ERNEST DUPUY
Alfred de Vigny
SON ROLE
1910
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EN VENTE A LA MÊME LIBRAIRIE
DU MÊME AUTEUR
Les Grands Maîtres de la Littérature russe. Gogol Tourguénef, Tolstoï. Un vol.
in-18 jésus, 4e édition, 3 50 Bernard Palissy. — Un vol. in-18 jésus, 350 Victor Hugo. L'Homme et le Poète. Un vol. in-18 jésus, 4e édition, revue et augnentée,
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simile. Un vol. gr. in-8o, broché. 6 ? La Jeunesse des Victor Hugo, Alfred de Vigny Un vol. in-18
jésus, broché 3 50 Victor Hugo. — Un vol. orné de plusieurs portraits (reproduction d'originaux), Relié toile souple 275 (Ce volume fait partie de la Collection des
Classiques populaires.)
EN PRÉPARATION
Alfred de Vigny. Soit r6le littéraire.
Un vol. broché. »
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ERNEST DUPUY
de Vigny SES AMITIÉS
'ROLE LITTÉRAIRE
1
LES AMITIÉS
PARIS
D'IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE LIBRAIRIE LECÈNE. OUDIN ET Cio
Cluny 15
1910
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AVANT-PROPOS
Je n'ai pas eu l'ambition d'offrir au public, dans ce volume et celui qui succédera, un travail d'ensemble sur la Vie et l'Œuvre d'Alfred de Vigny. J'ai rassemblé et j'ai façonné, de mon mieux, des matériaux pour cette construction. Le plus urgent nous le sentons presque tous aujourd'hui n'est pas de conclure c'est de réduire, en tout sujet, la part de l'à peu près et de l'obscurité, pour ne pas dire de l'erreur. Si les documents inédits qui m'ont été très généreusement communiqués et si le jour qu'ils jetteront, je crois, sur l'homme et l'écrivain, rendent possible un peu plus tôt une monographie définitive, je n'aurai pas perdu de longues heures de recherches, et j'aurai recueilli le meilleur « fruit de ce labeur ».
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ALFRED DE VIGNY
CHAPITRE PREMIER
ALFRED DE VIGNY ET SES PREMIERS AMIS.
IMPRESSIONS DU FOYER.
Dans une lettre de consolation adressée à Auguste Barbier qui venait de perdre son père, trois mois à peine après avoir conduit le deuil de sa mère, Alfred de Vigny se souvenait de lui-même. Il avait, lui aussi, ressenti très cruellement cette impression de morne solitude et de fatal déchirement que laisse à l'homme sans enfants la disparition des deux êtres dont il tient la vie. Il écrivait « Vous avez comme moi fermé les yeux des premiers amis que nous ayons dans ce triste monde. » Le père et la mère d'Alfred de Vigny furent bien, en effet, dans la force des mots, les- « premiers », de ses « amis». Si les expressions du poète peuvent se vérifier, c'est surtout à l'aide de certains feuillets manuscrits qu'il m'a été permis d'utiliser, et dont beaucoup de traits reproduits scrupuleusement assureront, j'espère, à ce chapitre initial
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l'intérêt très particulier que notre temps attache avec raison à des reliques littéraires (1).
1
Alfred de Vigny s'est appliqué plus d'une fois à nous donner l'idée de la figure paternelle. Le meilleur de ces crayons, tracés par lui dans les papiers ou édités ou inédits, est peut-être celui qui se trouve, sous la date de 1831, dans le Journal d'un poète, publié par Louis Ratisbonne
« Je suis le dernier fils d'une famille très riche. Mon père, ruiné par la Révolution, consacre le reste de son bien à mon éducation Bon vieillard à cheveux blancs,, spirituel, instruit, blessé, mutilé par la guerre de Sept ans, et gai, et plein de grâces, de manières. »
Sauf l'expression « famille très riche » qu'il faudrait atténuer (2), les traits rassemblés ici sont la vérité même. Une publication récente nous apporte, à ce sujet, un moyen de contrôle qui nous avait (1) Ce document autobiographique, jecroisdevoir le déclarer, ne peut être abordé qu'avec précaution. Dans ces ébauches de Mémoires, produites presque entièrement à la fin de la vie du poète et contemporaines de l'Esprit pur (1863), tout ce qui est impression personnelle, observation directe, doit être retenu et recueilli avec piété tout ce qui est tradition domestique est suspect, et ne résiste pas devant l'effort de la critique. Si l'image appropriée ne devait pas paraître ambitieuse, je dirais qu'il y a là comme un minerai rare, étroitement mêlé à une gangue sans valeur. Le devoir du critique était d'abord de faire le discernement, d'opérer le départ du métal pur et des scories
(2) Dans l'énumération, souvent reprise, des qu'il affirmait de bonne foi avoir appartenu à ses aïeux, Alfred de Vigny faisait entrer les noms de plusieurs terres qui ne furent jamais en leur possession. Cf. Ernest Dupuy, la Jeunesse des Romantiques, les Parents d'Alfred de Vigny, p. 189-200.
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manqué jusqu'à ce jour. Tout ce que nous savions sur le chevalier Léon de Vigny, père du poète, nous le savions seulement par son fils. Mais on nous a rendu le service d'éditer les curieux Mémoires d'Auguste de Frénilly, l'un des fondateurs et des rédacteurs du Conservateur. Le spirituel ultra, qui eut affaire, dans sa vie, à tant de gens et qui a eu l'heureuse idée de nous nommer tous ceux à qui il eut affaire, nous a laissé quelques lignes sur les Vigny, qu'il commença à fréquenter, quand il avait vingt et vingt et un ans, pendant deux séjours assez prolongés dans la ville de Loches. Voici, selon Frénilly, ce qu'était, en 1797, le chevalier Léon de Vigny, très peu de temps après la naissance du seul fils qui lui survécut, et qui fut le poète
« Etique et plié en deux depuis la guerre de Sept ans un fort bon homme avec de l'esprit, de la finesse et quelque prétention à l'originalité »
Malgré la différence du ton, attendri chez le fils et plutôt piquant chez l'ami, les deux portraits nous rendent bien exactement la même image.
Mlle Amélie de Baraudin s'était mariée, par raison, à trente-trois ans (2); avec le chevalier de Vigny, « invalide » dès sa jeunesse, ayant assez peu de bien, aimable, instruit, spirituel, qui avait dépassé de trois années la cinquantaine (3). (1) Souvenirs du baron de Frénilly, pairde France, publiés par Arthur Chuquet, Plon-Nourrit, 1908
(2) En 1790.
(3) Alired de Vigny rajeunit de trois ans sa mère en ne lui attribuantque trente ans le jour du mariage il vieillit de cinq ans son père en le disant de « vingt-cinq ans plus âgé » que sa « jeune » femme. Le chevalier Léon de Vigny était né le 11 décembre 1737 et Amélie de Baraudiu était née le 28 septembre 1757.
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En 1797, après avoir perdu déjà trois fils en bas âge, elle était, depuis peu de temps, la mère d'un « marmot » nommé Alfred, chez qui « rien ne décelait encore le grand homme ». L'opinion concise et piquante que Frénilly nous a laissée sur elle est intéressante à recueillir
« La femme, dit-il, avait un grand talent pour la peinture, des visées au bel esprit et la prétention d'écrire comme Mme de Sévigné. J'ai quelques lettres d'elle qui en font foi, mais Mme de Sévigné n'imitait personne (1). »
Les expressions d'Alfred de Vigny qui s'en étonnera ? qui surtout songerait à s'en offenser ? sont bien autrement laudatives. Dans les fragments inédits de Mémoires, il parle des lettres que s'écrivirent, pendant près d'un demi-siècle, sa mère. Mme de Vigny, et la sœur de sa mère, Sophie de Baraudin chanoinesse de Malte retirée au Maine-Giraud, en Angoumois, depuis les premiers jours de la Révolution. Son admiration n'a pas de bornes
« Je ne crois pas que jamais esprit plus vif, plus varié, plus fin, plus gracieux, plus abondant, plus nourri d'une sève de sensibilité et d'une passion d'amitié mutuelle, sincère et chaleureuse, ait jamais créé, alimenté et soutenu pendant une absence de toute la vie une correspondance pareille à celle de ma mère et de sa soeur. Rien n'.y était écrit pour la parade, l'éclat, le salon, la prétention, le public. Tout venait du fond de l'âme et des choses de la vie. Tout était senti, pensé de source originale et pure, exprimé dans la langue la plus facile, la plus limpide et la plus correcte, cette langue traditionnelle des meilleurs temps du grand monde. »
(1) Souvenirs du baron de Frénilly, loc. cit.
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De ces lettres incomparables qu'il dut, malgré lui, et pour obéir à ses « deux mères » se résigner à brûler, il dit encore « Après les avoir lues et relues souvent, je les ai regardées comme des modèles de bon goût, d'esprit et de grâce familière aussi bien que les plus célèbres de notre langue. » Et, pour donner à cet éloge tout son sens, il développe doctement un paradoxe sur les « écrivains involontaires » dont Mme de Sévigné est un exemplaire accompli il s'étudie à définir, comme l'eût fait un Villemain, un Sainte-Beuve ou un Nisard, l'œuvre épistolaire de l'illustre marquise il conclut que, tout compte fait, Anne-Marie-Amélie de Vigny (née de Baraudin) et Marie-Elisabeth Sophie de Baraudin, sa sœur aînée, furent des écrivains involontaires après Mme de Sévigné, pour les mêmes raisons et au même degré « Combien d'autres correspondances qui m'ont été connues auraient pris place à côté de celle de la mère de Mme de Grignan, si elles eussent été trahies La passion, le malheur, les intimes détails de la vie et des affaires de famille, le choc des intérêts, les vulgaires calculs, les plaintes arrachées par la terreur, par les tyrannies de famille, par les troubles domestiques, par ces mille souffrances intérieures dont l'aveu resserre les liens du coeur. tout est obstacle à la publicité. »
Ici encore, le témoignage de l'ami de Vigny et celui de leur fils peuvent différer de tendance et de ton ils se complètent cependant et même, en s'opposant un peu, ils se confirment.
Quoiqu'il se soit surtout attaché à nous faire connaître ses parents par des traits de leur caractère et par le détail significatif de leur nature morale, Alfred de Vigny s'est, une fois ou deux, donné le plaisir
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d'évoquer devant nous leur silhouette ou leur visage: Il fait revivre, en quelques touches d'un pinceau léger mais expressif, « les traits fins » de son père et son allure exténuée d'ancien soldat au corps traversé par une balle prussienne (1). « Il semblait alors plus âgé qu'il n'était, à cause de ses blessures qui l'avaient courbé et contraint à toujours s'appuyer sur une canne, en marchant lentement et péniblement. » Pour serv,ir de cadre au portrait de son père, Alfred de Vigny a cru devoir choisir le premier appartement occupé à Paris par ses parents, celui de l'ElyséeBourbon. Les Vigny habitèrent là cinq ousix années, depuis leur arrivée en 1798 — 1799 au plus tard, — jusqu'à l'époque où le palais fut acheté par Murat, roi de Naples.
disent les fragments inédits de Mémoires, avait été confisqué durant la Révolution et administré par une compagnie de. capitalistes qui, je crois, l'avaient acquis comme bien national. Cette sorte de Bande Noire ne l'avait point acheté pour fabattre, mais pour le louer comme toutes les maisons de Paris. Plusieurs familles y demeuraient, et, entre autres, Mme de Richelieu, veuve du maréchal de Richelieu, occupait le premier étage du côté du jardin. L'autre partie du premier étage qui donnait sur la grande cour de l'hôtel fut louée par mon père. Le jardin était en tout temps le nôtre, hors le dimanche, parce que, ne voulant rien négliger, les propriétaires en avaient fait pour les jours de fête une sorte de Tivoli où les Parisiens, éternels danseurs, venaient passer la soirée (2). »
(1) La feuille des états de services, au dossier du ministère de la Guerre, porte ces raots « Le chevalier d'Emerville a reçu, en 1778, un coup de fusil à travers le corps, qui le rend infirme pour le reste de ses jours. »
(2) IL y aurait intérêt à rapprocher de ce passage des Mémoires les détails fournis sur les locataires de l'Elysée-Bourbon dans
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Le chevalier de Vigny se tenait le plus souvent assis, pendant le jour, sur le perron du grand escalier, le soir, près de la cheminée du salon, « à droite », en face de Mme de Vigny, à la place invariable « d'où il entretenait l'échange toujours vif et brillant de conversations choisies qui étaient son art, son étude et sa consolation » C'est dans cette posture de causeur aimable, écouté, que le fils, très tendre, très respectueux, admira d'abord le vieux gentilhomme et l'a fort heureusement représenté
«. L'attitude réfléchie et attentivé le costume toujours un peu paré par l'habitude des bas de soie et des souliers à boucles d'or qu'il n'abandonna jamais, des cravates blanches, du jabot et des manchettes l'habit habillé du matin, le portait vers la fin de Louis XVI. l'observation dans le regard, la finesse d'esprit sur les lèvres. l'affabilité dans toute la physionomie, et, dans chaque geste lent et naturel, le bon goût. »
Si l'on en croit le poète aux souvenirs émerveillés, ce n'est pas seulement à son foyer, c'est « partout » et toujours que le chevalier de Vigny dirigeait, « entraînait » la conversation « autant du sourire et du regard que des paroles », et ce n'est pas seulement le fils adolescent qui s'avisa, plus d'une fois « habillé pour le bal, de laisser là les danses et de s'asseoir encore près de lui pour l'écouter » des auditeurs plus frivoles se faisaient une « fête » de recueillir des propos si pleins de grâce ils en oubliaient tout autre plaisir « Les jeunes femmes et une étude de M. Frédéric Masson l'Elysée (journal le Temps, numéro du 28 avril 1900). On y trouve le prix de l'appartement loué par M. Lion de Vigny, 700 francs. Le loyer le plus cher, celui de la duchesse de Richelieu sans doute, ne dépassait pas le prix de 1.200 francs.
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les jeunes personnes allaient naturellement à lui et s'empressaient de l'entourer d'un cercle attentif, émues et charmées de tout, ce qu'il racontait de leurs mères et d'un beau monde disparu. » Ce monde revivait dans sa conversation (1).
Le chevalier de Vigny s'était d'abord appelé l'abbé de Vigny (2), car ce soldat avait été, dans son plus jeune temps, destiné à l'Eglise. Il avait passé quelques années à « Saint-Sulpice », en compagnie de l'abbé de la Luzerne, qui devait s'élever au rang d'évêque et de cardinal, et qui, en 1814, au retour de l'émigration, s'en vint tout droit chez son ancien condisciple du séminaire. « J'entendis entre eux des entretiens qui passaient des souvenirs d'enfance à des considérations sérieuses sur l'état de l'Eglise en France et me firent mesurer ce que mon père en savait. » Le poète ne s'en tient pas à cette indication, et il fait de son père quelque chose de mieux qu'un homme instruit de ce qui touchait à la religion lorsqu'il le loue, au même endroit, de la façon suivante « Plus érudit qu'un ne l'eût attendu d'un homme de guerre et de cour, il avait conservé et laissait à tous momens passer dans ses entretiens des connaissances sérieuses et étendues dans la théologie et les langues anciennes, mais entrevues par lueurs et tout à coup, par éclairs imprévus, (1) Emile Deschamps, dans Une Soirée en 1775, parle de son père à peu près dans les mêmes termes qu'Alfred de Vigny du sien « Les dames et les demoiselles venaient causer avec lui dans un cabinet, auprès de son grand fauteuil rouge, et toutes avouaient prendre plus de plaisir dans sa conversation instructive et brillante que. dans le mutisme des lions de ((Euvres complètes, t. III, p. 24.)
(2) Léon de Vigny porta successivement les noms d'abbé de Vigny, de d'Emerville et de chevalier de Vigny. Cf. la Jeunesse des Romantiques, p. 154 et 155.
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à travers un demi-voile de gaieté légère qui flottait d'un sujet à l'autre. »
Et, tout en écartant l'apparence du pédantisme, il s'élevait, à l'occasion, jusqu'au ton « grave » il donnait, cc dès qu'il le fallait », l'idée de la solidité « Sa souplesse d'esprit lui faisait saisir le ton juste de chaque sujet de conversation et de toute question débattue, et, d'un coup d'oeil, évoquer toutes ses études et ses lectures, sans préparation, dans un âge avancé ».
Ici encore, les dires un peu exaltés d'Alfred de Vigny concordent, dans la mesure indispensable, avec le témoignage du caustique Frénilly. Cet élégant fils de famillei qui avait noué connaissance avec les Vigny en 1797, revint à Loches au début de janvier 1798 et, sans regret des plaisirs de Paris, qui s'étaient ranimés. au lendemain de la Terreur, avec une sorte de violence, il se trouva parfaitement heureux dans la petite ville provinciale où il était venu se délasser de ses succès mondains. Un des éléments de son bonheur, c'est qu'il avait une provision de livres et que « la bibliothèque du chevalier de Vigny était à son service »..
Ce détail ne dément pas il s'en faut de beaucoup -l'opinion qu'Alfred de Vigny a exprimée, plus d'une fois, sur le savoir élégant de son père.
II
C'est à ce père deux fois instruit, par la lecture et par la vie, qu'aurait dû revenir l'agréait devoir de diriger l'éducation de son unique fils Il en alla tout
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autrement. Mme de Vigny prit pour elle tout le fardeau et elle le porta d'une façon virile.
« Elle avait vingt-cinq ans de moins que son mari (1), » écrit le poète avec ce sentiment de respect et d'admiration où se mêla toujours un peu de crainte. « Sa beauté de race italienne, ses grands yeux noirs de forme orientale, son esprit mâle et laborieux, la vigueur étrange de son caractère et de son corps, lui donnaient quelque chose de plus qu'il n'y a dans son sexe. » Alfred de Vigny compare orgueilleusement sa mère à Niobé, « dont elle avait la sévère beauté » jeune, fière et frappée comme elle « par toutes les flèches du ciel », elle avait presque égalé ses infortunes mais aucun coup du sort n'eut raison de son énergie.
Cette fille de marin avait été élevée, ainsi que sa soeur, dans le couvent « sévère o de Beaumont-lesTours, « avec Mme la princesse de Condé qui était de leur âge » Elle avait entrevu, à Paris, le monde de la cour. Dès les premières journées de 1789, elle était venue avec sa mère, avec sa sœur aînée, habiter en pleine campagne sauvage, au cœur des hautes collines boisées de l'Angoumois, dans ce petit manoir du Maine-Giraud dont Alfred de Vigny hérita. Il y passera, lui aussi, au lendemain de la révolution de Février, près de trois années de sa vie. On avait appris à Mlle Amélie de Baraudin la musique et la peinture. Elle fortifia ses talents dans les loisirs de cette existence rustique. En musique, sa « raison calculatrice », que la pratique des mathé(1) faut lire: vingt ans Dans le Journal d'un poète, édité par Louis Ratisbonne, cette différence de vingt ans est exactement donnée.
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matiques, et notamment de l'algèbre, avait préparée à tous les efforts, l'attacha de préférence et pour longtemps aux abstractions ardues de l'harmonie. En peinture, elle copiait les maîtres avec une dévotion passionnée. Si l'on prend à la lettre le témoignage de son fils, elle reproduisait les madones du peintre d'Urbin dans des transports d'une admiration attendrie, extatique
« Lorsque le maître était Raphaël, je voyais l'émotion intérieure de son travail agiter son sein et faire descendre lentement de ses yeux des larmes qui couvraient ses joues. Elle m'apprit à connaître pour la première fois les pleurs divins que fait naître des profondeurs mêmes de l'âme le sentiment de la souveraine beauté. »
Il lui arriva, paraît-il, de copier une Mme de Sévigné de Mignard, tirée du cabinet d'un des locataires de l'Elysée-Bourbon. Le peintre Girodet, ou, comme il est dit dans les fragments de Mémoires, « le poétique auteur d'Atala et d'Endymion », qui était un ami intime des Vigny, aurait déclaré « sur son honneur », après avoir longtemps contemplé la copie, que Mignard, s'il revenait au monde, la signerait comme l'original. Le mot a bien pu être prononcé, mais il nous est permis d'y voir un compliment de politesse excessive. En effet, tous les ouvrages de peinture de Mme de Vigny n'ont pas été, brûlés comme ses lettres. Il reste d'elle des portraits de son fils, miniature et pastels. Ils nous déconcertent un peu quand nous nous rappelons l'éloge sans réserves d'Auguste de Fréailly: « Un grand talent pour la peinture, » et les paroles enthousiastes d'Alfred de Elle avait deviné les arts et porté la peinture et la musique au delà du talent des femmes. »
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Mme de Vigny était une lectrice de Rousseau. Elle avait étudié de près son Dictionnaire de musiqlle et ses dissertations musicales pseudo-savantes, quand elle se divertissait à comparer, à résumer ou à transcrire les traités d'harmonie de Tartini et de Rameau. Avec tout son siècle, elle s'était éprise de l'Emile, et elle s'en souvint fort à propos pour donner à son quatrième enfant une éducation physique aussi opposée que possible aux soins maladroitement tendres qu'avaient reçus les trois aînés. On se rappelle qu'ils étaient morts l'un après l'autre, et encore au berceau, « à l'ombre de cette prison de Loches qu'on nomme la tour d'Alaric ». Elle emporta à Paris ce dernier-né « silencieux », d'apparence chétive, avec « ses paupières voilées » elle lui donna pour abri les appartements spacieux et le jardin très ombragé de l'Elysée-Bourbon, dont les grilles ouvraient l'accès sur les Champs-Elysées.
Conformément aux préceptes de lemile, l'enfant ne fut jamais emmailloté, et, à peine sevré, il fut chaque matin « soumis au sauvage bain de Jean-Jacques Rousseau ». Cette coutume des ablutions froides dont Alfred de Vigny ne devait jamais se départir, rendit ce garçonnet, que son air délicat faisait prendre pour une fille, insouciant des intempéries les plus rudes. Habillé d'une veste légère et « de couleur'rouge », qui laissait les bras et le cou nus (1), il affrontait le vent le plus glacial et riait de voir « le givre fondre sur sa poitrine ». Il écrira ces mots à soixante-cinq ans (1) C'est exactement ainsi que le jeune garçon est représenté, à l'âge de huit ou neuf ans, dans un portrait en miniature, ouvrage de Mme de Vigny, et conservé dans la collection de Mme Sangnier.
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« Je vois encore, tout au fond de ce miroir des souvenirs, le regard orgueilleux de ma mère quand je sortais des flocons de neige, où je me roulais, pour rapporter et cacher sur ses genoux de longs cheveux blonds, qui ruisselaient jusqu'à ma ceinture et qu'elle se plaisait à tordre entre ses doigts ( 1 ) »
Les exercices du gymnase, pratiqués sous la surveillance des parents et dirigés sans faiblesse par d'anciens soldats, les longues promenades à pied faites en compagnie de Mme de Vigny elle-même, le tir à l'arc, à l'arquebuse, au pistolet, dans les longues allées du jardin, servaient de complément au régime hydrothérapique ils développaient, du même coup, l'agilité, la souplesse des nerfs, le ressort musculaire, l'adresse de la main ils augmentaient les ressources de deux yeux vifs, aigus, inquisiteurs, dont « la portée lointaine et la sûreté » avaient déjà, sans cet apprentissage, quelque chose d'exceptionnel (2).
Comme dans le plan de Jean-Jacques, tout divertissement avait un but d'information, tout jeu se tournait en utilité, toute course au dehors devenait « studieuse ». Les mathématiques préoccupèrent beaucoup l'adolescent; elles le poursuivaient jusque dans ses promenades « Je m'aidais des arbres et des maisons pour me faire une sorte de mnémonique, et il y a au bois de Boulogne un chêne que je n'ai jamais considéré que comme un logarithme et qui (1) Lorsqu'il sera entré au régiment, Alfred de Vigny, malgré quelque faiblesse de poitrine, se trouvera capable de rèsister à des épreuves rigoureuses où d'autres officiers, plus robustes mais moins aguerris succombaient.
(2) On a noté chez Victor Hugo la même acuité exceptionnelle du sens de la vue.
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n'eut désormais à mes yeux que des proportions géométriques. » A dire vrai, cet esprit imaginatif, avide d'aventures, ne se complaisait pleinement que dans les récits de voyages; ce descendant de gentilshommes qui, toute leur vie, avaient couru les mers, se « passionnait » pour l'étude de la géographie. Mais le propre de son intelligence, à la fois prompte et capricieuse, était déjà, à ce qu'il semble, de substituer sans effort ou même involontairement à l'étude froide des faits le labeur autrement divertissant des conjectures, de se replier sur soi-même pour suivre des « idées intérieures à demi formées et dont le rêve l'enchantait », de s'abîmer délicieusement dans les douceurs d'une « sorte de distraction voisine de l'extase ».
Alfred de Vigny reçut de sa mère mieux que des directions utiles. Il avait hérité d'elle un goût instinctif pour les arts, et ce goût, par le seul mais puissant effet des impressions d'enfance, se développa, plus qu'il ne l'eût pu faire, dans un autre milieu, sous les efforts d'une culture méthodique. Des gravures ou des copies de tableaux de Raphaël, avec leurs beaux visages féminins, retinrent ses premiers regards. Il contempla, plus qu'aucun autre ouvrage de ce peintre, la Sainte Famille, dite de François Ier (1),
« où l'on voit un jeune auge aux cheveux bruns se pencher sur le berceau du Sauveur, debout entre l'Enfant sacré, le père et la Vierge mère Sans que personnes'étonne de sa présence, il allonge ses beaux bras nus et répand des (1) Cette copie. réduite, du tableau du Louvre se trouve dans la collection citée plus haut elle pourrait être de la main de Mme de Vigny mère.
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fleurs sur la tête de celui qu'il avait annoncé car ce fut lui sans doute qu'il regarde dormir, qu'il berce comme un ami de la maison. »
Alfred de Vigny se rappelait aussi, de Raphaël, le Saint Michel Archange terrassant le Prince des ténèbres du Guide, un Enfant Jésus, dont il s'exagérait et le mérite technique et la profondeur de conception de Salvator Rosa, une composition biblique et surtout ses mêlées furieusement homicides elles lui révélaient, en même temps et mieux que le texte de Tite Live, « ce que c'était que la destruction des batailles romaines » enfin, avant d'avoir lu la Genèse, il connaissait, il aurait commenté « l'inondation » du Poussin, spectacle ténébreux, mystère de désolation qui devait l'inspirer, un jour, plus directement encore que les versets de l'Ancien Testament. Et, le soir, quand « sous les lampes » son père lui lisait Homère, Girodet aux yeux de flamme, qui faisait passer sous la lumière les traits merveilleux de Flaxmann ». Cet œuvre de gravure de Flaxmann lui parut toujours rare beauté, et il a trouvé, pour en noter le caractère distinctif, une formule poétique digne d'être connue, je ne dis pas d'être adoptée « Flaxmann le premier, je crois, a senti et exprimé la marche bondissante des dieux de l'Olympe qui. sans ailes, s'élançaient et redescendaient comme l'aigle et parcouraient la terre en trois pas. »
Le matin, Alfred de Vigny était conduit au Louvre et il y admirait, sans se lasser, l'Apollon du Belvédère « conquis par l'Empire », Vénus et « ses sœurs, les déesses nues ou les nymphes voilées »,
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et par-dessus tout. Niobé, l'image de sa mère, pleurant héroïquement des enfants merveilleux. En rentrant dans le cabinet de travail de l'Elysée-Bourbon, il retrouvait des moulages et des dessins qui prolongeaient pour lui l'impression de ces chefsd'œuvre.
On avait découvert, d'autre part, qu'il avait « l'oreille juste et une belle voix (1) ». On lui donna « les instruments et les maîtres » mais Mme de Vigny prit soin de ne lui laisser entendre et répéter que les « suprêmes beautés de Mozart, de Beethoven, de Cherubini, et les chants religieux de Haydn ». De cette éducation musicale, qui ne fut pas assez longtemps poursuivie pour qu'il devînt un bon exécutant, il lui resta, du moins, le goût des ouvrages nobles ou délicats et le sentiment, si rare chez les hommes de lettres de son époque, de la véritable originalité il admirera la musique du seizième siècle il sera l'ami dévoué des novateurs de son temps, le champion très résolu d'Hector Berlioz et de Liszt.
Le poète, faisant revivre ses souvenirs d'adolescent, aurait été inexact et ingrat si, en face de sa mère presque toujours u debout » à ses côtés, belle et grave « comme une Muse », il eût omis de faire quelque place à l'autre éducateur, le chevalier infirme et souriant, qui, dans « son école assise », lui donnait le sens de l'histoire, il serait peut-être (1) Dans une lettre que lui écrit, après le succès de la Maréchale d Ancre, un de ses anciens camarades de collège, Jubert de Glèze, je relève ces mots « Elle (ma mère) se rappelle de (sic, voire jolie voix dans nos exereices de la chapelle chez ce bon M. Hix »
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plus exact de dire du roman, en lui communiquant les impressions enjolivées de 'sa première bataille. Le chevalier d'Emerville, recevant le baptême du feu, avait mérité ce reproche élogieux du prince de Condé « Eh bien, petit chevalier, vous êtes bien étourdi,.mon enfant; n'entendez-vous pas la musique du roi Frédéric ? Je suis plus vieux que vous, mais dans ce moment nous sommes tous du même âge. »
A d'autres heures, et quand la mère exprimait la crainte que l'enfant ne devînt « distrait », le bonhomme, qui avait des lettres, tirait du fond de sa mémoire des adages latins, d'ailleurs fort divulgués Age quod agis, qui devenait « Fais ce que dois » Festina lente « Hâte-toi lentement », ou encore ce vers appliqué par Lucain à César comme une sorte de devise:
Nil actum reputans si quid superesset agendum.
Il y trouvait une maxime à l'usage de l'écolier «,Ne laisse pas tes ouvrages imparfaits. » Maisdiscret bambin ne s'avisa-t-il pas, à dix ans, de traduire l'hexamètre de la Pharsale et d'en tirer l'alexandrin françaïs
Croyant que rien n'est fait, s'il reste encore à faire.
La découverte que fit Mme de Vigny de son exploit littéraire, griffonné au crayon au-dessous d'un dessin inachevé, fut un événement « Les larmes me vinrent aux yeux. Mais mon père m'embrassa « Neva pas t'aviser d'être poète au moins, me ditil. Tu m'as bien l'air d'en avoir envie. » Je retombai
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dans le péché de poésie, mais en secret, et n'en parlai que longtemps après. Ma mère n'avait rien dit ce fut une désapprobation que son silence. »
III
Tous les incidents de cette éducation d'enfant, minutieusement notés, étaient transmis, au jour le jour, de Paris au Maine-Giraud, et, du fond de sa terre lointaine, la chanoinesse de Malte, M"'g Sophie de Baraudin, tournait toutes. ses pensées, tous ses vœux et toute l'ardeur d'une exclusive affection vers ce rejeton précieux de deux races.
En 1823, se rendant avec son régiment à la frontière d'Espagne, Alfred de Vigny obtint de son cousin, le colonel comte James de Montrivault, une semaine de permission pour aller au Maine-Giraud rendre visite à sa parente. Il découvrit, pendant les cinq jours qu'il passa auprès d'elle, qu'elle aussi « l'avait élevé de loin ». Elle vivait entourée des portraits de son neveu exécutés à l'huile ou au pastel par M"'e de Vigny et le représentant à tous les âges Elle avait gardé, sans en distraire une seule, toutes les lettres de sa soeur elle les mit sous les yeux du jeune officier et lui lut, en passant d'un cadre àl'autre à. travers les appartements, ces pages qui commentaient les progrès de son enfance. « Cette enfance, écrit-il, j'en sortais à peine et je l'avais déjà oubliée. Je me la remis en mémoire en la lisant racontée avec cette tendresse inépuisable et toujours inquiète de toute chose. »
De sa « seconde mère », le jeune homme admira,
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dans cette visite rapide, un portrait au pastel qui la montrait dans toute la fraîcheur de sa jeunesse et qu'il fut très heureux de retrouver, de garder au Maine-Giraud, lorsqu'il prit possession du petit manoir dont il était l'héritier. Ce pastel, perdu aujourd'hui, il a pris soin de nous le retracer, la plume en main, mais l'image, trop idéalisée, semble détachée d'un roman et reste un peu inexpressive « Le teint » est, cela va sans dire, « d'une blancheur qu'anime à peine une couleur de rose aussi pâle, aussi tendre, aussi transparente que celle des camélias » l'ovale et le front rappellent « les camées antiques » les yeux « grands et noirs » sont « prolongés en amande par un arc tout oriental » le nez est « délicat et légèrement aquilin » la bouche « rose et petite » reste « un peu dédaigneuse » — il importait de marquer par ce dernier mot la ressemblance avec la reine Marie-Antoinette, toutefois un demi-sourire éclaire le bas de la figure et, bien entendu, ce sourire à peine indiquë exprime une « finesse » indispensable.
Mais, en regard de ce portrait de convention, sorte de copie ou de transposition à la fois recherchée et un peu banale, le poète en a peint un autre d'après nature, et, cette fois, sa vision directe s'est traduite magistralement. L'image morale d'abord
« Je ne vis jamais personne habiter aussi complètement le passé. Rien ne pouvait lui donner le désir de voir les choses du temps présent. Ce qu'elle avait vu de la politique, c'était la Terreur, les prisons. la persécution de sa famille et la sienne. La vue d'une ville la frappait de tristesse et d'effroi. »
Et voici l'étrange vieille fille elle-même dans son
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cadre habituel, l'embrasure d'une chambre de prière qu'envahit, aux heures du soir, la douceur des premières ombres
« Elle s'était placée près de la stalle de la fenêtre. dans Oe petit oratoire, son noble profil se détachait sur le ciel, et ses'épaules sur les dômes des frênes et des ormes éclairés par le soleil couchant. A ce moment du déclin du jour s'effaçaient sur elle les traces du déclin des années. Sa taille était encore aussi droite, aussi élancée que dans sa jeunesse. La longue robe de soie brune à longs plis qui enveloppait ses petits pieds confondait ses teintes avec celles des boiseries et deslambris. Sa tête pâle, ses épaules blanches et sa collerette de dentelles sortaient de toutes ces ombres comme le buste de marbre blanc d'une belle religieuse. »
IV
J'ai assez insisté ailleurs (1) pour ne pas me croire obligé d'en reparler ici bien longuement, sur les inconvénients de cette idolâtrie que les parents d'Alfred de Vigny ne cessèrent de manifester pour lui depuis le jour.qu'il vint au monde. Elle donna il faut bien l'avouer à son éducation domestique un caractère de solennité presque auguste, dont le poète fut le seul à ne jamais apercevoir l'exagération dangereuse et l'étrange, l'enfantine, l'archaïque naïveté. Je ne rappellerai que par voie d'allusion tel trait singulièrement expressif, telle attitude inoubliable le baiser silencieux, mystique, donné après la prière du soir aux fleurs de lys de la croix de (1) des Romantiques. les Vigny, les Bllflludin, les parents d'Alfred de Vigny et son éducation,
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Saint-Louis, la dissertation parlée sur les origines de la noblesse avec l'application aussi bizarre qu'ambitieuse de cette parole d'Andromaque « Il est du sang d'Hector (1) », à l'héritier des Baraudin et des Vigny, et ces amplifications démesurées sur la noblesse ou la richesse des aïeux, sur leurs hauts faits militaires, sur leurs exploits de grands chasseurs, sur leurs équipages de chiens, rivaux, un jour, de ceux du roi.
Le père, la mère, la tante, enivrèrent l'enfant-et plus tard le jeune homme même — de récits complaisants sur les fastes des deux maisons, de confidences glorieuses où la vérité, en quelque sorte obnubilée et toujours 'apprêtée, étendue, embellie, s'environnait, comme à plaisir, d'une auréole de légende.
La mémoire d'Alfred de Vigny n'a rien à perdre à ce que l'on apporte ici des précisions. Malgré les parchemins royaux qui conféraient en 1572 pour la première fois au receveur des tailles François de Vigny, son trisaïeul, des lettres de noblesse, et quoiqu'il eût entre ses mains ce document qui ne laissait aucune place à l'équivoque, le vieux chevalier Léon de Vigny transmit avec gravité à son fils, alors âgé de dix-sept ans seulement, un titre de comte en attendant celui de marquis, hérité, disait-il, d'une branche aînée qui était entièrement morte. Alfred de Vigny se persuada sans effort que les origines chevaleresques de ses ancêtres « se perdaient dans la nuit (1) Peut-être y a-t-il ici une allusion obscure et qui ne serait pas pour atténuer la singularité de cette citation l'oncle maternel d'Alfred de Vigny avait appartenu au « régiment d'Hector », dont.cinq cents hommes furent, avec lui, fusillés à Quiberon.
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des temps », et il s'attacha aveuglément à cette pré tention insoutenable.
D'autre part, au mépris du registre de l'état civil qui donne la date exacte de la mort de Didier de Baraudin, retiré chef d'escadre et décédé le 25 fructidor de l'an V, dans son logis, à soixante-quatorze ans, de maladie ou de vieillesse, la chanoinesse du Maine-Giraud se représenta toujours sous des couleurs beaucoup plus tragiques cette fin de son pète, et le poète, instruit par elle, se fera l'éditeur de cette fausse tradition le vieux marin, foudroyé.par la douleur, par le saisissement, dans la prison de Loches, au mois de thermidor de l'an III, en lisant la lettre d'adieux au début de laquelle son fils, quelques heures avant d'être à Quiberon, lui demandait de le bénir (1).
Alfred de Vigny tenait de la sœur de sa mère d'autres renseignements plus ou moins suspects. C'est d'après elle qu'il attribuait une origine quasi royale au premier des Baraudin, Emmanuel Baraudini, anobli par François Ier. Une « tradition de famille » faisait de ce capitaine d'aventuriers le fils d'un prince « souverain » de la maison de SavoieCarignan.
Par une méprise plus difficile à concevoir, Sophie de Baraudin brouillait tout, dates et faits, dans le récit ampoulé des services de son propre père. En recueillant pieusement jusqu'aux moindres propos de cette parente aux souvenirs déformés par qua(1) La lettre commence ainsi « Mon père, je vous demande votre bénédiction j'ai été blessé au siège d'Auray on nous fusille demain. p On lit encore « Nous sommes eatermés dans l'église d Auray où l'on nous a donné des papiers pour écrire à nos parents. »
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rante ans de solitude, le poète acquit la conviction que Didier de Baraudin, son grand-père, commandait une escadre à la bataille d'Ouessant les documents officiels démontrent qu'il n'y avaitpasassisté. Enfin Alfred de Vigny cite de Sophie de Baraudin une assertion plus étrange encore et qu'il ne discute même pas « Mon père, » lui avait-elle dit, « était déjà amiral lorsque je naquis au MaineGiraud et ta mère à Rochefort peu d'années après. » Aucune des filles de Didier de Baraudin n'est née au Maine-Giraud (1) quand Sophie, l'aînée des deux sœurs, naquit en 1755, Didier de Baraudin était encore enseigne de vaisseau il ne fut nommé « amiral », ou, exactement, chef d'escadre, qu'en prenant sa retraite au mois d'avril 1780, c'est-à-dire vingtcinq ans après la naissance de Sophie de Baraudin et vingt-trois après celle d'Amélie sa sœur, qui fut, comme l'on sait, la mère du poète.
Il y avait là comme une école dangereuse de l'orgueil, et cette culture de toutes les formes de l'amourpropre n'a pas été sans produire ses fâcheux effets elle a jeté sur le caractère séduisant, enthousiaste, d'Alfrèd de Vigny l'ombre d'un sentiment de supériorité native, qui, pour des yeux prévenus ou hostiles, a pu parfois défigurer et faire grimacer un peu ses admirables qualités d'honnête homme, d'homme d'honneur.
On avait écarté de l'enfant jusqu'aux moyens de refroidir cette exaltation de vanité soigneusement entretenue. Point de camarades de jeux l'isolement (1) C'est Sophie, l'aînée, qu; naquit à Rochefort et y fut baptisée Amélie, la cadette, naquit au Ché elle fut baptisée au lieu de sa naissance.
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solennel et quelque peu mystérieux de l'héritier d'un trône. Et, par contre, l'initiation imprudente à des entretiens de vieillards, anciens émigrés pour la plupart, admirateurs frivoles ou moroses du passé, contempteurs du présent, prophètes de malheur pour l'avenir la participation prématurée à tout un héritage appauvrissant de stériles regrets, d'ambitions sans but ou sans issue.
Alfred de Vigny n'a jamais vu que les côtés flatteurs, avantageux, de cette formation de l'esprit et du cœur par le contact respectueux et pénétré d'émotion de parents pétris de tendresse. Il n'a pas même soupçonné que la médaille eût un revers. Il met au nombre des privilèges les plus enviables de son origine d'avoir pu recueillir des lèvres des siens la tradition française par excellence, celle de la conversation
« Comme le diapason exprime l'octave, la plus parfaite consonance, nous dit-il, la conversation dans les familles donne à l'âme naissante la note juste et toute l'harmonie de la vie. Exercé à prêter l'oreille, l'enfant y peut distinguer tous les sons et tous les accords qui doivent mesurer, cadencer et guider ses pas et sa voix dans le cœur universel des hommes où il ira prendre rang. Le ton vrai de son langage sur toute chose lui est donné là, dans ces premiers concerts de la parole humaine qui résori-. nent près de son foyer, aux alentours de son berceau. » Le « grand plaisir » de ses jeunets années fut donc, avec la lecture pour laquelle il se passionna de bonne heure, « la conversation grave du soir ».
Ce qu'était cette conversation et quel aspect offraient les salons où elle pouvait se dérouler, Alfred de Vigny nous en donne l'idée dans une des-
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cription étudiée des réceptions ordinaires de la marquise de M* une ancienne maîtresse de Louis XV, devenue très dévote, fort estimée d'ailleurs de son mari le marquis ne savait pas mauvais gré à sa femme de cette heure d'illustration, dont elle-même, à soixante ans passés, en dépit de sa dévotion, tirait encore vanité, entre deux stations aux offices religieux de la paroisse de Saint-Thomas-d'Aquin. Aux environs de l'année 1810, elle tenait très bonne compagnie.
« Elle réunissait autour d'elle une quantité de vieux amis, débris plus ou moins mutilés de la société d'autrefois et de la cour de Louis XV mon vieux père en était et y dînait gaiement avec d'anciens chevaliers de Malte et de Saint-Louis, auxquels l'Empire interdisait leur vieille croix et leur grand ruban. Là, pas une tête qui ne fût poudrée, mais pas une figure qui n'eût l'air noble, ouvert, affable, exprimant une dignité indulgente, une chevaleresque franchise absente aujourd'hui de nos visages renfrognés ces anciens compagnons de l'Œil-de-Bœuf en parlaient comme s'ils en arrivaient c'étaient des noms et des mots que. l'on n'aurait entendus nulle part ailleurs dans tout Paris à cette époque. »
La parole historique fameuse « Rien oublié ni rien appris » reçoit ici son commentaire
« Ils reprenaient la conversation où ils l'avaient laissée il y a vingt-cinq ans on aurait cru que c'était celle de Ja veille c'étaient les anecdotes de la ruelle et du boudoir. le parlement Maupeou, les chasses de Fontainebleau, le coup du Roi par-dessus sa tête, le manège de Versailles avec la partance des écuyers cavalcadours, les voltes, demivoltes et la bonne selle française quelquefois on racontait les tours de jeunesse, la trouée des mousquetaires au parterre de la comédie. enfin les nouvelles à la main circulaient à cette bonne table où les cadets étaient sexagénaires. »
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Quelque jeune qu'il fût, l'enfant ne perdait pas un seul détail de la chronique du passé, une seule inflexion de voix de ces causeries plus agréables que « graves ». Spectateur religieux de cette comédie de paravent, surannée et attendrissante, qui se déployait devant lui, le cadre, les acteurs, tout se gravait profondément dans sa tenace mémoire « J'écoutais et voyais tout avec une grande attention et plaisir, remarquant que tout était vieux dans cette grande et vieille maison de Paris, les murs bien épais et noirs au dehors, boisés et dorés en dedans, de hauts lambris, des amours de Boucher sur les portes, des meubles de laque, d'ébène et de nacre dans le salon, portant des porcelaines d'un bleu foncé, venues de l'ancien Sèvres. des paravents chinois, et, pour tenir à la main, des petits écrans que je n'oublierai dé ma vie. »
Ces écrans inoubliables étaient en forme de violon et l'on y voyait, d'un côté, des « images coloriées qui représentaient les principales scènes de la Folle Journée » jouées par des acteurs « en costume du temps » et, de l'autre côté, « les couplets du Barbier de Séville avec la musique gravée au-dessous ». C'est derrière un de ces écrans que le jeune Alfred de Vigny se dissimulait volontiers pour dérober à tous l'extrême vivacité de ses impressions, trahies, à chaque instant, par la rougeur de son visage. V
Alfred de Vigny nous dit « J'étais admis à côté des hommes faits » et « assis parmi des vieillards illustres ».
Il n'a nommé, dans les fragments inédits de Mé-
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moires, aucun de ces vieillards, aucun de ces hommes faits. Mais il n'y a pas grande témérité à croire qu'au nombre des vieillards figurait le chevalier de Malte, M. de Saint-Chamans, dont il a parlé quelque part comme de l'homme à qui il ouvrit tout son cœur dans le moment le plus douloureux de sa vie (1). Et ce n'est pas une supposition gratuite que de vouloir retrouver, parmi les hommes faits, cet Auguste de Frénilly, dont il y a eu de bonnes raisons d'introduire le nom à l'occasion du séjour des Vigny à Loches. Les relations amicales de 1797 et 1798 s'étaient trouvées interrompues, surtout par le séjour que, durant un laps de six ans consécutifs à son mariage, M. de Frénilly fit dans la terre de Bourneville. Mais ces relations durent reprendre lorsque les Frénilly vinrent s'établir à Paris le 10 janvier 1807. A défaut d'autres témoignages plus formellement explicites sur-ce rapprochement, il doit être permis d'en trouver une preuve dans la lettre suivante écrite par M. de Frénilly, député de la Seine-Inférieure, et adressée à « Monsieur le Chevalier de Vigny, au 55e régiment, armée d'Es(2). Cette lettre inédite, qui porte le timbre (1) On lit, en effet, dans le Journal d'un « M. de SaintChamans, chevalier de Malte. vieil ami de ma famille et de ma mère, est venu me voir et j'ai longtemps parlé avec lui, tout le soir. » Suit une page émouvante sur la longue maladie de M"le de Vigny mère et sur les efforts que le fils avait eu à soutenir pour satisiaire aux conditions exigées, selon lui, par l'intérêt de la malade, pendant ces quatre années de déchéance et de douleur terminées par la mort.
(2) A la suscription ont été ajoutés ces mots 55e régiment de ligne, parti pour l' Espagne à la suite dudit. » Il n'est pas inutile de remarquer, en passant, le titre de chevalier donné à Alfred de Vigny par un homme très renseigné sur le degré de noblesse de tous les gens qu'il a connus.
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postal du 13 juin 1823, et qui est datée du 3 avril, est une réponse à l'envoi du Ti·appiste, petit poème publié en 1822 et réédité en 1823 au bénéfice des trappistes d'Espagne (1). On ne peut pas la lire sans s'assurer que les rapports d'amitié, inaugurés jadis entre M. de Fréuilly et les Vigny, avaient pu s'espacer, mais n'avaient cessé nullement elle ne laisse aucun doute sur l intérêt affectueux que le député ultra portait depuis longtemps à l'unique fils des Vigny, à cet de talent ardemment royaliste « J'ai relu avec un nouveau plaisir, Monsieur, le charmant ouvrage que vous m'avez envoyé. Quoique je fusse sur mes gardes, comme on doit y être en jugeant ceux qu'on aime, je n'ai pu me détendre d'y goûter une franchise et une force de sentiment et de style qui est aujourd'hui le sceau de la jeunesse, j'entends de celle qui vous ressemble et qui est la seule consolation du présent et le seul espoir de l'avenir. Il y a dans votre ouvrage, Monsieur, quelque peu de ce luxe qu'ont les arbres jeunes et vigoureux et qu'on élague avec discrétion pour qu'ils produisent de bons fruits, mais je préfère, à tout, le mérite auquel il n'y a qu'à ôter on perd bien aisément le superflu quand on a déjà plus que le nécessaire, et on trouve à chaque pas dans votre petit ouvrage le cachet d'un beau et nerveux talent fondé sur des principes qui doivent le rendre aussi fort et aussi utile qu'eux-mêmes. J'ignore où ce, petit mot vous atteindra et si vous n'êtes pas maintenant sur la route d'Espagne. Ma lettre ne vous rejoindra peut-être qu'auprès du Trappiste que vous avez si bien chanté, et occupéà célébrer un triomphe après avoirraconté des revers. Quelque part qu'elle vous rencontre, qu'elle vous rappelle, je vous prie, mon attachement tendre et héréditaire.
« A. DE FRENILLY. »
(1) L'édition princeps du Trappiste est de juillet 1822.
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M. de Frénilly avait qualité pour louer les vers du jeune auteur. Il avait lui-même publié, en 1807, des Poésies écrites pendant les années de réclusion volontaire dans la propriété de Bourneville. Ces pièces, didactiques ou satiriques, traversées par des impressions de nature simples et directes, les impressions d'un farmer, méritaient mieux qu'un succès de salon. Elles sont d'un adroit et ferme versificateur quï reste, de parti pris, dans la tradition de Boileau, mais qui se souvient et qui. nous fait parfois souvenir de Thompson (1).
Si le poète qu'était M. de Frénilly passa inaperçu, il n'en fut pas ainsi de l'homme politique. Plusieurs de ses brochures, vrais pamphlets, firent du bruit à leur apparition. Certainement Alfred de Vigny lisait en 1818, 1819 et 1820, c'est-à-dire lorsqu'il était un tout jeune officier de la garde royale, les articles d'Auguste de Frénilly dans le Conservateur. a dû étudier de près et savoir par cœur, ou peu s'en faut, celui qui a pour titre De quelle manière un État peut périr car, à soixante-cinq ans, en 1862, complétant la pièce intitulée Les Oracles, destinée d'un Roi, il retrouvait dans ses souvenirs et il rééditait cette brillante image « Et quand le vice aura atteint sa perfection, l'Etat aura atteint son terme. Il sera debout, mais dissous et semblable à ces débris intacts qu'on trouve dans les cercueils d'Herculanum au moment où on les touche, ils s'évanouissent et ne laissent que leur cendre. » Cette période oratoire de avait ébatiché et détruit une épopée sur Jeanne d'Arc. il travailla longtemps à une traduction en vers de l' Orlando fttrioso de l'Arioste, que Hourquelot terminée eu 1829 et qui n'aurait pas fourni moins de « quatre volumes in-8° ».
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Frénilly, remontée tout à coup des profondeurs du « réservoir de la mémoire » à la surface, est devenue, chez Alfred de Vigny, une strophe de large allure Vous avez conservé vos vanités, vos haines
Au fond du grand abîme où vous êtes couchés,
Comme les corps trouvés sous les cendres romaines
Debout, sous les caveaux de Pompéia cachés,
L'oeil fixe, lèvre ouverte et la main étendue,
Cherchant encore dans l'air leur parole perdue
Et s'évanouissant sitôt qu'ils sont touchés.
En politique, Auguste de, Frénilly peut être considéré comme le représentatif des royalistes intransigeants et immuables. C'est pour avoir gardé l'empreinte marquée sur son esprit par quelques hommes comme celui-là qu'Alfred de Vigny, débarrassé pourtant de sa religion superstitieuse d'enfant vis-à-vis de ce qu'il appelle « une race ingrate et dégénérée », fera encore à la branche royale aînée le sacrifice « de dix-huit ans de retraite et de refus aux avances des Bourbons cadets ». exprimera la raison de son attitude dans une de ces formules aux arêtes tranchantes comme les aimait Frénilly « J'ai été fidèle au Roi Bourbon, comme une honnête femme l'est à son mari, sans amour. »
VI
Dans cette société choisie qu'il admirait et qu'il aimait, le jeune Alfred de Vigny mettait au-dessus de tout, la nature noble de son père et de sa mère, l'élévation de « leurs sentiments d'honneur » et la
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« paisible exaltation » de leur langage. Leurs « indignations imposantes » faisaient battre son jeune cœur.
Mais ce père si fin, si tendre, si enjoué, si digne de respect, Alfred de Vigny ne devait pas le garder bien longtemps. Lorsqu'il eut la douleur de le perdre, il était encore un tout jeune homme, un officier imberbe, non « de dix-sept ans », selon l'expression du d'un Poète, mais de dix-neuf ans au moins, et, d'autre part, ce n'est pas à « soixante-quatorze ans », c'est à soixante-dix-neuf, peut-être à quatrevingts, que mourut Léon de Vigny, l'ex-chevalier d'Emerville (1).
« Il y a 20 ans », écrit A. de Vigny, à la fin du mois de décembre 1837, au lendemain de la mort de sa (1) Cette mort dut survenir au cours de l'année 1816 ou au commencement de 1817. Aucun document ne s'est encore offert à moi pour en déterminer la date exacte. Celle de 1814, que donne sans hésitation l'un des derniers biographes, doit être tenue pour. fausse, puisqu'un document indiscutable, une pétition de Mme de Vigny mère, versée au dossier militaire d'Alfred de Vigny, permet d'affirmer, qu'au mois de mars 1816, l'ancien officier de la guerre de Sept Ans vivait encore. On a, plus d'uue fois, cité une ligne unique de cedocument Il Nous avons élevé cet enfant pour le Roi. » Ayant imprimé déjà dans son entier cette lettre adressée au duc de Feltre, ministre de la guerre. je ne la reproduirai pas et je ne donnerai ici que l'extrait nécessaire. Mme de Vigny prie le ministre de transformer l'admission de son fils comme lieutenant à la légion de Seine-et-Oise en une sous-lieutenance dans le 5e régiment de la Garde royale après d'autres raisons, elle insiste sur celle-ci « Son père, ancien chevalierde Saint-Louis, très âgé et accab'lé d'infirmités, de ses honorables campagnes, espère que Votre Excellence voudra bien, en lui envoyant cette nomination tant désirée, lui donner la consolation d'être témoin des premiers pas dc· son fils dans la carrière qu'il a parcourue si longtemps. » La lettre, signée « De Baraudin. comtesse Léon de Vigny », est datée du 1er mars 1816. Donc la date approximative qu'il convient d'admettre provisoirement pour la mort du père d'Alfred de Vigny est, au plus tôt, le milieu ou la fin de l'année 1816. Celte rectification s'accorde avec l'indication un peu sommaire fournie par Alfred de Vigny dans le Journal d'un poète.
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mère, « mon père mourut aussi j'étais près de son lit » et, après avoir rappelé les dernières paroles du moribond, puis retracé, d'un trait singulièrement expressif, cette agonie dont « l'horrible douleur » redressa tout à coup le corps de l'ancien officier, plié en deux depuis un si long temps. il ajoute « J'étais trop jeune pour supporter cette vue je m'évanouis. » Il approchait de la vingtième année. On l'a dit de bien des hommes illustres, et il faut le redire au sujet du poète Alfred de Vigny c'est surtout de sa mère qu'il est le fils. C'est par elle et pour elle qu'il a vécu, qu'il a grandi de toutes les façons, qu'il a voulu se distinguer, qu'il s'est placé au premier rang. Non seulement au cours d'une enfance fort délicate et d'une adolescence encore un peu troublée, mais aussi dans la période ascendante de la jeunesse et jusqu'au seuil de l'âge mûr, pendant les années les plus ardentes, les plus douloureusement agitées, sous des dehors heureux, les plus fécondes, à coup sur, sinon les plus originales, de sa carrière d'écrivain, il lui resta soumis plus qu'aucun fils ne l'a jamais été elle fut sa raison, sa volonté et sa lumière.
Faut-il rappeler la grave émotion de leur séparation, le 6 juillet 1814? Ils se quittaient pour la première fois. Admis aux compagnies rouges en qualité de gendarme du Roi, l'officier presque enfant reçut de Mme de Vigny une Imitation de Jésus-Christ où elle avait inscrit ces mots « A Alfred, son unique amie. » Elle joignit un peu plus tard à ce présent un petit cahier d'instructions qu'elle avait commencé à rédiger le 23 février 1815, au moment où Alfred de Vigny s'en allait pour la seconde fois en garnison
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à Versailles. Ce bréviaire moral n'a plus besoin d'être analysé, puisqu'il a été publié intégralement. Ln mère y adjurait son fils, s'il ne voulait pas devenir le jouet des passions, de s'appuyer toute sa vie sur deux principes religieux la croyance à l'existence de Dieu et la croyance à l'immortalité de l'âme. Elle souhaitait ardemment qu'il ne perdît jamais la foi et qu'il ne cessât pas d'être un catholique fervent, mais du moins il pouvait, il devait rester attaché à la morale chrétienne. Elle lui rappelait la belle règle de conduite « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît ? Elle ajoutait à ces réflexions d'un ordre élevé un bon nombre de conseils pratiques et toute une énumération sans pruderie d'informations, d'interdictions sur les désordres où tombent d'ordinaire les jeunes gens.
On n'est pas étonné qu'en présence de cette mère à l'esprit net, vigoureux, décisif, et au caractère absolu, l'homme ait gardé l'admiration dévote et la docilité muette de l'enfant. Obéissantjusqu'à l'humilité, et cela dans le moment même où les éloges sans mesure de son ami Victor Hugo pouvaient le plus développeren lui l'amour-propre d'auteur, il n'hésitait pas, ,sur quelques critiques d'elle, à faire le sacrifice d'une production poétique bien accueillie par le public, mais qu'elle avait jugée défectueuse. Lorsqu'il s'éprit, vers 1823, de la belle Delphine Gay et qu'il songea, dans le premier moment d'exaltation, à l'épouser, il n'osa pas même insister devant le veto très formel de Mme de Vigny. Il se rappelait la dernière recommandation de son père mourant « Rends ta mère heureuse, » et, donnant à ce vœu suprême unefausse interprétation, il se crut tenu d'abdiquer sa volonté
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propre devant celle de l'être sacré qui, selon l'expression biblique, l'avait enfanté dans la douleur.
Cette abdication ne fit le,bonheur ni de l'un ni de l'autre. Quelle union mélancolique que celle de ce poète aux sens subtils et à l'âme brûlante, accouplé pour toute la vie avec une étrangère réputée riche, mais sans beauté, sans grâce, sans esprit, qui ne lui donna point d'enfants, qui devint, de bonne heure, valétudinaire (1), qui le resta à peu près constamment pendant trente-cinq années, et qui ne fit jamais à l'écrivain, dont elle avait voulu porter le nom, la faveur d'apprendre, si peu que ce soit, la langue de ses ouvrages Le charme romanesque absent de son morne foyer, Alfred de Vigny eut la faiblesse de le chercher ailleurs, et ce ne fut pour lui qui ne l'a su ? qui ne l'a répété ? qu'un accroissement de misères. Le vêtement d'orgueil dont il s'était enveloppé cachait à tout le monde l'amertume de sa déception. Mais un regard perçant et anxieux, un regard cruellement attristé, déchirait comme un trait de feu les voiles de son âme. « Le cœur maternel ne se trompe jamais le fruit de ses entrailles, l'enfant, ne peut rien cacher à celle qui l'a produit. »
A l'approche du printemps de 1832, Alfred de Vigny avait alors trente-six ans et sa mère soixante seize, Mme Léon de Vigny fut frappée de paralysie.
Cette raison si ferme, si lucide, demeura vacillante et par moments comme éclipsée. D'admirables vers, (1) C'est par là toute fois que Mme de Vigny reprit peu à peu la tendresse » de son mari, tendresse issue de la pitié sa secrète vocation de « chevalier hospitalier trouva ainsi l'occasion de se faire jour et de l'amour pour les blessés et les malades ».
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retrouvés il y a bientôt un demi-siècle dans les papiers d'Alfred de Vigny et publiés à la suite du d'un poète, nous peignent cet état avec une émotion poignante,:
Ah depuis que la mort effleura ses beaux yeux,
Son âme incessamment va de la terre aux cieux.
Elle vient quelquefois, surveillant sa parole,
Se poser sur sa lèvre, et tout d'un coup s'envole
Et moi, sur mes genoux, suppliant, abattu,
Je lui crie en pleurant Belle âme, où donc es-tu ? Si tu n'es pas ici, pourquoi me parle-t elle
Avec l'amour profond de sa voix maternelle
Pourquoi dit-elle encor ce qu'elle me disait,
Quand, toujours allumé, son cœur me conduisait,
Ineffable lueur qui marche, veille et brûle
Comme le feu sacré sur la tête d'Iule
C'est en septembre 1833, six mois après la deuxième attaque d'apoplexie, que fut écrite cette Prière pour ma mère. si pleine de pure tendresse et de douloureuse pitié.
Pendant les quatre années que l'intelligence de Mme de Vigny mit à s'éteindre, l'affection maternelle semblait s'être épurée et elle s'était dépouillée -de toute forme de rigueur « Depuis quatre ans, j'avais reçu ses continuelles tendresses et ses adieux intérieurement destinés à moi, mais qu'elle n'osait exprimer pour ne pas trop s'attendrir. »
Quant à la piété filiale, elle s'était accrue, chez Alfred de Vigny, de tout ce que la maladie de sa mère lui avait imposé de charges assumées résolument, d'inquiétudes déchirantes mais délicatement dissimulées, de labeur acharné, de muets sacrifices. Lorsque ce fardeau de devoirs lui manqua et qu'il se vit dépossédé, du même coup, de tout son trésor
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de tendresses, il demeura désemparé et désœuvré comme une embarcation que l'orage n'a pas brisée, mais qui dérive au gré du flot ou à la merci des courants, démâtée et sans gouvernail.
Le vide qui s'était fait dans l'âme du poète ne pouvait pas être comblé par quelque autre de ses sentiments, aussi puissants que l'amour filial, qui donnent leurvrai sens et à la mort et à la vie. Alfred de Vigny n'avait pas de fille ni de fils. Quant à la femme inoffensive et douce, mais déjà épaisse de corps et, il faut bien le dire, assez indigente d'esprit qui restait seule à s'appeler Mme de Vigny, il n'avait guère à lui manifester, en retour d'une affection timide, obstinée, enveloppée de gaucherie, qu'une courtoisie impeccable et qu'une bienveillante, mais, malgré tout, un peu lointaine compassion.
A cette idée qu'il n'entendrait plus la « voix » maternelle et que jamais les « yeux tristes et doux » de cette « unique amie » ne se rouvriraient pour se poser sur « sa race adorée », il se sentait plus orphelin qu'un autre, en vérité. Jusqu'aux heures de la vieillesse, silencieusement, dans le plus profond de son il .nourrit la blessure et il garda le deuil de cette perte irréparable.
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CHAPITRE II
LES AMIS DE COLLÈGE. XAVIER DE RAVIGNAN. LE COMTE ALFRED D'ORSAY. ALFRED DE VIGNY ET L ANGLETERRE.
L'attitude si digne et les discours si pénétrants de son père et de sa mère ou des amis qu'il entendait chez eux avaient donné au jeune Alfred de Vigny une telle idée de ce qu'aurait pu, de ce qu'aurait dû être le monde, qu'en le voyant de près il fut saisi « d'un incroyable étonnement ».
Son premier désenchantement, et sans doute le plus amer, lui fut causé par. le collège. Jusqu'à la fin de sa vie, il garda le dégoût du pain noir et de l'eau souillée « servis à travers les grilles », dans la sombre cour de la fameuse pension Hix, par un portier « triste et méchant ».
Mais il souffrit surtout de trouver là des écoliers haineux, envieux, iniques, tyranniques, cruels, comme plus tard lui parurent les hommes. Je lis dans une feuille de notes, qui a dû lui servir de canevas ou de première indication pour certains développements bien connus du Journal d'un poète, « Es-tu noble ? disaient les enfants. Oui, je le suis, et ils me fuyaient. » Et encore: « Combats perpétuels contre les élèves, moins forts que moi par l'esprit, plus forts par le corps, étant plus âgés. Contrainte. Pourquoi j'étais forcé de cacher ce que je savais et de
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descendre dans l'opinion de mes maîtres pour vivre en ami avec les élèves. ?
On s'explique comment, chaque soir, lorsque les heures d'étude touchaient à leur fin, il ne pouvait dissimuler son impatience de fuir « cetabrégédumonde » qu'il tenait en profond mépris. Les termes ordinaires ne lui suffisent pas pour traduire le, sentiment de joie qu'en rentrant chez son père il éprouvait à retrouver « la paix, l'attention, l'intelligence ». Il se compare à un jeune ouvrier parti avant l'aube pour faire sa rude tâche, mais qui, la journée accomplie, « quitte son rabot ou sa faucille et revient s'asseoir au foyer » Prétendre remplacer le foyer par le collège lui sembla, jusqu'à son dernier jour, un abus monstrueux.
« Puisqu'il faut qu'un homme s'exerce à lutter contre tous, dans la cohue de la vie publique, il peut arriver que pour quelques uns par hasard l'éducation du collège se soit trouvée bonne, mais, en somme, je la maintiens mauvaise et source de vices et de dépravations incalculables que l'on pourrait suivre dans la vie de chaque homme, si lui-même, au lieu de passer l'éponge sur ses années, y revenait souvent par la mémoire et le repentir et suivait ses fautes jusqu'à leur racine. »
Dans cette bande d'écoliers qui le rudoyaient et ne se rapprochaient de lui que pour lui marquer leur hostilité instinctive, Alfred de Vigny finit pourtant par démêler quelques jeunes garçons de son monde, de son éducation et de son goût. Il a rassemblé, dans une note malheureusement trop sommaire, cinq noms, sur lesquels le temps ne lui a pas permis de s'expliquer « Alfred d'Orsay. Hérold, Ravignan, les deux Mouraview, le prince d'Aremberg.. » Il est possible
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de faire quelque lumière sur les rapports qu'Alfred de Vigny, dans la maturité de l'âge, a eus avec deux de ses camarades préférés, Ravignan et d'Orsay. 1
Les relations d'Alfred de Vigny et de Xavier de Ravignan ne paraissent pas s'être continuées tout d'abord les événements auraient pu cependant rapprocher les deux jeunes gens dès la sortie du collège. Ils se trouvèrent l'un et l'autre, au début des Cern Jours, parmi les défenseurs de Louis XVIII, Alfred de Vigny comme gendarme de la Maison du Roi, Xavier de Ravignan comme engagé dans le corps des volontaires royaux. Après la seconde Restauration, pendant qu'Alfred de Vigny restait au régiment, Xavier de Ravignan retourna au cours de l'Ecole de Droit, débuta brillamment en 1817 dans la magistrature de Paris et démissionna en 1822 pour entrer à Saint-Sulpice d'abord, puis aux Jésuites. Il prêchait avec un grand éclat depuis 1835, c'est-à-dire depuis dix-huit années, lorsqu'en 1853 Alfred de Vigny fut amené à lui écrire. L'occasion de la lettre était une recommandation pour une artiste, Mme Fauchery, qui se rendait en Italie ou qui y séjournait. Le Père de Ravignan répondit de Rome, à la date du 12 août « Mon bien cher comte,
« J'éprouve le besoin de vous remercier immédiatement dès expressions bienveillantes de votre amitié. Non, les souvenirs d'enfance.et de collège ne peuvent s'effacer, quelque différentes que soient les positions et les carrières. Souvent votre nom, vos œuvres, m'ont reporté à des temps déjà bien éloignés de nous, mais qui conservons une place
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dans mon âme. Je vous rangeais parmi ceux auxquels mon intérêt religieux s'est attaché fidèlement, et j'appelais de tous mes vœux une occasion favorable de vous retrouver. Ne me faites-vous pas espérer que nous pourrons nous revoir cet hiver à Paris ? Vous êtes bien sûr que vous me rendrez heureux en visitant ma cellule Je demande à Dieu que ces rapports repris entre nous continuent je vous parlerais de ce qui remplit ma vie et la rend constamment heureuse, avec le désir le plus vrai de vous témoigner ma vieille et fidèle amitié.
« X. DE RAVIGNAN, S. J. »
Cette rencontre, que le Père de Ravignan semblait désirer vivement, Alfred de Vigny prit l'initiative de la préparer. Une seconde lettre, signée du jésuite et datée du 11 mai 1854, en témoigne
« Mon bien cher comte et ami,
« Je nourrissais depuis mon retour de Rome l'espérance de vous revoir à Paris votre lettre m'apporte une douce consolation. Venez donc, je vous prie ma cellule sera heureuse de vous recevoir. Nous parlerons de Dieu et du besoin le plus intime de nos âmes, car que nous dirait le monde ?
« Ces jours-ci, je serai trop entouré et trop occupé par les personnes et les œuvres qui se rattachent à mon ministère. Lundi prochain, 15, je resterai seul à vous attendre (rue de Sèvres, 35) de 7 à 11 heures du matin. Je n'y serai que pour vous.
« Croyez à mes sentiments les plus dévoués.
« X. DE RAVIGNTN, S. J. »
Cette lettre reçue, Alfred de Vigny dut envoyer un mot d'excuse car, à la date du 15 mai, Xavier de Ravignan lui écrivait ce court billet, qui fut sans doute le dernier
« Combien je regrette que des causes aussi douloureuses
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me priventde la consolation devous revoir 1 J'espère qu'un autre jour je serai plus heureux. Vendredi prochain, à 5 heures, je vous espérerai.
« Adieu donc, bien cher comte et ancien ami.
« Tout à vous de cœur,
« A. DE RAVIGNAIV. »
La conversation par lettres s'arrêtant là, on pourrait.presque douter qu'Alfred de Vigny se soit décidé à franchir le seuil de « la cellule ».
Si les deux amis s'abordèrent, ce fut certainement dans des dispositions d'esprit bien Peutêtre Alfred de Vigny, qui prenait fort à cœur les choses de l'Académie Française, et qui, plus tard, favorisera l'élection du Père Lacordaire, en attendant de patronner le Père Gratry, avait-il songé à préparer, dès ce moment, l'apparition, à l'Institut, d'une robe de religieux ? Dans tous les cas, le Père de Ravignan était bien éloigné de pareilles préoccupations. S'il se réjouissait à la pensée de voir venir à lui le compagnon des heures de la jeunesse, c'est qu'il espérait exercer sur lui son action de prêtre missionnaire-: il ambitionnait certaines expressions de ses lettres ne le disent-elles pas ? de rallumer dans l'âme de l'auteur du Mont des Oliviers la tlamme de la foi assoupie ou éteinte.
Mais Alfred de Vigny n'était pas de ceux qui dussent se prêter facilement à une pareille entreprise. Rappelons-nous ce qu'il écrira, un an à peine avant sa mort, à une dame amie, ardente catholique et désireuse, elle aussi, de sa conversion
« Prenez garde de me forcer à laisser tomber sur vos litanies quelque grand coup de raison pareil aux coups
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d'épée de Roland qui fendaient un homme et son cheval de la tête aux pieds. J'évite avec vous ces petits duels de controverse, de peur de vous faire du mal sans le vouloir et malgré moi, emporté par les mouvements d'une farouche sincérité que ni l'éducation sévère que vous savez, ni l'armée, ni le monde, n'ont pu arrêter lorsqu'elle veut éclater (1). »
Quoi qu'il en soit, Alfred de Vigny, rassemblant pour les classer ces trois lettres de Xavier de Ravignan, a écrit, en tête de la première, une ligne de commentaire qui mérite d'être, citée car, à supposer que l'entretien, deux fois ajourné, ait eu lieu, cette glose expressive en traduirait sans doute l'impression « Quelle belle vie que celle d'un homme qui ne veut rien posséder sur la terre et qui n'attend rien du monde »
II
Si ce retour d'amitié entre Alfred de Vigny et Xavier de Ravignan resta sans résultats, il n'en fut pas ainsi des rapports prolongés qu'Alfred de Vigny, à partir de l'année 1838, eut avec le comte d'Orsay, un autre de ses camarades d'élection. Il le retrouva dans un voyage à Londres. Leur amitié mérite d'être étudiée. Elle est comme le centre et elle forme en quelque sorte le faisceau des relations qui s'établirent, au cours de l'hiver de 1838-1839, entre Alfred de Vigny et 1'Angleterre elle-même.
(1) Histoire d'une âme, par Georges Lachaud> Lettre reproduite dans la Correspondance (Sakellaridès), p. 364.
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Avant d'arriver à d'Orsay et de parler de lui peutêtre trop longuement, je crois devoir ici. pour la clarté de cette exposition, discuter certains faits et retenir un moment le lecteur devant d autres personnes.
Assurément, pour entrer en communication avec la race et la pensée anglaises, Alfred de Vigny n'avait pas attendu de se trouver en présence d'Alfred d'Orsay. Est-il nécessaire de rappeler qu'en février 1825 il avait épousé une jeune fille de sang anglais. dont les parents avaient longtemps vécu aux colonies ? Miss Lydia Bunbury était, comme l'on sait, la fille aînée de M. Hughes-Mill Bunbury et dé Mistress Bùnbury, née Lydia Cox. Un oncle de la mariée, le colonel Hamilton Bunbury, tenait son rang parmi les étrangers de distinction qui séjournaient à Rome en 1827 (1). Il serait surprenant que ce mariage n'ait pas eu pour conséquence naturelle la présentation d'Alfred de Vigny aux alliés ou aux amis de la famille dans laquelle il était entré.
Mais à quel moment de sa vie Alfred de Vigny passa-t-il le détroit ? Si l'on excepte un séjour d'une demi-année, compris entre la fin de l'automne de 1838 et le second moins du printemps de 1839, nous n'avons sur les voyages à Londres, réels ou prétendus, que des traditions vagues et discutables. Et, tout d'abord, les biographes qui, pour nous assurer (1) Dans une lettre inédite d'Agoni Deschamps à Alfred de Vigny, dotée du 3 mars 1827, écrite de Rome. Antoni Deschamps remercie son ami de lui avoir ménagé un si aimable accueil chez les Bunburv « J'ai. dit-il, l'honneur de leur rendre visite souvent au palais Sciarru. »
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qu'il se rendit en Angleterre en 1826, s'appuient sur le passage du Journal d'un poète où est racontée l'entrevue avec Walter Scott, commettent une erreur de lecture et de raisonnement aisée à découvrir et à détruire. Cette entrevue ayant eu lieu « à l'Hôtel Windsor », ils supposent gratuitement qu'il s'agit. de l'hôtel londonien, situé encore aujourd'hui près du palais de Westminster. Il suffisait pourtant de se reporter aux Mémoires de Walter Scott publiés par Lockart pour y apprendre qu'à la date du 6 novembre 1826, donnée par Alfred de Vigny comme celle de sa visite au célèbre Ecossais, celui-ci était à Paris, logé à l'hôtel Windsor, en effet, mais « rue de Rivoli », depuis le 29 octobre. Il en repartait le lendemain même de cette visite, déjeunait à Beauvais le 7 novembre et à Abbeville le 8, débarquait le 9 à Douvres, et se retrouvait le 10 à Londres, non pas dans un hôtel de voyageurs, mais à Pall Mali, n° 23, dans la maison de son gendre. On le voit tant qu'il n'y aura pas une raison meilleure pour atlirmer la présence d'Alfred de Vigny en Angleterre au cours de l'année 1826, il faut renoncer à faire état de ce voyage-là.
Un autre voyage, dont je souhaiterais qu'on apportât une preuve très décisive, se placerait en 1836. Le recueil Sakellaridès a publié, je dois le reconnaître, un certain billet d'Alfred de Vigny à SainteBeuve qui, s'il est authentique, donnerait le moment précis du départ d'Alfred de Vigny. Le poète écrit à Sainte-Beuve le mercredi 6 juillet, et l'invite à venir déjeuner avec lui le lendemain jeudi, parce qu'il doit s'embarquer le samedi suivant. Et l'on peut rapprocher de cette courte lettre une indi-
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cation tirée de la correspondance de Sainte-Beuve avec Victor Pavie le critique écrit en septembre 1836 à son ami l'imprimeur angevin « De Vigny doit être en Angleterre. » Mais il est permis de remarquer le silence d'Alfred de Vigny sur ce voyage, et d'affirmer au moins que. s'il s'est accompli, il a eu bien peu d'importance. Ni dans ce qu'on connaît de la correspondance, en dehors du billet cité, ni dans le Journal poète, où il note des événements bien plus insignifiants, Vigny n'en a soufflé mot. Au contraire, sur son voyage bien réel et sur son séjour prolongé de 1838-1839, la correspondance publiée ou inédite d'une part (lettres à Busoni. à Camilla Maunoir, au comte d'Orsay, à Lady Blessington, à Macready, etc.) et le Journal d'un poète, d'autre part, nous renseignent abondamment. Dans le Journal d'un poète, jusqu'en 1838, pas uneligne sur l'Angleterre et, à partir de 1839, l'Angleterre a toutes les pages (136, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 152, 178, 181, 269) et à propos de tout, témoin ces titres de développements La Sophia, Jane, à Nammwich L'homme d'État; Byron Le dnoit d'aînesse Angleterre 31 juillet, minuit Des assemblées; Lettre de Lord Byron Temple-Bar.
Sur ce voyage et ce séjour, étudiés dans la correspondance inédite ou dans des ouvrages peu connus du public français (1), je voudrais apporter ici des (1) L'expression n'a rien d'excessif. Les Mémoires de Macready, le grand tragédien applaudi à Paris à deux époques de sa vie, en 1828 et 1844, ne se trouvent ni à la Bibliothèque Nationale, ni d celle du Théâtre-Français, ni à celle de l'Université de Paris. Ceux qui ont à les lire n'ont d'autre ressource que de faire rechercher chez les bouquinistes de Londres ces deux volumes devenus rares ou de se rendre à la Library du British Museum.
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explications d'autant plus détaillées qu'elles montrent Alfred de Vigny sous un aspect assez nouveau et que, pour la plupart, elles n'ont pas été produites. C'est la mort de son beau-père et ce sont les difficultés survenues aussitôt, au sujet de la part d'héritage à laquelle pouvait prétendre Lydia Bunbury, qui décidèrent le comte de Vigny à quitter le MaineGiraud et à se rendre à Londres. Un débat de succession, qui aboutit, après une procédure de plusieurs années, à un arrangement dont les Vigny, de guerre lasse, se déclarèrent satisfaits, retint le poète de l'autre côté du détroit, depuis la fin de novembre 1838 jusqu'à la fin d'avril 1839.
En arrivant en Angleterre, Alfred de Vigny allait y trouver des parents par alliance, les uns prêts à lutter avec acharnement contre ses revendications, les autres bien disposés en sa faveur et déjà pleins d'admiration pour ses écrits. Parmi les parents qui lui firent accueil, il fréquenta surtout des Campbell et des Maunoir, et il se prit d'une amitié vive pour Camilla Maunoir, une jeune cousine (1).
Elle avait vingt-huit ans lorsqu'Alfred de Vigny, qui en comptait bien quarante et un, mais qui, selon le mot familier, ne les paraissait pas, la vit pour la première fois à Londres. C'était une personne de figure douce et gracieuse, fort instruite, sachant le français aussi bien que l'anglais, et capable d'écrire avec habileté dans les deux langues. Elle s'était appliquée à traduire en anglais le petit poème de Moïse. Le 6 décembre 1838, l'auteur envoyait à sa traduc(1) Les lettres d'A. de Vigny Mlle Maunoir ont été publiées pnr M. Philippe Godet dans la Reflue de Paris en 1897 (15 août °t 1er septembre).
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trice une lettre de remerciements, et, trois semaines après, il lui fournissait par écrit des explications qu'elle avait demandées sur le sens caché de Moïse et aussi de l'Elévation intitulée Paris. Le 23 avril 1839, à la veille de quitter Londres, il lui adressait ce mot d'adieu
« Je viens de passer six semaines dans le nord, et, dès mon retour, je reçois de France quelques lettres qui me rappellent. Tant de choses m'ont enlevé à moi-même, de tous côtés, à ce voyage que je n'ai pu vous voir comme je l'avais espéré, et, quand j'ai eu ce bonheur-là, je n'ai pu vous parler-en paix et en toute liberté de ces belles choses de la pensée que nous aimons tous deux. J'espère, à mou retour, qui ne sera pas éloigné, que de plus heureux loisirs me seront permis. »
Et, le 20 novembre 1839, rentré à Paris depuis près de cinq mois, il cède à la tentation de prendre un ton sentimental, en écrivant à celle qu'il nomme d'ailleurs « sa chère puritaine »
Aujourd'hui, ce soir, après minuit, je pense à vous, malgré moi, au milieu des livres que je croyais écrire-, eL je sens que si j'étais à Londres je partirais de Portman Square pour cette maison charmante et isolée où je vous aime, où vous m'avez parlé français et qui fut (trop rarement) une oasis pour moi. »
C'est sur ce ton gravement ému et avec des expressions à la fois réservées et tendres que les lettres d'Alfred de Vigny à Camilla Maunoir se poursJivent pendant douze années. Jusqu'au 9 février 1852 le poète reste en communion de pensées ·élevées et de nobles préoccupations avec cette personne de mérite rare. Elle le tient au courant des choses d'Angleterre elle lui fait connaître des écrivains
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nouveaux et de haute valeur elle lui fait lire Carlyle elle lui envoie des extraits de journaux anglais sur des traductions ou sur des analyses de ses écrits, sur une adaptation, ou pour parler exactement, sur un singulier plagiat (1) de Servitude et Grandeur militaires de son côté, il l'entretient de ses productions les plus récentes et les plus chères, les poèmes philosophiques, la Sauvage, la Mort du Loup, la Maison du berger, de ses velléités d'intervention dans la vie politique, de son retour à la retraite et à la pensée pure, de ses projets toujours déconcertés de voyage en Suisse et de séjour à Genève, de ses rêveries et de ses veillées nocturnes au Maine-Giraud, de ses ouvrages suspendus par la révolution de Février, de l'anévrisme de Lydia, des tristesses tenues cachées et des devoirs de vigilante abnégation devenus le lot de sa vie. On se laisserait aller facilement à suivre les aspects divers et assez singuliers de cette liaison tout intellectuelle qui semble s'éclairer, à certaines heures, comme d'un rayon de caprice amoureux; mais ce serait empiéter sur un sujet que je dois aborder plus tard, le sentiment passionnel chez Alfred de Vigny, et ce serait perdre de vue l'objet de ce chapitre.
En dehors des parents, deux ou trois amis s'apprêtaient à recevoir le comte de Vigny, et plus empressé de tous était un jeune homme de grand avenir, Henry Reeve, dont le nom, peu connu en (1) s'agit du livre Intitulé Lights and of Military Lite, edited by major general Sir Chnrles Napier in two volumes. London, Henry Colburn, 1840.
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France, mérite d'y être répété il devrait au moins figurer dans toute biographie un peu développée d'Auguste Barbier et d'Alfred de Vigny.
On ne s'attend pas à trouver ici une monographie de Henry Reeve. Ceux qui savent l'anglais, et qui n'auraient pas le loisir de lire les deux volumes in-8° où sa vie et son œuvre sont racontées par la correspondance et les mémoires (1), n'ont qu'à se reporter à la notice fort bien faite du Dicfiorznary o f' national Biography, edited by Leslie Stephen and Sidney Lee. Les autres trouveront à se satisfaire en allant chercher dans la collection des Discours et Mémoires de l'Académie des Sciences morales, un éloge académique, intéressant encore, quoique, çà et là, moins exact, qui fut prononcé dans la séance de l'Institut du 16 novembre 1895, deux mois après la mort de Reeve, par son confrère et son ami le duc d'Aumale.
Né dans une famille où les hommes sont distingués, mais où les femmes sont illustres, petit-fils de Mistress John Taylor, neveu de Mistress Sârah Austin, cousin germain de LadyDuff Gordon, Henry Reeve fit avec sa mère, en 1820, à l'âge de sept ans, son premier voyage en France il y entendit l'acteur Talma. Il y revint en 1832, à 19 ans. Il eut, dès cette époque, 1 avantage d'être présenté à Victor Cousin, à Ballanche, à Victor Hugo mais, il le dit lui-même, ce n'était pas encore l'heure pour un si jeune visiteur d'être « lancé » dans le mouvement littéraire, comme il devait l'être trois ans plus tard. C'est en 1835, en janvier, au début même d'un séjour assez il Memoirs of Henri Reeve, by John Knox Langhton, 2 vol. in-8°.
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prolongé à Paris, qu'il fit la connaissance du poète Alfred de Vigny. Il avait déjà rencontré en Angleterre un intime ami d'Alfred de Vigny, Barbier, l'auteur des présenté chez Mistress Austin, la propre sœur de la mère de Henry Reeve. Au printemps de 1833, Reeve et Barbier avaient « vagabondé » ensemble à travers la bruyère en fleur des collines de Hampstead Head. Ce n'est pourtant pas par Barbier, c'est par Amédée Prévost que le jeune Anglais fut amené chez Alfred de Vigny.
Le 14 janvier 1835, il écrivait à sa mère son impression sur cette première visite « Je le considérais depuis longtemps comme l'écrivain le plus délicat et le plus satisfaisant de la nouvelle école française, et c'est ainsi que je l'ai trouvé dans la conversation. Je lui ai dit que c'était là l'opinion de mes meilleurs amis anglais et la mienne. Il va faire jouer une pièce tirée de la mort de Chatterton, j'entends de Chatterton l'enfant merveilleux, car pour ce qui est du correspondant d'Horace Walpole, de l'agresseur de Beckford, du scribe aux gages d'un libraire, le poète français n'en sait que peu de chose. » Henry Reeve en disait davantage en écrivant, trois jours après, à un de ses amis
« J'ai été présenté à M. de Vigny que j'aime extrêmement. Je lui ai dit votre opinion et la mienne sur son Stello., ce quilui a fait beaucoup de plaisir. Dans l'homme, je trouve la même délicatesse et le même avant-goût gracieux de pensées charmantes qui caractérise son livre. Par ce mot avant-goût, je veux dire qu'il pénètre et qu'il se met en harmonie dans la conversation avec la personne qu'il écoute et à laquelle il parle, qualité rare quand elle se rencontre et s'imalgame avec le sel insoluble de l'esprit français, »
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Revenant au drame de Chatterton, il exprimait plus clairement ses inquiétudes sur le sort qui semblait réservé à cet ouvrage
« J'ai peur que ce ne soit une pièce trop tournée au rêve et .trop décolorée pour être applaudie des Français, mais trop étrangement peu anglaise pour être ratifiée par moi. »
Il assista à la première représentation et partagea la joie des amis d'Alfred de Vigny en voyant ce Chatterton, sur lequel personne n'osait compter, « accueilli avec les honneurs du triomphe ». Il l'appréciait ainsi, dans une lettre écrite une semaine après l'événement
« Quelques critiques, en vérité, ont eu assez de noirceur pour publier une biographie authentique de l'adolescent, esclave et poète, lequel fait un contraste monstrueux avec le malade passionné et d'âme fière de M. de Vigny d'autres ont découvert une apologie du suicide dans le langage et les actions d'un jeune homme qui est présenté sous un tel aspect à l'attention d'une nation de Chattertons (1). Pour ma part, j'ai trouvé dans la pièce plus de sentiment que de principes, et quoique ledit sentiment soit, par une rare exception, pur et noble, tous les soliloques qui jamais ont pu faire le tour des galetas de Shoe Lane et toutes les ressources du talent de M. de Vigny ne sauraient tirer un grand exemple de poète honorable d'un homme aussi faible et aussi vain que Chatterton. Dès lors le drame est faux. Si le caractère du héros eût été maintenu tel qu'il était dans la réalité, il eût été pris sur nature, et nous lui aurions départi notre mépris naturel (1) Rien ne montrera mieux le mérite de cette formule que de relire une définition cruellement pénétrante de la nature intime d'un grand nombre de jeunes Français, plus déformés que façonnés par une éducation égoïste et sentimentale. EMILE FAQUET, L'Anticléricalisme. L'irréligion nationale, p. 26 et suiv,
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mais, en changeant les ressorts de son âme, en substituant la tyrannie du dehors à la déchéance intérieure, M. de Vigny s'est ôté le moyen de justifier sa catastrophe. La pièce est toutefois d'une merveilleuse beauté, pleine d'un langage enchanteur et de sources cachées de passion et de pensée coulant sur la surface de chaque caractère: l'interprétation peut à peine être surpassée, particulièrement celle de Mme Dorval, qui joue Kitty, l'hôtesse de Chatterton. »
On voit par ces extraits, si déformés qu'ils soient par une traduction, quel esprit ferme et fin, quelle autorité de pensée et de plume se trouvaient chez ce jeune homme de vingt-deux ans. On s'explique l'estime que lui marquèrent, en 1835, un Lamartine, un Léon Faucher, un Montalembert, un Tocqueville, un Thiers, un Circourt. Comme ce lettré se doublait déjà d'un juriste, on s'explique aussi le choix que fit de lui, dès 1837, Lord Lansdowne, en l'introduisant en qualité de clerc d'appel au. Comité judiciâire du Conseil privé, dont il devint greffier six ans plus tard. Rédacteur du Times à partir de 1840, il dirigea de main de maître la partie du journal réservée à la politique étrangère, et de 1858 jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant quarante ans, il fut, avec une supériorité sans égale, le directeur ou editor de l'Edinburgh Review, qu'il marqua de sa forte empreinte.
En 1835, il écrivait, à ses heures perdues, des vers finement ouvrés, comme. en témoigne un petit volume, d'inspiration modérée, mais de goût artistique, imprimé pour quelques amis, en 1838, et réédité en 1842. Le secret de ces délassements poétiques avait dû être confié à Auguste Barbier, qui sans doute en fit part à d'autres avant que Henry Reeve quittât
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Paris, et s'en retournât, par le chemin des écoliers, c'est-à-dire par la vallée du Rhône et la Provence, en Angleterre, Alfred de Vigny obtint de lui qu'il inscrivît sur son album, entre un fragment de la Christine de Dumas et une pièce de vers de Brizeux, reproduite plus tard dans la Fleur d'or, des vers anglais qui portent ce titre Canzonet, et où le rôle moral du poète est très noblement défini. Depuis le distique du début
Let not the Poet stoop
To gather themes of false and foui desires
jusqu'au distique de la conclusion
But let him roorship, walking side by side
With Psyche and with love
la pièce de Henry Reeve se déroule, en stances de quatre vers, avec une gravité émue et gracieuse. Au début même de cette année 1838, où Alfred de Vigny allait être appelé à Londres par des intérêts de famille qui devaient l'y fixer assez longtemps, Henry Reeve et un jeune homme de ses amis, Chorley, auteur dramatique et romancier de mérite moyen, mais critique de fine race et qui devait prendre, par ses chroniques littéraires et musicales dans le journal l'Afhena'um, une place de premier rang, s'étaient établis ensemble à frais communs et confortablement au de Chapel Street, Grosvenor Place. Jusqu'au mariage de Reeve, ces deux célibataires, très différents l'un de l'autre, mais très unis et tous les deux remplis d'esprit et de mérite, donnèrent des réceptions dont le souvenir ne s'est pas perdu. « Nous unîmes nos efforts, dit Reeve, pour
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rendre notre maison agréable. Il fournit la musique et moi une partie de la société. » On rencontrait là, de 1838 à 1841, d'une part les Austin, les Grote, les Carlyle, Thackeray, le comte d'Orsay, le prince Louis Napoléon, pour n'en nommer qu'un petit nombre, et d'autre part un Mendelssohn, un Moscheles, un Liszt, un Ernst, un David, un Batta de grands compositeurs passèrent dans cette maison et les exécutants les plus en renom s'y firent entendre.
C'est chez Reeve, ou c'est grâce à lui, qu'Alfred de Vigny prit le premier contact avec la société littéraire de l'Angleterre. La preuve irréfutable fait défaut, mais des documents inédits donnent à l'hypothèse la plus grande vraisemblance. Le 8 janvier 1839, le président de l'Athenæum Cdub, Edward Magrath, adressait au « vicomte Alfred de Vigny l'invitation que les membres de ce cercle anglais réservent, pour la durée du séjour à Londres, aux étrangers dignes de cet honneur. Le comte de pensa tout naturellement qu'il devait aux démarches de Henry Reeve cet avantage offert de fort bonne grâce il se hâta de l'en remercier: Voici la réponse de Reeve la courtoisie de l'hospitalité dans sa noblesse simple et inimitable, s'y exprime naturellement (1)
« Dimanche, 9, Chapel Street.
« L'Athenaeum pour vous n'est point une faveur, mais un droit. C'est un Panthéon où l'on dîne et où l'on se trouve en fort bonne compagnie. Et ces Messieurs s'honorent de vous avoir parmi C'est probablement M. Mil(1) La lettre, qui est inédite, est écrite en français. On y voit avec quelle fine fermeté cet Anglais maniait notre langue.
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man qui vous a proposé. L'on en a parlé il y a déjà plusieurs jours. Pour moi, je n'ai aucun droit à vos remerciements. Je ne suis pas encore membre de ce Club illustre. J'ai encore quatre ou cinq ans à passer dans l'antichambre.
« J'en suis d'autant plus fâché que je ne pourrai pas vous y conduire. Mais vous êtes sûr d'y trouver des connaissances, et une excellente bibliothèque, ce qui n'est pas moins précieux.
« Hier au soir, au lieu d'aller à Kensington, j'ai passé la soirée chez Miss Berry (1). C'est encore jouer de malheur! Chorley a été plus heureux que moi. Tout à vous.
« H. REEVE »
Si le comte de Vigny, six semaines après son arrivée en Angleterre, étaitassuré de se trouver en pays de connaissance au cercle de n'est-ce pas que les amis de Reeve et des Austin étaient déjà un peu les siens ? Et c'est ou Henri Reeve ou sa tante, Mrs. Austin, qui avait dû ménager la rencontre avec Milman, le clergyman poète dramatique, helléniste, indianiste, original historien du peuple juif, et futur doyen de Saint-Paul (2).
Les Austin, après un séjour de deux années à Malte, étaient rentrés à Londres vers le milieu de l'été de 1838, trois ou quatre mois avant l'arrivée d'Alfred de Vigny. Ils ne recevaient guère, à cette date, à cause de l'état de santé douloureusement in(1) A Kensington Gore, Gore House, chez lady Blessington. — Miss Berry, la Miss Berry d'Horace Walpole et l'auteur de deux réunis, en 1844, sous le titre: England and France, A comparative view of the Social condition of both countries.
(2) Milman avait déjà donné sa remarquable Hisloire desJuirs (1830) et Robert Peel, en 1835, avait profité de son court passage pouvoir pour le nommer chanoine de et recteur de Saint-Margareth of Westminster.
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quiétantde M. Austin mais c'est pendant cet hiver de 1838-1839 que l'énergique Mrs. Austin, tout en traduisant avec une conscience admirable des papes de Ranke, entrait en rapports avec le futur chef de parti tory, M. Gladstone, à seule fin de seconder la réforme que projetait, du côté de l'enseignement, ce jeune parlementaire déjà représenté par elle, dans une lettre à Victor Cousin, comme « le successeur de Peel ». La vaillante femme s'était bien vite armée pour cette croisade contre la « routine bigote » des écoles de la National School Society, pour ce qu'elle appelait « la sainte cause », en reprenant une expression de son ami, le philosophe éclectique français (1). C'est dans le camp politique opposé, où elle avait d'anciennes relations, qu'elle se flattait. avec sa parole persuasive, de gagner quelques partisans à ce projet d'affranchissement de l'école traditionnelle. Elle multipliait, en même temps, les démarches auprès de lord Greneleg, de lord Lansdowne, de lord Normanby, c'est elle qui les a nommés, pour obtenir que l'on rendît justice à l'œuvre accomplie à Malte par John Austin elle aurait pu ajouter, par elle-même. Il y eut, en faveur des Austin, chez tel grand seigneur de leurs amis, pour faire échec à la mauvaise volonté de l'administration qui avait dissous « sans un mot (1) ne faudrait pas se méprendre sur cette réforme et croire qu'elle tendait à exclure la religion a They are going to try and reform the church schools. to insist upon better. instruction, and to ry and place them on a par with the best liberal schools: always retail1ing religion (anglican of course 1 as the principal thing. The gentlemen appear to me hâve faith in theirreligion and not to be afraid of a lrttlesecular teaching. » (Lettre de S. Austin à Victor Cousin, 30 dée. 1838.)
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de remerciement » la commission de Malte de véritables manifestations. Le noble lord Lansdowne donna spécialement une soirée pour que Mrs. Austin se rencontrât avec « Lord Minto, le colonel Fox et bien d'autres ». Le comte de Vigny reçut du marquis et de lady Lansdowne une invitation, qui spécifiait que l'objet de la réunion était de recevoir Mme Austin.
C'est dans le même milieu qu'Alfred de Vigny vit pour la première fois M. l'illustre historien de la Grèce, détourné alors, autant qu'on peut l'être, de ses ad-mirables travaux par le néant laborieux de sa carrière parlementaire, et, avec lui, sa femme, Mrs. Grote, une personne du plus haut mérite, déjà très appliquée à rechercher et à rendre durable cette intime fréquentation des étrangers de mérite, particulièrement des Français, qui devait faire d'elle, comme on l'a dit, l'intermédiaire naturel pour les rapports d'amitié entre l'Angleterr e et la France (1).
Il y avait entre Mrs. Austin et Mrs. Grote,- qui s'étaient mariées la même année, et l'une et l'autre avec d'infatigables travailleurs qu'elles aidèrent puissamment, une affection forte et simple, dont le ton nous est donné par la formule initiale des lettres qu'elles échangeaient Dear f riend and cummer « Chère amie et commére » (2). Au début du mois de (1) La déclaration de guerre entre la France et l'Allemagne, en 1870. frappa au cœur M. et Mrs Grote ils furent aussi affligés que les meilleurs Français des défaites de notre pays et de l'éclipse prolongée de sa glorieuse fortune l'entente cordiale de ces dernières années les eût ravis de joie: ils l'avaient prévue et préparée.
2) Ce mot écossais, venu du français, traduisait familièrement leur affectueuse amitié.
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février 1839, M. et Mrs. Grote priaient à dîner le comte de Vigny.
Le billet d'invitation des Grote se retrouve, parmi les lettres inédites des correspondants d'Alfred de Vigny, à côté de celui de lord Lansdowne. Le poète avait conservé précieusement ce double souvenir de ses rapports avec.les amis des Austin.
Et c'est encore un très intime ami de Milman, des Taylor et surtout des Austin, dont je lis le nom, au bas de deux lettres, inédites aussi, et datées l'une du 5 mars, Fautre du 12 mars 1839. Elles avaient été écrites pour prier Alfred de Vigny de venir à un dîner d'amis donné à Eton le 16 mars. Elles sont signées de l'éminent head-master et réformateur du collège d'Eton, de cet érudit rare, de cet homme fin et courtois, de ce causeur parfait qui s'appelait Edward Craven Hawtrey. Il s'attachait déjà, dès ce moment, à briser, dans la vieille maison d'éducation de l'aristocratie britannique, des traditions plusieurs fois séculaires lui aussi, il avait projeté d'émanciper, à un autre degré, l'enseignement anglais: Il y avait chez Alfred de Vigny, entre autres aptitudes très diverses, une vocation de haut éducateur qui ne demeura pas toujours dissimulée et inactive même sur des projets de réforme scolaire, le futur correspondant du prince héritier de Bavière était homme à écouter le head-master d'Eton et à lui donner la réplique. Voici les lettres de Hawtrey « Eton College
5 mars 1839.
« Cher Monsieur,
« Samedi 16, j'attends il dîner d'agréables amis, et c'est là une société que vous pourriez aimer à rencontrer.
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Vous serait-il possible de nous faire visite à cette date ? Ce serait pour nous un grand plaisir d'apprendre que vous trouvez la chose faisable.
« Je suis,
Cher Monsieur,
très fidèlement à vous.
« E. HAWTREY. »
Ne recevant pas de réponse, le Dr Hawtrey réitère l'invitation en la faisant passer par les mains de sa sœur pour qu'elle arrive plus sûrement à son adresse
« J'ai quelque crainte qu'une lettre de moi adressée d'ici à Londres vendredi dernier, dans laquelle nous sollicitons l'agrément de votre présence à dîner samedi prochain, 16, par suite d'une erreur dans l'adresse, ne vous soit pas arrivée.
« J'envoie donc celle-ci à ma sœur à Londres, pour qu'elle la fasse parvenir avec une adresse exacte. S'il devait être encore en votre pouvoir de nous faire visite à cette date, cela nous ferait grand plaisir et vous enchanteriez quelques agréables personnes.
« Mon très cher Monsieur,
très fidèlement à vous.
« ED. (1)
(1) Ces lettres de Hawtrey ait comte de Vigny étant de à intéresser certains lecteurs anglais, par exemple les ann,alistes si érudits du collège d Eton, j en donne aussi le .ter.te original
Eton College
March 5,1839.
My dear Sir,
On Saturday, the 16 th, I nm expecting some agreable riends to dine with me, and altogether such a Party as you might like to meet. Would it possible for you to malce us a visit at
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Dans une lettre écrite dix-neuf ans plus tard à la duchesse d'Orléans, à propos d'une visite que ses fils, le comte de Paris et le duc de Chartres, avaient projeté de faire au collège d'Eton, Mrs. Austin exprimait par avance tout le plaisir que causerait cette visite à son « vieil et estimé ami » le docteur Hawtrey, devenu provosl du collège. « C'est — disait-elle de lui un homme très cultivé et un homme accompli, et, dans le meilleur sens du mot, un genileman. » Les Anglais mettent beaucoup de choses rares dans cette appellation, et le Dr Hawtrey luimême, dans une lettre de 1835 à son amie Mrs. Austin, voulait bien en faire l'application très honorable à un Français, M. de Beaumont, un ami d'Alfred de Vigny, mais il la refusait du même coup à tous ses compatriotes « Je pense, disait-il, que les Français excepté les bons vieux nobles ailes de pigeon, et les abbés sont aussi peu gentlemen que possible. » Il ne connaissait pas, en 1835, le comte de Vigny. Mais, en 1839, après l'avoir quelque temps fréthat time ? It would give us a great Pleasure to hear, that you could find this
very faithfully yours,
E. HAWTREY.
1 am rather afraid that a letter of mine sent from hence to London on Friday last in which we requested the charm of your company at dinner on Saturday next the 16th, has, by some error in the address, not reached you.
1 therefore send this to be forwarded with a correct address to my sister in London. If it should still be in your Power to visit us at that time, il would give us great Pleasure and you would deligth much some agreable Personns.
My very dear Sir,
Eton College very faithfully yours.
March 12, 1839. Eri. HAwTREY.
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quenté, aurait-il refusé d'amender, si peu que ce soit/sa formule très exclusive, et n'eût-il pas admis au moins deux exceptions ?
Ainsi, grâce à Reeve et grâce aux Austin, Alfred de Vigny se trouvait déjà, quelques semaines après son arrivée, en relations avec des représentants, ou éminents ou tout prêts à le devenir, du meilleur journalisme, de la plus haute érudition, du clergé le plus honorable, le plus docte, le plus lettré, du monde polititique le plus digne de respect.
Ce n'est pas seulement par cette porte,d'apparence modeste, mais ouverte, comme on l'a vu, sur des perspectives d'un intérêt réel,, qu'Alfred de Vigny pénétra dans la société anglaise. Très peu de jours après son arrivée à Londres, il assistait aux réceptions de Gore House, chez lady Blessington.
L'accès de ce salon célèbre, fréquenté par les artistes, par les littérateurs, par les jeunes gens de l'aristocratie et par quelques vieux grands seigneurs, anciens amis du feu lord Blessington, fut facilité, le mot juste serait, fut aimablement imposé au comte de Vigny par le comte d'Orsay, son camarade de collège..
En cette année 1828, Alfred d'Orsay était l'homme du monde renommé entre tous, l'arbiter elegantiariim, disaient les scholars de la chronique, le « gentleman le plus accompli de l'époque », écrivait Sir Lytton Bulwer, en lui dédiant Godolphin. Des lecteurs français ne me sauront pas mauvais gré de leur faire connaître, tout au moins de leur rappeler, ce qu'était devenu depuis l'année 1822, Alfred
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de Vigny l'avait perdu de vue, jusqu'au moment où il le retrouva ce prestigieux mondain, d'une renommée effacée aujourd'hui, mais alors plus qu'européenne.
Des liens d'une nature délicate à définir et que la mort seule put rompre attachèrent, de 1822 à 1849, le comte d'Orsay à lady Blessington.. Elle avait été la plus irrésistible beauté de l'Angleterre (1). Elle resplendissait d'éclat à l'époque où Alfred d'Orsay, âgé de 21 ans, garde du corps du Roi de France, invité aux fêtes du couronnement de Georges IV, fut présenté à la cour par sa sœur la duchesse de Grammont et par son beau-frère le duc, ambassadeur de Louis XVIII auprès du souverain de l'Angleterre. Alfred d'Orsay, fils du beau d'Orsay, le brillant général de l'Empire, avait été choisi, dès l'âge de dix ans, à cause de sa grâce d'enfant, pour être page de Napoléon. Veut-on se figurer ce qu'il pouvait être entre 1820 et 1822, dans la première fleur de la jeunesse ? On n'a qu'à lire ce qui s'écrivait sur lui douze ou quinze ans après. Dans ses Pencillings the way, l'Américain N.-P. Willis, qui l'avait vu pour la première fois en 1834, le proclame « le plus splendide spécimen d'homme » qu'il lui ait été donné de rencontrer.
C'est à Londres, l'occasion des fêtes de 1819, et non pas à Valence, sa ville de garnison, où il les vit passer trois ans plus tard, que d'Orsay avait fait (1) Il faut la voir telle que Lawrence l'a peinte dans un magui6que portrait, exposé en 1822 à la Royal Academy, et placé aujourd'hui sous le n° 558 dans la collection Wallace, ou encore telle qu'Alfred Edward Chalon l'a dessinée à l'aquarelle, dix ou douze années plus tard; ce second portrait se trouve dans la National Portrait C sous le numéro 1309.
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la connaissance de lord et lady Blessington. Quand ceux-ci, après une station prolongée au pays d'Avignon, partirent pour l'Italie, au début de l'hiver de 1822, ils insistèrent vivement auprès du jeune Français pour qu'il se joignît à eux et à leurs autres compagnons de voyage.
A Gênes, en 1823. lord Byron, qui était à la veille de se croiser pour la délivrance de la Grèce, vit le comte d'Orsay chez les Blessington et fut, le mot n'a rien d'exagéré, en admiration devant lui. « Il a l'air, écrivait-il à Moore, d'un Cupidon déchaîné c'est l'un des rares exemplaires que j'aie jamais vus de notre idéal du Français avant la Révolution. » Ce terme de « Cupidon » donne l'idée d'un petitmaître, et ce n'est pas ainsi qu'il faut s'imaginer d'Orsay. Ce jeune gentilhomme avait près de six pieds de haut. Avec ses yeux orangés, ses cheveux châtains, ses mains fines, il était robuste et musclé comme un marbre d'athlète grec. Il avait étudié à fond ce qu'on appelait, au temps du chevalier de Grammont, les arts de l'homme d'épée il excellait dans tous les sports, à une époque où peu de gens s'avisaient de les pratiquer, même à Londres. Byron ne rendit pas moins hommage à l'esprit pénétrant et au talent d'observation de ce gentilhomme de vingt-deux ans qu'à ses grâces viriles. « Je vous retourne, écrivait-il à lord Blessington, le Journal du comte d'Orsay qui est une production très extraordinaire et de la vérité la plus mélancolique dans tout ce qui a trait au grand monde de l'Angleterre. Je connais, ou j'ai connu personnellement, la plupart des personnages ou des réunions qu'il décrit, et, après la lecture remarques, j ui la seusa-
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tion de tout cela aussi fraîche que si je l'avais vu hier. » L'éloge se poursuit sur le -même ton. A ses propres louanges, si expressives, Byron joint le suffrage d'une jeune dame italienne d'un rang élevé, très instruite et fort belle il ne-la nomme pas mais tout désigne clairement la comtesse Guiccioli. Elle en a plus appris dans ce journal sur la haute société anglaise qu'à travers « tout le chamaillis doctoral de de Staël sur le même sujet, dans son livre sur la Révolution française. »
D'Orsay devint si indispensable aux Blessington q'u'on décida de le fiancer à une très jeune fille, que le lord avait eue de son premier mariage, lady Harriet Francis Gardiner, -demeurée en Irlande. La cérémonie nuptiale n'eut lieu qu'en 1827, à Naples, dès que la fiancée eut atteint ses quinze ans. La séparation succéda d'assez près à cette union si étrange. Deux ans après le mariage de sa fille, en 1829, lord Blessington mourut à Paris. D'Orsay et lady Blessington assistèrent à la révolution de 1830. En juillet 1831. ils rentraient ensemble en Angleterre et se fixaient à Londres.
Lady Blessington s'établit d'abord à Seamore place, Mayfair, et le comte d'Orsay à Curzon Street. Au bout de cinq ans, ils se transportèrent à Kensington Gore, lady Blessington installée à Gore House et le cdmte d'Orsay dans une petite villa attenante. Cette association, dans le goût des liaisons du xvme siècle, dura dix-huit ans.
A Gore House, plus encore que dans Seamore place, malgré la situation fausse de la maîtresse de la maison, le salon de lady Blessington était fréquenté plus qu'aucun autre, sans excepter ceux de
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lady Holland ou de la comtesse douairière de Cork, par les célébrités littéraires, artistiques, politiqués même, et par la jeunesse dorée. Au mois de décembre 1838, Alfred de Vigny, amené par Alfred d'Orsay, fit son entrée à Gore House.
Alfred de Vigny avait conservé avec soin un certain nombre de lettres à lui adressées par son ami d'Orsay. Elles se rapportent presque toutes aux années 1838 et 1839. Ce sont, ea général, des billets assez courts, mais très affectueux six de ces billets sont des invitations à dîner chez lady Blessington.
Ces lettres n'étant point datées, il est permis d'hésiter, dans un classement même très étudié, sur la place d'une ou deux d'entre elles. Une seule nous donne l'adresse d'Alfred de Vigny à Londres 42, York street, Portman square.. Dans aucune il n'est question de la comtesse de Vigny. Elle était à Londres, mais « assez souffrante », comme nous l'apprend le post-scriptum d'une lettre écrite le 6 décembre 1838 par Alfred de Vigny à la jeune parente de sa femme, Miss Camilla Maunoir. Le comte de Vigny alla, seul, rendre visite à lady Blessington pour expliquer très naturellement l'abstention de Mme de Vigny, l'excuse du deuil, très récent, était tout indiquée.
La première lettre d'Alfred d'Orsay suivit immédiatement la réception d'un avis relatif à la présence d'Alfred de Vigny à Londres. Je suis porté à croire que cet avis avait été donné, à Gore House, par
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Henri Reeve ou par Chorley. Reeve nous dit dans un endroit de son Journal qu'il y avait été présenté par Chorley au début de cette année même. En ce tempslà, Reeve et Chorley rivalisaient d'admiration pour la grâce fascinatrice de lady Blessington et pour l'originale élégance d'esprit ou de manières du comte d'Orsay.
Voici cette première lettre
« Mon cher de Vigny,
« Je viens d'apprendre avec le plus grand plaisir que tu étais en Angleterre. J'avais promis depuis longtemps à Lady Blessington que je lui présenterais mon vieil ami. C'est très aimable de m'en fournir l'occasion. Nous espérons que tu viendras dîner à Gore House vendredi prochain je quitte Londres aujourd'hui pour deux jours et je me fais une fête de te revoir à mon retour.
« Ton vieil ami sincère,
« ALFRED D'ORSAY.
Il ne paraîtra pas invraisemblable de regarder comme la deuxième lettre en date dans cette série, qui en compte sept, celle où le comte d'Orsay exprime à Alfred de Vigny son enthousiasme pour le drame de Chatterton. A la suite de la première entrevue, le poète a dû adresser à Gore House un exemplaire de sa pièce. L'élégant mondain vient d'en achever la lecture
.« Mon cher ami,
« Si je n'avais appris à t'aimer depuis ton enfance, tes ouvrages sont la garantie sûre que tu dois inspirer le plus fort sentiment à ceux qui ont le cœur et l'âme de te comprendre. Je suis ravi de la dernière nuit de travail et de Chatterton, et je te retrouve à chaque ligue de cet ouvrage.
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« Viens donc demain dîner avec nous, pour rencontrer d'autres remarquables personnes. Je pars lundi pour trois jours, et ce serait aimable de faire encore ce petit sacrifice à l'amitié la plus sincère et la plus affectionnée de ton vieil ami.
« ALFRED, »
II est regrettable, assurément, qu'en écrivant ces quelques lignes, le comte d'Orsay n'ait pas prévu la curiosité des érudits à venir et qu'il n'ait pas nommé ces « remarquables personnes ». Mais il est bien permis de supposer que parmi elles se trouvait lord Durham, un de ces anciens amis de lord Blessington restés attachés à sa veuve. Dans une des dernières pages des fragments inédits de Mémoires, à la suite d'une notice assez banale sur les Bougainville, alliés des Baraudin, Alfred de Vigny écrit ces quelques mots, intéressants à « J'ai beaucoup connu à Londres lord Durham qui était alors gouverneur du Canada et se plaisait à m'expliquer comment, en deux générations, l'Angleterre avait absorbé la colonie française. » Et dans une lettre, publiée depuis bien longtemps par Madden (1), mais réimprimée récemment dans un article de revue, nous avons la preuve que c'est bien dans l'intimité de la maison où d'Orsay l'avait introduit, qu'Alfred de Vigny a connu lord Durham. En effet, au mois (1) Madden est l'auteur d'une copieuse monographie de lady Blessington, intitulée The litterary life and correspondance of the countess of Blessington, 3 vol.in-8°. Cet ouvrage contient des lettres souvent très précieuses des amis de lady Blessington et du comte d'Orsay. Le rôle de lady Blessington et de son ami le comte d'Orsay a été bien défini dans une monographie plus récente The most gorgeous Lady Blessington, by Fitzgerald Molloy.
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d'octobre 1840, il adressait à lady Blessington ces lignes de condoléances (1)
« Moi qui me souviens, Milady, de vous avoir trouvée, un soir, si profondément affectée de la mort d'une amie, je puis mesurer toute la peine que vous avez éprouvée de la mort de Lord Durham.
« J'aimais toujours à me figurer que je le retrouverais à Gore House, à côté de vous, et je ne peux croire qu'en si peu de temps il ait été enlevé à ses amis.
« Je ne crains pas, avec vous, de parler d'une chose très ancienne, comme on dirait à Paris, car je sais quel religieux souvenir vous gardez à ceux qui ne sont plus et qui vous furent chers.
« Je regrette dans Ld Durham tout l'avenir que je me promettais de sa vie politique et le développement des idées saines et larges que chez vous il m'avait montrées. Si je ne me suis trompé sur lui, l'alliance de la France lui semblait précieuse à plus d'un titre, et il connaissait profondément les vues de la Russie.
« S'il tenait à cette génération de vos hommes d'Etat qui prirent part aux plus grandes luttes, il était pourtant jeune d'esprit et de coeur, et ces hommes de passé et d'avenir à la fois sont bien rares. »
Un troisième billet du comte d'Orsay nous donne, fort à propos, les noms de quelques-uns des invités de choix que lady Blessington s'était proposé de mettre, un autre jour, en présence d'Alfred de Vigny
« Mon cher Alfred,
« Dimanche prochain, à 7 h. 1/2 précises, plusieurs personnes remarquables dînent à Gore House Bulwer, (1) Je reproduis ce document d'après la minute de la lettre, conservée par Alfred de Vigny. C'est le texte imprimé, à la d'impression de l'éditeur anglais.
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Théodore Hook, le capitaine Marryatt, Sir Francis Burdett et autres. Sites soins de famille te laissent un entr'acte disponible, nous espérons en profiter par ta présence. « Au revoir, bon et vieil ami.
« Ton affectionné,
« ALFRED. »
Dieux des quatre noms fournis par ce billet, celui de Théodore Hook, le mordant pamphlétaire, l'un des écrivains les plus spirituels d'une époque qui en a produit beaucoup, et celui de Sir Francis Burdett, le vieux député de Middlesex, de Westminster et de North Wilts, resté célèbre pour la virulence de ses attaques oratoires contre le châtiment du fouet dans l'armée ou contre la corruption parlementaire, sont peu familiers aux Français. Les deux autres noms sont ceux d'écrivains qui connurent la vogue en France. Quel est l'écolier des années du Second Empire qui n'a pas lu, dans une traduction, les livres pour enfants, écrits par le capitaine Marryatt dans la dernière partie de sa carrière littéraire ? Bien avant les récents événements du Cap et les efforts acharnés d'une minuscule nation, accablée à la fin par un ennemi plus puissant, mais entrée dans l'histoire, Marryatt en avait révélé l'existence aux collégiens français par un ouvrage qui fut populaire chez eux Les Vacances des jeunes Pour ses compatriotes, ce commandant de vaisseau, dont la carrière d'officier avait eu quelque éclat, est demeuré surtout ce qu'il était depuis 1835, l'auteur de Peter Simple. Et il venait de renouveler le grand succès de ce roman avec une autobiographie déguisée, Mr. Midshipman Easy, quand le comte de Vigny. bien vu chez les Anglais non pas pour avoir
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traduit Othello, mais plutôt pour avoir, dans Servitude et Grandeur militaires, rendu un hommage absolu aux vertus de l'armée navale britannique, fut invité à venir rencontrer chez lady Blessington ce curieux homme de mer érigé en mondain et mué en homme de lettres.
Le quatrième écrivain, Bulwer, dont on connaît fort peu en France le théâtre, traduit trop tard, est ce gentilhomme aux succès littéraires démesurés, dont des milliers de lecteurs dévorèrent, chez nous, certains romans dans la version française, et notamment une œuvre aujourd'hui démodée, les Derniers jours de Pompéi. Edward George Earle Lytton Bulwer était alors dans toute la splendeur de ses trente-six ans, à peu près tel qu'on peut le voir à la National Portrait Gallery, dans le charmant dessin rehaussé d'aquarelle d'Alfred E. Chalon (1). Déjà placé au premier rang des romanciers, mais auteur dramatique encore débutant et non indiscuté, il achevait, au moment même où Alfred de Vigny entrait en Angleterre, son drame de Richelieu, que le jeu très savant de l'acteur Macready allait porter aux nues, et il introduisait dans sa pièce, sans dissimuler d'ailleurs l'importance de son emprunt, une des inventions les plus heureuses du roman de CinqMars.
Si Walter Savage Landor, un des plus chers amis de lady Blessington, n'eût pas été alors fort loin de Londres (2), et que la dame de Gore House eût (1) N° 1099.
(2) C'est à tort qu'on a dit que Vigny et Landor avaient dû se rencontrer chez lady Blessington. Pendant le séjour d'Alfred de Vigny à Londres, Landor était en Italie.
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voulu se donner le plaisir du contraste, elle se serait arrangée pour que ce rare poète se révélât au comte de Vigny le même soir qu'elle lui présentait Lytton Bulwer. Autant les œuvres de celui-ci étaient de défaite aisée chez les libraires, autant les vers raffinés de Landor et ses exquises compositions en prose, les Imaginary Conversations ou le Pentameron, n'avaient d'attrait que pour le happy few. C'est à Bulwer, assez enivré de sa popularité ou de sa prodigieuse facilité de production, que Landor semblait faire allusion et répondre ironiquement, lorsqu'il disait avec son tour d'esprit délicieusement bourru « Il n'y a pas une digne de ce nom, qui puisse se flatter d'avoir plus de trois ou quatre lecteurs. » est de lui encore, ce joli mot jeté à un autre écrivain de la jeune génération « Le chêne et l'ébène, Mr. mettent très longtemps à pousser et à faire du bois, mais ils durent l'éternité. »
Ce serait abuser du jeu des conjectures que de se demander si, dans ses visites nombreuses, Alfred de Vigny n'a pas eu l'occasion de rencontrer quelques autres familiers de la maison Antony Fonblanque, le directeur de l'Examiner les deux Disraëli, le père, si tendrement orgueilleux de la gloire naissante de son fils, et le futur lord Beaconsfield, prodigue d'attentions, de témoignages de respect envers son père le spirituel, sincère et bon W. Thackeray, si bienvenu chez lady Blessington, et qui lui témoigna, aux mauvais jours, l'affection la plus émue enfin l'autre romancier de génie, Charles Dickens, qui se montrait aussi, mais depuis moins de temps, dans le salon de Gore House. Aucun de ces noms n'appa-
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raît, il faut le dire, dans les lettres peu explicites d'Alfred d'Orsay au comte de Vigny plus d'un, on peut en être sûr, aurait dû s'y trouver.
La quatrième de ces lettres commence par des remerciements pour l'envoi d'un ouvrage dont le titre n'est pas cité. Mais d'après des expressions comme celles-ci « C'est un livre qui excite trop la pensée pour qu'on puisse le lire au galop, et, comme je le goûte à un pas très cadencé, je ne veux pas tarder de te donner signe de vie avant de l'avoir fini, » il est permis de croire qu'il s'agit de Servitude et Grandeur militaires, D'Orsay, détourné de toute occupation de cabinet par ses obligations d'homme du monde et de sportsman, n'avait dû donner que peu de temps à la lecture de l'ouvrage il ne paraît guère avoir dépassé l'introduction, grave, en effet, et lourde de réflexion s'il avait connu la première des nouvelles, Laurette ou le Cachet rouge, on trouverait, dans sa lettre, quelque allusion à la puissance d'émotion de cet admirable récit. Le billet est d'ailleurs aimable et cordial il se termine par ces mots « Le 4 février est le jour de ma naissance. Veux-tu me porter bonheur en venant dîner avec nous ?
« Ton ami affectionné,
ALFRED D'ORSAY. »
La cinquième lettre est d'une importance exceptionnelle. Elle n'est à la précédente qu'une sorte de post-scriptum, puisqu'elle reparle de l'invitation pour le 4 février, mais elle introduit un nom nouveau, et ce nom est celui de l'acteur Macready. C'est ici que se place, dans l'histoire de ce séjour du comte de Vigny chez les Anglais, l'épisode le plus littéraire on me pardonnera d'y insister.
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Depuis le milieu de novembre 1838, Macready étudiait le rôle de Richelieu du drame, encore inédit, de Bulwer, et, dès le 20 novembre, il s'était mis à la lecture du roman de Cinq-Mars. A la fin de janvier, il apprenait, du même coup, que l'auteur de Cinq-Mars était à Londres et dans quelle maison amie il était le plus sûr de le rencontrer. Sans perdre de temps, il écrivit à son intelligent admirateur, Alfred d'Orsay, cette lettre, datée du théâtre Théâtre de Covent Garden (1),
31 janvier 1839.
« Mon cher Comte d'Orsay,
« Je ne puis assez vous remercier de vos très aimables indications, auxquelles je prêterai l'attention la plus soigneuse.
« Il arrive souvent que notre excellent naturel invite à empiéter sur lui en voici un exemple. Ces deux ou trois derniers jours, j'ai différé de vous écrire dans l'espoir qu'une occasion d'aller vous voir pourrait s'offrir mais il semble que je peux attendre, comme le paysan devant le (1) Covent Garden Theatre,
1839.
My dear Count d'Orsay,
I cannot sufficiently thank you for your most kind suggestions, to whick I shall most carefully attend.
It often happens, that our good-nature induces encroachment on it, and here is an instance. For too or three days past I have deferred writing to you in the hope an opportunity of on you might offer itself but it seems wait, like the rustic for the stream to pass, and therefore use the occasion, this pleasant duty of acknowledgement affords me to mention to you, that I have in hand the character of cardinal Richelieu, about which I am very anxious I hear, that count Alfred de Vigny, the author of Cinq-Mars, is in London Could you (for I feel certain you will, if you can) learn for me from him, of all men the surest to know, whether there were any peculia
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torrent à passer (1), et que dès lors je peux mettre à profit l'occasion que cet agréable devoir de reconnaissance m'apporte. de vous faire savoir que je prends en main le caractère du cardinal Richelieu, au sujet duquel je suis très perplexe. J'entends dire que le comte Alfred de Vigny, l'auteur de Cinq-Mars, est à Londres. Pourriez-vous (car je me sens assuré que vous le voudrez si vous le pouvez) vous informer pour moi auprès de lui de tous les hommes le plus en état de le savoir s'il y a des particularités de caractère, de maintien ou d'allure dans le cardinal qui, transportés à la peinture, puissent assurer la ressemblance individuelle?
« Toujours et sincèrement
« mon cher comte,
« à vous.
« W.-C. MACREADY.
Au reçu de la lettre de Macready, Alfred d'Orsay écrivit au comte de Vigny ce billet qu'il est permis de dater du 1er février, étant donné qu'il a été écrit, sans le moindre délai, pour expédier tout aussitôt la lettre que l'on vient de lire
« Mon cher Alfred, je ne sais si tu as reçu ma dernière lettre où je te priais de venir dîner avec nous le 4 février, jour de l'anniversaire de ma naissance.
« Je reçois à l'instant une lettre de Macready, le grand tragédien de ce pays, qui va jouer le rôle du cardinal de Richelieu, dont Bulwer est l'auteur. Il désire s'informer rities of manner, deportment, or gait, in the Cardinal, transferred to the picture, might assert the individual likeness? Always and sincerely.
my dear
yours
W.-C.
(1) Macready se souvient d'Horace:
Rusticus exspectat dum defluat amnis at ille
Labitur, etc.
(Ep. I, 42.)
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près de toi de différents détails concernant ce personnage. Au surplus, voici sa lettre que tu me renverras.
« Au revoir, cher ami.
« Ton vieil ALFRED. »
Le billet. fut porté au logis d'Alfred de Vigny par un envoyé de Gore House, qui rapporta sur-lechamp la réponse. La lettre de l'écrivain français se trouve imprimée au deuxième volume du Diary and Reminiscences de Macready; mais cet ouvrage étant si peu répandu en France que je n'ai pas su l'y découvrir, le lecteur ne me reprochera pas de la reproduire en entier
« J'ai tardé à te répondre, cher ami, dans l'espoir de pouvoir déranger mes affaires de manière à me rendre à ton invitation, mais je ne pourrai pas, je le vois aujourd'hui. Il me faut aller dans le Berkshire et je ne sais pas quel jour je reviendrai mais ce sera dans peu de temps. En revenant, je t'écrirai sur-le-champ et je prendrai un matin ou une heure pour causer avec le grand tragédien que j'ai admiré et applaudi (sans qu'il s'en soit douté) dans presque tous les grands rôles (1), et dernièrement dans la Il sera bien beau dans Richelieu et j'aurai beaucoup à lui dire de cet homme, dont j'ai été l'ennemi intime (2) pendant tout le temps que j'ai écrit Cinq-Mars. Quand on attend une réponse à ma porte, je suis au sup (1) Alfred de Vigny fait ici allusion aux représentations de Macready à Paris en 1828. Du avril 1828 au 23 juillet, il avait joué le Macbeth de Shakespeare, le Virginius et le Guillaume Tell de James Sheridan Knowles, et, de Shakespeare encore, Hamlet et C'est à Londres qu'Alfred de Vigny l'avait revu dans une autre pièce de Shakespeare, la Tempête.
(2) Cette expression « l'ennemi intime » est empruntée à H. de Latouche. C'est ainsi qu'il se plaisait, en 1824. à appeler Alfred de Vigny lui-même il exprimait par là que la divergence de leurs opinions politiques ne pouvait pas porter atteinte à leur amitié.
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plice. J'aurais bien des choses à te dire de mon amitié, mais j'irai achever ma phrase en t'embrassant.
« A toi mille fois.
« ALFRED DE VIGNY. »
Le plaisir causé par cette lettre au tragédien, qui la reçut immédiatement de d'Orsay et qui ne la rendit pas plus qu'Alfred de Vigny ne s'était dessaisi de la sienne, nous est témoigné par cette note du « 1er février (Visite de la Reine). très aimable du comte d'Orsay, en renfermant un autre, aussi aimable et flatteur que possible, du comte de Vigny. »
A quelquesjours delà, nouvelle invitation du comté d'Orsay au comte de Vigny pour organiser une ren« Mon cher Alfred,
« Je viens te prier de te tenir désengagé pour samedi, le 16 de ce mois, car j'ai engagé Macready et autres, poux venir te rencontrer à dîner. Ainsi ne désappointe pas ton vieil ami.
« ALFRED. »
L'entrevue projetée eut lieu le samedi 16. Le iournal, déjà cité, nous en fournit la preuve. Macready se rendit avecForster à la réception de lady et, là, il eut avec le comte de Vigny « une conversation très intéressante sur Richelieu ». Nous trouvons, dans la note de Macready, la liste incomplète, mais déjà longue, des personnes de distinction qu'il vit, ce soir-là, sans parler d'Alfred de Vïgny « d'Orsay, Bulwer, Charles Buller, lord Durham, très cordial et très courtois, le capitaine
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Marryatt, Hall, Standish, Charles Greville, le Dr Quin, etc. » Rendez-vous fut pris pour une rencontre plus libre et plus prolongée. Cette rencontre eut lieu, le mardi suivant, chez Alfred de Vigny. Nous lisons cette note dans le Diary
« Promenade et visite au comte de Vigny je suis resté avec lui très longtemps et il m'a payé amplement du temps que je lui ai donné. Il m'a rapporté une variété d'anecdotes illustratives des caractères de Louis XIII, Richelieu, CinqMars, etc. Il est enthousiaste, et l'est particulièrement de la littérature dramatique. Il a fait une traduction littérale d'Othello et l'a produite sur la scène du Théâtre-Français. Il m'a parlé avec faveur de mes représentations et s'est montré peu satisfait de notre coutume de permettre aux dames l'accès de notre parterre, pour cette raison que la sympathie était mise en échec par leur intervention. Il s'exprimait en poète, et avec toute la force et l'effet caractéristique d'un acteur supérieur. J'ai éprouvé beaucoup de plaisir avec lui. »
Trois jours après, il adressait au comte de Vigny cette requête infiniment courtoise
<: Mon cher Comte (1),
« Quand j'ai eu le plaisir de vous voir jeudi dernier (plaisir que je n'oublierai pas), je vous ai prié de faire en sorte de nous donner une heure ou deux de loisir, si vous les aviez, pour jeter un regard sur notre essai de remettre à la scène le Roi Lear de Shakespeare. Dans l'espoir que (1) 13, Cumberland Terrace. Regent's Park.
Feb. 24th 1839.
My dear Count,
Wen the pleasure of seeing you on Thursday last (a pleasure I shall not forget) I made a request that you would undeavour to give an idle hour or two if you had them. to at our attempt to put Shakespeare's King upon the stage. In the hope that you may be disengaged to-inorrow, 1 beg to
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vous pourrez être libre demain, je me permets d'introduire ici le coupon d'une loge, que vous occuperez, j'espère et j'ai, en outre, à vous prier de me faire l'honneur (et c'est un honneur que j'apprécierai de la manière la plus sensible) d'user des entrées de faveur à Covent Garden pour vous et un ami durant votre séjour en Angleterre.
« Vous m'avez mis en possession d'un portrait achevé du grand Cardinal, mais je crains de n'être pas en état d'en transporter la ressemblance sur notre théâtre. Il y a là trop de passion, je le crains, pour me permettre de donner une représentation de cette puissance concentrée d'intelligence que votre description a rendue visible à mes yeux. « Laissez-moi vous renouveler ici l'expression des très grandes obligations que je vous ai et vous assurer que je suis avec de profonds sentiments d'admiration et d'estime etc. »
Selon le désir de Macready, le comte de Vigny se rendit à la représentation du Roi Lear. Le Diary nous fait connaître l'impression produite sur des auditeurs de choix par une interprétation, dont le consciencieux tragédien demeurait moins content que le public
« 25 février Joué le Roi Lear, non pas à ma propre satisfaction, quoique j'aie été rappelé et très chaleureuse enclose you the card of a Box, which I hope you will occupy and I have furthér to request that you will do me the honor (and it isone I shall most sensibly appreciate) of using the freedom of Covent Garden theatre for yourself and friend during your stay in England.
You have possessed me with a portrait of the great Cardinal, but I car Ishall not be able to transfer the likeness to our scene there is too much passion I fear to enable me to give a représentation of that concentrated power of intellect which your description brought visibly before me. Let me here renew the expression of my very great obligations to you and assure you that I am profound sentiments of admiration and esteem,
my dear count,
and sincerely yours,
W.-C. MACREADY.
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ment accueilli par l'assistance. Bulwer et Forster sont venus dans ma loge, et après eux le comte de Vigny, qui s'est déclaré enchanté de la pièce. »
était naturel qu'Alfred de Vigny ne s'en tînt pas, à un compliment de passage et qu'il écrivît à Macready, pour lui traduire son sentiment profond et réfléchi sur la puissance de son jeu. C'est ce qui valutau poète et qui nous donne l'occasion de publier le billet suivant, non daté, où Macready apparaît de nouveau avec sa nature si distinguée et sa culture si élégante
« Mon cher Comte (1),.
« Vos observations sur les représentations du Roi Lear sont une récompense pour moi, récompense dont je suis reconnaissant et dont je puis justement être fier. Sachant la valeur d'un suffrage comme le vôtre, je ne puis que vous remercier chaudement pour le plaisir que j'ai de l'avoir obtenu laudari a laudato est au moins une pardonnable ambition.
« Espérant votre retour à Londres ou mardi ou avant mardi, je vous demande la permission d'enfermer ici le coupon de votre loge pour ce soir-là, dans le cas où vous inclineriez à consacrer à Covent Garden le moment de votre arrivée, et avec ce coupon un autre pour jeudi, où (1) 13 Cumberland
Regent's Park.
Your observations upon the representation of Lear are a récompense to me one for which 1 am gratefui, and of which 1 may be justly proud. Knowing the value of a suffrage like 1 cannot but thank you fervently for the pleasure its possession gives me laudare a laudato is at least a pardonable ambition.
In the count of your return to London on or before Tuesday, I beg leave to enclose there the card of your Box for that night, in case you should incline to spend your coming at Covent Garden, and with it one for Thursday, when our experiment on
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notre essai du Richelieu doit être fait. J'espère qu'il pourra n'être pas trop anglais pour votre goût plus sévère. « Avec des sentiments d'admiration et de respect reconnaissant, je suis,
« mon cher comte,
« très fidèlement vôtre.
« MACREADY. B
La réponse d'Alfred de Vigny à ce joli billet n'a pas été perdue; le poète français en avait gardé la copie aucun des lecteurs, amis de sa prose, ne le regrettera
« Je m'empresse de vous dire, Monsieur, que je pars demain matin pour la campagne et que je ne serai peutêtre pas de retour jeudi. Conservez-moi donc la loge que vous voulez bien m'offrir, pour le jour de la semaine prochaine où l'on donnera la comédie nouvelle. Tout le monde doit se trouver si heureux de vous voir que je me ferais scrupule de laisser une loge vide. Il faut laisser celle de jeudi à des personnes plus heureuses que moi. Je ne puis plus voir le roi Lear que sous vos traits dans mon imagination, et Shakespeare et vous ne me quittez pas depuis hier. L'art du théâtre est double comme un Centaure (1). Le Poëte et le Tragédien sont inséparables, et c'est une sublime union.
« Recevez encore, Monsieur, mes remerciemens et l'expression bien affaiblie de l'émotion profonde que j'ai emportée avec moi. Vous étiez toujours Roi et toujours Richelieu is to be made. 1 hope it may not be too English for your severer taste.
With sentiments of admiration and grateful respect, I am, My dear count,
Most faithfully yours.
W,-C. MACREADY,
(1) On peut s'imaginer que cette image du Centaure a été suggérée au poète par l'impression d'une visite aux métopes du Parthénon (le combat des Lapithes et des Centaures), au British Muséum.
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Père dans la folie et vous n'osiez pas vous fier au bonheur de revoir Cordelia. Tout cela est bien beau.
« Je ne résiste pas, comme vous voyez, .au plaisir de vous en parler encore, comme je fais à tout le monde. Il faut me le pardonner, je vous prie, et croire à mes sentiments les plus dévoués.
« ALFRED DE VIGNY. »
C'est sans aucun doute à cette période agitée et un peu fiévreuse des études et des essais que se rapporte une dernière lettre de Macready, la plus développée de toutes et la plus propre à nous révéler ce qu'il y avait de ressources critiques chez ce grand acteur et quel était l'effort de logique et de méditation qui présidait chez lui la composition d'un rôle
« Mon cher Comte (1),
« Une indisposition sérieuse s'oppose à mon désir d'aller en personne vous remercier de votre lettre obligeante, et me pousse à confier au papier l'assurance du plaisir qu'elle m'a donné. Je suis très heureux de vous avoir satisfait, ne fût-ce qu'en partie, dans ma tentative sur Richelieu, car la vérité est que je suis dans une situation embarrassante par rapport à lui. Vous avez gravé dans mon esprit une impression de l'homme que les événements de la pièce ne me donnent pas l'occasion de transporter à la scène.
(1) My dear Count,
Severe indisposition interferes with my desire of acknowledging in person your obliging note, and compels me to commit to paper the 'assurance of the pleasure it gave me. I am happy to bave satisfied vou, if only in part, to my attempt at Richelieu for the truth is, 1 am in an embarrassing position with regard to it. You have siamped upon my mind an impression of the man which the incidents of our play do not afford me the opportunity of transferring to the scene. entirely concurwith you in the advisability ot placing less reliance upen stirring action or incident for effect. But for poetry to
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« Je suis entièrement d'accord avec vous sur l'intérêt qu'il peut y avoir à faire moins de fond sur une action mouvementée ou des incidents à effet.
« Mais pour que la poésie ait sa légitime influence sur l'auditoire, elle doit être essentielle au développement du caractère ou de l'intrigue, comme dans les monologues de Wolsey, de Hamlet, de Macbeth et dans les scènes de ce dernier avec Lady Macbeth. Si la forme de l'expression des sentiments vient à revêtir un autre caractère, il ne faut pas, je crois, beaucoup compter sur son effet. « Nous ne saurions être en état de revenir à Shakespeare jusqu'à la préparation de notre fin de saison, époque où nous passerons en revue toutes ses pièces principales. Je voudrais qu'il vous fût possible de voir notre Macbeth, notre Othello, notre Coriolan, notre Jules César et aussi un drame de Lord Byron, Werner, mais je crains que vous ne nous ayez quittés avant qu'ils puissent être repris. J'enferme ici coupon de votre loge pour jeudi et vous assure que vous ne pouvez me satisfaire mieux que lorsque vous m'intimerez votre désir d'en, faire usage.
have its due power upon an audience it must be essential to the development of character or plot, as in the soliloquies of Wolsey, of Hamlet, of Macbeth,; and in the scenes of the latter with lady Macbeth if the form of the sentiment's expression would suit another character, 1 think its effect cannot long-be counted upon.
We shall not te able to return to Shakespeare until preparing for the close of our season, when we shall run through all his principal plays.
1 wish you could ha veseen our Macbeth, Othello. and Julius and also a play of Lord but 1 you will have left us before the, can be resumed 1 enclose you a card for your box on Thursday. assuring you. that you cannot gratify me more than by jntimating to me your wish to use it.
I am,
mydear count,
always most faithfully yours,
W.-C. MACREADY.
Cumberland Terrace,
Tuesday Morning,
Count Alfred de Vigny.
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Nous savons par le Diary que, dèsla première représentation jeudi 7 mars et malgré l'état d'énervement exaspéré où se trouvait, ce jour-là, le principal interprète, la pièce de Bulwer obtint un grand succès. La même source nous fournit un autre renseignement le 14 mars, la Reine vint entendre l'ouvrage. Alfred de Vigny assistait à cette soirée. « De Vigny est venu faire son tour après la pièce et il s'est déclaré ravi. Il m'a dit qu'il m'écrirait de Paris, et reviendrait pour voir jouer les pièces de Shakespeare il s'est excusé de ne pouvoir dîner chez moi, parce qu'il quittait Londres » (1).
Alfred de Vigny partait, en effet, non pas pour la France où il fut rappelé seulement vers la fin d'avril, mais pour le nord de l'Angleterre, où nous savons qu'il fit une excursion « de six semaines ».
On a fort peu d'indications sur ce voyage. Un billet d'Alfred de Vigny au comte d'Orsay nous renseigne à peu près sur le moment du départ. Ce billet est imprimé. Je renvoie les lecteurs, désireux de le connaître, au volume de 79) publié par Mlle Sakellaridès. Alfred de Vigny répondait à une lettre dn comte d'Orsay, écrite quel'ques jours après !a première représentation de Richelieu. Je donne ici la lettre de d'Orsay, parce qu'elle exprime un jugement assez curieux, peu différent, je pense, de celui d'Afred de Vigny, et parce qu'elle est inédite
(1) Ce diner, où Vigny ne put assister, lui aurait donné pour commensaux CI Mr. and Mrs. Procter, and Mrs, Stanfield, Mr. and Mrs. Dickens, Mrs Reid, Dowling, Price, Martins, Ettyi Forster, Rooke and Stone. »
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« Mon cher Alfred,
« En revenant hier au soir du pays classique de la chasse, le Northamptonshire, j'ai trouvé ton aimable billet; nous avions espéré de te voir de près à Covent-Garden, mais le fait est, que malgré que nous étions en face, il y avait presque une poste royale pour arriver de l'un à l'autre.
« Bulwer a rendu le cardinal ce qu'il n'était pas (sic) et Macready se figure qu'il était très vieux, malgré qu'il Fait mort à 57 ans. Sans ces deux inconvénients, c'eût été vrai et aussi bon.
« Tu vas partout, ce qui prouve que tu as du temps à toi dépenses-en un peu en faveur de ton ami affectionné. « ALFRED. »
« Lady Blessington t'envoie son dernier ouvrage avec ses amitiés bien sincères ».
C'est surtout le post-scriptuin de cette lettre qu'Alfred de Vigny vise dans sa réponse. L'ouvrage qu'on lui envoyait était the Idler in livre d'impressions de voyage qui eut un grand succès. Il en fait l'éloge avec grâce c'est au moment de partir pour Birmingham qu'il l'a reçu il observe maintenant « les Cyclopes dans leur antre » il oublie « l'odeur du charbon » en le lisant, et il lui semble « qu'il respire un beau bouquet arrivé de Florence (2) ».
Au retour de cette absence assez prolongée, Alfred de Vigny trouva Londres des lettres de Paris qui le pressaient de regagner la France. Il (1) The Idler in Italy fut publié à la fois à Londres et Paris dans les premiers mois de 1839.
79.
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partit précipitamment, se croyant sûr-de revenir. La destinée en décida tout autrement il ne revit plus l'Angleterre.
Quelle impression Alfred de Vigny, laissait-il aux Anglais ?
On a déjà vu ce que pensaient de lui un Henri Reeve, un Hawtrey et un Macready. L'opinion delady Blessington est celle d'une personne entièrement gagnée et qui ne veut pas mettre de sourdine à son admiration « Alfred de Vigny est un homme de sentiments délicats autant qu'il est un homme de génie. Mais les deux choses furent-elles jamais séparées ? » Chorley nous a laissé un jugement plus critique « Excessivement aimable, expansif, tendre, obligeant, dans une nuance trop pâle peut-être pour un homme. Mais est-ce à moi, ajoute-t-il, à moi. que toute ma vie on a raillé pour une semblable pâleur, de la lui reprocher ? »
Quelle impression le comte de Vigny emportait-il de l'Angleterre ?
En s'éloignant de la grande île, Alfred de Vigny n'éprouvait que gratitude et qu'amitié pour ceux qui l'y avaient traité si libéralement il gardait, au fond de son cœur, un attachement raisonné pour cette nation dont il avait pu mesurer les énergies puissantes. Si l'on en veut la preuve, la voici. En 1840, au moment où la rupture des relations entre la France et l'Angleterre fut sur le point de se produire, Alfred de Vigny écrivit, le même jour, le 18 octobre, deux lettres adressées, l'une à lady Blessington, l'autre au comte d'Orsay. La lettre à
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lady Blessington, dont j'ai donné plus haut tout un extrait, exprimait, sur la mort de lord Durham, des condoléances tardives, mais émues. La lettre au comte d'Orsay insistait très éloquemment sur le péril qu'une guerre entre les deux premières nations de l'Europe ferait courir à l'avenir même du monde. Vigny a eu raison de conserver la minute de cette lettre, d'une émouvante beauté
« Avant que les événements qui se préparent agrandissent la mer entre nous deux, je veux te serrer la main, mon ami, et te dire un mot d'amitié.
« J'espère que l'on trouvera un moyen ou de retarder cette guerre de géants qui semble prés de se déclarer, mais si le moment arrive où la France ne pourrait pas l'empêcher honorablement, si nous sommes condamnés à voir encore la civilisation s'arrêter et les grossières questions de la destruction brutale remplacer pour longtemps celles du progrès des idées dans la paix, j'espère au moins que toute communication ne sera pas fermée entre deux pays qui ont contracté tant d'unions malgré la politique, comme ces racines qui s'entrelacent sur terre entre les arbres malgré les jardiniers.
« Je pense souvent que tu auras à souffrir dans ton cœur de ces guerres de conversations qui s'engagent quand les hostilités commencent au dehors, et dans lesquelles on entend sans cesse accuser indirectement ses compatriotes. « On les défend, même dans leurs fautes, par sympathie pour eux, mais on se reproche tantôt de n'être pas juste. tantôt de les abandonner. C'était ma vie à Londres pendant près d'un an, et ce sera encore ainsi, si mes affaires m'y ramènent. Du moins je t'y trouverai et te rapporterai une amitié qui est et sera toujours la même.
Le lien d'affection .d'Afred de Vigny avec les amis qu'il venait d'acquérir ne fut pas brisé par la distance.
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Au milieu de l'année 1839, Chorley vint à Paris. Le comte de Vigny se fit son guide au Musée du Louvre, au Théâtre-Français. Ils virent ensemble Mlle Rachel dans le Tancrède de Voltaire etM"e Mars dans la comédie de Marie de M"'e Ancelot. Ils discoururent sans fin sur notre tragédie classique et sur Shakespeare Alfred de Vigny eut à défendre, contre les dédains de Chorley, le .Misanthrope et la vérité des sentiments dans Molière ils s'entendaient, à demi-mot, sur beaucoup d'autres points.
Hawtrey prit l'habitude de rendre visite à Vigny chaque année. En 1847, le head-master d'Eton écrivit au poète, et cette fois en bel et bon français, une lettre de recommandation, II lui adressait son grand ami l'historien Henry Hallam (1), veuf depuis peu de temps, toujours en deuil, malgré quatorze ans écoulés, d'Arthur Henry, son fils ainé, et menacé, sans le savoir, de perdre Fitz-Maurice, le cadet, l'élève chéri de Hawtrey. Voici cette lettre, datée du 31 octobre
« Le souvenir de bontés Monsieur le Comte, pendant mes séjours annuels à Paris, m'encourage il vous présenter mon ami Monsieur Hallam qui aura le plaisir de vous remettre ce billet..
« Il est possible que vous aurez déjà connu M. Hallam personnellement il est certain que vous l'aurez connu de réputation est assurément le premier de nos historiens vivans.. Son caractère d'ailleurs n'est pas moins aimable que sa réputation est distinguée.
« Il doit passer quelques semaines à Paris avec son fils et ses filles, trois aimables personnes dont le premier s'est déjà beaucoup distingué à l'Université de Cambridge. (1 Voir sur Henry Iiallarn une très belle notice de Académie des sciences morales et politiques, 3 janvier 1862.
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« Je vous prie, Monsieur, de la part de nos dames (1), de présenter nos compliments amicaux à Mme la Comtesse de Vigny et d'agréer en même temps l'assurance de mes sentiments les plus distingués.
« E. HAWTREY. »
Macready revint à Paris, en représentations, le 15 décembre 1844. Il donna Othello. le 16, à la salle Ventadour, puis Virginius, puis Werner, puis Macbeth. Il rejoua Macbeth pour le Roi, au théâtre des Tuileries. Il vit Alexandre Dumas. Eugène Sue, George Sand et Victor Hugo il repartit vers la fin de janvier. S'il ne fait pas allusion aux rencontres avec Vigny, c'est qu'il ne nomme guère ici, me sembic-t-il, que ses connaissances nouvelles. Il ne put pas ne pas se retrouver avec lui, ne fût-ce qu'à la lecture du Jules César de Barbier, le 19 janvier 1845, avenue Marbeuf, « chez Mistress Austin ». Ce qui n'est pas douteux, c'est que l'année suivante, en avril 1846, Macready, sur la recommandation d'Alfred de accueillait à Londres Léon de Wailly avec la même chaleur d'amitié qu'il lui aurait réservée à lui-même (2),
Les Austin, de 1844 à 1848, vécurent à Paris. Ce fut toujours pour le comte de Vigny la plus heureuse des fêtes que de pouvoir, à certains soirs, (1) La mère et les sœurs de Hawtrey. Il mourut « unmarried ».
(2) « Je vous dirai qu'il (Macready) est toute obligeance, toute amabilité, et que si vous imaginez quelque moyen de me soulager d'une partie de mes obligations envers lui, vous me rendrez service. Puisque vous voulez des détails, il m'a donné, comme je crois vous l'avoir dit, un dîner splendide où il m'a fait trouver avec Dickens, et après-demain je dîne encore chez lui je ne sais pas avec qui. (Lettre inédite de Léon de Wailly à A. de Vigny.)
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amener dans le cercle de ses proches parents de France, les Peyronnet, les Clérambault, et de ses plus intimesamis, Auguste Barbier, Léon de Wailly, Philippe Busoni, sen amie anglaise, Mrs. Sarah Austin. C'était entre elle et lui un échange piquant autant qu'affectueux de fines et légères railleries. La nature de leurs relations s'exprime bien dans deux lettres dont l'ouvrage de lady Janet Ross sur sa grand'mère ne contient que la traduction anglaise, mais qui ont été données dans le texte assez récemment (1). Je ne reproduirai pas ces lettres; j'en apporterai une troisième, qui est une lettre inédite de Mme Austin à Alfred de Vigny. Elle est écrite en français, en un fort bon français, que l'accent étranger ne gâte pas, mais relève
Cher M. de Vigny,
« Vous me méprisez, mais peut-être voudrez-vous venir voir Lord Normanby qui désire vous connaître, et non pas seulement vous voir. Je lui ai dit que c'est ce qu'il avait de mieux à faire, et il me témoigna beaucoup d'empressesement, et là-dessus se propose pour une soirée. Jeudi donc, le voulez-vous ? puisque c'est là le jour qu'il me donne.
« Je n'entends pas parler. de Lady Normanby dans cette affaire. C'est pourquoi je n'insiste pas auprès de Madame de Vigny, qui sait, du reste, combien j'ai de plaisir à la voir.
« Auriez-vous peur de compromettre l'honneur de la France ?
« J'espère que non. Quoique je vous avoue que je trouve notre pauvre cher représentant un peu malheureux dans ses efforts, du reste très à se rendre agréable aux Français.
(1) Mercure de Ier juin 1809.
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« Mais soyez bon Prince. Avec cela vous me donnerez le grand plaisir de vous voir.
« S. AUSTIN. »
Mais c'est surtout avec Alfred d'Orsay qu'Alfred de Vigny resta en relations c'est de lui qu'il continua à réclamer et à recevoir des services.
En 1848, pour assurer son ami qu'il n'avait pas cessé de le chérir, il lui recommandait un sien Jean de Clérambault, enseigne de vaisseau, désireux d'être accrédité pour visiter les arsenaux anglais, Cinq ans plus tard, il le priait de ménager au musicien Hector Berlioz, son ami, la faveur du public de Londres (1).
Au moment même où, pour répondre au vœu du comte de Vigny, lady Blessington et le-comte d'Orsay, Mécènes infatigables, déterminaient un mouvement de sympathie et d'admiration aussi puissant qu'inattendu pour les œuvres du compositeur français, beaucoup plus applaudi en Angleterre qu'en France, cet établissement mondain de Gore House si brillant et si plein d'attrait, mais sans assises solides et depuis bien longtemps miné dans ses profondeurs, allait s'anéantir.1 La ruine chassa de Londres, à quelques jours de distance, le, comte d'Orsay et lady Blessington ils se retrouvèrent à (1) Les services rendue par Alfred de Vigny et par ses amis anglais au compositeur Berlioz seront indiqués, avec le détail qu'il convient, dans le chapitre sur les rapports d'Alfred de Vigny avec les artistes, peintres, sculpteurs et musiciens, au second volume de cet ouvrage.
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Paris. Un mois après son arrivée, lady Blessington y mourut D'Orsay lui survécut, trois ans à peine (1).
Il ne serait pas juste de quitter le comte d'Orsay sans en quelques mots, ce qu'a été la fin de sa brillante existence et plus particulièrement ce qu'a été sa mort.
Il avait loué à Paris, en 1849, un très vaste atelier et quelques pièces attenantes. Dans ce hall spacieux, adroitement drapé et meublé d'objets d'art, il reçut; pendant quelque temps, des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des écrivains et des hommes d'Etat. C'est l'époque où il improvisait portraits, bustes, médaillons, essayant de tirer parti de ses moyens de dessinateur et de statuaire, qui étaient ceux d'un amateur doué supérieurement.
Louis Napoléon, pendant son exil, avait eu de grandes obligations au couple deGore House. Quand il fut élevé à la présidence, il eut la pensée dedonner à d'Orsayune ambassade en Hanovre, mais le ministère, à ce qu'on dit, s'y opposa (2). C'est à la fin de 1851 que, pris de remords ou plus indépendant, le Prince osa faire de son ami, déjà marqué pour la tombe, un surintendant des Beaux-Arts ce fut pour Alfred d'Orsay une faveur in extremis, un titre du sépulcre. Une maladie de « l'épine dorsale », qui s'était installée insidieusement dans ce corps si plein de vigueur, prit un caractère alarmant, au commen(1) Il était bien plus jeune qu'elle. Il fut inconsolable de sa mort. C'est dans le caveau de la famille du comte d'Orsay, à Cbambourcy, que lady Blessington fut enterrée.
(2) La tradition est recueillie dans les Mémoires de Gréville.
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cement du printemps de 1852 elle ne fit qu'empirer pendant quelques semaines passées près de la mer le 4 août de cette même année, la mort mettait fin aux souffrances.
Lorsque lady Blessington était morte, presque sú. bitement, au mois de mai.1849, Alfred de Vigny se trouvait au Maine-Giraud. Il n'eut guère le temps de se retrouver dans la société d'Alfred d'Orsay, puisque, rentré à Paris seulement à la fin d'octobre ou au commencement de novembre 1849, il repartit pour sa petite terre cle l'Angoumois le 8 juin 1850. A dater de ce jour, la santé, toujours précaire et plus d'une fois menacée, de Mme de Vigny le retint au Maine-Giraud pendant plus de deux ans. Il y était au mois d'août 1852. C'est là que lui parvint la douloureuse nouvelle de la mort de son camarade d'adolescence.
A la place d'Alfred de Vigny, le peintre Jean Gigoux, intime ami du poète, se tint avec deux ou trois autres (le prince Napoléon, fils de Jérôme, Emile de Girardin, le Dr Cabarrus), auprès du fauteuil de d'Orsay pendant les dernières semaines de sa vie, et, auprès de son lit, à ses derniers moments. De ses vraiment intéressants dans leur simplicité un peu rustique, je ne détacherai que peu de mots « Quoique atteint de la colonne vertébrale, nous dit-il, le malade ne se plaignait jamais. »
Ce trait nous fait connaître Alfred d'Orsay mieux qu'aucun autre. Ruiné, la mauvaise fortune n'avait pas pu altérer son aimable et bienfaisante humeur. Tant qu'il resta debout, son « rire large » c'est encore une expression de Jean Gigoux n'avait pas cessé de traduire, aux yeux de tous, la bienveillance
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inaltérable d'un cœur que les succès de ses amis mettaient en joie autant que leurs moindres ennuis lui causaient d'affliction. Frappé d'un mal terrible, il ne fit pas mauvais visage aux douleurs fulgurantes de l'ataxie et il garda, devant la mort, le maintien correct, discret, presque courtois, d'un homme de grande race (1)..
(1) Dans le journal de Macready, on trouve au chapitre Deuils domestiques, Domcstic Losses, ces lignes relatives à la mort de son vieil ami « Avec une profonde affliction, reçu la nouvelle de la mort du cher comte d'Orsay. Aucun de ceux qui le connurent et qui avaient du cœur ne put s'empêcher de l'aimer De son vivant il était au plus haut degré attrayant et Il était impossible d'être insensible à ses manières d'être gracieuses, franches et affectueuses. J'ai sujet de penser qu'il m'aimait, beaucoup peut-être, et je lui rendais sûrement la plus affectueuse estime. C'était l'homme le plus brillant, le plus aimable, le plus séduisant que j'aie jamais vu, enjoué, spirituel et, avec cela. tête claire. Mais le nom de d'Orsay à lui seul avait comme un charme même dans les cités les plus lointaines des Etats Unis, tous avec intérêt faisaient des questions sur lui » Macready' and Selections from his diaries and letters, edited by Sir Fr. Pollock bart, 2 vol 1875.)
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CHAPITRE III
LES AMIS DE RÉGIMENT (TAYLOR, DITTMER, DE CAILLEUX, LE COMTE DE MONTCORPS, LE COMTE GASPARD DE PONS, PAUTHIER DE CENSAY, LE COMTE FRANCE D'HOUDETOT).
Au régiment comme au collège, l'amitié d'Alfred de Vigny ne se répandit pas dans tous les sens elle se concentra sur quelques-uns avec une ardeur exclusive et presque ombrageuse. Il se lia et restera lié toute avec Taylor, Dittmer, Alphonse de Cailleux, le comte de Montcorps, le comte Gaspard de Pons, Pauthier de Censay, le comte France d'Houdetot. Dittmer, Cailleux, Montcorps, Gaspard de Pons, étaient, à quelques mois près, du même âge que lui Pauthier, seul, était de cinq ans plus jeune Taylor et d Houdetot appartenaient à une génération antérieure Taylor était né en 1789, France d'Houdetot en 1786. Ce ne sera pas quitter Alfred de Vigny que de s'expliquer tantôt brièvement, tantôt avec détails, sur ces sept amis de jeunesse.
I
Celui que l'on a, pendant plus d'un demi-siècle, appelé « le baron Taylor A, et qui reçut de Charles X, en 1825 seulement, à l'occasion du sacre, ce titre de baron, fut, à son moment, un officier de mérite.
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Ce n'est pas qu'il ait eu de bonne heure, comme Alfred de Vigny, l'ambition de « l'épaulette » On avait voulu le diriger vers l'École polytechnique il délaissa cette préparation pour entrer dans l'atelier du peintre Suvée, et pour s'employer, aussitôt qu'il le put, sous la direction de Cicéri. à la confection de décors de théâtre. Exempté de la conscription en 1808 pour faiblesse de constitution, il avait été rappelé en 1812 et avait dû payer son remplacement finalement, en 1814, on l'avait incorporé dans la garde mobile avec le titre de lieutenant. La première Restauration fit de lui un garde du corps la seconde, après le licenciement des fameuses compagnies rouges, le nomma lieutenant de cavalerie. Le 16 mai 1815, le général comte d'Orsay, commandant la deuxième brigade de la garde royale, le prenait pour de camp. Après avoir, de 1816 à 1819, visité la Hollande, l'Angleterre et l'Espagne, avec la même curiosité d'artiste qui lui avait déjà fait parcourir, entre 1808 et 1813, la Belgique. l'Allemagne et l'Italie, Taylor fut nommé lieutenant d'état-major de la garde royale et, le 15 avril 1823, il se rendait en Espagne comme attaché à 1 état-major du 5e corps, commandé par le maréchal marquis de Lauriston. Il fit la campagne à la fois en soldat et en curieux. On le chargea de plusieurs missions qui n'étaient pas sans péril, et il s'en acquitta de manière à mériter d'être cité à l'ordre du jour de l'année, en attendant d'être nommé, le 20 juillet 1824, au grade de capitaine d'étatmajor.
Mais il voyait aussi tout le parti qu'un littérateur, maniant. le crayon, comme la plume, avec facilité, pouvait tirer des monuments, des costumes, des
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mœurs de ce pays peu exploré, original, et romantique s'il en fut, qui s'appelait l'Espagne. Il se promettait bien d'y revenir en temps de paix pour prendreplusàloisir des croquis et des notes. Il y retourna par le Maroc, avec Dauzats, le peintre orientaliste, et il en rapporta le Voyage pittoresque en Espagne. L'ouvrage de Taylor fut éclipsé depuis, pour l'intérêt du texte, par le Tra los montes de Théophile Gautier et, pour l'agrément de l'illustration, par les dessins de Gustave Doré semés à profusion dans la relation de Davillier. Ce que l'on peut dire de ce premierlivre à images sur l'Espagne, c'est que Victor Hugo l'avait eu sous les yeux et qu'il le revoyait dans son esprit en écrivant la partie espagnole des Orientales (1).
Ce fut pour les jeunes poètes de la Restauration un rare coup de fortune que la nomination de Taylor, le 9 juillet 1825, comme commissaire du roi pour le Théâtre-Français, au lieu et place de Chéron, démissionnaire.Taylor était l'ami de Charles Nodier. Il avait entrepris avec lui et avec Alphonse de Cailleux, dès 1820,cette publication des Voyages pittores(1) Les deux tiers environ des scènes et paysages gravés dans ce livre sont signés de Taylor. Etaient-ils de lui ou seulement à lui ? En 1825, Victor Hugo semblait faire cas de lui comme dessinateur. Il écrivait A sa femme « Je viens de déjeuner avec cet excellent ami (Nodier), et Rabbe, et Soulié, qui t'envoie un et Taylor, qui te prépare un dessin. » Mais dans le livre de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, le talent de Taylor n'a plus l'air d'être pris au sérieux. On y lit « MM. de Lamartine, Victor Hugo, Charles Nodier et Taylor se réunissaient pour publier un ouvrage intitulé provisoirement Voyage poétique et pittoresque à la de ChaM. de Lamartine avait deux mille francs pour chaque méditation, M. Victor Hugo deux mille francs pour quatre «des, Taylor deux mille francs pour huit dessins qu'il se chargeait non de faire, mais de et M. Charles Nodier deux cent cinquante francs pour tout le »
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ques et dans l'Ancienne France, qu'il continua seul et qui, après avoir fourni dix-huit volumes in 4°, demeura incomplète. La même année, 1820, Nodier faisait, avec trois compagnons, Eugène Isabey, Alphonse de Cailleux et « M. de Taylor », l'excursion qui fournira la Promenade de aux montagnes d'Ecosse. En 1821, Taylor et Nodier traduisaient ensemble, ou plutôt adaptaient pour la scène française, d'après le texte anglais du Révérend R. C. Maturin, le château de Saint-Aldobrand, un mélodrame noir qui s'intitulait « tragédie » Entre 1820 et 1823, être l'ami et le collaborateur de Charles Nodier, c'était s'apprêter à devenir l'ami et, d'une autre façon, le collaborateur de Soumet, de Pichat, d' Alexandre Dumas, de Victor Hugo et d'Alfred de Vigny.
Le premier soin de Taylor, après être monté à l'assaut du Théâtre-Français, fut, en effet, de hisser jusqu'à lui, et d'introduire dans la place, les auteurs de la jeune école. Le Léonidas de Pichat dormait, depuis 1822,dans les cartons de la Comédie Taylor l'en tira il y intéressa Talma et Mlle Duchesnois il amadoua la censure ;il dessina des costumes ;il commanda à Cicéri une décoration le succès de l'ouvrage représenté fut extraordinaire. Dumas père, qui a joliment raconté, et à plusieurs reprises, ce coup d'essai de Taylor, lui dut egalements son premier triomphe dramatique (1). Et, un peu avant la mort ;1) Lorsque l' auteur de Henri III et la Cour mourut en 1872 Dumas fils ne voulut pus qu'ou entendait aux obsèques une autre voix que celle de l'ancien commissaire royal du ThéâtreFrançais. « C'est à vous, lui écrivait-il, qu il revient, ayant ouvert à mon père les portes de la gloire, de lui ouvrir celles de la postérité, et vous trouverez des paroles aussi touchantes pour ce dernier adieu que pour le premer souhait.
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de Talma, Taylor avait songé à mettre à la scène le Cromwell de Victor Hugo lorsqu'il se fut assuré que ce drame était injouable, il fut heureux d'accepter, en échange,Un duel sous Richelieu si cettepièce ne fut pas applaudie dès 1829, c'est que le ministre de l'Intérieur en interdit la représentation.En faisant répéter et jouer, quatre mois après (1), Hernani ou l'honneur castidlan, Taylor permit au poète, cruellement déçu dans ses espoirs, de prendre une revanche inoubliable.
C'est grâce à son ancien camarade de la garde royale qu'Alfred de Vigny, lui aussi, put produire son Othello. Il raconte, dans une lettre écrite à Busoni beaucoup plus tard (2), comment « un soir » Taylor vint « tout à coup » lui prendre, chez lui, « le manuscrit encore imparfait du More de Venise. pour le mettre en répétitions ». Alfred de Vigny ne se douta probablement jamais que Taylor avait eu recours à lui, poussé par la nécessité, et pour ne pas rester sans nouveauté au début de la saison d'hiver de 1829, entre l'interdiction d'Un duel sous Richelieu et la rapide éclosion du drame d'Hernani.
Dans la Correspondance d'Alfred de Vigny, du recueil Sakellaridès, deux lettres ont trait aux répétitions d'Othello. On y devine que le directeur artiste ou frotté d'art ne fut pas inutile à l'auteur pour la mise en scène de son ouvrage « Vous m'avez ravi ce matin, » lui écrivait Alfred de Vigny, au mois (1) Le miuistre. M. de la Bourdonnaye, déclara, le 13 août 1829, à l'auteur de Un duel sous Richelieu, l'interdiction de su pièce au mois de décembre de la même année, bernant était en répétitions la première représentation eut lieu le février 1830.
(2) La lettre est du 22 novembre 1848.
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d'août 1829, « par vos conceptions si poétiques et si colorées ce miroir est charmant. »
A cette date de 1829, Alfred de Vigny, ayant demandé et, obtenu sa mise en réforme comme oflicier, avait quitté l'uniforme. Taylor, tout en dirigeant le Théâtre-Français, restait dans les cadres de l'armée. Il n'avait pas, comme Alfred de Vigny, à se plaindre de l'avancement. Lorsqu'il prit sa retraite en 1843, il venait d'être promu, après dix-neuf ans de congé ininterrompu, au grade de commandant d'état-major.
Cet homme heureux survécut quinze ans au poète Alfred de Vigny, qui était son cadet de huit années. II
France d'Houdetot, entré dans la marine à quinze ans, blessé grièvement à Trafalgar et passé, à vingt ans, dans l'armée de terre, en qualité de lieutenant, est surtout un soldat.
Sa carrière militaire, interrompue, en 1815, au début de la deuxième Restauration, et reprise, en 1823, à la faveur de la guerre d'Espagne, fut traversée par une sorte d'intermède mondain et littéraire qui dura huit années entières.
Son nom apparaît, en effet, en 1821, au bas d'un premier essai poétique, dans la livraison du littéraire, dirigé par Victor Hugo. Une pièce à refrain, très sombre de couleur, intitulée le Chant du vieux Morlaque, tiré du roman de Jean Sbogar, est signée du comte France d'Houdetot. Une note accompagne la pièce et présente l'auteur « Ces stances dit cette un
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nouveau degré d'intérêt parla comparaison qu'on peut en faire avec celles de M. de Chenedollé sur le même sujet, publiées dans ses Études poétiques. Nous, connaissons de M. le comte d'Houdetot plusieurs autres pièces pleines de sentiment et de grâce c'est un nom qui se place tout naturellement au bas des jolis vers. La pièce et la note reparaissent, deux, ans après, dans les Tablettes littéraires, le premier manifeste collectif de la littérature romantique.
Entrer dans les lettres, à 37 ans, avec trois couplets funèbres et quelques autres pièces du même ordre pour tout apport, c'était, n'en déplaise à l'ami très encourageant du Conservateur littéraire, risquer de ne pas aller loin. Mais, au lieu de perdre son temps et ses rimes dans les cénacles, l'ancien aide de camp du maréchal prince d'Eckmühl, promu, dès 1812, c'est-à-dire à vingt-six ans, au grade de chef d'escadron, et retenu, bien malgré lui, depuis l'âge de vingt-neuf, dans la situation de non-activité, saisit l'occasion qui s'offrait à lui, en 1823, de redemander du service. Il prit part à l'expédition d' Espagne, comme officier attaché à l'état-major du maréchal marquis de Lauriston il se distingua au siège de Pampelune et fut fait, à peu de temps de là, officier de la Légion d'honneur. Il passa lieutenant-colonel trois ans après, devint alors aide de camp du duc d'Orléans, le futur Louis-Philippe 1er, fut promu colonel dès le début du régne,puis maréchal de camp, puis lieutenant général, tout en siégeant à la Chambre comme député de Bayeux, de 1837 à 1848 il suivit enfin dans l'exil le souverain à la destinée duquel il avait, depuis déjà vingt-deux ans, attaché sa fortune. Alfred de Vigny et France d'Houdetot, malgré la
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différence d'âge, étaient en relations intimes d'amitié. Quand la guerre, dont Chateaubriand disait « C'est ma guerre », fut décidée, les deux poètes se mirent en marche avec la même envie de s'illustrer par des exploits guerriers, mais un mauvais sort retint Alfred de Vigny au pied des Pyrénées, et c'est par un échange de lettres qu'ils apprirent l'un de l'autre, de six mois. ce qu'il était advenu de chacun d'eux.
Nous n'avons pas la lettre où Alfred de Vigny exprimait sans doute à son ami l'ennui de sa déconvenue, mais nous avons celle où France d'Houdetot lui répondait. Elle traduit l'enthousiasme d'un homme jeune, brave, ambitieux, qui se replonge dans l'action, au sortir de huit ans de repos forcé, et qui ne peut taire sa joie
« Sarragosse, le 7 octobre 1823 (1).
« Je réponds un peu tard à votre aimable lettre, mon gentil Alfred, mais vous me le pardonnerez quand vous saurez que je l'ai reçue à la tranchée pendant une affaire très-chaude, et que depuis nous avons tant livré de combats et fait de courses que je n'ai pas eu une minute à moi. Les journaux vous ont raconté la prise de Pampelune et celle de Saint-Sébastien, les deux seules opérations pour lesquelles le cinquième corps ait été créé. Nous avons fait notre besogne assez lestement. Pampelune est une ville très-forte, mais que ne fait-on pas avec des soldats comme les nôtres ? J'avoue que j'ai vu les beaux temps de notre gloire militaire et que je n'ai rien à regretter. Des lions dans le combat, des moutons après ceci est à la lettre j'en ai pleuré d'admiration quand nous avons été maîtres de la ville. Des soldats de la Foi s'y étaient glissés entre (1) Cette curieuse lettre est inédite. J'en ai respecté l'orthographe et, partout où la chose était possible, la ponctuation.
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nos jambes et se mirent à piller, à violer et vouloir jouer du couteau. Comme vous pouvez bien le penser, nous nous mîmes à la besogne, les officiers, et nous parvînmes à rétablir l'ordre non sans peine je crois que de ma vie je n'ai donné tant de coups de sabre mais ce qu'il y a d'admirable, c'était nos petits soldats parcourant les rues, protégeant les femmes et les malheureux constitutionnels; enfin, sur mon honneur, je n'en ai pas vu un pris de vin, mais tous indignés de l'atroce conduite de ces hommes. Plus que jamais je dis que le métier de soldat est le plus beau qu'il y ait au monde.
« Vous savez qu'entre tous les dangers de guerre nous avons cumulé la fièvre jaune. Maintenant, nous nous portons sur Lérida qu'il faut assiéger et prendre. Ce sera l'affaire de 15 à 20 jours, puis Tarragone et ensuite Barcelone. Vous voyez, 'mon ami, que nos travaux guerriers ne sont pas prêts à finir. Pour un amant de la gloire, j'ai une belle perspective devant moi. Tant mieux. Je ne veux pas rester en arrière de vous autres illustres il faut que la postérité puisse dire Ils étaient ami. On a été assez content de moi pendant le siège, si je veux les en croire. Le maréchal a demandé un grade et la croix d'officier pour moi. Nous verrons ce qui arrivera. Je suis philosophe. « Mon ami, quelles femmes que cesEspagnoles qu'elles sont charmantes et coquettes 1 Comme elles veulent être aimées! Moi, qui suis d'une bonne pâte, je fais ce qu'elles veulent. Votre Dolorida est vraie. J'ai ici la copie et, comme vous pouvez bien le penser, je ne bois rien chez elle. Je l'appelle toujours Dolorida elle a voulu savoir pourquoi. Je n'ose pas lui dire de peur qu'il ne lui prenne la fantaisie de vouloir lui ressembler tout à fait. Le caractère espagnol est fier chez les hommes il n'y a de douceur que chez les femmes et dans les Eglises. Moi, indigne, j'ai passé deux heures hier matin dans l'Eglise de la Seo (1), dans une extase impossible à décrire, inspirée par (1) La cathédrale de Saragosse. L'expression de SainteBeuve à propos de Chateaubriand « un épicurien qui a l'imagination catholique ici elle convient à la plupart des romantiques, y compris l'auteur de et des Consolations.
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la présence de Dieu, par le lieu même qui est un ancien monument maure. par la manière dont il était éclairé à travers les épais rideaux qui couvraient les fenêtres et les grandes ombres des piliers qui se projettaient d'une manière admirable. Mon cher Alfred, il faut que le poète voyage. Leurs plus belles inspirations existent dans la nature, et telles choses qui laissent le vulgaire froid éclairent qui a l'âme poétique.
« Donnez de mes nouvelles à nos amis dites-leur que je les aime et que je soupire après nos réunions de Paris où nous nous entendions si bien. Donnez-moi des nouvelles de la Muse française. Qu'en dit-on ? L'abonné arrive-t-il ? J'attends avec impatience le n° de ce mois dans l'espérance qu'il y aura quelque chose de vous pourquoi pas encore ?
« Ecrivez-moi, cher Alfred, à l'Etat-major du corps, maréchal de Lauriston.
« F. DH.
Les relations de France d'Houdetot avec le premier groupe romantique durèrent encore quelque temps. M. Jules Marsan, dans l'introduction, riche de faits et d'idées. qui précède le 1e'' volume de sa réédition de la Muse française, note, avec à propos, que les Tristes de Jules de Rességuier sont au comte d'Houdetot.
D'autre part, dans une lettre inédite d'Emile Deschamps à Alfred de Vigny, lettre datée du 20 octobre 1824, je lis « D'Houdetot est plus romantique et plus votre ami que jamais. » Et dans la lettre du 28 avril 1825 où Victor Hugo annonce à Alfred de Vigny que le Roi vient de lui donner la croix et de l'inviter à son sacre, tout le monde a pu lire « Em (1) Ce sont les initiales dont est signée dans les Tablettes romantiques, p. 336, la pièce de vers intitulée Chant du vieux Morlaque. D ailleurs, en tête de cette lettre, Alfred de Vigny avait écrit de sa main la mention « France d'Houdetot. »
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brassez pour moi Emile, Soumet, Guiraud, d'Houdetot et tous nos bons amis auxquels j'écrirai dès que j'aurai quelque loisir(l). »
Enfin l'auteur de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie fait jouer un rôle à d'Houdetot dans le petit drame de. la grâce de Barbés
« Le portier appela sa femme pour garder la porte et alla au château. Au bout de vingt minutes, le portier revint. Monsieur, dit-il, le roi a lu votre lettre, mais vous avez bien fait d'écrire votre nom sur l'enveloppe. Il paraît que M. France d'Houdetot, qui est l'aide de camp de service, connaît Monsieur il allait jeter la lettre sur la table, lorsqu'il a lu votre nom. Alors il a porté tout de suite votre lettre et l'huissier a vu, par la porte vitrée, que le Roi la lisait. »
L'annuaire royal de 1832 nomme, en effet, parmi les aides de camp du Roi, le comte d'Houdetot. colonel d'état-major, aux Tuileries (2).
France d'Houdetot survécut trois ans à Alfred de Vigny. Il ne reprit la plume que peu de mois avant sa mort, pour raconter avec une émotion profonde le naufrage de l'Evening Star, survenu le samedi 29 septembre 1866, dans le trajet entre New-York et la Nouvelle-Orléans. Le paquebot Evening Star emmenait une troupe dramatique partie du Havre le 13 septembre et qui périt tout entière. La relation (1) Cette lettre de 1825 a été éditée dans la Correspondance de Victor Hugo, tome p. 221 et 222. Mais dans cette édition, prodigieusement défectueuse, le copiste a lu d'Hendicourt au lieu de d'Houdetot j'ai vérifié et rétabli la leçon exacte. (2) Un.autre poète du Cénacle, Antoni Deschamps, réclama l'amnistie pour Les Prisonniers de Ham, et il nous dit que son adresse en vers au Roi lui Fut remise « par M. le général d'Houdetot ». (Poésies d Antoni Deschamps, 1842, liv. III, V, p. 155, édit. Delloye.)
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du comte d'Houdetot porte comme épigraphe, à la manière romantique, cette phrase de Chateaubriand « La mort en nous touchant ne nous atteint pas, elle nous rend seulement invisibles. » C'était comme le mot d'adieu de ce soldat, qui fut, à son moment, disciple de Nodier et champion de la Muse française. III
Sur Alphonse de Cailleux, Dittmer, le comte de Montcorps et Pauthier de Censay, je n'ai presque rien d'inédit ou d'inattendu à fournir mais ils furent aussi des camarades chers à Vigny je ne crois pas pouvoir à leur sujet m'en tenir au silence. Alphonse de Cailleux, à peine revenu de cette expédition d'Espagne qui fut pour quelques-uns la moins périlleuse et la plus lucrative des campagnes, entra dans l'administration, au département de la Maison du Roi, avec le titre de secrétaire général des Musées, qu'il échangea bientôt pour celui de sous-directeur, et, peu après, de directeur adjoint, jusqu'au moment où il obtint la direction, laissée vacante, en 1841, par la mort du comte de Forbin. C'était.dans sa jeunesse, untrès aimable compagnon. A défaut des impressions d'Alfred de Vigny, qui ne se sont fait jour ni dans son Journal d'un poète ni dans sa correspondance, il doit être permis d'invoquer le témoignage de son intime ami. Victor Hugo. Je renvoie donc le lecteur aux lettres écrites à Mme Hugo par son mari, pendant le voyage à Reims, l'année du sacre elles nous parlent plusieurs fois d'Alphonse de Cailleux et le peignent sous des traits charmants. Alphonse de Cailleux n'ambitionna pas
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longtemps la réputation d'homme de lettres il laissa à Taylor tout le poids de la publication, entreprise avec Nodier et lui, en 1820. Son titre de directeur des Musées royaux devait suflire pour lui faire ouvrir toutes grandes les portes de l'Institut. Il fut élu, comme membre libre de l'Académie des Beaux-Arts, en 1846, en remplacement du comte de Vaublanc, dont il fut chargé exceptionnellement, n étant pas secrétaire perpétuel, de prononcer l'éloge, en 1870, au bout de vingt-quatre années de prescription.
Né deux ans seulement avant Vigny, en 1795, et mort dix-sept ans avant lui, en 1846, Dittmer avait été élève, avec lui, au Collège Bourbon, et, dans le même temps que lui, de la garde royale. Il servit dans les cuirassiers et fit, en 1823,1a campagne d'Espagne. Dès 1825, il avait donné sa démission, s'était appliqué aux études de médecine, comme Sainte-Beuve, et fut, comme Sainte-Beuve, de la rédaction du Globe. Après la révolution de juillet, tous les rédacteurs, ou peu s'en faut, chacun selon son grade ou son ambition, furent appelés à prendre quelque part à la direction des affaires publiques. Dittmer fut employé à diverses missions diplomatiques en Italie. Au retour, il fut nommé inspecteur général des haras, et après avoir passé par le poste de chef de division de l'agriculture et des haras, il devint, en 1845, directeur de ce double service il mourut cette même année.
Auteur dramatique à ses heures perdues, il collaborait volontiers à des vaudevilles sans préten-
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tion .(1). Il mit surtout la main aux spirituelles pièces de salon publiées en 1827 sous ce titre Les Soirées de Neuilly, par M. de Fougeray, 2 vol. in-8". Malgré le portrait et l'autographe placés en tête de cet ouvrage (2), M. de Fougeray n'existait pas ce pseudonyme cachait les noms des vrais auteurs, qui étaient Cavé et Dittmer.
Alfred de Vigny fut l'ami de l'un et de l'autre. Il usa d'eux, plus d'une fois, pour faire attribuer à des écrivains dans le besoin quelque aide ou quelque emploi. Il les intéressa, par exemple, à Brizeux. Une lettre inédite, adressée à Vigny par Brizeux, le 7 mai 1838, commence ainsi
« Notre affaire (car vous en avez fait la vôtre) me semble en bon chemin n'y pouvant rien, ni vous non plus, je la laisse conduire à la fortune ou plutôt à l'excellent M. Dittmer qui, par égard pour vous, fait tout pour moi. » L'affaire est sans doute celle dont il sera parlé plus explicitement dans une autre lettre inédite du 26 décembre 1846, qui porte, cette fois, la signature de Cavé, maître des requêtes et directeur des BeauxArts. Cavé annonce à Alfred de Vigny que, sur sa proposition, le ministre de l'intérieur a décidé « que la subvention annuelle de 1.200 francs allouée à Brizeux, à partir du ler juillet 1843, pour l'aider à exécuter son Dictionnaire topologique des anciennes provinces de France, lui sera continuée pour trois années à partir du lerjanvier 1847 0. Sur les instances (1) Biographes; Deux élèves ou l'éducation de famille ou l'éducation paternelle
(2) Le portrait est une excellente Monnier, qui s'est diverti faire, pour cette occasion, la charge de Stendhal.
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d'Alfred de Vigny, d'exceltent M. et son ami Cavé s'étaient associés, une fois de plus, non pas pour improviser quelque acte de vaudeville, mais pour faire une bonne action (1).
Les sentiments d'amitié d'Alfred de Vigny pour Dittmer se sont exprimés plus d'une fois. On lit dans le Journal d'un poète, à la page 109, dans le chapitre qui porte la date de 1836 « Dittmer vient me voir. Causé de Servitude et Grandeur militaires. Il pense, comme moi, que l'honneur est la conscience exaltée, et que c'est la seule religion vivante aujourd'hui dans les cœurs mâles et sincères. Mon opinion porte ses fruits. » Le souvenir de Dittmer et de sa solide affection se retrouve encore dans une lettre de Vigny à Busoni, datée du 15 avril 1852, et postérieure de six ans à la mort de l'ex-cuirassier de la garde « Vous avez prononcé en passant(2) un nom qui m'était cher, celui de Dittmer, mon camarade au collège et à l'armée et mon ami partout. Il y a un de ses ouvrages dramatiques, imprimé avec les Soirées de Neuilly et sur lequel vous devriez revenir, c'est la conspiration de Mallet. Il y a mis, je crois, plus que Cavé qui ne connaissait pas comme lui le côté stupide de l'armée et n'était pas de'scendu dans ses profondeurs qu'il faut habiter pour y croire. Il y a là un personnage vraiment curieux et historique, c'est un caporal qui fait copier et copie toutes les pièces nécessaires à la conjuration sans les comprendre. » La part d'invention de Dittmer était-elle supérieure à celle de (1) Pour être tout à fait exact, Cavé avait continué seul, après la mort de Dittmer, ce qu'ils avaient, une première fois, fait ensemble.
(2) Busoni avait parlé de Dittmer dans sa chronique de tration.
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Cavé dans l'ouvrage en question, on n'en sait rien, et cela, d'ailleurs, n'importe guère mais ce qui apparaît ici sans aucun doute, c'est l'impression persistante qu'Alfred de Vigny a gardée du compagnon d'enfance et de jeunesse, c'est aussi, en dépit de quelques mots bourrus et d'apparence rancunière, le sentiment d'émotion qu'il éprouve, lorsqu'il se reporte, par le souvenir, à ces heures, évanouies et idéalisées, de « servitude » volontaire et de virile « abnégation »
C'est à cette place du cœur que vint frapper, après quarante ans d'étoignement, mais non d'oubli, le comte de Montcorps, encore un ancien condisciple de la pension Hix, encore un camarade des compagnies privilégiées. Mousquetaire du Roi, pendant qu'Alfced de Vigny était gendarme du Roi, Montcorps s'était trouvé encore plus près de lui, comme sous-lieutenant au 5e régiment de la garde à pied, à la suite du licenciement de la Maison Rouge. M. de Savigny de Montcorps. petit-fils du comte, a publié, avec trois lettres de Vigny, document assez curieux sur les anciennes relations des deux officiers de la garde royale. Ce document est une épître familière en vers que le sous-lieutenant de Vigny adressait à son camarade de régiment à la suite d'une discussion amicale sur les caractères de la vraie poésie (1).
(1) A dire vrai, cette improvisation cursive. assez obscure et peu naturelle malgré la recherche du guère qu'un trait saillant, formé d'un de le poète urle
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Depuis l'époque où ces jeunes officiers disputaient des goûts et des couleurs littéraires, la vie les avait séparés. En 1855, le comte de Montcorps, amené à quitter son château du Nivernais pour séjourner quelque temps à Paris, voulut revoir Alfred de Vigny. En répondant à la carte de visite, et en fixant une heure de rendez-vous, le poète priait son ancien camarade de régiment de le considérer comme « le plus fraternel ami » qu'il pût « avoir au monde ».
L'année suivante, quand M. de Montcorps revint à Paris, Alfred de Vigny était retenu dans sa chambre par un accident. Il envoya « de son lit de blessé » au gentilhomme provincial le billet que celui-ci avait souhaité d'avoir pour une réception académique. Il regrettait de ne pouvoir s'y rendre de son côté. Il l'invitait à venir lui conter « ses impressions de voyage à l'Académie française ».
La dernière lettre écrite par Vigny à Montcorps est un « bulletin » de malade, transmis à un malade. La date est du 16 mars 1863. Alfred de Vigny, que le cancer dévorait lentement et avec d'atroces douleurs, était à six mois de la mort
« Je vous écris disait-il à son ami du fond de mes rideaux qui savent seuls combien je souffre encore. Je vous plains et je gémis de n'être pas en état d'aller m'asseoir près de votre lit et vous serrer la main avec cette bonne amitié de frère d'armes qui fait que je suis comme alors, tout à vous. »
dédaigneusement des vers faciles, qu'on dit fugitifs, parce qu'ils sont à fuir Un détail encore est à retenir pour l'intérêt autobiographique « Moi. je vais déjeuner et puis lire la Bible. »
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« Frère d'armes » C'est cette appellation, affectueuse avec solennité, qu'Alfred de Vigny, un peu de temps avant sa mort, donnait à un autre ami de jeunesse, Guillaume Pauthier, un ancien soldat, caporal et sergent du 55e d'infanterie, qui écrivait des vers, au régiment, comme son capitaine, et à qui celui-ci, lorsque la compagnie se mettait en marche, confiait le soin de porter dans son sac une Bible de petit format.
Après avoir publié, au sortir du service, quelques volumes de vers, Guillaume Pauthier de Censay, qui s'était mis à l'étude des langues asiatiques sous la direction de l'illustre Abel Rémusat, devint un bon orientaliste et un belliqueux sinologue.
Je me garderai de refaire ici longuement, inutilement, la biographie de Pauthier. Elle a été écrite deux fois dans des intentions diverses, mais avec un égal mérite, par un poète distingué, Xavier de Ricard, le propre neveu de Pauthier, et par un érudit, Gustave Dugat. auteur d'une Histoire dés orientalistes de l'Europe du Xjle au XIXe siècle Presque tout ce qu'on a pu imprimer en dehors de ces deux notices, l'une tracée avec dévotion par un homme aussi informé que possible de la vie de Pauthier, l'autre établie avec autorité par un bon juge des travaux scientifiques, vient de là il convient de ne pas le taire, puisqu'on ne l'a pas assez dit.
J'essaierai, tout au plus, d'atténuer un peu le verdict prononcé par Xavier de Ricard sur les ouvrages poétiques de son oncle. Parnassien très convaincu, et par suite très exclusif, Ricard est choqué plus
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qu'il n'est nécessaire par les insuffisances de la forme chez l'auteur des Helléniennes, des Mélodies poétiques, du Pèlerinage de Childe Harold traduit en vers français. Il n'attribue une véritable valeur qu'à l'édition des Odes nouvelles de Kalvos de Zante; avec une traduction en regard. Je serais assez porté à exprimer sur les écrits poétiques de Pauthier de Censay un jugement opposé. De tous ses ouvrages, celui qui lui fait peut-être le moins d'honneur, c'est sa traduction de Kalvos de Zante. Elle ne révélait pas au public français ce Tyrtée de l'indépendance hellénique. Un premier recueil d'odes de Kalvos avait été traduit en prose, très exactement, dès 1824, par Stanislas Jullien. Pauthier ne faisait donc, en somme, qu'aller sur les brisées du premier interprète. Il est fort possible que Stanislas Jullien ne le lui ait point pardonné. Lorsque Pauthier, devenu sinologue, voulut forcer les portes de l'Institut, sa candidature, d'ailleurs prématurée, lorsqu'elle se produisit pour la première fois, trouva dans Stanislas Jullien un adversaire implacable. Même à l'époque où les titres de Pauthier n étaient plus contestables, Stanislas Jullien les dépréciait de telle sorte qu'il écartait le candidat, et ce fut ainsi jusqu'à la mort de ces deux ennemis, qui se suivirent d'assez près dans le tombeau. Personne, à 1 Institut, ne se rappelait les deux traductions de Kalvos de Zante personne ne se serait imaginé que le dédain de Stanislas pour les travaux scientifiques de Pauthier les plus dignes d estime, pût être lié à son ressentiment inexpiable, autant qu'inavoué, d'une ancienne rivalité purement littéraire.
Il y a, par contre, quelque intérêt, ne fût-ce qu'un
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intérêt historique, à cause du choix des sujets, dans le recueil des Helléniemies, précédées d'une épître à M. de Lamartine. Notons seulement qu'une sorte au comte de Vigny s'y trouve introduit, par deux fois, à la faveur d'une épigraphe, tirée d'Héléna, et d'une allusion directe à ce poème
Quels chants ont retenti sous les murs de Crissa ?
Quel luth harmonieux les redit dans Ce sont les beaux accords du chantre de Messène Et les accents plaintifs de la belle Helena.
Le recueil d'élégies qui a pour titre Mélodies poétiques contient au moins une pièce assez neuve d'inspiration, c'est l'Hymne au Soleil, avec cette épigraphe « Vulcain (ou le feu) est le père des Dieux (inscription d'un grand obélisque égyptien transporté à L'élève orientaliste commence à se faire jour. Ici encore, le poète s'arrange pour ramener le nom d'Alfred de Vigny par une citation de lui placée en épigraphe, en tête de la pièce, et à côté d'une citation de Schiller.
Alfred de Vigny aima et estima, toute sa vie, l'ancien soldat du 55e. Il se sentait, de son côté, sincèrement aimé et admiré de lui. Il le choisit pour être son exécuteur testamentaire. Comme il savait la persistante, et quelque peu mélodramatique, opposition que Stanislas Jullien avait faite à Pauthier, chaque fois que, depuis l'année 1838, il avait posé sa candidature à l'Institut (Inscriptions et BellesLettres), il eut la délicate pensée de léguer, par testament, son épée d'académicien à l'homme qui avait doté son paysde ce trésor d'érudition, l'édition avec commentaires du Livre de Marco Polo.
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Sans prononcer un seul mot indiscret, à la façon de cette académie orientale du Silence, c'était exprimer, avec un suprême éloge, un vœu réparateur qui ne fut point, d'ailleurs, réalisé.
IV
De tous ces camarades, celui qui, entre 1820 et 1825, paraissait être le plus intimement lié avec Alfred de Vigny, c'était Gaspard de Pons.
Dans Victor Hugo avant 1830, livre paradoxal écrit pour rabaisser Victor Hugo, le curieux érudit qu'était Edmond Biré s'est ingénié à faire de Gaspard de Pons un bon poète et un homme de beaucoup d'esprit. Mais les Adieux poétiques, farcis de prose et de vers, et la préface décousue, interminable, odieuse de prétention, des Essais dramatiques, démontrent qu'il ne fut à ce degré ni l'un ni l'autre.
Gaspard de Pons, était, d'une année, le cadet d'Alfred de Vigny, puisqu'il était né le 25 messidor de l'an VI, ou, comme le fait remarquer une note des Adieux poétiques, le 13 juillet 1798, « un vendredi et un 13 ». Comme Alfred de Vigny, Gaspard de Pons rimait des vers pendant ses heures de loisir, mais il avait affronté plus tôt l'écueil de l'impression. Sa plaquette de début, une Ode sur le Congrès d'Aix-la-Chaplle, publiée en octobre 1818, est d'une rare insignifiance. Elle exprime, sans aucun éclat dans la forme, un sentiment assez banal, et peu méritoire à cette date-là, le dévouement à la cause royale
Déjà notre brave jeunesse
Répond à l'appel de Louis.
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Veillons, cohorte vengeresse,
Sur la tige auguste des lis.
« Veillons au salut de l'Empire »
Ces accents, que j'aime à redire,
Furent souillés par mille excès
Mais, en dépit d'un noir délire,
« Veillons au salut de 1 Empire »
Ce cri sera toujours français.
C'est, apparemment, la strophe de l'ode que croyait manier Gaspard de Pons il ne tournait et assez faiblement que le couplet de facture du vaudeville..
L'année suivante, il produisait au jour une œuvre de quelque étendue, Constani et poème en quatre chants, suivi de Poésies diverses. Ce titre était accompagné d'une citation d'Horace assez adroitement dénaturée Inutile dulci. Dans la préface, l'auteur réclamait « quelque indulgence pour un poète de vingt et un ans ». Le poème, du genre héroï-comique, était d'humeur gaie, un peu incohérent, avec quelques traits assez vifs de scepticisme fanfaron et d'ironie superficielle. Deux vers semblent peindre les goûts et les habitudes du jeune rimeur
Rions, chantons, dansons, amusons-nous,
Rien n'est si gai que la noce d'un autre.
Ils sont à rapprocher d'une expression de Victor Hugo envoyant à Alfred de Vigny, dans une lettre de 1821, des nouvelles de leurs communs amis « Gaspard rit à Versailles » (1).
(1) On lit dans une note des Adieux poétiques, tome Il, page « Dans ce triste monde en général et en particulier à
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A travers les Poésies diverses, qui font suite à cette sorte de parodie épique, on pourrait relever, dans l'élégie A l'ombre d'un un passage qui exprime assez justement, malgré la mollesse de l'expression, l'inquiète ardeur des jeunes officiers de ce moment et leur aspiration à l'héroïsme. Et il n'est pas sans intérêt d'extraire de l'épître à M. le baron de la M* sur les infortunes de la jeunesse une déclaration de principes littéraires qui nous montre jusqu'à quel point Gaspard de Pons, à cette date de 1819, différait encore de tendances avec Victor Hugo, avec Alfred de Vigny, avec les plus marquants des écrivains nouveaux dont il allait devenir, quatre ans plus tard, le collaborateur à la Muse française. Ce n'est pas en avant, c'est en arrière que l'auteur de l'épître sur les lnfortunes de la jeunesse plaçait son âge d'or le xvmae siècle et l'image de ses mœurs galantes, fixée dans ses romans licencieux, dans ses poésies érotiques, voilà son idéal
O siècle fortuné du chantre de Corinne,
Où chaque pèlerin trouvait sa pèlerine,
Où qui voulait aimer n'avait qu'à faire un choix
Qu'êtes-vous devenus, jours heureux d'autrefois?
Les sophas révélaient maint amoureux mystère
Rousseau frondait nos mœurs que défendait Voltaire Je veux relire encore et Gresset et Laclos
Mon esprit se complaît dans ces riants' tableaux,
Et Bertin et Parny, dignes fils de la gloire,
Font retentir Paplros de leurs chants de victoire.
Autrefois est passé, Dieu sait s'il reviendra 1
Jugez de nos amours en lisant Atala.
propos des plus tristes sujets, il est bon de ne jamais refuser les occasions de rire, quand elles daignent s'offrir nous. C'est le mot de Figaro, dilué et sans sel.
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C'est de ce bois qu'étaient faits plusieurs des futurs romantiques (1).
En 1820, Gaspard de Pons se trouva, deux fois à son insu, en concurrence avec Victor Hugo, qu'il ne connaissait pas encore il célébra la naissance du duc de Bordeaux par une pièce intitulée Louis XVII au berceau d'Henri V, et il envoya à l'Académie française un Dithyrambe sur Malesherbes. Le manuscrit du dithyrambe, que j'ai eu l'occasion d'examiner en recherchant un autre manuscrit plus précieux, celui de Victor Hugo, concurrent du même concours, porte cette mention « Pièce n° 24 Forlunafe senex. Reçu le 15 mai 1820, rejetté (sic) le 15 juin 1820. » Gaspard de Pons fut jugé, on le voit, avec plus de rigueur que Victor Hugo, dont le Dévouement de Malesherbes fut gratifié d'une mention. Victor Hugo s'attendait à mieux. Il s'indigna d'être placé au-dessous de Gaulmier, un régent de collège. Autant Gaspard de. Pons s'empressa de faire appel au public en imprimant son avec ce sous-titre: « dithyrambe qui a concouru à l'Académie française en 1820 », autant Victor Hugo tint sa démarche secrète et quoiqu'il ait publié, plus tôt ou plus tard, toutes ses autres pièces de concours, il n'a pas donné cellelà. Pour que son élégie ultra-royaliste parût au jour, il a fallu la tirer des cartons de l'Institut où l'auteur. de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie n'ayait (1).M. Gustave Lanson a démontré, le premier, que le héraut dé l'Ecole, Emile Deschamps, n'était qu'un petit-maître classique, affublé, pendant quinze ou vingt ans, du hoqueton romantique. La même démonstration pourrait être faite à propos de Jules Lefèvre, comme je l'ai rapidement indiqué en étudiant le byronisme chez Vigny.
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pas jugé à propos de nous révéler qu'elle était enfouie (1).
C'est un peu avant ou un peu après cette mésaventure que se nouèrent les relations d'Alfred de Vigny avec Victor Hugo, et aussi celles de Gaspard de Pons avec les poètes déjà groupés autour du rédacteur en chef du Conservateur littéraire et qui, jeunes ou vieux, reconnaissaient déjà, dans ce publiciste de dix-huit ans, et leur guide et leur maître En décembre 1820, les initiales A. de V. firent leur première apparition dans le journal des frères Hugo. Dissimulé à demi sous ces initiales, Alfred de Viguy donnait, dans la 26e livraison du journal mencement d'une étude sur Byron, qui ne fut pas continuée, peut-être parce qu'elle fut jugée trop hardie (2). Dans la même livraison, les deux poèmes, publiés en 1820 par Gaspard de Pons, sont analysés, non plus froidement, comme l'avait été le poème de Constant et discrète ce sont ouvrages d'ami ils sont loués autant qu'ils peuvent l'être. A la fin de ce compte rendu, nettement favorable, le journaliste félicite Gaspard de Pons d'avoir réuni, en quelque sorte, dans le même cadre, le vertueux Malesherbes et les deux orphelins, fils des deux ducs de Berry (3) ».
(1) C'est une indication de Gaspard de Pons qui devait donner l'idée de cette recherche. Cf. Eidieux poétiques, page 252. Je renvoie à mon ouvrage la Jeunesse des Romantiques ou à la Revue de 15 février 1902, le lecteur curieux d'un plus ample détail.
(2) On est au plus fort de la réaction catholique c'est l'année des missions. Admirer Byron,c'étaithonorer l'athéisme, comme on disait à cette date.
(3) Quoique l'article ne soit pas signé, nous savons sûrement que Victor Hugo en est l'auteur. On lit, en effet, à la page 265 du. tome II des Adieux poétiques: Il Hugo, dans le Conservateur
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Ce n'est pas la seule fois que le Conservateur littéraire rapproche les noms d'Alfred de Vigny et de Gaspard de Pons. Dans la 27e livraison (15 décembre 1820), s'offre aux yeux tout d'abord, sous la Poésie et avec ce titre le Bal, la première pièce de vers publiée par Vigny et signée cette fois de tout son nom « Le comte Alfred de Vigny. » D'autre part, dans la 28e et la 29e livraison, on trouve deux comptes rendus critiques développés, le premier sur un livre du vicomte de L. C., intitulé Caractéres et réflexions morales, le second sur un Poème, intitulé Le Malheur, par de Moyria. Ces deux comptes rendus, qui ne sont pas sans intérêt, sont signés des initiales G. de P. Ce sont celles de Gaspard de Pons.
A partir de l'année 1821, le nom de Gaspard de Pons se trouve associé dans la pensée et sous la plume des écrivains romantiques, particulièrement de Victor Hugo et d'Emile Deschamps, aux noms de Soumet, de Pichat et d'Alfred de Vigny- Victor Hugo écrit à Alfred de Vigny, le 21 avril 1821 « Lefèvre est encore dans l'incertitude, Soumet fait des vers superbes, Pichat cache son manuscrit, Emile nous promet toujours le Fou du Roi, Gaspard rit à Versailles, Rocher pleure à Grenoble près de son père dangereusement malade, fait ses Pâques à Montfort par lequel on peut dire qu'il débuta jadis, a remarqué, à propos de cette pièce, que les deux orphelins qu'elle met en scène étaient fils de deux infortunés ducs de Berry. Tel avait été, en effet, le titre qu'en naissant avait porté Louis XVI, et une observation que Victor eût été en droit d'y joindre, mais qui n'avait pas échappé à bien d'autres, c'est que depuis bien longtemps tous les princes qui se sont appelés duc de Berry ont été malheureux et n'ont pas fourni la carrière qui leur semblait promise par la destinée. »
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tous vous vous embrassent, mais pas plus tendrement que moi. »
Et trois mois après, le 28 juillet 1821 « J'ai passé à Versailles une journée avec notre bon Gaspard. Vous lui avez écrit, peut-être m'avez-vous écrit aussi et votre lettre m'est-elle arrivée à Paris pendant mon absence, m'apportant une joie pour mon retour Je me complais à cette idée. « Enfin, dans une lettre inédite, adressée quelques jours plus tôt, le 10 juillet 1821, par Emile Deschamps au comte de Vigny, on lit encore « J'ai vu tous nos amis, Lefèvre, V. Hugo, et Gaspard .de Pons est venu deux fois pour me trouver. Il est en colère contre vous vous n'êtes pas allé à Versailles. Tout ce qui vous connaît vous aime et tout ce qui vous aime se plaint de ne plus vous voir. »
1822 fut l'année heureuse où Victor Hugo publia son premier volume d'odes et où le comte de Vigny, sans rejeter tout d'abord voile de l'anonyme, donna l'essor à sa première couvée de poèmes, Helena, le Sornnambule, la fille de .Tephté, la Femme adultére. etc., suivis de près par le Trappiste. Quelques journaux du temps ne se firent pas faute de rapprocher et d'opposer, mais pour les égaler, les deux poètes. Un critique du Réveil s'avisa d'un autre groupement il célébra la trinitédes poètes royalistes. auteurs d'ouvrages sur la Grèce Alfred de Vigny, si « varié », si « chrétien » dans son Helena, Alexandre Guiraud, qui, dans son Ode aux Grecs, a évoqué « tous les souvenirs profanes » de l'Hellade, enfin « M. Gaspard de Pons », un poète « qui, ainsi que M. de Vigny, sert le Roi de sa lyre et de son
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épée », et dont « l'Epître sur l'insurrection des Grecs annonce un talent fort brillant ».
Mais les yeux de Gaspard de Pons se sont enfin dessillés il a répudié les écrivains du XVIIIe siècle. Il y a de la joie, dans le groupe des romantiques, pour la conversion de ce pécheur (1). « L'auteur de Gonstant et Discrète, disait l'un d'eux, était très jeune » quand il donnait cet ouvrage; « il a senti depuis, que son siècle et son talent demandaient quelque chose de plus que des chants érotiques. La méditation, cette Muse sévère, a développé en lui le poète et il s'est alors élevé avec force du sentier des Bertin et des Parny, aux sombres et vastes régions de Milton, de Dante et de Byron. »
En 1823, Gaspard de Pons et Alfred de Vigny collaborent une fois de plus ils sont tous les deux parmi les rédacteurs de la Muse française.
Cette revue publia Dolorida. Le poème d'Alfred de Vigny excita chez tous les connaisseurs une vivacité d'admiration dont on n'a plus l'idée. Pour juger de l'effet produit sur les femmes et sur les hommes, qu'on se rappelle la lettre, souvent citée, de Sophie Gay à Marceline Desbordes-Valmore (2), ou (1) Le mot de conversion doit s'entendre aussi dans le sens religieux. On lit dans une note des Adieux poétiques, p. 313 « De l'athéisme le plus complet je fus ramené en un seul jour dans le giron de notre Eglise, lors de la mission qui fut prêchée à Versailles en 1821 par l'abbé Guyon à qui je crus devoir soumettre mes objections, et pour qui je conserverai toujours personnellement la plus tendre reconnaissance. quoique je me sois dès lors refusé à me laisser affilier à la société, ou, si l'on veut, à la congrégation dont il faisait partie. Il
(2) Elle a paru, pour la première fois, dans l'article des Nouveaux Lundis de Sainte-Beuve sur Alfred de Vigny elle a été, depuis, citée et exploitée jusqu'à 1 abus.
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qu'on relise la lettre, jusqu'à ce jour inédit, du comte France d'Houdetot.
La Muse française donna, d'autre part, un article de critique du comte Gaspard de Pons sur la comédie de l'Ecole des vieillards, mise au théâtre avec un grand succès par le poète libéral Casimir Delavigne. La pièce n'est nullement ménagée. Au dire du critique, la vérité des mœurs, qui faisait le mérite des Comédiens, a disparu dans l'ouvrage nouveau « Ce jeune auteur connaissait les coulisses, et il ne connaît pas les salons. » L'article, dans sa partie la plus agressive, raille surtout les méprises de l'observation, l'invraisemblance des propos prêtés aux gens du monde, la fausseté ridicule du ton. Il y a de la vérité et du piquant dans ces critiques. Mais la part une fois faite à la sévérité obligatoire, Gaspard de Pons semble oublier le mot d'ordre; il termine son analyse en louant d'assez bonne grâce et en citant, presque en entier, la principale scène de l'ouvrage, celle qui aboutit au vers
J'aime, je suis heureux, je renais, j'ai vingt ans.
Cette même année 1823, la guerre d'Espagne occupa différemment les deux officiers. Gaspard de Pons, qui passa les Pyrénées, et descendit sans péril et sans gloire il en a murmuré plus d'une fois jusqu'au fin fond de la Péninsule, ne put donner que peu de chose à la Muse française. Alfred de Vigny n'eut jamais plus de loisirs que pendant son séjour à Oloron et ses stations de sentinelle au fort d'Urdos. Il fournit de la prose et des vers il donna une étude sur le baron Bruguière de Sorsum et ses
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œuvres posthumes; il détacha des fragments de deux poèmes qu'il ne devait pas achever, La mort de Byron et Suzanne il fit l'analyse développée de l'ouvrage en vers du comte Gaspard de Pons, intitulé Amour A elle.
Le début de cet article de critique est intéressant. à relire il y a là je ne sais quelle élégance de trait, contournée, mais aiguë, qui fait penser à certains dessins au crayon, de cette période
« Voici le Mystère et l'Amour qui se sont unis pour nous donner un livre il est rare, poétique et gracieux comme eux comme eux, il est chéri des femmes comme eux aussi. il fait tomber des larmes de tous les yeux qui l'ont lu. Quant à l'extérieur, on peut le reconnaître à sa simplicité comme à sa petitesse il peut être emporté dans une promenade ou caché sous un oreiller, même dans un mouchoir comme un billet; il porte sous sa couverture deux petits vers d'un poète très grand à mes yeux (1 Voilà son signalement, enveloppe trop timide de l'âme qu'il renferme. Elle est fort belle, forte et blessée. Ce n'est pas un nouveau spectacle pour l'humanité, mais on s'y plaît comme aux luttes des gladiateurs celui-ci tombe avec grâce. Quel qu'il soit, qu'il nous pardonne la barbarie de cette expression nous faisons exception à la masse des spectateurs; nous ne sommes pas Romains pour lui nous ne voudrions pas de sa mort, quelque belle qu'elle pût être il nous semble, à nous, un de ces chevaliers aux armes noires, à la visière baissée, pour qui l'on priait du haut des balcons (2). »
La conclusion de l'article n'est pas moins curieuse. Alfred de Vigny cite quelques vers du poème sur un thème qu'il développera plus tard, avec une bien (1) Victor Hugo.
(2) La Muse française, édition de Jules Marsan (Société des textes français modernes), tome II p. 155.
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autre puissance, dans la Mort du loup, et à travers tout le livre des Destinées, le thème de la douleur silencieuse
Va, ne parlons plus d'elle, ô mon âme, ou du moins Parlons-en seuls, tout bas, sans lyre, sans témoins En la rouvrant toujours, cachons notre blessure,
N'offrons pas en spectacle à cette foule obscure
Que le génie offense et qui rit du malheur,
Un aigle d'Hélicon vaincu par la douleur.
Gaspardde Pons et Alfred de Vigny ne marchèrent pas longtemps du même pas. En 1823, de gîte d'étape en gîte d'étape, Alfred de Vigny créait, dans la fièvre de l'inspiration, un délicat et rare poème, d'une double originalité, Eloa ou la Sœur des Anges, qui parut en 1824 et que Victor Hugo porta aux nues il méditait déjà son Cinq-Mars, qui allait réussir comme un roman de Walter Scott et qui devait ouvrir la voie à Cromcvell tout au moins (1), peutêtre à Notre-Dame de Paris. Gaspard de Pons, en 1825, publiait les Inspirations poétiques, petit recueil de vingt-deux odelettes, élégies, ou pièces de circonstance, laborieusement menuisées entre les années 1820 et 1824, à raison de quatre à cinq par année. Quoique éditée chez Urbain Canel, libraire attitré des Romantiques, cette poésie, cette Muse, comme on eût dit alors, avait déjà un air vieillot c'était celle d'un Parny mortifié ou d'un abbé Delille qui se serait voilé d'obscurité et quelque peu teinté d'extravagance.
(1) J' ai publié ailleurs unP lettre de Victor Hugo du 8 février 1827, où il assure Alfred de Vigny qu'il a pris dans Cinq-Mars l'idée de son Cromwell « J'ai fait du dernier mot de votre roman le premier de mon drame. » Cf. la Jeunesse des tiques, p. 260 et 261.
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Les efforts d'écrivain de Gaspard de Pons sont terminés ceux d'Alfred de Vigny commencent. Après Eloa et Cinq-Mars viendront les Poèmes antiques et niodernes, Othello, la Maréchale d'Ancre, Stello, Quitte pour la peur, Chatterton, Servitude et grandeur militaires, les Destinées. Après ses Inspirations poétiques, Gaspard de Pons dans les Adieux poétiques de 1860 ou dans les Essais dramatiques de 1861, arrêtés en cours de publication, ne fera que rééditer ses petits poèmes, maigres et surannés, et les envelopper d'une broussaillb inextricable de scolies. Plus Alfred de Vigny écrira, plus se dégagera sa fière personnalité plus Gaspard de Pons avance en âge, plus ce qu'il avait pu avoir, dans sa prime jeunesse, de verve ou d'invention se dessèche et se rétrécit. Il cesse vite de comprendre et de goûter le talent croissant de ses amis de jeunesse. Déjà, en 1831, dans une épître qui a pour titre le Succès, il blâmait vertement le traducteur du More de Venise d'avoir cherché la vogue sur le théâtre en s'aidant de Shakespeare. Par contre, il le félicitait, outre mesure, de son Elévation sur Paris il affectait de se courroucer, comme un autre Boileau, contre les « censeurs » de cet ouvrage il assurait à l'auteur, avec un assez joli manque de tact ou une fausse bonhomie assez sournoise, qu'il ne pourrait jamais monter plus haut (1).
Il fut un de ceux que le triomphe de Chatterton désobligea. Vingt-cinq ans plus tard, dans les notes des Adieux poétiques et dans le volume-préface des (1) C'est du haut d'une tour, à Montmartre, que le poète regarde Paris et déroule sa méditation.
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Fssais dramatiques, il prendra comme une vilaine revanche de ce succès, avec des réflexions telles que celle-ci « Pour quiconque aura lu son Stello, son drame de Chatterton ne pourra jamais être que du réchauffé. ce qui n'empêche pas qu'il n'ait, en outre, le défaut d'être, à mon avis, un peu froid. » De toute cette soirée d'enthousiasme et d'effusion à laquelle il avait assisté, il ne tenait à se rappeler que le résumé de la pièce fait, à la cantonade, par Honoré de Balzac « Premier acte Dois-je me tuer ? Deuxième acte Je dois me tuer. Troisième acte Je me tue. » En mai 1843, quand trois des poèmes philosophiques, la Sarrvage, la Mort du loup, la Flûte, avaient déjà paru et qu'Alfred de Vigny corrigeait les épreuves de ce chef-d'œuvre, le Mont des Oliviers, Gaspard de Pons eut la singulière attention d'envoyer à son ami la copie d'une pièce alors inédite, l'Impossible, à seule fin de le morigéner sur ses nouvelles productions. Il la faisait précéder de cette dédicace dont les vers qui suivent expliquaient le sens « A l'auteur, non pas d'Eloa, mais des Poèmes Il criait Casse-cou, à l'imprudent poète, et il ne lui disait que la moitié de sa pensée. Il se répétait, à part lui Que né revient-il à son point de départ et au mien ? Que ne fait-il des vers comme ceux que nous admirions si volontiers, à l'époque où je publiais le Désir de la Gloire ?
Les commérages aigres-doux, que Gaspard de Pons a répandus à travers les Adieux font penser aux sentiments d'envie, à la poche de fiel d'une parente pauvre. Il a l'air d'opposer à l'échec de la'traduction d'Othello le succès d'un ouvrage original, la Maréchale d'Ancre à peine a-t-il lâché deux mots
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d'éloge qu'il travaille à les retirer il rappelle qu'au milieu des bravos retentirent des coups de sifflet « un peu sévères ». Dans les ouvrages d'Alfred de Vigny, sa préférence est pour les plus discrédités. Le Somnambule, par exemple, sera présenté comme « un de ses plus beaux drames N 'sic). « Drame d'une cinquantaine de vers seulement », a-t-il soin d'ajouter, composé et publié dans le temps où l'ingrat ne dédaignait pas encore les trésors si purs de l'antique et l'héritage d'André Chénier. » Pour rabaisser sans doute les écrits connus et goûtés, il ira porter ses éloges suspects au manuscrit inachevé, perdu apparemment, de Roméo et Juliette, ou au roman avorté de l'Almeh. Il n'est pas très éloigné d'insinuer que si « l'ami Alfred » fut un grand poète, c'était seulement aux environs de 1821 ou même auparavant, quand il faisait sa Symétha et sa Dryade, à l'école de « Millevoye ».
Il se promet même de publier, sans l'aveu de l'auteur, dont il sait bien qu'il n'aura pas l'assentiment, une pièce plus qu'érotique, une « idylle saphique », il insiste deux fois sur cette dénomination, « immensément supérieure, dit-il, à tout ce que Parny et consorts ont pu écrire dans ce genre. » s'agit sans doute ici d'un méfait littéraire d'adolescent, d'une peinture destinée au Musée secret, quelque chose comme une réplique ardente de ce tableau d'Hébé et de Junon, glissé par Lemercier dans ses Quatre métamorphoses. Qui s'avisera de regretter que cette velléité de trahison n'ait pas été suivie d'effet?
D'ailleurs, l'attitude de Gaspard de Pons vieilli, vis-à-vis de Victor Hugo, est tout aussi bizarre et
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incroyable qu'à l'égard d'Alfred de Vigny, même attention à mesurer, à déplacer et à empoisonner l'éloge; même prétention de décerner, de prodiguer le blâme et les rigueurs; même délectation dans le dénigrement.
Ce n'est donc pas calomnier Gaspard de Pons que de conclure ainsi à son endroit. Dans les Adieux poétiques et dans la préface des Essais dramatiques, où il ramène, à propos de tout et à propos de rien, les noms devenus célèbres de Victor Hugo, son ami des jeunes années, et d'Alfred de Vigny, son camarade de régiment, Gaspard de Pons, le versificateur enfoncé dans l'oubli, a beau mettre autour de ces noms un collier de qualificatifs flatteurs il laisse deviner, à chaque instant, qu'il n'a pas digéré leur gloire.
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CHAPITRE IV
LE CÉNACLE. TROIS DESCHAMPS.
Il n'était pas possible de prêter quelque attention à France d'Houdetot et à Gaspard de Pons sans être conduit à mentionner par anticipation le Cénacle et la Muse* française. Le moment est venu d'en parler avec plus de détails.
Les origines du Cénacle remontent, en réalité, à 1820. C'est dans le salon des Deschamps que se sont rassemblés, tout d'abord, les Toulousains Alexandre Soumet, Alexandre Guiraud (1), rejoints un peu plus tard, à Paris, par Jules de ftességuier, leur compatriote le Dauphinois Pichald, dit Pichat, auteur, non encore joué, du Turnus, du Léonidas Jules Lefèvre, le poète non encore édité du Clocher de Saint-Marc Victor Hugo, lauréat glorieux des Jeux floraux, priticipal rédacteur du Conservateur littéraire le comte Alfred de Vigny, le comte Gaspard de Pons, le comte France d'Houdetot, Jules de SaintFélix, Anatole de Saint-Valry. Par ce mot, les Deschamps, il faut entendre M. Jacques Deschamps, ancien administrateur des domaines, et ses deux fils Emile et Antoni.
(1v L'expression « Toulousains Il n'est qu'approximative Soumet est né à Castelnaudary et Guiraud à Limoux.
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I
En 1821, M. Jacques Deschamps était encore (1) « un des vieillards les plus aimables et les plus vertueux de cette époque ». Comme le chevalier Léon de Vigny, son ami, il s'était marié fort tard, à quaranteneuf ans, avec une personne distinguée, de famille noble, Mlle de Maussabré, qui mourut, en 1801, après lui avoir donné deux fils. Ces deux fils ont acquis au nom de Deschamps une illustration qui n'est pas encore effacée.
Dans sa jeunesse, Jacques Deschamps avait fréquenté des écrivains comme « Jean-Jacques Rousseau, Lemierre, Ducis, Thomas » et, dans les derniers temps de sa vie, « sa maison était devenue le rendez-vous de presque tous les jeunes littérateurs qui disputaient à ses enfants le droit de l'entourer et de le chérir ». C'est au nom de ce groupe d'hommes lettrés, venus aux funérailles, qu'Alexandre Soumet, membre de l'Académie française depuis deux ans, prononça l'oraison funèbre du spirituel octogénaire (2).
J'emprunte ces expressions et quelques-unes des citations qui suivent à l'article nécrologique du Journal des Débats. (2) Né en 1741 à Bergerac, Jacques Deschamps était mort, exactement, à 85 ans. La Quotidienne (numéro du vendredi 12 mai 1826, lui consacre aussi quelques ligues de souvenir II avait vécu dans l'intimité des hommes de lettres les plus célèbres du xviue siècle et sa conversation instructive et, piquante conservait un parfum de leur génie. Les gens de lettres d'aujourd'hui étaient heureux de consulter son goût et de recevoir ses conseils. Dans cet âge avancé, M. Deschamps avait encore l'esprit et lecteur jeunes les lettres étaient son délassement chaque jour, et la vieillesse n'avait fait que rendre plus touchante son affection pour sa famille et ses amis. M. Soumet a exprimé, avec une profonde sensibilité, sur la
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Alfred de Vigny et Emile Deschamps ont, l'un et l'autre, parlé de leur père avec une extrême tendresse et une complaisante admiration. Sans s'être donné le mot, ils ont rencontré les mêmes expressions pour louer dans ces représentants d'un âge disparu un éclat et un charme de conversation incomparables « Les dames et les demoiselles dit Emile Deschamps venaient causer avec lui, dans un cabinet, auprès de son grand fauteuil rouge, et. toutes avouaient prendre plus de plaisir dans sa conversation instructive et brillante que dans le mutisme des lions de raout. Cela se conçoit. » Au tour enjoué de cette phrase, substituiez un accent solennel, et vous aurez le témoignage d'Alfred de Vigny au sujet du chevalier Léon de Vigny, le causeur. Quand Emile Deschamps veut définir le caractère et les manières de Jacques Deschamps, il use de cette formule « Honnête homme et homme poli, comme l'Alceste de Molière. » Cette même formule, Alfred de Vigny l'eût appliquée très volontiers à son grandpère maternel, M. de Baraudin, le chef d'escadre, dont il disait « C'est le ton de l'homme de cour uni à l'énergie de l'homme de mer », et il ne sera pas éloigné d'en faire sa propre devise « J'aime qu'un homme de nos jours ait à la fois un caractère républicain avec le langage et les manières polies de l'homme de cour. L'Alceste de Molière réunit ces deux points (1).
II est possible d'apporter un témoignage direct de tombe de ce respectable vieillard,-des sentiments vivement partagés par les nombreux amis qui lui rendraient les derniers devoirs. »
(1) Journal d'un poète, pages 213 et 243.
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ce qu'était, à l'âge de 84 ans, quelques mois à peine ayant l'heure de la mort, l'esprit enjoué et un peu apprêté de M. Jacques Deschamps. Il reste une lettre de lui. Alfred de Vigny avait conservé cette lettre et l'avait annotée de cette indication marginale « Lettre de M. Deschamps, père d'Emile et d'Antoni. » Elle est datée du « dimanche, ler mai 1825, cinq heures du matin » elle est adressée à « M. le comte de Vigny, à Paris » elle a été écrite trois mois après le mariage du jeune officier. elle suit de près, comme on le voit, la présentation de la comtesse de Vigny aux familles amies il y est fait allusion à des espérances de maternité qui ne se réalisèrent pas. « Grâce à vous, mon cher Alfred, mon aimable et nombreuse postérité a été augmentée de deux enfans, en comptant celui qui est sur le tapis et que j'aime presque autant que ceux qui me l'auront donné. Embrassez tendrement pour moi son aimable et douce maman qui vous le rendra bien pour moi,
« Grâces à vous encore, me voilà revenu à 20 ans. J'ai bien compté d'après vos charmants comptes. Jusqu'à moi chaque année était composée de quatre saisons vous en supprimea 3 en ma faveur. J'accepte avec plaisir et reconnaissance cette réduction qui ne ressemble point du tout à celle de nos rentes, et je dis qui de 4 paye 3 ou retire 3 ce qui est la même chose, reste 1 donc qui de 80 retire 60, reste 20. Je n'ai donc plus que 20 ans, et je suis enchanté d'avoir l'espérance de vous aimer tous bien plus longtemps qu'il ne m'avait été accordé par la nature. j'en veux à ce maudit rhume qui m'a privé du plaisir de vous embrasser hier soir Vous n'étiez pas présent au milieu de mes enfants, mais j'ai dit avec Tacite Ea magis prœfulgebant, etc.
Voilà de bien mauvaise prose en réponse à des vers charmants. Mais au moins vous avez joui hier et vous
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jouissez encore de ceux de notre Emile que j'ai adoptés et signés de cœur (1).
« Guérissez-vous vite de votre maudit rhume et recevez mes embrassements paternels pour vous et votre aimable Lydia.
« Le bon papa, le vieux papa de 20 ans.
« J. D. »
Cette lettre a son prix, puisqu'elle marque le caractère très intime de l'affection qui unissait les Deschamps et les Vigny. Aux yeux de M. Jacques Deschamps, Alfred était, pour Emile et Antoni, comme un troisième frère.
II
Emile Deschamps, l'aîné des deux fils, ressemblait de tous points à son père. Nous pouvons en'juger par une sorte d'esquisse qu'a tracée à la plume, avec un vrai talent, l'Angevin Victor Pavie, intime ami du grand sculpteur David, de Victor Hugo et de Sainte-Beuve. Il a représenté Emile Deschamps tel qu'il était un peu plus tard, en 1826 les cinq ans ne peuvent pas faire une bien grande différence. « Sa tenue », écrit-il, était celle d'un « fonctionnaire ». Ce trait de la tenue, révélatrice de la profession, méritait d'être noté. Deschamps fut, en effet, fonctionnaire' et il le resta depuis la vingtième année, moment de son entrée comme employé au ministère des finances, jusqu'à l'âge de la retraite. C'était, lui aussi, un (1) Il s'agit sans doute de la pièce intitulée A Alfred de Vigny et qui commence par le vers « N'entends-je pas frémir la harpe des prophètes ? » (Emile Deschamps, Œuvres complètes, 1re partie, poésie. t. I, p. 217.)
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causeur « infiniment agréable ». Sa politesse, un peu trop répandùe et qui pouvait sembler « exubérante », était « sincère et toute empreinte d'éducation ». La figure, régulière, déjà un peu fatiguée, s'éclairait doublement, par le sourire de deux lèvres fines qui découvraient, à chaque instant, deux rangées de dents admirables, et par le rayonnement de deux yeux, un peu « bridés », mais dont le regard avait tant de vie et d'éclat que l'on eût dit «qu'ils scintillaient dans le soleil » (1).
La nature de l'amitié tendre qu'Emile Deschamps témoigna, dès la première heure, à Alfred de Vigny et l'ardeur avec laquelle il s'employait à établir, à maintenir la cohésion entre les quelques poètes du groupe initial, se montrent bien dans une lettre du 10 juillet
« C'est à mon tour, mon cher Alfred, et cette fois je fais toutes les avances et j'irais presque jusqu'aux bassesses pour obtenir une lettre de vous. Combien j'ai regretté de ne pas vous voir le jour de votre départ Prenez-vous-en à ce vilain Villejuif, dont je me croyais quitte. Je rencontrai, comme je partais, Mme de Vigny à qui je contai ma triste aventure je n'en suis revenu que le.soir fort tard sans quoi nous aurions encore eu d'immenses conversations.
« J'ai vu tous nos amis. Lefèvre, V. Hugo et Gaspard de Pons est venu deux 'fois me trouver, etc. Lefévre est fou de Roland (3), comme Roland l'était d'Angélique. Il faut qu'au mois d'octobre il soit bien avancé.
(1) Victor Pavie, choisies, 2e vol. p. 145.
(2) Cette lettre, où j'ai déjà relevé un détail relatif à Gaspard de Pons, mérite d'être rapportée en très grande partie. Elle est adressée au « lieutenant du 5e régiment de la garde royale (infanterie) en garnison à Rouen (Seine-Inférieure) » elle fait suite et fait allusion à un des voyages à Paris de l'officier poète (3) Il s'agit de la tragédie de Roland, qu'Alfred de Vigny jeta au feu en 1832.
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« Adieu, adieu. Je ne fais rien, que penser à mes amis, et j'ai encore beaucoup d'occupations vous êtes celui qui m'en donne le plus.
« Mme de Vigny se portait fort bien et est ravie de votre correspondance. Mon père et ma femme vous embrassent aussi amicalement que moi.
« Donnez-moi de vos nouvelles et je vous promets de vous répondre.
« EMILE D. »
Si la lettre, est intéressante, qu'elle le paraîtra peu auprès du post-scriptum
« Bonaparte est mort. Il ne faisait plus rien sur la scène du monde. Mais c'était encore un immense spectateur et un juge souverain de tout ce qui se passait. Il me semble qu'on n'osera plus jouer que des vaudevilles depuis qu'il n'est plus. Poétiquement parlant, c'est une perte. » Avant de passer à la lettre suivante, je crois devoir avertir le lecteur que je n'ai pas l'intention d'introduire, en les recopiant de la première ligne à la dernière, les vingt lettres d'Emile Deschamps qu'Alfred de Vigny avait, vers de sa vie, retrouvées et groupées. L'inédit a son charme et son utilité l'abus que l'on en fait peut devenir insupportable. Il sera bon.de donner en entier un petit nombre de lettres intéressant plus directement le sujet; pour plusieurs autres, il paraîtra sans doute suffisant d'en extraire l'essentiel par des analyses exactes, accompagnées de citations. Ces vingt lettres, dont la première, comme on vient de le voir, est datée de 1821, et dont la dernière nous conduit jusqu'en 1861, embrassent un grand, espace d'années. Elles permettent de refaire, pour ainsi dire, pas à pas, comme si l'on suivait une des allées royales de Versailles ou de
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Hampton-Court, droites, larges, bien ombragées, ce beau voyage d'amitié que ne troubla jamais un sérieux dissentiment et qui fut seulement interrompu par la mort d'un des deux compagnons de route. Comme la lettre de 1821 qu'on vient de lire, la deuxième lettre, datée du 20 octobre 1823, nous intéresse surtout par quelques indications concernant les « amis » (1). Elle est contemporaine de l'expédition d'Espagne et de la publication des Tablettes romarttiques elle est postérieure de quatre mois à l'apparition de la Muse française, dont la ruine sera le corollaire obligé de la chute de Chateaubriand. Avec cette revue littéraire, restée fameuse, le Cénacle s'était véritablement constitué. A vrai dire, le mot de cénacle n'existait pas encore. Il devait être trouvé par Sainte-Beuve et être employé par lui, pour la première fois, dans les vers du Joseph Delorme mais, grâce aux efforts d'Emile Deschamps d'abord, de Charles Nodier ensuite j'aurai 1 occasion de revenir sur ce nom-là le groupe romantique était devenu une réalité vivante.
Alfred de Vigny se sent d'autant plus exilé, au pied des Pyrénées solitaires. Il craint de n'être plus présent au souvenir de ses amis. Emile Deschamps le rassure
« Mon cher Alfred, personne ne vous oublie, mais tout monde est fort paresseux. Guiraud vous écrit et vous envoie ses chants. Soumet brode son discours et son hahit d'Houdetot est plus romantique et plus votre ami que jamais Victor fait des odes et des enfants sans se reposer tous nos autres amis sont absents et moi qui vous parle j'ai été absent aussi. »
(1' Elle est adressée à « M. le comte de Vigny, capitaine au 550 d'infanterie de ligne en garnison à Pau Il.
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Cette absence avait eu pour cause un voyage de dix jours à Dieppe, fait en compagnie de Mme Deschamps et d'une amie, Mme Anna Daclin (1), qu'Emile Deschamps a célébrée envers, maisavec moins d'exaltation qu'il ne le fait en prose « A tout l'esprit et toute la grâce que je lui connaissais, écrit-il, élle a joint une émotion qui devenait du génie. Je n'ai jamais vu un développement pareil de facultés produit par un grand souffle de la nature. »
Pendant une excursion sur l'Océan, « un Océan agité », la jeune femme enthousiaste « a récité une bonne partie du 2e chant d'Helena » on avait emporté sur le bateau, « pour toute provision », cet ouvrage chateaubrianesque et byronien du comte de Vigny « avec quelques poésies de Soumet et de Lamartine ». Pour acheverde calmer l'humeur inquiète d'Alfred de Vigny, Emile Deschamps lui fait l'éloge de ses montagnes ce n'est là qu'une transition pour aboutir tout aussitôt à celui de son art. Si « élevées » qu'elles soient, sa poésie est« de niveau avec elles ». Cette louange démesurée s'applique plus particulièrement à des vers que Vigny avait envoyés depuis peu à Emile Deschamps. Le secrétaire de rédaction de la Muse s'est hâté de les transcrire sur le bateau même et de lés envoyer à Paris, pour l'impression, avec la prose du Jeune Moraliste (2). Mais (1) C'est ù Mme Anna Daclin que sontadressées diverses pièces des Pnésies complètes, tome I, p. 185 A Mme Anna D* et tome I, p. 232, A Mme Anna D* Voir encore, tome II, P. Car toute ma jeunesse, Anna. c'était la nôtre,
Et tous vos souvenirs sont les miens.
(2) C'était le pseudonyme d'Emile Deschamps au bas des essais publiés assez régulièrement par lui dans la Muse fran-
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on est dans l'attente du chef-d'œuvre, du Nescio majus nascilur « Faites votre Mistère (sic), cher Alfred, et croyez qu'on en parlera. » II s'agit de Satan ou d'Eloa qui parut au printemps de 1824 et dont la Muse française parla, en effet, comme Deschamps l'avait promis dans la XIe livraison, celle du mois de mai, Victor Hugo fit du poème un magnifique éloge.
Au cours de l'année 1827, Emile Deschamps et Alfred de Vigny se mirent en tête d'écrire en collaboration une traduction en vers de Roméo et Juliette. Talma était mort. Le Théâtre-Français voulait masquer, par l'attrait d'oeuvres « neuves », le vide que laissait le grand acteur. Il fallait profiter des dispositions tout amicales du baron Taylor. La traduction, dont Emile Deschamps avait écrit les trois premiers actes .et Alfred de Vigny les deux derniers, était prête dès la fin de mars 1828. Elle fut lue d'abord à un groupe d'amis, le 31 mars 1828, comme nous l'apprend une lettre inédite, dont je dois l'obligeante communication à un érudit estimé,à bon droit, pour ses recherches minutieuses et ses trouvailles inattendues autour de BossuetetdePascal, M.Ernest Jovy. Cette lettre, qui fut écrite le 28 mars et dont l'enveloppe porte le timbre postal du29, est adressée par Alfred de Vigny à « M. Aimé Martin, au PalaisBourbon, Parïs » En voici la teneur
çaise et .réunis en volume sous ce titre Le Moraliste du XIXe siècle. (Ambroise Tardieu, 1826, in-8°.) Dans la livraison du 28 octobre de la Muse française, parut Doforida. Les vers dont il s'agit dans la lettre sont-ils ceux-là ? E. Deschamps dit qu'ils sont de a niveau » avec les Pyrénées ils furent tout au moins écrits auprès d'elles.
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« Mme de Vigny me charge de vous prier de, passer la soirée chez elle lundi (31, à 8 h. précises). Roméo et Juliette vous attendent au milieu de quelques amis qui assisteront à leur vie et à leur mort avec vous, si vous êtes toujours aussi disposé à entendre ce qu'ont à se dire en français ces jolis petits Italiens qui se sont aimés en anglais si longtemps.
« Tout à vous,
« ALFRED DE
La pièce fut lue au Comité du Théâtre-Français, non pas en 1827, comme le dit, par erreur, Emile Deschamps, dans le récit des tribulations de sa version dramatique, mais au milieu du mois d'avril 1828. Elle fut reçue sans résistance, ou en langage du temps, « par acclamation ». Ce mot flatteur passa, du moins, de bouche en bouche, comme un bulletin de victoire, et dans une lettre du 18 avril, que j'ai éditée ailleurs, Victor Hugo répétait l'expression, la faisait retentir, comme s'il réclamait sa place de héraut dans ce premier triomphe de l'Ecole (1) « Acclamation, cher Alfred On ne pouvait moins pour votre Roméo et malheur à,qui entendrait sans acclamation la poésie de Shakespeare multipliée par la poésie d'Alfred et la poésie d'Emile. Votre Roméo est admirable c'est le Roméo de William, et pourtant c'est le vôtre. Il fallait avoir autant de génie que le vieux poète, pour le traduire ainsi (2). »
Malgré ce succès de lecture auprès des comédiens (1) Ce récit occupe une partie de la préface de Macbeth Cf. Jules Marsan, Introduction de l'édition de In Muse française, tome I, p. xxi. Lettre du 18 avril écrite par Victor Hugo à Emile Deschamps, l'autre auteur de ce Roméo. L' « acclamation » s'y retrouve.
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comme auprès des poètes, l'ouvrage ne fut pas mis à la scène.
« On parla de le monter tout de suite écrira, dix-sept ans après, Emile Deschamps puis je ne sais quelles difficultés d acteurs et quels autres obstacles surgirent. Beaucoup de temps se passa et l'on mit plus tard en répétition l'Olhello de M. Alfred de Vigny, qui, entre autres gages de succès, présentait le très-grand avantage d'être de M. de Vigny seul. Tout en regrettant la priorité qui échappait à la première traduction accomplie et acceptée. je reconnaissais que l'essentiel était que l'épreuve de Shakespeare fût faite devant le public avec les meilleures chances possibles Othello allait ouvrir la marche viendraient ensuite Roméo et Juliette, puis »
11 fut, en effet, question, au Théâtre-Français, peu de temps après l'essai d'Othello, de joueraussiRoméo et Juliette tout au moins les auteurs se l'imaginèrent. J'en trouve la preuve dans une lettre inédite, écrite, le 30 janvier 1830, par l'acteur anglais Young au comte de Vigny, en réponse à une lettre qui s'est perdue, mais où le poète français avait exprimé toute sa satisfaction des résultats acquis, et expliqué tous ses sujets de confiance
« Apparemment, disait le comédien, votre triomphe a été complet et je vous félicite de tout mon J'ose espérer que le succès d'Othello serait l'avant-coureur d'un triomphe plus étendu et plus éclatant encore. Je vous trouve bien heureux que Mlle Mars s'intéresse et se prît de cœur aux succès de Shakespeare sur la scène française. Juliet, dans ses mains, si elle veut s'en charger, ferait fureur, j'en suis certain. Elle est plus capable que personne d'apprécier et de saisir toutes les beautés de cette intéressante Personnage et elle approfondirait avec une (un mot passé) qui n'appartient elle, tous les sentiments délicats qui donnent tant de charme à Juliet.
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J'espère d'être à Paris dans le commencement du mois de juin. Est-il possible que je serais assez heureux d'assister à la première représentation de Roméo et Juliet ? et en même temps d'être témoin du brillant succès de votre »
Mademoiselle Mars fit sans doute la réflexion que pour jouer Juliette, l'amoureuse de quinze ans, son âge aurait quelque difficulté à se rallier à son talent: elle renonça à l'entreprise. Peut-être Alfred de Vigny lui-même ne 1arda-t-il pas à s'en désintéresser (1). Il est bien permis de le croire lorsqu'on lit une correspondance échangée entre lui et Deschamps en 1837, au moment où l'entréeau Théâtre-Français d'une actrice amie des romantiques, Ida Ferrier, que devait épouser Alexandre Dumas,réveilla chez Emile Deschamps l'espoir d'y voir jouer sa pièce. Il écrivit le 16 mai à Alfred de Vigny
(( Il paraît que le Théâtre-Français voudrait monter notre Roméo pour le début de Mlle Ida, qui a le droit de choisir sa pièce de début. Seulement il faut nous décider vite. La chose serait organisée, ou manquée, d'ici à peu de jours. Que pensez-vous de cette chance d'être joué qui en est au moins une de se faire imprimer et de ne pas laisser pourrir des vers ? Moi. sans me faire autrement d'illusions, j'avoue que je serais bien aise d'en finir ou plutôt d'en commencer avec ce Roméo. Il m'importe même, pour certaines raisons littéraires, que mon travail ne soit pas perdu. Vous n'éprouvez pas sans doute le même besoin, mais voyez à peser toutes ces choses et un mot, je vous prie, en réponse au mien.
« Notre Roméo étant reçu, il ne s'agirait plus que d'une (1) paraît cependant avoir songé, en 1832, à Mme Dorval pour le rôle de Juliette. C'est ce que semble dire le pospscrtptum d'une lettre d'Emile Deschamps écrite en 1832, et dont on trouvera plus loin quelques extraits.
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lecture des rôles aux acteurs et je me chargerais de ce soin s'il vous fatiguait. Pour cela, vous me confieriez vos deux actes.
« Mille tendresses d'un malade qui est sain de cœur pour vous aimer et sain d'esprit pour vous admirer.
« EMILE
Quelles sont les raisons littéraires auxquelles Deschamps fait allusion et qui lui font tant souhaiter de ne pas perdre « son Ce ne sont plus sans doute celles que développait, en 1828, la Préface des Etud es et
« Rien ne serait plus original et plus neuf pour le public que la représentation naïve sur notre :héâtre d'une grande tragédie anglaise, avec toute la pompe d'une mise en scène intelligente car les représentations anglaises, où les trois quarts et demi des spectateurs n'entendent pas un mot, et les traductions en prose, privées de la magie du style et du jeu des acteurs, ne donnent du grand poète qu'une idée toujours imparfaite et quelquefois très-fausse. En vérité, jusqu'à ce qu'il se présente un génie inventeur, les traducteurs doivent avoir la préférence. »
Depuis 1828, Othello avait été joué, et « le génie inventeur » qui devait mettre fin au règne provisoire des traducteurs était venn Hernani, Antony, Marion Delorme, Chatterton, avaient rayonné sur le ciel dramatique. Le temps n'était plus, d'autre part, où Alfred de Vigny, dans la première fièvre de sa passion pour le théâtre et les actrices, se serait accommodé même de l'Ambigu,pour faire jouer son Shylock. Il résistait aux propositions d'Emile Deschamps, et sans formuler encore d'objections, faisait la sourde oreille, ou répondait qu'il était fort décoùragé.
Deschamps se rongeait d'impatience de ces lenteurs. Il pensa stimuler Vigny en lui faisant prévoir
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comme imminente l'entrée en scène du troisième larron, d'Alexandre Dumas, le terrible improvisateur, déjà prêt à tout faire. Il écrivait, au bout de quatre jours, une deuxième lettre (1)
« Cher Alfred, c'est encore moi avec notre Roméo. Le Théâtre-Français est décidé à faire faire une traduction en vers de cette tragédie de Shakespeare, si nous ne nous décidons pas à donner les nôtres, et c'est Dumas qui en est chargé. Le théâtre et lui-même viennent de m'en faire part et nous donnent 24 heures pour nous décider. Vraiment, voir notre œuvre déflorée et ne plus pouvoir en rien faire, nous qui les premiers avons attaché le grelot, c'est plus qu'horrible, surtout pour moi, qui n'ai pas eu ma soirée aux Français (2). Nous serions joués l'hiver prochain -en octobre. Comment ? Dieu le sait. Mais enfin Roméo sera joué et nous pourrons l'imprimer. Quant à moi, de tous ces malheurs, je choisirais le moindre. Soyons représentés, advienne que pourra, je ne m'en fais aucune illusion, mais je désire en finir ou plutôt en commencer.
« Par don de ce nouvel ennui ce n'est rien pour vous c'est beaucoup pour moi Si j'avais fait les deux derniers actes, je ne balancerais pas un instant. Voyez et décidez, cher ami. Certes, j'aimerais encore mieux prendre la tâche impossible de traduire après vous ces deux derniers actes, que de laisser traduire le tout par un autre. C'est toujours le sic vos non vobis.
« Demain vendredi je serai chez vous à midi. Vous aurez réfléchi. Tâchez donc de n'être pas plus découragé que moi et songez que ce n'est que le moindre des maux que j'accepte car, Dieu merci, je n'ai pas cherché, depuis 10 ans, les hazards de la scène française.
« A demain, à toujours,
« EMILE DESCHAMPS »
Jeudi soir.
(1) Le timbre postal donne la date du 20 mai 1837.
(2) Allusion à l'expression d Alfred de Vigny dans la préface du More de Venise « J'ai eu ma soirée, mon cher lord, et voilà tout. »
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faut le reconnaître, ces instances, assez peu adroites, n'avaient rien de très engageant. On a publié la réponse d'Alfred de Elle est du 26 mai 1837. Vigny marque à Deschamps toute sa défiance « de cette recrudescence de propositions et d'amour de Shakespeare bien extraordinaire de la part de la Comédie-Française ». Il ne refusait pas d'aller voir le directeur du théâtre, ni d'employer les moyens ordinaires pour amener un événement, dont il disait à son ami « cette représentation ne me sera jamais agréable que par le plaisir qu'elle pourra vous faire. » Mais il tenait à éviter « un de ces demi-succès qui sont plus tristes qu'une chute ». Il ne croyait pas à « cette menace d'une autre traduction » convenait d'attendre une marque assurée du bon vouloir des acteurs et du directeur au sujet de leur pièce « Quand vous a-t elle été demandée ? » disait-il, en homme d'expérience, au candide collaborateur
La vérité, sans doute, est qu'il n'avait qu'un désir modéré de risquer de nouveau sa réputation d'écrivain dramatique, avec cette adaptation de Shakespeare, dont il n'était l'auteur que pour la plus resje ne dis pas la plus négligeable partie. On sait qu'à la longue Emile Deschamps perdit patience. Il finit par où il aurait bien pu commencer: il traduisit lui-même ces deux derniers actes, dont Alfred de Vigny s'était jadis chargé, et il publia. en 1844, au Comptoir des imprimeurs réunis, un Roméo et Juliette, entièrement de lui, à la suite de son Mac(1) M. Jules Marsan, dans l'Introduction, déjà citée, de la Muse française, tome I, p. xmt, note 1.
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beih. Alfred de Vigny s'en étonna, comme d'un manque d'égards,'et il marqua son étonnement dans une lettre à Busoni (1), écrite en 1849. Il oubliait jusqu'à quel point il avait dû déconcerter le bon Deschamps, dans cette occasion, par son indifférence ou ses scrupules.
Ce désaccord,qui en eût brouillé d'autres,n'effleura pas leur amitié. Ce fut le nuage qui passe.
On ne pouvait guère parler de ce Roméo et Juliette, fait en commun, sans anticiper un peu sur les événements il faut revenir en arrière.
Le mercredi 15 octobre, 1828, Emile Deschamps écrivait à Alfred de Vigny un court billet, oit sont assemblés, en fort peu de mots, plusieurs renseignements d'un réel intérêt
« Paris, ce mercredi.
« Cher Alfred, il faut que je sois bien enterré dans mon recueil et dans ma préface que je fais toujours, pour ne pas vous aller faire moi-même la prière que je vous écris. « faut absolument que vous veniez samedi prochain, 18 octobre, à 5 heures précises, faire un dîner de garçon avec Victor, Antoni et Lamartine, chez moi. Le repas sera,, je crois, assez poétique.
« Nous dînerons à 5 heures, afin d'avoir une longue et sérieuse soirée poétique, et il faudra que vous avaliez tout mon poème de Rodrigue. Je ne vous prends pas en traître, comme vous voyez. A samedi donc et à toujours.
« EMILE. »
du 5 janvier 1849. Dans cette lettre, Alfred de Vigny intervertit les rôles c'est lui qui a souvent aurait « proposé Deschamps « de faire jouer cette pièce à un théàtre ou à un autre » et, à propos de la publication de 1844, il dit injustement « Il eût été plus poli et plus loyal de me prévenir de ce divorce N il l'avait rendu, semble-t-il assez naturel.
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« Si vous saviez dans quel enthousiasme est Lamartine de votre Cinq-Mars I Mais vous le savez sans doute à présent, car il me quitte pour aller chez vous. »
Le « recueil » dont il s'agit est celui qui paraîtra, deux semaines après, chez Urbain Canel, sous le titre Etudes françaises et étrangères, et la « préface », à laquelle Emile Deschamps travaille encore, est ce fameux manifeste dont se déclarera si frappé et si satisfait.
Le « poème de Rodrigue.» est, comme chacun sait, une épopée en petits vers, à la façon du Romancero espagnol, traduction assez infidèle, ou plus exactement adaptation des romances sur Rodrigue, dernier roi des Goths. Abel Hugo avait déjà édité, en 1821, et traduit, en 1823, ces romances espagnoles c'est cette traduction en prose qui a été utilisée par le
Quant à « l'enthousiasme » de Lamartine pour Cinqil est réel, et, contre son habitude, Emile Deschamps ne 1 exagère pas en y mettant du sien. Alfred de Vigny avait, d'ailleurs, besoin d'être rassuré sur le sentiment de Lamartine. Il avait bien reçu, deux ans plus tôt, en réponse à l'envoi de Cinq-Mars, une lettre du poète diplomatie, datée du 15 juin 1826 mais c'était un remerciement avant la lecture « Je lirai Cinq-Mars,sur la foi de vos beaux vers d'autres liront les vers sur la foi de Cinq-Mars. J'en entends dire partout un bien infini. Il charmera ma route. » Les auteurs de vers ou de romans sont rarement satisfaits par ces réponses dilatoires.
(1) I1 a traduit jusqu'aux notes. Ce ai-je besoin de le faire remarquer'? n'a rien de commun avec le Cid Campeador, Rodrigue de Bivar.
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Emile Deschamps réunit donc chez lui, le samedi 18 octobre 1828, les trois jeunes rois de la nouvelle école poétique, et c'est ainsi qu'il les assemblera dans sa préface des Ftudes françaises et en attribuant à chacun d'eux un domaine distinct. « Le Lyrique, l'Elégiaque et l'Epique étant les parties faibles de notre ancienne poésie. c'est de ce côté que devait se porter la vie de la poésie actuelle. Aussi M. Victor Hugo s'est-il révélé dans l'Ode, M. de Lamartine dans l'Elégie et M. Alfred de Vigny dans le Poème. Mais avec quelle habileté ces trois jeunes poètes ont approprié ces trois genres aux besoins et aux exigences du siècle M. Alfred de Vigny, un des premiers, a senti que la vieille épopée était devenue presque impossible en vers français, avec tout l'attirail du merveilleux. et, à l'exemple de Byron, il a su renfermer la poésie épique dans des compositions d'une moyenne étendue et toutes inventées il a su être grand sans être long. M. de Lamartine a jeté dans ses admirables chants élégiaques toute cette hauteur métaphysique sans laquelle il n'y a plus de poésie forte et ce que l'âme a de plus tendre et de plus douloureux s'y trouve incessamment mêlé avec ce que la pensée a de plus libre et de plus élevé. L'élégie, sur sa lyre, est devenue immense. Enfin M. Victor Hugo a non seulement composé un grand nombre de magnifiques odes, mais on peut dire qu'il a créé l'ode moderne, cette ode d'où il a banni les faux ornements, les froides exclamations, l'enthousiasme symétrique, et où il a fait entrer, comme dans un moule sonore, tous les secrets du cœur, tous les rêves de l'imagination et toutes les sublimités de la philosophie. » En pensant, en parlant ainsi de troispoctes qui lui étaient très supérieurs, Emile Deschamps suivait la pente naturelle de son cœur vraiment généreux et il se conformait aussi à la loi du premier cénacle, à cette loi qu'il a lui-même formulée assez heureusement dans une lettre écrite bien plus tard, en 1867. Cette
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lettre, imprimée dans les Œuvres complètes, est adressée à M. Antoine de Latour. Il y a un orgueil attendri dans le retour que fait vers le passé l'aimable et discret survivant de ces temps héroïques: « On était émule sans êtr e rival, rival sans être envieux. On se rassemblait pour faire avancer l'œuvre et l'idée collective on était des compagnons d'armes plutôt que des confrères. »
Les Etudes françaises et étrangères parurent en novembre 1828(1).Le succès retentissantdu« recueil» et de la « pr éface » ne nuisit pas au sous-chef de bureau desfinances un an après,au début de novembre 1829,il fut fait chevalier de la Légion d'honneur. En communiquant la nouvelle à Alfred de Vigny, par un billet daté du « mardi matin » (4 novembre), Emile Deschamps lui écrit « Je ne voudrais pas que ce journal vous apprît la moindre chose qui me concerne. » Le billet, quelque bref qu'il soit, est tout chargé de compliments « Un million d'amitiés pour vous, sans compter les admirations, car j'ai relu Eloa (2) à Corbeil, et tout haut. » Deux jours après, le 6 novembre, un journal annonçait la décoration d'Emile Deschamps comme « auteur du Roméo et Juliette et d'un volume de vers » (3). Le travail » (1) Le Journal de la Librairie de 1828 annonce l'ouvrage à la date du 1er novembre. « N° 6391. Etudes françaises et étrangères, par Emile Deschamps, in-8° de 24 feuilles. Imp. de Gœtschy, à Paris. A Paris, chez Urbain Canel, rue SaintGermain-des-Prés, re 9. »
(2) Dans l'édition de 1829, publiée en deux fois, je pense, le 16 mai et le 4 août, chez Gosselin, Urbain Canel et Levasseur. Les deux tirages diffèrent par la vignette du frontispice et par l'addition d'une note.
(3) Le volume des vers était les Etudes françaises et étrangères, précédées du manifeste de l'école romantique.
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fait en collaboration avec Vigny n'avait pas été absolument « perdu ».
1830 arrive. Les amis du Cénacle s'éloignent peu à peu les uns des autres. Les liens qui unissaient Alfred de Vigny et Emile Deschamps semblent se resserrer. Il y a même entre eux, dans les années 1831 et 1832, un échange de bons offices dont la correspondance inédite nous instruit. Elle nous apprend, par exemple, que l'article du 4 mars 1831, publié dans le journal de Montalembert, l'Avenir, et intitulé Paris, Elévation par M. le comte Alfred de Vigny, est d'Emile Deschamps.En retour, Deschamps réclame d'Alfred de Vigny « deux services » « D'abord, lui écrit-il, voudriez-vous me faire quelques lignes d'ami dans l'Avenir, pour la nouvelle édition de mes Etudes? J'enjoins ici l'annonce m,atérielle. Vous me feriez grand plaisir et surtout à mon libraire, vous comprenez. M. de Montalembert a déjà été si aimable pourmoi qu'il le sera sans doute pour vous de suite. »
Voilà pour le premier service voici pour le second « J'ai un article d'annonces qu'un de mes amis a composé pour l'Album à la fin de la Revue de Paris; comme il est aussi indulgent que si vous l'aviez fait vous-même, je ne puis décemment l'envoyer en mon nom. Soyez assez bon pour écrire quelques mots d'envoi à M. Bulos, en lui disant que vous le priez d'insérer dans le prochain numéro de la Revue, à l'Album de la fin, l'article ci-joint, mais que moi je ne joins pas ici, c'est inutile. Vous ferez remettre chez moi votre petit mot à M. Bulos, et je me charge de faire porter le paquet à la Revue. »
La démarche uuprès de Buloz aboutit aussitôt à
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quelques lignes d'annonce dans l'A lbum de la Revue des Deux Mondes Quant à l'article d'éloges dans l'Avenir, si Vigny l'écrivit, l'Auenir ne l'inséra pas, et pour cause le 15 novembre 1831, la rédaction adressait son adieu aux lecteurs le journal cessait de paraître.
En 1832, même manège de Deschamps. Urbain Canel allait imprimer de lui une brochure in-8° intitulée Retour ci Paris. C'était une pièce de 300 vers, du genre intime et confidentiel, écrite à l'occasion d'un séjour assez. prolongé dans un château d'Auvergne. La brochure prête, et à la veille d'être mise en vente, l'auteur écrivit à Alfred de Vigny pour obtenir qu'un article accompagné d'annonce, une « réclame », comme dira plus crûment Sainte-Beuve, fût insérée par lui dans la Revue des Deux Mondes. La lettre, fort longue, n'a qu'un intérêt elle met en lumière le côté médiocre et un peu déplaisant de ce compagnonnage littéraire, raillé sans mesure par de Latouche, mais non pas sans raison. A cette lettre était joint un compte rendu critique, de la main de l'auteur du poème et de sa plus indulgente façon, sous cette rubrique « Avant-propos pour l'article Retour à Paris, par M. Emile Deschamps. » Ce compte rendu complète la lettre il pourrait. être rapproché des annonces pour les Orientales, pour Notre.-Dame de Paris (1).
(1) « Samedi matin Voici; cher Alfred, tout mon Retour à Paris par des demi-feuillesl. de manière que les citations pourront en étre coupées très facilement pour les joindre à votre annonce amicale sans qu'il soit besoin de les recopier. J'ai joint à mon poème un petit avant propos en prose où vous trouverez matière et les éléments du commencement de votre article. Je n'y ai rien épargné. pas même les éloges. Je tiens à tout ce petit bruit, pour retentisse dans un autre
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Cette fois Buloz fut récalcitrant. A une première demande d'insertion que lui adressait Alfred de Vigny, il répondit, le 29 décembre, en limitant les ambitions de l'auteur avide de bruit « Je mettrai tout simplement une note (1), pour annoncer son livre, sauf à y revenir plus tard. »
Alfred de Vigny crut devoir insister pour que son éloge passât. Le directeur de la Revue lui répondit plus explicitement, en homme soucieux de ne pas désobliger l'auteur de Stello, dont la collaboration je le démontrerai en temps et lieu lui paraissait, à ce moment, très précieuse, mais en homme non moins préoccupé d'écarter prudemment ce qu'il jugeait, ou ce qu'auprès de lui on jugeait médiocre (2) il ne voulait pas discréditer son encoeur. comme vous le dites si bien au 2e chant d'Héléna. Sans cela. bon Dieu est-ce que je vous ennuierais de ces misères ?.. Merci donc mille fois. J'espère qu'avec votre nom et votre demande. M. Bulos ne refusera pas mes vers dont les trois quarts seront tout à fait inédits. N'oubliez pas d'intituler le tout Retour à Paris, par M. Emile Deschamps. et ayez la constance de lire mon petit avant-propos en prose pour votre gouverne Et puis adieu enfin, et pardon et merci. Je suis très souffrânt et très faible aujourd'hui et pourtant je vous aime très fort. Votre ami, Emile. Et Juliette? j'y ai rêvé toute la nuit, c'est-à- dire à Mme Dorval. » L'avant-propos contient des phrases comme celle-ci « Nous engageons fort les souscripteurs de cet ouvrage (Le livre des Cent un, auquel la pièce était d'abord destinée) à se procurer le Retour iz Paris qui devait en faire partie, qui en forme, pour ainsi dire, le complément, et qui en eût été un des morceaux les plus.. tout ce que vous voudrez » (1) Voici la note insérée dans la Revue au tome V. p. 137, année 1832 « M. Emile Deschamps va publier incessamment chez Urbain Canel un poème intitulé Retour à Paris. Le succès des Etudes étrangères promet d'avance aux amis de l'art et de la poésie une lecture intéressante. Ce poème, qui devait entrer dans le 3e volume des Cent-Un, en est le complément. La Revue s'en tint là on ne revint pas sur l'ouvrage.
12) avait, pour diriger ses choix et pour fermer In porte aux auteurs encombrants, deux conseillers peu indulgents, Gustave Planche, le factotum de la Revue, et Sainte-neuve.
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treprise littéraire en trompant sciemment les lecteurs sur la qualité des produits.
« Quant à l'affaire de M. Deschamps, répond-il à Vigny dans une lettre datée du 31 décembre, j'ai mis une note pour annoncer son poème, comme je le lui avais promis, vous réservant d'y revenir. Mais je ne vous cache pas que je lui en veux de se servir de votre amitié pour me forcer la main, car je répugne d'insérer ses vers peutêtre ai-je tort, mais ses deux articles nous ont valu beaucoup de reproches. Je vous dis ceci dans l'intimité, pour vous faire comprendre mes raisons cependant dès que vous y tenez, je n'ai rien à vous refuser seulement je vous demande en grâce d'être sobre d'éloges et de citer un peu moins. »
Et il ajoute ce posl-scriptum
« Je reçois à l'instant une lettre de lui où il me prie de ne pas annoncer son livre, qu'il attendra au 15 pour l'insertion, et il ajoute que je vous désobligerais singulicrement si je ne le fesais pas. Je ne pense pas que vous l'autorisiez à se servir ainsi de votre nom. Il n'était d'ailleurs plus temps, car la note était imprimée. »
Devant ce mauvais vouloir, Alfred de Vigny battit en retraite et se tourna vers un périodiquecommodant, le du XIXe siècle. On trouve, en effet, au 36e volume de ce journal, année 1832, pages 113 et le compte rendu copieux, sollicité et à moitié dicté par Emile Deschamps. Alfred de Vigny a rempli les conditions prescrites il a cité à peu près cent cinquante vers il a fait l'historique et l'analyse de la pièce. Il a trouvé moyen de glisser à travers ce pensum d'écolier une vingtaine de lignes bien à lui, d'une grâce persuasive. Le résumé qu'il fait de la pièce la fait va-
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loir (1) les éloges qu'il donne à l'exécution de l'ouvrage sont accentués, mais adroits. La définition qu'il donne de la manière actuelle d'Emile Deschamps est à noter « C'est, dit-il, une « poésie libre des préjugés et des formes affectées de toutes les écoles. » Ces expressions, notons-le en passant, sont d'un écrivain à moitié revenu du romantisme et qui groupe déjà quelques indépendants en face de Hugo.
Cet échange de louanges publiques et de services secrets, reste des habitudes du Cénacle, ne paraît pas avoir duré au delà de l'année 1832. L'amitié d'Alfred de Vigny et d'Emile Deschamps n'avait pas besoin de ce support, bien chancelant, de l'intérêt elle était édifiée sur des fondements plus solides. C'est l'intimité des parents, ne l'oublions pas, qui était aux origines de cette camaraderie littéraire. Quand Mme de Vigny, mère du poète, mourut, Emile Deschamps se sentit frappé par cet événement comme par un deuil domestique. « me semblait, écrivait-il à son cher Alfred, recommencer (1) « Figurez-vous quelque jolie petite fille entre les genoux de qui, tout en lui donnant des bonbons, cherche à penser beaucoup à elle, pour moins penser à un chagrin secret qui l'occupe. 11 la caresse à l'écart, à la fenêtre d'un grand château en Auvergne il lui parle d'abord la langue de son âge avec la voix douce que 1'on prend pour ne pas effrayer les jeunes oreilles puis la voix devient grave et forte avec la pensée. Mais le poète s'arrête, revient à l'enfant avec une grâce infinie, puis remonte encore par degrés, et comme malgré lui, à de nouvelles et ;;randes peintures d'une société corrompue dont il se plaint puis l'enfant descend de ses genoux et va jouer. Puis le poète dit adieu Adieu les montagnes voilà le triste et noir Paris. Tout cela ne serait rien qu'un tablenu plein de grâce, sans le poète, sans la poésie tour à tour brillante et douloureuse, vive et élégiaque. ironique et sérieuse, dont voici une partie prise au hasard. » Suivent les citations, reliées très discrètement par ténu de prose.
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un de mes désespoirs ». Il ajoutait « Je ne suis pas encore bien, mais dès que je saurai qu'on peut vous voir, j'accourrai vous savez que vos douleurs, vos joies et vos gloires sont les miennes depuis longtemps. »
On a souvent répété, après Sainte-Beuve, que Vigny voulut, toute sa vie, rester « secret » même pour ses intimes. S'il s'ouvrit à l'un d'eux, ce fut à Emile Deschamps. Pour ne parler que du mystère le plus divulgué, les relations avec Mme Dorval, il semble que Deschamps ne les ait pas connues uniquement par quelque rumeur de coulisses. Rappelons-nous le post-scriptum de la lettre sur le Retour à Paris, lettre qui contient elle-même une sorte de confession. « Et Juliette ? etc.» A la reprise de la Maréchale d'Ancre (1), jouée par d'autres acteurs que ceux de la création, Deschamps ne se borne pas à louer l'auteur pour l'intérêt de sa pièce, il félicite l'amoureux sur le charme de son interprète « Je ne sais pas comment Mlle Georges avait compris le rôle, mais j'y trouve Dorval excellente, pleine de naturel et de pathétique vrai au dénouement, elle est parfaite. )) Après 1838, quand l'actrice des drames romantiques passe au Gymnase, Deschamps écrit à Vigny pour lui dire qu'il est de moitié dans sa surprise et peut-être dans ses regrets
« Voilà donc le Gymnase qui emporte Melpomène. Ce sera un aigle dans une cage de serin. C'est atroce pour (1) La chronique de la quinzaine de la Revue des Deux Mondes, du 30 novembre 1832, annonce ainsi cette reprise « A la Porte Saint-Martin, on nous annonce la reprise de la Maréchale d'Ancre, de M. Alfred de Vigny, en attendant son nouveau drame, qui fera son apparition dans le mois de février prochain. » (Revue des Deux Mondes, 1832, t. VIII, p. 603.)
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les poètes. Que dit-elle ? Que fera-t-elle ? Moi, je sais bien que je ne dirai ni ne ferai plus rien que vous aimer et vous admirer toujours. »
Vous admirer toujours 1 C'est bien, en effet, l'attitude constante d'Emile Deschamps devant Alfred de Vigny et ses œuvres. Qu'il s'agisse de lachale d'Ancre, jouée pourla première fois pendant le voyage en Auvergne « La lecture nous enchanta et la représentation a complété pour moi l'enchantement », ou de Stello, dont la publication dans la Revue des Deux Mondes passionne les lettrés et lui arrache cette exclamation « Mon Dieu que la suite de Stedlo ressemble au commencement comme elle est spirituelle et sentie Merci de votre talent », ou de Chatterton, qu'il place au premier rang des ouvrages dramatiques, et cela non pas dans les transports et les effusions d'une soirée de première, mais bien longtemps après, -à l'époque de la réédition par Charpentier des œuvres complètes d'Alfred de Vigny « Votre Chatterton m'a ravi de nouveau, et comme tout le reste est faux à côté de ce chefd'œuvre. » (1) c'est, partout et toujours, la même chaleur d'enthousiasme, c'est, partout et toujours, le même oubli de soi. C'est mieux encore, c'est un retour sur soi, un retour sincèrement modeste et qui ne laisse place à aucune sorte d'aigreur
« Vous me faites assister merveilleusement à l'élaboration de votre pensée, et quand j'aurai la tête à moi, je (1) La lettre d'envoi d'Alfred de Vigny laquelle répond Emile Deschamps dans la lettre inédite d'où j'extrais la phrase sur Chatterton, a été produite par M. Jules Marsan dans l'introduction de la Muse française, p. XXVII.
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tâcherai d'employer votre recette pour voir s'il en résultera quelque chose comme votre adorable Stello. J'en doute fort. Un coq gaulois même a beau ouvrir ses ailes comme il voit faire à l'aigle, il ne s'envole pas comme le royal oiseau. »
Les deux amis avancent en âge les occupations (1), le tracas de la vie, les retiennent loin l'un dé- l'autre le cœur reste toujours au même point. « J'ai relu hier soir, écrit-il en 1850, une bonne et belle partie de ces poésies, et j'y ai retrouvé les vives émotions de notre première jeunesse, quand nous nous enivrions de vers, d'art et d'amitié. Je suis enchanté de ce format qui popularise tout. C'est.le dieu fait homme. Vous restez le Roi des anges et vous faites des visites à toute la terre. »
Et ce n'est pas ici, comme dans l'ironique et pessimiste définition de l'amour souvent citée, « un des deux qui embrasse et l'autre qui tend la joue » Alfred de Vigny aime Emile Deschamps aussi profondément qu'il est aimé de lui.
Les preuves ne manqueraient pas; la correspondance inédite nous en offre une. En 1842, vers la fin de l'été, le frère d'Antoni eut, .lui aussi, sa crise de neurasthénie aiguë. Pour juger de l'émotion ressentie par son ami aux premières nouvelles du mal, il n'y a qu'à lire cette réponse inédite de (1) Emile Deschamps n'est plus, comme en 1821, un employé sans occupations c'est un chef de bureau accablé de besogne: « Voilà bien trois ou quatre ans que le travail dont je suis chargé aux finances est devenu tel que je ne rentre chez moi qu'à six heures pour travailler encore une partie de mes soirées. Voilà pourquoi je puis à peine voir mes amis et trouver quelques instants pour la littérature que je néglige atrocement. »
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Deschamps, à l'une de ses manifestations de tendresse
« Versailles, 8 octobre (1).
(t CHER ALFRED,
« Votre lettre me charme le cœur, et je ne veux point partir pour un petit voyage que les médecins me recommandent sans vous bénir du fond du cœur. Mon mal est tout physique. Je n'ai jamais eu si bonne envie de vivre et d'aimer. mais je ne puis surmonter une tristesse, une langueur et une terreur qui m'écrasent. Merci de vos bons conseils pour les indifférents. Quant à vous, qui êtes si différent (2), cher et fraternel Alfred, vous serez le premier ami dont je serrerai la main quand je m'en sentirai digne, comme vous êtes un des premiers que j'aie aimé et admiré.
« Plaignez moi et aimez-moi beaucoup. J'ai rencontré Liszt hier et nous avons parlé tant de vous il a dû me trouver un spectre je n'ose pas encore me montrer. De spectre à revenant il n'y a que la main et si je reviens, vous savez où je reviendrai.
« Ma femme, si malheureuse de moi et si héroïquement patiente, se joint à moi pour vous renouveler ainsi qu'à lllme Alfred tous les sentiments de nos cœurs.
« Adieu, sans adieu, j'espère.
« EMILE DESCHAMPS. »
« P.-S. Hélas, toute distraction m'est impossible Je n'y trouve que la preuve atroce de mon impuissance actuelle (1) L'enveloppe de la lettre porte le timbre d'arrivée du 10 octobre Cette lettre de Deschamps répond à une lettre du 5 octobre, écrite par Alfred de Vigny et publiée par M. Jules Marsan dans l'introduction de la Muse trançaise, page xxvn. A la date où j'écrivais ce chapitre, le travail si intéressant de M. Jules Marsan n était pas encore publié, et c'est surtout dans les notes de ce livre que j'ai pu faire usage des documents qu'il a produits. Comme la réponse de Deschamps le faisait pressentir, la lettre d'Alfred de Vigny est d'une délicatesse charmante.
(2) Le jeu de mots, si peu qu'il vaille, est souligné par Emile Deschamps.
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au plaisir et au bonheur. Voilà pourquoi je me cache. Quel mystère que l'âme humaine. et que le corps » Heureusement, au sortir de cette dure et assez longue épreuve, Emile Deschamps retrouva l'humeur gaie et aimable de ses jeunes ans. Il jouit, pendant longtemps encore, de tous les succès d'Alfred de Vigny, et, avec une joie qu'aucun soupçon d'envie n'altéra jamais, il vit grandir et resplen-dir déjà sa noble, sa très pure renommée. Il tint, en quelque sorte, école d'admiration à son endroit il ne cessa de diriger vers l'auteur de Stello et de Chatterton ceux des jeunes hommes de lettres qui venaient solliciter ses propres conseils ou quêter auprès de lui des encouragements et des éloges. On a quelques-unes de ces lettres de présentation. La dernière, antérieure de deux années seulement à la mort d'Alfred de Vigny, se termine ainsi « Votre nom si en honneur parmi tout ce qui pense et tout ce qui sent revient si souventà mes oreilles que je suis le plus heureux des hommes. J'irai vous le dire au premierjour en vous serrant la main » (1).
Ces termes d'amitié presque amoureuse échangés entre deux vieillards honorent grandement celui dont l'esprit gracieux était encore assez jeune pour (l) La lettre est du 10 septembre 1861. On le voit par cette lettre et par cette date lorsque Sainte-Beuve, préoccupé de dénigrer le caractère de Vigny, écrit, dans l'Appendice de son article de 1864 « Emile Deschamps, son intime ami alors et envers qui il a fait preuve, depuis leur brouille, d'une froide rancune irréconciliable, etc. », sa propre rancune lui fait commettre une très grave erreur. Ce n'est pas la seule assertion suspecte d'une étude trop peu discutée. Pour m'en tenir à une autre indication, les prétendues trouvailles sur les ancêtres de Vigny ne méritent aucnn crédit ni le « bombardier » ni le prisonnier « pour dettes » a ne sont de la famille du poste.
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abonder en semblables propos et celui dont l'âme grave, réservée, ou même, aux yeux d'observateurs superficiels, surtout hautaine, demeurait assez tendre pour les mériter et assez ingénue pour en savourer tout le charme.
III
On ne sépare pas Antoni Deschamps de son frère. Le cadet fut, comme l'aîné, l'ami de jeunesse d'Alfred de Vigny et lui marqua, toute sa vie, avec une nuance de respect, l'affection la plus ardente. Le portrait le plus ressemblant et le plus vigoureux qu'on ait jamais tracé d'Antoni Deschamps est encore sorti de la main. de Victor Pavie « "Ce grave Antoni, maigre et sec, aux yeux noirs, au teint mat et olivâtre, au nez cartilagineux vêtu de bronze, avaitle masque du maître dont il baisait religieusement les pas (1). » L'excitation de son esprit, qui l'obligea à passer une grande partie de son existence dans la maison de santé du Dr Blanche, se traduisait aux regards par les jeux inquiétants de la physionomie et surtout par un tic d'une bizarrerie étrange « II serrait fréquemment ses paupières sur ses yeux, avec un mouvementde crispation nerveuse et se tirait les cils de manière à causer les plus douloureux agacements à ses amis (2). »
Il passait toutes ses journées au repos ou en traitement, et ne sortait guère qu'à la nuit tombante. Il arrivait alors chez ses amis, les chefs du romantisme, Allusion à la traduction en vers de la Divine Comédie de (2) Victor Pavie, Œuvres choisies, « Souvenirs de jeunesse. p. 149.
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chez son frère, chez Victor Hugo, chez Alfred de Vigny il écoutait, en silence, pendant des heures entières, leurs ardentes discussions, laissait tomber, au bon moment, avec froideur, une ou deux réflexions frappantes de justesse, puis regagnait, le plus souvent fort tard, les hauteurs de Montmartre, rentrait dans sa chambre de malade et retrouvait les soins affectueux du médecin dont il avait, au retour d'Italie, réclamé la tutelle. Il donnait lui-même régulièrement des soirées littéraires. C'est à l'une d'elles, nous raconte Auguste Barbier, qu'en présence de « MM. Bertin, des Débats, Hugo, SainteBeuve, Fontaney, les critiques du Globe et quelques personnages distingués tels que M. le duc de FitzJames, Alfred de Musset lut pour la première fois son poème de Don Paez. L'effet en fut saisissant. Le lendemain, tout le Paris lettré savait qu'un vrai poète venait de naître. »
Alfred de Vigny avait gardé deux feuillets manuscrits de lajeunesse d'Ant«ni Deschamps une lettre en prose, écrite de Rome et datée du 3 mars 1827, et une courte épître satirique en vers, improvisée évidemment après les journées de juillet. Ces deux documents, restés inédits, sont curieux et expressifs, chacun à sa manière.
La lettre est adressée à M. le comte Alfred de.'Vigny, rue de la Ville-l'Evêque, n° 41. Elle fait suite et fait allusion à une première.lettre qui s'est perdue, avec beaucoup d'autres sans doute
« Rome, 3 mars 1827.
« Je vous ai dit, mon cher Alfred, dans ma lettre de Florence, combien Lamartine était content de Cinq-Mars ici, j'en ai beaucoup parlé et entendu parler, quoique trois
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ou quatre exemplaires seulement soient livrés aux lecteurs anglais, français et italiens. Je vous remercie bien et je vous prie de remercier de ma part Mme de Vigny de la lettre que vous avez eu la bonté de me donner pour M. et Mllie Bunbury (1), qui m'ont reçu avec toute l'affabilité imaginable. J'ai l'honneur de leur rendre souvent visite au palais Sciarra. J'y vois quelquefois le colonel West, je crois, homme de beaucoup d'esprit et de goût et qui aussi aime beaucoup vos ouvrages.
« Nous sortons des fêtes du Carnaval, des con fetti, des moccoletti (2). Mme Gay et Delphine sont toujours ici elles vont partout, comme à Paris, passent les nuits au bal et ne connaissent pas Rome. J'ai entendu des vers de Delphine sur la Mer morte qui sont très beaux.
« Que dites-vous de l'Ode à la colonne de Victor ? Il me semble qu'elle est fort belle. Elle a produit beaucoup d'effet ici; elle aurait réveillé Rome, si Rome pouvait se réveiller. « J'espère, mon cher Alfred, que vous préparez quelque nouveau roman. Lamartine et tous les amis de la peinture fidèle des mœurs l'attendent avec impatience.
« Ne viendrez-vous pas en Italie ? Quelles belles inspirations vous y trouveriez, à Rome, à Florence, etc.
« En attendant cet heureux jour, je vous prie de recevoir de nouveau mes remerciements. Présentez bien mes respects à Mme de Vigny et à Mme votre mère, et croyez-mo « Votre ami dévoué,
« ANTONI DESCHAMPS. »
La pièce de vers, dont le manuscrit autographe était resté, à côté de la lettre, dans les papiers d'Alfred de Vigny, a pour titre Souvenir à garde royale, et pour sous-titre Aux Suisses morts pour le serment. Le loyalisme qui s'y manifeste n'a trouvé (1) Le colonel Bunbury et D'Iistress Bunbury, oncle et tante de Mme de Vigny.
(2) Voir les Italiennes, d'Antoni Deschamps. La pièce après le prologue est le Jour des Moccoli la seconde le Carnaval. La troisième, le Vendredi Saint, est dédiée à Mme de Girardin elle avait été écrite pour « Delphine ».
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pour s'exprimer, il faut le reconnaître, que des alexandrins sans relief se succédant, du premier au dernier, avec une solennité classique assez banale: Ah puisque le démon de la guerre civile
N'élève plus sa voix au milieu de la ville,
Salut, nobles martyrs de la fidélité
Morts au sein du devoir et de la loyauté.
Vaillants soldats tombés dans toutes les batailles,
Si je n'honorais pas vos saintes funérailles,
Si, dignes fils de Tell, je ne vous chantais pas,
On devrait me compter au nombre des ingrats
Car ma muse a chanté toute divine flamme,
Et tout beau dévouement et du corps et de l'âme.
Ah si dans le silence et cette grande paix,
Qui cachent l'Helvétie et leurs voiles épais,
Si dans le cœur des monts dont l'ombre la recouvre Il est quelques débris des injures du Louvre,
Qu'ils reçoivent enfin cet hommage pieux
Et, levant vers le ciel et leurs mains et leurs yeux A ce grand souvenir de l'antique souffrance,
Qu'ils versent une larme et pensent à la France.
ANTONI DESCHAMPS.
Ces vers sont sans doute du même moment et due la même inspiration que la note du Journal d'un poète « Pas un prince n'a paru. Les pauvres braves de la garde sont abandonnés sans ordres, sans pain depuis deux jours, traqués partout, et se battent toujours. » Mais à lire cette satire dolente et sans mordant, on ne se douterait pas qu'Antoni Deschamps avait fait de Dante son étude de prédilection, et qu'il venait de donner une traduction de plusieurs chants de la Divine Comédie (1).
(1) La Divine Comédie.de ./Jante, traduite en vers français par Antoni Deschamps. Paris, Charles Gosselin, Urbain Canel et Levasseur, 1829, in-8°.
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Cette traduction fut suivie d'assez près par les Trois satires politiques (1). Dans une de ces satires, celle qui a pour titre Les hommes politiques, le poète rendait hommage à l'attitude noble etloyale d'Alfred de Vigny, à son dédain des avantages du pouvoir, payés trop cher par un d'opinion Alfred, ce n'est pas toi qui voudrais à ce prix
T'asseoir à leurs côtés sous leurs vastes lambris,
Comme un cygne tombé dans un marais immonde, Souiller ta plume blanche en la fange du monde,
Et mêler, pour la perdre en ce bruyant séjour,
Ta parole immortelle à leur fracas d'un jour.
Non, non, ce n'est pas là le poste du poète
La muse chante au temple ailleurs elle est muette. Comme on fait aujourd'hui, toi, tu ne voudrais pas Prostituer ta lyre aux choses d'ici-bas
Tu l'estimes trop sainte, et, méprisant la ruse,
Tu n'attachas jamais de cocarde à ta muse.
Mars 1831 (2).
Alfred de Vigny ne pouvait manquer de s'intéresser à ces débuts-poétiques. Une lettre du mois de décembre 1832, publiée dans le volume de Correspondance (E. Sakellaridès)., nous en fournit déjà la preuve. Cette lettre laisse deviner que l'influence de l'auteur de Stello, très grande, à ce moment, auprès du directeur de la Revue des Deux Mondes, ne fut pas étrangère à la publication, dans la revue, des Impressions d'Italie, d'Antoni Deschamps. C'est sur le conseil d'Alfred de Vigny qu'Antoni (1) Trois Satires politiques, précédées d'un prologue, par M. Antoni Paris. Rigu, Werdet, Levasseur (imprimerie David). 1831, in-8°.
(2) Poésies d Antoni Deschamps, nouvelle édition. Paris, H. L. Delloye, 1841, « A Alfred de Vigny p, p. 76.
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Deschamps prit patience et se détourna du projet de donner ses poèmes à quelque journal « Les journaux sont tous écrits par des hommes d'actions haineuses, et ces intruments de médisance et de calomnie ne peuvent rendre un son aussi pur que celui de vos vers. Attendez que la Revue leur donne place Il me semble que, dans son intérêt, cela ne peut tarder (1). »
Ce qui ne fait aucun doute, c'est qu'Alfred de Vigny mit entre les mains de Brizeux, à la fin de l'année 1832, le premier livre d'Antoni, la traduction de la Divine Comédie « J'ai donné votre Dante. Le jeune poète en est touché jusqu'aux larmes. Si donc la Revue des Deux Mondes publie, le 1er janvier 1833, une étude critique développée et largement élogieuse, signée de l'initiale H, mais écrite par A. Brizeux. sur la Poésie d'Antoni Deschamps, c'est à l'initiative d'Alfred de Vigny qu'il faut reporter, avant tout, l'honneur d'avoir suggéré cette étude (2). Alfred de Vigny fit à lui de louer publiquement le nouveau satirique, il la saisit avec empressement. L'Avenir s'était fondé, en octobre 1830, sous la direction de Montalembert, et Alfred de Vigny avait accepté d'y collaborer par l'envoi de Lettres parisiennes. Il s'en tint, nous le regrettons, à un premier essai. Ce fut assez pour lui permettre de signaler, dans le numéro du 5 avril (1) Les premiers vers d'Antoni Deschamps qu'ait publiés la Revue des Deux Mondes, « le Comte Gatti Il, parurent au mois de février 1833. La pièce est accompagnée de cette note « Fragment de l'Italie, recueil inédit dont nous publierons incessamment plusieurs pièces. » Les Etudes sur l'Italie se trouvent dans la Revue, à l'année 1833, livraisons du 15 mars et du 1er avril. (2, Poésie d'Antont Deschamps., (signé H): ,Revue des Deux 1833, 2e série, 1, p. 59 et suiv.
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1831, deux poètes nouveaux, Auguste Barbier et Antoni Deschamps. Il les comparait, les opposait, les louait tous les deux, mais marquait au second comme une sorte de tendresse et de prédilection « Le caractère de ses satires, disait-il, est tout différent Ce ne sont plus des comparaisons largement développées comme celles de la Meule, du Lion et de la Mer de M. Barbier; ce sont des vers laconiques, sévères, nerveux des mots d'un prix infini, des images vivement jetées, mais dans lesquelles il ne se complaît pas et passe outre sur-le-champ des traits mélancoliques tombés comme un souvenir, qui s'impriment dans la mémoire, tels que celui-ci.
l'ambition,
Cette épouse qu'on prend quand on n'a plus d'amante, des maximes graves bien placées, bien encadrées, naturellement amenées et qui ont leur prix sans le cadre, sans la chaîne, sans la place réservée des mouvements de bile et de fiel, à la manière de Dante. Car Dante est le premier fleuve où ce nouveau poète se soit trempé comme dans le Styx, en lisant la Diuine Comédie. »
En 1835, quand les Derrières Paroles furent éditées (1), Alfred de Vigny écrivit à Antoni Deschamps une lettre d'éloges graves et de tendres encouragements. On peut lire cette lettre, avec celle de 1832, dans le volume de Correspondance (p. 60). Quelque (1) Dernières Paroles, poésies. Paris, Ebrard, éditeur, rue des Mathurins-Saint Jacques (imprimerie Bellemain), 1835, in 8°.- Alfred de Vigny voulut, à l'occasion de la publication desniéres Paroles, écrire pour le Correspondant un article sur les deux frères Deschamps, Le comité de la revue refusa cet article. C'est ce que nous apprend une lettre de M. de Montalem- bert au comte de Vigny. Cette lettre a été produite par M. Jules Marsan dans une étude littéraire, riche en documents, et qui a pour titre Notes sur Antoni Deschamps. Toulouse, Privat,
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facile à trouver qu'elle soit, comment résister à l'envie d'en extraire ce beau passage ?
« La poésie, qui vous avait perdu, vous a sauvé. Vous conserverez toute la vie sur le front la trace du tonnerre, mais ce ne sera qu'une cicatrice, et votre âme est restée intacte sous ce front blessé. Qui mieux que vous a jamais senti et plus purement exprimé la sainteté de l'amitié et la tendresse des souvenirs (1), la grandeur de la résignation dans la plus cruelle des maladies, le regret des plus innocentes fautes, et la chaste adoration des arts planant au-dessus de votre vie inoffensive ?. Vous voyez à présent l'arbre de vos nous en goûterons sans cesse les fruits, et il n'y a pas d'homme au monde qui les savoure avec plus de bonheur que moi, parce qu'il me semble que, grandi sous vos larmes et les nôtres, c'est un arbre sacré q2ie celui-là. »
En 1847, parut. chez Delloye, en même temps qu'une nouvelle édition des poésies d'Emile Deschamps, le recueil à peu près complet des poésies d'Antoni Deschamps. Depuis 1837, Delloye imprimait les Œuvres complétes d'Alfred de Vigny dans le format in-8°. Il est permis de penser que sa caution auprès de l'éditeur n'avait pas nui aux deux poètes. Antoni fut tout l'opposé d'un ingrat. Nerveux et farouche comme il était, les adversaires d'Alfred de Vigny devenaient pour lui des hommes dignes de (1) Dans une lettre d'Alfred de Vigny à Sainte-Beuve, écrite le 17 octobre 1835, en remerciement de l'article du 15 octobre dans la Revue des Deux Mondes, on lit « D'abord mon cœur a été pris par l'attendrissement que m'ont donné les souvenirs de ces premières et fraternelles réunions, que vous avez rappelées et dont parlent les beaux vers de notre Antoni. » Cette lettre est citée avec nombre d'autres, ou éditées déjà (celles d'Alfred de Vigny) ou inédites (celles de Sainte-Beuve ) par M. Gillet dans une étude très développée Sainte-Beuve, Lettres à Alfred de Vigny, Revue de Paris, 1906, 15 août et ler septembre.
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haine. Après cette fameuse séance de réception à l'Académie française où Molé, chargé de répondre à Alfred de Vigny, manqua de courtoisie à l'égard du récipiendaire, Antoni Deschamps, indigné, reprit son fouet de satirique et il en effleura quelque peu l'effigie du Grand Juge (1)
Un valet peut très bien louer son ancien maître
Pour ne pas être ingrat, ni surtout le paraître
Mais celui qui toujours a dans son sein ardent
Avec soin conservé son cœur indépendant,
Dont l'âme dans les cours ne s'est point effacée,
A bien le droit aussi de dire sa pensée.
Il le doit, il le peut, sans délit ni forfait.
Vous l'avez dite, Alfred, et vous avez bien fait
Vous avez porté haut notre sainte bannière,
La bannière de l'art, la divine lumière,
Et, comme Jeanne d'Arc, disant dans votre Elle fut au danger, qu'elle soit à l'honneur
Merci pour les soldats combattant à son ombre
Dont chaque injure accroît la valeur et le nombre Vous ne reniez pas non plus votre drapeau,
Mais celui-là n'est pas sanglant et c'est plus beau. Ah les guerriers rangés sous cette noble enseigne, Ils n'ont jamais versé que le sang de leur veine
Et ce qui fut leur gloire aux yeux de l'avenir,
Ils n'ont jamais tué, mais ils savent mourir.
Ce dernier vers fait allusion à la fin lamentable, mais présentée ici comme héroïque, de Le Bras, d'Escousse, d'Emile Roulland c'est la glorification du dénouement de Chatterton.
Dans les lettres inédites que les familiers d'Alfred (1) Molé, premier ministre sous Louis-Philippe, et ministre de la marine, auparavant, sous la Restauration, avait reçu de Napoléon ler, avec beaucoup d'autres faveurs, la charge de Grand Juge, qui répondait à la situation de ministre de la justice.
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deVignylui ont écrites et qui nous sont parvenues, ils prononcent volontiers le nom d'Antoni Deschamps Brizeux loue sa poésie « Ses derniers vers, la Paix, la Paix, la Paix, sont d'une belle et touchante inspiration. » Léon de Wailly se divertit, comme Alfred de Vigny lui-même, de ses invraisemblables distractions
« Votre dernière lettre est charmante. Antoni partant sans résistance et sans chapeau, son mouchoir à la main, est frappant de vérité mais, ce qui complète le tableau, c'est que le voilà accroché en route pas moyen de le faire partir de Boulogne nous avons beau le tirer à nous, son domestique a beau le pousser par derrière, rien n'y fait il ne veut absolument pas passer le ruisseau qu'on nomme la Manche et nous en serons réduits à le ramasser en revenant à l'endroit où on l'a laissé et, à coup sûr, n'ayant pas plus de chapeau et pas moins de mouchoir qu'auparavant (1). »
Qu'ils parlent d'Antoni Deschamps avec une sympathie souriante ou avec une admiration émue, ils sont bien assurés d'aller au cœur de son ami le plus intime.
On peutdire qu'à partir de 1846, Antoni Deschamps cessa de produire. Sa santé précaire et sa fragilité cérébrale le condamnaient à une demi-stérilité. Il se croyait d'ailleurs destiné à mourir jeune et le plus grand nombre de ses amis partageaient assez cette croyance il s'en fallut de bien peu qu'il ne devînt septuagénaire. « Antoni écrivait Léon de Wailly au comte de Vigny continue d'enterrer tous ses amis et connaissances, comme je lui ai prédit à une (1) Lettre inédite de Léon de Wailly à Alfred de Vigny (21 avril 1843).
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époque où il y avait vraiment quelque mérite à faire cette prophétie. » Il enterra même son médecin. En parcourant, au Maine-Giraud, les journaux de Paris et en y lisant la nouvelle de la mort du Dr Blanche, Alfred de Vigny se demandait avec inquiétude ce que son cher malade allait devenir. Ce malade eut la vie plus dure que Vigny lui-même. Le poète saturnien, le mélancolique Antoni Deschamps, s'éteignit seulement en 1869, deux ans à peine avant son frère, frappé de cécité, et six années après que le cancer, ac-, complissant avec une cruelle lenteur son œuvre de destruction, eut anéanti peu à peu le poète des Destinées.
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CHAPITRE V
H. DE LATOUCHE ET ALFRED DE VIGNY.
Lorsqu'on fait l'histoire des premières années du Romantisme en France, on est trop porté à laisser de côté, ou à malmener, en passant, un écrivain dont on se rappelle surtout qu'il a écrit la littéraire, un article retentissant contre les romantiques. De Latouche mérite mieux qu'une mention si dédaigneuse. Ce n'est pas seulement pour le vaudeville de Selmours et pour la comédie du Tour de faveur que Thabaud-Delatouche (Hyacinthe et non pas Henri) (1) collabora avec Emile Deschamps il travailla avec lui, avant lui, à briser la tradition des classiques de décadence.
Les poésies qu'il publia, en 1833, dans le recueil de prose et de vers intitulé la Vallée aux loups, auraient pu paraître beaucoup plus tôt. Une bonne partie des pièces contenues dans ce volume avaient été lues, entre 1818 et 1821, chez M'ne Sophie Gay, et, comme la terreur littéraire était à la mode du jour, elles avaient fait « frissonner », nous assure un témoin, les auditeurs quelque peu complaisants du manoir de Villiers-sur-Orge. Elles apportaient au romantisme une certaine part de nouveauté. Ce n'est ni Victor Hugo, ni Alfred de Vigny, ni Emile Deschamps, qui les premiers donnèrent aux productions (1) La désignation H. de Latouche, ou Henri de Latouche, a prévalu. Revenir aujourd'hui à l'appellation exacte ct Hyacinthe Delatouche », ce serait, sans grand profit, dépayser le lecteur.
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poétiques de la Restauration cet air exotique ou cette couleur dite du moyen âge, recherchés depuis par la jeune école te mérite de ces innovations, si mérite il y a, revient à de Latouche, à ses traductions de ballades allemandes, à ses adaptations de légendes populaires. En rouvrant la Vallée aux loups ou les Adieux, un lecteur d'aujourd'hui ne doit pas oublier, comme était en droit de le faire un lecteur de 1833, que le Juif Errant et autres poèmes de ces recueils, étaient venus au monde de fortbonne heure. Ils avaient vingt-cinq ans d'existence lorsque leur auteur s'avisa de les réunir pour la première fois, et les entremêlant de « récits et fantaisies » en prose, se donna le luxe d'en faire un livre.
H. de Latouche arrivait, comme dit le proverbe grec, « après la fête ». Il contait sa déconvenue avec beaucoup d'esprit.
« Que voulez-vous, lui fait dire Jules Lefèvre (1), tandis que je gagnais mon pain à la sueur de ma plume, on m'a volé mes Apennins, on m'a pris mes couvents, on_ s'est glissé dans mes donjons, à travers mes ponts-levis et mes poternes on s'est attribué mes re\ enants on m'a fripé mes vieux linceuls qui étaient tout neufs il y a dix ans mes fantômes ne sont plus que des marchands d'habits-galons. Je passais autrefois pour un sorcier, et maintenant que l'on s'est revêtu de ma défroque, le magicien n'a plus l'air que d'un larron. »
Malgré la pointe d'exagération qui perce à travers ce joli couplet de journaliste, on ne peut pas contester à de Latouche son mérite de priorité. Sa première (1) Jules Lefèvre, ou Lefèvre-Deumier, un des romantiques de la Muse française, est l'homme qui a le mieux connu de Latouche il avait retenu et noté beaucoup de ses propos.
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œuvre, une pièce sur la Mort de Rotrou, de facture un peu rude, mais non pas banale, avait été mentionnée, en 1811, aa concours du prix de poésie de l'Académie Française mais il était fort loin, dans tous les sens du mot, de ce début traditionnel, quand il donnait, en 1823, au recueil des Tablettes romantiques, la pièce du Roi des Aulnes, un monologue de Jeanne d'Arc, une scène de Guillaume Tell. Il ne fut pas admis parmi les collaborateurs de la Muse française, et M. Jules Marsan, dans l'introduction qu'il a écrite pour une réimpression récente de cette revue littéraire, cite deux lettres inédites d'Emile Deschamps et de Charles Nodier, où l'on démêle les raisons, surtout politiques, de cette exclusion imméritée. Mais il apporta régulièrement, pendant près de quatre ans, son tribut de prose ou de vers aux Annales romantiques en 1825, le curieux récit en prose, Un Président du X Ve siècle, et une sorte de ballade, en prose aussi le Châtelain de Crozan en 1826, une élégie en vers l'Ombre de Marguerite dans le volume unique pour les deux années 1827 et 1828, la fantaisie poétique Sur un vieux sujet et l'épître spirituelle A MM. les classiques. On ne s'étonnera pas trop qu'après l'article sur la Camaraderie littéraire, pamphlet mordant, brûlot de guerre, lancé en 1829 contre l'école romantique, le nom d'H. de Latouche n'ait point paru dans les Annales de cette année. Il ne figure pas davantage dans le volume de 1830. Mais on le retrouve dans le recueil de 1831, an bas de la pièce de vers le Dernier Jourde Salvator Rosa, et dans celui de 1832, à la suite d'une petite satire ou épigramme amoureuse, intitulée ironiquement Elégie. H. de Latouche fit mieux que d'orienter les jeunes
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écrivains de 1820 vers les littératures étrangères ou d'insérer dans un livre de vers ce titre qui est, à lui seul, toute une poétique il édita André Chénier.
C'est au mois de mai 1819, dans sa mansarde artistique de la rue des Saints-Pères, toute fleurie encore d'un « énorme bouquet », indicateur silencieux d'un rendez-vous furtif, que de Latouche, le littérateur à bonnes fortunes (1), montra les précieux manuscrits à un jeune ami, Jules Lefèvre,son futur collaborateur au Mercure du XIXe siècle. Il lut, tour à tour, l'Elégie du jeune malade, et et le reste. Le mystificateur qu'il était ne put pas s'empêcher de glisser au milieu de ces pages dignes de l'antique une pièce de sa facture, les Jules Lefèvre se flatte d'avoir éventé le, piège, et, ce qui ferait plus d'honneur à son sens critique, d'avoir désigné, de luimême, par son vrai nom, l'auteur, alors bien peu connu, de tout cet inédit, André Chénier. Le volume parut au mois d'août 1819, et l'effet produit fut ce que l'on sait. Cette source, une fois découverte par le.. « sorcier », Victor Hugo, Alfred de Vigny et cent autres s'y abreuvèrent.
La notice même qui accompagnait les vers retrouvés et remis au jour était d'un maître. Jules Lefèvre, après Sainte-Beuve, en a noté excellemment la qualité peu ordinaire
« C'est quelque chose d'avoir discerné, avec une sûreté de sympathie inflexible, toute la fraîcheur de ce génie antique, d'avoir prévenu le jugement de la postérité et (1) On peut vérifier l'exactitude de cette expression dans le livre curieux de Jacques Boulanger Marceline DesbordesYalmore, p. 127 et suivantes.
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d'avoir osé le proclamer en face d'une littérature de collège ou d'athénée, encore embabouinée de la poésie lâche et prolixe de l'abbé Delille et de ses élèves. On ne lui a pas assez tenu compte de ce courage qui n'est pas aussi commun qu'on le pense. Lorsqu'on vit de l'opinion puhlique, il y a toujours quelque mérite à l'affronter car, ne l'oublions pas, quand on la heurte, c'est la plupart du temps elle qui nous renverse. »
Cette notice a rendu aux lettres, si je ne me trompe, un autre service que d'éclairer l'opinion sur la valeur des vers d'André Chénier avec le poète, elle a révélé l'homme elle l'a fait aimer elle a pénétré d'émotion quelques lecteurs d'élite elle a déposé dans l'esprit de tel d'entre eux une graine de poésie qui, après avoir sommeillé et germé lentement, s'est épanouie, un beau jour, dans une fleur de sentiment et d'expression de la plus rare beauté je pense aux meilleures pages de Stello, à ce romanesque récit de la captivité d'André Chénier, dans lequel Alfred de Vigny a introduit une sorte de drame d'amour, joué avec tant de grâce, de sincérité, de passion exclus sive, absolue, par trois êtres jeunes et charmants, à l'approche du dernier supplice, entre deux apparitious du geôlier tenant à la main sa liste de ci-devani désignés pour la mort.
Alfred de Vigny ne s'est pas contenté de rendra hommage, dans une page bien connue du Journa, à la sincérité incisive et à la bonté dégui sée, mais du solitaire bourru que fut, d'assel bonne heure, de Latouche. Fort heureusement pou]
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les historiens de la littérature du XIXe siècle, il a gardé quelques lettres inédites de lui. Elles éclairent la physionomie de ce publiciste peu banal, qui a peut-être sur la conscience plus d'un péché littéraire, mais à qui l'on pardonnera beaucoup pour avoir édité André Chénier, pour avoir deviné, guidé, aimé douloureusement, et très probablement en pure perte, George Sand, enfin pour avoir démêlé, avec son coup d'œil sûr, parmi tous les poètes du cénacle, Alfred de Vigny, et lui avoir, dès l'apparition d'Eloa, donné comme une préférence. Il l'admira plus encore, et, en cela, il devançait le jugement de la postérité,après la première publication, passée presque inaperçue, de la Sauvage, de la du loup, de la du Mont des Oliviers, de la Maison du Berger, dé presque tout ce qui fera plus tard le livre posthume et immortel des Destinées.
Les relations d'Alfred de Vigny avec H. de Latouche semblent s'être formées, ou resserrées, vers l'époque de la Muse française, et plus particulièrement après la publication d'Eloa. C'est sans doute dans la maison- de CharlesNodier, oùH. de Latouche était fort assidu, que l'amitié dut se sceller, et à l'origine même de ces soirées de l'Arsenal qui mirent en rapport les uns avec les autres tant d'hommes de valeur, qui firent naître entre eux des affections quelquefois si durables. des lettres de H. de Latouche à Alfred de Vigny, qui nous soient parvenues, roule, en effet, sur une partie de campagne manquée où Nodier, si elle avait eu lieu, n'aurait pas tenu le moindre rôle. On avait formé un projet de descente à Aulnay, qui devait amener chez de Latouche, à l'heure du déjeuner, Charles Nodier, Emile Deschamps et Alfred de
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Vigny mais, au dernier moment, l'hôte rural mis en réquisition s'était trouvé dans l'impossibilité de recevoir ce trio d'hôtes de la ville. Il avait pris bien vite ses mesures pourajourner les visiteurs; mais, n'ayant pas l'adresse d'Alfred de Vigny, il n'avait pu l'avertir que par l'entremise d'Emile Deschamps, qui ne s'acquitta pas à temps de cet office. Il s'excuse donc auprès du poète gentilhomme de l'avoir fait errer, malgré ses « précautions », tout un dimanche
« Je n'avais point de domestique depuis deux jours, lui écrit-il, et comment recevoir des poètes et le plus gourmand des prosateurs, l'afamé (sic) Sbogard (1), sans quelques mets aériens, un aloyau, un rossbi f (sic), que sais-je moi Amphitryon, dont parlent les classiques, ne recevait à la fois que Jupiter et il avait un cuisinier; j'avais convié tous les dieux et je n'avais pas même une iolie bonne. Ah si j'avais su que le Dieu, ou le Démon, qui s'informait de ces détails, descendait seul dans mes enfers, je l'aurais attendu de pied ferme. Il aurait fait l'épreuve de cette Vallée des Martyrs il se serait cru au bivouac. »
H. de Latouche demande au comte de Vigny un second rendez-vous, sans préjudice d'une autre entre les mêmes convives, au pavillon Peyronnet, « dont on vous aura, lui dit-il, peut-être enfin parlé ». Il ajoute
« Je pense surtout à vous et à Eloa. Mais vous devez un sacrifice à mon repos et un dédommagement à ma conscience. Oui, à .ma conscience, car elle va payer pour mes regrets dans le Mercure. Je change, pour vous louer, tous mes positifs en comparatifs et tous mes comparatifs en superlatifs.
(1) On reconnaît aisément ici Charles Nodier, l'auteur du roman, fameux alors, de Jean Sbogar.
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« Adieu. Ecrivez-moi un mot dans ce Colombier où Pigeon vale souvent, comme dit Emile et surtout que votre pardon
Monte plus vite au ciel que l'éclair n'en descend (1). »
Cette admiration pour s'exprima publiquement dans un article du Mercure du siècle, signé H. de L. Ces initiales désignent H. de Latouche. L'article débutait ainsi
« Voici un ouvrage plein de beautés et de défauts. Pour qui voudrait le louer sans restriction, il suffirait d'en citer un assez grand nombre de fragments et pour le condamner tout entier, l'analyse du sujet pourrait aussi suffire. Ici, où nous nous efforçons d'être justes, contre toutes les habitudes de la critique, nous allons essayer d'accomplir les deux fonctions de son ministère, et si nous commençons par nous débarrasser du blâme, ce sera là notre seule partialité. »
Venait ensuite une discussion du sujet, discussion d'histoire et de théologie, quelque peu pédantesque malgré le ton voltairien, mais n'offrant pas un mot qui fût réellement désobligeant pour l'auteur du poème. Cette part faite à la critique, le journaliste déclarait « Il ne nous reste plus qu'à louer l'exécution de cet ouvrage original ». Et, pour donner du crédit à ses louanges, il apportait deux amples citations, choisies avec le goût très sûr d'un connaisseur, qui est lui-même un fin poète.
Il défendait spirituellement l'auteur d'Eloa du re(1) Cette lettre n'estpoint datée on la placera, avec assez de vraisemblance, dans les derniers jours de 1824, si l'on admet qu'elle a dû précéder de peu de temps l'article sur publié dans le Mercure du XIXe siécle au début de l'année 1825. Voir tome IX, p. 347.
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proche d'obscurité, prodigué par les tenants du classicisme aux meilleurs écrivains de la jeune école « Je ne veux point nier que ce caractère distinctif ne soit empreint chez lui comme chez les autres j'ajouterai même que cette obscurité est un grave défaut. Il s'agira de savoir maintenant où ce défaut réside s'il est dans le foyer qui lance la lumière ou dans les esprits qui ne la reçoivent pas si c'est le jour qui a tort ou l'aveugle; enfin, et pour parler sans métaphore, si ce n'est pas le spirituel lecteur de nos jours plutôt que des écrivains brillants de force et de jeunesse qui jettent quelque mésentendu dans le commerce de la pensée. »
félicitait Alfred de Vigny et ses amis d'être de l'opposition littéraire, puisqu'il ne pouvait pas se flatter de les rencontrer « dans une opposition plus utile et plus généreuse encore », et, revenant au caractère un peu abstrus de leur poésie, il les adjurait de ne pas renoncer à cette gravité de la pensée qui avait pour conséquence nécessaire, et comme pour rançon, le relief laborieux du style, avec toutes ses ombres « Qu ils renferment toujours dans leurs vers bizarres un sens élevé et, si l'expression en paraissait d'abord voilée au lecteur distrait, qu*ils se consolent. Une pensée vaut la réflexion qu'elle commande et nous sommes las des lieux communs qui ne rapportent pas plus à l'esprit qu'ils n'ont coûté à l'intelligence ». N'est-ce pas là. ajoutait-il, la tradition des grands écrivains de tous les temps? « Perse et Tacite étaient obscurs Dans la prose française, Pascal et Montesquieu ont mérité cette épithète de la part de ceux qui crient aux ténèbres dès que leurs yeux ne reconnaissent plus les couleurs dont ils ont habillé toutes les pensées, toutes les images et tous les sentimens depuis leur enfance. A quels écrivains ne pardonnera-t-on pas un peu de profondeur et même d'indéfini dans la pensée, si ce n'est aux poètes chargés de rendre l'expression
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de cette société malade du xixe siècle, où les droits et les devoirs sont en lutte, où le scepticisme combat les idées véritablement religieuses, tandis que le fanatisme vaincu se relève contre la philosophie, et où la civilisation s'étonne à la fois de ses perfections et de ses infirmités ? »
Toute sa critiqueest d'un homme quipense, et qui même écrit avec supériorité, encore que le terme exact, et adéquat à la pensée, lui glisse par moments entre les doigts.
A quelque temps de là, M. de Latouche, de simple
rédacteur qu'il était au Mercure, devint directeur du journal. Il s'adjoignit pour principal collaborateur son ami et disciple Jules Lefèvre. Dans la feuille rajeunie, les nouveautés littéraires devaient prendre place, et les vers des romantiques de marque ne pouvaient être que les bienvenus. L'éditeur du Mer-, cure ne manqua pas de réclamer ceux d'Alfred de Vigny. Il le fit avec grâce, et la lettre qu'il écrivit à cette occasion paraît intéressante, non seulement pour l'histoire du mouvement poétique de la Restauration, mais pour l'histoire même des journaux. Elle exprime, d'ailleurs, dès ce moment, toute la misanthropie d'H. de Latouche.
« 12 octobre.
« Encore un peu de temps, et, au lieu de vous écrire, j'irai vous voir. Mais pardonnez-moi de repartir pour mon hermitage et pour nos bois que l'automne rougit ou colore des teintes de l'orangé, afin de me séparer un peu des vivants. Si j'en devais rencontrer comme vous exclusivement, j aimerais peut-être autant le monde que le désert, mais quand le désert sera froid, pluvieux, vous me verrez plus que vous ne voudrez. En attendant, ce qui n'est pas froid, c'est mon admiration pour votre talent. Envoyez-moi des vers pour le Mercure ayez la bonté de voir que nous fai-
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sons quelques efforts pour avoir de l'esprit et de l'à propos tenez-nous compte de l'intention aidez-nous à donner à la Muse romantique le rang qui lui est dû. Je vous placerai entre Emile et Jules (1), entre Soumet et Lamartine. On ne se compromet jamais en bonne compagnie. « Je voudrais de vos vers pour samedi prochain. Remettez-les à Lefèvre lundi, puisque vous déjeunez ce jour-là rue d'Argenteuil. Si Lefévre m'avait invité, je ne serais pas parti j'aurais peut-être entendu un chapitre de CinqMars, et j'aurais, pris, de votre main, quelque fragment épique ou élégiaque (2) mais votre ami est un égoïste il veut jouir tout seul de sa fortune.
« Dites donc à Emile que les vers d'Horace ont fait fortune parmi nos classiques. Ils sont étourdis de la période lafine d'un poète de l'école nouvelle. Dites-lui aussi, je vous prie, qu'au lieu de perdre son esprit dans la nonveauté (3), il pense à un vénérable recueil qui, continuant La Harpe, Champfort et M. de Marmontel, trouve place sur les rayons des bibliothèques de province. Il y a des chances pour qu'on parle du Nlercure dans cent ans à Privas ou à Limoges.
« On parlera de vous avant et après ce temps-là.
« H. DE Latouche. »
(1) Emile- Deschamps et Jules Lefèvre.
(2) Alfred de Vigny envoya au Mercure du XIXe siècle un fragment du poème du Déluge, avec ce titre La Beauté idéale, et cette dédicace Aux mânes de Girodet. Ce fragment parut accompagné d'une note, où se reconnaît la main de H. de Latouche
« Nous empruntons à M. Alfred de Vigny ce morceau d'un poème sur le Déluge. Ce poème est maintenant sous presse. L'auteur a peut-être exprimé ailleurs, et dans quelques feuilles politiques, une profession de foi qui n'est pas la nôtre mais le talent n'est-il pas de tous les partis ? Nous le rechercherons partout, excepté sur les routes de l'adulation. Nous surtout la Poésie, pourvu qu'elle ne demande jamais à se aux complaisances ministérielles. Nous sommes trop jaloux de la liberté de la presse pour ne pas respecter l'inspiration de la conscience, soit qu'elle vante un peu trop le pouvoir absolu. comme dans le poème du Trappiste, soit qu'elle incline aux théories républicaines, comme dans les plus belles pages de M. de Chateaubriand. (Mercure du XIXe siècle, tome XI, p. 197.) (3) Emile Deschamps était un des rédacteurs de l'Album de la Mode
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En fréquentant le journaliste, Alfred de Vigny n'avait pas tardé à reconnaître jusqu'à quel point ses critiques pouvaient être utiles pour un auteur de vers ou de romans, et ce détail, qu'on a sans doute remarqué « J'aurais peut-être entendu un chapitre de Cinq-Mars », laisse deviner tout le prix que le jeune écrivain attachait à des avis pleins de finesse et de franchise. Il n'avait rien d'ailleurs de l'écolier prêt à jurer selon la formule du maître, et nous pouvons fournir la preuve qu'après discussion, H. de Latouche, au moins une fois, rendit les armes au romanciter.
« Mardi.
« Vous aviez raison, Monsieur l'auteur, votre chapitre intitulé le Travail est le meilleur du livre. Votre dénouement est coupé, saccadé vous vous reprenez à trois fois pour faire mourir les victimes, à peu près comme le sanglant ministre des œuvres du cardinal mais ce chapitre sur lequel vous comptez est bien dramatique, bien fort, il place l'ouvrage à une très grande hauteur.
« Si vous voulez m'assigner une espèce de rendez-vous aujourd'hui ou demain, j'aurai grand plaisir à vous dire en face des duretés, avant d'aller dans les bois vous écrire des fadeurs.
« H. DE L. »
Le dernier mot de ce billet semble annoncer que de Latouche écrira un compte rendu de Cinq-Mars. Ce compte rendu, projeté, en effet, et destiné, non plus au Mercure, mais au Globe, ne fut pas rédigé par lui. Un petit héritage, qui allait mettre à peu près à son aise le publiciste besogneux, venait de lui tomber du ciel; mais il fallait livrer bataille pour entrer en possession. H de Latouche dut quitter Paris pour se rendre auprès du notaire. Il confia à un de
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ses confrères du Globe le soin de louer le roman d'Alfred de Vigny. Ce confrère, connu à peine à ce moment, si ce n'est peut-être d'un ou deux travailleurs du journal, mais estimé déjà comme un écrivain d'avenir par le directeur Dubois, son ancien professeur, s'appelait Sainte-Beuve. Il loua Cinq-Mars moins qu'il ne le discuta, et l'on sait l'effet produit sur Victor Hugo par cette critique pénétrante. H. de Latouche aurait, sans doute, parlé du livre avec une admiration plus marquée, si l'on en juge par l'excuse tout affectueuse qu'il avait adressée à son ami en s'éloignant
19.
« Cher Alfred, je suis honteux d'avoir gardé si longtemps votre album (1) et j'ai le remords de partir de Paris sans vous voir. C'est un plaisir perdu dont je ne me pardonnerai pas la privation. Mais de sérieuses affaires m'appellent: il faut aller en Berry, signer, plaider, hériter je crois. Je laisse dans de meilleures mains que les miennes votre sort de Globe. J'ai relu Cinq-Mars, et, comme je n'y cherchais plus cet attrait de curiosité, cet intérêt banal que je vous reprochais d'avoir dédaigné, j'ai été beaucoup plus frappé que d'abord du mérite des grandes scènes. Je ne vous ai pas dit de votre ouvrage tout le bien qu'il mérite. J'ai prêté mon exemplaire à Mme Récamier. » Le progrès de l'intimité se marque par les deux premiers mots de cette lettre « Cher Alfred, » et (1) Alfred de Vigny avait dû demander des vers à de Latouche pour l'album de Mmede Vigny à cette date, chaque femme ou fille de poète, de peintre, de musicien, sans parler des très grandes dames, avait son album chargé de vers ou de dessins. M Michel Salomon vient d'écrire sur « Nodier et les romantiques » un livre dont la moitié est fournie par le commentaire des aihums de Marie Nodier. Le morceau poétique par H. de Latouche sur l'album de la comtesse de Vigny est un fragment de la pièce le Juif Errant, pièce destinée par l'auteur à figurer dans la série Je ses Traditions populaires.
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aussi par la formule de politesse de la fin mettez-moi d'offrir ici mon humble hommage à de Vigny. a Tout paysan du Danube qu il voudrait être, H. de Latouche s'est laissé présenter à Mme de Vigny il a dû venir aux soirées de la rue de la Ville-l'Evêque.
Je mentionne seulement, en passant,un billet du 14 avril 1827, d'où il semble résulter que de Latouche aurait servi d'intermédiaire, pour une combinaison de librairie, entre son libraire et Alfred de Vigny. La dernière ligne est intéressante à noter « Cher ennemi, je fais mille vœux pour votre conservation et votreprospérité » Cette allusion à la divergence d'opinions politiques, conciliable avec les sentiments d'affection, se retrouvera sous la plume du publiciste vieilli, retiré du monde, mais tout attendri d'avoir rencontré Alfred de Vigny aux funérailles de Nodier et lui envoyant, presque au lendemain de cette rencontre. son petit livre des Adieux.
Nous le savions depuis longtemps par le Journal d'un poète (1), les relations de H. de et d'Alfred de Vigny, après avoir cessé pendant une quinzaine d'années, se renouèrent devant un cercueil. (1) « Dans un coin du cimetière, je rencontre de Latouche. Nous nous prenons la main, les larmes aux yeux. J'ai suivi de loin votre vie, me dit-il qu'elle est simple et belle Vous faites encore que l'on peut s'honorer d'être homme de C'est ma récompense, dis-je, de vous l'entendre dire ainsi. Sa voix douce me touchait, et la grâce infinie de son langage, Il est bon, simple quelque chose de fn et de malicieux lui a fait des ennemis parmi les hommes de lettres et l'a fait souvent aussi calomnier. » (Journal d'un poéte, p. 204.)
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Comme des hommes qu'une vive et franche amitié a unis dans leur jeune temps, ils se serrèrent la main spontanément, et leurs lèvres fines ne s'ouvrirent, dans cette heure de deuil et de regrets profonds, que pour laisser tomber des paroles affectueuses. Six semaines après cet entretien ému, H. de Latouche écrivait au comte de Vigny
« MONSIEUR (1),
« Je vous adresse le premier exemplaire de la deuxième édition du plus modeste des recueils. J'ai attendu que les sept morceaux nouveaux qui la composent fussent joints aux premiers pour vous faire cet hommage. Il est dédié à votre talent et à votre caractère. Vous êtes toujours en poésie mon maître, et en politique mon cher ennemi. « L'Académie vient d'admettre dans son sein deux hommes qui ne vous valent pas que ce pauvre livre, tout inapperça (sic) qu'il passe, soit une protestation de plus de ceux qui s'y connaissent contre ceux qui ne s'y connaissent pas.
« 15 mars 1844.
« H. DE LATÔUCHE. »
A côté de cette lettre de l'ami d'autrefois, Alfred de Vigny avait gardé une copie de sa réponse. Il s'y exprime tout entier, avec sa finesse d'accueil, un tant soit peu maniérée, mais très louangeuse avant tout, et très caressante.
« Que vous êtes bon, Monsieur, et quelle grâce charmante vous mettez à tout Si chaque rigueur que l'on éprouve de la part de ses concitoyens devait. toujours être compensée par un don aussi charmant, on s'y abonnerait (1) Après tant d'années de silence, la position des deux anciens amis s'étant en quelque sorte renversée, le « cher Alfred » d'autrefois est remplacé par une appellation plus cérémonieuse.
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volontiers. J'avais déjà goûté cet élixir poétique dont me voici possesseur je vais à présent m'en abreuver. En lisant vos adieux J'entends votre voix douce, affectueuse et voilée qui me les murmure comme autrefois, quand notre poësie était toute mystérieuse. Que dites-vous, « cher ennemi » Vous êtes un de ceux qui me pourriez faire aimer L'inflexible parti qu'ombrage un peuplier (1).
Qu'il est beau dans ce beau vers
« Je vous relis avec ménagement, de peur de finir trop tôt. Quoi de plus rare par le temps qui se traîne (2) comme vous dites, que tant de poésie enchantée à travers laquelle percent des traits d'une fine et élégante satire ? Dites-moi donc, je vous prie, dans quelle rue est situé ce cabinet de lecture oi l'on voit Caroline, afin que j'aille la regarder, mais à travers les vitres, de peur de rencontrer l'Epicier rêveur (3). Je sais bien où demeuraient mon cher roi des Aulnes et les Printems (4), mes amis d'autrefois. Hélas que vous traitez sévèrement l'amitié. C'est à l'amour qu'il faut dire ce beau sonnet Lasciate ogni speranza (5), mais l'amitié n'a-t-elle pas des retours charmants ? Les séparations ne m'ont jamais semblé des ruptures, mais (1) Ce vers est tiré de la pièce Oraison du soir dans la Vallée aux loups, ADiEux, livre I, page 2.
(2) Expression de la pièce l'Or H t la Réverie, AmEUx, page (3) Telle au fond d'un comptoir où son front brun s'incline Répond une autre rose au nom de Caroline.
Tel épicier rêveur, à quatre sous par jour,
Y boit l'oubli du poivre en des torrents d'amour.
(Le Cabinet de lecture, Adieux, p. 117.)
(4) Le Roi des Aulnes et le Printemps, d'abord intitulé Sur un vieux sujet, après avoir été insérés dans les Annales romantiques, avaient été réédités en 1833 dans la Vallée aux loups. (5) Le sonnet Lasciafe ogni speranza commence admirable-
Si dans ses calmes jours une amitié s'altère,
Fuyez.
De temps en temps, H. de Latouche a des traits de maître, mais ce ne sont que des indications il ne sait pas soutenir l'effort du style pendant toute une pièce.
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des exils involontaires. Je vais sortir avec vos vers et rentrer avec eux J'irais volontiers les lire près du tombeau où nous nous sommes dernièrement retrouvés. Je savais bien que je ne ferais pas cet éloge de noire bon Nodier et quand vous me disiez J'y serai, je me disais, moi Je n'y serai pas.
« ALFRED DE VICNY. »
18 mars 1844.
Ce retour d'amitié n'eut presque pus de lendemain. Pendant l'été, de 1846, H. de Latouche fut frappé brusquement par un commencement d'hémiplégie. De plus en plus farouche après cette première atteinte, il se terra aufond des bois comme une bête blessée, fermant sa porte à tous, accablé, écœuré, saoulé d'humeur noire, incapable de tout effort suivi de la pensée, commençant des vers dont il ne trouvait pas la fin, écrivant, chaque jour, ses volontés dernières, pour ensuite les mots sortis de son cerveau sans direction, d'ailleurs détaché et dégoûté de tout, même de cette République, si longtemps rêvée, appelée, attendue. Il en avait, pour sa petite part d'écrivain de combat, hâté l'avènement à peine établi, le régime nouveau lui parut tout aussi intolérable que la royauté, son ancienne ennemie. Ce fut là sa dernière, sa plus amère déception. Il se survécut à lui-même pendant près de cinq ans on sait comment une amitié dévouée, celle de de Flaugergues, veilla sur lui tant que dura cette demiexistence appesantie, humiliée.
Il mourut en 1851, au mois d'avril, au retour de cette saison qui lui avait sa jeunesse,
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de charmantes variations sur ce thème de Tieck le petit enfant Printemps réussissant à s'échapper du coin du feu et s'en allant semerles fleurs dans l'herbe, sur les haies, parmi les seigles et les blés, aux arbres des vergers, à travers toute la champagne. Il s'évadait, lui aussi, de sa dure prison.
On ne quitte pas H. de Latouche sans regretter de n'avoir pas à étudier pour eux-mêmes ses meilleurs ouvrages. Plusieurs poètes, mieux doués et capables de féconder tel des sujets qu'il avait indiqués (1), lurent avec profit et la Vallée aux loups et les Adieux et les Des romans entiers sont sortis de quelques-unes de ses pièces, comme le grand arbre dont parle l'Ecriture surgit du grain de sénevé. La Picciola de Saintine, longtemps populaire, n'est que la mise en œuvre de cette élégie du Prisonnier, qui retrouve toute la Nature dans un liseron monté jusqu'aux barreaux de sa fenêtre, et qui oublie, en comptant ses feuilles et ses fleurs, la perte de la liberté. Le Trilby de Charles Nodier n'a pas une autre origine ce sylphe des pays du Nord fut révélé d'abord par H. de Latouche la préface du récit en prose en fait foi. Il n'est pas jusqu'à Victor Hugo qui n'ait mis à profit, pour son Ruy Blas, la meilleure scène du drame bizarre et mort-né, mais non pas ridicule ou nul, de la Reine d'Espagne
Prosateur curieux et versificateur incomplet, mais personnel jusqu'à paraître, par endroits, original, H. de Latouche a été, dans ses meilleurs jours, une ne citer qu'un seul de ces sujets, de Latouche imprimait, en 1833, dans la Vallée aux loups, deux ans avant qu'Alfred de Vigny donnât son Chatterton, une pièce de près de deux cents vers portant le même titre Chatterton elle contient les éléments du drame qu'un autre a su réaliser.
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sorte de ou, pour ne point exagérer, un indicateur de sentiers poétiques, frais, verdoyants, non foulés du pas des rimeurs avec quelque loisir ou quelque effort de plus, il y aurait marqué sa place.
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CHAPITRE VI
LES SEDiI-CLASSIQUES ET LES CLASSIQUES DE LA MUSE FRANÇAISE. CHARLES NODIER. ANCELOT. BRIFAUT. ALEXANDRE SOUMET. ALEXANDRE GUIRAUD. BAOURLORMIAN.
1
L'amitié d'Alfred de Vigny et de Charles Nodier, le plus ancien et le plus indulgent ami de H. de Latouche, paraît avoir été de la qualité la meilleure.
Dès que les réceptions familières de l'Arsenal sont" inaugurées, Alfred de Vigny n'est pas le dernier à s'y rendre. Il y trouve l'accueil auquel pourra toujours s'attendre un jeune poète de talent, gracieux de visage, de manières et de propos. On lui sait gré de joindre aux avantages de la race et du nom, au prestige de l'uniforme, aux qualités les moins banales de l'esprit, le vernis élégant d'une éducation raffinée. Son aristocratique courtoisie n'a rien de guindé ni de distant. La mélancolie à la mode, manifestée chez lui par la pâleur délicate et un peu féminine du teint, n'exclut pas les accès de fougue juvénile et, bien avant le temps où paraîtra le fringant Alfred de Musset, la fille des Nodier, si elle était en âge de
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danser, pourrait compter Alfred de Vigny comme un de ses valseurs les plus ardents, les plus infatigables.
Tant de qualités fines ou brillantes qui ne l'a pas redit depuis l'article de Sainte-Beuve dans les Nouveaux lundis touchent bien inutilement « un jeune cœur », celui de la Muse même du Cénacle, de la blonde et belle Delphine Gay, dont tous les poètes romantiques sont ou seront amoureux, et Vigny avant tous les autres. Dans cette société de l'Arsenal assez sentimentale, Mme Sophie Gay ne sera pas la seule à regretter que le roman, qui s'était ébauché entre Alfred de Vigny et cette Delphine dont elle était la mère idolâtre, n'aboutît pas à un mariage. Lorsque le jeune officier reviendra à Paris, ramenant comme femme la jeune Anglaise que l'on sait, le cercle d'amis des Nodier ne comprendra pas les raisons de son choix. On sera froid pour cette étrangère « insignifiante », et plus tard, quand on apprendra qu'elle n'a apporté au comte de Vigny que le simulacre d'une fortune, dont, à la mort du père, il n'était presque rien resté, on ne s'interdira pas sur ce sujet quelques piquantes railleries (1). De bonne heure d'ailleurs, Mme de Vigny pourra prétexter de sa mauvaise santé pour ne pas sortir de chez elle, et quand le poète aura repris l'habitude de se rendre seul chez ses amis les romantiques, il y retrouvera les avantages, sinon la première douceur, de l'ancienne camaraderie.
(1; Voir Edouard Grenier, Souvenirs littéraires, Revue Bleue, 1er juillet 1893.
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C'est dans l'année 1823 que l'amitié de Charles Nodier et d'Alfred de Vigny, comme celle de Charles Nodier et de Victor Hugo, prit naissance. La cause déterminante de cette double liaison fut le compte rendu de Charles Nodier sur Han d'Islande. Cet article de critique de la Quotidienne, favorable au roman nouveau que toute la presse ridiculisait, détermina chez Victor Hugo une effusion de gratitude. Non seulement Nodier et Hugo se virent à cette occasion, mais leurs femmes se visitèrent avec empressement et tout aussitôt devinrent amies intimes. Très peu de temps après, Charles Nodier et Alfred de Vigny fraternisaient à la Muse française.
Parmi les lettres de ses nombreux correspondants qu'Alfred de Vigny avait recueillies et classées, il en reste deux de Charles Nodier. La première estdatée du le'' juin 1826, la seconde, un billet sans date, se rapporte, je pense, à la même année.
Dans la lettredu 1826, Charles Nodier s'excuse du silence qu'il a gardé depuis qu'il a reçu et lu Cinq Mars (1). Il a été « fort malade » il l'est « plus que jamais ». Il s'était proposé de dire « en lettres moulées » son opinion sur ce roman dans le journal où l'on « daigne recevoir » quelques-uns de ses articles, mais « la condition sine qua non de marierl'impression littéraire aux controverses nauséabondes de la politique l'a privé de ce plaisir. La politique de ce jour n'est plus son fait Iliacos intra muros pecca (1) La première édition de Cinq-Mars, en 2 volumes in-8°, est du mois de mars 1826 la deuxième édition, en 4 volumes in-12, est du mois de juin.
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tur. » On a d'ailleurs écrit sur Cinq-Mars à sa place et « en meilleur style qu'il n'aurait pu le faire », mais « avec un enthousiasme moins profondément senti sur les beautés de cet ouvrage (1) ». Il ajoute
« Ceux de nos amis qui ont visité mon triste grabat dans ce mois de souffrances vous diront que le charme de sa lecture m'a fait oublier pendant deux jours cet éternel refrain des trappistes que la nature chante depuis quelque temps à mes oreilles avec tant d'obstination heureux du moins d'avoir pu vous lire et surtout vous connaître avant le terme dont elle m'avertit. Au reste, je n'ai pas été le seul ici à vous admirer, et comme nous ne comprenons pas entre nous de plaisir qui ne soit en commun, j'ai lu, ou entendu, trois fois Je le relirai.
« Mille tendresses, mon cher Alfred.
« Votre dévoué,
« CHARLES NODIER. »
Le billet non daté, que je regarde comme ayant été écrit au milieu de juin 1826, tient en peu de mots il est accompagné de cette mention, très
« Ce matin, jeudi, quinze, à neuf heures et demie, Alphonse de Lamartine déjeune chez moi. J'y attends Alfred, et je le prie de ne pas perdre de temps s'il aime à être avec nous comme nous aimons à être avec lui.
« CHARLES NODIER. »
(1) L'article anonyme auquel Nodier fait allusion est celui que Victor Hugo fit insérer dans le numéro de la Quotidienne du 30 juillet 1826. Nodier aurait eu du mal à trouver des formules plus élogieuses. Déjà, dans le numéro du 12 juin, le journal avait annoncé en termes très favorables, dans un même entrefilet, la 2e édition prête à paraître du Cinq-Mars d'Alfred de Vigny et la nouvelle édition du de Victor Hugo. Cette note doit être de Soulié.
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Cette invitation, adressée à la dernière heure, ne peut trouver place on en verra. mieux les raisons quand j'étudierai les rapports d'amitié d'Alfred de Vigny etde Lamartine que dans le séjour peu prolongé que fit ce dernier à Paris, en juin, l'année 1826. La reporter jusqu'au voyage suivant de Lamartine en France et à Paris, c'est-à-dire jusqu'en octobre 1828, n'est pas possible la lettre porte, en effet, la suscription « Monsieur le Comte de Vigny, rue de la Ville-l'Evêque, n° 41. » à partir du commencement de 1828, Alfred de Vigny n'habitait plus rue de la il s'était installé rue de Miromesnil, et près d'un an après l'installation, Charles Nodier ne pouvait pas ne pas savoir sa véritable adresse.
Les sept années qui succédèrent à la crise de santé de 1826 firent pour Charles Nodier des années de production facile, assez fructueuse. Il fut élu à l'Académie Française en 1833, trois ans avant Victor Hugo et douze ans avant Alfred de Vigny. Quand Alfred de Vigny, à son tour, se présenta. à l'élection de 1842, il savait qu'il pouvait compter sur l'appui de Nodier. Mais la maladie qui, vingt ans auparavant, avait empêché le journaliste d'écrire un compte rendu sur le roman de Cinq Mars, mit l'académicien dans l'impossibilité de lutter jusqu'au bout pour l'auteur du roman. « Hélas lit-on dans le .lournal d'un poète à la date du 29 janvier 1844, il ne s'était pas trompé il ne devait pas m'apporter sa voix. »
Les amis de Nodier avaient espéré qu'Alfred de Vigny lui succéderait et qu'il prêterait à son éloge de l'homme et de l'écrivain tout le charme attendri d'une
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sincère affection. L'honneur fut dévolu à Prosper Il s'acquitta de sa tâche avec une précision élégante et originale, mais très éloignée de l'enthousiasme, encore plus de l'émotion. Même aujourd'hui son appréciation paraît un peu stricte au lendemain de la mort, quelques amis de Nodier la jugèrent injurieuse (1).
Les regrets d'Alfred de furent profonds et ils furent durables. Dix-huit ans plus tard, en décembre 1861, celle qui avait été la belle et la bonne Marie Nodier, celle que l'auteur d'lYernani appelait avec galanterie et dévotion « Notre-Dame de l'Arsenal », Mme Menessier écrivit au comte de Vigny pour lui demander une photographie de lui ellé adressait une requête de ce geinre, à tous les survivants de la génération romantique. En répondant bien tardivement, à la date du 23 mars 1862 (2), Alfred de Vigny s'excusait d'avoir été cloué dans son lit, depuis plus de trois mois, par cette « maladie de nerfs » qu'il désignait, sur le dire des médecins, par le mot « grec » de « gastralgie », et qui portait, comme l'on sait, un autre nom (3). Il promettait (11 Dans sa réponse à Sainte-Beuve, le 27 février 1845, Victor Hugo fit, devant l'Académie, réparation à Charles Nodier, Victor Hugo se fit honneur en rendant à Nodier l'hommage que Mérimée lui avait marchandé un an auparavant. Les amis l'en remercièrent. Voir une lettre de M. de Cailleux, citée par Salomon Ch. Nodier et le Groupe romantique, p. 123. (2) C'est la date, mise par Vigny, en tête du brouillon de sa lettre, qu'il avait gardé.
(3) « C'est dans la nuit du 4 septembre (1861), écrivait-il quelques mois auparavant, que j'ai été violemment déchiré et attaqué par des souffrances qui m'étaient inconnues. » (Correspondance, lettre 148 p. 324.)
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d'envoyer, dès qu'il l'aurait obtenue du statuaire Adam Salomon, la réduction d'une photographie « que tout le monde regarde, disait-il, comme un ». Faute de mieux il glissait dans sa lettre une photographie réduite par Nadar aux proportions d'une « carte à jouer » et il ajoutait
« En attendant, placez celle-là dans votre album, chère et constante amie d'un solitaire' de Paris qui vous aime. Vous avez raison de vouloir qu'elle soit rangée parmi les portraits de cette génération toujours vivante, toujours forte, toujours luttant par ses discours ou par ses écrits, toujours tenant la bannière de la vraie Poésie et de l'Art au-dessus de toutes les vulgarités banales.
« Lorsque vous étiez une bien belle et bien jeune fille, ie vous voyais jouer avec nos épées et nos boucliers rangés dans votre cher arsenal. Notre bras les porte encore et vous les montrez de loin à vos enfans. Il me semble qu'en ce moment Charles Nodier nous sourit à tous.
« Serrez la main de son ami et de votre a peine convalescent
« ALFRED DE VIGNY. »
Je ne crois pas que la fille de Charles Nodier ait eu l'occasion de publier cette lettre d'Alfred de Vigny, contenant son adieu suprême.
II
On s'est quelquefois étonné de trouver, dans le groupe des écrivains associés pour le succès de la Muse française, les noms de poètes fort peu romantiques, Ancelot, Brifaut, Guiraud, d'autres encore. Mais il ne faut pas oublier les premières origines du romantisme. C'est aux séances de la Société des bonnes lettres, prônées par un journal ultra-royaliste,
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les Annales de la littérature et des beaux-arts, que Victor Hugo eut son premier succès retentissant. Il lut l'ode sur Quiberon, l'ode qui lui valut les éloges de Chateaubriand résumés, on ne sait par qui, dans la formule « enfant sublime ». Ancelot, Brifaut, Alexandre Güiraud, Alexandre Soumet, s'étaient affiliés, depuis le premier jour, à la Société des bonnes lettres.
Les rapports d'Alfred de Vigny avec Ancelot ont été très intimes. Les témoignages écrits, qui auraient pu marquer avec précision le caractère affectueux de ces rapports, n'existent point. Un petit nombre de lettres très intéressantes d'Alfred de Vigny à Mme Ancelot ou à sa fille Louise, devenue Mme Lachaud, ont été introduites par Georges Lachaud, filleul du poète, dans l'Histoire d'une âme, un beau livre de piété filiale, tiré à un petit nombre d'exemplaires pour la famille et pour quelques amis. L'original même de ces lettres ne se retrouverait peut-être pas.
Ancelot, que le succès tout politique de son Louis IX, un assez médiocre ouvrage dramatique, avait rendu presque célèbre, fut, en 1820, l'un des fondateurs du journal les Annales il y publia, en 1822, un éloge très accentué des Poèmes d'Alfred de Vigny. On peut remarquer, en passant, que le jeune poète, révélé aux lecteurs des Annales par Ancelot conservera la faveur du journal. On y traitera ses vers avec une sorte de respect, même au temps on ceux de Hugo et ceux de Lamartine ne seront plus appréciés qu'avec des réserves désobligeantes, par le goût trop timide des rédacteurs.
Ce qui a pu donner au classique Ancelot comme
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un faux air de romantisme, c'est le choix de ses sujets. Sans parler de Marie de Brabant, une épopée dans le goût troubadour, « dont trois éditions furent promptement épuisées », les « tragédies » qu'il apportait à la scène, son Maire du Palais, son Fiesque, imité de Schiller, son Olga ou l'Orpheline Moscovite, écrite après un séjour de six mois en Russie, son Elizabeth d'Angleterre, prétendaient au mérite de la nouveauté elle n'était, le plus souvent, que dans le titre.
C'était bien aussi le cas de Brifaut. Après avoir débuté par la Jourttée de l'hymen, un poème sur le mariage de Napoléon avec Marie-Louise, et remporté, grâce au jeu de Talma, un assez beau succès dramatique avec sa tragédie de Ninus II, mais échoué, ou peu s'en faut, dans des sujets plus modernes (1), le Dijonnais Charles Brifaut, homme d'esprit, prit pour arriver à son but, c'est-à-dire à l'Académie française, un chemin plus sûr et plus court que celui du théâtre il traversa quelques salons. Il venait d'être élu, à 45 ans, pour succéder au marquis d'Aguesseau, quand Alfred de Vigny publia son roman de Cinq-Mars. Le nouvel académicien avait des droits à être gratifié d'un hommage de l'auteur et d'un exemplaire de son ouvrage. D'abord, au temps du Lycée français, Charles Brifaut avait été l'ami de ce parent d'Alfred de Vigny, Bruguière de Sorsum, traducteur de Shakespeare. Ensuite il avait collaboré, comme Alfred de Vigny, au Conservateur (1) Jane Charles de Navarre. Quant à Ninus c'était d'abord une pièce dont l'action se passait en Espagne. La censure força l'auteur à donner à la tragédie un cadre différent, et à reculer son sujet dans les temps antiques, pour écarter le danger des allusions.
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littéraire et à la Muse française. Enfin il s'était rencontré avec le jeune poète dans plus d'un cercle mondain, chez Mme Ancelot, dont il fréquentait le salon à titre de compatriote et d'ami de la première heure, chez les Nodier, à l'Arsenal, où tout le monde se portait, et sûrement aussi dans des milieux plus aristocratiques, ne fut-ce que chez la duchesse de Maillé j'allais oublier les réunions de la rue de Choiseul, où se rassemblait, en 1826, la Société des bonnes lettres (1).
Tout poète qu'il était, Brifaut avait assez de raison et, ce qui est bien rare, assez peu d'amour-propre pour jouir du talent et de la renommée du jeune auteur qu'il avait vu, cinq ou six ans plus tôt, agiter ses ailes naissantes et dont il admirait non seulement l'essor poétique devenu plus hardi, mais aussi l'allure pédestre qui n'était pas sans majesté. La lettre de remerciement qu'Alfred de Vigny reçut de lui pour le Cinq-Mars mérite d'être reproduite en son entier. Il s'y trouve, sous l'hyperbole des louanges et sous le convenu des compliments, une générosité d'admiration qui est tout à l'honneur du poète de Rosamondo. C'est du château du Marais que Brifaut écrit, et, s'il oublie de signer sa lettre, s'il se trompe sur la date (15 juin au lieu de 15 juillet) (2), il n'omet pas de débuter parcette indication Au château du Marais. » Brifaut, comme dit Sainte-Beuve, « étant très répandu (1) La liste des sociétaires pour 1826 comprend le nom d'Alfred de Vigny, et l'on y trouve aussi le nom de Brifaut, qui appartenait au groupe dès l'origine.
(2) Cette lettre inédite n'est point signée, mais Alfred de Vigny y a mis de sa main l'indication Briffaut (sic). Le mot « juin » pour juillet est un lapsus calami la lettre annonce pour le mardi suivant sa réception à l'Académie française et la séance eut lieu le 18 juillet 1826.
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dans le monde, affectionnant particulièrement celui des duchesses dont les noms revenaient sans cesse comme par hasardà sa bouche », semble avoir quelque satisfaction à souligner ce que sa lettre sur le roman de la noblesse au temps de Louis XIII part d'un magnifique château, un château moderne, il est vrai, mais si riche, et situé dans un cadre de nature d'une si riante beauté. S'il y a ici' quelque soupçon de vanité; il n'y a pas trace, du moins, de jalousie littéraire
« Monsieur, que je regrette de n'avoir pas pu vous aller voir avant mon départ! Que j'avais de choses â vous dire, de remerciements à vous faire, d'éloges à vous adresser Qu il est triste de ne pouvoir communiquer avec vous que par la voie d'un froid papier qui glace la pensée et affaiblit le sentiment Votre ouvrage m'a enthousiasmé. Il est écrit pur un poète, il a été médité par un philosophe. Mœurs, caractères, situations, tout y est d'une vérité admirable. Ne seriez-vous pas, par hasard, un homme de cette époque? Je suis vraiment tenté de vous prendre pour de Thou ou pour le cardinal lui-même. Vous êtes sublime de sentiment comme le premier, vous développez la profondeur de vues du second. Grâce à votre talent magique, je me suis cru. en vous lisant, un contemporain de Louis XIII. Toutes vos scènes sont énergiques ou touchantes, mais ce qui les distingue surtout, c'est ce caractère de vérité naïve qui fait dire Oh c'est cela. On vous a beaucoup loué sur la grande situation où Louis XIII, livré à lui-même, s'étonne du fardeau de la royauté et recule devant ses devoirs dont l'immensité ne peut être remplie que par le génie du cardinal (1). Je suis de l'avis commun je trouve ce morceau d'une beauté accomplie. Cependant je lui préfère la scène entre Cinq-Mars et de Thou, où celui-ci (1) C'est la scène dont s'est emparé, plus tard, Lytton l3ulwer pour la porter dans son drame de Richelieu, et ce n'est pas, comme on peut le penser, l'effet le moins beau de sa pièce. Voir plus haut, chapitre II, page 70.
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se précipite par amitié dans une conspiration dont il prévoit les suites, mais dont il ne veut pas abandonner l'auteur. Vous avez élevé, dans cet endroit, le sublime du sentiment aussi haut qu'il peut aller. Vous avez créé un idéal de vertu et de dévouement dont ju ne vois aucun exemple dans aucun ouvrage. Votre livre sera le manuel des amis. Il servira aux hommes d'Etat auxquels il apprendra que sans humanité le génie ne parvient qu'à se flétrir dans la mémoire des hommes. Il consolera les victimes en leur montrant l'avenir, dont les suffrages le vengent de leurs bourreaux. Je ne sais combien de pensées morales sortent de la lecture de votre bel ouvrage, que je ne veux point appeler un roman Voilà comme j'aime qu'on écrive. Voilà comme le talent devient un des bienfaiteurs de l'espèce humaine. Trop de gens prostituent le leur à la défense des paradoxes ou des faux systèmes vous avez fait du vôtre le plus noble usage. Votre composition restera, comme tout ce qui réunit le beau au bon et le vrai à l'utile. Adieu. Je ne puis, parler aujourd'hui d'autre chose: je ne saurais mêler le sacré avec le profane. Si vous me répondez, envoyez votre lettre à la rue du Bac elle me parviendra sans faute. Bravo, bravo encore une fois. On ne dira plus Donnez-nous du Saint-Evremond mais on dira désormais Donnez-nous du Vigny.
« Je vous envoie un billet pour la triste cérémonie de mardi. Vous y entendrez l'oraison funébre de M. d'Aguesseau qui sera peut-être celle de mon talent, si talent il y a. Vous qui en possédez un si beau, vous avez une plus belle âme. Je me recommande aux sentimens de l'une et j'attends de nouvelles merveilles de l'autre.
« Amitiés per »
Les dernières lignes de cette lettre font allusion au discours qui devait être prononcé par Brifaut dans la séance académique du 18 juillet 1826 et qui n'est pas, il s'en faut de beaucoup, son plus médiocre ouvrage. L'auteur favori du faubourg Saint-Germain, le Voi-
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ture de la Restauration (1), ne démentit pas, ce jourlà, sa réputation d'homme d'esprit. Ayant à célébrer la mémoire d'un académicien dénué de titres littéraires et de mérite vrai, peu populaire d'ailleurs, même parmi les siens, il trouva, pour le définir, des épigrammes à tournure de compliment, d'une qualité peu commune « Il est des noms qui disent sitôt qu'on les a prononcés, l'éloge est fait. Mon prédécesseur a eu le bonheur de porter un de ces noms-là il s'appelait d'Aguesseau. » Le récipiendaire se rabattit sur l'ancêtre. le grand chancelier, et fit un bel éloge de ce « digne successeur de l'Hopital » il y joignit un panégyrique de la magistrature en France, offert, pour ainsi dire, en hommage au président de l'Académie il finit, selon la coutume, par la louange du Roi, mais la développa plus complaisamment qu'il n'était nécessaire.
III
Dans la même séance, Alexandre Guiraud, élu académicien le 13 avril, en remplacement du duc Mathieu de Montmorency, exalta longuement et un peu ennuyeusement la charité chrétienne.
Alfred de Vigny n'a laissé, dans ses écrits imprimés ou inédits, aucun témoignage relatif à Brifaut il a, traduit, en quelques lignes émues et affectueuses, l'expression du regret douloureux qu'il ressentit de (1) Le rapprochement entre Brifaut et Voiture s'est présenté à l'esprit de plusieurs autres. Sainte-Beuve, en l'indiquant dans un de ses Lundis, ne faisait que résumer un développement fort agréable du discours de réception de Jules Sandeau, prenant séance en remplacement de Brifaut.
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la mort de Guiraud, l'ami de sa jeunesse. On lit dans le Journal d'un poète, à la page 212, année 1847 « Sa mort presque subite a beaucoup attristé l'Académie. J'ai particulièrement été fort affligé de ne pouvoir siéger près de lui, comme je me l'étais promis et comme il s'en réjouissait avec moi. Une opération maladroitement faite par un chirurgien l'a tué. C'était un homme qui tenait de l'écureuil par sa vivacité, et il sembiait toujours tourner dans sa cage. Ses cheveux rouges, son parler vif, gascon, pétulant, embrouillé, lui donnaient l'air d'avoir moins d'esprit qu'il n'en avait, en effet. parce qu'il perdait la tête dans la discussion et s'emportait, à tout moment, hors des rails de la conversation. Mais très sensible, très bon, très spirituel, doué d'un sens poétique très élevé c'est une perte très grande pour le pays et pour le corps. » Guiraud avait été pour Alfred de Vigny un camarade de son plus heureux temps. Il y avait entre eux une différence d'âge de neuf ans, mais le caractère enjoué de Guiraud effaçait cette différence. Une lettre du 20 octobre 1823, adressée à « M. le comte de Vigny, capitaine au 55e régiment de ligne à Pau », donne le ton de leurs-premières relations. Guiraud exprime le regret de n'être pas allé, comme il en avait l'habitude. « courir les Pyrénées », précisément cette année où son jeune ami s'y trouve retenu
« Vous allez nous revenir gros et rouge (1), lui écritil, mais n'importe revenez-nous. Notre pays est fort beau, mais il est ennuyeux de causer toujours avec des mon (1) La pâleur distinguée et un peu féminine d'Alfred de Vigny étmt, nous l'avons déjà dit, un des caractères de sa physionomie. Cf. chapitre m et chapitre VI.
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tagnes, des sapins et des torrents, quelque romantique que l'on soit. Votre seul délassement doit être un brin d'amour. Le ciet est si beau pour cela et il y a de si beaux yeux et un teint si beau dans le Béarn 1. Ici, nous fesons de mauvais vers que nous fesons lire à nos amis (il faut bien qu'ils servent à quelque chose). Emile m'a dit que vous nous rendriez bien la revanche à votre arrivée et que vous prépariez un enfer qui serait joli et comme un petit paradis. Si vous le peuplez de vos petits péchés, ce devra être une chose charmante donnez-nousle comme cela vous serez une espèce d'antéchrist, car tout le monde en voudra.
Suivent quelques nouvelles des théâtres et de l'Académie française. On va jouer Fiesque, peut-être Virginie (1), mais l'élection de Droz est assurée. « Soumet est gros de son discours depuis trois mois il en sera malade trois mois après l'avoir prononcé. » On semblait vouloir retirer les troupes d'Espagne et. par suite, rappeler à Paris celles des tières on n'entend plus parler de rien « mais j'entendis toujours parler de vous quand je me trouve avec Emile, France, Soumet, etc. )1. Le nom de France d'Houdetot est mis là un peu par habitude à la date où Guiraud écrit, le 5e corps d'armée, dont France d'Houdetot avait réussi à faire partie, opérait en Espagne (2).
Vers cette fin d'année 1823, brille d'un certain éclat. Il est le dramaturge, exalté par les uns, dénigré par les autres, des lllachabées et du Comte (1) Le Fiesque d Ancelot. la Virginie de Guiraud lui-même. (2) Guiraud était l'ami des d'Houdetot. Son poème le Petit. Savoyard est dédié à comtesse d'H* et son ode Aux Grecs, écrite en 1820, s'imprime, en 1823, avec la dédicace A mon ami France. et une épigraphe de dix vers tirés d'Hélène (Sie) d'Alfred de Vigny.
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Julien, joués à l'Odéon il est surtout le poète lyrique mis à la mode par le Petit Savoyard, composition poétique en trois parties, placée en tête des Poèmes et chants élégiaques que l'auteur avait eu la généreuse ou adroite pensée d'éditer au profit d'une œuvre de bienfaisance, la société des Petits Savoyards. Cette institution de charité chrétienne, fondée au XVIIIe siècle par l'abbé de Pontbriand, s'était développée, au début de la Restauration, entre les mains du fameux abbé Duval, l'instaurateur des Missions étrangères il y avait intéressé le faubourg Saint-Germain. Mme Récamier était des dames patronnesses prendre son luth, comme on disait encore après Guiraud, pour seconder ces pieuses démarches, c'était gagner la protection de celle qui ouvrait en ce temps-là, ou fermait, à son gré, les portes de l'Académie.
Virginie, dont Guiraud essayait d'assurer le sort dès 1823, ne fut lue au Théâtre-Français qu'en 1825, Reçue « par acclamation », cette tragédie, qui n'est pas sans mérite, aurait été jouée tout aussitôt, si des affaires importantes n'avaient pas forcé Guiraud de se tenir loin de Paris pendant toute cette année. Talma s'était engoué du personnage de Virginius, dont les sentiments énergiques, exprimés, à son avis, dans un langage naturel et vrai, répondaient c'est Guiraud qui en est garant à son idéal du style dramatique. Le grand acteur mourut sans avoir pu paraître dans cette tragédie, la dernière qu'il ait voulu élever à la hauteur de son talent. représentée le 28 avril 1827, eut un succès d'estime. Talma en eut fait très probablement, comme autrefois du Ninus de Brifaut, une œuvre retentissante.
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L'âge du drame était venu, et Alfred de Vigny s'allait placer au premier rang des contempteurs de la tragédie telle que Racine l'avait faite, telle que les derniers raciniens, Alexandre Guiraud, Alexandre Soumet, l'avaient encore pratiquée. L'auteur des Machabées, du Comte Julien, de fut heureux, néanmoins, du succès
Marié et académicien depuis le mois d'avril 1826, créé baron par Charles X en 1827, Guiraud s'était déjà à moitié retiré à Limoux, où la direction, malaisée et assez onéreuse, des usines qu'il tenait de son père, allait de plus en plus le retenir. L'écho des applaudissements arriva jusqu'à lui, et le 3 novembre 1829, après avoir lu, dans le journal le Globe, l'article de Magnin, qui rendait compte de la première représentation (1), il adressait au poète novateur les félicitations les plus affectueuses
« Bravo, mon cher Alfred j'aurais voulu être là. Mais le public a été de vos amis aussi peu importe que l'un d'eux vous ait manqué. Je suis ravi de la scène que le Globe a citée. C'est bien cela la tragédie moderne franche et vraie dans son. allure. Que Mars a dû être touchante 1 C'était la comédie, la vie, enfin prise au sérieux. Je vous remercie d'avoir tenté la chose et d'avoir réussi. Adieu, mon cher Alfred au milieu des félicitations qui doivent vous venir de tous les côtés, ne mettez pas de c6té les miennes qui sont courtes et bien sincères. Au revoir. A toujours.
« A.
« Envoyez-moi Othello dès qu'il paraîtra j'ai lu partout vos Poèmes (2). »
(1) Le Giobe, 28 octobre 1829.
(2) L'édition des Poèmes avait été suivie de près par un article très élogieux de Magnin dans le même journal Le Gdobe, 21 octobre 1829.
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Malgré l'éloignement forcé, les rapports de Guiraud et d'Alfred de Vigny ne cessèrent pas, et leurs sentiments d'amitié ne se refroidirent jamais. Un billet non daté, mais assurément postérieur à 1831, puisqu'il est adressé rue des Petites-Écuries d'Artois, faubourg Saint-Honoré, et qu'Alfred de Vigny habitait encore, à la fin de juin 1831, au numéro 30 de la rue de Miromesnil, paraît se rattacher à l'époque où allait commencer la publication, dans la Revue des Deux Mondes, des premières pièces philosophiques la Sauvage, la Flûte. la Mort du Loup, et où Guiraud, de son côté, allait livrer à l'impression ses poésies de l'âge mûr le Cloître de Villemartin (1). Ce billet griffonné, au départ de Paris, pendant une de ces courtes apparitions que Guiraud y faisait à peu près chaque année, garde le ton des jours déjà bien éloignés de la Muse française « On m'a dit que vous travailliez, et je vous engage à ne pas faire mentir vos amis il faut que je vienne aussi, l'hyver prochain, me publier. »
En 1842, quand la mort de M. de Frayssinous et d'Alexandre Duval laissa, presque en même temps, deux fauteuils vacants à l'Académie française, Guiraud décida Alfred de Vigny à poser sa candidature au premier fauteuil, pendant que Ballanche, son autre ami, celui de Mme Récamier, se présenterait au fauteuil de Duval. Alfred de Vigny suivit le conseil de Guiraud. Ce fut pour lui le commencement d'une longue série de déceptions, qui nous ont été expliquées fort exactement, en 1879, par Etienne Charavay, à r'aide de quelques lettres du baron Gui(1) Edité en 1841.
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raud au comte de Vigny (1). Je renvoie le lecteur à son curieux opuscule A1 fred de Vigny et Charles Baudelaire candidats à l'Académie française. Ballanche fut, en effet, élu, comme Guiraud le souhaitait, au lieu et place de Duval mais, pour succéder à M. de Frayssinous, la majorité alla tout de suite au chancelier Pasquier.
En dépit de Guiraud, Alfred de Vigny échoua six fois à 1 Académie, puisqu'après avoir inutilement reporté sa candidature du fauteuil conquis par Pasquier au fauteuil réservé à Ballanche, il se vit refuser successivement la place de Roger, celle de Campenon, celle de Casimir Delavigne et celle de Charles Nodier 11 remplaça Etienne. Il avait dû céder le pas au chancelier Pasquier, à Ballanche; à M. Patin, à Saint-Marc Girardin, à Sainte-Beuve, à Prosper Mérimée.
Il fut élu, à la grande joie de Guiraud, le 8 mai 1845, mais il ne fut reçu que le 29 janvier 1846, et, après la réponse déplaisante que M. Molé lui réserva, il refusa, comme on. sait, de se présenter chez le, roi en compagnie du directeur de l'Académie. Jusqu'au 1er juillet 1846. jour où Molé quittait ces fonctions, il s'abstint de paraître. aux. séances hebdomadaires. Il jouit donc, pendant bien peu de temps, du voisinage et des entretiens de son confrère le plus cher. Le 24. février 1847, une mort imprévue autant que déplorable emportait l'excellent Guiraud.
(1) C Baudelaire et Alfred de Vigny, candidats à l'Académie, étude par Et. Charavay. Paris, Charavay frères, éditeurs, 1879.
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IV
En passant de Guiraud à Soumet, on ne se dé payse pas. Chez celui-ci comme chez celui-là, le; sentiments d'amitié sont solides et à toute épreuve Même en ses dernières années de mélancolie mala dive, Alexandre Soumet conserve une candeur d'es prit incapable d'incliner jamais à la jalousie littéraire. Et pourtant, pour le poète démodé, que dt raisons de souffrir. s'il avait eu, comme tant d'au tres écrivains, moins de bonté que d'amour-propre! L'année où Victor Hugo et Alfred de Vignytaient, presque obscurément, leur premier volumt de vers, l'auteur dramatique qu'ils appelaient « leui grand Soumet » triomphait coup sur coup, le 7 et If 9 novembre (1), avec Clytemnestre et Saül au Théâtre Français, à l'Odéon. Une troisième tragédie, acclamée le 2 juillet 1824, ouvrait à Soumet les portes de l'Académie française, et son discours de réception, prononcé le 25 novembre de la même année, prenait les proportions d'un événement littéraire. Il y définissait avec ampleur le génie dramatique des Grecs, parlait, non sans sévérité, de la tragédie de Sénèque et exaltait le théâtre du xviil et du xvm· siècle en France, dans ses trois grands représentants. Corneille, Racine et Voltaire. Trahissant quelque peu l'espoir de ses amis de la Muse française, il faisait à la tradition classique ou académique le sacrifice des gloires de l'étranger « Malgré le génie créateur de l'Eschyle anglais, (1) 1822.
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disait-il, les autres nations ne possèdent réellement que des ébauches dramatiques. »
Si nous en croyons l'auteur de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, cette concession venait après une autre, plus singulière l'engagement de dissoudre la Muse française. En dépit de tout, les romantiques ne cessèrent pas de Soumet des marques de respect mais ils le distancèrent. Ses succès de théâtre, moins décisifs entre 1825 et 1831 qu'à l'heure de ses débuts si brillants, s'éclipsèrent à la lumière parfois aveuglante d'Henri III et. sa cour, d'Othello, d'Hernani, de la Maréchale d'Ancre, de Marion de Lorme, de Lucrèce Bor- gia, de Marie Tudor du Roi s'amuse de Chatterton. Une des lettres de Soumet conservées par Alfred de Vigny nous montre quels étaient, à la veille de la représentation d'Othello, les sentiments de l'auteur d'Elisabeth de France, jouée le 2 mai 1828, et d'une Fête de Néron, sur laquelle le rideau de l'Odéon allait se lever le 28 décembre 1829. Le billet, non daté, se place vraisemblablement entre ces deux efforts stériles il ne laisse pas apercevoir la moindre trace d'envie.
« Votre admirable ouvrage, cher et illustre ami. ressemble à une pyramide d'Egypte (1) ce serait folie de vouloir en déranger une seule partie je ne puis donc que vous répéter ce que notre enthousiasme vous a déjà dit. Vous nous avez rendu tout Shakespeare, et je regarderai (1) On se rappelle le passage des Salores de Mme Ancelot où, pour marquer ce qu'il y avait de c;omplaisance et d'exagération dans les éloges des auditeurs de ces lectures du Cénacle, la dame cite ces exclamations « Gathédrale Pyramide d'Egypte Elle n avait pas imaginé, comme on voit, ces expressions.
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l'épreuve de cette pièce comme décisive, car vous devez tuer notre théâtre ou notre théâtre doit vous étouffer, faute d'air.
« Mille tendres respects à Mme de Vigny.
« SOUIiET. »
Dans un second billet, inédit comme le précédent, et sans date aussi, mais qui doit avoir précédé de peu la première représentation, Soumet transmet à Vigny une requête assez curieuse
« La représentation de votre admirable ouvrage, cher et grand Alfred, fait désirer à M. Jules Michel de vous compter au nombre de ses clients pour les droits d'auteur à la Comédie-Française. Vous serez enchanté de vos relations avec lui qui seront, j'espère, très fréquentes, car tout nous fait présager un succès égal à celui de CinqMars. »
Quelques années se passent. Soumet, déjà malade et assez découragé. est retenu à Blois, « où les jeunes filles, écrit-il à Emile Deschamps (1), mûrissent vite, et où les poètes ne mûrissent jamais, mais viennent quelquefois mourir. » Il apprend là qu'Alfred de Vigny vient de perdre sa mère. Pour consoler ce cœur en deuil, il trouve des paroles où s'exprime toute l'émotion d'une amitié que les déceptions, les douleurs irritantes, n'ont pas affaiblie: « Blois, ce dimanche (2),
« Je viens d'apprendre, mon cher Alfred, un grand sujet de douleur dont vous êtes accablé et qui nous (1) Lettre produite par M. Jules Marsan, la Muse française, tome I, introduction, page x.
(2) La suscription de cette lettre inédite porte le timbre postal du 22 janvier.
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afflige profondément. Ce sont les larmes dont la source est commune à tous, et qu'on doit répandre un jour si on ne les a déjà répandues. Lorsque je fus frappé, il y a dix ans, d'un malheur semblable au vôtre, vous étiez à mes côtés et vous m'avez serré la main devant la tombe qui se refermait sur mon père Ce triste devoir de l'amitié, le plus solennel de tous, vous vîntes le remplir auprès de moi avec une grande affection, et moi j'étais absent et je n'ai pu vous rendre ce que j'avais reçu de vous. Croyez, mon ami, que c'est un vif regret pour mon cœur et que mon absence ne fait qu'augmenter la part que je prends dans votre deuil. Je me sens pressé du désir de vous dire ces paroles dont vous connaissez toute la vérité, en attendant que je puisse vous serrer dans mes bras bien souffrants. bien affaiblis; mais qui gardent toute leur force pour de tels embrassements c'est la seule qui s'augmente avec l'âge.
« Adieu, cher ami, je vous prie de présenter mes respectueux hommages à Mme de Vigny.
« ALEXANDRE SoUMET. ?
C'est l'admiration pour les premiers Poèmes philosophiques qui lui remettra la plume en main « Avec des loups comme le vôtre (1), mon cher ami, on peut dévorer des troupeaux de poètes le tableau est tragique, saisissant et rempli de vers superbes. » Un dernier billet de Soumet, déjà près de sa fin, répond à une lettre d'Alfred de Vigny lui demandant s'il peut recevoir sa visite il n'y a pas d'élection académique en vue. La réponse inédite de Soumet est datée du 10 décembre 1844
« Très-certainement, cher ami, je serai ravi de vous voir, toutes les fois que mes atroces douleurs ne feront (1) On reconnaît aisément la pièce à laquelle il est fait allusmn La Mort du loup. La phrase est tirée d une courte lettre iuédite,
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pas de ma conversation une scène de Philoctète je suis ordinairement beaucoup plus calme depuis midi jusqu'à quatre heures, heure où la fièvre commence à me mordre jusqu'au lendemain. Venez donc, je vous attends et je vous aime mille hommages tendres et respectueux à Mme la comtesse de Vigny.
« SoUMET (1)
qui ne peut pas signer. »
II mourut, comme on sait, bien peu de temps après, le 30 mars 1845, dix-sept jours après son confrère l'académicien Etienne, à qui Alfred de Vigny succédera. Le jour de la mort de Soumet, Alfred de Vigny inscrivait ce souvenir dans le Journal d'un poète
« 30 mars 1845.
« Après onze -mois de martyre, il a succombé à des douleurs inouïes. Il sentait son état désespéré et nous déchirait le cœur par ses prédictions.
« Alfred, qu'on a de peine à mourir me disait-il sans, cesse et un jour surtout. Vous venez prendre la mesure de mon cercueil, ajouta-t-il.
« Je résolus en moi-même de ne pas me présenter pour le remplacer s'il mourait le premier, et le priai si gravement de ne jamais me parler encore de l'Académie, qu'il n en fut plus question entre nous.
Sa sensibilité nerveuse était extrême. Il s'exagérait
tout, et pour cela semblait exagéré mais il ne l'était pas c'était sa nature d'être affecté, à force d'être ému par des riens. »
II manque à cet hommage posthume une ligne d'éloge sur le dernier ouvrage publié par Soumet, (1) La lettres, dictée par Soumet, est de l'écriture de sa fille.
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sur cette construction vaste, solennelle, déréglée, décevante, mais puissante aussi, mais admirable par endroits, la Divine Epopée. En rendant justice à ce bizarre et noble poème, si différent d'ailleurs de ses propres compositions, ramassées et sévères, Alfred de Vigny aurait montré la largeur de son goût et il aurait rendu aux sympathies, toujours si chaleureuses de Soumet, mesure pour mesure.
V
Pour en finir avec ce groupe des classiques de la Muse française, il reste à nommer Baour-Lormian.
Alfred de Vigny n'avait gardé de lui qu'un court. billet d'invitation. La suscription nous fournit une adresse, je crois, inédite, comme le billet « A M. Alfred de Vigni, rue de Bourgogne, n° 4a Paris. » L'adresse est accompagnée du timbre postal de 1821 avec le chiffre 20, indiquant le quantième mais le nom du mois, sauf une trace des trois dernières lettres, est effacé; après une étude attentive, il semble qu'on soit en droitdelire janvier ou février. Le billet est laconique, mais aimable
« Monsieur,
« On se réunit chez moi demain samedi pour une soirée littéraire. Si vos occupations vous permettaient de vous y trouver et de nous faire entendre quelques beaux vers, vous ne pouvez pas douter du plaisir que nous vous devrions.
« Mille
« »
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Ce temps, où Alfred de Vigny récitait la Fille de Jephté et le poème du Somnambule chez le traducteur d'Ossian et du Tasse, ne s'effaça point de son esprit. Dans le chapitre, très mordant et très satirique, du Journal poète, intitulé Mes visites à l'Académie, il parle de Baour-Lormian avec une sympathie vive et douce qu'il refuse à de bien plus grands
« Il y avait vingt ans que je ne l'avais vu, écrit-il, Il était alors bien entouré, bien logé, menait une vie qui semblait heureuse et aisée. Il avait accueilli avec enchantement mes premiers poèmes il m'aimait, et je fus assez léger pour n'y plus retourner, entraîné par la camaraderie et parce que mes amis, Hugo, Emile, s'étaient brouillés avec lui pendant que j'étais au régiment. »
Alfred de Vigny le retrouve en 1842 sans foyer, presque sans ressources, très vieilli et les yeux éteints (1), mais patient, serein, passionné encore pour les lettres. Après avoir recueilli .et redit avec un sourire les propos ingénus du vieil homme de lettres, le visiteur ne peut s'empêcher de laisser échapper un cri de sympathie étonnée et vraiment émue
« Soit donc bénie la secrète félicité que donne la méditation poétique, si elle suffit à soutenir un vieillard pauvre, seul, aveugle si elle est sa religion, et si la foi et l'espérance dans l'immortalité du nom lui donnent la même (1) C'est ainsi que le vieux poète est représenté dans un portrait au crayon de Heim, qui a dû servir de préparation pour le tableau bien connu, Une lecture au foger du Thélitre-Français. Cet admirable dessin, d'une vérité cruelle et émouvante, se trouve au musée de Bayonné, dans la riche collection de choix dont le peintre Bonnat a doté sa ville natale.
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force que la foi et l'espérance dans l'immortalité de l'âme donnent aux fervents chrétiens. »
Il y a, certes, de beaux endroits dans le Journal d'un poète j'en connais peu qui me laissent d'Alfred de Vigny une impression que je préfère à celle-là.
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CHAPITRE VII
VICTOR HUGO ET ALFRED DE VIGNY
Au centre de ce groupe d'amis de la Muse frartcaise, il faut placer Victor Hugo.
Dans un ouvrage antérieur, j'ai essayé de définir exactement L'amitié d'Alfi·ed de Vigny. et de Victor Hugo, et j'ai utilisé, pour mon enquête, vingt-cinq lettres de Victor Hugo à Alfred de Vigny. Cinq de ces lettres avaient passé dans la Correspondance de Victor Hugo, éditée en 1896 les autres étaient inédites. En reprenant, l'aide des mêmes documents, ce chapitre particulier d'une étude devenue beaucoup plus générale, je m'attacherai à être plus précis et surtout plus complet. Si j'avais besoin d'une excuse pour revenir sur le sujet, j'aurais celle d'y introduire un élément nouveau d'information, tiré soit de correspondances publiées assez récemment, soit de lettres inédites qui furent écrites, entre 1846 et 1850, par Mme Hugo au comte de Vigny.
1
La première des vingt-cinq lettres de Victor Hugo conservées par Vigny est datée du 31 octobre et ne peut se placer que dans l'année 1820. Elle nous indique le moment exact où ces simples mots « Mon
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ami » s'échangèrent pour la première fois entre les deux poètes. La lettre commence, en effet, par la cérémonieuse et assez gauche appellation « Monsieur Alfred » et elle s'achève sur cette déclaration cordiale -a Adieu, mon ami je vous nomme ainsi en terminant, et j'espère que désormais ce sera la seule dénomination reçue entre nous. »
Ce document fournit d'autres indications intéressantes. Victor Hugo a été présenté à la mère d'Alfred de Vigny. Il adresse au fils deux exemplaires de ce qu'il appelle sa « litanie » sur le petit duc, « l'un desquels, écrit-il, est destiné à Mme votre mère je vous prie de lui en faire hommage en mon nom » (1). Les deux poètes se sont déjà cherchés et rencontrés Vigny est allé rue de Mézières, n° 10, chez les Hugo. Le plus jeune des trois frères, Victor, souhaite vivement tout en s'excusant par avance de ce que la réception aura de médiocre et peut-être de « ridicule » -que le visiteur accepte une invitation à dîner. Et, dans un de ces accès d'humilité outrée qui lui étaient alors si familiers, le futur auteur de la Légende des Siècles écrit « Je ne me dissimule pas que vos voyages au faubourg SaintGermain ressemblent pour vous à ces longs et infatigables pèlerinages qui aboutissaient à une statue de plâtre ou de bois. »
A ce moment, Abel Hugo paraît aussi avancé que (1) II s'agit de l'ode sur In naissance du duc de Bordeaux, écrite et éditée très peu de jours auparavant. Le de la librairie, à la date du 21 octobre 1829, annonce « Ode sur la naissance de S. A R. Mgr le duc de Bordeaux, suivie d'une ode sur la mort de S. A. R. Mgr le duc de Berry, par VictorMarie Hugo, de l'Académie des Jeux floraux, in-80 d'une feuille, Anth. Boucher, Paris.
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Victor dans ses relations avec Alfred de Vigny il a eu connaissance, avant son frère, d'une composition qui a pour titre le Cauchemar royal. A ce moment aussi, Victor Hugo est moins lié avec Emile Deschamps que ne l'est Alfred de Vigny. Cette phrase en est la preuve « M. Emile Deschamps m'a écrit hier un hillet dont la moitié est occupée par ces trois mots passablement froids « Monsieur ami faites lui en donc de vifs reproches de ma part, et surtout n'oubliez pas de lui demander de ses nouvelles et de celles de Mme Deschamps.» A la suite d'Emile Deschamps., Victor Hugo nomme Soumet et Pichat il s'informe auprès de Vigny de ce que font « ces deux rois futurs de notre scène » Tout semble dire qu'un groupe s'est déjà formé chez Emile Deschamps, avec Soumet, Pichat et Alfred de Vigny, et que, vers cette fin d'année 1820, les frères Hugo s'y agrègent.
L'intimité entre Hugo et Vigny ne tarde pas à se produire, et, presque aussitôt après, féloignement forcé d'Alfred de Vigny donne à ces relations amicales un caractère d'ardeur passionnée et presque douloureuse. Le fait n'est pas rare. Les sentiments ont leur pudeur, les sentiments d'amitié plus que tous les autres. Ce que la bouche hésitait à dire, la plume ne craint pas de l'exprimer. Dans le cours de l'année 1821, Alfred de Vigny s'en va donc tenir garnison à Rouen cette séparation désole son ami. Il en souffre d'autant plus que d'autres causes de chagrin lui déchirent l'âme. Le journal qu'il dirigeait, le Conservateur liltéraire, vient d'être supprimé il doit se fondre avec les Annales. En attendant de retrouver, dans la com-
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binaison projetée, une place de rédacteur, Victor Hugo a perdu sa situation. Il faisait fond sur son titre de journaliste pour obtenir la main d'Adèle Foucher. L'emploi se dérobe sous lui il voit s'effondrer du même coup tout un échafaudage de bonheur, et il se désespère. C'est précisément à cette heure de douleur et d'abattement que le confident de tous ses espoirs lui échappe.
Pour se faire une idée du désarroi où se trouve Victor Hugo après le départ d'Alfred de Vigny, il faut relire la lettre publiée dans la Correspondance, tome I, page 13, avec la date 1821 (1). J'en ai extrait ailleurs quelques images qui traduisent vivement les sentiments d'affection du poète j'insisterai ici sur quelques notations de faits intéressant plutôt l'histoire littéraire. Victor Hugo se plaint d'interrompre « un roman qui l'amusait, sauf l'ennui de l'écrire ». Ce roman n'est pas Bug Jargal, publié déjà en entier, sous sa première forme, dans le Conservateur littéraire, d'avril à juin 1820 (2). C'est Hart d'Islànde, où s'épanchent, comme chacun sait, les tristesses amoureuses du jeune auteur. Cette in- terruption, dont il parle, a été causée par l'obligation d'écrire un poème sur le Baptêmedu duc de Quant au groupe des amis cités dans la lettre pré(1) Cette lettre, la seconde de la collection manuscrite et la première des lettres de Victor Hugo à Vigny éditées dans la Correspondance de Victor Hugo, a été publiée avec des erreurs de lecture bien singulières. Je ne signale que les plus bizarres. Page 15, ligne 7, il faut lire Pichat, sans prénom, au lieu de Amédée Pichot ligne 9 Rocher, et non Rochet ligne 31 qui vous concerne, au lieu de qui vous convaincra, et page 16, ligne 1 l'enfantement de cette oeuvre, et non pas l'enterrement de cette ceuure..
'2 I)e la Xle à la XVe livraison.
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cédente, il s'est un peu accru aux noms de Soumet, de Pichat, d'Emile Deschamps, s'ajoutent à présent ceux de Jules Lefèvre, de Rocher, de Gaspard de Pons. d'Anatole de Saint-Valry. Abel Hugo tient encore une large place dans la correspondance de Hugo et de Vigny il est question du succès de « ses séances aux Bonnes Lettres » et, en tête du post-scriptum, se place ce détail Abel vous répondra incessamment il est enchanté de votre lettre ». Mais la dernière ligne de ce post-scriptum « Si je vais à la Roche-Guyon, je n'y pourrai aller que dans le mois d'août, » fait allusion à une autre amitié fraîchement éclose, celle du duc de Rohan, avec qui Victor Hugo venait d'être mis en rapports par Rocher, le familier de ce jeune abbé grand seigneur, épris de poésie.
En informant Alfred de Vigny que, pour son compte, depuis l'ode sur Quiberon, il n'a rien lu à la Société des bonnes lettres, Victor Hugo, quclque modestie qu'il affecte, ne se retient pas de dire l'effet produit sur M. de Chateaubriand. Il a reçu une lettre charmante où le grand écrivain l'assure « que cette ode l'a fait pleurer ». Hugo ajoute « Je vous répète cet éloge, mon ami, parce qu'il vous concerne aussi, vous qui avez entre les mains le procès-verbal de l'enfantement de cette œuvre. » Victor Hugo semble ici rappeler, par voie d'allusion, quelque confidence, quelque communication de papiers de famille, que lui aurait faite Alfred de Vigny. On sait que l'oncle maternel d'Alfred, Louis de Baraudin, blessé à l'affaire de Quiberon, fut fusillé sur son matelas. Les deux amis auront lu ensemble une lettre d'adieux du condamné à mort, lettre que
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Mme de Vigny tenait de son père, qu'elle avait conservée religieusement et qui existe encore. N'estce pas l'émotion produite par cette lecture qui serait devenue pour Victor Hugo une source d'inspiration ? L'on s'expliquerait ainsi qu'Alfred de Vigny puisse garder par devers lui « le procès-verbal de l'enfantement » de la pièce. Quoi qu'il en soit, Victor Hugo s empresse de reprendre cette attitude d'effacement dont il vient de se départir, et il ajoute, probablement avec sincérité « Qu'est-ce auprès de votre adorable Symetha ? »
Une troisième lettre, publiée aussi dans la Corres-
pondance, est datée du 30 juillet 1821. Elle a été écrite à Dreux. Les Foucher y avaient emmené leur fille, pour l'éloigner de ce soupirant sans avoir et sans avenir. Mais l'amoureux obstiné s'était mis en route, un beau matin, sous le prétexte d'aller dire adieu à un de ses amis, domicilié dans le voisinage de Dreux et prêt à partir pour la Corse. Après s'être arrèté une journée à Versailles pour voir Gaspard de Pons, il avait fait à pied tout le voyage
« Je suis harassé, écrivait-il, mais tout joyeux d'avoir
fait vingt lieues sur mes jambes je regarde toutes les voitures en pitié si vous étiez avec moi en ce moment, jamais vous n'auriez vu plus insolent bipède. »
décrit Dreux, et sa description nous permet
déjà de reconnaître cette acuité de regard, ce pittoresque d'expression, qui feront le mérite inimitahle des paysages du Rhin, des esquisses de Choses uues. Mais, à travers ces impressions, le flot de mélancolie remonte le cri de détresse poussé vers 1 absent se fait entendre de nouveau
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« Je pensais à tous mes amis qui sont ensemble dans la
grande ville et nous oublient peut-être entre eux. Mais vous, Alfred, qui êtes seul comme moi, vous pensiez à moi, n'est il pas vrai, pendant que je songeais à vous dans ma tristesse et dans mon abandon. »
Dans une lettre écrite un mois après, le 27 août
1821, et publiée aussi dans la Correspondance (1), Victor Hugo se tourne encore avec une impatience douloureuse vers l'ami dont il est toujours séFaré, mais qu'il espère enfin revoir
« Il me tarde bien, mon bon Alfred, de voir arriver ce
mois d'octobre qui doit vous ramener parmi nous. J'ai besoin de vous embrasser et de vous dire avec la voix et le regard combien je vous aime depuis si longtemps vous me manquez je ne sais si vous l'éprouvez comme moi, tous les amis présents sont moins qu'un ami absent il semble même qu'il y ait aussi quelque chose d'absent chez chacun d'eux. »
Dans l'éloignement où il est, il se tourmente de la
santé de son ami qui a été malade il souffre de ne plus être initié à ses travaux, à sa Promenade, une pièce qu'il a attendue et qu'il espère toujours, à ce « grand Roland » qui hante son imagination il oppose aux appréhensions, peut-être exagérées, de leur auteur, les protestations les plus admiratives « Il n'y a que vous qui puissiez, lui dit-il, dédaigner l'aigle auprès de son soleil. »
Le voyage à la Roche-Guyon, commencé dans
une lettre antérieure, s'est accompli. Après avoir passé quelques jours à Montfort-l'Amaury, chez Saint-Valry, Victor Hugo s'est rendu avec Rocher chez celui qu'il appelle « notre bon duc de Rohan ». (1) A l'exception pourtant du post-scriptum, supprimé on ne sait pourquoi.
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Victor Hugo semble vouloir dédommager Vigny de n'avoir pas été de ce voyage
« S'il eût été sûr de notre arrivée, lui dit-il, il vous eût écrit pour vous prier de venir passer à la Roche quelques jours avec nous tous il m'a bien souvent exprimé ce regret et m'a même prié de vous l'écrire. Il vous aime beaucoup et ne saurait mieux me prouver qu'il m'aime un peu.» Et le poète se complaît à imaginer tout ce qu'aurait eu d'aimable et de réconfortant pour lui une telle rencontre. Enfin, après avoir conté brièvement mais en termes amers la séance académique où il a entendu la lecture des vers de Gaulmier, préférés à ceux de Gaspard de Pons et aux siens, il revient à son refrain, à son appel pressant, affectueux
« Tous vos amis pensent à vous, mais aucun plus que moi. Mes frères vous disent mille choses d'amitié et de souvenir. Revenez vite. »
De cette fin d'août 1821 au mois de juillet 1822, il n'y a point de lettres échangées, et pour cause les deux amis se sont rejoints.
Pour l'un et pour l'autre, l'année 1822, qui compte assurément dans l'histoire de la poésie, est une année heureuse. Après avoir imprimé, en février, son Moïse sur le Nil, couronné aux Jeux floraux, et, en avril, son ode sur Bonaparte, Victor Hugo publie, au début de juin, ce premier volume de vers, intitulé Odes et poésies, qui « contient vingt-quatre odes, une élégie, une idylle, un poème » Deux semaines auparavant, vers le milieu du mois de mars, Alfred de Vigny avait fait paraître, chez le méme éditeur (1), ses Poèmes Helena, le Somnambule, la Fille de (1) Pélicier.
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Jephté, la Femme le Bal, la Prison. D'autre part, le 10 juillet 1822. Alfred de Vigny était promu au grade de lieutenant de la garde royale (rang de capitaine de ligne) et, dès la fin de juin de cette même année, Victor Hugo, rentré en grâce auprès des parents d'Adèle Foucher, avait été accueilli chez eux en qualité de fiancé. Après les longs jours d'attente fiévreuse et quelquefois désespérée, son cœur débordait de tendresse et de joie. J ai donne. dans la Jeunesse des Romantiques, de simples extraits de sa lettre du 30 juillet 1822 on me saura gré de la citer tout entière
« Gentilly, 30 juin.
« J'ignore, cher Alfred, si vous serez à Bellefontaine (1), quand cette lettre y arrivera mais j'aime mieux que vous n'y soyez pas ce sera la preuve que vous serez à Paris, et si je puis préférer quelque chose à votre charmant livre, c est votre présence.
« Votre lettre elle m'est arrivée ici comme un dans un bonheur. Elle m'a ravi c'était une apparitiun de poésie et d'amitié. Je l'ai relue bien des fois, mais j'ai pensé à vous plus souvent encore c'est beaucoup dire. Les journaux ne m'annoncent pas, parce que je suis votre principe de ne pas solliciter les journalistes. D'où vient donc cette triste nécessité de tout solliciter dans la vie ? Est-ce que nous avons sollicité la vie ?
« Me dire « Soyez heureux après que je viens de lire une de vos lettres, c'est, mon ami. chose inutile Ici d'ailleurs, mes jours passent comme de beaux songes. 11 (1) La correspondance de Victor Hugo et la correspondance de Sainte- Heuve avec Alfred de nous apprennent quen 1822 et en 1828 il séjourna au château de Bellefontaine. près Senlis. Le château appartenait en comme en 1822 à M de Malézieu. Je dois l'information, qui peut devenir le point de départ de certaines recherches, à l'obligeance du propriétaire actuel, M. le comte de Waru.
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semble au milieu de tant de douces émotions que je sente mieux le charme de votre Helena et de vos autres poèmes, fraires Helenae, lucida sidera.
« Adieu, mon cher Alfred, j'espère que vous ne recevrez pas cette lettre, à Bellefontaine du moins.
« VICTOR. »
Trois mois après, le lundi 8 octobre presque à la veille du mariage (1), Alfred de Vigny se présentait chez Victor Hugo. Il venait le féliciter apparemment, d'avoir, à force de volonté, renversé les obstacles qui semblaient, depuis tant de temps, rendre l'événement bien improbable. Il recevait, le soir même, un billet où Victor Hugo le priait d'être l'un de ses deux témoins. Pour « remplir » l'autre de ces « dignités », c'est Soumet qu'il avait choisi. « Je ne sais pas trop, écrivait-il à Alfred de Vigny, ce que vous aurez à attester de moi mais vous pouvez le faire en conscience, si c'est l'amitié profonde que je vous porte. » Cette amitié, déjà si fraternelle, n'était pas à son plus haut point.
Une nouvelle séparation, plus solennelle que celle de 1821, se produisit au printemps de l'année 1823. Le 31 mars, Alfred de Vigny, pour être plus assuré de prendre part à la guerre d'Espagne, quitta son régiment de la garde royale et passa, comme capitaine, au 55e régiment d'infanterie de ligne, par décision royale du 19 mars 1823. On sait qu'au mois d'octobre, sur le point de quitter Bordeaux pour se rendre à la frontière, il écrivit à Victor Hugo une longue lettre d'adieux. Cette lettre passa des mains du destinataire dans celles d'Anatole de Saint-Valry ,1) Le mariage fut Je12 octobi-e.
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et elle y resta. Communiquée longtemps après par Mme de Saint-Valry à l'érudit Edmond, Biré, cette lettre parut tout au long, il y a déjà vingt-cinq ans, dans Victor Hugo avant 1830. D'après ce document. Alfred de Vigny déposait le manuscrit de son Salan, c'est-à-dire d'Eloa, chez le poète Delprat, un parent d'Emile Deschamps, mais c'est à Victor Hugo qu'il commettait le soin d'éditer cette œuvre avec quelques autres essais, au cas où « les boulets » ne l'épargneraient point.
Dans le même temps, l'existence de Victor Hugo était troublée et assombrie par des préôccupations cruelles. Le soir même des noces de Victor et d'Adèle, Eugène Hugo, dans un accès de folie furieuse, avait failli devenir fratricide. Depuis le mois de juin,il avait quitté l'hôpital du Val-de-Grâce, qui l'avait accueilli provisoirement, et il était entré dans la maison de santé du Dr Royer-Collard. à Saint-Maurice. Un mois plus tard, M°'e Hugo mettait au monde un enfant chétif qui dépérit vite en nourrice et s'éteignit à trois mois. La douleur des jeunes époux fut extrême, et les paroles qu'Alfred de Vigny trouva pour compatir à leur souffrance les pénétrèrent jusqu'au fond du cœur. Je me permets de renvoyer le lecteur aux extraits que j'ai donnés ailleurs de la réponse attendrie et touchante de Victor Hugo (1). Dans cette réponse, l'importance d'une phrase trop peu explicite m'avait échappé « Vous avez compris ma douleur, disait Victor Hugo, comme j'ai compris vos souffrances » De quelles souffrances s'agissait-il donc ? De cette (1) Cf. E. Dupuy, La Jeunesse des Romantiques, p. 245.
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aflliction moins profonde que romanesque, et qui fut de courte durée, qu'Alfred de Vigny dut ressentir au refus formel de sa mère, lorsque, trop sensible à la beauté et à l'esprit de Delphine Gay, il avait cru qu'il lui serait permis de demander sa main. Que l'on rapproche cette expression d'une autre parole glissée par Victor. Hugo dans une lettre ultérieure « Votre talent résiste à tout, même av chagrin, même à l'ennui. » Il semble bien que le rapprochement des deux allusions leur ôte tout caractère énigmatique. Ce qui domine, dans les lettres que Victor Hugo adresse à son ami pendant les années 1823 et 1824, c'est l'enthousiaste expression de sa tendresse conjugale. Même au lendemain de la mort de son premier-né, il écrit « Aucune félicité ne saurait compenser le bonheur que procure l'amour dans le mariage. » Et, de même que deux ans plus tôt. il prenait Alfred de Vigny pour confident de sa détresse morale, il ne peut pas se défendre aujourd'hui de le mettre, pour ainsi dire, en tiers dans les émotions dont il est enivré
« Je reste chez moi, où je suis heureux, où je berce ma fille, où j'ai cet ange qui est ma femme. Toute ma joie est lâ rien ne me vient du dehors que quelques marques d'amitié qui me sont bien chères, et parmi lesquelles je compte avant tout les vôtres. Vous savez combien je vous aime, Alfred. Saluons ensemble cette année qui vieillit notre amitié sans vieillir nos coeurs. »
C'est dans cette amitié, ramenée sans cesse et rattachée, en quelque sorte, aux douleurs ou aux joies de son obscur foyer, que Victor Hugo se console de bien des déboires la chute du ministère de Chateaubriand, la suppression de la Muse fran-
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çaise, l'élection de Droz à l'Académie, l'échec de Lamartine et de Guiraud. A cette date, Victor Hugo n'a pas seulement pour Alfred de Vigny la plus vive affectibn il est en admiration devant les ressources de son esprit; il est ébloui de ses facultés; il est épris de sa grande âme
« Votre contact est comme électrique, et mon mérite est de pouvoir quelquefois me mettre de niveau et entrer en équilibre avec vous, surtout pour ce qui tient à la manière de sentir et d'aimer. Que votre dernière lettre était belle! j'y ai tout vu, votre grande nature et votre beau génie ces hautes Pyrénées ont dû vous inspirer de bien admirables vers, et il me tarde d'entendre ce que vous devez faire chaque jour. »
On s'explique donc l'allégresse de Victor Hugo apprenant, au début de février 1825, la nouvelle du prochain mariage de ce bon, de ce grand Alfred « Soyez mille fois heureux, mon ami Soyez-le autant que moi, je ne saurais vous rien souhaiter de plus, du moins sur cette terre 1 » Et, dans son enthousiasme, il imagine un plan d'existence presque commune « Nos femmes s'aimeront comme nous nous aimons, et à nous quatre nous ne ferons qu'un. » Mais cette intimité, si facile avec les Nodier, grâce à leur bonhomie, n'était guère réalisable avec cette étrangère si peu faite pour la fréquentation des salons littéraires, ou même avec le comte de Vigny qui, dans son mariage de raison, avait pensé trouver l'occasion de reprendre son rang et le moyen de soutenir ses prétentions nobiliaires.
Cette année 1825 fut marquée par d'autres événements Victor Hugo reçut la croix de la Légion d'honneur et le roi Charles X l'invita aux fêtes du
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sacre. La lettre où le jeune auteur informe Alfred de Vigny des faveurs qui viennent à lui a été publiée dans la Correspondance. Elle est charmante, avec sa description joliment contrastée des vieilles ruelles de Blois et de la maison blanche à volets verts du général Hugo. Je me bornerais à la mentionner, si l'on n'y trouvait pas une allusion dont il faut rendre compte « Avez-vous terminé votre formidable Enfer? » demande Victor Hugo à Alfred de Vigny. « C'est une page de Dante, c'est un tableau de Michel-Ange, le triple génie. » Evidemment le motEn fer nepeut pas avoir ici la même signification que dans la lettre de Guiraud écrite au mois d'octobre 1823. Cette composition poétique, en cours d'exécution dans l'année 1825, ne peut pas être la petite épopée mystique d'Eloa, achevée dès 1823 et publiée en 1824. C'est d'un autre ouvrage qu'il s'agit. De cet ouvrage il ne reste qu'un titre, et ce titre apparaît dans ce seul endroit. Qu'est devenu cet Enfer (1) ? A quel scrupule Vigny a-t-il fait le sacrifice de cette production ? A quelle époque a-t-il pris le parti — timide ou courageux de le détruire ? Autant de questions est peut-être oiseux de se poser, puisqu'on n'a pas l'espoir de les résoudre.
II n'y a pas de lettres pour l'année 1826. Cela ne signifie pas qu'il n'y en ait pas eu d'échangées, et ceci même ne prouverait pas que pendant tout ce temps (1) Peut-être y a-t-il un lien entre le sujet traité dans cet Enrér et le Satarc sauvé dont le projet et deux très courts fragments, retrouvés par Louis Ratisbonne, ont été imprimés en 1867 dans le dournal d'un Poète, p. 274. On a remarqué l'analogie de ce sujet avec celui qu'a développé Victor Hugo dans la Fin de Satan il faut se garder, sur ce point, de rien exagérer.
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l'amitié ait chômé. On a des preuves du contraire. La même main qui, en 1824, avait écrit sur le petit volume des Nouvelles Odes « A l'auteur d'Eloa que j aime comme je l'admire. VICTOR. » inscrit, en 1826, sur un exemplaire des Odes, et Ballades, la dédicace non moins affectueuse « Au bon ami Alfred, au grand poète de Vigny, V. H. » Cette expression « au grand poète » est surtout motivée par la publication des Poèmes antiques et modernes, recueil où Alfred de Vigny,'laissant à part l'épopée d'Eloa, a rassemblé la plupart des pièces de vers écrites de 1821 à 1825 et non imprimées dans le petit volume de 1822. Ces pièces sont le Déluge, Moïse, le Trappiste, la Neige, le Cor. La formule s'appliquerait presque aussi bien au roman de C'est surtout, en effet, la qualité poétique de certaines pages de cet ouvrage, livré au public dès le mois de mars 1826, qui en assure encore la durée.
On se rappelle que Delatouche, admirateur décidé de Cinq-Mars, comme il l'avait été se trouva détourné, par d'autres préoccupations, d'écrire dans le Globe un compte rendu de ce roman il passa la plume à un autre. Tandis que le Globe formulait sur le livre d'Alfred de Vigny un jugement bien motivé, mais assez rigoureux, la Quotidiennc faisait de ce livre un éloge aussi intelligent qu'enthousiaste le rédacteur du Globe avait surtout relevé des défauts la critique de la Quotidienne avait presque exclusivement signalé des beautés. Ce critique si bienveillant qui n'avait point signé ces pages dignes de survivre n'était autre que Victor Hugo. Or, dès les premiers jours de l'année 1827, le même rédacteur du Globe, qui s'était montré sévère
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pour Cinq-Mars, consacrait deux articles au recueil complet des Odes et Ballades. Dans ce journal très important et jusque-là peu favorable aux productions de l'école romantique, il expliquait, avec une finesse de goût très pénétrante, le charme absolument nouveau qui se dégageait, par moments, de cette poésie intime. On sait tout ce que fit Victor Hugo pour s'attacher un pareil auxiliaire.
Désormais, entre Victor Hugo et Alfred de Vigny, il y aura cet ami nouveau, ami utile autant qu'intéressé, ami aux allures d'abord modestes, officieuses, mais habile, mais insinuant, et vite envahissant et bientôt exclusif, qui a nom Sainte-Beuve. Le Cénacle lui-même va changer d'aspect. C'est la camaraderie littéraire qui prendra le pas sur la tendresse plus intime et plus pure des jeunes ans. Victor Hugo souhaitera, recherchera, de plus en plus, la ferveur des éloges, le bruit du succès, la popularité, la gloire, lucrative ses égaux n'auront qu'à s'éloigner la place est aux disciples, aux séides. II
Avec l'année 1827, la préoccupation de l'œuvre dramatique se fait jour chez les deux poètes mais elle ne crée pas encore entre eux de rivalité qui les divise.
Au commencement du mois de mars, Victor Hugo convoque Alfred de Vigny pour assister, avec quelques amis, à la lecture des trois premiers actes de ce Cuomtvel' qu'il voulait bien présenter, dans sa letre d'Invitation, comme une suite de Cinq-Mars.
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Moins de trois mois après, le jeudi soir 22 mai, il prie son ami de venir écouter « les deux autres actes » (1).
Alfred de Vigny, de son côté, s'est mis en tête de donner à Shakespeare ses lettres de naturalisation. Il est déjà le collaborateur d'Emile Deschamps pour une traduction de Roméo et Julietfe il se prépare à rimer le More de Venise, cette adaptation d'Olhellu, dont il s'exagéra toujours le mérite, la hardiesse et l'opportunité.
Le comité du Théâtre-Français reçoit Roméo et Juliette au milieu d'avril de 1828 (2). Victor-Hugo répète la nouvelle dans des termes pleins d'exaltation. On se rappelle la phrase de sa lettre du 18 avril, déjà citée « fallait avoir autant de génie que le vieux poète pour le traduire ainsi ». Si la louange de hyperbolique, elle n'est pas plus exagérée que cette façon de qualifier l'auteur « Nous avons été promener (sic) l'autre jour rue de Miromesnil. Le dieu n'était pas dans le temple. Mais nous retournerons à cette Mecque du romantisme. » Alfred de Vigny n'est pas en reste de compliments élogieux. Le lecteur curieux d'en avoir la preuve n'a qu'à lire dans la Correspondance (recueil SalielX, p. 19) une lettre de félicitations et de souhaits à l'occasion de la naissance de FrançoisVictor, le second fils de Victor Hugo
« Il naît au bruit des Orientales qu'il soit donc beau, (1) La lecture était pour le lundi suivant 26 mai.
(2) Un excellent érudit, M. Couet, bibliothécaire de la Française, a fait, le premier, sur ce point d'histoire littéraire, des recherches dont il a mis les résultats à la disposition de plus d'un travailleur.
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brillant et penseur comme elles que ses belles sœurs jumelles lui apprennent à lire et à chanter que les livres de son père soient son Coran que Metana lui donne ses sauterelles vertes pour jouer, et le Klephte à l'œil noir son fusil bronzé qu'il les égale en force, en grâce, en perfections. »
A la date du 25 octobre 1828, qui est celle de cette lettre, le volume des Orientales n'a pas encore été mis en vente, mais les salon du comte de. Vigny avait eu la primeur de l'ouvrage. C'est ce qu'indique un brouillon de lettre d'Alfred de Vigny à Sainte-Beuve publié déjà par M. Gillet (1), dans son étude sur les rapports de Sainte-Beuve et d'Alfred de Vigny « J'ai revu ensuite ces autres soirées de tous les mercredis, où vous veniez chez moi écouter et applaudir les Orientales avec mes amis et avec quelques femmes de ma famille. »
On s'aperçoit pourtant, en y regardant de très près, que dans les rapports d'Alfred de Vigny et de Victor Hugo, il y a quelque chose de changé essayons d'en fournir la preuve.
Le dimanche 18 janvier 1829, Victor Hugo écrit à son ami « Si la santé de Mme Lydia vous permet de la quitter quelques heures, vous seriez bien aimable, cher et grand Alfred, de venir passer votre soirée de jeudi rue Notre-Dame-des-Champs, n° 11. Vous y trouverez Emile, Antony, David, Sainte-Beuve et l'ami entre les amis. » Rien de plus cordial que cette invitation faite à la veille de l'apparition des Orientales. Mais le Journal de la librairie annonce l'ouvrage le 23 janvier, et, plus de deux (1) Revue de Paris, 15 août 1906.
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semaines après, Alfred de Vigny, chez qui, nous l'avons vu, les pièces de ce recueil avaient été lues et applaudies avant l'impression, n'a pas reçu son exemplaire. Le 9 février, il écrit à Victor Hugo « Je vous ai, je vous tiens depuis longtemps malgré vous, cher ami, et je ne vous quitte pas vous me suivez tout le jour jusqu'à la nuit. et je vous reprends le matin. Je vais de vous à vous, de haut en bas, de bas en haut, des Orientales au Condamné, de l'Hôtel de Ville à la Tour de Babel c'est partout vous, toujours vous, toujours la couleur éclatante, toujours l'émotion profonde, toujours l'expression vraie pleinement satisfaisante, la poésie toujours. »
Les éloges, interrompus un instant pour faire part à Victor Hugo d'un accident nouveau dans la santé de la jeune Mme de Vigny (1), reprennent avec une exagération dont on s'explique à la rigueur qu'un bourru comme de Latouche se soit un jour Iassé
« Je voudrais pouvoir vous dire tout ce que vos belles odes m'ont donné de consolations en m'enlevant à moimême. quel enivrement elles me causent, comme tous les parfums de l'Orient réunis dans une cassolette d'or, mais je ne cesserais d'écrire. Adieu, embrassez-moi sur vos deux joues je vous embrasse aussi, l'une pour l'Orient, l'autre pour l'Occident de votre tête qui est un monde (2). »
Sous toutes ces fleurs, Victor Hugo a senti la pointe d'un reproche dissimulé. Il répond courrier par courrier car sa lettre porte le timbre d'arrivée (1) Les espérances de maternité étaient anéanties pour la deuxième fois.
(2) Correspondance d Alfred de Vigny (Sakellaridès), lettre XII, p. 21 et suiv.
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du 11 février.Il donne l'excuse, qui n'a rien d'imaginaire, de sa mauvaise santé
« Mes entrailles se tordent depuis huit jours d'une horrible façon. Cependant il faut que j'aille vous voir. J'ai besoin de vous voir j'ai besoin de vous donner les Orientales et le Cvndamné j'ai besoin que vous ne soyez pas fâché contre moi. que vous ne disiez pas Victor me néglige. parce que je vous admire et vous aime comme on n'aime ni n'admire.
« VICTOR. »
On le voit parla le ttre d'Alfred de Vigny, et mieux encore par la réponse de Victor Hugo s'il y a eu, d'une part, oubli ou négligence, il y a, d'autre part, ombrageuse susceptibilité.
Les œuvres de Vigny se réimpriment (1). Les Poèmes, dont la pièce initiale. Moïse, porte la dédicace A M. Vicfor Hugo, sont déposés par l'auteur avec empressement chez Hugo et chez Sainte-Beuve. Les deux amis remercient sans retard, le premier le 16 mars et le second le 18. Voici le remerciement de Victor Hugo
« C'est admirable en 1829 comme cela l'était en 1822, comme cela le sera en 1830 La Sérieuse et Mme de Sou bise m'ont ravi à lire comme à entendre. Vous êtes grand, cher Alfred, et vous êtes bon. Il y a du moins ce point de contact entre nous. et j'en suis fier comme si j'avais aussi l'autre. A bientôt. »
Mais, pendant qu'Alfred de Vigny réédite sa prose (1) Les libraires associés Charles Gosselin, Urbain Canel et Levasseur donnent en 1829, sous le titre général de M. Alfred de 6'igrry. une édition des réunissant les pièces de 1822 et dP l82(), et le roman de Cin -Mars dans deux formats, 2 vol. in-18 et 4 vol. in-12
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et ses vers ou rime un peu hâtivement une traduction d'Othello, Victor Hugo fait œuvre originale. Les Orientales à peine livrées au public, il s'est mis au drame intitulé d'abord Un duel sous Richelieu, puis Marion de Lorme, et le mercredi 10 juillet 1829, il lit à ses amis la pièce déjà terminée. Le mercredi suivant, Alfred de Vigny riposte par la lecture
La réponse de Victor Hugo à l'invitation d'Alfred de Vigny doit être exactement du 15 juillet 1829, car le timbre postal porte la date du 16. Cette réponse renchérit encore sur les paroles flatteuses d'Alfred de Vigny félicitant Victor Hugo
« Vous me faites une grande joie, cher Alfred. Vous acquittez jour pour jour la lettre de change que j'ai tirée sur vous mercredi passé mais vous me donnez de l'or pour des gros sous.
« Ma femme regrette bien vivement d'être en pouvoir de petits enfans. Cependant Othello, Alfred et Shakespeare, voilà une trinité de génies bien puissants et qui l'emportera peut-être sur sa trinité d'enfans.
« Quant à moi, je serai au poste, et si vous permettez, avec un mien ami qui m'a supplié de le mener à cette belle soirée, car il y a longtemps qu'il vous admire, et il voudrait bien que le voile tombât, et entrer dans le sane tuaire pour entendre la voix. Vocem dei.
« VICTOR. »
Il n'est pas téméraire de l'affirmer en s'étendant à d'autres, l'amitié que Victor Hugo avait jadis vouée à Alfred de Vigny ne pouvait plus s'accroître, et toute amitié qui cesse de grandir s'abaisse, s'affaiblit est-ce pour cacher un commencement de déclin qu'elle dèvient, et chez et chez Hugo, de plus en plus grandiloquente ?
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Le drame par Taylor, fut reçu au Théâtre-Français, sous son premier titre, vers le milieu du mois de juillet 1829, mais, au commencement du mois d'août, la censure se refusa à laisser passer cet ouvrage qui portait atteinte à la majesté d'un roi de France et d'un Bourbon le 13 août, en sortant de l'audience qu'il avait demandée au ministre M. de la Bourdonnaye, Victor Hugo écrivit à Taylor « La pièce sera décidément arrêtée, interdite, prohibée. » Ne pouvant plus jouer Marion de Lorme, le commissaire royal auprès du Théâtre-Français se rejeta sur Othello, le drame en vers qu'Alfred de Vigny avait traduit, moins fidèlement qu'il ne le disait, de Shakespeare.
Si l'on en croyait une lettre de David d'Angers à Victor Pavie, lettre datée du octobre 1829, l'idée de faire jouer, avant Othello, le drame d'Hernani que Victor Hugo se hâtait d'écrire depuis l'interdiction de Marion de Lorme, serait revenue à Taylor ou à Victor Hugo, presque à la veille du jour fixé pour la représentation de l'adaptation shakespearienne
« Hugo nous a lu un nouveau drame qui vient d'être reçu aux Français. Il est toujours le grand homme, mais cette pièce me paraît moins faite pour la scène que Marion. Il y a dans la dernière (Hernani) beaucoup de philosophie allemande, mais à la scène il faut de l'action. Une chose qui m'est bien pénible, c'est que de Vigny et Hugo sont brouillés. Hugo a obtenu de faire jouer sa pièce avant l'Othello de de Vigny. »
Il est probable que Vigny fit valoir ses droits de premier occupant, et, le 21 octobre, David d'Angers, instruit du résultat, en faisait part à Victor Pavie
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dans les termes suivants « Ce que l'on m'avait dit pour Othello n'aura pas lieu on le donne samedi prochain cependant nos amis sont toujours dans un grand refroidissement. »
Victor Hugo ne garda pas rancune, jusqu'au bout, au poète que l'administrateur du Théâtre-Français, pris au dépourvu, avait appelé à sa place. Invité par Vigny à la répétition de la pièce, fixée au 23 octobre, il s'y présenta même deux jours trop tôt et dut s'en excuser en réclamant pour le lendemain le laissezpasser dont on lui avait dit qu'il devait se munir « Envoyez-le-moi, je vous prie, en temps utile, et de façon qu'il serve aussi à mon beau-père. Sans adieu, cher ami. On cherche à nous diviser, mais je vous prouverai le jour d'Othello que je suis plus que jamais votre bon et dévoué ami. Ce mercredi. Victor. » En marge du billet « Je suis borgne et presque aveugle. Ne travaillez pas la nuit. »
La représentation, donnée le 24, fut ce que l'on sait. Après des marques d'étonnement et des murmures, le spectacle se termina par des applaudissements vigoureusement soutenus, au milieu desquels deux ou trois sifflets se perdirent. Grâce à la suppression ou au remaniement des passages mal accueillis, l'ouvrage se releva dès la seconde soirée, mais il n'attira pas le grand public, et il ne resta pas bien longtemps sur l'affiche. Victor Hugo s'attribua le mérite d'avoir imposé son admiration au public hésitant « Othello a réussi », écrivit-il à Sainte-Beuve alors éloigné de Paris, « non avec fureur, mais autant qu'il le pouvait, et grâce à nous. Ma conduite en cette occasion a tout à fait ramené Alfred de Vigny et nos shakespeariens. »
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Il y avait donc eu, de l'aveu de Victor Hugo, comme un commencement de dissidence.
Le lendemain même de la première d'Othello, Victor Hugo s'agite de nouveau, et cette fois très vivement, pour faire jouer Hernani. A la date du 3 novembre, il relance Taylor « Sur ma réclamation, de la Bourdonnaye m'écrit, mon cher Taylor, que Hernani a été rendu au théâtre le 31 octobre. Est-ce que cela est vrai et possible ? Et comment n'en saurais-je rien ? » Au mois de décembre 1829, le drame est mis en répétitions mais il faut apaiser « les rivalités de d'acteurs, d'actrices », déjouer les « menées » de la police et des journaux. Enfin, le 25 février 1830, Victor Hugo triomphe sur cette même scène du Théâtre-Français où Alfred de Vigny n'avait réussi qu'à moitié.
Ce qu'avait été la maison de Victor Hugo pendant les semaines où l'on se préparait à livrer la bataille, nous le savons par bien des témoignages, mais rien, sur ce sujet, ne nous renseigne mieux qu'une lettre de Sainte-Beuve (1). Les Jeune France ont envahi l'étroit logis de la rue de Notre-Dame des Champs. Il n'y a plus d'empressement et d'attentions, de poignées de main et de sourires que pour eux Irrité comme un chat qu'on aurait délogé du fauteuil où il a pris l'habitude de se blottir, Sainte-Beuve se refuse à écrire sur la pièce avant la représentation l'article qu'il avait promis de donner à la Revue de Paris. Dans un véritable accès d'hypocondrie, il se lamente avec des paroles pleines d'amertume et aussi (1) C'est une des lettres de Sainte-Beuve à Hugo, publiées par M. Gustave Simon dans la Revue de Paris du 15 décembre 1904
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de fureur sur la perte d'une intimité qui lui semble à jamais détruite. Voici comme il traite Hugo
« En vérité, à voir ce qui arrive depuis quelque temps, votre vie à jamais en proie à tous, votre loisir perdu, les redoublements de la haine, les vieilles et nobles amitiés qui s'en vont, les sots ou les fous qui les remplacent, à voir vos rides et vos nuages au front qui ne viennent pas seulement du travail des grandes pensées, je ne puis que m'affliger, regretter le passé, vous saluer du geste, et m'aller cacher je ne sais où.. Il m'est impossible maintenant de penser cinq minutes à Hernani, sans que toutes ces tristes idées ne s'élèvent en foule dans mon esprit sans penser à cette voie de luttes et de concessions éternelles où vous vous engagez à votre chasteté lyrique compromise à la tactique obligée qui va présider à vos démarches aux sales gens que vous devrez voir, auxquels il faudra serrer la main. Et celle dont le nom ne devrait retentir sur votre lyre que quand on écouterait vos chants à genoux, celle-là même exposée aux yeux profanes tout le jour, distribuant des billets à plus dé quatre-vingts jeunes gens, à peine connus d'hier, cette familiarité chaste et charmante, véritable prix de l'amitié, à jamais déflorée par la cohue; le mot de dévouement prostitué, l'utile apprécié avant tout, les combinaisons matérielles l'emportant »
Certes, le sentiment de Sainte-Beuve est trop intéressé pour que sa jalouse exaspération ne prenne pas pour nous je ne sais quel aspect involontairement comique mais, à supposer qu'Alfred de Vigny, Victor Pavie. un ou deux autres, aient pu se croire un moment, eux aussi, humiliés et offensés de voir leur tendresse de pur aloi mise au-dessous des amitiés à bas titre, la page que l'on vient de lire ne les excuse-t-elle pas ?
Je ne crois pas, comme on l'a dit ne abusant de certaines insinuations de Sainte-Beuve, risquées
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d'ailleurs deux ans après le succès de la pièce, je ne crois pas du tout qu'Alfred de Vigny ait été jaloux d'Hernani. S'il a eu une faiblesse, c'est de réclamer ici sa part de gloire. Il était fermement persuadé que sans « sa journée » d'Othello, celle d'Hernani n'eût pas été possible. Si le romantisme venait de triompher au théâtre, pensait-il, c'était grâce au combat qu'il y avait livré avant qui que ce fût (1). Nous le retrouvons avec sa prétention, plus ou moins justifiée, d'avoir ouvert la voie, et comme il dit ailleurs à propos des Poèmes, de « s'être mis en marche le premier ». La victoire gagnée par un autre, il ne se sépara pas du triomphateur bien au contraire, il monta avec lui sur son char. Déjà, dès le 28 décembre 1829, parlant des manifestations hostiles qui, en jetant le ridicule sur Othello, s'acharnaient sur le drame d'Hernani non encore représenté, il s'exprimait comme eût pu le faire un collaborateur de Hugo, comme l'eût fait Hugo lui-même il n'avait qu'orgueilleux dédain pour ces « baladins » de l'Académie et des théâtres « qui font, disait-il, des parades sur nous ». Il ajoutait « Je ne puis réussir à m'en fâcher, c'est par trop bas. » Et Sainte-Beuve, qui approuvait son attitude, n'élevait pas le moindre doute, en ce moment, sur sa sincérité « Vous dites vrai, cela est trop bas. On est tout consolé, quand on a le bonheur de vivre dans l'art et l'amitié »
La violence même des attaques dirigées, à la fin de 1829 et au début de 1830, contre les romantiques devait produire, entre eux, au moins pour quelque (1) Il oubliait Henri III et sa cour de son ami Alexandre Dumas. Voir sur cette prétention la Lettre à Lord B** sur la soirée du 24 octobre 1829 et sur un systéme dramatique.
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temps, une plus forte cohésion. Peu s'en fallut qu'une nouvelle Muse française, plus belliqueuse et plus armée, ne se formât avec un comité composé de trois noms, dont deux au moins étaient déjà illustres. C'est ce que semble faire entendre une lettre où Victor Hugo ne se montre pas éloigné de former avec Alfred de Vigny et un troisième ami (Emile Deschamps? Alexandre Dumas ?) comme un gouvernement littéraire à trois têtes
« Quand vous voudrez, chez qui vous voudrez, pour ce que vous voudrez.
« Nous causerons de ce projet qui me sourit tant, que je ne puis me décider aux objections, dont pourtant je vous entretiendrai, afin que du moins si nous entrons en campagne, nous ayons tout prévu, tout retourné d'avance. « Ce serait cependant un grand bonheur que d'être membre de ce consulat de gloire et d'amitié dont à coup sûr je ne serais pas le Bonaparte.
« Nous bavarderons de la réforme à l'heure, et autant d'heures, qu'il vous plaira. En tout cas, que nous fassions un organe périodique ou que nous en restions (par peur de nous nuire) à nos publications individuelles, formons le bataillon sacré, serrons les rangs. On tâche de nous entamer de toute manière, isolément par des flatteries qui dénigrent nos amis, en masse par des mitrailles d'injures et de bêtises. Sachons résister au miel et au vitriol. Nous sommes en plein combat. »
Ces résolutions répondent bien à l'attitude de Hugo le soir de la représentation du More de Venise, et aux paroles d'Alfred de Vigny, pendant l'entr'acte d'Hernani, en plein foyer du Théâtre-Français Aux fureurs littéraires qui m'agitent, je comprends les fureurs politiques de 93. »
Mais dans la période de production incessante et de passion fiévreuse qui va commencer pour Victor
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Hugo, au lendemain du premier succès dramatique, comment ferait-il encore une large place à ses amitiés d'autrefois ? De l'automne de 1830 au printemps de 1831, tout contribue à le tenir replié sur luimême un travail acharné et des soucis intimes douloureux. Le ler septembre 1830, nous le savons par le récit « d'un témoin de sa vie », il s'enfonce dans son cabinet de travail de la rue Jean-Goujon pour écrire Notre-Dame de Paris: c'est seulement vers la fin de janvier 1831 qu'il sortira de la cellule où il s'était claquemuré et condamné au hard labour jusqu'à l'achèvement complet de son ouvrage. Et, en même temps que le roman rêvé, se déroule un roman vécu, un roman vrai, secret, émouvant et cruel, celui que nous racontent les lettres échangées pendant des années entre Victor Hugo et Sainte-Beuve. Ces lettres sont publiées aujourd'hui et nous savons tous quelle fureur de jalousie agitait le cœur de Hugo, bouleversait son imagination, dans cette fin d'année 1830, pendant tous les instants où cessait l'effort de produire.
Cet effort ne diminue pas, il redouble avec le succès. Au sortir de sa claustration volontaire, l'auteur triomphant de Notre-Dame de Paris se rejette avec ardeur vers le théâtre. En attendant d'improviser le Roi S'amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Angelo et Ruy Blas, il reprend sa pièce de Marron de Lorme, écartée de la scène par la censure en 1829 il l'offre aux vrais acteurs de drame, à Dorval. Pendant que le public écoute avec surprise cet ouvrage, représenté pour la première fois le 11 août 1831, le poète assemble les éléments de cet admirable volume de vers, dont le titre demeure à jamais insé
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rable de son nom,le recueil des Feuilles d'automne (1), et au début du mois de décembre 1831, il livre aux lecteurs ravis cette merveille de lyrisme ému, contenu, pénétrant.
Sans être acharné à son œuvre comme Victor Hugo, Alfred de Vigny ne laisse pas de s'y employer activement Les bravos d'Henri III,, la gloire d Herriani, ont stimulé son aanbition, et le traducteur d'Othello s'applique, à son tour, à créer un drame historique. Le 23 juillet 1831, on joue au théâtre de l'Odéon sa Maréchale
Victor Hugo ne se désintéresse pas de l'ouvrage de son émule. Il en souhaite le Un billet de lui, daté du 24 juin, c'est-à-dire écrit la veille de la première représentation, est tout vibrant de sympathie « Pourriez-vous, mon ami, disposer en ma faveur de deux places dans une loge quelconque pour une dame folle de vous, poétiquement s'entend ? Avez-vous aussi une stalle pour Sainte-Beuve qui a perdu la sienne dans la bagarre ? C'est de toute part autour de moi une soif de vous applaudir dont il faut bien que je un peu. A vous de tout et de toutes mains.
« VICTOR. »
Décidément, les relations n'ont pas cessé d'être amicales.
Elles le sont encore au début du printemps de 1832, comme le démontre un autre billet de Victor Hugo à Vigny, billet qui porte la date du 31 mars « M. Bernard Chevalier, jeune homme plein de goût et d'esprit, me prie, mon cher Alfred, de lui servir d'introducteur (1) Les Feuilles parurent le 10 décembre, une semaine après la brochure de carton Délorme.
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auprès de vous. Il a une grâce à vous demander
la parure de votre nom pour une entreprise déjà approuvée de fort beaux noms je lui ai fait espérer que vous ne la refuseriez pas. Adieu, je ne vous vois plus, par l'excellente raison que les aveugles ne voient plus personne. Mais vous savez que je vous aime toujours.
« VICTOR. »
III
Mais l'année 1830 avait produit un autre événement, plus gros de conséquences, à coup sûr, que le livre de vers le plus intéressant ou le drame le plus nouveau, et cet événement, là révolution de Juillet, fit plus que tout le reste pour relâcher ou rompre le faisceau des amitiés du Cénacle.
Depuis l'interdiction de de Lorme, Victor Hugo l'étude de ses relations avec Alphonse Rabbe en fournirait la preuve était de cœur avec la presse d'opposition contre le gouvernement de Charles X. II n'eut aucun effort à faire pour se trouver libéral après les trois journées. Tout en s'appuyant sur l'amitié des directeurs et rédacteurs du Journal des débats, tout en jouissant pleinement de l'hospitalité des Bertin dans leur maison de campagne des Roches, il sera plus que satisfait d'être mis en rapport par SainteBeuve avec des publicistes d'avant-garde comme Armand Carrel, et quand la défense de poursuivre les Roi s'amuse lui fournira des raisons de rancune toute personnelle contre les ministres de Louis-Philippe, il sentira frémir en lui l'instinct révolutionnaire. Cet instinct à peine éveillé, des faveurs royales assez marquées l'empêcheront de se développer,mais il s'exaltera plus tard
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et trouvera bien des sujets de se manifester après la chute de la Royauté, après l'usurpation de Bonaparte, après l'effondrement du régime impérial,après la fondation de la troisième République.
Au rebours de Victor Hugo, Alfred de Vigny eut toujours, en politique, l'ordre pour idéal. Son éducation l'a fait légitimiste il le restera par devoir ou par point d'honneur, sans conviction. Malgré le mécontentement qu'il a pu ressentir et qu'il a expriméde ce qu'il appelle l'ingratitude de la branche aînée, il n'attendra point de faveurs de la branche cadette. Les Orléans tombés du trône, il s'arrêtera un moment à l'idée de servir une République, car il admire, sur la foi de M. de Tocqueville, son ami, l'organisation politique des Etats-Unis. Dès que le gouvernement républicain lui paraîtra plus capable de subjuguer les partis et de consolider l'édifice social, il répudiera ce régime. La Révolution redeviendra pour lui ce qu'elle avait été pour tous les siens, un objet d'horreur et d'effroi.
Mais c'est anticiper sur les événements. Au lendemain de 1830, la société dirigeante se partage très nettement en deux camps ennemis, le groupe assez restreint de ceux qui, par droit de naissance ou par choix, se rangent du côté de l'aristocratie, et l'armée beaucoup plus nombreuse des bourgeois. Malgré ses prétentions, aussi peu fondées que possible, à descendre de comtes lorrains, et en attendant le jour où il tirera vanité d'être « peuple », Victor Hugo fut un bourgeois. Alfred de Vigny, avant tout, est un noble (1).
(1) Quand Sainte-Beuve voudra porter un coup sensible à l'amitié d'Alfred de Vigny et de Victor Hugo, c'est par des
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En 1832, continuant la manifestation républicaine des funérailles du général Lamarque, l'insurrection de Juin éclate dans Paris on proclame l'état de siège. Sainte-Beuve, rentré en grâce auprès de Victor Hugo après quelques mois de rupture, et plus que jamais appliqué à célébrer les faits et gestes du poète, profite du crédit qu'il a retrouvé auprès de lui pour l'amener à signer la déclaration des écrivains rédigée par Lerminier, dans les bureaux du National, en faveur de l'indépendance de la presse. Non content d'envoyer son adhésion, Victor Hugo laisse éclater toute sa sympathie pour la jeunesse compromise. Il ne parle sévèrement que des « faiseurs d'ordre public,». L'unique tort qu'il reconnaisse à ces « folies trempées de sang », c'est d'être inopportunes. L'heure n'est pas venue « Ne cueillons pas en mai le fruit qui ne sera mûr qu'en août. Sachons attendre. La république proclamée en Europe, ce sera la couronne de nos cheveux blancs. »
Au moment où Victor Hugo s'exprime de la sorte, le comte de Vigny semble éprouver pour les Bourbons tombés un retour de tendresse, ou tout au moins de poétique sympathie. Dans le Journal d'un poète, à l'année 1832, nous lisons
« Si quelque chose ne me repoussait, je ferais un hymne à la duchesse de Berry qui vient, comme une madone, Son enfant dans ses bras et son lis à la main
Mais quoi faire la cour à une infortune aussi belle, c'est se confondre avec ceux qui se préparent des faveurs pour l'avenir. »
railleries dirigées en secret contre le qu'il trahira son intention.
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Les deux amis, comme on le voit, ne vont plus dans la même direction, et, politiquement parlant, en moins de deux années, ils se sont éloignés, autant qu'il se peut, l'un de l'autre.
IV
C'est à ce moment que, pour la seconde fois, l'ami Sainte-Beuve entre en scène. Il intervient entre Hugo et Vigny, non pas pour effacer la divergence d'opinions, comme n'eussent pas manqué de le faire un Charles Nodier, un Emile Deschamps, mais pour la souligner, l'exagérer, la compliquer de remarques peu obligeantes. Il n'y a pas à craindre ici de trop entrer dans le détail.
Après un temps assez long de disgrâce et d'éloignement, Sainte-Beuve, il est bon de le rappeler, avait repris auprès de Victor Hugo, vers le milieu de l'année 1831, son emploi de héraut nomenclateur, ses services de cicerone. « Mon cher Victor, -écrivait-il le 30 juin, — je suis en train de faire votre biographie que je dois donner à l'imprimerie samedi ». Cet article biographique, « repris, complété, développé surtout dans les dernières parties », paraissait 1831 dans la Revue des Deux Mondes. Quelques mois plus tard, en avril 1832, SainteBeuve insérait dans la Revue une étude sur les Feuilles d'autontne. Le ton de l'article est donné par ce début
« Il est pour la critique de vrais triomphes c'est quand les poètes qu'elle a de bonne heure compris et célèbres, pour lesquels, se jetant dans la cohue, elle n'a pas craint d'encourir d'abord risées et injures, grandissent, se sur-
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passent eux-mêmes, et tiennent au delà des promesses magnifiques qu'elle, critique avant-courrière, osait jeter au public en leur nom. »
Le critique préparait, à peu près dans le même temps, pour le Journal des débats ou pour le National, au choix du romancier, un compte rendu louangeur de Notre-Dame de Paris. Ce n'est pas tout un article du novembre 1832 sur Lamartine ramènera dans la Revue des Deux Mondes l'éloge de Victor Hugo. Cet éloge remplira encore toute la chronique de la Revue dans le numéro du ler novembre, et il sera aussi la raison d'être de certaines notes destinées à compenser les lourdeurs de main de Gustave Planche ou à contrecarrer ses analyses trop agressives par exemple, la note du 16 décembre 1832, qui apporte un amendement à l'article sur le Roi s'amuse (1). et surtout la note du 15 mars 1833qui fait une contraste complet avec l'article du 15 février sur le drame de Lucrèce Borgia. Dans cette dernière note, SainteBeuve. ému par la méchante humeur qu'avait manifestée Hugo, revient sur la pièce, en constate le succès énorme et fait un éloge magnifique de son auteur
« C'est, dit- il, un spectacle trop grandiose et trop rare en ces 'temps-ci pour ne pas l'admirer et s'incliner d'abord devant (sic) dût-on argumenter et analyser ensuite que cette trempe de caractère poétique, cette vaillance presque fabuleuse dans l'art qui dure depuis tantôt douze ans, combat, construit et conquiert. Où cela s'arrêterat-il ? Quel effet produiront de loin pour la postérité ces efforts inouïs et ces œuvres altières qui s'accumulent ? Voilà des questions que personne ne peut s'empêcher de (1) Numéro précédent de la Revue.
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s'adresser à soi-même, avec un sentiment intime de respect pour le poète de génie qui les suscite. »
Parmi tous ces morceaux de critique trés laudative en l'honneur de Victor Hugo et à l'exclusion de tout le reste du Cénacle, il en est un où Alfred de Vigny eut la faiblesse de démêler on ne sait quelle attaque personnelle, et il en fut mortifié comme d'un véritable affront. Pour apprécier exactement son attitude en cette occasion, il faut d'abord relire cette page « M. Victor Hugo est infatigable. Hier, il nous a donné les Feuilles d'automne; demain, il nous donnera le Roi s'amuse, drame qui met déjà en rumeur tout le public de nos théâtres aujourd'hui, il nous donne Noire-Dame de Paris, augmenté de trois chapitres nouveaux, qui suffiraient presque à faire un livre, et d'une préface où le grand artiste continue cette rude guerre qu'il fait aux démolisseurs. Cette réimpression de Notre-Dame, qui est la huitième édition depuis quinze mois, est en trois volumes et fait partie. de la collection complète des œuvres de Victor Hugo, que le libraire Renduel publie dans ce beau format in-octavo. Notre-Dame de Paris. est, sans contredit, un des plus admirables romans de notre langue. C'est aujourd'hui un livre européen. Nous reviendrons sur à propos des additions importantes que l'auteur y a faites. Il y a dans ces additions un chapitre curieux sur Louis XI, et un autre chapitre où l'auteur expose des idées tout à fait neuves sur l'avenirtecture. Nous examinerons ces idées. Les opinions de M. Victor Hugo. méritent toute attention. A peine âgé de trente ans, il s'est fait, dans notre littérature, une place unique et immense. Drame, roman, poésie, tout relève aujourd'hui de cet écrivain, qui n'est pas moins grand prosateur que grand poète esprit singulier et persévérant, qui plie son public à sa guise, et finit toujours par vous amener à lui, quelquefuis à votre insu, et malgré que vous en ayez. »
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Dans cet éloge, en apparence généreux, mais si peu désintéressé, une ligne offensa les yeux d'Alfred de Vigny « Drame, roman, poésie, .tout relève aujourd'hui de cet écrivain. » L'auteur de Moïse et d'Eloa, de Cinq-Mars et de Siello. d'Othello et de la Maréclzale d'Ancre, avait la prétention de ne relever que de lui-même. Il avait donné son Stello, justement dans la Revue des Deux Mondes, et, pendant que cet ouvrage était en cours de publication, il avait reçu de Buloz une lettre dont il était en droit de se souvenir. « Quand une Revue est arrivée à publier d'aussi belles choses, écrivait le directeur à l'auteur, elle est la première du monde. C'est à vous que je dois tout cela toute ma vie ma reconnaissance vous sera Alfred de Vigny crut pouvoir en appeler à celui qui lui avait tenu un tel langage, et il eut la naïveté de déclarer exclusive et injuste l'hugolâtrie du chroniqueur. Il réclama la modification de cette formule inexacte « relève de cet écrivain ». Buloz avait déjà entre les mains une partie du manuscrit de Servitude et Grandeur militaires il eût été bien fâché de perdre les bonnes grâces de l'auteur. Il promit une note de rétractation. Vigny voulut la rédiger lui-même. Sainte-Beuve ne le permit pas. Il ne laissa pas davantage à Buloz le soin de l'écrire il se le réserva
« Vienne aussi, on nous l'annonce, un drame de M. de Vigny dont le sujet est encore un mystère. Espérons que le poète ne lardera pas à produire (2). On a hâte de (1) Lettre inédite de Buloz au comte de Vigny.
(2) Pour saisir l'intention ironique de ces premières lignes, il faut se reporter à un autre propos secret de Sainte-Beuve sur Alfred de Vigny. Le 8 juin 1838, il écrira au poète suisse
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revoir au théâtre un talent dont la Maréchale d'Ancre a révélé la vérité et les ressources dramatiques. Dans le roman historique, dans le roman satirique, dans le poème, dans les genres divers où il s'est successivement appliqué, M. de Vigny a su être neuf et original il ne l'a pas moins été dans le drame. L'élite du public attend avec impatience le développement de cette branche, qui lui promet de si nobles fruits. Et, à ce propos, puisque l'occasion s'en présente, faisons remarquer que, lorsque récemment il est échappé à la Revue de parleur des écrivains qui relèvent d'un autre grand écrivain. il va sans dire que les maîtres en tout genre n'entraient pas dans notre pensée. Le grand écrivain dont il s'agit serait le premier, nous en sommes certains, à repousser une telle prétention luimême, il a toujours fait la guerre à l'Ecole. Les Lamartine, les de Vigny, les Mérimée, les Barbier, les Dumas, ne relèvent que de leur propre direction leur pensée n'appartient qu'à eux, ainsi que l'instrument par lequel ils l'expriment. »
Cette réparation, Sainte-Beuve ne la fit pas sans ressentir une très vive irritation cont.°e celui qui l'avait exigée. Il s'empressa d'associer Victor Hugo à sa rancune
« J'ai su lui écrivit-il à la date du 13 novembre que vous saviez les misères d'un gentilhomme de notre connaissance un homme qui en est venu là ne fera plus que de la satire, mais son enthousiasme et son génie poétique sont morts.. »
Victor Hugo lui répondit tout aussitôt:
« Le gentilhomme devient, en effet, fabuleux mais que Juste Olivier « De Vigny ne fait rien et est réputé ne plus pouvoir rien faire chaque fois qu'il va chez Buloz, il lui dit « Je travaille beaucoup, vous serez effrayé de la quantité de « manuscrits que je vous porterai bientôt, n et Buloz rit de son rire qui n'est poli que parce que de Vigny ne le comprend pas. »
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voulez-vous ? Il faut le plaindre encore plus que le blâmer. 11 sera bien ravi si le Roi s'amuse fait fiasco C'est ainsi qu'il me paye les applaudissements frénétiques â.'Othello. Vous, vous êtes toujours le grand poète et le bon ami. J'aurais grande joie à vous rencontrer un de ces dimanches soirs chez. Nodier, peut-être dimanche prochain, n'est-ce pas ? Votre vieil ami.
« V. »
Le coup avait trop bien porté pour que SainteBeuve se contentât de cette unique atteinte à l'amitié des deux poètes. Le lendemain, 14 novembre, il reprit son antienne avec une aigreur et une malveillance encore accrues
« A propos du gentilhomme, il est revenu chez Buloz hier, insistant encore pour sa note que Buloz a définitivement repoussée II avait promis seulement un mot dans la chronique. Je suis arrivé hier soir à la Revue, lorsqu'il était en train de fabriquer cette note et j'en ai raccommodé la phrase de peur que sa plume n'aille trop à droite ou à gauche cela lui sauvera peut-être une brouille qu'il redoute fort. Quant au gentilhomme, il est tué moralement pour moi et il faudrait de terribles expiations à une telle conduite et une palingénésie complète pour qu'il me revît dans son boudoir-sanctuaire, ou que son nom se retrouvât dans aucun morceau signé de mon nom. » On pense involontairement au vers du fabuliste La chatte détruisit par sa fourbe l'accord.
Alfred de Vigny ignora, toute sa vie. qu'il eût été desservi en secret, et quelque peu trahi, par SainteBeuve. Il sentit seulement que l'affection jadis si absolue, et, depuis quelque temps, inégale ou même altérée, de son ami Hugo lui échappait il en souffrit, mais il s'enveloppa de dignité et de silence.
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Et, pour tout dire, indiquons seulement qu'à ce moment même la passion amoureuse va s'exaspérer chez Alfred de Vigny et qu'elle est sur le point de subjuguer Victor Hugo. C'est à partir de l'année 1832, peut-être un peu plus tôt, qu'Alfred de Vigny, après deux ans d'hommages enthousiastes et respectueux, devient l'amant d'abord enivré, mais aussitôt trahi et douloureusement jaloux de Mme Dorval c'est au début de l'année 1833, pendant les répétitions de Lucrèce Borgiu, que Victor Hugo s'asservit pour jamais à la domination de Juliette. Pour l'un comme pour l'autre, au moins pendant un certain temps, le bouleversement de 1'être entier résultera de cette liaison à la fois affichée et tenue secrète, avec ses joies fiévreuses, ses orages violents, ses exigences accablantes. Aux raisons d'éloignement déjà relevées, il faut joindre cette dernière elle n'eût pas produit, à elle seule, une éclipse de l'amitié elle la précipite et elle la prolonge.
V
De 1833 à 1840, Hugo et Vigny règnent, chacun de son côté, sur un groupe de sujets fidèles. Le groupe de Hugo, d'où Sainte-Beuve s'est exclu définitivement en 1834, comprend des amis comme Louis Boulanger, Théophile Gautier, l'architecte Robelin, le journaliste Granier de Cassagnac, Masson, Brindeau, et bon nombre de jeunes gens auxquels s'ajouteront, un peu plus tard (1), les Vacquerie et Paul Meuricc. Le groupe d'Alfred de Vigny, plus restreint, plus (1) Vers la fin de cette période.
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intime, comprend surtout Brizeux, Auguste Barbier, Philippe Busoni, Léon de Wailly, les deux frères Deschamps. Les deux groupes se dédaignent et affectent de s'ignorer. Seul, Emile Deschamps va, comme autrefois, de Vigny à Victor Hugo il reste attaché, aussi sincèrement, aux deux amis qu'un douloureux malentendu sépare. Il appelle de tous ses vœux une occasion favorable de les rapprocher. Elle s'offrit après une attente de plusieurs années.
Au mois de mai 1840, Victor Hugo publiait un de ses plus beaux recueils de poésies, les Rayons et les Ombres. Au mois de mai de cette même année, très peu de jours avant l'apparition du livre, SainteBeuve insérait dans la Revue des Deux Mondes un article de critique intitulé Dix ans après en littérature. Il y établissait, en somme, le bilan des efforts et des productions de la génération de 1830. De Victor Hugo, il ne nommait et ne louait que trois ouvrages parus en 1831, les Feuilles d'automne, Notre-Dame de Paris et Marion de Lorme; le jugement d'ensemble sur les travaux et les tendances du vigoureux écrivain était visiblement hostile. Quant aux écrits d'Alfred de Vigny, il n'en était même pas question, et, dans une énumération assez complète des collaborateurs de la Revue des Deux Mondes, son nom n'était pas prononcé.
C'est le moment qu'Emile Deschamps semble avoir jugé opportun pour opérer la réconciliation. A la fin de l'année 1840, il apporta chez Alfred de Vigny le volume de vers de Victor Hugo avec la dédicace de l'auteur, et le dimanche 27 décembre 1840, Alfred de Vigny adressait à l'ancien ami cette expression de gratitude
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« Je ne veux pas attendre qu'Emile vous rende mes remerciements en retour de ce bel envoi qu'il m'apporte de votre part, Victor, et qui me rappelle le temps, trop éloigné, de notre amitié de première jeunesse et de nos échanges de première poésie. Je vais ranger votre livre parmi les plus rares de ma bibliothèque et votre écriture, si rare aussi, parmi les choses les plus précieuses que je possède.
« ALFRED DE VIGNY. »
L'année 1843 fut pour Victor Hugo d'une effroyable cruauté. Au mois d'avril, il avait assisté, le cœur gros d'amertume, à l'échec de son drame épique, les Burgraves. Après trois mois d'accablement extrême, il avait demandé au voyage une diversion. En peu de jours, les Pyrénées, qu'il se souvenait d'avoir traversées tout enfant, et dont les paysages d'une âpreté puissante ou d'une grâce sauvage l'émerveillaient, lui avaient rendu l'allégresse. Il remontait vers Paris, sans trop se hâter, en longeant la mer de Saintonge. A peine arrivé dans l'île d'Oléron, une tristesse mystérieuse l'envahissait et le poussait à fuir. Le lendemain, dans un café de Rochefort, il ouvrait un journal, et le premier fait divers sur lequel il jetait les yeux racontait la noyade de Villequier, la mort sinistre de sa fille.
Ce deuil de Victor Hugo n'émut pas de la même manière Sainte-Beuve et Alfred de Vigny j'en ferai juge le lecteur. Voici d'abord ce qu'écrivait, au début de l'année 1844, Sainte-Beuve à son ami Victor Pavie, qui avait, comme Guttinguer, toutes ses confidences
« Non, je ne suis point rentré par cette large blessure, comme vous dites si éloquemment, je ne l'ai pas du,
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je n'ai pas cru le devoir. Trois fois, depuis une année fatale, trois fois la liaison réclamée, suppliée, reprise à grand'peine, a manqué, et les trois fois sans qu'il y eût de ma faute. Deux fois sur trois, la liaison s'est brisée avec injures par lettres contre moi, injures non méritées. La dernière fois que la trame s'est pour jamais déchirée, ç'a été à la suite d'une visite qu'il avait réclamée, « pour le pauvre enfant Toto bien malade ». J'y suis allé, il y avait du monde, des visites. J'y ai été ce qu'on est quand il y a des étrangers et qu'on n'est pas très sûr du parquet glissant. Cette pauvre enfant, alors si charmante, si rayonnante, Didine, était là, discrète, prudente, mais regardant. Je croyais avoir été très simple un mois après, j'ai reçu 'une lettre de rupture et violente. Longtemps après, lui, sur un cadeau par moi fait à ma filleule (Dédé), m'invite brusquement à dîner, je refuse. Pourquoi y retourneraisje après cet affreux malheur ?. En voilà pour l'éternité 1 C'est horrible à penser, mais c'est vrai. Le plus charmant, le plus pur, le plus innocent témoin de ce bonheur passé vient de disparaître et de s'engloutir. Image trop fidèle de la réalité !»
En regard de cette page élégiaque, écrite de la même encre et de la même main que les gloses du Livre d'Amour, plaçons la lettre de condoléances adressée par Alfred de Vigny à ce père si malheureux
« Paris, 30 novembre 1843.
« Si vos larmes vous ont permis de lire les noms de vos anciens amis, Victor, vous avez vu le mien à votre porte en revenant à Paris.
« Devant de telles infortunes toute parole est faible ou cruelle. Tout ce qu'on peut dire est trop pour le cœur que l'on déchire ou trop peu devant l'horreur de l'événement.
« Si je vous avais vu, ie ne vous aurais pas parlé mais ma main qui signa votre contrat de mariage aurait serré la vôtre, comme lorsque nous avions dix-huit ans,
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quand nous allions ensemble regarder le jardin de celle qui devait être votre compagne et dont vous seul pouvez à présent apaiser là douleur.
« ALF. DE V. »
Tout l'élan d'amitié des heures de la jeunesse se retrouve ici, avec ce son de voix viril, résigné et profond, que laissent les épreuves de la vie, et qui, cette année même, résonnait, frémissait, propageait largement sa grave émotion dans quatre poèmes du futur recueil des Destinées la Sauvage, la Mort du Loup, la Flûte, le Mont des Oliviers.
VI
On se souvient qu'Alfred de Vigny, sur les instances de Guiraud, avait, en 1842, posé sa candidature à l'Académie française. On sait, aussi qu'il échoua souvent. Dans ses échecs, il eut une compensation Victor Hugo s'obstina à voter pour lui, une fois contre Sainte-Beuve,
Une lettre d'Alfred de Vigny à Victor Hugo, du 15 mars 1845, nous montre les deux amis échangeant, comme au temps jadis, des visites affectueuses « J'irai vous voir dimanche soir, cher ami si vous avez quelque affaire, écrivez-moi d'ici là et je prendrai un autre jour. J'ai été encore garde-malade depuis que je ne vous ai vu cela m'a douloureusement retenu chez moi. Le voyage de la place Royale sera pour moi comme une fête du et de l'esprit. Tout à vous, cher Victor.
« ALFRED DE VIGNY. ?
« 15 mars 1845, mercredi. »
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A cette date du 15 mars, Alfred de Vigny n'était pas encore le confrère de Victor Hugo à l'Académie française. C'est de lui qu'il apprit, dans l'après-midi du 8 mai, le résultat de l'élection, par ce billet souvent cité
« Je vous écris sur le papier même du scrutin. Vous êtes nommé à vingt voix au premier tour. Je vous félicite et je nous félicite. Ex imo corde.
« VICTOR, »
Et, le matin même de la réception, le 26 février 1846, Vigny recevait, comme avant le lever de rideau d'Othello ou de la Maréchale d'Ancre, cette equête amicale de la dernière heure
« Est-il encore temps, cher Alfred ? Pouvez-vous introduire à l'Académie aujourd'hui une femme charmante et un bon et spirituel ami qui veulent vous entendre, c'est-àdire vous applaudir ? Vous me rendrez heureux.
« A vous,
« VICTOR H. »
A partir de 1846, Victor Hugo et Alfred de Vigny, ne s'écrivent plu,; guère ils se rencontrent le jeudi, à l'Institut, aux séances hebdomadaires.
Après la réception académique du 26 février (1), Alfred de Vig.:y reste un visiteur irrégulier, mais toujours bienvenu, de la maison de la place Royale. Ces relations sont attestées par quelques billets aimables ou piquants de M"'e Hugo. Alfred de Vigny avait gardé ces billets avec autant de soin que (1) Elu en mai 1845, Alfred de Vigny ne fut reçu qu'à la fin de février 1846, et l'on sait comment il le fut. Il eut, contre lui, ce jour-là, Molé et l'assistance.
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les lettres de Victor Hugo lui-même on ne saurait me reprocher d'en apporter quelques extraits. Il n'est pas facile de classer ces billets, qui ne sont pas datés, ou plutôt qui portent généralement la date du jour ou du mois, non celle de l'année. à'incline à regarder comme le premier de la collection celui que l'on va lire et que je daterais de la fin d'août 1846
« Monsieur, combien je suis désolée. Voilà deux fois que vous venez, deux fois par exception nous étions sortis. Il est vrai que j'ai été bien dédommagée par votre souvenir. L'esprit et le cœur sont d'accord chez moi pour vous dire toute ma gratitude. Je relirai souvent ces beaux ouvrages qui raviront de nouveau cet humble esprit. Je regarderai souvent aussi les lignes qui me rappelleront un ami dont nous sommes si heureux et si fiers.
« Je n'oublie (pas) que Mme de Vigny est chez elle le mercredi. Je désire beaucoup aller la voir demain. Je mettrai mon projet à exécution si mon fils, que j'ai trouvé malade, hier soir, en rentrant, est mieux. Autrement n'oubliez pas que cette semaine nous ne quitterons pas la place Royale.
« Recevez, Monsieur, l'expression de mes sentiments d'admiration.
« LA Vtesse VICTOR HUGO. ?
Cette maladie, qui commence chez le fils de Mme Hugo, est sans doutela maladie grave dont il est encore parlé dans une seconde lettre aussi peu datée que -la première, mais qui est certainement du commencement de décembre 1846, puisqu'on ala réponse d'Alfred de Vigny à cette lettre, et que cette réponse est datée du 14 décembre de cette année. Entre la fin d'août et le commencement de décembre, Alfred de Vigny s'était tenu au Maine-Giraud, et un passage de sa réponse à MOle Hugo fait allusion à ce séjour de trois mois « sous ses-vieux chênes, dans sa chau-
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mière à deux cents lieues ». Voici d'abord la lettre de Mme Hugo
« Monsieur, mon mari me dit que vous avez eu la bonté de vous préoccuper de la santé de notre cher enfant dans un moment où il était bien malade. Laissez-moi vous en remercier d'autant plus que j'avais été attristée du silence qu'il me semblait que vous aviez gardé dans une circonstance si douloureuse. C'est une double reconnaissance que je vous dois, car en sachant votre sollicitude, il me semble que nous avons retrouvé un ami qu'il nous eût été si pénible de croire refroidi. Je n'oublie pas que vous êtes mon débiteur, car ayant commencé à me gâter, je suis en droit de solliciter la continuation de cette charmante attention. C'est votre faute, Monsieur, si je suis si exigeante.
« Permettez-moi, Monsieur, de vous dir e à bientôt. « Agréez, Monsieur et ami, l'expression de mes sentimens les plus distingués.
« La Viessc VICTOR HUGO. »
La réponse que fit Alfred de Vigny à cette lettre se trouve publiée à la page 126 de la Correspondance (Sakellaridès). J'en ai retrouvé le brouillon, laborieux et chargé de ratures, entre deux lettres de l'écriture cursive et un peu impérieuse de Mme Hugo. Alfred de Vigny repoussait le reproche impliqué dans 19 billet de cette mère à la tendresse passionnée la veille même de son départ pour le Maine-Giraud, il avait fait porter, place Royale, une lettre pour M"'e Hugo. Le domestique, chargé de rapporter un bulletin de santé, était revenu les mains vides, et sans avoir pu voir ni entendre qui que ce fût mais, dti fond de l'Angoumois, Vigny avait reçu d'un ami l'assurance que le malade était sauvé et il avait eu de Victor lui-même la confirma-
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tion de l'heureuse nouvelle. Il annonçait d'ailleurs sa visite assez prochaine.
La visite se fit attendre. Dans une lettre du 13 janvier (1847), Mme Hugo témoigne de quelque dépit. Elle gronde Alfred de Vigny d'oublier ceux qui l'aiment.
Au début de février, elle revient à ses reproches, mais les accompagne cette fois d'une demande précise qui appelle une réponse immédiate elle sollicite des livres, une visite et des autographes signés. La réponse d'Alfred de Vigny tarde un peu. Le 7 février, Mme Hugo lui envoie ce laconique billet de rappel
« Et mes autographes
« LA Vtesse VICTOR HuGO. »
Ils étaient en route. Le lendemain, c'était lé tour de Mme Hugo d'envoyer, avec son remerciement, une ligne de réparation
« Vous excuserez, cher Monsieur, mon mot d'hier. Vous l'excuserez parce que mon importunité s'explique par le désir extrême d'avoir ce que j'ai obtenu. Vous m'avez comblée. J'irai prochainement vous en remercier et dire toute ma sympathie à Mille de Vigny.
« Recevez, Monsieur, l'expression de mes sentiments d'amitié et de haute considération.
« LA Vtesse VICTOR HUGO. »
C'est dans l'intérêt d'une loterie de charité, organisée chéz elle, que Mme Hugo s'était montrée si pressante. Cette fête de bienfaisance fut donnée le 10 avril 1847, dans la maison de la place Royale. Il n'y manqua rien, que la présence d'Alfred de
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Vigny. On a le brouillon du billet d'explications qu'il adressa, le lendemain) à Mme Hugo
« J'ai cru jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'à minuit, qu'il me serait possible de me rendre à. votre charmante loterie, mais un quaterne de devoirs, d'affaires, de réceptions imprévues et d'engagemens est sorti pour moi de cette autre loterie de la vie qui est retournée sans cesse par un enfant invisible.
« J'irai un soir vous expliquer cette aventure, Madame je ne vous ai pas vue, c'est moi qui perds le gros lot.
« A. DE V. »
Survient la révolution de Février. Alfred de Vigny ne tarde pas beaucoup à s'éloigner de Paris et des Hugo. Il demeure, au Maine-Giraud, depuis le mois de mai 1848 jusqu'au mois de décembre 1849. Il rentre, à ce moment, pour remplir à l'Académie les fonctions de président auxquelles le choix de ses confrères l'a porté pendant son absence. Son retour se marque par un redoublement d'égards pour Mme Hugo à la date du 16 décembre 1849, Victor Hugo l'en remercie
« Lundi,
« Cher ami, ma femme me dit toutes vos bonnes grâces si affectueuses et si cordiales. J'espère être libre jeudi et pouvoir aller à l'Académie, car la loi de séparation ne viendra pas cette semaine. Autrement j'aurais compté, pour mes chers clients les lettrés et les artistes, sur votre éloquent appui. J'y compte toujours, mais nous serons deux. A jeudi donc. Je vous serre la main.
« VICTOR. »
Un dernier billet, qui porte le timbre postal du 28 février 1850, et qui est signé « la vicomtesse Vic-
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tor Hugo », semble avoir été à moitié dicté par le mari, comme l'avaient été jadis plus d'une fois c'est Hugo lui-même qui nous l'a appris les premières lettres de Mme Hugo à Sainte-Beuve
« Cher et illustre ami, vous êtes venu l'autre jour avec votre femme, j'étais sortie à mon grand regret. Voilà ce que c'est que le soleil, l'on sort content, l'on rentre triste, car on trouve la carte cornée d'une personne que l'on aime.
« Nous causions hier de vous, mon mari parlant de votre grand talent, moi de votre conversation unique et qui charme tant.
« Venez donc nous réchauffer de votre esprit, cet autre soleil Le dimanche soir, nous restons toujours chez nous. Vous ne trouverez que des personnes qui partagent nos sentimens pour vous. Aucun Molé.
« Laissez-nous vous espérer dimanche prochain, Mme de Vigny serait bien aimable de vous accompagner. J'irai un de ces mercredis lui demander moi-même de nous faire cette faveur.
« Agréez, cher Monsieur, l'expression de ma sincère amitié et de mon admiration.
« LA Vtesse VICTOR HUGO. »
VII
Quatre mois après, le8 juin 1850, Alfred de Vigny se mettait en route pour la Touraine, et, après avoir passé un peu de temps à visiter quelques familles nobles de sa nombreuse parenté, il s'installait, une fois de plus, dans la maison de campagne de MaineGiraud. Il devait y rester jusqu'après le mois de janvier 1853.
Pendant ces deux années de vie rurale au milieu de sa Charente réactionnaire qu'il appelait, dès
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1848, «une Vendée bonapartiste », Alfred de Vigny s'engagea de plus en plus dans la voie politique de l'ordre à tout prix, qui conduisait à l'impérialisme. Tout l'attirait de ce côté son tempérament, son éducation et le souvenir des relations personnelles qu'il avait eues en Angleterre, chez ses amis de Gore House, avec Louis Napoléon.
Ces relations se renouèrent dans une soirée du 10 octobre 1852, à la préfecture d'Angoulême, où le' comte de Vigny, invité à dîner par ordre du prince, s'était rendu. Louis Napoléon réserva au poète un entretien particulier si prolongé, si exclusif, qu'une parole de dépit et d'impatience échappa au préfet mortifié « Ce n'est pas moi qui reçois le prince président, c'est M. de Vigny (1). »
Le solitaire assez chimérique du Maine-Giraud rentra dans sa « cellule », absolument gagné à la personne et aux idées de celui qui allait anéantir la République.
Pendant le même temps, Victor Hugo s'engageait d'un pas résolu dans le sentier plus dur, plus périlleux, de la résistance à l'oppression, et il ne tardait pas à partir pour l'exil.
La politique avait encore séparé les deux amis, mais cette fois brutalement, et pour la vie.
(1) Tradition orale, recueillie dans une visite au Maine-Giraud, en 1907.
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CHAPITRE VIII
ALFRED DE VIGNY ET ALEXANDRE DUMAS.
L'amitié d'Alfred de Vigny et d'Alexandre Dumas père devint, dès le premier moment où elle se noua, une intime amitié. Après quelques années de véri. table ardeur, elle cessa de se manifester mais, en dépit du silence, de l'éloignement, d'un oubli relatif, d'une indifférence apparente, elle subsista. Elle avait commencé plus tard qu'on ne pourrait croire, car elle date exactement de la première représenta-tion de Henri III et sa cour, c'est-à-dire du 11 février de l'année 1829.
Jusqu'à cette journée retentissante et mémorable, Alexandre Dumas n'était qu'un écrivain assez obscur. Entre deux poèmes de circonstance, une Élégie improvisée à la mort du général Foy (1) et un dithyrambe, Canaris, écrit l'année suivante et vendu au profit des Grecs, il avait mis au jour quelques pièces de vers, perdues ou peu s'en faut dans la Galerie du Palais-Royal (2) et dans la Psyché (3). Il avait, en outre, édité à ses frais, ou (1) Le 28 novembre 1825.
(2) Publication artistique dirigée par Vatout, etsant par la gravure ou la lithographie les tableaux dont le duc d'Orléans avait rempli sa galerie Alexandre Dumas commentait en vers certaines de ces toiles.
(3) Journal fondé par Msrle, comme moyen de propagation d'une réforme de l'orthographe.
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plutôt aux frais de sa mère, un petit recueil de trois récits romanesques en prose, les Nouvelles contemporaines, qui passèrent inaperçues. Au théâtre, il avait collaboré sans grand profit, sous un faux nom, à deux vaudevilles, la Chasse et l'Amour, sifflé le 22 septembre 1825, et la Noce et l'Enterrement, applaudi le 11 novembre 1826.
Son instinct dramatique, alimenté par l'étude assidue des traductions du théâtre allemand et du théâtre anglais, se développa brusquement sous l'effet des représentations données à Paris par les acteurs de Londres, Kenible, Kean, Terry, Macready, miss Foote, miss Smithson. Le premier drame de Shakespeare joué à l'Odéon, avec Kemble dans le rôle d'Hamlet et miss Smithson dans celui d'Ophelia, fut pour le futur auteur d'Antony une illumination (1). Il est permis de supposer que, ce soir-là, l'imagination du comte Alfred de Vigny s'exaltait aussi dans quelque autre coin de la salle. Ils durent applaudir du même la semaine suivante, à la représentation de Roméo et Juliette, où Kemble et miss Smithson se montrèrent encore plus admirables que dans Hamlet ils s'indignèrent, sans doute, l'un et l'autre, des résistances du public, à cette soirée d'Olhello, où, selon les expressions recueillies dans la presse du temps, « la scène du meurtre parut audessus de tout ce que pouvait supporter un public français » (2). Ils n'échangèrent pas leurs impres(1) Hamlet fut joué le 11 septembre 1827, à l'Odéon. Roméo et Juliette fut joué le 15 septembre, et Othello le 18.
(2) Nous savons, par une lettre d'Alfred de Vigny à Pauthier, que le traducteur du More de Venise revint exaspéré contre le public, d'une Rutre représentation d'Othello, celle du 29 mai 1828 au Théâtre Italien, où Kean avait joué le More. Des vers
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sions. A ce moment, Alexandre Dumas n'avait pour amis que quatre hommes de lettres Alphonse de Ribbing, plus connu sous le pseudonyme d'Adolphe de Leuven Frédéric Soulié, un des premiers mais un des moins heureux adaptateurs de Shakespeare et de Schiller le Marseillais Méry, le pamphlétaire de la Willéliade, et Pichald, dit Pichat, l'auteur naguère acclamé de Léonidas, déchiré par l'hémoptysie et déjà désigné pour une mort prochaine.
Très avisé et très pratique sous ses manières d'étourdi et de bon enfant, Dumas fréquentait les acteurs. A vingt-deux ans, il s'était faufilé dans le cercle des visiteurs ordinaires de la loge du tragédien Talma en 1828, il était devenu le familier de Firmin, l'un des meilleurs comédiens du ThéâtreFrançais il était arrivé par lui jusqu'à Taylor, et l'appui du commissaire royal n'avait pas nui à la réception de Chrisfine, une première tragédie, déjà teintée de romantisme.
Dumas nous a conté complaisamment, plus d'une fois, comment son drame Henri III et sa cour prit le pas sur sa tragédie de La pièce nouvelle, lue au Comité le 17 septembre 1828, fut reçue, nous dit-il, « par acclamation » elle fut jouée le 11 février de l'année suivante. Pour obtenir d'assister à la « première », Victor Hugo et Alfred de Vigny s'étaient adressés à l'auteur. La sœur d'Alexandre d'Antoni Deschamps font d'autre part allusion à une soirée où Vigny et lui ont entendu ensemble le Roi Lear
Et nous deux à l'aspect de si grandes douleurs,
Dans le vaste Odéon mous étions tout en pleurs
Et nous disions après, l'Ame encore enivrée,
Nous ne reverrons plus une telle soirée.
Dernières paroles, LIX.
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Dumas, Mme Letellier, leur réserva deux places auprès d'elle, dansla petite loge surla scène. C'est là, au cours ou à l'issue de cette représentation, achevée triomphalement, que le dramaturge acclamé fraternisa pour la première fois avec les deux poètes romantiques. A quelques jours de là, Dumas rencontrait Victor Hugo qui lui tendait les mains avec effusion, et lui disait seulement ces trois mots « C'est mon tour », ce qui signifiait Je vais écrire Un duel sous Richelieu et j'ai dans la tête Hernani Et, en effet, le 10 juillet suivant, Alexandre Dumas, récemment revenu du Havre, allait entendre, avec un grand nombre de poètes ou d'artistes romantiques, dans l'atelier de Deveria, la lecture de la pièce de Victor Hugo intitulée, depuis, Marion de Lorme. Une semaine plus tard, jour pour jour, le 17 juillet, Alexandre Dumas aurait pu assister dans les salons, alors élégants et riches, d'Alfred de Vigny, à la lecture d'Othello il en fut détourné par une deuxième excursion en Normandie mais il se réjouit sincèrement, à son retour, lorsqu'on l'informa du succès que la traduction du More de Venise avait eu devant le comité de lecture du Théâtre-Français, le 21 juillet. Il écrivit au comte cie Vigny pour lui faire part de sa joie
« Mon cher Alfred,
« J'arrive d'une course assez longue (le Havre, Chierbourg, Dieppe, etc.) et j'apprends votre admirable réception au Théâtre-Français. Ils m'en ont tous parlé et il semble que ces automates royaux soient devenus Poètes pour vous comprendre.
« Mille félicitations en tout et surtout bien sincère fraternité. « ALEX. DumAs. »
« Mes plus respectueux hommages aux pieds de Mn» la comtesse de Vigny. »
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Alexandre Dumas fut de ceux qui applaudirent le plus ostensiblement le More de Venise dans cette soirée quelque peu houleuse du 24 octobre, qu'Alfred de Vigny devait appeler bientôt, avec une naïve emphase, « sa soirée »
Au lendemain même du succès de Henri III, Alexandre Dumas, qui, tout en s'estimant déjà le premier constructeur de drames de son époque, se rendait bien compte de son infériorité d'écrivain, entendons d'écrivain en vers, vis-à-vis de Victor Hugo ou d'Alfred de Vigny, prit ce dernier jour coin seiller, pour critique et pour correcteur de ses ouvrages dramatiques. Pendant les répétitions de Christine, qui succédèrent immédiatement à celles d 0thello, les deux jeunes auteurs se rencontraient dans les coulisses des Français. Lorsqu'après bien des lenteurs, causées par le mauvais vouloir des comédiens, la pièce futretirée par Dumas etfut portée à l'Odéon, Alfred de Vigny ne cessa pas de s'y intéresser. Une seconde fois, elle fut arrêtée non plus par le caprice des acteurs, mais par la sévérité des censeurs, Lourdoueix et Brifault. Alfred de Vigny était des amis de Brifault peut-être s'employa-t-il à faire lever l'interdit qui pesait sur l'ouvrage ? On pourrait presque l'inférer d'un billet plein de gratitude où Dumas fait allusion à certain service rendu et en réclame encore un autre
« Mon cher Alfred,
« Si après toutes les tribulations que je vous ai données vous m'avez encore conservé plus d'amitié que de rancune, ce que j'espère, venez demain samedi, à une heure, au
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comité de l'Odéon, entendre la malheureuse Chrisüne. A vous, tout à vous, et encore à vous.
« ALEX. DUMAS. »
« Le concierge de l'Odéon laissera passer M. le Cte Alfred de Vigny pour la lecture de Christine. »
La répétition générale de la pièce eut un succès énorme, au dire de Dumas mais une cabale s'était tout aussitôt formée pour faire tomber le drame à la première représentation, la deuxième en réalité. Il fallut organiser une contre-cabale. Frédéric Soulié, rival tout à fait généreux (1), fit entrer au parterre, par précaution, cinquante ouvriers de sa scierie mécanique. La bataille fut vive. Le soir, Dumas donnait à souper, chez lui, à vingt-cinq convives, parmi lesquels étaient Victor Hugo et Alfred de Vigny. Il' importait de biffer et de réparer au plus tôt les passages qui avaient effarouché le public ou qui l'avaient mis en gaîté. Retenu par ses devoirs d'amphitryon, Alexandre Dumas s'en remit sur ses amis, les deux poètes, du soin de refaire les cent vers « empoignés ». Ils travaillèrent quatre heures de suite à cette besogne, pendant qu'on banquetait dans la salle voisine et se retirèrent au petit jour, sans réveiller personne, laissant sur la cheminée le manuscrit remis au point. La trilogie dramatique sur la vie de Christine, portant pour titre Stockholm, Fontainebleau ef Rome, fut enfin représentée, le 30 mars 1830, avec un plein succès.
Dumas nous a conté comment, à la sortie de la (1) Dumas avait pris le même sujet que lui et prenait sa place. au même théâtre.
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seconde représentation, entre minuit et une heure de matin, il s'entendit héler sur la place de l'Odéon par une voix de femme Mme Dorval l'avait reconnu à la lueur d'un réverbère. Elle fit arrêter son fiacre « pour l'embrasser », il ne va pas jusqu'à dire pour l'enlever, — en lui jetant cette déclaration « Ah vous avez un fier talent et vous faites un peu bien les femmes » L'engagement amoureux qui paraît s'en être suivi fut la préface d'un roman sentimental bien autrement pris au sérieux par la maitresse et surtout par l'amant auprès d'Alexandre Dumas, Marie Dorval rencontra Alfred de Vigny et elle s'enticha de lui pendant qu'il s'enflammait pour eile. Ce fut, cette fois, non pas le caprice d'un jour, insouciant, vite effacé de la mémoire et ,de la vie, mais un drame d'amour ardent et prolongé, traversé de douleurs aiguës et d'écœurantes déceptions, pénétré de noire tristesse.
Il n'est pas téméraire d'affirmer que depuis le milieu de 1830 et pendant deux ou trois années, Alexandre Dumas et Alfred de Vigny se prirent éciproquement pour confidents de leurs travaux dramatiques et de leurs aventures de coulisses qui s'y. rattachaient étroitement. Un billet non daté, mais qui se place aisément à sa date comme on va le voir, c'est-àdire, pour être précis, dans le courant du mois de mai 1830, nous donne une idée assez nette du caractère très intime de leurs relations.
« Mon cher Alfred,
« Je suis venu vous demander si vous étiez libre mardi à 2 heures. Dans ce cas, nous aurions été avec Victor, Boulanger et Saint-Evre à Versailles voir jouer une actrice avec laquelle Firmin a joué à Marseille. On lui dit beau-
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coup de talent. Si nous en étions contens tous trois, nous la ferions entrer aux Français où elle nous serait très utile. « Je tâcherai de venir demain matin vous voir.
« Tout vôtre,
« ALEX. DUbIAS. »
« P.-S. — Elle est jeune et très jolie. »
Or nous savons par ailleurs que vers la fin du mois de mai, l'acteur Firmin mit Alexandre Dumas en rapports avec Mélanie S. une actrice qu'il avait eue comme camarade en province. En mai 1830, Mélanie S. jouait à Versailles. C'était une fort jolie fille dont Théophile Gautier a tracé ce portrait « Des cheveux d'un noir de jais, desyeuxazurés et profonds, un nez droit comme la Vénus de Milo et des perles au lieu de dents. » Dumas ne réussit pas à la faire entrer aux Français, mais il la prit aussitôt pour maîtresse, et il en eut une fille, Marie, née à Paris au début de l'année suivante.
Un autre billet d'Alexandre Dumas, aussi peu daté que les deux précédents, mais qui fut écrit, comme ie texte l'indique, aussitôt qu'on eut mis en train sur le théâtre de la Porte Saint-Martin les répétitions d'Aretony, porte la trace de certaines inquiétudes exprimées par Alfred de Vigny dans une lettre qui s'est perdue. Est-ce la jalousie de l'amoureux, est-ce ombrageuse de l'écrivain que Dumas prend soin de calmer dans sa réponse très cordiale ? A y regarder de plus près, ne serait-ce pas l'une et l'autre ?
« Mon cher Alfred,
« Il y a deux occasions que je ne manquerai jamais, de dire que vous êtes un des plus excellents amis que
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je connaisse, celle d'écrire qu'il y a dans l'époque trois poètes, Lamartine, vous et Victor.
« Quand (sic) à faire quelque chose qui vous fît peine, et prenez ce mot dans toute son étendue, tenez-moi pour un malhonnête homme si je le faisais.
« Maintenant, rendez-moi un service. Antôny se débrouille, regardez-le comme vôtre, venez aux répétitions et donnez-moi ainsi qu'aux acteurs tous les conseils que vous croirez nécessaires au bien de votre fils adoptif. « Adieu, bon ami, je vous aime de cœur et d'âme.
« ALEXANDRE DUMAS. »
Dumas se serait offert de lui-même pour remplir à son tour le même office auprès d'Alfred de Vigny, pendantqu'onrépétait d'Ancre, jouée exactement cinquante-quatre jours après le succès d'Antony mais il était, à ce moment-là, brouillé avec Georges. Il assista à la première de ce drame historique, le 25 juin 1831, sans avoir la satisfaction d'y rencontrer l'auteur pour le féliciter il se dédommagea, le lendemain, par une lettre très développée, dont on peut dire que, pour l'étude des relations d'amitié des deux écrivains, et pour l'histoire du théâtre au xixe siècle, elle est un document qui a son prix (1)
« Mon cher de Vigny,
« S'il n'avait fallu aller chercher une poste au bout de la rue de Seine, je vous aurais écrit hier, ne pouvant vous embrasser. La loge de Georges m'est interdite et je pré sume que c'est là où vous étiez.
« Votre œuvre est belle, mon cher Alfred. 1617 est tout (1) La lettre ne porte point de date, mais les premiers mots indiquent clairement qu'elle a été écrite le 26 juin 1831, le lendemain de la 1 re représentation de la Maréchate d'Ancre.
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vivant, c'est la cour joueuse et brave de Louis XIII et tous ces seigneurs ont des paroles qui vont bien avec le velours et le satin de leurs habits.
« Votre 3e acte est un des plus beaux qu'il y ait a théâtre.
« Recommandez à Georges de faire plus haut à la fin son exhortation à la vengeance, le Public a deviné d'instinct une fort belle scène, mais n'a rien entendu.
« Deux monologues me paraissent trop longs ou tranchons me paraissent inutiles.
« Le Premier au 4e acte, après la scène ravissante où Concini, pendant que sa fortune s'écroule, chante auprès de la femme de Borgia. Lorsque Concini apprend que sa femme le-trompe et que Borgia est auprès d'elle, tout le tems qu'il perd sans vengeance est du temps perdu. Or deux moyens de vengeance se présentent naturellement à l'esprit du spectateur
« Le 1er, d'emporter dans la chambre voisine la femme de Borgia évanouie et là de rendre à Borgia ce qu'il est probable que Borgia lui fait à lui-même.
«. Le 2e, celui que vous avez préféré comme le plus moral, est de sortir pour le rencontrer. Tenez-vous à celuilà, mais employez-le tout de suite.
« Le second monologue est au 5e acte, le public est pressé d'arriver à la belle scène du Duel, et maintenant qu'il a vu cette scène il sera plus pressé encore tout retard l'irrite et ici le monologue le fatigue, il est trop long parce qu'il est trop long.
« Du reste, ami, succès bien réel, bonheur bien grand pour moi, un seul regret me tient, celui de ne pas avoir vu votre œuvre encadrée entre Antony et Marion.
« A qui faudra-t-il que j'adresse votre article à l'Avenir? Un petit mot, je vous prie, pour me servir d'introduction. « A vous maintenant et toujours,
« C'est la devise d'Antony.
ALEX. DUMAS.
Les expressions « Votre oeuvre encadrée entre Antony et Marion » s'expliquent par les dates des
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trois représentations Mme Dorval fut admirable et triompha dans Antony le 3 mai 1831, et elle allait faire couler bien des larmes à la première de Marion de Lorme, le 11 août de la même année. Entre la pièce de Dumas et celle de Hugo, jouées l'une et l'autre sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, la Maréchale d'Ancre paraissait le 25 juin, sur le théâtre de l'Odéon, avec un succès incertain, quoi qu'en dise Dumas. Vigny ne tarda pas lui-même à regretter très vivement d'avoir été forcé de confier à Georges le rôle d'abord destiné à Dorval. Le 15 août, quatre jours après la première de Marion de Lorme, Alfred de Vigny adressait, en effet, à Mme Dorval un exemplaire richement relié de son drame, qu'on ne jouait déjà plus. Le livre contenait ces mots
« Je vous envoie la Maréchale d'Ancre sous deux espèces, Madame c'est une pauvre défunte qui aurait dû revivre quelque temps sous votre mais ce n'était pas écrit dans son jeu de cartes magiques. »
Il y avait joint le manuscrit original du drame avec un sonnet qui restituait l'œuvre à celle qui aurait dû l'interpréter sur la garde de l'in-folio manuscrit se lisait cette lettre dédicatoire
« A Mme Dorval. — Je n'ai que ce moyen de vous rendre ce drame qui fut écrit pour vous, Madame vous vouliez le jouer, mais vous n'êtes reine à votre théâtre que par le talent; et ce n'est pas une royauté toute-puissante que celle-là, au temps où nous sommes.
« ALFRED DE VIGNY (1). »
(1) Ces deux billets et le sonnet, avec des iambes d'une autre date, sont cités, d'après deux catalogues de vente d'autographes, dans le livre de Léon Séché, de Vigny. et son temps, p. 62 et suiv.
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Quant au problème posé par la phrase énigmatique: « A qui faudra-t-il que j'adresse votre article à l'Avenir 2 » il ne m'a pas été possible d'en trouver la solution. S'agit-il d'un article de Vigny sur Dumas ou d'un article de Dumas à l'éloge du drame de Vigny ? Je n'ai relevé, dans l'Avenir, entre le 26 juin 1831,et le 15 novembre, date du dernier numéro du journal, aucune trace ni de l'un ni de l'autre.
Cependant, Alexandre Dumas s'était réconcilié avec Mlle Georges, et le directeur de l'Odéon montait à grands frais et faisait répéter, pendant le mois d'octobre, le drame en vers Charles VII chez ses grands vassaux que Dumas avait écrit, entre le 6 juillet et le 10 août, dans une maison du hameau de Trouville, découvert par lui cette année même. Les répétitions n'avançaient point sans difficultés à un certain moment, Harel n'allait-il pas jusqu'à proposer à l'auteur de remettre son drame en prose ? Est-ce à cette occasion que fut écrit un billet non daté où Dumas appelle son ami à la rescousse ?
« Mon cher Alfred, on me fait quelques petites contestations de stile (sic) à l'Odéon. Rendez-moi le service de venir me prendre demain à 1 h. et demie chez moi, où je vous attendrai pour aller chez Harel, et comme je me fie plus à votre goût qu'à moi-même, vous suivrez les deux actes un crayon à la main et vous jugerez en dernier ressort.
« A vous de cœur,
« ALEX. DUMAS. »
En 1833, l'amitié d'Alfred de Vigny et d'Alexandre Dumas n'a pas subi d'atteinte assurément, mais leurs relations sont déjà plus rares, et pour cause Dumas
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a commencé ses voyages, et, dans l'intervalle de deux départs, il est, de tous les auteurs dramatiques de la capitale, le plus constamment affairé. Il s'excuse, par un billet dont l'enveloppe porte le timbre postal « 6 avril », d'avoir adressé à Vigny quelque convocation inopportune il ignorait que son ami fût retenu auprès de sa mère presque mourante
« Mon cher de Vigny, je regrette bien ma lettre elle n'était point écrite pour aller vous trouver au chevet du lit de votre mère car moi aussi j'ai soigné la mienne atteinte de la même maladie, et je sais quelles sont ces heures d'angoisse, mais comme la mienne me l'a été, votre mère vous sera conservée aussi.
« Adieu, mon cher Alfred, pardonnez-moi.
« AL. DUMAS. »
A cette date du 6 avril, le danger de mort pour Mme de Vigny était à peine conjuré ce passage du Journal d'un poète, daté du 3, en témoigne
« Un vaisseau cargue toutes ses voiles dans L'orage et se laisse aller au vent. Je fais de même dans les chagrins et les grands événements pour ménager les forces de ma tête, je. ne lis ni n'écris, et je ne laisse prendre à la vie sur moi que le moins possible. Malgré tout ce travail de la volonté, la douleur nous saisit au coeur malgré nous et reste là. »
Les paroles rassurantes d'Alexandre Dumas ne furent pas démenties par l'événement; Mme de Vigny, comme l'on sait, vécut encore quatre années. La mère de Dumas, qu'une première attaque d'apoplexie avait frappée, en 1829, trois jours avant la première représentation de Henri III et sa cour, survécut peu à la comtesse de Vigny.
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Après Chatterton, dont le succès n'offensa point, on peut en être sûr, les yeux bienveillants de Dumas, la vie ne manqua pas de séparer les deux amis elle ne les désunit pas. Tout le monde a pu lire dans le Journal d'un poète l'épisode de leur rencontre aux funérailles de Nodier, le 29 janvier 1844. Depuis deux ans, le comte de Vigny se présentait à l'Académie française et il avait été refusé plusieurs fois.
« Dans la foule, écrit-il, Dumas vient à moi « Eh bien, où en êtes-vous de votre lutte ? — Je n'en sais vraiment rien. Je puis vous dire seulement que j'ai beaucoup de paroles; toutes seront tenues sans doute, et, jusqu'à ce que je sois désabusé, je n'ai nulle raison d'en douter. Je ne vous vois jamais Nous n'avons pas le temps de nous voir, nous nous lisons, dit-il. Et nous nous aimons, ajoutai-je. »
Quand le Théâtre historique, dont le privilège avait été obtenu par l'intermédiaire du duc de Montpensier, s'ouvrit le 20 février 1847, c'est-à-dire trois mois après le retour de Dumas de son voyage en Espagne et Afrique, la direction fit des avances et même des promesses au comte de Vigny. L'auteur d'Othello, de la Maréchale d'Ancre, de Quitte pour la peur, de Chatterton, avait gardé avec soin dans ses papiers deux documents relatifs à des négociations qui, d'ailleurs, n'aboutirent pas.
Le premier de ces documents estlebrouillon d'une lettre écrite à Dumas par Vigny le 19 avril 1847 « Vous m'avez fait demander si mes ouvrages dramatiques étaient libres ou appartenaient à un théâtre, mon cher Dumas. — J'ai reperdu qu'ils étaient tous à ma disposition, n'ayant été joués nulle part depuis plus de temps qu'il ne faut pour lès affranchir selon la loi.
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« Quand votre théâtre n'aura donc rien de mieux à faire, vous me ferez savoir ce qui vous peut plaire et nous en causerons. Mais était-ce un projet de votre part ou seulement un souvenir de notre ancienne amitié, je n'en sais rien encore.
« En attendant que vous m'en instruisiez, je désire connaître et entendre cet orgue à cent voix qu'on nomme le Théâtre .historique et sur lequel je jouerai peut-être un cantique si cela vous plaît.
« Un jour qui ne soit pas le mardi, un soir où vous saurez que les acteurs doivent être éveillés et animés, envoyez-moi la loge que vous m'avez annoncée et croyezmoi
« Tout à vous,
« ÂLF. DE VIGNY. »
La réponse de Dumas, absent de Paris à ce moment-là, se fit attendre neuf jours .elle est très amicale
« Cher Alfred,
« Ce n'est qu'hier que je suis revenu à Paris et ce n'est qu'hier que j'ai reçu votre lettre.
« Mille grâces-
« Oui, nous vous demanderons Gthello et la reprise de Chatterton, et pour cela j'irai vous voir un mercredi quelconque. Je présume que c'est toujours le mercredi votre jour.
« Dites-moi (rue de la Victoire, 19 ter) quel jour vous désirez aller au Théâtre historique. Hostein vous enverra une loge. Je lui communiquerai votre lettre.
« Tout et toujours à vous, très-cher et très-illustre. « ALEX. Dumas. »
« 28 avril. »
La raison pour laquelle les promesses faites à Vigny ne furent pas tenues est bien facile à deviner l'entreprise de Théâtre historique, après s'être annoncée
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d'abord comme un succès, périclita bien vite. Les dépenses avaient été grandes l'achat et la démolition de l'hôtel Foulon, puis la construction, par les architectes Séchan et Dodreux, d'un théâtre tout neuf, avec sculptures de Klagmann, peintures de Guichard, décors de Séchan, Diéterle et Despléchin, d'avance, avant les frais d'exploitation, un large trou qu'il fallait combler. Du 20 février 1847 au 30 mars 1851, Alexandre Dumas n'y jeta pas moins de douze drames, forgés par lui l'un après l'autre la Reine Margot, Intrigue et Amour, le Chevalier de MaisonRouge, Hamlet, prince de Danemark, Monte-Cristo, Catilina (qu'avait déjà joué le Théâtre-Français), la Jeunesse des Mousquetaires le Chevalier d'Harmenthal, la des femmes, le Comte Hermann, Urbain la Chasse au chastre. Les recettes de la première année s'étaient élevées à 707.905 francs; celles de la seconde année tombèrent à 200.000; puis ce fut la déroute, le théâtre vide, et la ruine de Dumas. Dans ses Mémoires et dans ses Souvenirs de théâtre, Alexandre Dumas a parlé plusieurs fois d'Alfred de Vigny. Il ne se défend pas toujours d'une nuance de raillerie à son endroit, par exemple lorsqu'il se souvient des façons cérémonieuses de l'amoureux vis-à-vis d'une ingénue aussi peu faite à ces respects que la Dorval mais son ironie même, plus lourde que malveillante, garde l'accent de l'amitié. Dans deux ou trois occasions, c'est l'admiration et c'est la gratitude qui s'expriment. Un seul endroit trahit quelque mauvaise humeur et comme un air de refroidissement. C'est au lendemain du coup d'État de décembre, quand Dumas s'est installé à Bruxelles avec le proscrit Noël Parfait, son secré-
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taire. A ce moment, les exilés font le compte de ceux qui, en France ou hors de France, restent avec eux. Alexandre Dumas semble en vouloir au comte de Vigny d'avoir disparu du monde, et, selon l'expression du vieux poète Charles d'Orléans, d'avoir mis ses amis en oubli. Il reflétait peut-être, ce jour-là, les sentiments d'un autre banni volontaire, plus farouche et plus intransigeant, Victor Hugo. Mais, dix ou onze années plus tard, à l'automne de 1863, en apprenant la mort -tle celui qui avait été l'auteur de la Maréchale d'acre, le dramaturge désordonné et génial qui avait mis au théâtre, dans les mêmes années heureuses, Henri III, Antony, Charles VII chez ses grands vassaux,, dut se sentir pénétré d'une douloureuse émotion, et, je n'en doute pas, les yeux du vieil enfant qu'il était devenu, se remplirent de larmes.
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CHAPITRE IX
ALFRED DE VIGNY ET ALPHONSE DE LAMARTINE L'amitié d'Alfred de Vigny et d'Alphonse de Lamartine commença tard, et, en dépit de certaines effusions, qu'il n'est pas interdit de croire exagérées, elle ne fut jamais une amitié intime.
Lamartine l'oublions fit que côtoyer ou traverser les groupes littéraires qui se formèrent et se reformèrent plusieurs fois autour de Victor Hugo, secrétaire de rédaction du Conservateur littéraire en 1819 et 1820, fondateur et directeur officieux de la Muse française en 1823 et 1824, chef incontesté du Cénacle en 1827, 1828, 1829 et aubut de 1830.
Du milieu de l'année 1820 jusqu'à la fin du moins d'août de l'année 1829, Lamartine, le plus souvent, habite hors de France, et lorsqu'il ne. vit pas à l'étranger, il se tient presque constamment dans son logis provincial ou sur ses terres héréditaires, à Mâcon, à Milly, au château de Saint-Point. Aussitôt après la publication des Méditations il est nommé au poste diplomatique de son choix, dans une cour du midi de l'Europe, et il se rend à Nap'Ls sans perdre un instant. De Naples, il passera à Londres, où sa santé ne lui permettra pas de rester de Londres, il regagnera Paris, puis la Bourgogne, où il demeurera assez longtemps, en attendant une no-
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mination selon ses goûts dans .1'autoITJme de 1825, il repartira pour l'Italie, en qualité de secrétaire d'ambassade à Florence, auprès du marquis de la Maisonfort. et il restera en Toscane, presque sans en sortir, du milieu de septembre 1825 jusqu'à la fin d'août 1828, ce qui fait bien trente-cinq mois de séjour à peu près continu à Florence, à Pise ou à Lucques. Pendant ces huit années d'occupations plus assidues qu'actives, Alphonse de Lamartine ne fait à Paris que de rares apparitions, et de courte durée tout nous conduit à constater qu'avant l'hiver de 1828, il n'a pas pu fréquenter Alfred de Vigny, et qu'il l'a entrevu à peine. Montrons, dans le détail, à quoi leurs relations jusqu'alors se réduisent.
Quand les premières Méditcxtions parurent, le jeune et presque unique rédacteur du Conservateur littéraire, Victor Hugo, parla du livre et de l'auteur avec admiration. Alfred de Vigny se flatte d'avoir partagé ces sentiments. En effet, dans une lettre écrite de Bordeaux, en 1823, au moment où il croit partir pour 'la guerre d'Espagne, l'officier poète rappelle à son ami les cris que poussèrent, en 1820, les écrivains même les moins entichés de routine il ajoute « Par combien d'applaudissements les avons-nous étouiés »
Il se montre moins enthousiaste des Nouuelles Méditations et de la Mort de Socrate. Il trouve, sans doute, le S'ocrate « bien composé », et il ne manque pas d'y reconnaître « une poésie grave et majestueuse » mais il en critique assez vivement et le fond et la forme. Il déplore que Soumet n'ait pas devancé
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Lamartine, car l'auteur de Saül et de Clytemnestre avait eu l'idée d'écrire une œuvre dramatique sur le même sujet il en avait tracé le plan qui était « admirable ? et le voilà forcé d'y renoncer « Je pleure tous les jours cette tragédie, je la pleure avec les larmes de la postérité. » Pour ce qui est des Nouvelles Méditations, à part trois pièces exceptionnelles, Alfred de Vigny n'en fait aucun cas « On a l'air, dit-il, d'avoir réuni toutes les rognnres du premier ouvrage et les essais de l'auteur depuis qu'il est né. » Mais, tout de suite après ce jugement défavorable et tranchant, il s'extasie d'admiration sur les sur Bonaparte, sur le Chant d'amours et trouva une formule heureuse pour caractériser le lyrisme lamartinien « II y a, en général, dans tous ses ouvrages, une verve de cœur, une fécondité d'émotion qui le feront toujours adorer, parce qu'il est en rapport avec tous les
Sans grande indulgence pour le poète, Alfred de Vigny ne juge pas l'homme avec moins de rigueur. Il lui reproche de se séparer du groupe ultra royaliste, de faire « alliance avec les libéraux » et d'acheter la vogue littéraire au prix de fâcheux sacrifices. Après avoir vu que le faubourg Saint-Germain, désenchanté de son premier malheur, l'avait un peu délaissé, n'a-t-il pas voulu se faire un succès avec l'autre parti, et se faire pour celui-là une seconde infortune ? cela serait bien étroit, mais tout me l'annonce. Dites-moi ce que vous en pensez. » On n'a pas la réponse de Victor Hugo.
Or, pendant qu'Alfred de Vigny était retenu, loin des réunions romantiques, par ses étapes et séjours prolongés, ininterrompus, à Orthez, à Oloron, aa
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fort d'Urdoz, à Pau, l'auteur des Odes et l'auteur des qui s'étaient déjà réciproquement honorés en échangeant des dédicaces (1), se lièrent d'une amitié exaltée, mais réelle et durable. Aussi, quand Lamartine, au début de novembre 1824, revint à Paris pour se présenter contre Droz à l'Académie française, toute la Muse française, sauf peut-être Soumet, fit campagne pour lui. Son échec, en décembre 1824, accompagné de celui de Guiraud, et coïncidant avec la chute du ministère de Chateaubriand, qui ruinait bien des projets, affligera Victor Hugo comme unè défaite de la poésie elle-même n'éprouve plus, quand je me jette hors de ma cellule, qu'indignation et pitié. »
Peut-être le jeune chef d'école aurait-il pris moins à cœur les intérêts de Lamartine, s'il avait pu connaître son plus intime sentiment au sujet des efforts tentés par les tenants du romantisme pour subjuguer l'opinion. Voici ce. qu'écrivait de Mâcon, le 22 mars 1824, le dédaigneux diplomate à Eugène de Genoude, maître des requêtes au Conseil d'Etat « Je reçois quelquefois cette, Muse française q i vous amuse tant elle est, en vérité, fort amusant. C'est le délire au lieu du génie. » Toutefois Lamartine était, en principe, assez hostile au joug de la tradition littéraire pour que la hardiesse de vues de Victor Hugo l'ait conquis dès les premières ren(1) Dans le recueil complet des Odes et Ballades, la pièce du IVe livre, la Lyre et la flarpe, datée d'avril 1822, et l'ode i du livre III avec cette épigraphe tirée de la 2e aux Corinthiens « Or, sachant ces choses, nous venons enseigner aux hommes la crainte de Dieu », sont dédiées à M. Alphonse de Lamartine et, d'autre part, la pièce des Préludes, dans les Nouvelles Méditations, est dédiée à Victor Hugo.
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contres il savait d'ailleurs manier l'éloge avec trop de grâce pour n'avoir pas séduit, lui-même, avec facilité, ce jeune poète enthousiaste et qui lui prodiguait les formules d'admiration. Quant au comte de Vigny, il était venu à Paris au début de 1824 pour y imprimer Eloa, publié en avril pendant les mois de novembre et décembre, qui avaient ramené Lamartine, il tenait garnison à Pau et il se préparait à épouser Lydia Bunbury.
Rentré en'Bourgogne à la fin de décembre 1824, Lamartine occupe ses loisirs en écrivant, dès le début de janvier 1825, le Dernier Chant de Childe Harold, et il le donne à l'imprimeur trois mois après. Aux premiers jours d'avril, comme il reçoit des épreuves trop incorrectes, l'impatience le prend et il part, il vole « au secours » de ce dernier produit de son inspiration. 11 emporte d ailleurs avec lui un autre poème, le Chant du Sacre ou la Veillée des Armes, qu'il n'a fait, écrit-il à son ami Virieu, « ni pour gloire ni pour argent ». Mais qu'il l'ait désiré ou non, ces vers de circonstance reçoivent une récompense immédiate Lamartine est décoré, à l'occasion de la cérémonie de Reims, en même temps que son ami Victor Hugo. Il ne se rend pas aux fêtes, et après dix (in douze jours passés à Paris au mois d'avril chez Mme de Vaux, rue Férou, no 16, il retourne à Saint-Point il y demeure jusqu'au moment où l'avis de sa désignation comme secrétaire d'ambassade à Florence lui fait un devoir de partir nommé en avril 1825, il se met en route pour l'Italie le 10 septembre.
La mort d'un de ses oncles et le soin de recueillir un gros héritage le ramènent en France au mois de
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mai 1826, et, le 13 de ce mois, il écrit de Mâcon au marquis de la Maisonfort, son chef hiérarchique « Je serai à Paris dans un mois environ. » Il tient parole il y passe au moins la seconde et la troisième semaine de juin. C'est pendant ce séjour que ses relations avec Alfred de Vigny se sont nouées nous pouvons en fournir la preuve.
Il y a dans le recueil Sakellaridès une lettre d'Alfred de Vigny à Lamartine, datée du 25 mai 1826. C'est un remerciement qu'adresse à l'auteur des Méditations l'auteur du roman de Cinq-Mars, ouvrage publié au mois d'avril de cette année. Si je ne me trompe sur le sens des premiers mots de cette lettre, Lamartine aurait pris l'initiative d'adresser ,du fond de la Bourgogne au brillant romancier quelques mots d'applaudissement, et Alfred de Vigny, ravi de ce suffrage illustre, répond en s'excusant d'avoir été contraint, pour mener à bout ce roman, d'imposer silence à la poésie
« Si cet ouvrage vous a plu, c'est sans doute que vous y avez reconnu quelque chose de la Muse que vous consultez trop mystérieusement pour nous.— Je l'adore comme vous et même involontairement on ne saura jamais combien de fois la simple prose que vous louez a été la traduction d'une première pensée poétique que j'éteignais à regret. Je fuis la Poésie autant que je la cherchai, et je le craignais, en écrivant, mais j'ai pu dire comme votre Elvire Oui, ma crainte était de l'amour. »
La lettre s'achève sur un vœu Alfred de Vigny exprime l'espoir de voir à Paris « le poète qui écrit de si aimables choses avec tant de coeur » Précisément, Lamartine vint à Paris, très peu de jours après il chercha Alfred de Vigny des amis de l'un
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et de l'autre s'employèrent à les réunir (1) il dut y avoir, avant le milieu de juin, une première rencontre. C'est ce qu'on peut inférer tout au moins de quelques expressions d'une lettre inédite qui porte le timbre postal du 15 juin 1826, et que l'on doit, par conséquent, dater du jour précédent, le 14. Elle est adressée à M. le comte Alfred'de Vigny, rue de la Ville-l'Evêque, n° 41, Paris. Elle a évidemment suivi l'envoi d'un exemplaire du roman de CinqMars avec dédicace d'auteur et peut-être aussi d'un exemplaire des Poémes antiques et modernes, publiés tout à fait au début de la même année.
« Mille remerciements pour Cinq-Mars. Je vous remercierai davantage d'un nouveau morceau poétique qu'importe ce qu'on lit Y C'est ce qu'on fait qui est l'essentiel, vous devez le sentir mieux que moi.
« Je lirai Cinq-Mars sur la foi de vos beaux vers d'autres liront les vers sur la foi de Cinq-Mars. J'en entends dire cependant un bien infini. Il charmera ma route. « Adieu. Je vous connais bien peu, mais je vous ai apprécié et aimé avant de vous connaître. Cela me donne des droits de vieille date.
« Je ne sais si j'aurai une minute pour vous aller voir. C'est notre projet pour ce soir au baron de Vignet et à moi.
« A. DE LaMARTINE. »
(1) H y a lieu de l'affirmer, car il faut regarder comme ayant été écrite à ce moment une lettre inédite, mais non datée, de Charles Nodier à Alfred de Vigny « Ce matin, jeudi, quinze, Alphonse de Lamartine déjeune chez moi. J'y attends Alfred, et je le prie de ne pas perdre de temps, s'il aime à être avec nous, comme nous aurons à être avec lui. Charles Nodier. » Avec l'indication très pressé. la lettre porte la suscription M. le C. de Vigny, rue de la Ville-l'Evêque, no 41, Paris. Cette adresse exclutla possibilité de reculer l'invitation jusqu'à l'année 1828, époque du voyage suivant de Lamartine à Paris depuis le commencement de l'année 1828, Alfred de Vigny avait quitté l'appartement de la rue de la Ville-l'Evêque et il habitait dans la rue Miromesnil. Le calendrier de 1826 confirme l'hypothèse.
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La phrase « je vous remercierai davantage d'un nouveau morceau poétique » répond directement au regret exprimé par Alfred de Vigny d'avoir été forcé, pendant un certain temps, d'étouffer la voix de la Muse. Les mots « Il charmera ma route » font allusion au prochain départ de Lamartine pour la Bourgogne, ou plutôt au trajet qu'il doit accomplir pour retourner, presque d'un trait, en Italie. En effet, la correspondance du secrétaire d'ambassade nous le montre installé à son poste dès Depuis ce moment jusqu'à l'automne de 1828, il ne remettra plus les pieds en France.
Après deux ans complets d'absence, Alphonse de Lamartine quitte de nouveau l'Italie, et cette fois définitivement. Il est en Bourgogne à la fin de septembre 1828, et, comme nous l'apprend une lettre de lui, datée du 29, et adressée à Edouard de Lagrange, il se rend à Paris avec l'intention de n'y pas rester « plus de dix jours » il y sera « le 2 ou 3 octobre » il y donne rendez-vous à son ami, « rue NeuveSaint-Augustin, à l'hôtel de Radstadt »
Lamartine ne s'attendait pas à l'accueil extraordinairement flatteur que les éditeurs, les gens du monde et les littérateurs de toute sorte allaient lui faire. Au bout de deux semaines de séjour, il écrit à sa mère « Ma chambre ne désemplit pas de monde à me fatiguer. Les libraires me font toutes les offres que je pourrais désirer. » Le 28, il informe Virieu, que, chez Mme de Montcalm, « il voit les anciens amis, Lainé, Pasquier, Mounier, Portal, Villemain, Pozzo, etc. » et que chez lui « les mandarins et les lettrés » « J'en reçois, sans exagérer, trente àl quarante par jour. Je suis écrasé, étouffé
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d'amitiés, de prévenances, de cajoleries, de dévouements universels, ce serait à en perdre la tête. Je n'en ai perdu que l'appétit et le sommeil, mais l'ivresse ne me plaît en rien je me renferme et je m'en vais et je n'ai toujours qu'un ami, tu sais qui. » Pendant ce mois d'octobre, Lamartine fut donc fêté, comme il le dit, universellement; il le fut qui peut en douter ? par le groupe des Romantiques. Charles Nodier, Deschamps, Victor Hugo témoignèrent au poète revenu parmi eux cette ferveur, cette fureur de sentiments ou de démonstrations qui leur était alors si naturelle. La voix de Lamartine se mit à l'unisson on en jugera par une lettre inédite d'Emile Deschamps au comte de Vigny, lettre qui ne porte d'autre indication de date que ces trois mots « Paris, ce mercredi. » Je ne crois pourtant pas nécessaire de démontrer qu'elle a été écrite le 15 octobre 1828 cela ressort de tout le texte. « Cher Alfred, il faut que je sois bien enterré dans mon recueil et dans ma préface que je fais toujours, pour ne pas vous aller faire moi-même la prière que je vous écris. Il faut absolument que vous veniez samedi prochain 18 octobre, à 5 heures précises, faire un dîner de garçon avec Victor, Antoni et Lamartine chez moi, etc. »
Cette lettre, reproduite en entier dans le chapitre sur les Deschamps, est intéressante à plus d'un titre. J'ai dit qu'elle indiquait le moment exact où fut écrite la fameuse préface des Eludes françaises et étrangères. Ce manifeste en prose n'était pas achevé le 15 octobre et le volume même un volume de vers était déjà prêt à paraître mais c'est la préface qui fit le succès. Elle eut cet enviable honneur très peu de temps après qu'elle eut paru, le patriarche
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allemand, l'immortel Gœthe, commentait devant Eckermann, avec des expressions d'admiration rares chez lui, les idées critiques de celui qu'il prenait à tort pour le plus grand des romantiques. Mais la lettre offre aussi cet intérêt particulier de fixer le moment précis où se reformèrent entre Alfred de Vigny et Alphonse de Lamartine les relations un moment engagées en juin 1826, mais aussitôt dénouées par l'absence. A partir de 1828, ces relations, sans être jamais très suivies, ni très profondément affectueuses, se sont entretenues si l'on tient peu de compte d'une éclipse de deux années — pendant près de vingt ans. Elles ont donné lieu à des échanges de propos fort courtois et de compliments tout flatteurs qui rendaient plus d'une fois, à s'y méprendre, le son de l'amitié, mais qui couvraient, on le verra, une réelle indifférence.
Rentré une seconde fois, à la fin d'octobre 1823, dans ses terres de la Bourgogne, Lamartine s'y tint huit mois entiers et ne reparut à Paris que vers le milieu de mai 1829. Il y passa une partie du temps en démarches pour obtenir un poste diplomatique important et à sa convenance, ce qui veut dire en Italie, en Grèce ou en Orient. Il fréquenta, comme à son habitude, quelques salons du faubourg Saint Germain. Il vit aussi les romantiques. Il se lia d'amitié avec Sainte-Beuve. Il visita souvent Mme Sophie Gay pour retrouver surtout sa fille, la blonde, la belle, la spirituelle Delphine, qu'il avait connue à Florence en 1827, et qu'il avait reçue, entendue, applaudie, choyée dans cet adorable laisser-aller des mœurs italiennes. Après un premier mouvement d'éloignement tout instinctif, il s'était pris pour elle
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d'un enthousiasme non joué, d'une amitié ardente. Il est en relations avec bien d'autres. « J'ai vu, à la lettre, tout Paris, » 2 juillet, à son ami Virieu. I1. n'est pas interdit de le penser dans ce public, alors restreint, qu'Alphonse de Lamartine appelle avec un peu d'emphase « tout Paris », le poète Alfred de Vigny, à qui la Comédie-Française allait demander Othello, a tenu quelque place.
Cette année 1829 s'acheva bien cruellement pour Alphonse de Lamartine. Elu à l'Académie française le 5novembre, il reçut, peu après, de son ami Aymon de Virieu, dépêché par la jeune Mmc de Lamartine afin d'atténuer la rudesse du coup, une lettre qui lui faisait part d'un affreux accident arrivé à sa mère cette nouvelle précédait de deux jours seulement l'annonce de la mort. Ramené à SaintPoint par Edouard de Lagrange, Lamartine ne revint à Paris qu'au mois de mars 1831, pour prononcer son discours de réception le 1er avril. Il y demeura jusqu'au 12 ou 14 juin pour publier ses Harmonies.
Alfred de Vigny ne fut pas oublié dans la distribution que Lamartine, au moment du départ, fit, en faveur des amis de choix, des premiers exemplaires de son livre. La preuve en est dans un billet inédit, qui porte la date du jour et du mois, non celle de l'année, mais qui se place de lui-même en 1830, étant donné qu'il accompagne l'envoi d'un ouvrage en vers, et qu'il a été écrit le « 11 juin », c'està-dire le lendemain même du jour où le Journal de la Librairie annonçait la publication des deux tomes des La suscription « Monsieur le comte Alfred de Vigny, rue de Miromesnil, n° 30 », est en
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parfait accord avec le millésime proposé, puisque le destinataire habita, dans la maison marquée par cette adresse, depuis le mois de février 1828 jusqu'en septembre 1831, époque où il se transporta dans l'appartement de la rue des Ecuries-d'Artois, qu'il devait occuper jusqu'à la mort. Le ton familier du billet est celui de la camaraderie littéraire on sent*que Lamartine a daigné s'attarder, plus qu'il ne l'avait fait précédemment, aux réunions de l'Arsenal et à celles de la rue Notr e-Dame-des-Champs, pour n'en pas nommer d'autres.
« Mon cher Vigny, acceptez mes mauvais vers et ne les lisez pas. Je sens que je ferai mieux une autre fois. Je rougis de vous les offrir, mais c'est un hommage et non pas un présent. Mille amitiés.
« Adieu, je pars demain ou lundi.
« Lamartine. »
Le départ, ainsi annoncé, devait donc avoir lieu, si rien ne s'y opposait, le samedi 12 juin ou le lundi 14. Or nous trouvons dans une lettre du 27 juin, adressée de Saint-Point au comte de Virieu, une sorte de confirmation du départ de Paris à l'époque indiquée.
Ne nous étonnons pas, d'ailleurs, que Lamartine parle des Harrrtonies avec si peu de révérence. Il ne comptait guère sur le succès, au moins sur le succès immédiat. « J'ai publié le jour de mon départ les Harmonies religieuses », écrivait-il à Virieu, dans cette lettre du 27 juin « Je les ai livrées à leurs chances. Elles seront ce que j'avais prévu médiocres d'abord, et, j'espère, bonnes dans quelques années. » L'éditeur Gosselin était moins défiant d'avance, il
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garantissait « cinq éditions dans les deux mois ». Le succès dépassa toutes les prévisions.
Alfred de Vigny estima ce succès plus que justifié par la fraîcheur et par la pureté d'émotion des nouveaux poèmes lyriques. Voici son impression, notée pour lui seul mais d'autant plus précieuse pour nous après une lecture qu'il avait dû faire à haute voix pour quelque personne bien chère
« Je n'ai jamais lu deux Harmonies ou Méditations de Lamartine sans sentir des larmes dans mes yeux. Quand je lis tout haut, les larmes coulent sur mes joues. Heureux quand je vois d'autres yeux plus humides encore que les miens Larmes saintes larmes bienheureuses d'adoration, d'admiration et d'amour »
C'est le moment, je pense, où Alfred de Vigny se sent le plus attiré vers l'oeuvre de Lamartine, et aussi vers l'auteur. Il s'entretient de lui assez souvent avec M"'e de Montcalm, la sœur du duc de Richelieu, une des premières admiratrices, et non pas la moins passionnée, du recueil des Méditations il sait gré au secrétaire d'ambassade d'avoir donné sa démission à l'avènement de la dynastie orléaniste il se réjouit de penser que la révolution de Juillet a rendu à la solitude les véritables et grands poètes comme lui « Je suis sûr, lui écrit-il, que chaque jour il tombe de votre front des Méditations et des Harmonies, comme de beaux fruits d'or. Je les suavourerai avec délices comme les autres. » se propose, en attendant, de lui envoyer son Siello il espère l'intéresser avec ce livre au titre énigmatique. Au moment où Vigny s'exprimait ainsi, Lamartines'éloignait déjà, ou s'apprêtait à s'éloigner pour un assez long temps de ses amis anciens et nou-
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veaux. On sait qu'il s'embarqua, au mois de mai 1832, pour le voyage en Orient.
Il en revint seize mois après, au mois de septembre 1833, après avoir vu mourir à Beyrouth sa fille unique, Julia. Il avait gagné, pendant son absence, un siège de député dans le département du Nord. Les débuts de Lamartine à la Chambre ne purent pas ne pas intéresser Vigny. Son élection à peine validée, le député de Bergues monta résolument à la tribune il s'y fit admirer en improvisant brillamment sur les sujets les plus divers pour ne rappeler ici que les premières manifestations de sa faculté oratoire, du 4 janvier au 15 mai 1834 il prononça onze discours, dont quelques-uns firent sensation, sur l'Orient, sur la Vendée, sur les Frères des Ecoles chrétiennes, sur la Loi contre les associations, sur la Dette américaine, sur la Proposition relative aux légionnaires del'île d'Elbe sans traitement, sur les Evêchés; sur Alger, sur l'Instruction publique, sur les Crédits additionnels, sur la peine de mort. Or, au cours de cette année 1834, l'auteur du Journal d'un poète, faisant peut-être un retour sur-luimême, et prévoyant le jour encore assez lointain où il se présenterait, à son tour, aux suffrages des électeurs, exprime cette rétlexion
« Il est déplorable qu'un poète comme Lamartine, s'il s'avise d'être député, soit forcé de s'occuper des bureaux de tabac que demandent ses commettants. Il devrait y avoir des députés abstraits, députés de la. France, et d'autres, députés des Français. »
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Je serais tenté de rapporter à cette année 1834, l'annéede son retour définitif à Paris, un billet inédit, et non daté, d'Alphonse de Lamartine. Il est adressé à « Monsieur le Cte Alfred de Vigny, rue des Ecuries-d'Artois, n° 3, faubourg du Roule ». Il indique aussi l'adresse de l'expéditeur, rue de l'Université, n° 82 » c'est bien l'adresse du député, de 1834 à 1848. Cette indication ne se retrouvera dans aucun autre des billets écrits par Lamartine à Alfred de Vigny il y a donc ici une forte présomption pour que, dans la correspondance inédite, qu'ils échangèrent entre 1834 et 1845, cette lettre-ci soit la première
« Mon cher Vigny., j'ai été vous chercher à mon arrivée. J'y suis retourné, vous êtes venu en vain. Je souffre de ne pas vous voir, vous que j'aime et admire depuis si longtemps. Il n'y a qu'un moyen de nous voir, c'est de venir demain seuls à seuls (sic) à 5 h. 1/2. Le pouvez-vous ? 9 C'est la seule heure où l'on soit sûr de se rencontrer et de causer.
« Mille amitiés.
« Mercredi 26. D
Alfred de Vigny resta, semble-t-il, un lecteur assez froid et peut-être trop dédaigneux des harangues de Lamartine mais il ne se refusa pas la joie divine d'admirer et d'aimer très sincèrement le chef-d'œuvre de Jocelyn. Le Journal d'un poète a fixé pour jamais, dans leur finesseémue, ses délicates impressions
« Minuit, après la lecture de Jocelyn. J'ai lu, j'ai pleuré j'aime dans ce livre tout ce qui est hymne, prière ou méditation. Tout cela est beau et grand. L'adoration dans le temple, les rêveries de Jocelyn près de Laurence avant
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qu'il soit reconnu pour femme, l'admiration qu'il a pour cet angélique enfant, tout cela est adorable. Là surtout est le caractère délicieux et fécond du beau talent de Lamartine, inépuisable dans tout ce qui est sentiment, amour de belle nature et description d'une beauté. »
Les deux poètes s'estiment et s'admirent ils se rencontrent peu. En 1838, des amis communs leur ménagent une entrevue. Ces amis sont le marquis et la marquise de Lagrange. Edouard de Lagrange, ancien officier comme Alfred de Vigny, ancien diplomate comme Alphonse de Lamartine, et cher à tous les deux, avait été porté à la Chambre, aux élections de 1837. Il venait de prendre position dans la discussion du projet de loi sur les attributions des conseils généraux et des conseils d'arrondissement. Il avait posé le principe d'une publicité complète des procès-verbaux du conseil général, et réclamait la faculté d'insérer dans les procès-verbaux les noms des membres ayant pris part à la discussion. Lamartine appuya l'amendement proposé par Edouard de Lagrange. Il disait dans son discours
« La force véritablement agitatrice, souvent perturbatrice, la force agressive contre tous les gouvernements, c'est la presse, la presse qui remue toutes les questions sans garantie, sans responsabilité, qui peut quelquefois dénaturer les principes sans qu'on lui réponde voilà où est le danger permanent des gouvernements actuels. Eh bien, contre cette force dangereuse mais nécessaire, quelle puissance pouvez-vous élever qui la combatte utilement et qui lui résiste? Une seule, Messieurs, la tribune la tribune multipliée, la parole des élus des départements, enseignant au pays les affaires au lieu de lui enseigner des passions. »
Il est possible que ces restrictions au sujet de
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l'utilité de la presse aient paruregrettables au comte de Vigny, qui fut toujours, en matière d'écrits, partisan de la liberté la plus large. Quoi qu'il en soit, nous lisons dans le Journal d'un poète, à la date du 12 mars, c'est-à-dire cinq jours après la séance où Edouard de Lagrange et Alphonse de Lamartine avaient travaillé de concert
« Soirée chez Mme de Lagrange pour me faire rencontrer avec Lamartine. Vingt personnes environ. Les lampes voilées pour la vue d'Edouard.
« Lamartine vient à moi et nous causons deux heures datis un petif coin sombre, comme le Misanthrope.
« Il est incroyable comme un salon fait dire de sottises aux gens d'esprit par les distractions qu'il donne. J'ai fort étonné Lamartine en lui disant que je n'étais de son avis sur rien. »
L'entretien débute, en effet, par un dissentiment sur les lois de Septembre et la Censure il se poursuit par une opposition de vues sur la question de l'islamisme et du Coran il aboutit à des considérations sur la condition des écrivains et à ce paradoxë de l'auteur de Ghatterton invoquant l'aide de l'Etat « pour des poètes faibles et distraits » comme l'était La Fontaine.
En essayant de rendre, dans le Journal d'un poète, la physionomie de cette conversation plus critique, à ce qu'il semble,. que cordiale, Alfred, de Vigny s'attribue le beau rôle, et, sur tous les points abordés, il croit avoir eu le dernier mot. Ce qui perce à travers son résumé de la soirée chez les Lagrange, c'est qu'il n'en est pas revenu très satisfait.
Il semble bien que depuis cette soirée de 1838 jusqu'au printemps de 1840, les deux poètes aient peu
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cherché à se revoir. Dans une lettre du 26 mai 1840, Alfred de Vigny exprime à Sainte-Beuve son regret de penserquequelque commérage littéraire a changé ses dispositions et refroidi son cœur jadis affectueux. Il âjoute « C'était par de semblables choses que j'avais été trop longtemps séparé de Lamartine. » Il est clair qu'au moment où Vigny parle dela sorte, il a reconquis l'amitié du député-poète, et il a pris pour cela le bon moyen il l'a prié de venir en aide à un malheureux. Il écrit, dans son Journal, à la date du 12 mai (1840)
« Bonne action de Lamartine. Les secours que j'ai demandés pour Lassailly au gouvernement sont inutiles et trop peu considérables pour le soutenir dix jours. Lamartine l'apprend par moi il n'hésite pas, et, pendant la séance de la Chambre des Députés, fait une quête qui produit quatre cent cinquante-cinq francs. Je les porte à la sœur du pauvre malade. Ce que je lui avais donné déjà suffisait pour payer ses dettes, mais non pour vivre (1). » C'est dans cette année 1840, au commencement du mois de septembre, que Lamartine perdit son père. Alfred de Vigny avait gardé, dans ses papiers, une copie autographe de la lettre de condoléances qu'il écrivit à Lamartine, le 12 septembre 1840 la voici
« Nous nous sommes repris la main pour une bonne action, mon ami. Aujourd'hui, j'ai le besoin de serrer la vôtre pour vous dire que j'ai souffert avec vous en apprenant cette grande douleur qui vous frappe. Votre blessure a fait saigner la mienne, si récente encore, et comme je sais qu'il n'y a point de consolation, je ne tenterai pas de vous en donner. J'ai parcouru en vain, pour trouver, les (1) Journal d'un poète, p. 151. Bonne action de Lamartine.
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cercles d'idées philosophiques et religieuses, et quand je répétais à des amis affligés ou à moi-même ce qu'elles enseignent de plus doux, je me sentais tout semblable à un navigateur qui embrasse ses compagnons en leur disant: « Je vois le port devant moi », et qui cependant a le cœur serré du sombre aspect de l'horizon. Les espérances ne sont jamais assez ardentes pour sécher toutes les larmes de notre cœur.
« Le bruit du combat politique viendra à votre secours, mon ami, et ce sera bientôt. Vous avez déjà tiré un coup de canon dont j'ai vu la lumière un des premiers et dont le bruit est loin d'être éteint. Quand vous pourrez rentrer dans ce tumulte et vous séparer un moment de votre chagrin qui vous doit être encore trop cher (je sais cela par expérience), je vous dirai quelles sont celles de vos opinions que je partage, si vous attachez aux miennes le moindre prix (1).
« Adieu, je vous embrasse de tout cœur.
« A. DE V. ?
« Je conserve précieusement la notice biographique (2) que vous m'avez envoyée et qui retrace une noMe vie. La réponse de Lamartine (3) est restée inédite elle est d'un vif intérêt dans sa brièveté
« Merci, cher et excellent ami. Le génie n'endurcit donc pas le cœur. Vous en êtes cent fois la preuve. J'avais (1) La convention de Londres, signée le 15 juillet 1840, entre l'Angleterre, la Russie, la Prusse et l'Autriche, à l'exclusion de la France, avait été suivie de préparatifs de guerre et d'une ordonnance royale ouvrant un crédit extraordinaire pour les fortifications de Paris. Lamartine écrivit le 28 août et jours sui vants, dans le Journal de Saôree-et-I,oire, des articles sur la question d'Orient, la guerre et le ministère. Ces bruits de guerre avec l'Angleterre troublaient fort Alfred de Vigny. (2) Cette notice a été insérée dans la Correspondance de Lamargine, t. V, p. 461, éd. in-8o. Cf. Sakellaridès, p. 94. (3) La lettre n'est poiut datée, mais la suscription est accompagnée de deux cachets de la poste, celui du départ, du 15 septembre 1840, celui de l'arrivée, du 17 septembre.
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pensé dans mon deuil que vous le porteriez avec moi, car je le porterais avec vous. Que tout nous soit commun dans cette petite république d'esprits élevés et d'âmes sensibles, oasis au milieu des sécheresses de ce vilain siècle.
« Je suis bien aise que nous soyons sur quelques points d'accord en politique. Nous discuterons sur le reste et nous nous entendrons plus que vous ne croyez. La France s'en va. Si vous connaissiez comme moi le fond de tout ceci, vous en seriez frappé comme je le suis. Un seul jour restera pour le salut, mais virer de bord dans une tempête, c'est risquer encore. Cependant, sans cette manoeuvre énergique et rapidement exécutée, la côte est là.
« Adieu et amitié. C'est tout ce que me permet d'ajouter ma mauvaise névralgie. Jamais je ne la maudis autant que quand elle m'empêche de causer avec vous.
« LAMARTINE. b
Trois mois plus tard, le député de Mâcon est rentré à Paris, et Alfred de Vigny s'adresse encore à lui pour lui recommander avec instances les intérêts d'un autre de ses clients. Il s'agit, non plus de Lassailly, l'écrivain famélique et dément, mais de son médecin, Brière de Boismont, qui désire obtenir un poste de médecin-directeur de l'asile de Charenton. « Mon cher ami, répond Lamartine à une première lettre aujourd'hui perdue, un mot de vous est un ordre qui va au cœur toujours. Aussi je ferai pour votre protégé tout ce que le millionième de crédit d'un quatre cent cinquantième de souverain comporte.
« Je voudrais être roi pour vous couronner comme génie, mais je ne suis qu'un ami pour vous aimer et un pauvre député pour vous servir.
« Nous voulions aller ce matin vous voir. Les enfants des manufactures nous ont retenu à la Chambre.
« Au revoir donc.
« LAMARTINE. »
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A cette réponse, gardée soigneusement, Alfred de Vigny a joint le brouillon d'une seconde lettre qui, grâce à cette utile précaution, n'a pas été anéantie comme la première.
« Quelle grâce charmante vous mettez à tout, mon ami Après le malade, c'est le médecin que je vous donne. C'est un homme unique, car, outre ses titres publics et ses fonctions spéciales, il est spiritualiste, ce qui n'est pas le défaut des médecins. Malgré sa chirurgie, Brière de Boismont a toujours bien voulu nous croire une âme, et quand il en tient une, il la soigne avec un esprit. infini. Si on lui donne à gouverner le Purgatoire de Charenton, je gage qu'il y a des malheureux pour qui ce sera un Paradis par moments, ou quelque chose de moins infernal, hélas « J'es,père que votre quatre centième de royauté sera ici tout-puissant et je dis Que votre régne arrive avec celui des philosophes, que souhaitait Marc-Aurèle, un de mes saints (comme saint Socrate). Quand on crie au Poète contre vous, le Docteur noir fronce le sourcil et Stello soupire.
« Adieu, mon ami, vous êtes souverainement bon..
« ALFRED DE VIGNY. »
« Souvenez-vous surtout de cet acte de dévouement qu'il a fait de courir à Varsovie étudier le choléra pour nous, comme nos médecins de Barcelone c'est aussi beau et heureusement il y a survécu, assez difficilement, il est vrai. »
En 1841, dans le courant du mois de mars, Alfred de Vigny demande à Lamartine un rendez-vous, pour l'entretenir, à ce qu'il semble, de la question de la propriété littéraire, qui était à l'ordre du jour. Le gouvernement présentait un projet de loi, et Lamartine avait été nommé président de la commission chargée de l'examen de ce projet. Il préludait à la'discussion par une série d'articles adres-
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sés à Emile de Girardin et publiés dans la Presse, en réponse aux idées qu'avait exprimées à la même place le directeur du journal. Cette polémique courtoise occupait l'opinion, et avant que Lamartine vînt soutenir à la tribune son rapport sur cette question, Alfred de Vigny voulut glisser son mot dans l'oreille du leader des lettres. La réponse de Lamartine fut très empressée
« Mon cher et illustre ami,
« Buenos-Ayres (1), les fonds secrets, la commission de crédit de 1811, et la souffrance me prennent tant de moments que je ne puis vous offrir qu'aujourd'hui, de 6 heures précises à 8 heures, c'est-à-dire de causer en dînant tête à tête ensemble. Acceptez.
« Nous allons tout à l'heure nous réunir en commission pour cet objet (2). Je regrette plus que jamais le détachement glorieux qui vous retient si loin de nos misérables affaires. Venez-y. »
Alfred de Vigny répondit immédiatement qu'il se rendrait à cette invitation
« A six heures donc chez vous, en tête à tête. Nous ne pourrions jamais nous entendre dans ces conversations rompues des salons, où les idées sont amoindries, dégui. sées, altérées par mille accidents misérables et autant de petites considérations et de ménagements qui sont comme les liens de Gulliver. »
Décidément, Alfred de Vigny avait gardé un (1) La discussion sur la question de Buenos-Ayres vint la fin d'avril 1841. Lamartine prit la parole pour appuyer le rapport de la commission concluant à l'ordre du jour, le 24 avril. (2) « L'objet » de la réunion en commission est, sans doute, la question de la Propriété littéraire, sur laquelle Lamartine pro nonça un discours à la Chambre le 30 mars 1841.
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mauvais souvenir de la soirée du mois de mars 1838, chez la marquise de Lagrange.
Le flirt politique d'Alfred de Vigny auprès de Lamartine cesse à partir de 1841, ou, tout au moins, il n'en est plus resté de traces, et il ne serait pas si invraisemblable de penser que le dîner en tête à tête y a mis fin. Les deux poètes se seraient rejoints pendant cette soirée pour se séparer définitivement, et l'on pourrait les comparer aux électricités dites de même nom qui n'entrent en contact que pour se repousser.
Les papiers d'Alfr ed de Vigny ne contiennent plus qu'un seul billet de Lamartine. Il a trait aux élections académiques. Il n'est point daté, mais il trouve sa place entre l'année 1842, qui est celle des premières visites d'Alfred de Vigny, et l'année 1845, qui est celle de son élection, six fois manquée. Voici ce billet inédit, où Lamartine déclare, comme une chose toute naturelle, qu'il est de son devoir de préférer Aimé Martin, le panégyriste emphatique et le continuateur insignifiant de Bernardin de SaintPierre, à l'auteur des Poèmes antiques et modernes, de de la Maréchale d'Ancre, de Stello, de Quitte pour la de Chatterton, des Poèmes philosophiques.
« Mon cher ami,
« Aimé Martin réservé (et vous savez que c'est mon habitude) comptez sur moi pour tout ce qui pourra vous prouver affection et vous donner enirée ou gage. Le bonheur d'être dedans, c'est de tendre la main dehors à ceux qu'on a aimé (sic) avant que la Postérité les honore. « Adieu et tendres amitiés.
« LAMARTINE. »
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Alfred de Vigny ne se laissa pas prendre aux compliments il sentit très vivement la pointe du refus. Dans le chapitre satirique du d'an poète, où il raconte ses visites aux académiciens, il nomme Lamartine, et c'est pour mettre en doute sa bonne foi.
« Il m'arrive, dit-il plaisamment, dans le dénombrement des huit académiciens qui m'ont donné leurs voix de ne pouvoir en trouver jamais moins de quatorze. Chacun me dit qu'il a voté pour moi. Lamartine me l'assure et ajoute que cela ne pouvait être autrement. » Appelés à se rencontrer tous les jeudis, deux académiciens n'ont pas. beaucoup de raisons de s'écrire donc, à partir de 1845, Alfred de Vigny cesse de recevoir des lettres de Lamartine, comme il cesse d'en recevoir de Victor Hugo ce silence apparent ne saurait impliquer en aucune façon que les deux amitiés soient rompues.
Elles se brisèrent plus tard, probablement dans le même moment, probablement pour la même raison. L'adhésion avouée d'Alfred de Vigny au régime impérial ne pouvait pas ne pas lui fermer le cœur à jamais ulcéré de Victor Hugo elle devait aussi rendre rares et froids, pendant les premières années du règne de Napoléon III, les rapports avec Lamartine.
Cette froideur, du reste, avait peut-être commencé un peu plus tôt. Lorsque Lamartine, en 1848, était arrivé au pouvoir, il s'était empressé. comme ministre des affaires étrangères, de faire
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donner l'ambassade de Berlin à son ami le comte de Circourt, un écrivain politique du plus haut mérite. Le comte de Circourt n'était pas seulement l'ami de Lamartine il était celui d'Alfred de Vigny. Tout en applaudissant au choix que Lamartine avait fait, l'auteur de Siello, de Chatterton, de Servitude et grandeur militaires, qui se jugeait aussi digne qu'aucun autre d'occuper un rang élevé dans la diplomatie, dut s'étonner de ne pas avoir été traité comme M. de Circourt venait de l'être. Un renseignement fourni par Auguste Barbier nous autorise presque à penser qu'il en fut ainsi aussitôt Lamartine tombé, le comte de Vigny aurait donné mandat à Busoni pour réclamer en son nom auprès de Bastide, le nouveau ministre des affaires étrangères, l'ambassade de Londres, où il se croyait légitimement appelé par son mariage avec une Anglaise. L'officieux entremetteur n'obtint que cette réponse « Comment M. de Vigny peut-il faire une telle demande ? Il n'est même pas républicain. » Faute de mieux, le comte de Vigny se laissa persuader qu'il pouvait conquérir un siège à l'Assemblée législative il se présenta donc, avec moins d'insistance qu'il n'eût fallu pour réussir, aux suffrages des électeurs de la Charente, qui ne le nommèrent pas.
Après ces deux 'échecs, on aurait pu croire que la politique ne le tenterait plus mais, en 1851, sous le prétexte qu'il avait rencontré, douze ans auparavant, dans deux salons de Londres, le prince Louis Napoléon, réfugié alors en Angleterre et prétendant peu glorieux à l'héritage de son oncle, l'empereur, il fut de ceux qui vinrent rendre hommage
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au prince président faisant son tour de France. Etait-ce pure politesse de gentilhomme, et de la part d'un esprit foncièrement antirévolutionnaire, marque de sympathie pour l'homme qu.i se flattait de ramener en France l'ordre et la paix, ces deux biens qu'on croyait perdus ? Ou bien l'ancien légitimiste, un peu lassé de sa fidélité au parti des Bourbons, attendait-il de l'Empire quelque haute marque d'estime, qu'il ne demandait point, mais qu'il eût acceptée et que d'ailleurs, devant le nombre énorme de ceux qui réclamaient leur dû, on jugea inutile de lui offrir? Toujours est-il que Lamartine et Alfred de Vigny, après le coup d'État du 2 décembr e, sans se haïr probablement, et sans cesser de s'estimer peut-être, se regardèrent comme jetés par les événements dans deux camps ennemis.
Est-ce à cette période que se rattache une note manuscrite, retrouvée parmi les papiers inédits d'Alfred de Vigny, et voisinant avec ces fragments de mémoires dont il avait esquissé quelques linéaments vers les années 1849 et 1850, mais dont les pages les plus nombreuses furent seulement écrites en 1862 et 1863, d'une main lassée, hésitante, et sous l'effort stérilement douloureux d'une pensée orgueilleuse toujours, mais déjà défaillante ? Cette note nous donne une définition inattendue du caractère de Lamartine et de la perfidie qui se serait dissimulée derrière les élans de sa courtoisie empressée « Lamartine commence par vous envelopper d'un nuage d'encens et il vous décoche au travers une flèche mortelle. » Quelle était cette offense grave, ou seulement ce coup d'épingle, dont Alfred de Vigny gardait le souvenir cuisant, la
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blessure secrète, envenimée par la réflexion ? La question n'aura jamais, je crois, une réponse.
Mais voici qui n'est pas douteux. Après trente ans d'existence large, heureuse, éclatante, et fastueusement, et incurieusement prodigue, Lamartinè tomba dans ces embarras pécuniaires inextricables d'où le labeur le plus acharné n'arrivait point à le faire sortir. Il conçut l'espoir naïf d'obtenir, à titre de don ou de prêt, de ses lecteurs passés, présents ou futurs, l'argent indispensable pour parer au danger de la faillite menaçante. Il ne trouva pas dans Alfred de Vigny un témoin de cette détresse disposé à s'en émouvoir.
Le grand succès de librairie des Harmonies, de Jocelyn, de Raphaël, des Confidences, de l'Histoire des Girondins, avait pu être profitable aux éditeurs il n'avait pas délivré l'auteur du boulet de ses dettes. Après avoir improvisé de vastes et faibles ouvrages d'histoire, Lamartine venait d'atteler, comme disait Théophile Gautier, son cheval empenné à la lourde .charrue de la Critique pour tous, et, sans relâche, il creusait son sillon dans cette revue mensuelle à un seul rédacteur, intitulée le Cours familier de littérature. L'abonnement aux Entretiens était de vingt francs par année. Lamartine avait compté qu'il trouverait un abonné dans tout admirateur de ses poèmes. Le résultat resta fort au-dessous de ce calcul bien hasardé, et, dès l'année 1856, le confiant écrivain, un peu plus endetté par sa spéculation, adressait au public une première supplique.
Comme une foule d'autres Français, connus ou inconnus de Lamartine, Alfred de Vigny reçut lalettre que voici
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Monsieur,
abonnés ne sont pas pour moi un public, ils sont une famille d'amis.
« Je n'ignore pas que la bienveillance personnelle a eu plus de part que la curiosité littéraire à votre abonnement. Je ne m'en humilie pas, je m'en glorifie, j'aime mieux la cordialité que la gloire.
« Si le désir de concourir utilement à mon travail a été en effet pour beaucoup dans votre souscription de 1856, j'ose vous prier franchement et personnellement de la continuer pour 1857. Dans une publication à fonder, les frais de la première année dévorent le prix d'abonnement, vous le savez.
« Le réabonnement pour 1857 part du 1er janvier prochain, puisque j'ai livré les douze entretiens ou les deux volumes promis pour 1856. En vue de vous faciliter' le réabonnement, j'ai pris les mesures qui simplifient le mieux vos rapports avec moi. Vous les trouverez énoncées dans la note imprimée jointe au dernier entretien.
« Soyez assez bon, Monsieur, pour m'adresser le plus tôt possible votre réponse, afin de m'éviter les frais très onéreux d'impression et de poste inutiles.
« Et quelque (sic) soit cette réponse, croyez que votre nom inscrit sur mes listes restera à jamais aussi gravé par la reconnaissance dans mon coeur.
« LAMARTINE. »
Paris, le ler décembre 1856.
(43, rue de la Ville-l'Evêque.)
En tête de cette lettre, qu'accompagnent deux documents complémentaires, 1° un avis et instruction aux abonnés, 2° un bulletin imprimé de souscription au Cours familier de littérature, Alfred de Vigny a écrit cette ligne de commentaire « Triste et déchirant appel d'un poète désespéré » et, au-dessous de la signature de Lamartine, il a inscrit ce vers où le
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blâme perce déjà sous l'expression d'une réelle pitié
« Qu'il t'a fallu souffrir pour devenir ainsi
« ALFRED DE VIGNY.
« 12 décembre 1856.
Six ans plus tard, à la fin du mois de mars 1862, atteint aux sources mêmes de la vie et déjà cloué sur ce lit de douleurs d'où il se redressait malaisément pour réserver encore un bon accueil à deux ou trois amis fidèles, Alfred de Vigny recevait de Lamartine, au même titre que tous les autres souscripteurs des Entretiens littérafure, une demande de secours
Paris, le 24 mars 1862.
Monsieur,
« A la veille d'une expropriation et d'une vente forcée de mes biens, vente plus ruineuse pour mes créanciers que pour moi-même, j'ai cru au cœur de mes amis littéraires et je ne me suis pas trompé. L'empressement de mes abonnés à prévenir cette extrémité au moyen d'un prêt insignifiant pour chacun d'eux et libérateur pour moi a été aussi prompt que cordial. Je ne les remercierai jamais assez. Je ne suis pas de ceux à qui la reconnaissance pèse, au contraire mes biens déjà engagés au Crédit foncier me seront deux fois plus chers une. fois parce que je les avais reçus de mes pères une autre fois parce que je les aurai reçus en partie de vous.
« Il me manque encore cent vingt mille francs pour prévenir la vente judiciaire du gage de ces créanciers nécessiteux qui ne trouveraient que déception dans le prix de ces propriétés décimées par les frais de justice, etc., etc. « Consentez-vous à me les prêter immédiatement par un prêt de 100 francs par tête ou plutôt par coeur ? Je
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prendrai en retour de ce bulletin signé par vous l'engagement de vous les rembourser dans deux ans
« Soit en volumes désignés par vous et imprimés à part pour vous parmi les 40 volumes de mes œuvres complètes
« Soit en volumes de mes Entretiens littéraires, ouvrage réservé par moi, qui grandit de deux volumes par an, et qui en comptera 18 dans deux ans
« Soit enfin en argent si vous le préférez.
« Si cette combinaison est accueillie par vous qui m'avez donné déjà une preuve gratuite de votre intérêt, soyez assez bon pour signer et pour m'adresser le bulletin, et prouvez-moi ainsi que' je ne me suis pas'trompé en croyant à la vertu du travail et à la générosité du crédit volontaire pour sauver avec mes pauvres et braves créanciers mon honneur et mon devoir par l'amitié de mon pays. « ALPH. DE Lamartine. »
Alfred de Vigny inscrivit en tète de la lettre cette note d'un laconisme ironique et amer « Avril 1862. Lamartine quête. Demande cent francs par cœur après 40 francs par tête. » Ce fut là sa seule réponse.
Les lamentables doléances de Lamartine devaient descendre encore un peu plus bas. Au commencement d'avril 1863, le vieux poète se montra oublieux de lui-même jusqu'à jeter à tous les vents, comme un homme égaré d'esprit, cette lettre lithogr aphiée dans laquelle il sollicitait, avec des expressions de moins en moins explicables, une aumône de cent francs
« Monsieur,
« Vous m'avez offert récemment vos services à tout prix dans des termes tels que cette offre est restée gravée dans mon J'y ai recours bien plutôt (sic) que je ne le pensais.
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« Sur environ cinq millions de découverts je suis parvenu à en rembourser quatre en huit ans de travail.
« J'ai encore environ 600.000 francs à toucher et à payer avant neuf mois janvier 1864).
« Mais je suis engagé dans une entreprise à l'aide de laquelle je paye les frais d'impression du papier d'administration de poste et je désintéresse successivement mes créanciers.
« Ce sont mes œuvres complètes en 40 volumes 31 volumes sont prêts.
« II ne m'en reste que neuf à imprimer en neuf mois avant le ler janvier 1864.
« Cent vingt mille francs environ me manquent en ce moment pour cela par une circonstance extraordinaire. « J'ose vous proposer de me les avancer pour deux ans. « Je vous les rembourserai en argent ou en livres à votre choix, le ler janvier 1865.
« Sans cette aide je n'ai qu'à livrer mes terres, elles sont engagées au Crédit foncier. Je péris, moi et mon entreprise, au moment où je touchais au but.
« Laisserez-vous, pour 200.000 fr., languir une entreprise et périr un homme presque libéré que vous avez soutenu avec tant de dévouement jusqu'ici ? Non
« Voici le mandat à signer (1) et à me renvoyer, à moins que vous ne préfériez m'adresser 100 fr. par la poste en un billet de banque ou en mandat sur la poste de Paris.
« Vous recevrez en retour mon accusé de réception, mon engagement de rembourser et mon dévouement.
« On dira dans deux ans Lamartine a osé croire que l'amitié en France. suffirait pour payer cinq millions et pour sauver un homme, et la France ne l'a pas trompé. « AL. DE LAMARTINE, »
(43, rue de la Ville-l'Evêque.)
(1) Le mandat est ainsi libellé « Le 15 juin prochain, je payerai à M. de Lamarline ou à son ordre la somme de cent francs, que je lui prête pour le terme et aux conditions signalées dans sa lettre du 30 mars courant.
Adresse.
Signature.
A M. de Lamartine, 43, rue de la Ville-l'Evêque, à Paris.
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Alfred de Vigny saisit sa plume, au reçu de cette demande, et, de sa main décharnée, avec la hauteur de dédain d'un homme qui pendant la plus grande part de sa vie a supporté la médiocrité, presque la pauvreté, silencieusement et résolu à tout souffrir plutôt que d'appeler à l'aide un seul des siens, il traça, en manière de blâme ou de verdict in extremis, cette glose implacable
« Lettre lithographiée. Sorte de
Circulaire de Lamartine, en date du 3 avril.
pour un emprunt.
Quête nouvelle que fait
M. de Lamartine.
On emploie dans cette circu-
laire un langage rusé en prétendant
répondre à des offres de service
imaginaires et que tout le monde
qui reçoit ce papier n'a pu faire
et n'a point laites. Comme par
exempt moi-même qui ai gardé le
silence sur Lamartine
et ses événements pécuniaires. »
Pour s'expliquer cette rigueur de jugement, il convient de relire certaines confidences gravement émues du Journal d'un poète.:
« Une sorte de fierté me donne des forces et me fait relever la tête. Dans ces quatre années d'épreuves qui viennent de se passer, ma vie était entravée de difficultés sans nombre et tout se réunissait contre moi pour me faire résoudre à me séparer de ma mère. Il me fua souvent conseillé de l'envoyer dans une santé je refusai, je la logeai chez moi. Ce qu'il m'a fallu de combinaisons pour consoler les femmes qui la servaient et que sa maladie lui faisait maltraiter, pour empêcher que les dépenses qu'elle causait ne fussent senties et ne vinssent
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nuire au bien-être de la famille, était d'une telle difficulté, exigeait tant d'efforts de patience, que je me suis vu plusieurs fois sur le point d'y succomber. Quatre fois j'en ai été malade, et la fièvre m'a pris après trop d'efforts pour retenir les émotions douloureuses que cette vie me causait. « J'aurais mieux aimé me faire soldat que d'emprunter îe moindre argent à mes plus proches parents et presque tout ce que m'ont donné mes travaux, Chatierton, Servitude et grandeur, mes œuvres complètes, a servi à payer les dettes que des dépenses, toujours au-delà de mon revenu réuni au sien, m'avaient fait contracter.
« Le travail est beau et noble. Il donne une fierté et une confiance en soi que- ne peut donner la richesse héréditaire. Bénis soient donc les malheurs d'autrefois, qui ôtèrent à mon père et à mon grand-père leurs grands châteaux de la Beauce, puisqu'ils m'ont fait connaître cette joie du salaire d'ouvrier qu'on apporte à sa mère, en secret et sans qu'elle.le sache (1). »
Et voilà, sans doute, de quoi justifier l'attitude suprême d'Alfred de Vigny dans ses rapports avec Alphonse de Lamartime. Mais lorsqu'on a tout expliqué, on se rappelle, malgré soi, la magnifique expression de Milton, remerciant son hôte de Naples, le vieux marquis de Villa « Il n'y a qu'un ami des dieux qui puisse avoir le droit de secourir un grand poète (2). »
Dieu nous garde du jour des éloges 1 Cette sorte de dicton me revenait à l'esprit, en relisant les deux (1) Journal d'un poète, p. 124 et 125.
(2) Neque enim, nisi carus ab ortu
Dis superis, poterit magno favisse poetce.
Vers tirés d'une épître latine de Milton à Manso, marquis de Villa, reproduite en entier par Charles Symmons, Life of Milton London, 1806.
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Entretiens qu'au lendemain de la mort d'Alfred de Vigny, l'auteur du Cours de littérature crut devoir consacrer soit au souvenir de sa vie, soit à l'étude de ses œuvres.
Les œuvres sont jugées avec rigueur (1). Dans les Poèmes antiques et modernes, Lamartime admire beaucoup Moïse, mais il est sévère pour tout le reste, même pour Eloa. Il est très dur pour la thèse soutenue dans Cinq-Mars, encore que son réquisitoire contre le travestissement qu'Alfred de Vigny avait fait de l'histoire aboutisse à cette conclusion élogieuse fort inattendue « Les chefs-d'œuvre portent leur pardon avec eux. Cinq-Mars est un chefd'œuvre. » Il reste extrêmement dédaigneux pour Stello, et lorsqu'il analyse Chatferton, il est aussi impitoyable pour les doctrines exprimées dans ce drame émouvant qu'a pu l'être Molé lui-même il ne loue le « grand dramatiste » qu'après avoir réduit à néant le penseur. Il aquiesce à peu près pleinement à Servitude et grandeur militaires, ou plutôt il prend texte de cet ouvrage pour expliquer et justifier son rôle de dictateur « Je préférai consciencieusement laisser courir à la France les hasards césariens, qui, de trois choses, en sauvaient deux, le sol et l'armée, et qui ne laissaient qu'une troisième chose en souffrance, la.liberté. » Quant aux Poèmes philosophiques, dont Ratisbonne n'avait pas encore produit la réédition posthume, il n'en souffle pas (1) L'épithète modesfe, appliquée par Lamartine, deux fois dans cette étude, au poète et à sa poésie, ne convient, en aucun sens, ni à l'un ni à l'autre. Lamartine semble bien, les deux fois, donner au mot modeste l'acception défavorablement indulgente de moyen, de modéré, de médiocre. On ne saurait définir plus à faux l'auteur des Destinées.
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mot. Il est probable qu'il n'avait pas aperçu la plupart de ces poèmes, à l'époque déjà lointaine où la Revue des Decix Mondes les publiait un à un, ou, s'il les avait lus, il les avait sans doute peu goûtés et il n'en gardait pas le souvenir.
Après avoir mis l'écrivain beaucoup plus bas qu'il n'eut fallu, il rendait le plus large hommage aux rares qualités de l'homme. Il rappelait quel fils admirable Alfred de Vigny s'était montré pendant quatre ans au chevet du lit de sa mère, et quel mari généreusement tendre il était demeuré « jusqu'à la veille de sa propre mort ». Il fut pour sa femme,-disait l'écrivain survivant, ce qu'il avait été pour sa mère.
« II l'aimait comme un enfant infirme. Il n'avait qu'une crainte, en se sentant atteint lui-même dans son principe de vie c'était de mourir avant elle et de la léguer à des mains étrangères. C'était comme une lutte de cœur à qui mourrait le dernier. Quand elle fut morte, il y a quelques mois, il se sentit soulagé de son principal souci. Il attendit patiemment sa propre fin, qui ne pouvait tarder beaucoup
Lamartine juge, dans Vigny, l'homme politique avec une grande modération. Il déclare que la divergence d'opinions, à la suite du coup d'État, ne les rendit pas étrangers l'un à l'autre « cela ne l'empêcha pas de me voir, et cela ne m'empêcha pas de l'aimer ». Et toutefois, si les mots ont leur sens, que signifie donc, à la fin du second Entretien, cette phrase glissée dans la péroraison tout oratoire « Je vous tends la main d'ici-bas, tendez-moi la vôtre de là-haut » ? N'est-ce pas que la tombe, où s'abîment toutes les rancunes, avait encore à les réconcilier ?
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CHAPITRE X
DEUX FAUSSES AMITIÉS SAINTE-BEUVE ET GUSTAVE PLANCHE.
Les rapports d'amitié d'Alfred de Vigny et de Sainte-Beuve ont été déjà étudiés avec beaucoup de soin, et je pourrais me contenter, sur ce sujet, de renvoyer aux deux articles publiés par M. Gillet, dans la Revue de Paris du 15 août et du 1er septembre 1906. Pour écrire son étude, M. Gillet a utilisé 1° les lettres de Vigny à Sainte-Beuve, que le critique des Lundis avait produites, après la mort du poète, et qui se trouvent rassemblées dans les Portraits contemporains, au 2e volume de la deuxième édition (1870): 2° les lettres inédites de Sainte-Beuve à Alfred de Vigny, lettres tirées de la collection où j'ai puisé moi-même, constamment, pour écrire tout cet ouvrage. Le travail, très ample, de M. Gillet n'est pas à refaire tout au plus peut-on avoir l'ambition d'en resserrer la trame par endroits, et de rectifier ou compléter, à l'occasion, quelques détails.
Je laisserai de côté, comme on peut s'y attendre, les points que j'ai déjà touchés en étudiant l'amitié de Victor Hugo et d'Alfred de Vigny il serait abusif, par exemple, d'examiner ici, pour la seconde fois, le rôle compliqué joué par Sainte-Beuve, entre les deux amis,à la veille du Roi s'amuse. Mais je ne crois
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pas inutile de revenir au point de départ des relations de Sainte-Beuve avec le groupe des amis de Victor Hugo,c'est-à-dire à l'article anonyme du journal le Globe, au sujet de Cinq-Mars.
Ce n'est pas assez que d'avoir opposé, comme on l'a fait assez souvent, aux critiques rigoureuses que contenait cet article, le compte rendu si favorable de la Quofidienne, écrit par Victor Hugo. Il y a. lieu de rappeler aussi lesjugements, inconnus jusqu'ici, de Villemain, de Lamartine 'et de deux ou trois autres.
On a lu ce que pensait Charles Nodier du roman d'Alfred de Vigny. On a vu sur quel ton Brifaut l'académicien félicitait le romancier. Sans reproduire, en son entier, une lettre d'Aimé Martin qui n'est qu'un ample jugement porté sur tout l'ouvrage, ce ne sera pas s'attarder inutilement que d'en détacher quelques mots « Je lis en ce moment La Toilette, vous y avez peint Gaston avec la plume de l'histoire. J'aime de Thou, sa solitude, ses livres, son âme, c'est le véritable héros. Vous avez fait un ouvrage excellent parce qu'il est moral. Et quel admirable talent Votre mise en scène rappelle la manière de Shakespeare on entend vos personnages ils agissent dans leurs passions et parlent dans leur caractère, etc. » On n'a pas oublié les formules d'approbation de H. de la Touche, plus précieuses peutêtre que toute cette louange. Faut-il relire, et citer de nouveau, le post-scriptum d'Emile peschamps « Si vous saviez dans quel enthousiasme est Lamartine de votre Cinq-Mars 1 » ou ces passages de la lettre d'Antoni Deschamps, datée de Rome « Je vous ai dit, mon cher Alfred, dans ma lettre de Flo-
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rence, combien Lamartine était content de CinqMars. J'espère que vous préparez quelque nouveau roman. Lamartine et tous les amis de la peinture fidèle des mœurs l'attendent avec impatience. »
Mais ces témoignages sont ceux d'amis, anciens ou récents, et, à ce titre, ils sont moins expressifs que l'opinion d'un vrai critique. Je rapporterai donc, sans en rien retrancher, une lettre de Villemain « Monsieur,
« Il faut bien que je vous remercie de ce bel exemplaire, après vous avoir tant remercié du livre (1). Je viens de recommencer, et j'ai presque achevé cette lecture, l'une des plus agréables et des plus neuves que l'on puisse espérer. J'ai repassé, avec mon lecteur, sur tous ces détails si pleins de charme, ces dialogues naturels et pourtant si spirituels. Tout m'était connu, et me plaisait comme une nouveauté. L'illusion du talent est si vive qu'on voit renaître sous ses yeux tout ce que vous décrivez. Les contemporains n'ont vu cela qu'une fois et maintenant on y assiste autant de fois qu'on vous lit. Cela console de l'ennuyeuse histoire que vient de faire Walter Scot (sic). Vous avez hérité de lui, de son vivant. Il écrit encore, mais vous êtes peintre à sa place. Avez-vous beaucoup corrigé, comme dit le titre du volume? Ma foi, cela ne me touche pas. Le mouvement est si vrai, l'imagination si émue que l'on n'a pas envie de pointiller.
« Agréez, Monsieur, mon bien sincère attachement et ma haute estime.
»
(1) Villemain remerciait l'auteur, pour la seconde fois, et d'après la date de la lettre, il le remerciait de l'envoi des quatre élégants volumes in-32 de la 3e édition, publiée chez Le ormant père, le 7 juillet 1827. Cette lettre inédite porte, en effet, le timbre postal du 25 juillet 1827. Elle a été adressée à M. le comte de Vigny, rue de la Ville-l'Evêque, no 41, à Paris est allée le rejoindre à Dieppe, où il passait une saison d'été.
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Entre le jugement de Sainte-Beuve, journaliste débutant (1), et celui de Villemain, écrivain illustre, si l'auteur de eut la faiblesse de préférer le dernier, qui caressait si agréablement toutes les délicatesses de son orgueil, il serait un peu enfantin de lui en faire un crime. Et l'on ne sera pas surpris qu'avant de ménager une rencontre entre le romancier et l'auteur de l'article hostile, Victor Hugo ait un peu attendu et pris certaines précautions.
Contrairement à ce que croit M. Gillet, le poète ne mit pas en présence Alfred de Vigny et SainteBeuve dès la première lecture de Ce jourlà, le 12 février 1827, il invita Sainte-Beuve, mais non pas Vigny, à venir juger des trois premiers actes. L'invitation adressée au comte de Vigny porte une autre date. La lettre est du jeudi 6 mars. Hugo le prie de se rendre chez M. Foucher, rue du Cherche-Midi, n° 39, le lundi suivant, avant huit heures du soir. « Vous y trouverez écrit-il des amis bien heureux de vous embrasser,et mon Cromweil bien désireux d'être tête à tête avec votre Richelieu. » II ne pouvait pas être question pour Alfred de Vigny d'être embrassé déjà par Sainte-Beuve. C'est un an plus tard, le 14 mars 1828 (2), que les relations entre Sainte-Beuve et Alfred de Vigny devinrent amicales. Il est probable que Sainte-Beuve, directement ou indirectement, avait fait connaître au comte de Vigny son intention d'insérer dans les (1) L'article était anonyme, mais ce secret du nom de l'auteur fut levé dans la première visite de Sainte-Beuve aux Hugo. (2) « Je n'eus l'honneur de connaître M. de Vigny qu'on 1828 », dit Sainte-Beuve dans l'article de 1864 (tome VIe des Nouveaux Lundis), et, sur ce point, il est exact.
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notes de Joseph Delorme des appréciations critiques fort différentes de l'article du Globe, et que, pour se mettre en état de parler du poète pertinemment, il lui avait demandé ou fait demander ses ouvrages. Alfred de Vigny répond sans aucun retard. Il fait porter chez Sainte-Beuve les Poèmes « tels qu'ils sont venus au monde, avec toutes leurs souillures baptismales » il s'excuse de ne pouvoir y joindre le mystère d'Eloa l'ouvrage est a épuisé ? il « n'existe plus », même chez lui.
Cet envoi de livres estaccompagné d'une première invitation, formulée ainsi
« Seriez-vous assez bon pour dire à mon cher Victor, votre voisin, je crois, qu'il invite M. de Sainte-Beuve à l'accompagner, lorsqu'il pourra passer un quart d'heure chez nioi à parler de tout et de rien comme nous faisons ? J'irai vous en prier chez vous encore comme je fais ici, en vous assurant de ma haute estime.
« ALFRED DE VIGNY. »
Cette offre enchanta le critique, et la lettre ultralouangeuse qu'il renvoya, tout aussitôt, du Mans, témoigne de son désir d'effacer jusqu'au souvenir de sa première attitude (1).
Deux mois après, l'auteur, encore inédit,deJoseph Delorme transcrivait sur l'album de la comtesse de Vigny une des pièces les plus habilement rimées de son prochain recueil de vers, l'élégie de tournure (1) « Je m'étais fait pardonner, par l'admiration bien sincère que j'avais pour sa poésie, mon jugement antérieur sur CinqMars. » Cet aveu, fourni par l'article des Nouveaux Lundis déjà cité, est tout à fait confirmé par la correspondance.
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antique, ou, si l'on veut, la sylve (1) gracieuse, qui a pour ütre Au loisir. L'autographe de Sainte-Beuve porte cette indication « Juin A cette date donc, l'amitié était cimentée.
Un mois plus tard, le 18 juillet, parut en librairie, dans sa première rédaction, bien réduite, bien imparfaite, mais beaucoup plus romantique et belliqueuse que les remaniements ultérieurs, le manifeste littéraire intitulé de la poésie française au X Vle siècle. C'est au château de Bellefontaine,près Senlis, chez M. de Malézieu, qu'Alfred de Vigny reçut le livre. Il remercia l'auteur expressions enthousiastes « Oui,vraiment, je ne peux quittervotre ouvrage que pour en parler et aller dire à tout le monde Avez-vous lu Baruch ? et ensuite je m'enferme avec vous ou. bien je vous emporte dans une allée où je marche tout seul,et je frappe sur le livre, et je jette des cris de plaisir à me faire passer pour fou. »
Sainte-Beuve n'allait pas tarder à rendre éloge pouréloge, et une lettre de lui, du 14 août 1828, nous montre bien qu'à ce moment précis il est, avec Victor Hugo et Emile Deschamps, au même titre qu'eux, le confident des essais du poète. Comme il se met en route pour l'Angleterre, il assure son nouvel ami qu'il y emportera son souvenir et qu'il retrouvera partout celui de ses ouvrages
« Votre talent, comme votre existence, s'est intimement mêlé à quelque chose de ce beau pays. Juliette et Othello, Roméo et Desdémone, sont à jamais liés à votre nom (1) II y a, dans la pièce, commeun reflet de la jolie invocation « Au sommeil » du poète Stace.
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vous êtes shakespearien de ce côté comme vous êtes Espagnol par Dolorida, comme vous êtes Grec par la Dryade et Symétha, comme vous êtes biblique par Moïse, comme vous êtes vous-même, vous seul, poète et romancier français du xixe siècle, par Cinq-Mars et Fltoa (1). Plus d'une fois dans mon voyage, si je ne vous posais pas toujours en moi, je serais ramené à vous, par tant d'accidents heureux d'art et de nature, par le théâtre et les scènes que vous avez conquises en si beaux vers, par la vue de tant de paysages frais et charmans qui semblent prêter leur ombrage au bain de Suzanne ou à quelque autre fiction choisie, par ces fines et ravissantes compositions (peintures ou gravures) où se glisse toujours quelque figure longue, élancée, tout en pleurs, céleste comme Smithson ou Elloa (2). »
Cette louange est à la fois complaisante et habile rien ne dit qu'à ce moment-là elle ne soit pas presque sincère. Elle reste pourtant un peu intéressée. Ce n'est pas seulement parce que Sainte-Beuve doit savoir gré à M. de Vigny d'exalter le Tableau de la Littérature au X VIe mais c'est qu'il va mettre au jour, timidement, sous un faux nom, ses poésies il veut gagner d'avance un tel lecteur à cette œuvre qui lui tient au coeur,etdont l'apparition doit mettre à vif chez lui toutes les fibres de l'amour-propre. Cette disposition d'esprit se montre encore mieux dans une lettre du 18 mars 1829. Cette lettre est écrite presque aussitôt après la réception d'un exemplaire du réédité par Gosselin, deux semaines plus tôt, avec une préface dont SainteBeuve avait eu connaissance en même temps que (1) L'orthographe « Ellon » montre que Sainte-Beuve loue le. poème sans l'avoir lu ou a vu que l'auteur s'était excusé de ne pouvoir lui envoyer cet ouvrage.
(2) Lettre éditée par M. Gillet, toc. cit.
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Hugo, avant l'impression. Les éloges qu'il prodigue à cette préface, aux « annotations de poète », au roman lui-même, dont il dit « Je vais relire maintenant Cinq-Mars et vous devoir une journée de bonheur », sont la rançon de la faveur et des louanges qu'il souhaite, qu'il quémande pour ses propres vers: « J'espère vous porter bientôt à mon tour mon. humble mais sincère offrande, mon pieux grain de sel, mon Joseph Delorme enfin, puisqu'il faut le nommer par son nom. Vous serez bien indulgent pour lui, n'est-ce pas? il aimait tant votre personne il admirait si profondément vos oeuvres »
En attendant que le volume mystérieux paraisse au jour, l'auteur a pris la précaution d'adresser à Vigny la pièce le Cénacle, où il lui fait amende honorable pour les attaques d'autrefois et où il exalte, ainsi que l'on sait, son génie poétique. Comparé par Joseph Delorme à un « cygne chaste et divin » et sollicité de reprendre son vol, de planer « à la voûte éternelle » sans qu'on l'ait vu se détacher de la terre et « monter », Alfred de Vigny répond par l'expression de son « ravissement » et il invite son héraut à venir entendre quelques scènes d'une de ses traductions de Shakespare, peut-être le Marchand de Venise, plus probablement des fragments d'Othello (1). Joseph Delor'me sort enfin de ses ténèbres sépulcrales. Victor Hugo et Alfred de Vigny semblent vouloir rivaliser d'admiration c'est à qui des deux (1) Sainte-Beuve doit se tromper, en nommant ici Roméo et Juliette. C'est le 31 mars 1828 qu'il avait pu être invité, comme Aimé Martin, à venir entendre cette pièce, reçue aux Français le 15 avril de la même année en mars et avril 1829. il ne peut être question que de Shylock ou d'Othello M. Gillet l'a déjà fort bien remarqué.
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ira le plus loin dans l'expression de l'enthousiasme. Hugo déclare que l'auteur de ce volume de vers est un poète égal à Lamartine. Vigny s'extasie sur deux pièces, l'une ennuyeuse et faible, le Suicide, l'autre, les Rayons jaunes, bizarre de forme au point d'avoisiner parfois le ridicule.Trente-cinq ans plus tard, en imprimant cette lettre élogieuse, Sainte-Beuve, si désireux qu'il soit, à ce moment, de déprécier Vigny, ne se refusera pas cette satisfaction d'opposer aux sarcasmes fameux d'un H. de Latouche, et de bien d'autres, l'approbation du poète dénommé « le noble, le pur », par ses admirateurs.
A son tour, Alfred de Vigny fait paraître, au mois de mai 1829, une nouvelle édition des Poèmes, et Sainte-Beuve, s'il ne rend pas compte lui-même de ce livre, s'emploie à le faire prôner par d'autres il insiste pour cela auprès de ses amis il détermine Charles Magnin à écrire l'article du Globe. Cet article, très intelligent, très finement louangeur, parut le 21 octobre, trois jours avant la « soirée » d'Othello.
Trois mois avant cette soirée, on avait lu, devant des auditeurs choisis, chez VictorHugo, le 10 juillet Un duel sous Richelieu, et chez Alfred de Vigny, le 17 juillet le More de Venïse. Sainte-Beuve assistait à ces deux lectures.
Absent de Paris, lorsqu'on joue Othello, il ne cesse pas pour cela de s'intéresser au sort de la pièce et de s'en enquérir. Il s'indigne, jusqu'à la fureur, des menées hostiles de H., de Latouche et de Jules Janin. Mais, après avoir lu l'article du JOli 1'nal des Débats, après avoir reçu une lettre de Victor Hugo, surtout après l'avoir revu à Reims et l'avoir
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entendu conter cette « chose vue », la première représentation du More de Venise, il écrit à Vigny, et, sous les formules admiratives, il laisse percer le sentiment qu'il vient de recueillir la tentative d'adaptation shakespearienne vient d'aboutir à un demi-succès.
Ce sentiment s'exprime encore,avec une insistance déplaisante, dans la Consolation en vers, écrite peu de jours après cette lettre
« Ils se sont à l'envi remis à vous haïr, »
dit le critique au poète, et, sous prétexte de plaindre son inforttine, il réussit à provoquer cette suprême irritation, que doit causer à l'amour-propre d'un auteur endolori de son échec une pareille pitié: « Je n'ai plus de calme, hélas 1 » répond Alfred de Vigny à l'auteur indiscret de ces vers dits consolateurs, « je n'ai plus ma chère solitude je crois que je ne suis plus poète je crois que mon âme va se retirer de moi et remonter. Tant mieux, puisque toutes les communications avec l'humanité sont troublées, puisque la parole ne peut passer que par des égouts, quand il lui faudrait un porte-voix de cristal! » Mais si le poète a frémi de douleur, au moment où l'ami, si singulièrement officieux, mettait le doigt sur le point trop sensible, il n'en reste pas moins reconnaissant de l'intention et il redouble, lui, de réelle tendresse. Il se récrie d'admiration sur l'article de la Revue de Paris, intitulé Racine. Il offre au critique la dédicace d'une de ses Elévations. A la lecture de la préface des Consolations, il se désole de penser que l'auteur doute de srs amis, qu'il a soumis leurs sentiments à une sorte d'analyse
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dissolvante, et qu'en se plaignant d'eux il s'est révélé bien ingrat.
« Je veux lui écrit-il avec une éloquente émotion que vous ayez des remords comme j'en ai lorsque me prend cette mauvaise pensée. Oui, lorsque j'ai eu le malheur de faire cette analyse funeste, je m'en confesse à moi-même comme d'un péché, d'un crime véritable, et je ne m'absous pas, et il faut que je retrouve un de mes amis avant la fin du jour pour réparer ma faute en lui faisant quelque amitié. Quel est leur crime? D'être des hommes Et que suis-je donc? Je suis distrait, mais j'aime.; la pensée est mobile et le cœur ne l'est .pa-s. »
En relisant, longtemps après, ces gronderies si justes et si belles, Sainte-Beuve a la franchise d'avouer que, ce jour-là du moins, le comte de Vigny pensait plus noblement que lui.
Au mois d'avril 1830, pendant qu'on joue Hernaui aux Français et la Trilogie sur la vie- de Christine à l'Odéon, Vigny va,d'un théâtreà l'autre,à larecherche de Sainte-Beuve, pour lui remettre un « feuilleton » qu'il a peut-être écrit ou fait écrire sur l'auteur des « Prenez et lisez », lui dit-il. « Ne m'oubliez pas tout à fait et croyez à ma profonde amitié. » Un an plus tard, lorsqu'onjouera la Maréchale d'Ancre, Sainte-Beuve nous le savons par une lettre de Hugo — sera de ceux qui viendront soutenir l'ouvrage à la première. Il retournera entendre la pièce remaniée, et, au sortir, de cette seconde audition, il écrira au comte de Vigny pour lui faire part de ses impressions.
Cette lettre de Sainte-Beuve a été éditée (1) mais (1) iievue de Paris, numéro du 15 août 1906 Sainte-Beuve (Lettres à Alfred de Vigny), par Louis Gillet.
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elle est d'un tel intérêt que je croirais faire tort au lecteur, si je me dispensais de la mettre,ici, sous ses yeux
« Le mauvais contre-temps de l'autre suir est bien réparé, et la pièce a paru aujourd'hui dans toute sa fraîcheur et sa virginité. Les deux premiers actes m'ont paru, comme l'autre fois, charmans d'exposition, de développement, de causerie, larges et reposés, comme la base sur laquelle doit jouer et tournoyer le reste. Je voudrais cependant que vous puissiez décider vos acteurs à aller plus vite, à ne pas intercaler un geste entre chaque mot, à causer enfin selon l'esprit tt le ton courant de leur rôle. Sinon peutêtre quelques coupures au second acte seraient-elles nécessaires pour arriver moins lentement à l'action. Les troisième et quatrième actes me semblent admirables d'un boutàl'autre, d'un dramatique puissant, continu, contrasté, toujours croissant, la scène de la Maréchale et de Borgia, la venue des enfants, le maréchal et la jeune Italienne, puis les deux femmes aux prises, tout cela est d'un vrai, d'un déchirant, d'un sublime de passion qui amène les larmes, et comme toutes les scènes se composent, sesuivent, s'opposent avec un redoublement d'effet de l'une par l'autre Vous n'avez jamais rien fait de plus beau que cela. Le cinquième acte commence d'une façon charmante, pittoresque et tout animée la fin, à partir du duel (et y compris le duel), est sublime, et tendre, et déchirante, digne des deux actes qui précèdent. Reste donc le monologue que je trouve trop long, d'une philosophie trop élevée dans un tel homme et dans un tel moment, surtout ceci paraît tel aux spectateurs dont l'intérêt est pour la maréchale, pour les enfants, pour Borgia, pour la petite Italienne, pour tous enfin, excepté pour le maréchal auquel les gentilshommes s'en allant ont appliqué tant d'épithètes si justes. Il tient donc trop longtemps la scène seul, et ceci jette de l'incertitude dans le public et interrompt l'émotion qui ne se trouve plus ensuite à la hauteur de la dernière et si grande scène. Voilà mon avis bien sincère, mon ami mais je ne vous dis pas assez tous mes éloges
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du pathétique, du cœur, du vrai drame que je trouve dans votre ouvrage j'en ai été profondément ému.
« Tout à vous,
« SAINTE-BEUVE. »
Sauf un ou deux termes de complaisance qu'il serait bien aisé d'atténuer, c'est là,d'un bout àl'autre, une analyse magistrale. Elle peut faire regretter que « le sceptre de la critique », selon l'expression solennelle de ce temps-là (1), au lieu de tomber entre les mains d'un improvisateur superficiel comme Jules Janin, ne soit pas échu à ce lettré judicieux, subtil, solide, délicat qui a nom Sainte-Beuve.
Le remerciement d'Alfred de Vigny fut ce qu'il devait être l'auteur dramatique promit de n'oublier jamais une lettre pareille. Mais il ajoutait avec cette modestie dédaigneuse qui cache bien souvent les déchirures de l'orgueil « Vous n'avez pas jugé. aussi .sévèrement que moi cet essai, que je vous envoie .sous sa seconde forme (2). Prenez-le seulement pour ce qu'il vaut, et comme une marque de mon inviolable L'amitié restait tout entière.
Une première fêlure se produisit le lecteur en -a été informé pendant qu'on répétait le Roi s'amuse. J'ai donné de longues explications sur l'attitude de Sainte-Beuve, faisant alors tous ses .efforts pour exciter Hugo contre Vigny je ne les reprendrai pas.
(1) C'est un des clichés de Gustave Planche, et de bien d'autres.
(2) La Maréchale d'Ancre avait été jouée le 25 juin 1831. La brochure fut mise en vente samedi 23 juillet. La lettre où Alfred de Vigny annonce l'envoi est du 31 juillet.
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Vigny ne fut jamais instruit de ce manège secret. Les relations, qu'on aurait pu croire, d'après les paroles mêmes de Sainte-Beuve, à tout jamais rompues, reprirent donc très naturellement. Ce fut à l'occasion d'un autre ouvrage dramatique, le proverbe Quitte pour la peur, écrit par Alfred de Vigny pour Mme Dorval, et joué par elle avec autant de grâce que d'esprit, le 30 mai 1833, au théâtre de l'Opéra, dans une représentation à bénéfice. Sainte-Beuve, convié par Alfred de Vigny, assista à cette soirée. Il se déclara enchanté de la pièce et de l'interprète.
Un an plus tard, rupture complète de SainteBeuve et de Hugo recrudescenrce d'amitié entre Vigny et Sainte-Beuve. Le critique reprend l'éloge d'Eloa, à l'occasion des illustrations que le peintre Ziégler avait faites pour ce poème.
En février 1835, paraît la pièce de Chafterton. Sainte-Beuve n'assiste qu'à la troisième représentation mais il écrit, le 20 février, au comte de Vigny pour l'assurer qu'il a ressenti, lui aussi comme les auditeurs de la première, une poignante émotion « J'étais seul dans'un coin de l'orchestre, sans voisins, et tout entier au développement de ce caractère et de cette douleur. Bien des fois durant cette soirée, Mme Dorval et vous, vous avez obscurci mes yeux de larmes. » Le reste de la lettre est encore une consolation, mais plus discrète et moins offensante qu'au lendemain d'Othello. Cette fois l'occasion des condoléances était un article publié sur Chatterton dans la Revue des Deux Motides. Avant le succès d'enthousiasme de la première, Gustave Planche, à qui l'auteur avait lu sa
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pièce, publia, dans le numéro de la Revue du 15 février, une étude développée, qui niait la valeur de l'oeuvre, et concluait à l'incapacité dramatique de l'écrïvain. Alfred de.Vigny fut outré de ce qu'il prenait pour une perfidie. Il s'agissait, pour le directeur, de rentrer en grâce auprès de lui. SainteBeuve écrivit donc pour faire agréer déjà des excuses et des regrets dont il allait publiquement traduire l'expression dans deux notes de la Revue.
Il fitmieux encore. Il se mit, peu de temps après, à écrire avec soin, et il publia, le 15 octobre, dans la Revue des Deux Mondes, toute une longue étude sur Alfred de Vigny. Il y définissait minutieusement l'homme il y louait volontiers le poète il y traitait l'auteur dramatique avec plus de dédain il y égratignait le romancier, dont la Revue avait pourtant produit au jour -non sans orgueil (1) Stello et Servitude et Grandeur militaires. Cette étude, insérée plus tard dans les Portraits contemporains, est trop connue de tous pour qu'il me soit permis d'y insister.
Mais il n'est pas hors de propos de s'arrêter sur la lettre de remerciement qu'Alfred de Vigny écrivit à l'auteur de l'article. Il y parlait d'abord de « l'attendrissement » que lui avaient donné « les souvenirs de ces premières et fraternelles réunions » du Cénacle et des soirées du mercredi, rue de Miromesnil, où Sainte-Beuve venait applaudir les Orientales et lire lui-même ses premiers vers
(1) Rappelons-nous la lettre de Buloz.
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« Vous y disiez alors avec tant de grâce et de douceur Fraternité des arts union fortuuée
Soirs dont le souvenir, même après mainte année,
Charmera le vieillard.
Hélas! nous sommes encore bien loin de la vieillesse, mon ami, et déjà s'est rompue par quelques anneaux cette autre chaîne amicale. Moi, du moins,je n'en ai brisé aucun et je plains ceux qui se sont séparés. »
Ces paroles sont à recueillir.
La lettre en contient d'autres qui ne méritent pas moins l'attention, celles-ci par exemple
« Quant à mes travaux, ils sont toujours rompus par les agitations inconnues de ma vie les éloges que vous donnez à leur constance me rendent honteux; vous me faites mesurer ce que je pourrais faire et vous accroissez mes regrets, quand je pense au peu de temps qui m'a été laissé pour faire ce que vous louez. J'écris à la hâte chaque jour des plans que je n'aurai jamais le tems d'exécuter et je suis emporté par mille choses hors de moi. »
serait facile, sans doute, de tourner en ridicule cette déclaration et d'y voir comme une paraphrase du vers d'Oronte
Au reste, je n'ai mis qu'un quart d'heure à le faire,
et je ne sais pas si cette interprétation serait plaisante, mais elle serait fausse, assurément. Nous connaissons trop les tourments de tout ordre qui déchiraient alors le cœur d'Alfred de Vigny pour ne pas démêler ce qu'il met de candeur dans cette affectueuse confidence et ce qu'il garde de fierté sous la pudeur de ses allusions. Mais une phrase, bien imprudente, précédait ces
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lignes émues. « Les petites erreurs de date que j'aurais pu rectifier si je vous avais vu disait Alfred de Vigny, ne valent pas qu'on s'y arrête. Nous en causerons un jour. » Pour un critique comme Sainte-Beuvè, dont la première ambition était de paraître bien informé, et qui, dans cette occasion, s'était surtout préoccupé « de rectifier 1 article autrefois fait par Gustave Planche, article honorable mais faux. mais inexact quant aux faits et aux inductions », cette façon d'Alfredde Vigny de noter, sur un ton d'indulgence et par prétérition, les « erreurs de date » restées dans l'étude, dut être plus désobligeante et plus irritante vingt fois que ne l'auraient été les reproches les plus directs.
Ce fut là comme un nouveau heurt, plus violent que le premier, et l'amitié en fut profondément endommagée. Vigny chercha, et crut parfois tenir, les occasions de revoir Sainte-Beuve, mais celui-ci trouva, le plus souvent, des prétextes pour se dérober. Les apparences, quelque temps, furent pourtant sauvegardées mais la rancune du critique était profonde. Elle perçait, sournoisement et à la dérobée, dans ses lettres à des amis éloignés de Paris, Victor Pavie, Juste Olivier; elle trouva des satisfactions moins secrètes, quand la Revue des Deux Mondes, en 1840, à la date du 1 er mai, publia l'article intitulé Dix ans après en littérature.
Dans cet article, où les noms des plus obscurs rédacteurs de la Revue étaient rappelés au public, celui d'Alfred de Vigny brillait par son absence. Ce silence exclusif, nous l'avons déjà vu, fit à Vigny l'effet d'une agression. Il alla se plaindre à Buloz, qui lui avait juré jadis une éternelle gratitude. Il ne
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fit d'autre reproche à Sainte-Beuve que de lui envoyer l'édition de ses œuvres complètes. Il affecta même de prendre pour un retour d'amitié le remerciement assez sec du cri-tique il eut la naïveté de lui en témoigner sa joie, et de vouloir attribuer toute la froideur des derniers temps à quelque « commérage littéraire ». Cette supposition répondait trop à la réalité les lettres à Juste Olivier et les Nofes et pensées (1) en font foi — pour ne pas offenser Sainte-Beuve comme le fait surtout la vérité. Mais le terme de « commérage » n'était pas heureux, et il était lancé très gauchement. L'adversaire, tout aussitôt, mit à profit la maladresse. Il riposta du tac au tac, sans ménager, dans cet assaut, l'incorrigible ami qui s'avançait, pour la deuxième fois, le buste découvert, dédaigneux de se mettre en garde.
La lettre de rupture, ou tout au moins d'éloignement définitif, qu'écrivit Sainte-Beuve à Vigny, fut d'une redoutable habileté. Elle semblait défendre seulement la dignité de la critique et proclamer le droit qu'a l'écrivain de préférer à ses amis la vérité. Cette attitude hautaine de champion de la pensée indépendante était commode, assurément, pour donner libre-cours à d'autres sentiments. Une hostilité instinctive et accrue, que les relations du Cénacle et du monde avaient longtemps réduite à se dissimuler, à prendre un masque souriant et gracieux, trouvait enfin l'occasion de se manifester sans scrupule et sans déshonneur. C'était un coup de maître, on n'en peut pas douter, que de donner comme un aspect d'ombrageuse équité à cette antipathie foncière.
(1) Cf. Notes et pensées, à la fin du tome des Causeries du lundi, 3e édition.
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Le désaccord devint de l'animosité, lorsque les deux amis, brouillés ou refoidis, se trouvèrent compétiteurs et concurrents presque acharnés pour le fauteuil académique. Les notes intimes et la correspondance de Sainte-Beuve nous disent toute sa fureur de rencontrer sur son chemin, patronné par Victor Hugo, celui qu'il appelait en a parte « Trissotin gentilhomme a Il fut élu le premier, mais lorsque de Vigny entra, les ressentiments du critique duraient encore. Au lendemain de la fameuse séance de réception et après la réponse de Molé, sa rancune eut beau jeu pour se traduire en épigrammes. Tout s'était, à la longue, atténué et adouci. L'envoi d'une loge de théâtre, en 1858, à la reprise de Chalterton, fut suivi d'un remerciement qui etraçait bien des procédés peu aimables
« Je vous ai revu. J'ai été touché. Les personnes qui étaient avec moi dans la loge et plus jeunes que moi ont été non moins touchées et se sont plus d'une fois écriées « Que c'est bien que c'est élevé. » J'en étais fier pour la génération dont les chefs ont produit de telles aeuvres. » Cinq ans après, Vigny mourut. Sainte-Beuve estima que le moment était très opportun pour reprendre son jugement sur l'homme et l'écrivain et pour dire son derniermot, ainsi qu'il l'avait fait pour Latouche, pour Chateaubriand. Il écrivit dans la Revue des Deux Mondes, le 15 avril 1864, l'article recueilli au VIe volume de ses Nouveaux Lundis. Cet article est peu bienveillant, et, quoiqu'il soit malicieux, mordant, spirituel, il reste un peu mesquin. Le critique, si pénétrant pour découvrir, et si habile à mettre en relief les défauts de l'esprit qu'il pré-
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tend juger, se trouve hors d'état de reconnaître ici la superbe grandeur, la tragique fierté du poète philosophique. C'est peut-être le châtiment de ces yeux suraigus, mais incurablementjaloux, d'avoir, dans les Poèmes antiques et modernes, moins contemplé la grâce idéale ou la tristesse sublime de tels d'entre eux que « leurs souillures baptismales », et d'avoir pris surtout pour « un déclin un beau déclin », les immortelles Destinées.
II
Nous le savons, grâce à l'auteur de Victor Hugo par un témoin de sa vie, c'est Sainte-Beuve qui présenta, chez les Hugo, Gustave Planche. La chose eut lieu, je pense, A la saison d'été de 1828. Il s'agissait de tirer d'embarras un graveur anglais, chargé par Gosselin ou par Victor Bosde fournir pour l'édition in-8° des Odes et Balune illustration de la pièce intitulée la Ronde du Sabbat (1). Ce graveur ignorait le français il lui fallait un traducteur. Sainte-Beuve amena, rue Notre-Dame-des-Champs, un grand garçon de ses amis, que l'on employait parfois à mettre au point, pour des comptes rendus dans le Globe, des citations d'auteurs anglais. Cet interprète, âgé de vingt aps seulement, était Gustave Planche. C'était le fils d'un pharmacien instruit qui espérait faire de son héritier ce qu'il n'avait pas pu être lui-même un grand chimiste.
(1) C'est la gravure placée en tête du 2e volume de cette édition, dont la préface fut écrite au mois d'août 1828.
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Dans le panégyrique obligé, mais excessil, qu'il a écrit sur Gustave Planche en 1858, Émile Montégut excuse comme il peut certains traits de caractère qui déplaisent, à première vue, dans l'homme dont il avait recueilli la succession littéraire la Revue des Deux Mondes. Comme si c'était, de la part du père de Planche, une aberration de jugement etque un manque d'équité, d'avoir voulu détourner un tel fils de la carrière des lettres, Montégut n'est pas éloigné d'attribuer à des rigueurs, qui lui semblent assez barbares, l'origine de la misanthropie précoce du jeune homme, et d'y trouver l'explication des misères de l'homme mûr. Il acceptait ainsi et il accréditait, au sujet de ce père, très honorable, une tradition répandue par le fils, mais qui n'est rien moins qu'établie. C'est sous un jour bien différent, et c'est avec les traits d'un homme vertueux, mais parfaitement bon, qu'est apparu le vieux pharmacien à tous ceux qui eurent l'occasion de le connaître. Plusieurs d'entre eux ont exprimé leur respect ou même leur admiration pour sa gravité, sa fermeté, sa droiture d'intelligence, et pour tout ce qu'en lui les apparences les plus simples enveloppaient de sentiments nobles et délicats. C'est de lui que Gustave Planche tient telle éminente qualité d'esprit, la netteté, la décision, l'autorité du jugement il n'a pas hérité des autres. En effet, le trait distinctif de sa physionomie morale n'est-il pas ce vice capital que l'on a nommé parfois, par euphémisme, l'indépendance du coeur ? Et n est-ce pas l'ingratitude filiale qui colorait du prétexte de vocation le plus obstiné refus d'obéissance, et faut-il une autre explication au ton sévère et presque défiant
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dont le père accueillait, en 1836, l'hommage des Portraits littéraires « Je remercie mon fils Gustave de son livre, et j'agrée comme sincères les lignes qui en accompagnent l'envoi » ?
On a fort abusé, du vivant de Planche et même assez longtemps après sa mort, des critiques ou des railleries sur ses affectations de cynisme, sur le débraillé de sa tenue, sur le décousu de ses mœurs et sur sa « crasse » légendaire. Je n'y ferais pas la moindre allusion, s'il n'y avait pas un intérêt psychologique à remarquer que ce fut là, chez lui, la deuxième attitude. Il débuta nous apprend Alfred de Vigny dans une page inédite que je citerai tout entière plus loin par l'affectation justement opposée: il aspira tout d'abord au dandysme. Cela dura tant que le père, qui était dans l'aisance, mais qui avait quatre enfants à pourvoir, fit les frais de cette expérience. Lorsqu'il apprit qu'au lieu de s'inscrire aux cours de l'Ecole de Médecine et de s'appliquer à devenir un solide savant, son fils Gustave ambitionnait le seul honneur d'être accueilli dans les journaux, il coupa court à tout subside. Bien loin de dissimuler cette soudaine et complète disgrâce, la vanité de Gustave Planche trouva son compte à l'étaler. Il ne supporta pas les privations en silence, comme tant d'autres jeunes gens il promena son dénuement avec ostentation et en manière de reproche.
Aux heures les plus difficiles de ses débuts, il fut traité très amicalement et par Hugo et par plus d'un des écrivains ou des artistes du Cénacle. Pour savoir bien exactement comme il fut accueilli par le noble écrivain qui devait prendre en main, dans Stello
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et dans la cause des parias de lettres, ce n'est pas assez de se reporter aux deux article d'apparat de la Revue des Deux Mondes le Rôle de la critique et les Amitiés littéraires, où l'auteur, tout en se targuant d'une franchise irréductible, s'est drapé très habilement et en vue de l'effet il faut laisser parler des écrits plus intimes.
Et tout d'abord lisons de près, dans son entier, si longue qu'elle soit, et sans en perdre un mot, une lettre inédite, datée du 25 novembre 1830, et qui paraîtra, je crois, révélatrice (1)
« Mon cher ami,
« Je vous avais promis d'aller vous voir et je n'ai pas tenu parole. J'espère que vous me le pardonnerez. Depuis quelques semaines, je deviens de plus en plus solitaire. Je vais rarement voir mes amis. Pourquoi ? par humanité, pour ne pas leur imposer, bon, gré mal gré, la tristesse qui me ronge et me dévore. J'ai tant songé sans agir que j'en ai pour longtemps avant de devenir content des hommes ou des choses, et de trouver le train ordinaire tant soit peu supportable. C'est donc uniquement dans l'intention de vous distraire en n'allant pas vous voir, et de peur de vous ennuyer en vous rendant visite, que je n'ai pas été causer avec vous depuis longtemps.
« Convaincu comme je le suis que l'on est mort pour quelques années et que pour faire tant que de se mêler du pays, il faut la tribune, le pouvoir ou les journaux, trop inhabile et trop paresseux pour écrire laborieusement en vue de l'avenir, trop jeune pour agir et parler, incapable d'ailleurs de vivre en paix avec les commis habituels de la presse périodique, je me suis résigné tristement à l'oisiveté j'ai cherché quelquefois à organiser ma paresse sans jamais y réussir. De lecture en conversation et de conversation en lecture, j'ai fatigué mes amis et j'ai (1) La suscription de lettre est celle-ici « Monsieur le comte Alfred de Vigny, 30, r. Miromesnil, fg S.-Honoré. »
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lassé mes yeux. Je ne parle plus guère et je lis rarement. « Il y a quelques semaines, Mme Tastu m'a mis en tête, je ne sais pourquoi, qu'elle n'avait qu'à demander à Merilhou une chaire pour moi, et qu'elle l'obtiendrait sans peine. Je me suis laissé croire ce qu'elle croyait. J'ai rédigé gravement une note, et j'ai demandé, après un préambule officiel; une chaire anglaise au nouveau ministre. La pièce est d'ailleurs éloquente et rare, et à supposer que je devienne un jour cordonnier ou agent de change, sans écrire jamais rien de plus, je suis sûr que mes amis établiront la durée de mon nom en publiant ce premier et unique opuscule. J'y prouve clairement que la France a besoin de la littérature anglaise, qui a besoin de moi, qui ai besoin d'elle, et le cercle décrit par les trois idées est si sévère et si complet qu'il est impossible de résister à l'évidence.
« Mais probablement Merilhou ne l'a pas lu et ne le lira pas. Et puis sa bonne volonté, en cas qu'il y songeât, serait singulièrement empêchée par la chaire de Fauriel. Car vous savez peut-être que de Broglie a fondé à la faculté des lettres une chaire de littérature étrangère: Ce qui oblige le professeur à entretenir le public de huit cent soixante littératures qui grandissent ou décroissent à la surface du globe. Ma demande sans doute aura paru peu fondée. On aura objecté au ministre le double emploi. On ne se sera pas souvenu de tout ce qu'Adam Smith a dit de la division du travail.
« Cependant, comme une fois à cheval sur cette idée fantasque j'ai voulu la faire avancer malgré le mauvais état des chemins, malgré la pluie, le vent et la grêle, dût-il m'en coûter ma cravache ou mes éperons, pour m'encourager, moi et ma bête, à marcher en avant, j'ai regardé devant moi, et voyant qu'une première porte m'était fermée, j'ai songé à frapper à une autre
« Je me suis rappelé que le Collège de France dépendait uniquement du ministère de l'Intérieur, que le Conseil d'instruction publique n'avait rien à conseiller cette fois, que Lesourd était chef du cabinet de qu'Antonyet Emile Deschamps, Edouard Bertin, étaient des amis de Lesourd, vous peut-être, que Lesourd pouvait
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tout s'il le voulait, qu'il n'avait qu'à vouloir me donner une chaire anglaise au Collège de France et que je l'aurais. Mais je ne sais où trouver Antony, Emile, Edouard, et ne pouvant être humain jusqu'au bout, je ne vais pas vous voir, je ne vais pas vous poursuivre de mes paroles cyniques et tristes, mais je vous écris pour vous prier de voir ces messieurs, de leur parler pour moi ou de leur écrire que je demande une chaire, que je me crois et que je me proclame capable de l'occuper, que d'ailleurs, s'il le faut, je transcrirai pour Lesourd ou Montalivet, la note que j'ai fait remettre à Merilhou, et qu'après la lecture de la pièce il ne lui restera plus aucun doute.
Voilà ce que j'aurais à vous dire. Dieu veuille que la patience ne vous fasse pas la révérence et ne vous dise pas adieu avant la fin de ma lettre. Le cas échéant, je ne me plaindrai pas. Dans le cas contraire, et le temps ne vous manque pas, je compte sur votre complaisance les Débats peuvent tout aujourd'hui. Vous pouvez, je crois, quelque chose aux Débats. Parlez pour moi, et je vous en remercie d'avance. Les événements d[émontreront] si j'ai eu tort de souhaiter, de demander, de vous [importuner] (1) ou si j'aurais mieux fait de n'y pas penser. « J'espère que .vous vous portez bien.
« Gustave PLANCHE.
25 octobre 1830. Il
Si l'infatuation de Gustave Planche était, par hasard, mise en doute, et qu'on voulût donner l'idée de ce qu'elle a pu être au temps de la prime jeunesse, il suffirait de renvoyer à cette lettre-là (2). Et lorsque nous entendrons le critique se courroucer, en brandissant la férule qu'on sait, et s'offusquer de l'intrai(1) Deux mots, supprimés par suite d'une lacune du papier, ont été suppléés d'après le contexte.
12) Quand, pour s'être quelque peu frotté de littérature anglaise, Gustave Planche s'érigeait en émule de Fauriel, il était âgé de 22 ans.
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table orgueil de poètes d'un vrai génie, comme un Vigny, comme un Hugo, n'aurons-nous point le droit de ne pas oublier ce qu'il y eut, à certains jours, d'inconsciente effronterie dans son remuant pédantisme, d'ineffable prétention dans son énorme vanité ?
Il est très probable, d'ailleurs, que la démarche, réclamée du comte de Vigny, fut accomplie par lui avec empressement, mais il est encore plus certain qu'elle fut inutile, et il faudrait être bien entiché du mérite de Gustave Planche pour s'affliger ou s'étonner de ce mauvais succès.
C'est avec un livre de critique d'art que, peu de temps après, ce jeune homme morose attira l'attention non pas du grand public, mais de quelques lettrés et d'un certain nombre d'artistes. Comme autrefois Naigeon et Diderot, il fréquentait les sculpteurs et les peintres. Il recueillit leurs libres opinions, s'empara de leurs partis pris, et ce qui se disait dans certains ateliers avec une intransigeance plaisante, il l'exprima tout haut, sans le moindre ménagement, sous une forme doctorale. Quand on lit aujourd'hui ce Salon de 1831, improvisé pendant les quinze jours consécutifs à l'ouverture (1), il n'est pas malaisé d'apercevoir, sous les jugements déci(1) L'ouverture eut lieu le 1er mai la préface est datée du 15 mai. Ce serait une erreur de répéter, comme on le fait depuis l'article nécrologique de Busoni sur Gustave Planche, qu'il publia d'abord son Salon de 1831 en articles dans l'Artiste. C'est Schœlcher qui était alors le critique d'art du journal. Il y faisait l'éloge des talents modérés et neutres Paul Delaroche était son dieu. Non seulement l'Artiste ne publia pas le Salon de Planche. mais le compte rendu que l'on y fit du livre fut assez froid et assez ironique. Au lendemain même de cette présentation peu Gustave Planche débutait au journal.
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l'insuffisance de la culture et l'incertitude du goût. L'admiration pour Delacroix s'y donne carrière, il est vrai mais comment se concilie-t-elle avec tant d'engouement pour Champmartin, tant d'enthousiasme pour Mme de Mirbel ? Somme toute, les éloges, spontanés ou dictés, vont plutôt à la bonne adresse les critiques surtout, si lourdement assénées qu'elles soient, ne portent guère à faux. Le livre se vendit peu, malgré l'intention de scandale. L'auteur l'avait édité à son compte il couvrit à peine ses frais. Mais des portes, moins difficiles à forcer que celles de la Sorbonne ou du Collège des France, s'ouvrirent pour lui, l'une après l'autre il fut admis, en peu de temps, dans trois périodiques très divers, à L'Artiste, à la Revue des Deux Mondes, au dés Débats.
Il débuta d'abord dans le journal !'Artiste. Il y retrouvait plusieurs visages familiers du côté des dessinateurs, les Deveria, les Johannot, qu'il avait fort loués dans son Salon, et le graveur Porret, qu'il avait mis au rang des plus grands maîtres du côté des littérateurs, Philippe Busoni et son ami Brizeux, deux disciples d'Alfred de Vigny. Après y avoir signé un article sur Pierre Puget, simple rajeunissement des Eloges trop oubliés de Quatremère de Quincy et d'Alphonse Rabbe sur le grand sculpprovençal, Planche publia, sans signature, sous la rubrique Portraits et caractéres littéraires, cinq études d'un vif intérêt I. Charles Nodier. Alfred de Vigny. III. Chateaubriand. IV., Eugène Delacroix. V. L'Homme sans nom. Celle de ces études qui intéresse le plus notre sujet, l'article sur Alfred de Vigny, n'a pas été réé-
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ditée par son auteur dans les littéraires de 1836, comme le furent, avec quelques coupures seulement, l'article sur Charles Nodier, etsie autobiographique intitulée l'Homme sans nom. Cet essai de critique sur Vigny était absolument élogieux. Quand le nom de Victor Hugo s'y trouvait amené, c'était, peut-il sembler, pour mieux marquer l'éloge. Par exemple, à propos de Richelieu, ce personnage historique représenté concurremment par l'auteur de Cinq-Mars et par l'auteur de Marion de Lorme, Gustave Planche écrivait « M. de Vigny s'est arrêté à la comédie M. Hugo touche à la caricature. » Encore que Notre-Dame de Paris eût obtenu déjà un grand succès, il exprimait ce jugement partial et tranchant « est à coup sûr le seul roman que nous puissions opposer à Ivanhoé. » Et, à la fin de son article, développant déjà une laquelle il reviendra dans la Revue des Deux Mondes, à savoir que le seul moyen de retrouver au théâtre l'originalité était de rendre la vie à la comédie politique, n'est-ce pas d'Alfred de Vigny qu'il paraissait attendre le chef-d'œuvre de l'avenir ? « Nous ne voulons pas des Nuées, mais les Guêpes, mais Cléon, qui nous les rendra ? Stello serait-il destiné à recueillir l'héritage de Beaumarchais ? »
Ces articles sans nom d'auteur piquèrent vivement la curiosité, et c'est sans doute pour l'accroître que le critique masqué, empruntant à Ballanche le titre d'un de ses ouvrages, se représenta lui-même, sans complaisance, on peut le dire, mais avec une acuité de pénétration psychologique et une force d'expression peu ordinaires, dans cette
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esquisse assez sinistre intitulée sans nom, témoignage bien curieux de ce qu'était, dès ce moment, sa détresse morale.
Très peu de temps après ces débuts, brillants plutôt que lucratifs (1),Gustave Planche était admis à la Revue des Deux Mondes. Il y marquait son arrivée par un article à sensation. Dans une étude intitulée la Haine littéraire, il ripostait, de toute la vigueur de ses moyens déclamatoires, au pamphlet récent et fameux sur la Camaraderie (2). Il fulminait cette réponse au moment opportun. A toutes les raisons que de Latouche avait données à l'opinion publique de se montrer sévère à son endroit, venait de s'ajouter le scandale de la comédie satirique, la Reine d'Espagne, et pendant quelque temps, l'auteur de cet ouvrage avait eu tous les critiques dramatiques à ses trousses. Planche marcha le dernier sur le polémiste abattu, accablé, et déchargea bruyamment toute sa mitraille.
A cette date, il était enrôlé dans les troupes du romantisme. Il avait déjà manifesté en l'honneur de Victor Hugo et il allait écrire pour la Revue des (1) Le directeur de l'Artiste, Ricourt, ne payait pas très cherson équipe de journalistes comme d'autres directeurs de revues, à ce moment-là, il se croyait à peu près dispensé de solder la prose des débutants Planche en sut quelque chose. Planche oubliait ce qu'il avait écrit, la même année, dans sa confession publique de l'Homme sans nom « avait fait partie du Cénacle mais, autant que j'en puis juger, ce devait être un convive muet. Le jour où fut représentée cette satire si longtemps ajournée de la Camaraderie littéraire, aussi souvent amère et spirituelle que juste et mordante, sa première parole fut ceHe-ci « Le maladroit que n'est-il venu me consulter; il n'a rien vu. Il fournirait au besoin des notes précieuses. Je me souviens jour il m'a conté, etc. » Suit une page de confidences indiscrètes dans le genre de celles qu'un peu plus tard il se donnera le lustre de flétrir.
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Deux Mondes, qui venait d'achever la publication de Stello, un grand article sur Alfred de Vigny il se proposait d'étudier l'homme et l'oeuvre.
C'est au sujet de cet article, en préparation, qu'il écrivit au comte de Vigny, le 1er juin 1832, cette lettre inédite
« Je vous remercie, mon cher ami, pour Stello que je viens de relire. Aujourd'hui, comme il y a dix mois, je pense que c'est comme exécution votre meilleur ouvrage. Mais pensez-vous aux notes que je vous ai demandées ? Ne prenez pas la peine, je vous en prie, de faire à chacune des questions que j'ai posées plus de trois lignes de réponse. Ces trois lignes précises me Mon voyage a tout l'air d'une chimère irréalisable je n'y compte plus guère, ou si j'allais à Londres, ce ne sera peut-être pas avant deux mois. Belloy estmalade. Je devais partir avec lui. Il faut maintenant que j'arrange mon pèlerinage autrement et pour un plus long séjour. J'ai grand désir du théâtre, du parlement et de l'exhibition de Somerset house que je ne verrai probablement pas. Si vous voulez que j'écrive sur vous pour le 1er juillet, ne tardez pas trop à me répondre.
« T. à v.
« Gustave PLANCHE· »
L'article parut le 1er août. Il était inexact sur plusieurs points de la biographie, mais il restait flatteur d'un bout à l'autre. C'était une image embellie de l'homme, et agrandie de l'écrivain. Des Poèmes jusqu'à Stello, on avait là un progrès observé, un crescendo continu, de louanges. Cette fois Hugo n'était pas nommé, comme dans l'étude de l'Artiste, mais le Cénacle était raillé, non sans lourdeur, et l'on félicitait le poète officier d'avoir vécu « de poésie et de solitude » au milieu de son régiment, » plutôt que
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parmi les sociétés littéraires de Paris; qui s'efféminaient dans de mesquines arguties ».
Cette assertion ne contenait qu'une petite part de vérité, et, trois ans plus tard, au lendemain de Chatterton, Sainte-Beuve, traçant, à son tour, un portrait de Vigny, s'attachera à présenter l'homme et l'écrivain sous son vrai jour sur ce point, en particulier, il soutiendra l'opinion contraire. Il dut, je pense, apporter sa protestation dès qu'eut paru l'article, et il mit, sans doute, à l'exprimer, le même empressement, la même vivacité, que le poète tant loué à traduire sa gratitude. Dès. le 3 août, deux jours après la publication du numéro de la Revue, Planche répondait aux remerciements de Vigny « Savez-vous bien que les mauvaises langues m'accusent de méchanceté, d'avoir parlé légèrement des Athénées, et des préfaces de la Restauration Voyez-vous le crime J'aurai de curieux commérages à vous raconter. Adieu, à bientôt. T. à v.
« Gustave
« 103, rue de la Harpe. »
Presque au moment où il prenait pied dans la Revue des Deux Mondes, Gustave Planche avait pu se faire accepter au Journal des Débats. Est-ce Victor Hugo, est-ce Vigny qui l'y acheminèrent ? Il n'est pas nécessaire de le supposer. Dans son Salon de 1831, où des réputations très surfaites, mais très établies, comme celle de Paul Delaroche, sont vigoureusement battues en brèche, Gustave Planche avait attribué une importance inattendue aux envois de Bertin dans ce paysagiste de transition, qui pressentait un art nouveau, mais qui n'arrivait pas
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à l'exprimer, il semblait voir un des maîtres de l'avenir ces aménités d'un juge rigoureux ne pouvaient pas être perdues.
Toujours est-il qu'en quelques mois le jeune écrivain était passé de cette flânerie studieuse, où il s'était longtemps complu, à un labeur exténuant. Vers la fin de l'automne de 1832, il se sentait si surmené qu'il cherchait un moyen de s'évader de la galère où il ramait, depuis un certain temps, sans trêve aucune et pour peu de profit. Voici comment il parlait de son sort
« Je vous remercie, mon cher ami, de votre visite, et je regrette bien de ne m'être pas trouvé chez moi. J'étais à Ville-d'Avray, essayant de chasser par le grand air, la promenade et l'oisiveté les blues devils de mon cerveau, qui trop souvent sont tout à fait black et inklike (1) Malheureusement, je ne suis pas malade pour les médecins; je le voudrais. Mais il faut que ma tête ne vaille pas grand'chose. Car je ne puis rester seul quatre heures de suite sans être pris d'un violent et ridicule dégoût pour toute chose. Je suis arrivé très décidément à l'état que j'ai décrit (2). Ma mémoire ressemble à l'arrière-boutique d'un fripier. Je rêve de phrases toutes faites. Quand la lumière est trop vive pour mes yeux, je crois voir le fantôme d'une virgule ou d'un incise (sic) Ma pensée n'aura bientôt plus que la valeur d'un paquet de plumes et d'une bouteille d'encre je deviens une pauvre machine à écrire. Dans. quel guêpier me suis-je fourré et comment en sortir ?. Si je demeure journaliste je deviendrai fou ou stupide. Si j'ai encore quinze ans d'énergie, je voudrais leur trouver un meilleur emploi que la lecture quotidienne des romans (1) Les blue devils sont une allusion à Stello ou les diables bleus.
(2) Allusion à ce passage de l'Homme sans «. S'il continue comme il fait, s'il ne change pas de méthode et d'habitudes, je ne connais que suicide qui puisse logiquement terminer son I, p. 253.)
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qui se publient ou des pièces qui se jouent Avez-vous vu Clotilde(2) ? Que faites-vous ? On répéte Triboulet. Est-ce que vous boudez le théâtre, ou bien continuez-vous Stello? Adieu, à bientôt.
T. à v.
« Gustave PLANCHE,
« 103, rue de la Harpe.
« 1832. septembre. 14. »
« Triboulet »(3), c'est-à-dire Le Roi s'amuse,fournit à Planche, sept semaines plus tard, l'occasion d'un long article où les éloges abondaient encore, mais où la part du blâme était déjà beaucoup accrue, 'et qui se terminait par ces mots presque menaçants «. C'est pourquoi M. Hugo doit briser violemment ses habitudes, s'il veut continuer d'écrire pour le théâtre. » Deux mois après, en manière de conclusion à son compte rendu de Lucrèce Borgia, Planche écrivait « Nous devons le croire, le succès et la popularité de la poésie extérieure touchent à leur fin. Après le premier enivrement, la satiété suivra de bien près. » Et, le 15 novembre de cette même année 1833, à propos de Marie Tudor, il s'exprimait ainsi « Il faut plaindre les peuples qui ont besoin de pareils spectacles. Les comédies de Marivaux sont (1) Il y aura intérêt à rapprocher de cette lettre le passage de la Journée d'un journaliste, médiocre essai donné par Gustave Planche, au tome VI du livre des Cent et un « Donc, vous tous qui enviez le sort d'un journaliste, qui le prenez innocemment pour un homme privilégié, réservé au plaisir, aux joies de vanité, plaignez-le Toute sa vie n'est qu'un perpétuel holocauste, etc. » p. 154.
(2) Clotilde est le titre d'une pièce dramatique, récemment mise à la scène, et dont Planche s'exagérait beaucoup la valeur. (3) Triboulet fut joué le jeudi 22 novembre, fut interdit le 23, et parut en librairie le 8 décembre.
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des chefs-d'œuvre de vérité auprès des drames de M Hugo. Les marquises du dix-huitième siècle, avec leurs mouches et leurs paniers, avaient au moins un cœur capable d'amours ardentes et de haines sincères. Marie Tudor et Lucrèce Borgia ne sont d'aucun sexe. »
En relisant aujourd'hui ces études progressivement agressives, on ne peut pas oublier un passage autre article, un peu postérieur, où Planche, décrivant certains des procédés de ce qu'il appelle la « critique marchande », se garde bien d'omettre celui, du « double jeu » mené par l'écrivain qui sait s'y prendre. « Ce qu'il a fait, il le défera. En insultant la gloire qu'il a bâtie, en démolissant pierre à pierre le palais où il avait inscrit son nom, il gagnera, soyez-en sûr, de nouveaux protecteurs, et plus puissans que le premier il prêtera l'oreille aux jalousies qui bourdonnent il s'enrôlera parmi les ennemis de son client, et pour grossir sa fortune, il n'hésitera pas à renverser du pied son idole d'hier. » Ce changement d'opinion, dont Gustave Planche a raison de flétrir le mobile honteux, il se l'est permis, lui aussi, mais pour d'autres motifs. On ne saurait songer, un seul instant, à la vénalité l'argent n'aurait jamais eu le pouvoir de déterminer chez lui, à l'encontre de sa conviction, un acte, un propos ou un geste il en avait trop le mépris. Je dirai plus sa nature, avant tout raisonneuse et logique, devait le conduire assez vite, après les engouements irréfléchis ou des premiers temps, à réprouver très vigoureusement tous les excès d'imagination du romantisme dramatique et à frayer la route aux ouvrages prudents, paisibles, plats et déce-
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vants au delà de toute expression, malgré l'éclatante faveur qui les accueillit dans leur première nouveauté, de la fameuse école du bon sens.
Mais ce n'est pas fausser, me semble-t-il, la vérité que de vouloir trouver dans cette conversion littéraire de Gustave Planche un caractère assez inté-, ressé. En passant de l'éloge au blâme, il ne renouvelait pas seulement la matière de ses articles; il accommodait sa doctrine à la pente de son esprit, aux exigences de sa plume. Admirer n'était point son fait; sympathiser, peu ou beaucoup, avec une nature d'exception, n'était point son talent louer, avec un fin et sûr discernement, n'était point sa manière. Il lui était moins malaisé de se déclarer tout à coup mauvais complimenteur, de dire, un beau matin « Nous sommes quittes » aux hommes de talent ou même de génie qui lui avaient tendu la main, de n'accorder désormais aux plus grands que le bénéfice des vérités les plus dures.
C'est dans cette disposition d'esprit qu'en 1835, un peu de temps avant qu'on jouât Chatterton, Gustave Planche, à la requête de l'auteur, consentit à venir chez Alfred de Vigny pour entendre en particulier la lecture. de cet ouvrage. Il avait accepté d'en rendre compte dans un article qui devait paraître, dans la Revue des Deux Mondes, presque au lendemain de la représentation. Le poète nous l'avons vu en étudiant les relations d'Alfred de Vigny et de Henri Reeve semblait, au dire de tous ceux qui avaient eu connaissance du manuscrit, courir à un échec. Quand le succès sans précédent de la première vint déjouer ces prévisions, l'article de Planche n'était pas seulement écrit, il était imprimé.
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Il fut en complet désaccord avec l'impression produite tout d'abord sur le public lettré de ce temps-là. Pour s'en faire une juste idée, ce n'est pas dans le livre des Portraits liltéraires qu'il faut relire cet article, c'est dans la Revue même où il fut publié. On y trouve, non seulement des arrêts comme celuici « Si M. de Vigny projette, comme j'ai tout lieu de le croire, la rénovation de la scène, il doit dire adieu pour longtemps aux habitudes solitaires et recueillies de son intelligence. Le théâtre, comme la tribune, est voué au tumulte et à l'agitation celui qui craint le bruit doit renoncer au théâtre comme à la tribune », mais aussi des allusions d'un ordre délicat et qui semblent laisser percer une intention assez perfide « Entre le poète et l'actrice, il n'y a pas d'alliance possible. A jouer ces rôles comme Kitty Bell. Mme Dorval finirait par appauvrir ses facultés oisives et pour atteindre jusqu'à elle, M. de Vigny court le risque de compromettre la pureté paisible de son style. » Cette déclaration, si éloquemment démentie par l'effet prodigieux du jeu de l'actrice et par la poignante émotion de l'œuvre au dernier acte, n'a pas été maintenue par le critique on la chercherait en vain dans l'édition de 1836. Mais elle ne put pas demeurer sans effet. Un mois après, Dorval abandonnait cette « élégie » et s'en allait demander à Hugo le rôle digne d'elle, qu'au dire de Gustave Planche Alfred de Vigny était impuissant à lui fournir, et après le verdict, peutêtre à cause du verdict, qui avait frappé Chatterton, Alfred de Vigny n'écrivit plus jamais pour le théâtre.
Quoi qu'il en soit, au lendemain des ovations de la
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première, l'auteur du drame était presque excusable de s'imaginer que l'ami Planche avait eu tort de parler comme il l'avait fait, de son œuvre, de son interprète et de lui-même. Il se rendit sans doute chez Buloz ou il lui écrivit pour témoigner de sa stupeur, pour donner cours peut-être à son indignation, ou seulement pour laisser voir sa déception affectueuse et sa délicate douleur. Il reçut, douze jours après la première représentation, huit jours après qu'avait paru l'article incriminé, une lettre de Gustave Planche. Cette lettre, très étudiée, ressemble assez, pour la tactique et pour le ton, à celle que Sainte-Beuve devait, dans des conditions tout à fait analogues, adresser au poète quelques mois plus tard « Monsieur,
« J'entends dire autour de moi depuis huit jours que vous m'accusez publiquement de trahison; je me dois à moi-même de ne pas laisser planer plus longtemps sur moi le soupçon d'improbité. En ce qui concerne les idées purement littéraires que j'ai développées à propos de votre pièce, je n'ai pas à me justifier la discussion était dans mon droit, èt je suis sûr de n'avoir violé aucune convenance dans l'application de ce droit imprescriptible. En ce qui concerne la loyauté de ma conduite envers vous, il me suffira de rétablir la vérité littérale des faits.
« Avant d'entendre la lecture de votre pièce chez vous, je n'avais pris ni pu prendre aucun engagement. Je n'avais promis à personne de louer sans restriction un ouvrage dont je ne connaissais pas une ligne. Si quelqu'un vous a dit le contraire, c'est par une erreur involontaire sans doute, mais dont je ne suis aucunement complice. J'ai accepté la lecture de votre pièce dans votre intérêt seulement, je ne l'ai jamais sollicitée. Vous avez paru désirer que je parle de avant le 1er mars c'est donc pour vous obliger, et nullement pour satisfaire ma curiosité, que j'ai consenti à entendre la pièce avant
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sentation. Après la lecture toutes mes paroles, dont j'ai gardé un souvenir complet, ont été réservées comme elles devaient l'être. Je vous ai dit Tout se tient et se suit, pas une scène n'accrochera. Je n'ai rien ajouté, et le succès a réalisé toute ma prophétie.
« Si vous m'aviez prié de m'abstenir dans le cas où la discussion pourrait être sévère de ma part, je me serais abstenu par amitié pour vous. Loin de là, lorsque j'ai paru hésiter à parler de Chatterton, vous avez témoigné hautement que mon silence vous blesserait. Il ne me restait plus qu'à parler selon ma conscience, et c'est ce que j'ai fait. En réponse aux objections qui m'ont été adressées par Bulos, j'ai offert avec empressement de brûler mon manuscrit.Malheureusement il était trop tard pour le remplacer et comme je ne pouvais signer de mon nom une opinion altérée ou modifiée, l'article a paru dans toute sa sévérité primitive. « S'il y a quelqu'un de coupable dans tout ceci, ce n'est pas moi, j'en ai l'assurance, je n'ai rien à me reprocher. Je suis encore à deviner quel motif d'animosité vous pouvez me supposer contre vous. Est-ce l'impuissance par hasard ? Mais je n'ai jamais rien tenté le peu de bruit qui se fait autour de ma pensée me paraît encore une récompense fort exagérée pour la sincérité de mes réflexions. Est-ce l'envie ? Mais personne dans la presse n'a parlé de vous jusqu'ici en meilleurs termes que moi.
« Si j'ai manqué à la vérité, ce qui est possible, car la critique n'est pas infaillible, du moins je n'ai manqué à aucun des devoirs de l'amitié, car j'ai agi loyalement. J'ajouterai même que j'ai gardé pour moi seul des chicanes nombreuses, que j'aurais publiées, si je n'avais eu à tenir compte des relations que nous avons eues ensemble depuis six ans.
« Et vous-même, j'en ai la conviction, vous reconnaîtrez sans doute que rien dans le fond de mes pensées ou dans le caractère de mes expressions ne ressemble à l'hostilité que vous m'attribuez. Une discussion grave, impartiale était seule convenable et c'est la seule que j'ai voulu essayer. « T. à v.
« Gustave
« Mardi, 24 février. »
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Certainement cette explication de Planche est sans réplique. N'a-t-il pas le beau rôle ? Celui de l'homme critiqué pour un de ses écrits, quel que soit cet homme, et quelles que soient d'ailleurs ses très intimes impressions, s'il a paru prendre, un instant, lorsqu'on le décriait, l'attitude d'Oronte, n'est pas défendable, on doit le reconnaître, pour des lecteurs français. Alfred de Vigny a donc eu tort de se sentir mortifié en se voyant traiter avec une hostile rigueur par un ancien ami qu'il pouvait croire jusque-là heureux de ses succès et qu'il découvre tout à coup jaloux de sa fortune.
Mais Planche n'était pas de ceux qui mettent leur pudeur à ne pas abuser d'une situation avantageuse. Un autre s'en serait tenu à cette apologie secrète de soi-même. Il la reprit publiquement, avec des intentions très peu dissimulées de triompher et de sonner ce qu'il croyait une victoire le 1er septembre 1836, à la place où il avait donné l'article sur Chatferton, il produisit l'étude intitulée Les Amitiés littéraires. Il y disait
« Si les poètes de nos jours, en se plaignant de la critique, n'allaient pas au delà du reproche d'injustice et d'ignorance, la critique devrait se taire et accepteur l'accusation comme inoffensive dans tous les temps, les hommes qui produisent des œuvres d'imagination ont eu pour leurs paroles et leurs pensées une admiration persévérante et obstinée dans tous les temps, soit à l'aurore, soit an déclin de leur gloire, ils se sont crus méconnus par leur siècle cette plainte éternelle et vulgaire ne mérite pas d'être discutée. Mais les poètes de nos jours vont plus loin dans leurs reproches que les poètes d'autrefois à les entendre, ils n'ont pour juges que leurs élèves. Dès que leur mérite est mis en question, dès que le doute ose atteindre un seul de leurs poèmes, ils crient à l'ingrati-
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tude L'éloge même dans la bouche du critique initié, s'il ne s'élève pas jusqu'à l'enthousiasme, jusqu'au délire, s'il se permet seulement quelques réserves, l'éloge est une trahison. « J'aimerais mieux, dit le poète irrité, j'aimerais mieux cent fois être attaqué franchement, et savoir à quoi m'en tenir. Ces louanges prudentes sont plus dangereuses qu'une hostilité déclarée. Il y a dans ces restrictions plus de perfidie et de méchanceté que dans le blâme le plus sévère. En me louant avec cette mesure, il se donne. un air de supériorité 'absolument insultant il me fait la leçon comme à un véritable écolier. Voilà pourtant ce quej'ai gagné en lui accordant mon amitié. Si je l'avais prévu, je l'aurais fui comme une vipère. » Et comme il faut justifier cette colère, comme il faut appuyer cette accusation sur des examens plausibles, le poète, ne pouvant vaincre l'évidence, ne pouvant changer le passé, prend le parti le plus bref et le moins sage il se résigne à la haine comme au seul moyen de se venger. »
Le poète qui devait écrire les Destinées n'avait pas encore gravé ce vers lapidaire
Seul, le silence est grand, tout le reste est faiblesse.
mais il était, déjà petit enfant, capable de hauteur et de noble dédain, et cette fois, il regarda, sans dire un mot, là critique se barbouiller avec ses taches d'encre.
Alfred de Vigny méritait d'avoir sa revanche il la prit, sans l'avoir cherchée.
On sait qu'en 1840 Gustave Planche enterra son père, et qu'il hérita, pour sa part, de soixante-dix à quatre-vingt mille francs. Il laissa là tous les journaux et s'en alla en Italie. Pendant près de six ans, personne n'eut de ses nouvelles. Il reparut, en 1846, aussi gueux qu'autrefois, et il reprit son poste à la Revue. Il revenait plus instruit: il avait appris l'ita-
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lien, et il avait refait, ou fait, pour la première fois, mais sérieusement, sur le sol florentin, son éducation artistique. Il retrouva son importance et se l'exagéra. En 1848, quand les événements forcèrent M. Guizot à quitter la France et à laisser vacante la chaire d'histoire de la Sorbonne, Gustave Planché, revenant à ses prétentions des heures de la jeunesse, n'hésita pas à croire que cet emploi devait lui revenir. Il se flatta, d'ailleurs, « pendant quinze ans » d'écrire une Histoire de France elle resta, comme on peut le penser, à l'état de projet (1). Il se crut désigné pour entrer à l'Académie, et pensa peut-être se créer des titres plus décisifs, lorsqu'à partir de 1851 il entreprit une série d'études sur quelques-uns des électeurs, Lamartine, Sainte-Beuve, Guizot, Villemain et Prosper Mérimée.
Pendant qu'il nourrissait ces ambitions, un pamphlétaire de bas étage, Eugène de Mirecourt, écrivit sa biographie. C'était un ramassis d'anecdotes injurieuses. On y lisait l'assertion que voici « Il pria M. de Vigny de le présenter à Buloz, entra sans coup férir à la Revue des Deux Mondes et paya d'ingratitude la bienveillance du poète. » On y trouvait quelques grossièretés à l'adresse de Buloz lui-même « C'est évidemment la patte de Buloz qui a glissé dans l'article cette réclame impudente. » Et encore « Gustave Planche est indépendant vis-à-vis de tous, excepté vis-à-vis de l'autocrate bizarre entre les mains duquel reste, 'quoi qu'on fasse, le premier (1) Busoni nous assure qu'on tenta des démarches auprès de Génin, directeur des lettres au ministère de l'instruction publique, pour faire connaître la candidature de Planche à la succession
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recueil littéraire de l'époque.»Buloz décida Planche à intenter au pamphlétaire un procès en diffamation.
Pour gagner ce procès, Planche comprit qu'il lui fallait caution bourgeoise, et, après vingt et un ans d'éloignement et de silence, il fit appel au bon vouloir du comte de Vigny
Dimanche, 23 nov. 1856.
« Mon cher ami, je suis accusé d'ingratitude envers vous dans un pamphlet publié la semaine dernière par M. Eugène de Mirecourt. Je vous prie de m'aider à démentir cette odieuse calomnie. Je compte sur votre amitié et vous adresse d'avance mes remerciemens.
« T. à v.
« Gustave PLANCHE.
« Rue et hôtel Tournon. »
Adressée à l'Institut, la lettre de Planche fut envoyée, peut-être avec quelque retard, rue des Ecuriesd'Artois, n° 6. Alfred de Vigny n'y répondit qu quatre jours après, le 27 novembre, mais il y répondit avec une parfaite courtoisie je puis fournir son brouillon de réponse
« Voici un petit billet de vous qui me parle d'une brochure qui vient de paraître sur vos ouvrages et sur vous, mon cher Planche.
« Je ne la connais pas et je ne puis savoir lequel de vos écrits ou de vos actes on vous reproche.
« Nous nous voyons bien rarement à mon grand regret, et depuis vingt ans vous n'êtes venu dans ma cellule qu'une fois. Si vous voulez que nous puissions causer libre. ment et en tête à tête de ce qui vous préoccupe, je vous attendrai seul lundi, 1er décembre, de 2 heures après midi à 6 heures, et vous me ferez connaître en quoi je puis
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vous être agréable ou utile, vous m'y trouverez comme toujours très disposé et peut-être mes avis pourront vous être bons à quelque chose.
« T. à v.
« A M. Planche.
« Rue et hôtel de Tournon.
Cette réponse se croisa avec une seconde lettre, seulement signée de Gustave Planche, mais tracée d'une écriture élégante et fine qui u'est pas la sienne il est permis, je crois, d'y reconnaître la main d'Eugène Yung, pourvu alors de quelque emploi dans les bureaux de la Revue
« Mon cher ami,
« Sans doute vous n'avez pu déchiffrer complètement le billet que je vous ai envoyé je vous priais de m'aider à démentir une odieuse calomnie publiée par M. de Mirecourt, une accusation d'ingratitude envers vous.
« M. de Mirecourt affirme que vous m'avez présenté à la Revue des Deux Monde, que j'y suis entré sous' vos auspices, et que j'ai payé ce service par des attaques perfides et immédiates.
« Or vous savez que vous n'êtes pas intervenu pour m'ouvrir la Reuaae et qu'un de mes premiers articles, en date du 1 or août 1832, a été consacré tout entier à vous rendre justice. Vous m'avez remercié, il y a vingt-quatre ans, et je ne l'ai pas oublié. Plus tard, votre nom est souvent revenu sous ma plume, et je n'ai jamais parlé de vous qu'avec la déférence et la bienveillance que me dictaient votre talent et votre amitié pour vous (1).
« C'est là ce que je voudrais voir consigné par vous dans une lettre que je vous prie de m'adresser le plus tôt possible.
« Placé entre un procès qui finit et un procès qui commence, je n'ai pas le temps d'aller vous voir dans les pre(1) II oubliait l'article sur Chattertott et l'article sur les Amitiés littéraires.
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miers jours de la semaine prochaine. Si les gens de loi m'en laissaient le loisir, je serais heureux de causer avec vous.
« J'emprunte la main d'un ami pour vous rendre plus facile la lecture de ma lettre.
« Tout à vous,
« Gustave PLANCHE. »
Cette fois, la réponse ne se fit pas attendre et elle fut d'un autre' ton Alfred de Vigny en garda la « copie », qui valait, en effet, la peine d'être conservée
« A M. Gustave Planche.
« J'avais parfaitement lu votre écriture et je vous attendais lundi chez moi. Je regrette bien que le motif qui vous empêche de venir. soit celui que vous me dites. Vous m'écrivez que si les gens de loi vous laissaient le temps de venir me voir, vous viendriez. Je désire encore que cela vous soit possible et qu'il y ait pour vous un repos entre votre procès qui finit et votre procès qui commence.
« Vos souvenirs ne s'accordent pas avec les miens et il est bon d'en parler ensemble.
« Vous ne croyez pas que personne ait à rougir d'avoir été jeune sans doute, et cependant vous semblez avoir oublié le temps où vous l'étiez plus que moi, et où vous veniez habituellement me voir le mercredi, parmi mes amis qui tous m'en parlent quelquefois.
« Vous n'écriviez pas encore et n'en aviez même nul désir.
« Les Belles Lettres vous occupaient comme malgré vous. Vos jugements vous étaient dictés presque involontairement par votre esprit dans la conversation. Je vous disais souvent qu'il était fâcheux qu'ils fussent ainsi perdus, et vous répondiez que, lorsque vous tentiez de les écrire, la forme ne vous satisfaisait pas.
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« C'était vers 1827 (1).
« Il n'était point alors question de la Revue des Deux Mondes.
« Longtemps après, lorsque M. Buloz en fit une œuvre littéraire et vint me parler de ses projets et de cette fondation, dans laquelle je le secondai par quelques conseils et quelques écrits, il m'entendait vous louer si souvent avec mes amis les plus justement célèbres que ce fut de là que vint assurément le désir qu'il eut de vous attacher à cette entreprise.
« Je n'ai rien oublié des circonstances les plus minutieuses de cette époque et du secours assidu que vous lui avez apporté, non seulement dans la rédaction, mais dans l'établissement matériel de la Revue. Mais toujours estil que ce fut dans nos entretiens fréquens chez moi, dans ses rencontres avec des poètes et des écrivains éminens qui vous montraient déjà beaucoup d'estime qu'il puisa le désir de s'aider de votre plume encore nouvelle et à laquelle vous n'osiez pas vous confier vousmême.
« Il m'est impossible de savoir ou de me rappeler après tant d'années si vous avez vu pour la première fois M. Buloz chez moi, chez vous, chez lui ou chez un autre, mais tout ce que je viens de vous dire et que vous n'avez pas oublié sans doute doit avoir laissé dans la mémoire de ceux qui en étaient les témoins que vous fûtes ainsi introduit au directeur de la Revue des Deux Mondes naissante, où je venais à peine d'écrire quelques pages (2). — Car, ce que vous nommez Revue, n'était-ce pas ainsi qu'aujourd'hui M. Buloz lui seul?
« Consultez là-dessus ses souvenirs, ils doivent être conformes aux miens.
« Cette rencontre fut-elle heureuse pour vous ? est-ce là un grand service que je vous ai rendu? Je n'en sais rien. C'est à vous de l'apprécier et d'en peser la valeur. Pour (1) De avance un peu l'heure de première rencontre. {2) C'est le 15 octobre 1831 que parut la première .partie de Stello dans la Revue. L'article de Planche contre H. de Latouche, intitulé De la haine littéraire, y figura très peu de temps après.
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moi, je crus bon de seconder l'entreprise de la Revue et d'être agréable et utile à vous deux, sans penser un moment que personne fût obligé de m'en remercier ou même de m'en savoir gré.
« Lorsque vous avez loué mes écrits je vous en ai remercié et j'aurais très mal fait d'y manquer, je vois avec plaisir que vous vous en souvenez. Quand vous leur avez trouvé des défauts, je crois bien que j'ai dû être moins enchanté puisqu'un père est toujours père et très disposé à dire Mes enfans sont charmans.
« L'autre jour, si vous fussiez venu j'aurais ajouté à ces souvenirs par beaucoup de détails littéraires que vous savez comme moi, mais qui me paraissent moins présens à votre mémoire.
« Lorsqu'il vous conviendra d'en parler, je vous attendrai à midi, le jour où cela pourra vous plaire, excepté le jeudi. Ecrivez-moi seulement la veille.
« Si j'en crois quelques personnes qui ont pu lire la brochure dont vous portez plainte, elle renferme des choses plus importantes que celles dont vous me parlez.
« Quoi qu'il en soit, je vous attendrai et serai tout à vous.
« A. DE V. »
A côté de cette lettre écrite à la fin de novembre 1856, Alfred de Vigny avait placé un document complémentaire, une page peut-être destinée aux Mémoires, et ainsi datée « mars 1857 ». Cette page porte pour titre « Note sur M. Planche » elle est d'une ironie finement indiquée, où se retrouvent à la fois le gentilhomme et le maître écrivain
« L'auteur de la biographie de M. Planche s'est trompé d'ingratitude. Ce n'était pas d'avoir été introduit à la Revue des Deux Mondes par moi que M. Planche aurait pu con-
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server quelque bon souvenir, c'est d'avoir été accueilli très jeune, très inconnu, très incertain de ses résolutions, de. ses dispositions, même de ses goûts, par un homme dont (à tort ou à raison) le nom était célèbre.
« Un jour, vers 1827, je sortais de chez M. Victor Hugo avec l'un de mes amis. Nous saluâmes en passant quelques personnes inconnues de nous, des jeunes gens pour la plupart, et l'un d'eux me dit « Je vais sortir avec vous, Alfred, et avec Emile.
« Quel est cet ami intime que nous avons là ? me dit M. Emile Deschamps, car c'était lui.
« Je ne sais pas son nom et je ne l'ai jamais vu, répondis-je. »
« Nous sortîmes avec lui, et après quelques mots indifférens nous le quittâmes.
« Peu de jours après, un mercredi, jour où j'avais coutume de recevoir, il vint chez moi et y revint très souvent. Chose qui pourra surprendre un peu, il était alors plus occupé de toilette et d'élégance que de toute autre chose, approuvait les Dandys et semblait en riant chercher des perfectionnements aux statuts du dandysme, portait des cannes recherchées dont un romancier célèbre ne fut que l'imitateur. C'était le temps où David faisait sa médaille de bronze. Sa conversation était cependant littéraire, mais il voyait sous un singulier jour les choses de la littérature. Ne s'occupant avec curiosité que de la vie privée des hommes de lettres qui presque tous m'étaient inconnus et dont il parlait avec un grand dédain, sa conversation était une suite non interrompue de biographies des vivans, petites anecdotes obscures où le narrateur se montrait bien plus sévère que ne pourra jamais l'être pour lui aucune biographie d'aujourd'hui.
« inventait même, à leur usage, des dénominations tout à fait inconnues avant lui, et qui ne paraissent pas s'être toutes conservées parmi les écrivains nommant ceux qui écrivaient des livres des livriers, ceux qui rédigeaient des colonnes de journaux des pagiers et les auteurs d'opéras des paroliers. En toute circonstance, montrant pour eux un mépris après lequel on aurait pu difficilement s'attendre à le voir écrire. »
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Je n'ajouterai rien à cette page curieuse tout comen affadirait la saveur. Alfred de Vigny avait été plus heureux avec Planche qu'avec SainteBeuve, car c'est lui, cette fois, qui avait eu le dernier mot.
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CHAPITRE XI
TROIS CŒURS SIMPLES ANTOINE FONTANEY, ALFRED! DE MUSSET, THÉOPHILE GAUTIER.
Lorsque l'on vient d'étudier le caractère compliqué, ombrageux, redoutablement rancunier de Sainte-Beuve et que l'on s'est arrêté un moment à scruter la nature ingrate de Gustave Planché, on est tout réjoui, et comme rafraîchi, de se trouver devant trois écrivains dont on peut dire, pour louer, en peu de mots, la sûreté et la délicatesse de leurs rapports d'amitié avec le comte de Vigny ce furent des cœurs simples. Ces trois écrivains, que je ne séparerai pas, s'appellent Fontaney, Alfred de Musset, Théophile Gautier.
I
Qui se souvient d'Antoine Fontaney? Un petit nombre d'amateurs. de curiosités littéraires. Et, même parmi eux, combien y en a-t-il qui aient réellement lu, je ne dis pas son volume de vers, les Ballades, lVlélodies et Poésies diverses, une rareté bibliographique au millésime de 1829, mais sa double série d'études en prose, faciles à retrouver, puisqu'elles.parurent dans la Revue des Deux Mondes (1), (1) A partir du 1er novembre 1831 et durant un espace de six années.
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sous deux rubriques alternées, Souvenirs d'Espagne et Esquisses du Cœur ?
Fontaney eut pourtant, parmi les auteurs du Cénacle, son heure d'éclat discret, d'élégante notoriété Dès 1827, il était reçu en ami chez Charles Nodier et chez Victor Hugo. Il vivait alors d'un mince salaire d'employé municipal, attaché au bureau des mariages de la rue Garancière. Or il avait les goûts d'un dilettante, la tenue d'un homme du monde, l'éducation, les façons de parler, les mœurs d'un gentleman. L'air de distinction, que chacun lui reconnaissait, semblait trahir une origine peu commune, et, de fait, si Fontaney n'était pas un bâtard, c'est-àdire l'égal au moins d'un grand seigneur, comme l'Antony de Dumas ou comme ce « Didier de rien » qu'adore Marion de Lorme, il était le fils d'un homme mort jeune et qui n'avait droit à porter l'extrait mortuaire en fait foi que le prénom d'Etienne. L'orphelin pauvre, mais plein de dignité, qui paraissait toujours en deuil de ce père dont il parlait peu, avait d'ailleurs des protecteurs titrés. En outre, il savait l'italien il entendait et maniait fort aisément l'anglais dans ce milieu de romanciers formés par Walter Scott et de poètes entichés de Byron, une pointe d'accent étranger valait un brevet de noblesse. C'était, d'ailleurs, le romantique à la pâleur fatale, au sourire rare et fugitif, aux yeux désenchantés selon l'expression de Shakespeare, usurpée par Chateaubriand, « il portait son cœur en écharpe » une tristesse presque funéraire enveloppait ses traits, se trahissait dans son maintien et s'épanchait dans son premier ouvrage.
Ce premier livre, un volume de vers, aurait sans
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doute été plus remarqué si, dans le même temps, des mélancolies de même espèce, mais relevées par un sentiment plus âpre, et revêtues d'une expression plus rare, plus originale, celles de Joseph Delorme, n'avaient détourné l'attention. Comme Sainte-Beuve et plus que lui peut-être, Fontaney connaissait, goûtait, imitait, et s'appliquait à divulguer la poésie élégiaque anglaise. Son recueil d'une quarantaine de pièces était composé, en partie, de traductions de Thomas Moore, de Byron, de Wordsworth. Ses versions, élégamment fidèles, ont plus de prix et c'est, pour un poète, un éloge fâcheux que ses pièces originales. Les maîtres du chœur, Victor Hugo, Sainte-Beuve, Emile Deschamps, Alfred de Vigny, applaudirent à ce recueil. Fontaney ne tarda pas à leur donner une plus haute idée de son talent avec un sonnet, dont les poètes du Cénacle parlèrent presque autant qu'on avait, chez les Précieuses, parlé de Job et d'Uranie, les deux ouvrages si vantés de Voiture et de Benserade. Il s'agit du sonnet qui fut jugé digne d'être transcrit sur le Ronsard in-folio, offert par SainteBeuve à Victor Hugo, à la suite de l'interdiction du drame: Un duel sous Richelieu. Comme l'ode d'Alexandre Dumas qui figura sur les marges du même volume, le sonnet de Fontaney magnifiait le geste du poète refusant l'augmentation de pension qui lui avait été offerte, à titre compensatoire, par un ministre assez mal inspiré. La pièce aurait pu porter comme épigraphe, à la manière romantique Tua pecunia tecum sit. Elle est adroite de facture, et le relief des contours ne manque pas de vigueur: le style reste un peu déclamatoire.
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Presque au même moment, dans les stances à Mme N* (Mme Nodier), publiées par les Annales en 1830, mais écrites l'année d'avant, Fontaney célèbre le salon de l'Arsenal et ses « beaux concerts » de musique et de poésie. Après un hommage à la divinité du lieu, Marie Nodièr, il nomme à côté de cette « jeune Muse », Lamartine, Sainte-Reuve, Victor Hugo, Emile Deschamps, Alfred de Vigny, Charles Nodier, et il les gratifie de louanges respectueuses. La formule appliquée au chantre d'Eloa ne manque pas de grâce
De Vigny, le frère des anges
Dont il a trahi les secrets.
Elle dut enchanter celui dont elle voulait exprimer le caractère littéraire.
A la suite des Trois Journées, où il s'était, comme d'autres poètes du groupe, armé et élancé vers le péril pour la cause de la liberté, Fontaney ne reçut aucune récompense. Mais le duc d'Harcourt, qui lui avait toujours marqué de l'intérêt, était envoyé comme ambassadeur à Madrid il lui olfrit de l'enmener comme attaché à sa personne, ce qui ne présentait, pour le jeune homme pauvre que resta toujours Fontaney, qu'un fort médiocre avantage. Le désir de voir du nouveau entraîna l'écrivain. Il partit à la fin d'octobre 1830, et, quatre mois à peine après son entrée en Espagne, il adressait au comte de Vigny une mélancolique et tendre lettre, où s'exprimaient tous ses regrets de s'être séparé de ses amis.
Il ne se pardonnait pas d'avoir renoncé, pour une trompeuse espérance, au bonheur qu'il goûtait dans leur société, lorsqu'il s'efforçait, à leur exemple et à
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leur suite, de tirer du travail d'écrivain son unique satisfaction, et lorsqu'il discourait intarissablement avec le plus courtois des interlocuteurs sur l'art et sur la poésie Ce document, d'un intérêt réel, fait comprendre, mieux qu'aucun autre, le charme un peu endormeur du Cénacle, et surtout il nous en dit long sur cette douce et persuasive attraction qui détachait déjà du groupe des fanatiques de Hugo, pour les attacher à Vigny et les retenir près de lui définitivement, certaines natures délicates ou un peu farouches, un Fontaney, un Brizeux, un Barbier, un Léon de Wailly (1). Voici cette lettre curieuse « Madrid, le 20 février 1831.
« Mon cher commandant (sic), je n'ai pas oublié que vous m'avez permis de vous écrire et que vous m'avez promis aussi de me répondre. Je me suis ménagé (sic) jusqu'ici ce double plaisir, mais c'est une ressource dont je ne puis me priver davantage. J'en ai réellement besoin j'ai beau faire, je ne puis m'accoutumer à la vie que je mène ici. On peut être quelque temps distrait par le mouvement du voyage, on peut être séduit par ce qu'il montre de neuf et d'inattendu, mais quand on s'arrête, quand il faut vivre dans un monde qu'on ne comprend pas et dont on n'est pas compris, cela devient un exil on est triste, bien triste, car l'on songe à ce qu'on a quitté. On comparse le présent au passé. On se reporte aux jours où l'on était si bien, et l'on se sent vivement puni d'avoir voulu mieux. C'est ce que j'éprouve depuis que je suis à Madrid. Ici, la séduction des lieux n'est pas puissante mais le fût-elle réellement, son influence eût peu duré. On ne vit pas (1) On pourrait s'étonner qu'un livre sur les Amitiés d'Alfred de Vigny s'en tienne à une simple mention au sujet d'amis comme Barbier, Brizeux. Busoni, Léon de Wailly. C'est par une étude développée de ce groupe important que débutera la deuxième partie de ce travail, celle qui s'intitulera L'influence littéraire
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d'ailleurs avec les pierres et les églises, mais surtout j'en suis peu capable. Il est bon de voir aussi des hommes, différents peut-être de tous ceux qu'on connaît, mais que ce soit pour un temps donné et avec esprit de retour, qu'on songe que bientôt on reverra ceux avec lesquels surtout on aime à vivre et qu'on causera longtemps avec eux de ce qu'on aura rencontré. Cet espoir et cette consolation me manquent. J'ai quitté ces âmes de choix, qui voulaient bien aimer et un peu la mienne, et je ne sais plus quand je les retrouverai. Ne me plaignez-vous pas ? Dites Parmi ces amis dont le souvenir m'est si précieux, c'est à vous surtout que je songe. Quand vient le mercredi (1), je ne puis oublier que ce jour-là nous étions sûrs de vous voir. Nous étions quelques élus, qui restions bien tard avec vous près de votre chambre, nous laissant emmener par nos longues causeries sur l'art et la poésie. Nous en causions, en effet, beaucoup et c'était un bonheur, le seul peut-être que nous leur dussions car hors de deux ou trois petits salons, derniers sanctuaires où s'étaient réfugiés ces dieux tombés, il n'y avait plus moyen de prononcer leur nom. Partout ailleurs, ce n'était que rire et mépris pour eux et ceux qui les voulaient soutenir. Mais entre nous ce n'était pas de même. Il y avait encore de bonnes et pures soirées. Je vous entends encore, mon ami votre voix était si douce quand vous ouvriez à vos amis votre belle âme. C'était bien là le poète suave, triste et tendre qui nous avait d'abord parlé dans la solitude. Nous retrouvions ses vers dans son accent, dans son regard. Ces moments ne sont plus pour moi, ils sont déjà bien loin. Je ne les oublie cependant pas, croyez-le bien.. Vous relire dans ma mémoire est une de mes consolations. Quelques femmes auxquelles je vous récite semblent un peu vous comprendre aussi, mais à peine, et ce n'est pas assez pour moi, je voudrais d'elles plus qu'un sourire, mais que puis-je vouloir davantage ? C'est déjà beaucoup. Comment exiger ici que l'on comprenne ce qu'autour de vous on voulait à peine entendre ? Vous voyez que je ne (1) Le mercredi était dès lors et demeura le jour de réception d'Alfred de Vigny.
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être ici bien heureux. Il me manque tant de choses, tant de voix amies Parlez-moi du moins un peu. N'oubliez pas celui qui vous aime tant et se souvient si fort de vous. Je compte sur un souvenir en échange de tous les miens. Répondez-moi, priez Emile à qui j'ai écrit il y a quelque temps de ne pas m'oublier non plus. En faisant remettre vos lettres à l'Arsenal chez Nodier, elles me parviendront. Je compte sur votre amitié et quelques mots venus jusqu'ici m'en seront la meilleure preuve. J'ai reçu dernièrement une lettre bien triste de Sainte-Beuve (1). Etes-vous tous à Paris aussi sombres que lui, que moi ? Dites-lemoi, parlez-moi de vous, de ce que vous faites rien, vous le savez, ne m'intéresse davantage. Adieu! Ne m'oubliez pas et recommandez-moi au souvenir de nos chers amis. « Votre tout affectionné et dévoué,
« FONTANEY. »
L'attaché particulier de l'ambassadeur de France à Madrid ne put y tenir. Une lettre, écrite par Sainte-Beuve à Victor Pavie, au mois d'août 1831, nous le montre déjà de retour à Paris et réuni aux amis romantiques « Fontaney est revenu d'Espagne toujours le même homme et un peu plus diplomate qu'avant. J'ai dîné avec lui dimanche chez Nodier, qui publie d'ici un mois un volume de Souvenirs de jeunesse, sous le nom de Maxime Odin. »
Est-ce Alfred de Vigny qui désigna Fontaney a Buloz, au moment où l'avisé Savoyard, devenu acquéreur de la Revue des Deux et désireux de transformer en magazine littéraire cette encyclopédie périodique des voyages, se préoccupait (1) C'est le moment de la première brouille du critique avec Victor Hu o.
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d'enrôler, comme rédacteurs, des prosateurs et des poètes jeunes, mais de premier rang ? Nous savons, nous avons montré qu'Alfred de Vigny rendit le même service à d'autres, et à Gustave Planche notamment. Toujours est-il qu'à partir du ler novembre 1831, où paraissait, signé du nom de Fontaney, l'article intitulé Scènes d'une de taureaux à Aranjuez, le diplomate démissionnaire devint le collaborateur régulier de la Revue. Sous son nom, ou sous le couvert des pseudonymes de Lord Feeling, de.Juan Martinez et de O'Donnoz, ou encore à la faveur de l'initiale Y., représentant un syndicat de rédacteurs, il publia des impressions de voyages, des nouvelles, des articles de critique, et tout cela de fine qualité. Le livre des Cent et Un, édité par Ladvocat, contient aussi deux récits romanesques de lui, et la Revue de Paris en imprimait un troisième, la Sœur Grise, lorsqu'il mourut. Est-ce Alfred de Vigny qui avait introduit Fontaney chez Mme Dorval ? Cette présentation eut un effet inattendu. Dans l'ombre, où on la laissait, grandissait une enfant d'une beauté saisissante, Gabrielle Dorval. Sa mère, la grande actrice, jeune encore, rayonnait, à ce moment-là, de gloire et de plaisir, et elle était environnée d'hommages. Le nouveau venu n'eut de regards que pour l'adolescente délicate, délaissée et délicieuse. Avec une ardeur qui s'explique trop bien pour qu'on en cherche les raisons, la jeune fille s'éprit de cet homme élégant et de manières nobles qui, le premier parmi les visiteurs, s'avisait de la découvrir. Elle annonça bientôt sa résolution de devenir sa femme. Mme Dorval jeta les hauts cris, et Gabrielle répondit par
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des propos de révoltée. L'actrice crut qu'elle aurait raison de sa fille en l'enfermant dans un couvent. Cette mesure, conseillée peut-être par George Sand, qui avait pris parti passionnément pour la mère galante, sa plus intime amie, précipita le dénouement. Gabrielle se fit enlever par son amoureux. Ils partirent pour l'Angleterre.
Ils pensaient bien s'y marier mais l'union qu'ils réclamaient leur ayant été refusée, ils s'en passèrent. C'est pour faire vivre sa jeune compagne que Fontaney resta, le plus souvent, en Angleterre et revint encore en Espagne, où la Revue des l'avait envoyé. Il publia, sur l'un pays, des articles de politique, des pages de critique littéraire et de critique d'art, de nouvelles impressions de voyage, comme Une visite à l'Escurial, et aussi des analyses d'œuvres de romanciers français ou de poètes. Il fournit, en dernier lieu, des portraits de femmes de lettres, très finement, mais quelquefois cruellement gravés.
Les déceptions de tout ordre, la tristesse qui s'ensuivit, les privations, le froid, la faim, torturèrent les amoureux. La phtisie s'abattit sur eux et, très rapidement, les détruisit. Ils étaient revenus à Paris. Les amis de la jeune femme et les amis de l'écrivain assistèrent à leurs obsèques, à quelques semaines de distance, le 16 avril et le 12 juin (1). Sur les registres de l'église paroissiale de Saint-Sulpice, M. Eugène Asse (2) a retrouvé l'âge des deux dé(1) De l'année 1837.
(2) M. Eugène Asse, auteur de très bons travaux sur la période romantique, a donné une monographie précise, et documenté aux sources originales, sur Fontaney, dans sa série Les petits
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funts Gabrielle Dorval, partie la première, était dans sa vingt et unième année Antoine Fontaney, qui la suivit de très près dans la tombe, avait trentequatre ans.
Une notice nécrologique, d'une excellente qualité, rappelait, peu de jours après, dans la Revue des Deux Mondes, les principaux traits de la carrière de Fontaney et louait très habilement ses ouvrages. Elle n'était point signée, mais, n'eût-elle pas été recueillie dans le deuxième recueil des Causeries du Lundi,qu'on y reconnaîtrait ia main de Sainte-Beuve. Une autre notice anonyme accompagna, dans la Revue de Paris, la publication posthume de la grise. Elle est d'un caractère plus intime et plus touchant. Il n'est pas interdit d'y voir l'inspiration d'Alfred de Vigny, soit traduite directement, soit fidèlement recueillie et notée par la plume d'un de ses proches amis, Emile Deschamps par exemple « M. distingué par l'esprit et par les connaissances, était un homme d'une grande délicatesse morale et d'un caractère digne. Les circonstances particulièrement douloureuses dans lesquelles se sont épuisées ses dernières années ajoutent à l'intérêt touchant que laisse sa mémoire au cœur de tous ceux qui l'ont connu ». C'était l'adieu de ces « quelques élus » (1) avec lesquels le tendre et nostalgique écrivain, exilé à Madrid, s'ennuyait tant de ne plus être. Il était revenu, une première fois, les retrouver, mais pour trop peu de temps il avait voulu les revoir, avant de disparaître pour toujours.
(1) Antony Deschamps écrivit une élégie touchante A la mémoire de dans son dernier livre de vers
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II
C'est chez Victor Hugo qu'Alfred de Musset fut présenté au comte de Vigny. Camarade de classe de Paul Foucher, il n'avait pas encore quitté les bancs du collège Henri IV, quand il fut introduit pour la première fois, par le jeune beau-frère de Victor Hugo, dans le logis quelque peu sacré de la rue Notre-Dame-des-Champs. Il n'acheva ses éludes qu'au mois d'août 1827, remportant, comme on sait, le second prix de philosophie au concours général, il s'en fallut de peu qu'on lui attribuât le prix d'honneur (1). Mais il ambitionnait d'autres succès que cette couronne scolaire, et, grâce encore à Paul Foucher, il publia, le 31 août 1828, dans un journal dijonnais, le Provincial, sa première ballade, Un rêve, signée timidement des initiales A. D. M. Très peu de temps après, il soumettait d'autres pièces de vers à Sainte-Beuve, qui en était assez frappé pour écrire au sujet de cette confidence « Il y a parmi nous un enfant de génie. » Enfin, il se décidait à lire tout haut devant les auteurs du Cénacle, en présence de Victor Hugo, une élégie et un drame espagnol, d'allure plus que romantique, Agnés de Guadarra, qui fut accueilli par de frénétiques bravos.
Je songe, malgré moi, aux paroles d'Alfred de Vigny dans le d'un poète: « On ne peut trop mettre d'indulgence dans ses rapports avec les (1) Il fut lauréat avec une dissertation sur ce sujet à traiter en latin « Quœnam judiciorum An cuncta ad possint reduci ? »
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jeunes gens qui consultent. il faut toujours les encourager, les vanter, les élever à leurs propres yeux. » Toute sa vie, le noble auteur des Poèmes et des Destinées mit cette maxime en pratique. Si jamais cette ardeur d'éloges fut à sa place, n'est-ce pas dans une pareille occasion ?
L'affectueuse admiration qu'Alfred de Vigny témoigna tout de suite à cet émule adolescent se révèle par le ton même de l'appel qu'il lui adressait, un peu avant le 24 octobre 1829, pour l'adjurer d'être à son poste de combat, le soir de la première d'Othello « Venez, brave poète » (1) Deux mois plus tard, Alfred de Musset reprenait la formule en priant Alfred de Vigny de venir entendre Don Paëz, Portia et
La soirée donnée par le père d'Alfred de Musset, rue de Grenelle-Saint-Ger main, pour cette lecture des Contes d'Espagne et d'Italie, dont on achevait l'impression, eut lieu le 24 décembre 1829. La lettre du 17 décembre, par laquelle le jeune auteur réclamait l'assistance d'Alfred de Vigny, n'est plus inédite. Elle fut communiquée, avec deux autres, par Georges Lachaud à Mme de Janzé, qui les imprima, non sans quelques libertés de transcription, dans son livre sur Alfred de Musset, où des compilateurs les ont reprises. J'en donnerai, d'après l'autographe. le texte rectifié et intégral:
« Mon cher Monsieur,
« Puis-je espérer que vous voudrez bien venir entendre (1 Et non pas « venez, brave cœur! » Cette leçon, donnée faussement, on ne sait trop pourquoi, par Mme Mutile de Janzé, dans son Alfred de Musset, et reproduite après elle, n'est pas dans le ton des relations entre les deux écrivains.
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ces malheureux poèmes que je me propose de lire? Vous y trouverez de nos amis et nous ferez bien grand plaisir. « Je ne puis que vous renvoyer l'exhortation que vous adressée pour Othello « Venez, brave poète » non qu'il s'agisse d'un danger, mais il ne s'agit pas moins d'un secours, et c'est surtout le vôtre que j'invoque car vous êtes aussi mon père in litteris.
« Je ne vais pas vous voir, retenu par d'interminables épreuves. Mais veuillez croire à mon sincère dévouement. « A. DE MUSSET,
« no 59, rue de Grenelle-Saint-Germain.
« 17 décembre. »
Nous savons, par l'ouvrage biographique de Paul -de Musset sur son frère, quels furent, à ce rendezvous littéraire, les principaux auditeurs les deux Deschamps, Victor Pavie, Ulric Guttinguer, de la Rosière, Louis Boulanger, Prosper Mérimée et Alfred de Vigny. Aucun des invités ne connaissait Mardoche, et. pour cause. Alfred de Musset, forcé de satisfaire aux exigences du libraire, qui réclamait encore cinq cents vers, indispensables pour parachever l'octavo, était allé les composer au Mans, pendant les deux premières semaines de septembre après en avoir improvisé six cents, les six cents vers de ce poème à la Beppo, il les avait, sans perdre un jour, portés à l'imprimeur.
Ces premières sensations amoureuses, si neuves de ton, si vives d'allure, si jeunes, je serais tenté de dire si ingénues, le masque du libertin, furent applaudies à outrance. Alfred de Vigny ne dut pas être des derniers à prédire le succès éclatant qu'allait remporter cet ouvrage.
Le fringant volume à couverture de papier jaune
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parut au commencement de janvier 1830 il souleva une rumeur d'irritation et d'enthousiasme.
Il est probable que ce livre, avec le bruit presque importun qu'en firent les adversaires tout aussi bien que les admirateurs, ne fut pas accueilli par Victor Hugo sans un froncement de sourcils, et que les intentions de parodie, soulignées par certains critiques, ne se trouvèrent point du goût d'Olympio. On pourrait le conjecturer d'après les derniers mots d'une lettre qui est inédite, et où s'exprime bien l'Alfred de Musset de ce moment, fanfaron paresse et très satisfait de lui-même, mais non pas lourdement grisé de son triomphe, comme l'eussent été beaucoup d'autres au lendemain de la publication
« Le lundi Sr (soir). »
«It will please me certainly, Sir, et je ne manquerai pas, si Dieu permet, à l'aimable invitation dont je vous remercie, vous et les beaux yeux de Lady Witherington.
« J'espère que vous pardonnerez à un pauvre jeune homme que j'arrache à deux heures d'après-midi de son lit de ne pas aller voir ses amis le matin.
« A mardi soir donc, et croyez que je vous rends cœur une amitié qui ne s'inquiète ni des cancans ni
la prosodie.
« Tout à vous,
« ALFRED DE M.
(1) La suscription de cette lettre est « A M. le comte de Vigny, n° 30, rue do Miroménil. Le cachet postal donne la date du 20 février 1830. Mrs. Witherington, honorée gratuitement du titre de Lady, est la jeune femme d'un peintre de paysage et de genre, William Frederick Witherington, dont on peut voir encore à Londres, au South-Kensington (musée Victoria et Albert, un bon tableau, The Hop Garden, envoyé par l'artiste à l'Académie en 1835. Les autres ouvrages de Witherington ont pris, il y a quelques- années, avec beaucoup d'autres tableaux, le chemin des musées de province.
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Dans ce mois de février 1830, la correspondance entre Alfred de Vigny et Alfred de Musset paraît avoir été assez active. Un court billet, publié sans indication de source (1) et daté un peu vaguement « février 1830 », semble signifier qu'Alfred de Vigny a pris chez le libraire, pour l'offrir à quelque lectrice peut-être l'Anglaise aux « beaux yeux » ? un exemplaire des Contes d'Espagne et d'Italie; qu'il a demandé à l'auteur de l'emporter et d'y inscrire une dédicace autographe en prose ou en vers que le volume ne revient pas qu'il se décide à l'envoyer chercher:
« Mon bon ami, remettez, je vous prie, les Contes d'Espagne et d'Italie à mon messager, qui n'est pas votre beau page. J'avais espéré que vous m'apporteriez ce livre j'en ai absolument besoin aujourd'hui — je ne puis plus attendre que vous-même qui viendrez, je pense, plus tôt que les poèmes que vous emportez ne reviennent.
« Adieu, tout à vous de
« ALFRED DE VIGNY. »
pense, à la première quinzaine du même mois le timbre postal donne, cette fois, le quantième 10, et le nombre 1830, déterminant l'année, mais l'indication du mois manqué que se rapporte un autre billet d'Alfred de Musset à Alfred de Vigny. Ce billet, déjà utilisé par Mme de Janzé, mérite d'être reproduit, et appuyé d'un commentaire
vous êtes bon d'être venu, et que je vous remercie de votre livre, dont j'ai dévoré la tête, c'est-à-dire la préface. Que j'y ai vu de belles et larges pensées si vraies (1) Correspondance d'Alfred de Vigny, recueil Sakellaridès, lettre xxiv, p. 36.
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et au fond de tout un peu tristes Le plaisir de vous lire vaut celui de vous voir, et je me prépare l'un par l'autre. « Votre tout dévoué de cœur,
« ALFRED DE
Le livre dont Musset remercie Alfred de Vigny est Le More de Venise, précédé de la Lettre â Lord* sur la soirée da 24 octobre 1829 et sur un système dramatique. La pièce et le manifeste, imprimés ensemble, avaient paru chez Levavasseur et chez Urbain Canel à la fin de janvier 1830. Alfred de Vigny essayait de prolonger et de grossir le succès indécis de son adaptation de Shakespeare. Il était revenu quelque peu meurtri de ce premier contact avec le grand public, et sa mélancolie, qu'il croyait bien dissimuler sous une tenue réservée et assez dédaigneuse, n'avait pas échappé au regard de ce lecteur ami, mais perspicace. Deux semaines après, le rideau du Théâtre-Français se levait sur une œuvre dramatique autrement personnelle, autrement éclatante que la version d'Othello la « soirée » du 25 février 1830 était la soirée d'Hernani.
Une autre lettre d'Alfred de Musset, portant le timbre postal du 1er septembre 1831, et imprimée déjà ailleurs (1), intéresse trop notre sujet pour n'être pas rapportée. Les romantiques intransigeants traitaient déjà comme un transfuge le poète qui donnait, cette année-là, dans la Reuue de Paris, plusieurs pièces caractérisées par le retour au goût classique, les stériles, Octave, et les Pensées de Raphaël, gentilhomme français.
(1) Mme de Janzé, Alfred de Musset.
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Les sentiments d'amitié d'Alfred de Vigny pour Alfred de Musset n'avaient fait que s'accroître. Son désir de demeurer le confident des œuvres encore inédites avait dû se manifester, et c'est à quoi répond surtout la lettre fantasque, humoristique, mais cordiale du jeune écrivain
« Je suis comme ces femmes enceintes qui croient toujours que leur dernier enfant sera le plus beau et qui, au milieu d'une lignée de hiboux, croient avoir l'Apollon du Belvédère dans le ventre; c'est ce qui fait que je n'ai point encore usé ou abusé de votre bonne et utile amitié. « Je suis, hélas en travail d'un dernier monstre que les naturalistes de la littérature expliqueront comme ils pourront, et au lieu de le mettre dans un bocal d'esprit-devin, je le tire à grand'peine par les jambes d'une bouteille Aussitôt l'accouchement j'espère que vous me permettrez d'en appeler à cette promesse que vous me rappelez d'une manière si aimable, et de vous voler quelques heures de poète pour les rêveries d'un oisif qui est tout à vous de cœur et d'esprit.
« ALF. DE M. »
« Mercredi Sr (soir). »
Dans le recueil des lettres de toute provenance qu'Alfred de Vigny avait tenu à conserver et que, vers la fin de sa vie, il avait classées, étiquetées, quelquefois annotées, le dossier peu chargé d'Alfred de. Musset ne contient plus qu'un document. C'est un joli billet de recommandation non daté, mais écrit, à n'en pas douter, pendant la période des premières représentations d'Antony, c'est-à-dire dans le courant du mois de mai 1831. Ce billet, déjà édité, mérite d'être relu, transcrit exactement d'après l'autographe, et commenté avec attention
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« Je viens (d'abord pour vous voir et vous demander de me pardonner de n'être pas venu mille fois plutôt (sic) et poï, pour vous demander une protection pour une grande belle protégée de ma façon. Elle l'est aussi d'un de vos amis, Alfd de Belmont si à nous deux, nous avons un peu de crédit sur vous, Mlle Aglaé Larché, du Conservatoire, qui a figuré aux Français, obtiendra de votre bonne intervention un petit mot de recommandation de notre belle et grande tragédienne, Mme Dorval, son unique ambition étant d'être acceptée par le directeur de la Porte-Saint-Martin, M. Crosnier, pour y remplir les petits rôles de Juliette. Si vous consentez à lui faire cette faveur, vous m'enverrez par la très petite poste un mot de la belle maîtresse du furieux Antony, signé de sa blanche main, et dicté par l'auteur de Cinq-Mars, et la reconnaissance d'une jolie femme se joindra pour vous en remercier à celle du vieux Rafaël votre dévoué ami. Munie de cette recommandation, ma protégée se présentera en toute assurance au directeur de qui elle sollicite admise à ce théâtre qui retentit chaque soir des applaudissements qu'on prodigue à la reine du drame de ce siècle.
« Tout à vous de cœur,
« ALF. DE MUSSET. »
Ainsi, au mois de mai 1831, la liaison d'Alfred de Vigny et de' Mme les expressions de Musset semblent le dire; du moins— a déjà pris, et peut-être depuis quelque temps, un caractère assez intime. Il est, on peut dire, certain qu'Alfred de Vigny n'avait pas fait encore jouer la Maréchale d'Ancre quelques semaines plus tard,. Alfred de Musset n'eût pas manqué d'y faire allusion, ou, tout au moins, il n'aurait pas eu la politesse maladroite de ne louer que « l'auteur du Cinq-Mars » dans un poète amoureux de « la Reine du Drame ».
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Un autre détail de la lettre a son La « protégée » d'Alfred de Musset et d'Alfred de Belmont veut entrer à la Porte-Saint-Martin pour y remplir « les petits rôles de Juliette ». Cette Juliette n'est autre que la belle actrice qui allait devenir, à partir de Lucrèce Borgia, la maîtresse attitrée et plus qu'avouée de Victor Hugo on sait qu'elle à vécu pour lui, tout près de lui, particulièrement à partir de l'exil, en véritable reine de la main gauche. Si les petits rôles de Juliette sont à prendre, c'est sans doute parce que Victor Hugo, immédiatement après la nomination de Crosnier comme directeur, a signé avec lui un traité par lequel « il s'engage à donner par an au théâtre de la Porte-Saint-Martin deux ouvrages d'une importance telle que chacun d'eux puisse seul remplir, au moins pendant les premières représentations, toute la durée du spectacle ». L'ambition de Juliette d'aborder les grands rôles dramatiques s'est très probablement manifestée, et l'on raconte déjà dans les coulisses du théâtre qu'elle a des promesses de Victor Hugo. -Elle débutera, en effet, non pas dans Marion de Lorme, qui a été mis en répétitions le 4 mai, qui va se jouer le 11 août, et qui n'a d'ailleurs qu'un rôle de femme, celui de Marion, attribué à Mme Dorval, mais dans Lucrèce Borgia. Le poète imaginera pour cette actrice sans talent, je ne dis pas sans astuce, le personnage insignifiant et fastueux de la princesse Negroni, et, après cet essai peu probant, il poussera l'imprudence jusqu'à lui confier le rôle de Jane dans Marie Tudor elle y sera si empruntée et si fausse qu'elle devra, sous prétexte d'indisposition grave, le soir même de la première représentation, céder la
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place à une autre et descendre des planches où on ne la verra pas remonter.
Mme Dorval fit-elle le moindre effort pour entraîner dans son sillage lumineux la jeune personne qu'Alfred de Musset voulait aider à se produire ? Une note, tracée au crayon par Alfred de Vigny en tête de la lettre de son ami, semble nous dire le contraire
« Une troupe d'oiseaux de passage
ne regarde pas ceux qui tombent en volant,
mais continue sa route avec le vent elle ne s'arrête pas à voir ceux qui se brisent et ceux qui ne
peuvent pas voler. Elle continue sans pitié.
Tout est pour elle dans l'instant présent. »
Cette glose mélancolique, tournée au symbole et rédigée un peu à la façon de ces projets de pièces si nombreux dans le Journal d'un poète, Vigny dut l'écrire très longtemps après le moment où le billet de « Rafaël » lui était parvenu. Mais, dès 1833, des amours plus profondes et plus décevantes avaient chassé de l'esprit d'Alfred de Musset l'image d'Aglaé Lascher, et, quatre années plus tard, de cette ardente passion d'Alfred de Vigny pour Mme Dorval il ne restait plus que des cendres.
Je ne sais pas si d'autres lettres s'échangèrent entre Alfred de Vigny et Alfred de Musset, mais ce dont on peut être sûr, c'est qu'ils ne cessèrent jamais d'être attachés, comme ils disaient, « de tout coeur » l'un à l'autre. En 1835, lorsque Vigny fit jouer Chatterton, Musset, redevenu, après une rupture très violente et assez prolongée, l'amant de Mme Dudevant, entendit la pièce avec elle. Au sortir d'une de ces représentations où la Dorval faisait
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passer un frisson chez l'être le plus blasé et arrachait des pleurs aux plus sceptiques, le poète, dont le cœur allait répandre, dans les Nuits, des sanglots si désespérés, des imprécations si douloureuses, ne put se retenir de traduire son sentiment sur le drame et ses détracteurs; il écrivit ce généreux sonnet chez sa maîtresse (1)
Quand vous aurez prouvé, Messieurs du journalisme, Que Chatterton eut tort de mourir ignoré,
Qu'au Théâtre-Français on l'a défiguré,
Quand vous aurez crié sept fois à l'athéisme,
Sept fois au contre sens et sept fois au sophisme,
Vous n'aurez pas prouvé que je n'ai pas pleuré,
Et si mes pleurs ont tort devant le pédantisme,
Savez-vous, moucherons, ce que je vous dirai?
Je vous dirai Sachez que les larmes humaines
Ressemblent en grandeur aux flots de l'Océan.
On n'en fait rien de bon en les analysant
Quand vous en puiseriez deux tonnes toutes pleines,
En les faisant sécher, vous n'en aurez demain
Qu'un méchant grain de sel dans le creux de la main. Ce sonnet, improvisé assez heureusement, fut suivi d'un autre plus médiocre ou plus mêlé que Musset écrivit sans doute après avoir lu le compte rendu dramatique de dans la Revue des Deux Mondes. Dans cet article très exclusif, Gustave Planche, la veille encore ami d'Alfred de Vigny, s'acharnait assez brutalement contre son dernier ouvrage de théâtre.
(1) Ce sonnet a été imprimé pour la première fois, en 1904, par M. Félix Decori, dans la Correspondance de George Sand et d'Alfred de Musset, publiée intégralement d'après des documents originaux.
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On parla beaucoup de ces vers inédits le bruit en vint jusqu'à Buloz. Il les aurait peut-être publiés pour adoucir la blessure d'amour-propre d'Alfred de Vigny (1), mais Alfred de Musset, qui, peu de temps auparavant, avait voulu se battre en duel avec Gustave Planche, et qui, après explications, avait laissé l'affaire s'arranger, jugea peu élégant d'égratigner de la plume un adversaire avec lequel il avait voulu d'abord croiser l'épée. Il refusa de laisser imprimer ces vers de circonstance, sous prétexte qu'ils n'étaient pas bons. Il ne voulait pas, en les discréditer sa marque littéraire « Ce n'est pas écrivit-il à Buloz que je ne sois très disposé à rendre à de Vigny, ou publiquement ou en particulier, la pleine justice qui lui est due, sur un des plus beaux drames de cette époque dites-lui, je vous en prie, si vous le voyez, combien j'admire Chatterton et que je le remercie de tout cœur de nous avoir prouvé que, inalgré les turpitudes qui nous ont blessés, dégradés et abrutis, nous sommes encore capables de pleurer et de sentir ce qui vient du cœur. Dites-lui que j'ai fait un du deux méchants sonnets là-dessus, lesquels sont brûlés, mais que je n'en professe pas moins haut mon admiration. (2). »
(1) Sainte-Beuve, toujours prêt à souligner les bévues de Gustave Planche, allait faire entendre un autre son de cloche en réponse à l'article, il écrivit dans la Revue du 1er mars Nous ferons des vœux pour que la popularité de Chatterton réfute glorieusement l'opinion individuelle d notre collaborateur. fout assure, au reste, une brillante carrière au drame touchant de M. Alfred de Vigny. »
(2) On retrouve dans la Revue des Deux Mondes, dans la Chronique datée mars 1835, la paraphrase du sonnet d'Alfred de Musset a Quand il (le critique) vous aura longuement entretenu des vices du poème, du défaut d'agrérpent des rôles, de tous les griefs plus ou moins fondés que son esprit d'analyse lui suggère, dites-lui seulement « Tout cela est vrai peut-être, mais veuillez m'expliquer comment il se fait que j'aie pleuré ».
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Alfred de Vigny garda le souvenir de cette sympathie ardente Quand Alfred de Musset se présenta à l'Académie française, il se fit le patron de cette candidature de poète. Il y intéressa- ses amis intimes, les Ancelot. Leur petit salon était alors une antichambre de cet autre salon, plus fermé et plus exclusif, placé sous la Coupole. Le 15 juin 1852, il écrivait du Maine-Giraud (1) qu'il recevait à la campagne jusqu'aux cartes de visite des candidats « comme Berryer, Montalembert, Musset, que NotreDame l'Académie vient d'élire ». Il ajoutait, en regrettant, sans doute, de n'avoir pas pu prendre part au vote définitif, qu'il avait beaucoup désiré le succès de ce dernier « Avant de partir de Paris, j'avais fait manquer une élection parce que je n'avais pas voulu donner ma voix à d'autres qu'à Musset. Nous étions quatre immuables dans cette idée qui depuis a fait des prosélytes comme vous voyez. »
Cinq ans seulement après sa réception, dans la nuit du au 2 mai 1857, ayant à peine dépassé l'âge viril, mais ayant déjà longuement et durement souffert des désordres consécutifs d'une affection cardiaque, Alfred de Musset expirait entre les bras de son frère. C'était une perte cruelle pour la poésie A cela rien à répondre, les larmes, l'émotion ne sont point du ressort de l'analyse c'est là un fait mystérieux, illogique, irrationnel c'est un fait de sentiment placé au-dessus du raisonnement et de la discussion, et c'est aussi le plus grand triomphe du poète. la plus belle gloire qu'il puisse ambitionner, le succès le plus grand où puisse prétendre un homme, puisque la perfection n'est pas de ce monde, et que ce serait folie de l'espérer pour soi et de l'exiger pour les autres.
(1) A sa cousine la vicomtesse du Plessis. Cf. Correspondance, p. 231.
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c'était un douloureux déchirement pour l'amitié. Alfred de Vigny fut du petit nombre de ceux que, cette fin prématurée émut profondément.
Aux funérailles, le deuil fut conduit par Paul de Musset les cordons du poêle étaient tenus par Villemain, Vitet, Empis et Alfred de Vigny.
Cinq semaines après la cérémonie des obsèques, le dimanche 7 juin 1857, Alfred de Vigny recevait ce billet d'une visiteuse à laquelle sa porte ne s'était pas ouverte ce jour-là
« Monsieur,
« C'est pour une chose sérieuse et très pressée, que j'ai eu l'honneur de me présenter chez vous ce matin. Je venais de la part de M. Paul de Musset vous prier de donner votre signature pour une demande qu'il adresse au préfet de la Seine, In d'obtenir au cimetière une place plus digne de son illustre frère, votre collègue et ami.
« Agréez, Monsieur, l'expression de mon profond respect.
« ADELE COLIN,
« Gouvernante de M. A. de Musset,
6, rue du Mont-Thabor. »
Le billet inédit, porte cette note de la main d'Alfred de Vigny « Mme Adèle Colin, femme de chambre fidèle d'Alf. de Musset. »
Avec le mot de la gouvernante, Alfred de Vigny recevait cette lettre de Paul de Musset également inédite
« Monsieur,
« Voulez-vous avoir la bonté d'appuyer la demande ciannexée de l'autorité de votre signature, si vous n'y avez point de répugnance? Je vous en serai bien reconnaissant. J'adresse la même prière à MM. Mérimée, Sainte-Beuve
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et Empis, seulement On m'assure que c'est assez pour réussir. La photographe que je vous ai promise n'est pas encore prête, mais elle sera meilleure que celle trop noire dont je vous ai montré le 1er exemplaire.
« Excusez mon indiscrétion et agréez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments de vive et ancienne sympathie. « PAUL DE MUSSET. »
7 juin 1857.
Le premier mouvement d'Alfred du Vigny fut de tracer sur le billet même du frère l'ébauche d'une réponse « J'attends, Monsieur, vos ordres pour le jour et l'heure. » mais le mot « très pressée » du billet de la gouvernante lui revint à l'esprit le second mouvement fut donc de laisser sa plume et de se rendre, sans délai, dans la maison en deuil. Plus de vingt ans auparavant, lorsqu'Alfred de Musset encadrait sa courte élégie de Lucie de ce refrain funèbre, devenu presque inséparable de son souvenir
Mes chers amis, .quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
il mettait sans nul doute Alfred de Vigny au nombre de ces amis sûrs, auxquels il paraissait dicter déjà ses volontés dernières, et il avait raison de faire fond sur sa fidélité.
III
Alfred de Vigny eut la tristesse de suivre le convoi funèbre de Fontaney et de Musset, ses cadets tous les deux, morts prématurément. Théophile
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Gautier le mena au tombeau il était de quatorze ans plus jeune que Vigny, et il lui survécut pendant un espace de neuf années.
L'enthousiasme presque idolâtre que l'auteur d'Alberfus, de la Comédie de la Mort, des Emaux et Camées, manifesta, depuis sa première jeunesse jusqu'à son dernier jour, pour les facultés lyriques, dramatiques, épiques, de son maître Victor Hugo, aurait pu lui cacher l'originalité rare du mystère d'Eloa, ou la puissance de pensée des Destinées, traduite bien souvent avec une noblesse d'expression incomparable. Mais la faculté d'admiration d'une âme comme celle qui s'est définie dans ce vers, divin
Et le bonheur d'autrui n'offense pas mes yeux
ne fut jamais exclusive ou bornée.
Toutes les fois que l'occasion s'offrit à Théophile Gautier de dire son sentiment sur Alfred de Vigny ou sur quelqu'une de ses œuvres, il découvrit, pour rendre ce qu'il pensait, des façons de parler si vives, si heureuses, que la critique la plus ferme et la plus subtile n'en fournira jamais l'équivalent. En 1857, quand le Théâtre-Français reprit le drame de Chatterton, Théophile Gautier déclara aux lecteurs de la génération nouvelle que « la première de ce drame, le 12 février 1835, avait été l'une des plus vives impressions de sa jeunesse » Et, après avoir reconnu que la pièce s'était démodée, que certaines parties pouvaient sembler caduques, il mettait en lumière, avec un art pénétrant, avec une sincérité d'admiration irrésistible, les beautés demeurées vivantes dans cette Il écrivait joyeu-
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« Le dénouement a remué les spectateurs comme aux premiers jours. La passion la plus extrême et la plus pure y palpite d'un bout à l'autre. La figure de Kitty Bell, cette angélique puritaine., cette terrestre sœur d'Eloa, est dessinée avec la plus idéale pureté. Quel chaste amour Quelle passion voilée et contenue A peine au moment suprême son secret se trahit-il dans un sanglot de désespoir
En 1857, Alfred de Vigny vivait encore. Six ans plus tard, comme on sait, il expirait après des mois et même des années de cruelles douleurs. Presque au lendemain des obsèques, le 28 septembre 1863, Théophile Gautier interrompit les comptes rendus ordinaires de son feuilleton dramatique du Moniteur pour y exprimer, d'abondance de cœur, avec une éloquence émue et délicate, l'éloge du poète mort « Peu d'écrivains disait-il ont réalisé comme Alfred de Vigny l'idéal qu'on se forme du poète. De noble naissance, portant un nom mélodieux comme un frémissement de lyre, d'une beauté séraphique que même vers les derniers temps de sa vie l'âge ni les souffrances n'avaient pu altérer, doué d'assez de fortune pour qu'aucune nécessité vulgaire ne le forçât aux misérables besognes du jour, il garda pure, calme, poétique, sa physionomie littéraire. Il était bien le poète d'Eloa, cette vierge née d'une larme du Christ et descendant par pitié pour consoler Lucifer. Ce poème, le plus beau, le plus parfait peut-être de la langue française, de Vigny seul eût pu l'écrire, même parmi cette pléiade de grands poètes qui rayonnaient au ciel. Lui seul possédait ces gris perlés, ces reflets de nacre, ces trans-
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parences d'opale, ce bleu de clair de lune, qui peuvent faire discerner l'immatériel sur le fond blanc de la lumière divine. Les générations présentes ont l'air d'avoir oublié Eloa. Il est rare qu'on en parle ou qu'on le cite. Ce n'en est pas moins un inestimable joyau à enchâsser dans les portes d'or du tabernacle. »
Il définissait plus rapidement, mais dans des formules singulièrement adéquates aux œuvres, l'utilité et le mérite d'Othello, la belle couleur historique de la Maréchale d'Ancre, la généreuse et chimérique candeur des revendications de Chatterton, l'intérêt de Cinq-Mars, la fantaisie de Stello, la vérité et l'émotion de Servitude et Grandeur mililaires, et brusquement, redevenu poète aussi pour nous représenter, par quelque trait définitif, le poète qui lui était cher, il s'élevait d'un coup d'aile puissant dans cette radieuse région, inaccessible à tant de prosateurs, des symboles profonds et des immortelles images « Quand on pense à de Vigny, on se le représente involontairement comme un cygne nageant le col un peu replié en arrière, les ailes à demi gonflées par la brise, sur une de ces eaux transparentes et diamantées des parcs anglais, une Virginia Water égratignée d'un rayon de lune tombant à travers les chevelures glauques des saules. C'est une blancheur dans un rayon, un sillage d'argent sur un miroir limpide, un soupir parmi des fleurs d'eau et des feuillages pales. On peut encore le comparer à une de ces nébuleuses gouttes de lait sur le sein bleu du ciel, qui brillent moins que les autres étoiles parce qu'elles sont placées plus haut et plus loin. » Il y a là plus que de l'admiration, et nous pouvons
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y démêler comme un accent profond de gratitude, de tendresse. Qu'avait donc fait Alfred de Vigny pour être aimé ce mot n'est pas trop fort de Théophile Gautier? Il l'avait accueilli, à l'heure de ses débuts, avec cette grâce innée et ce charme vainqueur dont nul de ceux qui s'approchaient ainsi dé lui et qui le méritaient ne put perdre le souvenir. C'est là le fait insoupçonné et vraiment curieux que nous révèle une lettre inédite, signée dé la vicomtesse de Fontanges, et adressée, le 21 septembre 1830, à l'ancien officier du 55e (1), déjà devenu un écrivain d'un assez glorieux renom
« Encore un malheur pour moy, Monsieur le comte de Vigni y sera bien sensible, il avoit de l'amitié pour ma pauvre sœur Mad. de Montagut qui vient de nous être enlevée perte affreuse pour sa famille et si cruelle pour moy.
« La douleur ne me permet pas d'aller le prier d'accorder son patronage à M. Gautier, jeune homme intéressant sous tous les rapports, il désire se livrer à la carrrière littéraire, il ambitionne le suffrage de M. le comte de Vigni, je suis chargée de luy offrir les vers contenus dans le recueil cy-joint. Ma pauvre sœur s'intéressoit vivement à ce jeune poète. M. l'abbé de Montesquiou luy accorde une bienveillance particulière. l'espère que M. le comte de Vigni me permettra de luy exprimer encore l'intérêt que je prends au succès de ce jeune homme dont toute la famille est très respectable et pour laquelle j'ai une grande amitié.
« Le saisis avec empressement cette occasion pour me rappeler au souvenir de M. le Comte de Vigni et luy renouveler l'assurance de l'attachement que je lui dois.
« LA Vesse DE FONTANGES.»
« Paris, 21 septembre 1830. Rue de Grenelle, n° 20. » (1) En 1825, au moment du mariage d'Alfred de Vigny, c'est le colonel de Fontanges qui commandait ce régiment.
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En tête de cette lettre précieuse, Alfred de Vigny avait écrit au crayon, bien des années après, une note explicative très sommaire, mais expressive en sa simplicité « lettre de recommandation pour le ouvrage de Théophile Gautier ».
Le lecteur assez courageux pour lire encore, après ce volume, celui qui lui succédera, sera frappé du nombre des poètes ou des prosateurs, quelquefois éminents, qui sont venus chercher l'investiture auprès d'Alfred de Vigny, et qui constituent, autour de lui, ce qu'on peut appeler sa clientèle littéraire. Pour quiconque honore Vigny, il n'est pas indifférent de savoir que Théophile Gautier tient le bout d'une chaîne qui aboutit, par l'autre extrémité, à Baudelaire et à Mistral.
Et pour tous ceux qui admirent encore Gautier, parlons plus justement, qui n'ont pas cessé des l'aimer, ce n'est pas, à coup sûr, une surprise, mais c'est tout de même un plaisir que de trouver chez lui ce souvenir très persistant, très gravement ému, de l'encouragement donné à sa première production. Un mot d'éloge fin, pénétrant, motivé, a tant de prix pour un poète adolescent il est si doux à sa pudeur frémissante de débutant il est si décisif, le plus souvent, pour son œuvre à venir Dans une âme petite et basse, le sentiment de ce bienfait s'efface vite ou se corrompt mais dans le coeur, né généreux, d'un Fontaney, d'un Musset, d'un Gautier, il ne s'altére pas, il ne s'éteint qu'avec la vie..
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ERRATA
Page 29, ligne 11, au lieu de Thompson, lire: Thomson. 49, ligne 9, au lieu de Dictionnary, lire Dictionary. note, au lieu de Langhton, lire Laughton.
56, ligne 5, au lieu de chef de parti, lire: chef du parti. 82, ligne 30, lieu de ha veseen, lire have seen. 87, note, au lieu Migne, lire Mignet.
90, ligne 8, au lieu de 1848, lire 1838.
95, ligne 28, au lieu de l'année, lire l'armée.
100, ligne 8, au lieu de littéraires, lire romantiques. 124, ligne 15, au lieu de aux nues il, lire aux nues; il. 173, note. au lieu de Boulanger, lire Boulenger. 235, ligne 23, au lieu de en 1830, lire en 1930.
240, ligne 35, au lieu ne abusant, lire en abusant. 246, ligne 16, au lieu de lui paraîtra plus, lire ne lui paraîtra plus.
264, ligne 29, au lieu de de Maine Giraud, Iire du Maine-Giraud.
280, ligne 35, au lieu de de théâtre, lire du théâtre. 288, ligne 26, au lieu de: je le craignais, lire je la craignais. 315, ligne 21, et 316. ligne 6. au lieu de Lamartime, lire Lamartine.
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INDEX DES NOMS PROPRES
Lieux, auteurs, principaux ouvrages.
ADIEUX (les) de H. de Latouche, 171, 183, 184, 185 et note, 187.
ADIEUX POÉTIQUES (les) de G. de Pons. 114, 118 (note), 125, 126, 128.
AGRESTES (les) de H. de Latouche, 187.
AGUESSEAU (marquis d'), 197, 201.
ALARIC (la tour d'), 12.
ALBERTUS de Th. Gautier, 391. ALMEH (l') d'A. de Vigny, 127. AMITIES LITTÉRAIRES (les) de G. Planche, 356, 360 (note).
AMOUR, A ELLE de G. de Pons, 123.
ANCELOT, 195, 196, 197, 388. ANCELOT 87, 198, 209 et note, 388.
de Racine. 21. ANGELO de V. Hugo, 243.
ANNALES DE LA ET DES BEAUX-ARTS, 196, 218.
ANNALES ROMANTIQUES, 185 (note), 369.
ANTICLÉRICALISME (l') d'Emile Faguet, 51 (note).
ANTONY d'Alexandre Dumas. 142, 209, 267, 273, 274, 275, 276, 282, 367, 382, 383.
AREMBÈRT (prince d'), 38.
ARIOSTE 29 (note).
ARTISTE (Journal l'), 34 (note), 344. 346, 327.
ASSE (Eugène), 374 et note.
ATALA (l'auteur d'). Cf. Girodet, 11. ATHENÆUM (club de l'), 54, 55.
(journal l'), 53.
AUMALE (duc d'), 49.
AURAY, 22 (note).
(John), 54, 55, 56, 57, 58, 61.
AUSTIN (Mrs. Sarah), 49, 50, 54, 55. 56 et note, 57, 58, 60,
61, 88, 89, 90.
(Journal l'), 149, 150, 164, 275. 277.
BAL (le) d'Alfred de Vigny, 119, BALLADES. MÉLODIES ET POÉSIES
DIVERSES de Fontaney, 366.
49, 206, 207, 345. BALZAC 126.
BAOUR-LORMIAN, 213, et note, 215.
BAPTÊME DU DUC DE BORDEAUX (le) de V. Hugo, 219.
BARAUDIN ( Amélie de), comtesse Léon de Vigny, 3, 4, 5, 6, 7,
20, 21, 22, 23 et note. 30, 31
et note, 32, 33, 34, 35, 134,
135, 153, 161, 210, 217, 221,
278, 315, 317.
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BARAUDIN (Didier de),22,23,131. (Louis de), 21 (note), 22 et note. 220, 221.
BARAUDIN (Sophie de) chanoinesse, 4, 5, 18, 19, 20, 21, 22, 23 et note.
BARAUDINI (Emmanuel), 22.
BARBÈS, 104.
(Auguste), 1, 49, 50, 88, 255, 307, 310 et note.
BARBIER DE SÉVILLE (le), 26.
BASTIDE. 307.
BATTA, 54
BAUDELAIRE (Charles), 207 et note. 395.
BEACONSFIELD (lord),Cf. 71.
BEAUMONT (Alfred de), 60.
BEAUMONT-LES-TOURS (couvent de), 10.
BECKFORD,
16.
BELLEFONTAINE (château de), 224, 225, 323.
BELLOY (de), 347.
BELMONT (Alfred de), 383, 384. (Apollon du), 15. BENSERADE, 368
BERKSHIRE, 75.
BERLIOZ, 16, 90 et note.
BERNARD-CHEVALIER, 244.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, 305.
BERRY (Miss). 55 et note.
BERRYER,
BERTIN (chevalier de 121.
BERTIN (Edouard), 341, 342, 348. (les) des Débats, 160, 341.
BERTRAND OU LE CHATEAU DE SAINT-ALDOBRAND. Cf. Maturin.
BIRÉ (Emond), 114, 116.
BLANCHE 159, 169.
BLESSINGTON (lady), 45, 55(note). 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67 et note, 68, 70, 71, 76, 84, 85, 86, 90, 91 et note, 92.
BLESSINGTON 61, 63, 64, 67.
BOILEAU, 29.
BONAPARTE, 135.
BONNAT, 214 (note).
BONNES-LETTRES (Société des), 195, 196, 198, 220.
26.
BOULANGER (Louis),254, 272; 378. BOULENGER (Jacques).173 (note). BOULOGNE (bois de), 13.
BOUGAINVILLE (les), 67.
BOURNEVILLE (château de), 27, 29.
BOURQUELOT, 29 (note).
BRIÈRE DE 302, 303. 195, 196, 197, 198 et note, 199, 200, 201 et note,
204, 270, 319.
BRITISH (library), 45 (note).
BRIZEUX, 53, 107, 164, 168, 255, 344, 370 et note.
BROGLIE (duc de), 341.
BRUGUIÈRE DE SORSUM, 122, 197. BUG-JARGAL de V. Hugo, 192 (note), 219.
BULLER (Charles), 76.
149, 151 et note, 251 et note, 252 (note), 253, 332
(note), 334, 354, 358, 359,
362, 372, 387.
Cf. Lytton.
BUNBURY ( colonel Humilton) 43 et note, 161 et note.
BUNBURY (Hughes Mill), 43, 46. BUNBURY (Lydia) comtesse Alfred de Vigny, 34 et note,
36, 43, 46, 132, 133, 139,
157, 161,182 (note), 183, 190,
210, 212, 233, 234 et note,
260, 269, 287, 317, 322.
BUNBURY (Mrs., née L. Cox), 43, 161 (note).
BURDETT (sir Francis), 69.
BURGRAVES (les), 256.
BUSONI (Philippe), 45, 89, 98, 108 et note, 145, 255, 307,
343 (note), 344, 358 (note),
370 (note).
BYRON (lord), 45, 63, 64, 82, 118 et note, 121, 367, 368.
CABARRUS (Dr), 92.
CAILLEUR (Alphonse de), 95, 96, 97, 105, 106, 194 (note).
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LITTÉRAIRE (la) de H. de Latouche, 170, 172, 316 et note.
CAMPBELL, 46.
CAMPENON, 207.
de H. Reeve, 53. CARLYLE, 48, 54.
CARREL (Armand), 245.
ROYAL (le) d'A. de Vigny, 218.
CAUSERIES DU LUNDI, 335 (note), 375.
CAVE. 107. 108 et note, 109. CÉNACLE (le), 129, 136, 149,153, 190, 209 (note), 231, 250, 283, 325, 332, 335, 339, 346 (note), 347, 367, 368, 370, 376.
CHALON (Alfred-Edward), 62 (note), 70 et note.
CHAMPFORT, 180
CHAMPMARTIN, 344.
CHAMPS-ELYSÉES, 12.
CHANT DU SACRE (le) d'A. de Lamartine, 287.
CHAPEL-STREET, 53, 54.
CHARAVAY (Etienne), 206, 207 et note.
CHARLES VII CHEZ SES GRANDS VASSAUX d'A. Dumas, 277,282. CHARTRES (duc de). 60.
CHATEAUBRIAND, 101, 102 (note). 105. 136, 180 (note), 196, 220, 227, 286. 367.
CHATTERTON, 50, 51, 66, 125, 126, 142, 155 et note, 158, 167, 187 (note), 209, 279, 280, 299, 305, 307, 315, 316, 331, 336, 340, 348, 352, 353, 354, 355, 356, 360 (note). 385, 386, 387 et note, 391, 393.
CHÉ (le), 23 (note).
CHÊNEDOLLÉ (de), 100.
CHÉNIER (André), 173, 174, 175. CHÉRON,
CHÉRUBINI, 16.
CHORLEY, 53. 55. 66, 85, 87. CHRiSTINE d'A. Dumas, 53, 268, 270, 271, 282, 328.
CHUQUET (Arthur), 3 (note). CICÉRI, 95, 97.
CINQ-MARS d'A. de Vigny, 70, 73 et note, 74, 75, 124 et note,
125 146, 160, 180, 181, 182, 191 et note, 192 et note, 193, 197, 198, 199, 200, 210, 230, 231, 235 (note), 251, 288, 289, 305, 316, 319, 320, 321, 322 (note), 324, 325, 345, 383, 393. (M. de), 52, 307.
CLÉOPATRE de Soumet, 208.
(Jehan de), 90. CLÉRAMBAULT (M. et Mme de), 89.
CLOITRE DE (le) de J. Lefevre, 129.
CLOITRE DE (le) de Guiraud, 206.
CLYTEMNESTRE de Soumet, 208, 285.
(Adèle), 389.
COMÉDIE DE LA MORT (la) de Th. Gautier, 391.
COMPAGNIES ROUGES, 32.
COMTE (le) de Guiraud, 204, 205.
CONDÉ (prince de), 17.
CONDÉ (princesse de), 10.
CONFIDENCES (les) d'A. de Lamartine, 309.
CONSERVATEUR (Journal le), 3, 29.
CONSERVATEURnal le), 99, 100, 108 et note, 119, 129, 197, 218, 219, 283, 284.
CONSOLATIONS (les) de SainteBeuve, 102 (note), 327, 328.
CONSTANT ET DISCRÈTE de G. de Pons, 115, 118, 121.
CONTES D'ESPAGNE ET D'ITALIE d'A. de Musset, 377, 380.
COR (le) d'A. de Vigny, 230. CORIOLAN de Shakespeare, 82 et note.
CORK (comtesse douairière de), 65.
CORRESPONDANCE D'A. DE (éd. 42 (note), 44. 45, 83, 84 165, 232, 234 (note), 261, 288, 380 et note.
CORRESPONDANCE DE G. SAND ET D'A. DE MUSSET (éd. Decori), 386 (note).
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CORRESPONDANT (revue le), 165 (note).
COUËT (Jules), 232.
COURS FAMILIER DE d'A. de Lamartine, 309, 310,
311, 312, 313, 316, 317.
(Victor), 49, 56 et note. COVENT GARDEN (théâtre de), 73 et note, 78 et note, 79 et note,
84.
CROMWELL. 98, 124 et note,231, 321.
CROSNIER, 383, 384.
CUMBERLAND TERRACE, Regent's Park, 77 (note), 79 (note), 82
(note).
DACEIN (Mme Anna), 137 et note. DANTE, 121, 159 et note, 162, 164,165.
96.
DAVID (d'Angers), 133, 237.
DAVILLIER, 96.
DECORI (Félix), 386 (note).
DELACROIX (Eugène;, 344.
DELAROCHE (Paul), 343 (note), 348.
(Casimir), 122, 207. DELILLE (abbé), 124, 174.
DELPRAT, 226.
DÉLUGE (le) d A. de Vigny, 180 et note, 230.
DERNIER CHANT DE CHILD-HAROLD (le) d'A. de Lamartine,
DERNIER JOUR D'UN CONDAMNÉ (le) de V. Hugo, 234, 235.
DERNIÈRES PAROLES d'A. Deschamps, 165 et note, 268 (note).
DESBORDES-VALMORE(Mme),121. DESCHAMPS (Antoni), 43 (note), 133, 145, 156, 159, 160, 161,
162 et note, 163 et note, 164
et note, 165 et note, 166 et
note, 167, 168, 169, 233, 255,
268 (note), 291, 319, 341.342,
375 (note), 378.
DESCHAMPS 117 (note), 119, 120, 129,130,
131,132,133 et note, 134,135,
136, 137 et note, 138 et note,
.139 et note, 140, 141 et note,
et note, 146,
147. 148 et note, 149 et note, 151 et note, 152, 153, 154, 155 et note, 156 et note, 157 et note 158 et note, 159. 160, 166, 169, 172, 175, 176, 180 et note, 203, 210 et pote, 214, 218, 220, 226, 232, 233, 242, 248, 255, 256, 291, 319, 323, 341, 342,364, 368, 369, 375, 378.
DESCHAMPS (Jacques), 8 (note), 129, 130 et note, 131 et note, 132, 133.
DESTINÉES (les) ou les Poèmes d'A. de Vigny, 124. 125. 169. 175, 258. 316 et note, 337, 357,
DEVANT (Mme du), Cf. George Sand.
269, 344.
DIABY AND REMINISCENCES de Marcready, 75, 76, 77, 78. 83, 93 (note).
DICKENS (Charles),71, 83 (note), 88 (note).
DICTIONARY OF NATIONAL BIOGRAPHY, 49.
DICTIONNAIRE DE MUSIQUE de Rousseau. 12.
DIDEROT, 343.
DISRAËLI, 71.
DITTMER, 94, 105, 106, 107, 108 et note, 109.
DIVINE COMÉDIE (la) d'Antoni Deschamps, 159 (note), 162 et note, 164, 165.
Epopée (la) de Soumet, 213.
Dix ANS APRÈS EN LiTTÉRATURE de Sainte-Beuve, 255, 334.
DOLORIDA, 102, 121, 138 (note), 230, 324.
DORÉ (Gustave), 96.
(Gabrielle),373,374,375. DORVAL (Marie, Mme ) 52, 141 (note), 151 (note), 154, 243, 254, 272, 276 et note, 281,331, 353, 373, 374, 383, 384, 385. DOWLING, 83 (note).
DROZ, 203, 228, 286.
DRYADE (la) d'A. de Vigny, 127, 324.
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DUBOIS, 182.
Ducis, 130.
(Mlle), 97.
DUGAT (Gustave), 111.
(Alexandre, le père), 88, 97 et note, 141, 143, 241 et
note, 242, 252, 266 et note,
267, 268, 269, 270, 271 et
note, 272, 273, 274, 275, 276,
277, 278, 279, 280, 281, 282,
368.
DUMAS (Alexandre, le fils), 97 (note).
DURHAM (lord), 67, 68, 76, 86. DUVAL (abbé), 204.
DuvAL (Alexandre), 206, 207.
ECKMUHL (maréchal prince d'), 100.
EDINDURGH REVIEW, 52.
ELÉVATIONS d'Alfred de Vigny, 125, 327.
ELIZABETH DE FRANCE de Soumet, 209
ELOA, 124, 125, 126, 138, 148, 175, 176, 177 et note, 229,
230, 251, 287, 316, 324 et
note, 331, 369, 391, 392, 393.
ELYSÉE 6, 7 et note, 11, 12, 16.
ET CAMÉES de Th. Gautier, 391.
EMERVILLE (chevalier d'). Cf. Léon de Vigny.
EMILE (l') de J.J. Rousseau, 12.
389, 390.
(l'auteur d'). Cf. Girodet.
ENFER (l') d'A. de Vigny, 229 et note.
ENTRETIENS d'A. de Lamartine. Cf. Cours familier de littéra-
ture.
ERNST, 54.
Escousse, 167.
PUR (l') d'A. de Vigny, 2 (note).
DU de Fontaney, 367.
ESSAIS DRAMATIQUES de G. de Pons, 114, 126. 128.
ETIENNE, 207, 212.
ETON (collège d'), 58, 59, 60 et note, 87.
ETTY, 84 (note).
ETUDES FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES d'Emile Deschamps.
142, 146, 147, 148 et note,
291.
EVENING STAR l' 104.
FAGUET (Emile), 51 (note).
FAUCHER (Léon), 52.
FAUCHERY (Mme), 39.
FAURIEL, 341, 342 (note).
FEELING (lord), Cf. Fontaney. (duc de), 31 (note).
FEMME ADULTÈRE (la), 224.
FÊTE DE (Une) de Soumet, 209.
FEUILLES de V. Hugo, 244 et note, 248,
250, 255.
Fiesque d'Ancelot, 293 et note. DE JEPHTÉ (la) d'A. de Vigny, 214, 223, 224.
268, 272, 273.
(duc de), 160.
FLAUGERGUES de), 186.
15.
FLEUR D'OR (la) de Brizeux, 53. FLUTE (la) d'A. de Vigny, 126, 175, 206, 258.
FOLLE JOURNÉE (la), 26,
FONBLANQUE (Autony), 71.
FONTAINEBLEAU (les chasses de), 25.
FONTANEY (Antoine), 160, 366, 367, 368, 369, 370, 371, 372,
373, 374, 375 et note, 390,
395.
FONTANGES (colonel de), 394, (note).
(vicomtesse de),394. FOOTE (miss), 267.
FORBIN (comte de), 105.
FORSTER, 76, 79, 83 (note).
FOUCHER, 321.
FOUCHER (Paul), 376.
FOUGERAY (M. de), 107.
Fox (colonel), 57.
(M. de), 206, 207. II, 17.
FRÉNILLY (Auguste de) 3, 4, 5, 9, 11, 27, 28, 29, 30.
------------------------------------------------------------------------
Gardiner ( Harriett Francis), 64. 117, 223.
GAUTIER (Théophile), 96, 254, 273, 309, 366, 391, 392, 393, 394, 395.
GAY (Delphine), 33, 161 et note, 190, 227, 292.
GAY (Sophie), (la), 15.
GÉNIN, 358 (note).
GEORGES (Mlle), 154, 274, 275, 276, 277.
GIGOUX (Jean), 92.
(Louis), 166 (note), 233 et note, 318, 321, 324 (note), 325 (note), 328 (note).
GIRARDIN (Emile de), 92, 304. GIRARDIN (Mme de). Cf. Delphine Gay.
GIRODET, 11, 15, 180 (note). GLADSTONE, 56.
GLOBE (Journal le), 106, 160, 181, 182, 205 et note, 230, 319, 322, 326, 337.
GODET (Philippe), 46 (note). GODOLPHIN de Lytton Bulwer, 61.
GORDON (lady 49.
146, 292.
GORE 61, 64, 65, 66, 68, 70, 71, 75, 90. 91, 265.
(chevalier de), 63. (duc et duchesse de), 62.
GRANIER DE CASSAGNAC, 254. GRATRY (le P.), 41.
GRENELEG (lord), 56.
GRENIER (Edouard), 190 (note). (Charles), 77, 91 (note).
Grignan (Mme DE). 5.
GROTE (M. et Mrs.), 54, 57 et note, 58.
(la comtesse), 64.
GUIDE (le), 15.
GUILLAUME TELL de J. Sheridan Knowles, 75 (note).
GUIRAUD (Alexandre), 104, 120, 129 et note, 136, 195, 196, 201, .202, 203 et note, 204, 205, 206. 207, 208, 229, 258. 286.
GUIZOT, 358.
GUTTINGUER (Ulric), 256, 378.
HAINE LITTÉRAIRE (la) de G. Planche, 346.
77.
HALLAM (Arthur), 87.
HALLAM (Fitz-Maurice), 87.
HALLAM (Henry), 87 et note.
HAMLET, 75, 82 et note, 267.
HAMPTON COURT, 136.
HAMPSTEAD HEAD, 50.
HAN de V. 191, 219.
HARCOURT (duc d'), 369.
HAREL, 277.
(les) d'A. de Lamartine, 293, 294, 295, 309.
58, 59, 60, 85, 87, 88 et note.
HAYDN, 16.
HECTOR, 21.
(régiment d'), 21 (note). HEIM, 214 (note).
HELENA d'A. de Vigny, 113, 120, 137, 151 (note), 203
(note), 223, 225.
HENRI III SA COUR d'Alexandre Dumas, 97 et note, 209.
241 (note), 244, 266, 268, 270,
278, 282.
HERCULANUM, 29.
HERNANI de V. Hugo, 98 et note, 142, 209, 237, 239. 240,
241. 242, 244, 269, 328, 381.
HÉROLD, 38.
HISTOIRE DES GIRONDINS d'A. de Lamartine, 309.
HISTOIRE DES de Milman, 55 (note).
HISTOIRE D UNE AME de Georges Lachaud, 42 (note), 196.
Hix, 16 (note), 37, 109.
HOLLAND (lady), 65.
15.
HOMME SANS NOM de G Planche. 344, 345, 346 et
note, 349 (note).
HOOK (Théodore,, 69.
HORACE, 74 (note), 115,
HOSTEIN, 280.
HOUDEDOT (France d'), 94, 99, 100, 101, 102, 103 et note,
------------------------------------------------------------------------
104 et note, 105, 127, 129, 136, 203 et note.
IDA (Mlle), ou IDA FERRIER, 141. HUGO (Abel), 146, 217, 220.
HUGO (Adèle Foucher, Mme), 105, 216, 219, 221. 224, 226, 236, 257, 259, 260, 261, 262, 263, 264.
HUGO (Adèle ou HUGO (Eugène), 226.
HUGO ou Toto), 257.
HUGO (général), 229.
HUGO (Victor), 13 (note), 49, 88, 96 et note, 97, 105, 115, 116, 117, 118, 119 et note, 120, 123 (note), 124 et note, 127, 129, 133, 134, 139 et note, 145, 147, 153, 160, 161, 173, 187, 191, 193, 196, 208, 209, 214, 216, 217 et note, 218, 219 et note, 220, 221, 222, 223, 224 et note, 225, 226, 227, 228, 229 et note, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239 et note, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246 (note). 247, 248, 249, 250 et note, 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265, 268, 269, 270, 271, 272, 274, 276, 282, 283, 284, 285, 286 et note, 287, 291, 306. 318, 319, 321 et note, 322, 323, 325, 32G, 329, 336, 339, 343, 345, 346, 347, 350, 351, 353, 364. 367, 368, 369, 370, 376, 379, 384, 391. IDLER ITALY (the) de lady Blessington, 84 et note.
IMAGINARY CONVERSATIONS de W. Savage Landor, 71.
IMITATION DE JÉSUS-CHRIST, IMPRESSIONS D'ITALIE d'Antoni Deschamps, 163, 164 et note. INSPIRATIONS POÉTIQUES de G. de Pons, 124, 125.
ISABEY (Eugène), 97.
de W. Scott, 345.
(Jules). 326.
JANZÉ (Mme de), 377 et note, 380, 381 (note).
JEANNE D'ARC d'Auguste de Frénilly, 29 (note).
JEUNE MORALISTE (le) d'Emile Deschamps, 137, 138 (note).
JEUNESSE ROMANTIQUES de E. Dupuy, 2 (note), 20 (note).
118 (note),124 (note), 224, 226
et note.
JOCELYN d'A. de Lamartine, 297, 309.
(les), 334..
DELORME de SainteBeuve, 136, 322, 325, 368.
JOURNAL DES 130 (note), 245, 249, 326, 342, 344, 348.
JOURNAL D'UN POÈTE d'A. de Vigny, 2, 10, 27 (note), 31 et
note, 35, 37. 44, 45, 105,108,
131 (note), 161, 174, 183 et
note, 193, 202, 214, 215, 229
(note), 247. 278, 279, 296,
297, 299, 300 et note, 306,
314, 376, 385.
D UN JOURNALISTE de G. Planche. 350 (note)
Jovy (Ernest), 138.
JUBERT DE GLÈZE, 16 (note).
JUIF-ERRANT (le) d'H. de Latouche, 171, 182 (note).
JULES d'Auguste Barbier, 88.
JULES CÉSAR de Shakespeare, 82 et note.
JULIETTE (Mme Drouet), 254, 384. JULLIEN (Stanislas), 112, 113.
KALVOS DE ZANTE, 112.
267 et note.
KEMBLE, 267.
(Gore House), 55 et note, 64.
KITTY BELL, 253, 392.
KNOX LAUGHTON (JOHN), 49 (note). LA BOURDONNAYE (M. de), 98 (note), 237, 239.
LACHAUD (Georges), 42 (note), 196, 377.
(Mme), 42 et note, 196. LACORDAIRE (le P.), 41.
LAGRANGE (marquis Edouard de). 290. 293, 298, 299, 305.
LA HARPE, 180.
290.
------------------------------------------------------------------------
LA LUZERNE (abbé, et cardinal), 8.
(alphonse), 52, 96 (note), 137, 145, 146, 147, 160,
161. 180, 192, 193, 196, 252,
274, 283. 284, 285, 286 et note,
287, 288, 289 et note, 290,
291, 292. 293, 294, 295, 296,
297, 298, 299, 300 et note. 301
et note, 302, 303, 304 et note,
306, 307, 308, 309, 310,
311, 312, 313 et note, 314,
315, 316. 317, 319, 320, 326,
358, 369.
LANDOR Walter Savage), 70 et note, 71.
(lady), 57.
LANSDOWNE (lord, marquis de), 52, 56, 57, 58.
LANSON 117 (note).
LARCHÉ (Aglaé), 383, 385.
300, 302.
LATOUCHE (H. de), 75 et note, 171 et note, 172, 173,
174, 175, 176, 177, 179,
180 et note, 181, 182 et note,
183 et note. 184, 185 et note,
186, 187, 188. 189, 230, 234,
319, 326, 336, 346, 362 (note).
LATOUR (Antoine de), 148.
OU LE CACHET ROUGE d'A. de Vigny, 72.
LAURISTON (maréchal marquis de), 95, 100, 103.
LAWRENCE, 62 (note).
LEAR (le Roi), 77 et note, 78, 79, 80, 268 (note).
LE BRAS, 167.
LEFEVRE (note), 119, 120, 129, 134, 171 et note
173, 179, 180 et note, 220.
LEMERCIER, 127.
130.
LÉONIDAs de Pichat, 97, 129, 268.
247.
LESOURD, 341, 342.
LETELLIER (Mme), 269.
LETTRES d'A. de Vigny, 164.
LEUVEN (Adolphe de), 268.
LISZT, 16, 54, 157.
LIVRE D'AMOUR (le) de SainteBeuve, 257.
DES CENT ET UN (le), (note), 373.
LOCHES, 3, 9, 12, 22, 27.
LOCKART, 44.
LOURDOUEIX (de), 270.
(Musée du), 15.
LUCAIN. 17
BORGIA de V. Hugo, 209, 243, 350, 351, 384.
LYCÉE (Journal le), 197.
LYTTON BULWER (Sir), 61, 68, 70, 71, 73, 74, 76, 79, 83, 84, 199 (note)
M* (marquise de), 25.
MACBETH d'Emile Deschamps, 140, 144.
MACBETH de Shakespeare, 75 (note), 82 et note. 88, 139 (note),
MACHABÉES (les) de Guiraud, 203,
45 et note, 70, 72, 73, 74 et note, 75 et note, 76, 77, 78 et note, 79, 80, 81, 82, 83, 81. 85, 88 et note, 93 (note), 267.
MADDEN. 67 et note.
(Charles), 205 et note, 326.
MAGRATH (Edward), 54.
MAILLÉ (duchesse de 198.
MAINE-GIRAUD, 4, 10, 18, 19, 23. 46, 48, 92, 169, 260, 261, 263, 264, 265 et note, 388.
MAISON BERGER (la) d'A. de Vigny, 48, 175.
MAISON DU ROI, 39.
Maisonfort (marquis de la), 284, 288.
MALESHERBES (Le dévouement de) de V. Hugo, 117.
(M. de), 224 (note), 323.
MALLET (La Conspiration de), 108.
MALTE (chanoinesse de). Cf. Sophie de Baraudin.
(marquis de Villa), 315 et note.
------------------------------------------------------------------------
MARCO (Le livre de) de Pauthier de Censay, 113.
MARDOCHE d'A. de Musset, 378. MARÉCHALE (la) d'A. de Vigny, 16 (note), 125, 126, 154 et note, 155, 209, 244, 251, 252, 259, 274 et note, 275, 276, 279, 282, 305, 328, 329, 330 (note), 383, 393.
MARIE de Mme Ancelot, 87.
(la reine), 19.
MARIE de V. Hugo, 209, 243, 350, 351, 384.
MARION DE (Un duel sous Richelieu) de V. Hugo, 142, 209. 236, 237, 244 (note), 245, 255, 269, 275, 276, 326, 345, 367, 368, 384.
MARIVAUX, 350, 351.
(le capitaine), 69, 77. MARS (Mlle), 87, 140, 205.
(Jules), 102, 123 (note), 139 (note), 144 (note), 155 (note), 157 172, 210 (note).
MARTIN (Aimé), 138, 305, 319, 325 (note).
MARTINEZ (Juan). Cf. Fontaney. MARTINS, 83 (note).
MASSON (Frédéric). 7.
MATURIN (le Révérend R. C.), 97.
MAUNOIR (Camilla), 45, 46 et note, 47, 48, 65.
MAUPEOU 25.
MAUSSABRÉ (Mlle de), 130.
MÉDITATIONS (les) d'A. de Lamartine, 283, 284, 286, 288, 295.
MÉDITATIONS (les NOUVELLES) d'A. de Lamartine, 284, 285, 286 (note).
MÉLANIE (Mlle S.), 273.
(fragments inédits de) chapitre I, pages 1 et suivantes.
MENDELSSOHN, 54.
MENESSIER-NODIER Nodier, Mme), 182 (note), 189, 194, 195, 369.
DU XIXe (Jour-
nal le), 152, 173, 176, 177 et
note, 179, 180 et note, 181.
MÉRILHOU, 341, 342.
MÉRIMÉE (Prosper), 194 et note,
207, 252, 358, 378, 390.
MERLE, 266 (note).
MÉRY. 268.
MEURICE (paul), 254.
MICHEL (Jules) 210.
EASY (Master) de
Marryatt, 69.
MIGNARD, 11.
MILLEVOYE, 127.
55 et note, 58.
121, 315 et note.
MINTO (lord), 57.
MIRBEL (Mme de), 344.
MIRECOURT (Eugène de), 358,
359, 360.
MISANTHROPE (le) de
MISTRAL (Frédéric), 395.
MOÏSE d'A. de Vigny, 46, 47,
230, 235, 251, 316, 324.
MOLÉ, 167 et note, 207, 259
(note), 264, 336.
MOLLOY (Fitzgerald) 67 (note).
MONNIER (Henri), 107 (note).
MONTAGUT (Mme de), 394.
MONTALEMBERT (comte de), 52,
149, 388.
MONTALlVET (comte de), 341,
342.
(Mme de), 290, 295.
(comte de), 94, 105,
109, 110.
MONTCORPS (vicomte de Savi-
gny de), 109.
MONT DES (le) d'A de
Vigny, 41, 175, 258.
MONTÉGUT (Émile) 338.
MONTESQUIOU (abbé de) 394.
MONTMORENCY (Mathieu de),
201.
(colonel comte
James de), 18.
MOORE (Thomas), 63, 368.
MORE de VENISE (le) d'A. de
Vigny. Cf. Othello.
(Chant du vieux),
99, 103 (note).
MORT DE SOCRATE (la) d'A. de
Lamartine, 284.
------------------------------------------------------------------------
MORT Du Loup (laj d'A. de Vigny, 48, 124, 126,175, 206,
211. 258.
MOSCHELES, 54.
290.
MOURAVIEW, 38.
MOYRIA (de), 119.
MOZART, 16.
MURAT, 6.
MUSE FRANÇAISE (la), 103, 105, 116, 121. 122. 123 129.
136, 137 et note, 138 et note,
139 (note), 144 (note), 155
(note), 157 (note), 172. 175,
191, 195. 198, 206. 208. 209,
210 (note), 213, 216, 227, 242,
283, 286.
MUSSET de), 160. 189, 366, 376, 377, 378. 379, 380,
381. 382. 383, 384, 385, 386,
387, 388, 389, 390, 395.
MUSSET (Paul de), NADAR, 195.
NAIGEON, 343.
NAMMWICH. 45.
NAPIER (Sir 48 (note). (Louis), 54, 91, 265, 306. 307.
NAPOLÉON (prince). 92.
NATIONAL (Journal NEIOE (la) d'A. de Vigny, 230 NINUS II de Brifaut, 197 et note, 204.
NIOBÉ, 10, 16.
NISARD, 5.
NODIER (Charles), 96 et note, 97, 136, 175, 176
note, 182 187, 189,
190, 191, 192 et note, 193,
194 et note, 195, 198, 207,
227., 228, 248, 253, 279, 289
(note), 344, 345, 367,
369, 372.
NORMANBY (lord et 56. 89.
NORTHAMPTONSHIRE, 84.
NOTES ET PENSÉES de SainteBeuve, 335 et note.
NOTRE-DAME DE de V. Hugo, 124. 150, 243. 249,
250, 255, 345.
de Sainte-
Beuve, 321 322 (note),
336.
NUITS (les) d'A. de Musset. 386. ODES ET Ballades (les) de V. Hugo, 230, 231, 286 (note),
337.
OVES ET POÉSIES de V. Hugo, 223, 286.
O'DONNOZ. Cf. Fontaney.
OEIL-DE-BOEUF, 25.
(Juste), 252 (note), 334, 335.
ORACLES (les) d'A. deVigny, 29. ORIENTALES (les) de V. Hugo, 95, 150, 232, 233, 234, 235,
ORLANDO FURIOSO 29 (note).
(duchesse d' O)
ORSAY (comte Alfred d' 37, 38, 39. 42, 43, 45, 62, 63,
64, 65. et note, 68, 69, 72, 73 et note, 74, 76, 83, 85.
90, 91 et note, 92, 93 et note.
(général comte d'), 62. OSSIAN de Baour-Lormian, 214. OTHELLO d'A. de Vigny, 70, 77, 98, 125, 126. 140, 141, 142,
143 (note), 205, 209, 232, 236,
237, 238, 239, 241 et note, 242,
244, 253, 259. 269. 270, 279,
280, 293, 325 et note. 326, 327, 331, 377, 378, 381, 393. OTHELLO DE 75 (note), 82 et note, 88, 267 et note.
OUESSANT, 23.
PARFAIT (Noël), 281.
PARIS de). 60.
PARIS (élévation) d'A. de Vigny, 47, 125 et note, 149.
PARNY, 121, 124.
PASQUIER. 207, 290.
207.
PAUTHIER DE CENSAY, 94, 105, 111, 112, 113.
(Victor), 45, 133, 134 (note), 159 et note, 237, 240. 256, 334, 371, 378.
PEBL (Robert), 55 (note), 56.
PENCILLINGS BY THE WAY de Willis, 62.
------------------------------------------------------------------------
PENTAMERON de W. Savage Landor, 71.
PETER SIMPLE de Marryatt, 69.PETITS ROMANTIQUES (les) d'Eugène Asse, 374 (note).
PETIT SAVOYARD (le), 203 (note), 204.
PEYRONNET (M. et Mme de), 89. PHARSALE 17.
PICHAT (Pichald), 97, 119, 129, 218, 219 (note), 220,
PICHOT (Amédée), 219 (note).
PLANCHE (Gustave), 151 (note), 249, 318, 330 (note), 331, 334,
337, 338, 339, 341, 342
et note, 343 et note 344, 345,
346 et note. 347, 348, 349, 350 et note. 351, 352, 353, 354,
355, 356, 357, 358, 359, 360 et note. 361. 362 et note, 363,
364,365, 366, 373, 386, 387 et note.
PLESSIS (vicomtesse du), 388 (note).
ANTIQUE- ET ou d'A. de V., 125,
205 et note, 223, 230. 235 et
note, 241, 289, 305, 316, 322,
326, 337, 347, 377.
ET CHANTS ÉLÉGIAQUES de Guiraud. 204.
Destinées.
POLLOCK, 93 (note).
POMPEIA. 30.
POMPEI (les derniers jours de) de Lytton Bulwer, 70.
PoNs (Gaspard del, 94, 114,115, 116, 117,118 et note, 119,120,
121 et note,122, 123, 124, 125,
126, 127. 128, 129, 134 et
note, 220, 221, 223.
PORRET. 344.
290.
SQUARB (York Street, 65.
PORTRAITS CONTRMPonAINS de Sainte-Beuve, 318, 332.
LITTÉRAIRES de Gustave Planche, 339, 344, 345,
349 (note), 353.
PoussIN (le), 15.
Pozzo (di Borgo), 290.
PRÉVOST (Amédée), 50.
PRICE, 83 (note).
(la) d'A. de Vigny, 224.
PROCTER (M. et Mrs), 83 (note). PROMENADE (la) d'A. de Vigny,
222.
PROMENADE DE DIEPPB AUX MONTAGNES de Ch.
Nodier, 97.
PUGET 344.
DB QUINCY,
QUIBERON, 21 (note), 22.
QUIBERON (Ode) de V. Hugo, 196, 220.
QUIN 77.
QUITTE POUR LA PEUR d'A. de Vigny. 125, 279, 305, 331.
(Journal la), 130 (note), 191, 192 (note), 230,
319.
RABBE (Alphonse), 96 (note), 245, 344.
RACHEL (Mlle), 87.
RAMEAU. 12.
RANKE. 56.
RAFAEL d'A. de Musset ou A.
de Musset lui-même, 381, 383,
385.
d'A. de Lamartine,
309.
RAPHAËL (d'Urbin), 11. 14, 15.
RATISBONNE (Louis). 2, 10, 229 (note), 316.
(Xavier de), 37, 38,
39, 40, 41, 42.
RAYONS ET OMBRES (les), de V. Hugo, 255, 256.
RECAMIER 182, 204, 206.
REEVE (Henry). 48, 49 et note, 50, 51, 52. 53, 54 et note, 55,
61, 66. 85. 352.
REID (Mrs). 83 (note).
(la) de H. de Latouche, 187, 346.
RÉMUSAT 111.
RESSÉGUIER (Jules de), 103,129. RETOUR A PARIS (le) d'Emile Deschamps, 150 et note, 151
(note). 153.
RÉVEIL (Journal le), 120.
REVUE DES DEUX MONDES, 150,
------------------------------------------------------------------------
151 et note, 154 (note 155, 163, 164, 166 (note), 206, 248, 249, 250, 251, 253, 255, 317, 331, 332, 334, 336, 338, 340, 344, 345, 346, 347, 348, 352, 357, 358, 360, 362 et note, 363, 366, 372, 373, 374, 375, 38(i, (note).
REVUE DE PARIS, 46 (note), 118 (note), 149, 233 (note), 239 (note), 318, 327, 328 (note), 373, 375, 381.
RICARD (Xavier de), 111.
(maréchale duchesse de), 6. 7
RICHELIEU, par Lytton Bulwer, 70, 73 note), 74, 75, 76, 80, 81 et note, 83, 199 (note)
(Un duel sous). Cf. Marion de Lorme.
p. 346 (note).
ROBELIN, 254.
ROCHER, 119, 219 (note), 220, 222.
RODRIGUE d'Emile Deschamps, 145, 146 et note.
ROGER, 207.
ROHAN, 222.
Roi (le coup du), 25.
ROI (le) de V. Hugo, 209, 243, 245, 249, 253, 318, 329, 350 et note.
ROLAND d'A. de Vigny, 134 et note. 222.
146.
ROMÉO ET d'A. de Vigny et d'Emile Deschamps, 127, 138, 139 et note, 140, 141 et note, 143, 144, 145, 148, 232.
ROMÉO JULIETTE dé Shakespeare, 267 et note.
83 note).
(Salvator), 15.
(de la), 378.
Ross (lady Janet), 89.
ROLLLAND) 167.
ROUSSEAU (Jean-Jacques), 11, 12, 13, 130.
Ruy BLAS de V. Hugo, 187,243. (M. de), 27 et note.
SAINTE-BEUVE, 5, 44, 45, 102 (note), 106, 121 133,
136, 150, 151 (note), 154, 158 (note), 160, 166 (note), 173,
182, 190, 194 (note), 198, 201 (note), 207. 224 (note), 231, 233, 235, 238, 239 et note, 240, 241, 243, 244, 245, 246 (note), 248, 249, 250, 251 et 252, 253, 254, 256, 257, 258, 264, 292. 300, 318, 319, 320, 321 et note, 322, 323,
et note, 325 et note, 326, 327, 328 et note, 329, 330.
331, 332, 333, 334, 335, 336,
337, 348, 354, 358, 365, 366,
368, 369, 372 et note, 375,
376, 387 (note), 390.
(la) dite de François Ier 14.
SAINT-EVRE, 272.
Saint-Evremond, 200.
SAINT-FÉLIX de), 129.
SAINTINE, 187.
SAINT-LOUIS (croix de), 20, 21, 25.
SAINT-MARC-GIRARDIN, 207.
SAINT-VALRY (Anatole de), 119, 129, 220, 222, 225, 226.
SAKELLARIDÈS 42 note), 44, 83, 84 (note), 98; 163, 232,
234 (note 261, 301, 380 (note). SALOMON (Adam), 195.
SALOMON (Michel), 182 (note) 194 (note).
SALON DE 1831 de G. Planche, 343 et note, 344, 348.
SAND (George), 88, 175, 374, 385.
SANDEAU 201 (note).
SANGNIEn (Mlle, née 12 note)
SATAN (Cf Eloa), 138, 226.
SAUL de Soumet, 208, 285.
SAUVAGE d'A. de Vigny, 48, 126, 175, 206, 258.
SAVOIE-CARIGNAN, 22.
SBOGAR (Jean) de Ch. Nodier, 99, 176 et note.
SCHOELCHER (Victor), 343 (note). SCOTT (Walter), 44, 124, 320, 367, 368.
------------------------------------------------------------------------
PLACE, MAYFAIR, 64.
SÉCHÉ ( Léon), 276 (note).
SELMOURS d'Emile Deschamps et de H. de Latouche,
SEO (la), à Saragosse, 102 et note.
SERIEUSE (la) d'A. de Vigny, 235.
SERVITUDE ET GRANDEUR MILITAIRES d'A. de Vigny, 48 et
note, 70, 72, 108, 125, 251,
307; 315, 316, 332, 393
SÉVIGNÉ (Mmü DE), 4, 5, 11.
SÈVRES, 26.
SHAKESPEARE, 75 (note), 80, 82, 83, 367.
SHERIDAN 75 (note). SCHILLER, 197.
SHOE LANE, 51.
SHYLOCK d'A. de Vigny, 142, 325 et note.
SMITH (Adam), 341.
SMITHSON (miss), 267, 324.
GRISE (la) de Fontenay, 373, 375.
DE NEUILLY (les), 107, 108.
SOMNAMBULE (le), 223. SOUBISE (MADAME DE) d'A. de Vigny, 235.
SOULIÉ (Auguste) 96 (note), 192 (note), 271 et note.
SOULIE (Frédéric), 268, 271 et note.
SOUMET, 97, 104, 119, 129 et note, 130 et note, 136, 137,
180, 196, 203, 205, 208, 209,
210, 211, 212 et note, 213,
218, 220, 225, 284, 285, 286.
SOUVENIRS D'ESPAGNE de Fontaney, 367.
STAEL (Mme de) 64
STANDISH, 77.
STANFIELD (M. et Mrs.), 83 (note). STELLO d'A. de Vigny, 50, 125, 126, 151, 155, 156, 158, 163,
174, 251, 305, 307, 332, 339,
345, 347, 349 et note, 350,
362 (note), 393.
STENDHAL, 107 (note).
STONE, 83 (note).
SUE (Eugène), 88.
SUYÉE, 95.
SYMÉTHA. d'A. de Vigny, 127, 221, 324.
SYMMONS (Charles), 315 (note).
BE LA POÉSIE FRANCAISE AU XVIe de Sainte-
Beuve, 323, 324.
TABLETTES 100, 103 172.
TACITE, 132.
TALMA, 49, 97, 98, 138, 197, 204, 268.
TANCRÈDE de Voltaire, 87.
TARTINI, 12.
TASSE (le) de Baour-Lormian 214.
(Mme Amable), 341.
TAYLOR (baron), 94, 95, 96 et note, 97, 98, 99, 106, 138,
237, 239, 268.
TAYLOR (Mrs). 49, 58.
(la) de Shakespeare, 75 et note.
TEMPLE BAR, 45.
TERRY, 267.
THACKEHAY, 54, 71.
HISTORIQUE, 279, 280, 281.
THIERS (Adolphe), 52.
THOMAS, 130.
THOMSON. 29.
TIECK, 187.
TIMES (Journal le), 52.
TITE-LIVE, 15.
TIVOLI (jardin de), 6.
TOCQUEVILLE (de), 52, 246
TOUR DE FAVEUR (le) d'Emile Deschamps et de H. de
Latouche, 170.
TRADITIONS POPULAIRES de H. de Latouche, 173, 182 (note).
TRA MONTES de Th. 96.
(le) d'A. de Vigny, 28 et note, 180 230.
TROIS SATIRES POLITIQUES d'Antoni Deschamps, 163 et note.
TURNUS de Pichat, 129
URBIN (peintre d'). Cf. Raphaël. VACANCES DES JEUNES BOERS (les) de Marryatt, 69.
VACQUERIE (les), 254.
------------------------------------------------------------------------
VACQUERIE Léopoldine Hugo, 256, 257.
VALLÉE AUX LOUPS (la) de H. de Latouche, 170, 185 (note), 187 el note.
VATOUT, 266 (note).
VAUBLANC (comte de), 106.
VÉNUS (dite de Médicis), 15. VERSAILLES (le manège de), 25. VICTOR HUGO RACONTÉ PAB UN TÉMOIN DE SA VIE, 96 (note), 104, 117, 209, 337.
VIGNY (François de), 21.
VIGNY (Léon de), chevalier d'Emerville, 1, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 16, 17, 19, 20, 21, 25, 30, 31, 32, 33, 131.
VIGNY (Mme comtesse Léon de Vigny. Cf. Amélie de Baraudin.
VIGNY (Mme de), comtesse Alfred de Vigny. Cf. Lydia Bunbury.
(comte Alfred de, de 1 à 395.
VILLA (marquis de). Cf. Manso, 315 et note.
VILLEMAIN, 5. 290. 319, 320 et note, 321, 358, 389.
VIRGINIE de Guiraud, 203 et note, 204.
VIRGINIUS de J. Sheridan Knowles, 75 et note, 88.
VIRIEU (Aymon de\ 287, 290, 293, 294.
VISITES A L'ACADÉMIE d'A. de Vigny, 214.
389.
VOITURE, 368.
VOLTAIRE, 87.
de Sainte-Beuve, 102 (note).
VOYAGE PITTORESQUE EN ESPA(le) de Taylor, 96.
VOYAGES PITTORESQUES ET ROMANTIQUES DANS L'ANCIENNE FRANCE, 96.
(Léon de), 88 et note 89, 168 et note, 255, 370 et note.
WALPOLE (Horace), 50, 55 (note).
WARU (comte de), 224 (note). WERNER, 82 et note, 88.
WEST (colonel), 161.
WILLIS (N.-D.), 62.
WINDSOR 44.
WITHERINGTON (M. et Mrs), 379 et note.
WOLSEY, 82 et note.
WORDSWORTH, 368.
YORK STREET, square, 65.
YOUNG (C. M.), 140 et 141.
YUNG (Eugène), 360.
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TABLE DES MATIÈRES
AMITIÉS DC FOYER, DU COLLÈGE, DU RÉGIMENT. CHAPITRE Ier. de Vigny et ses premiers amis. Impressions du 1
II. amis de collège Xavier de Ravi-
gnan. Le comte Alfred d'Orsay.
Alfred de Vigny et l'Angleterre.. 37
III. amis de régiment Taylor, Dittmer,
Alphonse de Cailleux, le comte de
Montcorps, le comte Gaspard de
Pons, Pauthier de Censay, le comte
France d'Houdetot 94
AMITIÉS DU CÉNACLE.
CHAPITRE IV. trois Deschamps. 129 V. H. de Latouche et Alfred de Vigny.. 17d VI. Les semi-classiques et les classiques de
la française Charles Nodier,
Ancelot, Brifaut, Alexandre
Alexandre Guiraud, Baour-Lormian. 189P
VII. Victor Hugo et Alfred de Vigny. 216 VIII. Alfred de Vigny et Alexandre Dumas. 266 Alfred de Vigny et Alphonse de Lamar-
tine 283
X. Deux fausses amitiés Sainte-Beuve et
Gustave 318
XI. Trois simples: Antoine Fontaney,
Alfred de Musset, Théophile-Gautier 366
INDEX DES NOMS 397