ROBERT DE MONTBSQUIOU
TÊTES
COURONNÉES
PARIS
EDWARD SANSOT, Éditeur 7, Rue de /'Ep<'fo~, y
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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 20 EXEMPLAIRES SUR JAPON
NUMÉROTES DE t A 20
ET 30 EXEMPLAIRES SUR HOLLANDE NUMÉROTÉS DE 2t A 50
JUSTIFICATION DU TIRAGE ?
Tous droits de reproduction et traduction réservés pour tous pays.
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TÊTES COURONNÉES
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DU MÉME AUTEUR RECUEILS D'ESSAIS
ROSEAUX PENSANTS.
AUTELS PRtVILÈGI&S.
PROFESSIONNELLES BEAUTÉS. ALTESSES SÉRÉNISSIMES.
ASSEMBLEE DE NOTABLES.
BRELAN DE DAMES.
TÈTES D'EXPRESSION.
Pour P<!f<!ttfe
MAJEURS ET MINEURS.
ÉLUS ET APPELÉS.
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AU DOCTEUR
PAUL LOUIS COUCHOUD
EN REMERCIEMENT
DE SON GOUT POUit MES L!VHES
ET DE SON AMITIÉ POUR LEUR AUTEUR
ROBERT DE MONTESQUIOU.
t
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COMPTE-COURANT
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COMPTE-COURANT
Quand la Guerre a éclaté, les éléments de ce Recueil étaient réunis. C'est le huitième de mes volumes d'Essais. Il représente donc la suite de mon travail quotidien. Le publier n'entraînait qu'une obéissance au conseil de Barres « Non-combattants, retournons au travail. »
Néanmoins, je ne l'aurais pas fait sans scrupules certes, je l'aurais fait sans élan, si je n'avais eu conscience d'avoir, sur un autre point, et d'une autre manière, répondu à une plus haute aspiration, à une plus immédiate inspiration, accompli ce qui réalisait, dès lors, pour moi, ma contribution à l'effort commun.
Cet apport, je me suis évertué à le fournir en composant, en publiant mes « Offrandes Blessées », le poème dans lequel j'ai mêlé la pourpre de beaucoup de plaies au sel de beaucoup de pleurs. Nombre de témoignages, publics ou privés, m'ont induit à croire que je n'avais démérité ni de mon projet ni de mon plan, que mes lacrymatoires irisés avaient recueilli bien des larmes pures, et que mon
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Graal militaire s'était rempli d'un sang fraternel. Des lettres particulières, je ne veux citer aucune, dans un livre publié. Elles sont nombreuses, diraije innombrables, et que depuis l'apparition de mon ouvrage, elles n'ont cessé de m'apporter les plus hautes comme les plus touchantes récompenses de mon geste et de mon cantique ?
De l'une d'elles, cernée de noir, par un glorieux deuil paternel, j'extrairai seulement cette phrase, parce que les mots en composent, entre tous, la couronne souhaitée par mon effort et reçue par lui, en échange de celle que j'avais moi-même placée sur un tombeau héroïque
« Quelles magnifiques Elégies Guerrières vous avez données à la France, à toute la France, qui vit confiante, héroïque et meurtrie, dans les pages de votre livre !_?
Parmi ce que j'appellerai les voix extérieures, j'en choisis deux, hautement qualifiées pour assurer, à ce qu'elles louent, une noble conscience de soi.
Voici comment s'exprime, au cours d'un spontané, d'un chaleureux article, mon ancien adversaire réconcilié, Arsène Alexandre, me donnant ainsi, une fois de plus, cette satisfaction, entre
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toutes, émouvante, de voir, sans doute, un peu de mérite réagir contre des opinions préconçues « Un beau livre, et si beau qu'il marchera au premier rang, comme il s'est élancé le premier en date, quels que puissent être ceux qui nous viendront des poètes dont nous sommes fiers. » Afin de remercier mon nouvel ami, j'ai composé pour lui les strophes suivantes, qui résument notre première querelle, en même temps qu'elles l'effacent
OFFRANDE ÉPROUVËB
C'est apprendre à s'aimer que de se chercher no/se'; Seule l'indifférence est stérile, un choc fier Fait jaillir fe~nce~e, et l'éclair qui se croise Permet de ~esKrey la qualité du fer.
Ce n'est pas fa<ne/ne7t< que l'aspect des épées Imite le feuillage acéré des iris
Les fleurs ne sont pas loin de leurs /an!es trempées Dans les larmes d'Athos et le sang d'Aramis. Lorsque, l'assaut fini, se lèvent les visières, O~t voit se révéler des visages numai'ns
Et, lorsqu'un même deuil humecte les paupières, Des ~an/e/eh tombés sort re~oMt/c des mains.
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Et Daniel Lesueur, sur la fin d'une étude très étendue et d'une très généreuse louange, conclut éloquemment
« Rien ne pouvait grandir le poète qu'était Robert de Montesquiou, comme d'offrir aux héros de notre Patrie, aux vivants, aux morts, aux mères, aux veuves, aux blessés, aux mutilés, aux aveugles, aux humbles, aux serviteurs même, quittant la livrée pour nous défendre glorieusement sous l'uniforme, aux paysans, aux orphelins, à tous ceux qui luttent et qui pleurent, ces Offrandes Blessées, qui sont une noble action en même temps qu'un très noble livre. »
Ces couronnes sont-elles méritées? Sauf pour la sincérité de ma visée, à laquelle je les rapporte toutes, ce n'est pas à moi de me prononcer, pas plus, d'ailleurs, qu'à personne qui vive, les couronnes temporelles étant sujettes à déneurir. Mais ce que je dois à cette sincérité particulière, comme à la justice générale, c'est la mise au point d'une critique, celle qu'Ernest Hello appelait <( la petite », et qui le méritait, par la mauvaise humeur que ne rachète pas la bonne foi.
Cette critique, la voici, dans son in extenso, d'ailleurs aussi peu étendu par les proportions que par l'envergure
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« Monsieur Robert de Montesquiou est un poète remarquable, dont l'œuvrc abondante et très personnelle vaudrait une étude d'ensemble, que je dois remettre à des temps plus heureux. Son nouveau recueil, les O~randes Bissées, est consacré à la Guerre et contient beaucoup de vers parfaits. » Jusqu'ici rien que des fleurs, des roses sans épines. Attendons un peu.
« On ne pourrait lui reprocher qu'un peu de monotonie (il se compose de près de deux cents petites pièces dont chacune comprend douze alexandrins en trois strophes) et aussi un peu de cette subtilité précieuse qui convient moins bien à un sujet d'intérêt général qu'à ceux de volumes comme les Hortensias Bleus ou le Chef des Odeurs Suafes.)) » Passons sur la subtilité (que tant de gens me félicitent d'avoir à peu près abdiquée en la circonstance) et réclamons seulement contre l'application à ces poésies peut-être non sans quelque grandeur, de l'adjectif « petites )), qui serait injurieux s'il n'était inexact; ce qui ne l'empêche pas d'être injurieux, seulement, c'est pour celui qui l'emploie, en cette occasion, qu'il devient tel. En effet, des pièces ne sont pas forcément petites, parce qu'elles sont courtes, un mot que je recommande à Monsieur Souday, quand il voudra parler de morceaux brefs, sans manquer à un auteur, à soi-même et à la terminologie.
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/n caudâ venenum.
« Quelques violences contre de grands hommes, qui ne sont pour rien dans les horreurs actuelles, paraissent, enfin, quelque peu inopportunes. » Je pense qu'il est ici question de Wagner Dont il n'est pas permis de nier le miracle, ai-je écrit, mais qu'il est difficile de ne pas associer rétrospectivement à ce qui se passe, avec l'approbation exprimée, et imprimée de son fils. Mais voici l'absinthe, ou ce qui se donne pour tel
« L'un d'eux même est Français, et ce n'est pas le moment de rabaisser nos gloires. »
Manquer de patriotisme Reproche, certes, grave pour un livre écrit dans l'espoir de l'incarner, avec autant de ferveur que de tendresse, et qui se flattait d'y avoir, non seulement réussi, mais excédé, au jugement d'esprits doués de cette «compétence et de cette bonne foi » que Verlaine déplore de ne pas rencontrer dans la Critique. J'ai peur que ni l'une, ni l'autre de ces qualités ne lui soit venue depuis, car enfin c'est le moins qu'on puisse, qu'on doive faire que de formuler, et nettement, les motifs d'une accusation qui représenterait, par la contradiction, l'anéantissement d'une visée.
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Par malheur, ceux qui, faute de pouvoir jeter le grain, ne font que jeter la pierre, ne s'inquiètent même pas qu'elle soit précieuse. De cela je leur en veux. J'ai vu le caillou qui a lapidé Saint Etienne je voudrais le montrer à Monsieur Paul Souday, qui en tirerait un enseignement dont la nécessité se fait sentir. C'est un bijou, digne d'un pendentif qui ferait honneur à Lalique, tandis que les gravats, dont il cherche à nous assommer, ne font aucun honneur à notre tailleur de moellons.
La perfidie de ces sortes d'insinuations, c'est de s'arrêter volontairement en route, pour laisser faire le reste du chemin par le voyageur abusé, dans une direction qui n'est pas la bonne.
Imaginez, par exemple, qu'un lecteur naïf se persuade que, loin d'avoir servi mon pays, dans la mesure de mes moyens, au cours de ces heures terribles, je l'aie trahi, ne fût-ce que sur un point, en reniant « une des gloires de la France », selon l'expression de Monsieur Souday qui, vous le voyez, n'y va de main morte, ni dans ses accusations ni dans ses cultes évidemment je n'en mènerais pas large, tandis que je me sens, au contraire, fort à mon aise pour répondre à mon accusateur, qu'il n'est pas loin de me paraitre manquer de religion, quand je le vois mettre au rang de nos pures gloires, celui qu'en excluent, en termes plus expressifs, des autorités moins arbitraires.
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En effet, cette t gloire », qui ne prend pas nécessairement cette forme, aux yeux de tous les chrétiens, c'est, ma foi VOLTAIRE.
Le reste de ma défense est facile, puisqu'il me suffit de la confier à trois avocats, dont la parole laisse celle de Monsieur Souday dans le plus temporaire des crépuscuies. Je professe la plus sincère admiration pour Ernest Hello, c'est toujours, pour moi, un honneur et un bonheur que de le citer, et vraiment, cette fois, il vient à mon secours, d'une façon, c'est le cas de le dire, toute providentielle.
Or, Hello commence par citer (n'en déplaise à Monsieur Souday) le mot de Joseph de Maistre, sur Voltaire « Si quelqu'un, en parcourant s'a bibliothèque, se sent attiré vers les œuvres de Ferney, Dieu ne l'aime pas. »
Et le citateur ajoute « Si ce méchant homme avait eu le sort qu'il méritait, je n'exhumerais pas ce nom ignoble, Voltaire serait ce qu'il doit être, un gamin oublié. »
Ailleurs, il insiste « Enfin, Monsieur de Chateaubriand dit en parlant de Voltaire « Ce grand homme. » Ce mot est écrit dans le Génie du Christianisme, deuxième partie, chapitre V. 11 est permis de douter, un moment, même devant. l'évidence, même devant le livre ouvert. Mais quand on a lu plusieurs fois le paragraphe, il faut
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se rendre, le mot est écrit. Ce mot-là ferme sur Monsieur de Chateaubriand, critique littéraire, la discussion. J'aurais eu beaucoup de choses à citer, mais après ce mot-là, je n'en citerai aucune. » Il en résulte que je ne pense pas, sans frémir, au peu d'amour que Monsieur Souday eût inspiré à Hello, non moins qu'à la désaffection dont il ne peut qu'être lui-mèmel'objet, delapart du Seigneur. Hello exagère il ne tient pas compte du lecteur auquel s'adressait Monsieur de Chateaubriand, qui voulait le ramener, et ne le pouvait qu'en faisant mine de ne pas briser tout de suite les vieilles idoles. Mais, plus tard, s'adressant à 1 abbé Seguin, l'auteur de la Vie de Rancé, pouvait, devait tenir un autre langage.
Ce langage, le voici
« Voltaire naissait, cette désastreuse mémoire avait pris naissance dans un temps qui ne devait point passer la clarté sinistre s'était allumée au rayon d'un jour immortel. »
Le reste ne comporte plus que gentillesses et bagatelles.
« Il est, par contre, poursuit l'aristarque inutile d'en reconnaître de nouvelles (gloires) à l'adversaire, et de ranger Mendelsohn parmi les génies. »
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Reconnaissons, nous, à ce maigre trait, le genre tatillon du critique, dont le principal souci (toujours suivant Hello) consiste à « compter avec soin les virgules, dans l'espérance qu'il en manque unea. Cette espérance-là, dans le domaine de ma confusion, Maître Souday se flatte de la voir couronnée, de ce fait que je donne gratuitement du génie à l'auteur des Romances sans Paroles. (Ah quef les romances de Monsieur Souday ne se réclamentelles de ce joli titre !) Eh bien je n'en démords pas il y a génie et génie Mendelsohn reste pour moi un charmant génie, ce qui n'est pas le caractère du génie de Monsieur Paul Souday, lequel est sombre, sobre d'éloges autant que d'œuvres par bonheur, aussi, naïf, s'il s'imagine qu'un ouvrage conçu dans la douleur, théologalement accompli dans la foi, l'espoir et l'amour, couronné par beaucoup de louanges publiques et privées, pourrait être justiciable de quarante lignes, dont, quelle que puisse être ma modestie, il me faut bien convenir que les douze qui sont de moi, ne sont pas les pires; les autres échappées à la plume plombée d'un critique hargneux, que la Fortune aveugle a chargé d'une mission, qu'il reconnaît mal, en paraissant l'exécuter sous la devise du Cave canem, plutôt que du faue can~H/n.
Quand on veut assurer à sa juridiction générale et à sa prédilection particulière, une autorité, à ce
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point, infaillible, il faudrait, hélas 1 ne pas errer dans son département spécial, et ne pas avoir réuni, chez soi, deux cents personnes, pour entendre réciter des vers de la Duchesse de Rohan, qui est une fort aimable et considérable dame, mais qui serait, sans contredit, le plus détestable des poètes, si sa production mirlitonnesque pouvait (ce que Saint Orphée se gardera toujours de permettre) jamais être considérée comme douée du moindre rapport avec la poésie.
Hello, je le répète, a dit, de Chateaubriand, qu'il n'y avait pas lieu de lui reconnaître d'esprit critique, puisqu'il avait donné du « grand homme » à Monsieur de Voltaire. Je ne sais si Monsieur Souday jugera suffisant de se voir comparer à Chateaubriand tout de même je me risque. Je dirai donc Monsieur Souday, chargé de maintenir l'équilibre entre les plateaux de ses petits fours et les plateaux de la Thémis littéraire, a cru devoir les faire fraterniser sous les espèces d'une récitation ducale. En foi de quoi, la dictature artiste de Monsieur Souday s'en trouve infirmée urbi et orbi, mofu proprio et sine die.
Le « Temps ne compte pas que des collaborateurs insuffisamment conséquents etfortementgrognons il en a d'aimables et de sagaces. C'est un de ceux-ci qui me disait, un jour, avec beaucoup de grâce et un peu de scepticisme, que cet organe
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solennel était considéré « comme un arbitre » et il ajoutait en souriant « Du moinspar quelques-uns.H M'est avis que, si ce pouvoir temporel tient à ne pas voir augmenter le nombre des quelques autres, qui se méfient, il fera bien d'y regarder à deux fois, avant de commettre son infaillibilité aux mains d'interprètes accessibles aux gloires salonnières et à la littérature de tabouret.
Mais, j'y pense, après tout, un tabouret, c'est un fauteuil sans dossier peut-être ce critique insuffisamment assis, excité par l'exemple de Monsieur Doumic, ose-t'il darder dans la direction de l'Institut, son désir de siège peut-être bien aussi croitil commencer de faire ses preuves et témoigner de ses aptitudes, en s'exerçant à cette impertinence académique, laquelle n'est pas de tous les ressorts: Je vois bien qu'il voudrait se faire aussi gros que Jules Lemaitre mais je ne vois pas qu'il y réussisse. II a beau se tourner du côté de Monsieur Faguet, et lui lancer un « M'y voici » un peu angoissé, ce n'est pas l'organe de ce dernier qui lui répond « Vous n'en approchez point. », c'est la fo:c/)o/jM/t qui le ramène à ses proportions et le rend à ses chères études.
Je doute que mes productions leur fournissent, désormais, l'occasion de s'exercer. Du moins, ce ne sera pas de ma faute, et pour la raison que j'ai dite. J'avais pourtant pris ce sage parti de ne pas
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envoyer mon bréviaire douloureux à ce promoteur de duchesses. li est venu le réclamer à mon éditeur; cette démarche m'ayant paru marquer un progrès, je n'ai pas cru devoir refuser à un apparent bon vouloir le moyen de s'amender, j'ai offert, de ma main, le volume, revêtu de ce sage conseil « Peut-être une occasion de dire du vrai, en disant du bien. » Le foudre de Guénégaud n'a pas cru devoir, lui, céder à cette aimable invite, ou du moins, qu'avec des coups de chapeaux si peu affables qu'ils nous font penser à ce couvre-chef de Gustave Planche, qu'un matou vengeur était allé enterrer au fond du jardin. Ces circonstances auront pour effet de dispenser l'arbitre-cyclope de m'adresser peut-être une seconde fois, à propos de mon Météore, le reproche tout gracieux, n'est-ce pas ? de « méconnaître les gloires de la France. », à vrai dire, en argumentant à la manière d'un Frère Trois-Points, plutôt qu'à celle d'un compatriote de Jeanne d'Arc. Cette assimilation avec l'auteur de la Pucelle serait-elle du goût de l'auteur de la Samaritaine ? Ce n'est pas certain. Penser comme Chateaubriand, de Maistre et Hello, lui semblerait peut-être plus enviable. Ce serait choisir la meilleure part.
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Suite des bagatelles
« Mais on admirera la fertilité d'invention poéti-
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que de Monsieur de Montesquiou, la beauté de certaines images, la variété d'idées et de tour qu'il a su introduire dans un cadre fixe et un peu rigide. Je citerai, à titre d'échantillon, l'Offrande Esthétique, qui n'est pas celle de Monsieur de Montesquiou L'artiste dont la paix fut le champ de bataille, De luttes, de combats, de ~ompAes parfois, Ne trouve plus de mots qui semblent à la taille De s'assortir à ceux des meur/ytë/'es voix.
L'instrument qui frissonne en ses mains désarmées Par le temps qui s'effeuille ou le mal qui de/rut~, N'obéit plus aux lois que la sienne a charmées Et renonce à l'appât de la houle et du bruit. Puis, comme le retrait de /'n<ymne qui s'élance, Prouvant un sacrifice, atteste une vertu,
A ceux qui /'ecou<aien< il offre le silence
De ce qui pouvait plaire et de ce qui s'est tu. On voit que Monsieur de Montesquiou comprend les scrupules de ses confrères silencieux, mais il a eu grandement raison de ne point les partager. » Ce que je vois, moi, c'est que Monsieur Souday pense bien faire de l'esprit à mes dépens, ce qui ne représente pas toujours la meiiïeure façon d'en avoir même de l'ironie, qui l'induit à cet essai
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d'égayer les moins bons de ses lecteurs, au détriment de mon livre plus qu'ému, en faisant observer que je ne l'aurais pas écrit, si je m'étais montré fidèle au plan qu'il indique il veut bien me féliciter de ne pas m'y être conformé.
Cette facile plaisanterie possible, je m'étais, je l'avoue imaginé quelqu'un d'assez sémillant pour en hasarder la lourde pirouette mais j'en avais éliminé le danger, comme négligeable. Je n'ai pas changé d'avis. Je n'accepte pas la félicitation de Monsieur Souday, la tenant pour imméritée. Un tel livre, incliné comme le Samaritain, agenouillé comme Véronique, ne conserve d'esthéticien que ce qu'il faut pour embellir les doigts qui souhaitent de recueillir le visage d'un dieu ou d'assister une détresse humaine. Ma véritable Offrande Esthétique, celle qui s'est tue, que j'ai différée (cela ne suffirait-il pas à lui mériter ce titre ?~ c'est le livre dans lequel il sera traité de Monsieur Paul Souday, et où je tâcherai de mettre, moi aussi, en dépit de mon inaptitude à ces deux emplois, un peu d'esprit et un peu d'ironie, pour lui montrer que je suis ses exemples.
M'étant donc, du mieux que j'ai pu, mis en règle avec « la petite critique ?. je veux, selon l'expression de Molière, « au ciel, avec de l'ambroisie,
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m'en débarbouiller tout à fait. » en ajoutant un mot de la grande.
Ce mot n'est pas de moi, je le regrette, mais puisqu'il m'est adressé, mon regret se tempère. « Quelle joie, m'écrit, de la ligne du feu, un soldat inconnu, après une lecture de mon poème quelle joie de penser que mourant, même avec humilité, quelque chose de nous restera vivant après la guerre f
D'une telle « critique )), il n'y a rien à dire, mais seulement à « laisser le silence remplir la pause obscure », suivant le conseil de Shelley.
J'ai dit, au début de ces lignes, que les éléments de ce volume étaient réunis, quand survint la Guerre. Je n'ai rien cru devoir y changer. C'est du passé enregistré, qui, dans un autre ouvrage, lui aussi terminé, apparaîtra bien plus significativement révolu, périmé, distant. Pour cette raison, je me suis abstenu d'ajouter à l'étude, du moins consciencieuse, de mon principal modèle, l'examen des poésies que les nouveaux événements lui ont inspirées. Cette inspiration est certainement généreuse et sincère je ne voudrais donc pas paraître la critiquer, en critiquant les formes, plutôt l'unique forme qu'elle a revêtue.
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Cette forme, c'est, à de bien rares et brèves exceptions près, invariablement, l'ironie transcendante, la diatribe à jet continu. Autant dire qu'en face des sujets, justiciables de la seule émotion, elle ne pouvait satisfaire. 11 semble que ce malheur lui soit advenu.-C'était à craindre. L'émotion n'est pas le fort de Monsieur Rostand. On ne peut pas tout avoir.
Un jour que, dans une réunion de notables, entre lesquels je me trouvais par hasard, on s'entretenait de ces récentes productions du célèbre auteur, quelqu'un qui l'apprécie et l'admire, tout comme je le fais moi-même (j'espère le lui prouver, sans fadeur, mais non sans ferveur, par cette attention soutenue), quelqu'un dit « II est mal parti. » et parut, j'ai le regret de l'avouer, résumer ainsi l'impression générale, à propos de ces derniers vers. Le Pégase d'Arnaga, frappant, de son sabot fameux, le sol de l'Argonne, en a fait jaillir des flots de sarcasmes, où l'on aspirait à des flots de larmes. Et l'on a été déçu ceux du moins qui ne réfléchissent pas assez pour comprendre qu'à force de comparer les pleurs avec les perles, on a fini par les identifier. Cette assimilation va trop vite il est vrai que ça se ressemble un peu, mais ça n'est tout de même pas la même chose.
RoBEHT DE MONTESQUIOU.
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TÊTES COURONNÉES
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TÊTES COURONNÉES
J'ai consacré, dans un autre volume, un chapitre ~M Livre de d'Annunzio, qui, le premier, /)'aK~Or~, dans.le domaine de ~~4~, ~~raK~~COM~r/~a~~KK~ ce chapitre, je l'ai intitulé Le Roman de la Terre et du Ciel.
C'est ~M ciel /<ï que planait l'Archange d'Or, l'admirable Sébastien, dont je décris a~'OM~M! le vol.
Ce vol, il est porté par toutes les p/MWM dont s'empennent les traits plantés par tant d'artistes dans le torse blanc, OK bois du javelot dessine une petite ombre, l'Ombre des Flèches, M laquelle s'abrite ce qui nous reste de foi.
Saints d'Israël, ce sont deux justes, que j'ai connus, appréciés, et auxquels veux apporter le tribut de mon admiration perpétuée. Ce fragment, j'avais décidé de l'intituler Deux Saints Juifs, pour témoigner que la Sainteté me parait praticable dans toutes les religions, même les plus opposées. Toast de même, son titre, tel <yM<! je l'avait primitivement imaginé, me parut un ~K rude, propre a engendrer des MM~KM?~ et pour 2
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cela, je le c~atM~~t contre celui qui s'exprime de mlme, avec plus de douceur. Puisse-t'il, lui aussi, mieux exprimer, son tour, ce que je pense de ceux des mortels qui ont employé le bien, au bon et au beau, servant ainsi d'exemple à ceux des puissants, qui t~~OMt cas de leur pouvoir, que dans la mesure où il leur permet d'apparaître plus humains, ait plus noble sens du terme.
Parmi C<'MA:-M convient, certes, de ranger Monsieur Carnille Groult, l'éminent collectionneur artiste, si grandiloquent durant ses jours, et si vite <Kt~, on ne sait pourquoi, dans le silence, on ne sait comment, presque dans l'oubli. Je l'ai fréquenté, il m'a donné des preuves d'estime et d'amitié, qui me restent chéres. J'avais résolu de le lui prouver avec une Étude, aimée de ses amis, et comme il convient, toujours, comme a jamais, il advient, suspecte à ses proches. Le jugement des premiers m'a, longtemps paru, j'ose le dire, plus clairvoyant que celui des seconds, dans toutes les occasions propres à porter l'addition des circonstances d'une vie d'homme, au total de la gloire. Ce sont donc les premiers que j'écoute, me jugeant ainsi, en ce qui me concerne, le fidèle apôtre d'une mémoire qu'il me plaît de servir.
Monsieur Groult qui m'aurait su gré d'inventer, pour lui, ce beau nom l'Ami du Voleur de Soleil,
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professait, on le sait, un ~0!~ passionné pour le peintre Turner, auquel l'Angleterre, on ne l'ignore pas, a décerné l'étrange et magnifique titre dorant ici, de son reflet, celui qui en exalta le titulaire.
Au Météore consacrons ~M~MM lignes de plus, pour éviter, s'il se peut, ces petits « malentendus » que lui-même déclare, d'ailleurs avec raison, justement négligeables.
Une caractéristique de l'art de Monsieur '~O~~K~ (puisque c'est de lui qu'il s'agit sous les espèces de ce M<~0)~) et particulièremens de son dernier ouvrage dramatique, c'est de ne pouvoir être abordés de sang froid. Je l'ai souvent observé, a ~Kf approche, les jugements se désorbitent, les appréciations divaguent, les visions s'écarquillent.
Un ~OM~M<'M~' n'allait-il pas, l'autre jour, jusques a qualifier « d'alcyoniens » les sentiments que lui faisait éprouver l'audition de Chantecler ? (Ne seraitce pas le cas de répondre « rallais le dire. » comme fit un jour spirituellement une dame, MK musicien qui lui déclarait, d'une mélodie, qu'elle était octogone ?)
Se voir « passé a tabac », ou a encens, parait être, sans transition, le destin ~'MM sujet qui mérite mieux. Est-ce le défaut des apologistes de l'écrivain, qui détermine, en contre partie, le défaut de ses détracteurs?
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Or, la première faute de tels apologistes, c'est de papersuadés que, seule, une envie, ~He~ l'incomparable mérite de cet auteur, peut empêcher d'abonder dans leur sens. Je crois que les envieux ~MMM~ euxmêmes être mal jugés. On se représente très bien un envieux prenant, pour le point de Htï~ son vilain vice, d'autres oeuvres et d'autres artistes. La ~M~K/Ke~M~ tels thuriféraires, c'est de paraître menacer presque furieusement les invisibles ennemis que sont tous ceux qui se permettraient ~'HM avis différent du leur.
Puisse le Météore au titre ~~MfaK< et instable, puisse l'Essai de bonne loi, qui le ~0; maintenir A égale distance de /'ac/'MMOKMKX et ~M doucereux l Ce sera difficile. Une sorte de mégalomanie nationale s'est !'My<~H~ A l'égard de Monsieur Rostand, et qui doit bien le gêner (oserons nous dire /'</K~6?' ?.) à ses heures aimables, dans l'acception ~M terme, c'està-dire celles qui sont dignes d'être aimées. De même que son alouette se démesure, ni plus ni moins qu'une grenouille, pour grossir aux proportions d'un ~M/ céleste, de même tout ce qui l'approche, croit devoir s'amplifier pour se sentir à la hauteur de la circonstance. Les couronnes changent de ~oyKtM, les mots changent de sens, les chiffres changent de valeur. EM~M, quand, par infortune, il advient que Monsieur Rostand
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nous a/~ÏM~ comme la ~C~MM heureusement indemne, ~'7tf! accident d'auto, il convient que la dite voiture soit MM « lourd véhicule M qui pèse deux mille kilos et (je M'~MMM~ pas) « dont /tM des cd/~ lui pesait sur /aMo~MM. M ToM~ K~ Cyrano, et même de PifLuisant, X'fK .!M/~0/ pas davantage.
J'ai conservé, ~CMj titre, Les Nouveaux Décorés, MM ~C~MW qui présente, de cette impérieuse Ù'W~fication, !tH ~C//M~K !MC/'0)'a~ allant jusqu'a dire, des /)~yK~~ ~Hrc~ du /~MMC ~M~~f, qu'ils se sont manifestés « sans hérésie. » D'OM il résulte que ne pas <!</m; Monsieur Rostand, tout au MM<K~ dans sort entier, M~M/'a~ pas été seulement 7M~ dissidence CM <0/~ ~MËH~ une façon ~OKH<ë sentir et de ser, mais une impiété, «M .fc~ Encore ~~K~y't:M/~M~ un article sur le ?Mf/ sujet W'a/~MfM~ intitulé En écoutant Edmond Rostand. Et cela )M'~ rappelé, wa! tout, en un peu moins ample, ce titre de Viclor .H~o Une nuit qu'on entendait la Mer sans la voir.
L'article s'achevait sur ces deux phrases « « A~oy;M/' i- Edmond _~O~~M~ /?/'<ï f~r~f'. Il a souri, )) DM temps de Mo//J~, on ~o/'WM~~ « « .E~'t~ ~/('g a ri. » ~/t/'OK~ OH « .Ëcn!~ qu'il a souri. » Et le /f/t/' ~M~'0/f; Kg ~)/~ pas mieux que ~H faire ~M/~H~.
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Enfin, d'une interprète, un mot bien étonnant, parce qu'il semble sincère, qu'il est évidemment naïf et, probablement, irréfléchi. « Monsieur Edmond Rostand, dit l'actrice, f'~ charmant, si gai, qu'il me semble ~K'A chaque instant, il doit faire effort pour ne pas oublier qu'il est Edmond Rostand. » N'avais-je pas raison; le mot 11' est-il pas extraordinaire; plus extraordinaire m~~ qu'il ne paraît tout d'abord ? S'il y avait « pour oublier qu'il ~y< B, cela représenterait la fo~/)~n~, la familiarité de la grandeur. Mais « pour ne pas oublier qu'il est », cela 'M< ne pas sortir de son rôle. C'M< MM~H~H~ surtout dans le ;7M/;MH< où l'on est en <fa;n de découvrir que Shakespeare, lui, a~KgM~OMM~H!V~a~.$7M!7n', a OMM ~'ëM~OM~K~ des preuves suffisantes, et que, par suite, l'humanité ~W~H~ condamnée Kg pas savoir sur quel ~K~ &rM~~ son encens ya gloire ~M père d'Hamlet.
Revenons NM père de Cyrano.
L'important, pour les personnes (;M vois au ?;Mt'MJ quatre, en dehors de la famille) qui ont institué et organisé, autour de A'fo;M;CM~' Rostand, cette: forme de Culte du Lui, et qui le fomentent, c'est de ~r~M~'y chacun de ses actes, chacune des CX'yfOM~KCM de sa vie, sous un angle qui M fasse jaillir une grâce ou une vertu, laquelle, pour tout autre, se contenterait ~7'i*
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individuelle, mais qui, ~M~~e~~a~'CM~ devient tMtM~M~tK~Kt nationale.
Passim Monsieur Rostand, dirons-nous, se rend comme tout le /KOK~, MM dîner ~r~M ? C~ bien .MW~ disons consacre de sa ~r~~KCe celte ~Mniort privilégiée. Or, on s'étonne de lui voir, non ~M/f~K~M~ garder ~OM pardessus au delà de la M~'MM~ du vestiaire, mais tenir soigneusement relevé, le col de ce M~/M~n~ d'extérieur. Nul n'ose objecter rien wa~ tout bas on s'étonne. Soudain, d bonheur <aM~ Monsieur Hervieet, paré de sa cravate de CCMW~M~K~. Bonheur double, car cette apparition agit enfin sur le paletot récalcitrant du /'0~, CO~MMM P~~H~ sur le <f balandras M du voyageur de La Fontaine. Aussi timide qu'inspiré, Monsieur Rostand se déboutonne (dirai-je se û~otJoMMe ?~) et, a son <o<fr, laisse voir, avec une charmante ~OM~K~, collier de HM~ ëWpourprée, dont il .MK~n7 d'offrir ~K/, ses amis, le J~fC/a~g un peu accablant, mais qui slimule. ~7//A pour la modestie nationale.
~M patriotisme national maintenant. C'est !/M /OM~ de Revue militaire. Les troupes rentrent. Dë/M/'C MK~/fM~~ la Porte-Saint-Martin, A~~t~M~ Rostand .M discrètement, cela va de soi. Tout de même, soit geste est « de la plus 7?~ ~~K~ » quand il ~a/He le < « Mais ce Mo/?<
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Rostand ne vit pas, c'est que, Mg/K~ après le départ du drapeau, quatre têtes restaient découvertes, ce qu'il n'entendit pas, c'est le cri de quatre bouches lançant un Vive Rostand » Une minute après, un courriériste reçoit la visite de quatre ~H~an~ qui viennent lui dire « <( M~MJMM~, nous <2~CHJ' eu, ~OM~ l'heure, une grande joie. Aujourd'hui est !<K beau jour pour nous, puisque nous avons aptrçu Monsieur Edmond Rostand A M;!6 des fenêtres de la Pû~ ~ÏM~-May~K. » OK serait H;! ~NM jour à moins. « No<~ aun'OM voulu r~C~HM;- tout K<~ CH/~OM~M~MM. a, hélas 1 quitté le balcon sans nous entendre, /Ha~ MOtM nous rattraperons, ce soir, gH allant applaudir, aussi fort que 7MM~/e pOMT'OK~, Cy~MO Bergerac. » On comprend que quatre bouches qui ont à dire ça, COMMMK~M< d huit /a~ qui s'élancent vers le courriériste.
Monsieur Rostand ~a/ttg drapeau, les ~H~MMt~ saluent MoH~MMf T~p~/a)! tout cela est fort ~MH,~Or~ naturel, si /M<Mrg/ M~/M ~M'C~ pourrait p~-e<g s'en tirer M:0~ ~/)-t!M et de fracas. Et cependant. « ~t!~C~ûtfS t;t!C idée C~'et~C qui )! y!f):< ? » si par hasard, ces étudiants C/Mt les fMM!M qui ont jadis o~f~MM~nyM~ à Monsieur Fra?!CM Croisset,
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pour le féliciter arrivé si vite ? Mais non, ce n'est pas possible les dates, quand il M'y aurait qu'elles, ne concordent pas une telle jeunesse a passé fleur. ~M tour (des gens grossiers ne soyons pas de ~M~-M diraient au coup) au tour de la popularité nationale A présent. Cet ~o/M~M est infatigable ne vois que la Duchesse de ~O~M~M~M lui C~~O!'K~, et HMMM qui /M~O~~ elle fait, en M!~M~ temps, le Nord et le Midi. Donc, l'infatigable Monsieur Rostand, accompagné de son fils « dont le visage rayonne d'orgueil filial gagez que, la ~yOC~~M~~O~ MO/M verrons, pour une apothéose imminente du jeune homme, le visage ~M papa rayonner ~~MM7 paternel Monsieur Rostand daigne visiter son bon peuple de Paris, et lui lire des vers qui, étant les siens, sont, au dire dit COMtM~M~~K~~ « les plus beaux qui se puissent entendre. » ~~f/MM~K~.
Une chose dont ce rapporteur ne semble pas revenir, c'est que Monsieur Rostand se montre « simple ». D'autres ~7~ le supposer) le feraient plus a la pose. En est-il bien JM~ ? Une des formes de cette simplicité consiste, en effet, a~a< ou laisser vendre, dans les couloirs d'un lieu public, des cartes postales, sur lesquelles un portrait de /'aM~/<yj en ~M~M~MK, s'accompagne de humble formule: « Tel jour, de tel mois, de telle
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année, Edmond Rostand est venu à C/M/M~~ Populaire, et devant des centaines de familles ouvrières, unies dans le culte de la poésie, il a dit ~H~~MM unes ~t plus belles pages de son ~Mî, » Évidemment encore. On n'est pas plus violette.
A ceux qui seraient assez mal inspirés ~OH?' penser le contraire, on répondra que ce sont les organisateurs qui ~!J~~Mat<'K< cela, et, sans doute, l'avaient ~H~HLes O~SK!'M/ sont prolifiques et incorrigibles ils ne vous font grâce ni du vieil ouvrier ~'M~thique, M! de la midinette ~MMe, du loustic bon enfant, ni de la ménagère modèle, ni du ménage f~CMtplaire, tout cela debout, haletant, cordial et enchanté, non moins ~H~ si ça se passait chez ~KE Brisson, CM vous ne <ar~( ~a~ revoir, ~M sûr. C/M~~gK~~M~ don de MZ-M~ mérite l'ovation. Elle ne se fait pas excuser. ~M~~Ot~ on aurait dételé les chevaux il faut bien aM/OM~f~M! se contenter de gêner un chauffeur. De plus en plus ~t'M/ le poète « que l'on veut voir de près soulève son C~MM. C'est, hélas fini.
Pas pour les mauvais plaisants, qui ne Man<~<gront pas de voir, fM~M~ cette nouvelle manifestation de la simplicité, un nouvel ar~fC~ de la réclame, la ré(l) Pet~~f! tard que /mA'maf<t.
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clame à bon marché. Qu'importent les mauvais plaisants ? L'important n'est pas de leur plaire, mais de se comporter comme on le juge bon, dans le sens de ce qu'on croit être son intérêt, ou de ce ~H'CH donne pour sa fantaisie.
Je connais, je ~M~, d'un des ~ar~M/<, et non moins y MO. MK~O~~a/< dans le C~<M//ï~ d'Hassan, ou ~M, au dessous duquel il a JMWM~M~ écrit « Une académie ~caJ<?KCMK. »
Et :7 ajouta, en me la ~OMM~M~ f< A~ la portez pas Rare de Rivoli. »
Cette simplicité-la me paraît meilleur teint, fi ~Krtout plus gaie.
Quoi qu'il en soit, non moins que la modestie et la simplicité de Monsieur Rostand, sa timidité me fait l'effet d'un charmant « bateau sur lequel nous invite aujourd'hui a prendre place, un nouveau nau~OMK~ la gloire.
Quand je lis ces jolies choses, avec un plaisir, je l'avoue, toujours renouvelé, je ne puis W'f??:~&r de songer au vers de Musset
Ah que la pâleur est d'un bel :~ag'c/ »
Le procédé s'étend a toute la yaHM//<
Un comédien se fait la tête du jeune T~o~K~
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pour interpréter un rôle de naissant esthète. La presse prend de grands airs, roule de gros r et de gros yeux, la même presse qui trouvait excellente la charge de Fou~M~M~rMoM~MMf~KO~t. fOM~M~yMMS me paraît pas destiné a inquiéter les OMt~M heureuses de 'D~KO~~CK~, ni même de Vestris tout au plus la sienne <Mc~?'a-< l'ombre du turkey-trot sur la prairie ~'a~phodéles mais c'est un bon garçon, consciencieux entrepreneur de son ridicule, qu'il exploite avec honM~g~. En quoi peut-on se permettre, à l'égard de son physique, ce qui devient ~ac/ quand il s'agit ~<H membre, même ~'o~~MCMM~ la sacro-sainte famille ~4/'MO~r&MKe ?
Notez que nul ne s'avise de reprocher à l'auteur, ~'<0~' mis en sous le nom de Corneau, un autre jeune poétastre. Non, A chacun, et comme il convient, les droits de la caricature paraissent imprescriptibles exception faite, encore une fois, pour le groupe Cam~o-~Mn, dont le noli me tangere a de quoi surprendre.
Autre les personnages les plus considérables ~Mtrent il Paris sans tambour ni trompette, quelques uns 7MeWC, ÏKCO~M/O, ~M!~H~, heureux de cette cessation dit ~O/O~ra~, CM phonographe et du C!M~H~, sans oublier l'interview, à l'égard de leur personne et de leur vie. Il n'en saurait a//gr ainsi pour rien de ce
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~M/ touche l'agrégat Rostand, dont il convient ~<~HS sorte de joyeux avènement soit, de temps à autre, célébré par la bonne ville. Lisez plutôt « « Md~MM Edmond Rostand et son fils sont arrivés a Paris. Cette nouvelle sera ~CfM~7~ avec joie par leurs amis et leurs admirateurs qui sont, les uns et les autres, innombrables. »
Montaigne affirme qu'il ne se rencontre pas plus d'une amitié, en trois siècles. Alors ? Lequel a raison, lequel se trompe, de l'Auteur des Essays, OM de l'auteur de J'article ?
Cette philosophie de /cw~h'oM, cette mise en avant du faisceau -n.'apparaît point, ici, comme une exception, M<!MCMK/K~M~Ioi. OKaCOM/<f,/C!M~ entre autres, MK~ C~~ ~MM~K~ C'Aa~ au moment des répétitions de Chantecler les caractéres coH/M~Hçaient de s'accuser et faisaient brévoir certaines dences. Un jour, Guitry entre en scène, on J'ù~y~ l'écouter. il reste muet. « TOK~HfM ne COMM~K~W?~ pas, Guitry ? » fait faM/fHf. Alors le Grand Comédien de ~C tourner vers la loge familiale, pourtant comble, et d'articuler .~?!~M~M~/K~n~ « Il en manque un. »
A propos d'un ouvrage de Madame Rostand, la presse relate que /~M/~M.'M~ l'a conçu « a l'occasion de la scarlatine de son fils. » ~/CC~~ gronderait « La
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scarlatine ne fait rien à l'affaire. » C'est vrai. Mais pas moins vrai que ces petits détails domestiques font de l'effet aux Annales et agissent sur les groupes, pour ne pas dire sur les masses.
Et pour en revenir au tuba mirum spargens sonum, ~coM~ ceci « En l'honneur de Madame Edmond Rostand. Ses admirateurs et ses amis célébreront son oeuvre et sa personnalité. Les récitations de ses poésies délicieuses permettront d'applaudir lillustre poète, elle-même, qui veut bien se rendre à cette manifestation d'art et d'amitié. »
'Tout le monde sait que Madame Rostand fait de jolis vers. N'est-ce pas les traiter au-dessous de leur mérite que de leur infliger ce boniment et les accabler de cette fanfare ?
Entre le « maladroit ami M « sage ennemi » la preuve est, depuis longtemps, faite, en faveur de ce dernier. Lors des grands jours d'Hernani, quand retentit, pour la première fois, la fameuse apostrophe du « ~~t' stupide » un monsieur trop sympathique et, sans doute un peu sourd, s'écria de confiance « Vieil as de pique il l'appelle vieil as de pique, vous entendez, que c'est beau 1. » Serait-ce le petit fils ~M même monsieur, qui, l'autre ~OM~, dans cer~tHf réunion, CM quelques uns affirmaient leur prédilection pour tel CM tel vers de Chantecler, déclara
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préférer ce passage qu'il se mit et déclamer avec enthousiasme
« Mais quand l'astre du jour est d'humeur fanfaronne, Quand il veut rester xoMrfï à mon chant matinal, Je brave son caprice et je fais un signal
foMr~Mer!enne,~xajp/aee,uM«maHeAo?t/.aCouro~?!eB, Le plus beau, le plus riche et le plus éclatant, Le plus économique et le plus résistant » a
OM regardait awc stupeur. Le récitant .M/MMo~ sincère, il avait lu cela, inscrit au dessous d'un coq, sur l'affiche d'un appareil d'éclairage, dans une rue de Bayonne, et croyait que c'était une citation. Il M'~M voulut pas démordre, insistant sur les trouvailles de l'astre « « l'humeur fanfaronne du caprice brave, de ce beau, riche et éclatant « MMK6/MM » qui se levait, au-dessus de la colline, pour faire pendant il « l'abreuvoir ~y/'M~ en fer galvanisé H ~M~, C~/M! tout le monde reconnut, ce qui enhardit l'admirateur fantaisiste et /M!COMC/My~ audacieusement que c'était tant pis pour l'ouvrage, si le morceau cité ne s'y trouvaitpas. Ceci n'est que jovial.
Par exemple, une chose qui ne me plaît pas, oh mais pas du tout, ce sont ces histoires, sorties par les journaux, a propos ~H Centenaire de l'Abbé Delille, proclamé, en /< « poète national, le plus grand des
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inspirés, ~M~MN~ et audacieux novateur, auteur des plus beaux MOMMMMM~ Poésie Française, destiné à se voir mis, par la postérité la plus reculée, au rang de Corneille, Racine, La Fontaine et Molière. » « En attendant ces destins posthumes, mais assurés, il est déjà tenu pour le rival d'Homère, de Virgile et de Milton, préféré a Châteaubriand, payé six-francs l'alexandrin, ~a:M~ COM~/gy trente sols de boni pour Madame Delille, yfMtK~ acaridtre, pratiqué, )M<!Maçante et intéressée, poussant à la confection d'ouvrages ~'MM art mécanique, facile et charmant ». « Les libraires se disputaient, à prix d'or, tant de vers méprisés aujourd'hui. A les payer dix sous la syllabe, ils trouvaient encore leur compte. Vingt mille acheteurs se précipitaient sur lapremière édition de tant d'indiscutables C~~f-t~M~ La simple lecture ne rassasiait pas leur enthousiasme. »
« O/'K~M~K~, appui (o et prœsidium et dulce decus ) sa présence est une fête, ses paroles, des oracles, son intérêt, un bonheur. Sa poésie est édictée la plus c6tèbre ses productions sont déclarées les plus brillantes dithyrambe, auquel nulle hyperbole n'apparait plus suffisante, le place enfin au dessus du dieu de la lumière et de celui des vents.
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« 0 toi qui t'élevas par delà le tonnerre,
Du Soleil auguste rival,
Comme lui tu brillas, en éclairant la terre! s Tout cela pour finir sur ce trait « Il n'y a /M~ vraisemblance que la postérité proteste jamais contre l'inscrisption définitive de ce nom A l'obituaire des gloires usurpées. »
Qu'est-ce que c'est que cette sinistre plaisanterie ? Si j'avais le bonheur, ou le malheur (qui ne me visent ni l'un ni l'autre) d'être proclamé poète national, et, par suite, doté de pouvoirs O~M~, ferais interdire ces publications qui me rappelleraient le cri poussé par un Pontife, au réveil ~'MM songe de justice « Quel ~M affreux je viens de faire » H Le Beau Cavalier me fut cher, je veux dire Gustave Jacquet. Il associait a la maîtrise de l'Art, l'élégance de la race. Puissé-je ajouter, d'une ntain qu'il aimait, à sa silhouette aristocratique et artiste, une plume pour le chapeau de ses reîtres, une fleur pour le corset de ses femmes
Le brave Meunier ne m'est pas moins ami, dans ce Moulin du Livre, CM nous le regardons moudre, bluter et ensacher la farine de l'esprit, les recoupes des rêves. R. M.
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L'ARCHANGE D'OR
ou
L'ARCHER PERCÉ DE SES TRAITS
1
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L'ARCHANGE D'OR
ou
L'ARCHER PERCE DE SES TRAITS
Il m'a toujours semblé voir une offense dans l'action de faire ressortir, lors de l'accomplissement d'un ouvrage d'art, un supplément de difficulté vaincue, lequel ajoute au mérite du résultat, ce qu'on appelle un tour de ~o~.
Et pourtant, dans les circonstances qui nous occupent, l'offense ne serait-elle point, parlant aujourd'hui d'une nouvelle œuvre de Monsieur D'Annunzio, de ne pas le mentionnier, ce tour de force auquel nous la devons, puisqu'il est, avant tout, à l'adresse de notre pays. un déploiement de grâce et de galanterie, non moins qu'à l'égard de notre passé religieux, un agenouillement d'une ferveur si noble, d'un élan si superbe, qu'il faut, pour lui trouver un équivalent, se tourner vers ce ~<XM de Louis Treize, où nous voyons un de nos monarques tendre son sceptre et
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son bandeau à des souverains du Royaume des Cieux
Monsieur d'Annunzio a traité la France comme le Juste a traité la Madone il lui a tendu sa couronne et son sceptre, après s'être prosterné devant elle.. sous son manteau fleuri des fleurs du lis rouge, ainsi que celui du prince apparaît constellé des fleurs du lis d'or. Le sceptre est fait de deux branches, l'une de /;7w;Mj l'autre, de rosier, de celles qui s'enroulent autour d'un groupe des romans du Maître. Une branche de grenadier s'y mélange, symbolique de son art. Le bandeau est une couronne de chefs-d'œuvre.
Donc, « au milieu du chemin de sa vie », comme l'a écrit un grand ancêtre de Gabriele d'Annunzio, l'auteur de Laus ~<x, a pris le chemin de la France, comme autrefois son compatriote Léonard vint se retirer dans Amboise. Il n'est plus de François I" pour jouer le rôle de royal voisin, auprès d'un tel exilé volontaire. Mais le sol reste hospitalier et reconnaissant à ceux qui lui tendent un pareil thyrse, un semblable diadème.
Aussi n'est-ce pas sans un douloureux étonnement que nous venons de voir un prince de nos prêtres repousser, avec rudesse et dureté, ce qui,
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dans cet élan, s'adressait, avec tant de ferveur, à nos cathédrales abandonnées.
Un journal (de ceux, bien entendu, que le poète honore de sa collaboration) fait ressortir qu'il suffit que le rôle du saint soit tenu par une danseuse pour que le spectacle apparaisse blasphématoire. N'est-ce pas bien vite dit ? Rien ne prouve, néanmoins et cela fort heureusement que, de la danse, considérée comme expression des émotions, une part ne puisse pas, ne doive pas être faite à la mimique, par un sujet respectueux, des phases d'un drame sacré ou d'une aventure divine. Marie, sœur d'Aaron, a dansé de joie, David a bondi devant l'Arche et nul n'ignore que, chaque année, à l'occasion des fêtes Pascales en Espagne, des adolescents, rejoints avec des guirlandes,- témoignent, par leurs gracieuses et nobles cadences, leur allégresse de la résurrection et ledr alléluia au pied leste.
Nous verrons tout à l'heure si Madame Ida Rubinstein, dans son interprétation du My~r<; Saint Sébastien, s'est éloignée de ces dignes traditions, ou, au contraire, a mérité, d'être rangée entre les prophétesses qui exultent des victoires pieuses, les rois qui ballent devant les insignes divins, et ces adolescents thuriféraires dont les
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saltations rythmées unissent à l'extase des regards et à la jonction des mains, des pas édinants, des poses mystiques et des prosternements qui élèvent. Lorsque j'égrenais le rosaire des quatre-vingts oraisons au cours desquelles j'ai fait prier tous les acteurs du théâtre de la vie, avec tous leurs actes, je n'ai eu garde d'omettre la Pn'~ la Danse. Qu'on me permette de la citer
La Danse, tour à tour rondes ou carmagnoles. Mé)e âpres cruautés et célestes douceurs,
Et l'Eglise, aux jours saints des Messes Espagnotes, Au devant de l'autel fait baller des valseurs.
Mon rythme émeut l'enfant comme le patriarche Mon geste est, à la fois, mystique et mai famé, Car le pieux David a dansé devant t'A:che,
Mais le sang du Baptiste inonde Satomé.
Et rien de plus touchant ne nous revient par bribes Que l'épitaphe antique où l'image parut
De ce Septentrion qui, jadis. dans Antibes,
Dansa, deux jours de suite, et sut plaire, et mourut. Pour en revenir, avant de quitter ces généralités, et d'analyser brièvement le Mystère de SaintSébastien, à l'étrange susceptibilité archiépiscopale, ce qu'il y a de plus étonnant en elle, n'est-ce pas
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l'indulgence précédente à l'égard de l'opéra de Strauss, représenté, concurremment à d'autres Salomés, sur d'autres scènes Parisiennes, et des premières ? En quoi Saint-Jean, tiré demi-nu hors.de son cabanon, et inspirant, à la fille d'Hérodiade, des sentiments si passionnés qu'elle demande sa mort, pour se venger de ses froideurs, et finit par se livrer, devant le chef du précurseur, à des mouvements fort désordonnés, en quoi cette interprétation de l'existence du compagnon d'enfance de Jésus même, et de son baptiste, peut-elle sembler plus 'canonique à l'archevêché, puisqu'il n'en prend point ombrage, que la ~M~ mise en scène (car le texte n'était point encore édité les auteurs l'ont fait observer fort justement) d'un épisode chrétien qui a inspiré des milliers d'objets d'art ? Cette duplicité dans les poids et mesures ne semble pas pouvoir s'expliquer sans de certaines cabales fomentées par des rivalités mesquines et des compétitions sans grandeur. On a prétendu imputer à l'auteur un grief de sacrilège, du fait que son jeune et beau protagoniste paraissait, lui aussi, inspirer, d'ailleurs bien allusivement une pire forme de coupable passion, au prince qui le fait mourir pour sa résistance à des volontés, du reste, toutes différentes. Je ne
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sache pas que faire naître involontairement de criminels désirs entraîne la moindre faute pour celui qui les méprise, que les repousser ne soit pas précisément la vertu, et qu'en tirer l'occasion de donner sa vie pour une cause sainte ne représente point le martyre et, par suite, le plus haut degré de perfection humaine. On peut en conclure aujourd'hui, de sang-froid, que les feintes indignations, autour de tout cela, ne représentèrent, elles, que des hypocrisies de salons, coutumiers d'intrigues.
Gautier, quand on réclamait des feuilles de vigne pour de certains marbres, affirmait qu'il n'en voyait pas la nécessité, parce qu'il n'avait pas l'habitude de regarder les statues à ces endroitslà. On pourrait affirmer de même, tout d'abord, me semble-t-il, que le haut clergé agirait plus prudemment, pour ne pas dire pudiquement, en ne regardant pas du côté des spectacles. Ce qu'il y verrait, neuf fois sur dix, ne peut que lui faire détourner la tête- et se voiler la face. Or, tous ces attentats à la pudeur le laissent indifférent. La vertu serait-elle moins respectable que ceux qui la pratiquent ?
En soi, le Théâtre Chrétien ne saurait être réprouvé Polyeucte en fait foi Parsifal met en
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scène l'Eucharistie elle-même, la descente du Saint-Esprit et la plus transparente adaptation des scènes de la Passion. Non seulement la piété éclairée (je ne parle pas des mômeries) n'a jamais pu se scandaliser devant ce spectacle, mais une indiscutable résultante d'édification émane du théâtre Bayreuthien, lors de ces représentations respectées. Dans Oberammergau, c'est la Passion même qui se joue sans figures. Les acteurs doivent, il est vrai, se faire renouveler, tous les dix ans. l'autorisation du Saint-Siège, qui ne la refuse jamais.
Autres sont les autels, autres, les tréteaux quand les seconds manquent de respect aux premiers, les spectateurs peuvent faire justice. Mais c'est une diSérente et pire forme de malédification que de voir de saints personnages (surtout si inopportunément) fulminer dans la direction des planches, au lieu d'ordonner des processions et de régler des offices.
Ceux et celles, organisés, dans Avila, en manière de réparation~ lors des représentations du drame de Catulle Mendès au Théâtre SarahBernhardt, nous parurent un peu fanatiques. Mais il s'agissait d'un clergé exalté, assorti à ses crucifix sanguinolents, à ses madones chamarrées
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de telles interventions, moins dévotieuses que belliqueuses, ne sont guère compatibles avec le pays de la Vierge de Lourdes, lorsque, nu-pieds, la rose à l'orteil et le ruban bleu sur le blanc linon, elle s'élève au dessus du sol, dont elle effleure les graminées.
On se souvient de la déclaration de l'auteur, qui affirme ne pas écrire pour « les petites filles dont on coupe le pain en tartines ». Disons, de même, que ce « Mystère », ne s'adresse pas aux dévotes de province, qui se confessent d'avoir mangé un pruneau de trop, tout en persécutant leur famille. Certains, pourtant, ni les moins religieux, ni les moins bien inspirés peut-être, ne sont au contraire, pas loin d'imaginer un temps où une telle oeuvre s'emploierait à ressusciter la foi demi-morte sous les coups des Pharisiens, et y
réussirait.
En attendant, si le résultat de ces manoeuvres était de montrer une nouvelle et, entre toutes, déplaisante forme de l'inhospitalité et de l'ingratitude, envers un tel effort de tels maîtres et de tels artistes, il suffirait, pour s'en consoler, de se ressouvenir du premier accueil fait ici au TanM/M~.iw, que, depuis, heureusement, l'on a dé-
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dommagé au centuple et, sans aller plus loin, de Carmen.
Mais je m'aperçois que le tour de force accompli par Monsieur d'Annunzio, et dont je parlais au début de ces lignes, je n'ai fait que mentionner sa présence, je n'en ai pas donné le détail. Or, il consiste dans l'accomplissement, par un « magicien ès-lettres M italien, d'un ouvrage de longue haleine, cinq actes en français, en vers français, qui défient à la lutte les plus expérimentés de nos linguistes et les plus difficiles de nos rhéteurs. Pour mon compte, j'avoue, qu'initié de bonne heure aux beautés de ce manuscrit, je me suis souvent vu arrêté, dans sa lecture, par un terme qui, tantôt, ne m'était pas familier et, d'autres fois, m'était Inconnu. C'est même à ce relatif excès de richesse que se peut reconnaître ce qu'il entre de gageure dans un tel accomplissement. Mais c est un beau défaut, on en conviendra.
Ce que l'auteur appelle justement des didascalies, à savoir les descriptions de mise en scène, me paraît égal aux plus beaux passages de Flaubert dans la Tentation de Saint-Antoine.
Où l'art et, si vous préférez, l'artifice de l'écrivain s'est montré fort ingénieux, c'est dans le
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choix de ta forme reprise à nos vieux mystères, laquelle lui permettait de supprimer la rime ou de ne la faire reparaître qu'à de rares intervalles, lorsque la situation plus accentuée, exigeait un rythme plus précis, une plus flatteuse cadence. En outre, l'octosyllabe, coupé irrégulièrement par des vers de quatre pieds, en fin de période, se prêtait, en même temps qu'à des récits tragiques, à des descriptions familières, et à des interruptions populaires, alternant l'allure parfois volontairement prosaïque, avec les sublimes élancements, dans une sorte de mélopée cursive ensemble et appliquée, sans trop de rappel du nombre, plutôt chargé d'organiser intérieurement le discours que de le hérisser d'ornements fastueux, de trop visibles décors et de trop sensibles harmonies.
Une chose encore charmante, c'est l'abdication de son genre, non seulement consentie, mais recherchée, (heureusement pour une fois) par un maître des maîtres. Heureusement aussi, par places, et par places exquises, le génie de l'imaginifique, je le retrouve délicieusement.
Ombres d'ailes sur ses mains pures
s'écrie la voyante, au souvenir d'un passage d'oiseau sur le jardin où marchait Jésus. Et quelle
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grâce pathétique, dans ce propos de la Mère Douloureuse qui voit ses filles se séparer d'elle « pâles comme l'évanouissement des choses que nous tenions »
Ces quelques réflexions faites, venons au Mys<~g Saint-Sébastien.
Le prologue, charmant, d'un archaïsme voulu et obtenu, apparaît tel qu'une offrande à la France, sous couleur de vitrail. Il est débité par un personnage de tapisserie, accompagné de quatre hérauts qui l'annoncent de leurs trompettes. On y voit Monsieur Saint-Sébastien se dresser au centre, et Madame Sainte-Geneviève, comme on disait au Moyen Age. A leur dextre et à leur senestre, pour parler comme eux, sont agenouillés le poète et le musicien. Le premier, « l'artisan de ces cinq verrières » n'inscrit pas lui-même les caractères qui le nomment, sur la matière transparente mais il les laisse deviner avec beaucoup de délicatesse et non moins de mélancolie.
Or le nom
De cet ouvrier pèlerin,
De ce Florentin en exil
Qui bégaye en tangue d'oïl,
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Est tellement dur qu'on l'enchâsse Mal dans la résille de plomb, Au bas du vitrail rouge et bleu. Est-il, peut-être, plaise à Dieu, Plus doux dans la langue du si, Mais l'autre.
Et cet autre, le chanteur, se voit adresser, par son co-artisan, une déclaration si belle qu'il se doit, lui doit de la mettre en musique, avec cette couleur sonore qu'il a su ajouter aux poésies de Marot ressuscitées et renouvelées.
Puis la toile se lève sur une scène, à la fois solennelle et tumultueuse, de la Vie Antique, à l'heure où le Drame de la Passion, récemment accompli, pèse encore sur les esprits et sépare les âmes, fait mieux que des prosélytes, des choix soudains et irrésistibles, dans des groupes païens brusquement illuminés et prêts au martyre. Deux jeunes hommes, deux frères jumeaux, Marc et Marcellien, pour avoir confessé la Nouvelle Foi, sont liés sur deux colonnes, autour desquelles la foule, diversement inspirée. les exalte ou les injurie, en face du préfet chargé de les juger, de les supplicier, et qui temporise. Pour cela, le peuple aussi l'insulte, raille ses raffinements et ses vices, sa gourmandise qui le rend obèse et podagre, et
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la délicatesse qui lui fait peupler de lis géants le portique ou le drame se déroule. Sébastien, chef des archers de l'Empereur y assiste muet et ému. Il s'agit de reprendre les deux frères à leur erreur et, s'il se peut encore, d'obtenir qu'ils sacrifient, sur l'heure, devant l'autel même, déjà dressé, les victimes présentées faute de quoi, le supplice immédiat, les charbons qui déjà crépitent sous l'action des soufflets énormes.
Or, les condamnés, au lieu de fléchir, ne font que s'encourager dans leur vaillante et pieuse ré. sistance la tourbe hurle et hue le préfet interroge son fils Vital, compagnon d'âge et de jeux des deux gémeaux, cherche à les persuader, vainement.
Soudain, de la main gauche de Sébastien, debout et appuyé sur son arc, dans une attention extasiée, dégoutte un filet de sang, sorte de stigmate qui le marque déjà pour la divine frénésie. On s'empresse autour de lui, ses archers l'entourent une femme voilée et mystérieuse, sortie des rangs du peuple, touche sa plaie, comme pour le panser; il garde le silence.
Alors, une lamentation résonne, celle de la Mère Douloureuse, accourue sur le lieu même du
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supplice, pour reprendre aux tortures ses fils chéris, les adjurer de revenir aux dieux de leur enfance, de leurs foyers « où leurs fidèles chiens les appellent en gémissant, dans les coins de la chambre peinte et tournent, vers les parents demeurés seuls, leurs prunelles pâles comme la fumée (l). Surviennent, « pareilles aux cinq doigts de la main qui porte la rose », les cinq jeunes sœurs des suppliciés, qu'elles implorent à leur tour, au nom des divinités et au nom des offrandes, qu'elles présentent et qu'elles célèbrent, en des rondels d'une séduction exquise, où l'Antiquité revit dans sa grâce et dans sa grandeur. Des jeunes gens succèdent à ces suppliantes; ce sont les amis des jumeaux; ceux-là implorent au nom des plaisirs, au nom des bonheurs, au nom des ivresses et au nom des gloires.
Au rappel de ces choses, qui monte vers eux dans des voix reconnues et aimées, le courage des frères semble fléchir.
Mais, à la stupeur des assistants, Sébastien, comme frappé d'une illumination subite, que tous prennent pour une soudaine démence, ranime, par une sommation ensemble impérieuse et douce, (i) Transposition de l'original.
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la foi des deux héros chrétiens qui la confessent avec fermeté. La foule s'insurge et se déchaîne, la mère se lamente, puis brusquement, touchée elle-même de la grâce, vient se placer auprès de ses fils et, à son tour, confesse leur foi. Et, successivement, dans le tumulte, sans cesse grandissant, sous le jour qui baisse, ne laissant plus rayonner que les étoiles des lis mystérieux, grâce à l'influence persuasive de l'archer devenu divin, avec l'approbation des voix célestes, les cinq sœurs de Marc et de Marcellien, les cinq doigts qui portent la rose, Epione, Flavie, Junie, Télésille et Chrysille, viennent se ranger aux côtés de leur mère, entraînant Théodote, leur père aveugle et cet entre-colonnement que la matrone douloureuse s'affligeait de ne pouvoir remplir avec l'élargissement de ses bras, se trouve peuplé de ce groupe en deuil, chantant la gloire de Celui pour lequel il va mourir.
Sébastien souhaite d'obtenir un signe surnaturel de sa mission divine il lance au ciel une de ses flèches qui se perd dans la nue, et sans retomber. Alors deux miracles ont lieu, dans la foule, et pour satisfaire à la vindicte de celle-ci, l'archer chrétien marche le premier vers la braise rougeoyante. Mais le prodige de Coré, Dathan et
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Abiron, les trois enfants dans la fournaise, se renouvelle pour lui le feu refuse de brûler sa chair sacrée il est au bord des tisons comme à la lisière d'une prairie; il chante en dansant
J'ai les pieds nus dans la rosée, J'ai les pieds sur le blé qui pousse, Je bondis comme l'eau des sources Je danse sur l'ardeur des lis,
Je foule la blancheur des lis,
Je presse la douceur des lis
Et, à ce moment, dans la nuit tombante, qui n'est plus éclairée que par les constellations des fleurs, les gerbes de celles-ci se détachent et s'entr'ouvrent, pour donner passage à sept envoyés de la Milice Céleste, qui s'unissent à la glorification du Seigneur.
Ce premier acte est si beau, si complet, si plein, qu'il compose, à lui seul, tout un spectacle, un drame entier, dont il ne serait aucunement impossible de le représenter séparément, si les auteurs s'y prêtaient. Une telle forme de concentration, de condensation en même temps que de suspension, pourrait bien être du goût de ceux qui ont vite fait de parler de longueurs, quand il s'agit de choses qui dépassent leur attention, et la veulent profonde. Sans avoir pensé comme eux, j'ai
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d'abord donné ma préférence à ces premières scènes. Aujourd'hui, je n'ai pas cessé de les admirer pleinement mais je leur préfère encore le second acte.
C'est dans un magnifique retrait de la demeure d'Andronique le préfet, qu'il se dérbule. Sept femmes, sept magiciennes aux noms mystérieux et harmonieux, Phœnisse, Ilah, Hassub, Jardane, Atreneste, Pheroras et Hyale, gardiennes des sept planètes, sont penchées sur leurs creusets, et les observent, chacune d'elles éclairée par la couleur qui est celle de son astre.
Des nouveautés les surprennent, dans leurs divinations et leurs horoscopes des signes, des annonciations, qu'elles n'entendent pas et qui les épouvantent chacune d'elles, une fois ses augures proférés, semble s'évanouir au pied de la stèle à laquelle on la voit liée. Une vaste porte de bronze sert de fond à cette scène de magie.
Des cris retentissent, et le Saint, que suivent des compagnons zélés, des amis anxieux, s'irrue hors d'un passage. L'énorme marteau qu'il tient à la main vient de briser toutes les idoles enfermées dans le palais du préfet Andronique. Celui-ci a consenti à ce massacre, dans le dessein d'obtenir sa guérison, que lui font espérer celles dont il fut
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témoin. Mais, dans sa résignation à la mort de ses dieux et à l'extinction de leurs sortilèges, il a fait exception pour la Chambre Magique dont les merveilles se dissimulent derrière les vantaux de métal. Sébastien somme les gardiennes de les lui ouvrir. Elles résistent, et c'est l'âme du Paganisme que l'on entend chanter, derrière la porte monumentale, dans la voix d'Erigone, vierge du ciel païen.
Des envoyés du mourant viennent supplier le Saint d'accomplir sa promesse. Pas de guérison possible pour le trompeur, qui s'obstine dans ses fraudes et dans ses ruses 1
Des malades et des esclaves, ceux-là non moins confiants, mais plus sincères, font, à leur tour, irruption par des couloirs et des galeries. Puisqu'on vient de tuer leurs divinités qui, jusqu'à ce jour, à l'imitation des hommes, n'ont rien accompli pour eux, ils en demandent une autre. Que ce soit le Dieu de Sébastien, celui qui, sous leurs regards, vient de guérir deux infirmes. Alcé, la muette, et Cordule, l'aveugle. Mais pourquoi l'a-t'il fait sans se montrer? Eux ne savent prier que ce qu'ils voient. Certes, ils veulent être guéris, comme la femme de Venuste et la femme d'Attale mais si ce doit être encore sans voir leur guérisseur, que
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l'on montre du moins un signe de son passé, une preuve de son passage les récits ne leur suffisent pas, fussent les plus émouvants de ceux qu'on leur prodigue, fût-ce la résurrection même de Lazare. Alors une femme apparaît, plutôt reparaît, celle qu'on a vue s'approcher de Sébastien, pour étancher le sang de sa miraculeuse blessure. C'est une créature énigmatique, sorte de Madeleine ressuscitée ou de Catherine Emmerich préconçue on la nomme la fille malade des ~~M nul ne sait d'où lui vient ce mal qui la consume et dont elle se plaît à mourir. Peu à peu, sur les instances impérieuses du Saint, ce secret, elle le confesse. Errante, au pied de la croix, dans la nuit suprême, elle a trouvé le linceul de Jésus. Un esprit funèbre, un ange exilé qui veillait sur la relique, la lui a confiée et, depuis, elle ne peut ni mourir, ni vivre, dévorée, consumée par le faix surhumain qui la purifie et la mortifie.
Et lentement, dans la nuit tombée, les yeux émerveillés et hagards des assistants voient la Sainte et le Saint dérouler le Sindon sacré, sur lequel demeurent imprégnés les vestiges lumineux du Sauveur. Tous deux, dans un chant alterné, psalmodient l'hymne douloureux du Golgotha. Mais une voix s'élève à nouveau, du fond de la
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Chambre Magique, derrière le portail de bronze. Or, cette voix n'est plus celle de la vierge Erigone, c'est la voix de la Vierge Marie. Elle console, avec ces suaves accents, ceux qui pleurent la grande agonie.
Qui pleure mon enfant si doux, Mon lis fleuri dans la chair pure ? H est tout clair, sur mes genoux, !) est sans tache et sans blessure. Voyez et, dans ma chevelure, Tous les astres louent sa clarté, H éclaire de sa figure
Ma tristesse et la nuit d'été.
La porte de bronze s'ouvre alors toute seule au lieu des impures merveilles qu'elle semblait devoir abriter, et qui se sont évanouies d'ellesmêmes, sous l'action de la piété du Saint, on voit les pieds nus de la Madone rayonner sur le croissant de la lune.
Et, par un impressionnant hasard, que peu, sans doute, ont remarqué, l'ombre des bras de Sébastien, nettement projetée sur le sol, dessine la. Croix du Calvaire.
Le troisième acte nous introduit dans une salle du palais de l'Empereur, assis lui-même sur un
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trône, dans tout l'appareil de sa majesté et la solennité de sa justice. Des citharèdes l'entourent avec leurs instruments et chantent ses louanges, que redit une Cour. bigarrée, en présence de cette autre Cour, celle-là muette, que représente un peuple de dieux sculptés et peints, groupés dans la salle.
Le prince feint de tenir pour l'erreur d'un moment, pour une folie de jeunesse, la conduite rapportée de l'Archer fautif, debout, devant lui, dans l'attitude du défi et de la résistance. Mais l'Auguste, ayant donné aux musiciens l'ordre d'entonner l'hymne d'Apollon, Sébastien leur cloue le chant dans la gorge et entonne, lui, la louange du Dieu vrai.
César patiente encore, il met la cithare aux mains mêmes du rebelle, et lui enjoint de célébrer le chantre de Sminthe. L'Archer rompt, d'un seul coup, les sept cordes de l'instrument; puis, dans une mimique passionnée, inspirée, idéale et réelle, il rappelle, avec des gestes d'angoisse et de dévotion, les tourments de Celui pour lequel il veut souffrir.
Incapable de se contenir davantage et de surseoir plus longtemps, le souverain ordonne la mort du révolté; mais, pour épargner tant de
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juvénile attrait, il ne veut pas que cette mort soit celle qui déngure non, plutôt une fin semblable à celle de la perfide Démonice qui, ayant livré Ephèse à Brennus, contre tous les joyaux dont il s'emparerait dans la ville assiégée, se voit, pour la récompense de sa traîtrise, écrasée sous les bijoux et sous les couronnes.
Et le Saint, étendu~ extatique, sur la lyre dont il a étouffé la voix, se sent lui-même étouffé sous les gemmes et sous les roses.
Au quatrième acte, nous sommes dans le bois sacré, sorte de lucus fait de lauriers aux feuilles en fers de lances. L'Empereur a donné l'ordre de fixer sur l'un d'eux le chef des archers, miraculeusement sauvé par ses amis, du trépas gemmé et fleuri. Ceux-ci, qui entourent Sébastien attaché à l'arbre, veulent continuer leur œuvre de salut, desserrer les cordes, reprendre le jeune homme à l'immolation commandée et l'emmener, avec eux, vers un rivage hospitalier où sa vie sera sauve. Mais la sainte victime le leur défend, elle veut mourir pour renaître elle les exhorte à la frapper, par amour et cette scène déchirante se déroule dans les hautaines, les tendres supplications du martyr, et l'obéissant désespoir de ceux qui
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se mettent à viser leur chef, leur ami, pour l'aider à réaliser son destin en se sacrifiant a sa foi. Au cours de ces minutes sublimes et poignantes, une rapide apparition du Bon Pasteur, portant, sur ses épaules, l'agneau symbolique, passe au fond de la scène et apprend au mourant, qui donne pour lui sa jeunesse, que son sacrifice est agréé. Et quand nous le voyons accompli, quand le corps du beau et noble jeune homme se penche en se fanant, comme un lis de chair, dont la 'tige s'élevait contre celle de l'arbre, et s'incorporait à l'écorce, de pieuses femmes accourues, servantes d'un culte désormais sans dieu, assistent, avec des sanglots et des chants, les archers désespérés qui 'délient leur frère, en se tordant les mains, et en se frappant le front.
Mais une nouvelle preuve de la bonne odeur d'une telle offrande vient les consoler de son miracle les flèches sont restées dans l'arbre et le corps du martyr demeure intact et inviolé, comme son âme s'élève, pure.
Et le cinquième acte, qui n'est qu'une apothéose de quelques instants, c'est la montée de cette âme, à travers les espaces célestes, parmi le chant des milices ardentes qui portent les palmes, tendent les couronnes et glorifient, dans les siècles
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des siècles, ceux qui préfèrent la Mort, à la Vie, et aux passagères fëiicités d'un moment, les délices interminables.
Dire ce que l'écrivain a brodé de merveilles savantes et artistes, d'imaginations ingénieuses, de pieux ornements, repris au mystère médiéval et au missel gothique, sur la trame forcément, hélas réduite à ce réseau sec, par notre compte rendu hâtif, cela est aussi impossible que de faire passer, par le trou de l'aiguille qui broda ces flores, un troupeau nombreux, houleux et ordonné, docile mais tumultuaire. C'est, aux yeux, de s'émerveiller, aux oreilles, d'entendre, aux cœurs, de s'émouvoir, tout du long de cette représentation inouïe.
J'ai essayé de faire ressortir, bien cursivement, par suite, bien incomplètement, je le sais, au cours des pages qui précèdent, quelques-unes des beautés du poème. Aussi bien cet écrit rapide souhaitet'il représenter, avant tout, un hommage fervent au génie d'un maître, dont les bienfaits d'art m'ont toujours paru tenir de ceux d'Auguste, et qui, nous en ayant comblé, nous en accable.
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J'aurais donc désiré, ainsi que je m'y suis appliqué, dans ma conférence sur le dernier roman du même auteur, m'attacher, après avoir résumé l'ensemble, aux détails de l'exécution ciselée et hardie. Le cadre de cet article ne l'admet pas. Je me contenterai donc d'ajouter à ce que j'ai dit déjà, sur le texte de cet admirable ouvrage, ce que m'en inspirèrent les quelques réflexions qu'il me faut faire maintenant sur la musique, la chorégraphie, la décoration et l'interprétation, qui forment, avec le poème, cette quintuple unité, cette pentalogie merveilleuse.
Sur ce point de la musique, je ne puis avoir que des impressions, je les donne telles que je les éprouve. Jamais je n'ai tant regretté de n'être pas grand clerc, en ce qui concerne l'art de Palestrina, pour pouvoir en parler aujourd'hui avec autorité. Ce qui me console et me rassure, c'est que de nobles compositeurs à qui je disais, un jour, mon chagrin de ne faire que ressentir ce qu'ils discernaient, m'ont répondu que, devant une œuvre supérieure, ils oubliaient leurs jugements pour s'abandonner à leurs sensations. Après tout, non seulement tous les spectateurs ne sont pas musiciens, mais c'est même le moins grand nombre, et Wagner se vantait de travailler aussi pour ceux
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qui n'ont d'oreilles, que celles de la bonne volonté.
Ce qui m'est le plus accessible, entre les caractères et les mérites de la musique du Saint-Sébastien, c'est /'a~o~na<<oM, qui m'a paru excellente, et même parfaite, sur tous les points de ce mystère, où Euterpe et Sainte-Cécile ont fait vibrer leur unisson. Je sais que l'excellence et la perfection, cela semble peu, dans un temps où l'éloge a perdu l'équilibre; mais, pour ceux qui ne s'y méprennent pas, c'est tout de même quelque chose encore. Donc, à toutes les places où il murmure, résonne ou retentit, cet unisson fraternel, nous l'entendons réaliser la mission, dont j'imagine qu'il se l'est donnée, avec une compréhension et un tact, lesquels ne sont plus guère de mise et cette mission, c'est de préparer, de souligner, de commenter, en renforçant, en adoucissant, puis de conclure, plutôt que de submerger, comme d'autres auraient fait, l'intention de l'auteur et l'interprétation du personnage.
Donc, cette musique, dans les préludes, elle dispose à écouter et à s'émouvoir, elle confesse, elle proteste avec les gémeaux, elle crépite avec les bûchers et, dans le simulacre respectueux de la montée du Calvaire, elle veut que le roseau
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qui gémit sur un lac de sang, se souvienne d'avoir soupiré sur un lac de songe. Les buccins prouvent que le cuivre peut s'attendrir et que le clairon du jugement aura des clémences. Les cordes des cithares sont les rayons sonores du soleil qu'elles chantent. Enfin, quand les lamentations des femmes de Byblos, désireuses de prêter leurs voix aux funérailles héroïques dont le sens leur échappe, chantent les hymnes qu'elles savent dire, pleurent les larmes qu'elles savent verser, leurs mélodies désaffectées s'égrènent comme les gouttes d'une eau incommunicable, qui fut lustrale, mais ne saurait se faire bénite, et qui refuse de se prêter aux onctions des huiles saintes.
Pour ce qui est de la partie chorégraphique, Monsieur Fokine a réglé ses danses, disons plutôt ses poses religieuses, avec autant de respect que d'art. De cela, il faut le louer, « sur le tympanon et sur l'orgue ». Le péril était grand, je l'avais redouté pour une œuvre qui me fut chère, même avant qu'elle fût née. Aucun spectateur de ~MKf foi ne peut nier ce que j'avance, et que j'ai recueilli à plusieurs reprises, de l'aveu de ceux qui étaient venus incrédules.
La décoration maintenant.
Monsieur Bakst est un grand artiste et un vé-
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ritable maître. Jamais il n'en a donne de meilleure, de plus difficile preuve que dans ce qu'il vient d'accomplir. Déjà, dans Cléopatre et dans .5~~ra~a~, il nous avait fait voir la lumière de l'Egypte et celle des Nuits Arabes cette fois, il a réalisé plus encore, il nous a fait voir la transparence. Ne l'oublions pas, l'auteur de l'ouvrage, en parlant de soi, s'est dénommé « l'artisan de ces cinq verrières. » Celui auquel il avait eu la supérieure inspiration d'en confier le coloriage et l'ambiance, devait donc, sous peine de faillir à sa tâche, faire jouer le soleil, non pas entre les portants, mais à travers eux, derrière les accessoires et les costumes mêmes. Dire qu'il y a réussi, c'est dire qu'il est, à son tour magicien, autant qu'Atreneste et Phoenisse, et bien davantage, puisqu'elles sont vaincues et qu'il triomphe. Dans les demi-ténèbres de nos cathédrales, il a prolongé des stations clairvoyantes et patientes, il a regardé comment le soleil se comporte en jouant parmi les émeraudes du verre, ses saphirs et ses rubis, ses topazes, ses améthystes et tous ces tons dans lesquels séjourne l'âme de la lumière, il les a répétés vivants, vibrants, sur des murailles et sur des étoffes. Jusqu'aux cernures grisâtres, jusqu'aux traits résolument durs. qui séparent ces tons ou
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les strient, nous apparaissent destinés à donner l'illusion d'une fenêtre de sanctuaire et y parviennent. Il en résulte que, durant ces actes, nous avons devant les yeux, des vitraux mouvants, dont les personnages, comme ceux de telles rosaces, mêlent des assistants en costumes du siécle de Fouquet et en parures de l'époque d'Auguste. Le premier et le troisième acte sont les plus frappants dans ce genre, et c'est peut-être bien ce dernier qui l'emporte avec ses noirs abondants, ses plafonds d'outre-mer, entre lesquels se découpe un carré de nature, où se dresse un cyprès qui domine la scène, et, lui encore, troue la nue de sa lance, comme la flèche de Sébastien a transpercé le cœur du Ciel.
Et pourtant, le plus beau de ces fonds est, sans doute, celui du quatrième acte, parmi lequel Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige, lorsque ce sang, mêlé à celui de « l'archer certain du but a a coloré le bois des lauriers, qui, eux aussi, ont leur sueur vermeille. Et quand, sur tout cela, parmi le finale, une gloire est descendue qui inscrit, dans le cadre du paysage, le segment d'un immense ostensoir d'or, il semble que les cordes de la cithare, rompues par le Saint, se
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soient multipliées et tendues entre les rameaux sacrés, pour en faire une harpe immense et divine, derrière laquelle chaque tronc d'arbre imposant et droit, fait s'étager comme un buffet d'orgue. L'interprétation, enfin.
L'auteur, nous le savons, rêvait à ce Mystère, depuis des années une chose l'empêchait de le produire, l'impossibilité de trouver un interprète capable d'en incarner le personnage principal. Hugo affirmait qu'une des raisons qu'il avait de croire à l'immortalité de l'âme, c'est qu'il mourrait, avec des plans, et que des plans de Victor Hugo ne pouvaient point ne pas se réaliser. J'aime cette parole orgueilleuse. Ne pourrait-on pas énoncer, de même, qu'un projet d'art de d'Annunzio ne saurait guère ne pas s'accomplir ? Je ne dirai pas l'interprète souhaité, je dirai l'interprète !K<HM~Ma~ surgit, à point nommé, hors du vitrail des jours, pour la réalisation de l'oeuvre belle, comme dirait le Maître.
Madame Ida Rubinstein, on ne saurait écrire s'est surpassée, parce que cela est impossible, sur le terrain de la plastique et de la mimique. Le savent bien, ceux qui l'ont admirée, dans ses créations de Cléopâtre et de ~M~n~a~ et plus encore, dans cette danse de Salomé que rien n'égale, et
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devant laquelle je me suis extasié trente soirs de suite, puisque, trente soirs de suite, elle fut donnée à cette époque, j'ai publié, une Étude étendue sur cette réalisation d'art (i). Mais l'artiste a, cette fois, ajouté, à ce dont on savait déjà que nulle ne devaits'y mesurer après elle, je le répète, elle a ajouté la parole, la diction, dans une langue qui n'est pas la sienne, toute la phonétique, la longue récitation d'un rôle écrasant. Je dirai, tout à l'heure, comment, selon moi, elle y a réussi. Ce que je veux, d'abord, c'est crier mon admiration, pour ce qu'elle a extériorisé du saint personnage, dont elle avait assumé l'éton- nante, la terrible responsabilité de figurer la beauté profane et la surhumaine mysticité. Disons tout de suite qu'elle y a excellé, non seulement sans porter ombrage à la plus juste des exigences d'un auditeur scrupuleux, mais en augmentant l'édification de celui-ci, par son respect de la tradition et sa compréhension du mystère.
J'ai vu beaucoup de choses, beaucoup de belles choses, je n'en ai vu aucune qui se puisse comparer en beauté, selon moi, à ce qu'une telle créatrice offre pour nos regards, durant tout le premier acte, et la plus grande partie du troisième. Au (i) La Danse des Sept Voiles, dans mes a Têtes d'Expression n.
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premier, c'est comme je l'appelle, l'Archange (~'Or, qui donne son nom à cet article, comme un Michel damasquiné, avec, sous le petit casque, rattaché, par une mentonnière de pierres, le visage d'ivoire aux yeux gemmés, qui lit jusque dans les cœurs et ces côtés de cheveux qui sont, selon l'expression même du poète, comme « les grappes de la douleur ». Au second, c'est un Paolo Florentin. curieusement échappé d'un tableau d'Ingres, dont c'est la récompense d'avoir prévu ce modèle inouï, en étirant le col de son page, au delà de ce qui aurait paru être les proportions du possible.
Qui saurait oublier, de ceux qui l'ont vu à travers leurs larmes, l'adolescent chaste lié au tronc du laurier, vêtu des cordes qui l'enserrent, hors desquelles surgit, seule, l'épaule émaclée ? Les figures similaires que, de tout temps, l'art des peintres essaya de faire vivre, cette étrangère les a pour jamais fixées. Ses attitudes nous ont enfin rendu ce que nos pères nous ont conté de Rachel qu'elle en soit bénie Je ne crains pas que, sur ce point, nul ne me contredise, j'entends nul de ceux dont l'appréciation a de l'importance. Quant à la partie parlée du rôle je ne doute pas que, sur ce propos, je ne rencontre des réfractaires
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je leur demande seulement de ne pas me faire dire ce que je ne dirai pas, que je veux essayer de faire entendre par une comparaison.
J'écoutais, un jour, une jeune fille de grand mérite réciter d'admirables vers qui étaient d'elle il me sembla que, mieux présentées, ces strophes sembleraient plus belles encore, et, naïvement, je l'avoue, j'essayai de leur rendre ce service. Mon excuse réside en ceci je m'empressai de comprendre que ce qui m'avait semblé une imperfection n'était qu'une grâce de plus. Je dirai de même que cette interprétation du rôle de Sébastien, je ne voudrais pas la voir dépouillée de ces imperfections géniales, de cette « absence de métier » dont une femme d'esprit, que j'avais Ihonneur d'accompagner à ce spectacle, se félicitait d'entendre les accents convaincus, les émouvantes hardiesses. C'est une chose banale de dire, d'un rôle, que le comédien l'a vécu. Néanmoins, souvenonsnous à temps du conseil de Baudelaire « Beauté de lieu commun. Aussi bien, jamais cette expression de MfcM ne fut plus méritée. Quand le Saint a parlé, a crié, ce dut être ainsi, avec ces accents singuliers, toujours nets, métalliques parfois, comme l'armure de celui qui les profère, puis devenus si graves, toujours éloquents, mais
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si doux, lorsque, cette cuirasse, il l'a échangée contre cette autre cuirasse de cordage, qui appelle et défie les traits des amis qui immolent. Oh cette scène unique dans l'histoire de l'art et du monde, avec ces paroles innnies
II faut que chacun
Tue son amour pour qu'il revive
Sept fois plus ardent
avec dans le crépuscule violet, les archers bleus, obéissants et désespérés, artisans de la volonté céleste, sanglotant sur leurs arcs détendus, desquels la corde a lancé les flèches, qui devaient enfanter au divin, le mortel avide de mourir
Un autre cercle, je vois un autre cercle tourner en silence, dans l'oratoire païen, subitement devenu mystique. Ce cercle, il porte toutes les images du héros chrétien, pour la millième fois recloué, sur son arbre lumineux, avec ses blessures. Ce sont les Sébastien du Pérugin, de Reni et de Ribera, de Carrache, de Memling, de Bonvicino, de Buffamalco, de Bazzi, de Luini, de Viti, de Mansueti, de Botticelli, de Bonsignori, de Basaïti,
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de del Garbo, d'Antonello de Messine, de Meresi, de Credi, de Dürer, de Mantegna, de Shongauer, de Grunwald, de Rubens, de Van Dyck, de Cima di Conegliano, de Baltraffio, d'Ortolano, de Pollajuolo, de Corrège et plus près de nous, de Corot et d'Henner. Du seuil des musées de Paris, de Marseille et de Nantes, de Pétersbourg, de Rome, de Florence, de Lugano, de Milan, de Venise, de Berlin, de Francfort, de Dresde, de Vienne, de Colmar, de Londres, de Bruxelles, d'Anvers du Louvre, des Offices, des Pitti, des Tribunes, des Pinacothèques, tordus, tournés, dressés nus vers le ciel, dont ils ont envie, hérissés de leurs flèches, rendus, par elles, pareils à ce « hérisson sauvage )) auquel les compare le Poète, éternellement, aux traits qui les mirent, ils répètent « Encore encore »
A ces frères des cymaises, des parvis et des parois, s'ajoute aujourd'hui, non moins rayonnant, un frère nouveau, né en terre Franche, d'un Italien et d'une Muse Française. Ce frère, il porte les traits sublimes et pâles d'une Étrangère de génie, qui, pour sa guise et sa bienvenue en nos murs, lui a prodigué son âme, ses biens et ses jours. Le remerciement et la récompense que, seuls, elle a souhaités pour cela, elle les a obtenus l'enthou-
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siasme et l'applaudissement de ceux dont le jugement compte.
A sa droite et à sa gauche, agenouillés dans l'attitude des donateurs de la Confrérie, d'Annunzio et Debussy tiennent, l'un, une lyre, l'autre, un archet, un archet qui est un arc, et dont les flèches, cette fois, « certaines du but », se sont plantées, pour n'en ressortir jamais, au cœur des astres et au fond des cœurs (i).
(r) Je me félicite, même je me vante d'avoir écrit et publié cette apologie (dans Le 7'Mti<f< de feu mon ami regretté, Michel Manzi) lors des représentations, peu fêtées, de Saint Sébastien, à une date où c'était, sans doute, moins facile qu'on ne le jugerait aujourd'hui, puisque personne autre ne l'a fait, alors.
C'est, sans doute, ce qui m'a incité, depuis, a rédiger, lors du triomphe du poète, sur un autre terrain, cette réflexion mélancolique « Je n'aime pas les triomphateurs ils sont séparés de nous par toutes les personnes qui les négligeaient, aux heures où nous nous tenions auprès d'eux, pour les consoler de leur abandon. r Il est advenu, d'ailleurs glorieusement et magnifiquement, à Monsieur d'Annunzio, ce qui était arrivé à sa compatriote la conde, laquelle s'est trouvée devoir à des circonstances étrangères, d'apparaitre enfin « célèbre », aux yeux de ceux que ne pouvaient a. teindre, tout seuls, son art fascinant et son irritante énigme.
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L'OMBRE DES FLÈCHES
II
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L'OMBRE DES FLÈCHES
Les « Saint .MM~M » du Pérugin sont au nombre de quatre celui du Louvre, le plus beau de tous au centre d'une arcade décorée, il mire le Ciel, de nèches plus sûres que celles dont on l'a lui-même percé, des flèches d'espérance, des traits de regards. Celui de Rome est à peu près pareil, moins expressif, plus étudié. Celui de Grenoble est une figure de calme il a, pour pendant, une Sainte Apolline. Celui de la collection Wantage représente une figure d'espoir il est percé de trois nèches.
Pour traiter ce sujet véhément, Le Guide est trop dénué d'âme. Je sais, de lui, deux Sébastien l'un, théâtral, sans intérêt, tête d'expression de la douleur académique l'autre, à Madrid, dans le soleil couché, paraît plus ému, mais toujours avec convention et non sans pompe.
Un Ribera, de Pétersbourg, nous montre le Saint, détaché de l'arbre, avec les veuves qui le pansent, ces veuves traditionnelles dont Monsieur
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d'Annunzio, dans le spectacle qui m'inspire cette récapitulation, a fait ses ff couveuses de cendres ». Notre Louvre se montre propice à notre martyr j'y compte, de lui, trois effigies. La première est de Carrache, elle exprime une douleur peu résignée, que souligne l'élévation de deux bras implorants. La deuxième est de Memling la pureté, la pudeur, l'acceptation, ce sont les caractères distinctifs de sa beauté juvénile et maigre. La troisième est de 1 École Ombrienne, vers 1~00 c'est la plus semblable à l'interprète du héros de d'Annunzio, du fait d'un sourire, dans la douleur, et d'une attitude presque de danse.
En France, je trouve, de plus. à Marseille, un Honvicino encore un aspect d'élégance, de trop de beauté, de trop d'apprêt, sous les cheveux calamistrés et l'apparence toute mondaine à Nantes, un Saint Sébastien de Butîamalco.
L'Italie regorge de Sébastiens. Celui de Bazzi les domine, avec son paysage compliqué, sur un fond d'eau et de ciel la tête est délicate, l'expression tourmentée, celle d'une ardente foi, aidant à supporter d'extrêmes souffrances les regards sont tendus avec ferveur vers une couronne que décerne un ange l'arbre lui-même fut criblé
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de traits. L'archer des Tt'Mt est de l'École Italienne je ne vois pas de flèches dans son corps au visage bouffi et sans expression. L'archer des Offices est de l'École Toscane un beau groupe d'arbalétriers mi-partis l'entoure ils sont vêtus de costumes voyants, ornés de crevés et de bouffettes le Saint est placide, perché dans son arbre sans feuilles, tel qu'un Zachée qui ne se contente pas de voir passer le Seigneur, mais regarde le Père Éternel lui-même, entouré de ses anges et qui lui montre la gloire.
Le ~aM<o de Luini, à Lugano, est presque souriant, à force d'espoir une inscription l'avoisine. elle s'exprime ainsi 0 ~Wo~ M ~o~ tua, ô Mort je serai ta mort.
Le Timoteo Viti, de Milan, se distingue, lui aussi, par une grande ressemblance avec le Sébastien qu'il nous fut donné de voir vivre le beau visage reste pur, le regard, confiant, extatique; une Madone est présente, avec un Saint Jean. Le Mansueti, de Venise, montre le héros entre quatre bienheureux, et calme, défiant les attaques. Le Botticelli, de Berlin, se distingue à son tour par la beauté, la paix reflétée, la sérénité sous les assauts. Dans le même musée, j'admire un Bonsignori le martyr, sur un paysage rocheux et habité,
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a l'attitude terme et forte, douloureuse et courageuse. Ensuite un Liberale di Verona donne à son personnage, à notre personnage une expression de patience ennuyée et puissante autour, il y a des arbres à fruits, une colonne brisée, des assistants parés et perchés sur une architecture décorative. Encore un Basaïti, dont la caractéristique (retrouvée dans le Cima di Conegliano, de la collection Mond) est indifférence à force de confiance le patient, debout sur un beau carrelage, demeure attaché par un seul lien, qu'il pourrait dénouer d'un geste. Enfin, un del Garbo, celui-là rhabillé et calme, prenant sa part d'une pieuse conversation théâtrale et ornée.
Deux Sébastien, dans Francfort l'un de Carrache, gros, lourd, sans intérêt d'inspiration l'autre, d'Antonello de Messine, une grande tête navrée et patiente.
Trois Sébastien à Dresde un autre Antonello, paisible et résigné, dans la cour d'un palais où seigneurs et dames sont aux balcons un Merisi, dont la devise pourrait être pati, credere un curieux Durer, seulement un torse, les mains jointes, les cheveux bouclés et vermiculés il y a des fleurettes dans un verre, un fond d'ange-
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lots portant l'auréole promise, et riant et jouant c'est le pendant d'un saint Antoine de dyptique. A Vienne, un Mantegna le jeune homme est adossé à des colonnes Renaissance, parmi des sculptures brisées, des idoles renversées il apparaît criblé de flèches, l'une d'elles traversant le crâne entier l'expression est sublime de douleur intolérable, supportée par amour les traits sont au nombre de quatorze, inexorables et saignants. Toujours à Vienne, un Shongauer, lui encore, exultant, comme les monts qui dansent à force de foi mais c'est douloureusement, tout émacié qu'il apparaît, hérissé de javelots, sur un fond d'arbres dépouillés.
Le Grünwald, de Colmar, est moins barbare que les autres œuvres de ce maître, qui n'a pas peint un éphèbe, mais un homme fait, à la tête énergique et mâle, au front résolu les mains, dans un curieux mouvement, sont levées, tendues et serrées l'une contre l'autre, comme pour l'acceptation d'un serment fait à soi-même, de belles plantes grimpantes s'enroulent autour de la colonne et de son fût un nimbe descend du cintre il est porté par deux anges.
Rubens et Van Dyck ont vu sans piété l'athlète chrétien. Le premier le représente deux fois et
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n'en fait, dans l'une et l'autre toile, qu'une puissante académie masculine, dont la douleur n'a point de pathétique, et, l'espoir, pas d'élan ce n'est qu un beau gros Adonis, fort occupé à examiner un ange très semblable à un amour, et qui retire une flèche d'une blessure, comme ferait un serviteur soigneux, d'une épingle mal mise. Van Dyck, à Pétersbourg, au Louvre, à Anvers, n'est pas plus heureux, dans le rendu de l'angoisse dominée le ciel seul est tourmenté, en ces compositions sans tragique sur le visage, une rancune, un regret, peu en rapport avec la tradition et, comme pour donner la raison de tels manquements, peu de flèches et point de plaies.
A Anvers, dans un paysage de Ruysdael, des personnages dus à un peintre de figures le tableau se distingue et se solennise par la violence des archers attristés et résignés, comme dans la conception du poète italien.
Pareille réflexion m'est inspirée par le Memling de Bruxelles les archers sont tout proches, les flèches plus que menaçantes; celui qui en est la cible divine et humaine, les attend, les appelle, les reçoit, serein, dans son torse qui, seul, est nu
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des vêtements traînent à terre les siens, sans doute, ils sont fastueux.
L'Ortolano de Londres dégoutte de filets de sang au premier plan du tableau, des armes sont déposées. Le Pollajuolo, pareillement de Londres, espère contre toute espérance, parmi le beau groupe d'archers, ceux-là demi-nus, ou vêtus de tuniques simples. Aillleurs, même sujet, traité par le même peintre c'est un chef-d'œuvre de dessin et de modelé savant et serré on pourrait résumer ainsi ce que dit le masque résister à la souffrance, plutôt par vaillance que par illusion. Le Sébastien de Baltraffio porte un visage de Vinci le supplice est fini, les flèches sont disparues, les plaies, cicatrisées; la victime, au centre d'un paysage introublé, jouit de la récompense et de la béatitude, auprès d'une Madone triste et d'un Jésus bénissant, adoré par un Saint Jean et un donateur dans le ciel, un chérubin joue de la viole des brindilles se détachent nettement sur les pieds de l'adolescent, pareilles aux broderies d'un brodequin de fleurettes.
Encore, de Corrège, une grande tête les doigts invisibles, du personnage, portent la flèche du supplice, en guise d'emblème et de palme.
Plus près de nous, deux Corots font aussi se
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dénuder et témoigner le martyr l'un, lié contre une colonne, l'autre, avec les veuves, dans un paysage. Plus que le sentiment religieux, c'est le charme de l'exécution qui rend ces toiles précieuses.
On en peut dire autant du Henner, puissant et souple, qui fait, avec son habituelle habileté, valoir un nu ivoirin, en le juxtaposant à de sombres voiles.
Dans tous ces corps, des fléches sont plantées, dont la hampe CM les pennes font ~C<'M~, sur les chairs, une ombre ~MH~. Et ce mince espace d'obscurité douce, de mystiques ténèbres, demeure MM.~M abris de ~M/)o:'r du monde.
Le Sébastien de d'Annunzio et Debussy a les traits sublimes et pâles d'une femme au visage divin, d'une Étrangère de génie.
Aucun Maître n'aurait osé rêver ce qu'elle met sous nos yeux, de pathétique et de beauté.
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SAINTS D'ISRAËL
III
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SAINTS D'ISRAËL
Je me souviens d'un orateur féminin d'avant ces levées en masse de fâcheuses bavardes un jour que je le ou la questionnais sur les ressorts de son éloquence, j'en reçus cette réponse « Lorsque je me dispose à parler, mes idées m'apparaissent rangées devant moi, comme en hémicycle à mesure que j'ai fait droit à l'une d'elles, une autre lève la tête, demandant à être interpellée et interprétée ainsi de suite quand mon discours touche à sa fin, la place est vide. »
J'en pourrais écrire autant du souvenir des morts que j'ai connus vivants à cette date de Novembre qui est la leur, non moins que la mienne, de par ma fidélité à leurs mémoires, je vois surgir et se disposer, devant mes yeux, des Ombres lumineuses telle ou telle émerge un peu au-dessus de ses compagnes, comme pour me dire que l'heure est venue de lui faire sa place dans mes réminiscences.
Aussi bien y a-t-il longtemps déjà que me sollicitent deux Figures, associées dans le trépas ainsi
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qu'elles le furent dans l'existence, et sur lesquelles je ne vois émises, jusqu'à cette heure, que des appréciations trop succinctes pour embrasser leurs contours, trop rapides pour s'accorder à leur importance je veux parler du Baron et de la Baronne Adolphe de Rothschild qui me paraissent, chacun à sa manière, présenter un type transcendant de ce que j'appellerai non pas l'aristocratie de l'argent, parce que ce titre aurait quelque chose de peu sympathique, mais les patriciens de /~yorfMM~. Je ne sais rien de plus utile pour ceux-là mêmes, et aussi pour leurs contemporains, que d'examiner le rapport visible entre les Mo~M qu'ils ont reçus et l'usage qu'ils en ont fait au cours d'une carrière prolongée. L'heure est venue, dans l'apaisement de certaines querelles, de rendre à chacun ce qui lui appartient, et de ne pas priver ceux qui achevèrent leurs jours sur une période de partisans, du droit que les manifestations de leur goût et celles de leur sentiment leur confèrent, entre tous, à l'admiration, voire à la reconnaissance humaine.
Je n'ai pas connu le Baron Adolphe je n'appelle pas connaître, rencontrer dans une réception,
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surtout quand celui qui en est l'hôte se prodigue à mille invités je le revois seulement à l'inauguration de l'hôtel de la Rue Monceau, avec sa belle figure souriante d'amphitryon flave et barbu, sans aucun rapport avec ce qui se dit, après, de sa misanthropie. Celle-ci fit parler d'elle à peu de temps de là, mais avec la superficialité qui caractérise les conversations de salon, indifférentes et M~dM~ le fait est que le fond ne fut jamais bien connu de cette hypocondrie on ne vit plus celui qui avait été le magnifique banquier Napolitain et le fastueux collectionneur du Paris de l'Empire quelques parents, quelques intimes seulement, furent admis à le visiter, mais ne divulguèrent point ce que leur confiait ce reclus volontaire. Il n'était cependant devenu ni maniaque ni casanier il sortait, chaque jour, et se montrait avec ponctualité (dirai-je avec fidélité?) à une classe de gens pour lesquels sa vue était (cela n'est-il pas curieux ?) quasiment messianiforme j'entends la double haie de besogneux, sinon de miséreux, qui se donnaient quotidiennement rendez-vous sur son passage, aux deux côtés de la solitaire allée du Bois, qu'il avait choisie pour sa promenade régulière. Je me suis laissé dire que chacun de ces habitués recevait une pièce de vingt francs et
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comme la blague ne perd jamais ses droits dans notre bonne ville, que tel ou tel décavé avait pris l'habitude de se déguiser en pauvre, pour aller recevoir sa matérielle du grand Crésus désabusé, qui ne regardait que l'ouverture des mains, pour épargner la pudeur des visages.
Puis, il mourut. Je n'oublierai jamais l'aspect superbement funéraire qu'avait revêtu certaine pièce du rez-de-chaussée, où l'on se réunit pour la cérémonie. Ce salon, dit des ~f~ Roses, qui contient tout le Caffieri possible et tout le Gouthières imaginable, sous la garde d'un buste de femme par Houdon, le plus fier du monde, était entièrement voilé comme une belle qui sourit sous des crêpes ces crêpes, ils descendaient du plafond jusqu'au tapis et, à travers eux, l'on apercevait les admirables bibelots, obscurcis, tels qu'un sourire de veuve, sous l'étoffe aux plis ensemble diaphanes et ténébreux, qui drapait pour le départ du Maître. Sa femme, aussi ingénieuse de délicatesse qu'artiste de goût, avait imaginé ce raffinement dans le deuil, que je n'ai depuis, nulle part, retrouvé, et qui est une des nobles choses que j'ai vues.
Du temps s'écoula.
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Paris était en proie aux déchirements Dreyfusards. Tout à coup une voix s'éleva, celle de l'homme qui, si longtemps avant d'expirer, avait commencé de se taire c'était la voix d'un Grand Juif, et elle disait, ou plutôt elle redisait « Diligite alterutrum, aimez-vous les uns les autres » mais elle le disait avec un accent de dignité et une force de conviction que je n'ai jamais entendus, à ce degré, dans aucune parole humaine. Jamais, non plus, je n'oublierai cette soirée et l'émotion qu'elle m'apporta. J'allais dîner dehors, ce qui ne m'arrive plus guère, et chez des amis que leur caractère et leur penchant rendaient systématiquement hostiles à tout ce qui représentait. alors, ce qu'on tenait pour le ca?K~ ~K~M. Dans la voiture qui me conduisait à ce repas, je lus, publiés par un journal du jour, des passages d'un testament, celui du Baron Adolphe de Rothschild. Les larmes me jaillirent des yeux avec violence. Arrivé au but de ma course, mes hôtes furent surpris de mon émotion je leur en livrai le secret, avec la lecture des fragments qui la motivaient. Ils gardèrent le silence, en proie, à leur tour, au trouble édifié qui se communiquait de par cette révélation. Cette grande plainte, cette noble complainte, elle faisait entendre, avec un accent à la
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fois antique et renouvelé, le large sanglot de l'Ecclésiaste. Jamais le « vanité des vanités') ne fut proféré si amplement car une plénitude s'y mêlait, celle qui vient du désir comblé et du renoncement résolu. Rien ne survivait plus au gémissement du puissant, rien que le vouloir d'épargner une douleur à un semblable, que dis-je ? une souffrance à un insecte.
Ce testament, qui agissait sur tant de millions, et les agitait, se contentait d'inscrire, en tête de chacun de ses alinéas, le nom d'une misère humaine puis, en regard, il alignait une rangée de zéros, précédés par des chiffres, et destinés à réagir de leur mieux, ainsi, contre cette infortune après quoi, il passait à une autre et cela se poursuivait de la sorte, tout le long du chapelet de nos chagrins. La cécité surtout apitoyait le donateur à Genève, il a érigé des instituts contre cette forme individuelle de l'extinction de la lumière à Paris, le Docteur Trousseau présida, un temps, (avec quel savoir et quelle bonté!) une fondation de même nature, due à la prévoyance de ces deux philanthropes, et qui survit au départ du regretté Maître.
Mais ce n'est pas tout les animaux, eux non plus ne devaient pas être oubliés dans cette revue
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de la douleur il y a les chevaux qu'on trappe, les chiens qu'on abandonne; comment ne pas créer des asiles, réclamer de la douceur ?
Maintenant, ceci fut-il un trait de satire ? Je ne jurerais pas du contraire en tout cas, pourquoi les avoir fait passer après les chevaux et les chiens, ceux qu'il nomme les derniers ? Est-ce à dire qu'il les juge inférieurs aux frères de Rossinante et aux compagnons de Bélisaire ? Quoi qu'il en soit, ces derniers venus, les gens du monde, puisqu'il faut les appeler par leur nom, ceux-là non plus, malgré leurs faiblesses ou peut-être à cause d'elles, il ne ne les juge pas indignes de pitié, l'infatigable réparateur. C'est alors qu'il écrit ceci « JE DEMANDE A ÊTRE ENTERRÉ DE TRÈS BONNE HEURE, AFIN DE NE DÉRANGER PERSONNE. »
Je n'ai pas souvenance d'avoir lu, fût-ce dans Marc-Aurèle, une parole aussi dépouillée un homme qui s'est exprimé ainsi, je ne crains pas de le dire, mérite le titre de Saint, quelle que soit la religion à laquelle il appartienne et j'ai prétendu le formuler avec le titre de cet Essai. Hello, qui était si avare de cette désignation, ne l'aurait peut-être pas refusée à un tel Sage.
Ces récentes années, lors de certains décrets hostiles aux congrégations, ceux qui les avaient
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édictés se défendirent d'avoir visé le Catholicisme ils prétendirent n'avoir eu en vue que l'égalité des croyances. Si cette proposition peut se contester, il est une forme qui lui donne raison c'est la réconciliation de tous les Cultes dans l'universelle charité qui les fait échanger le baiser pacifique. Certains Philologues rêvent, depuis longtemps, un langage mondial, qui permette à tous les peuples de s'entendre, et s'est appelé, tour à tour, la langue bleue, le volapük ou l'espéranto Ne pourraiton pas dire, de la Charité, quelle est l'Espéranto de la Foi ? Si l'on accueille cette définition, j'en tiens pour celui de ces noms qui est le plus près de ressembler à de l'Espérance.
D'un milliardaire désabusé, je me suis encore laissé conter ce trait, par lequel je veux achever la première partie de cette Étude. Des voisins de la fastueuse campagne qu'il habitait, prétendirent l'avoir, une fois, aperçu, au retour d'une promenade, alors que nu-tête, agenouillé dans la poussière du chemin, il implorait la pitié des passants de la façon la plus humble. L'imbécile qu'il y a dans l'être qui ne fait que se croire de l'esprit, ne
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manqua pas de sourire d'un tel spectacle et d'en conclure que l'homme qui regorgeait de biens, avait voulu ajouter un sou à cette montagne de
pécune. Le quolibet passe et la vérité reste j'estime, moi, pour peu que l'anecdote soit vraie, que le riche qui en joua le premier rôle, s'il ne voulut pas mourir sans avoir connu, goûté la mendicité, fut un Siméon dont le nunc dimittis était une obole, et qui ne crut pas devoir se présenter devant le Dieu qui a créé le Ciel et la Terre, sans avoir été, ne fût-ce qu'une minute, aussi indigent que le Sauveur du Monde.
Telles sont les réflexions que m'a inspirées la lecture des fragments édités du testament de Celui que j'appelle un Saint dlsraël. Un de ceux qui ont juridiction sur le texte entier de ce document, entre tous impressionnant, m'avait, une minute, laissé espérer qu'il m'en communiquerait toute la teneur il a, depuis, changé d'avis, et ce n'est pas seulement pour moi que je le regrette il me semble que j'en aurais fait jaillir toutes les beautés en tout cas, je m'y serais appliqué avec autant de sollicitude.
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Celle qui fut la compagne de ce bienfaiteur en était digne elle avait profité de ses leçons et sut le prouver quand son tour fut venu. Sa philosophie, pour n'avoir pas été aussi radicale, n'en donna pas moins des exemples qui n'en eurent que plus de portée, en associant l'élégance et la mondanité à leur exercice et à leur pratique. On ne la jugeait point belle son visage brillait du moins de l'agrément de l'esprit, tout comme celui de Madame de Metternich sa taille était élancée et elle portait, avec beaucoup de grâce, des ajustements choisis avec goût. Tout cela, quand je la vis, pour la dernière fois, il y a trois années, avait fait place au deuil le plus simple et le plus strict un costume-tailleur de laine noire, assez semblable à celui que revêt ma voisine et son amie, la Duchesse de Castro, qui fut Reine de Naples la blancheur de la coiffure contrastait avec l'obscurité de cette~vêture.
C'était vers la fin de l'été qui s'était montré torride toute la campagne des environs de Genève entonnait l'arebant l'Éden même de Bessinges, la ravissante propriété de Monsieur Tronchin, avait à se plaindre des trop rudes baisers de l'astre. Ma félicité n'en fut que plus grande, lors de ma rentrée dans Prégny, de retrouver son
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parc vivant et frais comme une végétale émeraude. On ne manqua pas de me conter, alors, que la Baronne faisait arroser les pelouses de sa résidence, par des centaines de femmes qui leur versaient, la nuit, l'eau puisée au lac et aux fontaines je ne sais dans quel esprit me fut narré ce détail, qu'il me convient de tenir pour vrai la bienveillance pour les plantes est sœur de celle qui s'adresse aux humains et aux bêtes il me plait fort que cette grande maîtresse de maison, qui fut une grande Juste, ait pris pitié des gazons arides, non moins que des cœurs souffrants du même coup, d'un même geste, elle fit le bien aux uns-et aux autres m'est avis que les arroseuses diurnes ou nocturnes doivent la regretter et que, si les gazons pouvaient s'exprimer, ils feraient comme elles en leur verdoyant langage.
Une légende veut que la Sultane Zobéïde fit réciter, tout le jour, autour de son palais, des sourates du Koran, par des femmes de sa suite aussi était-ce, quand on approchait de ce séjour, un harmonieux susurrement, pareil à celui qui bourdonne autour du rûcher plein d'abeilles. Je crois bien que les bénédictions auraient fait un bruit aussi mélodieux autour du palais de la Baronne de Rothschild.
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Ce palais, il était en marbre clair, près d'un océan de roses bégonias, qui se détachaient sur le bleu du Léman, dans une étonnante féerie. Au milieu de tout cela, une femme dont la stature s était abaissée, modestement, presque pauvrement vêtue de noir, me reçut en ce jour de grâce. A l'intérieur, nous revîmes les Paters et les Lancrets, le portrait de Lemoyne enfant, le petit dessinateur de Chardin, le dessin de Madame Lebrun, présumé d'après l'inconnue de Berlin il n'importe ce sont trois chefs-d'œuvre. Au dehors, nous allâmes visiter des antilopes, auxquelles leur maîtresse distribua des friandises, sur ce trait amer, dans lequel je recueillis comme une lamentation suprême « Je ne me fais pas d'illusion, elles M~!M<'M~OM/' que je leur donne ».
C'est, sans doute, la préoccupation de ces grands opulents, de ne pouvoir être aimés pour eux seuls là même me paraît être leur erreur et une certaine infirmité de ce qu'on appelle les r~oMrcM c'est deux fois, dix fois être aimé pour soi, que d'être aimé pour ce que l'on donne, qui ramène l'aisance et la prospérité, le bonheur et l'allégresse, puisque tout cela tient dans votre seule main, que vous pouvez ouvrir ou fermer, selon que votre cœur vous le persuade ou le déconseille.
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La visite se poursuivit, pleine de splendeur, et de simplicité, de philosophie et de poésie. Oh que je savais gré à cette femme supérieure, d'achever fièrement sa vie sans l'avoir gâtée, comme c'est devenu de mode, par la ponte de quelques méchants petits volumes de vers ou de prose béquillarde Non, je retrouvais, telle que je l'avais connue, mais mûrie par la réflexion et l'abnégation, l'étincelante hôtesse de jadis, celle que séparait volontairement de ses trésors de Paris, peut-être la nécessité ~e les quitter bientôt sans doute trouvait-elle à s'en détacher plus résolûment, plus de fierté et plus de sagesse. Elle avait vu mourir, assassinée presque près d'elle, une Princesse chérie, l'Impératrice Élizabeth et ce dernier coup avait comblé la mesure. Elle me parla de la mélancolie des fins d'existence et fit allusion aux vers de Barbier qui en expriment la détresse. Je la priai de me les citer alors, son visage s'empourpra, lequel était exsangue et, d'un ton naturellement pathétique, avec une vibrante conviction, elle me déclama les belles strophes qui disent, non sans vérité, le désenchantement de la vieillesse. Quand elle en vint à ce dernier vers « Et ne marcher que sur des tornbes JI
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moi-même, qui venais d'être frappé dans la plus sainte de mes affections, je ressentis une de ces émotions, si belles qu'on ne leur en veut plus d'être poignantes. Tout le reste disparut. Je reverrai toujours cet instant, ce décor blanc, rose et bleu, de marbre, de fleurs et de paysage et, parmi, cette Souveraine qui se plaignait d'y demeurer seule, privée de ce qui en avait fait la parure, mieux que la matière rare, la plante de prix et l'onde azurée.
Je me promis de noter cette minute, dans une page que je voulais envoyer à mon éminente hôtesse comme toujours le temps intervint, et avant d'avoir pu lui faire cette surprise, qui eût peut-être été un plaisir, j'appris la fin de Celle dont cette récitation avait été le lamento éloquent et un peu farouche.
Puisse son Ombre avoir pour agréable la citation, à cette place, des strophes que j'avais composées pour elle et qui lui sont demeurées inconnues
Une haute philosophie
Vous vient de contempler le Ciel A qui l'écoute et s'y confie,
Il livre un peu de l'éternel.
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Une pitié simple et profonde
Vous vient de mesurer nos maux Pénétrer la douleur du monde
Fait aimer jusqu'aux animaux.
Une bonté jamais lassée
Vous vient de fréquenter [es neurs Ce qu'elles gardent de rosée
Prépare à devinerles pleurs.
En votre demeure royale
On apprend à goûter ainsi
Un sens juste, une âme loyale,
Un accueil distinct et choisi.
Les ferveurs en vos regards peintes Ne connaissent pas les saisons,
Vous qui changez le cours des plaintes Et la forme des horizons.
Je repensais à tout cela, l'autre jour, eu reparcourant les galeries de Monceau, sous la conduite de Celui qui, de par la munificence de ces deux défunts, en est devenu le propriétaire élégant, juvénile et sympathique. Nous étions en la compagnie d'un connaisseur réputé, ce savant ne faisait que rire bon signe, quand un savant sourit,
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cela dénote qu'il est jeté hors de ses habitudes de gravité, par un spectacle extraordinaire; mais quand il va jusqu'à éclater, vous pouvez en conclure que le spectacle dépasse les bornes, c'était le cas. Ces merveilles accumulées, au cours d'une longue recherche, par deux amateurs passionnés et érudits, n'est-ce pas de quoi confondre ? De chaque genre, l'objet de choix, en kaolin et en majolique, en métal ou en cristal, en émail, écaille ou ivoire ici, la boule de senteur d'Élizabeth, là. cette miniature de Madame de Montespan, dans la galerie de Versailles, la Belle debout, près d'un oranger, couvert à la fois de fruits et de fleurs voici la Sibylle Persique de Van Eyck, de Greuze, la Femme au petit chien, et la propre image de Madame de Pompadour, par Boucher, le plus beau portrait du monde, avec la robe bleu-paon, festonnée de roses, ce Ki;zg-Charles qui jappe et ce bâton de cire rouge, près de cacheter un billet doux à destination royale.
Cependant, je recherchais un bibelot que je connaissais bien, que j'aimais d'un amour délicat, et qui me semblait avoir disparu de l'horizon discernable tout à coup, je le retrouvai, le nouveau maître l'ayant un peu exilé, pour lui substituer du Saxe imaginez cette grande figurine de
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Falconet une ravissante jeune femme, debout, penchée un peu en avant, dans un geste d'offertoire et de présentation, tend à l'espace un cœur visible, savoureux comme un fruit, suave comme une fleur.
Je fus, d'abord, un peu scandalisé du déplacement de ce bel objet, entre tous, significatif et tendre d'y réfléchir mieux, il me sembla comprendre que, tout au contraire, s'en accentuaient la signification et la tendresse j'imaginai qu'il était presque devenu vivant et, de lui même, avait voulu se mettre en marche, commencer à se diriger, pour s'y ériger, vers le mausolée de cette Bienfaitrice, sur lequel il saurait représenter la gratitude de ses obligés et la reconnaissance de ses fidèles.
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L'AMI DU « VOLEUR DE SOLEIL »
IV
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L'AMI DU « VOLEUR DE SOLEIL »
C'est de Monsieur Groult et de Turner, que je veux parler on sait que l'Angleterre donne à ce dernier, ce nom magnifique le premier, non seulement je ne pense pas qu'il soit trop tard pour en écrire, mais, au contraire, il me semble que l'heure en est seulement venue. Il y a dans les réflexions que suggère immédiatement un grand trépas, quelque chose de tumultueux qui ne permet pas d'observer les nuances que faire, d'un édifice que l'on a sous le nez, si ce n'est noter quelques motifs de son porche ? Il n'aurait pas été, ce me semble, pour déplaire à Monsieur Groult, de se voir comparer à un monument cet homme le méritait, pour l'architecture de sa vie. Au cours de celle-ci, en discourir aurait été plaisant et aisé; je le projetais si je m'en suis abstenu, ce fut pour ne pas mécontenter un modèle à qui j'avais des obligations et devais des égards. Maintenant, la tâche me devient d'autant plus facile que je la tiens aujourd'hui pour un devoir car la même peine qu'un panégyrique aurait
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causée, de son vivant, à ce personnage remarquable, mais -singulier, le silence, je le crois, le causerait présentement à son ombre. Aussi bien, je le répète, l'heure même du décès me paraît, seule, peu propice à ces vues d'ensemble sur un intérieur et sur son hôte dans l'imprévu de la situation et le désarroi qu'elle entraîne, on ne trouve guère alors à en écrire que ces mots « J'y ai dîné » c'est quelque chose, mais ce n'est pas tout. J'ai pourtant lu. sur le compte du grand collectionneur, au moment de sa mort, un excellent article de Monsieur Lavedan mais qui serait surpris de voir cet écrivain triompher d'une difficulté nouvelle ? a
Monsieur Flament, lui, nous a catalogué non sans abondance, peut-être même avec un peu de diffusion, des collections d'ailleurs elles-mêmes diffuses. Je voudrais ajouter quelques personnelles observations à ces apologies.
Tout le monde sait (en tout cas, ceux qui savent ce qu'il faut savoir) que Monsieur Groult ressemblait étonnamment à Goya, du moins à ce portrait de Goya qui figure en tête de la réimpression des Caprices. Je crois bien que celui dont nous nous entretenons s'était un peu inspiré de ce portrait, lorsqu'il fit, il y à quelques années, une entrée
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sensationnelle au Bal Gavarni, en chapeau à haute forme aux-bords chantournés, en redingote juponnée. Il existe une photographie de Monsieur Groult, dans ce costume on l'y voit, de dos, en train de lorgner son propre portrait, dans un pareil habillement la rencontre est d'un bon comique c'est même pour cela qu'il ne m'a pas paru très opportun de reproduire, comme on l'a fait, cette caricaturale image, en des circonstances funéraires mais, de nos jours, la délicatesse n'y regarde pas de si près, fût-ce envers les défunts. De fait, il n'existe pas de bon portrait, à peine de portrait de Monsieur Groult ceux qui auraient pu le réussir, Whistler, Boldini, Besnard, qui étaient pourtant de ses connaissances, n'ont pas su le décider. Il serait intéressant de rechercher et, finalement, d'établir quelle raison a bien pu empêcher ce grand assembleur d'effigies, de désirer voir la sienne propre figurer entre tant d'autres c'est peut-être bien que, tout simplement, il n'aimait pas la peinture moderne.
Une autre chose que l'on sait moins, et que je me vante d'avoir découverte, c'est combien Monsieur Groult ressemblait aussi, et surtout, au portrait de Jean Cingisus, par Holbein, qui est au Louvre. J'en appelle à ceux qui ont bien connu le
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nouveau Cingisus qu'ils aillent revoir l'autre, ils seront de mon avis; je ne parle pas là d'un vague trait de ressemblance, je parle d'une identification absolue.
J'ai dit qu'il n'aimait pas la peinture moderne c'est exact, il en possédait fort peu sa meilleure page de l'art contemporain, c'était la Chanteuse ait gant noir, de Degas, qui figurait à la première Exposition des Impressionnistes, Rue des Pyramides, et qui fut, un temps, chez Bonnières il me montra aussi l'étude que fit Baudry. d'après la Comtesse Potocka, pour un de ses plafonds, mais ces exceptions n'étaient, chez lui, que des accidents, en somme, fortuits et rares.
Whistler qui, lui, n'aimait pas beaucoup les amateurs de vieux, s'amusa, un jour, à venger les vivants, dans cette célèbre Galerie il avait été invité à dîner et, quand vint l'heure de l'admiration qui, chez un pareil amphitryon, n'était pas malaisée, il ne la témoigna point, en tout cas, pas au degré où on l'attendait. C'était l'époque où Turner florissait Avenue Malakoff, dans des proportions sans doute excessives et, disons-le, un peu incontrôlées le malicieux Maître Américain se promena sarcastiquement parmi tant de couchers de soleil, qui ne s'étaient pas tous levés chez
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leur signataire, et l'on ne put, de toute la soirée, en tirer autre chose que ce conseil cent fois répété « Achetez des Canaletti, Monsieur Groult, achetez'des Canaletti. »
Certes, ce fut un déboire des dernières années du grand amateur, que de devoir en rabattre sur certaines pièces de sa collection Anglaise. Quand son erreur lui fut révélée, il supporta vaillamment le choc, lequel ne dut pourtant pas aller, chez cet orgueilleux, sans bien des tempêtes secrètes. C'est qu'il s'était piqué d'acclimater, chez nous, dans des proportions folles, cette École Anglaise qui n'y était connue que par des spécimens de tout premier ordre, joie et orgueil de certains palais de Rothschild dans son enthousiasme exubérant, et, disons-le, un peu juvénile (c'était une part de sa grâce) l'ami de Turner, de Reynolds et de Gainsborough se laissa prendre à des contrefaçons faites pour lui, et, ma foi, fort réussies. Pour ce qui est des portraitistes, certains Grands Seigneurs Anglais, admis à contempler les cimaises de l'Avenue du Bois, n'étaient pas peu surpris de se voir donner pour des originaux, de célèbres tableaux qu'ils savaient, en réalité, posséder euxmêmes la courtoisie de ces visiteurs illusionna, un temps, notre rétrospectif Mécène néanmoins
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la vérité se fit jour dans son esprit, et, comme il en avait, il fut beau joueur certains tableaux disparurent sans bruit, mais je ne suppose pas sans douleur.
Ceux qui, de près, ou de loin, fréquentèrent le Musée Groult, ne purent méconnaître l'aventure celle des annexes du logis, qui regorgeait de Turners, n'en compta plus qu'un petit nombre, lesquels ne rayonnèrent qu'avec plus d'éclat, pour être authentiques deux d'entre eux se faisaient vis-àvis, au centre de la travée leur possesseur, rassuré sur leur compte, au prix de plusieurs écoles, faisait devant eux des stations dithyrambiques, vous interrogeant sur vos préférences puis, il appuyait ses dires, et ses rires, d'attestations, de certificats, sous forme de coupures de journaux relatant les diverses phases de l'existence du chef-d'œuvre, sans interruption ni lacune.
Une nouvelle grave épreuve, pour Monsieur Groult, lui vint encore de Bagatelle son goût pour ce Palais suburbain lui inspira, un jour, ce que les Parisiens parisianisants appellent « le beau geste » c'était un peu avant que le domaine n'eut
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été acquis par l'Etat le collectionneur décida d'en faire, pour quelques semaines, le théâtre d'un royal bienfait, en y transportant la fleur de ses toiles Anglaises l'entrée devait être payante et servir à doter le Louvre d'un tableau de choix dont l'acquisition était assurée. Malheureusement, ces beaux gestes-là ne sont pas toujours bien accueillis par une société gouailleuse ceux qui seraient incapables de les accomplir se complaisent à mettre en doute leur sincérité et le superbe bienfaiteur qui en avait, cette fois, pris l'initiative, s'en vit récompensé par l'étonnante rancœur de s'entendre dire (peut-être même de lire, car il se trouva, je crois bien, un journal pour imprimer cela) que le but de l'entreprise n'était autre que de faire délivrer un certificat d'authenticité à de faux tableaux, avec une générosité simulée. Je ne crois pas que le 7~ ait jamais pu recevoir d'aucun événement une réalisation plus coléreuse; pour se passer, tout entière, sous un crâne, la tempête ne s'accusa pas moins véhémente en quelques heures, les tableaux regagnèrent leur domicile et, quand, à ce propos, je parlais tout à l'heure de rancœurs, celles-ci purent bien aller jusqu'à la rancune.
Ce serait une curieuse étude que celle qui
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rechercherait, dans l'existence des célébrités, les causes premières de certaines abstentions, ou de quelques actes; le rôle joué par la maladresse inoubliée d'un prélat, dans la fin anti-chrétienne d'un dramaturge la fuite vers l'Angleterre .du legs Wallace, qui fut, un temps, destiné à Paris, et que l'on ne sut pas retenir le revirement de la Duchesse de Galliera, par rapport au Musée qu'elle avait construit, afin d'y loger des richesses d'art, qu'elle finit par léguer. à une autre ville enfin, le silence final de Monsieur Groult, à l'égard de nos Musées Nationaux, peut-être déterminé par l'aventure de Bagatelle.
De là cependant, à ne pas voir de beau geste dans le fait de laisser à la remarquable et dévouée compagne d'une telle existence, la totalité de ce que l'on possède, il y a un pas que je me garderai bien de franchir délibérément, comme le font certains, qui me paraissent professer d'étranges sentiments envers le mariage. Il ne me semble pas, au contraire, que cette institution ait dicté beaucoup de gestes plus beaux que cette façon, pour un homme de cet acabit, de s'en remettre à sa digne épouse, d'assurer le destin de trésors inouis et d'inestimables richesses.
Car il y avait de cela dans la pinacothèque de
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l'Avenue du Bois, et je serais bien fâché que mon récit de tout à l'heure pût faire penser que mon avis est différent au contraire, en le narrant, je fais ressortir, d'une part, la sincérité d'un homme qui ne craint pas de se déjuger pour assurer l'intégrité de ses acquisitions de l'autre, le degré d'importance auquel les avait conduites une épuration raisonnée. A elles seules, les tapisseries des Quatre Éléments composent un extraordinaire joyau la réunion des œuvres d'Hubert Robert forme un ensemble unique au monde variés et nombreux sont les ouvrages de Watteau et des Perronneaux, il y en a beaucoup, presque trop, puisque plusieurs sont usés, et quelques-uns d'inégale valeur mais d'autres, quatre pour le moins (ceux de l'entrée) sont de premier plan dans la production de ce Maître. Je ne veux pas cataloguer ici, la collection Groult, d'autres me dispensent de ce soin, et je leur en sais gré, aimant mieux évoquer le collectionneur.
Je le revois (dans l'ample redingote déboutonnée et flottante qui composait son invariable costume) et poussant, à plusieurs reprises, avec un reniflement un peu sauvage, qui paraissait aspirer,
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savourer et humer, ce grognement de satisfaction que lui arrachait la vue d'une belle œuvre. Certes, l'homme avait de la grâce, incontestablement, une grâce un peu bougonne, du genre de celle de Concourt, mais qui savait aller jusqu'à la bonté, j'en ai eu la preuve.
Cette grâce, elle se nuançait de courtoisie et d'urbanité, lors des visites plus cérémonieuses que lui faisaient ceux ou celles au profit desquels, à de rares intervalles, il nous autorisait à faire les honneurs de ses toiles je me souviens de lui avoir, entre autres, amené ainsi le Duc et la Duchesse de Fezensac, le Prince et la Princesse Pio de Savoie, la Comtesse d'HaussonviIle, la Marquise de Jaucourt. Cependant, jamais je ne sollicitais, l'autorisation fameuse, même au nom des plus éminents, sans avoir obtenu d'eux l'assurance qu'ils se résigneraient à une négation, toujours possible, car pas un symptôme, en aucun cas, ne faisait prévoir quel serait le sens de la réponse acquiescement affable, opposition butée alternaient sans régularité, et sans qu'on pût démêler ce qui dictait l'un ou l'autre rien, vraiment, je crois, que le simple caprice, et cette forme de tyrannie un peu arbitraire qui est le propre des Grands de ce Monde.
De l'esprit, je le répète, il en avait aussi, qui se
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manifestait au cours de ces randonnées enivrées dans l'enceinte de son domaine. Et, d'abord, quelques mots de ce dernier.
Ce qui en faisait le charme, c'était de le sentir habité par une personnalité puissante, débordante, plus forte que tous les chefs-d'œuvre voisins et qui, elle-même était une œuvre, peut-être un chef-d'œuvre. Cette personnalité se revêtait souvent de simplicité, je dis qu'elle s'en revêtait non qu'elle l'affectait, bien que parfois il en fût ainsi, de tels naturels ne sauraient être tout le temps, tout à fait ingénus mais, sous les dehors bon enfant, l'orgueil était énorme, il perçait dans des occasions telles que la suivante lorsque, dans le voisinage, s'édifièrent d'étonnants palais, l'homme prétendit qu'un de ses amis s'était écrié « J'espére que tu t'en fais construire des dépendances » Un tel mot le ravissait, il le répétait à satiété au point de tenir à lui donner raison et, plus tard, ayant obtenu, d'une aimable et somptueuse voisine, de loger momentanément, chez elle, je crois bien, un cheval (qui devait être Pégase), il lui paya son loyer en raisin de Chanaan. Cette simplicité dans le faste, elle se manifestait par des détails qui me plaisaient fort son intérieur, élégant et magnifique, n'en restait pas moins
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bourgeois et cossu, dans la bonne acception de ces deux mots, et je suis sûr qu'il y tenait beaucoup je veux dire qu'il devait, avant tout, avoir horreur du taux luxe, du faux chic, et même du vrai. il faut l'en louer.
Les jardinières de son appartement ne se fleurissaient, ni d'azalées, ni de lilas blancs, ni d'aucunes des flores de fleuristes, banales et endimanchées elles contenaient de simples géraniums, qui me paraissaient et me semblent encore symboliser ce goût de permettre aux choses moyennes, un peu rudes et un peu frustes, de s'élever et d être belles. Selon moi, il y avait de la justification de son état, et comme une allégorie de son élévation, dans l'estime où il tenait cette fleur peu rare, mais de riches coloris, de saveur à la fois forte et fine, de parfum salubre, et capable, en dépit de son extraction modeste, de briller, voire même d'éclater à côté d'un rose de Boucher ou d'un rouge de Reynolds. Je ne sais si le bonhomme avait fait cette réflexion et s'il mettait tant de malice dans la composition de ses bouquets mais, quant à moi, je m'y obstine, et si j'avais à charger une fleur de représenter, pour mon souvenir, celui de ce grand fermier général des colorations, je choisirais le géranium, pour les raisons que je viens de dire.
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Et qu'on n'aille pas imaginer que des horticulteurs remplaçaient journellement, dans les vases et les cache-pots, la fleur préférée pas du tout elle s'y prolongeait, et c'était un des plaisirs du Maître, d'admirer, de faire observer que, non contente d'avoir brillé, par dessus les roses, elle savait vieillir et mourir avec faste, communiquant de la pourpre de ses corymbes à l'ombelle de ses feuillages.
Ces détails n'étaient pas seuls à caractériser le goût de mon modèle pour ces rapprochements de la familiarité et du luxe les demeures de ses oiseaux n'étaient pas de fines volières, mais de ces cages grossières et charmantes, aux barreaux de bois, hors desquelles les tapisseries du Dix-Huitième siècle font s'envoler des ramiers voyageurs, portant au col des messages d'amour. Et si notre Grand Ami les remplaçait par des merles blancs, c'était, une fois de plus, afin de témoigner son goût pour cette forme de l'antithèse.
A proprement parler, il n'y avait que six pièces d'habitation, dans ce vaste rez-de-chaussée l'entrée, unissant le vestibule au jardin, avec, à gauche, un petit salon où étaient les portraits de
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chiens puis, plus loin, proche de la salle à manger, le grand salon où étaient les portraits de dames, des ovales d'égale grandeur, et dont les modèles avaient parfois l'honneur de voir commander à Lyon, par Monsieur Groult, une copie de leurs étoffes. Cette pièce, toute en boiseries de chêne, avait, si je m'en souviens bien, été reprise par son habitant, à la maison de la Rue SainteApolline où il avait tout d'abord demeuré, et qui contenait sa fabrique.
De l'autre côté de l'entrée, ouvrait le cabinet de travail, presque entièrement garni de dessins de Watteau, du parquet au plafond, et parmi lesquels le rayonnant portrait de Monsieur de Julienne accueillait, en son habit brodé, de sa belle main et de son sourire. Il avait pour vis-à-vis, le patron du lieu, à sa table de travail, si l'on peut appeler ainsi la montagne de paperasses derrière laquelle apparaissait la tête, elle-même, souriante, ou un peu grognonne, de celui qui avait à les dépouiller et se reconnaissait, je crois bien, au mieux, dans cet apparent désordre, lequel, après tout, qui sait ? n'était qu'un effet de l'art, ayant pour mission de jouer son rôle décoratif dans ce pandémonium magnifique car, ce désordre, il se fleurissait de bouquets, tel qu'un chapeau d'élégante, ou s'irisait
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d'un de ces coquillages que chérissait le grand manufacturier, au point d'en détacher des fragments, pour les envoyer, dans ses lettres, comme les femmes sensibles font, d'une fleur.
C'est là qu'un jour, au-dessus de l'amoncellement des papiers, je le vis fouiller dans un tiroir qui m'apparut plein, jusqu'au bord, de petits portraits sur parchemin et sur ivoire, parmi lesquels s'étant mis à plonger jouisseusement, il s'écria « Une pleine eau dans la miniature M Un similaire désordre, mais composé avec d'autres données, se renouvelait dans le hall voisin, sur la table grande comme un champ de manœuvres, autour de laquelle se groupaient de précieux vieux cadres vides, des cartons, des photographies, et jusqu'à d'anciens nids d'oiseaux, attachés à leur branche morte, avec leurs duvets et leurs brindilles. Mais ce hall faisait partie des galeries, n'était qu'un lieu d'admiration et de passage. Le grand corridor, contigu, avec ses tentures de Chinois Louis XV, et son vase noir de cent un mille francs, mettait aussi comme un point de séjour, de résidence et de repos dans cette partie de la maison, où la promenade au-devant des tableaux requérait l'attention jusqu'à la fatigue on y servait le thé et les boissons fraiches en écoutant l'hôte comparer
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les taches des marbres et les lunules des papillons, aux couchers de soleil des grands peintres.
C'est au milieu de ces choses que sa verve se manifestait, comme animée par leur fréquentation et stimulée par leur vue elle abondait en anecdotes, quelques-unes forcément un peu ressassées, comme il arrive d'ordinaire aux montreurs de leurs bibelots, mais toutes jolies.
C'était le bouquet déposé sur le cadre de certain dessin de Watteau, chaque année, le jour anniversaire de celui, auquel il devait la trouvaille. Une autre histoire, plus touchante, est celle qui concerne ce portrait de Perronneau, lequel, suivant moi, représente la perle, entre toutes les perles du Musée Groult, et que je choisirais, si j'avais quelque chose à choisir dans cette multiforme tribune. Je veux parler d'un portrait de jeune homme, de grandeur nature, à mi-corps le buste légèrement infléchi, avec indolence, peut-être avec lassitude, se présente de face, le visage, de même, et le plus attachant du monde les yeux sont clairs, et les joues ainsi que les lèvres~ on les dirait « meurtries
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par des baisers a comme le dit Gautier, des marbres de Saint Marc un petit bouquet de rosesthé, s'attache à l'habit, sans rien, d'ailleurs, d'efféminé, c'était la façon, du temps, de porter les fleurs à la boutonnière rien de plus séduisant que l'image de ce beau jeune homme, sans doute las d'être trop chéri, moins le portrait de l'amoureux que de l'aimé, et qui, gracieusement, mélancoliquement aussi, demande grâce.
Or, la première fois que j'admirai ce chefd'œuvre, je m'étonnai de voir, suspendue à son cadre, une canne de l'époque, un beau vieux jonc blond, surmonté d'une pomme d'or finement ciselée alors, Monsieur Groult me conta ceci depuis longtemps il désirait ce pastel, sans pouvoir obtenir qu'on le lui cédât puis, il arriva ce qui finit toujours par arriver, la propriétaire du portrait, une vieille femme de province, eut besoin d'argent, se décida, plutôt se résigna, écrivit au collectionneur. Celui-ci se mit en route, le cœur battant et la bourse garnie loin de s'effaroucher, sa délicatesse acquiesça galamment, quand la dame réclama de lui, comme une faveur, de n'emporter le tableau que sur le soir, pour atténuer à celle qui s'en séparait avec peine, le chagrin de le voir partir. Aussi, quand, à l'entrée de la nuit, le nouveau
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possesseur vint chercher sonacquisition, la vendeuse le pria d'accepter, en remerciement de la bonne grâce avec laquelle il s'était prêté à son caprice, la canne de celui dont il emportait les traits, l'aïeul charmant, pour jamais junévile.
J'aimais encore cette silhouette de jeune fille que Greuze peignit, d'après nature, quoique d'après une ombre celle de sa bien-aimée qui lui apparut et posa pour cette toile, dans des circonstances qui y sont relatées, par une inscription de la main du peintre.
Les anecdotes sè succédaient, aussi les mots il y en avait de Dumas, de Sardou c'est l'un des deux qui avait demandé à cet éternel acheteur « combien il avait arrêté de diligences ?. » Mais, le plus caractéristique de ces ana demeurait celui qui va suivre. Un jour que notre Modèle avait poussé l'amabilité envers un visiteur de sa galerie, jusqu'à le prier de rester pour le repas, sans cérémonie, l'invité, qui, on va le voir, ne méritait pas cette faveur, s'excusa et celui qui la lui avait faite ne fut pas peu surpris d'apprendre que le prétexte en avait été formulé dans l'oreille d'un tiers, lequel, d'ailleurs,. s'empressa de le rapporter à qui de droit l'engagé ne se serait, paraîtil, pas soucié de partager le repas « d'un meunier ».
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Quelques jours après, ayant rencontré Monsieur Groult, l'imprudent, qui s'était cru spirituel, jugea devoir s'excuser pour n'avoir pas accepté l'invitation bienveillante puis il en rejeta la faute sur la crainte qu'il avait eue que la réunion ne fût trop nombreuse. « Mais non, Monsieur, lui expliqua son interlocuteur, il M'~ aurait eu que le Meunier, son fils. et Vous. »
Je connais, pour l'avoir éprouvé, un autre aspect de la manifestation de Monsieur Groult la bonté de son f~Mf.
C'était quelques jours avant la mort du compagnon de ma vie, lequel professait, à vrai dire, pour le grand collectionneur, une admiration enthousiaste je venais de le conduire dans une maison de santé, de laquelle, moins d'une semaine plus tard, il ne devait sortir que pour expirer je rentrais chez moi, vers le milieu de l'après-midi, et ma tristesse était telle que j'avais refusé l'assistance d'amis dévoués qui s'étaient offerts à venir me voir ce ne fut donc pas sans beaucoup de surprise que je vis entrer, chez moi, Monsieur Groult avec lequel je n'étais qu'en relations mon-
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daines. Il se mit à me parler avec une autorité déférante, une sorte de paternité affable, qui me surprit « Je plains, me dit-il, les cruelles heures que vous traversez elles sont de celles où l'on désire la solitude, mais la solitude vous est funeste vous avez éloigné vos amis, mais vous en avez oublié un, qui ne vous oublie pas, et qui veut s'attacher à vous dans la mesure où sa présence vous est aujourd'hui nécessaire il vous emmène, il vous enlève, parce qu'il doit vous accompagner, et que l'ennui qu'il vous cause, il le sait, vous sera profitable en ce moment. » Je ne certifie pas que ces propos soient, en termes exacts, ceux qu'il me tint mais c'était leur sens précis, je l'affirme.
J'en fus, d'une part, si étonné, de l'autre, si touché, que je me laissai faire quelques instants après, j'étais dans la voiture de mon visiteur, qui m'emmena voir une œuvre d'art puis, quand l'après-midi se fut ainsi achevé, il ajouta, d'une insistance qui redoubla mon étonnement « Ne croyez pas que ce soit fini, maintenant vous allez venir partager le mauvais dîner de ce même vieux homme, très ennuyeux, qui vous tourmente, et qui a décidé de ne pas vous laisser seul, jusqu'au moment de prendre votre repos. Il en fut ainsi et quand ce moment fut venu, mon hôte sortit à
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pied, avec moi, de sa maison, puis m'accompagna jusqu'à la porte du Bois, qui mène à ma propre demeure. Jamais il ne me reparla de cette journée, au cours de laquelle il me semblait qu'il eût eu à cœur d'accomplir mieux qu'un devoir d'amitié, une mission, ce qu'il fit avec une fière délicatesse, dont je n'ai pas rencontré d'équivalent, au cours d'une existence déjà longue.
Monsieur Groult se plaisait à intervenir, d'une exceptionnelle façon, dans les événements et dans les âmes il y excellait. Le jour où Castellane donna sa grande fête au Bois-de-Boulogne, son voisin lui envoya des cygnes, pour peupler les eaux qui, sans lui, seraient demeurées désertes. Le jour que le Ciel me dispensa ma grande épreuve, mon vieil ami me prodigua sa bonté, pour fleurir mes chagrins qui, sans lui, seraient demeurés arides.
Ce fut à moi d'évoquer ce souvenir, environ une année après, quand j'écrivis ces stances en tête d'un volume de mes vers, que Monsieur Groult m'avait donné à signer
Je me souviens.qu'un jour de peine
La plus lourde du cœur humain,
Vous êtes, pour porter ma chaîne,
Venu me prendre par la main.
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Vous n'avez pas dit les paroles Qui pèsent aux espoirs lassés, Car vous saviez que les corolles De vos jardins, c'était assez
Car c'est tout ce que l'on supporte, Quand le chagrin est gros de pleurs Et que notre espérance est morte La consolation des fleurs.
Mais vous m'avez donné la joie De sentir, en ce grand départ, Que, du deuil sous lequel je ploie, Vous vouliez prendre votre part Et que, si le langage expire
Devant la douleur d'ici-bas,
Les meilleurs pensent, sans le dire, A ce dont ils ne parlent pas
Ces strophes, je les lui lus,- moi-même, dans son cabinet de travail il laissa paraître qu'elles le touchaient et me fit voir ensuite très affectueusement les nouveautés de son installation modinée ce fut, je puis le dire, une journée d'adieu depuis, je ne le revis plus que des minutes, avec cette distance que recrée la vie des villes, aux rencontres intermittentes, vite interrompues.
Et, pourtant, je me faisais une fête de lui lire ce
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passage du Livre que je consacre à la mémoire de mon Ami, ce passage que je veux, du moins, citer à cette place « Un homme dont le nom m'est cher à jamais, sait et veut être le Bon Samaritain de ces heures uniques dans ma vie il vient me prendre, il m'emmène passer le soir dans son jardin fermé, autour duquel les bruits se taisent, près des eaux secrètes où, parmi le glissement des cygnes somnolents, se reflètent les astres réveillés~ les fleurs endormies. Non loin de nous, les plus rares chefs-d'œuvre de l'art montent leur garde de beauté, poursuivent leur veillée d'honneur, dans les profondes galeries on ne les visite pas, on n'en parle pas même, mais le peuple de mythes et de portraits qu'elles tiennent en réserve, c'est comme autant de nobles amis qui, sans mots indiscrets, compatissent aux souffrances de l'ab- sent, a ma présente détresse. »
C'est au nom de ce souvenir que j'irai déposer sur la tombe de Qui me le suggère, une branche de ce géranium qu'il aimait à voir dans sa maison, et qui devra plaire à son mausolée.
Parfois, je me demande s'il me faut regretter de
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n'avoir pas approché cet homme étonnant, dans les tout derniers temps de son existence certes, la leçon est toujours forte de les voir affronter le trépas, ceux qui doivent tant à la vie
Cependant, cette leçon, nul moins que lui ne devait la donner. Il l'a prouvé en gardant le silence mais quel éloge celui que ce silence fait, de sa Compagne, dont il appréciait le mérite, au point de s'en remettre à elle de veiller au destin de tout ce qu'il aimait, d'un amour extraordinaire. Je ne doute pas qu'il n'ait agi sagement. Cette Compagne, elle saura comprendre des volontés même muettes, elle en interprétera l'esprit, et après avoir épargné, par cette confiance, à celui qui l'inspirait et la ressentait, la douleur de prendre un parti, elle réparera des oublis, comblera des lacunes, agira, enfin, comme une volonté prorogée, plus désintéressée, assez détachée pour voir clairement et agir de même. Au reste, la parole qu'il était désirable que je recueillîsse, un autre l'a entendue, et me l'a transmise, et je la donne pour conclusion à cet Essai qu'elle éclaire d'une saisissante lueur, en même temps qu'elle l'illustre d'un trait de burin assez fantastique.
C'était quelques semaines avant la mort du
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Collectionneur, durant une de ces minutes amères au cours desquelles dut se livrer, en son âme, la .lutte de la possession et de l'abandon.
Alors, on l'entendit qui murmurait sourdement et tendrement à la fois, parlant de ses collections, cette phrase qui formulait le mot Néronien de son dernier rêve « Tout de même, si on mettait le feu à tout cela, ce ~M< en /~a~ une cendre d'un beait ton »
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LE MÉTÉORE
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LE MÉTÉORE
« Leporte-voi]t, en quelque sorte, officiel. s ROSTAND.
A la sortie de cette « générale » mémorable, tout un public attendait, assez pareil à ce collégien de Gavarni, ce potache qui rappelle à son papa que ce dernier lui avait promis, s'il était sage, de le mener « voir prendre des glaces chez Tortoni » rarement, en effet, le mur, derrière lequel il se passe quelque chose, avait abrité un mystère ayant autant fait parler de soi. Tout à coup, de cet autre mur noir de têtes curieuses, une voix s'éleva, celle d'un titi, non <f du poulailler » comme la voix du merle de Chantecler, mais d'un titi du trottoir; elle résumait d'un mot, comme il arrive, à la fois parisien et faubourien, l'impression que plusieurs cherchaient vainement à dégager, elle disait « Ça vaut bien la peine de sortir de /a pour ne rien dire aM wot'M~OK serait fixé. ))
Mot non seulement juste, mais équitable. Donc,
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pas finie, cette angoisse pesant sur le monde depuis des années, de par cette pièce mythique, sinon mystificatrice le cri, victorieux ou irrité, qu'attendaient pour parler, à la fin, d'autre chose, ceux qui viennent voir ceux qui ont vu, nul ne le poussait, à l'issue de la révélation enfin consentie c'était plus qu'inquiétant, c'était enrageant on n'allait pas encore être fixé. « Mince alors a aurait dit le merle.
Eh bien il y avait de cela dans le silence tumultueux de ceux qui sortaient et cela tenait à plusieurs causes, dont nous allons, dans la mesure de nos moyens, successivement faire le tri. D'abord, on peut se demander si un temps doit venir où, quand un auteur produira une œuvre dramatique à ce point touffue, il fera une différence entre ce qui doit être lu et ce qui doit être joué, et lui-même, ou avec l'aide d'un collaborateur, tirera, du drame pour la lecture, un drame pour l'interprétation, comme on le fait avec un roman porté à la scène. La suite des représentations amène bien, il est vrai, quelque chose de tel, par des retranchements acceptés, plus d'unité dans l'ensemble et l'expérience de certains effets qui font ressortir des points lumineux, en admettant des ombres il n'en est pas de même à la « générale et
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quand c'est celle d'un ouvrage plus que plein, bourré de concetti, mélangeant,* jusqu'à l'embrouillamini, le papillotement de l'œll et celui de l'oreille, quoi d'extraordinaire s'il en résulte un ahurissement qui me paraît avoir été, pour beaucoup, l'impression de la soirée ?
Notez que ce parterre, à force de compter, ne comptait plus des invités ne sont guère en droit de ne pas applaudir celui du second soir n'est pas moins récusable, à un autre titre des gens qui ont payé deux cents francs pour entendre, ont des chances d'être contents, pour une raison différente. Quelqu'un disait, un jour, devant Forain, que les personnes les plus faciles à satisfaire étaient (contrairement à ce que plusieurs imaginent) celles qui ont donné de l'argent le grand humoriste répondit « oui, parce qu'elles le suivent » Ceux de la première B se rangeront également dans cette catégorie c'est donc à partir de la quatrième que le titi de l'asphalte devra se renseigner sur la véritable nature des appréciations attendues.Donc, ce public de la « générale », bien disposé, à ce qu'il m'a paru, chaque fois qu'il en eut l'occasion, très souvent, a manifesté avec beaucoup d'ardeur, empressons-nous de le dire, sa sympathie pour l'auteur et son admiration pour l'ouvrage;
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ces occasions, c'était l'apparition de beaucoup de beaux vers, j'entends de beaux vers à la Rostand, qui rappelaient, de plus ou moins loin, à l'auditoire, son cher auteur de Cyrano et de la Samaritaine. Il y a, nul n'en doute, et je pense bien (quoi qu'en dise son coq) aux yeux de l'écrivain tout le premier, d'autres façons que celle-là, pour des vers, d'être beaux mais ces façons, il ne dédaigne pas non plus d'en user c'est alors que son vers se surpasse et fait penser à un vers d'Hugo, ce qui est vraiment une bien belle façon de cesser d'être soi. Les vers de ce premier et deuxième genre, il en sonne beaucoup dans Chantecler je voudrais en citer, il m'en revient confusément la crainte des dommages et intérêts n'arrête plus, ils ne sont pas à redouter maintenant c'est la crainte plus grave d'en agir mal à l'égard d'un texte que l'on peut essayer d'apprécier, mais qu'il ne faut pas trahir. Ces vers, vous les lirez demain, et les ferez jaillir de la page, aussi aisément que les poulets de Miremont choisissent la cicindèle « Qui parrume le bec de rose et de jasmin. » Mais ces vers ne vont pas seuls, il y en a d'autres, beaucoup d'autres qui appartiennent à la seconde veine de Monsieur Rostand et qui, (bien
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particulièrement lorsqu'ils sont scindés, et outre mesure, par le dialogue) emplissent l'esprit d'un tel émiettement d'éclats, qu'il semble qu'on vient d'y mettre des vitraux en pièces, qui blessent, en les éblouissant, le regard et l'ouïe.
La mise en scène n'est pas pour dissiper cette confusion il me raraît (mais cela est toujours facile à dire) que si elle pèche, c'est, elle aussi, par l'excès on aurait pourtant craint en faisant moins, de ne pas sembler à la hauteur d'une aventure si retentissante; ç'aurait peut-être été la servir mieux; plus de simplification eût fait jaillir des détails plus notables, dont beaucoup se trouvent noyés par d'autres de moindre importance. Quoi qu'il en soit, c'est, tel quel, un spectacle étonnant qui, je le dis avec sincérité, me semble devoir obtenir le concours de curiosité souhaité, par ceux qu'il regarde. Encore faut-il qu'une difficulté, pour eux, non imprévue, mais qui, résolue dans un autre sens, lui aurait sans doute grandement facilité la besogne, ne vienne pas entraver la réussite cette circonstance, c'est la forme donnée aux costumes, cette quasi-naturalisation qui ne leur permet pas de rester les mêmes pendant tout un acte que disje ? toute une scène; que sera-ce au bout d'une semaine, au bout d'un mois, au bout d'un an, à
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la fin d'un temps que, pour se montrer à la hauteur de la situation, il faut juger interminable ? Il est à craindre qu'une grande part des bénéfices de Chantecler ne s'envole en plumes, je ne dis pas en fumée. Au contraire, si, selon certain principe de l'art de Grévin, l'on avait découpé dans un drap fort, dans du velours et du cuir, des ailerons, des crêtes et des jabots, ils auraient ajouté à l'avantage de resservir indéfiniment sans se déformer, celui de donner aux personnages un aspect symbolique, mi-parti animal et humain, qui se serait parfaitement assorti aux façons de ces bêtes parlant argot ou parlant pathos, maniant le sifflet ou pinçant la lyre. Mais, encore une fois ce sont des appréciations personnelles que chacun est en droit de varier avec plus ou moins de raison.
Cette autre veine de Monsieur Rostand, appelons-la, si vous le voulez, maintenant, cette autre corde, pour le besoin de notre métaphore, elle grince singulièrement, et, bien entendu, de par la volonté du musicien elle grince d'une infinité de jeux de mots que les irrévérencieux (y en a-t'il donc ?) osent appeler calembours, coq-à-l'âne et calembredaines. Que le virtuose se complaise à les composer, cela ne saurait se discuter (autrement, il ne les réussirait pas si bien !) seulement, comme
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il en comprend l'abus et escompte l'agacement qu'ils causent à beaucoup, il s'avise d'un stratagème ingénieux qui lui permet de se livrer à son plaisir en paraissant le désavouer. Il invente un prête-nom., sorte de merle-émissaire du genre, auquel il fait porter le poids de tout l'à-peu-près inimaginable, un Touchstone duveteux, un Beckmesser à plumes, car il y a beaucoup, pour l'aspect, de ce magister des tablatures, dans cet oiseau qui ne va jamais au bout de son air, tout en sifflant celui des autres. Jusque-là c'est fort bien mais quel que soit l'espace laissé, fourni à toutes les cabrioles du verbe, par le rôle continu de ce bec-jaune, ce n'est point encore assez. Alors, le coq, pour lui montrer que pouvoir le plus, c'est pouvoir le moins, le parodie, lui donne la réplique et entame avec lui un duo dans lequel il a le dernier, sur ce mode burlesque c'est à cette minute, que, s'adressant à des coqs de l'ExtrêmeOrient, il leur dit qu'il va leur rabattre le « kakémono M bien qu'un peu tiré par où vous voudrez, cela passe encore, puisqu'il s'agit d'une charge; mais, pourquoi les'crapauds, eux aussi, modulent ils sur ce ton, et parlent ils de « l'Été de la SaintLamartine ? ?
Ces réflexions, qui sont bien cursives, il faut les
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borner, et en venir rapidement à la pièce, puis aux interprètes.
Le sujet de celle-ci, du poème, de la comédie et du drame, puisque c'est tout cela, on le connaissait vaguement ce qu'on en disait, même beaucoup de ce qu'on en citait, s'est trouvé être exact le fragment livré par la Bonne C&aKMM, c'est le début, pas bien différent de la version définitive à cause de cela, on l'a mieux suivi, et, sans doute, mieux aimé c'est un bel éloge que de mieux apprécier en approfondissant. Donc, il faut résumer vite les poules picorent et jacassent, le merle bavarde et bafoue, le chien jappe et s'insurge, contre l'état actuel des choses Chantecler, le roi de la basse-cour, paraît tous veulent connaître le secret de sa voix et de son chant ce secret, il existe, mais le coq ne saurait le révéler. Un coup de fusil, tiré par un chasseur invisible, fait se réfugier dans l'enclos une faisane que le Maître se prend à aimer et qui, petite Marion de ce Didier empenné, le lui rend, quand elle l'entend dénigrer par les nocturnes oiseaux, que son cocorico blesse et nargue. Ceux-ci conspirent contre
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lui et se donnent rendez-vous dans le soir qui naît, pour jurer la mort de Chantecler.
Le second acte, c'est par ce rendez-vous qu'il débute; les méchants nocturnes s'incitent à leur crime en échangeant des strophes, dont, j'y insiste, le pire défaut, auquel peut-être on remédiera, c'est que les masques, les voix, les échanges de répliques, en interceptent une grande partie. Éternellement sautillant, inconsistant et inconciliable, le merle assiste à tout cela sans jamais c'est son châtiment se voir pris au sérieux par personne. La voix lointaine de Chantecler met fin à cette conjuration de poltrons et de lâches, leurs yeux s'éteignent, ils s'enfuient le coq apparaît avec la faisane qui, peu à peu, lui arrache son secret c'est à son appel, il le croit, que l'aurore se lève, et comme cet appel concorde sans fin avec le lever du jour, son illusion est indestructible alors, tous les coqs se mettent à chanter, quand ils sont bien sûrs que c'est le jour, mais la supériorité de Chantecler, c'est d'avoir eu le cœur, le courage, la foi de chanter « dans le noir », quand les autres ne se décident à chanter que dans le bleu et dans le rose.
Cette scène me paraît être la plus belle de l'ouvrage secondée par le décor profond qui, peu à
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peu, s'éclaire jusqu'à resplendir, elle mêle les nobles alexandrins aux jeux incandescents, à la fête de la vision, celle des écoutes. (i)
Malheureusement, le merle a tout entendu, caché dans un pot à fleurs, d'où il sort pour adresser au résurrecteur du jour, et sur un ton éternellement, odieusement plaisantin, des compliments ironiques et non sentis, plus encore qu'insincères. Celui-ci, d'un coup d'aile, l'emprisonne à nouveau sous le pot à fleurs, d'où l'insupportable fou de basse-cour regardait dans le sol par le petit trou noir; ce pot était couché, Chantecler, en le renversant sur la bestiole, change l'orientation du regard de celui qui y est enfermé, pour qu'il regarde le ciel par un petit trou bleu.
Le troisième acte, on le jugerait mis en scène par une Comtesse Mathieu de Noailles, amplifiée aux proportions des cerises à lui seul, il compose toute une pièce qui se pourrait jouer séparément c'est le Monde CM l'on s'ennuie des volatiles, (i) Cependant il y a deux choses qui me plaisent davantage la première, c'est l'énumération .des éveils successifs et gradués qui suivent le grand réveil de l'aurore la seconde, c'esfi'évocation de son propre idéal magnifié dans chacune des petites âmes de la forêt, par le chant du rossignol; tels sont, a mon avis, les deux plus poétiques apports de Chantecler.
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bien que le raout admette aussi quelques quadrupèdes.
Une seconde audition a confirmé, pour moi, l'impression de la première la partie la plus curieuse de l'ouvrage, c'est bien qu'il ait failli compromettre la réussite ce troisième acte, avec son comique de Cérémonie' Molièresque, rajeuni et renouvelé. A part, m'a-t'on dit, certaines formes d'injustice dans quelques traits de satire (encore cela pourrait bien être l'avis des modèles, toujours sujets à caution et manquant d'impartialité), la farce est on ne peut plus divertissante, et le rôle de l'hôtesse, des plus spirituellement tenu, se déroule irrésistible.
Nous sommes au jour de réception de la Pintade, qui réunit, à son five o'clock, « près des cassis », tout le ban et l'arrière-ban des snobs de l'art et de la littérature, je ne sais si l'excellente hôtesse a fait inviter d'illustres chantres décédés, par son pintadeau de chambre, mais ils passeraient inaperçus, au milieu de tout ce froufrou de coqs et de cochets rastas et ratés, de cygnes noirs savants, de doctes canetons, de jars discoureurs et de dindonneaux poètes. Tout ce monde marche sous la conduite d'un paon esthète, dont le personnage, à la fois somptueux et grimaçant, nous offre ce
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désagréable spectacle de faire dire des bêtises à quelqu'un de beau. Je sais bien que la chose est conforme à ce qu'il est convenu de prêter au traîneur d'oeillades et pourtant, sa monotone et perçante façon d'appeler indéfiniment un ami ou une rime, fait tellement corps avec l'atmosphère du jardin, que celui-ci souffrirait d'en être privé. Les deux syllabes du cri nasillard et déchirant s'ouvrent et se referment comme les deux branches de badines qui serreraient un tison et le laisseraient tomber en une escarboucle de plus tandis que les stupidités prétentieuses, clouées par l'écrivain dans le bec de l'emblème de Junon s'accordent mal avec'le manteau tout, et tout de même, de splendeur, que tisse, à l'oiseau d'émail, son plumage qui regarde sans voir. L'acteur qui joue ce rôle le joue bien il détache, il décoche du ton aigre et pincé qu'il faut, les arbitraires inepties qu'on lui fait dire, avec une arrogance qui ne va pas sans élégance, et une vanité qui n'est pas sans beauté.
Tout cela, c'est l'épisode, la trame se poursuit Chantecler survient, à contre-cœur, amené par le désir de rencontrer sa belle bien entendu, il dit son fait à chacun, en oubliant le sien, bien entendu, encore sans quoi, il ne manquerait pas d'ajouter, s'il était sincère et clairvoyant, que sa
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tirade aux coqs étrangers est le plus étrange charivari de sonorités incohérentes qui ait jamais offensé des oreilles humaines, qu'elle gâte l'ouvrage, et que, si l'on en exemptait celui-ci, ce. serait lui rendre service, et à son auteur. S'il consentait encore à se dire une de ces vérités qu'il ne marchande pas aux autres, peut-être serait-ce celle-ci que
« Sa cape qu'il retrousse avec une faucille », il la retrousse, parfois avec un rasoir mais le brave Chantecler, quelquefois inspiré, quelquefois non, n'y regarde pas de si près f< moi seul et c'est assez », paraît être son cri, qu'il pousse durant quatre actes. Il se joue à lui-même le Renardet le Corbeau, qui tiennent tous deux dans son orgueil; sous l'action des compliments qui montent, le corbeau laisse tomber son fromage, qu'il rattrape et gobe, aux regards de son thuriféraire stupéfait et un peu déçu.
Quoi qu'il en soit de sa voix, le Coq l'a momentanément perdue en écoutant les sornettes du « cinq heures » piaillant, jabotant et cancanant il le quitte, il le fuit, après avoir manqué y laisser ses jours dans un combat singulier et traîtreux avec un rival de lutte et la Pintade, sans souci
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des rixes et des ridicules qui se donnèrent cours à son jeudi poétique, déclare que jamais on n'en vit de plus réussi entre les cassis des Deux-Mondes.
Le dernier acte nous conduit dans la forêt, au tomber du jour les petits oiseaux invisibles y chantent leur prière du soir en l'honneur de SaintFrançois d'Assise, le seul des humains qui les ait appelés Chantecler arrive, entraîné par la Faisane qui le veut pour soi seule, étant jalouse de l'Aurore; les crapauds s'approchent; ils viennent rendre au Coq un hommage détourné et vil~ en haine du rossignol qui va préluder et dont la voix est, pour eux, aussi blessante que celle du coq, pour les nocturnes lui, ne demande pas mieux que de les croire, et de s'asseoir à la table ronde de ces chevaliers pustuleux, laquelle n'est qu'une fausse oronche tout à coup Luscinia prélude, et les premières notes éclairent l'invité sur le crime qu'il allait commettre, en s'associant à ceux qui jalousent l'harmonie.
Celle-ci, je l'avoue, ne m'a point paru être ce que j'attendais de Monsieur Rostand, à cette minute je ne doute pas qu'elle ne nous semble jolie, quand nous allons la détailler, mais enfin, elle ne nous fera oublier ni « le plus chéri des oi-
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seaux » d'Aristophane, ni le bulbul de Lamartine, « le bulbul à la liquide voix,
Dont le chant qui ruisselle arrose le silence » ni le rossignol de Chateaubriand, qui « se charge de cette partie de la fête qui doit se célébrer dans les ombres », ni même le gentil rossignol de Musset qui ne se met en frais de trilles que pour la rose.
Nouveau coup de teu celui-ci tue le coryphée nocturne; et Chantecler, en le pleurant, déçu parlà ruse de la Faisane, ne s'aperçoit pas que le jour se lève, s'est levé sans lui, et que la voilà morte, l'illusion qui l'attachait à la vie. Mais non, son orgueil lui rend cette foi mensongère si le jour se lève. c'est parce qu'un peu du cocorico de la veille est resté dans l'air. Alors, à la même place où le rossignol tué ravissait tout à l'heure, un autre rossignol se remet à charmer et cet exemple invite Chantecler à regagner le poste qu'il n'aurait jamais dû déserter, pour l'Étrangère qui ne sait pas s'immoler à l'œuvre de celui qu'elle aime.
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Tel est, en quelques lignes, le bref résumé de ce long ouvrage l'interprétation maintenant. Il a été écrit à l'intention de Coquelin, qui vécut et mourut pour l'oeuvre. Qu'en aurait-il fait ? On peut se le représenter. Monsieur Guitry, une fois de plus, s'y montre admirable dire que son beau masque tour à tour césarien ou plébéien, paraisse aussi à sa place et à son aise, entre les mentonnières et la crête de pourpre de l'oiseau fameux, que sur le cache-nez de Crainquebille ou dans les vêtements des héros de Monsieur Bataille, ce ne serait peutêtre pas tout à fait exact et pourtant, si nous voulons ne pas nous montrer inhabiles au jeu des probabilités, nous ne devons pas supposer que ces vêtements-là, il puisse échanger contre eux, avant des mois, avant des ans, son habillement de plumage. Je me demande néanmoins si Monsieur Guitry ne les regrette pas un brin, dans sa souple armure de fer et de flamme on le croirait parfois, quand il laisse se poser un vers qui allait planer et que, regardant Madame Simone, il paraît se demander si ce ne serait pas Madame Bady, qui aurait changé de visage. Ce visage (qui ne fait point oublier l'autre), il est charmant c'est une joie de la pièce. J'avais gardé, de Madame Simone, le souvenir d'une gracieuse et brillante hôtesse, je ne
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l'avais jamais vue à la scène je ne pense pas que ce rôle soit, de ceux qu'elle aura joués, le plus approprié à ses moyens dramatiques je suppose même le contraire mais son masque fin et menu est merveilleusement adapté à la figuration qui l'a désignée et qu'elle a choisie. C'est le propre masque de l'oiseau vert Asfir,
« Qui becquète la mouche au pied des dromadaires D dans les vers d'Hugo c'est encore le masque de tous les oiseaux à tête humaine de la légende, Anfir, la huppe de Balkis, Yafour, celle de Salomon et l'oiseau Simorg-Anka, posé sur le parasol vert orné de clochettes, que porte la Reine de Saba de Flaubert, au-dessus de ses cheveux poudrés d'azur on dirait un bijou de Lalique, de ceux qui sont le mieux réussis. La voix est d'une musique pénétrante, surtout aux moments où elle ne s'enfle pas de trop de lyrisme. La Pintade, Madame Leriche est fort amusante, toute prête à envoyer sa « prière d'insérer » à Madame Estradère de Mésagne. Monsieur Jean Coquelin, excellent à son habitude dans le prologue et dans tout le rôle du brave Patou, nous a fait penser, avec émotion, à Celui qui n'était pas là. Quant à Monsieur Galipaux, n'oublions pas qu'il fut l'Anatole de
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Manette ~a/oMMM il a transposé, dans le rôle de ce nouvel Anatole à plumes, la verve gouailleuse qu'il déployait dans l'ancien. Son rôle est le plus étendu, avec celui de Chantecler il me semble impossible de l'émettre d'un bec plus narquois et de le danser d'une patte plus alerte.
L'auteur de Chantecler, j'ai lu cela, aurait, diton, amrmé dans une interview, que ce personnage le mettait en scène allégoriquement, cela va de soi, comme celui de Walter, des Ma~M Chan~M~, peut être tenu pour une incarnation de Wagner. Chantecler nous a dit son premier secret le second, c'est celui de la modestie de Monsieur Rostand Ha~/KM~ co~~M~w reum le merle dirait ~Km. Ce mot me fait penser à certain souvenir de Heine qui raconte qu'ayant, un jour, décidé d'être dieu, ce qui, à l'égard des autres hommes, aurait été tenu pour une malice, se trouvait, du fait de cette divinité, devenir, envers lui, un sacrilège mais il ajoute « la pension du Roi Louis-Philippe venant à manquer, ma divinité s'écroula misérablement. »
C'est fort spirituel, mais non moins inexact. La
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véritable divinité de l'auteur de l'/K~f~~o, celle qui n'eut rien à voir avec la royale pension, n'est pas écroulée, elle ne s'écroulera jamais. L'or, celui qui n'est pas « de bon conseil », selon la propre et belle expression de Monsieur Rostand, ne représente ni le côté sérieux, ni le côté intéressant des divinités artistes; s'il en entre quelque peu, à ce qu'on prétend, dans la divinité de l'auteur de Chantecler, ce n'est d'abord pas par celle-là qu'il restera dieu, s'il le reste; mais, cependant, comme pour tremper dans l'olympienne ambroisie, un peu de « galette ne gâte rien, celle de Messieurs Fasqudie, Baschet et Lafitte m'inspirerait plus de confiance que la fugitive pension du bon Roi Louis, dont le masque fut piriforme.
C'est une joie d'intelligence, quand elle est secondée,.par une sincérité de cœur et quelque lucidité d'esprit, que de raisonner, pièces en mains, sur le pour et le contre, le fort et le faible, en un mot sur le pourquoi d'une aventure si retentissante aussi bien, le moment est peut-être venu de causer un peu J'analyse de la pièce n'étant plus à faire, voici l'heure d'analyser la forme prise par la réalisation.
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L'autre soir, il nous pleuvait, dans les oreilles, des alexandrins et des octosyllabes qui nous fuyaient ensuite aujourd'hui nous en tenons une bonne part dans les citations de la presse un peu plus tard seulement, Monsieur Baschet, puis Monsieur Fasquelle livreront le stock opérons sur ce qui nous est dévolu.
Il y a quelques semaines on nous représentait l'auteur, énervé au point de s'asseoir sur une table et de casser une chaise, et laissant tomber du Sinaï de l'Étoile ou de l'Olympe du Majestic, une parole moins majestueuse, plus humaine; il disait « ma pièce demande à courir sa chance, comme toutes les autres » à la bonne heure, voilà qui s'appelle parler cette chance, il l'a courue, et la court encore on peut donc, ce n'est pas sans intérêt, rechercher les causes qui rendent cette victoire artésienne, et, sur de certains points, partielle.
La première de ces causes, un enfant la verrait, et un enfant qui n'aurait ni la précocité, dont le jeune Edmond dut émerveiller les auteurs de ses jours, ni celle dont ses rejetons ébahissent, à leur tour, leurs procréateurs non, un enfant comme tous les enfants. Cette première cause, c'est la différence fondamentale qui existe entre l'apport
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spontané, frais éclos et quasiment gratuit, d'une commande qui n'a jamais été faite, et dont la livraison dépasse toutes les espérances puis, au contraire, la remise lente comme à plaisir, différée, difficultueuse comme à souhait, d'un achat réglé d'avance au taux maximum et demeuré indéfiniment en perpétuel essayage, avec tout l'agacement des reports et des faux départs. Le public est un client à deux visages, comme Janus le premier, celui de l'auditeur reconnaissant jusqu'à l'effervescence et à la tendresse, d'une aubaine inattendue, j'ai nommé l'auditeur de Cyr~KO l'autre, le monsieur grincheux jusqu'à l'aigreur et à l'injustice, vous reconnaissez l'auditeur de Chantecler. D'autres motifs de désaQection et d'énervement, dans le public, sont plus spécieux c'est un peu délicat de les indiquer mais tout peut se faire avec politesse. Le premier de ces seconds motifs, c'est, sans doute, quelque chose que j'appellerais volontiers la participation aux ~KC/ÏCM la notoriété, ou, plus brièvement, si vous l'aimez mieux, la coopérative de la gloire j'entends l'entrée en lice, chaque fois qu'il était question d'apprécier un fait ou un geste de Monsieur Rostand, d'une si grande quantité de faits et de gestes de ses ascendants, associés et descendants, que la masse d'attention
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et d'admiration disponibles se trouvait divisée jusqu'à l'éparpillement, et finissait par se sentir si pauvre, devant tant de narines, qu'elle prenait le parti de laisser reposer son encensoir, auquel le nez tout entier de Cyrano, résultant de cette collaboration nasale, venait de donner tout d'un coup les dimensions d'une cassolette.
Cette réflexion que tant de gens, pour ne pas dire presque tous, n'ont pu manquer de faire, j'y reviendrai, .sur le point où ayant pris les allures les plus gourmandes, elle autorise des réclamations en apparence justifiées; mais franchement et, par ailleurs, quel besoin, parce qu'il s'agit de célébrer un poète dramatique, de s'entendre vanter la structure des « habitations à bon marché M ou parler du « Comptoir d'Escompte » ?
« La réputation commence avec la vie » a écrit Madame Valmore. Ce vers s'applique, entre tous, à Monsieur Rostand qui représente, à jamais, pour les siens, avant de le figurer pour le monde, l'élève très fort, le coq (déjà !) du palmarès, le lauréat du prix d'honneur, celui dont les camarades aiment mieux s'enorgueillir que de le jalouser, quand il rentre dans les rangs, tout verdi de couronnes en papier, qui plus tard, deviendront soyeuses au col d'un habit, tandis que sa famille, autour
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de lui. fait jabot, comme si la distribution avait lieu dans les carrés du potager de Chantecler. De telles minutes initiales laissent des traces indélébiles comme des empreintes. Monsieur Rostand a transposée mettons à la millième puissance. si cela vous suffit (et si vous le préférez, à la cent millième, avec la faculté d'augmenter autant qu'il vous plaira) il a transposé, pour soi, et pour les siens, dans son développement, cette attitude de son début, il reste et restera le coryphée d'une institution, laquelle s'est haussée jusqu'à devenir l'Académie, tandis que le Professeur s'était amplifié jusqu'à se transformer en Victor Hugo. Jugez des proportions qu'avait prises l'élève, aux reregards duquel tout revêt l'aspect d'une composition de rhétorique et d'un sujet de Grand Concours. Hier, Cyrano, l'Aiglon, la Samaritaine, et demain, pour que la ressemblance avec son Maître soit plus complète, un des deux héros par lesquels Veuillot reprochait à Olympio de se laisser inspirer « Polichinelle et Garibaldi ».
Et toujours la pile de prix (je parle sans jeux de mots) vient récompenser le triomphe scolaire; autrefois, c'étaient les livres aux tranches dorées, aux plats estampés de lauriers qui se croisent; maintenant, ce sont des livres encore, mais les propres
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livres de Monsieur Rostand, le tirage à huit cent mille de Monsieur Fasquelle la récompense reste la même, mais l'échelle y est bien.
Oui, Monsieur Rostand nous apparaît toujours comme le grand, si vous le voulez, 1 énorme rhétoricien, le jongleur de tropes, qui s'amuse, qui se joue de toutes les difficultés, de toutes les impossibilités verbales. La note dont il est de tradition de croire que Mozart la fit, une fois, avec son nez, dans une minute de difficulté et d'espièglerie, Monsieur Rostand la fait, presque tout le temps, et avec tous les nez du couplet des nez de l'homme de Bergerac.
Mais, vraiment, gratter Monsieur Rostand, pour trouver le rhétoricien, il n'y faut pas grande malice; nous avons mieux je veux parler du MM~~Ma~cien qui se cache sous le rhéteur; cela est plus subtil, mais non moins vrai. J'entendais, un jour, un fin critique prononcer le nom d'Inaudi, à propos d'un écrivain de ce temps la comparaison, suivant moi, n'était pas tout à fait exacte, en ce qui concerne l'auteur qui l'amenait, tandis qu'appliquée à Monsieur Rostand, elle se vérifie. Certes, il y a du don naturel de l'homme qui fait, de mémoire, les plus avaricieuses soustractions, les additions les plus profitables, les multiplications les
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plus avantageuses, les divisions les plus intéressées, en un mot, de tête, sans blanche craie et sans noir tableau, tous les calculs les plus forcenés, et jamais exposés au terrible « il faut qu'il recommence » de Banville il y a de cette prodigieuse désignation pour et par le nombre, dans l'arithmétique des syllabes dont nous étonne le père du merle Galipaux, à laquelle il ajoute une algèbre de rimes occupée à chercher l'x du scops et l'y de Kakatogan(r), sans oublier une géométrie toujours prête à résoudre le carré de l'hypoténuse du verbe et le pont-aux-ânes des métaphores.
Lisez l'engueulade du Coq au Merle, publiée par le Matin à ce point de vue, elle est extraordinaire. Je l'ai dit d'ailleurs, ce dernier rôle peut être tenu pour un alibi qui permet à l'auteur de désavouer cette portion de son caractère. Les morceaux reproduits par le Figaro et par le G~M/o~, d'un lyrisme moins trépidant et plus grandiose, n'en continuent pas moins d'obéir à ces lois de (i) Le perroquet-poète, toujours à la recherche d'une rime nouvelle, dans le « Merle Blanc x de Musset.
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mathématique verbale qui, même dans les meilleures minutes, paraissent toujours maintenir au mètre de Monsieur Rostand, quelque rapport avec le système métrique. C'est inexorable et par suite un peu opprimant. Il y a une preuve, à la fin de chaque rime, un ~n'o~, à l'extrémité de chaque tirade, et un C. Q. F. D. au bout de chaque morceau.
« Les raisins de Paris sont des grappes de bulles. » dit Chantecler, dans une de ses apostrophes et l'un de ces vers bibelots où il excelle les grappes de vers de Monsieur Rostand ressemblent à ces bulleslà, mais ce sont des petits ballons multicolores, retenus au sol par un fil, quand ils allaient s'élancer vers le ciel.
J'aimerais bien, (je le désire même tellement que j'espère l'obtenir) ne pas faire ici la sotte figure d'un modeste confrère vaniteux que trouble bêtement la fulguration d'un grand premier rôle; il n'est question, depuis quelques jours, que de crapauds baveurs, et de hiboux envieux, sans compter le reste; je note que la chauve-souris, bien que nocturne, a été exemptée de ce symbolisme haineux elle le mérite par sa persistance à sortir de l'ombre pour admirer les flambeaux. Mais enfin,
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une chauve-souris, à cette heure de métamorphoses, en peut subir de singulières quelqu'un faisait dire, l'autre jour, à Monsieur Rostand, dans une interview, qu'il sentait les chacals s'approcher dans l'ombre on peut supposer qu'ilvoulait parler des critiques or, deux directeurs, que je me plais à croire avisés, m'ont chargé de cette mission, et je souhaite donner raison à leur choix en témoignant de quelque sagacité, unie à plus de courtoisie. Et puis, je me souviens du « ne forçons point notre talent » les chacals, certes, c'est déjà beau, mais il y a mieux. Aux heures graves de l'inondation, un journal écrivait sérieusememt, parlant du Jardin des Plantes « on craint que les crocodiles ne s'échappent )) II y a eu la tigresse de Marseille celle-là se serait, sans doute, montrée tendre pour Monsieur Rostand, mais que serait-ce, auprès des crocodiles de Paris, et que ceux-ci transposés dans l'ordre de la confraternité littéraire ?. Notre ambition, notre pouvoir ne va pas jusque-là d'appliquer à un tel Tamino, la première indication de scène, qui m'a toujours fait frémir, dans l'étonnant livret de la Flûte Enchantée « il entre, poursuivi par un crocodile ». Il faut se résigner, n'est pas crocodile qui veut contentons-nous donc de remplir, de notre mieux, notre métier de chacal.
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Les deux morceaux qu'il est déjà de mode de vanter comme les meilleurs de l'ouvrage dont nous nous entretenons, sont, l'un, celui que l'on nomme « l'Hymne au Soleil » et, l'autre, celui que l'on pourrait appeler la révélation du secret ce dernier me paraît infiniment, j'ose dire qu'il est infiniment supérieur à l'autre, pour des raisons qui n'échapperont pas, un instant, à ceux qui savent lire, mais parmi lesquelles il en est une qui a son imaportance. Il faudrait être de mauvaise foi pour incriminer Monsieur Rostand, de plagiat, et, j'ai du moins ceci pour moi, je suis de très bonne foi ce n'est donc pas cela que je veux dire. Non, seulement l'écrivain possède l'oeuvre de son Maître au point d'en être évidemment imbu et pénétré, saturé jusqu'aux moëlles; il lui arrive alors volontairement, ou non, d'y faire allusion et d'en varier les thèmes, au cours de ses propres vocalises c'est ainsi que ce fameux Hymne au Soleil, contient, à lui seul, trois rappels de l'oeuvre de Victor Hugo, deux tout à fait nagrants et un troisième un peu plus distant.
Il est probable que le plus beau vers de Victor Hugo est celui-ci parlant du Ca!Mr la Mere « Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier. »
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Or, voyez à la deuxième strophe de l'Hymne, la lumière qui
« Se divise et demeure entière
Ainsi que l'Amour Maternel. »
Quatrième strophe
« Tu fais un étendard en séchant un torchon » Comment ne pas penser aux « Choses écrites à Créteil Hj à la « femme qui, dans la Marne, Lavait des torchons r~t'eu.'c. a
Septième strophe
« A chaque objet donnant une ombre
Souvent plus charmante que lui. »
Bien que plus dissemblable, cela ne vous fait-il
pas penser à ce vers d'Hugo, dont je m'excuse de citer, de mémoire, peut-être inexactement, le premier hémistiche ?
« Et le jour est si blanc que les ombres sont roses. » Soit dit en passant, je sais quelqu'un qui a fait, il n'y a pas longtemps, un hymne au Soleil, vraiment très beau; personne n'en a rien dit. L'autre morceau, du moins à ma connaissance,
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n'est pas gâté par de telles similitudes et c'est une des raisons de sa supériorité.
Je ne pousserai pas beaucoup plus loin ce petit jeu qu'il suffit d'indiquer j'aurais grand honte de ressembler à l'homme décrit par Hello, et dont j'ai eu, « moi-même chétif », quelquefois à me plaindre, celui « qui compte avec soin les virgules dans l'espérance qu'il en manque une ». Non, l'oeuvre d'Hugo est le .!M~~M?K de la pensée de Monsieur Rostand, et c'est une des meilleures raisons de la beauté de cette pensée. Or, l'œuvre d'Hugo, je la connais je l'ai surtout connue assez bien mais je laisse à d'autres, plus familiarisés encore avec elle, le soin de poursuivre, si elle les amuse, une recherche qui, redisons-le, n'a rien de déplaisant pour personne. Monsieur Rostand prend ses images où il lui, plaît s'il les renouvelle avec ingéniosité et brio, qui pourrait s'en plaindre ? Ni l'Aieul qui sourit, au contraire, du fond de l'ombre, à voir renaître, selon sa belle expression, « plusieurs petits fantômes de luimême », ni le public heureux de choyer sur l'arbuste. après les avoir admirées sur l'arbre, des flores aux coloris consanguins, aux parfums amis ? Encore, une de ces fleurs doubles vous vous souvenez du peigne de bois
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« Qui garde entre ses dents les cheveux des pelouses », dans le drame de Monsieur Rostand. Il me plaît tout autant que ces arbres qui, dans tel poème de Victor Hugo, « se font signe de loin
Joyeux d'avoir peigné les charrettes de foin. » Et puis, il y a les rencontres des beaux esprits, dont il faut tenir compte.
Quand le canard donne sa raison de ne pas aimer le coq, parce que n'ayant pas de toiles entre les doigts,
Il fait en marchant des étoiles
une telle raison, qui est laide d'inspiration, est belle d'apparence. La preuve, c'est qu'elle nous fait penser au vers de Gautier
« Les pas étoilés des oiseaux ».
Enfin, quand le bon Patou risque cette appréciation sur le vêtement du merle
« Être noir, c'est avoir, à coup trop sûr, du goût » cela ne vous fait-il pas aussitôt ressouvenir d'avoir
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lu, dans Balzac « le noir, l'éternelle élégance des gens qui ne savent pas s'habiller » ? ?
Je voudrais bien aussi, en faisant ces réserves, ne pas être accusé de manquer de patriotisme. Car cette plaisanterie a été faite, et cela, c'est vraiment le plus extraordinaire de ce dont nous a offert l'étonnement, ce processus extraordinaire. Je pourrais citer un article, signé d'un nom connu, où cette nuance s'accuse, et j'en ai lu d'autres; cela mérite qu'on s'y appesantisse essayons de le faire sans trop de lourdeur. Qu'est-ce que cela veut dire ? En quoi le patrimoine national d'un passé d'art magnifique, et d'un riche présent littéraire, serait-il atteint, parce que le dernier chef-d'œuvre de Monsieur Rostand ne le serait pas au premier chef, puisque le bagage de Monsieur Rostand lui-même n'en serait pas diminué ? Ce dernier retournerait tout simplement dans sa solitude, peuplée et meublée, je veux le croire, sans plus d'émoi, et se remettrait au travail cela lui est arrivé déjà sa cantate de Compiègne a fait sourire, dans un sens qu'il n'avait pas prévu cette mésaventure ne l'a pas empêché de composer un beau poème sur l'enfance de Victor Hugo, avec lequel il a, sans doute, au contraire, voulu dédommager et qui, je crois bien, représente le plus important du fonds
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extrêmement restreint, en tant que poète, de cet auteur qui (dix-huit, sur vingt, paraissent l'oublier) est un auteur dramatique.
Tout le monde peut se tromper, ce qui n'est d'ailleurs pas tout à fait le cas. Le célèbre résurrecteur de Cyrano vient de donner un nouvel ouvrage que les uns jugent inférieur aux anciens, les autres, supérieur, excellente façon d'indiquer qu'il se maintient cet ouvrage,- s'il se déroule en une forme qui paraît être irrenouvelable, offre au moins du nouveau dans sa donnée, c'est donc mieux. Monsieur Rostand peut rentrer joyeux dans son Arnaga, sur son triomphe moyen ou, s'il l'aime mieux, comme je le ferais, moi, sur sa magnifique défaite; mais y fût-il rentré, battu et simé, son contentement n'aurait pas dû sembler moindre et, le pedigree de l'art Français, pas davantage pas plus que le trésor de l'art Italien ne paraît amoindri, quand un drame de d'Annunzio ne rencontre pas chez ses compatriotes le succès attendu, pas plus que la belle gaîté de Monsieur d'Annunzio lui-même, que la lutte exalte et féconde.
Quelques exemples un, d'abord, parmi tous, notable Monsieur Anatole France, qui a écrit le Chantecler des Pingouins, enchaîné des contes excellents, fait sourire la philosophie de Bergeret,
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employait, en outre, plus de vingt ans de son existence à tramer une tapisserie héroïque pleine de heaumes et de cuirasses, de lances et d'épées, de bannières et d'oriflammes, laquelle se déroule comme des ~M~t et nous fait revivre la vie d'un siècle lointain comme si elle était d'hier Monsieur France, il y a quelques mois, est allé parler de Rabelais, aux Argentins, un événement qui aurait pu passer pour national. Le fait n'eût-il pas dû sembler, à beaucoup, plus important que la première de Chantecler ? Il est demeuré quasiment inaperçu, dans une proportion qu'on n'aurait pas cru possible. Un jeune secrétaire, qui faisait partie du~voyage, a d'abord envoyé, de quelques escales, des notes de route que plusieurs, parmi lesquels je me range, suivaient avec passion ces notes elles-mêmes ont cessé, dans le moment où elles devaient conclure; je n'ai rien vu d'autre, et j'ai cherché; poursuivons.
Voici maintenant Monsieur Bataille. Gardonsnous de nous permettre l'exercice qui consiste à jouer aux prix d'excellence, et de supputer si ce penseur amer et tendre, cet artiste émouvant et raumé, est, ou non, le premier des auteurs dramatiques contemporains il occupe une place unique, cela lui suffit. Eh bien nul n'ignore, à commencer
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par lui-même, que Poliche n'a pas remporté le vif succès de Afa:MMM CoM~ et que La Marche nuptiale n'a pas atteint le triomphe de La .F~K;M Nue ou du Scandale. Je ne pense pas que ces divers étiages du goût public, aient le moins du monde affecté Monsieur Bataille, et je m'honore de le connaître assez pour ne pas douter qu'il ait même cette élégance de ne pas chérir davantage un ouvrage qui ait moins réussi non, il va son chemin, poursuit son œuvre et sourit doucement. Et il y en a d'autres, plusieurs autres, qui font de même dans le patrimoine de la littérature. Monsieur Loti ajoute à ses antérieurs prestiges, ce tour de force de donner, en pleine maturité, d'une carrière de rêve, un livre de sociologie Orientale, lequel se trouve annoncer presque prophétiquement ce qui allait advenir. Monsieur Barrès parachève avec une magnificence voilée, une œuvre pleine de poésie et de pensée, de force et de charme, de délicatesse et de profondeur. Monsieur Mirbeau, s'il n'a pas connu avec Le Foyer (écrit en collaboration avec Monsieur Natanson) une faveur. tout à fait égale à celle qui accueillit sa pièce précédente, aura du moins su associer à ce beau succès, plusieurs victoires ayant bien leur prix, remportées contre la mauvaise volonté et les mauvaises
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querelles; et, entre temps, il produisait un livre étonnant, lequel montait aux nues. Monsieur Hermant, lui, a donné, dans la Discorde, après tant d'écrits prestigieux, sans doute, le roman le plus étonnant qui ait paru depuis bien des années Monsieur Paul Adam poursuit, aussi, lui, son cours égal de fleuve, qui n'inonde pas, mais roule, calme, des reflets de paysages et de ciels, de cités et d'âmes. Monsieur de Curel se taît, mais on respecte ce silence d'où l'on sait, l'on sent qu'il doit sortir de nouvelles paroles qui trouveront leur voie. Monsieur Lavedan prouve qu'on peut rencontrer un parfait écrivain et un vrai lettré dans les Jardins d'Académus, et Monsieur de PortoRiche témoigne qu'il n'est nullement impossible d'admirer, hors de ces mêmes jardins, un auteur auquel l'art dramatique Français doit du meilleur de ses flores. Tout cela, et beaucoup d'autres choses, certes, grossit le patrimoine national, assez constamment, pour que même un à jamais improbable insuccès de Monsieur Rostand, ne fasse vraiment rien. Becque n'a guère connu que l'insuccès et on sait la figure qu'il fait dans le marbre de Monsieur Rodin et le patrimoine national. A propos d'aucun de ces écrivains; et je les en félicite, on n'a écrit qu'un fléchissement momen-
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tané de leur production, attenterait au lustre d'un pays dont la littérature, il me semble, ne leur doit, pas moins qu'à Monsieur Rostand, de grâce et d'actions de grâces.
On sait aussi d'où cette prédilection presqu'unanime est venue au méridional aède on lui a su, gré de la résurrection du panache qui s'est regretté sur la plume des Trois Mousquetaires, laquelle je ne dis pas fléchissait, mais manquait de brins. C'est alors que prit naissance l'essai de coopération familiale dont nous avons parlé, tentative bien intentionnée, je n'en doute pas, ingénue, mais peutêtre abusive et, finalement dangereuse, tout un groupe convaincu d'ajouter à l'éclat de l'astre central, avec son propre rayonnement, et ne faisant, que détourner l'attention, sans profit pour personne le beau vers de Victor Hugo que Monsieur Rostand a varié, et que nous citions plus haut, toute une pléiade paraissant l'appliquer au succès, dont on prend sa part, sans le diminuer et tout ce monde pipeautant à qui mieux mieux, un verbe que ne saurait juger non, grammatical,
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l'auteur qui vient de doter notre syntaxe du verbe «moineauterN.
Il en résulte, pour nous, une minute et une tâche délicates, celles de parler d'un personnage qui joua le premier rôle dans ce second plan, trop souvent peut-être avancé au premier. Quand on songe, en effet, au nombre de portraits publiés, de Madame Rostand (sans nul doute arrachés aux photographes, malgré les résistances du modèle) et que les traits de Madame Michelet, qui écrivit une partie de l'admirable MoK~M, nous demeurent pour ainsi dire inconnus, tant de collodion peut sembler intempérant mais le daguerréotype a marché. Heureusement, Rosemonde Gérard étant femme de lettres, on est en droit de parler d'elle sans manquer de réserve.
« Quels mots effeuiller aux pieds de Madame Rostand ? », écrivait, l'autre jour, un thuriféraire, ce semble, emballé mais, j'imagine, si l'on veut qu'ils ne déplaisent point. à une personne qui doit s'y connaître, des mots qui ne fleurent pas ce fumet douceâtre; un peu plus de menthe sauvage et de citronnelle.
Aussi bien, viens-je de lire, de l'auteuresse des P~MM~, une interview qui me paraît très supérieure aux strophes en l'honneur des « Gros Din-
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dons » et des « petits canards frétillards » qui « gougloutent » ou cancanent sur tant de magazines, et font obstinément cortège, au cours de bien des pages, aux « cochons roses » d'un illustre époux, donc, bien longtemps avant Chantecler, occupé à suivre les ébats du bétail, dans des solitudes champêtres. Tout du long de cette interview (et je n'en doute pas, en toute sincérité d'esprit), Madame Rostand parle comme si elle était la femme de Shakespeare. Au reste, s'il existe une personne chez laquelle une telle opinion puisse ne pas.paraître exagérée, n'est-ce pas bien celle-là ? Elle avance, elle affirme que, pour sa part, si la chose avait été nécessaire, elle aurait tout fait pour détourner Monsieur Rostand du triomphe retentissant et facile que lui aurait assuré une réapparition portant un drame de cape et d'épee; non, elle i préfère lui voir obtenir, d'éléments nouveaux, une approbation moins universelle il n'est personne qui ne doive rende justice et hommage à une telle façon de penser. Afin de ne pas paraître trop restrictif, citons maintenant quelques opinions de presse, choisies entre celles qui ne manquent de mesure, ni dans le dosage de l'encens, ni dans celui de l'absinthe. Nous avons lu des félicitations officielles, d'au-
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tres officieuses, les premières dénuées de persuasion, les secondes de retenue au-dessus d'elles, à son habitude, Monsieur Léon Blum a su exceller en mêlant l'équité à la bonne grâce. Si je fais choix de brèves citations dans un des innombrables écrits qui sont venus déferler sur ce rivage ornithologique, c'est qu'elles me paraissent contenir, sans doute avec un peu de rudesse, préférable à d'écœurantes fadeurs, quelques graines de vérité à picorer en passant. L'auteur de l'article parle de la façon dont l'interprète actuel du rôle de Chantecler lance « telle tirade d'un gongorisme insupportable qu'aurait fait applaudir, prodigieuse et roublarde, la verve d'un Coquelin aîné » et il ajoute, songeant à d'autres rôles joués naguère par le Coq d'aujourd'hui « la prose qu'il disait alors était plus large, plus chargée d'humanité, de tendresse profonde, que les vers d'un lyrisme facile et d'un comique laborieiix de Monsieur Edmond Rostand. » Puis, à propos d'un chant de rossignol, harmonieusement perlé par Mademoiselle Mellot, ce passage « alors seulement, on a perçu un peu de sublime, parce qu'une voix de femme chantait » et l'article conclut « interprétation, en somme, excellente, de ce « Chantecler » clinquant dont il fut tant parlé, qui avec moins de faux esprit et plus de sensibilité
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véritable, eût été l'oeuvre remarquable qu'il n'est pas. »
Encore une lois, ce jugement est dur, il sied de l'atténuer mais on peut faire, dans sa direction, des reconnaissances précieuses. Voici, par exemple. le mot clinquant, s'il vous choque, autant que moi-même, tirez-vous en avec un à-peu-près, ils sont à la mode, et dites-vous que ces concetti, dont abonde le texte de la pièce, ne sont pas loin de ressembler à ces confetti qui vous aveuglent, certains jours de liesse et que si ces confetti devenaient tout à coup des paillettes dont ils ont la forme, ils vous offriraient avec le mot pailleté, une image aussi exacte que celle du chroniqueur, en même temps que plus aimable.
Des « Impressions d'artistes » ont aussi été publiées les réflexions qui précèdent celles de Monsieur Guitry donnent terriblement à rénéchir « on sait avec quel art unique, Monsieur Lucien Guitry a joué Chantecler et il semble qu'on n'ait pas assez rendu justice à la tendresse, à l'émotion, à la vérité admirable, à l'humanité profonde qu'il a répandues dans ce rôle difficile et tout fait
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d'ar~cM. Il a soumé de l'âme dans le coq en car/c~<e de Monsieur Rostand. Tandis que presque tous les autres acteurs déclamaient, chantaient, insupportables et boursouflés, il a été l'artiste dont la simplicité atteignait au grandiose. Monsieur Rostand doit beaucoup à Monsieur Lucien Guitry; aucun artiste, aucun, n'aurait pu lui apporter une aide plus précieuse tant et tant d'hommes ont dû l'encenser diversement qu'il n'est plus sensible aux compliments les plus sincères. »
Ce trait nous rappelle qu'ailleurs nous avons lu cette phrase « entouré d'une petite cour idolâtre, bercé par les louanges de trop dévoués amis, prenant au sérieux les formules enthousiastes de quelques politiciens qui se croient lettrés a tout cela est assez intéressant parce que, sans douceur, ce ne paraît pas non plus sans rapport avec la réalité.
Je suis étonné qu'on ait simé la scène des crapauds si l'on voulait siffler quelque chose, il fallait mieux choisir. Tout de même, il y a, dans l'œuvre du Maître de Monsieur Rostand, un papa crapaud qui « en bouche un coin-coin » à ces fileurs de fiel. Mais il en existe une espèce toute différente, celle des tisseurs de miel; ceux-là sont bien plus dangereux Monsieur Rostand fera bien
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de s'en méfier si, par hasard, il s'en rencontre dans le pays basque ils se haussent, on ne sait comment, jusqu'au sommet de l'arbre, et noient le rossignol dans la glucose.
Quant à ce qui est du jeu de Monsieur Guitry, on ne saurait assez y revenir, et Madame Séverine, entre autres, l'a bien exprimé les reproches que plusieurs lui adressent, justement ou non, viennent de ce qu'il est supérieur à son rôle alors, à quoi bon ajouter rien à une réflexion qui, du premier coup, lui rend tant de justice ? Mais certain sonnet, dit des « Toi, tu. » dédié, dans le même temps, à l'ombre de Coquelin, n'envoie pas dire à Monsieur Guitry, que tel n'est pas l'avis de l'auteur.
Après l'interprète, le rôle, après Monsieur Guitry, Chantecler, maintenant. II y a des mots, des noms, qu'on se garderait de prononcer, dans une discussion, si l'interlocuteur ne commençait point c'est ce qui m'est arrivé nouvelle difficulté dont je vais essayer de me tirer. Monsieur Marcel Prévost, au lendemain du sombre échec de « Pierre et Thérèse M, qu'il nous offre en guise de bienvenue académique, prétend que les triomphes de Mon-
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sieur Rostand empêchent de dormir les bons petits confrères. On peut, du moins, supposer qu'il s'agit de cet auteur, car Monsieur Prévost ne le nomme pas faut-il en conclure que nous devons le ranger parmi ceux que Monsieur Rostand exempte de sommeil, ou que le souvenir de « Pierre et Thérèse » suffit à prolonger l'insomnie ? Ceci pour nous amener à la terminologie incriminée. Un autre articlier s'est offert et nous a offert le luxe facile de prononcer le nom de Vadius, à propos de possibles jaloux de Monsieur Rostand; c'est à la fois direct et vague, simpliste surtout; le nom pareillement Molièresque, appelé par cette interpellation (je sais que je vais dire une chose énorme !) ne pourrait-on l'appliquer un peu, un tout petit peu, au personnage de Chantecler ? Qu'est-ce, en effet, qui caractérise le type de Trissotin ? (Voilà le gros mot lâché !) Un immense contentement de soi, malheureusement sans motif; quand donc nous aurons dit que la satisfaction de lui-même éprouvée par Chantecler est, celle-là, motivée, cela retirera beaucoup d'amertume à la réflexion qu'il pourrait bien tout de même y avoir dans ce Coq, un brin de Trissotin, lorsqu'il nous parle de la certitude où il est de sa nécessité, de son génie et de son officialité; mettons
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alors, et n'en parlons plus, si toutefois de telles rencontres de mots et d'idées peuvent s'accorder, un Trissotin de génie.
Ah que le vrai mérite est donc loin d'une telle façon de parler de soi J'en veux pour preuve ce mot charmant de Monsieur France. Un jour, je ne sais plus qui le comparait à quelqu'un que ce Maître n'admirait pas; il répondit avec douceur <' c'est un homme qui n'a pas de talent, tandis que moi j'en ai un peu » sage leçon pour les gallinacés qui se plantent sur les pavois, plutôt que d'attendre qu'on les y porte.
Après le rôle, la fiction celle-là peut se discuter, mais aussi se défendre que la conscience obscure des animaux puisse sembler plus près de livrer son mystère, quand elle inspire un Kipling ou un Andersen, cela est probable leur faire vendre la sagesse, rendre la justice et d'ingénieux oracles, par la bouche de La Fontaine, peut aussi paraître mieux de leur ressort que leur faire dégoiser de critiques facéties Aristophane l'a néanmoins tenté et réussi; les faire parler de basochiens et de loustics, de Kant et de Chénier, de Rivarol et de Toussenel, cela, c'est le triomphe de Monsieur Rostand, un triomphe qui ne va pas sans conteste, mais pas non plus sans droits.
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Ce qui fait que l'on s'entend mal, dans les discussions à propos de Chantecler, c'est que l'on ne dit pas toujours ce qu'il faudrait dire, et que l'on dit souvent ce qu'il ne faudrait pas; j'en citerai deux spécimens typiques, l'un, d'observation particulière, l'autre, d'observation générale. Voici le premier après de courtes citations qui ne contiennent pas, à beaucoup près, les meilleurs morceaux de l'ouvrage, un chroniqueur ajoute que cette œuvre renferme quelques-uns des plus beaux vers de la /aK~ française; si le commentateur voulait risquer cette appréciation hasardée, mais, en somme, libre, il aurait dû faire, dans ces quatre actes, un choix plus réfléchi, qui était facile. L'observation générale, maintenant d'autres articles affirment que la réussite de Chantecler représentera la victoire du goût; j'avoue que ce jugement me paraît, entre tous, contestable. Le goût est une chose très spéciale, qui peut ne pas manquer à certains talents imparfaits et faire défaut à deplus sûres maîtrises; Wagner avait tout le génie possible avait-il du goût ? Ce n'est pas par lui que brillait Rubens Whistler et Stevens en avaient, et Monsieur Sargent qui est un grand peintre, n'en
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a pas on peut, on doit reconnaître à l'art de Monsieur Rostand, quantité de qualités, on peut lui contester celle-là. Quand Monsieur Léon Daudet affirme que le talent de Monsieur Rostand est « petit, mais certain », il pourrait sembler injuste si, connaissant que cela ne peut être, on n'interprétait sa pensée. Il veut dire, sans nul doute, que l'énorme talent de Monsieur Rostand apparaît précisément diminué il force d'être excessif ses images sont multiples et ingénieuses, ses formules brillantes et belles, son lyrisme un peu artificiel, tout de même entraînant; mais, encore une fois, si un spectateur sincère, judicieux, bien intentionné peut, doit emporter, de la représentation de Chantecler, beaucoup de valables impressions, les minutes qui laisseront à ses yeux et à ses oreilles le souvenir du goût ne me semblent pas devoir être les plus nombreuses. Et, disons-le bien vite, il ne s'agit pas ici de l'affreux « bon goût » justement stigmatisé par Victor Hugo, dans la pièce qui débute par ces vers
« Le bon goût, c'est une griHe
non, comme l'huissier-pie annonce simplement le Coq, énonçons simplement le goût.
Il n'en est pas de même de lavirtuosité; celle-
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là, forcément un peu sèche, n'en est pas moins toujours surprenante et, presque tout le temps, étourdissante; l'auteur s'y divertit lui-même, au point de briser son vers, pour en faire reluire les facettes, de le « concasser » avec le « marteau d'or » qu'il plaçait naguère aux mains de Catulle Mendès; c'est de la sorte que son poème se subdivise en fragments irisés et miroitants, assez pareils à ces pièces d'un casse-tête chinois burgauté, dont les losanges, les triangles et les carrés s'ajustent à merveille, et qui divisent l'attention entre la symétrie de leur découpages et la diversité de leurs ornements.
Encore un détail, plaisant, celui-là. On sait que Monsieur Rostand ne se montre pas tendre pour les paons qui fréquentent chez Philamintade or, son fils, les journaux nous l'apprennent, se pavane et roue chez Mesdames de Baye et deRohan. Moi, qui suis doux, je prie le Ciel d'épargner, à ce jeune homme, auquel je ne veux que du bien, la Marquise de Saint-Paul qui, chacun le sait, présente en liberté le Canard de Barbarie du piano mais comment s'en tire le Papa, pour concilier son esthétique littéraire et sa logique paternelle ?.
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Le plus grand défaut de Chantecler c'est d'avoir été écrit il y a sept ou huit années s'il avait pu être achevé et représenté sans tarder, outre qu'il aurait été moins surchargé de beautés apprêtées, le public, non exaspéré par une trop longue attente, lui aurait fait un accueil plus franc; le tenant pour le grand intermède fantaisiste d'une veine qui se repose, on lui eût attribué un rôle épisodique dans l'œuvre del'auteur, dont il aurait représenté, je ne dis pas l'aliquando dormitat mais l'aliquando subridet.
Il n'est plus question de savoir si C~K~c/~f s'appellera ou non Déchante-clair, s'il avait raison, le critique notoire qui le qualifiait tout bas de « .fM~/MM enfantillage », et s'il avait tort, le public gouailleur qui avait, d'ailleurs drôlement, déformé d'avance, à son intention, le titre de la plus célèbre des fables du Bonhomme. Ces poules, que l'on chargeait, depuis tant d'années, de fixer la date de la « première », viennent de prouver qu'elles avaient vraiment des dents je le dis sans rire en voulez-vous une preuve ? Après avoir attendu six ans, elle n'a pas attendu trois hémistiches lisez plutôt le premier vers de Chantecler: « que croquez-vous ? se disent, entre elles, ces poulettes. Comment, l'opération de croquer pourrait-elle
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être accomplie autrement que.par des crocs, comme celle de becqueter, appartient au bec ? Je n'aime pas non plus beaucoup les pieds des coqs, ni les doigts des canards comme il ne saurait guère s'agir ici d'impropriété d'expression, l'auteur a probablement voulu rappeler que ses personnages étaient mi-partis animaux et humains.
Tout cela se noie dans la série à la rouge des représentations en marche vers les millions. et les millièmes; il y manquera sans doute, l'élan populaire, pour lequel on avait préparé tant de bibelots estampés du Coq, lesquels s'enlèveront moins vite que leurs fabricants n'avaient espéré on ne peut pas tout avoir. II est même à craindre que certaine flanelle qui se réclame de ces plumages, entre les couvertures de l'Illustration, ne fasse pas ses frais. De là, probablement, quelque rancune constatée, dans les classes moyennes, envers l'auteur de C/MKtecler, et qui tempère l'application qu'il pouvait, jusqu'ici, se faire, du vers de Chénier, sur la bienvenue dans chaque regard souriante. Elle reviendrait, un jour que l'enfant gâté d'hier rapporterait, à son peuple, pour se faire pardonner ses beaux écarts, un Don Quichotte haut sur pattes ou un Polichinelle haut en couleur. Plusieurs déconvenues de son aventure actuelle vont servir l'artiste;
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il se reprendra et accomplira cette fois, son. chefd'oeuvre, à la condition pourtant qu'une grave confidence enregistrée par un courriériste n'ait pas le sens qu'on pourrait lui donner. « Encore une calomnie. » dirait Monsieur Rostand; et il faut espérer que cette fois, il aurait raison oyez plutôt « j'ai un principe, je ne lis que les articles signalés par les miens, les articles qui en valent la peine. j'ignore les autres, je les ignorerai toujours. » Qu'est ce que cela signifie ? En effet deux interprétations sont possibles. Quels sont, aux yeux de Monsieur Rostand et des siens, les articles qui en valent la peine ? Est-ce ceux qu'on appelle des ~/M~mM~, de ces douches stimulantes, à la fois révulsif et réactif, de ces bonlles pintes de stiptyque empêchant le trop de complaisance envers soimême, et maintenant le sens critique dans ce désirable équilibre entre le trop de confiance et le trop d'hésitations (i). Alors, vive la parenté! Mais. avouez qu'il faudrait en rabattre sur ce cri, et le remplacer par une nouvelle citation du « nul n'est
(i) Le passage fut écrit en 1910 voici ce que Monsieur Rostand écrit aujourd'hui, en tqi}, et qui me donne raison, sans que cela paraisse lui donner tort Je suis convaincu que tout homme de lettres, dont l'orgueil est bien placé, lorsqu'il a dû subir les petites édaboussures des publicités intensive' est heureux de se débarbouiller dans un bon éreintement. »
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trahi que par les siens », si ces derniers ne jugeaient lisibles, fût-ce par un souverain, que les mots qui l'encensent. La Reine Victoria nous a donné ce triste spectacle, dans ses dernières années, lors de la guerre du Transvaal on lui marquait, au crayon de couleur, ce dont elle pouvait prendre connaissance sans trop d'amertume, et sa lecture se conformait à cet itinéraire. A vrai dire, elle était octogénaire et femme; Élizabeth aurait montré plus d'envergure. Mais Monsieur Rostand ? Outre que cela doit entraîner, le jour de la bombe, chez un /M~K7KM qui y attache tant d'importance, des déjeuners silencieux et circonspects, plus pénibles que la lecture joviale d'une franche engueulade, quel crime de priver un auteur des fortes leçons qu'elle lui tenait en réserve Si Chantecler nous destinait des beautés supplémentaires, nul doute que leur retrait ne soit imputable à cette réticence, et que l'on n'ait borné les communications à des lignes du genre de celles-ci qui, au moins, ont dû faire sourire celui qui les inspira « l'immortel auteur veut bien me recevoir OH )M'?'M~Kg /'a.~K~M~ N, évidemment, il faut ça pour s'enlever vers de si hauts étages.
Encore une fois, une seule chose peut sembler menaçante pour Monsieur Rostand, l'abus, autour
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de lui, du genre aflectueux (plus encore que du respectueux, le véritable respect, ce n'est pas cela) tendant à ne juger digne que du nom de bave, tout ce qui ne peut pas prétendre au titre d'encens. Quoi qu'il en soit, je me répète, chaque fois que je songe à Monsieur Rostand, ce texte Shakespearien qui me le rappelle, autant de fois que les lignes m'en tombent sous les yeux « Il cbante différents airs, plus vite que vous compteriez de l'argent, il les débite comme s'il avait mangé des ballades, et toutes les oreilles se tendent ~)OMr l'ouïr. M Mais qui oserait contester la supériorité de Monsieur Rostand sur ce personnage du grand Will, si, tout en mangeant les ballades et en débitant les airs, l'Auteur de C/MM~c/~ conserve encore assez de sang-froid pour compter aussi les places prises et les oreilles tendues ?
Les circonstances m'ayant amené à écrire plusieurs pages sur le propos de Monsieur Rostand, je profite de l'occasion, qui pourrait ne plus s'en représenter devant ma plume, et j'ajoute quelques réflexions supplémentaires quand il ne se trouverait qu'un lecteur pour goûter mes premiers
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aperçus dans ce débat, il me saura peut-être gré de cette addition finale; je travaille donc pour lui et pour moi, sans oser me flatter que ce lecteur prestigieux se disproportionne jusqu'à devenir Monsieur Rostand lui-même, puisque, cela est bien entendu, il ne prend connaissance que de « ce qui en vaut la peine. » (sic.)
Ces circonstances, elles m'ont induit à lire les œuvres de cet écrivain; j'avais assisté aux premières de ses pièces, dont j'ai même revu quelquesunes, mais là s'étaient bornés mon plaisir et mon effort la lecture a confirmé mes impressions anciennes, en y ajoutant des remarques.
Le moins bon, selon moi, des ouvrages de Monsieur Rostand, (je ne doute pas, d'ailleurs, que ce ne soit le premier en date) c'est la Princesse Zo~Mtaine les qualités et les défauts de l'auteur y sont en germe, ce qui est un tort, aussi bien pour les uns que pour les autres un défaut à son apogée peut offrir une forme d'intérêt; embryonnaire, il n'a de quoi se faire ni des partisans chaleureux, ni des adversaires passionnés. L'artificielde l'invention et le factice de la manière s'accusent à égalité dans ces quatre actes d'un pittoresque incertain et d'un symbolisme banal c'est une transposition de Tristan, laquelle se contente de placer
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sur la nef, l'amoureux dolent qui se tenait au rivage, tandis que l'amante, qui naviguait, séjourne maintenant sur la côte. Au reste, il faut borner à ce rapprochement, toute relation entre les deux héros de Wagner et les figurines du dramaturge Français, qui ne dépassent guère les dimensions de modèles de Chartran vêtus de velours frappé, et portant des fleurs artificielles. La virtuosité du jeune Maître, laquelle, plus tard, lui vaudra des enthousiastes et des détracteurs, se montre, là encore, balbutiante. Toute l'intrigue repose sur. une chanson, que le barde mourant veut, avant d'expirer, soupirer à sa distante idole, « une blonde, châtaine ou brune princesse » qui n'est qu'une sœur royale de « l'enfant blonde, brune ou châtaine » du pauvre Soulary, qu'on ne s'attendait pas à trouver, c'est le cas de le dire, sur cette galère. Le messager du voyageur brave lui-même la mort pour accomplir le premier cette récitation errante, et, finalement, si je me souviens bien, celle qui l'inspira de confiance, elle-même se la récite à son tour. On voit ce qu'un tel /~wo/~ aurait fourni au père d'Isolde mais celui de Melissinde, alors loin de sa maîtrise ultérieure, n'a composé qu'une faible et facile romance, qui s'acquitte mal d'expliquer tout le reste, et réduit l'infortuné Rudel à la
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taille d'un page sans élan comme d'un troubadour sans souffle. Depuis longtemps la rumeur amicale nous entretient d'une «nouvelle version », je ne dis pas destinée à corriger l'ancienne (ce que la rumeur amicale ne saurait admettre) mais à en accroître les beautés pourvu que le besoin d'une troisième version ne se fasse pas encore sentir, quand la seconde prendra son parti d'apparaître, si la réalisation de cette promesse continue de se différer Si l'on veut savoir ce que cette veine, non pas même transposée du profane dans le sacré, puisque la Princesse finit au Carmel, mais, cette fois, plus sûre de ses moyens, peut fournir de plus réussi à notre Auteur, il faut lire la Samaritaine qu'on la blâme ou qu'on l'aime, elle offre à juger, sous cette forme de son talent, tout au moins du Rostand adulte. Son plus grand défaut, c'est d'être du christianisme d'imagier moderne-style, et trop ingénieux, comme on en vit à Munich, notamment dans l'oeuvre d'un certain Marx auquel on doit une Sainte Face dont les yeux baissés semblent, par suite d'un artifice de modelé, s'ouvrir peu à peu et fixer le spectateur. Un tel procédé peut contenir de l'édification pour des dévotes de chapelle mais Léonard n'en eût point usé. Hello n'aurait pas aimé la Samaritaine.
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Venons aux deux grands drames de Monsieur Rostand.
Si c'est traiter un sujet de façon adéquate, je ne dirai pas que de le manquer, mais de ne le réussir qu'en partie, pour l'assortir à un modèle incomplet, à ce point de vue l'Aiglon est réussi n'oublions pas, en effet, qu'il s'agit du fils dégénéré d'un Grand Homme ses battements d'ailes ont le droit, presque le devoir, de nous apparaître brisés, comme ils le font.
C'est à propos de cette pièce que le titre de « Sardou du vers », donné à l'auteur, devient surtout motivé mais ce sont les parties les moins satisfaisantes de l'oeuvre qui justifient cette comparaison je veux dire le et la plaine. Le premier, épisodique, tout comme « le jour de la Pintade », n'offre pas du moins le divertissement de ce dernier. La scène de Wagram, elle, vise au sublime et n'atteint pas même le grandiose tout au plus un grandiloquent de commande et sans vrai pathétique ce qui peut consoler l'écrivain, de cette inégalité, c'est que son Maître en personne (il n'est pas ici question de Monsieur Doumic) se fût à peine montré de
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taille à réussir dans ses meilleurs jours, une conception à ce point ambitieuse.
Monsieur Rostand avoue, quelque part, que son labeur n'est pas aisé je le croirais volontiers, si j'en juge par certains défauts de ses figures de premier plan, hérissées de surcharges et d'ornements un peu postiches tandis que, parfois, ébauché en cinq ou six traits un rôle de second plan apparaît adéquat à sa légende et conforme à son personnage. J'en citerai, pour exemple, la Marie-Louise de l'Aiglon, rieuse au clavecin, passionnée à l'essayage, coquette avec ses courtisans, puérile avec sa perruche, inintelligemment dédaigneuse à l'égard des souvenirs de gloire, puis finalement, assez touchante, à la minute suprême. Ce ressemblant résumé d'un caractère, circonscrit dans une esquisse juste, m'avait frappé à la scène, et fait de même dans le livre (i).
Pourtant le public ne s'est pas trompé en exaltant Cyrano comme le chef-d'œuvre de son favori d'un moment cet ouvrage semble devoir représenter à jamais l'idéal du genre, qui est bien celui d'une dentelle de mots, mais d'une dentelle qui (i) La lecture des lettres publiée par la famille de Montebello confirme cette appréciation.
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serait découpée dans du métal. Je n'attache pas grande importance aux similitudes plus ou moins constatées entre les sujets ces réclamations-là se sont exercées de tout temps, et jamais à l'avantage de ceux qui les poussent loin même justifiées par des gains de procès, elles ne le sont pas par l'opinion finale, laquelle en vient toujours à prendre le parti de celui qui, même le second, fait triompher une donnée. Je n'ai pas lu l'ouvrage qui a motivé la condamnation, en Amérique, de Monsieur Rostand, et interdit, là-bas, les représentations de sa pièce. (Que de millions tenus à l'écart !) Je doute fort que celle-ci ne soit pas supérieure à celle qui lui vaut cet affront lointain. Il existe une nouvelle de Maupassant, je crois, qui s'achève sur une histoire de vieux billet doux reparu dans un bouquet, lui-même âgé de quarante années la fameuse lettre de Roxane n'apparaît-elle pas un peu cousine de ce poulet-là ? Qu'est-ce que ça fait ? D'aucuns prétendent retrouver, dans je ne sais quels anciens mémoires, le sujet des .RoMtaMM~MM à quoi les anciens mémoires peuvent-ils servir de meilleur qu'à inspirer de jeunes poésies ? 2
Les ressemblances des formules, celles-là plus graves, ne sont pourtant pas incriminables au point où le jugeraient les pédagogues convaincu d'un
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de ces parallélismes de langage, un des plus grands lyriques de ce temps confessa qu'il avait pris une réminiscence pour une inspiration, dont il avait assez du reste c'était si vrai que l'affaire s'en trouva jugée. En ce qui concerne Monsieur Rostand, le cas me paraît être absolument le même, aussi bien pour quelques exemples que j'ai cités que pour d'autres qui se sont révélés depuis. L'imagination de Monsieur Rostand (qui n'a pas comme son voisin Loti, le rare pouvoir et le difficile bonheur de ne pas lire) me semble devoir, par un phénomène, sans doute, inconscient, polariser de ses lectures, voilà l'expression qui convient oui, les résumer~ sans le vouloir, et sans même y songer, en un faisceau où parfois des rayons se détachent et sinon se font, du moins se laissent reconnaître, sans avoir l'air de le craindre ni de le désirer. C'est ainsi que Cyrano s'écriant < Non, non, c'est bien plus beau, lorsque c'est inutile 1 » se trouve mettre un bout de panache à la Muse du gentil « Ta'.f.MM~ » qui, elle, a écrit
« L'inutile, ici-bas, c'est le plus nécessaire. a
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Monsieur Rostand l'a évidemment tout à fait oublié, lorsqu'il s'en souvient.
Nul doute que cet esprit cultivé n'ait lu les « posthumes » da Baudelaire ce ne peut donc être par hasard qu'il écrit « déplaire est mon plaisir » cela est trop particulier et, surtout, bien particulier à l'Auteur des Fleurs du Mal, qui a formulé, lui, plus explicitement « plaisir aristocratique de déplaire ».
Quand la forme d'inspiration qui est celle de Monsieur Rostand, lui fait défaut, ce n'est plus qu'un équilibriste du verbe son échafaudage de mots se superpose, alors, comme celui des gymnates qui s'étagent une dizaine et se mettent à tourner et quand il semble que l'athlète de la base ne puisse plus supporter une paillette de plus, un gosse bondissant, jailli on ne sait d'où, sorte d'Euphorion du maillot, se met à grimper le long des fémurs et des tibias, et se plante au sommet de la pyramide humaine, pareil à la rose d'un gâteau de Savoie. Lisez les vers à Mendès, ceux à Mariani, même la réclame de l'Onoto celle-là, ce n'est que la cabriole d'un petit clown tout seul, mais la culbute y est bien je m'empresse d'ajouter que ces derniers morceaux sont certainement des jeux ou des blagues.
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La preuve que tout cela contient beaucoup de fortuit, c'est que je rencontre, dans une publication qui date de sept ou huit années, ces vers d'un poète que Monsieur Rostand ne peut guère avoir lu, ces vers qui s'inscrivent en regard de la reproduction d'un Versailles d'Helleu, et disent avec assez de grâce
Comme si la Diane eût blessé d'une étoile
Le cœur mystérieux et profond de l'azur.
Cela n'empêche pas que ne soit beau ce vers de Chantecler
« Ces blessures de feu qu'on prend pour des étoiles. »
Que l'art de Monsieur Rostand apparaisse émaillé de procédés, il serait aussi superflu de l'enregistrer, qu'injuste de le lui reprocher, puisque c'est en cela qu'il s'avère homme de ~&~ ces procédés, un familier ou un impoli (je ne suis ni l'un ni l'autre) les qualifierait, sans doute, de ficelles et de trucs; quoi qu'il en soit, il en est de charmants. J'en citerai un, qui reste tel, bien que l'auteur en use et abuse c'est quelque chose comme ce qu'on appelle, je crois, cabalettc, en musique, un retour de
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sonorités ramenées à dinérents intervalles gradués. Je ne parle pas du fameux « non. merci B lequel martèle tout le monologue qui lui emprunte son nom, mais un ressort plus harmonieux, employé, à beaucoup de reprises, par ce dramaturge ses lecteurs reconnaîtront facilement que je veux dire le triple « demande » du Sauveur à Pierre, et le « goûte » de ses disciples, dans ce passage que Monsieur Léo Claretie appelle élégamment « le couplet de la Cruche » (sic.) Ces impératifs commencent et commandent une fois le vers, puis reparaissent à son centre et le couronnent enfin. Il en résulte une cascade mélodieuse, agréable à l'esprit et à l'oreille. En voilà deux pour la Samaritaine. Pour l'Aiglon, en voici deux encore le « je déchire » du Prince et le « parce que je vous aime » de ses trois amoureuses et il y en a beaucoup d'autres; c'est un peu monotone, mais très plaisant, toujours.
Notons encore le coup du subjonctif ébouriffant, à la rime, amusant, mais abusif « que tu t'accoutumâsses, que vous ragusâssiez etc. »
Monsieur Rostand fabrique deux sortes de vers le vers rocailleux, auquel il semble prendre un plaisir extrême, et où il entrechoque des cacophonies telles que celles-ci « qu'un cœur qui con.H »
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Elles auraient enragé Veuillot, s'il les avait lues. dans un article sur Mozart et peut-être même sur tout autre sujet. L'autre sorte de vers est toute plaisante, elle sertit une image neuve dans une forme séductrice, comme celle qui suit, décochée au Cygne Noir
« Et vous n'êtes plus rien que l'ombre du Grand Cygne. » Au reste, cette idée de l'ombre est toujours favorable à Monsieur Rostand, et lui inspire de gracieuses choses. Vous vous souvenez, dans la Samaritaine, de cette ombre d'une feuille de figuier qui «Souligned'un doigt bleu quelque beau vers d'Horace. » Mais j'en relève de non moins inattendues, notamment dans un de ces jolis sonnets qui viennent de nous décrire supplémentairement le décor de chacun des actes, je lis
« L'ombre d'une framboise a l'air d'être une mûre. » Enfin, à l'issue de Chantecler, c'est encore la Faisane disant au Soleil « j'admettrai
Que tu marques ma place en dessinant son ombre. »
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Une fois encore, et cela m'a été sympathique, le souvenir du brave Coppée m'est revenu en écoutant Chantecler c'est quand le coq fait, à bon escient, sans nul doute, ce qu'on est convenu d'appeler un vers à la Coppée, un alexandrin résolûment ultra-prosaïque et spirituellement caricatural de la manière des ~M~M&f. Monsieur Rostand qui réaliserait, s'il le voulait, des pastiches en vers, égaux (et ce n'est pas peu dire) à ceux que Marcel Proust nous a donnés en prose, réussit d'avance le plus amusant de tous, quand, faisant faire à son hôtesse emplumée le tour du propriétaire, il lui décrit avec un juste dédain
a L'abreuvoir syphoïde en fer galvanisé. »
Certes, j'entends à merveille qu'il veut dire, en le décrivant ainsi, combien cet objet lui semble laid il ne saurait le dire mieux.
Monsieur France me contait avoir lu, un jour, sur une couronne funéraire d'un modeste cortège de notre quartier, cet alexandrin de même ordre « Le cercle des joueurs de boules de Neuilly » tout de suite, l'image du petit épicier et celle de son Patron se présentèrent à l'esprit du maître ce qui
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n'empêche pas Coppée d'avoir noté souvent avec vérité et, parfois, avec art, de très personnelles impressions, dans un genre qui était sien. Une chose qui m'avait échappé, à deux auditions de Chantecler, c'était ce que disent les chœurs bourdonnants je ne l'ai connu qu'à la lecture. Depuis, je me demande pourquoi l'auteur a fait se résoudre le murmure des guêpes en paroles beaucoup plus suaves que celles qui résultent du murmure des abeilles n'est-ce pas anormal ? Qu'a-t'il voulu dire? Que le travail sérieux se soucie moins des séductions extérieures ? Peut-être.
Ce caressant chœur des guêpes est, lui, calqué tout à fait nettement et très élégamment, sur le ravissant petit chœur des Trouvailles de Gallus « Les lutins dans les thyms les hautbois dans [les bois. » etc.
Mêmes vers de trois syllabes, composant des alexandrins qui riment, à leur tour, entre eux disons-le bien vite, le chœur de Monsieur Rostand n'est pas du tout moins bien réussi que celui de Victor Hugo.
Car, encore une fois, je ne fais ici que des constatations, un peu de critique dans le sens de tri des
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éléments et expression des préférences mais surtout pas de ~K~TfMMK~ systématique, sans rapport avec mes sentiments propres.
Comment pourraient-ils revêtir une autre forme que celle de la sympathie, vis-à-vis d'un auteur qui met en scène, avec les honneurs qui leur sont dus, trois de mes ancêtres; dans Cyrano, d'Artagnan et Gassion, et, dans l'Aiglon, la Gouvernante du Roi de Rome ? Or si, (à l'exception de mon chef de famille, un des derniers gentilshommes de vieille race et de haute culture), je n'aime guère mes parents qui me le rendent bien. et même qui commencent j'aime fort ce que nous nommons nos ancêtres, cette sorte de parents dépouillés de la familière inimitié des consanguins, et qui, s'ils existent encore ailleurs, admettent, ceux-là, de nous reconnaître des qualités, et les favorisent.
A cette gratitude généalogique, par moi reconnue au résurrecteur de mes ascendants, il s'en ajoute une autre, toute personnelle, qui ne m'est pas moins chère.
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Une chose encore qui m'a frappé, c'est le retour, sur plusieurs points de l'œuvre qui nous occupe, de cette idée de grandissement, qui atteint son maximum dans les propos de la Vieille Poule. Monsieur Rostand, qui, on le sait, il l'a dit, n'est pas sans ressembler à son personnage, a dû avoir une bonne vieille nurse qui se préoccupait de même de l'accroissement de son bambin amplifié cette préoccupation~ elle la lui a communiquée. « Cela me grandit » s'écrie Cyrano, lorsqu'il se sent l'estomac dans les talons et c'est aussi le jovial Flambeau, sorte de Patou de la Vieille Garde, qui, rappelant au Prince l'avoir connu enfant, dit encore « Votre Altesse a grandi ». La vieille nurse de Monsieur Rostand diraitelle « Il a grandi » après Chantecler ? Cet « après Chantecler M si longtemps attendu, ne fût-ce que pour publier les deux mille inédits de Madame, se montre-t'il à la hauteur de ce qu'on espérait de lui ? Certaines flexions des organes qui représentent le parti, laissent une hésitation à ce sujet. « J'ai écrit, depuis quelques années, de petites choses qui occupent, dans mon œuvre, une place infiniment moins importante, et auxquelles j'attache beaucoup plus de prix », fait dire à l'auteur le filet tendancieux d'un journal Rostandiste, qui ajoute
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que le Bois Sacré pourrait bien appartenir à ce groupe; aveu à retenir. Et voici l'oeuvre que va mettre en scène Madame Sarah Bernhardt, avec son génie habituel, passée au rang de petite chose, en même temps que de chose plus considérable que le mondial Chantecler, trompetté depuis dix ans par les clairons de la Renommée. C'est très mystérieux.
Baudelaire, qui réclamait droit de se contredire, n'admettait-il pas celui d'être !'KCOM.f~M~ ? Monsieur Rostand doit le requérir.
J'en vois trois raisons. D'abord, il fait d'un de ses acteurs empennés, dont le Philosophe de Gyp p cite les mots avec complaisance, l'oiseau-émissaire des allitérations et des assonances mais il aime celles qu'il fait et ne s'en prive pas le moins du monde il n'a pas tort. L'allitération est comme la muscade il n'en faut pas mettre partout mais « mise à sa place » elle n'en a pas moins « sa valeur ». Ah que le judicieux Patou fait donc bien de parler de pailles et de poM~w, et qu'il est amusant d'entendre parler du « Prince de l'adjectif inopiné » par le Roi du substantif abracadabrant Ensuite, à deux reprises, au cours de Chantecler, Monsieur Rostand s'insurge contre la glorification des artistes étrangers or, il a fait
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élever, dans son parc, une stèle à Cervantès et une autre à Shakespeare. C'est comme en famille, je l'ai dit, on n'aime pas ses parents, on aime ses ancêtres en littérature, on n'aime pas les voisins vivants. la Mort naturalise. Enfin, après avoir houspillé (d'ailleurs de bien gaillarde façon) l'excellente Pintade. il donne le plus illogique des exeat à son aimable cochet qui s'en va jouer les petits paonneaux chez tout ce qui pintadifie à Paris, dans le noir et blanc du papier et de l'encre. A présent, si Monsieur Rostand se montrait quinteux, cela serait-il bien surprenant, puisqu'il appartient au « genre irritable » ? Cyrano criait déjà « Je me bats Je me bats 1 » mais en réalité, se battait surtout les flancs. Chantecleraccuse un peu de bile chez Monsieur Rostand et, on l'a remarqué, c'est d'autant plus incroyable, quand il s'agit d'un homme à qui son pays et son temps firent pareille fête. Et pourtant, je l'ai parfois noté, les hommes et les femmes auxquels on fait une fortune extrême, sinon excessive, paraissent toujours manquer un peu de sécurité s'ils sont réellement intelligents, ils sentent, ils évaluent l'intervalle qui se creuse entre ce qui leur est dû et ce qu'on leur accorde, et que cet intervalle pourrait bien se creuser en fondrière.
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Cependant, c'est ainsi, Monsieur Rostand en veut de mâle mort aux blagueurs, aux Belges, (i) aux esthètes, aux snobs, aux rastas tout cela n'est cependant pas méchant. Qu'un fruit sec, un raté, aigri de son insuccès, s'en prenne à ces divers masques, de la popularité des autres, cela se concevrait encore mais ne pouvait-il pas se montrer plus indulgent, celui qui leur doit une part de son triomphe ? Ce n'est pas son avis. il fulmine à leur nom, il écume, à leur passage ses satires même en souffrent, la colère leur donne quelque chose de grimaçant qui les dépare. Pas une fois Molière n'a l'air irrité, même quand il bafoue et cela donne à son fouet une souplesse que n'a pas la trique de Monsieur Rostand. Je sais bien que « Chantecler, quoique illustre,
A gardé sa franchise implacable de rustre D.
Tout de même il en abuse, et moins encore, lorsqu'il a~a~ tout ce monde, que quand il lance son « ôte-toi de là que je m'y mette » à tout ce qui se permet d'élever la voix. Il ne me souvient pas que Walter raille le chant de Beckmesser pour exalter le sien, que sa sublimité seule situe (i) En 1911.
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et cela c'est le grand défaut de ce coq au lieu de tout simplement se prouver par ses notes, il s'explique, se démontre, fait son boniment « Je fais lever l'aurore, je défends la rose je chasse l'épervier je protège, on profite, on oublie et je me souviens. pour ne pas pardonner. )) Tout cela est-il donc si généreux ? Et qu'il ne nous donne pas, l'avantageux gallinacé, pour un trait de modestie, son exception en faveur d'un rossignol et son apparente humilité à l'audition des chants du bulbul. Quelque malin pourrait bien se croire en droit de lui répondre « Je te vois venir, beau masque II y trouve son compte et le moyen de se mettre en avant par comparaison pas trop désavantageuse
« On te faisait ici ce qu'on m'a fait là-bas » Un détail, à l'appui de ce dire. Ce détail est une dédicace composée, par l'auteur de Cyrano, à l'adresse de l'auteur de. beaucoup de chefs-d'œuvre. Cette dédicace, après avoir mentionné le nom de ce dernier, s'exprimait ainsi « Hommage à son génie et souvenir ~'a/~M/. » Notez ce fraternel suivant le mot génie. La maligne elle ne j'ïMC~'Ma~ pas, elle se coublait.
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Au reste, qu'importe tout cela, maintenant qu'on a inventé la critique chiffrée? Je ne plaisante pas, Barême remplace désormais Gautier, depuis qu'un grand journal du Matin, au lieu de signaler une nouvelle beauté, dans Chantecler, publie, tous les jours, sans commentaire, le chiffre de la recette 12.85o, 13.643, 14.937. Le malheur c'est que cette façon d'absolu n'a rien que de très n~ Eh que pourrait-elle offrir de probant ? Qu'on recherche les recettes des Corbeaux trouvera-t'on plus de 2.537, de 3.829. et cela signifiera-t'il que ces oiseaux-là valent moins que tous ces Houdan, ces Padoue et ces Crèvecœur ? Mais, quand il s'agit de Monsieur Rostand, les choses changent de nom, et presque de forme. Ainsi, par exemple, jusqu'à ce jour, et de même qu'il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, une poésie ne pouvait être qu'éditée ou inédite. Le chantre de Cambo ne saurait être, lui, tributaire d'une loi si commune ses inédits s'appelleront donc des « non recueillis », comme s'il s'agissait de ces parcelles d hostie que la patène poursuit pieusement et scrupuleusement sur la nappe de l'autel, pour éviter le sacrilège à un fragment oublié, à une miette tombée.
Ces « non recueillis », un grand journal nous
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en a, l'autre jour, servi une ribambelle, dont l'impression qu'ils laissaient était surtout celle que ç'aurait été rendre service à l'Auteur, de ne pas recueillir ces « recueillements » supplémentaires. Citons quelques exemples de cette accélération du pouls, de cette surélévation de la température, dès que Monsieur Rostand est entré en jeu. L'annonce d'une centième, sur une affiche de spectacle, éveille tout bonnement, en vous, l'idée, que le dit spectacle a été représenté cent fois. Cette centième-là, s'il s'agit d'une pièce de Monsieur Rostand, vous apparaît tout de suite comme la Mère Gigogne des Actes et des Paroles. Et cela, d'ailleurs non sans exactitude, car cette centième n'est jamais loin d'être une millième, si vous tenez compte des représentations parallèles de l'ouvrage, lesquelles ont lieu, dans le même temps, sous l'assaut de vingt compagnies, sur tous les théâtres du Monde.
La Baronne de Baye organise un petit choufleuri, auquel participe, je ne dis pas Monsieur Rostand lui-même, ni son épouse, en personne seulement leur rejet; c'est égal, baronne, c'est peu, pour la circonstance, et se montrer à la hauteur du nom tel est du moins l'avis du courriériste, avis que nous ne sommes pas loin de partager,
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quand nous voyons apparaître, avec le titre de princesse, dans le compte rendu de ce festival intime, la baronne bien connue sous ce tortil, l'aimable dame au blond chapska de bouclettes. On projette de ramener en France les cendres de Napoléon Deux un journal publie une lettre de Monsieur Rostand à ce propos, et il ajoute « Cette belle lettre aura la valeur d'un acte diplomatique ». Pourquoi S'adressera-t'on désormais, pour obtenir une ode, à Messieurs Kurino, Puga Borne, Liou-She-Shun, Machaïn, Vesnitch ou Gyldenstope et se rendra-t'on chez Monsieur Rostand pour un traité de paix ? Non, une lettre de poète reste la noble chose qu'elle peut être (qu'elle n'est pas toujours), et l'acte diplomatique demeure l'aride chose que l'on sait.
Un auteur fait représenter une pièce, Monsieur Rostand télégraphie ainsi que font, pour des obsèques, ou un mariage, Philippe d'Orléans ou l'exImpératrice Eugénie il s'exprime alors au pluriel, comme Louis XIV et Théophile Gautier « Profondément heureux, vous embrassons de tout notre cœur d'ami » Monsieur Rostand n'a pas deux cœurs, comme les perdrix de Paphlagonie, mais il en a un gros, qui palpite par fil spécial. Ah que j'aime bien mieux notre auteur quand
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il écrit tout simplement et bien gentiment, au pâtissier de Versailles qui lui avait envoyé un baba, un nougat, un Saint-Honoré ou une frangipane « Edmond Rostand remercie Monsieur X* de sa charmante intention et de son délicieux gâteau. » C'est à peine si on se retient de désirer d'être, ne fût-ce qu'une heure, ce pâtissier-là, et d'avoir reçu ce mot si bon enfant, si aimable, si sympathique Quelle exaltation, un peu jalouse, dans la famille de l'honnête commerçant Quel honneur d'exposer, dans la vitrine, aux yeux des passants émerveillés, un tel autographe, de le faire reproduire, en tête des factures, à la confusion des concurrents Il y a encore de belles minutes pour les Ragueneau de Seine-et-Oise.
« Son nom l'indique, Monsieur, c'est une borne. » disait d'Aurevilly, quand on lui parlait de Bornier. Un jour que je parlais de Rostand à un vieux mage que j'ai le bonheur de connaître, celuici me répondit « c'est un hobereau ». Je fus surpris et un peu choqué tout de même, je n'ai pas l'habitude de discuter l'opinion des mages donc, je me dis qu'après tout, le poète habite la province, que ses derniers portraits lui donnent assez l'air d'un gentilhomme campagnard, etc. Tout à coup, le mage continua, comme pour expli-
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quer son expression « il ne se jette que sur les petites proies » alors, je ne compris plus du tout; puis, je me souvins que le sens exact du mot est un peu celui d'émouchet. Or, le lendemain, l'on annonçait que Monsieur Rostand, qui ne s'était pas manifesté en public, depuis de longues années, venait de faire une conférence, à bureaux fermés, dans un institut de jeunes filles qui l'avaient, à la sortie, poursuivi jusque dans la rue en lui lançant des fleurettes; le mage jubilait. C'était peu après les grandes luttes de Chantecler on pouvait, dès lors, se demander, si une apparition, devant un public plus composite, moins bourgeoisement esthète, en un lieu vaste, n'aurait pas mieux répondu aux exigences de l'instant, et à certaines attaques, par un triomphe plus viril, lequel n'aurait pas manqué de se produire. Il eut lieu quelques jours après, au Théâtre Sarah Bernhardt, dans une matinée à bénéfice, où Monsieur Rostand récita la Brouette; mais là encore, l'auteur ne pouvait-il être mieux inspiré ? Cette Brouette est, sans contredit, et de beaucoup, ]a moins bonne chose qu'il ait jamais faite c'est une sorte de pièce à la Coppée, du Coppée des pires jours, un petit poème mystico-littéraire, au cours duquel un rayon de soleil, posé sur cet ustensile de jardin,
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finit par voyager avec le monocycle, pour faire du plaisir et du bien au héros de la scène. Pourquoi ne pas avoir choisi plutôt, ces ingénieux sonnets interludes dont je parlais plus haut et qui sont, à mon avis, l'une des plus précieuses productions dues à la plume de l'écrivain ? « Frères estil besoin de vous en donner les raisons ?.)) n'aurait pas manqué de répliquer Baudelaire la fâcheuse brouette enlevait une salle avide de miracles à peu de frais, et que peut-être auraient laissée froide les jolis sonnets qui m'entraînent. C. Q. F. D.
Quand notre illustre ami le Professeur Pozzi est allé soigner, à Bayonne, Monsieur Rostand, alors en danger, il lui devait, se devait, nous devait de sauver notre célèbre compatriote il l'a fait et bien fait. Aujourd'hui que ces inquiétudes se sont envolées, on peut se demander, avec cette pointe de bravade, et même de malice, qu'autorise la sécurité, ce qui serait advenu, si le mal avait été le plus fort et que le brillant dramaturge eût exigé d'être embaumé avec le manuscrit « non recueilli M de Chantecler. Dans quelle forme de triomphal engouement ne serait-il pas entré chez les Moires ? Au lieu de cela, nous en sommes encore à nous demander si la vieille nurse de Monsieur
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Rostand dirait « il a grandi. » depuis C/MM~cler. Ce dernier répondrait « certainement! » bien que, (ou peut-être pour cette raison) toute une vox ~o/)M/! se permette d'appliquer à ce personnage lui-même, l'opinion de celui-ci, sur le propos de son cher Paon. « Déjà, le Paon, démodé ?. )) clamait ce coq; et voici que le capricieux écho lui rapporte quelque chose qui n'est pas loin de dire, à son tour « déjà, le Coq, démodé ? » Qui sait si
Les blessures de bruit que font, dans l'étendue, les cris de l'oiseau de pierres (et quelque invraisemblable que cela puisse paraître à certains.) ne retentiront pas aussi longtemps que reluiront « Ces blessures de feu qu'on prend pour des étoiles »
Je ne connaissais pas le Bois ~c~ j'ai voulu le lire, et je partage, à son sujet, l'avis de Monsieur Rostand, dont la maîtrise a, certes, « grandi » depuis les jours lointains de la Princesse Lointaine. Mais je ne m'en suis pas tenu là de cette
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fantaisie presque irréalisable, j'ai vu, depuis, l'exécution tentée par le Théâtre Sarah-Bernhardt elle donnait tout ce qu'on peut attendre d'une rapide mise à la scène, décidée un peu à l'improviste et des moyens d'une troupe bien constituée c'était tout, par conséquent, sans doute, pas assez. L'essai d'une réussite presque impossible exige des moyens exceptionnels, tels que pourraient être ceux du groupe que je vais supposer pour le rôle de Jupiter, Mounet-Sully, à vingtcinq ans pour Apollon, Albert Lambert, il y a dix années pour Vénus, Mademoiselle Sorel, encore plus belle (j'ai dit que je requérais des choses impossibles) pour Phoebé, Madame Rubinstein pour Junon, Mademoiselle Darthy pour Minerve, Madame Silvain, etc., etc. vous voyez comme c'est facile faute de quoi, une bonne interprétation ne dépasse point de beaucoup ce qu'on pourrait obtenir de châtelains assemblés, bien doués et intelligents, dans une belle résidence Tourangelle.
C'est plus malin qu'on ne croit d'interpréter les dieux; même, un bon acteur pense qu'il suffit, pour cela, de continuer à se mettre « dans la peau » du personnage il commence par oublier qu'un tel personnage n'a pas de peau, et qu'il
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faudrait se mettre dans son nimbe or, les dieux du Théâtre Sarah-Bernhardt ne sont pas même, sauf un Hercule, assez Farnèsien, bien exactement dans la peau de leur personnage.
J'en prendrai pour exemple, Mademoiselle Derval qui est charmante, mais représenterait plutôt une Psyché ou une Diane, cette dernière lui donnant l'occasion de laisser voir ses cheveux d'ébène, assortis à ses yeux de jais.
Mais ce qu'elle représenterait encore mieux, ce serait surtout la jolie automobiliste il en résulte que, dans le moment où l'Aphrodite se coiffe du chapeau de cette dernière, on ne sait plus si c'est Mademoiselle Derval qui a emprunté la coiffure de Vénus, ou si Vénus a prêté sa ceinture à la gracieuse artiste; échange également séduisant, mais un peu amphibologique. Pour bien faire et; je suppose, servir les intentions de l'Auteur, il faudrait un écart ridicule entre le coiffage de Lewis et l'anatomie de la Déesse. Ce ridicule n'existe pas, on a voulu l'éviter, on a eu tort; vraisemblablement, Mademoiselle Derval rentrera chez elle avec ce vaste paillasson qu'elle avait pour 'une heure confié à Cypris plaisant à la ville, à la scène, çà se devine trop.
Une telle disproportion entre les personnes et
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tes <~MMt~ ~~OK~, a pour effet de transformer l'enlèvement des dieux, en un simple démarrage de masques ce n'est pas assez, car c'est faire, de ces Olympiens, les confrères de la Belle Hélène, ce qui ne me semble pas devoir être conforme au désir de l'Auteur; mais je me trompe peut-être. Si je ne me trompe pas, ces dieux sont trop humains je les voudrais au moins phosphorescents celà peut s'obtenir au théâtre. Les animaux symboliques eux-mêmes sont trop réglés sur le plan de Descartes, trop machinés ils viennent de chez le même faiseur que le pégamoïd de la voyageuse. Quant à l'essence même de ces Cantica, dont Monsieur Rostand parle de restaurer le genre, est-ce à désirer ? Cette épreuve ne le prouve pas; de par la raison que j'ai dite, le texte, qui est bon, dans l'espèce, suggère, par cela même, au lecteur imaginatif, des images bien au-dessus de ce que lui fournirait la plus surhumaine des compagnies L'~oc~Mf évoque de son mieux, et, à l'instant même, le spectacle suscité devant nous baisse de bien des crans, et de beaucoup de degrés, ce que la Folle du Logis allait faire paraître. Pour ce qui est de cet « Évocateur j'en ai gardé pour la fin le personnage et l'interprète. Le premier me suggère cette réflexion que, depuis
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certain temps, notre auteur abuse de la scène dans. la salle Monsieur Coquelin, qui l'exécute, au début de C~M~c/ y associe verve et jeunesse il n'en va pas de même de Monsieur Brémont qui, je l'ai dit, fait de son mieux, au cours du Bois Sacré, mais qui nous avait habitués à un mieux supérieur; sa note aux journaux pour expliquer que, s'étant retiré, il sortait de sa retraite par complaisance, s'explique aujourd'hui.
Le Jésus, un peu lourd, de la Samaritaine, est devenu un aède massif, auquel le drap d'Elbeuf sied moins que le candide cachemire. Quand, sur un rideau qui évoque la tunique de Joséphine, il fait mine d'escalader le trou du souffleur, tout le monde tremble. Ce n'est pas assez, Monsieur Brémont qui, déjà, ressemblait à un Assuérus de noce du samedi, un Roi de Perse de chez Gillet, prend soudain l'aspect d'un corpulent héros de Wagner (par exemple, Hunding) la boite qu'il escalade, elle, devient comme une sorte de Frêne Ygdraissil, on dirait, abattu tout exprès pour servir de socle à cette grosse bottine.
Fort de cette victoire, l'Évocateur j'allais écrire l'Explorateur franchit l'obstacle, descend le colimaçon qui, pour la circonstance, relie la scène à l'orchestre et, toujours articulant les vers
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du Bois Sacré, se met à arpenter l'allée des fauteuils je comprends bien qu'on a voulu épargner aux Olympiens le voisinage d'une queue de morue elle les aurait préparés à l'auto.
Une fois au bout du parterre, Monsieur Brémont se retourne et, de là, immobile enfin, permet aux vers de se poser alors, il se passe une chose étonnante, (au moins pour la place que j'occupais), un écho, tel que je n'en ai jamais entendu, se met à doubler le son, mais avec une exactitude si parfaite qu'il donne à écouter une seconde fois le poème de Monsieur Rostand. Notez que Monsieur Brémont avait, ce soir-là, un chat dans la gorge, un chat infiniment plus réel que l'aigle empaillé de Jupin, que la chouette naturalisée d'Athènè et que le paon sans pattes, mais automatique, de Soror et Conjux, et que la corniche, amie des reduplications, se plaisait à multiplier cet accident comme il le faisait des accents. Cet écho date des jours de Cyrano en ce temps-là, entendre deux fois les vers de Monsieur Rostand, cela semblait peu aujourd'hui on trouve qu'une sumt on a tort peut-être.
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Pour ce qui est des Musardises, je viens de les lire, dans la réimpression qui en a paru, ces derniers temps, et qui, à vrai dire, en supprime le principal attrait, lequel était d'y rechercher des échantillons de la veine initiale de Monsieur Rostand peut-être le recueil vaut-il mieux tel que, c'est même probable mais cet élément de comparaison y reste incertain, et les poésies ajoutées ne suffisent pas pour le remplacer.
Évidemment la conjoncture était difficile l'auteur, à qui sa situation dramatique ne suffisait pas (pourquoi ?) désirait sans doute l'étayer sur une œuvre de début, que le mot épuisé servait peutêtre mieux, alors, on l'a revue, augmentée, d'une part, de l'autre, diminuée; et, comme il advient toujours, à la suite de ces remaniements, c'est devenu un autre ouvrage. Tel quel, ce n'est ni un gros volume, ni un grand livre chacun peut y prendre un plaisir dosé par son. plus ou moins de goût pour cette flore d'artifice, cette virtuosité étourdissante et comme articulée, qui donne plus souvent la sensation d'une chose habile, que d'une chose distinguée, et d'où l'émotion est si parfaitement exclue, sauf dans ce vers dépaysé, bien isolé
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« Car ce temps est si beau qu'il fait penser aux morts (t) Quelques réflexions, les dernières.
Les dates inscrites au bas de certains des poèmes paraissent signifier qu'ils sont ajoutés mais l'indication n'est pas précise si elle était exacte, il en résulterait que la pièce intitulée Charivari à la Lune ferait partie du premier texte, et cela serait d'une importance capitale.
En effet, on pourrait en conclure que tout Cyrano (2) gisait en puissance dans ce charivari typique et, disons-le, merveilleux mais je croirais plus volontiers qu'il en est sorti le contrôle est d'ailleurs aisé.
Quoi qu'il en soit, ce qu'on ne peut se représenter sans nostalgie, c'est le parti éblouissant, étourdissant qu'un Coquelin aurait tiré de ce morceau, qu'il en a tiré peut-être, et maintes fois que je regrette de ne pas m'être trouvé là, pour jouir d'une si parfaite association entre la récitation et le récitant
(i) Même la pièce sur les mots, qui s'essaie à s'émouvoir, reste sèche finalement; je n'ai jamais lu de Monsieur Rostand, qu'une page émue, c'est son discours aux funérailles de Coquelin pour cela, ce morceau demeurera son chef-d'œuvre.
(2) Autant dire tout Monsieur Rostand.
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Quelques ~M~~M~M~ d'âme maintenant. Il résulte de cette lecture que Monsieur Rostand a eu trois conseillers de jeunesse une rose, une souris et un « doux pochard »; je cite, pour ne pas paraître offensif, qui n'est pas dans mon intention.
La rose, je la comprends; Moréas, dans le beau passage qu'il a consacré au charmant livre de Madame Bibesco, a parlé noblement des conseils donnés par « l'architecture de la rose »; il s'agit de savoir si Monsieur Rostand s'est conformé aux sévères avis de cette maîtresse suave certes; son œuvre n'a pas la délicatesse d'une églantine, c'est une rose greffée, une rose d'exposition, un de ces Paul Néron, que les jardiniers mènent à d'extraordinaires amplifications par un arrosage savant et substantiel. Parfois même elle prend l'aspect de ces pompons énormes, que les modistes surmondaines, pour les assortir aux monstrueuses dimensions de leurs galurins, mènent, à leur tour, aux proportions des choux, et dans lesquels on a versé de l'opoponax, afin que l'odeur de ce nouveau Grand Prix d'Horticulture poétique, soit à l'unisson de sa couleur et de sa forme. Le deuxième conseiller (et de prime abord, cela surprend davantage) est. une souris, une petite
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souris qui, tous les soirs vient donner une leçon de coup de dent, à l'étudiant plus ambitieux que mélancolique.
Ce conseil, de « patience B et de persévérance, le jeune étudiant l'a mis à profit, on peut s'en féliciter les arceaux, les coupoles, les honneurs lui sont apparus comme autant de beaux pains de sucre, qu'il s'est bien gardé d'amoindrir il a préféré les escalader et, d'en haut, il contemple, avec un peu d'envie, ces nuages où Monsieur d'Annunzio a fait fleurir une rose immortelle, ces nuages où circulent les alouettes et les arondes, mais où, si rusées soient-elles, avec leur petit œil pratique et malin, les souris ne montent pas. Reste le « pochard », dont il se peut bien, (préparation curieuse) que ce soit le prototype de Cyrano cet ivrogne est assez touchant pas moins vrai que je n'aime guère lui entendre proférer, in articulo mortis, ce monstrueux monitoire, si contraire à la vérité qu'il en représente précisément l'opposé odieux
« Mais que nous fontde verts lauriers sur nos tombeaux ? Évidemment ce propos du vieux moribond a grandement impressionné le juvénile esthète, et il
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l'a mis à profit, dans la mesure que vous savez, en faisant tout de suite, de tous les lauriers à sa disposition, une coupe, qui tenait, avec tout le brillant possible, de la coupe réglée et de la coupe sombre..
Puisse-t'elle, pour le désaveu que l'auteur de ce vilain. vers lui donne incontinent, dans son poème, sinon dans sa vie, lui mériter de participer aussi, et surtout, au couronnement final tressé par cet autre vers, le plus beau de tous, puisqu'il contient la plus noble, la plus désintéressée, par suite la plus juste de toutes les espérances, le vers de Vigny, qui se fait gloire de contredire Pif-Luisant
« Sur la pierre des morts croit l'arbre de grandeur B » Quelques renseignements d'art. enfin.
Rien ne m'ôtera de l'esprit que Monsieur Rostand a fait sciemment et consciencieusement, ce qu'on peut appeler des exercices dans la tMM~f< des Maîtres. Et qu'il a donc bien fait Il y a gagné sa personnelle maîtrise, et on ne saurait assez engager à faire de même, tant de débutants si outrecuidants et si sûrs d'eux, qu'ils n'inspirent l'envie. que de douter. Quand ce Maître est le bon
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Coppée, dont l'Évangile (d'ailleurs lui-même d'un christianisme d'imagerie religieuse) a si nettement inspiré la fâcheuse Brouette; on peut le regretter quand il s'agit du seul vrai Maître de Monsieur Rostand, de celui qui, dès le début, a frappé l'oeuvre du jeune Marseillais, d'une insolation heureusement incurable, les résultats valent mieux. J'en veux pour preuve la pièce XVI des Musardises, je n'en doute pas, volontairement calquée sur les Choses du Soir de l'Art d'être GraM~-P~. En tant qu'invention, elle n'aurait aucune raison d'être, aucun intérêt en tant qu'exercice, elle est instructive.
Vous vous souvenez de cette pièce d'Hugo, cette poésie enchanteresse, qui met en scène une promenade solitaire au crépuscule, avec tous les insignifiants détails que poétise la vision rendue incertaine, par le jour tombant, et, musicale, par le son de la cornemuse qui chante et pleure dans le distique du refrain
« Je ne sais plus quand, je rie sais plus où Maître Yvon soufrait dans son biniou. »
Voici la première strophe
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« Le brouillard est froid, la bruyère est grise, Des troupeaux de bœufs vont aux abreuvoirs, La lune sortant des nuages noirs
Semble une clarté qui vient par surprise. ))
Dans la version de Monsieur Rostand, c'est devenu
a Derniers petits chants et petits ébats, Des oiseaux, le soir, dans les arbres las. On entend encor fuser quelques trilles, La couleur du ciel commence à muer, Des coups d'aile font encore remuer La vigne des murs, le lierre des grilles.. 9
Ce n'est différent, qu'à la condition d'être absosolument la même chose. en moins bien; même mètre, même récapitulation des choses du soir, accompagnée d'un unique refrain, en distique.
Et cela se poursuit
« Le doux crépuscuie a jeté sa cendre.. etc. e Notons encore certain ours, dont Monsieur
Rostand nous affirme
« et je n'ai pas/en somme,
Compris pourquoi cet ours ne mangeait pas cet homme. »
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de même que l'autre lui aurait dit
« Tu peux tuer cet homme avec tranquillité. » Comme Banville a détaillé le « Clair de la Lune » en faisant reparaître la rime, dans le corps, ou dans le cœjr du poème, les membres épars de cette chansonnette, Monsieur Rostand nous morcelle le Pater, dans sa « Prière d'un matin bleu » c'est chrétien au lieu d'être lunaire, mais, surtout, c'est ad imaginem.
Je finis, car il faut finir, par les Pa~M/M~. Je ne conçois pas, je l'avoue, qu'on récite quoi que ce soit qui ne soit pas ça, dans les réveils de Casinos ou les déclins à bénéfices. Vrai, si pour mon compte, j'étais sollicité de participer à quelqu'une de ces manifestations privilégiées, je jure que je ne choisirais rien d'autre pour me faire valoir, sûr du bis et du ~M~M. Si donc les coryphées de ces sortes de spectacles, n'élisent pas ce morceau, cela signifiera que le goût des rappels sans précédent est devenu hors d'usage, ce qui ne sera pas sans faire l'éloge du bravo, mais sans porter atteinte à celui qui en a créé la réduplication de façon infaillible.
En ma qualité de vieux Gascon, de souche
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héroïque, ce que je préfère, de beaucoup, dans les Musardises, ce sont les pièces Pyrénéennes, les poésies de Luchon, qui sont vraiment juvéniles et presque senties. J'en atteste des vers comme ceux-ci « Tous nos orgueils étaient modestes
Comme des bijoux de corail. »
Ces vers, deux des plus sympathiques et des plus souples qui se soient échappés de cette lyre d'acier, l'écrivain les désavouerait sans doute aujourd'hui leurs successeurs sont devenus orgueilleux comme des bijoux de théâtre le corail est plus seyant, étant plus simplet.
Ce que l'auteur ne désavoue pas, malheureusement, ce sont ces médiocres sonnets à Massenet, au cours desquels se rencontrent des disgrâces d'expression dans le goût de « pour que lorsque », dont rougirait un débutant il ferait bien et la presse publie cela comme si c'était un mandement d'archevêque, bien plus, une encyclique de pape
Maintenant et pour conclure, cette fois, irrévocablement je veux parler de l'Ode que Monsieur Rostand a fait paraître, non sans ostentation,
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durant l'été de 1911. Évidemment les lauriers (exigés vivants par le « doux pochard ») les lauriers du grand importateur de l'aviation dans la littérature, empêchaient notre auteur de dormir, et il a décidé (les résultats ne répondent pas toujours à ces décisions-là) il a décidé de s'essayer à la possibilité sublime qu'aurait représentée la réussite de ce qu'il appelle témérairement le Cantique de l'Aile quels que puissent être, sur d'autres points, les succès du chantre de Cambo, il restera l'Icare de ce cantique-là, lequel a été chanté avec tant de génie, par un autre poète, que nul ne saurait s'y essayer dorénavant, sans être, d'avance, distancé, vaincu.
Vous connaissez cette impression, entre toutes, pénible, qui consiste à ne pas démarrer. Une telle impression, je sais peu de choses qui la donnent, au degré de cette ode si supérieurement entravée. Elle a beau s'époumonner à clamer, sans vraie force, ni grande grâce
a Il est temps de chanter le Cantique de l'Aile. Ah 1 Chantons le Cantique. »
Eh bien non, il n'est plus temps, l'heure est passée et quand le poète écrit
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« Ils nous ont obligés de lever le visage",
comment 'ne pas se souvenir de l'autre poète, celui qui, le premier, a écrit « tous les fronts durent se lever » ? ?
Monsieur Rostand a beau se battre les flancs, avec non moins de majesté que de rhétorique, pendant soixante-quatorze strophes, il n'en jaillit pas un duvet et il se trouve qu'ayant résolu d'écrire le Cantique de l'Aile, le rimeur se trouve n'avoir tracé que le Cantique de la Plume, ce qui ne saurait passer pour un but atteint.
La toute dernière image est assez belle, mais elle est inexacte ce n'est pas l'aile du vautour que le volateur a copiée, c'est l'aile de la chauve-souris aussi bien Monsieur Rostand était-il dans un jour d'injustice, le 12 Juillet, sans cela il se serait fait un devoir de nommer Léonard de Vinci et les Wright. Pourquoi cette vague allusion à deux frères, qu'on ne semble plus jamais rappeler que rageusement et par dessus le marché ? N'est-ce pas bien étroitement ingrat ?
D'autres belles images, certes, il y en a beaucoup, dans l'ode de Monsieur Rostand et, bien entendu, tout l'ouvrage est une excellente composition, sans cela, nous commencerions par n'en
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pas parler, pour nous exprimer, à notre tour, comme ceux qui se pluralisent si nous la discutons, c'est comme obtention d'une visée exceptionnelle, qui ne paraît pas atteinte.
La gentille petite souris grise du foyer de jadis a beau se métamorphoser en alouette, et se « démesurer », elle se souvient trop de ses moyens ordinaires elle grignote le fuselage et ronge le vol plané.
Notre confrère et ami Monsieur Arthur Meyer, qui avait adressé son nouveau volume à Monsieur Edmond Rostand, a reçu de l'illustre auteur de Chantecler la lettre suivante, que nous sommes heureux de publier Mon cher ami,
J'ai sur ma table les violettes de mon jardin et celles de votre héroïne. Elles embaument. Vous m'avez révélé, dans ce charmant livre, dont l'immense succès ne m'étonne pas, cette élégante, fine et poétique femme, et donné le regret de ne l'avoir point connue. Vous m'avez même appris que je lui devais de la reconnaissance que ne l'ai-je su quand je pouvais encombrer son salon de mes « Parme » mauves, dont le parfum lui aurait
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plu ? Ceux qu'elle a aimés sont enviables. Je vous félicite d'avoir fait revivre cette adorable silhouette que l'histoire littéraire vous devra. Toutes vos indiscrétions ont de la grâce et gardent de la piété. Croyez que je suis heureux de votre triomphe d'une si jolie qualité, et à mes souvenirs les meilleurs, et à ma vieille gratitude. Je suis aux pieds de.Madame Arthur Meyer. Edmond RosTAND.
On a fait naguère, pour ne pas dire jadis, a Monsieur Edmond Rostand, un mérite, dans une mesure, justifié, d'avoir ressuscité le panache historique, lequel, d'ailleurs, n'était peut-être pas si mort que ça.
Le panache, c'est une plume une plume peut, même doit servir à écrire maintenant, est-il nécessaire que ce soit cela ?.
Parlant, un jour, de Châteaubriand, Hello buta contre un passage où l'éloge du grand écrivain faisait, selon lui, fausse route; il cita le texte, puis il conclut « J'aurais eu encore beaucoup de choses à dire sur Monsieur de Chateaubriand mais, après cela, je ne dirai plus rien. »
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LE BEAU CAVALIER
VI
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Tous les individus ne sont pas tout d'une pièce; non seulement il n'est pas défendu à un artiste d'être un homme, mais on peut affirmer que c'est dans la mesure où le premier permet au second d'agir sur lui, de mêler la réalité humaine à l'esthétique rêverie, qu'il en résultera une personnalité puissante et originale, caractéristique et attachante. Je me souviens d'avoir entendu Madame Duse clamer furieusement « je serais bien fâchée de n'être qu'une actrice » elle voulait dire que rien n'est incomplet, par suite froid et sans action, comme un être exclusivement spécialisé, cantonné dans une partie. Un homme préoccupé d'être un peintre risquera beaucoup de n'en avoir que les dehors on en rencontre encore de cette espèce ils portent le pantalon à carreaux et de la coupe dite chasseur d'Afrique, le veston de velours ajusté, les cheveux longs et le feutre mou à grands bords. Ils tiennent tout cela de Gavarni et le conservent avec un soin jaloux mais c'est le seul héritage qu'il leur ait légué.
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Ah que Gustave Jacquet fut différent de cette race Je crois bien, presque j'en jurerais, que si on lui avait demandé ce qu'il aimait le mieux au monde, il aurait répondu « l'équitation a. Eussiezvous ajouté, comme on le faisait naguère,, au cours de certains jeux de salon « quel est l'accessoire pour lequel vous avez le plus de goût ? » il n'aurait pas manqué de répliquer « la cravache ». Il est vrai que la cravache est bien près de ressembler à une brosse, avec le joli faisceau de fils de soie qui s'assemble à son extrémité; Musset a parlé d'un homme qui avait « un gentil brin de plume, à son crayon » parlant de notre peintre, il aurait pu dire que Gustave Jacquet, avait à sa cravache. un admirable brin de martre.
J'y pensais, l'autre jour, en regardant, sur la cheminée de la chambre où il vivait, et mourut, la rangée de ses éperons désormais inutiles et qui, sous la tête étoilée de leur molette, semblaient eux-mêmes chevaucher leur sellette de velours. Je songeais qu'une bonne part de l'allure altière du talent de Gustave Jacquet lui venait de ceci, qu'il avait été, avant tout et par dessus tout, un beau cavalier oui, tout ce que contient de grâce et de force, d'élégance et de séduction, l'assemblage de ces deux vocables, Jacquet l'a fait passer dans son
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œuvre savante et charmante, où les satins ont les frissons et le luisant des robes équestres, oeuvre pirrpante et fringante comme les beaux attelages, et sur laquelle il me semble entendre courir ce refrain du poète cité plus haut
« Assez dormir, ma belle
Ta cavale isabelle
Hennit sous les balcons. »
Ce refrain, il l'a lui-même chanté, au cours de sa vie, il l'a chanté pour une femme qui fut sienne et ne l'a quitté que pour le tombeau une écuyère, une amazone qui, de par cet attrait, agit fortement sur son esprit comme sur son cœur et, par suite, sur son art. Elle y ajouta d'autres agréments et d'autres pouvoirs, lesquels exercèrent une telle influence et laissent de si brillantes, de si durables traces dans l'oeuvre de ce peintre éminent, de ce dessinateur excellent, qu'on ne saurait écrire l'histoire de Gustave Jacquet sans y mêler celle de cette première compagne, collaboratrice aussi vaillante que la seconde, certes de non moindre valeur, sut être attentive, se montrer tutélaire et dévouée.
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J'ai connu trois sortes de Gustave Jacquet (je parle de l'homme, car pour sa manière, heureusement, elle se prodigua sans varier) tous trois assez différents, et dont les deux premiers s'associèrent pour donner au troisième cet aspect de moraliste délicat, de philosophe ramné qui nous laisse autant de regret ému que de souvenir attendri. Ces trois Jacquet, je les appelerais volontiers, le Jacquet du succès, le Jacquet de la passion, et le Jacquet de la mélancolie.
Le premier, ce fut un jeune homme, un peu hautain, à l'agréable figure d'un de ces reîtres qu'il se plut souvent à évoquer et à reproduire c'est celui-là qui peignit, d'après un joli modèle aux yeux bruns qu'il aimait alors, cette Rêverie, laquelle valut, en un jour, à son auteur, une célébrité qui lui était due. Cette grande toile, je l'ai revue, il y a quelques années, lors de ma visite à NewYork elle ornait, le jour d'une réception de contrat, la fastueuse demeure d'un richomme de làbas, et j'admirai la forme de croissance et d'embellissement progressif que contiennent les ouvrages, mieux que nés viables, ceux qui naissent magnifiquement constitués pour l'épanouissement et pour la durée. Cette belle rêveuse, sûre d'ellemême, entre les bras de son fauteuil profond,
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parmi les plis de sa robe veloutée et pourpre, elle accomplit, avec une intensité à la fois.voluptueuse et sereine, cet acte magnifique et magnétique, cet acte que Whistler appelait « regarder pour toujours.
Elle ne devait pas tarder à voir se lever, mais sans jalousie, une sœur qui allait traîner tous les coeurs après soi, sans lui en ravir aucun, la deuxième venue, mais la première arrivée. Si le velours caressant et chaud de celle-là pouvait symboliser l'ardeur concentrée de la méditation, l'étoffe miroitante de celle-ci devait alors, figurer l'attrait plus allègre de la vie extérieure. Je ne sais si le peintre fit lui-même ce raisonnement, c'étaient plutôt réflexions de commentateur, chacun son métier ces tours légèrement philosophiques de leurs œuvres, les artistes les leur donnent « sans presque y songer », du jet naturel de « ce qui se conçoit bien » et « s'énonce clairement ».
Cette « première arrivée », son créateui l'avait nommée ainsi d'une appellation ingénieusement destinée à constituer un tableau, de la seule présentation d'une grande figure décorative. Certes, une école dite de réalité et de plein air, aurait pu lui reprocher de manquer un peu d'essoumement, de rougeur et de poussière, à cette jeunesse qui
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venait de gravir une colline en courant et, comme on dirait aujourd'hui battre un record de vitesse mais elle avait plutôt voltigé par les chemins de Boucher, de Fragonard et de Watteau, où, comme on sait, ne se récoltent que la poudre des boucles, le pollen des fleurs et la poussière des papillons, le rouge des fards et la palpitation des éventails. Jacquet restait donc dans la règle des tempêtes ornementales et des orages de la coquetterie c'était exceller d'un coup de maître la belle gagna la coupe, fit fureur. Elle le méritait, svelte et si bien campée dans ce fourreau satiné, à rendre envieuses les dames de Terburg, et auprès duquel celui de Madame Perdrigeon a l'air de ce qu'il est, de la tôle vernie. Cette gaîne plissée laissait voir les pieds galamment chaussés de la coureuse, dont la droite s'appuyait sur le pommeau d'une longue canne un collet bleu de Sèvres, bordé, brodé de métal comme le marli d'une soucoupe, s'attachait aux épaules, sans les cacher un menu tricorne soutenait de son noir la vivacité de cette scène joyeuse; puis, sur le fond, au lointain, tout au bas de la toile, apparaissaient les -têtes admiratives, et un peu envieuses des retardataires, les unes, venues pour prendre rang, d'autres pour voir. Le jeune maître, en pleine possession de sa
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virtuosité et de ses moyens, avait su faire un chefd'ceuvre de ce sujet, qui ajoutait, à son charme réussi, la dimculté vaincue du motif banal, que tant d'autres auraient rendu prétentieux et fade. La vogue, par extraordinaire, légitime, de cette toile, fut immense, universelle; Dumas fils l'acheta, puis la revendit, à la colère de l'artiste. Ces hautes querelles, autour d'eux, ne font pas de mal aux œuvres d'art, qui demeurent calmes au-dessus d'elles leur célébrité s'en accroît. Celle de la « première arrivée » avait consacré la renommée du peintre dont les œuvres firent alors florès, sans, j'en suis certain, (bien que je le visse peu, à cette époque) lui communiquer de cette infatuation qui ne vient qu'aux faux maîtres non, c'était, en ce temps-là, le beau cavalier, heureux de mener de front la chevauchée de la mode, celle du caprice et, en apparence, du bonheur; les commandes amuèrent; toutes les dames voulurent être peintes par Jacquet, même avec cette confusion qui prête toujours à sourire.
Il lui arriva ce qu'il advint à une graphologue qui me disait « on me demande de décrire des caractères, d'après des écritures qui n'en ont pas ». Quand on demandait à Jacquet de décrire des « beautés de peu d'attraits chargées s, sa sincérité
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(car cela surprendra quelques-uns, à sa manière, il était réaliste,) se vengeait de l'ennui de les peindre, en les faisant telles qu'elles étaient, c'està-dire sans esprit et sans beauté. Il en résulta que je connais, « et je les vois si bien qu'elles me crèvent les yeux M, plusieurs dames nullement satisfaites de leurs emgies, lesquelles n'en restent pas moins des œuvres d'art, tout en y ajoutant, pour nos regards, le mérite d'être le portrait d'une laide ou d'une sotte, spirituellement démontrée ou même démasquée. Mais, à côté de ces exceptions, des ensembles triomphaux de grâce et de beauté surgissaient et s'épanouissaient. Je citerai, entre beaucoup, le portrait de la Comtesse de Brigode, rayonnant de fraîcheur sous son chapeau empenné et son teint fleuri et cependant, il y en est un qui le surpasse, lui et tous les autres, celui de Madame Béchevet. Je me le rappelle, dans la salle de la rue Boissy d'Anglas où il fut exposé; sa forme était celle des dessus de porte de Nattier, dont il avait la radieuse séduction, la maîtrise fastueuse et la grâce apprêtée. Je ne sais ce qu'est devenu ce tableau quand on fera l'exposition de Gustave Jacquet, il faudra le placer au centre d'un panneau et grouper, autour de lui, tous les autres portraits de ce Maître il représentera la fleur de son talent
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de féministe individuel, comme la Rêverie et la Première ~4~ figureront la fleur pensive et la fleur vivace de son esthétique décorative. Ces deux figures allégoriques, je me suis souvent dit qu'elles se partageaient et dominaient alternativement, ainsi qu'il arrive aux êtres complexes et complets, son âme et son cœur. Il avait, comme les meilleurs d'entre nous, une sérénade de Mozart, qui lui chantait dans la tête et dans les sens, avec son accompagnement dansant autour d'une mélodie triste; il avait son jour blanc et son jour noir, son heure de miel et son heure de fiel, et c'est de cela que les thèmes badins, en apparence préférés par lui, tirèrent le pouvoir de faire réfléchir et de faire rêver des esprits non superficiels.
Cette première période fut longue, fort enviable, à la surface, et, je n'en doute pas, coupée de ces drames sentimentaux qui trempent les natures une autre période allait lui succéder, non moins profitable, non moins féconde. C'est vers cette date que Jacquet exécuta sa superbe aquarelle d'après la Comtesse Greffulhe, en costume de Diane, au bal Sagan, captivante figure dont les regards magnifiques luttent de sombre fascination avec les yeux d'une peau de panthère. Ce dut
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être aussi à ce moment que j'aperçus Jacquet (je le revois encore) sous les traits de Bu9on, qu'il s'était spirituellement donné, pour tourner la difficulté humaine créée par l'invitation d'une dame qui l'avait rédigée ainsi « on est prié de se choisir dans Buffon un costume ou une tête ». Il avait choisi celle du patron, et la portait bien mais je trouvais, à cette tête. quelque chose de sérieux et d'un peu revenu qui ne m'avait pas frappé jusqu'alors et qui, je pense bien, se faisait jour en elle. Certaine vanité des succès mondains lui était apparue je ne dis pas qu'il les reniait, mais c'étaient peut-être eux qui, avec leur injustice, leur infidélité et leur inconscience, allaient le renier, dans une mesure il le pressentait et se préparait à prendre les devants, à s'en venger en leur faussant compagnie, pour accomplir de plus solide besogne celui que j'appelle le Jacquet de la passion demandait à s'ouvrir sa place en accentuant ses témoignages.
C'est alors qu'il fit la connaissance de celle dont je veux, dont je dois parler, car son souvenir est plus qu'inséparable de cette portion de l'oeuvre que je décris et de la vie que je retrace, plus qu'inséparable~ presque intégrant, celle qui en fut la créatrice, la collaboratrice, l'amoureuse, la
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sainte et, finalement, la martyre, ne serait-il pas indigne de l'oublier, au jour de la béatification artistique -et de la canonisation professionnelle ? Elle s'appelait Zélie Bardoux, elle était d'une modeste famille de la Champagne les détails biographiques ont, à mes yeux, peu d'importance ceux-là suffisent, du moins, pour moi. Ce qui en a une bien autre, c'est ceci cette femme, belle et jeune, intelligente jusqu'au génie (j'entends, au sien) et vive jusqu'à la violence, devint pour Jacquet, dont elle fut la compagne et la première femme, une collaboratrice merveilleuse. Ce génie dont je parle et qui était le sien, c'est celui du déguisement chaque matin, elle apparaissait au peintre sous les costumes improvisés les plus imprévus, qu'elle se plaisait à diversifier; à multiplier en une ingéniosité inouïe. Le saisissement admiratif et ébloui, en lequel plongeait son ami chaque apparition de la femme-Protée, se résolvait vite et infailliblement en un irrésistible désir de dessiner ou de peindre l'être de fantaisie, de légende ou d'histoire que venait de faire surgir, devant ses yeux, l'assemblage inédit de quelques rubans, associés à des fragments d'atours authentiques j'insiste sur ce point qui nous sera utile pour certaine preuve. Cloué d'àbord au sol dans l'étonnement
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de se voir ouvrir sa porte par une personne qu'il reconnaissait à peine, et qui était tour-à-tour (car le travesti lui seyait au mieux) un prince, un prêtre, une « finette », un « indifférent », un escrimeur ou une joueuse de viole, il avait vite fait de s'élancer sur ses crayons ou ses pinceaux, et de fixer les traits de l'être à la fois chimérique et vivant, créé pour lui, et pour un jour. Cette série des œuvres de Jacquet, et bien particulièrement de ses dessins, est celle qui, pour moi, représente le meilleur, le plus mûr de son labeur et de son art. Je ne crains pas de m'avancer exagérément en écrivant que, depuis Watteau, avec certains dessins de Messieurs Degas et Besnard, et les mines de plomb de Boldini, rien ne s'est manifesté qui se puisse comparer à cette sûreté et à cette science.
Cette heure dura longtemps; elle se vivait, pour deux êtres, avec un renouvellement féérique et une continuité vertigineuse tout autre travail avait presque abdiqué le portraitiste disparaissait, ou du moins s'interrompait avec cette phase, volontairement, je n'en doute pas, sous le coup du magique enchantement de la fée, dont c'était un prestige de plus (et peut-être le plus fort) d'être aussi une amazone. Oui, elle aussi, portait
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pour baguette, une cravache, et ce fut alors un des étonnements de Paris, plus facile à surprendre, et dont les yeux, non encore levés vers l'aviateur, surveillaient les Allées du Bois, d'y voir son Gustave Jacquet chevaucher en compagnie d'une Clorinde à califourchon, telle qu'une Walkyrie vêtue de drap noir et en chapeau de feutre.
Cette période fut coupée d'un voyage aux Indes, d'où Jacquet rapporta des esquisses et une philosophie, laquelle devait lui servir plus tard. Mais ces enchantements n'allaient pas sans malices, j'entends celles de la Destinée la belle créature joyeuse comme une fleur, savoureuse comme un fruit, portait en elle un mal secret, sous le coup duquel on la vit mourir, sans presque s'étioler car le désir de servir, jusqu'à la dernière heure, celui qu'elle aimait, la fit courageusement aborder le trépas sans quitter les roses en cela pareille à ce triomphal et douloureux modèle de Boucher, qui, pour ne point cesser de plaire à son Roy, dansa jusqu'au dernier instant, et sous les coups même de la Faucheuse.
Et quand tout fut perdu, près de la fin, un jour suprême, l'artiste désolé eut cet étonnement, plus fort que les autres, et qui, s'il lui cloua les pieds au sol, lui mit les sanglots dans le cœur, et 15
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les larmes dans les yeux, de voir, une dernière fois, la porte s'ouvrir, afin de donner passage à Celle qui, toute parée, voulait poser, une heure encore, pour celui qui avait célébré ses infinies variations, ses vocalises d'attitudes.
C'est un des plus nobles miracles de l'art, et cela se doit ainsi, non seulement l'émotion ne paralysa point le talent de celui qui pleurait, mais elle le doubla Jacquet peignit un pastel, séduisant et douloureux qui, mêlant, en cette minute, la souffrance à l'amour, lui permit de créer un de ses plus passionnants ouvrages.
Je me suis, à mon tour, efforcé de faire passer de cette émotion, en même temps que de traduire cette minute, dans un sonnet que je composai, plus tard, pour celui qui me les conta, quand il fut devenu mon ami
Celle que vous pleurez eut le droit d'être fière, Vous avez fait fleurir son image vingt fois,
Car c'est autant de fleurs aux parfums d'autrefois Que ces portraits qu'on croit voir battre la paupière. Leurs yeux ont un éclat de précieuse pierre
Et vos chers souvenirs vont redonnant des voix Au moindre des atours qu'emeurèrent les doigts Qui se sont refermés, pour vous, sur la lumière.
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Le dernier est, de tous, le plus attendrissant Sur la poitrine, il porte un zinnia rouge-sang Qui se mêle au velours funèbre des pensées Ce pétale de pourpre et ses soeurs nuancées
Parlent, à qui sait lire en leurs airs de langueur, D'une blessure ouverte, au-dessous, dans un coeur 1 Et j'ajoute honneur à celle qui a su prendre rang, mieux encore que dans le calendrier de la Chrétienté, dans le martyrologe de l'Art, à côté des Hélène Fourment, des Saskia et des Hendrijke Stoffels
Comment de telles circonstances, ne serait-il pas né, le troisième des Gustave Jacquet, celui que j'appellerai le Jacquet de la mélancolie ? « J'ai tout souffert avec résignation, me disait-il, mais il est une chose à laquelle je ne m'habituerai jamais, c'est la vue des rubans » et il n'achevait point il voulait parler de ces rubans qu'il avait peints et qui, non moins que tant de chefs-d'œuvre charmants, rattachaient son cœur à ce souvenir. Le mélancolique Jacquet était né. Les modèles mondains qu'il avait reniés le lui rendaient en
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posant ailleurs Gautier l'a écrit, à propos de Jules de Goncourt, on hait le profanum vulgus (autant dire le monde) et on le condamne; et il ajoute, l'Auteur d'Émaux et Camées « le monde se le tient pour dit et ne revient pas, les plus fières natures en conçoivent des tristesses mortelles. » Il y eut de ces tristesses-là dans celle de Gustave Jacquet mais je le connus assez pour savoir que nulle mesquine jalousie de métier, ne joua son rôle dans ce sentiment, car jamais je ne fréquentai de vivant qui sut, comme il le savait, donner un nouveau relief à ce titre de galant homme non, mais il était fier, il avait conscience de sa supériorité donc, s'il souriait avec un peu d'amertume, c'était de se voir préférer des artistes indignes de ce titre, et des productions mal désignées du nom d'oeuvres.
La. philosophie, dont j'ai parlé, lui permit de dominer ces petites misères et, je n'en doute pas, de hausser jusqu'à la vertu, le mépris qu'il en fit enfin c'est au début de cette phase que je le retrouvai ce fut singulier et vraiment à la hauteur de cette dénomination de rencontre, dans la noble acception que lui donne Hello. Nous nous étions abordés, plutôt emeurés dans la jeunesse, chacun avec ces inégalités que l'on appelle des
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défauts et qui sont quelquefois des attraits on se retrouvait peut-être améliorés, mais à coup sûr, attristés de les avoir perdus il nous parut à l'un comme à l'autre, nous voir pour la première fois, et je veux le croire, à nous voir bien, puisque, de ce retour, naquit, entre nous, une sympathie qui devint de l'amitié, dura des ans et fournit ses preuves.
Il m'aborda comme si nous nous étions quittés de la veille et me dit impétueusement « je suis de ceux que l'enthousiasme rafraîchit et que l'exaltation repose. qui est-ce qui a écrit cela ? » « Je ne sais pas, répondis-je sincèrement, mais cela me plaît assez » et Jacquet de riposter en riant « çà ne m'étonne pas, puisque c'est de vous » et il me le prouva par une citation plus étendue.
Si je ne fus pas insensible, comme on le pense bien, à là délicate flatterie de cet abordage, le sentiment qui l'inspirait me toucha bien plus de nouvelles rencontres en résultèrent, des causeries eurent lieu, de celles qui unissent ceux qui ont souffert. Nos relations se poursuivirent avec une vigilantefidélité, de sa part, pleine de délicatesse. Je le revois, au premier rang, le jour de ma conférence sur Monticelli, il n'y a pas encore une année; il
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y a aujourd'hui à peine quelques mois, nous dînions joyeusement ensemble, chez notre éminente amie Madame Madeleine Lemaire. Vers le même temps je le rencontrais chez la Duchesse de Gramont, au lendemain d'une fête que j'avais donnée et comme il acceptait de peindre une esquisse, d'après un charmant modèle qu'il avait admiré dans ma maison, nous prenions jour pour quelques séances, au cours desquelles il m'écrivait pour m'inviter à venir donner mon avis sur le commencement de cet ouvrage. Le jour fixé, j'allais me mettre en route, quand je reçus l'annonce que mon ami était mort, le grand dessinateur, le peintre expert et charmant, le maître des satins et des velours, des brocarts et des passements, posés comme des guirlandes et des festons, sur une famille de l'Éternel Féminin qu'il avait créée.
Comme s'il n'en était pas assez pour souffrir, Votre art nous a donné plusieurs centaines d'Èves, Cher Maître, cher Ami, cher Jacquet, et vos rêves Ont pris forme de femme en âge de fleurir
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Au point que, vers le soir, en fermant les paupières, Vous pouvez vous tenir pour un Deucalion
Ayant tait, devant soi, naitre, d'un jet de pierre, Toutes les grâces mieux, pour un Pygmaiion Vous avez animé d'exquises Galatées
Elles tiennent, de vous, leurs formes, leurs couleurs Mais, tel qu'un dieu plus doux, vous les avez dotées De tous les dons, en n'oubliant que les douleurs (t) Si je cite encore ici les vers que j'ai écrits, pour Gustave Jacquet, sur un de mes livres, c'est qu'ils nous font aborder le mystère subtil, disons spécieux, sur lequel plusieurs ont pu se méprendre, et qui permit à Jacquet de demeurer peintre contemporain. tout en se faisant résurrecteur du passé. Ce mystère, je le crois unique en son genre ce n'est que l'observateur irréfléchi qui a pu le confondre avec ses contrefaçons inférieures je veux parler de cet aspect du Seizième ou du Dix-Huitième Siècle donné à des personnages actuels, par la physionomie, le tour de l'ajustement et presque le parfum de l'atmosphère.
Il importe (car une triste expérience nous apprend, un peu plus chaque jour, qu'un reproche, pour être (i) On a vu que ce n'était pas vrai, pour l'un du moins des tableaux de Jacquet, émouvant parmi tous.
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saugrenu, n'est pas, de par cela, tout à fait négligeable) il importe de défendre Jacquet contre l'accusation d'avoir fait des pastiches. Pour ma part, je ne sais rien de moins intéressant que la reproduction transposée de dames modernes en Manons et en Cydalises, quand leurs habillements sortent de chez le costumier ou le couturier tel ne fut en rien le cas de Jacquet; il recherchait les types des siècles dont il était féru et les peignait de préférence de là au désir de les voir vêtus au goût de ce temps là, il y avait un pas, qu'il sut franchir avec le tact qui le caractérisait et le talent qui lui était propre. Par prédilection il collectionna les affiquets des époques de son choix; et quand un rapport certain lui apparaissait, entre un galbe et un ornement, une garniture et une frimousse, il faisait se rencontrer les deux, dans un rapprochement qui était une réconciliation et non un placage c'est ainsi que, peignant son Menuet, il prît pour modèles de ses beaux danseurs, le Vicomte de La Rochefoucauld et le Comte d'Alsace, lesquels lui donnèrent tout naturellement, et par le seul phénomène de l'atavisme, les poses prises par leurs ancêtres d'alors, dans des circonstances similaires. Revenons à l'heure que j'ai dite, où l'on m'annonçait brusquement la fin de celui qui avait fait
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tant d'honneur à l'existence cette fin, toujours diverse et toujours pareille, quelle forme avait- elle pris pour aborder notre beau cavalier ? Lui était-elle apparue montée sur le Pégase ailé de la mythologie, ou sur le cheval blanc de l'Apocalypse ? Plutôt, j'imagine, il avait dû revoir, au détour d'une allée du Bois, la silhouette victorieuse de l'amazone de naguère, la valeureuse compagne des randonnées équestres et des trouvailles d'atelier, qui lui avait fait signe de la suivre.
Le peintre rentra, vers les midi, et en attendant l'heure du repas, il se remit au travail. Comme, le moment venu, il ne paraissait point, quelqu'un monta le chercher il était mort, assis devant son chevalet, sa palette dans une main, dans l'autre, ce pinceau qu'il avait illustré et qui, je l'ai dit, sut avoir toute la souplesse, toute la fierté, toute l'élégance d'une cravache.
Ainsi mourut le beau cavalier, le vainqueur des tournois du contour et des joutes de la couleur, dans un temps qui n'a plus guère souci des recherches de l'éducation, ni des sincérités de la maîtrise.
Tel est, selon moi, le secret de l'empire qu'exerce éminemment l'art de cet homme, sur 15.
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ceux à qui déplaisent, avant tout, la singerie des manièrismes révolus et des affectations qui furent naturelles. Gustave Jacquet n'a point imité l'art de Watteau, il l'a continué, avec un savoir qui ne lui cède en rien, une virtuosité qui ne triche non plus jamais, une âme tendre, un cœur sensible, un esprit renseigné, et une main sûre pour cela, il a droit, ayant été tour à tour le Jacquet du succ~, de la passion et de la mélancolie, de nous apparaître, selon la belle expression de Mallarmé « Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change », devenu aujourd'hui le Jacquet de la gloire..
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Maintenant, que sa fière modestie me pardonne, je veux dire un mot de la seconde compagne de Gustave Jacquet, celle qui se montra l'égale de la première, avec d'autres dons et de différentes qualités, non moins dignes de notre attention et de notre respect. Aussi bien, et cela fait partie de ces qualités-là, n'est-ce en rien l'offenser que de célébrer sa devancière elle la connut, elle l'aima, elle était sa parente et son amie c'est bien plutôt
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elle-même qui s'offenserait de ne pas lui voir rendre un hommage si mérité dans l'histoire du peintre. Cette seconde compagne entoura de zèle, de sollicitude et d'attachement, l'âge que j'ai appelé celui de la mélancolie. Loin de prendre ombrage d'une mémoire qu'elle sentait et jugeait sacrée, elle en sut entretenir pieusement le culte, aux côtés de celui qui le désirait, et devinait, en faisant ce second choix, l'appui que trouverait le souvenir du premier, dans cette épouse simple, sincère et loyale.
Je ne veux plus dire qu'un trait, qui montrera quelle fut la sensibilité de Gustave Jacquet, à ceux qui ne connurent, de lui, que ses avantages extérieurs et étincelants comme il m'avait entendu vanter chaleureusement et douloureusement les mérites (qu'il avait su lui-même apprécier) d'une personne que j'avais eu le malheur de perdre, il m'envoya des fleurs pour placer auprès de son portrait cet hommage d'un peintre à une effigie, n'est-ce pas à la fois rare et naturel, délicat et singulier, avec cette pointe d'inattendu qui relève les conceptions et rehausse les actes ?
J'en fus infiniment touché, et pour toujours ces fleurs, c'étaient des rosés, elles brillaient de tout l'éclat des corsages et du teint des héroïnes
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de Gustave Jacquet, en reconnaissance de ce geste qui m'a conquis, je dépose aujourd'hui, devant l'image de leur auteur, des roses dont je voudrais qu'elle eussent le même parfum, une suavité aussi durable.
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LE MOULIN DU LIVRE
VII
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LE MOULIN DU LIVRE
Un homme sollicité d'écrire une préface pour un album de reliures, se, récria en disant « je ne suis qu'un technicien »; puis, il écrivit la préface. En présence de pareil honneur, qui m'est fait, de semblable service qui m'est demandé, je me récrie, à mon tour, et je dis « je ne suis qu'un poète H puis, moi aussi, j'écris la préface.
Pas un commentateur qui se respecte; ayant à se prononcer sur une question de pareil ordre, ne manque de citer, complaisamment et doctement, les noms des Ève et de Le Gascon, auxquels s'ajoutent, dans une succession plus ou moins chronologique, avec des degrés de mérite inégaux, mais indiscutés, Boyer du Seuil, Dubuisson, Derôme, Pasdeloup, Thouvenin, Bozérian, Simier, Trautz-Bauzonnet, Capé, Chamboue, Lortic, David et Marius Michel.
Il fait bien c'est énumérer le d'Hozier des
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relieurs, le Père Anselme de ceux qui ont élu et accepté, pour leur mission, de vêtir nos rêves, en y employant tous les dermes et toutes les couennes, de la peau d'homme à la peau d'âne, de la peau de femme à la peau de chatte, de vipère ou de lionne.
Que le héraut de ces nobles habilleurs de livres ne manque pas d'y joindre le nom de Meunier, et qu'il l'accompagne du gentil moulin qui sert de blason à ce minotier si habile à bluter des farines de génie, d'autres de talent, d'autres moindres, et à les ensacher, bien que non ~'M~m~r~M?, dans des sacs ingénieusement brodés de tous les décors imaginables.
Un éminent préfacier de Monsieur Meunier affirme que ce qui distingue, avant tout, cet artiste, c'est l'intelligence volontiers je dirais, moi ce qui le caractérise non moins, c'est ~MtM~M~ impossible qu'un homme qui ne prend pas luimême plaisir à son travail, puisse l'accomplir avec cette ferveur continuée, laquelle ne peut venir que de l'allégresse maintenue.
Nul doute que la recherche joyeuse et l'heureuse trouvaille d'un nouveau motif de décoration, à tirer d'une lecture, n'entre pour beaucoup dans la réussite spontanée, bien qu'au fond labo-
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rieuse, de tous ces plats aux ornements si bien en rapport avec les tons des maroquins choisis pour les interpréter, et souvent même le ton de l'écrit, qu'ils font penser à ces marbres ou à ces feuillages, dont les taches représentent des sujets, nés avec les grains ou les fibres, et créés par la seule Nature.
Et quand le relieur trouve à ciseler dans son cuir une silhouette de plus, soyez sûr qu'il est aussi exalté que l'était cet oiseau-poète mis en scène par Musset, quand il avait inventé une rime inconnue.
Dans un petit poème, naguère, par moi, consacré à la description des robes Japonaises, il y avait ces vers:
Création finie
D'où, seule, fut bannie,
En toute dignité,
L'humanité.
On ne pourrait en dire autant de cette « création finie s qui est celle de Monsieur Meunier, l'humanité y tient une large place, et ce n'est pas,
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je l'avoue, ce que j'en préfère; j'éprouve même, à voir Don Quichotte, par exemple, jaillir tout armé, du flanc de son ouvrage, un sentiment, quelque peu déconcertant, de mystère trop vite résolu; l'entrecroisement de gantelets et de solerets, de brassards et de cuissards, de rondaches et de salades, autour d'une pile écroulée, des Romans de la Chevalerie, me rendait l'Amoureux de Dulcinée plus présent qu'à le voir là trop réel, trop emprisonné dans la conception, un peu convenue, de l'imagier, qui ne laisse plus de place pour les songes; mais cela, c'est affaire de goût, variable pour chacun.
Cette humanité, admise par Meunier, à participer au décor de ses ouvrages, n'en abuse pas, et je lui en sais gré, pour les causes que j'ai dites ce sont des chevaliers, des hallebardiers, des soldats, des reines et des pages, des religieuses et des inquisiteurs, des ribaudes et des prélats, des mères, des vierges et des amantes, des sorcières et des danseuses, des modèles et des rapins, des tâcherons et des nègres; je cite cursivement, au hasard, et sans oublier nombre de figures allégoriques. Tous ils sont mêlés à des faunes, à des flores, à des objets, qui les aident à exprimer un sentiment, à traduire une pensée.
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Comment ne seraient-ils pas en droit de pulluler sur des couvertures qui leur servirent d'enveloppes, tous ces animaux convoqués à leur tour, et parfois appelés à s'ornementer eux-mêmes? Et ce sont des aigles et des colombes, des paons et des pélicans, des corbeaux et des hiboux, des chauves-souris et des hirondelles des singes, des verrats, des agneaux, des lions, des éléphants des lamproies et des dauphins, des coquilles et des crustacés, des scarabées et des papillons, des cigales et des abeilles des reptiles surtout, dont l'enroulement terrifique et décoratif se noue avec souplesse et se déploie avec langueur.
Tout cela, suivant les besoins de la cause, formule la douceur ou la force, la délicatesse ou l'énormité, le jour ou la nuit, la tristesse ou la joie. Et les plantes, elles dont on a rédigé le langage, comment n'exigeraient-elles pas de dialoguer entre toutes ces allégories ? Elles parlent, ils s'expriment de leurs couleurs et de leurs contours, lis et lins, roses et oeillets, nénuphars, iris et arums, pavots et coquelicots, pâquerettes et myosotis, chèvrefeuilles et jasmins, lierres et houblons, chardons et ronciers, grenadiers et marronniers, épis et lotus, houx, guis et mimosas, orchidées et passiflores.
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Mais les choses, dites inanimées, ne réclamentelles pas leur droit à la parole, et même au cantique, dans cette « Prière des Objets », que je leur ai consacrée au cours de ces .Pn'M de Tous, desquelles Meunier fut l'éditeur sympathique ? Et les voilà qui, à leur tour, bavardent, bourdonnent ou babillent, clament ou roucoulent, ricanent ou pleurent, au long des plats les uns, ces objets, guerriers, comme ces framées, ces masses d'armes et ces faulx, ces lances et ces épées, ces flèches et ces arcs, ces casques et ces cors, ces boucliers et ces étendards, ces haches et ces chaînes et, plus modernes, ces étriers, ces fers à cheval, ces shakos, ces épaulettes et ces ceinturons, ces gamelles, canons et fusils. D'autres sont religieux, psautiers, cagoules, olibans, crucifix, mitres et tiares; d'autres sont harmonieux ou retentissants, tambours, tambourins, grelots, cymbales, buccins, lyres et harpes, violons, guitares et mandolines; d'autres sont funéraires, linceuls, cercueils, sabliers, lampes, flambeaux et cire, ou bien élégants, écharpes, corselets, flacons, éventails et parasols; d'autres enfin, dont le pêle-mêle aurait enchanté Beardsley, font se rencontrer des guillotines et des potences, des clefs et des croix, des barques et des barils, des feutres et des masques, des passe-
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menteries et des mascarons, des amphores et des cuvettes, des couronnes et des feutres, des vases et des corbeilles, des lanternes et des coupes, des palettes avec leurs pinceaux, des chartes et des chopes, des bouées et des roues, des béquilles et des balances, des tombeaux et des berceaux, des mappemondes et des cornucopies.
Mais ceux-ci encore, à quels règnes les rendre, sous quels vocables les enregistrer, ces crânes et ces squelettes, ces nuages et ces astres, ces flammes et ces fumées, ces stalactites et ces larmes ? Cellesci pleurent comme celles-là, et n'ont qu'à recevoir un rayon du couchant pour devenir des pleurs qui saignent, et servir à l'ornementation d'un volume royal et désolé, qui se nomme Les P~M Rouges.
Toutes ces voix, que vous entendez ici murmurer et grincer
« Comme l'orchestre avant le lever du rideau a,
suivant le vers d'un poète relié par notre relieur, se mêlent ou se divisent en des unissons fraternels ou volontairement discordants, en chœurs mélodieux, en duos charmants, en solos expressifs; ils chantent la gloire de l'Artiste savant et sensible,
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qui a su extraire des cœurs et des calices, de la matière et de la pensée, un hymne à la gloire de l'Esprit Humain, du rêve enfermé, par la reliure, entre deux rectangles de peau, repris à des êtres, lesquels à l'exemple de la Vache d'Hugo, ont « rêvé à leur Dieu a en ruminant des images et des extases.
La soixante-quatrième de mes Paroles Diaprées s'exprime ainsi:
Pour l'exemplaire de Charles Meunier
Comme on en vit au Moyen-Age, Artisan-artiste, Meunier,
De rares peaux faisant usage Pour vêtir et pour relier
Les manuscrits et les volumes L'antiphonaire et le psautier, Et sur eux, figurant des plumes, Ou des fteurs, le mystère entier Quand vous habitiez notre Livre, S'il est mortel, faites le vivre, Dans la ciselure du cuir
Si nos œuvres sont immortelles, Qu'elles emportent, avec elles, Votre ouvrage, vers l'Avenir 1
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TABLE
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I. L'ARCHANGE D'OR II. L'OMBRE DES FLÈCHES III. SAINTS D'ISRAËL. IV. L'AMI DU « VOLEUR DE SOLEIL ». V. LE MÉTÉORE VI. LE BEAU CAVALIER VII. LE MOULIN DU LIVRE.
DÉDICACE. 5 COMPTE-COURANT. 7 TÊTES COURONNÉES 27
TABLE
47
85
95
II5
i43
243
269
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ACHEVÉ D'IMPRIMER
LE8jUtNIf)l6
par
A. C~EB~OU IMFRIMBURANIORT
pour
Edward SANSOT ÉDtTEUR A PARIS