comme la vérité.
Les communistes ont été encore moins heureux, et n'ont d'ailleurs acquis de réelle importance qu'après février 1848. Jusque-là, le système égalitaire de Louis Blanc n'avait guère que quelques adeptes théoriques. Le communisme de Cabet, exposé dans son Voyage en Icarie, était plus connu, mais ne formait point, à proprement parler, une école. Une école suppose un ensemble de doctrines susceptible de constituer un enseignement; or, les Icariens n'ont jamais eu qu'un vague désir de vivre pacifiquement à l'état de communauté philosophique. Leur manque de dogme a défrayé bien souvent la plaisanterie de Proudhon, qui appelait M. Cabet le « patriarche des imbéciles ». Lorsqu'on vantait devant lui le dévouement fraternel des Icariens l'un pour l'autre, il avait coutume de répondre « A la bonne heure 1 Ce sont des huîtres attachées au rocher de la fraternité. »
Mais, pendant que ces esprits aventureux poursuivaient ainsi, sous toutes les formes, la solution de l'éternel problème – le bonheur du genre humain, – le parti des utilitaires, indifférents à l'idée, allait grossissant chaque jour. Ce fut pour eux que se créa le journal des Connaissances utiles, qui donnait en même temps des règles de morale usuelle et des recettes de confitures puis cette presse à quarante
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francs, qui amoindrit les débats politiques au profit des variétés anecdotiques, des comptes rendus de tribunaux et des romans-feuilletons. L'indifférence pour l'idée était devenue telle que l'on créa une gazette, partagée en quatre feuilles, représentant quatre partis différents, et qu'il se trouva des abonnés assez désabusés de toute opinion pour lire ces pages contradictoires. Après avoir été l'avocat qui plaidait pour notre cause, le journal n'était plus que le rhéteur qui parlait pour nous amuser on était descendu de l'intérêt à la simple curiosité.
Un de ces hommes, qui avaient mis en mouvement 'la nouvelle presse, M. Émile de Girardin (celui-là même qui devait tuer Armand Carrel), fut le seul à se distinguer au milieu de cette foule 'de nouveaux publicistes. Ses débuts avaient été difficiles, et la volonté d'arriver à tout prix l'avait mêlé à de fâcheuses affaires. Dès que le succès était venu, il avait répudié les associés avec lesquels son nom se trouvait compromis. Il n'était déjà plus temps 1 L'opinion publique s'était formée, excessive sans doute dans sa sévérité, mais irrévocable. Un auteur a dit « Là' où vous avez une tache, mettez une paillette; on ne verra qu'elle et la tache sera oubliée ». M. Émile de Girardin prouva le contraire il eut beau multiplier les paillettes, paillettes de renommée, paillettes de fortune, paillettes de crédit, la tache resta toujours visible et continua à le faire montrer au doigt. A la vérité, sa turbulence bruyante ravivait sans cesse les souvenirs et les haines. Satisfait du côté de la fortune, il poursuivait maintenant le pouvoir avec la même ardeur, sans s'occuper des routes
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ni des obstacles. Cette course au clocher fut interrompue par plusieurs chutes douloureuses. M. de Girardin s'épuisait en vain en preuves d'adresse et d'audace chaque effort semblait le rendre plus impossible. Son activité, offerte tour à tour à tous les partis, n'était franchement agréée par aucun il éprouvait la fiévreuse impatience d'une capacité incontestable, qui se sent le pouvoir et la volonté d'être utile, sans réussir à se faire employer. En vain promettait-il dans la Presse la présentation d'une idée par jour et tenait-il à peu près sa promesse le public goûtait l'article, sans croire au rédacteur. Les juges les moins prévenus eux-mêmes sont restés dans une prudente réserve vingt fois déroutés par les revirements d'une intelligence, qui semble séparer la logique du droit et subordonner la justice au fait, ils suivent avec attention tous ses mouvements et s'éclairent souvent de ses conseils; ils admirent la vivacité de cette polémique, procédant par petites phrases, posées en axiomes, et qui vous conduit à la conclusion par une série de degrés d'un égal intervalle; ils louent volontiers ce qu'il y a de précis et de viril dans la forme, de substantiel dans le fond; mais ils s'effrayent en même temps de cette assurance péremptoire sur toutes choses ils s'inquiètent de ces sophismes toujours attelés de front avec quelques vérités et faisant marcher le discours sous la double impulsion du chimérique et du réel; ils hésitent, enfin, devant un scepticisme, livré à tous les vents du ciel, et toujours prêt à confondrela conscience avec l'inté- rêt bien entendu. C'est là ce qui empêchera vraisemblablement, sous tous les gouvernements, l'avène-
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ment de M. de Girardin aux affaires. Si l'attention à sa parole est un juste hommage rendu au talent, la défiance, même exagérée, de son caractère est un hommage rendu à la morale publique.
Est-il nécessaire, pour compléter cette analyse de la presse politique après 1830, de parler du journal soi-disant religieux qui a prétendu ressusciter de nos jours le catholicisme de Philippe II? On pourrait le croire inutile, dans la pensée que c'est là l'expression de quelques malheureuses individualités plutôt que celle d'un parti. Mais non L'Univers Rdups*» représente une portion considérable du clergé catholique de l'Europe il monnoie, les idées que MM. de Maistre et de Bonald ont soutenues, que M.Donoso proclamait dernièrement en Espagne, que le gouvernement de Rome applique selon ses forces. Ses opinions sont les seules véritablement orthodoxes et qui appartiennent à l'Église romaine ce qui est la propriété particulière du journal, c'est M. Veuillot Grâce à lui, les propositions, que les écrivains ecclésiastiques évitaient avec prudence, ont été reproduites dans toute leur nudité. Il a accepté le passé du catholicisme tout entier; il a repris ce qu'il y avait de plus excessif dans les traditions; lesbûchers ont été glorifiés, la vente des indulgences justifiée il a prouvé que, lors de l'expédition des Cévennes, c'étaient les dragons qui avaient eu à se plaindre 'des protestants; il a ouvertement flétri tout ce que nous tenions de la civilisation moderne, en demandant qu'on refoulât les nations, par le fer, la corde et le feu, vers les sombres profondeurs du moyen âge.
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M. Veuillot est un fantaisiste à grand orchestre il n'aime que les thèses impossibles. L'extravagant tente sa raison, le repoussant l'attire. Tout le monde est-il d'accord que brûler n'est pas répondre, il vous criera que c'est bien mieux. Nul n'oserait-il plus soutenir qu'on puisse acheter le paradis,il suppliera le SaintSiège de recommencer le vendre. Les piétés les plus incontestées auront-elles admiré les génies littéraires de tous les temps, comme un don de Dieu à l'humanité, il prouvera que tous les grands écrivains sont des fléaux. Et tout cela, il le fera avec la verve de Voltaire, assaisonnée du cynisme de Rabelais, car M. Veuillot ne s'effarouche d'aucune expression. Si c'est vrai, comme l'a dit Boileau, que
Le latin dans les mots brave l'honnêteté,
on doit penser que M. Veuillot croit toujours parler en latin. Nous ne saurions dire s'il existe des dispenses particulières de l'Église pour de pareilles formes et s'il est permis d'employer, dans les sacristies, un langage qu'on ne tolérerait pas dans un salon; mais, au nom du goût littéraire, nous nous permettons de regretter que le pittoresque des halles ait ainsi envahi le journalisme. Nous ajouterons, à un point de vue plus élevé, qu'au milieu des agitations du moment et des incertitudes de l'avenir, quand les âmes inquiètes cherchent Dieu avec plus d'ardeur et ne demandent qu'à entrer dans la sphère de douceur et de charité de l'Évangile, il est triste d'entendre une voix, qui se dit chrétienne, lancer à flots les injures, solliciter les violences, et de voir une main pencher la croix sur le monde, non plus
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comme un signe de délivrance qui rassure, mais comme un gibet qui menace.
L'étendue, que nous avons dû donner à la presse sous le gouvernement de Louis-Philippe, prouve combien elle s'était agrandie par la nécessité de satisfaire à de nouveaux besoins. La multiplicité des doctrines avait multiplié les interprètes de l'opinion. Ce qui frappe au milieu de ces écoles militantes, vous avez pu en faire la remarque, c'est principalement l'ardeur. Toutes les causes défendues ne sontcertainement pas également sympathiques, mais toutes ont des soldats également dévoués. La raison manque quelquefois, la mesure souvent, la justice toujours la conviction fait rarement défaut. S'il y a, dans chaque camp, des condottieri de l'idée, qui combattent pour leurs gages, il y a toute une armée qui combat courageusement et sincèrement pour le drapeau. Mais, en revanche, la presse littéraire laissa tomber les siens. A la Muse Française, prêchant la transfiguration de l'art, et au Globe, qui s'était donné po ur programme de le vivifier, avait succédé la Revue de Paris, fondée, non pour soutenir une esthétique, mais pour exploiter des renommées la spéculation remplaçait l'idée. Il ne s'agissait plus de faire adopter au public un système, mais une quittance d'abonnement au lieu de chasser aux prosélytes, on chassait aux souscripteurs. Tous les genres étaient également accueillis dans cette espèce d'exposition littéraire. Les talents les plus contradictoires se coudoyaient. C'était proclamer l'abandon de toute foi en fait d'art, et renoncer par suite à
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tout enseignement. En vain la Revue des Deux Mondes refit, peu après, la Revue de Paris sous une forme plus grave on eut deux Magazines d'un mérite inégal, on continua à attendre une doctrine. Dans ces champs d'asile, ouverts à tous les écrivains, l'église n'avait pas de dogme; on y prêchait le pour et le contre dans la même chaire. La religion dépendait du sermonneur. Ce que l'un offrait au respect dans la première page était exposé par l'autre aux huées dans la seconde; où celui-ci avait vu une ride de ̃décrépitude, celui-là voyait une grâce de jeunesse. Les sceptiques parlèrent à côté des croyants, les railleurs près des lyriques, les dévots du réel près des dévots de l'idéal. Scribe écrivit un proverbe au revers d'une page poétique de Chateaubriand. Les lecteurs s'accoutumèrent cet échantillonnage d'écrivains, qui exemptait de faire leur connaissance dans de longs volumes. On s'accoutuma à des lectures courtes et entrecoupées. Tandis que le roman-feuilleton s'allongeait de plus en plus dans le journal quotidien, les revues s'efforçaient de concentrer la matière d'un ouvrage en quelques feuilles; des deux côtés, l'exigence de la publication entravait la libre pensée de l'auteur. Celle-ci n'était plus qu'une esclave, obligée de se mouvoir dans un espace fixé d'avance loin d'avoir le journal à ses ordres, ellemême était aux ordres du journal.
Le commun des lecteurs y gagna sans aucun doute les revues abondaient en travaux divertissants ou instructifs, qui popularisaient toutes les études. Mais chaque page déflorait un sujet, et l'article incomplet empêchait le livre de longue haleine. La
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paresse de l'écrivain s'associait à la paresse du public pour tout réduire ce que l'on gagnait en surface, on le perdait en profondeur; à force d'abréger, on arrivait des deux côtés à cette impatience de tout développement et de toute préoccupation prolongée, qui est peut-être, à notre époque, la maladie dominante de l'esprit français.
Nous savons ce que nos écrivains ont mis d'art, de science et de goût dans ces courtes compositions. Beaucoup d'elles sont des chefs-d'œuvre qui resteront, mais combien d'autres font regretter l'ouvrage dont elles ne sont que l'argument 1 Quelque haut que se soit placée la Revue des Deux-Mondes par ses publications substantielles, et bien que nul autre journal de son genre ne puisse lui être comparé, de l'aveu des meilleurs juges d'Angleterre et d'Allemagne, elle a plus contribué qu'aucune revue à l'asservissement de l'écrivain et à son amoindrissement. Forte de sa popularité européenne, elle a obligé nos plus grands noms à passer par ses Fourches Caudines, elle les a détournés de travaux plus étendus, pour les amener à son abréviation forcée, et les a induits à dépenser pièce à pièce les épargnes qu'ils amassaient. Depuis vingt ans, elle monnoie le génie littéraire de la France et empêche la formation de trésors assez complets pour enrichir à la fois le présent et l'avenir. Dépourvue de doctrines, elle a en outre contribué, comme nous l'avons déjà dit, à la dissolution des écoles littéraires qui ne sont, après tout, que des croyances associées. Aussi n'a-t-elle jamais pu constituer une critique sérieuse; celle-ci n'a été chez elle, comme dans tous
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les autres journaux, qu'une appréciation person nelle.
Depuis le Globe, en effet, nos juges de l'art ne relèvent plus en France d'une idée, mais de leur humeur du jour au lieu de songer au triomphe d'une cause, ils ne s'occupent que de leur intérêt ou de leur fantaisie la critique est devenue un moyen, nullement un but. De là sa visible décadence sous le règne de Louis-Philippe. C'est alors qu'on la voit abandonnée aux débutants et aux faillis de la république des lettres les premiers, n'ayant encore rien produit, jugent au hasard les productions des autres, distribuent le blâme ou l'éloge à l'étourdie, et abattent les statues dressées, pour hisser un de leurs anciens camarades de classe sur le piédestal les seconds, qui ont fait banqueroute à la gloire, s'en vengent sur ceux qui ont mieux réussi. Après beaucoup d'essais interrompus ou avortés, ils s'avisent tout à coup que, s'ils manquent d'imagination, c'est qu'ils ont trop de goût, et que leur incapacité de produire est une indication de leur aptitude à juger des productions des autres. Aussitôt ils se font un trou dans le bas de quelque journal, et là, enchaînés à leur impuissance, comme le dogue à sa niche, ils aboient contre quiconque passe joyeux et libre. C'est à un de ces stériles misanthropes que George Sand disait, un jour, spirituellement « Tâchez, monsieur, d'avoir aussi des enfants, et vous haïrez moins les nôtres. » Mais au moins leur morosité est-elle loyale, et la préférons-nous au calcul de ceux pour qui la critique n'est qu'un hameçon, et qui amorcent la proie,
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selon les circonstances, avec l'éloge ou avec le blâme. L'avènement des hommes de lettres au pouvoir, après la Révolution de Juillet, fut, pour ces derniers, l'occasion d'une pêche miraculeuse. L'amourpropre littéraire livra les nouveaux ministres à leur merci. Le rédacteur habituel d'une de nos célèbres revues en fit l'expérience. Fatigué de l'obligation d'écrire la chronique de quinzaine, il sollicita de M. Thiers, alors ministre des Affaires étrangères, un emploi dans la diplomatie qui lui permît d'avoir de l'esprit moins souvent. M. Thiers refusa. Notre journaliste prit aussitôt son parti; il annonça une série d'études critiques sur les historiens contemporains. 11 débuta par celui de la Révolution Française, dont il analysa les premiers volumes avec une verve qu'on ne lui soupçonnait pas toutes les erreurs étaient relevées, les oublis constatés, les légèretés trahies, et l'on annonçait la continuation au prochain numéro M. Thiers, épouvanté, comprit sa faute il se hâta de nommer notre critique chargé d'affaires à Téhéran, et la fin de l'article n'a jamais paru. Par malheur, ces moyens d'imposer silence à un juge embarrassant sont à l'usage de très peu d'écrivains. La plupart, forcés de sjibir l'arrêt, quel qu'il soit, vivent dans une respectueuse terreur de celui qui l'applique. Chacun d'eux, inquiété par la conscience de ses fautes, passe tous les matins devant le feuilleton, où l'un de ses confrères est pilorié, comme un prévenu devant le gibet. L'exécuteur des hautes oeuvres littéraires peut tout se permettre contre le patient, sans que personne s'indigne ou réclame; qui n'a pu obtenir sa bienveillance est trop heureux
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d'obtenir son oubli. Au besoin, on le caresse, on l'encourage si par hasard il daigne lui-même créer quelque chose, c'est à qui vantera son œuvre. Tout le monde accourt, la flatterie sur les lèvres c'est le gâteau de miel, destiné à prévenir les aboiements de Cerbère. Nous avons vu s'élever ainsi vingt médiocrités bruyantes qui, embusquées sur le chemin de la renommée, comme le mendiant dont parle Gil Blas, exigent des louanges en annonces, l'escopette de la critique braquée sur les passants.
Quelques noms, pourtant, sortent de cette foule et doivent être signalés. Nous avons cité, à notre séance précédente, Sainte-Beuve, glorieuse exception sur laquelle nous n'avons point à revenir (I),et Jules Janin, dont les grâces maniérées ont un peu vieilli mais tous deux appartiennent, en réalité, à la Restauration. La période suivante n'a produit que trois critiques, auxquels on puisse s'arrêter: Gustave Planche, Théophile Gautier et Eugène Pelletan. Gustave Planche a la prétention d'être le critique sérieux du temps; sa lourdeur habituelle lui semble de la gravité; son mécontentement systématique, un sentiment relevé du be*u,Il s'apprécie d'autant plus que moins de choses peuvent lui plaire son goût est surtout le dégoût. Les belles inspirations le laissent froid, mais, au moindre trébuchement de' la muse, il s'échauffe on dirait un opérateur que les (1) En réalité, ce n'est pas dans la cinquième, mais dans la quatrième leçon (de la page 131 à la page 135), que Souvestre parle de Sainte-Beuve encore n'en parle-t-il qu'incidemment, et pour indiquer surtout la part qu a prise au mouvement romantique. (Note de l'Éditeur.)
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membres sains ennuient et qui ne s'intéresse qu'aux difformités et aux blessures. C'est seulement à leur aspect que son analyse s'éclaircit, s'anime myope pour les beautés d'une œuvre, il a le regard prompt et sûr pour en pénétrer les défauts. Malheureusement la sensation lui manque. Armé d'une vague rhétorique,,qu'il croit avoir puisée dans l'étude des maîtres, il pèse chaque chose au poids de règles douteuses, et déclare de faux aloi tout ce qui échappe à ses balances. Son esprit, roide et pédantesque, ne se prête à aucun des écarts de la fantaisie. Il faut que l'imagination de l'écrivain, qu'il juge, marche dans sa propre route et de son propre pas. Quant à la forme, il ne la cherche ni dans la couleur ni dans le mouvement, mais dans l'arrangement conventionnel des mots. Grammairien avant tout, il a la même prétention que Balzac, celle d'être le seul écrivain de nos jours qui sache le français. Aussi faut-il le voir passer tous les styles à l'alambic de sa syntaxe et triompher à grand bruit, quand il a pu découvrir par hasard que Lamartine et Victor Hugo ont fait comme la cuisinière des Femmes Savantes, et que, dans quelques beaux vers, ils ont aussi
Manqué à parler Vaugelas.
On lui opposerait en vain que la correction n'est que la régularité des traits, tandis que le style en est la physionomie laborieux écrivain, il ne comprend que le travail soigneux de la forme, il s'y applique pour son propre compte avec effort et fatigue. Ses phrases, pesamment drapées d'épitb" tes symétriques, se déroulent lentement et se ressou-
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dent l'une à l'autre par des transitions solides, mais visibles. C'est la marche mesurée du bœuf creusant son sillon; on sent qu'il n'y a jamais là de liberté ni d'élan. Lui-même, au reste, en convient sans détour. « Lorsque j'entre dans un article, disait-il un jour « devant nous, je ressemble à ces forçats, obligés « de tourner la grande roue d'une grue le dernier « pas se fait aussi difficilement que le premier. » Bien que le résultat ne soit pas toujours en raison de l'effort, on ne peut refuser à la critique de Gustave Planche une sorte de froide dignité. S'il est vrai que son amour pour l'art se tourne surtout en dédain pour l'artiste et qu'il ne loue guère les morts que pour les opposer aux vivants, on doit reconnaître l'impartialité de sa malveillance et le consciencieux désir de son perfectionnement. C'est là ce qui le place si haut au-dessus de l'ancien critique de la Presse.
Sorti de l'école de Jules Janin, M. Théophile Gautier n'a guère pris que les défauts du maître; c'est la même outrecuidance, la même mobilité, mais avec beaucoup moins de sens et de goût. Comme le feuilletoniste du Journal des Déba t s, M. Gautier s'est posé en adorateur exclusif de la forme l'idée dans l'art lui paraît une laideur; il ne comprend que la ciselure de l'enveloppe et hausse les épaules quand on parle de mettre quelque chose dessous. Sur ce dernier point, nous devons avouer qu'il prêche d'exemple. Rien de plus vide que sa critique; on cherche en vain, au bout de chaque feuilleton, ce que l'auteur a voulu dire; il ne reste dans la
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mémoire qu'un chaos d'images contraires, au milieu desquelles roule un Cliquetis de mots. M. Théophile Gautier, qui avait d'abord été peintre, semble écrire avec les couleurs brouillées au hasard sur sa palette au lieu du bon sens, mêlé de fantaisie, qui recommande parfois les articles de son maître, et de cette prestesse que met M. Janin à jongler avec les adjectifs, il n'a le plus souvent qu'une enluminure prétentieuse, qui arrive au baroque en visant à l'originalité. Nous ne disons rien de son mépris pour tout principe, ni de ses bons mots d'atelier; triste gaieté et misérable philosophie, qui ferait rougir, si on n'en avait pitié. L'auteur de Mademoiselle de Maupin est toujours présent dans cette critique, railleuse pour tout ce qui est noble, pur et bon, accueillante pour de gracieuses sensualités. Mais ce qui distingue pardessus tout, M. Gautier, c'est l'affectation, avec laquelle il entremêle à la langue littéraire les mille langues particulières de l'art, de la science, de l'industrie. A voir son style émaillé de tant de mots techniques, on pourrait croire l'écrivain versé dans toutes les connaissances humaines, s'il ne lui arrivait parfois de prendre, comme le singe de la fable, le Pirée pour un nom d'homme. C'est ainsi que, rendant compte, il y a quelque temps, dans le Moniteur, des nouvelles peintures de Delacroix à l'Hôtel de ville, il représentait Hercule venant purger la terre des monstres nés, disait-il, après les cataclysmes du déluge.
Rien de pareil n'est à craindre de la part de M. Eugène Pelletan. Parmi tous les critiques, dont
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les noms se sont récemment fait connaître, le sien est le seul qui ait surnagé, le seul qui se rattache à de sérieux succès et à de sérieuses espérances. Riche imagination, esprit fin, intelligence ouverte à toutes les lumières, la nature ne lui a 'rien refusé rien, si ce n'est un don qui sert à faire valoir tous les autres la mesure. Elle lui manque à certains degrés, non seulement pour l'idée, qui s'emporte trop loin dans l'éloge ou le blâme, mais pour la forme, qui s'élève et se colore jusqu'à l'excès. En introduisant le lyrisme dans la critique, M. Pelletan a oublié que les genres étaient des espèces de climats littéraires, que chacun d'eux avait sa température et ses moissons. On se défie du juge qui prononce ses arrêts en dithyrambes; on sent que les images ne sont point des arguments, et la raison se met en garde contre les pièges de l'imagination.
Puis il y a dans ce style, qu'on dirait parfois dérobé à Lamartine, trop de sonorité, trop d'éclat volontaire on croit lire des vers mis en prose. La forme séduit d'abord, mais il semble bientôt que le fond manque de solidité; toutes ces arabesques empêchent de bien apprécier la trame; on est charmé, on ne se confie pas. Plus simple, M. Pelletan arriverait plus sûrement à son but; l'esprit, moins ébloui, se posséderait mieux et ne marchanderait pas son adhésion. Mais peut-on espérer une pareille réforme dans le talent de M. Pelletan? N'y a-t-il pas chez lui un manque de base, qui le fera toujours osciller dans le vague (nous ne disons pas le vide); ne prend-il pas trop souvent ses haines ou ses àffections pour des principes, et le journalisme ne
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fera-t-il pas passer, tôt ou tard, à l'état de procédé, la forme essayée par une première inspiration? C'est une question que l'avenir seul résoudra.
On n'en peut dire autant d'Alphonse Karr, que le présent a fait connaître tout entier, et qui a depuis longtemps donné sa mesure complète dans les Guêpes et dans les revues hebdomadaires.
Au début, lui-même avait semblé prendre le change sur son véritable talent. Ses premiers articles et ses premiers romans annonçaient les prétentions d'un fantaisiste fort dédaigneux de ce qui est bourgeois vous savez qu'on donne ce nom, dans un certain monde artiste, à tout ce qui est reconnu raisonnable. Être bourgeois, c'est ne point vouloir de dettes, se faire la barbe et tâcher d'avoir le sens commun. Or, Alphonse Karr a commencé par faire preuve du plus aigre mépris pour les conventions sociales et du penchant le plus décidé pour le paradoxe. Il y a, dans ses premiers écrits, je ne sais quelle sentimentalité allemande, qu'anime un amou r vif et vrai de la nature, mais à laquelle s'entremêlent étrangement les plus bizarres et parfois les plus brutales fantaisies. A cette époque, au reste, les excentricités de l'écrivain semblaient avoir passé de ses livres dans sa vie. On se rappelle encore cette espèce de jardin de Babylone, qu'il eut l'idée d'établir sur un toit de la rue Vivienne, et qu'il arrosait si soigneusement que l'eau pleuvait à travers tous les plafonds de l'étage inférieur, et ce gigantesque chien de TerreNeuve, avec lequel il se promenait dans la gouttière au-dessus du cinquième étage Ce sont là ses inno-
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cents caprices, les seuls dont nous voulions parler ici. Tant que l'auteur des Guêpes a été enivré, comme dit l'Écriture, du vin de la jeunesse, son humeur a été agressive et fantastique plus qu'il est permis à l'homme destiné à vivre en société; mais l'âge a amorti cette fougue, la droiture naturelle a fini par prendre le dessus, et au fantaisiste un peu factice des premières œuvres a succédé un observateur demi-satirique et demi-moraliste, qui a heureusement entrelacé le roman à l'églogue et mis sa verve au service du bon sens.
Cette seconde manière d'Alphonse Karr, la seule dont on se souvienne et qui maintenant le désigne, est surtout remarquable par l'alliance du sens pratique et du sentiment de l'art personne ne sait mettre autant de poésie dans la prose, passer aussi facilement d'un conseil, donné aux épiciers sur les poids trop légers, à l'analyse d'un sentiment ou à la critique d'un préjugé. L'esprit d'Alphonse Karr est un fidèle spécimen de l'esprit français, mais de celui de notre temps plus complexe qu'au temps de Voltaire, se prêtant à plus de tons et réunissant plus de défauts et de qualités contradictoires. Il y a, chez lui, un peu de l'artiste, un peu du philosophe, un peu de l'économiste, un peu de l'homme du monde l'accent est toujours moitié grave, moitié railleur c'est l'humour des Anglais, combiné avec l'idéalisme germain et la fine clarté française, mais le tout, à petites doses et très fugitivement. Certaines opinions discordantes, qui vous blessent, associées à d'autres, qui vous charment, prouvent que les principes manquent à l'auteur. Un instinct droit les remplace le
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plus souvent, mais fait quelquefois défaut, et alors, dans ces jolis sentiers si bien sablés et si bordés de fleurs, à travers lesquels il vous promène, s'entr'ouvrent subitement des ornières qui vous forcent à rebrousser chemin. Au xvir siècle, on donnait, dans la langue du monde, le nom d'honnête homme à. celui qui en était précisément au point de culture, de raison et d'élégance, qu'approuvait l'opinion publique, qui ne se sentait en rien au delà ni en deçà de la société éclairée de l'époque. Dans ce sens, Alphonse Karr est l'honnête homme de notre littérature périodique il reproduit les opinions les plus généralement agréées, sa morale n'est ni plus sévère ni plus relâchée que celle de ses lecteurs. De là son crédit; en se trouvant de son opinion, chacun l'applaudit nécessairement d'avoir tant de raison et tant d'esprit. A vrai dire, il a des deux infiniment. L'allure de son style est franche et cavalière il a des boutades inattendues, qui égaient brusquement la narration ainsi, par exemple, ayant à raconter un des miracles accomplis par la Madone de Gênes
Une jeune fille était fort malade, abandonnée des médecins.
Et, à ces derniers mots, il s'interrompt tout à coup: Abandonnée des médecins 1 C'est une locution proverbiale que je demande la permission de battre en brèche. Les médecins ne vous abandonnent pas plus que les avocats car ce n'est ni la gravité de la maladie ni la stupidité de la cause qui peuvent les décourager. Les médecins vous abandonnent si peu qu'il y a,
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dans chaque quartier de Paris, un fonctionnaire,appelé médecin des morts, qui leur fait encore une visite après que le confrère les a menés jusque-là.
Puis il ferme la parenthèse, et continue son histoire.
Ailleurs il veut signaler à l'indignation publique l'k gratitude et l'avidité d'héritiers dont les honteuses réclamations venaient d'être repoussées par les tribunaux. Voici ce qu'il écrit dans ses bourdonnements
Savez-vous un des soucis des romanciers, que l'on accuse si souvent d'épouvantables inventions ? Quelle flatterie 1 C'est de choisir, entre les choses et les gens qu'ils voient, ce qu'il y a de plus vraisemblable car le roman, étant réputé fausseté et invention, doit nécessairement rester dans la vraisemblance, ce qui l'obligé à n'admettre qu'un petit nombre des faits et des gens qu'il voit dans le monde. Par exemple, je n'aurais jamais osé supposer, dans un roman, le fait réel qui vient de se révéler deux fois devant les juges.
Une dame meurt à Paris elle laisse à des parents éloignés et déjà riches une grosse fortune. Mais cette dame, qui avait perdu successivement sa mère et ses trois filles, avait acheté un terrain dans un cimetière, avait fait construire un tombeau, entouré d'un jardin, et s'était préparé une place entre ses chères mortes,pour le jour où elle espérait aller les rejoindre dans un monde meilleur. Il serait difficile qu'il y en eût un autre plus mauvais et la présente histoire en est une nouvelle preuve.
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Cette dame aimait les fleurs jusqu'à sa mort, elle en avait soigneusement couvert et orné le terrain sous lequel reposent les objets de ses affections. A l'âge où l'on se complaît dans des tristesses vagues et imaginaires, en attendant mieux, comme les athlètes qui s'exercent avant la lutte, qui n'est parfois entré dans un cimetière à la fin de la journée et n'y a recueilli, comme un funèbre bouquet, les pensées et les rêveries qui croissent en foule sur les tombes ? L'herbe s'est étendue sur les morts,épaisse et drue, en même temps et presque aussi vite que l'oubli dans le cœur des vivants. La pervenche, cette violette des morts,comme on l'appelle à la campagne, et le chèvrefeuille surtout y végètent admirablement. Les corps des personnes aimées se divisent, se transforment et deviennent ces plantes, et le parfum du chèvrefeuille semble nous apporter quelque chose d'elles.
Or, la dame s'inquiéta en mourant Qui soignerait les fleurs de la tombe de sa mère et de ses filles ? Qui lui en apporterait, à elle, quand elle serait à son tour étendue sous le gazon avec celles qu'elle avait tant aimées?
Elle avait ouï parler des héritiers elî savait qu'elle laissait plus qu'il ne faut pour faire des ingrats elle connaissait un jardinier, honnête homme et pauvre elle lui légua le soin du jardin du cimetière. Elle ordonna à ses héritiers de lui payer pour cela une rente de deux cents francs et de la continuer à celui qu'il choisirait pour le remplacer.
Eh bien,les héritiers ont chicané les fleurs à la morte. Ils ont refusé d'acquitter le legs ils ont remplacé les fleurs par du'papier timbré. Ils sont allés marmotter
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-des paroles confuses sur la tombe; mais ce n'étaient ni des prières ni des regrets. C'étaient des considérant, des attendu que, des nonobstant ils l'ont arrachée au sommeil éternel et l'ont traduite devant les tribunaux, -comme une personne qui voulait prendre deux cents francs (je Mur bien; ils ont voulu la faire déclarer folle, On nous dépouille,on nous gruge,on nous assassine. Deux cents francs pour des fleurs 1 C'est immoral, c'est indécent, c'est contraire à la dignité que les morts doivent conserver. Les prodigues, on le sait, sont des gens qui volent leurs héritiers mais ordinairement ils ne le font que pendant leur vie; la défunte les vole après sa mort. Cette prétention d'avoir des fleurs,quand on a pour âge l'éternité 1
Il s'est trouvé, pour dire ces choses, un avocat, payé avec l'argent laissé par celle qu'il injuriait.
Les premiers juges, puis la cour, ont décidé que la morte aurait ses fleurs. qu'elle attend depuis une année (1).
Encore un mot, et nous aurons fini.
A côté de tous ces journaux, qui s'adressent aux passions, à la curiosité ou aux fantaisies, il restait une place à prendre pour un journal populaire qui, sans esprit de secte ni de parti, s'occupât de répan,dre dans toutes les classes les notions les plus nécessaires de l'histoire, de la morale, de la science et de l'art. C'est la tâche que s'est imposée depuis vingt ans le Magasin Pittoresque. En joignant l'image à l'explication, il a facilité pour tous l'enseignement; (1) Alphonse Kahr, Calmann-Lévy, édit.
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il a fait de l'œil l'auxiliaire de l'esprit, il est devenu une encyclopédie perpétuelle et illustrée pour les ignorants, c'est-à-dire pour tout le monde, car quel est celui qui n'ignore pas plus qu'il ne sait?Lerésultat, il le doit surtout à son directeur, M. Édouard Charton, grâce auquel le Magasin pittoresque est arrivé à la publicité la plus étendue qui ait jamais été atteinte dans notre pays cinquante mille exemplaires venduschaque année, distribuant à près d'un million de lecteurs l'instruction saine et pratique, qui fait des hommes. Pour beaucoup d'eux, le Magasin Pittoresque constitue à lui seul toute une bibliothèque et un de nos poètes-ouvriers, le maçon Poney, n'avait point lu d'autres livres, lorsqu'il publia, son premier volume, qui fixa assez l'attention pour lui valoir les faveurs de M. de Salvandy, alors ministre de l'Instruction publique. Nous avons eu sous les yeux une partie des lettres adressées à M. Charton par les mille amis inconnus de son journal, et nous avons pu juger, à la naïveté des confidences, des remerciements, des éloges, combien il était entré avant dans leur intimité. Là est la véritable récompense d'une pareille œuvre. Il ne s'agit point ici de gloire pour les rédacteurs; l'anonyme cache la célébrité de quelques-uns et protège l'obscurité des autres mais, à défaut de renommée, ils recueillent la joie que donne la tâche consciencieusement accomplie, et la certitude, sinon d'être connus, au moins d'être aimés.
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SEPTIÈME LEÇON
Pamphlets. Béranger.
SOMMAIRE
Pamphlets. M. de Cormenin. Royaliste à ses débuts, il passe au radicalisme, après la Révolution de Juillet. Il passe de même de la littérature grave (livre du Droit administratif) au pamphlet. Il se venge de ses échecs à la tribune par un Livre des orateurs, qui relève plus dela satire que de la critique. Vanité de l'auteur. Comment, pour ne rien perdre de sa prose, il réédite des jugements qu'il désavoue, et pallie ses contradictions. Pourquoi son livre ne vivra pas. Style artificiel, œuvre au fond stérile.
Barthélemy et Méry la Némésis, satire violente, qui s'attaque à tout, n'épargne personne, mais qui est vide, parce qu'elle n'émane point d'une inspiration sincère et n'est qu'un genre littéraire, habilement exploité. – Le gouvernement a fait taire la Muse, en pensionnant les poètes le goût public s'est détaché de leur talent, autrefois trop vanté.
Béranger. Son inspiration personnelle, sincère et sa constante communauté d'opinion et de sentiments avec la France. Son enfance. Son éducation première à Péronne patriotique et républicaine. Sa vie à Paris sous le Directoire, où il est initié par son père aux opérations de bourse et aux complots royalistes.-Anecdotes.-Ses rapports avecBourmont.-Saruptureavecson père et les royalisteslelaisse sans ressources.Ses premiers essais poétiques; grâce à la protection littéraire de Lucien Bonaparte, il obtient un poste d'expéditionnaire au secrétariat de l'Université. Ses premières chansons le Roi d'Yvetot, etc. sont célèbres avant d'être imprimées. Elles courent manuscrites, elles ouvrent à Béranger l'entrée
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du Caveau. -Ces chansons inaugurent un genre nouveau. – Premier recueil Chansons morales etmtres, publié en 1814.En 1821, nouveau recueil de chansons, cette fois patriotiques et satiriques. La Restauration poursuit Béranger devant lestribunaux. Procès retentissant; la plaidoirie de Dupin; condamnation à trois mois de prison et500 francsd'amende.Nouveau recueil en 1828, nouvelles poursuites et condamna.tion neufmois de prison, 10.000 francs d'amende. Souscrip.tion nationale pour payer l'amende.-Histoire de cette souscription. -La fierté et l'indépendance de Béranger. – Sa probité. – Une anecdote. Il refuse une pension de l'État. II vit de ses livres.- Le poète de parti, le poète de l'humanité. Son esprit, ses reparties. Son caractère désintéressement, générosité, dévouement. Une seule tache à sa gloire la licence de quelques-unes de ses chansons. Nous avons achevé, dans notre précédente leçon, l'histoire de la presse périodique en France, de 1830 à 1845; mais, en repassant des journaux aux livres, nous trouvons sur notre chemin, comme intermédiaires, ces publications de courte haleine,qui semblent une dérivation du journalisme, brochures destinées à être lues, non à être conservées, et que M. Sauzet ̃définissait par un calembour, en disant « J'appelle brochure tout ce qui ne se relie (relit) pas. » Cet ordre de publications nous ramène forcément à la politique, qui semble en avoir eu jusqu'ici à peu près le monopole.
Nous avons dit, en faisant l'histoire de la presse sous la Restauration, comment, à côté des journaux et des revues, avaient surgi des milliers d'écrits éphèmères, débattant les questions du jour, et au milieu desquels les pamphlets du vigneron tourangeau avaient seuls surnagé. Sous le règne suivant, les
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mêmes circonstances amenèrent le même résultat. La dynastie d'Orléans vit aussi naître et mourir une multitude de brochures, dont les titres et les auteurs sont aujourd'hui oubliés. Elle eut aussi son PaulLouis Courier, qui mit un merveilleux art d'écrivain au service de ses passions de parti, et dont les petits livres, après avoir été des actes politiques, ont eu le bonheur de rester des œuvres littéraires nous voulons parler de M. de Cormenin. Rien, dans ses opinions précédentes ni dans ses talents constatés, ne semblait l'appeler à une pareille mission. Le futur pamphlétaire avait débuté par 'un livre sur le Droit .Administratif, qui le fit regarder comme l'oracle du Conseil d'État et le futur démocrate s'était laissé nommer baron par Louis XVIII, qui avait signé à son contrat de mariage. Nommé à la Chambre, en 1828, il s'y montra royaliste constitutionnel, et déclara, dans un discours prononcé le 21 avril 1829 « que le dogme de l'hérédité royale s'empreignait chaque jour davantage dans nos universelles affections, dans nos convictions et dans nos mœurs. » A la vérité, un an après, l'empreinte était effacée par la Révolution de Juillet, et le dogme de l'hérédité royale, violé, malgré l'attestation de M. de Cormenin. Logique d'abord à ses opinions, il soutint les droits du duc de Bordeaux et donna sa démission, pour ne pas participer à la nomination du nouveau roi celle-ci consommée, il prétendit que, le pacte primitif ayant été brisé entre le peuple et la royauté, celui-là avait eu seul le droit de choisir son maître et que l'élection de Louis-Philippe par la Chambre était illégitime. Partant de là, il passa brusquement
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du dogme dynastique à celui de la souveraineté populaire, et se lança dans l'opposition radicale. Quelques lettres, adressées au Courrier Français, furent remarquées elles l'encouragèrent à écrire. Il venait de se reconnaître un talent, jusqu'alors sans emploi, et qu'il avait ignoré lui-même. L'abeille, qui n'avait longtemps fait que du miel, s'était subi- tement trouvé un aiguillon. M. de Cormenin se laissa aller à. la joyeuse surprise de la découverte avec une complaisance presque enfantine. Comme le Francalac de la Métromanie, devenu poète à quarante ans, il ne rêva plus qu'à ce don jusqu'alors caché il s'occupa de le perfectionner par un exercice continu. L'ancien maître des requêtes passa ses journées à échafauder des raisonnements ironiques et à aiguiser des épigrammes. Il prit, à l'œuvre, ce goût furieux qui est le caractère de toutes les passions tardives. Les pamphlets se succédèrent coup sur coup, et l'orgueil de M. de Cormenin croissait avec leur succès. Bientôt il ne se sentit plus la renommée l'emportait sur ses ailes au delà de tontes les sphères de la gloire humaine. Nous avons vu M. Jules Janin prouver que la critique était tout; voici maintenant M. de Cormenin, le pamphlétaire, qui en dit autant du pamphlet. Écoutez plutôt Le pamphlet est l'art d'animer la pensée, de la refléter dans des prismes colorés, de la vêtir de force, de l'armer de traits et de feux et de la lancer dans le combat. Tout ce qui honore la vertu, tout ce qui flétrit le crime, tout ce qui punit les tyrans, tout ce qui chante la gloire, la patrie et la liberté, tout cela est
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pamphlet. Bossuet, Bourdaloue, Massillon, Fénelon ont fait des pamphlets.
D'où il faut conclure que M. de Cormenin remplace Fénelon, Massillon et Bossuet, absolument comme M. Jules Janin remplace Corneille, Molière, Racine et Voltaire.
Et, si vous en doutez, écoutez la dernière strophe de ce cantique de Siméon, chanté par le pamphlétaire en l'honneur du pamphlet
Les publicistes et les orateurs, dit-il, soufflent dans leurs petites flûtes, pour faire autour d'eux le bruit qu'ils peuvent mais c'est au pamphlétaire seul que la renommée met en main sa trompette, et elle lui laisse sonner la grande voix du peuple par trois cent mille embouchures.
Voilà le dernier mot de M. de Cormenin; il avertit l'univers que lui seul a la trompette de l'archange, et que les orateurs et les publicistes n'ont que des mirlitons.
Pour les publicistes, l'injure nous semble sans motif et simplement le fait du mauvais caractère de l'écrivain; mais, quant aux orateurs, il a contre eux une vieille rancune, qui date de ses échecs à la tribune. Député depuis 1828, M. de Cormenin n'a jamais pu, en effet, malgré tout son esprit, arriver au talent de parole d'un avocat de troisième ordre. L'éloquence parlementaire lui a toujours tenu rigueur. Forcé, pendant vingt ans, d'écouter les autres, sans rien dire, il s'en est consolé à la manière du renard
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qui ne pouvait atteindre les raisins; il leur a trouvé mille défauts. Son Livre des Orateurs semble bien moins une étude sérieuse que de satiriques représailles. Il s'y établit le juge de ceux dont il n'a pu être le rival et signale en raillant les moindres défectuosités de leur intelligence ou de leur parole. Nul ne trouve grâce devant lui. Ses admirations ellesmêmes ne sont que Ses acheminements à sa critique il applaudit ses amis sur la joue, et ses battements de mains sont des soufflets.
Cependant ses jugements n'ont point été irrévocables, et chaque nouvelle édition du Livre des Orateurs y a apporté quelques changements. M. de Cormenin n'est point un démocrate si farouche qu'il ne cède à. certaines prévenances sociales. Son incorruptible franchise ne va pas jusqu'à s'interdire certaines concessions. Après tout, beaucoup de ceux qu'il exposait à la haine ou à la risée, dans sa première édition, sont de l'Académie, où M. de Cormenin voudrait se présenter; on peut bien avoir quelque condescendance pour de futurs confrères, surtout quand on a besoin de leurs voix. Ceci explique comment M. de Lamartine qui, dans la première version du pamphlétaire, était «un orateur sec, compassé, qui récitait ses discours pour se donner l'air d'improviser », est devenu plus tard « un parleur éloquent, à l'imagination heureuse et vive, à l'improvisation large et mûrie, à la réplique animée .» On comprend pourquoi M, Thiers, que notre faiseur de portraits déclarait, dans sa première édition, « sans figure, sans grâce, et ressemblant à ces petits perruquiers du Midi, qui vont de porte en porte offrir leur savon-
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nette », se trouve tellement transformé, lors de la seconde édition, qu'il lui découvre « un front large et intelligent, des yeux vifs, un sourire fin et spirituel ». M. de Cormenin avait, en outre, prétendu que l'auteur de l'Histoire de la Révolution Française «jouissait de trop peu de considération pour arriver jamais au premier poste de l'État », et comme, dans l'intervalle, il était parvenu à la présidence du conseil, le prophète ravisé imprima que « M. Thiers se comportait avec dignité et désintéressement; qu'il était l'un des hommes les plus considérables, le plus considérable de tous! » Mais, ce qu'il y a de plus curieux, c'est que l'auteur du Livre des Orateurs introduit, en général, ses nouveaux jugements sans faire disparaître les jugements contradictoires précédemment émis. Telle est l'affection de M. de Cormenin pour son œuvre qu'il ne peut se résoudre à en retrancher quelque chose; la ligne écrite devient une chose sainte à laquelle sa main n'ose toucher. Fût-ce une erreur, fût-ce une calomnie, il la respectera dans l'intérêt de l'art; seulement il en attribuera la responsabilité à quelque autre. Aura-t-il, par exemple, imprimé, dans la première édition, que la muse de Lamartine était un spectre hurleur, qui secouait ses ossements entre les fentes du tombeau », l'aura-t-il traité de « voyageur de nuage »,et aura-t-il prétendu que « le vent sortait de ses discours ronflants, qui étourdissaient les oreilles et n'y laissaient pas même du son » ne pouvant se résoudre à sacrifier ces gentillesses,dansune seconde édition,il les gardera toutes, en se contentant d'ajouter « Tels sont les reproches que les puritains adressent à M. de Lamartine », et,
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reprenant la parole pour son compte, il se répondra victorieusement à lui-même, en prouvant que l'auteur des Méditations est le rénovateur de la poésie française. Ailleurs, en parlant de M. Guizot, il dira d'abord « M. Guizot passe pour cruel; on lui attribue le fameux mot Soyez impitoyables,mot affreux, s'il a été prononcé. » Évidemment le doute seul est ici une accusation. Tandis qu'elle se répand à plusieurs milliers d'exemplaires, M. de Cormenin apprend que le mot est un mensonge. Vous croyez qu'il va le supprimer ? Un tel sacrifice est au-dessus de ses forces; tout ce qu'il peut faire est de changer le temps de l'auxiliaire. Il avait dit « Mot affreux, s'il a été prononcé. » II dira dans un tirage nouveau « Mot affreux, s'il eût été prononcé » et il ajoutera, par scrupule de conscience « mais il ne l'a pas été 1 » A quoi bon le répéter alors? direz-vous; dans quel but cette calomnie réimprimée, quand on la reconnaît mensongère Quelle nécessité de jeter de la boue, qu'on se hâte d'essuyer ? Pourquoi ne pas effacer simplement la phrase primitive? Vous oubliez que M. de Cormenin grave sur le bronze, et qu'il a pris pour épigraphe le plaisant vers de l'auteur des strophes à du Périer
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.
Il est douteux, toutefois, que l'éternité de M. de Cormenin atteigne la fin de notre siècle. Nous avons déjà dit, à propos de Paul-Louis Courier, ce qui nous empêchait de croire à la persistance de ces réputations. Ici les craintes sont encore mieux justi-
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fiées. Sans avoir plus de naturel que son prédécesseur, le pamphlétaire du règne de Louis-Philippe est moins alerte, moins original surtout. Son style, aussi diffïculteusement ouvré que celui de Courier, a de plus des prétentions visibles. Tout y sent l'artifice et l'arrangement. L'arsenal des épigrammes est exposé en panoplies symétriques et enguirlandé de rhétorique universitaire le pittoresque lui-même est mis à l'effet comme un décor la hardiesse est systématique; rien ne coule d'une source vive on reconnaît toujours l'artiste, qui dore l'acier de ses flèches et parfume ses poisons. Aussi, faut-il l'avouer, quel que soit l'incontestable talent dont M. de Cormenin ait fait preuve, et bien qu'il ait visiblement la raison pour lui dans plusieurs de ses pamphlets, nous les avons toujours lus avec une sorte de répugnance. Indulgent pour l'égarement convaincu des écrivains comme Lamennais, ou même pour les folies sincères de quelques socialistes, nous n'avons jamais pu comprendre ces artistes en haine, qui font du supplice de leur ennemi une question littéraire et prennent plaisir à perfectionner l'injure. Que ressort-il, en définitive, de ces chefs-d'ceuvre de l'esprit de parti, si ce n'est plus d'aveuglement réciproque et une hostilité plus envenimée ? Quelle vérité utile la France a-t-elle retirée des pamphlets de M. de Cormenin? Ont-ils éveillé chez nous quelques nobles instincts, ravivé les sources du cœur, préparé les âmes aux grands désintéressements ? Je vois ce qu'ils ont contribué à détruire, je cherche ce qu'ils ont édifié à moins que le pamphlétaire démocrate ne regarde comme une suffisante récompense de ses
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efforts d'avoir aidé, pour sa part, à remplacer un roi constitutionnel par un empereur.
On ne peut douter, au moins, que ce résultat n'ait complètement satisfait les auteurs de la Némésis qui, avant M. de Cormenin, et sous une autre forme, avaient attaqué le gouvernement sorti de la Révolution de Juillet, avec cette exagération méridionale qui donne du bruit pour de la force et des menaces pour de la colère. MM. Méry et Barthélemy s'étaient déjà fait connaître, sous la Restauration, par un poème héroï-comique, la Villéliade, qui est au Lutrin ce que les pamphlets de M. de Cormenin sont à une des petites lettres de Pascal. Après avoir imité le satirique français, ils voulurent imiter le satirique romain; la Némésis s'annonça comme la sœur de cette muse sublime, qui nous avait légué les terribles images de Tibère et de Messaline. Elle venait, le fouet infernal à la main, fustiger les coupables et venger les innocents. Tout était prêt pour faire revivre la grande satire latine il ne manquait absolument qu'un Juvénal et des Césars. Les deux poètes marseillais y suppléèrent autant qu'il était en eux. Leurs vers, gonflés d'hyperboles, attaquèrent effrontément tout ce qui était élevé. Chaque semaine, le pamphlet rimé prenait son vol sur les ailes de chauve-souris de la hideuse déesse, qui ornait son frontispice, et allait secouer ses couleuvres aux quatre coins de la France. Rien ne fut respecté, ni la gloire, ni le rang,ni la vertu. La rime emportait tout dans son attelage effréné il suffisait d'un mot qu'on pût plier au mètre choisi, d'une
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consonance fatale, pour associer le nom flétri à la glorieuse renommée, la grandeur à la bassesse. Abusant d'une facilité frivole, les auteurs de la Némésis semblaient moins chercher l'accomplissement d'une tâche sérieuse que les tours de force littéraires. A l'apparition du choléra, ils s'imposèrent le programme de raconter sa marche, et mirent en vers la moitié du dictionnaire géographique de l'Europe. Cependant, sous cette abondance stérile, il était aisé d'apercevoir le vide. La poésie des deux satiriques ressemblait à ces rideaux de théâtre, sur lesquels un pinceau grossier a multiplié les images gigantesques. En vain les gestes menacent, en vain les yeux flamboient, on sent que la vie manque à leur fureur et le moindre vent, qui passe derrière, fait trembler les géants. La poésie de MM. Barthélemy et Méry n'était, après tout, que celle de Delille, envenimée d'audace et de fiel. C'était le genre descriptif appliqué à la haine, au lieu de l'être à la campagne. Comme dans l'auteur des Géorgiques françaises, le vers était habilement tourné et retentissant, mais il sonnait creux. Tout cela semblait moins une inspiration qu'une manière il .était visible que la conviction n'entrait pour rien dans l'indignation bruyante des deux poètes et qu'elle n'avait d'autre but que de leur donner une physionomie. Cependant les insultés se lassèrent on fit demander Némésis au ministère de l'intérieur ses serpents furent enfermés dans la caisse des fonds secrets, son fouet, enveloppé dans un brevet de pension, et elle ressortit, souriante et apaisée. La Furie ne trouva plus rien à reprendre dans le gouvernement, dès qu'on lui eut
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permis d'émarger au budget. L'opinion publique fit justice des poètes le temps a fait justice de la poésie. Ces satires, qui étaient dans toutes les mains il y a vingt ans, sont déjà devenues une rareté bibliographique. Elles ont prouvé encore une fois de plus que les œuvres nées des passions de parti devaient disparaître avec ces passions, et que la popularité durable n'appartient qu'à celles qui savent mêler le présent à l'avenir, en s'adressant à la fois aux sentiments passagers et aux éternels instincts. C'est qu'elles reflètent dans une époque ce qui est de toutes les époques, c'est-à-dire la foi ou le doute, les rires et les larmes, la pitié ou la colère.
Mais un seul poète a su, chez nous, atteindre ce double but, être de son temps, sans cesser d'être de tous les temps, et bâtir avec le succès du jour un impérissable monument. C'est Béranger. Grâce à lui, la chanson devint un véritable auxiliaire de la presse, ii donna à la satire politique ou sociale les ailes de la mélodie, pour la porter jusqu'à nos derniers hameaux, là où le journal ni le pamphlet ne pouvaient parvenir. Soldat du libéralisme, il soutint contre la Restauration une guerre sans trêve, et son action, bien autrement générale que celle de tous les publicistes, dont nous nous sommes occupés jusqu'ici, continua sous le règne suivant elle se fait encore sentir aujourd'hui. Ce n'est donc point seulement le poète le plus parfait de notre temps, l'originalité la plus réelle, la plus française le seul écrivain, depuis Molière, qui ait allié chez nous la force à la grâce, la gaieté à la profondeur, le bon sens au sentiment
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c'est de plus, à beaucoup d'égards, le représentant des divers mouvements de l'opinion, tels qu'ils se sont succédé en France à partir de l'Empire. Fidèle à sa personnalité, mais en communauté d'émotions avec la France, Béranger a donné son propre accent à ce qu'elle sentait. De là plusieurs transformations, non de ses principes, mais de ses préoccupations. Son génie a, tour à tour, abordé trois ordres d'idées et revêtu trois formes, qui correspondent, pour ainsi dire, à trois, états successifs de la société française. Rien ne semblait annoncer un tel rôle à ce pauvre enfant du peuple, qui naquit le 17 août 1780, dans une arrière-boutique de la rue Montorgueil, chez son grand-père, qu'il a immortalisé par la Chanson du Tailleur et de la Fée. On le confia, comme la plupart des nouveau-nés parisiens, à une nourrice de Bourgogne. « Elle n'avait pas de lait, nous a souvent dit Béranger, mais son mari était vigneron elle m'allaita avec du vin, et ceux qui m'ont accusé de l'avoir trop chanté depuis ne savent pas que je ne faisais que célébrer mes souvenirs d'enfance. » De retour à Paris, le nourrisson bourguignon y vécut abandonné à lui-même, observant, du seuil de son grand-père, les agitations de la rue, auxquelles il ne pouvait rien comprendre et qui étaient les préludes de notre Révolution. On l'envoya, à neuf ans, chez l'une de ses tantes, qui tenait une petite auberge à Péronne. C'était une femme illettrée, mais spirituelle et d'excellent cœur. Elle avait épousé une espèce de professeur, versé dans toutes les études classiques, mais, comme Figaro, paresseux avec délices, et qui s'était marié pour ne rien faire. Tous les
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oisifs, plus ou moins doctes, du quartier se réunissaient, le soir, à l'auberge, où l'oncle de Béranger raisonnait des affaires du jour, d'après toutes les règles de la logique de Condillac et avec force citations de Rousseau et d'Horace les premières étaient admises, parce qu'elles étaient du citoyen de Genève, les secondes, parce que personne ne les comprenait et que le latin passait pour la langue républicaine par excellence. L'enfant prenait à ces débats un intérêt au-dessus de son âge. C'était, pour son esprit, une gymnastique périlleuse peut-être, mais qui devait nécessairement l'exercer et l'assouplir. Il avait, en outre, à sa disposition, la bibliothèque de sa tante, composée de quelques livres dépareillés, au nombre desquels se trouvait un volume de Corneille, qui le frappa tout particulièrement. Cette mâle poésie avait pour lui un charme qu'il ne pouvait s'expliquer; tout le jour, il répétait quelques versdes Horaces ou de Cinna, berçant son esprit à leur ample et ferme cadence ils résonnaient à son oreille, comme ce grand murmure des flots qui inspire ou fait rêver. Sa tante, bien qu'elle fût imbue de la plupart des idées philosophiques du temps, avait conservé quelques-unes des pratiques du catholicisme elle aimait les chapelets, les rameaux consacrés et les images de saints et, lorsque l'orage grondait, elle inondait l'auberge d'eau bénite. Un jour qu'elle prenait sa précaution ordinaire contre la foudre, celle-ci brisa une vitre et frappa Béranger, qui tomba privé de sentiment. On le crut mort cependant, à force de soins, on réussit à le ranimer. En ouvrant les yeux, il sourit, et balbutia quelques mots.
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– Que dis-tu, pauvre enfant ? demanda l'aubergiste, qui était très émue.
Je me demandais, ma tante, répondit Béranger, à quoi sert ton eau bénite.
Ce fut sa première épigramme sur un sujet qui lui en a tant inspiré depuis.
Lorsqu'il eut atteint quatorze ans, on le plaça à l'institut patriotique (tout était patriotique dans ce temps-là), que M. Ballin de Bellanglise avait fondé à Péronne, d'après les idées de Rousseau. On n'y enseignait pas les langues anciennes, mais on exerçait les élèves à développer leur sens logique, ce qui, au dire de Béranger, les rendait plus raisonneurs que raisonnables. On discutait, on pérorait sur tout; la classe était un club dont le professeur avait simplement la présidence. Notre écolier se distingua particulièrement dans ces débats éducatifs. Il pouvait, comme il le raconte plaisamment, parler de tout et d'une foule d'autres choses. On l'avait en même temps placé chez M. Laisney, imprimeur à Péronne. Celui-ci s'aperçut que son apprenti compositeur faisait des vers, mais ne savait pas l'orthographe. Il l'initia à la grammaire et à la prosodie, aidant ainsi, pour sa part, à nous préparer un grand poète.
A dix-sept ans, Béranger fut rappelé à Paris par son père, qui s'était lancé dans des affaires de bourse, et qui s'associa le jeune homme. C'était l'époque du Directoire, espèce de Régence où la société, sortie des angoisses de la Terreur, semblait toucher un arriéré de plaisirs et en jouissait avec frénésie. Béranger se trouva livré à toutes les tentations de la
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grande ville, mêlé à ces flots de viveurs furieux, qui couraient à la jouissance comme on court à l'assaut, sans laisser de temps à la réflexion. Son père était lié avec tous les muscadins du temps et livra son fils à cette jeunesse royaliste, dont l'oisiveté se partageait entre les complots, les spéculations de bourse et lès plus honteux désordres. Le lien religieux, relâché de toutes parts, laissait la société flottante, comme un vaisseau qui a perdu ses ancres. Le moyen qu'un jeune homme ardent, sans éducation morale, sans famille, pût échapper aux influences d'un pareil milieu Ajoutez que le hasard l'avait fait passer subitement de la pauvreté à l'opulence. L'agiotage lui avait réussi au delà de toute espérance il émerveillait son père, qui répétait sans cesse, d'un ton de prophète, que le jeune homme serait un jour le plus riche banquier de Paris. Mais il avait compté sans les scrupules de cette conscience qui ne demandail qu'à être éclairée. La première vanité de la réussit* passée, Béranger s'interrogea plus sérieusement sui ce jeu équivoque, dans lequel il y avait toujours um victime, sinon une dupe il prit en dégoût des pro fits, qui n'étaient point le paiement légitime dm travail, mais le résultat du hasard ou du brocantage Il venait de prouver qu'il avait assez d'esprit pou faire fortune son amour-propre de débutant étai satisfait, sa délicatesse d'homme s'éclaira et déclara à son père qu'il renonçait aux opérations d bourse. Tous deux, d'ailleurs, étaient loin de s'en tendre en politique. Béranger avait rapporté d péronne des idées républicaines, qui contrariai vivement son père, associé à toutes les intrigues <
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à toutes les espérances royalistes du temps. Le désir de le convertir à ses idées fut l'occasion d'une aventure curieuse, que nous tenons de la bouche de Béranger lui-même. Son père, ayant épuisé ses moyens de conviction, l'avait adressé à un M. de la Carterie, gentilhomme de beaucoup d'esprit, en le suppliant de faire entendre raison au jeune entêté. M. de la Carterie lui développa avec beaucoup de sens les avantages de la monarchie, seul gouvernement qui pût convenir à la France il l'engagea à abandonner de folles idées pour se joindre à eux et préparer l'avènement des princes légitimes. Béranger lui objecta que ces princes lui étaient inconnus et ne lui inspiraient, par conséquent, ni intérêt ni confiance; à peine savait-il que l'un d'eux s'appelait le conate de Lille, l'autre le comte d'Artois.
« Qui vous parle de ces gens ? interrompit NI. de la Carterie, le comte de Lille, le comte d'Artois Mais ce sont les descendants d'un usurpateur je vous parle du prétendant légitime à la couronne de la France.
Et quel est ce prétendant ? demanda Béranger stupéfait.
Le descendant du Masque de fer, répondit M. de la Carterie, c'est pour lui que je travaille en secret, et j'ai l'espoir qu'il pourra monter enfin sur ce trône que Louis XIV avait enlevé à son aïeul. » Il expliqua ensuite à Béranger comment ce légitime héritier de Louis XIII vivait dans l'Ouest de la France en simple gentilhomme, mais possesseur de titres authentiques, par lesquels il pouvait prouver
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sa descendance, et il l'exhorta à se rattacher à son parti.
Lorsque notre jeune homme revint, son père ne manqua point de lui demander si les raisons données par M. de la Carterie l'avaient convaincu, et s'il comprenait enfin la nécessité de travailler au retour des princes émigrés.
«Les princes émigrés! répéta Béranger, fi donc! Ce sont des usurpateurs.
Que dis-tu, malheureux ?
Que notre seul roi légitime est le petit-fils du Masque de fer.
Es-tu devenu fou ?
C'est possible mais, en tout cas, je le devrais à celui que vous avez chargé de me rendre sage. » Et il raconta les confidences de M. de la Carterie à son père, qui poussa des cris d'indignation. « Alors, débrouillez vos affaires de famille, dit majestueusement Béranger; quand je saurai à qui appartient définitivement le trône de France,je verrai si je dois aider le propriétaire légitime à en prendre possession. »
A partir de ce moment, son père renonça à le convertir. Cependant les royalistes qu'il fréquentait, le sachant incapable de les trahir, avaient parfois recours à lui pour d'importants services. Un soir, il voit entrer dans sa chambre une dame voilée. Béranger, surpris, l'accueille avec une politesse un peu embarrassée et lui demande ce qu'elle désire; mais l'inconnue regarde autour d'elle avant de répondre et, quand son œil s'est assuré qu'ils sont seuls, elle lève brusquement son voile. C'était M. le comte de
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Bourmont, l'ancien général des insurgés de l'Ouest, dont la soumission avait été acceptée, mais qui continuait à Paris ses menées royalistes. Il expliqua àBéranger qu'il était observé par la police et qu'ayant une entrevue secrète avec quelques amis, il avait pris ce costume pour dépister ses surveillants. Il venait prier le jeune homme de lui donner le bras. jusqu'au lieu de rendez-vous. Béranger y consentit et le conduisit à la porte d'un hôtel du faubourg Saint-Germain, où il le laissa, sans avoir jamais su qui il allait rejoindre ni quel était l'objet de ce conciliabule nocturne.
A la seconde Restauration seulement, M. deBourmont, devenu tout-puissant, se rappela sans doute le service rendu autrefois par le jeune homme, car il le fit chercher et l'invita même, par le moyen des journaux, à le venir voir. Mais M. de Bourmont était alors tristement célèbre par son passage à l'ennemi i la veille de la seconde bataille de Fleurus, et par ses dépositions dans le procès du maréchal Ney, qu'il contribua, plus que personne, à faire condam-, ner. Béranger ne voulut ni le visiter ni lui répondre.
Nous avons dit comment le dégoût de l'agiotage, l'avait amené à rompre l'espèce d'association con-, tractée avec son père. Redevenu maître de son, temps, il put continuer avec plus de suite ses études littéraires. Bien qu'il manquât d'instruction classi, que, comme il l'a dit lui-même, dans une de, ses chansons
Moi qui des muses de l'école
N'avais jamias sucé le lait,
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il entreprit, à la fois, plusieurs grandes compositions d'abord une comédie, Les Hermaphrodites, puis un poème épique sur Clovis, des dithyrambes et une idylle, intitulée Le Pèlerinage. C'étaient là ses œuvres sérieuses, l'espoir de sa gloire (s'il songeait déjà à la gloire) mais, en tout cas, il y avait pour l'heure, quelque chose de plus pressant, c'était de songer à vivre. Depuis qu'il ne s'occupait plus des affaires de son père, la chance heureuse avait tourné. On en fut bientôt aux expédients Béranger en imagina un de jeune homme et de poète. Il envoya ses essais à Lucien Bonaparte, qui avait la prétention de faire des vers et qui eut assez de goût pour deviner le mérite de ceux qu'on lui soumettait. Il encouragea Béranger, lui donna plusieurs sujets à traiter, et le força d'accepter la pension qui lui appartenait comme membre de l'Institut. Un peu plus tard, en 1809, le jeune poète fut nommé expéditionnaire au secrétariat de l'Université, avec douze cents francs d'appointements. Il ne monta jamais plus haut, moins par oubli de ses protecteurs que par calcul d'indépendance. A force de se faire petit, il se trouvait au-dessous de tous les hasards administratifs nul ne songeait à lui il eût fallu se baisser pour le frapper. Puis ses fonctions d'expéditionnaire le débarrassaient de toute responsabilité, de toutes préoccupations en copiant machinalement les œuvres des autres, il pouvait penser aux siennes. Ses idées de poèmes lui roulaient toujours dans l'esprit, bien qu'il se sentit entraîné vers les chansons. Chaque fois qu'il rencontrait dans la rue Désaugiers, que les siennes avaient rendu célèbre,
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et qui ne le connaissait point encore, il se disait « Va,j'en ferais aussi bien que toi, des chansons, si je le voulais. »
Il le voulut enfin, et composa, coup sur coup, Le Sénateur, Le Roi d'Yvetot, Ma Grand' Mère, Les Gueux, et vingt autres chefs-d'œuvre. Depuis Voltaire, la poésie légère n'avait jamais été maniée avec cette élégance facile et le jeune chansonnier laissait bien loin le patriarche de Ferney pour le rythme, la précision et l'originalité. Les premières chansons ne furent point imprimées sur-le-champ, mais elles coururent manuscrites et attirèrent l'attention. Ainsi, au secrétariat de l'instruction publique, tandis que Béranger copiait les rapports de son chef de bureau, celui-ci copiait les chansons de Béranger tous deux se trouvaient expéditionnaires, l'un, de pièces administratives, l'autre, de couplets.
Ces derniers r.'étaient point, pourtant, précisément de ceux qui pouvaient attirer sur le poète les faveurs du pouvoir. Sans renfermer une satire directe du gouvernement impérial, ils raillaient tout ce qui faisait sa force la vanité, l'ambition, la gloire militaire. Le Roi d'Yvetot, qui parut en 1813, semble une protestation détournée contre les rêves gigantesque du conquérant qui gouvernait alors la France c'est un appel, plein de gaieté, à la simplicité et à la modération. On y trouve la première manière de Béranger, lorsque ses vers sont encore des vers de chansonnier, un peu lâches parfois, mais déjà alertes et colorés.
LE ROI D'YVETOT
Il était un roi d'Yvetot
Peu connu dans l'histoire,
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Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton,
Dit-on,
Ohl oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel bon petit roi c'était là i
La, la.
Il faisait ses quatre repas
Dans son palais de chaume,
Et, sur un âne, pas à pas,
Parcourait son royaume.
Joyeux, simple et croyant le bien,
Pour toute garde, il n'avait rien
Qu'un chien.
Ohl ohl oh! oh! ah ah! ah! ah! 1
Quel bon petit roi c'était là! 1
La, la.
Il n'avait de goût onéreux
Qu'une soif un peu vive
Mais, en rendant son peuple heureux,
Il faut bien qu'un roi vive.
Lui-même, à table et sans suppôt,
Sur chaque muid levait un pot
D'impôt.
Ohl ohl oh! oh! ahl ah! ah! ahl
Quel bon petit roi c'était là 1
La, la.
Il n'agrandit point ses États,
Fut un voisin commode,
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Et, modèle des potentats,
Prit le plaisir pour code.
Ce n'est que lorsqu'il expira
Que le peuple qui l'enterra
Pleura.
Oh 1 oh oh oh ah ah 1 ah ah
Quel bon petit roi c'était là 1
La, la.
On conserve encore le portrait
De ce digne et bon prince
C'est l'enseigne d'un cabaret
Fameux dans la province,
Les jours de fête, bien souvent,
La foule s'écrie, en buvant
Devant
Oh J oh ohloh! ahl ah! ah! ah 1
Quel bon petit roi c'était là 1
La, la
Cet excellent petit roi ressemblait fort peu, comme vous pouvez le voir, à Napoléon; et plus d'un détail semble une épigramme qui, pour être voilée, n'en est pas moins claire. Aussi la chanson eut-elle un grand succès au faubourg Saint-Germain, où l'on avait conservé le courage de rire à huis clos. Il est à présumer que l'Empereur qui avait souri, dit-on, en entendant chanter Le Sénateur, eût été moins content du Roi d'Yvetot, mais il avait bien 1. Bérangbr. Œuvres Garnier, édit.
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d'autres soucis. Les nations sonnaient le tocsin d'alarme avec le canon de Leipzig et, pour la première fois, nos armées revenaient vaincues. Mais la presse, asservie ou salariée, continuait à tromper la nation. Les fêtes cachaient le deuil; on chantait pour ne pas entendre les tambours ennemis et les joyeux couplets de Béranger devenaient de plus en plus populaires. Une circonstance y avait contribué. Notre poète s'était fait recevoir membre du Caveau, réunion chantante, mangeante, et surtout buvante, dont Désaugiers était président, et où les discours de réception étaient des couplets. Ceux du nouveau récipiendiaire avaient couru tout Paris. Les chansons qui suivirent, copiées par ses confrères, se répandirent de proche en proche. C'était la première fois que la muse de Collé s'égayait en vers aussi élégants s et aussi finement enchâssés dans un air du PontNeuf. Jusqu'alors elle ne s'était fait remarquer que par la drôlerie de l'allure et un certain art à approprier le rythme des paroles au rythme de la musique. A peine si, de loin en loin, un vers heureusement frappé rappelait par hasard la poésie. Béranger, au contraire, tout en conservant à la chanson sa cadence et son cliquetis, y avait introduit la versification correcte, les traits fins, les images nouvelles et choisies. Sans revenir au précieux maniéré de Desmoutiers ou du chevalier de Boufflers, il l'avait fait renoncer aux traditions triviales du xvm° siècle; il avait élargi son domaine par des haltes dans la gaieté et de subits retours, qui changeaient le rir e bruyant en sourires demi-attendris. Ainsi, aux folles joyeusetés de l'Homme Gris et de Lisette il mêlait
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les strophes charmantes, intitulées Ma Vocation (1). Béranger se décida enfin à publier, en 1814, un recueil de ses chansons sous le titre plaisant Chansons morales et autres. Malheureusement les autres étaient très nombreuses. Elles n'empêchèrent pas cependant le succès du volume peut-être même y contribuèrent-elles. L'Empire venait de crouler, la France avait besoin de s'étourdir; elle employa le même moyen que notre poète elle chanta pour se consoler. Mais l'âme patriotique de Béranger s'était émue devant le double désastre des deux invasions. 11 avait ri de l'Empire, tant qu'il avait été puissant; il redevenait sérieux devant les insultes qu'on lui prodiguait. Ces vieux soldats, transformés en brigands de la Loire, ce drapeau tricolore, proscrit après avoir flotté sur toutes les capitales de l'Europe, lui remuèrent profondément le cœur les ailes poussèrent tout à coup à la chanson et lui donnèrent le vol de l'ode. En 1821, parut un nouveau volume qui renfermait le Meux Drapeau, Le Dieu des Bonnes Gens, Les Enfants de la France, et dix autres pièces qui étaient autant d'arcs de triomphe poétiques, dressés aux gloires insultées.
On le lui eût pardonné peut-être, mais il y avait joint des couplets qui infligeaient aux excès de la réaction royaliste l'immortalité du ridicule. Cloué en vers sur cette espèce de Caucase chantant, comme un grotesque Prométhée, le nouveau gouvernement y restait exposé aux risées de la France entière. Jamais grêle d'épigrammes n'était tombée plus drue 1. Bérahger Œuvres, Ma vocation.
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ni plus meurtrière. L'auteur avait pris successivement toutes les formes tantôt celle du sarcasme, tantôt celle de la peur ainsi, à propos de la destitution d'un de ses amis, M. Dupont de l'Eure, qui avait perdu la présidence de la cour royale de Rouen à cause de son libéralisme, il lui avait adressé une chanson, intitulée Le Trembleur
Dupont, que vient-on de m'apprendre ? `?
Quoi l'on tourmente vos amis 1
J'ai des précautions à prendre
Vous le savez, je suis commis.
Dès qu'une amitié m'embarrasse,
Soudain les nœuds en sont rompus.
Bien mieux que vous, je sais garder ma place. Mon cher Dupont,je ne vous connais plus.
Du peuple obtenez le suffrage;
Moi, du pouvoir je crains les coups.
En vain la France rend hommage
A la vertu qui brille en vous
A peine j'ose vous promettre
De vous rendre encore vos saluts
Votre vertu pourrait me compromettre.
Mon cher Dupont, je ne vous connais plus
Chez nous le courage importune,
Et votre sage et noble voix
A fait trembler à la tribune
Ceux qui méconnaissent nos droits.
De vos discours on tientregistre;
Peut-être aussi les ai-je lus.
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Mais les talents ne font pas un ministre.
Mon cher Dupont, je ne vous connais plus.
Héritier de la gloire antique,
Admiré de tous les Français,
Le front ceint du rameau civique,
Sous le chaume vivez en paix.
A votre renom j'ai beau croire,
Je pense comme nos ventrus
On ne vit pas de pain sec et de gloire.
Mon cher Dupont, je ne vous connais plus (1). On comprend que de pareilles précautions ne pouvaient manquer d'amener le résultat qu'elles prétendaient prévenir. Béranger perdit sa place d'expéditionnaire, mais cela ne suffisait pas. Le terrible volume était dans toutes les mains lorsqu'on avait voulu saisir l'édition, il n'existait plus que quatre exemplaires partout où le gouvernement entendait rire, il pouvait croire que c'était de lui et qu'on lisait les chansons nouvelles. Il fallait une punition exemplaire. Béranger fut traduit devant les tribunaux. Mais il se trouva qu'on lui préparait un nouveau triomphe. Telle fut l'affluence du public pour suivre ce curieux procès, que le président de la cour d'assises ne put jamais percer la foule ni arriver à son siégé; il dut se servir d'une échelle et entrer par la fenêtre ouverte derrière l'estrade du tribunal. Ce début peu grave influa sur tout le débat. Les couplets, cités par l'accusation, firent éclater un rire général, et l'avocat du roi fut obligé de s'arrêter; évi1. Bérahgbr, OEuvres.
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demment le coupable avait tous les auditeurs pour complices.Il se réfugia alors dans les interprétations. Deux lignes de points, qui tenaient la place de deux vers, dont l'imprimeur avait demandé la suppression, furent principalement signalés comme une insulte intentionnelle à la royauté. M. Dupin prit alors la parole et présenta la défense. Tout le monde connaît la faconde un peu vulgaire, mais mordante de M. Dupin. Les quolibets, les citations latines, les aphorismes de droit s'entrelacent naturellement dans ses discours et en font quelque chose de plaisamment érudit et de trivialement judicieux, qui étonne d'abord, persuade ensuite et amuse toujours. M. Dupin n'est pas méchant, a dit spirituellement M. de Cormenin, mais quand un bon mot le démange, il faut qu'il se gratte. » Or, il avait dans l'affaire beaucoup de ces démangeaisons; aussi son plaidoyer futil une véritable mousqueterie de bons mots. Après avoir répété la définition, qu'on avait donnée de l'ancienne France une monarchie absolue, tempérée par des chansons, il défendit, l'un après l'autre, tous les couplets accusés. Béranger n'en fut pas moins condamné à trois mois de prison, et 500 francs d'amende.On paya celle-ci avec les bénéfices que donna l'impression du procès, vendue à trois mille exemplaires. Quant aux trois mois de prison, le chansonnier les solda sur-le-champ de sa personne. Mais Sainte-Pélagie ne pouvait le corriger; il y continua ses chansons. Ses amis, parmi lesquels se trouvaient Laffitte, Casimir Périer.Ternaux, voulaient le dédommager de son emploi perdu, en assurant son aisance; il repoussa toutes les propositions. Enrichi par le
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parti libéral, on eût pu voir dans ses opinions un calcul sa pauvreté était la croix d'honneur de son indépendance, il en fit sa parure. Pendant que tant d'autres s'enorgueillissaient de leur opulence récente, lui, il chantait son vieil habit.
Sois-moi fidèle, ô pauvre habit que j'aime 1 Ensemble nous devenons vieux.
Depuis dix ans, je te brosse moi-même,
Et Socrate n'eût pas fait mieux.
Quand le sort à ta mince étoffe
Livrerait de nouveaux combats,
Imite-moi, résiste en philosophe
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Je me souviens, car j'ai bonne mémoire,
Du premier jour où je te mis.
C'était ma fête, et, pour comble de gloire, Tu fus chanté par mes amis.
Ton indigence, qui m'honore,
Ne m'a point banni de leurs bras
Tous, ils sont prêts à nous fêter encore
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
A ton revers j'admire une reprise;
C'est encore un doux souvenir.
Feignant un soir de fuir la tendre Lise,
Je sens sa main me retenir.
On te déchire, et cet outrage
Auprès d'elle enchaîne mes pas.
Lisette a mis deux jours à tant d'ouvrage Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
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T'ai-je imprégné des flots de musc et d'ambre Qu'un fat exhale en se mirant ?
M'a-t-on jamais vu dans une antichambre
T'exposer au mépris d'un grand ?
Pour des rubans, la France entière
Fut en proie à de longs débats
La fleur des champs brille à ta boutonnière Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Ne crains plus tant ces jours de courses vaines Où notre destin fut pareil,
Ces jours mêlés de plaisirs et de peines,
Mêlés de pluie et de soleil.
Je dois bientôt, il me le semble,
Mettre pour jamais habit bas.
Attends un peu, nous finirons ensemble
Mon vieil ami, ne nous séparons pas (1).
Mais par bonheur l'habit devait finir avant le poète; celui-ci nous devait encore une longue série de chefsd'œuvre, et il paya fidèlement sa dette. De nouvelles chansons vinrent s'ajouter aux anciennes. Les volumes, dont on avait enlevé les couplets poursuivis, eurent plusieurs éditions; Béranger se trouva riche il avait devant lui de quoi vivre toute une année Bientôt il eut des économies. Le voilà comme le savetier de La Fontaine, embarrassé de son trésor inattendu.Un de ses amis, négociant au Havre, lui propose de prendre ses fonds; il accepte avec joie et, délivré de 1. BÉRANGER, OEuvres.
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ce souci, retourne à ses chansons. Mais, à mesure que les intentions du gouvernement contre les libertés publiques devenaient plus visiblement hostiles, la muse du poète se faisait plus agressive. Le volume, qui parut en 1828, fut l'objet de nouvelles poursuites. Cette fois, il y avait récidive la cour condamna Béranger à neuf mois de prison et à 10.000 francs d'amende. On annonça une souscription nationale, destinée à payer cette dernière somme mais, en France, les partis sont très économes tout ce qu'ils vous donnent en bruyantes sympathies, ils vous le retranchent en écus. Quand il fallut payer les 10.000 francs, Béranger se trouva être son plus fort souscripteur. Heureusement qu'un banquier, chez qui la souscription avait été ouverte, M. Bérard, lui laissa ignorer ce résultat et compléta la somme.
Quant à la longue détention qu'il fallait subir, le chansonnier s'y résigna avec sa philosophie ordinaire. On l'avait fait avertir qu'il lui suffirait de demander son élargissement pour l'obtenir, mais celui qui refusait les dons de ses adhérents ne pouvait solliciter les faveurs de ses adversaires. Il l'exprima avec beaucoup de gaieté et de délicatesse, dans une chanson composée pour la femme de son plus ancien ami et à l'occasion de sa fête.
Cependant notre chansonnier avait épuisé Routes ses réserves pendant sa longue détention, et il persistait à ne vouloir rien accepter. Heureusement qu'il lui restait l'argent confié au négociant dû Havre il se préparait à lui écrire, lorsqu'il le vit arriver un soir. Il rapportait les quelques mille francs prêtés par
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Béranger. Celui-ci, étonné de cette brusque restitution, qu'il n'avait point eu le temps de solliciter, en demande l'explication à son débiteur, qui se trouble et le presse de reprendre les billets de banque qu'il lui offre. Béranger, subitement éclairé, lui saisit la iuain
'"t." Je gage que vos affaires vont mal, lui dit-il. Eh bien 1. c'est vrai, répond le négociant, c'est pourquoi j'ai voulu vous rapporter moi-même cette somme.
Ainsi, vous craignez de ne pouvoir satisfaire à tous vos engagements "? j,
-J'en suis sûr; mon bilan est préparé; demain je le dépose.
Alors emportez cet argent s'écrie Béranger, votre amitié ne peut me créer un privilège dès que vous êtes en faillite, cet argent n'est plus à moi; il appartient à vos créanciers et je dois subir le sort commun.
Toutes les instances du négociant furent inutiles; le poète persista dans son refus et ne voulut être payé que lors de la liquidation et au -rata comme tous les autres. x ~t
Mais, dans l'intervalle, un immense événement s'accomplissait: la Révolution de Juillet. La branche atnée était partie pour l'exil; les amis de Béranger, MM. Dupont de l'Eure, Laffitte, Sébastiani, arrivaient au ministère. Leur premier soin fut de porter le nom du poète national sur la liste des écrivains auxquels une pension était accordée, en l'avertissant que, s'il le désirait, elle ne serait point annoncée dans le Moniteur, afin de lui éviter les attaques des jour-
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naux malveillants. Béranger leur répondit par ces couplets
Un ministre veut m'enrichir,
Sans que l'honneur ait à gauchir,
Sans qu'au Moniteur on m'affiche.
Mes besoins ne sont pas nombreux
Mais, quand je pense aux malheureux,
Je me sens né pour être riche.
Avec l'ami pauvre et souffrant
On ne partage honneurs ni rang
Mais l'or, du moins, on le partage.
Vive l'or Oui, souvent, ma foi,
Pour cinq cents francs, si j'étais roi,
Je mettrais ma couronne en gage.
Qu'un peu d'argent pleuve en mon trou,
Vite il s'en va, Dieu sait par où i
D'en conserver je désespère.
Pour recoudre à fond mes goussets,
J'aurais dû prendre, à son décès,
Les aiguilles de mon grand-père.
Ami, pourtant, gardez votre or,
Las j'épousai, bien jeune encor,
La Liberté, dame un peu rude.
Moi, qui, dans mes vers, ai chanté
Plus d'une facile beauté,
Je meurs l'esclave d'une prude.
Vos écus la feraient damner.
Au fait, pourquoi pensionner
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Ma Muse indépendante et vraie?
Je suis un sou de bon aloi
Mais en secret argentez-moi,
Et me voilà fausse monnaie.
Gardez vos dons je suis peureux.
Mais, si d'un zèle généreux
Pour moi le monde vous soupçonne,
Sachez bien qui vous a vendu.
Mon cœur est un luth suspendu
Sitôt qu'on le touche, il résonne (1).
Mais cette pension, qu'il refusait des ministres, la poésie allait la lui faire. Son talent, qui grandissait toujours, arrivait aux chants qui composent son dernier volume et que l'on peut comparer à ce que les littératures antiques et modernes ont produit de plus parfait. Après Les Souvenirs du Peuple et Le Juif Errant, cette légende et cette ballade du génie français, il nous donnait à la fois Le Vieux Vagabond, ce terrible cri du prolétariat, Jacques, Les Contrebañ diers, Jeanne la Rousse, Les Fous, ces chants de penseur, où la profondeur se voile sous la grâce, La pauvre Femme et Le Suicide, sublimes inspirations, qui trahissent le cœur du bon Samaritain, Les Qua. tre Ages, lumineux résumé de l'histoire du monde. Puis, dans quelques suaves retours de jeunesse dégagés cette fois de toute licence d'images, il nous transporte à Péronne, parmi ses souvenirs du pre. mier âge (2). Ces vers étaient les adieux du poète 1. Béranger OEuvres.
2. BÉRANGER: OEuvres.
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Renté' par l'éditeur qu'il avait enrichi, Béranger avait pu se retirer dans un de ces riants villages, qui sont les Tibur de la Rome française, à Passy. Le vœu qu'il avait émis d'y êtré enterré est le seul qui n'ait pas été accompli. Les échos de la voix du chansonnier, loin de mourir, semblent se prolonger en retentissements plus mélodieux. La voix des partis répète moins bruyamment ses refrains satiriques, mais celle des jeunes gens redit partout ses strophes les plus nobles et les plus touchantes.
Après avoir accompli son œuvre, comme soldat d'un drapeau et d'une époque, Béranger prend place comme poète dans toutes les époques, sous les éternelles couleurs de l'humanité. Le libéral disparaît pour laisser grandir l'homme. Ses vers montent de la rue au salon, le chansonnier devient poète, et, après avoir été. la seule propriété des rapsodes ambulants, comme Homère, il a pris place, comme lui, dans toutes les bibliothèques. Ce succès, le temps ne peut que le confirmer et l'accroître. Des deux manières distinctes, prises successivement par Béranger, la première vieillira sans doute, et l'on verra s'amoindrir à mesure la popularité vulgaire du chansonnier mais la seconde manière, celle qui nous a révélé le poète philosophe et ému, lui assure une gloire qui se raffermira chaque jour. D'autres pourront l'égaler peut-être, bien Qu'on en puisse douter, dans l'harmonie de la composition, dans la grâce éveillée des détails, dans la netteté de. l'image toujours fermement découpée, dans la formulation du vers; mais on peut affirmer que nul ne le surpassera pour l'ensemble de ses dons, que nul ne possédera
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à un plus haut degré une telle mesure, alliée à une telle vivacité, tant de goût avec tant de cœur. Béranger est, à notre avis, le plus parfait interprète de notre génie national c'est notre poète le plus complètement français. On a dit que c'était, comme Montaigne, un rusé ignorant je le trouve plutôt de la descendance de Molière et de 'La Fontaine il a la grâce narquoise de l'un et le bon sens assaisonné de l'autre. Ceux qui l'ont approché savent combien chez lui le poète est la fidèle traduction de l'homme. Jamais plus de bonhomie ne servit à déguiser plus de finesse. Observateur sans en avoir l'air, il remarque tout et a une manière, à lui, de tout dire, qui tient le milieu entre la malice et le conseil. Des parents se plaignaient un jour devant lui de leur fils, qu'une excessive indulgence avait rendu impérieux et volontaire.
Soyez donc tranquilles, leur dit Béranger, dans quelques années votre fils sera l'enfant le mieux élevé du pays.
Pourquoi cela ?
Parce que vous l'avez laissé devenir tellement insupportable que tout le monde se chargera de lui donner des leçons.
Il nous disait une autre fois, en parlant d'une jeune fille très heureusement douée, à laquelle les leçons froidement rationnelles de son père avaient ôté les charmes de son âge « C'est une fleur sur laquelle un philosophe a marché. » Cette disposition au trait ingénieux et fin lui est au reste si naturelle que tout lui en fournit l'occasion. Il faudrait des volumes pour recueillir ceux qui lui échappent à cha-
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que instant sans qu'il s'en aperçoive. La maladie elle-même ne peut éteindre la maligne gaieté de cet esprit toujours présent. Une fluxion de poitrine ayant forcé un jour de le transporter à une maison de santé, le docteur, dans le service duquel il se trouva compris, se trompa sur la nature du mal, que ses prescriptions aggravèrent d'une manière inquiétante. Par bonheur, le médecin d'une salle voisine, qui connaissait Béranger, vint le voir dans sa chambre, reconnut l'erreur de son confrère, et prit sur lui de modifier en secret le traitement. Une saignée abondante soulagea le malade mais, comme on venait de l'achever, le docteur, que l'on rectifiait, arriva et parut vivement contrarié de cet empiétement sur son service.
Il me semble, monsieur, dit-il en s'adressant à son jeune confrère, que vous chassez sur mes terres. Ne vous fâchez pas, docteur, bégaya Béranger, qui revenait d'un évanouissement, il ne vous fait pas de tort; il chasse, mais il ne tue pas.
Vous avez pu juger, d'après tout ce que nous avons dit, du désintéressement de Bôranger nous ne finirions point, si nous voulions vous parler de son dévouement pour ses amis, de sa générosité à l'égard de ses adversaires. Combien d'entre eux, dans les révolutions qui se sont succédé depuis vingt années, lui ont dû la conservation de leur emploi, ou même leur sûreté Hardi contre ce qui est puissant,il reste désarmé contre ce qui est terre. Sous la Restauration, on l'engageait à faire une chanson sur un homme d'État accidentellement en discrédit.* Attendez qu'il soit ministre », répondit Béranger.
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La modeste retraite, qu'il occupe maintenant au quartier Beaujon, est le rendez-vous de tous les malheureux sans ressources et de tous les abandonnés sans appui. La porte du poète ne leur est jamais fermée. Il écoute leurs demandes, redresse leurs idées, réprimande doucement leurs erreurs, mais s'occupe sur-le-champ de les secourir. Sa journée n'a plus d'autre occupation. A partir de midi, vous êtes sûr de voir un vieillard, encore alerte, descendre une des contre-allées des Champs-Elysées, à pied, et un bâton à la main; il commence sa journée de sollicitations lui, qui ne demande jamais rien à son pro fit, assiège sans relâche les riches et les puissants au nom de ceux qui souffrent. Sa renommée fait antichambre aux portes de tous les ministères. Si on le renvoie, il revient le lendemain, puis encore le jour suivant, jusqu'à ce que, honteux d'avoir dérangé tant de fois un homme illustre et un vieillard, le ministre se disculpe en accordant ce qu'il réclame. « J'aime surtout à être renvoyé, nous disait Béranger chaque impolitesse qu'on me fait est une apostille, ajoutée à la demande de mes protégés. » C'est grâce à cette obstination de bienveillance qu'un homme sans fortune, sans rang et sans emploi, a pu soulager plus de misères et ramener en France plus de proscrits qu'aucun des grands personnages, qui ont approché, ou même exercé, le pouvoir. Là est en partie le secret de ses refus répétés à accepter aucune faveur pour lui-même. Voulant employer son crédit au profit des faibles, il n'a pas voulu en user pour son compte; il a tenu à rester créancier, afin de pouvoir toujours demander pour les autres. Cette
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gloire et cette popularité, qui lui permettaient de tout obtenir, il les a placées successivement à la caisse d'épargne de la Royauté, de la République, ou de l'Empire, afin d'en distribuer l'intérêt à ceux qui ne pouvaient avoir d'autre soutien que lui.
Cependant nous ne devons rien déguiser. Dans cette glorieuse destinée de l'adorateur du Dieu des bonnes gens, il reste un triste nuage nous voulons parler de celles de ses chansons, qui salissent plusieurs pages de son admirable recueil. Comment une raison si haute, un goût si délicat, une si fraîche imagination, ont-ils pu descendre à quelque chose de pareil? Par quelle inconcevable contradiction l'auteur des Follets, de Maudit Printemps, de la Pauvre Femme, et de tant d'autres inspirations gracieuses ou touchantes, a-t-il pu essayer d'autres chants, dont nous ne voulons pas indiquer les titres? La vie même de Béranger répond à cette question. Vous avez vu dans quelles conditions il était né, il avait grandi, quelle société il trouva, en arrivant à Paris, sous quel aspect la vie lui apparut, et vous pouvez comprendre combien le redressement de tant de fausses directions dut êtie lent et difficile. Béranger avait recueilli la chanson à la porte du cabaret, parlant encore le langage obscène de Collé et de Piron ou le langage aviné de Désaugiers. Il succédait, dans la poésie légère, à Bertin et à Parny. Le moyen de ne pas céder d'abord à tant d'exemples contagieux 1 Ses plus regrettables chansons, comparées à celles de ses prédécesseurs, ont une incontestable réserve; elles évitent au moins le cynisme, et répugnent toujours à la grossièreté. Mais ces méri-
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tes mêmes ne les rendent que plus dangereuses le poison est servi dans une coupe d'or. Nous avons dû le dire; on nous permettra de ne point insister davantage sur un blâme, qui est aussi un regret. Les déclamations contre les faiblesses ou les fautes d'une grande intelligence sont faciles; on peut, avec M. Veuillot, envelopper les plus nobles inspirations de Béranger dans la condamnation qui frappe justement plusieurs de ses chansons, et prétendre réparer le mal, qu'il a pu faire, par des sophismes ou des injures; mais nous ne sommes pas de ceux qui pansent les plaies avec de la boue. Quand un grand poète, un génie que nous admirons, s'est oublié, nous croyons de notre devoir d'imiter les fils de Noé, en détournant les yeux avec tristesse et jetant un manteau sur la nudité de notre père.
Au reste, tout ce que nous avons dit, tout ce que l'on pourra dire sur Béranger, ne fera jamais mieux connaître son talent et lui, que ces huit vers qui pourraient être gravés un jour sur la pierre, comme sa véritable épitaphe.
J'ai suivi plus d'enterrements
Que de noces et de baptêmes;
J'ai distrait bien des cœurs aimants
Des maux qu'ils aggravaient eux-mêmes.
Mon Dieu, vous m'avez bien doté
Je n'ai ni force ni sagesse
Mais je possède une gaieté
Qui n'offense point la tristesse (1)
1. BÉRANGER OEuvres.
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HUITIEME LEÇON
Cours à la Sorbonne et au Collège de France. SOMMAIRE
I. Cousin. Ses années d'études. Son entrée à l'École normale, comme élève, puis comme professeur. Son enseignement à la Sorbonne marque l'avènement d'une philosophie nouvelle, faite d'aspirations généreuses, élevées, éprise de liberté et de droit, antithèse du sensualisme condillacion, déjà modifié par Laromiguière, abandonné et combattu par Maine de Biran et Royer-Collard. Cette philosophie porte ombrage à la Restauration. Le cours de Cousin est suspendu en 1820, puis rétabli en 1828. – Lorsqu'il remonte dans sa chaire, Cousin est en possession d'une doctrine, l'éclectisme. La philosophie a son origine dans la constitution morale de l'homme: elle vient, dans l'évolution intellectuelle, après l'industrie, le droit, les arts et la religion; elle est le dernier progrès de la pensée. – L'histoire nous la montre enveloppée dans les religions, développée dans la science. C'est elle qui donne un sens à l'histoire, qui éclaire la marche de l'humanité. – Elle est la raison explicative. Trois notions fondamentales de la raison le fini, l'infini et leur rapport; d'où trois systèmes le sensualisme (doctrine du fini), l'idéalisme (doctrine de l'infini) et l'éclectisme (synthèse du fini et de l'infini, conciliation de l'idéalisme et du sensualisme) et trois politiques monarchie, démocratie, gouvernement représentatif'. La prestigieuse éloquence de Cousin, mise au service de cette doctrine, en dissimulait le caractère artificiel et les tendances. Elle aboutissait, en somme, à l'apologie du succès et de la force.
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Elle était un compromis, une illusoire union des contraires. Fin de l'éclectisme, abandonné par M. Cousin lui-même, qui s'est tourné vers les travaux d'érudition, et s'est fait l'historien des grandes dames du xvn» siècle (M»" de Sablé, de Longueville).
II. Villemain. Ses études brillantes, sa mémoire prodigieuse, son esprit prompt et alerte, ses succès académiques, les qualités aimables de son esprit et la souplesse de son caractère, tout explique et justifie les succès de sa carrière universitaire. Une anecdote significative. Le caractère de son enseignement, d'après Sainte-Beuve. Conférencier spirituel, aux aperçus fins et ingénieux, il fut, dans l'histoire de la littérature, un novateur aujourd'hui dépassé. Ses études sur le moyen âge et sur le xvnie siècle.
III. Guizot. Ses débuts comme précepteur. Histoire de son mariage avec Pauline de Meulan. Son premier enseignement à la Faculté des Lettres (1812). Fermeture de son cours en 1825. Essais sur l'histoire de France. L'Ilistoire de la Révolution en Angleterre: les faits de l'histoire, expliqués par l'analyse des sentiments et des idées. L'Histoire de la civilisation en Europe, sujet du cours de 1828. La maîtrise du professeur. Son éloquence accomplie. Élévation et profondeur de son enseignement. L'enseignement de la Sorbonne prend fin en 1830. Il perd alors ses professeurs d'ailleurs, il n'a plus de raison d'être. Un autre enseignement devait avoir prise sur les esprits, celui du Collège de France. L'Herminier. Michelet et Quinet. Comment s'éveilla la vocation historique de Michelet. – Son Histoire de France. L'évocation du moyen âge. – Michelet, comme professeur au Collège de France, trompe l'attente de tous, quitte l'étude de l'histoire pour l'étude des questions morales et politiques.
Nous avons promis, dans la séance précédente, un examen rétrospectif des cours, qui ont, pendant plus de trente ans, illustré successivement les chaires de la Sorbonne et du Collège de France et qui, avec la tribune et la presse, aidèrent à répandre, ainsi que
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nous l'avons déjà dit, les idées trouvées ou reprises dans le travail contemporain des esprits. En parlant des différents systèmes philosophiques qui fixèrent alors l'attention, nous avons annoncé l'espèce de révolution tentée par M. Cousin. Son nom se présente donc à nous le premier, et nous sert, pou? ainsi dire, de trait d'union entre cette leçon et la précédente (1).
Né au milieu de la tourmente révolutionnaire, le 28 novembre 1792, dans la plus humble condition, M. Cousin ne semblait devoir espérer aucun desmoyens d'instruction indispensables aux intelligences les plus heureusement douées. Toutes les écoles étaient fermées, les professeurs en fuite, cachés, ou le fusil sur l'épaule à la frontière. Mais quelques années suffirent pour faire sortir une nouvelle société de ce chaos. Quand l'enfant se trouva en âge de recevoir un enseignement, les lycées étaient organisés, de nouveaux professeurs occupaient les chaires, et les études auraient repris toute leur ardeur sans ce perpétuel bruit de tambour et ces retentissements de victoire, qui détournaient l'attention de la jeunesse et l'attiraient irrésistiblement vers les champs de bataille. M. Cousin ne céda point à cette fascination guerrière. Dès lors, amant passionné de l'idée, il ne prêtait qu'une oreille distraite aux coups de canon qui annonçaient chaque semaine une bataille gagnée ou une ville prise d'assaut. Les conquêtes de Descartes, de Bacon, de Leibnitz, l'intéressaient bien autrement que celles de Napoléon, et il "eût 1. En réalité, ce n'est pas dans la précédente leçon, mais dans la première, que Cousin est nommé. (Note de l'éditeur).
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donné Wagram et Austerlitz pour la moitié du Discours sur la Méthode. C'était du reste un élève bizarre, gesticulateur, tantôt parlant sans mesure, tantôt s'enfermant dans de longs silences, mais déjà très sensible à l'art, et tellement épris de musique que pendant longtemps l'ambition du futur philosophe fut de faire un opéra. Pendant plusieurs mois, on le trouvait dans tous les coins, battant la mesure et fredonnant des roulades.
Cependant, lorsque ses succès sans exemple au grand concours eurent fixé sur lui les yeux, le ministre, M. de Montalivet, lui proposa d'entrer dans les fonctions publiques en lui promettant une promotion rapide il préféra se faire recevoir à l'École normale. Il fuyait déjà le fait pour cultiver plus librement l'idée.
On le nomma d'abord répétiteur de littérature grecque, puis professeur de philosophie.
Ce dernier enseignement avait subi de notables changements depuis quelques années. Pendant longtemps, le sensualisme avait été professé en pleine chaire de Sorbonne. Les professeurs, qui y étaient successivement montés, avaient tous placé près d'eux la fameuse statue, inventée par Condillac, l'avaient fait voir percevant les idées, à l'éveil de chacune de ses facultés sensitives, et devenant un être pensant par les seules conquêtes des sens. Dieu était ainsi dépossédé de la créature, et celle-ci, délivrée de son âme. Ce n'était plus qu'un composé d'organes en mouvement, un automate plus parfait que ceux de Vaucanson.
Les conséquences d'une pareille philosophie n'ont.
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pas besoin d'être indiquées. Elle avait fait de l'homme une simple force, qui agissait en raison du hasard de sa constitution; la société n'était plus qu'une combinaison plus ou moins heureuse de tempéraments divers, ballottée entre le bien ou le mal selon la prédominance du chiffre des bons et des méchants. L'humanité se trouvait transformée en une sorte de grand livre par doit et avoir; à la place de la Providence, on avait une balance de comptes entre les instincts.
C'était là qu'en était resté l'enseignement, lorsque M. de Laromiguère y apporta quelques changements^). Il distingua les idées de la sensation, en prouvant que celle-ci ne les produisait pas toutes et que plusieurs nous venaient sans l'intervention des sens. Vers la même époque, Maine de Biran expliquait l'homme, non plus par la sensation, mais par la volonté, regardée comme principe générateur de toutes les opérations de l'intelligence.
M. Royer-Collard, appelé à la chaire de la Sorbonne en 1811, rompit définitivement avec Locke et Condillac, pour adopter les doctrines de l'École écossaise. Celle-ci, substituant le rationalisme au sensualisme, soutenait que les notions de notre entendement venaient d'un sens intime, distinct de nos facultés sensitives, et auquel nous devions la perception du juste et de l'injuste, du moi et du nonmoi.
1. Cotte page se trouve déjà dans la première leçon. Nous avons cru devoir la reproduire pour ne pas interrompre la suite des idées, et pour laisser à ce cours son caractère d'œuvre inachevée. (Note de l'éditeur).
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M. Cousin, en succédant à M. Royer-Collard, adopta ces idées et les combina bientôt avec le spiritualisme allemand. Il établit l'indépendance de la raison et de la volonté, qu'il montra libres des sens; il soutint que les phénomènes rationnels et volontaires pouvaient être vérifiés par l'observation expérimentale dans leur rapport avec les sens, et que rien ne s'opposait enfin à ce que la science de l'âme devînt une science positive, sans que l'on portât atteinte pour cela à l'immatérialité de son essence. Ces doctrines, encore un peu confuses dans l'esprit du jeune professeur, étaient exposées par lui à des jeunes gens de l'École normale ou des collèges avec une éloquence inégale, mais pleine de prestiges. En le voyant assis dans cette chaire, maigre, pâle, l'œil en feu, les cheveux flottants, on était saisi d'une sorte de sympathie respectueuse pour cette intelligence qui s'élançait sur toutes les routes, au galop de ses bons désirs, en cherchant si elle n'apercevait point à l'horizon la vérité Alors, il n'y avait point encore, chez M. Cousin, d'infatuation de luimême il aimait la philosophie avec le désintéressement de la passion et ne cherchait point l'effet de sa parole sur l'auditoire uniquement occupé de lui faire traduire sa pensée, il luttait avec une sorte d'acharnement contre son insuffisance il s'efforçait de sortir des bégaiements d'un système, dont les parties flottaient encore, attendant leur plan et demandant leur formule. On le voyait hésiter, courir çà et là, sans voir bien clairement devant lui, mais insurgé contre le matérialisme et la doctrine de l'intérêt, n'en voulant plus à aucun prix.
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« Assez longtemps, s'écria-t-il un jour avec l'emportement d'une noble aspiration, « assez longtemps nous avons poursuivi la liberté à travers les voies de la servitude nous voulions être libres avec la morale des esclaves. Non, la statue de la liberté n'a point l'intérêt pour base, et ce n'est pas à la philosophie de la sensation et à ses petites maximes qu'il appartient de faire les grands peuples. »
Ces éloquentes aspirations, car ce n'était point encore là des enseignements, échauffaient les jeunes âmes de l'auditoire. Après chaque séance, quelques élèves de l'École normale, quelques étudiants des Facultés attendaient le professeur au passage, et la discussion de ces grands problèmes, commencée dans la chaire, reprenait dans l'amphithéâtre, se poursuivait dans la rue, ne s'arrêtait qu'au seuil du professeur, pour recommencer à la leçon prochaine. Jamais, depuis les débats théologiques du xvm siècle, les purs intérêts de l'âme n'avaient repris tant d'autorité ni allumé tant de fiévreuses inquiétudes. La Restauration, qui aurait dû, ce semble, voir avec joie ce réveil des plus nobles besoins de l'homme, mis en oubli trop longtemps, la Restauration s'inquiéta. Vainement M. Cousin avait prouvé sa haine pour le despotisme impérial, en se faisant volontaire royaliste en 1815 vainement il s'était séparé avec éclat du libéralisme bonapartiste et avait osé compromettre sa popularité elle-même, en affrontant l'opinion nationale et déclarant en pleine Sorbonne qu'à Waterloo c'était le bon droit qui avait vaincu le pouvoir s'inquiétait de l'entendre mêler sans cesse à son royalisme l'éloge de la liberté. Le clergé
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s'effrayait de ce spiritualisme qui ennoblissait l'âme, sans la ramener au joug clérical. Depuis longtemps, on cherchait un prétexte pour imposer silence à cette voix dont la puissance grandissait d'année en année. Il fut enfin trouvé. Dans une de ses leçons, M. Cousin, ayant défini l'homme: une force libre, compléta si magnifiquement cette définition par la peinture des devoirs et droits du citoyen que la salle entière éclata en applaudissements. Le soir même, on lui apprit que son cours était suspendu.
La parole ne lui fut rendue qu'au bout de huit années, sous le ministère Martignac il reparut à la Sorbonne, avec ses deux illustres collègues, MM. Guizot et Villemain tous trois remontaient en même temps, aux acclamations d'une génération nouvelle, dans cette chaire encore pleine de leurs souvenirs. M. Cousin y revenait cette fois avec des idées plus arrêtées, sinon plus certaines. Une étude patiente l'avait initié à la philosophie allemande, dont il avait adopté beaucoup de principes, mais sans exclusion d'écoles, et en s'efforçant de retrouver, dans chacune d'elles, les fragments de la vérité qui ne lui semblait entière dans aucune. Il apportait enfii? ce fameux système de l'éclectisme, si décrié aujourd'md par ceux qui en ont tant abusé, et pour cela mênw, sans doute.
Le mot, qui fit d'abord le succès du système par son étrangeté, n'avait pourtant rien de neuf il avait été simplement oublié. Diderot s'en était servi pour expliquer le choix intelligent d'un esprit philosophique, qui veut tout examiner. « L'éclectique, avait-il dit, est celui qui, foulant aux pieds les préjugés, la
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tradition, l'ancienneté, l'autorité, en un mot, tout ce qui subjugue la foule des esprits, ose penser par luimême. » C'est ce que nous appellerions aujourd'hui un libre penseur! M. Cousin donnait au mot d'éclectisme un tout autre sens, comme nous le verrons tout à l'heure.
L'objet de son cours était l'Histoire de la Philosophie, mais ses premières leçons furent consacrées au développement d'idées générales qui devaient servir d'introduction à cette histoire.
Nous vous demandons pardon, si nous sommes forcés d'entrer ici dans un ordre d'idées plus ardues et où vous aurez besoin d'un peu plus d'efforts pour nous suivre mais, dans ce rapide tableau du travail intellectuel de la France depuis trente ans, il ne dépend pas de nous d'éviter les routes montueuses résignez-vous donc à un peu de philosophie, et tâchez de prendre votre plaisir en patience.
M. Cousin commence par déclarer que la création a été donnée à l'homme, comme base de son travail, et ne lui appartient qu'à ce titre. Le monde est à lui, pour qu'il y applique les facultés reçues de Dieu.
Il s'attaque d'abord à la matière, qu'il transforme, et il en résulte l'industrie.
Puis, il se regarde lui-même, découvre dans son for intérieur le sentiment du juste, et cette justice organisée devient l'état, qui maintient par les lois les libertés réciproques.
Il est, de plus, frappé par ce qui est beau, repoussé par ce qui est laid, et il crée les arts.
Enfin il veut une cause au monde, à la vie, et il
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conçoit Dieu. Ses rapports avec ce maître invisible forment la religion et il arrive à la foi.
Mais à celle-ci succède la réflexion, d'où naît la philosophie car la philosophie n'est autre chose que la réflexion, élevée au rang et à l'autorité d'une méthode. Elle est donc le couronnement de tout ce travail qui constitue l'humanité c'est le dernier progrès, le dernier affranchissement de la pensée. Elle est l'intelligence absolue, l'explication absolue de toutes choses.
Vous le voyez donc, la philosophie est une conséquence de la constitution morale de l'homme, une nécessité de sa nature mais son importance n'est pas constatée seulement par l'étude de l'individu, t elle l'est également par celle de l'humanité. Prenez les annales du monde, en remontant aussi loin que vous le pouvez celles de l'Orient, par exemple. Qu'y voyez-vous ? La philosophie, liée à la religion. Elle passe dans les mystères, qui sont des explications rationnelles des dogmes ou des symboles et qui, dès lors, relèvent de la réflexion, non de la foi. Seulement la philosophie est ici à l'état d'enveloppement.
Plus tard, lorsque nous voyons Socrate créer le mouvement de réflexion dans la société hellénique, la philosophie passe de l'état d'enveloppement à l'état de développement elle se sépare, elle se distingue on la reconnaît et on la nomme.
Ce développement se continue jusqu'à Descartes, qui élève la réflexion libre à la hauteur d'une méthode et qui, en réalité, complète ainsi la science philosophique. Grâce à lui, le nombre des penseurs,
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des esprits libres, des philosophes, est allé toujours grandissant et grandira encore avec la civilisation croissante. Cette explication de ce qu'il faut entendre par philosophie entraîne cette conséquence: c'est que l'histoire d'une pareille science doit être la plus importante de toutes, ou plutôt qu'elle seule donne un sens à l'histoire; car c'est la réflexion consciente d'elle-même, c'est-à-dire la philosophie, qui donne à une époque l'idée de ce qu'elle est. Sans cette réflexion, on n'a que les faits; avec elle, on a leur signification, on perçoit le côté véritablement supérieur de l'histoire.
Or,qu'est-ce que l'histoire? C'est le développement de l'humanité. Le seul moyen de comprendre l'histoire est, par conséquent, de connaître l'humanité. Mais chaque homme résumant le monde, les éléments de l'humanité entière sont compris dans la raison humaine. Celui qui a découvert les éléments constitutifs de cette dernière sait donc l'humanité par l'homme et pénètre le sens de l'histoire.
Eh bien, la raison humaine ne contient que trois notions, desquelles ressortent toutes les autres L'idée du fini, l'idée de l'infini, le rapport entre ces deux idées.
Ces trois notions sont tout l'homme, et seront, par suite, toutes les sociétés ou toute l'histoire. C'est en les étudiant que l'on arrivera à pénétrer le sens des évolutions du genre humain. Elles sont nécessairement au fond de toutes les philosophies mais il s'agit de les en dégager, de coordonner leurs conséquences, d'arriver enfin à un système, qui
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serve à expliquer tous les phénomènes de l'individu et de l'humanité.
Ce système existe-t-il ? Non. Jusqu'ici les mille doctrines philosophiques, qui ont agité les esprits, peuvent se résumer en deux écoles, toutes deux absolues et, par suite, incomplètes le sensualisme et l'idéalisme. Impossible d'en trouver une troisième qui, en l'analysant à fond, ne rentre dans l'une ou dans l'autre. Il ne reste donc plus qu'un moyen s'efforcer de réunir ces deux systèmes dans un ensemble qui embrasse et concilie les principes desquels dérive chacun d'eux. C'est là ce que M. Cousin appelle l'éclectisme.
Je ne sais si j'ai réussi à exposer, avec quelque clarté, le raisonnement qui le conduit à sa philosophie de compromis, comme il la nomme lui-même. En tous cas, j'espère vous avoir fait comprendre le fond de ce système, dont la prétention est de satisfaire le troisième élément de la raison humaine. Selon M. Cousin, en effet, le premier de ces éléments, l'in fini, aurait été représenté par l'idéalisme; le second, le fini, par le sensualisme; son système à lui, l'éclectisme, établirait le rapport du fini avec l'infini. Il compléterait l'évolution de l'esprit humain dans l'ordre des idées, comme il complète celui des sociétés dans l'ordre des faits car celles-ci, après avoir débuté par les gouvernements théocratiques et autocratiques, lesquels correspondent aux notions de l'infini, pourtraverser les gouvernements féodaux et républicains, qui se rattachent à lanotion du fini, en sont arrivées aux gouvernements représentatifs, qui sont le rapport du fini à l'infini, c'est-
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à-dire un véritable éclectisme entre la monarchie et la démocratie.
J'ai quelque regret, je l'avoue, de vous exposer ainsi, dans une sèche analyse, des idées qui tirent leur principal mérite de la forme admirable dont elles sont revêtues. M. Cousin est le seul professeur qui nous ait fait concevoir ces enseignements antiques, où la parole du maître, enflammée par le souffle intérieur, courait sur les disciples comme une contagieuse influence et enfiévrait toutes les âmes de sa conviction. Lorsque nous l'entendîmes pour la première fois, en 1828, il n'avait déjà plus sa pâleur et l'exaltation un peu effarée de ses débuts la persécution l'avait mûri, la gloire l'avait calmé il se sentait à sa place et capable de l'occuper avec éclat. Aussi son enthousiasme s'était-il tempéré il en restait maître l'ardeur était devenue de la puissance. Au moment ou il paraissait devant cet immense amphithéâtre, tapissé de têtes agitées et parlantes (car en France, une heure de silence forcé est chose sérieuse et, pour se dédommager d'avance, tout l'auditoire parle à la fois, en attendant le professeur), l'amphithéâtre, disons-nous, s'interrompait brusquement. Le professeur gagnait sa chaire d'un air pensif. 11 y avait une pause; puis la voix s'élevait, un peu lentement d'abord, mais grave, austère; bientôt elle s'animait, l'œil du philosophe semblait s'illuminer; les paroles, un moment en lutte avec la pensée, accouraient sur ses lèvres, ardentes et pressées on sentait la lumière grandir au dedans, comme un soleil qui se lève les dernières ténèbres se dissipaient, tout devenait visible et splendide.
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M. Cousin ne démontrait plus sa pensée, il la faisait voir, il l'imposait. Les esprits les plus réfractaires devaient céder à cette éloqueme impérieuse, qu n'avait qu'à passer pour emporter tous les doutes dans son tourbillon.
L'applaudissement était rare, pourtant. L impression produite sur l'auditoire tournait plutôt au recueillement qu'à la manifestation admirative; vigoureusement entraîné vers une contemplation intense, on oubliait le professeur pour la chose professée, et l'on sortait livré à une sorte d'ivresse métaphysique. C'était seulement lorsqu'elle s'était dissipée, que la mémoire, en repassant les idées émises par le philosophe éclectique, éveillait les objections. On se demandait alors, si ces trois éléments de la raison humaine, le fini, l'infini et les rapports entre tous deux, pouvaient être ainsi séparés, soit dans l'homme, soit dans l'humanité, et s'ils ne se trouvaient pas toujours associés dans chaque être et dans les sodétés. On commençait à penser que ces divisions n'étaient que des moyens de décomposition artificiels, comme les parties de la plante en botanique, comme les parties du discours en grammaire, et que supposer une philosophie, ou une nation, correspondant seulement au fini, à l'infini, ou aux rapports de l'un à l'autre, c'étaitsupposer une plante, n'ayan t que le pistil, ou une langue n'ayant que le substantif. Puis, étudiant les conséquences du système, dégagé de toute fascination de parole, on y trouvait tout ce que les Allemands avaient introduit d'e-ces sif dans leur philosophie de l'histoire. Chaque race ainsi destinée à un rôle spécial et restreint, n'était
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plus qu'un colosse aveugle, tournant la meule du temps sous le fouet de la fatalité. Sa place géographique lui était fixée; ses institutions, subordonnées à sa mission, ne pouvaient espérer aucune transformation l'histoire de chaque peuple n'était pas une improvisation, dont il était responsable, mais une sorte de répétition macHnale d'un poème écrit parla Providence. Dès lors, les grands hommes devenaient de simples instruments, destinés à résumer, dans un moment voulu, l'activité d'une nation, et l'on ne leur devait ni admiration ni reconnaissance les guerres devaient être regardées comme la lutte entre une évolution sociale, qui s'achève, et une autre, qui doit lui succéder elles étaient un moyen inévitable de progrès, et la victoire était toujours juste, car elle ne faisait que révéler l'avènement des idées dont l'heure était sonnée ainsi plus de pitié pour les victimes, plus d'anathèmes pour les bourreaux. Les bourreaux étaient les exécuteurs redoutables de la volonté divine les victimes, des retardataires, dont il avait fallu débarrasser la route de l'humanité. Le « malheur aux vaincus du Brenn gaulois se trouvait transformé en toute une philosophie.
Et que restait-il alors de la conscience humaine, si ses inspirations pouvaient nous jeter en travers de la volonté de Dieu ? Si ce qu'elle donnait pour le droit devenait une révolte contre la loi providentielle, si mourir pour sa foi n'était louable qu'à la condition de la voir triompher, où était désormais la règle, l'appui, la consolation ? Quelle sécurité restait-il au dévouement ? A ces paroles du Christ: « Paix aux
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hommes de bonne volonté », M. Cousin substituait « Paix aux hommes que le succès a couronnés. » Et si de ces considérations historiques on remontait au principe même de l'éclectisme, que de nouvelles objections M. Cousin nous présentait deux systèmes diamétralement opposés et absolus, il le déclarait lui-même. Or, ils ne pouvaient évidemment être tels que par leurs principes et c'étaient ces principes absolus et contraires qu'il fallait concilier pour constituer l'éclectisme. Concilier deux absolus contradictoires La seule énonciation d'une pareille espérance prouvait l'impossibilité de l'accomplir. Aussi la conciliation de M. Cousin n'était, en réalité, qu'une de ces transactions à l'amiable, où chaque parti abandonne quelque chose, c'est-à-dire délaisse son principe. Le fini renonçait à ses limites, l'infini en acceptait, et tous deux parvenaient ainsi à se rencontrer, sans s'apercevoir qu'ils n'y avaient réussi qu'en renonçant à être eux-mêmes.
Au reste le succès de l'éclectisme fut de courte durée et, si M. Cousin est resté fidèle à sa doctrine de la légitimité des défaites, il doit aujourd'hui reconnaître lui-même que son système n'était pas la vérité. Il semble en avoir pris son parti et, abandonnant les études qui avaient passionné sa jeunesse et illustré sa maturité, il s'est retourné, tout entier, depuis quelques années, vers de minutieuses recherches biographiques sur les grandes dames du xvn' siècle. Socrate a renoncé à la philosophie pour compulser les correspondances d'Aspasie. La Revue des Deux Mondes a déjà publié des travaux étendus de l'ancien professeur de la Sorbonne sur M- de Sablé
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et sur Mme de Longueville cette dernière semble spécialement le préoccuper et on peut dire qu'elle est devenue pour M. Cousin une passion avouée. En ceci, l'artiste a évidemment absorbé le philosophe. Las de discussions, d'incertitudes et de métaphysique, ce dernier s'est réfugié dans les sphères élégantes · de la galanterie du grand siècle et s'est mêlé en imagination à ces mille intrigues, entrecoupées d'amours changeantes, de confessions et de prises de voile. C'était peut-être arriver un peu tard au roman, mais les philosophes ne sont pas plus à l'abri que les autres hommes de ces retours de jeunesse et il y a des étés de la Saint-Martin pour les cœurs bien conservés. Au point de vue de l'art, c'est d'ailleurs un véritable phénomène que les ressources nouvelles dont M. Cousin a fait preuve dans ses études de biographie sentimentale. On cherche comment le traducteur de Platon, le vulgarisateur des philosophes allemands, le commentateur de la scolastique du moyen âge, a pu trouver en lui ces finesses de style, dont M. Sainte-Beuve avait eu longtemps le secret, et ces mille touches délicates, qui semblent annoncer une main uniquement exercée à peindre les plus fugitives nuances du sentiment. M. Cousin a prouvé encore une fois que la véritable force contenait aussi la grâce. Cependant nous ne voudrions pas que la preuve se prolongeât outre mesure et qu'après avoir quitté Abélard et Pascal pour les ruelles du siècle de Louis XIV, M. Cousin s'y oubliât trop longtemps. L'âge et le caractère ont leurs exigences de dignité, qui ramèneront le philosophe, nous l'espérons, à des problèmes plus grands s
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que celui de savoir laquelle des grandes dames de la France écrivait-le mieux une lettre d'amour. Une pareille question semble,en effet, rentrer plutôt dans le domaine de la littérature que dans celui de 1. philosophie et appartenir moins à M. Cousin qu'à M. Villemain, son ancien collègue, pendant quinze ans, à la Faculté des lettres de Paris, et dont les succès n'y eurent pas moins d'éclat que ceux du philosophe.
Ce fut en 1816 que M. Villemain fut nommé professeur en Sorbonne, mais il s'était déjà fait connaître depuis longtemps par ses triomphes de collège et d'Académie. Elevé dans le pensionnat de M. Planche, l'auteur du lexique grec, il avait approfondi l'étude de cette langue, alors très peu cultivée. A douze ans, il jouait le rôle d'Ulysse dans une tragédie de Sophocle et, aujourd'hui encore, il se plaît parfois à réciter son rôle, dont il n'a pas oublié un seul vers. La mémoire de M. Villemain est, au reste, un de ces prodiges qui suffisent seuls pour conquérir une renommée. Lorsque ses fonctions universitaires l'obligaient à inspecter les collèges de Paris, il allait de classe en classe, faisant expliquer les auteurs, sans jamais s'aider du texte imprimé, et redressant de mémoire la moindre faute de lecture ou le moindre dérangement de mots. Il avait retenu tous les classiques, depuis la première ligne jusqu'à la dernière. Une telle mémoire, soutenue d'assurance et aidée par le goût, explique comment M. Villemain, élève de rhétorique sous M. Luce de Lancival, pouvait, à quinze ans, remplacer le professeur lorsqu'une indis-
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position le retenait au logis. On comprend également la protection de M. de Fontanes, qui trouvait dans le jeune lauréat les qualités qu'il était le plus capable d'apprécier, c'est-à-dire une faculté fleurie, de l'érudition mondaine, et une disposition à suivre les événements plutôt que des principes trop rigoureux. Ce premier appui ouvrit la carrière à M. Villemain son heureuse nature fit le reste. Couronné une première fois à l'Académie pour l'Éloge de Montaigne, qu'il avait écrit en huit jours, il le fut de nouveau, en 1814,pour son discours sur les Avantages et les inconvénients de la Critique. Les Bourbons venaient de nous être ramenés par les puissances coalisées les Cosaques campaient aux Champs-Élysées; le roi de Prusse et l'empereur Alexandre assistaient à la séance de l'Académie. Le lauréat, qui n'avait que vingt-trois ans, fit précéder la lecture du discours couronné d'un compliment adressé aux deux illustres auditeurs. Le fond n'avait rien de particulier c'était ce thème rebattu dont les tètes couronnées ont la bonté de se montrer satisfaites, depuis qu'il existe des têtes couronnées. L'un des souverains fut comparé au grand Frédéric, l'autre à Marc-Aurèle; mais la banalité de l'éloge était relevée par la bonne grâce de la diction. Les royalistes enthousiastes avaient d'ailleurs poussé la louange, dans ces derniers temps, à de si risibles exagérations que ne pas être ridicule suffisait pour se distinguer. Tout le monde sut gré à M. Villemain de sa mesure et, lorsqu'un nouveau prix lui eut été décerné, en T8Ï6, pour V Éloge de Montesquieu, la Restauration l'appela à la chaire de littérature avec l'approbation de tous les partis.
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Il faut dire, au reste, que cette chance heureuse semble avoir suivi M. Villemain dans toute sa carrière. Professeur, il n'a trouvé que des admirateurs écrivain, la critique lui a été amie homme politique, il a soulevé des oppositions, mais jamais de haines. Il doit cette constante bonne fortune à la nature de son talent et à son caractère. Le premier a toujours évité les partis pris et a perpétuellement flotté sur les bords de tous les systèmes avec une sorte d'impartialité gracieuse le second a su demeurer conciliant dans de justes limites et honorable avec souplesse. M. Villemain a su rester le Philinte de Molière, sans arriver jamais à celui de Fabre d'Eglantine il a rentré les coudes naturellement, sans calcul, et s'est trouvé faire son chemin entre tous les partis, avec l'aisance des gens nés pour réussir. Malicieux, mais jamais blessant, il sait aiguiser son amabilité de railleries qui chatouillent sans faire | souffrir en butte à ses épigrammes.on en rit comme d'une taquinerie amicale, on lui en sait gré, et ses bons mots lui ont peut-être fait autant d'amis que ses éloges. C'est que le fiel manque à cet esprit charmant, qui semble se jouer dans la parole. « Villemain, disait Béranger, est un jeune chat qui pelote quand il vous griffe une main, on n'en fait que rire et on lui tend l'autre. » A l'époque de la plus grande ferfveur Saint-Simonienne,le philosophe Gauss, venu à Paris pour étudier la nouvelle école, réunit ses principaux adeptes dans un dîner au Rocher de Cancale. M. Villemain, qu'il connaissait, y fut également invité par lui et se trouva un peu surpris des convives que son amphitryon allemand lui avait associés. L'ancien
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professeur occupait alors, en effet, des fonctions importantes dans le gouvernement, et les SaintSimoniens commençaient leurs démêlés avec la police correctionnelle tout autre que le spirituel académicien eût trouvé la position embarrassante il l'accepta gaiement, se prêta aux discussions qui furent provoquées, et les réduisit par sa finesse aux proportions d'un débat enjoué. En vain les chefs de la nouvelle hérésie s'efforcèrent de le compromettre dans une argumentation sérieuse, dont leur journal n'eût pas manqué de rendre compte le lendemain, il leur échappa toujours par quelque plaisanterie, qui le prémunissait contre le compte rendu du Glohe. Cependant, au moment de se séparer, un des SaintSimoniens posa la main sur son épaule et lui dit avec solennité « Encore un mot, monsieur. Évidemment vous doutez de notre avenir. Eh bien, moi, Michel Chevalier, je vous déclare ici qu'avant un an nous aurons fondé, dans le monde, une religion nouvelle et que, vous et vos amis, actuellement toutpuissants, vous nous y aurez aidés. Comment cela? demanda son interlocuteur. En nous illustrant par vos persécutions nous recommencerons le rôle des martyrs chrétiens 1 Cher monsieur, interrompit Villemain, les martyrs chrétiens ne dînaient point au Rocher de Cancale » Et il s'échappa en riant, tandis que son hôte commentait cette plaisanterie frivolement profonde.
Ceci le traduit tout entier. C'est par ses subites présences d'esprit, ses demi-mots ^éclairés de gaieté .et ses rapprochements ingénieux, qu'il a suppléé à ce qui lui manquait. Son cours était un divertisse-
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ment perpétuel. Sainte-Beuve a rendu avec beaucoup de finesse et de vérité le genre de charme qui distinguait son enseignement:
Dans cette chaire, dit-il, où M. Villemain monte avec une négligence qui, pour être extrême, n'est pas disgracieuse, sur laquelle il frappe avec un manque apparent de gravité, écoutez-le 1 Sa voix, sonore et chantante avec agrément, mélodieuse et sachant le nombre, a, dès l'abord, tout racheté. Il se penche, il s'avance des lèvres vers l'auditoire; si le premier banc, légèrement reconnu, ne le gêne pas par quelques figures contradictoires, sa parole s'élance; il s'inquiète encore de son auditoire, sans doute, mais c'est de tous alors et pas de quelques-uns. Son esprit alerte et souple donne sur tous les points à la fois. Il ne se tient pas serré au centre, ferme et ramassé en soi, comme Bossuet l'a dit quelque part de l'abbé de Rance non, il ne ramène pas à lui impérieusement son auditoire sur un point principal, comme faisait, dans sa manière différemment admirable, M. Cousin; mais, penché au dehors, rayonnant vers tous, cherchant, demandant à l'entour le point d'appui ou l'aiguillon, questionnant et, pour ainsi dire, agaçant à la fois toutes les intelligences, allant, venant, voltigeant sur les fleurs, et comme aux deux ailes de sa pensée. Quel spectacle amusant et instructif! Quelle étude délicieuse que de l'entendrel. Il a ce que les Anciens appelaient les jeux de l'orateur l'anecdote aiguisée, la sortie imprévue, que son masque expressif et spirituel accompagne, et, si la saillie est trop forte, trop hardie (jamais pour le goût), si elle a trop porté, il la ressaisit au
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vol, il la retire, il la retravaille, et elle échappe encore et c'est alors une lutte engagée de la vivacité et de la prudence, un miracle de flexibilité et de contours, et de saillies lancées, reprises, rétractées, expliquées, toujours au triomphe du sens et de la grâce (1). Le cours de l'Histoire de la littérature de M. Villemain, imprimé pour la plus grande partie, contient le Moyen âge et le xyiii» siècle. Dépouillé des surprises de l'improvisation et de la séduction du bien dire, il perd un peu de son attrait. Les leçons sur le Moyen âge spécialement paraissent un peu vides, depuis que de nouvelles études ont fait pénétrer plus avant dans la littérature de cette époque; mais il ne faut pas oublier que les aperçus de M. Villemain ont précédé ces recherches et que, s'ils paraissent aujourd'hui incomplets, ils sont restés justes et bien sentis. C'était, en outre, la première fois que l'on faisait sortir l'histoire littéraire de la rhétorique pour la rattacher aux évolutions sociales, que l'on présentait enfin l'art pour ce qu'il est, c'est-à-dire pour une des expressions de la vie des peuples. En cela, M. Villemain élargissait son enseignement, ou plutôt lui donnait pour la première fois une signification sérieuse. Qu'après avoir lu ses volumes, on reprenne Laharpe, et l'on comprendra mieux tout ce qu'on lui doit. Que sa manière soit un peu superficielle, nous l'avouons qu'elle manque de ces formulations étincelantes, destinées à marquer de loin en loin les degrés de l'histoire, nous le reconnaissons; que le trait vif, l'expression pittoresque soient trop 1. Saihte-Beuvb. Nouveaux lundis.
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rares et que son esprit s'oublie trop dans les agréments d'une causerie sans éclairs, tout cela est incontestable mais ce qui ne l'est pas moins, c'est l'aisance constamment spirituelle des récits et la vivacité ingénieuse des analyses. Jamais le plaisir n'emporte; mais il ne languit pas un seul instant; la source murmure, toujours aussi fraîche, aussi limpide, aussi engageante. Ajoutons qu'elle grossit et devient presque fleuve en atteignant le xvin" siècle. Les leçons sur Chatham, Burke, Fox, Pitt, Mirabeau eurent un retentissement prodigieux et sont restées des chefs-d'œuvre. Elles balancèrent le succès de celles que M. Guizot devait commencer, quelques mois plus tard, sur la Civilisation Européenne, et qui, recueillies sans aucun changement, composent un des plus beaux livres dont puissent s'honorer les littératures contemporaines.
Nous avons déjà parlé de M. Guizot comme orateur politique, et nous avons dû juger avec quelque sévérité un caractère qui poussa toujours la fierté jusqu'à la provocation et les vérités jusqu'à l'erreur mais M. Guizot, professeur d'histoire, nous met plus à l'aise. En remontant dans cette existence de travail et de devoir, nous ne rencontrons plus qu'honorables souvenirs, désintéressement et grandes aspirations. Aussi demandérons'-nous la permission de nous y arrêter quelque peu. L'admiration nous est plus douce que le blâme et, dans cette longue galerie, où grimacent tant de figures enfiévrées, il est bon de reposer un instant son regard sur un noble visage.
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M. Guizot est né à Nîmes, et l'on pourrait s'étonner de trouver chez lui si peu de nature méridionale, si on ne se rappelait son éducation genevoise, dont les traces sont restées profondément empreintes dans son caractère, dans son talent et dans sa vie. Attaché en 1806, comme précepteur, à la maison de M. Stapfer, ancien ministre de Suisse à Paris, il fréquenta les salons les plus sérieux et, entre autres, celui de M. Suard. Là venait MUo Pauline de Meulan, restée la seule protectrice de sa famille, à un âge où on a l'habitude d'être protégé, et qui rédigeait alors un journal, le Publiciste, dont les produits étaient la seule ressource de son humble foyer. La vie d'homme de lettres à Paris a toujours été une rude épreuve; mais celle d'une femme, condamnée à vivre de sa plume, est quelque chose de surhumain. Nous ne parlons pas seulement de la moquerie déguisée, qui l'accueille partout, des mille obstacles, que les convenances sociales opposent à l'exercice de sa profession, du danger d'être confondue avec d'autres femmes déclassées, pour qui la littérature n'est qu'un prétexte ou une infirmité la difficulté matérielle de vivre honorablement de son travail suffirait, seule, pour envenimer une pareille existence d'angoisses toujours renaissantes. M118 Pauline tle Meulan succomba au fardeau elle tomba malade et se trouva dans l'impossibilité de suffire à la rédaction du Puhliciste. Cette impuissance allait la jeter dans le désespoir, lorsqu'elle reçut une lettre, qui l'engageait à ne pas s'inquiéter et lui promettait un nombre d'articles suffisant pour satisfaire à ses obligations envers le journal. A la lettre étaient
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jointes quelques pages, dans lesquelles l'écrivain inconnu avait si habilement imité la manière de M1W de Meulan qu'elle-même eut peine à ne pas se reconnaître. Au premier instant,' elle crut à une plaisanterie, mais les envois continuèrent régulièrement jusqu'à ce qu'elle eût retrouvé, avec la santé, son ancienne faculté de travail. Elle parla très vivement chez M. Suard de sa reconnaissance soupçonnant quelqu'un des habitués de ce salon célèbre, elle espérait le provoquer ainsi à se faire connaître, mais tous ceux que l'on pouvait supposer capables de ce service anonyme s'associèrent à son admiration de manière à lui prouver qu'ils n'y étaient pour rien. Quant au jeune précepteur, qui assistait silencieusement à ces réunions, on ignorait même qu'il sût écrire, et personne ne songea à lui. Enfin MlIe de Meulan, à bout de recherches, se décida à insérer dans le Publiciste un article qui suppliait le mystérieux collaborateur de se faire connaître. Elle lui assignait un jour et une heure à l'instant indiqué, on frappe, la porte s'ouvre, c'était M. Guizot. M116 de Meulan fut prise, sans doute, par ce qu'il y avait de romanesque sérieux et, pour ainsi dire, raisonnable, dans cette manière d'entrer en relations. Elle voulut mieux connaître le jeune écrivain et finit par l'épouser.
Dans l'intervalle, M. Guizot était sorti de son obscurité par quelques publications, annonçant des habitudes laborieuses plutôt que la haute intelligence qu'il devait révéler bientôt. C'était un Dictionnaire de Synonymes, les Biographies des Poétes Français; l'Espagne en 180 8, traduit de Rétdfus. Enfin, en
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1812, M. de Fontanes le nomma suppléant à la chaire d'histoire de la Faculté des lettres, qu'il ne tarda pas à occuper comme titulaire.
Ce fut seulement là qu'il donna sa mesure. M. RoyerCollard, qui professait alors la philosophie à la même Faculté, comprit sur-le-champ la valeur de l'acquisition et devint le protecteur, puis l'ami de M. Guizot. L'enseignement de ce dernier eut pourtant, au début, plus de solidité que d'éclat. Le professeur n'était pas encore arrivé à cette puissance contenue, qui devait le porter au premier rang. Sa fermeté paraissait de la roideur; sa sobriété, de la sécheresse il n'avait pas assez francisé sa manière, et l'on trouvait du prêche dans ses leçons. Mais peu à peu sa parole s'assouplit, tandis que le fond se fortifiait toujours. M. Guizot était entré dans la politique par l'entremise de M. Royer-Collard non content d'étudier l'histoire, il en faisait, et la pratique des hommes éclairait pour lui bien des points obscurs. Sincèrement attaché au gouvernement de la Restauration, vers lequel l'attirait son goût pour l'autorité, il dut s'en séparer avec tous'les esprits pénétrants, lorsqu'il le vit marcher à reculons vers les abîmes. Son opposition, bien que modérée, entraîna la fermeture de son cours en 1825.' Rendu à la vie privée, il l'ennoblit par un redoublement d'activité intellectuelle. Ce fut alors qu'il entreprit sa Collection des Mémoires Historiques, son Essai sur l'Histoire de France, son Histoire de la Révolution d'A ngleterre, œuvres d'un mérite inégal, mais qui ont pris leur place dans toutes les bibliothèques et qui doivent y rester.
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La Collection des Mémoires Historiques n'est qu'un choix de réimpressions ou de traductions, dans lequel M. Guizot a été secondé par un grand nombre de collaborateurs, et qu'il faut regarder moins comme une œuvre qui illustre son nom que comme un service dont les lecteurs studieux lui sauront éternellement gré. Mais les Essais sur l'histoire de France lui appartiennent en propre et exposent déjà une partie de ses doctrines historiques. Ce sont des dissertations substantielles sur le régime municipal de l'Empire romain au- v° siècle, l'établissement des Francs dans les Gaules, les causes de la chute des Mérovingiens et des Carlovingiens et sur l'étal social de la France pendant leur domination. Les recherches sont savantes, les aperçus intéressants, profonds même quelquefois mais la lecture de ces Essais est laborieuse. En ne donnant rien à l'agrément, l'auteur a rendu sa pérégrination à travers les premiers temps de l'histoire impossible au plus grand nombre. On traverse toutes les landes de l'érudition par des chemins directs et bien tracés, il est vrai, mais sans que l'esprit trouve jamais à se reposer. L'auteur nous conduit, avec une inflexibilité puritaine, sur la ligne droite du raisonnement, et au milieu des citations latines, jusqu'à sa conclusion, qui a la régidité d'un aphorisme mathématique. 11 en est tout autrement de l'Histoire de la Révolution d'Angleterre. Ici la forme de mémoire a complètement disparu. Pour la première fois, M. Guizot est franchement historien et se place à la tête de l'école qui, tout en acceptant la définition de Quintilien « que l'on écrit l'histoire pour raconter, et non pour
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prouver », regarde comme faisant partie du récit, non seulement les faits matériels, mais les faits moraux, leurs causas et leurs résultats, en un mot, toute cette portion intérieure de l'histoire, dont les événements extérieurs ne sont que l'expression.
C'est à ce point de vue que M. Guizot a raconté la Révolution d'Angleterre. Il n'a pas cru suffisant de donner une forme littéraire au procès-verbal du passé, de dire les traités, les batailles, les aventures, comme un simple chroniqueur il a cherché à saisir la signification de ce drame, à en découvrir les ressorts secrets. Il montre que, si la fondation de la République anglaise ne put réussir, c'est que la nation ne se prêta jamais qu'avec répugnance à cette forme de gouvernement et que, si la Restauration des Stuarts fut également de peu de durée, c'est qu'ils refusèrent d'accepter franchement ce que l'Angleterre voulait faire conserver de sa Révolution, à savoir l'obligation pour le roi de marcher avec le Parlement, la suprématie de la Chambre des communes sur celle des Lords, et la domination définitive du pre!estantisme. C'est pour avoir compris ces nécessités que Guillaume d'Orange fit réussir la seconde révolution et fonda le vrai gouvernement de l'Angleterre, c'est-à-dire une monarchie constitutionnelle, dans laquelle le roi ne peut gouverner qu'avec l'opinion. Cromwell l'avait voulue, mais n'avait pas trouvé le pays capable de le comprendre et, après avoir passé de la révolution à la dictature, il n'avait pu transformer la dictature en régime de droit et de liberté.
Le style de M. Guizot dans son Histoire de la
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Révolution d'Angleterre était incontestablement supérieur à celui de ses autres livres cependant il semblait encore parfois un peu lâche on lui eût désiré une physionomie un peu plus accentuée. L'écrivain avait encore un pas à faire il le fit dans la personne du professeur, lorsque l'interdit, qui pesait sur son cours de la Sorbonne, fut levé par M. de Martignac. Un des premiers actes du ministre de conciliation de Charles X avait été, comme nous l'avons déjà dit, de rendre la parole aux voix éloquentes que M. de Villèle avait condamnées au silence. M. Guizot rouvrit son enseignement par l'Histoire de la Civilisation en Europe.
Ni le professeur ni l'historien n'avaient encore jamais atteint cette hauteur. Développés par de longues études, tous deux se présentaient avec la dignité confiante qui prend l'autorité, sans l'imposer. M. Guizot a véritablement réalisé pendant quelques mois l'idéal du professeur. En écoutant M. Cousin, on demandait souvent plus de netteté en écoutant M. Villemain, on l'eût voulu parfois plus grave même charmé, on pouvait souhaiter à l'un moins de coquetterie, à l'autre plus de simplicité. M. Guizot ne laissait place à aucun regret, à aucun désir. En tout, il semblait ce qu'il devait être profond sans obscurité, élevé sans emphase; suffisamment expansif, mais comme il convenait à celui qui parle de haut. Un grand malheur avait amolli depuis peu le bronze de cette âme. La compagne assidue de ses travaux et de ses devoirs, celle qu'il avait conquise, pour ainsi dire, par le dévouement, puis retenue par une noble tendresse, M"8 Pauline de Meulan, qui portait
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son nom depuis près de vingt années, venait de le laisser seul dans la vie, à l'entrée de sa gloire, mais aussi de ses plus rudes épreuves près de mourir, elle avait voulu se rattacher à la communion religieuse de celui qu'elle allait quitter, comme pour être plus sûre de le retrouver ailleurs. M. Guizot ne l'avait point quittée un seul instant au moment où ses yeux s'étaient fermés, il lui lisait à demi-voix l'oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre elle avait exhalé son dernier soupir au bruit de ces prophétiques paroles « Madame se meurt, Madame est morte. »
M. Guizot reparaissait devant un nouvel auditoire, ennobli, pour ainsi dire, par ce crêpe du vouvage et encore ému du dernier adieu. Aussi sa parole, sans rien perdre de sa fermeté sérieuse, sembla-t-elle avoir trouvé une onction contenue qu'on ne lui connaissait pas. Accueilli, à son arrivée, par les applaudissements les plus sympathiques, il s'arrêta un moment, visiblement troublé,mais ce ne fut qu'un éclair; redevenu maître de ses sensations, il remercia brièvement et entra dans l'exposition de son cours, sans autre préoccupation de lui-même. Ceux qui ont assisté à cette première leçon (et nous avons eu ce bonheur), ne l'oublieront jamais. Ce n'était pas seulement un grand talent qui se Produisait, c'était tout un caractère. Attendri par le malheur et soutenu par l'approbation, M. Guizot s'y montrait sous son côté le plus digne de respect et d'admiration.
Cette Histoire de la Civilisation, objet de son enseignement, se partage en deux parties. Dans la première, l'auteur résume les origines et les progrès
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de la civilisation européenne, sans s'arrêter aux détails dans la seconde, prenant la France comme le théâtre sur lequel ce travail progressif s'est accompli le plus visiblement et sous les aspects les plus variés, il étudie pas à pas. la marche de la société française dans ses révolutions morales et dans ses institutions, depuis la chute de l'Empire romain. M. Guizot définit la civilisation « le résultat du développement de l'activité sociale et de l'activité individuelle, du perfectionnement de la personne, comme être moral, et du mode d'association entre les individus. » Ce perfectionnement s'est accompli dans le monde moderne par l'égalité, la puhlicité, la justice et la liberté.
Ces quatre coursiers du pro grès sont sortis euxmêmes d'une révolution qui a changé, pour ainsi dire, l'assise du monde antique. Celui-ci avait fondé chaque société sur une idée exclusive. C'était la théocratie en Égypte et dans. l'Inde, l'autocratie en Orient, l'aristocratie à Rome, la démocratie en Grèce. La civilisation moderne a mélangé ces éléments. aucun d'eux n'a pu régner seul et il est résulté de leur compromis un développement de toutes les facultés humaines nos sociétés sont entrées dans l'éternelle vérité, dans le plan de Providence. Mais comment ce travail s'est-il accompli? D'où nous sont venus chacun des éléments fondamentaux de notre civilisation contemporaine? C'est là précisément l'objet de l'étude de M. Guizot. Il débrouille, avec une perspicacité merveilleuse, cet héritage confus il indique ce que nous a donné chaque ancêtre il nous montre comment nous nous
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sommes lentement enrichis par ces legs du passé. Dans ce grand coup d'œil jeté sur l'histoire des progrès de l'Europe, la lucidité puissante de M. Guizot ne l'abandonne pas un seul instant. Son langage est dogmatique'avec élégance, sobre sans sécheresse. Son mérite ne ressort pas d'une qualité frappante et particulière, mais du parfait équilibre de toutes les qualités. Aussi trouverait-on difficilement à détacher une page; non que les belles pages soient rares, mais parce qu'elles le sont toutes à un degré presque égal, et qu'on ne pourrait en citer une, sans regretter celles que l'on devrait omettre. Puis tout se tient dans l'œuvre de M. Guizot, tout prend une partie de sa valeur de ce qui précède ou de ce qui va suivre; c'est une toile admirablement tissée, dont on ne peut arracher un fil rien ne s'isole, rien n'a été ajouté là pour l'ornement. On doit voir l'ensemble, il faut tout lire pour tout apprécier.
Nous vous renvoyons donc au volume lui-même, afin que vous puissiez admirer pleinement la grande manière du professeur-historien. C'est à lui de vous montrer la réalité de ces progrès sociaux, que méconnaît trop souvent notre esprit chagrin ou qui échappent à notre vue bornée de vous faire sentir la différence entre nos existences éphémères et ces longues périodes que Mahomet appelle « les journées de Dieu ». Rien ne presse celui dont la vie est l'éternité « la Providence a ses aises dans le temps », dit M. Guizot, dans un style que l'on croirait emprunté à Bossuet. Aussi sa foi dans l'avenir du genre humain ne fléchit-elle pas un seul instant. Il a confiance, et il vous en donne.
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Jamais les temps modernes n'ont été mieux défendus, le progrès, plus clairement démontré, les doctrines de tolérance, d'émancipation intellectuelle et de liberté, plus noblement expliquées.
Ce brillant enseignement des trois professeurs ne se prolongea point au delà de la Restauration. Le nouveau gouvernement appelait à lui toutes les popularités. MM. Villemain, Guizot et Cousin entrèrent dans l'administration gouvernementale.
Longtemps leurs places restèrent vides. Un pareil faisceau de talents supérieurs et divers ne se reforme pas facilement et, un talent isolé se fût-il rencontré, il eût sans doute lutté avec peine contre les souvenirs de cette trmité, où le talent de chaque membre relevait l'autre et le complétait.
Les conditions, d'ailleurs, n'étaient plus aussifavorables.
Tant que la presse avait été médiocrement libre, la tribune contenue, l'opinion publique surveillée, l'enseignement libéral des trois professeurs était un sérieux secours. On y trouvait un moyen détourné de résistance aux idées rétrogrades; on saisissait avec empressement leurs conclusions sur la philosophie, la littérature ou l'histoire, pour en faire l'application aux faits présents les maîtres et les auditeurs s'entendaient à demi-mot; ils semblaient s'encourager réciproquement dans leurs opinions libérales, les consolider par l'étude. Cette classe moyenne, arrivée par la science, l'art ou l'industrie, non par le privilège, et qui comptait dans ses rangs presque toutes les activités fécondes du pays, la bourgeoisie, puisqu'il faut l'appeler par son nom, applaudissait
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tout entière à un enseignement qui lui semblait dans une juste mesure et dans la vérité. MM. Guizôt, Cousin et Villemain avaient donc en réalité pour auditeurs, ou plutôt pour seconds, à peu près tous les hommes qui lisaient et qui parlaient. Au-dessous les masses populaires suivaient, sans trop comprendre, mais conduites par un instinct et une tradition. Après la chute de la branche aînée, tout changea. Une partie de la bourgeoisie (la plus considérable) se rattacha au nouvel ordre de choses, tandis que le petit nombre se retournait vers d'autres espérances. Il n'y eut plus, dans la classe qui avait renversé le gouvernement de la Restauration et formait alors la force nationale, cette unanimité qui avait accueilli, soutenu, les trois professeurs. Les partis, d'ailleurs, parlaient trop haut pour que l'on pût entendre une voix, à qui les exigences d'une chaire enseignante défendaient de crier pour l'heure, la parole était aux journaux, et surtout aux événements.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner, si aucune renommée nouvelle ne se fit jour pendant les premières années du règne de Louis-Philippe. Un peu plus tard, quand son gouvernement se fut consolidé et que, par une tendance traditionnelle dans nos dynasties, il eut commencé à reprendre le chemin qui avait conduit la Restauration au naufrage,de nouvelles voix s'élevèrent, applaudies par la jeunesse des écoles. Ce ne fut point à la Sorbonne qu'elles se firent entendre cette fois, mais au Collège de France. Là, une organisation particulière livrait l'administration aux professeurs eux-mêmes maîtres de leur programme, ils
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pouvaient en choisir la matière et la traiter à leur fantaisie. Ce champ plus large, ouvert à la liberté de l'enseignement, devait y attirer l'opposition. Elle signala sa présence avec un brusque éclat dans le cours de M. Lherminier sur les législations comparées. Un instant on put croire que les beaux jours du professorat de la Sorbonne allaient renaître au Collège de France, mais l'illusion fut de courte durée. Le gouvernement appela au Conseil d'État M. Lherminier, dont cette ascension subite changea naturelle ment le point de vue. Tout ce qu'il avait vu à gauche passa brusquement au juste milieu, si bien que son auditoire et lui cessèrent de s'entendre. Il dut quitter une chaire, où l'enseignement ne pouvait plus se produire qu'entre deux gendarmes, et ses efforts pour y remonter depuis sont toujours demeurés inutiles. Mais deux autres débuts éclatants ne tardèrent pas à faire oublier le sien; c'étaient ceux de MM. Michelet et Quinet.
Tous deux avaient beaucoup étudié l'Allemagne le premier avait popularisé dans son Histoire romaine plusieurs des idées de Niebuhr et de son école le second avait traduit et commenté Herder. Également familiarisés avec les littératures antiques, complètement maîtres de la langue, soutenus par une imagination vive et originale, ils apportaient en outre dans cette chaire, où ils parurent presque en même temps, une célébrité différente, mais déjà hors de débats.
M. Michelet s'était créé un genre dans l'histoire, genre dangereux et incomplet, mais auquel il avait imprimé un cachet de personnalité puissante. Lui-
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même nous a souvent raconté comment il fut conduit à cette façon de considérer le passé, trop exclusive sans doute, mais qui a incontestablement ouvert à l'historien de nouvelles perspectives.
M. Michelet n'était encore qu'un écolier, souvent couronné au grand concours et déjà destiné à enseigner l'histoire, mais encore sans idées personnelles sur cet enseignement. Il avait appris ce qu'on apprend toujours et partout, la succession des règnes, des traités, des batailles, accompagnée de jugements sur les hommes et les choses; il s'en tenait là, lorsqu'un jour il fut conduit au musée des Petits-Augustins. '.Ce musée, qui a disparu, et que celui de l'Hôtel de Cluny ne remplace qu'imparfaitement, avait été commencé par l'architecte Lenoir, pendant les plus mauvais jours de la Révolution. Il y avait réuni et classé tous les objets d'art, appartenant aux églises ou à l'ancienne monarchie, qu'il avait pu dérober au vandalisme des destructeurs Jacobins. Plus tard sa collection s'était enrichie par ses recherches et ses sacrifices. Lorsque j'entrai, pour la première fois, dans cette vieille église, transformée en conservatoire du passé, nous dit M. Michelet, j'éprouvai une impression étrange et toute nouvelle. Le jour n'arrivait que confusément sous les voûtes de pierre j'aperçus, 'dans la demi-obscurité, des chevaliers, les mains appuyées sur leurs grandes épées et couchés immobiles sur une pierre tombale, des bannières au milieu desquelles rayonnaient les simulacres d'or et d'argent des saints patrons, de grands bahuts, enroulés de branches de vignes, sculptées dans le chêne et dont chaque feuille
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était soulevée par la tête d'un animal fantastique, des armures gigantesques, de singuliers engins de guerre, des instruments de torture, et, sous ce bizarre assemblage, les tombes des rois, arrachées aux caveaux de Saint-Denis, dont les files se perdaient sous l'ombre du cloître. A cette vue, j'eus comme une révolution: Il me sembla que le fantôme du Moyen âge m'apparaissait dans ces ténèbres visibles, entouré de tout ce qui l'avait fait vivre. L'art venait de me révéler l'histoire Non pas celle que l'on cherche dans les chartes et les procès-verbaux, mais celle de l'imagination d'une époque et d'une race. Je ne me dis pas, comme les réalistes de l'école pittoresque se le sont dit plus tard Tout cela, c'est l'histoire; mais je me dis L'histoire est dans ce qui a fait tout cela, dans l'âme, dont je vois ici la traduction artistique cherchons-la donc, cette âme du passé. Je l'ai cherchée en effet, et j'espère l'avoir trouvée. C'est ainsi que je suis arrivé de proche en proche à comprendre que, pour interpréter le passé, il fallàit deux choses, la tradition et la liberté. La tradition, c'est ma mère la liberté, c'est moi (je vous reproduis les paroles de M. Michelet); toutes mes études, à partir de ce moment, ont été animées du libre esprit chrétien, qui fit la vie du Moyen âge. Ce fut sous l'impression de ces idées que M. Michelet commença à écrire l'Histoire de France. Les premiers volumes sont faibles; soit que l'écrivain ne puisse arriver à découvrir l'âme de ces premiers temps, soit qu'il s'intéresse médiocrement à leur grossièreté, il en éclaire médiocrement les ténèbres. Il n'a ni le sens épique, comme Augustin Thierry,
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pour nous remettre sous les yeux ces Barbares dans leur sauvage grandeur, ni le coup d'œil philosophique de Guizot, pour dégager la synthèse de tant d'événements morcelés; mais, lorsqu'il arrive au Moyen âge, tous les côtés capricieux et multiples de cette société semblent se révéler à lui, il entre dans des perspectives ignorées, il promène la lumière de l'art sur mille recoins obscurs on a, grâce à lui, le sens de cette légende, qui n'avait paru longtemps aux historiens qu'une brutale aberration des peuples enfants et corrompus. L'histoire perd, sans doute, un peu de son caractère dans cette évocation du Moyen âge poétique, les grands événements n'ont pas toujours leurs proportions, M. Michelet procède par biographies et par épisodes plutôt que par les ensembles; mais il a, dans ses tableaux, une vie qui vous emporte le style court, le mot a une couleur vous voyez l'époque qui passe.
Tel s'était révélé l'historien, lorsqu'il devint professeur. On devait s'attendre à des leçons qui dérouleraient le passé en scènes isolées, mais pleines de mouvement; on allait avoir la vie de l'histoire. Tout le monde l'attendait d'avance. Toutes les attentes furent trompées Sans changer sa forme, M. Michelet ehangea brusquement de théâtre; l'histoire de France fut laissée là, et il se lança dans les questions morales et politiques, toujours possibles à rattacher à l'histoire. Ce fut ainsi qu'il put arriver à l'examen de l'institution des Jésuites. Grave débat, qui souleva une tempête, et auquel s'associa M. Quinet. Dans notre prochaine séance, nous vous en raconterons l'origine, les épisodes et le dénouement.
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NEUVIEME LEÇON
La Philosophie.
SOMMAIRE
Polémique de Michelet et Quinet contre les jésuites– Origine de cette polémique. En attaquant les jésuites, les professeurs du Collège de France ne faisaient que défendre contre eux l'Université et les conquêtes modernes. La dernière leçon de Michelet et la dernière leçon de Quinet. Différence de ton: dans l'une, éloquence véhémente et passionnée dans l'autre, exhortation morale, grave et sereine. Parailèle des deux orateurs Michelet, nature inquiète, impressionnable, avide d'applaudissement. Quinet, esprit pondéré, maître de lui-même, dont l'action sur les esprits venait de l'autorité ou authenticité de sa parole. Principes communs aux deux enseignements la foi à la raison dans l'humanité et dans le monde. Influence de Hegel et du panthéisme allemand.
Pierre Leroux. Ouvrier imprimeur, il cherche à révolutionner son art, d'abord en France, puis en Angleterre. Convaincu de l'inutilité de ses recherches, il se tourne vers les études philosophiques, entre au Globe. – Ses épreuves, sa vie pauvre et fière. Pierre Leroux et Béranger. Action exercée par Pierre Leroux sur ses contemporains. Son livre de l'Humanité. – Panthéisme et socialisme. Solidarité des générations nos ancêtres revivent en nous. Métempsychose, bornée à la forme humaine. Organisation de la société, calquée sur celle de l'homme individuel en celui-ci, trois éléments la sensation, le sentiment, la connaissance en celle-là, trois institutions fondamentales
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la propriété, la famille, l'État. La philosophie de l'Humanité est une réaction contre l'absolutisme théologique. M. de Frayssinous. Ses conférences, leur opportunité, leur succès leur peu de valeur dialectique et littéraire. Lacordaire. Ses études brillantes au collège; son caractère ombrageux, fier, indomptable. Étudiant en droit, puis avocat, il est hostile aux idées catholiques.-Sa conversion soudaine. Sa vie est une suite de crises violentes. Crise libérale Lacordaire se déclare pour Lamennais et devient le principal rédacteur de l'Avenir. Crise d'absolutisme guerre déclarée à la raison dans la Lettre sur le Saint-Siège. Les Conférences de Notre-Dame. Lacordaire porte ombrage aux orthodoxes par les saillies et emportements de son imagination, par son zèle indiscret exemple apologie de l'Inquisition. – Mais il a servi l'Église par son talent; il a renouvelé l'éloquence sacrée, en abandonnant les formules théologiques et parlant la langue de tous, en prenant les questions par le côté littéraire ou philosophique plutôt que par le côté du dogme, en déployant toutes les ressources d'un style imagé et brillant, en introduisant dans son discours les épisodes, les tableaux, en s'inspirant des idées et des sentiments modernes.- Sa dialectique est faible elle est outrée, paradoxale et sophistique. Dans l'oraison funèbre, il est biographe plus que prédicateur. – Le fond du caractère de Lacordaire est le besoin d'opposition.
Origine et causes de l'ultramontanisme en général. Nous avons annoncé, dans notre dernière leçon, la campagne commencée au Collège de France contre la Compagnie de Jésus, campagne poursuivie plus tard, sous une autre forme, par le journalisme ou le roman, et dont le contre-coup se fit sentir si violemment dans les cantons Suisses.
Au début, rien n'annonçait que la lutte dût quitter le domaine de la polémique. Les professeurs du Collège de France, qui l'engagèrent, n'avaient point porté les premiers coups; ainsi que le fit alors obser-
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ver le Journal des Déhats, ils défendaient leur maison, brusquement attaquée par des voisins, sans déclaration de guerre. Le parti clérical, qui avait fini par dominer la Restauration et que la maison d'Orléans avait sagement écarté des affaires, venait, en effet, d'entreprendre une véritable croisade contre l'enseignement laïque, et spécialement contre l'Université, qu'il appelait une sentine d'impureté. Des brochures, des journaux réclamaient pour l'instruction publique la liberté conime en Belgique 1; cette phrase était le titre d'une publication périodique. Or, tout le monde savait ce que les Jésuites voulaient faire de cette liberté. On a dit que le droit au travail, réclamé plus tard par les socialistes, n'était en réalité que le droit de ne pas travailler; pour le parti clérical en France, la liberté de faire était alors surtout la liberté d'empêcher. Ce qu'il voulait, c'était se substituer partout au corps enseignant, faire rétrograder la génération nouvelle au delà de 1789, appliquer enfin, dans l'ombre, le programme que l'Univers Religieux a osé publier depuis. M. Michelet se révolta à cette pensée; il prit en main la défense des conquêtes modernes. Troublé dans son cours, insulté par quelques affidés.dont l'auditoire fit aussitôt justice, menacé au dehors, calomnié dans les livres, dans les journaux, dans la chaire religieuse, il resta quelques mois ainsi ballotté^ pour ainsi dire, entre le Capitole et la Roche Tarpéienne mais enfin le triomphe fut complet. Tous ceux qui purent assister à cette lutte curieuse se rappellent encore la manière dont le professeur prit, congé de son auditoire
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Terminons ici dit-il. Nous avons atteint le but de ce cours, étudié d'abord l'organisme vivant du vrai Moyen âge, puis le machinisme stérile du faux Moyen âge, qui veut s'imposer à nous. Nous avons caractérisé, signalé l'esprit de mort et l'esprit de vie. Le professeur de morale et d'histoire avait-il le droit de traiter la plus haute question de l'histoire et de la morale ?
C'était non seulement son droit, mais son devoir. S'il est au monde une chaire qui ait ce droit, c'est celle-ci c'est là le droit de sa naissance, et ceux qui savent comment elle l'a payé ne le lui disputeront pas.
Dans le terrible déchirement du xvi" siècle, quand la liberté se hasarda à venir au monde, quand la nouvelle venue, froissée, sanglante,semblait à peine viable, nos rois, quoi qu'on pût dire contre elle,Fabritèrent ici. Mais l'orage vint des quatre vents. La Scolastique réclama, l'ignorance s'indigna, le mensonge souffla de la chaire de la vérité. Bientôt le fanatisme en armes assiégea ces portes il s'imagina sans doute, le furieux fou, égorger la pensée, poignarder l'esprit.
Ramus enseignait ici. Le roi Charles IX eut pourtant un noble mouvement et lui fit dire qu'il [avait un asile au Louvre. Ramus persista il n'y avait plus de libre en France que cette petite place, les six pieds carrés de la chaire. assez pour une chaire, assez pour un tombeau.
Il défendit cette place et ce droit, et il sauva l'avenir. Il mit ici son sang, sa vie, son libre cœur. en sorte que cette chaire transformée ne fut jamais pierre ni bois, mais chose vivante.
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J'aurais été indigne d'y parler, lorsqu'on menaçait mes amis sur tous les points de la France, et qu'on leur reprochait ma tradition et mon amitié. Pour être sorti de l'Université en entrant ici, je n'y reste pas moins de cœur. J'y suis par mon enseignement philosophique et historique, par tant d'années laborieuses, que j'ai passées avec mes élèves, et qui seront toujours, pour eux, pour moi, un cher souvenir. Je sais qu'il y a des gens qui, ne se souciant ni de philosophie ni de liberté, ne nous sauront nullement gré d'avoir rompu le silence. Gens paisibles, amis de l'ordre, qui n'en veulent point à ceux qu'on égorge, mais à ceux qui crient.Ils disent de leur fenêtre, quand on appelle au secours Pourquoi ce bruit à heure indue ? Laissez dormir les honnêtes gens
Ces dormeurs systématiques, cherchant un narcotique puissant, ont fait cet honneur à la religion de croire qu'elle était bonne à cela. Elle qui, si le monde était mort, pourrait le réveiller des morts, c'est elle justement qu'ils ont prise pour un moyen d'endormir.
Gens habiles en d'autres choses, mais fort excusables de ne rien connaître en religion, parce qu'ils n'en ont rien dans le cœur.
Au reste, maintenant la France est avertie, •qu'elle fasse ce qu'elle voudra elle voit et sent le réseau, où l'on croyait la prendre endormie. A tous les cœurs loyaux, une dernière parole. A tous, laïques ou prêtres (et puissent ceux-ci entendre une voix libre au fond de leur servage !) qu'ils nous aident de leur courageuse parole ou de leur sympathie silencieuse, et que tous ensemble bénissent, de leurs
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cœurs et de leurs autels, la sainte croisade que nous commençons pour Dieu et pour la liberté de l'âme !(1) Cette campagne contre le parti clérical, achevée avec tant d'éclat par M. Michelet, avait été partagée par M. Quinet. Ce dernier, conduit par ses études sur lés littératures méridionales à chercher l'influence que la célèbre Compagnie de Jésus avait exercée sur l'art espagnol, était arrivé aux mêmes conclusions que son collègue. Comme lui, il avait eu à lutter contre une cabale,bientôt vaincue, et avait fini son cours au milieu d'unanimes applaudissements, mais sa péroraison avait été toute différente de celle de M. Michelet. La polémique, soulevée dans ses leçons, avait été pour lui un point de départ d'où il s'était élancé plus haut. Ses dernières paroles, heureusement recueillies, avaient été celles-ci J'ai commencé ce cours l'hiver dernier, en prémunissant ceux qui m'entendaient contre le sommeil de l'esprit au sein des jouissances matérielles. Je dois finir par un avertissement semblable. C'est sur vous que peut se mesurer l'avenir de la France. Songez bien qu'elle sera un jour ce que vous êtes au fond du cœur en ce moment. Vous, qui allez vous séparer, pour vous lancer dans les différentes carrières, publiques ou privées; vous, qui serez demain des orateurs, des écrivains, des magistrats, que sais-je ? vous, à qui je parle peut-être pour la dernière fois, si jamais il m'est arrivé de réveiller en vous un instinct, une pensée d'avenir, ne le considérez pas, plus tard, comme 1. Michelet OEuvres.
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un rêve, une illusion de jeunesse, qu'il est bon de renier sitôt qu'on pourrait l'appliquer, c'est-à-dire sitôt que l'intérêt s'en mêle. Ne reniez pas, à votre tour, vos propres espérances. Ne démentez pas vos pensées les meilleures, celles qui sont nées <>n vous, sous l'œil de Dieu, quand, éloignés dés ccnvoitises du monde, ignorés, pauvres peut-être, vous demeuriez seuls en présence du ciel et de la terre. Bâtissez d'avance autour de vous un mur, que la corruption ne puisse surmonter, car la corruption vous attend au sortir de cette enceinte.
Surtout, veillez 1 Pour peu que les âmes s'endorment dans l'indifférence, il y a, de tous côtés, vous l'avez vu, des messagers de mort qui arrivent et se glissent par des voies souterraines.
Qu'ajouterai-je encore? Une chose, que je crois bien sérieuse. Dans ces écoles diverses, si multipliées, vous êtes les favorisés de la science comme ceux de la fortune. Tout vous est ouvert, tout vous sourit. Entre tant d'objets, présentés à la curiosité humaine, vous pouvez choisir celui auquel vous pousse votre vocation intérieure. Vous avez, si vous le voulez, toutes les joies comme aussi tous les avantages de l'intelligence. Mais, pendant que vous jouissez ainsi de vous-mêmes tout entiers, semant chaque jour généreusement dans votre pensée un germe qui doit grandir, combien d'esprits, jeunes aussi, altérés aussi de la soif de tout connaître, sont contraints par la mauvaise fortune de se dévorer en secret et souvent de s'éteindre dans l'abstinence de l'intelligence, comme dans l'abstinence du corps. Un mot peut-être eût suffi pour leur révéler leur vocation; mais ce mot, ils ne "entendront pas.
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Combien voudraient venir partager avec vous le pain de la science, mais ils ne le peuvent. Ardents comme vous pour le bien, ils ont assez à faire de gagner le pain de chaque jour. Et ce n'est point là le plus petit nombre, c'est le plus grand.
Si cela est vrai, je dis que, dans quelque voie que le sort vous jette, vous êtes les hommes de ces hommes que vous devez faire tourner à leur profit, à leur honneur, à l'accroissement de leur situation, de leur dignité, ce que vous avez acquis de lumières, sous une meilleure étoile je dis que vous appartenez à la foule de ces frères inconnus que vous contractez ici, envers eux, une obligation d'honneur, qui est de représenter partout, de défendre partout leurs droits, leur existence morale, de leur frayer, autant que possible, le chemin de l'intelligence et de l'avenir, qui s'est ouvert devant vous, sans même que vous ayez eu besoin de frapper à la porte.
Partagez donc, multipliez donc le pain de l'âme; c'est une obligation, pour la science aussi bien que pour la religion, car il est certain qu'il y a une science religieuse et une qui ne l'est pas. La première distribue, comme l'Évangile, et répand au loin ce qu'elle possède; la seconde fait le contraire de l'Évangile, elle craint de prodiguer, de disperser ses privilèges, de communiquer le droit, la vie, la puissance, à un trop grand nombre. Elle élève les orgueilleux, elle abaisse les humbles elle enrichit les riches, elle appauvrit les pauvres. C'est la science impie, et celle dont ne voulons pas (1). Ces remarquables leçons de MM. Michelet et Qui1. E. Quinet OEuvres. Hachette, édit.
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net ont été réunies dans un volume et vendues à huit ou dix éditions. Leur rapprochement permet plus facilement d'apprécier la nature de ces deux esprits, d'une supériorité si différente. Celui de M. Quinet est plus sérieux, plus simple, et en même temps plus sympathique. Moins vif que l'esprit de M. Michelet, moins scintillant de facettes, il ne tourmente pas la pensée, il ne l'arrache pas, pour ainsi dire, brin à brin, et lui laisse le temps de s'étendre dans toutes ses dimensions. M. Quinet a été poète et voyageur; il connaît la solitude méditative et la vie aventureuse des campements; ses nerfs se sont affermis, en traversant les massacres de la Grèce, lors de l'expédition d'Ibrahim Pacha, et en gravissant, au milieu des bandits, les plus sauvages sierras de l'Espagne. Aussi est-il maître de lui; il n'a ni lenteur ni emportement. M. Michelet, au contraire, a l'impressionnabilité fébrile des solitaires. Toujours renfermé dans son cabinet d'étude, il y a contracté je ne sais quelle délicatesse nerveuse, quelle inquiétude d'imagination. A peine est-il dans sa chaire, que son œil interroge tous les visages; son accent un peu professoral se fait aimable, son esprit délié court, pour ainsi dire, de l'un à l'autre, cherchant ce qui peut plaire, guettant le premier frémissement de l'auditoire, forçant par un trait plus vif l'applaudissement. Celui-ci se fait rarement attendre 1 Alors une rougeur rapide traverse les traits du professeur; l'œil rit, les narines s'enflent, et, pris d'une sorte d'ivresse, il continue, toujours plus actif, à s'emparer de son auditoire par ses passions favorites, et en sachant comme dit le poète:
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Chatouiller de son cœur l'orgueilleuse faiblesse. Mais si une pareille manière assure le succès, on en devine aussi les dangers. Emporté dans cette chasse de l'approbation bruyante, et toujours obligé de renchérir, le professeur perd un peu la possession de lui-même. Au lieu de soumettre son auditoire à sa pensée, il subordonne celle-ci à son auditoire; aux amples développements se substituent de petits coups successifs, frappés à la porte de chaque admiration, pour qu'elle lui ouvre la leçon n'est plus qu'une causerie coquette, haletante et entrecoupée. Aussi, malgré la prodigieuse dépense d'esprit, de science et d'invention, faite par M. Michelet dans son enseignementau Collège de France, cêt enseignement, peu utile aux autres, lui a été singulièrement nuisible à lui-même. Il a conduit le. remarquable historien à abandonner sa première manière pour celle que nous aurons à juger plus tard, lorsque nous examinerons les travaux de nos auteurs contemporains sur l'histoire. L'attitude de M. Quinet, devant son auditoire, ne ressemblait en rien à celle de M. Michelet; il était calme et tout uni, comme eût dit le duc de'SaintSimon, sans manquer d'autorité pourtant. L'applaudissement venait le. chercher, sans qu'il fit un pas à sa rencontre. Il se sentait là pour professer une idée d'abord; le succès venait ensuite. Sa parole n'avait point les aiguillons de celle de M. Michelet mais elle avait, si nous osons employer ce mot, plus d'authenticité elle laissait une empreinte mieux marquée dans la mémoire. La seule chose qui lui manquât, c'était plus de liberté; on voyait bien ses
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ailes, mais, à la lenteur du vol, on devinait que les pieds restaient chargés de quelques entraves. Quant aux principes mêmes des deux enseignements, ils difléraient peu. MM. Michelet et Quinet appartenaient à la descendance de Hegel ils croyaient, comme lui, que la raison humaine est l'univers en miniature, et que la religion du droit est l'avenir des sociétés humaines. Chez M. Michelet, ces idées étaient assez obscurément formulées; chez M. Quinet, elles se dessinaient avec plus de netteté. Aucun d'eux, pourtant, ne semblait accepter sans réserve la doctrine allemande. Leurs prétentions, plus circonscrites, s'appliquaient surtout à la glorification de la vie individuelle de l'homme par la consécration de sa liberté.
Au fond, pourtant, les tendances panthéistiques étaient visibles, et nous devons dire qu'elles ne s'exprimaient point seulement dans ces deux cours. La poésie, la politique, la philosophie en étaient de plus en plus imprégnées. Le retour au sentiment religieux avait presque partout repris cette forme. Depuis la fin de la Restauration, on aspirait le panthéisme dans l'air de toutes nos études. Le SaintSimonisme avait conduit les esprits sur cette route Hégélienne, et un de ses adeptes, M. Pierre Leroux, était devenu le centre d'un mouvement philosophique, chaque jour plus étendu.
Son action ne s'exerçait ni par un enseignement public, ni par la prédication, ni même par des écrits, mais individuellement, par la causerie. M. Pierre Leroux avait traversé beaucoup de situations diffi
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ciles et successivement connu tous les hommes qui avaient joué quelque rôle dans le drame intellectuel de l'époque. Ouvrier imprimeur, il avait d'abord poursuivi une réforme de son art, qui permît de réduire assez les frais d'impression pour que, selon son expression, le pain de l'intelligence ne coûtât pas plus cher que le pain du corps. Il parcourut la France dans cette intention, cherchant partout les perfectionnements de détail, qui pouvaient le mettre sur la voie d'une découverte. N'ayant rien trouvé en France, il partit pour l'Angleterre. La paix entre les deux pays était récente. La haine, dont le machiavélisme de Pitt et de Castlereagh avait envenimé les cœurs anglais, avait encore toute sa violence. Dans les diverses imprimeries, où Pierre Leroux essaya de travailler, il fut en butte aux brutalités des ouvriers anglais. Chaque soir, il rentrait chez lui, meurtri de coups ou couvert de boue. Cependant l'idée de l'ceuvre entreprise le soutenait, et il ne revint en France qu'après avoir reconnu l'inutilité de sa recherche. Attaché, peu après, au journal le Globe, il abandonna son rêve pour reprendre avec plus d'ardeur les études philosophiques, dont il avait toujours eu le goût. C'est à partir de ce moment que commencent ses relations avec tous les penseurs contemporains, et une réputation conquise, pour ainsi dire, homme par homme. Nul ne pouvait l'approcher, sans être frappé de l'abondance et de la hardiesse de ses idées. Ce que l'on savait de sa vie joignait bien vite à l'étonnement un sentiment de sympathie compatissante.
Pauvre jusqu'à l'indigence, frappé dans la com-
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pagne de son foyer par la plus cruelle des épreuves, la folie, il supportait tout, sans se plaindre, avec une sorte de sérénité stoïque. Ses amis admiraient sa fermeté et sentaient leur intérêt s'accroître d'autant. En apprenant que l'homme, assailli par tant de causes de tristesse, venait d'écrire, dans la Revue des Deux Mondes, un article plein d'onction sur le Bonheur, Béranger, qui ne pleure guère, ne put retenir ses larmes. Il voulut venir au secours de cette destinée sans abri. Pauvre lui-même, il ne pouvait faire aumône que de sa renommée. Il proposa à Pierre Leroux d'écrire une histoire de Napoléon, à laquelle, lui, Béranger, mettrait son nom, afin d'en assurer le succès. Un éditeur offrait cinquante mille francs, qui devaient suffire pour assurer l'avenir de notre pauvre philosophe; mais d'autres idées l'absorbaient dans ce moment; il ne put jamais dépasser les trois premières pages de l'histoire projetée, et les efforts du chansonnier pour le tirer de détresse demeurèrent inutiles.
Ces idées, qui empêchèrent Pierre Leroux de faire sa fortune, étaient 'précisément celles dont il s'était fait l'apôtre, depuis quelques années, et qu'il propageait autour de lui de proche en proche. Bien que lente, sa propagation était réelle et sérieuse; elle ne s'arrêtait pas aux artistes et aux philosophes, qui discutaient ses principes, mais elle allait, gagnant la portion la plus active de la jeunesse des écoles et des ateliers. Chaque initié devenait à son tour initiateur, si bien que le nom de Pierre Leroux et son influence se repandaient à petit bruit, et que le panthéisme socialisé s'emparait des intelligences et pré-
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parait, lettre par lettre, le programme communiste qu'il devait promulguer plus tard.
La doctrine de l'auteur du livre de l'Humanité pouvait dès lors se résumer en un petit nombre de principes, dont il déduisait rigoureusement toutes les conséquences.
D'abord, à ses yeux, Dieu ne peut être séparé de la nature la création est la vie même du créateur on ne le trouve point ailleurs. L'homme doit donc renfermer ici-bas toutes ses espérances. C'est au perfectionnement de l'existence terrestre elle-même que doivent tendre tous ses efforts.
Mais alors chacun de nous travaille pour la génération suivante, sans espoir d'aucune récompense personnelle pour son travail? Nullement; M. Leroux assure que l'humanité est une et impérissable chaque génération n'est que la génération précédente transfigurée, de sorte qu'elle vient jouir, sous de nouvelles formes, de tout ce qu'elle a précédemment accompli. Ainsi c'est nous, défenseurs de la liberté de conscience, qu'on a jadis rôtis ou sabrés comme hérétiques c'est nous, amis de l'égalité civile, qui avons autrefois, en qualité de serfs, traîné la charrue de nos seigneurs; nous recueillons la récompense de nos souffrances précédentes. La vie est une éternelle métempsychose, bornée à la forme humaine. Pour M. Pierre Leroux, toute la question est donc dans le progrès social.
Mais ce progrès n'est possible qu'autant que l'organisation de la société correspondra à celle de l'homme lui-même.
Or, l'homme est à la fois sensation, sentiment, con-
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naissance ce qui correspond, dans la société, à la propriété (qui satisfait à la sensation), à la famille (qui satisfait au sentiment), à l'état (qui satisfait à la connaissance).
Mais, dans l'homme, ces trois modes de l'existence sont réunis donc les trois modes de l'existence sociale doivent l'être également, c'est-à-dire que la propriété, la famille et l'état doivent se fondre dans la société, d'où naîtra une communauté parfaite. Toute réflexion sur une pareille doctrine nous paraît inutile nous avons dû l'exposer en quelques mots,parce qu'elle a eu un vaste retentissement dans les faits de ces dernières années, qu'elle règne encore sur un grand nombre d'esprits et qu'elle se rattache' à l'histoire intellectuelle de notre époque. Nous devons ajouter que la philosophie de l'Humanité n'est qu'une réaction violente contre celle de l'absolutisme qui, en France, l'avait précédée. Les idées de M. Pierre Leroux sont une revanche des idées de MM. Joseph de Maistre et de Bonald, dont nous avons parlé ailleurs. Dans l'ordre philosophique, comme dans l'ordre social, l'extrême servitude pousse infailliblement à l'extrême licence. Heureusement que la variété infinie des natures oppose perpétuellement l'un à l'autre les excès contraires, et entretient, par leurs luttes mêmes, une sorte d'équilibre, dont profitent les sociétés, pour marcher entre les précipices. Ainsi, pendant que le panthéisme se popularisait en France par les enseignements de M. Pierre Leroux et les impulsions plus graves des professeurs du Collège de France, les doctrines de MM. de Maistre et de Bonald, abandon-
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nées par Lamennais, étaient reprises par une voix éloquente, qui les transportait dans la chaire sacrée, avec quelques modifications de forme, destinées à les déguiser.
L'éloquence sacrée avait depuis longtemps cessé d'exister en France lorsque l'Empire, qui cherchait à reconstituer l'ancienne société, vint encourager sa résurrection. M. de Frayssinous entreprit des conférences en 1803. C'était un genre nouveau, dont l'opportunité fit le succès. Pendant le tumulte de la Révolution, l'instruction religieuse avait été proscrite ou abandonnée. La plupart des dogmes catholiques étaient oubliés de la nouvelle génération. Ce qu'il fallait donc, c'était un catéchisme commenté pour les hommes. Ce fut, en réalité, l'origine des conférences de M. de Frayssinous et la cause de leur succès. Elles répondaient à un besoin du temps et servaient incontestablement l'Église. Aujourd'hui, réduites à leur valeur de dialectique et de style, ces conférences sont peu de chose.
Quelques-unes, cependant, ont des prétentions plus élevées que d'exprimer élémentairement les croyances ce sont celles qui eurent lieu plus tard, sous la Restauration. On avait voulu en faire le moyen d'un réveil catholique toutes les notabilités de l'art, de l'administration, de la politique furent conviées. Devant un pareil auditoire, composé presque exclusivement d'hommes qui avaient fait leur instruction religieuse dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire, et qui ne croyaient guère qu'une chose, c'est qu'il fallait désormais être bon catholique pour con--
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tinuer à émarger au budget, M. de Frayssinous crut devoir se renfermer dans des sujets demi-académiques. Ses Conférences furent des plaidoyers contre l'incrédulité des jeunes gens, les livres irréligieux, ou sur l'appui réciproque que se prêtent la religion et la société, sur la tolérance, sur les beaux esprits incrédules
Tous ces lieux communs sont traités avec une facilité correcte; le sujet est bien divisé, mais sans aperçus nouveaux l'argumentation claire, mais un peu puérile la forme suffisamment élégante, mais sans aucun caractère le tout a le visible cachet de la médiocrité cultivée.
Or, de là vint précisément le succès des conférences de M. Frayssinous. A une époque où le catholicisme, allié à la légitimité, s'imposait avec des violences, auxquelles l'opposition religieuse et politique répondait par des violences égales, les gens modérés des deux partis surent gré à un prêtre, à un évêque, d'exposer sa foi sans emportement et sans menaces. Quand tout le monde crie, celui qui parle de sa voix ordinaire semble un esprit supérieur, un sage. Ce fut ce qui arriva pour l'auteur des Con férences. Aujourd'hui on a quelque peine à repasser par ces amplifications de la rhétorique sacerdotale, et les sermons de l'évêque d'Hermopolis sont allés rejoindre ces cantiques sacrés de Le Franc de Pompignan, dont Voltaire disait
Sacrés ils sont, car personne n'y touche.
Mais la chute de la Restauration devait causer une sorte de sursaut à l'Église catholique, et y ramener
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l'action militante. Nous avons déjà dit les efforts de Lamennais pour démocratiser l'ultramontanisme, et comment la rupture entre lui et la papauté s'en était suivie. Un de ses disciples, Lacordaire, après s'être associé à ses espérances et à ses efforts, refusa de le suivre dans sa révolte. Il accepta la censure du SaintSiège, essaya de rentrer dans la stricte orthodoxie, et devint le plus grand prédicateur du temps, le seul qui, au point de vue de l'éloquence de la chaire, réclame un examen approfondi.
Mais avant d'arriver à l'œuvre, il importe de connaître l'homme. Ici surtout, l'un éclaire l'autre. Lacordaire est né,en 1802,à Recey-sur-Ource, petit bourg de la Côte-d'Or, où son père était médecin. Il entra, en 1818, au collège de Dijon, où ses aptitudes merveilleuses pour toutes les études le signalèrent bien vite. On créa pour lui un prix extraordinaire de rhétorique, et il reçut la collection complète des médailles des rois de France, comme élève hors ligne. Dès lors, son caractère trahissait un mélange de contemplation et de violence, que dominait un orgueil toujours près de la révolte. Il passait la plupart de ses récréations silencieusement assis à l'écart et tressant des bagues de crin mais, à la moindre provocation, il engageait des luttes qu'il poursuivait avec acharnement. Ses maîtres, eux-mêmes, étaient sans autorité sur cette fière nature.'Toute réprimande le trouvait rétif, toute punition, rebelle, et ses débats avec les régents prenaient toujours des proportions majestueusement tragiques.
Un jour, le censeur ayant voulu l'envoyer au pain
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sec, il se cramponna à la table du réfectoire, en s'écriant qu'il ne s'y rendrait que traîné par quatre gendarmes. « Alors, dit le censeur, vous irez en prison. Soit, répliqua l'écolier en se levant, ceci est à ma taille ». Et il se laissa conduire au cachot, avec la fierté de Régulus marchant au supplice. Au sortir du collège, il étudia le droit et se fit recevoir avocat; mais c'était trop peu; il quitta bientôt la livrée du barreau pour la robe du cordelier. Celle-ci était aussi mieux à sa taille; on ne la quittait pas, et on l'apercevait de plus loin 1
Ses anciens amis éprouvèrent, pourtant, quelque surprise, en apprenant sa conversion. Au collège, il avait souvent déclaré qu'il n'acceptait même pas la Profession de foi du Vicaire Savoyard, et, étudiant en droit, il s'était montré dans les conférences très hostile à toutes les idées catholiques. Ce fut seulement à Paris, et après avoir débuté comme avocat stagiaire, qu'une brusque révolution le changea. Quelque événement mystérieux avait donné une subite secousse à son âme. Fut-il détourné du monde, comme l'avait été Lamennais dans sa jeunesse, par la douleur d'un amour dédaigné, reçut-il le terrible avertissement qui convertit autrefois l'abbé de Rancé, ou bien entendit-il véritablement la voix qui avait parlé à saint Paul sur la route de Damas? Nul ne le sait, ou du moins ne l'a dit. Il disparut brusquement, sans que sa mère elle-même eût été avertie du changement qui venait de s'accomplir chez lui. Elle n'en fut instruite qu'en recevant une lettre du séminaire, où le stagiaire venait d'entrer. Ordonné prêtre, il devint aumônier d'un des collèges de Paris. Mais là,
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l'orage rentra dans cette âme, inhabile au repos. Lamennais avait publié les deux premiers volumes de son Essai sur l'Indifférence. Le premier prouvait, comme nous l'avons déjà dit, la nécessité d'une croyance le second appuyait la révélation sur l'autorité de l'Église et du genre humain. Dans le clergé, les uns acceptaient, les autres repoussaient cette démonstration Lacordaire se déclara pour Lamennais, et entra dans la sphère dévorante de ce génie tourmenté. Le journal l'Avenir n'eut pas de rédacteur plus laborieux et plus ardent. Nous avons raconté ailleurs l'histoire de cette publication, et comment elle tomba sous l'anathème du Saint-Siège. Tandis que Lamennais revenait de Rome, détrompé, c'est-à-dire hérétique, Lacordaire subissait une nouvelle transformation spirituelle. Un soir, agenouillé au tombeau de saint Pierre et demandant à l'auguste patron de la papauté de lui venir en aide, il s'était senti subitement illuminé une voix intérieure lui avait crié que sa raison l'avait trompé i
Dès lors commença pour lui un mépris furieux de la raison humaine il ne permet plus de la consulter en mille occasions, il ne veut plus en entendre parler. Encore quelques années, et il écrirasa fameuse Lettre sur le Saint-Siège, où il établit que la guerre est, dans le monde, entre la foi et la raison que la première est représentée par le pape, la seconde par le progrès, qu'il faut que la bataille soit définitive et que l'une périsse. Or, comme la foi a reconnu que la raison humaine ne se suffirait à elle-même dans aucun ordre de choses, ni intellectuel, ni social, ni matériel, il faut que tous les puissants se réunissent,
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pour imposer silence à la raison. Conclusion qu'il formule par cet axiome La foi vient de Dieu, la raison vient du démon.
Ceci est la doctrine du moyen âge. Un autre dominicain, le père Caccini, prêchait à Florence, à propos de la découverte de Galilée que la géométrie était un art diabolique, et que les mathématiques devaient être bannies de tous les États, comme source de toutes les hérésies. Lui aussi trouvait que la raison venait du démon, et ne suffisait dans aucun ordre de choses. A la vérité, Bourdaloue était moins sévère pour elle, lorsqu'il déclarait que la foi chrétienne n'était pas un pur acquiescement à croire ni une simple soumission d'esprit, mais un acquiescement et une sou. mission raisonnables.
Quoi qu'il en soit, Lacordaire poussa, sans doutetrop loin sa pieuse haine contre la raison, dans ses, premières conférences au Collège Stanislas car il fut censuré par l'autorité ecclésiastique, et, lorsqu'il voulut prêcher à Notre-Dame en 1835, la matière de ses sermons fut soumise à un examen préalable. Le succès fut immense, mais éveilla des scrupules. On envoya le prédicateur à Rome, pour se retremper aux sources de l'orthodoxie. En 1838, nouvelles conférences, nouveaux doutes, et nouveau voyage près du pape. Lacordaire,voulant échapper à la censure épiscopale et ne dépendre que d'un supérieur éloigné, qui ne l'entendît pas, prit la robe des dominicains en 1840, et se retira au couvent de Sainte-Sabine du Mont Aventin, où il écrivit la vie de Saint Dominique, dans laquelle il fait l'éloge de l'Inquisition. 11 avait annoncé.dans sa préface, qu'il resterait plusieurs
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années dans la solitude aussi, quelques mois après, reparut-il dansla chairedeNotre-Dame,où il prononça son célèbre sermon sur la Nationalité Française, dans lequel, selon son expression, il nous fit boire notre gloire jusqu'à la lie, et où il alla jusqu'à supposer que nos gentilshommes fidèles se feraient reconnaître au ciel par les quatre couronnes de la France, brodées sur leur robe nuptiale. Le clergé s'effaroucha un peu de cette espèce de croix d'honneur, donnée aux bienheureux dans le paradis, et le prédicateur blâmé fut de nouveau envoyé à Rome. Il en revint pour prêcher à Bordeaux, à Nancy, puis de nouveau à Paris, qu'il dut quitter brusquement, par suite de quelques allusions au respect des constitutions et à la sainteté du serment, qui furent regardées comme un anachronisme volontaire.
Les conférences du Père Lacordaireont été recueillies elles forment sept groupes, qui traitent de l'Église, de la doctrine catholique, de Jésus-Christ et de la réparation. Ce sont les principes de l'orthodoxie romaine, mais commentés par une imagination qui, à chaque instant, les entraîne hors de leur cercle, les mêle à toutes les idées, les revêt de tous les costumes. Nous comprenons les hésitations des chefs du catholicisme devant cet esprit aventureux, qui ne peut jamais répondre de lui-même. Vainement la règle vient lier son vol et l'Église lui confier la semence choisie, en lui montrant le sillon qui dcit la recevoir au premier souffle du dehors, les ailes se dénouent, le pur froment s'éparpille, et l'audacieux semeur, emporté dans les nuées, en envoie au hasard la grêle ou les éclairs.
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Cependant l'Église aurait tort de méconnaître les grands services que lui a rendus l'illustre dominicain. Pendant quinze années, il a réintéressé les esprits à des questions oubliées, il a relevé l'éloquence sacrée au niveau de toutes les autres éloquences, il a forcé les mondains à prêter l'oreille, à écouter sans sourire, à admirer le plus souvent, à accepter quelquefois. Il a enfin introduit dans la chaire un genre nouveau, qui n'est pas sans inconvénients sans doute, mais qui a le premier de tous les mérites, celui de se faire écouter. Nous ne chercherons point à décider entre ce genre et celui de Massillon ou de Bourdaloue; nous constatons seulement qu'il était, en France du moins, le seul possible de nos jours, et qu'il a, par conséquent, ce qui donne à l'éloquence sacrée, outre la valeur littéraire, une valeur historique, c'est-à-dire l'appropriation au temps et aux hommes.
En étudiant cette nouvelle éloquence de la chaire, il nous semble qu'on peut signaler quatre procédés de l'orateur, qui contribuent surtout à lui donner ce caractère particulier et contemporain. Le premier consiste à repousser les formulés théologiques, plus ou moins introduites dans la prédication, et qui font du langage de la chaire une langue à part, qui aie double inconvénient de no pas être générale, par conséquent de manquer de clarté et de rester bornée, c'est-à-dire condamnée aux redites. Lacordaire substitua partout le dictionnaire commun au dictionnaire ecclésiastique il parle de Dieu dans la langue que parle tout le monde, il ne s'enfonce pas dans les citations sacrées, comme entre les bas-
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tions d'une citadelle il ne force pas ses auditeurs à le suivre aux bancs de l'école théologique il descend au milieu d'eux, il prend l'image qui frappe leurs yeux, il s'adresse au sentiment qui, dans ce moment, agite leurs cœurs, il se fait homme de leur langue et de leur temps.
Le second procédé, qui est une conséquence du précédent, consiste à rajeunir les arguments vieillis, en les présentant sous une autre face, en les prenant par le côté littéraire ou philosophique plutôt que par le côté du dogme. Le père Lacordaireapporte un soin extrême à ces rajeunissements; c'est là qu'il appelle à lui toutes les ressources du style, qu'il s'enfuit du lies commun dans le lyrisme ou dans l'attendrissement, qu'il emploie successivement toutes les formes, le dialogue, l'apostrophe, le récit rapide, la description éblouissante qu'il fait enfin, de ce qui appartenait à tous, une légitime conquête, où flottent désormais ses couleurs. A-t-il, par exemple, à représenter le Christ, donnant à ses apôtres cet ordre Allez, et enseignez toutes les nations; évidemment il n'y a là matière à aucun nouveau développement et le sujet est depuis longtemps épuisé. Un prédicateur vulgaire eût répété ce que l'on avait dit mille fois; un prédicateur de talent eût renoncé à des commentaires nouveaux le père Lacordaire, lui, ne veut ni fuir la difficulté ni répéter les autres mr il prend la parole du Christ, et il ajoute Quelque temps après qu'elle eut été prononcée, il se passait dans l'Univers un phénomène singulier. L'Univers, ce quelque chose qui fuit et qui demeure, qui
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souffre et qui rit, qui fait la paix et la guerre, qui renverse et qui sacre les rois, quis'agite, sans savoir d'où il vient ni où il va, ce chaos enfin, écoute avec stupeur un bruit, dont il n'avait pas l'idée et qu'il ne se représente pas bien. Comme, dans la nuit, quand tout est tranquille et qu'on entend autour de soi je ne sais quel être qui marche, l'Univers, pour la première fois, entend une parole qui vit, qui se meut, qui est à Jérusalem, à Antioche, à Corinthe, à Éphèse, à Athènes, à Alexandrie, à Rome, dans les Gaules, du Danube à l'Euphrate, et par delà une parole qui a été plus loin que Crassus et ses bataillons, plus loin que César qui s'adresse aux Scythes comme aux Grecs, qui ne connaît pas d'étrangers ni d'ennemis; une parole qui ne se vend pas, qui ne s'achète pas, qui n'a ni crainte ni orgueil une parole toute simple, qui dit: Je suis la vérité, et il n'y a que moi Saint Paul a déjà paru devant l'Aréopage et, étonnés par sa nouveauté, ces chercheurs séculaires de nouveautés, ils ont créé un mot pour peindre leur surprise, mot heureux, et qui caractérise le phénomène dont l'Univers commence à soupçonner la puissance Que nous veut, disent-ils, ce semeur de paroles? Ces philosophes avaient vu disserter, diviser, analyser, démontrer, faire sa fortune et sa gloire avec la rhétorique et la philosophie ils n'avaient pas vu encore semer la vérité dans le genre humain, comme une graine efficace qui germe en son temps et qui n'a besoin que de sa propre nature pour fleurir et porter ses fruits (1).
Vous voyez comment l'originalité et la grande" (1) Lacordaihe Conférences Poussielguo, éditeur.
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des images, le tour de la phrase, le choix des circonstances, renouvellent ici des idées, sur lesquelles tout avait été dit.
Le troisième procédé du père Lacordaire ne lui est point précisément personnel il était connu des anciens, qui le recommandaient, dans leurs rhétoriques, sous le nom d'emploi des lieux extrinsèques. Ces ornements, artificiellement intercalés dans le discours, sont des espèces d'épisodes qui le ravivent. Le père Lacordaire excelle à ménager ainsi, de loin en loin, dans la trame de ses conférences, de petits cadres oratoires où il place des tableaux saisissants; ce sont comme des hymnes, des églogues ou des élégies, qui entrecoupent harmonieusement ses démonstrations, sous forme d'application ou d'exemple jamais on ne leur trouve l'apparence'd'un hors d'oeuvre. On sent qu'en élevant son monument, l'ar.tiste avait calculé des places marquées pour ses splendides bas-reliefs. Nous pouvons citer, parmi ces derniers,des pages charmantes sur l'attirement de la beauté et sur l'amour, dans la conférence qui traite de la charité; – le passage sur le choix d'une compagne, dans celle où il démontre la solidarité humaine et surnaturelle; enfin un morceau sur la femme, introduit dans la conférence où il fprouve que les faibles étaient leshénis de Dieu (1). C'est là un hors(1) Ce morceau, tel qu'il est cité par Souvestre, différant du texte de Lacordaire dans l'édition Poussielgue, l'éditeur ne nous a pas autorisé à le reproduire. Nous en indiquerons la substance. Dieu a assujetti la femme à l'homme, mais il l'a dédommagée de cette sujétion par deux dons précieux: le don de la foi et celui de la charité. La femme a été l'objet d'une
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d'œuvre plein de grâce et de douceur sans doute mais comparez cette manière nouvelle 'de parler de la femme aux manières des anciens commentateurs religieux, à celle du père Duguet, par exemple, toujours si rude pour la fille d'Ève.
Cette introduction de>entiments modernes, d'idées contemporaines, est le quatrième procédé du père Lacordaire. celui auquel il recourt le plus fréquemment. Il ne suppose pas que l'auditeur a quitté sur le seuil ses habitudes d'esprit, les inclinations de son siècle et de sa race; il sait que la porte du temple, en s'ouvrant, a laissé entrer, avec la foule, mille souffles du monde aussi va-t-il chercher dans le cœur du chrétien, qui écoute sous la chaire, les préoccupations du Français, du penseur, du citoyen.
C'est là ce que nous l'avons vu faire, avec une regrettable exagération, dans son sermon sur la Vocation de la Nation Française, ce qu'il a hasardé plus heureusement dans sa trente-troisième conférence sur le communisme, ce qu'il recommence à chaque instant dans les digressions qui entrecoupent ses discours, ce qui lui a inspiré, enfin, ce magnifique appel, par lequel se termine sa conférence sur la charité
grâce spéciale. Elle échappe au monde et à sa corruption par la virginité et la maternité, et, si elle tombe dans le péché, si elle oublie sa dignité, elle se relève par l'ardeur de la pénitence. Elle est grande par la pureté, comme la Vierge Marie, ou parle repentir, comme la pécheresse Madeleine. (Note de l'Éditeur.)
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Et vous, hommes, qui n'êtes que des hommes, souf. frez que je vous le demande Où en êtes-vous de la fraternité et de l'amour humain ? Hélas 1 après des illusions rapides, vous ne croyez déjà plus à l'amour, vous êtes devenus incrédules, même à la beauté, et la source des joies mystérieuses ne donne plus d'eau dans le fond de votre cœur. Vous avez ôté de l'homme le Dieu qui y habite, et vous vous êtes étonnés du néant qui s'y est fait. Qu'ai-je besoin de citer de nouveau à mon tribunal le mahométisme, le protestantisme et le rationalisme ? On peut considérer le monde en bloc aussi bien que par l'analyse. Eh bien depuis que la raison humaine, sous diverses couleurs, a combattu et affaibli la doctrine catholique dans le monde, quel chemin y a fait la fraternité ? Son nom est dans toutes les bouches, il fait le fond des systèmes et des désirs, on n'entend parler que d'esprit d'association et de communauté, on se tend la main de partout et, cependant, un gémissement sourd, une plainte unanime, dénonce à toute la terre le refroidissement des cœurs. Que j'écoute l'homme qui porte le faix du service militaire, le magistrat appliqué aux fonctions de la justice, le professeur démêlant dans l'âme du jeune homme le secret de ses penchants, l'homme politique étudiant de près les grands ressorts du monde, que j'écoute enfin la voix de la société par tous les pores d'où elle s'échappe, je n'entends qu'un mot tomber dans mon oreille Végoïsme Le froid et le vide se font dans l'humanité on sent, jusque dans les ardeurs politiques, un souffle morne, une respiration fatiguée, qui annonce au dehors la misère du dedans. Ainsi, quand le soleil décline sur l'horizon, la sève de
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la nature s'arrête et se glace elle attendrait la mort, si elle n'espérait toujours la résurrection.
La résurrection viendra, chrétiens, et viendra par nous. Puisque le monde, quine veut pas de l'humilité, qui ne veut pas de la chasteté,qui ne veut pas de l'apostolat, veut de la fraternité; puisqu'il est obligé d'en vouloir et que tous les jours il s'ingénie à en faire, voilà le terrain commun où nous nous rencontrerons avec lui. Profitons-en Entre lui et nous, c'est à qui répandra le plus d'amour véritable, à qui donnera le plus en recevant le moins. Personne, dans ce conflit, ne pourra nous incriminer; jetons-nous-y, à cœur rempli. Nous avons tant reçu d'amour qu'il nous coûte peu d'en rendre. Gagnons nos frères à force de bienfaits; et puisque, de moment en moment, le froid augmente dans le monde, que, de moment en moment, la chaleur augmente en nous, pour passer jusqu'à lui, afin que, ce Lazare étant au tombeau, s'il devait y descendre, nous eussions assez de vie pour lui et pour nous, assez de larmes pour le pleurer, assez de puissance pour jeter ce grand cri: Lazare, quoique mort, entends la voix qui ressuscite, et sors du tombeau !(1) I Nous voudrions pouvoir multiplier ces citations, vous lire le dialogue entre la puissance humaine et l'immutabilité catholique, la peinture des conséquen ces du communisme, celle des épreuves du catholicisme dans le dernier siècle, tableau grandiose, où il montre l'Église vaincue, les philosophes se prépa1 1. LACORDAIRE, Conférences, t. Il, 25» conférence La charité. Poussielgue, édit. Paris, 1872, p. 120-121.
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rant à enterrer le Christ, les vieilles cathédrales, allant deux à deux, en avant de cette marche funèbre du passé, s'engloutir dans la destruction, Dieu se faisant si petit qu'on ne le voit plus, et alors, comme conséquence, tous les liens subitement brisés, le peuple se ruant sur tout ce qui est debout, et la société, secouée dans ses racines, tombant comme une forêt sous le coup de l'ouragan.
Mais le temps et l'espace nous avertissent il faut nous borner. Ce qui précède aura suffi, nous l'espérons, pour donner au moins quelque idée de la forme du père Lacordaire. Elle est à la fois simple et magistrale, pleine de force ou de grâce, selon le besoin çà et là hasardée, mais le plus souvent neuve, sans recherche. Depuis Massillon, la chaire française n'avait point eu de prédicateur qui réunît à un pareil degré les ressources de l'écrivain et celles de l'orateur. Quant à la dialectique, c'est le côté faible du père Lacordaire. Ses raisonnements ont plus •d'apparence que de réalité il n'y cherche que des thèses oratoires, et, lorsqu'on les dépouille des prestiges du style, le plus souvent la démonstration s'évanouit. Parfois même sa logique se fonde sur des affirmations qui témoignent de singulières ignorances ou d'étranges distractions. Ainsi, dans une -de ses conférences, voulant prouver la supériorité du catholicisme par l'existence des saints, il déclare ̃que le mahométisme et le bouddhisme n'en ont jamais eu, oubliant les tombeaux des marabouts et des derviches, qui sont l'objet d'un culte et font des miracles. Puis il ajoute que le protestantisme n'a point osé écrire une légende de ses saints, sans
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réfléchir que le protestantisme n'en reconnaît pas. C'est dans la même conférence qu'il donne l'histoire d'Élisabeth de Hongrie et qu'il applaudit à toutes les mortifications inutiles, à ces monstrueuses dépravations de l'ascétisme, qui violent les lois éternelles, imposées par Dieu à ses créatures. Le prédicateur en reconnaît l'extravagance, mais il voit dans cette extravagance même le signe de la sainteté, parce que c'est, dit-il, la preuve de l'infini dans le fini, de Dieu dans l'homme. Cette thèse est soutenue avec des efforts de poésie et une éloquence de détail, dont nous ne saurions vous donner idée. Il faut la lire dans la conférence elle-même. C'est la vingt-huitième du recueil.
Une autre remarque, générale celle-ci, et qu'il est impossible de ne pas faire, quand on lit les sermons du père Lacordaire, c'est que, comme la plupart des prédicateurs catholiques, il confond l'histoire du Christianisme avec celle de l'Église à laquelle il appartient. Au lieu d'isoler ce qui constitue particulièrement cette Église et d'en démontrer la vérité, il prouve l'excellence de la foi du Christ et en conclut la supériorité du catholicisme sur toutes les autres communions qui reconnaissent, comme lui, cette loi. Il semble que l'Évangile soit aussi opposé au protestantisme, qui le prend pour base, qu'à la religion de Mahomet. Cette espèce de malentendu systématique jette je ne sais quoi de faux sur toute la logique de l'éloquent dominicain. On sent qu'il démontre une chose, et qu'il en conclut une autre. Parfois aussi le goût du développement littéraire l'entraîne jusqu'à fausser chez lui le bon sens.
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Il ne sait pas sacrifier l'occasion d'un mouvementoratoire, et, pour l'amener, il ne reculera pas devant un paradoxe évident. Après avoir dit, par exemple, que la France avait abandonné la religion et que Dieu avait résolu de la sauver par une expiation aussi magnifique que son crime avait été grand, il s'écrie [que la royauté, la noblesse, le clergé, en France, étant avilis, Dieu relève l'un, par l'échafaud, l'autre, par l'exil, le troisième, par la spoliation de ses biens; il ajoute que Dieu a relevé la grandeur militaire de la France par la gloire de Napoléon, et qu'il s'est servi du même conquérant, devenu Empereur, et sacré à Notre-Dame, pour relever la religion en France, et rendre sa divine auréole à la papauté abaissée aux yeux des nations (1).
Quel abus d'éloquence 1 Ainsi Louis XVI traîné en prison, jugé,insulté, guillotiné, rend les rois plus majestueux La noblesse, obligée de mendier à l'étranger, devient plus digne Le clergé, employé par le gouvernement anglais à fabriquer de faux assignats, en est plus respectable Le pape, enlevé par nos soldats, comme un passant par des bandits, mis en charte privée, et obligé de sacrer son geôlier, se trouve relevé aux yeux des nations Et. ce conquérant si religieux, qui veut que ses mains soient bénies, c'est Napoléon Le même que les théophilanthropes proposaient de soutenir, lors de sa pre(1) Cf. 35° Conférence Lacordaire, t. II, édit. Poussielgue. Le texte ci-dessus, à partir de: que la royauté etc. n'est pas de Souvestre nous avons dû remplacer la citation de Lacordaire par une analyse, pour la raison indiquée précédemment. (Note de l'Éditeur.)
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mière nomination au Consulat, à condition qu'il se rattacherait à leurs doctrines, et qui répondait pour toute objection « Vous n'êtes que douze cents on ne fonde pas une religion avec douze cents hommes » absolument comme s'il eût dit « Vous n'êtes pas assez pour former une brigade. » N'est-il pas évident que le père Lacordaire a sacrifié ici l'évidence historique à un développement oratoire ? Un motif analogue, quoique différent, ôte, selon nous, toute autorité à son éloquence dans les trois oraisons funèbres que nous avons de lui. Qu'il ait à parler de Mgr de Forbin-Janson, du général Drouot, ou de Daniel O'Connell,l'homme tient trop de place dans son panégyrique, et Dieu en tient trop peu. Lorsque Boss-uet prononce l'éloge funèbre des plus grands ou des plus illustres personnages de son temps, il les subordonne tellement aux principes religieux que leur mort semble seulement un texte fourni pour ses enseignements. Il ne s'arrête point aux intimes détails de ces existences closes, il ne les prend, pour ainsi dire, que comme des exemples, et la mort de ceux qu'il loue le préoccupe bien plus que leur vie. C'est là surtout ce qui donne à son accent une grandeur souveraine; on entend, au fond de sa prose solennelle et grandiose, comme un murmure de la trompette de l'archange. Le père Lacordaire, lui, ne fait entendre que la fanfare du triomphe. Ses oraisons funèbres sont des biographies éloquentes, où le côté humain prend la plus grande place, s'il ne les occupe pas toutes. Ce qu'il dit plaît, au lieu d'édifier on retient des anecdotes, des traits brillants,
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on n'a pas remarqué la leçon. Là est, au reste, son point vulnérable, comme porteur de la sainte parole; il travaille évidemment plus à sa renommée qu'à la victoire de la foi, et l'artiste l'emporte de beaucoup sur le prédicateur.
Sa vie entière en est un témoignage. Esprit mobile, amoureux de bruit et révolutionnaire d'instinct, le père Lacordaire s'est toujours porté là où était la lutte. Trop fidèle expression de notre race française, il a traversé tous les camps intellectuels, sans pouvoir s'arrêter longtemps à aucun, et tendant toujours aux extrêmes. Ce n'est point chez lui légèreté de conviction, mais plutôt agilité d'intelligence; la stabilité lui est antipathique, il ne peut vivre que de mouvement.
De là ses perpétuelles préférences pour le rôle de contradicteur. Au collège, où la religion s'imposait, il se déclare voltairien, et fait résistance à l'enseignement catholique. Devenu prêtre, il combat l'État par l'ultramontanisme, puis par la démocratie. Ramené à l'orthodoxie, il s'en sert pour attaquer la religion, c'est-à-dire la société moderne.
Ainsi son imagination ardente a toujours besoin d'opposition. Sous le joug même de l'absolutisme spirituel, son instinct révolutionnaire le pousse à chercher une autorité, contre laquelle il puisse s'insurger la révolte n'est pas pour lui le plus saint des devoirs, mais le plus impérieux des besoins, la source de sa force et de son dévouement. Les abaissements volontaires qu'il s'impose, ses proclamations perpétuelles de soumission au Saint-Siège, constatent cette disposition, loin de la contredire il imite Pas-
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cal, exagérant l'obéissance, par peur des emportements de sa raison plus il redouble les nœuds dont il se lie, plus on devine sa turbulence. Il n'y a que les furieux, conscients d'eux-mêmes, qui cherchent la camisole de force avec autant d'ardeur. Au reste, le père Lacordaire ne nous a pas dit son dernier mot. Rentré momentanément dans l'ombre, il en sortira, sans aucun doute, à la première occasion, pour se mêler encore aux agitations sociales. Reste à savoir sous quelle invocation, et si la robe de moine, dont il s'est enveloppé, est le suaire définitif de ses opinions de jeunesse.
En tout cas, il a été en France le dernier défenseur éclatant de la foi exclusive contre la raison. Mais sa doctrine, tombée aux mains des compromettants avocats de l'Univers, a conservé des adhérents nombreux. Il importe donc de chercher d'où elle nous est venue, et ce qui a ressuscité de notre temps les idées oubliées, dont il est devenu le propagateur éloquent.
Ceci nous conduit naturellement à l'examen des systèmes philosophiques, dont la production peut être rapportée au travail intellectuel de ces trente dernières années.
Ces systèmes peuvent se rapporter à six écoles distinctes, dont deux nous ont déjà occupés ce sont l'école matérialiste, à laquelle se rattachent les différents socialismes, et l'école éclectique, examinée dans notre précédente leçon (1).
Des quatre écoles, dont nous n'avons encore rien (1) Encore une indication inexacte de l'ordre des leçons.
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dit, deux appartiennent à la Restauration, deux au règne de Louis-Philippe.
Les premières sont l'école absolutiste de MM. Joseph de Maistre et de Bonald,et l'école historique de Ballanche.
Les secondes sont l'école panthéistique de Pierre Leroux, et l'école fondée par le dernier livre de Lamennais, Esquisse d'une philosophie, à laquelle, faute d'appellation connue, nous donnerons le nom d'école providentielle.
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DIXIEME LEÇON
L'H istoire.
SOMMAIRE
Apparition de l'esprit historique auxix0 siècle. – Sa définition, ses caractères.
Augustin Thierry. L'éveil de sa vocation" une lecture des Martyrs.-A. Thierry et Saint-Simon.-Une vue historique la distinction des classes (peuple et noblesse), interprétée comme une distinction de races (vainqueurs et vaincus). Origine de cette vue. Son application, sa portée. L'Histoire de la conquête d'Angleterre (1825), les Lettres sur l'Histoire de France, etc. Dans ces ouvrages se marquent un sens humain, l'intelligence de la tradition ou continuité des faits, le sens de la diversité ou individualité des époques. Contributions particulières d'A. Thierry à l'histoire il fait ressortir 1» l'importance de la distinction des races 2° la part prise par les populations du Midi à l'établissement del'empire des Franks; 3° le caractère spontané et populaire de l'affranchissement des communes 4» le rôle des légendes, comme source de l'histoire. A. Thierry a donné l'exemple d'une noble vie de travail, pousséjusqu'au martyre.
ilf. Thiers.-Ses débuts.– Le petit Jacobin d'Aix.- Comment, dans un même concours académique,il remporte à la fois,pour un éloge de Vauvenargues, un prix et un accessit. Vie à Paris. Thiers et Mignet. – Entrée de Thiers au Constitutionnel.-Comment il prépara son Histoire de la Révolution. Mérite de cette histoire et de celle du Consulat et de l'Empire: rapport clair, substantiel, bien ordonné, des faits. Défaut absence d'idées générales, de principes; faits ratta-
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chés à leurs causes immédiates, prochaines; culte du succès, jugement subordonné au fait accompli, au résultat. Style clair, mais terne, manquant même parfois de propriété et de justesse.
M. Mignet. Esprit diamétralement opposé à celui de Thiers, épris d'idées générales, s'attachant aux causes, négligeant 1. détail des faits. L'Histoire de la Révolution française. Style sobre, soutenu, vigoureux et net, mais trop tendu, d'une perfection uniforme, auquel manque l'inspiration et la flamme.
M. de Barante. L'histoire narrative (récit des événements, abstraction faite des idées, des sentiments) ou l'histoire remplacée par la chronique. L'illusion de l'objectivité. Quoi qu'on fasse, raconter, c'est toujours juger ou suggérer des jugements.
M. de Ségur. Allure épique de l'Histoire de la Grande Armée. Abus du pittoresque et de la couleur, mais évocation grandiose des événements et exactitude du récit. MM. Michelet et Louis Blanc. L'histoire à thèses, expression de l'esprit de parti.- L'Histoire de la Révolution de Michelet.– L'Histoire de Dix ans.de Louis Blanc: la bourgeoisie opposée au prolétariat et dénoncée comme une nouvelle classe de privilégiés.
M. de Vaulabelle.
M. Capefigue.
Tout le mouvement intellectuel d'une époque est produit par une triple impulsion: celle de la philosophie, qui systématise les principes, de l'histoire, qui les applique aux faits, de la poésie, qui préside à la mêlée de sensations, de sentiments ou de rêves qui s'agitent entre les faits et .les principes. Nous avons étudié, dans les leçons précédentes, les écoles philosophiques contemporaines; il nous reste à parler de l'histoire et de la poésie.
La première ne date véritablement en France, en
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Europe même, que de notre temps. On avait eu des chroniqueurs, comme Froissart, des annalistes,comme De Thou ou Villani, des rapporteurs juridiques, analysant le procès du passé, comme Hume et Robertson; mais on attendait encore des historiens, qui eussent véritablement rebroussé chemin vers les temps accomplis, pénétré au cœur des institutions détruites, compris les anciennes générations dans leur vie extérieure et dans leur âme. Cette gloire de plonger jusqu'au fond du passé et d'en rapporter l'image fidèle des sociétés antérieures était réservée à notre époque. Pour la première fois, les documents originaux ont été rouverts, déchiffrés une phalange de travailleurs laborieux a repris l'œuvre des Bénédictins, en y apportant une critique plus libre et le sentiment de la vie des peuples, qui avait manqué aux célèbres moines de Saint Benoît. Pour la première fois, on a cherché dans les vieux actes autre chose que le fait constaté ou la formule extérieure on y a découvert l'esprit même du temps. Au lieu de ce morne musée de roides portraits sans physionomie, estampillés d'une date, d'un nom et d'une sèche légende, nous avons eu une véritable résurrection des générations éteintes. Toutes se sont levées avec leurs traits, leurs costumes, leurs passions, et sont venues prendre leur place dans cette grande revue du passé. Jusqu'ici nous avions eu l'histoire morte; notre siècle a trouvé pour la première fois l'histoire vivante.
Et nous ne parlons pas ici seulement des écrivains, qui se sont imposé la tâche de remettre debout les peuples, dont ils nous racontaient les chroniques; en
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dehors de cette école pittoresque, l'image animée du passé nous a été offerte. Les philosophes de l'histoire eux-mêmes se sont efforcés de reproduire, sinon son extérieur, du moins son âme. Ils ne l'ont point étudiée au point de vue exclusif du présent. Ils n'ont pas, à la manière de Hume et de Voltaire, instruit son procès d'après le code moder ne mais ils l'ont jugée avec ses propres lois et ses propres coutumes ils sont allés au passé, au lieu de l'amener à eux; ils se sont initiés à ses habitudes, à ses croyances ils ont eu à cœur, non de le condamner, mais de le faire connaître.
Cet esprit nouveau n'a pas été particulier à quelques historiens; il les a gagnés tous. Nous en trouvons partout la trace, à des degrés différents, depuis Augustin Thierry jusqu'à M. Thiers, et depuis M. Barante jusqu'à M. Guizot.
Mais, en citant l'historien de la Conquête de l'Angleterre par les Normands en tête de cette révolution, nous ne l'avons pas nommé au hasard nous lui avons donné sa véritable place. Augustin Thierry a été, en effet, la plus heureuse expression de notre réforme historique et l'exemple le plus visiblement contagieux. Tandis que les œuvres de ses contemporains se débattent encore entre l'éloge et le blâme, la sienne a pris le premier rang, sans que nul le lui conteste il semble avoir vu, avant sa mort, commencer pour lui la postérité.
Une si rare réussite est à la vérité justifiée, non seulement par en génie exceptionnel, mais par une carrière qui ne ressemble à nulle autre. Augustin Thierry est, tout à la fois, un grand modèle et une
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grande leçon. Si son œuvre étonne, sa vie l'explique elle est le plus éclatant témoignage du dévouement à l'étude qui ait été donné de nos jours. Elle console de tant d'existences perdues dans l'intrigue ou dans l'oisiveté, en montrant que notre siècle est encore capable des longues tâches courageusement accomplies.
Augustin Thierry est né à Blois, en 1795, d'une famille pauvre et ignorée. Il fit d'excellentes études au collège de sa ville natale et montra de bonne heure un goût particulier pour l'histoire. Nous avons dit comment la vue du musée formé par M. Lenoir réveilla chez M. Michelet le sens historique; Augustin Thierry éprouva quelque chose d'analogue en lisant la description du combat entre les Romains et les Franks, dans le sixième livre du poème des Martyrs.Cette page de Chateaubriand, inspirée des Chroniques du nord, auxquelles plusieurs détails ont même été textuellement empruntés, fit entrevoir au jeune homme le côté poétique des vieux textes, et le parti qu'on en pouvait tirer pour faire revivre les héros barbares. Ce ne fut qu'une semence jetée dans ce cerveau puissant, mais il est des terrains où tout germe et grandit il suffit de laisser faire le temps. Augustin Thierry le mit à profit, en s'occupant facquérir toutes les connaissances préliminaires, indispensables à l'immense travail qu'il méditait. Entré à l'École normale en 1811, et envoyé de là comme professeur dans un collège de province,il ne revint à Paris qu'en 1814, au moment de l'invasion. Ce fut alors qu'il fit la connaissance de Saint-Simon, avec lequel il travailla quelque temps. Mais l'esprit
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confus du célèbre utopiste ne pouvait s'associer longtemps à la nette intelligence du futur historien; en 1817, il quitta son maître, qui avait aidé à développer chez lui un instinct des ensembles historiques, dont il devait profiter plus tard, et il se joignit à MM. Comte et Dunoyer pour rédiger une revue libérale, le Censeur.
Le rétablissement de l'ancienne dynastie avait relevé toutes les prétentions de l'Ancien régime. M. Montlosier, qui représentait la noblesse, victorieuse par les armées étrangères, déclarait qu'elle devait reprendre la tête de la société française. Il basait sa supériorité sur la descendance de la race conquérante, et il disait à la bourgeoisie « Descendance d'affranchis. licence vous fut octroyée d'être libre, mais non pas d'être noble. Pour nous, tout est droit, pour vous, tout est grâce. » Augustin Thierry accepta le débat sur ce terrain historique; il reconnut la distinction des deux races, conquise et conquérante, dans le peuple et dans la noblesse, et en conclut la légitimité de la lutte pour les roturiers qui, comme tous les vaincus, avaient éternellement droit de prendre leur revanche.
Ce fut là vraisemblablement l'origine de l'idée qui présida, d'abord exclusivement, et plus tard d'une manière très sensible, aux travaux du nouvel historien. Il regarda les distinctions de classes comme une transformation des distinctions de races, non seulement en France, mais en Angleterre, et ce fut sous cette préoccupation qu'il écrivit l'Histoire de la Conquête.
Son apparition, en 1825, fut un véritable événe-
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ment. L'école historique des temps modernes était enfin trouvée. Malgré l'importance excessive donnée à l'influence des races, le récit de la Conquête de l'Angleterre par les Normands parut ce qu'il était, c'est-à-dire un chef-d'œuvre d'érudition, d'art, de perspicacité. Jamais le sens humain ne s'était allié, chez aucun historien, à autant de science et de style. On avait Tite-Live plus authentique, Salluste plus simple, Xénophon plus philosophe; l'auteur avait réalisé lui-même le magnifique et difficile programme, qu'il devait donner plus tard à l'historien, lorsqu'il disait, dans ses Lettres sur l'Histoire de France: Pour écrire l'histoire, ce n'est pas assez d'être capable de cette admiration commune pour ce qu'on appelle les héros il faut une plus large manière de sentir et de juger, il faut l'amour des hommes, abstraction faite de leur renommée et de leur situation sociale, une sensibilité assez vive pour s'attacher à la destinée de toute une nation et la suivre à travers les siècles, comme on suit les pas d'un ami dans un voyage périlleux. Mais les travaux nécessaires pour compléter ce monument historique avaient épuisé les forces d'Augustin Thierry, il y avait usé nohlement sa vie, comme il l'a dit lui-même. Il dut prendre plusieurs mois de repos. Après avoir visité la Suisse et la Provence, en compagnie de M. Fauriel, il revint à Paris, où il fit paraître successivement ses Lettres sur l'Histoire de France, Dix Années d'Études Historiques, ses Récits des Temps Mérovingiens. Dans ces différents ouvrages, son but avoué est d'établir la continuité de la tradition nationale et de prouver que
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tout ce qui se produit de nos jours est la conséquence de ce qu'ont fait nos pères. Il montre que le peuple a eu sa grande part dans le mouvement général, part oubliée mal à propos par les historiens, qui n'ont parlé que des rois, des nobles et des prêtres; encore ceux-ci ont-ils été présentés sans visage particulier et sans accent. « Ce sont des ombres décolorées, qu'on a peine à distinguer l'une de l'autre. » Les individualités se succèdent en vain. « On dirait que c'est toujours le même homme, et que, par une sorte de métempsychose, la même âme, à chaque changement de règne, a passé d'un corps dans un autre corps ». On parle, dès le principe, du composé discordant de Visigoths, de Franks, de Latins, de Burgondes, qui doivent former plus tard la nation française, comme s'il s'agissait du peuple unifié sous le gouvernement de Louis XIV toutes ces provinces distinctes, qui s'équilibraient alors, comme s'équilibrent aujourd'hui les différents États de l'Europe, et dont la conquête, la diplomatie ou les mariages devaient faire à la longue la France de nos jours, sont regardées comme les parties d'un tout, qui n'existait même pas en espérance. C'est ainsi que Velly a raconté nos premières dynasties, écrivant l'histoire de France dans le style de Clélie Mézeray n'a songé qu'à trouver des occasions de dire aux puissants les vérités qui leur déplaisaient le père Daniel, plus érudit et plus exact, est aveuglé par la servilité ou le fanatisme Anquetil copie tout le monde, sans choisir l'histoire de France ne commence en réalité qu'à Sismondi, qu'on doit citer pour la science des faits, à Guizot, qui se distingue
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par la finesse et l'étendue des aperçus, à Augustin Thierry surtout, qui joint aux qualités de tous deux la puissance créatrice, qui rend au passé son caractère, sa forme et son mouvement.
Si l'on nous demandait de spécifier ce qui, outre la forme toujours admirable, constitue le caractère original de l'historien dont nous nous occupons, il nous semble que l'on pourrait distinguer quatre points principaux.
D'abord l'importance donnée par lui à la distinction des races. Bien que l'auteur en ait peut-être exagéré les conséquences, cette distinction n'en est pas moins un élément sérieux et nouveau, introduit dans l'histoire.
Secondement, la constatation de l'influence des populations du sud ou de la langue d'Oc, dans l'établissement de l'empire définitif des Franks. Ceux-ci avaient toujours été considérés comme les pères, à peu près exclusifs, du peuple français Augustin Thierry a prouvé, que les populations méridionales étaient entrées, pour une part au moins égale, dans notre fondation nationale.
Troisièmement, la rectification des idées relatives à l'affranchissement des Communes acte que l'on avait longtemps présenté comme une sorte de réforme sociale, accomplie universellement, et à une même date, par ordonnance de Louis le Gros, tandis que cet affranchissement, toujours poursuivi, a été le résultat de mille combats et de mille victoires, successivement remportées par chaque commune, au prix de son or et de son sang.
Enfin l'étude des légendes, des chants populaires,
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des traditions, considérés comme sources de l'histoire, non quant à la réalité des faits rapportés, mais à titre de révélations intimes, faisant connaître une race dans ses plus secrètes pensées et dans ses plus ardentes aspirations.
Nous ne parlons pas de la modification orthographique, tentée par Augustin Thierry pour les noms propres des deux premières dynasties, réforme rationnelle, mais tardive, qui a échoué devant la routine. Le grand historien avait été conduit à cette réforme par la lecture des documents originaux, qu'il avait tous compulsés, s'initiant à leur langage barbare, devinant les énigmes de leurs abréviations, cherchant le vrai sens de leurs indications erronées ou incomplètes. C'est dans ce prodigieux travail que notre Milton de l'histoire a senti ses yeux s'éteindre et- a vu le soleil se coucher pour lui sans retour c'est sous le poids de ces études acharnées que ses membres se sont lentement engourdis dans la paralysie. Aujourd'hui l'auteur de tant de chefs-d'œuvre d'art et d'érudition n'est plus qu'un cadavre, dont le cerveau a survécu. Au-dessus de ce corps, forme inerte, qui n'appartient plus à personne, se dresse une tête aveuglée, mais riche encore de science. C'est elle qui a dicté les Récits Mérovingiens, dans lesquels Homère semble s'être fait l'historien des temps barbares c'est de ses lèvres mélodieuses que sont tombés ces mots, inscrits au commencement d'une réimpression des Études Historiques Si j'avais à recommencer ma route, je prendrais celle qui m'a conduit où je suis. Aveugle, et souffrant
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sans espoir et presque sans relâche, je puis rendre ce témoignage qui, de ma part, ne sera pas sùspect: il y a au monde quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune, mieux que la santé elle-même, c'est le dévouement à la science. Le martyr de l'histoire ne peut nous conduire que par voie de contraste à M. Thiers, qui lui a dû le pouvoir, la fortune, toutes les jouissances sociales, et dont les laborieuses recherches n'ont jamais altéré la santé.
Nous avons déjà parlé de M. Thiers comme homme politique et comme orateur mais nous n'avons rien dit du chemin qu'il avait suivi pour arriver si haut.
Il est inutile de rappeler que M. Thiers est né dans le Midi (à Marseille) on le comprendrait à la vivacité de son esprit, lors même que l'on ne le devinerait pas à sa réussite politique et à son accent. La turbulence bruyante de M. Thiers se trahit, au reste, de bonne heure à Aix, où il faisait son droit en 1815, il était devenu le souci et la terreur de tous les factionnaires de la Restauration. Son humeur frondeuse était toujours en éveil il pérorait à la porte des cours, sur les promenades, au café partout où l'on entendait une voix criarde, faisant de l'opposition, les gens -paisibles s'écriaient C'est encore le petit Jacobin I (On ne le désignait point autrement). M. Thiers s'exerçait ainsi d'avance à disputer le portefeuille à MM. Guizot et Molé. Cependant il se piquait dès lors de littérature et, lorsque l'Académie d'Aix mit au concours l'éloge de
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Vauvenargues, M. Thiers traita le sujet et envoya son manuscrit signé. Le prix lui était d'autant mieux dû qu'il était sans concurrent mais les Académiciens ne purent se résoudre à couronner ce perturbateur, ce factieux, et le sujet fut remis au concours. M. Thiers renvoya son travail, mais cette fois on avait reçu un mémoire de Paris, qui parut au moins aussi remarquable que celui de l'étudiant marseillais. Toutes les voix déclarèrent donc que celui-ci n'aurait qu'un accessit et que le prix serait accordé au Parisien. Il ne restait plus qu'à connaître son nom on ouvre la lettre cachetée qui le renfermait, et l'on trouve. celui de M. Thiers Il avait écrit deux éloges, et se trouvait ainsi avoir accaparé le prix et l'accessit.
Mais, une fois licencié en droit, notre lauréat comprit que son véritable théâtre était Paris. II avait fait la connaissance d'un jeune homme grave, instruit, de manières excellentes, auquel il s'était attaché par suite de l'attraction des contraires c'était M. Mignet, le futur historien philosophe. Tous deux partirent ensemble, et allèrent habiter passage Montesquieu, au quatrième, une petite chambre, meublée d'un seul lit, d'une commode, de deux chaises et d'une table de sapin. On la montre encore aujourd'hui aux curieux, et cette humble retraite n'est pas le moins honorable souvenir de la vie des deux académiciens. C'est là qu'ils mirent en commun leur pauvreté, leurs espérances, leurs efforts 1. Mais ceux de M. Mignet se dirigeaient 'surtout vers l'étude et la réflexion, ceux de M. Thiers se tournèrent vers le succès.
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Manuel était alors la grande gloire du parti libélal il se présenta chez lui à titre de compatriote (Manuel était du Midi), il parla beaucoup et bien de son dévouement au libéralisme Manuel fut charmé. Il le conduisit chez Laffitte, par l'entremise duquel M. Thiers ne tarda pas à se glisser au Constitutionnel. Les hauts seigneurs de ce journal, MM. Jay et Étienne, n'admirent pas à la partie politique le petit avocat (c était ainsi qu'on nommait alors l'ancien petit Jacobin), mais ils lui abandonnèrent les questions d'art. M. Thiers rendit compte de l'exposition de peinture, et ce qui peut donner idée du journalisme du temps, c'est que M. Thiers se fit remarquer par l'élégance de son style. Sa réputation faillit tourner à la littérature. Il publia l'itinéraire d'un voyage dans les Pyrénées et le Midi de la France, comme Chateaubriand avait publié celui de Paris à Jérusalem. Évidemment il ne savait pas encore quelle route le conduirait au succès, et il les essayait toutes. Cependant ses aptitudes générales et l'instinct de ce qui pouvait faire réussir l'attiraient vers l'histoire. Non vers celle des anciens temps, qui réclamait de longues études préparatoires et l'abandon de toute espérance ambitieuse, mais vers l'histoire contemporaine, qui était encore une polémique, et dont le passé pouvait servir d'échelon pour l'avenir. Dès son arrivée à Paris, il s'était mis à étudier la Révolution dans les numéros oubliés du Moniteur. Familièrement reçu chez Laffitte, il y avait fait la connaissance de M. de Flahaut, avec qui il parlait diplomatie, du baron Louis, qui l'entretenait de finances il réussit à voir M. de Talleyrand, qui voulut bien causer avec
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lui de politique. Les généraux, mis en retraite par la Restauration, et qui s'étaient réfugiés dans le libéralisme, lui racontaient leurs campagnes ou lui expliquaient celles des autres il allait ainsi, profitant de tout le monde, s'informant, écoutant et écrivant à mesure son Histoire de la Révolution.
Lorsqu'elle fut achevée, l'auteur était encore si peu connu qu'aucun éditeur ne voulut imprimer son manuscrit. Enfin il en trouva un qui se risqua, mais à condition qu'on associerait au nom ignoré de M. Thiers celui de Félix Bodin, alors célèbre par ua résumé de l'Histoire de France, aujourd'hui profondément oublié. Ce fut seulement à la seconde édition que le nom du véritable auteur parut seule, et put jouir du succès sans partage.
Ce succès avait été universel, et nous ajouterons sans peine qu'à beaucoup d'égards il était mérité. C'était la première fois que l'histoire contemporaine était exposée dans son ensemble avec cette clarté et cette perspicacité. Il y avait dans l'éloge et le blâme une sorte de tempérance alte'iative, qui ressemblaità à de l'impartialité. Les lectetis attentifs remarquèrent seuls qu'elle venait de l'inconsistance des principes, toujours prêts à se subordonner aux faits. On fut surtout frappé de la souplesse d'intelligence de l'auteur, qui passait sans effort du récit d'une opération de finance au récit d'une opération militaire ou d'une réforme adm inistrative, en restant toujours aussi rapide, aussi net.
Ce fut seulement plus tard, lorsque l'élévation de M. Thiers eut éveillé les haines ou les jalousies, que son Histoire de la Révolution fut examinée de plus
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près et qu'on en releva les défauts, sans parler, cette fois, des qualités. L'Histoire du Consulat et de l'Empire lui a ramené depuis, sinon toutes les admirations, au moins tous les lecteurs, et les plus prévenus se sont laissés aller au fil de cette narration, un peu vulgaire et verbeuse, mais nourrie de faits, abondante en documents et clairement explicative de ces mille choses historiques, dont on connaît les noms, sans savoir au juste où l'on pourrait en apprendre la signification. Il faut tenir grand compte à l'auteur de cette merveilleuse facilité, qui lui permet de tout saisir et de faire comprendre à première vue nul autant que lui n'aura contribué à populariser l'histoire des soixante dernières années. S'il n'en a point fait ressortir le sens intime, il a au moins déblayé l'espace parcouru, il a nettoyé les routes et montré les étapes ses livres ne dépassent point le niveau d'un rapport sans conclusion, mais d'un rapport clair, substantiel, où tout est à sa place. L'histoire de notre temps ne s'arrêtera point là, elle ne le peut ni ne le doit il restera seulement à M. Thiers la gloire d'avoir le premier réuni les faits et de les avoir mis à la portée de tout le monde. Quant la doctrine historique de M. Thiers, elle ressort tout entière de la loi de la nécessité. On lui a reproché d'avoir introduit le fatalisme dans l'histoire l'accusation n'est point exacte. Le fatalisme suppose la préexistence d'une loi à laquelle on ne peut échapper; il domine l'école allemande, et nous l'avons signalé dans les idées de M. Cousin sur la marche obligatoire des sociétés. M. Thiers ne remonte I pas si haut il s'en tient au fait, qu'il juge toujours
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isolément, d'après l'échec ou la réussite, il est vrai, mais en cherchant autour de lui les causes immédiates de cette réussite ou de cet échec. Les événements ne sont point, à ses yeux, l'accomplissement forcé de décisions providentielles, ni même les conséquences forcées de prémisses antérieures ils naissent successivement d'une heureuse combinaison ou d'une heureuse rencontre, d'une maladresse ou d'un triste hasard. Il ne semble apercevoir dans la succession des faits aucune loi divine ou sociale il regarde les hommes marcher et, à chaque faux pas, il se contente d'indiquer k pied qui a bronché. Aussi, dans son Histoire du Consulat et de l'Empire, ne peut-il se lasser d'admirer le premier Consul pour son idée systématique de prendre les hommes tels qu'ils sont et de se servir, pour gouverner, de leurs vices comme de leurs vertus. Il appelle cela de l'esprit politique, comme si les chefs des nations devaient ne voir dans les créatures, qui leur sont confiées, que des instruments à employer, et non des êtres à perfectionner. Il ne paraît même pas comprendre que ces vices qui, à un moment donné, ont pu être un moyen de réussite, à un autre moment, deviennent un moyen de ruine. Ainsi le premier Consul, en favorisant les instincts inférieurs de ceux qui l'entouraient par des titres nobiliaires, des apanages, préparait les défections qui devaient plus tard précipiter l'Empereur. Tous ces orgueils exaltés, toutes ces avidités satisfaites voulurent se ménager, aux jours de revers, et abandonnèrent celui qui les avait élevés, pour conserver leur élévation. Ils prouvèrent encore une fois que le lien des intérêts est
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fragile et qu'il n'y a de sûr que celui du devoir. On en peut dire autant des violations successives des constitutions par Bonaparte. M. Thiers les approuve, tant qu'elles sont heureuses il fait ressortir les avantages immédiats, qui en résultent pour la nation, et s'afflige seulement de ce qu'il ne se soit pas arrêté là il ne paraît pas comprendre que les fautes de l'Empereur Napoléon sont les suites logiques, nécessaires de ce qu'avait 'fait le général Bonaparte. Dès que celui-ci s'était placé au-dessus du pacte national et s'était fait l'unique arbitre des destinées de la France, la France devait en subir toutes les conséquences. On avait mis un homme à la place de la loi, c'est-à-dire un être mobile, corruptible, caduc, à la place d'une règle inflexible; le temps devait faire son office, l'ambition et l'intolérance du maître devaient grandir, les violations de la loi devaient se multiplier, l'aveuglement de celui qui pouvait tout, devenir chaque jour plus intense. Les folles entreprises de l'Empire ressortaient fatalement des usurpations favorables du Consulat. Voilà ce que M. Thiers ne sait pas voir. Il écrit l'histoire au jour le jour, sans esprit de prévision, sans perception générale. Son jugement ne dépend que du résultat, c'est-à-dire que la règle morale lui manque il n'a, pour le guider, ni un grand principe ni un grand amour il suit l'histoire de la société comme une partie d'échecs, avec une curiosité sagace, mais sans croire que les hommes soient autre chose que des pions.
Son style est en parfait rapport avec le terre-àterre de ses doctrines historiques il se fait com-
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prendre sans effort, mais n'ajoute jamais rien au fond de la pensée. Non seulement il est dépouillé de grâces littéraires, mais il manque souvent de goût ainsi il appelle la fameuse redingote de l'empereur, une enveloppe grise; il nomme le général Moreau un guerrier, absolument comme s'il s'agissait d'un figurant de tragédie; il parle de l'olivier de la paix et des palmes de la victoire. Mais, ce qui est plus grave, c'est l'impropriété des termes et l'incorrection des phrases, qui vont parfois jusqu'à altérer la pensée. Quand il veut rapporter, par exemple, que quelques bourgs de l'Ouest se fortifièrent, pour se mettre à l'abri des surprises des chouans, il dit « Les grosses communes s'entourèrent de palissades et de remparts. » Les communes 1 Ne croirait-on pas que la France occidentale avait sa muraille de la Chine 1 Ailleurs il dit, à propos de Bonaparte « Un genre de connaissances, fort regrettable dans l'exercice de l'autorité suprême, lui manquait encore c'était la connaissance des individus. » 11 est évident que ce n'est pas ce genre de connaissances qui est regrettable dans l'autorité suprême (comme l'exprime la phrase), mais son absence. La grammaire a trahi M. Thiers. Elle ne l'a pas mieux servi, lorsqu'il dit, en parlant de l'état de nos finances sous le Directoire « La situation financière dépassait tout ce qu'on avait vu. » Une situation qui dépasse Il a écrit situation, pendant qu'il pensait désordre; les fautes de ce genre sont continuelles chez lui ce sont elles qui l'empêcheront toujours de se classer, nous ne disons pas parmi les bons écrivains, mais parmi les écrivains suffisants, et qui risquent de le
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faire descendre de plusieurs degrés, quand le temps aura fait oublier l'importance politique des historiens, et que chacun d'eux prendra la place justement due à la valeur de son œuvre, sous le rapport du fond et de la forme.
M. Mignet n'a rien à craindre de semblable. Le rang qu'il occupe est bien celui auquel il a légitimement droit. Rien de surfait dans sa renommée son Histoire de la Révolution Française, qui parut en 1824, est écrite sous l'empire d'idées diamétralement opposées au système de M. Thiers. Nous avons vu que celui-ci s'occupait presque exclusivement des résultats; M. Mignet s'attache surtout aux causes. Dans son Histoire de la Révolution, il ne suit pas toutes les scènes du drame et n'en fait pas ressortir les péripéties, mais il prouve que ce grand événement était une conséquence logique de la situation de la France, qu'il ne pouvait point être évité. Il constate que Malesherbes, Turgot et Necker avaient proposé les améliorations qui l'auraient prévenu, et que les privilégiés et la cour avaient tout repoussé. Il se résume enfin par cette conclusion La Révolution aurait pu se faire pour le peuple par la noblesse et la royauté; celles-ci ne le voulurent pas; alors elle se fit par le peuple contre la noblesse et la royauté. Toutes les origines de notre grande réforme politique et sociale sont admirablement analysées par l'historien, mais sans qu'il entre dans les particularités. Lorsque d'une hauteur on regarde une contrée, les détails s'effacent on suit les grandes lignes des fleuves ou des montagnes, sans pren-
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dre garde aux sinuosités partielles; de loin l'ensemble seul apparaît. Il en est de même pour les événements humains; quand on les contemple du haut de l'histoire, les mille oscillations d'hommes et de faits ne s'aperçoivent plus; on ne saisit que la marche générale de la nation ou de l'humanité. C'est là ce que fait M. Mignet dans son Histoire de la Révolution Française. Son regard a une vaste portée il distingue clairement les linéaments fondamentaux, il les suit sans dévier son livre est une sorte de topographie philosophique de l'histoire de la France depuis 1789 jusqu'à 1814.
Cependant ce talent large, net et fin, a je ne sais quelle sécheresse, dont on se lasse. A chaque instant, on a comme un reflet de Tacite ou de Montesquieu rapetissé; c'est Tacite,dépouillé de sa chair et de son sang. Rien ne déplaît, il manque seulement quelque chose. Il manque ce qui a empêché Sismondi d'être un historien de premier ordre, ce que les Anciens possédaient dans une si juste mesure, ce que quelques modernes ont en telle surabondance. Il manque l'imagination. Il ne suffit pas, en effet, pour l'historien, de dire les faits, d'en déduire les conséquences il faut qu'il nous fasse revivre les âges dont il nous parle, qu'il en donne, non pas le procès-verbal, mais la vie, et, pour cela, il faut qu'il complète par ses facultés intuitives ce que les archives et les greffes ne peuvent lui donner, il faut qu'il évoque le fantôme du passé, qu'il le voie en idée se mouvoir. L'intelligence et l'étude peuvent lui révéler ses actes, mais il a besoin du secours de l'imagination pour créer son image. C'est là ce qui
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arrive rarement à M. Mignet. Bien que, dans son Histoire de Don Pèdre et dans celle de Marie Stuart, il ait su introduire plus de réalisme et de mouvement, le côté supérieur de son talent est toujours resté surtout sensible aux abstractions historiques. Au reste, une page citée sera plus explicite que toutes nos indications. Nous ouvrons un des volumes de M. Mignet au hasard, car, avec lui, le choix est inutile, le même talent de penseur et d'écrivain se retrouve, toujours présent et complet. Il s'agit de la part qu'a eue Louis XIV dans notre Révolution Louis XIV usa les ressorts de la monarchie absolue par une tension trop longue et un exercice trop violent. Irrité des troubles de sa jeunesse, épris de la domination, il brisa toutes les résistances, interdit toutes les oppositions, et celle de l'aristocratie qui s'exerçait par des révoltes, et celle des parlements qui s'exerçait par des remontrances, et celle des protestants qui s'exerçait par une liberté de conscience, que l'Eglise réputait hérétique et la royauté factieuse. Louis XIV assujettit les grands, en les appelant à la cour, où ils reçurent en plaisirs et en faveurs le prix de ieurindépendance. Le Parlement,qui jusque-là avait été l'instrument de la couronne, voulut en devenir le contrepoids, et le prince lui imposa avec hauteur une soumission et un silence de soixante années. Enfin la révocation de l'édit de Nantes fut le complément de cette œuvre de despotisme. Un gouvernement arbitraire non seulement ne veut pas qu'on lui résiste, mais il veut encore qu'on l'approuve et qu'on l'imite. Après avoir soumis les conduites, il persécute les consciences, car il faut
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qu'il agisse et qu'il aille chercher les victimes, lorsqu'elles ne se présentent pas. L'immense pouvoir de Louis XIV s'exerça au dedans contre les hérétiques, déborda au dehors contre l'Europe. L'oppression trouva des ambitieux qui la conseillèrent, des dragons qui la servirent, des succès qui l'encouragèrent. Les plaies de la France furent couvertes de lauriers et ses gémissements furent étouffés par les chants de victoire. Mais à la fin, les hommes de génie moururent, les victoires cessèrent, l'industrie émigra, l'argent disparut, et il se vit bien que la tyrannie épuise ses moyens par ses succès, et qu'elle dévore d'avance son propre avenir (1). Justesse d'appréciation, profondeur d'aperçus, beauté de forme, tout est à louer dans ce morceau, et le volume entier est écrit du même style. Qu'y reprendre, alors ? demanderez-vous. La continuité trop constante des mêmes qualités. Il en résulte, à la longue, je ne sais quoi de tendu et de monotone; on éprouve quelque chose de l'impression produite par un volume de beaux vers alexandrins. Puis ce style si net et si ferme manque de flamme intérieure; il ne se renouvelle ni par la passion ni par la personnalité le regard de l'historien a toujours ce même calme pénétrant; il y a toujours,dans le mécanisme de son discours irréprochable,la même recherche de réflexions,formulées en sentences, ou de rapprochements par antithèse, de sorte quel'intelligence, symétriquement éveillée par une succession d'étincellements intermittents, finit par se sentir éblouie, fatiguée, et lâche prise. M. Mignet est un des rares (1) Mignet. OEuvres. Perrin, éditeur.
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exemples qui prouvent le péril d'une perfection uniforme. Des plaines peuvent être riantes, ombragées etfertiles, mais ce sont des plaines, c'est-à-dire une continuité de beautés pareilles, et l'œil, d'abord charmé, se détourne à la fin, tandis que la sauvage variété des montagnes l'occupe sans cesse et le retient.
Au reste, il faut reconnaître que le genre historique, adopté par M. Mignet, rendait la diversité infiniment plus difficile la réflexion n'a guère qu'une forme, la narration en a mille de là est venu que plusieurs historiens, très inférieurs à lui, ont obtenu un succès de lecture plus général, et peut-être un peu surfait; nous en citerons particulièrement deux: M. de Barante et M. de Ségur.
Le premier a essayé une espèce de révolution dans la manière d'écrire l'histoire, en s'armant d'un précepte de Quintilien, qu'il a détourné de son vrai sens. Quintilien avait dit, en parlant de l'histoire hcrihitur ad narrandum, non ad proJiandum, on écrit pour raconter, non pour prouver, ce qui signifie évidemment que l'histoire doit rapporter les faits, et non développer une thèse mais, ainsi que l'a fort judicieusement remarqué M. Guizot, les faits ne sont pas seulement les actes matériels, les aventures une idée, qui domine une époque,est un fait,les liaisons, qui rattachent les événe ments l'un à l'autre, les lois générales, qui président à l'avancement ou à la ruine des sociétés, les préjugés, les passions, sont des faits, qui constituent l'histoire d'un peuple. Borner celle-ci au récit des actions apparentes, c'est tout
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au plus écrire une chronique, et non pas faire de l'histoire.
C'est ce qui est arrivé à M. de Barante, dans son livre sur les ducs de Bourgogne en réalité, il n'a fait autre chose que mettre en ordre et traduire, dans le français de notre temps, la plupart de nos vieux chroniqueurs. Froissart et Commines lui fournissent à chaque instant des pages entières. Il en résulte incontestablement un tableau très exact et très anime du moyen âge, mais un tableau, rien de plus. Peutêtre dira-t-on que là est précisément le mérite en se contentant de nous présenter l'image d'un peuple et d'un siècle, l'auteur nous laisse la liberté de le juger c'est un rapporteur impartial, qui ne prévient point notre esprit par des arrêts, portés pour ou contre les événements. Sans doute mais ces événements, il les raconte, évidemment, comme il les a compris son jugement est donc impliqué dans la manière dont il nous les présente seulement il nous conduit à son but, sans en avoir l'air il nous force à tirer nous-mêmes la conclusion qu'un autre nous aurait ouvertement donnée comme de lui; il nous déprécautionne par son apparence de neutralité, et nous laisse prendre ses opinions à notre charge. De là, pour nous, plus de facilité à être surpris et plus de ténacité dans nos jugements les erreurs, qu'il nous a inspirées, à notre insu, deviennent notre propriété et entrent sous la protection de notre amour-propre.
Bien que M. de Ségur appartienne, comme M. de Barante, à l'école de l'histoire narrative et pittores-
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que, il ne s'est interdit ni l'appréciation des événements, ni l'éloge ou le blâme. Tout le monde a lu son Histoire de la Grande Armée. Comme M. Thiers, il explique, fort soigneusement et avec beaucoup de clarté, la stratégie des armées délibérantes mais son livre est à celui de l'ancien ministre de Louis-Philippe ce que l'épopée est, au bulletin. Si celui-ci est parfois trop prosaïque, l'autre recherche Irop constamment l'effet dans tout ce qu'il vous montre, on voit le décor, on sent la mise en scène ces discours directs, attribués aux personnages, et dans lesquels on leur fait dire ce qu'ils se sont, en général, contentés de faire, rappellent trop Thucydide. On ne peut pas dire que le récit de M. de Ségur- manque de vérité, mais il en perd l'apparence le vrai cesse d'être vraisemblable la forme elle-même, à force de chercher la couleur, prend un air d'exagération. M. de Ségur semble avoir transporté, dans sa manière d'écrivain, l'audace fabuleuse de l'ancien colonel de hussards. Ses phrases, brodées de bigarrures étincelantes, passent au galop devant les yeux du lecteur, comme autrefois ses escadrons on reconnaît, dans leur brillante allure, le merveilleux cavalier qui, à l'affaire deNazielsk, traversait de part en part, avec 90 dragons, une arrière-garde de 4.000 Russes; qui, à la tête de 80 chevau-légers polonais, enlevait, dans les rochers de Sommo-Sierra, 1.400 Espagnols et 15 pièces de canon, et qui, en 1814, au combat de Reims, s'élançait, avec cent gardes d'honneur, sur une division ennemie, à laquelle il faisait perdre 600 hommes et toute son artillerie. C'est au sortir de cette dernière affaire qu'il se présenta à Napoléon pour faire son rap-
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port au milieu de son récit, il chancela. « Qu'avezvous? demanda l'empereur. « Rien, répliqua M. de Ségur, deux égratignures. » Les deux égratignures étaient deux coups de sabre, dont il faillit mourir. Tout son livre respire cet héroïsme presque chimérique l'auteur a été, dans la littérature comme à la guerre, brillant jusqu'à l'impossible. Son livre, il faut se hâter de le dire, n'en restera pas moins comme une œuvre hors ligne, qui rachète ce qui peut lui manquer en naturel par l'abondance des faits, la grandeur des vues, et surtout la richesse des couleurs. On sera toujours saisi par la peinture de cette immense armée, la plus formidable qui ait jamais obéi à un chef, s'enfonçant dans un pays ignoré, qui se déroule devant elle comme un océan de steppes et de forêts, s'effrayantden'apercevoir aucun ennemi, et tourmentée malgré elle par la terreur de l'inconnu; puis, quand arrivent ces batailles de géants, où le canon tire sans discontinuer pendant trois jours, quand les vainqueurs, maîtres de Moscou, la trouvent vide et voient les maisons, qui semblent s'enflammer d'elles-mêmes, les enfermer dans l'incendie, quand commence cette retraite, exécutée par trentecinq degrés de froid, qui sème çà et là dans la neige les soldats, les chevaux, les caissons, on sent l'impression d'horreur, d'épouvante, grandir avec le récit, et le regard se tourne avec une sorte de colère instinctive vers le premier auteur de ce grand désastre, F Empereur, qui, affaissé sous son ancienne gloire autant que sous ses nouveaux revers, malade, distrait et somnolent, passe comme un fantôme au milieu de cette terrible vision.
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On a vivement reproché à M. de Ségur cette dernière partie de sa conception historique. Le général Gourgaud a publié, une réfutation, dans laquelle il s'efforce de prouver que le génie de Napoléon ne fut jamais plus actif ni plus présent que dans cette fatale campagne de Russie mais, après avoir lu son examen critique, on reste sous l'impression première, et M. de Ségur ne paraît nullement avoir présenté les faits dans l'intérêt d'une opinion historique son livre paraît ce qu'il est, c'est-à-dire un récit fidèle des faits avec leurs déductions.
Ce n'est donc pas lui qu'on peut justement accuser d'avoir fait de l'histoire une thèse mais on peut le reprocher avec plus de vérité à MM. Michelet et Louis Blanc.
Nous avons dit quels avaient été les débuts historiques du premier, et comment ses succès de professeur avaient sensiblement modifié son système de composition. L'habitude, prise dans la chaire du Collège de France, de développer une opinion sous forme de polémique, et de substituer le plaidoyer à l'enseignement, a bientôt gagné l'historien. Sa manière, toujours un peu capricieuse et dogmatique, s'est faite encore moins narrative et moins précise. L'histoire n'a plus été pour lui qu'une occasion de rapprochements ingénieux, mais contestables, de déductions extrêmes ou hasardées. M. Michelet a laissé là son histoire de France, dont la matière répugnait trop à ses nouvelles fantaisies; il a abordé l'his-. toire de la Révolution. Là il a trouvé, sous d'autres dates, toute l'histoire du présent, et il l'a écrite, non
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comme un récit authentique, mais comme une brochure de circonstance, sous l'inspiration exclusive d'une opinion. Les faits sont devenus pour lui des arguments, que l'on omet ou que l'on rappelle selon les besoins de la cause. Le peuple divinisé a remplacé les anciens dauphins de France, qui ne pouvaient mal faire lorsqu'il a commis une faute, on fouette le menin. Or, l'impression reçue est précisément en sens inverse de celle que voudrait éveiller l'auteur. Son indulgence systématique pour toutes les erreurs, tous les crimes du peuple, accroît l'indignation, et empêche d'admettre les véritables excuses; on devient injuste pour cet enfant gâté de l'historien; ses vices, qu'on déguise en vertus, nous empêchent de voir ses vertus réelles. Quelle que soit l'ardente sympathie du lecteur pour la classe la plus nombreuse et la plus méritante, puisqu'elle est la plus éprouvée, il se sent pris d'impatience devant une partialité, formulée en principe, et que rien ne déconcerte.
Celle de Louis Blanc, aussi absolue dans le fond, l'est moins dans la forme. Son style n'a point d'abord le sautillement haché de celui de M. Michelet il ne flotte pas perpétuellement entre le lyrisme et l'épigramme on n'y sent pas, enfin, cette improvisation scintillante et à courte haleine, qui aiguise la fin de chaque phrase et scande sa pensée pour l'applaudissement. Il marche d'une allure plus grave, il .développe patiemment son idée un éloge de ses adversaires ne lui coûte pas, et il expose même parfois les faits contraires à ses doctrines, avec un cer-
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tain apparat d'équité. Mais ce ne sont là que des dehors trompeurs au-dessous se cache le sophiste, qui poursuit sa démonstration et force les événements à y concourir.
En écrivant l'histoire des dix premières années du règne de Louis-Philippe, il n'a eu qu'un but prouver que la Révolution s'était faite au profit de la bourgeoisie, qu'elle seule avait tout usurpé, qu'elle conduisait tout, et que le prolétariat devait travailler à conquérir la place à laquelle il avait droit, que son heure était enfin venue.
Les doctrines, développées plus tard au Luxembourg, et plus tard encore dans l'exposition de son système égalitaire, ne sont que les conséquences des idées émises dans l'Histoire de Dix Ans. Qu'est-ce, en effet, que la bourgeoisie, sinon une délégation perpétuelle du prolétariat, dont les idées arrivent à l'épargne par le travail, et à la propriété par l'épargne ? Les bourgeois d'aujourd'hui ne sont-ils pas tous, sans exception, des paysans ou des ouvriers d'hier, que plus de facultés, plus de bonheur ou plus de vertus ont élevés d'un degré dans l'échelle sociale? Nier la légitimité de cette élévation, c'est nier le droit que donne une supériorité constatée on en revient nécessairement à la doctrine, qui n'admet point, dans la société, l'inégalité que Dieu a mise entre les hommes, et qui impose à tous le niveau égalitaire.
Cette Histoire de Dix Ans du règne de Louis-Philippe commence précisément où finit celle de la Restauration de M. de Vaulabelle. Cette dernière,
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faite dans un sens d'opposition libérale, appartient à l'école de M. Thiers. C'est la même netteté, avec une forme plus concise.. Le style de M. de Vaulabelle a la brève précision d'un commandement militaire. Sa muse historique marche au pas réglementaire, s'arrête par étapes, et fait feu à commandement, comme le meilleur troupier. La littérature a peu de chose à voir dans tout cela. Nous exceptons, pourtant, l'espèce de prologue qui ouvre cette histoire, et dans lequel l'auteur raconte la bataille de Waterloo. On sent là le témoin et l'acteur de ce drame suprême, qui clôt l'Empire par une lutte sans précédent dans aucune histoire. M. de Vaulabelle a gardé le souvenir de toutes les péripéties de cette miraculeuse journée elles lui reviennent en poignantes images, et, sans sortir de la fermeté militaire, il raconte tout avec une sorte de flamme intérieure, qui transluit à travers son style habituellement terne et pâle. 11 a prouvé encore une fois, dans cet épisode, comment un écrivain médiocre pouvait, sous l'empire d'une sensation sincère, et pour une chose qu'il savait bien, surpasser l'inspiration artificielle d'un grand écrivain. Nous aurons occasion de revenir sur cette idée, lorsque nous parlerons de l'Histoire de la Restauration, publiée par M. de Lamartine (1).
Dans cette revue des historiens contemporains, nous en avons jusqu'ici négligé un, que nous ne pouvons cependant passer sous silence, non à cause de sa valeur, mais de son ubiquité. M. Capefigue est, (1) Cette promesse n'a pas été tenue (Note de l'Éditeur;.
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en effet, l'historien de tous les lieux, de toutes les époques et de tous les peuples on le trouve sur toutes les routes de l'histoire s'agit-il de Charlemagne, de Hugues Capet, de Philippe-Auguste, de la Réforme, de Richelieu, de Louis XIV, du Consulat, de l'Empire, de la Restauration, du Gouvernement de Juillet, M. Capefigue est instruit de tout il a tout traité c'est l'historiographe de l'Europe entière; il la raconte à mesure qu'elle agit, encore se plaint-il qu'elle le retarde 1 Pour peu qu'elle ne presse pas le pas, il sera forcé de prendre les devants et d'écrire l'histoire de l'avenir.
Peut-être, après tout, ne serait-elle guère moins exacte que celle qu'il nous donne du passé. Jamais improvisateur méridional n'a poussé plus loin l'enflu.e incohérente, l'étalage de fausse érudition et la hâblerie. Il faut lire surtout son Histoire de Charlemagne. Lui-même déclare avoir pris pour base de ses recherches, outre la chronique, les chansons de gestes et les légendes source précieuse, mais à condition qu'on y puise avec discernement. C'est dans les chansons de gestes qu'on représente les funérailles de César, suivies par des enfants de «hœur, qui portent la bannière des saints et l'eau bénite et nos légendaires ne parlent que des bras de mer passés, sur des auges de pierre, par des moines, qui n'ont qu'à lever un pan de leur robe, pour mettre à la voile. Il est clair que ce ne sont pas là préeisément des documents historiques. Cependant M. Capefigue ne veut pas que l'on discute les faits, rapportés par les légendes, et la raison qu'il en donne mérite d'être citée. « Chacun, dit-il, porte en soi
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sa légende, qui nous brûle la tête; légende d'enfance ou d'amour, et, quand nous n'en avons plus (non pas de tête, mais de légende), c'est que nous sommes bien vieux, bien usés, bien finis. »
Quant au motif, qui l'a déterminé à écrire l'histoire de Charlemagne, il déclare que, lorsqu'il a visité Aix-la-Chapelle, ce grand empereur l'a regardé fixement, de la manière qu'il regardait ses paladins, et qu'il en a été si épouvanté. qu'il s'est décidé à devenir son biographe.
Cette histoire, écrite par épouvante de Charlemagne, s'en est malheureusement ressentie. L'auteur confond à chaque instant les faits, les noms, les dates. Son livre ressemble à un récit, illustré d'images enluminées; là, chaque mot a la prétention de peindre. Il dit qu'on ne connaît pas les enfances de Charlemagne, mais que, devenu homme, c'était un géant très sobre, quoique d'un ventre proéminent. Sa nature germaine le poussait vers les steppes, et, comme il avait des paladins d'expérience et de tactique (des paladins de tactique!), il rêve l'Italie, où est le raisin qui pend â la pampre. (Ce qui est une habitude assez générale du raisin, même ailleurs). Son armée franchit donc les Alpes, ce qui était facile, car, fait observer judicieusement l'auteur,il n'y avait pas alors d'arlillerié. Renseignement utile, qui est dans les habitudes de M. Capefigue c'est ainsi que, lorsque Charlemagne va à Rome, l'auteur avertit également qu'il n'y trouva pas la basilique de SalntPierre, qu'on y voit aujourd'hui, mais la basilique primitive, que le frottement des pieds et de la bouche des pèlerins avait usée. Voilà de terribles pèlerins,
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qui usaient les églises à force de les embrasser 1 Il paraît, pourtant, qu'il en restait quelque chose, car le pape y reçut l'empereur.
Charlemagne, homme de fer sous le fer après avoir soumis les Lombards, marche contre les Saxons, nation très féroce, dit M. Capefigue, ce que tout le monde sait. Mais soupçonnez-vous pourquoi ? Il va vous l'apprendre. C'était à cause des traditions de la chevalerie. Les traditions de la chevalerie au vnr3 siècle chez les Saxons! Voilà des découvertes qui n'appartiennent qu'à M. Capefigue. C'est alors que Charlemagne rencontre Witikind, le blond jeune homme aux formes belles, qui est vaincu, mais dont le nom est placé, comme dédommagement, dans les antiennes qui se chantent à l'église. Le grand Charles passe ensuite en Espagne avec une armée, si couverte de fer qu'on ne pouvait la toucher cependant les Navarrois et les Gascons en massacrent une partie à Roncevaux, sans la toucher, sans doute. Enfin Charlemagne, sentant qu'il a en main la boule de l'Empire, songe à organiser il appelle à lui les hommes capahles, et constitue l'administration par les comtes, qui (chose curieuse), tout en jetant de nouvelles causes de barbarie, n'en sont pas moins utiles à la civilisation.
M. Capefigue passe ensuite aux mœurs de l'époque. Il fait remarquer ingénieusement que la vie des hommes de ce temps était puhlique et privée, ce qui est également vrai pour tous les temps que les femmes se rasaient le visage, ce qui fait supposer qu'elles avaient alors de la barbe et qu'après les avoir épousées, on les rejetait au moyen du divorce,
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comme une coupe épuisée du vin du Rhin ou de la Meuse nous n'avons pas bien compris la finesse cachée dans ce vin de la Meuse. L'auteur ajoute que Charlemagne lui-même avait plusieurs femmes, qu'il prenait ou quittait, comme sa peau de loutre (ce qui nous vaut un détail intéressant sur la toilette du grand empereur), et que ses filles, de leur côté, avaient des mœurs très aisées Viennent ensuite des descriptions empreintes de couleur locale. D'abord celle des couvents, où des hommes d'activité allaient chercher une existence de tombeau, passer leur journée à ponctuer ce qlli ne l'était pas, ou àdéfricher lesdéserts pierreux, en luttant contre l'aspic, le serpent venimeux et la salamandre incommode. Puis l'historien pittoresque donne la description des cités des Franks qui, ayant besoin, dit-il, d'épanouir leurs poumons aux grandes bouffées d'air, bâtissaient, sur des pics escarpés, des villes dont les rues étaient lavées par des sources, bondissant de cailloux en cailloux. Depuis cette époque, les sources sont devenues plus rares sur les pics.
Quant à la philosophie de l'histoire, elle est très claire chez M. Capefigue. A propos de tant de nations vaincues, détruites, ou fondues dans d'autres nations, il déclare que les peuples disparaissent, lorsque leur temps est fini, et que cette disparition a l'avantage de nous apprendre que tout est ici-bas soumis aux lois de la mort! Ceci se rattache évidemment à la philosophie historique de M. de La Palisse. La conclusion, c'est que tout l'édifice de Charlemagne croula avec lui, parce que l'unité ne se constitue pas au moyen de la force, mais par lès monta-
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gnes, les fleuves, les climats, autrement dit, par les races. L'auteur avait précisément soutenu le contraire dans l'histoire de Hugues Capet; mais autre temps, autre opinion. Qui pourrait résister au temps, qu'il appelle poétiquement ce grand ver qui ronge tout?
Mais peut-être pensez-vous que M. Capefigue est plus heureux dans des sujets modernes. Lisez alors son Histoire de l'Europe sous Louis-Philippe. Pour prouver l'immensité de ses recherches, l'auteur cite en note tous les actes officiels, extraits du Moniteur, il donne la liste des déportés, des pairs de France; on croirait lire l'almanach des vingt-cinq mille adresses.
Quant aux principes, n'en cherchez pas. M. Capefigue est légitimiste, mais blâme ceux qui ne se sont pas ralliés au gouvernement de Juillet, et, entre autres, M. de Kergorlay qui refusa de prêter serment au nouveau roi à la Chambre des pairs, et dont il dit « Ce vieillard à la tête chenue, aux traits fortement marqués, apparaissait comme un de ces rocs féeriques, jetés sur les dunes. » Un roc qui ressemble à un pair de France 1
C'est la même richesse d'imagination qui lui fait appeler la Hollande, la rohe de pourpre de la Belgique. Selon lui, la révolution de Juillet,que l'on avait cru jusqu'ici le résultat des ordonnances, fut amenée par les romantiques et l'opéra de Guillaume Tell. Il déplore enfin l'immoralité contemporaine, en regrettant les manières inimitables de la Régence. C'est en apportant cette réflexiop, cette science et ce goût dans ses études, que NI. Capefigue a pu
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imprimer, en vingt ans, plus de quatre-vingts volumes sur l'histoire.
Monteil a été moins heureux. Pour en écrire huit, il lui a fallu quarante années de poursuites acharnées mais aussi a-t-il créé un genre et élevé un monument monument modeste et genre secondaire, mais qui ont leur valeur dans le grand travail historique de notre temps. (1).
(1) Dans le manuscrit, cette leçon est inachevée(Note de l'éditeur).
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ONZIEME LEÇON
La poésie.
SOMMAIRE
La poésie son rôle social, généralement faible son action tout individuelle et intime.
Casimir Delavigne, par exception, conquiert d'emblée la renommée c'est qu'il traduit, dans ses Messéniennes, les sentimentsde lafoule;il est« le journaliste poétique du libéralisme ». – Son poème sur Napoléon. – Son théâtre. – Le succès des Vêpres Siciliennes,des Comédiens et du Paria, à l'Odéon, lui ouvrent l'accès duThéâtre-Français,où il fait jouer l'Ecole des Vieillards. Entrée à l'Académie. Bibliothécaire à la Chancellerie, puis au Palais-Royal. Sa mort touchante à Lyon. Ses funérailles: hommage public rendu à la dignité de sa vie autant qu'à la beauté de son œuvre.
Mm" Desbordes-Valmore. Ingénuité de son talent. Sa vie romanesque.- Sa famille, ruinée par la Révolution, repousse une fortune qui s'offre à elle, pour ne pas la devoir à une apostasie. Voyage malheureux à la Guadeloupe, où elle perd sa mère. Son enfance se passe dans les prisons de Douai, dont son père était inspecteur. Elle ne reçut pas d'instruction. Elle prend un engagement au théâtre. – Sa vie d'artiste, « vie do reine et d'esclave ». Son mariage. Comment furent publiés ses premiers vers. Caractère de sa poésie ignorance de l'art, spontanéité et fraîcheur de l'inspiration, retentissement dans une âme individuelle des sentiments humains. Comment s'exprime son féminisme. Les deuils cruels de M«« Desbordes-Valmore. Sa cliarite.
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A de Viqnxi. Imitation savante d'auteurs très divers. Vaine prétention à l'originalité. Ce qui manque à son talent, c'est la personnalité, c'est l'abondance; c'est aussi de savoir entrer dans l'âme d'une époque, d'un individu; ainsi il prête à son Moïse des sentiments modernes. Eloa et les Amours des anges de Thomas Moore. Supériorité du poème français. Figures nettes et harmonieuses, donnant un corps à l'idéalité mystique. Eloa personnifie la pitié et l'amour Satan, l'ivresse de la vie et des plaisirs humains. Le poème tout entier, admirable symbole du dévouement illusoire.
Jusqu'à présent nous nous sommes exclusivement attaché à l'examen des travaux intellectuels, dont le contrecoup se faisait sentir plus immédiatement ou plus profondément dans le mouvement social lui-même. Les débats politiques, la presse, l'enseignement, la philosophie et l'histoire ont pris, dans notre revue, la place que leur influence leur avait donnée dans les événements. Aussi, sauf pour Béranger, que son genre et son génie populaire classaient à part, nous n'avons pu jusqu'ici sortir de la prose. C'est que celle-ci est la véritable langue des faits pratiques, le flot courant, sur lequel naviguent les idées qui gouvernent le monde. A de très rares exceptions près, la poésie n'est que le ruisseau dont le murmure charme nos loisirs ou favorise nos rêveries. Son action, incontestable, mais détournée, n'a point de retentissement aussi certain dans la réaaté. Elle prépare lentement les âmes, elle les aide à se développer dans un certain sens; elle donne aux passions plus de puissance contagieuse, aux idées plus de splendeur; mais son influence ne se traduit pas en actes immédiats elle reste interne et sans
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manifestations nettement visibles. Le vers est d'ailleurs une forme moins accessible pour l'esprit et qui, à moins d'être emportée sur la mélodie, va frapper à moins de portes que la prose. Dès lors son effet est plus borné. Il reste approprié à une élite et, dans cette élite même, à certains âges, à certaines conditions. La poésie ressemble aux liqueurs précieuses on n'en boit que de loin en loin, et à petits coups.
Il y a pourtant des exceptions les peuples ont, comme les individus, leurs heures d'émotion, où la langue ordinaire ne semble plus suffire. La joie, l'enthousiasme, la colère ou la douleur donnent parfois à la foule une surexcitation qui demande le lyrisme des vers. Heureux alors le poète qui rencontre l'expression de cet élan unanime compris par tout le monde, parce qu'il a parlé pour chacun, il arrive du premier bond au piédestal que d'autres, moins heureux, gravissent lentement et avec effort. Casimir Delavigne en donna un exemple éclatant, lorsque, après les désastres de 1815, il publia ses premières Messéniennes. En les relisant aujourd'hui, on trouve, sans doute, qu'elles laissent beaucoup à désirer cous le rapport de la poésie; mais alors elles répondaient si bien à la douleur du plus grand nombre les sentiments, exprimés par l'auteur, rencontraient une telle complicité dans toutes les âmes qu'elles furent accueillies par une immense acclamation. Ajoutons tout de suite que, depuis Lebrun, nul n'avait fait entendre un accent aussi poétique et, si le nouveau venu le cédait, en éclat et en fermeté, à l'auteur de l'ode sur le vaisseau le Vengeur,
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il l'emportait évidemment par la souplesse. Ni Lamartine ni Victor Hugo ne s'étaient encore révélés et on ne connaissait pas les lambes d'André Chénier. Outre qu'elles consolaient des afflictions nationales, les premières Messéniennes eurent donc un véritable intérêt littéraire. On répétait le nom de Casimir Delavigne, jusqu'alors inconnu on se demandait quel était cet écolier qui, dès le premier pas, laissait si loin derrière lui les poètes de l'Empire.
Les amis, qui l'avaient connu enfant, n'étaient pas les moins surpris rien n'avait d'abord autorisé de pareilles espérances. De tous les fils de M. Delavigne, négociant au Havre, Casimir était le moins actif d'intelligence et, quand son père formait des projets ambitieux pour ses frères mieux doués, il avait coutume de terminer en disant « Quant à Casimir, il continuera mon commerce de faïence. » Mais l'enfant avait une mère d'imagination vive, d'esprit cultivé, qui ne négligeait aucune occasion d'éveiller ce cerveau engourdi. Plus on étudie l'histoire biographique, plus on est frappé de l'influence des femmes sur la destinée de leurs fils. Presque tous les grands hommes ont eu des mères d'élite, auxquelles ils durent les premières révélations de leur force et la première impulsion qui les achemina vers la gloire. Le plus souvent celle qui nous a enfantés une première fois dans le monde des corps nous enfante une seconde fois dans le monde des esprits; après lui avoir dû la lumière du ciel, nous lui devons la lumière de l'âme. Casimir Delavigne en fit l'épreuve. L'espèce de brouillard, qui enveloppait
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son intelligence, se dissipa lentement sous la douce influence de sa mère. On l'envoya dans une institution de Paris, où il se fit remarquer par plusieurs pièces de vers et où il composa une tragédie de Polixène, dont il ne nous est resté qu'un fragment, qui fait médiocrement regretter le reste.
Cependant les affaires commerciales de son père avaient été malheureuses. Obligé de quitter le Havre, il venait d'obtenir une place dans les contributions indirectes. Casimir y fut également employé et ce fut là qu'il composa ses trois premières Messéniennes.
Plusieurs autres les suivirent Casimir Delavigne s'était ouvert une voie qu'il poursuivit jusqu'à ce que ses succès de théâtre l'eussent définitivement entraîné dans une autre direction. Pendant longtemps il fut journaliste poétique du libéralisme. A chaque grand événement, sa voix s'élevait, à peine plus forte qu'au début, mais toujours aussi sympathique. L'annonce de la. mort de Napoléon lui inspira le plus complet et le plus beau de ses poèmes. On y trouve Casimir Delavigne tout entier et sous son meilleur aspect. Ce n'est ni la poésie éblouissante de Victor Hugo ni la touchante grandeur de Manzoni ni la sublimité hautaine de Byron mais tout y est à sa place, tout satisfait il n'y a rien à reprendre de ce qui est, s'il y a à désirer quelque chose de ce qui manque; on pourrait désirer plus de soleil dans cette poésie un peu grise, mais seulement à la réflexion; au premier moment, on est tout au charme de cette composition, où la mesure n'exclut pas la grandeur. La voici
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A NAPOLÉON
De lumière et d'obscurité,
De néant et de gloire étonnant assemblage, Astre fatal aux rois comme à la liberté,
Au plus haut de ton cours porté par un orage Et par un orage emporté,
Toi, qui n'as rien connu, dans ton sanglant passage, D'égal à ton bonheur que ton adversité
Dieu mortel! Sous tes pieds, les monts, courbant leurs [têtes,
T'ouvraient un chemin triomphal;
Les éléments soumis attendaient ton signal; D'une nuit pluvieuse écartant les tempêtes, Pour éclairer tes fêtes,
Le soleil t'annonçait sur son char radieux; L'Europe t'admirait dans une horreur profonde Et le son de ta voix, un signe de tes yeux
Donnaient une secousse au monde.
Ton souffle du chaos faisait sortir les lois; Ton image insultait aux dépouilles des rois, Et, debout sur l'airain de leurs foudres guerrières, Entretenait le ciel du bruit de tes exploits. Les cultes renaissants, étonnés d'être frères, Sur leurs autels rivaux, qui fumaient à la fois, Pour toi confondaient leurs prières.
Conservez, disaient-ils, le vainqueur du Thabor, Conservez le vainqueur du Tibre;
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Que n'ont-ils, pour ta gloire, ajouté plus encor: Dieu juste, conservez le roi d'un peuple libre! 1 Tu régnerais encore, si tu l'avais voulu.
Fils de la Liberté, tu détrônas ta mère;
Armé contre ses droits d'un pouvoir éphémère, Tu croyais l'accabler, tu l'avais résolu.
Mais le tombeau, creusé pour elle,
Dévore tôt ou tard le monarque absolu:
Un tyran tombe ou meurt; seule, elle est immortelle. Justice, droits, serments, peux-tu rien respecter? D'un antique lien périsse la mémoire
L'Espagne est notre sœur de danger et de gloire, Tu la veux pour esclave, et, n'osant ajouter
A ta double couronne un nouveau diadème,
Sur son trône conquis ton orgueil va jeter
Un simulacre de toi-même.
Mais non, tu l'espérais en vain
Ses prélats, ses guerriers, l'un l'autre s'excitèrent; Les croyances du peuple, à leur voix, s'exaltèrent. Quels signes précurseurs d'un désastre prochain 1 Le beffroi, qu'ébranlait une invisible main,
S'éveillait de lui-même et sonnait les alarmes Les images des preux s'agitaient sous les armes. On avait vu des pleurs mouiller leurs yeux d'airain On avait vu le sang du Sauveur de la terre
Des flancs du marbre ému sortir à longs ruisseaux Les morts erraient dans l'ombre et ces cris Guerre r [Guerre
S'élevaient du fond des tombeaux.
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Une nuit, c'était l'heure, où les songes funèbres Apportent aux vivants les leçons du cercueil, Où le second Brutus vit son génie en deuil Se dresser devant lui dans l'horreur des ténèbres, Où Richard, tourmenté d'un sommeil sans repos, Vit les mânes vengeurs de sa famille entière, Rangés autour de ses drapeaux,
Le maudire et crier: Voilà ta nuit dernière! Napoléon veillait, seul et silencieux;
La fatigue inclinait cette tête puissante
Sur la carte immobile, où s'attachaient ses yeux; Trois guerrières, trois sœurs, parurent sous sa tente. Pauvre et sans ornements, belle de ses hauts faits, La première semblait une vierge romaine
Dont le ciel a bruni les traits.
Le front ceint d'un rameau de chêne,
Elle appuyait son bras sur un drapeau français. Il rappelait un jour d'éternelle mémoire Trois couleurs rayonnaient sur ses lambeaux sacrés, Par la poudre noircis, poudreux et déchirés, Mais déchirés par la victoire.
Je t'ai connu soldat; salut te voilà roi 1 De Marengo la terrible journée
Dans tes fastes, dit-elle, a pris place après moi. Salut, je suis sa sœur aînée.
Je te guidais au premier rang,
Je protégeais ta course et dictais la parole Qui ranima des tiens le courage expirant,
Lorsque la mort te vit si grand
Qu'elle te respecta sous les foudres d'Arcolç.
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Tu changeas mon drapeau contre un sceptre d'airain. Tremble! Je vois pâlir ton étoile éclipsée;
La force est sans appui, du jour qu'elle est sans frein. Adieu, ton règne expire et ta gloire est passée. La seconde unissait aux palmes des déserts Les dépouilles d'Alexandrie.
Les feux, dont le soleil inonde sa patrie,
De ses brûlants regards allumaient les éclairs; Sa main, par la conquête armée,
Dégouttante du sang des descendants d'Omar, Tenait le glaive de César
Et le compas de Ptolémée.
Je t'ai connu banni; salut te voilà roi.
Du Mont Thabor la brillante journée
Dans tes fastes, dit-elle, a pris place après moi. Salut, je suis sa sœur aînée.
Je te dois l'éclat immortel
Du nom que je reçus au pied des Pyramides. J'ai vu les turbans d'Ismaël
Foulés au bord du Nil par tes coursiers rapides. Les arts, sous ton égide, avaient placé leurs fils, Quand des restes muets de Thèbes et de Memphis Ils interrogeaient la poussière,
Et, si tu t'égarais dans ton vol glorieux,
C'était comme l'aiglon qui se perd dans les cieux, C'était pour chercher la lumière.
Tu voulus l'étouffer sous ton sceptre d'airain. Tremble Je vois pâlir ton étoile éclipsée
La force est sans appui, du jour qu'elle est sans frein. Adieu ton règne expire et ta gloire est passée.
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La dernière. 0 pitié Des fers chargeaient ses bras. L'oeil baissé vers la terre, où chacun de ses pas Laissait une empreinte sanglante,
Elle s'avançait chancelante,
En murmurant ces mots Meurt et ne se rend pas. Loin d'elle les trésors, qui parent la conquête, Et l'appareil des drapeaux prisonniers,
Mais des cyprès, beaux comme des lauriers, De leur sombre couronne environnaient sa tête. Tu ne me connaîtras qu'en cessant d'être roi. Écoute et tremble aucune autre journée
Dans tes fastes-jamais n'aura place après moi, Et je n'eus pas de sœur aînée.
De vaillance et de deuil souvenir désastreux, J'affranchirai les rois, que ton bras tient en laisse, Et je transporterai la chaîne qui les blesse Aux peuples qui vaincront pour eux.
Les siècles douteront, en lisant ton histoire, Si tes vieux compagnons de gloire,
Si ces débris vivants de tant d'exploits divers, Se sont plus illustrés par trente ans de victoire Que par un seul jour de revers.
Je chasserai du ciel ton étoile éclipsée.
Je briserai ton glaive et ton sceptre d'airain. La force est sans appui, du jour qu'elle est sans frein. Adieu ton règne expire et ta gloire est passée. Toutes trois vers les cieux avaient repris l'essor Et le guerrier surpris les écoutait e'ncor;
Leur souvenir pesait sur son âme oppressée,
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Mais au roulement du tambour
Cette image bientôt sortit de sa pensée,
Comme l'ombre des nuits se dissipe, effacée Par les premiers rayons du jour.
Il crut avoir dompté les enfants de Pélage, Entraîné de nouveau par ce char vagabond, Qui portait en tous lieux la guerre et l'esclavage. Passant sur son empire, il le franchit d'un bond Et, tout fumants encor, ses coursiers hors d'haleine, Que les feux du midi naguère avaient lassés, De la Bérésina, qui coulait sous sa chaîne,
Buvaient déjà les flots glacés.
Il dormait sur la foi de son astre infidèle,
Trompé par ses flatteurs, dont la voix criminelle L'avait mal conseillé.
Il rêvait, en tombant, l'empire de la terre
Et ne rouvrit les yeux qu'aux éclats du tonnerre. Où s'est-il réveillé ?
Seul, et sur un rocher d'où sa vie importunc Troublait encore les rois d'une terreur commune Du fond de son exil encor présent partout, Grand comme son malheur, détrôné, mais debout Sur les débris de sa fortune.
Laissant l'Europe vide et la victoire en deuil, Ainsi de faute en faute et d'orage en orage Il est venu mourir sur un dernier écueil
Où sa puissance a fait naufrage.
La vaste mer murmure autour de son cercueil.
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Une île t'a reçu, sans couronne et sans vie, Toi qu'un empire immense eut peine à contenir. Sous la tombe, où s'éteint ton royal avenir, Descend avec toi seul toute une dynastie,
Et le pêcheur, le soir, s'y repose en chemin Reprenant ses filets qu'avec peine il soulève, Il s'éloigne à pas lents, foule ta cendre et rêve. A ses travaux du lendemain (1)
Vous avez pu remarquer' l'esprit nouveau, qui se révèle dans ces beaux vers. Le génie de Napoléon ne fascine pas le poète et ne peut l'absoudre de sa tyrannie. Casimir Delavigne préfère la liberté à la gloire et, quand il termine par cette admirable image du pêcheur, qui se repose, avec ses filets, sur le tombeau du conquérant t qui rêve, non aux batailles sanglantes, aux vaines renommées, mais a ses travaux du lendemain, il semble clore un passé stérile, pour annoncer dans l'avenir l'ère du travail pacifique et fécond, ère dont quelques ambitions peuvent retarder l'avènement par de dernières luttes, mais que la civilisation doit au monde et qu'elle lui donnera.
Tout en complétant son recueil de Messéniennes, Delavigne avait écrit une tragédie qu'il destinait au Théâtre-Français. Mais il fallait obtenir la faveur de lire au comité, et c'était alors, comme maintenant, une difficile entreprise. MM. les sociétaires avaient bien entendu parler de ce jeune homme de vingt ans, dont les Messéniennes soulevaient une (î) Casimir Delavigne: Œuvres. Lemerre, édit.
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admiration générale, mais ce n'était point assez pour mériter d'être joué sur un théâtre, où l'on représentait les comédies de M. Bouilly et les tragédies de M.Baour-Lormian. Ils craignaient de perdre leur temps à écouter de beaux vers aussi Casimir Delavigne dut-il attendre deux ans Enfin, à force de prières, ces dames et ces messieurs consentirent à s'assembler pour dormir, causer et faire de la tapisserie. C'était ce que l'on appelait alors accorder une lecture. Delavigne lut les Vêpres Siciliennes. La pièce était certainement supérieure à tout ce que le Théâtre-Français avait donné depuis plus de dix années cependant MM. les comédiens ne la reçurent que comme encouragement, 'et à condition qu'elle ne serait pas jouée. Une des actrices du comité fit même observer à ce sujet qu'il serait indécent d'imprimer, sur une affiche, le mot de Vêpres. Ce fut alors que Casimir Delavigne, dépité, écrivit sa jolie pièce des Comédiens, qui fut jouée à l'Odéon après les Vêpres Siciliennes. La tragédie et la comédie eurent un égal succès. Vint ensuite le Paria qui ne fut pas moins applaudi. Les sociétaires du ThéâtreFrançais se ravisèrent enfin ils pensèrent que le jeune poète était suffisamment encouragé et allèrent lui demander une pièce, pour être jouée cette fois Casimir Delavigne leur donna l'École des Vieillards, qui fut l'occasion d'un triomphe, supérieur à tous ceux qu'il avait jusqu'alors obtenus. L'opinion publique le désignait depuis longtemps au choix de l'Académie il s'y était déjà présenté deux fois, mais la première, on lui préféra un évéque, la seconde, un archevêque. Delavigne déclara
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qu'il renonçait à se présenter, de peur qu'on ne lui opposât le pape Cependant on réussit à vaincre sa répugnance et il fut nommé académicien en 1825. Sur trente votants, il avait obtenu vingt-neuf suffrages. Dans l'intervalle, la place de bibliothécaire, qu'il remplissait à la Chancellerie, lui avait été retirée on voulait le punir de ses opinions libérales. A cette nouvelle, le duc d'Orléans lui envoya sa nomination de conservateur à la bibliothèque du Palais-Royal, avec un billet qui renfermait ces mots « Le tonnerre est tombé sur votre maison, je vous offre un appartement dans la mienne. »
Delavigne accepta, et ne tarda pas à entrer dans l'intimité du prince mais, lorsque celui-ci, devenu roi des Français, eut quitté le Palais-Royal pour les Tuileries, il refusa de mettre à profit l'élévation de son protecteur et voulut rester ce qu'il était, afin de conserver le désintéressement de son affection. Il avait reporté tous ses efforts vers la scène et c'est là que nous le re trouverons, lors que nous aurons à parler du théâtre sous Louis-Philippe et sous la Restauration (1). Ses travaux multipliés épuisèrent une santé qui avait toujours été débile. On lui conseilla un voyage en Italie; il se mit en route, mais, à Lyonles forces lui manquèrent pour continuer il fallut s'arrêter et l'agonie commença. Elle fut ce qu'avait été sa vie pleine de calme, de bonté et de douceur. Mm0 Delavigne, qui dominait sa douleur, était assise à son chevet et lui lisait quelques pages de Walter Scott. Le mourant l'interrompit, pour lui parler de (1) Ce projet n'a pas été réalisé (Note de l'éditeur).
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ses amis, de son enfant, de sa confiance dans la miséricorde de Dieu. Puis, par un dernier retour vers ce qui avait été ici-bas son travail et sa gloire, il murmura un vers de l'oeuvre inachevée, à laquelle il avait consacré ses derniers mois, sourit à celle qui avait partagé son bonheur, tourna la tête et mourut. Ses restes, rapportés à Paris, furent conduits au cimetière avec un immense concours. Toutes les classes étaient représentées dans cette foule, car toutes aimaient le mort pour la pureté de son talent et de sa vie. En tête du deuil marchait son fils orphelin, conduit par Victor Hugo, qui venait de perdre lui-même sa fille, engloutie par la mer, dans la première joie d'une union choisie. Ces pieux hommages n'étaient point seulement rendus à larenommée, mais au caractère car ce que l'on honorait dans Casimir Delavigne, c'était encore moins l'élégant interprète des sentiments nationaux que l'homme, dégagé d'orgueil etd'ambition, qui avait su abriter sa gloire dans une vie sans reproche. Tout le monde sentait que c'était là un mérite trop rare pour ne pas être entouré de respect. S'il est des réussites qui égarent et dont i exemple corrompt les âmes faibles, celle de Casimir Delavigne soutient et encourage elle prouve que le scandale n'est pas la seule route du triomphe et que le talent peut atteindre le but, sans passer par les portes basses de l'immoralité ou de l'intrigue. Béranger avait conduit jusqu'à sa tombe le chantre des Messéniennes comme il repassait à travers les sombres ombrages du cimetière, il aperçut une femme, qui le salua de la main au passage, en murmurant d'une voix émue
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Encore une étoile qui file,
Qui file, file, et disparaît.
Celle qui saluait ainsi, d'un mélancolique adieu, le départ d'un poète était elle-même un de nos grands poètes. C'était Mme Desbordes-Valmore.
De tous les talents qui se sont révélés dans ces trente dernières années avec un cachet particulier, le sien est peut-être le plus spécial à notre époque, celui dont le développement semble appartenir le plus nécessairement aux préoccupations et aux formes nouvelles. Mme Desbordes-Valmore est aussi intime que Sainte-Beuve, aussi vague que Lamartine, aussi hasardeuse que Victor Hugo et le plus étonnant, c'est qu'elle est tout cela, à son insu, par ignorance. Jamais poète n'a eu, aussi naturellement qu'elle, ses défauts et ses qualités elle n'a rien appris, elle ne veut rien ses vers naissent comme la fleur sur la plante, sans qu'elle songe à leur donner une apparence ou une couleur spéciale. Si elle dit ce qu'elle sent, ne croyez pas que ce soit par désir de renommée, c'est par besoin d'expansion, comme elle l'explique si bien dans un de ses volumes Pour livrer sa pensée au vent de la parole, S'il faut avoir perdu quelque peu sa raison, Qui donne son secret est plus tendre que folle. Méprise-t-on l'oiseau qui répand sa chanson? Au reste, la vie de Mme Desbordes-Valmore a été singulièrement propre à exalter les facultés de poésie expansive. Cette vie, d'un romanesque douloureux, toujours entrecoupée d'épreuves et soutenue
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par de continuels élans de courage, a débuté et semble destinée à finir dans les larmes.
Son père était un de ces ouvriers artistes d'avant la Révolution, cultivés par des rapports fréquents avec une noblesse lettrée et le haut clergé. Il était peintre et doreur en blason et en ornements d'église. Il habitait, à Douai, une maison qui touchait à la cure et ouvrait sur le cimetière. Ce fut le lieu de récréation de la petite Marcelline, son jardin elle apprit à épeler sur les pierres tombales et, la première fois qu'elle put assembler des syllabes et lire un nom, il se trouva que c'était le sien. Elle avait déchiffré l'épitaphe d'une jeune sœur, morte quelques années auparavant.
La Révolution avait ruiné l'industrie de son père. La situation de la famille devenait de jour en jour plus difficile, lorsqu'on reçut une lettre, portant le cachet de Hollande.
Elle était écrite sur le large papier vert, en usage dans le siècle précédent, fermée de trois cachets de cire, et avait une adresse de cette écriture ample, et, pour ainsi dire, magistrale, que l'on remarque dans les manuscrits du grand siècle.
Le port en était élevé la pauvre famille hésita longtemps avant d'accepter la missive inconnue enfin on réunit la somme à grand'peine, espérant que Di.vi envoyait quelque heureuse nouvelle. La lettre, signée du nom de la famille, était écrite par deux parents, Antoine et Jacques Desbordes. Tous deux, forcés de quitter la France, encore enfants, lors de la révocation de l'édit de Nantes, étaient devenus libraires à Amsterdam et y avaient fait for-
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tune. L'un avait cent vingt-quatre ans, l'autre, cent vingt-cinq. Cette longue vie les laissait seuls ils avaient successivement fermé les yeux à tous ceux qu'ils avaient aimés et attendaient l'appel de Dieu, rassasiés de jours, de richesses et d'ennuis. L'idée de chercher en France quelques membres de la famille leur était alors venue. Ils avaient appris l'existence du pauvre peintre en blason et ils écrivaient pour lui proposer d'adopter un de ses enfants, à qui ils laisseraient leur fortune, montant à plus d'un million, pourvu que cet enfant abandonnât sa croyance et se convertît au protestantisme. La tentation était trop forte pour la mère de Marcelline. Placée entre sa foi, qui était sincère, et l'avenir de ses enfants, elle poussa un cri et s'évanouit. Le père, plus calme, referma la lettre et sortit. Il se promena plusieurs heures dans le cimetière. Chez lui aussi, les convictions religieuses et les intérêts humains se livraient un combat terrible. Enfin il rentra, très pâle, mais résolu. On répondit aux vieux parents d'Amsterdam par un refus.
Cependant la pénurie se faisait sentir chaque jour davantage. Aucune espérance ne semblait poindre en France les yeux de la malheureuse famille cherchèrent au loin. Un de ses cousins, établi la Guadeloupe, s'y était enrichi il avait plusieurs fois engagé ses parents de Douai à venir le rejoindre. La pauvre mère se décida à une tentative de ce côté. Elle s'embarqua avec Marcelline, qui avait alors treize ans. Après une difficile traversée, toutes deux atteignent enfin la Guadeloupe et tombent à genoux avec un cri de joie c'était la délivrance et le salut.
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Elles se font conduire à terre, mais, au moment d'aborder, elles aperçoivent des flammes qui dévorent les plantations et des nègres armés, qui courent en poussant des clameurs de mort C'étaient les noirs révoltés, qui venaient de massacrer le parent quelles cherchaient et de mettre le feu à son habitation. La veuve, qui avait échappé par miracle, était en fuite dans les mornes. Mme Desbordes, atterrée par ce dernier coup, ne put s'en relever. Atteinte de la fièvre jaune, elle succomba dans les vingt-quatre heures. Elle était morte en appelant son mari et ses enfants. Marcelline, folle de désespoir, ne voulait plus la quitter il fallut l'arracher de force d'auprès de la morte, la reporter sur le navire, qui l'avait conduite à la Guadeloupe, le cœur gonflé d'espérances, et qui la ramenait en France, orpheline. Elle fit tout le voyage sans prononcer une parole cette première douleur l'avait foudroyée.
Son père, qui avait dû renoncer à son art, désormais sans emploi, obtint enfin une place d'inspecteur des prisons de Douai. L'enfant, devenue jeune fille, l'aidait dans ses fonctions elle allait consoler les prisonniers, et ses impressions commençaient à s'échapper en paroles cadencées. Elle n'avait jamais appris ce que c'était que des vers à peine avait-elle lu quelques volumes dépareillés tout ce qu'elle exprimait était tiré d'elle-même à peine savait-elle sa langue, le plus souvent elle l'inventait. On s'aperçoit, en lisant les poésies de Mme Desbordes-Valmore, de ce défaut d'instruction classique. Elle n'y a point remédié, comme Béranger, par une étude tardive et n'a jamais été, comme lui, en possession de la lan-
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gue littéraire dans toutes ses finesses et dans toute sa pureté. Continuant comme elle avait commencé, elle a improvisé ses vers avec ce que lui fournissait l'inspiration du moment, sans s'occuper de l'exactitude de l'expression, ni souvent même de sa clarté. A l'époque de sa vie vers laquelle nous nous sommes arrrêté, ses vers, au reste, n'étaient, à ses propres yeux, qu'un amusement sans importance elle les murmurait pour elle seule, comme ces refrains que l'on répète à demi-voix. La célébrité de la femme de lettres était bien loin de ses espérances et même de ses désirs. Il lui fallait un moyen plus prompt et plus sûr d'ajouter aux ressources de la famille. Malheureusement Marcelline n'avait ni l'instruction, qu'on demande à une institutrice, ni aucun des talents dont l'exercice peut faire vivre une femme. Elle s'était fait remarquer en jouant des proverbes dans quelques salons; on lui conseilla le théâtre; un engagement lui fut offert après beaucoup d'hésitations, elle se laissa persuader.
Ses débuts à Paris furent brillants; on fut frappé de sa grâce, de sa voix charmante, de sa sensibilité. Cette tête pâle, et comme ennuagée de cheveux blonds, avait une grâce mélancolique, dont les contemporains parlent encore. Les adulations entourèrent la jeune fille; on l'accablait de vers, de déclarations d'amour et de bouquets, tandis que l'administration ne songeait qu'à tirer parti de son talent et qu'elle n'était occupée que de faire face aux exigences" de sa position.
« J'ai mené alors », nous disait-elle, en racontant cette première expérience des choses, une vie de
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reine et d'esclave. Chaque soir, je rentrais dans ma petite chambre, brisée de fatigue, étourdie d'éloges, et fort embarrassée du déjeuner du lendemain. Ma toilette de théâtre absorbait presque toutes mes ressources la meilleure partie du reste allait à ma famille. Le directeur exploitait mon succès, sans parler d'augmenter mes appointements, et je ne voulais ni ne pouvais accepter des autres que des applaudissements et des fleurs. Que de fois j'ai dîné de pain sec, devant un bouquet qui avait coûté un louis 1 J'avais toutes les apparences du luxe et du triomphe, avec toutes les angoisses de la servitude et de la pauvreté. »
Ce fut alors que les désastres militaires de l'Empire amenèrent sa chute. Le patriotisme de Marcelline avait toute l'exaltation que peut faire supposer son âge et sa vive imagination. Chaque coup de canon, tiré aux portes de Paris, lui retentissait dans le cœur; quand elle apprit la capitulation, elle s'enfuit à son cinquième étage et s'enferma pour pleurer. Cependant sa douleur était mêlée d'indignation; elle eût voulu être homme pour résister. Le lendemain, il fallut sortir pour se rendre au théâtre la rue était vide,lafoule s'était portée au boulevard, afin d'assister à l'entrée des troupes étrangères. Tout à coup, en arrivant au carrefour, la jeune fille aperçoit deux soldats russes, qui s'avançaient en riant ils portaient à leurs bonnets une branche verte. Marcelline s'arrêta, saisie ces branches étaient sans doute un signe de victoire A cette pensée, le sang lui monte au cerveau et, sans songer à ce qu'elle fait, emportée par un élan involontaire, elle court aux soldats, en-
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lève d'une main rapide les deux rameaux et continue sa route. Soit surprise, soit générosité, les Russes ne cherchèrent point à punir une insulte, dont l'âge et l'exaltation de la jeune fille justifiaient à peine l'imprudence.
Un engagement plus avantageux la décida bientôt à quitter Paris pour Bruxelles. Ce fut là qu'elle connut M. Valmore, attaché, comme elle, au théâtre, et qu'elle l'épousa.
Devenue mère, elle'voulut accomplir rigoureusement tous ses devoirs. Il fallut pour cela renoncer à la scène. Rentrée dans la vie domestique, elle reprit ses improvisations cadencées, tout en veillant sur ses trois berceaux. Son beau-père, homme de beaucoup de goût, trouva par hasard une feuille volante, sur laquelle étaient écrits quelques-uns de ses vers; et la jeune femme, un peu confuse, fut forcée d'avouer que c'était elle qui les avait faits, sans savoir pourquoi, et presque sans y penser. M. Valmore, frappé de cette poésie pleine d'impression, voulut recueilir tout ce qu'elle avait composé il envoya ces fragments à un libraire de Paris, M. Louis, qui les imprima en 1818. Le volume fut rapidement enlevé et, en 1821, il en parut une nouvelle édition plus complète.
Les débuts de Mme Desbordes-Valmore, comme poète, ont donc, à peu près, la même date que ceux de Casimir Delavigne ils précédèrent ceux de Vigny, Lamartine, Victor Hugo, Sainte-Beuve, Alfred de Musset, et, bien qu'ils semblent appartenir à la nouv elle école, ils n'en subirent point l'influence. Son romantisme n'est nullement le résultat d'un choix,
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d'un système, c'est la traduction spontanée de tout son être. On a dit de Mme Desbordes-Valmore que c'éjait l'André Chénier femme. L'expression n'est vraie qu'à moitié elle a, comme André Chénier, l'image attirante, le nombre et la mélodie, les vers trouvés,qui éclatent à chaque instant comme des cris du cœur mais quelle infériorité dans l'art Le poète de la Jeune Captive, de l'Esclave, du Mendiant a longuement étudié tous les artifices du langage poétique c'est un admirable ouvrier en vers, qui enchâsse ses pensées dans le mètre alexandrin ou dans les strophes, avec la savante perfection que mettait Cellini à enchâsser les pierres précieuses dans ses vases d'or. Mme Desbordes-Valmore, au contraire, connaît à peine la prosodie et la grammaire mais elle est plus libre. On ne sent jamais chez elle l'habileté; sa muse ne s'avance pas, comme les nymphes d'Horace, en pas gracieusement cadencés; elle court ou s'arrête, selon sa fantaisie du moment. Aussi attache-t-elle davantage on l'admire moins, mais on l'aime plus.
Ajoutons ceci. Bien que tout soit personnel dans les vers de Mme Desbordes-Valmore, on n'y sent point la préoccupation exclusive et égoïste de soimême, qui rend certains poètes élégiaques si difficiles à lire. Elle sait vous associer à ses émotions, ou plutôt les rapporter aux vôtres; il semble qu'elle ne parle pas seulement d'elle, mais de vous, et qu'elle se confesse pour tous deux. C'est qu'en réalité elle ne chante jamais que des choses communes à tous, telles que l'amour, les souvenirs, la famille, et elle les ..chante moins pour elle que pour eux; elle
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les chante parce qu'elle les aime. Aussi se trouve-telle l'interprète de notre âme en étant l'interprète de la sienne. t
Les exemples à citer seraient si nombreux que nous hésitons à choisir. Voulons-nous savoir comment Mme Desbordes-Valmore sait prendre un accent moins. grave et passer de la profondeur à la grâce ? Écoutez ces strophes, adressées à un jeune critique de la Revue de Paris qui, en maltraitant un volume qu'elle venait de faire paraître, regrettait la femme modèle de Chrysale
Dont l'esprit se hausse
A connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse, et déplorait, avec un dédain pédantesque, que l'alphabet n'eût point été interdit aux filles d'Ève. Voici la réponse de M"1» Desbordes-Valmore elle a je ne sais quoi de railleusement tendre, qu'elle seule pouvait lui donner
Jeune homme irrité, sur un banc d'école,
Dont le coeur encor n'a chaud qu'au soleil,
Vous refusez donc l'encre et la parole
A celles qui font le foyer vermeil ? 9
Savant, mais aigri par vos lassitudes,
Un peu furieux de nos chants d'oiseaux,
Vous nous couronnez de railleurs roseaux 1 Vous serez plus jeune après vos études.
Quand vous sourirez,
Vous nous comprendrez.
Vous portez si haut la férule altière
Qu'un géant plierait sous son .docte poids.
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Vous faites baisser notre humble paupière, Et nous flagellez à briser nos doigts.
Où prenez-vous donc de si dures armes ?
Qu'ils étaient méchants, vos maîtres latins Mais l'amour viendra roi de vos destins,
Il vous changera par beaucoup de larmes.
Quand vous pleurerez,
Vous nous comprendrez.
Ce beau rêve à deux, vous voudrez l'écrire,
On est éloquent dès qu'on aime bien
Mais si vous aimez qui ne sait pas lire,
L'amante à l'amant ne répondra rien.
Laissez donc grandir quelque jeune flamme, Allumant pour vous ses vagues rayons
Laissez-lui toucher plumes et crayons
L'esprit, vous verrez, fait du jour à l'âme.
Quand vous aimerez,
Vous nous comprendrez (1).
Une dernière citation, qui achèvera de vous faire connaître ce talent, le plus véritablement féminin de tous ceux qui se sont jusqu'ici produits dans notre langue: c'est un conte en vers, intitule Le Petit Écolier (2).
Ce conte charmant fait partie d'un volume de récits en prose et en vers, écrit par M""> Desbordes-Valmore pour ses trois enfants. Leurs noms se retrou(1) Desbordes-Valmohe OEuvres. Lemerre, édit.
(2) Ce morceau étant à la fois trèS connu et fort Ioiïr nous n'avons pas cru devoir le reproduire ici (Note de l'éditeur)
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vent en tête de chaque page, mais hélas deux de ces noms ont déjà passé du livre sur des pierres funéraires. Après avoir allaité d'amour et de courage deux filles, qui avaient été son fardeau et qui devenaient sa couronne, Mme Desbordes-Valmore les a vu coudre toutes deux dans le linceul. Tant de coups l'ont brisée, sans doute, mais non anéantie. Cette femme, toujours en lutte contre la pauvreté, cette mère désolée s'est réfugiée dans la résignation et les œuvres du cœur. Comme Béranger, elle a mis son nom au service de toutes les infortunes elle va solliciter pour elles, et, grâce à son inépuisable charité, pauvre, elle peut secourir faible, elle protège affligée, elle console.
Si les contrastes sont des transitions, nous ne saurions en trouver de plus satisfaisante que celle qui nous conduit de Mme Desbordes-Valmore à M. Alfred de Vigny car, autant l'existence de la première a été traversée et son inspiration inégale, autant la vie du second a été facile et son talent régulier. Romantique par calcul, M. Alfred de Vigny est classique par tempérament. En tout, il aime la hiérarchie rigoureuse et la parfaite mesure on peut dire qu'il est monarchique, dans son talent comme dans sa politique.
Bien qu'il ait débuté par la carrière militaire, M. Alfred de Vigny s'occupa très jeune de poésie. A seize ans, il avait fait le Bain, Symétha, la Dryade, la Somnambule, que l'on peut voir dans son recueil et qui sont déjà des imitations très habiles de la manière d'André Chénier. Ses poésies suivantes pro-
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cèdent également de modèles divers qu'il prend successivement pour guides chose remarquable car de Vigny, qui a manqué avant tout d'initiative créatrice et qui n'a rien fait qui n'eût été tenté avant lui, n'a qu'une ambition, celle de passer pour inventeur. « Dans la route des innovations .:̃, dit-il en parlant de lui-même, au commencement des Poèmes Antiques et Modernes, « dans la route des innovations, l'auteur se mit en marche bien jeune, mais le premier » 1
Or, lisez l'œuvre entière de de Vigny, vous trouverez beaucoup de choses charmantes, parfaites, qui resteront; mais d'idées, de formes, ou même de manières inconnues avant lui, pas l'ombre. Nous avons parlé de ses premiers essais, comme de reflets affaiblis d'André Chénier les poèmes, intitulés Moise, le Déluge, Dolorida, la Prison, rappellent Byron, sauf la force Eloa a été précédée par les Amours des Anges de Thomas Moore; la ballade, qui a pour titre le Cor, est une faible réminiscence du Chant de Roland, celle de la Neige ressemble à toutes les ballades des poètes allemands du commencement de notre siècle le roman de Cinq Mars appartient évidemment à l'école de Walter Scott, Stello et Servitude et Grandeur Militaires ne diffèrent de toutes les nouvelles à demi historiques, publiées depuis trente ans, que par la supériorité du talent Ce qui manque donc à de Vigny, c'est ce qui surabonde dans Victor Hugo, la personnalité c'est ce qui distingue Lamartine, l'abondance. Sa place semble marquée près de Sainte-Beuve, qui a plus de finesse, mais moins d'élégance, et qui, plus riche en
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impressions, est moins pourvu de ressources dramatiques. L'imagination de de Vigny, trouve sans trop d'effort des combinaisons émouvantes elle peut créer une fable remuante; mais ne lui demandez pas la puissance qui devine une nature exceptionnelle ou transporte dans une société différente de la nôtre. N'attendez de lui ni le Faust de Goethe ni le Mazeppz de Byron. Si sa muse se hasarde dans d'autres temps et un autre monde, elle y transportera les sentiments de notre terre et d'aujourd'hui. Lisez plutôt Aloïse le poète ne fait point parler le législateur des Hébreux, mais un grand homme du xixe siècle. Aussi lui prêtet-il nos hésitations, nos défaillances il se met à la place de celui que conduit la colonne lumineuse et lui fait dire, en s'adressant au Seigneur: Vous m'avez fait vieillir puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre. Prière du puissant fatigué, et non du prophète élu l'élu a en lui le souffle divin qui persiste, tandis que le puissant n'a que la volonté humaine qui se lasse. Le premier marche toujours en avant sans douter, c'est Dieu qui le conduit et qui répond de lui le second finit par s'arrêter incertain, fléchissant sous sa responsabilité. Le Moïse de de Vigny n'est pas le libérateur, qui a entendu parler dans le buisson ardent. C'est un souvenir de Charlemagne, s'écriant dans le Chant de Roland Quel labeur est ma vie ou de Charles-Quint, abandonnant les soucis du trône pour le repos du monastère de SaintJust.
Aussi préférons-nous le poème d'Eloa, qui nous
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semble être ce que M. Alfred de Vigny a produit de plus élevé dans ce genre. Inférieur en éclat aux Amours des Anges de Thomas Moore, il lui est beaucoup supérieur pour la conception et la juste mesure des développements. L'œuvre du poète anglais n'est qu'une brillante et verbeuse improvisation, où le bruit mélodieux du vers et la splendeur de l'image remplacent trop souvent la pensée. Dans Eloa, au contraire, tout est clair, suivi, parfait d'invention poétique. Le poème de Thomas Moore ressemble à ces nuages, que colore le soleil du soir, et dans lesquels 1 œil rêveur découvre mille formes charmantes, mais confuses celui de de Vigny est un tableau, dont les figures, fermes et harmonieusement colorées, ont précisément ce qu'il faut de vie et de mouvement pour donner un corps à l'idéalité. L'auteur nous transporte au milieu du monde céleste, décrit par la légende catholique. Les anges, qui environnent le Très-Haut, viennent de voir paraître au milieu d'eux une nouvelle sœur, née d'une larme qu'a versée le Christ devant le tombeau de Lazare. Eloa, comme l'indique assez son origine, est la personnification de la pitié et de l'amour. Au milieu des joies du ciel, une tristesse involontaire la tient rêveuse elle pense à cet ange qui portait la lumière (Lucifer) et que sa révolte a perdu. Attendrie par son malheur, elle oublie les autres anges, qui n'ont pas besoin de celle qui console. Enfin, un jour, elle s'égare dans l'espace et arrive près des sphères inférieures. Celui vers lequel se tournaient ses pensées lui apparaît, et la séduction commence. Elle le connaît pour un ange tombé, mais elle ignore qu'il est le père du mal, l'en-
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nemi de tout ce qui respire, Satan. Aussi n'a-t-il point de peine à la tromper. Il lui parle de son royaume c'est lui qui préside à tous les enivrants mystères, que cache l'ombre. Il y a quelque chose de fascinant dans l'art avec lequel il transforme les tentations en adoucissements, le mal en bienfaits. Ce n'est plus le démon des ténèbres, mais l'ange de la nuit
Je suis celui qu'on aime et qu'on ne connaît pas. Sur l'homme j'ai fondé mon empire de flamme, Dans les désirs du cœur, dans les rêves de l'âme, Dans les désirs du corps, attraits mystérieux, Dans les trésors du sang, dans les regards des yeux. C'est moi qui fais parler l'épouse dans ses songes La jeune fille heureuse apprend d'heureux mensonges; Je leur donne des nuits qui consolent des jours, Je suis le roi secret des secrètes amours.
J'ai pris au Créateur sa faible créature;
Nous avons, malgré lui, partagé la nature;
Je le laisse, orgueilleux des bruits du jour vermeil, Cacher des astres d'or sous l'éclat d'un soleil Moi, j'ai l'ombre muette, et je donne à la terre La volupté des soirs et les biens du mystère. La nature, attentive aux lois de mon empire, M'accueille avec amour, m'écoute et me respire Je redeviens son âme, et, pour mes doux projets, Du fond des éléments j'évoque mes sujets.
Convive accoutumé de ma nocturne fête,
Chacun d'eux en chantant à s'y rendre s'apprête. Vers le ciel étoilé, dana l'orgueil de son vol,
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S'élance le premier l'éloquent rossignol.
Puis paraissent tous les hôtes de la nuit le ver luisant, le feu follet, et soufflent les vents embaumés la nature entière est ivre d'amour.
L'hymne de volupté fait tressaillir les airs,
Les arbres ont leurs chants, les buissons,leurs concerts. La voilà, sous tes yeux, l'œuvre du Malfaiteur Ce méchant qu'on accuse est un consolateur, Qui pleure sur l'esclave et le dérobe au maître, Le sauve par l'amour des chagrins de son être, Et, dans le mal commun lui-même enseveli, Lui donne un peu de charme et quelquefois l'oubli (1). Ainsi le démon, c'est toute la fascination de la nature apparente, tous les doux appels des sens, toutes les ivresses de la terre; loin de torturer l'homme, il le berce, l'enchante et l'endort dans le plaisir.
Eloa est ébranlée mais c'est bien autre chose, lorsque l'ange inconnu lui parle de son isolement, lorsqu'il laisse couler ses larmes. Alors elle se trouble, elle hésite Dans ce moment, un chœur d'anges, qui passe dans le ciel, répète
Gloire dans l'univers, dans les temps, à celui Qui s'immole à jamais pour le salut d'autrui 1 Il lui semble que c'est pour elle que ces mots 1. Alfbed DE VIGNY: Eloa, Delagrave, édit.
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ont retenti; elle se laisse glisser dans les bras de l'ange sombre, qui l'emporte avec un cri sauvage et des paroles de triomphe moqueur. Eloa s'étonne et s'épouvante.
Où me conduisez-vous, bel ange? Viens toujours. Que votre voix est triste, et quel sombre discours ¡ N'est-ce pas Eloa qui soulève ta chaîne ?
J'ai cru t'avoir sauvé. Non, c'est moi qui t'entraîne. Si nous sommes unis, peu m'importe en quel lieu! Nomme-moi donc encore ou ta sœur ou ton dieu 1 J'enlève mon esclave et je tiens ma victime. Tu paraissais si bon! Oh! qu'ai-je fait?- Un crime! Seras-tu plus heureux? du moins es-tu content? -Plus triste que jamais.-Qui donc es-tu?-Satan. Le sens de ce beau mythe nous semble clair. Eloa, c'est la personnification de la femme, elle-même prise dans les pièges de l'amour et de la pitié, oubliant la pureté du jour pour les séductions mystérieuses de l'ombre, c'est-à-dire l'esprit de vérité pour l'esprit des ténèbres, tombant des mains de Dieu dans les bras de Satan, et tout près de se consoler de sa chute par ce cri qui lui échappe, au milieu même des angoisses du remords:
Seras-tu plus heureux? du moins es-tu content ? Ambition coupable, mais touchante, de ces éternelles prêtresses du dévouement, qui acceptent tout, pourvu qu'elles aient consolé.
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DOUZIEME LEÇON
La poésie. II
SOMMAIRE
Sainte-Beuve. – Premières poésies, publiées sous le pseudonyme de Joseph Delorme analyse de sensations, d'impressions, de fantaisies et de rêves personnels, intimes; hommage d'admiration à Victor Hugo.-Sainte-Beuve se détache du Cénacle et de Victor Hugo. Mobilité de sa nature ses nombreux avatars politiques et littéraires. Sa crise religieuse le roman de Volupté. L'Histoire de Port-Royal. De ce beau livre d'érudition, de science et de pénétrante analyse date une nouvelle manière de Sainte-Beuve, l'imitation du style du xvne siècle.– Les Pensées d'Août religiosité vague, peu sincère. Retour au style naturel les Causeries du Lundi. – Le rang de Sainte-Beuve comme poète et comme critique.
Alfred de Vigny nous conduit naturellement à un autre écrivain, dont nous avons déjà prononcé le nom, il y a un instant, et qui, moins correct et moins sobre, lui ressemble pour la délicatesse de la touche, et, si nous osons nous exprimer ainsi, par le tempérament littéraire c'est M. Sainte-Beuve. Nous avons parlé ailleurs de ses débuts dans le Glohe et de ses premières relations avec Victor Hugo, qui l'enrôla sous la huinière romantique. Les pre-
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mières poésies, qu'il publia, en 1830, sous le pseudonyme de Joseph Delorme, portent la trace de cette conversion littéraire. On y aperçoit comme deux courants parallèles, qui ne sont point arrivés à se mêler l'un vient de l'inspiration personnelle, l'autre, de l'école. Le premier, qui est le bon, a produit les pièces, intitulées Bonheur Champêtre, la Contredanse, Promenade, Dévouement, et une foule d'autres; le second est la muse de l'Ode à la Rime et des Rayons Jaunes, composés, comme l'auteur le disait lui-même plus tard, un jour où son âme avait la jaunisse et voyait tout à travers un nuage de bile. Le volume était précédé de la pseudo-biographie d'un élève en médecine poète, sous le nom duquel M. Sainte-Beuve racontait ses premiers sentiments. La vie de Joseph Delorme ressemble à celle de tous ces héros rêveurs, de la famille de René et Obermann, qui, les yeux fixés sur eux seuls, s'étonnent de ne pas être le centre de toutes choses et que le monde tourne sans leur demander de quel côté il doit se mettre en mouvement. Une femme d'esprit le peignit d'un trait, lors de son apparition, en lui donnant le nom de Werther-Carabin. Mais après l'histoire du poète apocryphe venaient les vers d'un vrai poète.
Rien de pareil n'avait encore été tenté dans notre langue. Ni Lamartine, dans ses Méditations et ses Harmonies, ni Victor Hugo, dans ses premiers volumes de poésies, ni Mme Desbordes-Valmore ellemême n'avaient abordé cette analyse des sensations pour ainsi dire journalières et des mille troubles secrets qui pouvaient naître du sentiment, de la fantai-
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sie ou de la sensualité. La confession surprit par son audace et sa délicatesse tout à la fois. Il y avait, dans les vers du nouveau volume, quelque chose de saint Augustin et de Jean-Jacques Rousseau, associé à la familiarité poétique des lakistes anglais. Tout n'était pas réussi, mais tout coulait d'une source inconnue cette muse singulière, tour à tour chaste et folle, qui courait, les cheveux dénoués, le long des blés, rôdait le soir dans les carrefours, ou filait modestement au foyer domestique, avait un attrait d'originalité et un accent réel, qui vous laissent étonné d'être pris, mais pris On pouvait dire beaucoup de mal du volume, on ne pouvait s'empêcher de le lire.
Sa portion sincère, celle qui ne procédait pas de la manière fournie par l'école romantique, nous fait assister à toutes les agitations intérieures du poète. On le voit tantôt souhaitant, sous les feuillées, une maisonnette à contrevents verts, comme Jean-Jacques, tantôt, à propos d'un pied de femme qui fuit au détour d'une haie, composant un long roman d'amour, tantôt rêvant « la persienne entr'ouverte et l'échelle de soie » puis, par un brusque retour vers les plus sombres découragements, regardant l'eau limpide qui dort sous les saules, et songeant que celui à qui elle servirait de linceul dormirait paisiblement. Mais ce qui domine déjà dans le volume, c'est son admiration dévouée pour celui qu'il doit bientôt appeler son grand Victor. Il le voit au milieu de ce cénacle de glorieux amis qui se sont promis d'agrandir les horizons poétiques de la France il entend les battements d'ailes de leurs muses, et,
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incapable de les suivre, il se compare à l'hirondelle captive, qui voit ses compagnes partir pour le printemps naissant d'une autre patrie. Mais il se console en jouissant de leur douce intimité, en écoutant leurs concerts, et il termine par ces strophes Fraternité des arts Union fortunée
Soirs dont le souvenir, même après mainte année, Charmera le vieillard
Lorsrru'enfin tariront ces délices ravies,
Que le sort, s'attaquant à de si chères vies, (Oh 1 que ce soit bien tard !)
Aura mis à son rang le grand homme qui tombe Et fait, comme toujours, un autel de sa tombe Alors, si 1 un de nous,
Le dernier, le plus humble en ces banquets sublimes (Car le sort, trop souvent, aux plus nobles victimes Garde les premiers coups),
S'il survit, seul assis parmi ces places vides, Lisant des jeunes gens les questions avides Dans leurs yeux ingénus,
Et des siens essuyant une larme qui nage,
Il dira, tout ému des pensées du jeune âge « Je les ai bien connus
« Ils étaient grands et bons l'amère jalousie « Jamais chez eux n'arma le miel de poésie « De son grêle aiguillon.
« Et jamais, dans son cours, leur gloire éblouissante « Ne brûla d'un dédain l'humble fleur pâlissante, « Le bluet du sillon (1). »
(1) Sainte-Bedve Poésies. complètes, Calmann Lévy, édit.
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Le bluet s'est depuis singulièrement chargé d'épines et a fait plus d'un accroc à ces gloires éblouissantes. Il est triste, après avoir relu ces vers, de se rappeler les articles critiques, dans lesquels M. SainteBeuve a jugé plus tard ceux qu'il avait déclarés grands et bons. Il est triste de chercher ce qu'est devenue cette amitié enthousiaste pour le chantre des Feuilles d'Automne surtout, à qui il adressait la seizième pièce de vers des Consolations, une des plus vives en couleur et des mieux senties qu'il ait jamais écrites. On se demande ce que doit sentir aujourd'hui M. Sainte-Beuve, lorsqu'il relit cette belle pièce de vers, adressée à Mm« Victor Hugo, après un de ces refroidissements qui traversent les attachements les plus sincères
Un nuage a passé sur notre amitié pure;
Un mot dit en colère, une parole dure,
A froissé votre cœur, et vous a fait penser Qu'un jour mes sentiments se pourraient effacer. Pour la première fois, Vous, prudente et si sage, Vous avez cru prévoir, comme dans un présage, Qu'avant mon lit de mort mon amitié pour vous, Oui, madame, pour vous, et votre illustre époux, Amitié que je porte et si fière et si haute,
Pourrait un jour sécher et périr par ma faute. Doute amer Votre cœur l'a sans crainte abordé, Vous en avez souffert, mais vous l'avez gardé; Et tantôt, là-dessus, triste et d'un ton de blâme, Vous avez dit des mots qui m'ont pénétré l'âme: « En cette vie, hélas rien n'est constant et sûr; « Le ver se glisse au fruit, dès que le fruit est mûr
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« L'amitié se corrompt; tout est rêve et chimère « On n'a pour vrais amis que son père et sa mère, « Son mari, ses enfants, et Dieu par-dessus tous. « Quant à ees autres biens, qu'on estime si doux, « S'entr'aider, se chérir, croire en des cœurs fidèles, « Voir en des yeux amis briller des étincelles, « Ce sont de faux semblants auxquels je n'ai plus foi; « La vie est une foule où chacun tire à soi. » Oui, vous avez dit vrai, l'amitié n'est pas sûre, Mais, en me le disant, pourquoi me faire injure? Pourquoi, lorsqu'ici-bas, à l'ennui condamné, Las de soi-même, on s'est à quelque autre donné, Qu'en cet autre on a mis son âme et sa tendresse, Ses foyers, son orgueil et toute sa jeunesse, Qu'assis sur le tillac à demi défailli,
Comme un pauvre nageur en passant recueilli, On a juré de suivre aux mers les plus profondes Le noble pavillon qui nous sauva des ondes, Pourquoi venir alors nous dire que la foi
Est morte aux cœurs humains, que chacun tire à soi, Qu'entre les amitiés aucune n'est durable,
Et, pour un tort léger, parler d'irréparable? î L'irréparable, hélas savez-vous ce que c'est, Vous que le ciel bénit ? Malheur à qui le sait 1 Une fille à quinze ans, fraîche, belle, parée, Et tout d'un coup ravie à sa mère éplorée;
Un père moribond, et que le froid raidit
Avant qu'il ait dit grâce 1 au fils qu'il a maudit. Voilà l'irréparable et ce seul mot nous brise! Mais aux coups plus légers le cœur se cicatrise; Et quand on vit, qu'on s'aime et que l'un a pleuré, On pardonne, on oublie et tout est réparé.
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L'irréparable est venu pour l'illustre époux, dont parle M. Sainte-Beuve; la fille morte avant le temps (et d'une mort terrible), lés insultes, l'exil. et celle qui a courageusement partagé les épreuves peut répéter ses doutes d'autrefois, car l'adversité n'a fait revivre aucune des vieilles amitiés qui promettaient e d'être éternelles.
Ceci n'est point une accusation contre M. SainteBeuve, mais une première constatation de la mobilité qui a présidé à ses sentiments comme à ses opinions. Naus avons dit comment il avait quitté le sage éclectisme du Globe, pour soutenir, dans la Revue de Paris, les doctrines nouvelles; à la Révolution de 1830, les Saint-Simoniens le réattirent à leur ancien journal, devenu l'organe de leur secte. Sainte-Beuve avait épuisé la nouveauté du romantisme ;il passe aux idées sociales, aide à la rédaction du journal de Pierre Leroux, suit les prédications. Mais viennent les excentricités du père Enfantin il s'échappe effarouché et est tout près d'accepter une chaire en Belgique, lor squ'on lui offre une place au feuilleton du National. Voilà le rêveur Joseph Delorme, devenu radical et retournant au système classique. Il publie un article sur Diderot, dans lequel il préconise la philosophie duxvm» siècle, et parle fort mal de ces Jansénistes farouches, dont il devait être plus tard l'apologiste. La doctrine de Nicole n'était encore pour lui que le terrorisme de la grâce. Cependant un hasard lui fait connaître Lamennais et l'abbé Gerbet; aussitôt, voilà que ses tentations religieuses commencent à le reprendre et qu'il cherche, selon son expression, « l'union consubstan-
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tielle et sacrée de la volonté et de l'intelligence, sous le sceau de la foi ». Ce fut alors qu'il écrivit son roman de Volupté, où il allie ses tendances sensùalistes à ses velléités néo-catholiques. C'est encore une confession, mais dans laquelle on sent trop souvent que l'auteur se confesse pour avoir le plaisir de décrire ses péchés. Mais Sainte-Beuve ne devait en rester ni aux idées ni à la manière de Volupté il venait de retraverser, en écrivant ce livre, tous ses souvenirs et toutes ses sensations; il en eut bientôt assez de lui-même, il se sentit lassé de cette longue préoccupation des troubles de la conscience et des sens, de cette revue minutieuse des excitations humaines, entrecoupées de doutes et d'aspirations; le roman de la vie était écrit, il lui fallait en sortir complètement. Au xvn9 siècle, il fût entré à Port-Royal; au xix°, il se contenta d'en écrire l'histoire.
Tout le monde lettré connaît ce livre de recherches patientes et de fine analyse. La Suisse en a eu les prémices dans le remarquable cours, fait à Lausanne par M. Sainte-Beuve, en 1837. Une fois entré dans l'histoire de ces Jansénistes, qui l'effrayaient autrefois comme les Jacobins de la théologie, le mobile écrivain s'y intéressa très vivement; il pénétra avec une singulière perspicacité les questions ardues qui avaient alors partagé les plus grands esprits: il les expliqua, les éclaircit, raconta, d'une manière charmante, la vie de ces âmes pieuses et nous émut de leurs angoisses. Après avoir donné le poème de la jeunesse dans Volupté, il donnait celui de l'ascétisme dans Port-Royal le sujet -différait, mais l'homme était resté le même. Ce qui le char-
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mait dans ces questions, c'était surtout leur nouveauté il fouillait un autre côté de la nature humaine, et, à chaque pas, s'applaudissait d'une découverte. Les péripéties de ce débat sur les propositions de Jansénius, sur la doctrine de saint Augustin, sur les austérités de la mère Angélique, prenaient son imagination, lui fournissaient mille aperçus délicats; il y avait là un autre roman à écrire il s'y complut assez longuement pour faire croire, à ceux qui le connaissaient mal, que la conviction religieuse était proche. On crut la foi à la porte entr'ouverte de cet esprit, et qu'il suffisait de prêter un peu main forte pour qu'elle entrât, mais, la curiosité d'artiste une fois satisfaite, l'écrivain de Port-Royal recula doucement sur la pointe du pied. L'oeuvre entreprise avait duré trop longtemps pour sa fantaisie; il eut quelque peine à achever ce récit des vicissitudes jansénistes le dernier volume lassa l'attente du public, et, lorsqu'il parut enfin, on vit que l'auteur s'était enfui de la théologie dans la littérature le pèlerinage, commencé à Port-Royal avec M. de Saint-Cyran,finissait au théâtre de Bourgogne avec Racine. y Z3 ZD
Mais cette fréquentation des auteurs du xvn8 siècle, et spécialement des prosateurs, avait complété la modification déjà commencée dans le style de M. Sainte-Beuve. A la forme un peu vague et tourmentée, mais toute moderne, de ses premiers écrits, succéda, peu à peu, une manière factice et voulue (comme il l'eût dit alors), manière qu'il a conservée jusqu'à ces derniers temps.
La prose du xvn" siècle, si l'on en excepte celle de
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Bossuet, de Pascal, de Fénelon et de quelques autres, est généralement un peu lente et entortillée dans la phrase, un peu vague dans l'expression. Le xvni8 siècle y a incontestablement apporté plus de brièveté, de précision la formule courante est devenue plus favorable à l'échange clair et rapide de l'idée. M. Sainte-Beuve sembla renoncer volontairement à cette conquête, pour reprendre la période compliquée du siècle de Louis XIV. Seulement il ne put lui conserver sa grande allure, et il la remplaça par une multitude de détails et d'intentions, qui l'obscurcirent sensiblement. Il la transporta, en outre, dans la poésie, où elle n'avait jamais été employée. Son nouveau volume, les Pensées d'Août, se ressentit de cette révolution. L'inspiration du poète demeura embarrassée dans cette langue artificielle, qu'il ne parlait point sans quelque effort, et dans des tendances religieuses très vagues, qui procédaient plutôt de répugnances que de convictions. La religion est un flambeau, mais à la condition d'être une véritable foi qui échauffe, qui éclaire, et il ne suffit pas d'affecter quelques images, de prononcer quelques noms, de faire quelques signes consacrés, pour que celle-ci soit présente. On la sent là, quand tout brille de lumière si le flambeau fume, c'est qu'il est éteint. On l'éprouve vivement, lorsqu'on lit les Pensées d'Août. L'obscurité de la forme et de l'idée trahit partout le manque de croyance certaine. Celle qui transluit de loin en loin dans ces nuages sonores n'est qu'un caprice du poète, un habit pour la muse elle porte les symboles chrétiens, comme on les porte à un collier de bal, simplement pour parure.
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La suite en a donné une preuve suffisante. L'édition des Pensées d'Août n'était pas épuisée que M. Sainte-Beuve en était revenu à son indifférence primitive et était passé, comme il l'a dit lui-même, au rang des spectateurs. Aujourd'hui il n'appartient, à ce qu'il assure, à aucune croyance précise, ni à aucune école philosophique il n'est ni classique ni romantique, ni monarchique ni radical; il peut écrire indifféremment dans ta Revue des Deux Mondes, dans le Constitutionnel ou dans le Moniteur.
Ses Causeries du Lundi s'y sont fait justement remarquer. Obligé à un travail plus rapide, il est revenu à un style plus naturel il le sent, et c'est ce qui le faisait répondre à quelqu'un qui le complimentait sur ce changement « Oui, je fais mieux depuis que je n'ai plus le temps de gâter mes articles. » Nous ne lui ferons qu'un reproche, c'est de se montrer parfois si sévère, si injuste envers d'anciens amis (par exemple dans son jugement sur les Chants du Crépuscule de Victor Hugo), et si impitoyable pour des faiblesses cruellement expiées, comme dans -son article sur Benjamin Constant. On dirait qu'il ne peut pardonner à ceux qui ont persisté dans les idées qu'il a eues, ou qui ont traversé les erreurs dont il a lui-même souffert. La faute des uns lui semble une sorte de dénonciation, la persévérance des autres, un reproche il s'en tient comme personnellement offensé. Ainsi, romantique de 1828, il raille ceux qui le sont encore en 1840 saint-simonien de 1830, il s'indigne contre les socialistes de 1848 libéral de 1829 et républicain de 1831, il anathématise les révolutionnaires de Février et les indé-
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pendants de nos jours janséniste de 1837, il en rit un peu aujourd'hui dans ses articles du Lundi! Nous ne disons rien de tant de changements, mais nous voudrions trouver M. Sainte-Beuve plus indulgent pour les intelligences moins alertes. Il n'est pas donné à tout le monde de se passionner pour la justesse de tant d'opinions contradictoires il faut pour cela beaucoup d'esprit, beaucoup d'imagination et un grand désintéressement de ses croyances de la veille. M. Sainte-Beuve a reçu tous ces dons avec beaucoup d'autres. C'est un poète toujours en voyage dans le monde intellectuel. Comme l'enfant, il cueille une fleur et abat un fruit, partout où la chose lui plaît; mais, en continuant, une autre prairie lui semble plus belle, un autre verger plus opulent, et il jette le fruit ou laisse tomber la fleur, pour en cueillir de nouveaux.
Cependant si, à travers toutes ces hésitations et toutes ces volte-face,onrecherche la nature réelle du talent de M. Sainte-Beuve comme poète, on trouve que son véritable caractère est celui que nous avions indiqué au commencement. Il a été le Wordsworth' de la France, avec plus de souffle et d'art. Sa place restera marquée, beaucoup au-dessous de Lamartine et de Victor Hugo, un peu au-dessus de Mm0 Desbordes-Valmore,auniveau d'Alfred de Vigny. Comme critique, nous l'avons apprécié ailleurs, en le plaçant au premier rang, près de M. Villemain, et hors de vue de tous ceux qui, sous prétexte de défendre l'art, vivent chez nous des écrivains, comme Molière accusait les médecins de vivre des malades, en les assassinant.
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Tant de titres littéraires suffisaient certes pour conduire M. Sainte-Beuve à l'Académie française il y remplaça Casimir Delavigne en 1845. La plupart des poètes du Cénacle l'yavaient précédé, et le plus jeune d'entre eux, M. Alfred de Musset, ne devait pas tarder à l'y rejoindre (1). /'Mf-. C~ (1) Le chapitre est inachevé. Il devait se Wûuriuîvrè par une étude sur Musset (Note de l'éditeur). r> P
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INDEX
,©£S^OMS CITÉS DANS LE VOLUME _`,,
/|* II1 ~i AVEC NOTICES (1).
Abélard, p. 289. Aguesseau (D'), p. 34, 70. Magistrat célèbre (1668-1751), dont la statue fut mise en 1810 devant le péristyle du palais du Corps Législatif, ainsi que celle de L'Hopital..
Albany (Comtesse d'), p. 150. La comtesse d'Albany (17531824), épousa d'abord leprétendant Charles-Edouard, puis le poète Alfieri.
Albignac (Général d'), p. 165, 166.
Album (U)f journal, p. 136. Alembert (D'), p. 197.
Alexandre I", empereur de Russie (1801-1825), p. 291. Amyot, p. 144.
Andrieux, p. 17.
Poète français (1759-1833) débuta très jeune par deux comédies Anaximandre et les Etourdis (1788). Sa comédie le Manteau est de 1826. Il a aussi composé des contes en vers (le premier recueil parut en 1800), des contes en prose et des fables. Sainte-Beuve a loué surtout en lui le conteur.
Angoulême(Duc d'), p.13,166. Fils du comte d'Artois (17751844) dernier dauphin de France fut lors du retour de
1. Au lieu de mettre des notes au bas des pages dans le cours du volume, il a paru préférable de rejeter ces notes dans un index, afin de laisser aux leçons elles-mêmes leur allure familière. Tantôt nous mentionnons simplement les noms cités par Souvestre, tantôt nous accompagnons ces noms de courtes notices. Ces notices ne sont pas proportionnées l'importance des personnages; elles sont destinées seulement â éclairer le texte celles des écrivains obscurs se trouvent par suite souvent les plus développées. Ce sont en général des indications de biographie, de dates, d'ouvrages, etc., s'adressant à ceux des lecteurs qui voudront, sans avoir besoin de consulter les ouvrages spéciaux, donner immédiatement plus de précision aux renseignements contenus dans le livre.
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l'île d'Elbe lieutenant-général du royaume, et, en 1823, coin- manda l'armée d'Espagne. Angoulême (Duchesse d'), p. 137.
Anquetil, p. 356.
Historien français (17231806), qui, à l'âge de 80 ans, composa sur l'invitation de Bonaparte une Histoire de France.
Arago (François), p. 88. Aristote, p. 133,135.
Arnauld (Mère Angélique), abbesse de Port-Royal des Champs, p. 425.
Arnault, p. 9i 16.
Poète (1766-1834), il débuta par une tragédie Marius a Minturnes (1791). Il fut exilé en 1816 à cause de son attachement à l'Empire et exclu de l'Institut, où il était entré dès 1799 en 1819, il revint en France, et, en 1829, il fut réélu à l'Académie française. Sa fameuse pièce la Feuille fut composée, dit Sainte-Beuve, par un matin de janvier 1816, quelques jours avant son départ pour l'exil. Son œuvre principale est un recueil de Fables.
Artois (Comte d'), (le futur Charles X), p. 13, 249.
Augustin (Saint), p. 419, 425. AVENIR (L'), p. 172, 179, 182, 183, 184, 196, 332.
Ce journal parut pendant un an environ (1830-1831), sous la direction de Lamennais, avec l'épigraphe Dieu et liberté.
Il réclamait la liberté de la presse, la liberté de l'enseignement, la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Il eut à soutenir plusieurs procès, etil cessa de paraître le 15 novembre 1831. Les principaux écrivains qui y collaborèrent furent Lacordaire, Gerbet, Montalembert. Tous se soumirent après la condamnation du pape, sauf Lamennais. Bacon (François), p. 275. Bailly, maire de Paris (17891791), p. 52.
Ballanche, p. 348.
Ecrivain mystiqueflT7!3-1847), qui ramène l'histoire à l'étude des épreuves par lesquelles l'humanité s'est rachetée du péché originel. Principal ouvrage Essais de palingénésie sociale.
Balzac, écrivain (1594-1654), p. 221.
Baour-Lormian, p. 15, 397. Auteur dramatique et poète (1770-1854) publia en 1795 une traduction incolore de la Jérusalem délivrée qu'il refondit en 1819, et, en 1801, des Poésies galliques. Ses tragédies eurent un grand succès. Il chanta en des poëmes de circonstance la Restauration comme l'Empire. Les épigrammes de Lebrun (v. p. 15) sont les suivantes
Sottise entretient la santé
Baour s'est toujours bien porté et
Sottise entretient l'embonpoint: Aussi Baour ne maigrit pomt. Baour-Lormian lut très violent cpntre le romantisme.
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tionnaire au ministère de l'instruction publique il fut révoqué en 1821. Ses chansons, d'inspiration libérale, lui attirèrent des condamnations. Dates des recueils 1815 –1821 (trois mois de prison) 1825 – 1828 (9 mois de prison et 10.000 fr. d'amende) 1833; 1857 (posthume). Béranger eut, aux environs de 1830, une gloire éclatante, supérieure même à celle de V. Hugo. Cf. dans les Chansons
Sur l'influence de l'imprimeur Laisney (v. p. 247) Bonsoir. Sur la protection de Lucien Bonaparte (v.p.252): la Dédicace des Chansons publiées en 1834. Sur la réception au Caveau L'Académie et le Caveau, « chanson de réception au Caveau moderne ».
Sur les dédommagements offerts par ses amis (v. p. 260) Les conseils de Lise, « chanson adressée à M. J. Laffitte. qui m'avait proposé un emploi dans ses bureaux pour réparer la perte de ma place à l'Université ». Sur les allusions à sa jeunesse (v. p. 266): Souvenirs d'enfance, « A mes parents et amis de Péronne, ville où j'ai passé une partie de ma jeunesse de 1790 à 1796. »
Sur sa retraite à la campagne (p. 267) Passy.
Les deux strophes citées aux p. 28-29 sont le2'et le 3" coupletsd'unechanson de Béranger. La sainte alliance des peuples, « chanson chantée à Liancourt pour la fête donnée par M. le duc de La Rochefoucauld en réjouissance de l'éyacuation du territoire français, au mois d'octobre 1818 ».
Barante (De), p. 352, 371372 (1).
Auteur de l'Histoire des ducs de Bourgogne (1824).
Barras, conventionnel ,p. 154. Barrot (Odilon), p. 55, 90-91. Homme politique (1791-1873), qui fut sous le gouvernement de Louis-Philippe le chef de la gauche modérée et de l'opposition dynastique. Adversaire acharné du ministère Guizot, il fut en 1847 le promoteur de la campagne des banquets.
Barthélémy.p.tOS, 842-244. Poète satirique (1796-1867), qui écrivit de nombreux poèmes en collaboration avec Méry. L'une de leurs premières satires fut la Villéliade contre le ministère Villèle. Après un essai d'épopée napoléonienne ils revinrent à la satire après 1830 et, dans un journal hebdomadaire la Némésis, ils flétrirent tous les actes du gouvernement cette publication, qui eut un grand succès, cessa tout d'un coup. Ba-wr (M»- de), p. 198.
M** de Champgrand, après son divorce avec le comte de Saint-Simon. se remaria à un étranger, le comte de Bawr. Elle écrivit des romans naïfs et des comédies aimables.
Bazard, saint-simon,p. 202,204. Beaumarchais, p. 152.
Béranger, p. 157, 189, 244272, 325,386,399, 403, 410. P.-J.deBëranger(1780-1857), après une jeunesse assez précaire, devint en 1809 expédi-
1. Les pages numérotées en caractères gras sont celles qui contien lent une étude suivie sur l'auteur.
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Ecrivain socialiste' (18121882), il publia en 1840 une brochure sur l'Organisation du travail puis deux grands ouvrages historiques l'Histoire de dix ans, qui contribua la chute du gouvernement de Louis-Philippe, et l'histoire de la Révolution française, qu'il écrivit en Angleterre, où il vécut en exil de 1848 à 1870. Blanqui, p. 116.
Bodin (Félix), p. 362.
Ecrivit en 1821 un Résumé de l'histoire de France et en 1823 un Résumé de l'histoire d'Angleterre. Son nom figure sur la première édition de l'Histoire de la Révolution française de Thiers.
Boileau, p. 129, 135.214.
Boisjolin, p. 17. î
Poète (1761-1841), qui collabora au Mercure et à l'Almanach des Muses a écrit des poésies aimables et des comédies en vers.
BON SENS (Le) p. 164.
Journal d'opposition sous le gouvernement de Juillet, il avait pour devise « Tout pour et par le peuple. » II fut rédigé par Cauchois-Lemaire.
Bonald (De), p. 18, 44, 45-4 "i- Le vicomte de Bonald (17o41840) écrivit, pendant la Révolution et sous l'Empire, des livres où il exposait ses doctrines absolutistes et théocratiques le principal est la Législation primitive (1802). Sous la Restauration, il fut comme député dès 1815, puis encore pair de France après 1823 le théoricien du parti ultra, et il combattit toutes les libertés.
Bérard, p. 263.
Homme politique, industriel et banquier (1783-1859) prit une part importante à la Révolution de Juillet.
Berchoux, p. 17.
Poète (1765-1839), auteur de la Gastronomie, poème badin qui fut publié en 1800 avec un grand succès.
Bernardin de St-Pierre,p.36. Berry (Duc de) second fils du comte d'Artois, assassiné en 1820, p. 12, 13.
Berry (duchesse de), p. 138. Berryer, p. 96-100.
Catholique et royaliste, P.A. Berryer (1790-1868) défendit comme avocat après 1815 les victimes de la réaction comme Ney et Cambronne. Député de 1830 à 1851, il combattit en faveur des idées libérales, se montrant à la fois légitimiste et démocrate.
Bertin, p. 271.
Poète érotique (1752-1790), il écrivit des élégies sous le titre d'Amours (1780).
Bertin (Frères), p. 125.
Famille de journalistes qui dirigea le Journal des Débats de 1799 à 1871 Bertin l'aîné (1766-1841), le premier directeur, fut aidé de son frère Bertin de Veaux (1771-1842) et eut pour successeurs, d'abord son second fils Armand (1801-1854), puis son fils aîné, le paysagiste Edouard Bertin (1797-1871). Béthisy (De),hommepolit,p.12 Blanc (Louis), p. 164, 117, 210, 375, 376-377.
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Bonaparte (Lucien), p. 252. Protecteur de Béranger « Er, 1803, privé de ressources, las d'espérances déçues, versifiant sans but et sans encouragement. j'eus l'idée de mettre sous enveloppe mes informes poésies et de les adresser, par la poste. au frère du premier consul, M. Lucien Bonaparte. » (Béranger, Dédicace des Chansons publiées en 1B3A).
Bonaparte (V. Napoléon), K'V41' 142, m' 154 365,366.
Bordeaux (Duc de), comte de Chambord, p. 146, 235.
Bossuet, p. 3, 180, 237, 294, 305.345,426.
Boufflers, p, 256.
Le chevalier de Boufflers (1738-1815) fut un poète de cour et écrivit des vers pour l'Almanach des Muses. En 1782 il publia Poésies et pièces fugitives.
Bouilly, p. 397.
J.-N. Bouilly (1763-1842) a écrit un grand nombre d.'opéras-comiques et d'autres pièces de théâtre, comme l'Abbé de l'Epée, comédie historique (1799), lé Désastre de Lisbonne (1804), la Vieillesse de Piron, comédie (1810).
Boulanger, p. 133.
Peintre romantique (18061867), il débuta au salon de 1827 par Mazeppa. V. Hugo lui a dédié des poésies, et lui-même a illustré l'oeuvre de V. Hugo. Bourdaloue, p. 237, 333, 335. Bourmont (Comte de), p. 250, 251.
Emigré, chef vendéen, impliqué en 1800 dans l'affaire de la machine infernale, il se rallia à l'Empire mais, à là veille de Waterloo, il déserla il déposa ensuite contre le maréchal Ney lors de son procès. Il fut ministre de la guerre en 1829 et, en 1830, commandant en chef de l'expédition d'Alger. Brune (Maréchal), p. 10.
Général dé la Révolution et de l'Empire, il fut assassiné en 1815 à Avignon, et ses assassins ne furent pas poursuivis. Burke, auteur anglais, p. 42, 72, 296.
Byron, p. 131, 389, 411. Cabet, p. 55, 210.
Ecrivain socialiste, il fit paraître en 1842 son Voyage en Icarie, et, en 1848, une colonie d' « Icariens » essaya de fonder une société communiste, semblable à celle qu'avait dépeinte Cabet.en allant s'établir d'abord au Texas, puis dans l'Illinois. Cadoudal, p. 13.
Calderon, p. 29.
Capefigue, p. 378-384. Publiciste dévoué à la monarchie de Juillet et défenseur des idées catholiques, il a surtout écrit un grand nombre de livres sur toutes les époques de l'histoire sur Philippe Auguste (1829), la Restauration (1831), Hugues Capet (1839), etc.
Carnot, p. 9.
Carrel.p. 142, 164-172,211. Sous lieutenant démissionnaire lors de la guerre d'Espa-
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CHANSON DE ROLAND, p. 411, 412.
Charles X, p. 49, 95.
Charton, p, 231.
Homme politique et écrivain (1807-1890), il a fondé en 1833 le Magasin pittoresque et en 1860 le Tour du monde.
Chateaubriand, p.7, 18-21, 43-44,100,104,121,125,128, 134,173, 176, 193, 216, 353, 361.
L'histoire de ses idées politiques comprend plusieurs périodes de 1814 à 1824, il est ultra-royaliste.; de 1824 à 1830, libéral après 1830, il incline vers la démocratie. Sa brochure De Buonaparteetdes Bourbons est d'avril 1814. De 1815 à 1824, il est tour à tour pair de France, ambassadeur, ministre (en 1818 il avait fondé le Conservateur). En 1824. il passe à l'opposition, en écrivant le 29 juin et le 6 juillet dans les Débats deux très beaux articles. Après 1830, il resta fidèle à la dynastie déchue et défendit les droits du duc de Bordeaux. Ses Mémoires d'outre-tombe, qu'il dut vendre à une société par actions, furent cédés au directeur de la Presse, E. de Girardin, qui les publia du 21 octobre 1848 au 3 juillet 1850.
Châtelain, journaliste, p. 127. Chênedollé, p. 17.
Poète (1769-1833) a publié un poème médiocre, le Génie de l'homme (1807), etun recueil d'Etudes poétiques (1820). Chénier (André), p. 132, 388, 407, 410, 411.
gne (1823) publia des résumés historiques et collabora à divers journaux, par exemple le Producteur. En 1828 il donna à la Revue Française deux articles très remarqués sur l'Espagne et la guerre de 1823. Il fonda le National en janvier 1830 avec Thiers et Mignet, et, après la Révolution, il en devint rédacteur en chef. il passa peu à peu à l'opposition, mais ne devint nettement républicain qu'en janvier 1832. Après sa mort tragique (1836), une statue, œuvre de David d'Angers, lui fut élevée par souscription.
Carron (Abbé), p. 175.
Castel, p. 17.
Poète et naturaliste (17581832), il est l'auteur de deux poèmes didactiques, Les Plantes en 1797 et La Forêt de Fontainebleau en 1805.
Castlereagh, ministre anglais, p. 324.
Cauchois-Lemaire, p. 164. Historien et publiciste (17891861), il dirigea sous la Restauration le Journal de la littérature et des arts, qui devint bientôt le Nain jaune,el, sous lamonarchie de Juillet, le Bon sens.
Censeur (Le), p. 127, 145, 354. Journal libéral fondé en 1814 par L. Comte et Dunoyer en 1820 il se fondit avec le Courrier français.
Chabrol (Comte de), préfet, p. 14.
Champgrand (M11- de), (V. de Bawr), p. 198.
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Chevalier (Micnel), p. 293. Homme d'Etat et économiste (1866-1879), il fut d'abord un saint simonien convaincu et rédigea le Globe plus tard il fut au Collège de France professeur d'économie politique. Cicéron, p. 43, 140, 142. Clavier, p. 151
Beau-père de P.-L. Courier (1T62-1817) fut professeur au Collège de France et édita des auteurs grecs.
Coffinhal, président du Tribunal révolutionnaire, p. 123. Collé, p. 256, 271.
Auteur dramatique et chansonnier (1709-1783), fut un des fondateurs du Caveau.
Commines (Philippe de), p. 372.
Comte (Auguste), p. 200. Commença par le saint-simonisme en 1818, il devint disciple de Saint-Simon, et il se brouilla avec lui en 1824 alors il indiqua dans son Système de politique positive le programme d'une nouvelle doctrine.
Comte (Louis), p. 127,354. Publiciste (1782-1837); fonda en 1814 le Censeur, où il attaqua violemment la Restauration. Condamné à la prison en 1820, il s'enfuit en Suisse où il obtint un grand succès avec un cours de droit public, puis en Angleterre.
Condé (Prince de), général en chef des émigrés, p, 10.
Condillac, p. 32, 33, 130, 174, 246, 277, 277.
Conservateur (Le), p. 125, 128. Journal ultra-royaliste fondé en 1818 et rédigé par Chateau,briand, Lamennais, Bonald. Il disparut en 1820 lors du rétablissement de la censure. Constant (Benjamin), p. 44, 62, 91, 427.
Orateur libéral (1767-1830). Très lié avec M™° de Staël; il fut banni sous l'Empire, Sous la Restauration, devenu député en 1819, il combattit les lois d'exception et défendit la liberté de la presse.
Constitutionnel (Le), p. 122, 126-127, 361, 427.
Journal fondé en 1815; il fut dirigé par Cauchois-Lemaire et Jay Thiers y fit ses débuts dans le journalisme. C'était l'organe des libéraux, sous la Restauration.
Cormenin, p. 40, 59, 112, 144, 235-348. 260.
Le vicomte de Cormenin (1788-1868), lui avait été sous Napoléon auditeur au Conseil d'Etat, se rallia à la royauté. En 1821 il publia son Droit administratif. Louis XVIII le fit baron, Charles X vicomte. Il fut élu député en 1828. Après 1830, il fit une guerre de pamphlets au gouvernement de Louis-Philippe député, il siégea à l'extrême-gauche. En 1836 il donna sous le pseudonyme de Timon le Livre des orateurs. Corneille, p. 3, 6, 19, 236, 246.
Courier (Paul-Louis), p. 139157, 235, 240, 241
P.-L. Courier (1772-1825) fut de 1791 à 1793 élève à l'école d'artillerie de Châlons puis il
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Cousin, p. 33-36, 130, 275290,294, 302, 306, 307, 363. Philosophe et homme politique (1792-1867) devint en 1815 professeur à la Sorbonne comme suppléant de Royer-Gollard. Son cours ayant été suspendu après 1820, il voyagea en Allemagne et publia des éditions d'auteurs philosophiques Il reprit sa chaire en 1827. Sous Louis-Pbiiippe il fut pair de France et ministre. Après te coup d'Etat, il occupa ses loisirs à des études sur les femmes et la société du xvh" siècle M»" de Lcngueville (1853), Mmc de Sablé 'iSSâ), M"" de Chevreuse (1856). Il a recueilli la série de ses leçons de 1815 à 1820 et de 1828 à 1830.
Coux (De), collaborateur de Montalembert (v. ce mot), p. 179.
Cowper, poète anglais, p. 131. Crabbe, poète anglais, p. 131. Crébillonfils, auteur de contes licencieux, p. 37.
Dancourt, auteur dramatique (1661-1725), p. 17.
Daniel (père), auteur d'une Histoire de France (1713), p. 356.
Dante, p. 19, 187, 192.
Daunou, p. 131.
Erudit (1761-1840), qui a surtout collaboré à la publication des Historiens de la France et de l'Histoire littéraire de la France.
David d'Angers, sculpteur, p. 133, 171.
prit part comme officier aux guerres de la Révolution et de l'Empire mais il occupait ses loisirs de garnison à traduire Xénophon ou à composer son Eloge d'Hélène qu'il donna comme une simple traduction d'Isocrate. C'est en 1798 qu'il faillit être massacré à Rome. En 1809 il donna sa démission. En 1810, il alla à la bibliothèque de Florence chercher un manuscrit de Longus (v. Lettre à M. Renouard, libraire). Sous la Restauration, il vécut à Véretz en Touraine, dans son domaine de la Chavonnière et fit au gouvernement une guerre de pamphlets Pétition aux deux Chambres (1816), tableau de la réaction royaliste dans un village Lettres an rédacteur du Censeur (1819-1820) Simple discours de Paul-Louis à l'occasion d'une souscription (1821) Pétition pour des villageois que l'on empêche de danser (1822); Réponse aux anonymes (1822) Livret de Paul-Louis pendant son séjour à Paris en mars 1823 Pièce diplomatique (1823) Gazette du village (1823) Pamphlet des pamphlets (1824). Ajouter des traductions la Lueiade ou l'Ane Daphnis et Chloé de Longus (d'après Amyot) des fragments d'Hérodote deux livres de Xénophon une traduction libre du Périclès de Plutarque enfin des lettres, qu'il publia en les retouchant. Courrier FRANÇAIS (Le), p. 122, 127, 236.
Journal libéral qui parut en 1819 et qui eut un grand éclat sous la Restauration et sous Louis-Philippe. B. Constant, Cormenin, Mignet y collaborèrent.
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Débats (JOURNAL DES), p. 122, 125-126, 137, 222, 315. Fondé en 1789 pour rendre compte des débats de l'Assemblée, ce journal fut acheté en 1799 par les frères Bertin (V. Bertin). Sous l'Empire, Napoléon, après l'avoir surveillé et l'avoir transformé en Journal de l'Empire, le confisqua en 1811. Sous la Restauration et sous Louis-Philippe, le journal défendit le plus souvent la politique ministérielle.
Decazes, p. 12.
Ministre de l'Intérieur et président du Conseil (1819-1820), il fut sacrifié par Louis XVIII aux ultras après l'assassinat du duc de Berry. La phrase fameuse de Chateaubriand sur « l'imprudent ministre » dont « les pieds ont glissé dans le sang » est du 3 mars 1820 dans le Conservateur.
Delacroix, p. 223.
Décora en 1853 le salon de la Paix à l'Hôtel de Ville les dessus de portes et de fenêtres représentaient les travaux d'Hercule.
Delavigne (Casimir), p. 101104, 136,387-400, 406, 429. Obtint un grand succès en 1815 par la publication de ses premières Messéniennes.- Premières pièces de théâtre les Vêpres siciliennes, tragédie en 5 actes représentée à l'Odéon le 23 octobre 1819 les Comédiens, comédie (Odéon, 6 janvier 1820) le Paria, tragédie (Odéon, 1" décembre 1821); L'école des vieillards, comédie en 5 actes (Théâtre Français, 6 décembre 1823).
Delille, p. 14, 17, 129. 243. A débuté avec éclat comme
poèteisous Louis XV. En 1769, il donna une traduction en vers des Gèorgiques. A composé des poèmes: Les Jardins (1782), l'homme des champs (1800),Les Trois règnes de la nature, etc. Delrieu, p. 15-16.
Né à Rodez en 1761, il fit en 1793 des Couplets en l'honneur de la Montagne, et, en 1811, une Ode sur la naissance du roi de Rome. Sa tragédie dVlrtaxerce est de 1808.
Démosthène, p. 8, 43, 61. Demoustier, p. 256.
Ecrivain (1760-1801), auteur des Lettres à Emilie sur la mythologie, ouvrage mêlé de prose et de vers, d'un style parfois précieux.
Désaugiers, p. 252, 256, 271. Président du Caveau il fit des chansons souvent libertines et écrivit de nombreux vaudevilles. (1772-1827).
Desbordes-Valmore (M1»»), p. 400-410, 418, 428.
Fille d'un peintre en armoiries, ruiné par la Révolution, Marcelline Desbordes (17851859) eut une jeunesse aventureuse elle épousa en 1815 à Bruxelles Lanchanlin, dit Valmore, et dès lors elle se consacra avec beaucoup de dévouement à l'éducation de ses enfants. Son volume de vers de 1818 a pour titre Elégies et romances. En 1824, elle publia Elégies et poésies nouvelles en 1840, Contes en prose et en vers pour les enfants en 1843, Bouquets et prières.
Descartes, p. 174, 275, 282.
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En septembre 1824, il fonda le Globe avec P. Leroux. Après 1830 il devint député, se rallia au gouvernement de LouisPhilippe et exerça de hautes fonctions universitaires.
Du Guet (Père), p. 339.
Le P. Du Guet (1649-1738) fut d'abord oratorien et il fit des conférences publiques en 1678-1679 puis il se fit janséniste en 1685 et devint directeur de conscience de plusieurs dames, entre autres M™" d'Aguesseau, à qui il dédia son livre la Conduite d'une dame chrétienne.
Dumolard, homme politique, p. 41.
Dunoyer, rédacteur du Censeur, p. 354.
Dupaty, p. 3.
Emmanuel Dupaty (1775-1851) donna en 1802 un opéra-bouffe, les Valets dans l'antiehambre, où la police vit des allusions et qui faillit le faire déporter. Il a écrit des pièces mêlées de couplets et des chansons.
Dupin, p. 44, 77, 81, 260. Dupin aine (1783-1865) défendit comme avocat le maréchal Ney et Béranger. Souis LouisPhilippe il eut de hautes fonctions judiciaires et joua un rôle important dans la politique. Après 1848, il devint président de l'Assemblée.
Dupont (de l'Eure), p. 77, 258, 264..
Homme politique (1767-1855); sous la Restauration, il fut rayé de la magistrature pour ses
Deschamps (Antony et Emile), p. 132.
Les frères Deschamps firent partie du premier Cénacle romantique. L'aîné, Emile (17911871) fonda avec V. Hugo la Muse française, où il écrivit des articles et des poésies. En 1828, il publia ses Etudes françaises et étrangères, qui contenaient des traductions ou imitations (la Cloche de Schiller, le Romancero) et des pièces originales. Il traduisit ensuite des drames de Shakespeare.- Son frère Antony (1800-1869) traduisit la Divine Comédie (1829). Diderot, p. 280, 423.
Donoso, p. 213.
Publiciste et diplomate espagnol (1809-1853), qui, après avoir professé des opinions libérales, devint un catholique intransigeant et exposa ses idées dans son Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme.
DRAPEAU BLANC (Le), p. 122, 125, 172.
Journal ultra-royaliste (18191830), fondé par Martainville. Dreux- Brézé (De), p. 43. Le marquis de Dreux-Brézé (1762-1829i, très connu pour avoir été sous Louis XVI grandmaître des cérémonies, devint pairdeFrance àlaRestauration. Drouot (Général), p. 3, 345. Dubois, p. 123, 131, 135. 202. P.-F. Dubois (dit de la Loire- Inférieure) (1793-1874), fut révoqué en 1820 de ses fonctions de professeur de l'Université pour opinions libérales.
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opinions. En 1830, il devint ministre, mais il désapprouva la politigue gouvernementale et se retira bientôt du ministère. En 1848 il fut président du gouvernement provisoire. Duval (Alexandre), p. 3-4, 17. Auteur dramatique (17671842), qui écrivit une cinquantaine de pièces. Son drame d'Edouard en Ecosse, (3 actes en prose), donné en 1802, fut interdit par la censure et l'obligea à s exiler quelque temps. La plupart de ses pièces. eurent un grand succès.
Duveyrier, p. 203.
Charles Duveyrier (1803-1866) collabora aux journaux saintsimoniens et fut condamné à un an de prison en 1832 pour un article du Globe. Il écrivit ensuite, avec son frère, avec Scribe et avec d'autres collaborateurs,de nombreuses pièces de théâtre: comédies, livretsd'opéras, vaudevilles surtout.II fonda en outre une société de publicité et créa le journalle Crédit. Enfantin, p. 202,203, 204,423. Ancien polytechnicien (17961864), il continua l'œuvre de Saint-Simon avec Bazard et 0. Rodrigues il organisa des réunions publiques et fit des articles dans le Producteur, puis dans le Globe. Il se brouilla avec Bazard parce qu'il voulait avant tout tirer du saint-simonisme une religion nouvelle. Il fonda à Ménilmonlantune communauté dont il devint le « père suprême » mais il fut condamné en 1832 et la communauté fut dissoute.
Etienne, p. 17, 361.
Auteur dramatique et journa-
liste fut sous l'Empire censeur des journaux et donna un certain nombre de pièces, qui eurent un grand succès, surtout Les deux gendres représentés à la Comédie-Française le 11 août 1810. A la Restauration il fut chassé de l'Académie et collabora au Constitutionnel. En 1822 il entra à la Chambre et siégea parmi les libéraux. Fabre d'Eglantine, p. 292. Poète et homme politique (1750-1794), qui donna en 1790 son Philinte de Molière ou la Suite du Misanthrope, dans lequel il exagérait l'égoïsme de Philinte.
Fauriel, p. 130. 355.
Renouvela la critique et l'histoire par son érudition (17T21844). Sa traduction des Chants populaires de la Grèce moderne (1824-1825) contribua à exciter une vive sympathie pour les Grecs. En 1830 on créa pour lui à là Sorbonne une chaire de littératures étrangères.
Fénelon, p. 141, 237, 426. Fiévée, p. 125.
Journaliste (1767-1839), il rédigea la Chronique de Paris, puis la Gazette de France. Napoléon le nomma au commencement de l'Empire directeur du Journal des Débats. Il accueillit avec joie la Restauration et collabora à divers journaux royalistes; ses articles dans les Débals à cette époque contribuèrent au succès du journal.
FIGARO (LE), p. 136.
Ponde en 1825, ce journal frondeur dut disparaître assez
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quatre mouvements. Son principal ouvrage, le Traité de l'association domestique et agricole.est de 1822 et fut réimprimé en 1841 sous le titre de Traité de l'unité universelle. En 1832, il créa avec quelques amis le journal le Phalanstère, qui devint en 1836 la Phalange. Une tentative de phalanstère à Condé-sur-Vesgre échoua com. plètement. Ses doctrines excitèrent d'abord surtout l'étonnement mais elles contenaient sur l'association et la solidarité une foule d'idées neuves. De 1840 à 1848 quelques disciples comme Considérant et Toussenel s'attachèrent à les vulgariser. Fox, orateur anglais, p. 42, 72, 296.
Foy (Général), p. 44, 62, 6870, 71, 78, 168.
Soldat de la République, il vota contre l'Empire et fut tenu dans une demi-disgrâce de t802 à 1810. Général de division en 1810, il prit part surtout à la guerre d'Espagne. En 1815 il commandait une division à Waterloo. Député en 1819, il se fit le défenseur des soldats de la Révolution et de l'Empire en 1819, il fit un discours sur la réduction du traitement de la Légion d'honneur en 1820, il défendit la liberté de la presse en 1822, il combattit l'expédition d'Espagne. Il acquit une très grande popularité. (1775-1825).
Frayssinous (Comte de), p. 328-329.
Prêtre catholique (1765-1841), il commença en 1802 des conférences sur le christianisme, d'abord à la chapelle des Carmes, puis à Saint-Sulpice
vite par suite de condamnations. Villemessant reprendra ce titre en 1854 pour un nouveau journal.
Fitz-James (Duc de), p. 43. Ultra-royaliste ardent sous la Restauration, il fut pair de France en 1814 et donna sa démission en 1830. En 1834 il fut nommé député etprit une grande part à l'opposition légitimiste. Flahaut(Comte de), diplomate, p. 361.
Foe (Daniel de), p. 153.
Fontanes, p. 14-15, 291, 299. Louis de Fontanes (17571821), fut sous Louis XVI un poète élégant, correct et froid. L'Almanach des Muses de 1778 publia ses premiers vers, le Cri de mon cœur, pièce qu'il composa à seize ans. Il lit des poèmes descriptifs et didactiques. En 1800 il devient critique au Mercure. En 1802, il fait partie du petit groupe des amis dévoués de Chateaubriand. Napoléon le comble de faveurs il est président du Corps législatif (1804), grand maître de l'Université (1808), il reçoit le titre de comte.Il est d'ailleurs tout bien aussi traité par Louis XVIII, qui le fait marquis, pair de France, ministre d'Etat.
Forbin-Janson, évoque et missionnaire, p. 345.
Fouché, ministre de la police, p. 4.
Fourier, p. 204-210.
Charles Fourier (1772-1837), fut d'abord commis de magasin. C'est en 1808 qu'il publia son premier livre, Théorie des
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Gerbet (L'abbél, p. 180, 423, Ami et disciple de Lamennais rédige avec lui l'Avenir, mais se sépare de lui lors de sa condamnation par le pape. Girardin (Emile de), p. 170, 211-213.
Homme politique et journaliste (1806-1881) créa de nombreux journaux, entre autres le Journal des connaissances utiles en 1831. En 1836 il fonda la Presse, dont il fit un journal politique à bon marché et un organe de publicité. Député sous le gouvernement de juillet et la seconde république, il eut de nombreuses volte-face politiques. Son rôle dans la presse a été considérable. GLOBE (Le), p. 128-135, 202, 203, 215, 217, 293, 324, 417, 423.
Journal fondé en septembre 1824 par Dubois. professeur destitué, et P. Leroux, ouvrier typographe, qui avait fait comme Dubois ses études au collège de Rennes. P. Leroux eut l'idée d'un journal utile qui contiendrait des analyses, des renseignements, des extraits de littératures étrangères Dubois voulut qu'on y ajoutât de la philosophie et de la littérature. Dubois fut rédacteur en chef et P. Leroux se chargea de la partie matérielle. Thiers, Mignet, SainteBeuve, Jouffroy, Vitet collaborèrent au journal. Le Globe devint politique après la chute du ministère Villèle. Aurès 1830, il fut transformé par P. Leroux, et devint, de 1831 à 1832, sous la direction de M. Chevalier, l'organe du saintsimonisme.
Napoléon l'obligea à les sus-, pendre. Il les reprit en 1814. La Restauration le combla de faveurs il devint aumônier du roi, évêque d'Hermopolis, grand-maitre de l'Université pair de France, ministre. En 1825, il fit des conféreenes publiques à Paris sur la Défense du christianisme.
Froissart, chroniqueur, p. 351, 372.
Gans, p. 292.
Philosophe et jurisconsulte allemand fit deux voyages à Paris, en 1830 et en 1835. Garnier-Pagès, p. 71 9 1 -9 6 Etienne-Louis Garnier-Pagès (1801-1841) devint député en 1831 et siégea à l'extrême-gauche il fut un des chefs de la minorité républicaine et réclama le suffrage universel. Son frère Louis-Antoine fut membre du gouvernement provisoire en 1848.
Gautier (Théophile), p. 220, 222-223.
Poète, romancier, critique (1811-1872), il fit paraître ses premières poésies en 1830. De 1836 à 1855 il fit à la Presse la critique d'art, puis la critique dramatique de là, il passa au Moniteur. Il avait commencé par être peintre. Son roman Mademoiselle de Maupin est de 1835.
GAZETTE DE FRANCE (La), p.122. La vieille Gazette, qui remontait à Th. Renaudot, est sous la Restauration un des principaux organes royalistes. Elle a pour rédacteurs Bonald, et J. de Maistre.
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Hébert, conventionnel, directeur du journal Le Père Duchesne, p. 122.
Hegel, philosophe allemand, p. 323.
Herder, p. 308.
Philosophe allemand (17441803) auteur d'un ouvrage publié de 1784 à 1791 et que Quinet traduisit en 1827 sous le titre Philosophie de l'histoire de l'humanité.
Hérodote, p. 144.
Hoffman, p. 125.
Connu déjà comme poète et comme auteur dramatique, il fit à partir de 1807 au Journal de l'Empire, puis aux Débats la critique littéraire. 11 s'y montra l'adversaire des romantiques. (1760-1828).
Homère, p. 3, 19, 267, 358. Horace, p. 246, 407.
Hugo (Victor), p. 76, 130, 132, 144, 221, 388, 389, 399, 406, 411, 417, 418, 427, 428. Pair de France en 1845, il fit un grand discours pour demander l'abrogation des lois d'exil contre Bonaparte. Député en 1848. Il siégea à droite, mais vota souvent avec la gauche. Réélu en 1849, il devint le principal orateur de l'extrême gauche. 11 visait surtout à l'effet par de grands mouvements oratoires.
Hume, philosophe et historien anglais (1711-1776), p. 351, 352.
Hyde de Neuville, p. 66. Ancien émigré, il fut mem-
Gœthe, p. 19, 90, 412.
Gourgaud (Général), p. 375. Gourgaud, qui avait suivi Napoléon à Sainte-Hélène, publia en 1824 Napoléon et la Grande armée en Russie ou Examen critique de l'ouvrage -de Ségur.
Gossôlin (Charles), éditeur, p. 105.
Crégoire (Abbé), élu député de l'Isère en 1819, p. 48..
Grégoire XVI, pape (1831̃ 1846), p. 180, 187.
Guizot,p.56, 76, 81-85,86,89, 114, 130, 240, 280,296-306, 307, 311, 352,357,359,371. Fut nommé en 1812 suppléant de la chaire d'histoire de la Sorbonne. En 1815 il suivit Louis XVIII à Gand. Sous la Restauration, il devint conseiller d'Etat. En 1821 il reprit sa chaire, mais son cours fut suspendu de 1822 à 1828. Il profita de ses loisirs pour s'occuper de la publication de documents historiques et des premiers volumes de son Histoire de la révolution d'Angleterre. Député en 1830, il signa la protestation contre les ordonnances. Sous Louis-Philippe, il fut plusieurs fois ministre, et il se sépara des libéraux pour diriger la politique de résistance contre la démocratie II fut le défenseur de la bourgeoisie et l'adversaire de toutes les libertés. Il dirigea le gouvernement comme ministre des affaires étrangères de 1840 à 1848, mais n'eut le titre de président du conseil qu'en 1847. Rentré dans la vie privée en 1848, il continua son œuvre historique.
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bre de la Chambre introuvable après avoir exercé des fonctions diplomatiques, il rentra à la Chambre de 1822 à 1830 il fut ministre de la marine dans le cabinet Martignac.
Janin (Jules), p. 136-139, 220, 222, 223, 236, 237.
Ecrivain et journaliste (18041874) écrivit au Figaro en 1825 et à la Quotidienne commença aux Débats en 1836 ses feuilletons dramatiques, qu'il continua près de quarante ans. L'Ane mort et la femme guillotinée et un roman fantastique qui parut en 1829 et qui est une parodie du romantisme. Son Barnave est de 1831. Jay, p. 361.
Publiciste (1770-1854) dirigea le Journal de Paris sous l'Empire; fonda en 1815 le Constitutionnel, puis la Minerve, organes de l'opposition libérale.
Jordan (Camille), p. 44, 47, 71, 168.
Ancien émigré, il fut en 1797 député aux Cinq-Cents et protesta contre l'interdiction des cloches. Proscrit après le 18 fructidor, il se retira à Weimar. Sous l'Empire il fut dans l'opposition. Redevenu député en 1816, il soutint d'abord la politique ministérielle mais il inclina vers les idées libérales et passa à l'opposition après 1818. (1771-1821).
Jouhnal DE L'EMPIRE (V. Débats), p. 125.
Jouy (Etienne, dit de), p. 17. Mena une vie romanesque et fut un littérateur très fécond
(1764-1846). Il a écrit pour le théâtre dans tous les genres quelques-unes de ses tragédies eurent un grand succès, Bélisaire en 1818, et surtout Sylla qui en 1824 eut 80 représentations de suite. Il collabora à de nombreux journaux. Sous le nom d'Ermite de la Chaussée d'Antin il écrivit sous forme de lettres des croquis de mœurs, qu^ parurent dans la Gazette de France et qu'il réunit ensuite en recueils ce fut l'Ermite de la Chaussée d'Antin (1812-1814), suivi en 1816 de l'Ermite de la Guyane, puis de l'Ermite en province (1824). Sous la Restauration, il défendit dans les journaux les idées libérales. C'est dans son salon de la chaussée d'Antin, rival de celui de Nodier, que se réunissaient les adversaires des romantiques.
Kant, p. 130.
Karr (Alphonse), p. 225-230. Connu surtout par des romans, il commença en 1839 la publication de petits pamphlets, les .Guêpes, qui parurent chaque mois pendant une dizaine d'années.
Kergorlay (Comte de), p. 383. Ancien émigré, ultra-royaliste violent, il devint pair de France en 1823 sous la monarchie de Juillet, il fut un opposant irréductible et fut même condamné à la prison. La Bédoyère (Comte de), p. 11.
Après avoir servi Napoléon, il reçut de Louis XVIII le commandement d'un régiment en 1814. En 1815 il fut fusillé après un jugement sommaire
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1843 à 1851. En 1848 il fut élu député à la Constituante. Après le coup d'Etat, il vécut dans la retraite, s'occupant surtout de la direction du collège de Sorrèze pourtant il prêcha encore à Paris en 1853 et l'année suivante à Toulouse. Ses sermons ont été réunis Conférences de Noire-Dame (18351851) Conférences de Tou- louse (1854).
Lafayette, p. 44, 62, 77, 168, 197.
Le général Lafayette (17571834) est connu surtout pour la part qu'il prit à la guerre d'indépendance américaine. Sous la Révolution, il organisa la garde nationale. Pendant la Restauration, il fut à la Chambre, de 1818 à 1824 et de 1827 à 1830 le chef du parti libéral. En 1830 il favorisa l'avènement de Louis-Philippe, mais il combattit bientôt comme député le gouvernement qu'il avait contribué à établir, ne le jugeant pas fidèle aux idées libérales il plaida à la Chambre la cause de la Pologne. Laffitte, p. 24-25, 44, 62, 77, 260, 264, 361.
Fils d'un charpentier de Bayonne (1767-1844), il devint en 1800 l'associé du banquier Perregaux, chez lequel il était entré en 1788 comme comptable il lui succéda en 1804. Il fut régent de la Banque de France en 1809, gouverneur de la Banque de 1814 à 1819. Elu député de Paris en 1816, il vota toujours avec les libéraux et défendit notamment la liberté de la presse. En 1830, il fut d'abord ministre sans portefeuille, puis il devint président du Conseil avec le por-
pour avoir été le premier colo- nel à se ranger derrière l'empereur au retour de l'île d'Elbe et lui avoir livré Grenoble. La Bourdonnaye (De), p. 44-45, 100.
Chef des ultra-royalistes sous la Restauration (1767-1339), il ne cessa de demander des représailles et de combattre les libéraux et les constitutionnels. Il fut ministre de l'Intérieur dans le ministère Polignac, mais donna bientôt sa démission,
Laclos (Choderlos de), p. 37. Général et écrivain (17411803), il publia en 1782 un roman en 4 volumes, les Liaisons dangereuses.
Lacordaire, p. 179, 180, 330347.
Né à Recey sur Ource (Côte-d'Or), Lacordaire (18021861), après avoir fini ses études au collège de Dijon,fut avocat au barreau de Paris. En 1824 il entra au séminaire de Saint-Sulpice et en 1827 il fat ordonné prêtre. Il devint aumônier du collège Henri IV. Il subit alors l'influence de Lamennais et collabora à l'Avenir. Après la condamnation de Lamennais, il se soumit sans réserve au pape (1832) mais il garda la tendance à s'occuper des questions d'actualité dans ses sermons (démocratie, nationalités), et chercha à rendre à l'Eglise la direction des consciences. Il prêcha à Notre-Dame dans les années 1835 et 1836. Il prit la robe de dominicain à Rome en 1839 et publia en 1841 sa Vie de Sainl-Dominiqiie. Il prêcha encore à Notre-Dame de
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tefeuille des finances. En 1831, il céda le pouvoir à C. Périer et dirigea à la Chambre l'opposition dynastique.
La Fontaine, p. 192. 262, 268.
Laharpe, p. 275.
Poète et critique (1739-1803), ilremportade grands succès au théâtre en 1786 il commença au lycée de la rue Saint-Honoré un cours de littérature qu'il interrompit quelque temps pendant la Révolution, et d'où est sorti l'ouvrage qu'il publia en 1805 sous le titre de Lycée ou Cours de littérature ancienne et moderne.
Lainé, p. 44, 47-49, 68, 71. Le vicomte Lainé (17671835), fut hostile à l'Empire et devint sous la Restauration ministre de l'Intérieur (18161818) il défendit les idées modérées et combattit les violences des ultras. Ministre san s portefeuille en 1820, il se sépara bientôt du gouvernement et fit de l'opposition surtout en 1823 à propos de l'expédition d'Espagne.
Laisney, p. 247.
Cf. dans les Chansons de Béranger Bonsoir, couplets à M. Laisney, imprimeur à Péronne
« Dans l'art des vers c'est toi qui [fus mon maître. »
« C'est dans son imprimerie, dit Béranger dans une note, que je fus mis en apprentis. sage. N'ayant pu parvenir à m'enseigner l'orthographe, il me fit prendre goût à la poésie, rne donna des leçons de versi-
fication et corrigea mes premiers essais, »
Lamarque (Général), p. 71, 77-80.
Le général Lamarque (17701832) prit une part glorieuse aux guerres de la Révolution et de l'Empire. 11 s'enrôla en 1791 et devint général en 1801; il fit campagne surtout en Italie et en Espagne. Exilé de 1815 à 1818, il entra à la Chambre en 1828 après 1830 il continua à siéger dans les rangs de l'opposition.
Lamartine, p. 76, 100-117, 130, 221, 224, 238, 239-240, 378, 388, 406, 411, 418, 428. Quelque temps après l'apparition des Méditations poétiques (1820), Lamartine fut nomme secrétaire d'ambassade à Florence. Après avoir occupé divers postes diplomatiques sous la Restauration, il donna sa démission en 1830. En 1832, il entreprit son voyage en Orient, pendant lequel il fut nommé député. Il avait été élu à la fois par les deux circonscriptions de Bergues et de Màcon il opta pour la première mais en 1837 il devint député de Mâcon et il représenta ce collège électoral jusqu'à la chute de la monarchie de Juillet. Il ne s'inféoda à aucun parti il aurait voulu fonder un « parti social », qui se serait proposé de mettre dans les lois plus de justice et de bonté. Il combattit le ministère Guizot et défendit les aspirations démocratiques. En 1848 il fut un moment le maitre de la France comme membre dugouvernementprovisoire et ministre des affaires étrangères. Il voulut s'interposer
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d'abord, en 1833 mais l'année suivante eut lieu la rupture définitive avec l'Eglise. Il avait chargé Sainte-Beuve de publier un ouvrage qu'il avait écrit en quelques jours dans sa retraite de La Chesnaie, près de Dinan; le livre parut en 1834, sous le titre Paroles d'un croyant il fut condamné par une nouvelle encyclique. Puis parurent les Affaires de Rome (1836) le ivre du peuple (1837) De la religion (1841) Une voix de prison (1843). écrit à Sainte-Pélagie, où il avait été enfermé pour une brochure, le Pays et le gouvernement, parue en 1840 enfin, les 4 volumes de son Esquisse d'nne philosophie (1841-1846). En 1848, il fut député et siégea à l'extrêmegauche.
Laromiguiêre, p. 33, 277. Philosophe (1756-1837), devint professeur à la faculté des lettres en 1811 il publia en 1815-1818 ses Leçons de philosophie.
La Tour d'Auvergne, p. 77. La Valette (M"« de), p. 11. Fille du comte de La Valette, directeur des postes en 1814, qui fut condamné à mort au retour des Bourbons et put s'enfuir en Bavière, grâce au dévouement de sa femme. Mme de La Valette se présenta à la prison de la Conciergerie pour voir son mari, elle était accompagnée de sa fille âgée de dou?e ans. Peu de temps après, l'enfant ressortit avec une dame qui tenait son mouchoir sur Iles veux. Cette dame n'était autre que M. de La Valette sa femme avait pris sa place
entre les partis extrêmes et, dans des entrevues particulières, il essaya de se concilier les chefs du mouvement populaire, comme Blanqui et Raspail.
Lamennais, p. 128, 172194.196.241, 328, 330, 331, 332, 348 423.
Né en 1782 à Saint-Malo, il composa avec un frère aîné, qui était prêtre, des ouvrages hostiles au Concordat Réflexions sur l'état de l'Eglise (1808), et Tradition de l'Eglise sur 1'insiitzition des évêques (1814). Après un séjour en Angleterre, il se fit ordonner prêtre sur les instances, de son frère (1816). En 1817, il publia le 1" volume de son livre, l'Essai sur l'indifférence en matière de religion (le dernier volume devait paraître en 1823); il s'y montrait ultramontain et réclamait une véritable théocratie. Déjà très célèbre, il fonda le Conservateur, avec Chateaubriand et Bonald. En 1824 il fit un voyage à Rome et reçut du pape Léon XII un accueil enthousiaste. Peu à peu il évolua vers le libéralisme et conçut l'idée d'un catholicisme démocratique. 11 avait groupé autour de lui de jeunes catholiques comme Montalembert, Gerbet, Lacordaire avec leur collaboration, il fonda en 1830 le journal l'Avenir. Il conçut en même temps l'idée d'une vaste association catholique qu'il appela Agence générale pour la défense de la religion. Mais, après la condamnation de Grégoire XVI, qui, dans l'encyclique Mirari vos, le désavouait sans le nommer, Lamennais fut abandonné de ses amis. Lui-même se soumit
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dans sa cellule, après avoir changé d'habits avec lui.
Lebrun, p. 15, 387.
Ecouchard Lebrun (1729-1807) a écrit des Odes fameuses, surtout celle sur le vaisseau Le Vengeur. Il excella particulièrement dans l'épigramme. Ses contemporains l'avaient surnommé Lebrun-Pindare.
Le Franc de Pompignan, p. 329.
Poète (1709-1784), qui a composé des Odes, et surtout des Poésies sacrées, que Voltaire a essayé de ridiculiser par ses épigrammes.
Legouvé, p. 6.
Poète didactique et tragique (1764-1812); sa tragédie de la Mort de Henri IV est de 1806. Leibnitz, p. 275.
Lemercier, p. 7,8, 15, 17. Fut surtout un poète dramatique (1771-1840). Il eut un grand succès avec sa tragédie d'Agamemnon en 1797. En 1800, il donna Pinto ou la Joarnée d'une conspiration, qui fut réprésenté au ThéâtreFrançais le i" germinal an VIII et qui avait ce caractère original de ramener aux proportions et au ton de la comédie un grand événement historique. Ses autres pièces furent en général sifflées. Plante ou la Comédie latine est une comédie en trois actes et en vers libres, jouée au Théâtre Français le 20 janvier 1808. Sa comédie en trois actes, Christophe Colomb, donnée à l'Odéon le 7 mars 1809, fut très mal accueillie du public et on l'accusa de violer toutes les règles
classiques; il fallut avoir recours aux baïonnettes pour lui permettre d'aller jusqu'à laonzième représentation. N. Lemercier a composé en outre une épopée symbolico-comico-satirque en 16 chants, la Panhypocrisiade (1819) et un Cours analytique de littérature qénéràle (1817).
Lenoir (Alexandre), p. 309, 353.
Architecte (1762-1839), qui installa dans le couvent des Petits-Augustins, pendant la Révolution, un musée des œuvres d'art que renfermaient les couvents supprimés par un décret de la Constitutante. En 1800, il reçut le titre d'administrateur de ce musée.
Léon XII, pape (1823-1829), p. 177.
Lerminier, p. 308.
Devenu, en 1831, professeur de législation au Collège de France, il exposa des idées avancées qui le rendirent très populaire parmi la jeunesse des écoles. En 1838, quand il se fut réconcilié avec le gouvernement et eut été nommé maître des requêtes au conseil d'Etat, il dut cesser son cours par suite de manifestations hostiles.
Leroux (Pierre), p. 202, 323327, 348, 423.
Philosophe et écrivain socialiste (1797-1871), il fut d'abord ouvrier typographe. Affilié au saint-simonisme, il s'en sépara quand Enfantin fut devenu le chef de l'école. Il collabora à la Revue des Denx-Mondes, 1 puis créa en 1839 avec Viardot et George Sand la Revue indé-
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vain grec se serait inspiré dans son roman satirique Lucius ou l'Ane d'un certain Lucius de Patras, qui aurait vécu quelque temps avant lui, au milieu du second siècle.
MAGASIN pittoresque (le), p. 230-231.
Recueil périodique illustré, qui parut à partir de 1833 et qui fut dirigé par Ed. Charton. Mahomet, p. 305.
Maine de Biran, philosophe (1766-1824), p. 277.
Maistre (Joseph de), p. 18,47, 178, 213, 327, 348.
Théoricien de l'absolutisme royal et de l'infaillibilité papale (1753-1821), il a voulu détruire toutes les idées du xvm* siècle dans ses ouvrages Considérations sur la France (1796), Du Pape (1819), Soirées de SaintPètershourg (1821).
Malebranohe, p. 33, 34, 174. Malesherbes, ministre de Louis XVI, p. 367.
Malherbe, p. 240.
Manuel, p. 44, 60-68,69,71, 361.
Orateur célèbre de la Restauration (1775-1827). Après avoir servi dans les armées de la République, il fat avocat à Aix. Pendant les Cent Jours il fut nommé député et défendit après Waterloo les droits de Napoléon Il. Il rentra à la Chambre en 1818 et siégea à l'extrême gauche. En 1823, répondant à Chateaubriand à propos de l'expédition d'Espagne, il parla de la mort
pendante. Son principal ou- vrage, De l'humanité, parut en 1840. En 1848, il proclama la république à Boussac où il dirigeait une imprimerie organisée en association égalitaire puis, élu député, il fut à la Chambre un des chefs de la gauche socialiste.il fut proscrit après le 2 décembre.
Locke, philosophe, p. 277. Longus, auteur de Daphnis et Chloé, p. 144. 150.
Lope de Vega, p. 29.
Louis (baron), p. 361.
Homme d'Etat, qui fut ministre des finances sous Louis XVIII en 1815 et suus LouisPhilippe en 1830 et 1831. Louis XVIII, p. 11, 12, 13, 121, 128.
Louis-Philippe, p. 72, 95, 235, 241,398.
Louvet, p. 37.
Louvet (1760-1797), publia ses Aventures du Chevalier de Fauhlus de 1787 à 1790 pendant-la Révolution, il rédigea le journal La Sentinelle et fut député girondin àla Convention, Luce de Lancival, p. 290. Poète et professeur (17641810) il enseigna la rhétorique au lycée Louis-ie-Grand, puis la poésie latine à la Sorbonne il donna en 1809 sa tragédie d'Hector, dont Villemain, l'ancien élève de Luce de Lancival, a dit qu'elle était « véritablement homérique ».
Lucien, p. 144, 150.
Le célèbre et spirituel écri-
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de Louis XVI en une phrase où la droite affecta de voir une apologie du régicide il essaya en vain de s'expliquer une commission, dont le rapporteur était La Bourdonnaye, demanda et obtint son expulsion (séances des 2 et 3 mars) le lehdemain, les gendarmes du vicomte de Foucault l'arrachèrent de son banc, et il sortit suivi des députés de la gauche.
Manzoni, p. 389.
Marcellus (comte de), p 12. Homme politique de la Restauration (1776-1841), il a aussi composé des Odes sacrées, tirées des psaumes; des Cantates sacrées, tirées de la Bible des Idylles, etc.
Marrast (Armand), p. 164. Homme politique (1801-1852); fut un des chefs de l'opposition républicaine sous la monarchie de Juillet. En J832, il devint rédacteur en chef de La Tribune et se livra dans ce journal 4 de violentes attaques contre le gouvernement. En 1834, il fut condamné à la prison et se réfugia en Angleterre, d'où il revint lors d'une amnistie. En 1841, il devint rédacteur en chef du National. En 1848, il fut maire de Paris et fitpartie du gouvernement provisoire.
MartainvUle, p. 122-125. Ecrivain et journaliste (17761830) sous l'Empire, il s'occupa surtout de théâtre sous la Restauration, il fut un pamphlétaire violent. Après avoir écrit dans La Gazette eXLaQuotidienne, il fonda en 1818 Le Drapeau blanc.
Martignac, p. 44, 49-51, s 68, 71, 280, 302.
Homme politique de la Restauration (1778-1832); il devint député en 1821 et se détacha des royalistes violents pour défendre une politique modérée. En 1828, à la chute de Villèle, il devint ministre il rétablit la liberté de la presse, rendit leur chaire à Cousin et à Guizot. Mais, en 182W, il fut congédié et remplacé par Polignac, qui revint à une politique de résistance. En 1830, Martignac se retira complètement des affaires pourtant en 1831 il vint défendre devant la Chambre des pairs son ancien adversaire Polignac.
Massillon, p. 180, 237, 335, 342.
MERCURE (le), p. 128.
Un journal hebdomadaire avait été fondé en 1672 par de Visé sous le titre de Mercure galant. Il fut acheté en 1788 par Panckoucke, qui le transforma il disparut en 1799. Sous la Restauration. il fut plusieurs fois repris et interrompu, de 1814 à 1825.
Mérimée, p. 130.
Prosper Mérimée (1803-1870) donna en 1825 le Théâtre de Clara Gazul, qu'il présenta comme la 'duction des œuvres d'une comédienne espagnole en 1829 il publia un roman historique où il faisait une peinture pittoresque des mœurs du xvi« siècle, la Chronique du rètjne de Charles IX. Il écrivit ensuite un certain nombre de nouvelles. qui parurent d'abord dans la Revue de Paris et dans la Revue des Deux-Mondes,
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phie allemande, il avait fait un voyage en Allemagne. Il fit paraître son Histoire Romaine en 1831. Nommé, cette même année. chef de la section historique aux Archives nationales, il entreprit son Histoire de France, dont le premier volume fut publié en 1833. En 1834-1835. il suppléa Guizot dans la chaire d'histoire moderne de la Sorbonne. En 1838, il fut nommé professeur d'histoire et de morale au Collège de France, où son ami Quinet vint le rejoindre en 1841. Le résuméde leurs premiers cours parut en 1843 en un livre intitulé les Jésuites. Michelet, continuant la lutte contre le parti catholique de Veuillot et Montalembert, écrivit en 1845 le Prêtre. Il publia le Peuple en 1846 et le premier volume de son Histoire de la Révolution en 1847. Suspendu en janvier 1848, il fut révoqué en 1852. En 1853, il termina son Histoire de la Révolution;puis il reprit l'Histoire de France, qu'il avait abandonnée à la Renaissance, et la termina en 1867.
Sur la visite au musée des monuments français, cf. Michelet, Le Peuple, introduction; et Histoire de la Révolution, XII.
Mignet, p. 167, 360, 367371.
Né à Aix (1796-1884), il fit ses études de droit dans sa ville natale (1815) et s'y lia avec Thiers. A Paris, Manuel le fit entrer au Courrier français. En 1824 il publia son Histoire de la Révolution française depuis 4789 jusqu'en 1814. Le 1» janvier 1830, il fonda le National avec Thiers et Carrel. Après la révolution de
Méry, collaborateur de Barthélemy (1798-1865). (V. Barthélémy), p. 105, 242-244. Metternich, p. 79, 138.
Meulan (Pauline de), p. 297, 298, 302.
Pauline de Meulan (17731827) écrivit des romans et collabora dès 1801 au Publi- ciste de Suard. C'est en 1807 que Guizot fit à sa place des articles à ce journal. Il l'épousa en 1812.
Mézeray, p. 356.
Historien consciencieux et indépendant (1610-1683) son Histoire de France depuis Fa,ramond jusqu'à maintenant parut en 1643, 1645 et 1651. Michaud, p. 15.
Poète, historien et journaliste (1767-1839). En 1795 il fut condamné à mort commeroyalisle. Il se rallia à l'Empire et écrivit même un épithalame en l'honneur de Marie-Louise. En 1814, il acclama le retour des Bourbons. Sous la Restauration, il fut nommé censeur des journaux, puis devint directeur-propriétaire de la Quotidienne. journal ultra-royaliste. Son poème descriptif le Printemps d'un proscrit parut en 1803 son Histoire des Croisades fut publiée de 1811 à 1822. Michelet,p. 308-311, 315318, 320-333,353, 375376.
Jules Michelet (1798-1874) était professeur au collège Sainte-Barbe lorsqu'il fut nommé maitre de conférences de philosophie et d'histoire à l'Ecole normale (1828). Déjà en 1825, très épris de la philoso-
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Juillet, il quitta le journal et devint conseiller d'Etat et directeur des archives aux Affaires étrangères. Il se consacra dès lors à peu près exclusivement à des publications historiques Nègociations relatives à la succession d'Espagne (18361842), Antonio Perez et Philippe II (1845), Histoire de Marie S(nar<(1851).
Millevoye, p. 14.
Le poète Millevoye (17821816) publia ses premiers vers en 1801 et eut ensuite une série de succès académiques. Il est connu surtout par un recueil d'Elégies, qui parut en 1812 et qui commence par la Chute des feuilles.
Milton, p. 358.
Minerve (la), p. 128.
La Minerve française parut de 1818 à 1820 et eut pour rédacteurs les principaux écrivains libéraux, Etienne, Jay, B. Constant.
Mirabeau, p. 61, 99, 296. Miroir (le), journal, p. 136. Molé, p. 55. 89,»59.
Homme d'Etat (1781-1855) fut pair de France sous la Restauration. Sous Louis-Philippe, il forma deux ministères le second (1837-1839) fut renversé par Thiers et Guizot.
Molière, p. 3, 126, 237, 244, 268, 292,428.
Monge, p. 9.
Illustre géomètre français (1746-1818); il accepta avec enthousiasme la Révolution et fut ministre de la marine en 1792.
Il accompagna Bonaparte en Egypte.Sous l'Empire il fut comblé d'honneurs. La Restauration lui enleva ses places et le raya de l'Institut.
MONITEUR (le), p. 223, 264, 265, 361, 383, 427.
Devint à l'époque du Consulat le journal officiel il conserva ce caractère jusqu'au 1" janvier 1869, date de la création du Journal officiel. Montaigne, p. 144, 145, 146, 268, 291.
Montalembert (de), p. 179, 180.
Orateur légitimiste et catholique (1810-1870). Il fut avec Lamennais un des fondateurs de l'Avenir. En 1831, il ouvrit une école gratuite avec deux de ses amis, de Coux et Lacor-,daire. Les trois « maitres d'école », comme ils s'appelaient eux-mêmes, furent immédiatement poursuivis. En 1832, Montalembert abandonna Lamennais pour faire sa soumission au pape.Dès lors, il se lit à la Chambre des pairs le défenseur des intérêts catholiques. Montalivet (comte de),ministre da l'Intérieur en 1809, p. 276.
Monteil, p. 130, 384.
Historien consciencieux(17691850), dont l'ouvrage principal est une Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles (1828-1844).
Montesquieu, p. 6, 45, 291, 368.
Montlosier (comte de), homme politique (1755-1838), p. 354.
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Après la révolution de Juillet, Carrel resta seul directeur du journal, et il y fit, surtout à partir de 1832, une opposition très vive au gouvernement de Louis-Philippe. Plus tard, le National fut nettement républicain, surtout quand A. Marrast fut devenu rédacteur en chef.
Necker, p. 367.
Nemours (duc de), p. 80. Second fils de Louis-Philippe, il fut élu roi par la Belgique en 1832, mais Louis-Philippe refusa pour lui cette couronne.
Newton, p. 205, 207.
Ney (maréchal), p. 3, 15. Nicole, p. 423.
Sur l'appréciation de SainteBeuve,cf. Portraits littéraires, article sur Diderot (nouv. édition, Garnier, t. I, p. 256-257): « L'image de Nicole n'est pas consolante au chapitre V du traité de la Crainte de Dieu, on peut chercher une autre scène de carnage spirituel, dans laquelle n'éclate pas moins ce qu'on a le droit d'appeler le terrorisme. de la Grâce. » Niebuhr, historien allemand (1776-1831), p. 308.
Nodier, p. 125;
Entra dans la rédaction du Journal des Débats alors qu'il était encore Journal de l'Empire et qu'il était dirigé par Etienne. En 1820, il quitta les Débats pour la Quotidienne. A cette époque il avait écrit déjà quelques-uns de ses Contes. Devenu.en 1823 bibliothécaire à l'Arsenal, il donna dans s
Moore (Thomas), p. 411, 413. Poète anglais (1779-1852), auteur de Lalla-Rookh, poème oriental (1817) et des Amours des anges (1823).
Moreau (général), p. 13, 366. MUSE FRANÇAISE (la), p 132, 215. Revue littéraire hebdomadaire, à tendances monarchiques, publiée en 1823-1824 par les premiers romantiques, V. Hugo, Soumet, Nodier, Vigny, E. Deschamps.
Musset, p. 132, 406, 429. Né en 1810, il lit partie du Cénacle dès 1828 mais il devait bientôt se séparer des romantiques. Ses Contes d'Espagne et d'Italie, qui contenaient la Ballade à la lune, parurent en 1830. C'est en 1852 que Musset entra à l'Académie française. NAIN JAUNE (le), p. 136.
Cauchois- Lemaire fit paraitre en 1814.1815 le Nain jaune, où il défendait les idées libérales en 1816, exilé en Belgique, il fit paraître le Nain jaune réfugié.
Napoléon (V. Bonaparte), p. 3, 4-7, 9, 34, 40, 79, 94, 95, 140, 154, 200, 255, 275, 344, 345, 365, 373, 375, 389, 396.
NATIONAL (le), p. 164, 167,168, 169, 171, 423.
Journal politique fondé au début de 1830 par Thiers; Mignet et Carrel, pour mener la lutte contre le ministère Polignac. Lors des ordonnances, les journalistes de- l'opposition se réunirent dans les bureaux du National et signèrent une protestation rédigée par Carrel.
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I Banquier et homme politique (17771832). Son père Claude Périer fut un des fondateurs de la Banque du France; lui-même fonda une grande maison de banque en 1802,puis des élablissements industriels fort importants.. Député en 1817, il siégea dans les rangs de l'opposition.En 1830,il devint président de la Chambre; en 1831, ministre de l'Intérieur et président du Conseil en cette qualité il prit des mesures de rigueur contre les partis d'opposition au gouvernement de Louis-Philippe. Perregaux, banquier, p. 24,25. Pétion, maire de Paris et président de la Convention,p.55. PHALANGE (la), journal fouriériste, p. 209.
Phalanstère (le) journal fouriériste, p. 204.
Picard, p. 17.
Auteur comique (1769-1828), qui eut une grande vogue sous Ikmpire; son cuuvre principale est La, petite ville (1801).
Lebrun, p. 37.
Ecrivain (1753-1835), qui eut un immense succès par des romans d'un comique un peu trivial, comme l'enfant du carnaval (1792) ou Monsieur Botte 1802).
Piron, p. 271.
Poète du xviii" siècle, dont les œuvres de jeunesse furent d'un cynisme resté proverbial, mais qui avait composé en outre des poésies sacrées, des épigrammes et des comédies (La Métromanie, 1738)
ses salons des soirées célèbres où se réunirent les premiers romantiques.
O'Connell, député irlandais à la Chambre des Communes (1775-1847), p. 42,72,345. ORGANisATEUR(l'),journaI saintsimonien, p. 202.
Orléans (duc d'). (V. LouisPhilippe), p. 398.
Ossian, p. 15.
Pacca (cardinal), p. 183.
Parny, auteur de Poésies érotiques (1753-1814), p. 271.
Parseval-Grandmaison, p.17. Auteur de poésies de circonstance sur Napoléon,et de grands poèmes: Les Amours ép iques, en six chants (1804),etPAi7/pneAu aste, en douze chants /1825T*e' 6n d°UZe C
Pascal, p. 242, 289, 347, 426. Pasta, p. 49, 97.
Cantatrice italienne (1798186») elle eut un grand succès à- Pans, où elle chanta pour la première fois en 1821.
Paul (saint), p. 331, 337.
Pelletan (Eugène), p. 194, 203, 220, 223-225.
Collabora au Bien public, puis à plusieurs journaux d'opposition sous le second Empire; député en 1863.
Pergolèse, compositeur italien du xviii» siècle, p. 150.
Périer (Casimir), p. 22, 44, 54, 62, 71, 77, 260.
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Napoléon, évêque de Poitiers, archevêque de Malines en 18 L2, il fut envoyé comme ambassadeur à Varsovie, mais il ne réussit guère et fut bientôt rappelé. Lors du retour des Bourbons, il fut l'un des premiers à se déclarer contre Napoléon mais l'entourage royal lui fit un mauvais accueil et il dut même renoncer à son archevêché. Il a laissé un grand nombre de brochures et d'écrits politiques.
PRESSE (la), p. 2t2, 222.
Journal quotidien à bon marché fondé par Emile de Girardin en 1836 il donna des romans-feuilletons.
PRODUCTEUR (le), journal saintsimonien, p. 202.
Proudhon, p. 91, 210.
P.-J. Proudhon (1809-1865), publia en 1840 son fameux mémoire Qu'est-ce que la propriété ? et, en 1846, son Système des contradictions économiques. U a fondé plusieurs journaux et écrit de nombreuses brochures. Ecrivain passionné et vigoureux, il a fortement critiqué les divers systèmes économiques préconïsés de son temps il a défini la doctrine phalanstérienne «bêtise et ignorance. »
PUBLICISTE (le), journal, p. 297, 298.
Quinet, p. 308 311, 318323..
Edgar Quinet (1803-1875) fit la connaissance de Michelet chez V. Gousin en 182o. Au cours d'un voyage en Allemagne, il étudia Schelling et Hegel. traduisit les Idées sur
Pitt, ministre anglais, p. 296, 324.
Planche (Gustave), p. 220222.
Critique (1808-1857), qui, particulièrement dans ses articles à la Revue des Deux-Mondes, où il entra en 1831, se montra très sévère et souvent blessant pour les plus grands écrivains de son temps. Sainte-Beuve a fait une critique extrêmement vive de son style(Lundis, t. XI, éd. Garnier).
Planche (Joseph),père du critique, auteur d'un Dictionnaire grec-français (1809), p. 290.
Platon,p. 149, 150.
Plutarque, p. 139, 144, 173. Poliguac (prince de), p. 49, 54. Ancien émigré, il devint pair de France en 1815, fut nommé ambassadeur à Londres en 1823 et quitta ce poste en 1829 pour devenir ministre des Affaires étrangères et président du Conseil en 1829. Après la révolution de Juillet 1830, il lut condamné à la prison perpétuelle. Poney, p. 231.
Ouvrier maçon de Toulon (1821-1891), qui publia en 1840 un volume de Poésies il fut encouragé parBéranger et aussi par G. Sand, Correspondance, t. II). En 1850, il donna un recueil Chansons de chaque métier.
Pradt (abbé de), p. 9.
Député du clergé aux EtatsGénéraux, il émigra en 1791 et rentra en France en 1801. Sous l'Empire, il fut aumônier de
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la. philosophie de l'histoire de l'humanité deHerder(1827).En 1839 il fut nommé professeur à la faculté de Lyon, et en 1841 Villemain créa pour lui une chaire de « littérature et institutions de l'Europe méridionale » au Collège de France. En 1842-1843 Michelet et Quinet choisirent un même sujet de cours Les Jésuites, l'éducation par l'Eglise ils obtinrent auprès de la jeunesse des écoles un immense succès. En 1844, Quinet traita cette question L'ultramontanisme, et, en 1845, Le christianisme et la Révolution française. Alors le ministre Salvandy, cédant aux influences cléricales, supprima du titre de la chaire le mot « institutions » Quinet refusa de mutiler son enseignement et quitta le Collège de France (1846). En 1848. il fut élu député et après le 2 décembre, il dut s'exiler.
Quintilien, p. 300, 371.
QUOTIDIENNE (la), p. 122, 136, 137, 138.
Journal monarchiste, fondé en 1792, qui défendit sous la Restauration les idées ultraroyalistes, et qui se fondit en 1847 avec d'autres journaux. Rabelais, p. 144, 214.
Racine, p. 134, 237.
Ramus, professeur au Collège royal (1515-1572), p. 316.
Rancé, réformateur de la Trappe, p, 294, 331.
Raphaël, p. 150.
Raspail, p. 164.
Homme politique (1794-1878); il prit une part active aux mouvements révolutionnaires sous Louis-Philippe chef de la société des Amis du peuple, rédacteur du Réformateur, il subit de nombreuses condamnations. Il joua un rôle important en 1848.
Raynouard, p. 17.
Poète tragique (1761-1836), il débuta sous la Terreur avec Caton d'Utique le 14 mai 1805, il fit jouer au Théâtre Français Les Templiers, qui furent le plus grand succès tragique du temps en 1810, il donna Les Etats de Blois. Il s'occupa ensuite d'œuvres d'érudition et de philologie.
RÉFORMATEUR (le', journal républicain sous Louis-Philippe, p. 164.
(la), journal, p. 164. REVUE DES DEUX-MoNDES, p.216, 217, 288, 325, 427.
Périodique bi-mensuel fondé en 1829 et dirigé à partir de 1831 par Buloz fut d'abord consacré exclusivement à la littérature, puis fit peu à peu une part à la philosophie, aux sciences, à la politique.
R!^40D8E,4P2A3R.IS'P-135'215' 216, 408, 423.
Revue fondée en avril 1829par le D' Véron Sainte-Beuve yfit des articles de critique, ù il détendait les idées romantiques. REVUE FRANÇAISE, p. 167. Robertson, historien anglais, auteur d'une Histoire d'Ecosse (1759), p. 351.
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Le comte de Saint-Simon (1760-1825) combattit en 1779 pour l'indépendance américaine. En 1803, il publia les Lettres d'un habitant de Genève à ses contemporains en 1807, l'Introduction aux travaux scientifiques du XIX' siècle en 1808, Vues sur la propriété et la législation. En 1809, il fonda l'Organisateur et écrivit, en guise de préface, sa Parabole, qui le fit poursuivre en cour d'assises. Entre autres ouvrages, il composa encore Le Système industriel (1821) et le Nouveau Christianisme (1825). Sainte-Beuve, p. 131-136, 220,406,411,417-429. Poète et critique (1804-1869). Après de brillantes études aux collèges Charlemagne et Bourbon, il suivit les cours de l'école de médecine en 1823 puis son ancien professeur de rhétorique, Dubois, le fit entrer au Globe, qu'il venait de fonder (1824).
Son œuvre poétique comprend Vie, poésies et pensées de Joseph Dolorme(i829); puis deux recueils qu'il publia sous son véritable nom Les Consolations, écrites, dit-il, « dans une veine prononcée de sensibilité religieuse », et les Pensées d'août (1837). Il composa en outre, sous l'influence des idées de Lamennais, un roman, Volupté (1834), dont il a dit plus tard « Dans Volupté, je me suis donné l'illusion mystique pour colorer et ennuager l'épicurisme ». L'ensemble de son œuvre critique est considérable. Luimême l'a résumée à plusieurs reprises, en énumérant ce qu'il appelle ses « campagnes » tCf. Causeries du Lundi,t. I. pré-
Robespierre, p. 154.
Ronsard. p. 131.
Rousseau(Jean-Baplisle),poète lyrique du xvm" siècle, p.135. Rousseau (Jean-Jacques),p.l54, 174, 246, 419.
Royer-Collard, p. 33, 44, 51-60, 62, 68, 168, 277,278, 299.
Philosophe et homme politique (1763-1845). Nommé en 1811 professeur d'histoire de la philosophie à la Sorbonne, il s'efforça de substituer l'influence des Ecossais à celle de Condillac. Sous la Restauration, il fut le chef des « doctrinaires >, il se fit à la tribune le défenseur des idées constitutionnelles et des libertés. Après 1830, il resta légitimiste et joua un rôle moins important pourtant il défendit encore la liberté de la presse. Son éloquence était grave et austère mais, dans la conversation, il avait des mots terribles contre ses adversaires.
Rubini, p. 97.
Chanteur italien, qui eut un grand succès au Théâtre Italien de Paris, où il vint une e première fois en 1825 et où il revint pour plusieurs années en 1831.
Sablé (M»' de), p. 288.
Saint-Cyran (abbé de), ami de Jansénius,p.425.
Saint-Simon, auteur de Mémoires, p. 197, 322.
Saint-Simon (comte de), p. 197-203, 353.
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face – Portraits littéraires, t. II).
De 1824 à 1827, il donne au Globe des articles, qui ne sont encore selon lui que des « essais ». En 1827, il écrit un article sur les Odes et ballades de V. Hugo, à la suite duquel il se lie d'une amitié très intime avec le poète.
En 1828 commence ce qu'il nomme sa« campagne romantique »; il publie le Tableau historique et critique de la.poésie française au XVI- siècle.
En 1829, cette campagne romantique continue àla Revue de Paris, qui lui est ouverte dès sa fondation par le directeur Véron. Dans le premier numéro (avril 1829), il donne, sous la rubrique générale de Littérature ancienne, un article sur Boileau, qui provoque un grand scandale parmi les classiques. Il est suivi en juin d'un article sur J.-B. Rousseau, dont il devait désavouer plus tard « l'amertume blessante »(V. ces articles de la Revue de Paris au tome I des Portraits littéraires).
Sous Louis-Philippe, il fait ce qu'il appelle de la « critique analytique sans conclusions ». En 1831, il entre à la Revue des Deux-Mondes, et, jusqu'en 1848, il y publie une série d'articles, qui devaient former la plus grande partie des Portraits littéraires et des Portraits contemporains.
Dans l'intervalle, il fait une première campagne professorale, à Lausanne (1837-1838) ce cours, remanié et développé, deviendra son Port-Ro uaii 18401860).
En 1848, il professe à Liège un cours, d'où sortira en 1860 son livre Chateaubriand et
son groupe littéraire sous VEmpire.
En 1849commence une campagne critique,celle des lundis. Véron, devenu directeur du Consitulionnel, lui offre de faire dans ce journal un article tous les lundis. Sainte-Beuve accepte, décidé dorénavant à € oser plus et à dire ce qui lui semble vrai ». Le premier article, consacré à Saint-Marc Girardin, parait le l»r octobre 1849. Cette collaboration dure jusqu'au 29 novembre 1852. Le 6 décembre 1852, SainteBeuve continue ses lundis au Moniteur, le Constitutionnel ayant changé de direction, et il reste au Moniteur pendant huit ans.
Tous ces articles, réunis par Sainte-Beuve lui-même, forment le recueil des Caiiseries du lundi.
Salicetti, p. 78.
Nommé d'abord parNapoléon ministre plénipotenlaire.il fut en 1806 ministre du roi de Naples Joseph Bonaparte.
Salluste, p. 355.
Salvandy (comte de), p. 231. Député en 1831, il fut deux fois ministre de l'instruction publique d'abord, dans le ministère Mole, de 1837 à 1839 puis de 1845 à 1848.
Sand (George), p. 218.
Satire Ménippée, p. 156.
Scott (WalLer), p. 411.
Scribe, auteur dramatique (1791-1861), p. 130, 136, 216..
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1842) a écrit des ouvrages d'économie politique (De la richesse commerciale, 1813 Nouveaux principes d'économie politique, 1819) et des ouvrages historiques(Histoire des républiques italiennes du moyen age; Histoire des Français).
Socrate, p. 261, 282.
Sophocle, p. 290.
Soumet, p 15.
Poète (1788-1845), qui semble avoir, suivant l'expression de Lamartine, « flotté entre les deux écoles » classique et romantique. 11 a écrit des poèmes épiques, tels que La divine épopée (1840) des tragédies «. Clytemnestre, Saül (1822); des poésies lyriques, dont la plus populaire est l'élégie de La pauvre fille (1814).
Staël (M- de), p. 4, 7,29. Hostile à Bonaparte après le 18 brumaire, elle eut pendant le Consulat et l'Empire une vie extrêmement agitée. Comme on faisait dans son salon une guerre d'épigrammes au premier consul, celui-ci l'exila à quarante lieues de Paris alors, ne se sentant pas en sûreté en France, elle fit des voyages en Allemagne (1803), en Italie, et séjourna à son château de Coppet en Suisse. Mais la police impériale ne cessait partout de la tracasser l'édition française de son livre De l'Allemagne (1810) fut lacérée. M"' de Staël dut même quitter Coppet (1812) et elle mena une vie errante en divers pays étrangers. Elle rentra en France avec la Restauration.
Sébastiani (général), p. 62, 264.
Général du premier Empire, il se distingua notamment dans les campagnes d'Espagne, de Russie et de France. Pendant la Restauration, il devint député en 1819 et siégea parmi les libéraux. Louis-Philippe le nomma ministre de la Marine, puis des Affaires étrangères démissionnaire en 1832, il devint ambassadeur et, en 1840, maréchal de France.
Ségur (comte de), p. 371, 372-375.
Né en 1780, il s'engagea à vingt ans comme dragon; nommé général de brigade en 1811, il prit part à la campagne de Russie. Sous la Restauration, il écrivit son Histoire de Napoléon et de la grande armée en 1812 (1824).
Serre (comte de), p. 44, 47, 62, 69, 71.
Le comte de Serre (17761824), d'abord officier dans l'armée de Condé, fut magistrat sous l'Empire. Député en 1815, il combattit les excès des u? il devint président de la Cambre en 1817. Ministre de la Justice en 1818, il proposa des lois libérales sur la presse. Mais il se sépara des libéraux en 1819 il resta ministre après la chute de Decazes et devint ambassadeur à Naples en 1822. Shakespeare, p. 29.
Sherldan.orateur anglais (17511816), p. 72.
Sismondi (de), p. 71, 203, 357, 368.
Né et mort à Genève (1773-
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Stapfer, p. 297.
Après avoir été professeur et ministre de l'instruction publique en Suisse, Stapfer (1766-1840) fut nommé ministre plénipotentiaire à Paris en 1801. Suard, p. 297. 298.
Ancien censeur dramatique avant 1789, il fut à partir de 1803 secrétaire perpétuel de l'Académie française. Son salon était l'un des plus brillants du temps. (1733-1817).
Tacite, p. 22, 368.
Talleyrand, p. 90, 361.
L'ancien évêque d'Autun, grand-chambellan et pair de France sous Napoléon, vécut à l'écart des affaires publiques pendant la Restauration. En 1830, Louis-Philippe le nomma ambassadeur à Londres.
Talma, p. 17.
Tasse (le), p. 15.
Ternaux, p. 24, 260.
Grand manufacturier, qui perfectionna la fabrication des draps il fut député de Paris sous la Restauration et siégea parmi les libéraux.
Thierry (Augustin), p. 167, 200, 310, 352-359.
Né à Blois en 1795 d'un père employé au district, A. Thierry fut élève de l'Ecole normale de 1811 à 1813, puis professeur de cinquième au collège de Compiègne. Il vint ensuite à Paris et fut le collaborateur et l'ami de SaintSimon de 1814 à 1817. Il dé- J buta en 1817 dans la littérature I en donnant au Censeur européen des articles historiques à
tendances libérales, dont le premier traitait des révolutions d'Angleterre ces articles furent réunis en 1834 en un recueil, Dix ans d'études historiques. En 1820 et 1821, il publia au Courrier français une autre série d'articles, qui devaient former les Lettres sur l'histoire de France (1827). En 1825, il fit paraître sa Conquête de l'Angleterre par les Normands, et c'est l'année suivante qu'il devint aveugle. Il donna encore en 1840, les Récits des temps mérovingiens, précédés de Considérationssur l'histoire de France, et, en 1850, un Essai sur l'histoire de la fôrmation et des progrès du tiers-état.
Thiers, p. 56, 76, 81, 85-90, 91, 167, 219, 238, 239, 352 359-367, 373, 478.
Adolphe Thiers (1797-1877) fit ses études de droit à Aix et vint à Paris avec Mignet en 1821. Lié avec Manuel, Laffitte, Talleyrand, il écrivit au Globe et au Constitutionnel il traitait hardiment toutes les questions littérature, art (il rendit compte du Salon de 1822), politique, voyages. Son Histoire de la Révolution, en dix volumes, parut de 1823 à 1827. Le 1" janvier 1830, il fonda avec Mignet et Carrel le National, pour combattre le ministère Polignac. Après la Révolution de Juillet, il devint sous-secrétaire d'Etat des finances dans le ministère Laffitte. En 1832 il fut nommé ministre de l'Intérieur et, au lendemain de l'attentat de Fieschi, c'est lui qui fit voter les lois de septembre (1835). Il fut président du Conseil le 22 février 1836 et le 1" mars 1840 mais chaque
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Vaulabelle (de), p. 377-378. Débuta dans le journalisme en fondant le Nain jaune, collabora au National et fit paraître à par! de 1844 son Histoire des deux Restaurations.
Vauvenârgues, p. 360.
Velly, p. 356.
L'abbé Velly (1709-1759) publia une Histoire de France, dont les premiers volumes parurent en 1755 et qu'il ne put mener que jusqu'à Philippe le Bel elle fut continuée par Villaret et Garnier. Cette œuvre inintelligente et inexacte était encore fort à la mode au début du xix* siècle. Augustin Thierry en a fait la critique (Uf. Lettressur l'histoire de France) Véron, p. 135.
LeD*Véron(1798-1867) fonda en 1829 la Revue de Paris, qu'il abandonna en 1831 pour devenir directeur de l'Opéra. En 1835 il acheta le Constitutionnel, dont il lit un journal d'opposition.
Veuillot, p. 123, 213-315, 272.
Journaliste et pamphlétaire (1813-1883) il fit un voyage à Rome en 1838 et revint décidé à se vouer à la défense des idées catholiques. 11 entra à l'Univers en 1843 et devint rédacteur en chef de ce journal en 1848. Il y défendit, en attaquant avec violence l'Université et même certains évêques, la cause de l'Eglise et les doctrines ultramontaines.
Vigny (Alfred de), p. 132, 406, 410-416,417,4~. Les Poèmes antiques et modernes, dans leur forme défini-
fois il tomba du pouvoir au bout de quelques mois. De 1840 à 1848, il fit à la Chambre, où il s'était révélé le plus remarquable des orateurs d'affaires, une opposition constante à Guizot. Il revint d'ailleurs en même temps aux études historiques, et les quatre premiers volumes de son Histoire du Consulat et de l'Empire parurent en 1845 l'ouvrage, qui comprend vingt volumes, ne fut achevé qu'en 1862.
Thou (de), auteur de l'Historia sui temporis (1604-1608), p 351.
Thucydide, p. 34, 373.
Tite-Live, p. 173, 355.
Toussenel, p. 210.
Ecrivain ^803-1885), qui s'enthousiasma pour les idées de Fourier et fut un des fondateurs de la Démocratie pacifique, journal fouriériste. Il publia en 1847 L'esprit des bêtes.
Tréneuil, poète élégiaque (1763-1818), p. 17.
Tribune (la), p. 164, 168.
Journal politique, qui parut avec avec quelques interruptions dé 1829 à 1835. Ses principaux rédacteurs furent G. Sarrut et A. Marrast.
Turgot, p. 367.
Univers (1'), p. 123, 213, 315, 347.
Journal catholique fondé en 1833 pour défendre l'Eglise et le pape il devint important surtout lorsqu'il eut Louis Veuillot pour rédacteur en chef.
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tive, parurent en 1837;ily avait eu auparavant deux éditions moins complètes, en 1822 et 1826.
Villani, historien italien (début du xiv" siècle), p. 351.
Villèle (comte de), p. 44,302. Chef du parti ultra royaliste président du conseil en 1821, il dut démissionner en janvier 1828.
Villemain, p. 130, 280, 290296, 302, 306, 307, 428.
Né en 1790, il fut nommé à vingt ans professeur suppléant de rhétorique à Charlemagne. Il remporta de nombreux succès académiques en 1812, avec un Eloge de Montaigne; en 1814, avec un discours sur Les avantages et les inconvénients de la critique er 1816, avec un Eloge de Montesquieu. A la Sorbonne, il suppléa quelque temps Guizot dans la chaire d'histoire moderne, puis devint titulaire de la chaire d'éloquence française (1816). De cet enseignement sortit un Cours de littérature, dont la partie la plus importante est le Tableau de la littérature française au XVIII' siècle (1828), qui contient une étude des orateurs anglais et de Mirabeau (cf. leçons 50-57). Après 1830, Villemain se tourna surtout vers la politique nommé pair de France en 1832, il fut deux fois ministre de l'Instruction publique, d'abord dans le ministère Soult (1839), puis dans le ministère dirigé par Guizot l!840-1844j.
Vinet, p. 57, 134.
Ecrivain suisse (1797-1847)
il fut professeur à l'Académie de Lausanne, où il enseigna d'abord la théologie, puis, à partir de 1845, la littérature française. Il a composé des Eludes surla littérature française au XIX" siècle.
Virgile, p. 19, 124.
Vitet, p. 131.
Vitet, qui devait plus tard devenir célèbre surtout comme critique d'art, fut d'abord journaliste au Globe. De 1826 à 1829 il publia successivement les trois parties d'une trilogie sur La Ligue ce sont des scènes dramatiques plutôt que des pièces de théâtre mais de telles œuvres préparaient le public au drame romantique. (Souvestre lui attribue à tort les Soirées de Neuilly. Cet ouvrage parut en 1827 i2 vol. in-8°) sous le pseudonyme de M. de Fougeray il était dû à deux écrivains, Dittemer et Gavé, et il eut un immense succès; il contenait des esquisses dramatiques et historiques, comme Mallet ou une conspiration sous l'Empire, où les auteurs se préoccupaient de conserver la vérité historique en faisant des scènes réelles d'après lespièces et documents officiels). Voltaire, p. 3, 17, 37, 129, 135, 2t4, 226, £37, 253, 328, 329,352.
Wellington, général anglais, p. 80.
Wordsworth, poète anglais (1770-1850), p. 131, 428. Xénophon, p. 150, 355.
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TABLE DES MATIÈRES
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PRÉFACE àxi PREMIÈRE LEÇON. – La Littérature sous l'Empire. Au commencement du xix= siècle la société était tournée tout entière vers la guerre et l'action. La littérature, reléguée à un rang secondaire, ou était l'objet d'odieuses et mesquines persécutions, ou était enrégimentée au service de l'Empire. Napoléon et son influence littéraire. Étranger à l'art, il ne laissait pas d'exercer un Mécénat politique. Son manque de goût, son amour de la pompe et du convenu. Le jargon poétique de l'Empire les périphrases nobles. Une personnalité indépendante Népomucène Lemercier.
En 1815, changement de régime, persistance de l'adulation du pouvoir. Apostasies littéraires. Réaction royaliste. Lois antilibérales. Platitude de l'éloquence parlementaire.
La pléiade littéraire de l'Empire et de la Restauration Fontanes Michaud, A. Soumet, Baour-Lormian,Delrieu, Arnault, Raynouard, Etienne (de Jouy), A. Duval, Picard, Andrieux. – Écrivains secondaires Berchoux, Chênedollé, etc.
Écrivains originaux de Maistre, Bonald, et, au-dessus de tous, Chateaubriand. Son génie novateur, sa prépondérance littéraire. Sa grande œuvre apologétique les Mémoires d'Outre-tombe. Grandeur et mélancolie de cette gloire à son déclin isolement et orgueil.
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Esprit du cours amour de la vérité, non impartialité. La Restauration marque l'avènement des idées modernes, de l'égalité sociale, des grandes fortunes élevées par le travail Laffitte. A ce régime nouveau répond une littérature nouvelle. Sa division par genres la tribune, le journalisme, la chaire professorale, la chaire sacrée, le barreau, le théâtre, les livres (philosophie, histoire, critique, roman, poésie). Causes extérieures du développement littéraire la prospérité économique, la liberté accrues, la paix, la fin de la haine des races. Anecdote. Caractères de la littérature nouvelle au contact des littératures étrangères (le livre de M-' de Staël sur l'Allemagne sa nouveauté, son influence,; les traductions), elle acquiert plus de vérité et de couleur. Résurrection du moyen âge, éveil du sens historique. Éveil du sentiment religieux. Réaction contre le sensualisme. Victor Cousin là37 DEUXIÈME LEÇON. La tribune sous la Restauration. La Restauration vit renaître l'éloquence parlementaire. Caractère de cette éloquence plus littéraire que politique, opposée par là à celle des orateurs anglais.
Trois groupes d'orateurs
I. Les royalistes ultras. La Bourdonnaye, violent en paroles, timide dans l'action. De Bonald, esprit systématique. Sa théorie du langage révélé revient à celle des idées innées. En politique comme cn religion, trois notions essentielles la cause, le moyen, l'effet. Le roi est cause la noblesse, moyen; le peuple, effet. Absolutisme logique.
II. Les royalistes constitutionnels. Camille Jordan. Son évolution politique de Serre Lainé, royaliste sincère et éloquent. Son discours contre l'élection de l'abbé Grégoire. De Martignac. Son discours contre la loi de bannissement. Royer-Collard. Sa lutte contre les' factions extrêmes, son loyalisme monarchique, son attachement aux libertés constitutionnelles. Le type du doctrinaire foi aux principes, défiance des hommes,
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caractère hautain, esprit mordant. Son discours sur la liberté de la presse. Caractère philosophique de l'éloquence de Royer-Collard.Grandeur et faiblesse de cette éloquence. Ellc n'est que l'expression d'un tempérament individuel.
III. Les libéraux. Manuel. Son implacable logique, son sang-froid dans la discussion. Souvenir personnel une séance à la Chambre en 1823. Manuel, victime des manœuvres de ses adversaires politiques, expulsé de la Chambre. Comment il se défendit. Le général Foy. Son éloquence toute militaire, chaude et vibrante.
Conclusion. 3$-1i 4 TROISIÈME LEÇON. La tribune sous Louis-Philippe. Le gouvernement de Louis-Philipp e, époque la plus brillante de l'éloquence parlementaire.
Le général Lamarque. Ses aventures héroïques orateur confus, mais qui a de nobles et généreuses inspirations.
Guizot. Sa conception étroite de l'autorité.. Sa logique impérieuse, et tranchante, son ton hautain. Esprit porté aux généralités, il perd de vue le détail des faits, se soustrait à l'examen des questions par la diversion des principes, fait la leçon à l'adversaire, professeur à la tribune. – Thiers. Son éloquence familière et concrète. Traite avec une clarté superficielle tous les sujets, paraît tout comprendre et tout expliquer. Vulgarisateur parlementaire caractère souple et ambitieux, visant le succès. Talent fait pour l'opposition,humeur taquine. Ce qui fait sa grandeur l'intelligence. Ce qui lui manque l'élévation.
OdilonBarrot. Son opposition sans portée. Son éloquence vide et creuse. – Garnier-Pagès. Noblesse de son caractère. Touchant exemple d'amour fraternel. Le dis* cours en faveur de la liberté d'association, contre les sociétés secrètes éloquente profession de foi.
Berryer. Orateur complet, grand par l'action, le geste et la parole. Improvisateur de génie, fait pour être entendu, non pour être lu. Son patriotisme. Son roya-
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lisme indépendant et courageux. Lamartine. Poète royaliste et catholique, le libéralisme lui oppose d'abord, comme rival, Casimir Delavigne. Une épître de C.Delavigne à Lamartine.Chez Lamartine, deux influences contraires l'éducation et la réflexion personnelle. A la chute de Charles X, Lamartine quitte la carrière diplomatique et se présente à la députation. Attaques de la Némésis contre sa candidature. La réponse du poète. Le voyage en Orient. Lamartine à la Chambre. Ses débuts éclatants. Caractère de son éloquence. h'inspiralion oratoire. Son opposition au gouvernement de Louis-Philippe. Sa valeur politique esprit flottant, qui a des aspirations plutôt que des principes. Son vrai rôle à la Chambre il y apporte la chaleur et la flamme des sentiments généreux 75 à 117 QUATRIÈME LEÇON. – La presse sous la Restauration. Asservissement de la presse sous l'Empire. Origine de la presse libre. La brochure de Chateaubriand Bonaparte et les Bourbons.
I. – La, presse royaliste le Drapeau blanc. Son rédacteur Martainville, aventurier, forban de lettres, écrivain cynique et violent.
II. Le tiers-parti a pour organe le Journal des Débats (rédacteurs Chateaubriand, Fiévée, Nodier, etc.). III. La presse libérale le Constitutionnel, le Courrier français (rédacteur en chef Châtelain).
Revues politiques la Minerve et le Conservateur. Revues littéraires le Globe, fondé par Dubois, exprime et résume les tendances du temps en esthétique, histoire, philosophie et politique. Il signale Lamartine et Hugo. Il accueille toutes les nouveautés. Ses rédacteurs: Mérimée, Sainte-Beuve (Histoire de la littérature au xvi" siècle). – la Muse française.
Un groupe littéraire le Cénacle (les frères Deschamps, de Vigny, Musset, Sainte-Beuve).
Classiques et romantiques. Luttes ardentes. Exagération des deux Écoles. La représentation d'Hernani.
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Sainte-Beuve quitte le Globe pour défendre.dans la Revue deParis, les théories romantiques.
La presse mercantile Jules Janin. Sort tous les partis politiques, ne songe qu'à faire sa fortune.
Le Pamphlet P.-L. Courier. Sa vie. Ses campagnes en Allemagne eten Italie. Ses aventures. Ilumaniste égaré dans les camps, officier deux fois déserteur, il démissionne après Wagram. Ses écrits contre le gouvernement de la Restauration. Bonhomie narquoise, saveur paysanne. Science du style. La Pétition aux deux Chambres, les lettres au Censeur, le Simple discours sur la souscription pour l'achat du château de Chambord, la Pétition pour les villageois qu'on empêche de danser, la Gazette villageoise, etc. Dialectique de Courier- Son habileté, ses artifices. Courier pamphlétaire de tempérament autant et plus que de principes son humeur agressive, son talent frondeur. Caractère détourné de ses attaques politiques.-Ce qu'elles ont de déplaisant Comment les justifie. Intérêt éphémère des pamphlets en général. Œuvres d'actualité, elles ne durent que par le stvle ~a 15~ y ̃ 119 à 157 CINQUIÈME LEÇON. La presse sous Louis-Philippe. Nouveaux partis politiques les républicains, les socialistes, les utilitaires ou indifférents,
!• – Les républicains.
a). -Avancés Armand Marrast (le Tribun), Raspail (le Réformateur), Louis Blanc (la Réforme).
b). Modérés Armand Carrel (le National). Son caractère. Sa conception nouvelle du journalisme il combat au grand jour et revendique la responsabilité personnelle de ses écrits et de ses actes. Soldat de la Révolution en Espagne, il est fait prisonnier par l'armée française, traduit devant le Conseil de guerre, deux fois condamné, enfin acquitté. Sa part à la Révolution de 1830. D'abord attaché, au gouvernement de Louis-Philippe, qui le traite en suspect, il se tourne contre lui Sa fin tragique. Popularité posthume on admira en
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lui l'homme de combat, sa bravoure personnelle, son humeur chevaleresque.
c) – Ultramontains Lamennais. Son enfance. Son esprit se développe en toute indépendance. Dans son premier ouvrage, les Réflexions sur l'état de l'Église, il réclame le rétablissement du clergé. Son exil en Angleterre sous l'Empire. Au retour des Bourbons, il revient en France et se fait ordonner prêtre à trente-quatre ans. L'Essai sur l'indifférence la foi, fondée sur l'évidence de la raison, non toutefois de la raison individuelle, mais de celle du genre humain. Lamennais, attaqué à la fois par les catholiques et les libres penseurs, soumet son livre au pape (1824). Poursuivi et condamné par le gouvernement de la Restauration pour ses théories ultramontaines, il rêve une théocratie, s'appuyant sur la démocratie, et fonde l'Avenir. Son journal est l'objet de poursuites judiciaires (1831), les écoles, fondées par ses amis (de Montalembert, Lacordaire), dispersées. Il est un sujet d'inquiétude et de scandale pour l'épis'copat. Second voyage à Rome.- La grande crise religieuse de Lamennais. La condamnation de ses doctrines. (Encyclique du 25 août 1832). Les Affaires de Rome. – Soumission de Lamennais, qui se retire à la Chênaie, en Bretagne. – Les Paroles d'un croyant. attaques contre la royauté, sont condamnées par le Pape. Lamennais passe à la démocratie. Le livre du peuple. Candeur et naïveté de l'écrivain, expliquant la violence de ses pamphlets. La Religion, l'Esquisse d'une philosophie. Jugement dernier sur Lamennais.- Les contradictions de sa nature. Le fond de son âme violente était la tendresse. Sa mort 159 à 194 SIXIÈME LEÇON. La presse sous Louis-Philippe (suite). La presse sous Louis-Philippe. II. Les utopistes Saint-Simoniens, Fouriéristes, Communistes. Saint-Simon. Sa vie. Prend part à la guerre d'Amérique, avec La Fayette. S'enrichit sous la Révolution par des spéculations sur les biens nationaux. Sa façon originale de s'instruire. Son mariage, son di-
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vorce. Sa ruine complète. Le dévouement d'un domestique. Son désintéressement et son zèle philanthropique. Les Lettres d'un habitant de Genève. Son livre du Nouveau Christianisme. Ses théories il divise l'histoire en époques organiques et critiques: il définit le rôle social de la religion, mais méconnaît son action sur les âmes individuelles. Premiers disciples: A. Thierry et A. Comte. Disciples postérieurs Bazard et Enfantin. Organes saint-simoniens le Producteur, l'Organisateur, le Globe de Pierre Leroux. Extravagances desSaint-Simoniens. -Leur action positive, réelle et féconde.
Fourier. La Théorie des quatre mouvements (social, animal, organique, matériel). La Théorie de l'association domestique agricole (1821). Le journal le Phalanstère (1834). L'attraction, transportée du monde physique au monde social l'attraction passionnelle. Identité des lois physiques et des lois morales. Légitime souveraineté des passions. Les douze passions fondamentales sensitives (répondent aux cinq sens), affectives (ambition, amitié, amour, familisme), distributives (la cabaliste, la papillonne, la composite), dont 1620 combinaisons ou caractères forment le groupe social (phalange), destinés à vivre sur une lieue carrée (phalanstère). La logique du système le distingue de Saint-Simon elle fait théoriquement sa force mais, pratiquement, sa faiblesse. Vues romanosques éclosion en masse d'hommes de génie, longévité assurée, transformations merveilleuses de la planète, déification de l'homme sur la terre. Successeurs de Fourier ils affaiblissent la doctrine, lui font perdre son originalité.
Les communistes Cabet, Voyage en Icarie.
Les utilitaires ou le parti sans idées. Le cas d'Émile de Girardin. Louis Veuillot pousse jusqu'au paradoxe et au cynisme l'apologie des thèses les plus compromettantes et les plus risquées du catholicisme rétrograde.
La Presse littéraire la Revue de Paris, la Revue des Deux~Mondes. Leur vogue justifiée, leur influence néfaste
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sur la littérature et le goût public. Abaissement de la critique. Le chantage littéraire. Anecdote. Gustave Planche. Critique des défauts, insensible aux beautés. Sa conception étroite du style. Théophile Gautier, disciple de Janin. Culte exclusif de la forme et de l'image recherche prétentieuse des termes techniques. – Eug. Pelletan, talent sans mesure, critique lyrique. – Alphonse Karr. Sa première manière fantaisie prétentieuse. Sa seconde manière l'humour, mélange d'esprit et de raison. Le Magasin pittoresque 195 à 231 SEPTIÈME LEÇON. Pamphlets. Béranger. – Pamphlets.M. de Cormenin. Royaliste à ses débuts, il passe au radicalisme, après la Révolution de Juillet. Il passe de même dela littérature grave (livre du Droit administratif) au pamphlet. Il se venge de ses échecs à la tribune par un Livre des orateurs, qui relève plus de la satire que de la critique. Vanité de l'auteur. Comment, pour ne rien perdre de sa prose, il réédite des jugements qu'il désavoue,et pallie ses contradictions. –Pourquoi son livre ne vivra pas. Style artificiel, œuvre au fond stérile.
Barthélémy et Méry la Némésis, satire violente,qui s'attaque à tout, n'épargne personne, mais qui est vide, parce qu'elle n'émane point d'une inspiration sincère et n'est qu'un genre littéraire, habilement exploité. Le gouvernement a fait taire la Muse, en pensionnant les poètes le goût public s'est détaché de leur talent, autrefois trop vanté.
Béranger. Son inspiration personnelle, sincère et sa constante communauté d'opinion et de sentiments avec la France. Son enfance. -Son éducation première à Péronne patriotique et républicaine. Sa vie à Paris sous le Directoire, où il est initié par son père aux opérations de bourse et aux complots royalistes. Anecdotes. Ses rapports avec Bourmon. Sa rupture avec son père et les royalistes le laisse sans ressources. Ses premiers essais poétiques grâce à la protection
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littéraire de Lucien Bonaparte, il obtient un poste d'expéditionnaire au secrétariat de l'Université. – Ses premières chansons le Roi d'Yvetot, etc. sont célèbres avant d'être imprimées. Elles courent manuscrites, elles ouvrent à Béranger l'entrée du Caveau. – Ces chansons inaugurent un genre nouveau- Premier recueil Chansons morales et antres, publié en 1814.En 1821, nouveau recueil de chansons, cette fois patriotiques et satiriques, La Restauration poursuit Béranger devant les tribunaux. Procès retentissant la plaidoirie de Dupin condamnation à trois mois dc prison et 500 francs d'amende. Nouveau recueil en 1828, nouvelles poursuites et condamnation neuf mois de prison, 10.000 francs d'amende. Souscription nationale pour payer l'amende. Histoire de cette souscription. La fierté et l'indépendance de Béranger. Sa probité. Une anecdote. II refuse une pension de l'État. Il vit de ses livres. Le poète de parti, le poète de l'humanité. Son esprit, ses reparties. Son caractère désintéressement, générosité, dévouement. Une seule tache à sa gloire la licence de quelques-unes de ses chansons 233 à 272 HUITIÈME LEÇON. Cours à la Sorbonne et au Collège de France. I. Cousin. Ses années d'études. – Son entrée à l'École normale, comme élève, puis comme professeur. Son enseignement à la Sorbonne marque l'avènement d'une philosophie nouvelle, faite d'aspirations généreuses, élevées, éprise de liberté et de droit, antithèse du sensualisme condillacien, déjà modifié par Laromiguière, abandonné et combattu par Maine de Biran et Royer-Collard. Cette philosophie porte ombrage à la Restauration. Le cours de Cousin est suspendu en 1820, puis rétabli en 1828. Lorsqu'il remonte dans sa chaire, Cousin est en possession d'une doctrine, l'éclectisme. La philosophie à son origine dans la constitution morale de l'homme elle vient, dans l'évolution intellectuelle, après l'industrie, le droit, les arts et la religion elle est le dernier progrès de la
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pensée. – L'histoire nous la montre enveloppée dans les religions, développée dans la science. – C'est elle qui donne un sens à l'histoire, qui éclaire la marche de l'humanité. – Elle est la raison explicative. Trois notions fondamentales de la raison le fini, l'infini et leur rapport; d'où trois systèmes: le sensualisme (doctrine du fini), l'idéalisme (doctrine de l'infini) et l'éclectisme (synthèse du fini et de l'infini, conciliation de l'idéalisme et du sensualisme) et trois politiques monarchie, démocratie, gouvernement représentatif. La prestigieuse éloquence de Cousin, mise au service de cette doctrine, en dissimulait le caractère artificiel et les tendances. Elle aboutissait, en somme, à l'apologie du succès et de la force. Elle était un compromis, une illusoire union des contraires. Fin de l'éclectisme, abandonné par M. Cousin lui-même, qui s'est tourné vers les travaux d'érudition, et s'est fait l'historien des grandes dames du xvn" siècle (M*" de Sablé, de Longueville).
II. Villemain. Ses études brillantes, sa mémoire prodigieuse, son esprit prompt et alerte, ses succès académiques, les qualités aimables de son esprit et la souplesse de son caractère, tout explique et justifie les succès de sa carrière universitaire. Une anecdote significative. Le caractère de son enseignement, d'après Sainte-Beuve. Conférencier spirituel, aux aperçus fins et ingénieux, il fut, dans l'histoire de la littérature, un novateur aujourd'hui dépassé. Ses études sur le moyen âge et sur le xvm° siècle.
III. Guizot. Ses débuts comme précepteur. Histoire de son mariage avec Pauline de Meulan. Son premier enseigneront à la Faculté des Lettres (1812). Fermeture de son cours en 1825. Essais sur l'histoire de France. L'Histoire de la Révolution en Angleterre les faits de l'histoire, expliqués par l'analyse des sentiments et des idées. L'Histoire de la civilisation en Europe, sujet du cours de 1828. La maîtrise du professeur. Son éloquence accomplie. Élévation et profondeur de son enseignement.
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L'enseignement de la Sorbonne prend fin en 1830. Il perd alors ses professeurs; d'ailleurs, il n'a plus de raison d'être. – Un autre enseignement devait avoir prise sur les esprits, celui du Collège de France. L'Herminier.-Micheletet Quinet. Comment s'éveilla la vocation historique de Michelet. Son Histoire de France. L'évocation du moyen àge. Michelet, comme professeur au Collège de France, trompe l'attente de tous, quitte l'étude de l'histoire pour l'étude des questions morales et politiques. 273 à 311 NEUVIÈME LEÇON. La Philosophie. Polémique de Michelet et Quinet contre les jésuites Origine de cette polémique. – En attaquant les jésuites, les professeurs du Collège de France ne faisaient que défendre contre eux l'Université et les conquêtes modernes. –La dernière leçon de Michelet et la dernière leçon de Quinet. Différence de ton dans l'une, éloquence véhémente et passionnée dans l'autre, exhortation morale, grave et sereine. Parallèle des deux orateurs Michelet, nature inquiète, impressionnable, avide d'applaudissement.- Quinet, esprit pondéré, maître de luimême, dont l'action sur les esprits venait de l'autorité ou authenticité do sa parole. Principes communs aux deux enseignements la foi à la raison dans l'humanité et dans le monde. Influence de Hegel et du panthéisme allemand.
Pierre Leroux. – Ouvrier imprimeur, il cherche à révolutionner son art, d'abord en France, puis en Angleterre. Convaincu de l'inutilité de ses recherches, il se tourne vers les études philosophiques, entro au Globe. Ses épreuves, sa vie pauvre et fière. Pierre Leroux et Béranger. Action exercée par Pierre Leroux sur ses contemporains. Son livre de l'Humanité. Panthéisme et socialisme. Solidarité des générations nos ancêtres revivent en nous. Métempsychose, bornée à la forme humaine. Organisation de la société, calquée sur celle de l'homme individuel en celui-ci, trois éléments la sensation, le sentiment, la
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connaissance en celle-là, trois institutions fondamentales la propriété. famille, l'État. La philosophie de l'Humanité est une réaction contre l'absolutisme théologique.
M. de Frayssinous. Ses conférences, leur opportunité, leur succès; leur peu de valeur dialectique et littéraire. Lacordaire. Ses études brillantes au collège son caractère ombrageux, fier, indomptable. Étudiant en droit, puis avocat, il est hostile aux idées catholiques. Sa conversion soudaine. Sa vie est une suite de crises violentes. Crise libérale Lacordaire se déclare pour Lamennais et devient le principal rédacteur de l'Avenir. Crise d'absolutisme guerre déclarée à la raison dans la Lettre sur le Saint-Siège. Les Conférences de Notre-Dame. Lacordaire porte ombrage aux orthodoxes par les saillies et emportements de son imagination, par son zèle indiscret exemple apologie de l'Inquisition. Mais il a servi l'Église par son talent il a renouvelé l'éloquence sacrée, en abandonnant les formules théologiques et parlant la langue de tous, en prenant les questions par le côté littéraire ou philosophique plutôt que par le côté du dogme, en déployant toutes les ressources d'un style imagé et brillant, en introduisant dans son discours les épisodes, les tableaux, en s'inspirant des idées et des sentiments modernes. Sa dialectique est faible elle est outrée, piradoxale et sophistique. Dans l'oraison funèbre, il est biographe plus que prédicateur. Le fond du caractère de Larcordaire est le besoin d'opposition.
Origine et causes de l'ultramontanisme en général. 313 à 348 DIXIÈME LEÇON. L'Histoire. Apparition de l'esprit historique au xix' siècle. Sa définition, ses caractères.
Augustin Thierry. L'éveil de sa vocation: une lecture des Martyrs. – A. Thierry et Saint-Simon. Une vue historique la distinction des classes (peuple et noblesse), interprétée comme une distinction de races (vainqueurs et vaincus).- Origine de cette vue;- Son application,
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sa portée. L'Histoire de 1% Conquête d'Angleterre (1825), les Lettres sur l'Histoire de France, etc. Dans ces ouvrages se marquent un sens humain, l'intelligence de la tradition ou continuité des faits, le sens de la diversité ou individualité des époques. Contributions particulières d'A. Thierry à l'histoire il fait ressortir 1° l'importance de la distinction des races 2° la part prise par les populations du Midi à l'établissement de l'empire des Franks 3° le caractère spontané et populaire de l'affranchissement des communes; 4° le rôle des légendes, comme source de l'histoire. A. Thierry a donné l'exemple d'une noble vie de travail, poussée jusqu'au martyre.
M. Thiers. Ses débuts. Le petit Jacobin d'Aix. Comment, dans un même concours académique, il remporte à la fois, pour un éloge de Vauvenargues, un prix et un accessit. Vie à Paris. Thiers et Mignet. Entrée de Thiers au Constitutionnel. – Gomment il prépara son Histoire de la Révolution, Mérite de cette histoire et de celle du Consulat et de l'Empire rapport clair, substantiel, bien ordonné, des faits. Défaut: absence d'idées générales, de principes faits rattachés à leurs causes immédiates, prochaines; culte du succès, jugement subordonné au fait accompli, au résultat. Style clair, mais terne, manquant même parfois de propriété et de justesse.
M. Mignet. – Esprit diamétralement opposé à celui de Thiers, épris d'idées générales, s'attachant aux causes, négligeant le détail des faits. L'Histoire de la Révolution française. Style sobre, soutenu, vigoureux et net. mais trop tendu, d'une perfection uniforme, auquel manque l'inspiration et la flamme.
M. de Barante. L'histoire narrative (récit des événements, abstraction faite des idées, des sentiments) ou l'histoire remplacée par la chronique. L'illusion de l'objectivité. Quoi qu'on fasse, raconter, c'est toujours juger ou suggérer des jugements.
M. deSégur. – Allure épique de l'llisloire de la Grande e Armée. Abus du pittoresque et de la couleur, mais
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évocation grandiose des événements et exactitude du récit.
MM. Michelet et Louis Blanc. – L'histoire à thèses, ex.pression de l'esprit de parti. – L'Histoire de la Révolution de Michelet. L'Histoire de Dix ans de Louis Blanc: la bourgeoisie opposée au prolétariat et dénoncée comme une nouvelle classe de privilégiés.
M. de Vaulabelle.
M. Capefigue »*» à 384 ONZIÈME LEÇON. – La poésie. I. La poésie: son rôle social, généralement faible; son action tout individuelle et intime.
Casimir Delavigne, par exception, conquiert d'emblée la renommée c'est qu'il traduit, dans ses Messéniennes, les sentiments de la foule il est « le journaliste poétique du libéralisme ». Son poème sur Napoléon. Son théâtre.– Le succès des Vêpres siciliennes, des Comédiens et du Paria, à l'Odéon, lui ouvrent l'accès du Théâtre-Français, où il fait jouer l'École des Vieillards. Entrée à l'Académie. Bibliothécaire à la Chancellerie, puis au Palais-Royal. Sa mort touchante à Lyon. Ses funérailles hommage public rendu à la dignité de sa vie autant qu'à la beauté de son œuvre.
Mm" Desbordes-Valmore. Ingénuité de son talent. Sa vie romanesque. Sa famille, ruinée par la Révolution, repousse une fortune qui s'offre à elle, pour ne pas la devoir à une apostasie. Voyage malheureux à la Guadeloupe où elle perd sa mère. Son enfance se passe dans les prisons de Douai, dont son père était inspecteur. Elle ne reçut pas d'instruction. Elle prend un engagement au théâtre. Sa vie d'artiste « vie de reine et d'esclave ». Son mariage. Comment furent publiés ses premiers vers. Caractère de sa poésie ignorance de l'art, spontanéité et fraîcheur de l'inspiration, retentissement dans une âme individuelle des sentiments humains. Comment s'exprime
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son féminisme. Les deuils cruels de M"» DesbordesValmore. Sa charité.
A. de Vigny. Imitation savant d'auteurs très divers. Vaine prétention à l'originalité. Ce qui manque à son talent, c'est la personnalité, c'est l'abondance c'est aussi de savoir entrer dans l'âme d'une époque, d'un individu; ainsi il prête à son Moïse des sentiments modernes. Elna et les Amours des anges de Thomas Moore. Supériorité du poème français. Figures nettes et harmonieuses, donnant un corps à l'idéalité mystique. Eloa personnifie la pitié et l'amour Satan, l'ivresse de la vie et des plaisirs humains. -Le poème tout entier, admirable symbole du dévouement illusoire 385 à 416 DOUZIÈME LEÇON. La poésie. II. Sainte-Beuve. Premières poésies, publiées sous le pseudonyme de Joseph Delorme analyse de sensations, d'impressions, de fantaisies et de rêves personnels, intimas hommage d'admiration à Victor Hugo. Sainte-Beuve se détache du Cénacle et de Victor Hugo. Mobilité de sa .nature ses nombreux avatars politiques et littéraires. -Sa crise religieuse: le roman de Volupté.– L'Histoire de Port-Royal. De ce beau livre d'érudition, de science et de pénétrante analyse date une nouvelle manière de Sainte-Beuve, l'imitation du style du xvn» siècle. Les Pensées d'Août religiosité vague, peu sincère. Retour au style naturel les Causeries du Lundi. Le rang de Sainte-Beuve comme poète et comme critique r.Vv, 417 à 429 /V;V': ̃̃À
INDEX ALPHABÉTIQUE 431 i ̃-
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