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FERDINAND BRUNOT
Membre de l'Institut, Doyen de la Faculté des Lettres
Professeur d'Histoire de la Langue française à l'Université de Paris
HISTOIRE
DE LA
LANGUE FRANÇAISE
DES ORIGINES A 1900
Ouvrage couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettre
(Premier Grand Prix Gobert)
TOME IX
La Révolution et l'Empire
PREMIERE PARTIE
Le français langue nationale
(Avec vingt cartes)
PARIS
LIBRAIRIE ARMAND COLIN 103, BOULEVARD SAINT-MICHEL, 103
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HISTOIRE
DE LA
LANGUE FRANÇAISE
DES ORIGINES A 1900
TOME IX
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LIBRAIRIE ARMAND COLIN
FERDINAND BRUNOT
HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
DES ORIGINES A 1900
Ouvrage couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Premier Grand Prix Gobert, 1912).
TOME I : De l'époque latine à la Renaissance. Un volume in-8° de 548 pages, broché ou relié.
TOME II : Le Seizième siècle. Un volume in-8° de 510 pages, 8 planches hors texte, broché ou relié.
TOME III : La Formation de la Langue classique (1600-1660) :
Première partie. Un volume in-8° de 456 pages, broché ou relié.
Deuxième partie. Un volume in-8° de 320 pages, broché ou relié. TOME IV : La Langue classique (1660-1715) :
Première partie. Un volume in-8° de 670 pages, broché ou relié.
Deuxième partie. Un volume in-8° de 560 pages, broché ou relié.
TOME V : Le français en France et hors de France au XVIIe siècle. Un volume in-8° de 528 pages, broché ou relié.
TOME VI : Le XVIIIe siècle.
Première partie. La philosophie et la langue (en préparation).
Deuxième partie. L'époque post-classique. Tradition et nouveautés (en préparation).
TOME VII : La propagation du français en France jusqu'à la fin de l'ancien régime. Un volume in-8° de 360 pages, broché ou relié.
TOME VIII : La propagation du français en Europe. Le français langue universelle. Un volume in-8° (en préparation).
TOME IX : La Révolution et l'Empire.
Première partie. Le français langue nationale. — Un volume in-8° de 632 pages, broché ou relié.
Deuxième partie. Mouvement interne de la langue. — Perte de l'hégémonie en Europe. — Un volume in-8° (en préparation).
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FERDINAND BRUNOT
Membre de l'Institut,
Doyen de la Faculté des Lettres,
Professeur d'Histoire de la Langue française à l'Université de Paris.
HISTOIRE
DE LA
LANGUE FRANÇAISE
DES ORIGINES A 1900
Ouvrage couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Premier Grand Prix Gobert, 1912).
TOME IX
La Révolution et l'Empire
PREMIÈRE PARTIE
Le français langue nationale
(Avec vingt cartes)
PARIS LIBRAIRIE ARMAND COLIN
103, BOULEVARD SAINT-MICHEL, 103
1927
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
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Copyright 1927 by Max Leclerc and C°, proprietors of Librairie Armand Colin.
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INTRODUCTION
J'espère que cette étude, si incomplète et imparfaite qu'elle soit, intéressera les linguistes; ils y verront ce qu'ont produit des forces qu'on trouve rarement unies : l'action d'un Etat qui a une politique linguistique, l'élan d'un pays qui désire l'unification de son langage. Même dans la Gaule romaine, pareil concert ne s'était pas rencontré ; en tous cas nous n'avons pas le moyen d'en observer en détail les effets.
En 1789, la langue française entre dans une nouvelle phase de sa longue vie. Assurément, comme sous l'ancien régime, l'extension du français continue à dépendre de faits qui ne paraissent pas, au premier abord, être en relation avec la vie linguistique. Ainsi la guerre, une fois qu'elle sera menée, non plus avec des mercenaires, mais avec des volontaires, des conscrits, des levées en masse, quand on amalgamera ces éléments dans des formations où ils s'accoutumeront à un langage commun, deviendra une force puissante de cohésion.
Mais ces événements, si importants soient-ils, et si féconds en résultats qu'on les reconnaisse, tout en méritant l'attention, ne doivent plus l'attacher exclusivement. Si la langue devient nationale, c'est qu'une nation se forme, sciemment, par des actes de volonté et d'amour, et que la langue apparaît aux hommes politiques et aux citoyens comme un élément essentiel de la « nationalité »1. On croit nécessaire, non plus seulement de la répandre, mais de l'imposer. Toute une série de mesures sont prises à cet effet, et constituent une politique.
Cette politique ne pouvait pas réussir et en effet elle a partiellement échoué. Mais d'abord les résultats obtenus par elle en dix ans dépassent peut-être ceux auxquels l'évolution spontanée avait jadis conduit en un siècle. De plus ils changent du tout au tout
1. Le mot n'existe pas encore.
Histoire de la langue française. IX. 1
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2 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
les conditions de cette évolution. Les langages locaux sont désormais des dissidents, qu'il faut combattre et réduire. La puissance formidable de l'État est mise au service de leur adversaire. Peu importe que ces idées soient un instant perdues de vue après Brumaire, et que le nouveau gouvernement semble peu se soucier de cet intérêt. L'impulsion a été donnée. L'usage linguistique n'est plus considéré comme chose indifférente et négligeable. Quand on cesse de s'appliquer à le changer, on est encore désireux de le connaître. Le langage est devenu une affaire d'Etat. Qui ne voit que, dans ces conditions, la situation de la langue dans le pays est toute différente de sa situation antérieure? De libre qu'elle était, elle devient matière d'inspection et objet de règlements.
J'ai donc cru nécessaire de porter là-dessus mes investigations principales. J'espère avoir démêlé et mis en lumière quelques faits significatifs. Il y en aura des milliers à ajouter. Je serais heureux si le cadre que je fournis pouvait aider ceux qui voudront les rechercher.
Pour les historiens aussi, et même pour les hommes politiques, il me semble qu'il peut être intéressant d'observer une des formes sous lesquelles s'affirme la nationalité française, car si l'unité de la langue n'est pas le but vers lequel se dirige une nation, personne ne conteste qu'elle soit un des moyens par lesquels cette nation dégage sa personne morale. Turgot, Raynal avaient déjà réservé le nom de nation à une société d'hommes parlant la même langue. L'un et l'autre se fussent refusés, non sans raison du reste, à accepter l'axiome posé par Vaublanc en 1806 : « Il est certain que c'est la langue qui fait la Patrie ». 1 C'est la Révolution qui avait imposé sinon à l'Angleterre, soustraite à son influence, du moins à la plus grande partie de l'Europe cette manière de penser, dont l'action a été énorme, non seulement sur l'avenir des langues, mais sur le destin des nations.
C'est un devoir agréable pour moi que de remercier en terminant MM. Marichal, Schmidt et Caron, des Archives Nationales, auxquels je dois de précieuses indications, et M. A. Mathiez, professeur à l'Université de Dijon, qui a bien voulu prendre connaissance de ce livre et m'en dire son sentiment; enfin M. Gérock, l'éminent érudit de Strasbourg, qui m'a secondé dans mes recherches en Alsace et a bien voulu contrôler tout ce qui se rapporte à cette province.
1. Voir p. 522.
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PREMIÈRE PÉRIODE
DE LA RÉUNION DES ÉTATS GÉNÉRAUX A LA RÉUNION DE LA CONVENTION
LIVRE PREMIER NATION ET LANGUE NATIONALE
CHAPITRE PREMIER L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION
LES DIVERSES PHASES. — Si brève qu'ait été la période révolutionnaire, il m'a paru nécessaire de la diviser en plusieurs phases.
La première, qui va de la réunion des États Généraux à la réunion de la Convention, est décisive. Pourtant elle n'a été marquée par aucune loi spéciale relative à la langue. Une politique s'annonce, s'affirme même, elle n'a pas commencé d'être appliquée. C'est l'enthousiasme des « citoyens » qui amène des changements essentiels.
La seconde est celle de la Terreur. Des décrets rigoureux se succèdent, qui ordonnent l'usage du français. Les résultats acquis par la contrainte sont médiocres, mais toutes sortes d'événements précipitent la fusion des langages.
La troisième, qui commence au IX thermidor et va jusqu'au XVIII brumaire, marque sinon un recul de l'idée, du moins un changement de méthode. Des institutions, destinées à des succès divers, sont créées, et, malgré une opposition forcenée, avancent l'oeuvre de francisation.
Après cela vient le Consulat, puis l'Empire. D'autres soucis, d'autres doctrines même inspirent la politique. Mais, si l'ère des grands progrès est close, toutes les positions prises ne sont pas perdues ou abandonnées.
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4 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
L'ÉLAN SPONTANÉ. — Il est un point sur lequel il faut insister tout d'abord, c'est que l'amélioration survenue dès 1789 dans la situation de la langue française en France est due, moins aux actes du pouvoir qu'à la transformation spontanée de l'âme française, révélée à elle-même. C'est alors que se forma la Nation, dont le seul nom faisait battre les coeurs, un des types les plus purs de ces nations, telles que Renan les a définies, qui se fondent moins sur les traités des diplomates que sur les inclinations des peuples, moins sur des intérêts matériels que sur des actes de conscience, créations morales où entrent des souvenirs et aussi des sentiments et des résolutions.
Le peuple alsacien s'est uni au peuple français parce qu'il l'a bien voulu, disait Merlin de Douai, le 31 octobre 1790, c'est sa volonté seule et non le traité de Münster qui a consommé et légitimé l'union 1. Le mot s'appliquait désormais à toutes les provinces. On se rappelle les Lorrains — c'étaient les derniers venus dans le royaume — se déclarant, dans la nuit du 4 août, « heureux d'entrer avec le surplus des citoyens dans cette maison maternelle de la France, prête à refleurir sous l'influence de la justice, de la paix et de l'affection cordiale de cette immense et glorieuse famille ».
LA PATRIE ET SON CULTE. — Ce peuple, disait Casanova en 1797, est devenu adorateur de sa patrie, sans avoir jamais su, avant la Révolution, ni ce que c'était que patrie, ni même ce mot 2.
On se sentit « patriote ». Le « patriotisme », presque tout de suite, devint, au sens propre du mot, un fait d'ordre religieux, en même temps que politique 3. Sans doute la religion nouvelle n'avait point pour objet un Dieu, ni pour but d'obtenir de lui des faveurs dans cette vie ou dans une vie future; mais bien des religions n'ont pas eu ce caractère. Pour humaine et civile que fût celle qui venait de naître en France et qui gagna bien des coeurs à l'étranger, elle n'en avait pas moins tous les traits distinctifs du fait religieux, tel qu'il a été défini par Durkheim.
Ses prêtres étaient des législateurs dont le nom, prononcé des millions de fois avec une emphase respectueuse, évoquait l'idée de dispensateurs suprêmes, chargés de la mission céleste d'assurer le bonheur de l'humanité.
1. Voir Rapport à l'Ass. Constte du 28 oct. 1790.
2. A. Léon. Snetlage, Paris, Vve A. Thomas et Ch. Thom., 1903, p. 10 Cf. notre tome VI.
3. Voir Aulard, Le Patriotisme français, et surtout Mathiez, Les Orig. des Cultes révol. On trouve l'expression " la religion du patriotisme ", par exemple, dans une lettre adressée au Com. de Sal. P. par Fouché, Collot d'Herbois et Séb. de Laporte, 20 brum. an II-10 nov. 1793 (Aul., Act. du Com, de S. P., t. VIII, p. 331).
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L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 5
Son culte se composa de toutes les cérémonies où le peuple s'assemblait, fédérations, serments, baptêmes civiques, fêtes avec spectacles symboliques, baisers fraternels, prières et pompes autour des autels de la patrie ou des autels chrétiens.
Ses symboles étaient les cocardes, le drapeau tricolore, les piques coiffées du bonnet, les arbres de la liberté. Son dogme était dans la vertu suprême et irrésistible des institutions sociales qui allaient régénérer le monde et apporter une vie de bonheur. Un credo l'avait formulé : la Déclaration des Droits. Les lois, les votes en assureraient le triomphe. Des catéchismes, que les croyants portaient sur eux, qu'ils débitaient et commentaient, devaient l'enseigner et le répandre. Un espoir immense élevait les coeurs vers l'avènement du nouveau Contrat social annoncé par le prophète, et dont la réalisation avait commencé quand l'Assemblée avait établi comme base du monde régénéré l'égalité universelle dans la liberté définie.
En une nuit on croyait avoir passé de rien à tout. La fraternité des grandes heures d'amour emplissait les âmes. On se fiançait à la Constitution par des serments sans cesse renouvelés, comme dans de fréquentes communions. Et tout un peuple se ruait spontanément à ces engagements, qu'il tenait pour des délivrances.
Rien n'y manqua, ni les superstitions, ni le fanatisme, ni les martyrs, ni les persécuteurs, les uns souffrant et mourant, les autres torturant et tuant pour leur foi.
L'UNITÉ DE LANGUE ET L'UNITÉ DES COEURS. — Déjà le latin semblait déplacé dans ce culte, et une des raisons, un des prétextes tout au moins qui feront peu à peu éliminer l'Eglise de ces cérémonies, sera sa langue étrangère. Encore cette langue participait-elle en quelque façon de la majesté de la religion; on était habitué à en entendre chanter les mots chaque fois que l'homme échappait au souci des choses matérielles ; elle avait un prestige qui peut-être mêlait à ces fêtes déjà augustes quelque chose de divin. Mais les idiomes, les jargons ne possédaient aucun de ces avantages. Quel rôle pouvaient jouer, à ces heures d'extase et d'élan mystique, ces misérables parlers qui empêchaient les foules de s'entendre, d'échanger des promesses, de comprendre les décrets, les lectures, les discours, les chants? Comment eussent-ils pu être considérés autrement que comme des gênes insupportables, des obstacles dont on se débarrasse autant qu'on le peut pour prendre part à la grande initiation? C'étaient encore des vestiges du passé aboli et maudit, une de ces inventions ténébreuses des tyrans, imaginées
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6 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pour isoler les frères, les empêcher de se joindre dans le besoin de s'aimer et d'unir leurs forces.
Les patois, nous l'avons montré, n'étaient pas alors un de ces objets d'affection auxquels on tient comme à une relique de famille. Ils ne survivaient que par la force de l'habitude et de l'ignorance.
A partir de 1789, des gens, qui jusque-là ne s'étaient pas sentis gênés de leur isolement linguistique, commencèrent à en souffrir. Le 5 janvier 1792, les administrateurs du district de Sauveterred'Aveyron — on ne les accusera pas de vivre dans la fièvre de Paris — se plaindront à l'Assemblée de leur « maudit langage », le mot est d'eux : « Ce qu'il y a de plus pressant dans le moment, disaient-ils, c'est que la Langue nationale s'introduise dans nos campagnes ; ce maudit idiome particulier à nos villageois est leur fléau et le tombeau de l'instruction sous quelque autre forme qu'elle se montre.
« Que des maîtres placés dans les six principaux Bourgs de ce District commencent donc par nous apprendre à parler la Langue française que nous connaissons à peine; qu'elle prene la place de ce malheureux Jargon qui étouffe le developement de nos idées en retrecissant les connaissances dont la nation nous a fait present aussi bien qu'aux habitans des Contrées fortunées qui n'ont pas besoin de faire le premier pas vers l'instruction " 1.
De Salins, un correspondant de Grégoire avait écrit dans le même esprit : « L'effet de la destruction du patois serait d'élever l'âme, de réunir les coeurs, d'éclairer les esprits; comme l'effet du patois est de dégrader l'âme par une des distinctions qui placent le pauvre au-dessous du riche, de conserver dans les campagnes une ignorance qui met sans cesse les hommes aux prises avec l'erreur et la fourberie, d'empêcher entre les hommes la communication des sentiments et des pensées, de traiter facilement de leurs intérêts, de diviser les départements, les districts et les communes en autant de peuples différents. Le détruire serait travailler pour l'établissement de l'égalité, donner de grandes facilités à l'instruction publique, unir en un seul coeur comme en un seul peuple tous les Français » 2.
L'UNITÉ DE LANGAGE LIEN POLITIQUE. — Ce qui était instinct était raison aussi. Sans doute la personne du Roi unissait les Français dans un devoir commun et établissait au-dessus d'eux, dominant
1. Arch. N., F17A 1311.
2. Lett, à Grég., p. 215, n° 29.
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L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 7
tout le pays, l'unité d'une autorité suprême, et quand cette autorité faiblit, celle de l'Assemblée s'y ajouta. Il n'en est pas moins vrai que les organes administratifs et judiciaires cessaient, de par la Constitution de 1791, de représenter la volonté royale. Les fonctions étaient électives dans les nouveaux départements. Pour que chacun d'eux ne fût pas un État autonome, avec son indépendance, gérant ses intérêts propres dans un esprit particulier, il fallait des liens nouveaux et solides. La Révolution, qui devait aboutir à une centralisation extrême, débutait par une décentralisation singulièrement dangereuse s'il ne se formait pas une âme commune. Les idiomes et les patois, sans que personne le voulût, ou même y pensât, étaient fédéralistes. Le français était national. Lui seul pouvait refaire une nouvelle, unanimité en répandant sur tout le pays les doctrines, les idées — ou simplement les informations, — tout ce qui constituait l'esprit nouveau; seul, aussi bien parmi les adversaires de la Révolution que parmi ses partisans, il était capable de rapprocher les cerveaux et les coeurs dans des espoirs communs et des haines partagées.
ACCORD DES INTÉRÊTS ET DES SENTIMENTS. — Là est le grand mystère de ce temps. Les patois seront poursuivis, c'est vrai, mais ils étaient abjurés. Le français sera soutenu, recommandé, imposé même, peut-être ; mais avant que le pouvoir tentât de l'installer dans son rôle, une aspiration générale l'y avait porté. Il était devenu la langue nationale, non seulement en ce sens qu'il était la voix de la nation souveraine, mais aussi parce qu'il participait d'elle. Produit de l'unité nationale, il aidait pour sa part — et on sait quelle est la part des mots dans les mouvements de la vie collective — à faire cette unité. Il en était moins un aspect qu'un facteur. Après avoir été l'expression du génie du pays, il devenait celle de son âme même.
Aussi parler le français apparaissait à tous comme une façon, et non des moindres, d'être patriote. C'était une forme d'adhésion, un gage qu'on donnait à la France régénérée dans l'égalité et la fraternité. Laumond, le préfet du Bas-Rhin, se souvient, en 1800, malgré les changements survenus, de l'enthousiasme avec lequel se portaient vers l'idiome national des contrées qui l'avaient ignoré jusque-là. « Au commencement de la Révolution, dit-il, l'usage du français avait pris, en quelque sorte, un caractère de dévouement à la patrie et par cela seul était devenu plus commun »1.
1. Statist. du départ, du Bas-Rhin, p. 208.
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8 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Sans doute le souci des avantages pratiques qui devaient résulter pour l'administration, le commerce, les échanges de toute sorte, de l'unification linguistique se montre chez les hommes du temps 1. Mais à leurs arguments d'ordre matériel ceux qu'on consultait en joignaient invariablement d'autres, tout moraux : « L'unité de langage n'est pas seulement utile pour les assemblées des citoyens ; la sûreté des actes publics, l'exécution des lois, l'unité de régime, tout semble demander cette réforme... La multiplicité des idiomes pouvait être utile dans le IXe siècle et sous le trop long règne de la féodalité... aujourd'hui que nous avons tous la même loi pour maître, aujourd'hui que nous ne sommes plus ni Rouergas, ni Bourguignons, etc., que nous sommes tous Français, nous ne devons avoir qu'une même langue, comme nous n'avons tous qu'un même coeur » 5.
Les derniers mots sont ceux qu'il faut retenir, ce sont les vrais. Les aspirations sentimentales ont plus fait à cette époque que les besoins pratiques. Elles jaillissent de partout : « La France, ne composant plus qu'une même famille de frères ou d'égaux (ces deux termes sont synonymes) sera sans doute bien aise qu'on ne parle plus qu'une seule et même langue »3 (Gers, Lett. à Grég., p. 94, n° 29).
Des étrangers au royaume demandaient à être réunis, se prévalant de cette raison, qu'ils parlaient le même langage. Le 26 juin 1790, les députés d'Avignon se présentent à la barre de la Constituante pour demander l'annexion : « Le peuple avignonnais, disent-ils, a voulu être le premier. Placé au milieu de la France, ayant les mêmes moeurs, le même langage, nous avons voulu avoir les mêmes lois » 4.
1. Chabot dénombrait un à un les bienfaits qui en résulteraient : « L'Assemblée nationale s'occupe de l'unité de poids et de mesure pour bannir la fraude de tout l'empire du commerce : ne serait-il pas à propos qu'elle étendit sa prévoyance sur l'abus que l'on peut faire d'une langue que l'on connaît en traitant avec un homme qui ne la connaît pas ? » (Lett. à Grég., p. 74). Certains qui « savent seuls parler français parviennent, par leurs intrigues, à capter le suffrage de nos concitoyens » (Ib., p. 71). « Les contrats de vente, de donation, de mariage, ne peuvent être passés qu'en une langue commune aux contractants... or, la fraude ou l'impéritie de la plupart des tabellions exige que le langage des actes soit entendu de tous les contractants » (Ib., p. 73).
2. Ib., p. 73, 71.
3. Le sentiment de l'intérêt linguistique que pouvaient présenter les patois n'arrêtait personne. On les sacrifiait délibérément à la patrie : « Je désire encore que l'on s'occupe de détruire les patois, cette rouille des langues qui les avilit et les détériore. Sous cette écorce dégoûtante, l'homme de génie peut cependant trouver quelque chose de précieux, en ce que ces restes informes de l'ancien langage national, bien examinés, bien scrutés, peuvent servir à en retrouver les origines. Qu'il y ail donc, dans la république française, unité de langage comme unité de principes et de sentimens » (Briquet à Grégoire, 9 brumaire an III, Rochefort-sur-mer, Lett. à Grég ms. p. 562)
4. Aul Et. et leç. sur la Révol. franç.. 3e série, p. 115. Plus tard, Guingamp sollicitait un établissement d' instruction publique. Son droit, la ville le faisait reposer sur une situation privilégiée qui en avait fait le carrefour des langues, et lui permettait de
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L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 9
De tous les correspondants de Grégoire, un seul ne voit pas, ou ne veut pas voir, et déclare que « l'importance religieuse et politique de détruire les patois est nulle »1.
Ces dispositions envers la langue nationale ne furent nullement passagères. Elles survécurent aux illusions des premières années. A l'époque jacobine, la formule varie : « Au lieu de langue nationale, on dira volontiers langue de la liberté 1, mais le sentiment demeurait identique : « La langue françoise est devenue l'idiome de la liberté; elle doit être cultivée avec soin par tous les hommes libres. Les Grecs appeloient barbares les peuples qui ne parloient pas leur langue ; on donnera un jour ce nom au françois qui ne parlera pas bien la sienne » (Domerg., Pron. fr., p. 196).
Quand vint, après les excès et les désordres, la réaction antirévolutionnaire, ce principe fut un de ceux qu'on ne remit pas en question. Il était acquis. Un des grammairiens qualifiés de l'époque, Sicard, opinera en l'an VII comme il l'eût fait en 1792 : « Ne convient-il pas que la langue soit une dans un pays où la langue est si belle? Ne faut-il pas qu'une même élocution régulière soit commune à tous les enfans d'une même patrie; qu'elle devienne le signe caractéristique de l'unité de loi et d'un assujettissement égal à l'autorité des règles? D'ailleurs cette uniformité de langage sera le véhicule le plus rapide pour la communication de la pensée, et dispensera de l'obligation humiliante de traduire la langue nationale en jargon informe, pour la rendre intelligente à des citoyens d'un même gouvernement et qui habitent le même sol. Cette uniformité sera enfin le plus sûr moyen d'éviter les équivoques et les méprises, toujours funestes dans l'intelligence des lois et dans l'émission du voeu de chaque citoyen. N'étoit-ce pas un des grands inconvéniens que la Convention nationale s'étoit proposé de faire disparaître par l'établissement des écoles normales? » 3
L'UNITÉ DE LANGUE ET LE PRINCIPE DES NATIONALITÉS. — Il y a plus. Il faut tenir le dogme qu'une nation ne doit avoir qu'une langue pour
coopérer à l'unité, d'être le « centre de réunion propre à rassembler des hommes qui ont tant d'intérêt à se connaître et que la différence des langages rend étrangers les uns aux autres » (Arch. N., F17A 1309, 1011, doss. 6).
1. Lett. à Grég., p. 81, n° 29.
2. « Il faut qu'il apprenne à parler et à écrire avec précision la langue de la liberté » (Strasbourg aux citoyens composant le Comité de Salut public; Arch. N., F17A 1318).
Une adresse de 1790 disait déjà : " Notre nouvelle Constitution attachera plus d'importance que jamais au nom François, ce nom ne présentant plus que l'idée d'un être libre et gouverné par des loix qu'il aura consenties lui-même, chacun se montrera jaloux d'en apprendre et d'en retenir le langage » (Carré, Culte publ. en langue fr..
p. 31-32).
3. Man. de l'en)., V-VI.
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10 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
un des dogmes essentiels de l'évangile des temps modernes. Parti de France, il est devenu européen. Il a en un siècle gagné d'autres pays, jusqu'à constituer un des éléments du principe des nationalités. Dès le début, des Français éclairés lui ont donné cette portée : « Il est bien à désirer, écrivait-on de Limoges, que chaque nation ait la sienne (sa langue), que cette langue soit la même dans toutes les parties de son territoire, afin que deux hommes d'une même nation puissent se reconnaître et s'entendre au premier abord »1. Nous aurons à revenir ailleurs sur les conséquences qu'eut la généralisation de ces idées.
D'après ce qui vient d'être dit, il n'est aucunement besoin d'examiner dans quelle mesure la nationalisation linguistique se rattache à des inspirations venues du passé ou de l'étranger. Sans doute quelques initiés conservaient le souvenir des efforts de Colbert, de Richelieu, de François Ier ; à l'occasion ils y firent allusion. Mais on n'était pas à une époque où il fût d'usage de « s'en référer aux précédents », et on ne rappelait en général la tradition que pour rompre avec elle. Si parfois on en tirait un argument, c'était un argument surérogatoire, une sorte d'incitation à exécuter de façon digne du peuple ce que les « tyrans » euxmêmes avaient tenté et manqué. Les exemples d'un Joseph II d'Allemagne avaient naturellement moins de crédit encore que les leçons d'un François Ier de France. Ses essais de germanisation apparaissaient à ceux qui les connaissaient comme des tentatives d'oppression, mieux faites pour dégoûter des hommes libres que pour les guider.
Si le français a été élevé au rôle de langue nationale, il n'en faut faire honneur à aucune tradition, à aucun parti, à aucun corps, à aucun homme; la nation révolutionnaire a trouvé cette idée dans ses entrailles.
AUTRES MOBILES. — Je ne voudrais point toutefois avoir l'air de prendre les gens de ce temps pour ce qu'ils n'ont pas été, et de les représenter en proie à une exaltation constante qui en aurait fait des surhommes. Pour s'être sentis citoyens, ils ont gardé leurs instincts, leurs besoins, leurs habitudes. Dans le désir de savoir le français qui prit les meilleurs, il est entré bien autre chose que le patriotisme, et tout d'abord de la curiosité, une curiosité souvent intéressée, d'où le sentiment de l'avantage personnel n'était pas exclu; un peu de jalousie aussi à l'égard des privilégiés que leur
1. Lett. à Grég., p. 165.
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L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 11
éducation mettait en état de tout comprendre de ce qui se passait, se disait, se lisait autour d'eux. L'amour-propre s'en mêlait également. On voulait n'avoir pas l'air « plus bête qu'un autre », et ce sentiment, si vif chez les Français, n'a pas été sans stimuler les facultés linguistiques. « Il n'y a rien de plus ridicule, écrit-on du fond de la Corrèze, que de voir un Français qui n'entend pas et ne parle pas le français »1. Personne ne se souciait de se faire moquer à ce propos. L'unification du langage devait sembler à des gens frustes une des formes, et non des moins sensibles, de l'égalité. Entre hommes du monde il suffisait depuis longtemps de mal parler le français pour se déclasser; il était naturel qu'on commençât dans le peuple à se considérer comme déclassé lorsqu'on ne le parlait pas du tout. C'était là encore une conséquence du mouvement social.
1. Arch. N., AA, 32, 32 706.
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CHAPITRE II UNE POLITIQUE DE LA LANGUE
GRÉGOIRE. — Toutefois il y a un homme au moins qui n'a jamais cessé, presque depuis les origines de la Révolution, de songer à faire du français la langue nationale. C'est l'abbé Grégoire, le célèbre curé d'Embermesnil. Est-il téméraire de supposer que l'idée des miracles qu'on pouvait faire par le français dans les campagnes lui a été inspirée par la visite qu'il avait faite au Ban-de-la-Roche, quelques années avant la Révolution, et dont Jérémie-Jacques Oberlin lui parle dans une lettre du 28 août 1790 ?1
En tous cas, dès cette époque, les méditations de Grégoire l'avaient conduit à penser qu'il y avait en France une question linguistique, et que l'avenir dépendrait en grande partie de la solution qui y serait donnée. Quand on lit attentivement le questionnaire qu'il envoyait, le 11 août 1790, aux quatre coins de la France, on sent que l'auteur interroge moins pour apprendre que pour confirmer des idées qu'il a déjà, et qui sont sinon arrêtées, du moins mûries. Sa première question est : « L'usage de la langue française est-il universel dans votre région? » La conviction de Grégoire est dès lors que, s'il ne l'est pas, il doit le devenir.
Porté par profession comme par caractère à considérer le côté moral des événements, Grégoire est visiblement convaincu qu'il n'y a de Constitution et d'Église véritables que là où le citoyen et le fidèle peuvent tout comprendre, tout examiner, tout pratiquer des lois civiles comme des lois religieuses, en pleine intelligence, en pleine lumière, et non à travers les ténèbres d'un idiome étranger. Là est la condition d'une foi raisonnée, absolue, totale, digne d'un homme libre et d'un chrétien. La communauté civile et religieuse étant désormais fondée, non plus sur l'obéissance aveugle, mais sur la soumission raisonnée à des lois, elle ne peut se créer ni se maintenir là où la diversité des langages empêche l'échange des pensées.
1. Lett. à Grég., p. 228-229.
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UNE POLITIQUE DE LA LANGUE 13
D'un bout à l'autre de la Révolution, avec cette fermeté résolue, invincible, qui est un des traits de sa noble nature et qu'il garda jusqu'à la mort, chaque fois qu'il le put, il parla et agit dans le même sens. A la tribune de la Convention, dans la chaire du Concile, au cours de ses missions dans les départements 1, il s'efforçait partout d'abaisser l'obstacle que mettaient les mots entre le peuple et la double foi que le patriarche de l'Église constitutionnelle unissait dans sa tendresse : la foi républicaine et la foi chrétienne.
Une semblable conviction appliquée à la France conduisait tout naturellement Grégoire à cette conclusion qu'il y avait lieu d'initier tous les Français à la langue nationale, et par suite de mettre la force de l'Etat au service de cette propagation. Si Grégoire n'a pas inventé l'idée, il l'a du moins personnifiée. Il est un de ceux auxquels on doit ce qui n'a jamais plus été perdu complètement de vue : une politique de la langue. «
DÉCLARATIONS DE TALLEYRAND. — Pourquoi l'intervention de Grégoire tarda-t-elle? De quelle occasion entendait-il profiter? En tous cas, c'est Talleyrand qui a eu l'honneur de poser publiquement la question linguistique devant l'Assemblée Constituante et d'en proposer la solution par un développement de l'instruction populaire 2 : « Une singularité frappante de l'état dont nous sommes affranchis, dit-il, est sans doute que la langue nationale, qui chaque jour étendait ses conquêtes au delà des limites de la France, soit restée au milieu de nous comme inaccessible à un si grand nombre de ses habitants, et que le premier lien de communication ait pu paraître, pour plusieurs de nos confrères, une barrière insurmontable. Une telle bizarrerie doit, il est vrai, son existence à diverses causes agissant fortuitement et sans dessein ; mais c'est avec réflexion, c'est avec suite que les effets ont été tournés contre le peuple. Les écoles primaires vont mettre fin à cette étrange inégalité : la langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous ; et cette foule de dialectes corrompus, dernier reste de la féodalité,
1. « Dans ce département (Alpes-Maritimes) une quarantaine de communes ne connaissaient que l'italien : les autres entendent communément le français et parlent divers patois, mélangés plus ou moins de provençal et de piémontais. Nous avons cru devoir imprimer nos proclamations sur deux colonnes correspondantes, dans les deux langues italienne et françoise ; et j'ai publié en italien une brochure concernant la réforme civile du clergé : Indirizzo ai citadini del dipartimento delle Alpi Maritime, dal citadino Gregoire » (Rapp. prés, à la Convention au nom des Cres du Mont-Blanc et des Alp. Maritimes par Grégoire, dans Aul., Act. du Com. S. P., I, 276-277).
2. Étant « l'abbé de Périgord » agent général du clergé, il avait déjà étudié le système d'éducation devant l'épiscopat français, en 1780 (Proc.-v. de l'Ass. du clergé, 1780, p. 1451-1452).
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sera contrainte de disparaître; la force des choses le commande »1 .
On peut dire que de cette déclaration date une ère nouvelle dans le développement et la vie des parlers en France. Il se forme une opinion pour l'adoption d'une politique linguistique, et la direction de cette politique est marquée : on ira vers l'unité par l'école.
Ce que je viens de dire suffit à expliquer l'ordre que j'ai adopté. J'examinerai d'une part les actes de l'autorité, de l'autre la vie publique; quelque intimes que soient alors les rapports entre les actes des citoyens groupés ou non, leurs voeux, leurs volontés et les décrets de leurs représentants, il me faut, pour la clarté, étudier séparément ces deux ordres de faits.
1. Assemblée nationale, 10 sept. 1791. Rapport au nom du Comité de constitution, par Talleyrand-Périgord, anc. évêque d'Autun (Arch. parl., Ire série, XXX, p. 472).
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LIVRE II LES ÉVÉNEMENTS ET LA LANGUE
CHAPITRE PREMIER OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
IMPOSSIBILITÉ DE GÉNÉRALISER, — A distance et avec nos idées d'aujourd'hui, nous sommes enclins à nous représenter les choses d'une façon simpliste et fausse : d'un côté la langue nationale, porteuse des idées nouvelles, facteur de progrès politique, social et moral, de l'autre les vieux idiomes indigènes liés aux usages, aux préjugés, aux doctrines d'ancien régime, s'offrant comme un moyen de prendre le paysan, toujours essentiellement conservateur, par ses habitudes. Mais la réalité a été beaucoup plus complexe, et ce n'est pas avant longtemps qu'on pourra juger sur dossiers complets du rôle qu'ont eu les idiomes dans la bataille qui s'est alors livrée. Il faudrait à ce sujet une large enquête dans les Bibliothèques et les Archives départementales. Elle n'a pas jusqu'ici été entreprise, que je sache. Les historiens les plus minutieux ne semblent pas en avoir aperçu l'intérêt 1.
Je doute du reste que des recherches puissent jamais conduire à des conclusions simples. Ce qui est vrai de la propagande écrite n'est pas vrai de la propagande parlée. D'autre part, si on considère quelques-uns des départements pour les comparer entre eux,
1. Ainsi dans une excellente thèse où fourmillent les renseignements précis sur la lutte politique et religieuse (Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution. Paris, 1924, 8°), je trouve la note suivante, p. 782: Lettre du Département sur les libelles : 14 janvier 1791 (L. 262 f° 741, à Steenwoorde), 19 janv. (ib. f° 95, curés de Cambrai). Libelle en flamand déposé au district d'Hazebrouck, le 4 décembre 1790 : Dialogue entre un jurisconsulte, un citoyen et cultivateur des districts de Bergues et Hazebrouck (L. 7635, f° 39). Enquête de la Municipalité de Cuincy sur une chanson contre les curés constitutionnels de Douai, 18 janvier 1792 (Arch. com. Dél., f° 51). Sermons saisis le 13 octobre 1793 à Zeggers-Cappel (Arch. Bergues, Com. de surveill.). Plainte du District d'Avesnes contre les libelles que fait circuler l'ancien vicariat de Cambrai, 10 mai 1791 (L. 5184, f° 85). Prédications dos curés de Caestre et de Steenwoorde, en février et mars (L. 263, f° 61, 159). En quelle langue sont toutes ces pièces ? Nous l'ignorons, sauf pour une d'entre elles.
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16 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
les efforts qui y furent tentés et les résultats qu'on y obtint, on s'aperçoit du danger que présentent les généralisations.
L'usage qu'on fit des dialectes et des parlers divers dans les publications dépend avant tout de l'état même de ces langages. Dans ceux que depuis longtemps on n'écrivait plus, rien ou à peu près ne pouvait paraître. Au contraire, dans les dialectes moins dégénérés, on note quelques productions; dans les idiomes 1, une flore en général abondante, quelquefois très riche, a poussé là où ces idiomes s'étaient maintenus au degré de langue véritable, où ils restaient utiles dans les sciences et les lettres, et possédaient la valeur expressive nécessaire.
En outre, l'abondance des écrits en langue autre que le français est en relation étroite avec l'instruction des divers pays. Dans une région où quelques personnes seulement par localité savaient lire, à quoi bon imprimer dans le parler local? Impossible d'atteindre la masse des illettrés, ainsi en Bretagne ou en pays basque. Dans d'autres régions au contraire, le journal, l'affiche, la brochure portaient, et on comprend qu'on les ait employés avec prodigalité.
Au contraire, en ce qui concerne l'usage parlé, il ne peut être question de certains idiomes privilégiés seulement. C'est un peu partout où il restait un parler local qu'il joua son rôle.
1. J'appelle ici dialectes, du nom que je leur donnerai dans toute la suite, les parlers de langue d'oui ou de langue d'oc. J'appelle idiomes les parlers hétérogènes, basque, breton, flamand, allemand.
Dans les pays à idiomes je mettrai aussi la Corse et les Alpes-Maritimes (dont une partie parlait italien).
Quant aux Pyrénées-Orientales, la parenté du catalan avec les parlers de langue d'oc devrait faire ranger ce département dans les pays à dialectes. Il m'arrivera cependant de le traiter comme un pays à idiome, en raison de ce fait que le catalan se parle au delà des Pyrénées et qu'il y avait des Catalans dans l'armée hispano-portugaise qui fut vaincue au Boulou. Je fais ici oeuvre non de dialectologue, mais d'historien.
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CHAPITRE II LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE
Pour suivre le mouvement de francisation auquel la Révolution donna le branle, il faudrait passer en revue un à un les innombrables événements généraux et locaux qui se succédaient et bouleversaient l'âme comme le corps de la vieille Fr ance.
Ce fut d'abord la convocation des États généraux, l'obligation où l'on fut dans chaque paroisse de formuler et de coucher sur le papier les divers griefs qu'on avait jusque-là vaguement murmurés, et des désirs d'autant plus mal analysés qu'on n'avait jamais entrevu la possibilité qu'ils fussent un jour satisfaits. On devine l'attention que mirent les plus humbles à écouter la lecture de ces Cahiers que rédigeait en leur nom un curé, un homme de loi, quelque bourgeois qui avait le privilège d'écrire la langue de Paris; l'avidité qu'on éprouvait de comprendre et de juger s'il avait dit ce qu'il fallait, s'il méritait d'être choisi pour aller défendre les réclamations résumées là.
Puis, les députés partis, il arriva presque aussitôt des nouvelles étranges, incompréhensibles, le bruit qu'il s'était formé une Assemblée dont le nom même de nationale, qu'aucune institution ne portait alors, était comme une espèce de mystère. Qu'il s'agît du vote par ordre, de la Constitution, du veto, ceux qui parlaient français n'y entendaient guère plus que les autres. Quand l'édifice qui symbolisait à Paris la force matérielle de la royauté fut mis bas, c'était encore là un cataclysme lointain, dont les conséquences ne pouvaient guère être aperçues dans les villages. Mais bientôt la tempête se rapprocha. Les grandes villes, armées, rejetant les anciennes tutelles et les autorités séculaires, donnèrent à celles qui les entouraient un exemple redoutable; la révolution fut à peu près partout, et les paysans, entraînés, s'y précipitèrent à leur tour. La secousse fut telle qu'une terreur de l'an mille s'empara du pays. Des rumeurs sinistres emplissaient les campagnes, le tocsin affolait les chaumières, et on pense avec quelle angoisse on s'informait par tous les moyens Histoire de la langue française. IX. 2
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et auprès de tous ceux qui pouvaient apporter des certitudes, de la marche des pillards. Il ne s'agissait plus de se terrer, de s'isoler, mais au contraire de s'unir pour résister, de former des milices pour sauver les biens et les personnes. Au fur et à mesure que l'on cherche, on croit découvrir que les brigands, ce sont les aristocrates et l'étranger. Une solidarité à la fois démocratique et nationale naît de la frayeur et de la colère. Elle ne fond pas encore en Français les provinciaux, mais elle les unit. On se rue sur les châteaux et les chartriers, et la guerre de classes ne s'apaise que lorsqu'on apprend qu'en une nuit toute l'ancienne société a été abolie, que la féodalité est morte. On imagine quels commentaires sans fin cette nouvelle fait naître, quelles résolutions sont prises de s'organiser en force pour que jamais les puissances abattues ne puissent reprendre leur oeuvre d'oppression et de misère. Les applaudissements prolongés qui avaient salué l'oeuvre de « l'union de tous les ordres, de toutes les provinces, de tous les citoyens » se répercutèrent en une acclamation universelle, où chaque idiome, chaque patois mêla ses cris, mais que dominait néanmoins la voix de la nation promulguant la Déclaration des Droits. Quand arriva cet évangile des temps nouveaux, majestueux monument de la justice terrestre, éternelle et universelle, si obscurs qu'en fussent certains dogmes, il était impossible qu'il n'éveillât pas un désir de le comprendre et de s'en pénétrer. La nécessité de remplacer ce qui s'écroulait, d'organiser la patrie nouvelle, fournit bien d'autres occasions de s'enquérir. Les droits anciens n'étaient plus, mais de nouveaux étaient établis; les maîtres d'autrefois s'en allaient un à un, mais il fallait avoir des chefs. L'impôt, la justice, la fonce armée, tout prenait une forme nouvelle et des noms nouveaux; il fallait choisir et voter pour des magistrats de tous ordres. Impossible de se refuser à la vie publique; l'égoïste souci des conditions de vie nouvelle obligeait à se mêler aux choses et aux hommes.
Les historiens de la Révolution, je le sais, ont plusieurs fois constaté combien peu d'événements ont été vraiment connus de tous 1.
1. Aul., Hist. pol. Rév., 118, n. 1. Young, qui voyageait en France en 1789, nous a dit plusieurs fois sa surprise de trouver le peuple si mal informé : « Je lus [à Dijon] dans un triste café, sur la place, un seul journal, après avoir attendu une heure pour l'avoir. J'ai par-tout remarqué que les habitants desiroient voir les papiers-nouvelles, mais il est rare qu'ils puissent gratifier leur desir » (Voy., 1, 446; cf l, 434)
La plupart des paysans, dit Reuss, ne lisaient pas, je crois, les feuilles allemandes, qui ont paru en assez grand nombre, de 1789 à 1799. Leur almanach du Messager boîteux et les brochures imprimées outre-Rhin et distribuées par les colporteurs ou le cierge réfractaire, suffisaient à leurs besoins intellectuels (Grande Fuite 201, n. 1)
Interrogés par Grégoire sur ce. que lisaient les campagnards et s'ils lisaient ses
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LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE 19
Il me paraît impossible, malgré tout, que certains des faits dont je viens de parler ne soient pas allés jusqu'aux paysans. Ces braves gens ne « faisaient pas de politique », ils ne lisaient pas les gazettes et pour cause, mais ils allaient à la ville pour leurs affaires, et ils écoutaient. Les villes parlaient, elles, et les informaient 1.
Au reste, les intérêts matériels des ruraux étaient en jeu et à quel point. Le château était souvent vide. Un espoir naissait de se saisir d'une partie du domaine abandonné, devenu bien d'État. Et qui eût résisté au désir de prendre connaissance des affiches qui bientôt en annonceront le morcellement et la vente? Jamais l'avarice du moindre cultivateur n'avait subi de tentation analogue. La vente des biens nationaux lui offrait l'occasion de se récupérer au centuple, et la tentation était grande. Il fallait choisir entre des avantages immenses et des scrupules dont des agents intéressés lui faisaient sentir la gravité. Incertitude de conscience dont on ne pouvait manquer de discuter.
Bientôt il fut avéré que l'Église elle-même changeait d'organisation, que l'évêque allait être à son tour nommé par les fidèles, que le curé du village se retirait pour éviter de devenir schismatique. On reçut l'invitation à en élire un autre. Les couvents étaient vidés, les maîtres d'école partis à leur tour avec les soeurs et l'abbé. Les paroisses étaient sens dessus dessous, bouleversées et par les mots de Constitution civile, d'assermentés, de réfractaires, et par les incertitudes que de pareilles mesures jetaient au fond des âmes.
Le trouble dans sa vie religieuse fut certainement l'événement qui ébranla le plus fortement le paysan, si foncièrement catholique. Même avant qu'on lui prit ses cloches, qu'on brûlât ses saints, qu'on fondit les vases sacrés, qu'on supprimât le dimanche, on n'eut pas de peine à lui montrer l'enfer déchaîné, et il n'est que de se
correspondants montrent une réserve significative. « Les gens de la campagne, dit l'un, lisent aujourd'hui quelques papiers publics ; ils liraient bien davantage s'ils avaient des livres à leur portée » (Carcassonne, Lett. à Grég., p. 20, n° 36). — [Les paysans] lisent rarement, excepté les fermiers un peu éduqués. Je remarque que, depuis la Révolution, ils prennent un certain goût aux écrits qui y sont relatifs » (Ib,, p. 259, n° 36). Trait charmant, où on reconnaît nos habitudes nationales d'économie, il se trouvait des villageois pour acheter les « bouillons », et pour lire ces vieux numéros, tous à la fois, avec moins de dépense : « Depuis la Révolution, les paysans ont substitué à ces lectures celles des papiers du temps, qu'ils achètent lorsque leur ancienneté les fait donner à bon compte » (Bordeaux, Rép. de Bernadau, Ib., p. 143, nos 37-43). Les acheteurs se trouvaient ainsi en avance sur l'histoire, mais nécessairement un peu en retard sur la politique.
1. Là, les communications étaient attendues souvent avec une vraie fièvre. C'est ainsi qu'on se pressait au théâtre de Clermont pour entendre lecture des lettres de Biauzat. Il fallait faire des fournées. On eut l'idée de les imprimer. C'est des constatations de ce genre que naquit le Journal des Débats et Décrets. Dès 1791, l'usage de lire des Gazettes s'était malgré tout généralisé.
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20 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
rappeler certaines manifestations contemporaines du « fanatisme », pour s'imaginer le désordre jeté dans les esprits par les violations des consciences, pour deviner à combien d'accusations, de plaidoyers elles donnèrent lieu.
En 1792, la guerre une fois commencée, la fièvre augmenta encore. Il n'était plus question seulement de gardes nationaux, paisiblement réunis sur place, mais de volontaires envoyés aux frontières; les réquisitions d'hommes suivirent des réquisitions de toute sorte, armes, chevaux, cuirs, vêtements, souliers, provisions de bouche, animaux de boucherie, grains, etc. Sans parler même des départements qui avaient la guerre étrangère ou civile sur leur sol, l'immense branle-bas n'épargnait aucun village, si retiré qu'il fût. Dans les Vosges, qui n'avaient aucune ville importante, sur 227 000 habitants, 14 500 s'enrôlèrent. On mesure à ces chiffres combien l'appel de la patrie avait été entendu jusqu'au fond des montagnes.
Or, tant que les citoyens armés pour le service des gardes nationales étaient restés dans leur ville ou leur bourgade, ils avaient pu être commandés dans leur langage'. Les bataillons de volontaires furent aussi régionaux, en attendant l'amalgame. Mais ils se déplacèrent et, en changeant de pays, ils rencontrèrent des populations avec lesquelles ils ne pouvaient frayer que dans la langue commune. C'était pour les uns et les autres une occasion de la pratiquer'-.
1. La garde nationale de Strasbourg formait un corps solide, presque sur pied de guerre, et qui prit part à des opérations importantes. Presque tous les documents sont dans les deux langues, ainsi la Lettre de La Fayette du 9 juin 1790. De même les règlements de service du 8 décembre 1789, imprimés chez J. Franc. Le Roux (2 cahiers, 1790, 8°). Les procèsverbaux des élections d'officiers sont surtout en allemand. Seules quelques-unes des sections ont fait le leur en français.
Au reste, comme en Allemagne, le langage militaire est fortement imprégné de français. On en jugera par un passage relatif aux rondes :
§ 28. Wenn die Consigne gegeben ist, so kommandirt der aufführende Korporal : Schultert's Gewehr.
§ 4. Wenn eine Rand sich cinem Posten nähert, so soll die Schildwache rufen : Wer da, und wenn diese geantwortet so ruft sie halt; drauf ruft sie den Korporal, und bei der Rund des Kommandanten rufi sie : Korporal raus, Rund-Kommandant...
§ 7. Wenn nach der ersten Rund andere... gemacht werden, so ruft die Schildwache... dann geht der Korporal mit einer Laterne unter Begleitung von zween Fusiliers heraus... und ruft : Avancez qui a l'ordre.
2. Je donnerai un seul exemple. Je le prends à Sélestat :
Le dernier trimestre de 1791 voit apparaître aussi les premières levées de volontaires organisées par le décret du 21 juillet 1791, qui en a porté le chiffre à 170 Les premiers arrivés sont naturellement ceux du département. A Sélestat même ils s'inscrivent à force; si on pouvoit bien leur donner des armes, ils viendroient sans exception. Au mois de septembre, arrivent deux bataillons de volontaires nationaux du département des Vosges ; le 26, un de la Haute-Saône, le 7 novembre, un du HautRhin, le 23, celui du Jura. Avec le printemps suivant le mouvement s'accentue davantage encore ; le 26 mai, c' est le prermer bataillon de Saône-et-Loire le 13 juillet le
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LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE 21
Dans les époques de grands troubles, les gens de ma génération l'ont éprouvé deux fois, on sent comme un besoin impérieux de se réunir pour se communiquer les informations, les confronter, les commenter, se réjouir ou se désoler ensemble. Les lieux de rencontres s'emplissent, mairies, églises, cafés, boutiques; on parle à l'abri et on parle sous la pluie, entre voisins, entre inconnus. Jamais série d'événements pareils à ceux que nous venons de rappeler brièvement n'avait offert à cet instinct de solidarité humaine et civique plus de raisons de se révéler. Des années durant on fraternisa, soit dans la peur, soit dans l'espoir.
A Paris, dit Hatin, les cafés étaient la presse parlée de la Révolution. On peut sans se hasarder affirmer que les auberges de province jouèrent le, même rôle dans la plupart des petites villes et des bourgs, particulièrement le long des routes, où circulaient les voitures publiques, apportant chacune leurs paquets de journaux et leur chargement de gens « renseignés ». Les bruits se répandaient ainsi, dans mille parlotes improvisées. La matière arrivait ou de Paris ou du chef-lieu, s'y triturait, s'y mélangeait, s'y amplifiait.
Il va sans dire qu'il est de toute impossibilité de savoir de quelle langue on usa dans les innombrables discussions et conversations qui avaient lieu ainsi tous les jours d'un bout à l'autre du territoire. Même en « parlant politique », il serait très invraisemblable que les patoisants se fussent contraints pour l'amour du français. Ils gardaient leurs habitudes. J'accorde même que là où on avait commencé en français, on a souvent continué en patois, pour peu qu'il entrât de nouveaux assistants, ou que le colloque s'animât et tournât à l'altercation.
Il faut cependant tenir compte d'un fait essentiel, c'est que le dialogue roulait la plupart du temps sur des décrets, des arrêtés, des nouvelles que les affiches, les annonces, les journaux communiquaient presque partout en français. C'était donc à un texte français, à des mots français que s'accrochaient les commentaires, et il est possible que dans bien des cas ceux qui « causaient la langue de Paris » aient été entraînés à présenter leurs réflexions, leurs observations, leurs objections dans la langue du texte, au grand bénéfice du français, auquel les auditeurs qui se trouvaient en tiers s'initiaient ainsi peu à peu.
1er du Bas-Rhin ; le 29, un nouveau bataillon du Haut-Rhin ; le 6 août, mille hommes de la Haute-Savoie ; le 15, le 2e bataillon des Basses-Alpes ; le 18, le 1er des PyrénéesOrientales ; le 1er décembre, le 9e du Jura ; le 13, le 5e de Rhône-et-Loire ; le 14, le 1er de la Haute-Saône ; le 19, le 12e du Jura ; le 20, le 1er de la Corrèze ; le 21, le 3e de Rhône-et-Loire ; le 27, le 1er de Paris. (V. Dorlan, Hist. archit. et anecd. de Schlestadt, t. II, p. 357).
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22 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Dans les pays de langue d'oui et même de langue d'oc, arriver à comprendre tant bien que mal la langue commune n'était pas une tâche au-dessus des esprits même médiocrement doués. Des illettrés se forment aux langues, sans méthode, par le contact. Mille occasions s'offraient; les oreilles s'ouvrirent, et peu à peu, sans écoles, sans autres maîtres que les voisins et les camarades un peu plus savants, une partie du peuple n'en fut bientôt plus au point d'ignorance où elle se trouvait en 1789.
Les pays où régnait un idiome étaient particulièrement difficiles à conquérir. Néanmoins volonté et sympathie aidant, on s'y mit peu à peu. Des textes que je donnerai par la suite montreront qu'il y a là autre chose que des hypothèses.
Ce fut un des résultats de cette formidable mêlée de paroles où se traduisaient les pires angoisses et les espérances les plus joyeuses, où la foi et l'amour se heurtaient à l'effroi et à la haine, où toutes les forces qui s'entrechoquent dans une lutte éternelle, accoutumance à la tradition et recherche du progrès, instinct d'autorité et sentiment de la dignité personnelle, égoïsme des riches et appétit des déshérités, se disputèrent un triomphe dont dépendait non seulement la domination de la France, mais l'empire du monde. Tout ce qui peut être proféré par des bouches humaines, depuis le discours aux grands gestes qui entraîne et électrise les foules rassemblées jusqu'au mot glissé, chuchoté dans le secret ténébreux du confessionnal, y servit à gagner les cerveaux et les coeurs.
Il est bien certain que partout à peu près la langue française — et ce sera son éternel honneur — a pris une part, une belle part à ce combat géant. Elle y a perdu, nous le verrons, une hégémonie éphémère en Europe, elle y a gagné de devenir l'organe des idées qui ont renouvelé le monde, et s'est acquis une considération, une dignité analogue à celle dont jouit la langue latine pour avoir aidé à la diffusion du christianisme. Aucun excès, aucune erreur, n'enlèvera jamais leur gloire ni à l'une ni à l'autre de ces voix consolatrices du genre humain.
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LIVRE III LA TRADUCTION DES DÉCRETS
CHAPITRE PREMIER NÉCESSITÉ DE SE TENIR EN RAPPORT AVEC LE PEUPLE
La monarchie avait pu gouverner pendant des siècles en demandant à ses sujets d'obéir et de payer. Ses ordres, les actes de ses agents, appuyés sur une autorité traditionnelle et indiscutée, proclamée à l'occasion d'origine divine, n'avaient besoin d'aucune adhésion volontaire. Tout au contraire la loi nouvelle, quoique votée au nom du peuple et par ses représentants, n'avait chance de s'imposer qu'avec l'assentiment de l'opinion. Il eût été contraire à l'esprit même de la démocratie qu'on prétendait instituer et aux principes de gouvernement qu'on posait, de faire des réformes, fussent-elles des plus bienfaisantes, sans les faire connaître, sans en exposer l'économie et les motifs aux citoyens « actifs » et même « passifs ». C'était aussi le seul moyen d'éviter les plus graves malentendus. Le 9 février 1790, à la séance du soir, Grégoire avait pu, s'appuyant sur le témoignage des municipalités, affirmer que, dans certains pays, des troubles graves s'expliquaient par d'énormes erreurs sur le sens des mots, des paysans prenant des décrets de l'Assemblée nationale pour des décrets de prise de corps ! 1
On chercha donc les moyens appropriés. Aucun style ne paraissait assez clair pour le peuple. Mirabeau demandait qu'on renonçât à tous les archaïsmes juridiques : « L'Assemblée nationale veut répandre les connaissances des lois; elle ordonne qu'on en fasse la lecture au peuple dans les prônes; il faut donc les rendre parfaitement intelligibles; il faut les écrire en style pur et vulgaire. Les rédacteurs de ces lois sont des jurisconsultes, à qui l'ancien style, les anciennes tournures sont familières; ils les portent, sans s'en apercevoir, dans les lois nouvelles; au lieu de dire, par exemple,
1. Monit., Réimp., III, 336 ; cf. son rapport de prair. an II, Lett. à Grég., p. 295-296.
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article Ier ci-dessus, et ne seront réputées corvées réelles que celles qui seront prouvées, etc., pourquoi ne pas dire, et l'on ne réputera pour corvées réelles, que celles, etc. Il est temps de parler françois dans les lois françoises, et d'ensevelir ce style gothique sous les débris de la féodalité » (Courrier de Provence, pour servir de suite aux lettres du comte de Mirabeau, 1790, n° CXII).
Eût-on épuré le jargon judiciaire et administratif de toute sa lie, qu'un obstacle fût resté, la diversité des idiomes en usage dans la plupart des villages et dans nombre de petites villes. Or, cette Révolution, qu'on a qualifiée de bourgeoise et qui l'était par certains côtés, ne se fût jamais satisfaite de n'emporter que les suffrages de la portion de la bourgeoisie urbaine qui était déjà francisée.
Pour tenir le paysan au courant des faits réels, il fallait déjà un effort immense; la tâche était bien autre quand il s'agissait de les lui faire comprendre et juger. Là où une nouvelle n'était rien sans un commentaire et une explication, un texte était moins encore, fût-il dépouillé de mots obscurs et techniques. Il était nécessaire d'en faire voir les applications pratiques, de marquer le rapport que pouvaient avoir avec les aspirations et les intérêts toutes ces mesures, dont la rapidité et l'importance devaient déconcerter des âmes frustes, chez lesquelles la faculté de saisir les nouveautés avait été oblitérée par des siècles de routine.
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CHAPITRE II ON DÉCIDE LA TRADUCTION DES DÉCRETS
DÉCRET DU 14 JANVIER 1790. — Il n'y avait aucun moyen, aucune possibilité d'entrer en relations avec ceux qui ignoraient le français, sauf en leur parlant leur langue. Tôt ou tard on devait donc songer à des traductions. C'est à Bouchette, député de Bailleul, qu'en revint l'initiative. Il avait déjà fait passer en flamand diverses lois ' ; il demanda l'agrément de l'Assemblée pour sa version de l'Instruction sur les nouvelles municipalités. C'était le 14 janvier 1790.
« J'ai proposé à l'Assemblée nationale d'en approuver l'impression, écrit-il le 162. Alors plusieurs voix se sont élevées 3 pour demander la même chose pour les Français, Allemands, Bretons, etc.. la proposition a été remise au Comité des rapports... et enfin il en est résulté un décret qui dit que le pouvoir exécutif sera suplié de faire publier les décrets de l'Assemblée dans tous les idiomes qu'on parle dans les différentes parties de la France. Ainsi tout le monde va être le maître de lire et écrire dans la langue qu'il aimera mieux et les loix françaises seront familières pour tout le monde ».
Rien n'était plus compréhensible ni plus opportun qu'une pareille proposition. Dans une organisation qui allait être appliquée à chaque commune, il ne devait rester ni ambiguïté, ni obscurité, et l'on comprend que l'Assemblée ait décidé de généraliser la mesure.
AVIS DES INTÉRESSÉS. — Il est hors de doute que la plupart des départements à langage particulier souhaitaient avoir, dans la langue qui leur était familière, des instructions et des renseignements. Si la loi est commune pour tous, disaient les Administrateurs de Strasbourg dans une phrase d'une justesse inattaquable, elle doit être à la portée de tous. 4 En 1792, Dithurbide rappelait à Garat, dans une
1. Voir Looten, Lett. de Fr. Jos. Bouchette, dans Ann. du Com. fl., 1908-1909, t. XXIX, p, 175, let. 15.
2. Ib., let. 45, p. 323. Cf. Archiv. parlem., XI, 182 et 183 et Duvergier, Coll. des lois, I, 110, qui renvoie au texte de la Coll. Baudouin, II, p. 14 et 15.
3. C'était la voix de Duport, de Landau.
4. Arch. N., AA 32, n° 17877, I, v°. On lit dans les procès-verbaux de la Société de
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lettre que nous citerons plus loin, le voeu émis par les Basques et inséré au procès-verbal de leur assemblée électorale. 1
Cependant, telle était la haine de ce qui divisait les Français qu'on n'approuvait pas partout cette idée de traduction en patois. On écrit de Corrèze : « Ce serait rendre un mauvais service aux citoyens, que de les entretenir dans l'usage d'un baragouin barbare, et de ne pas les encourager par tous les moyens possibles, à se servir du langage national » 2.
En Alsace, des magistrats qui étaient sur lieu — à Colmar — jugeaient que la mesure était inutile et alléguaient leur propre pratique. « L'usage du Conseil Souverain d'Alsace, disait-on, a toujours été de faire enregistrer, publier et imprimer les Edits, Declarations, lettres-Patentes et arrêts de réglement en langue françoise ; toutes les procédures et tous les actes s'y rédigent dans cette langue, dont on a cherché, par une juste et bonne politique, d'établir la prédominance en Alsace : cependant il est arrivé quelquefois, que cette Cour a ordonné la traduction et impression des loix en langue allemande, dans les cas où il était nécessaire et indispensable de les rendre intelligibles pour le dernier paysan. C'est ainsi que tout-à-l'heure ma Compagnie a fait traduire en Allemand par les secrétaires interprètes qui sont à la suite de la Cour, le décret sanctionné qui est relatif à la Conservation des forêts du Royaume ; nous n'avons point ordonné de même l'impression en allemand des autres décrets de l'Assemblée nationale, donnés jusqu'à présent, non seulement parce que cela ne nous a pas paru nécessaire, mais principalement parce que ces mêmes décrets, ayant été traduits et imprimés en allemand, par ordre de l'Intendant et de la Commission intermédiaire provinciale d'Alsace pour être envoyés et distribués dans toutes les Communautés de la province, nous n'avons pas cru devoir multiplier inutilement ces traductions et impressions d'autant que, dans la vérité du fait, il y a aujourd'hui très peu d'Alsaciens qui n'entendent le françois ». 3 Quoi qu'il faille penser du dernier motif allégué, il est visible que les magistrats ne comprenaient pas qu'à une situation toute nouvelle devaient correspondre des usages nouveaux.
Mais voici un document, inédit, je crois, où se révèle à pur et à
Strasbourg à la date du 20 mai 1792 : Un membre lit un long discours sur l'importance
d'une traduction exacte des lois en langue allemande. La discussion des plans qu'il
soumet est remise aux prochaines séances. Je n'ai pas trouvé trace de cette discus1.
discus1. N., AA. 32.
2. Ib.,
3. Ib.,
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plein, le désir qu'on éprouvait de voir les idées révolutionnaires se répandre avec l'aide du patois. Il a été envoyé de Montauban le 18 déc. 1791 : « Certes la tendre sollicitude de ces frères de la patrie doit réveiller dans tous les coeurs les plus vifs sentimens de la reconnaissance. Mais il se présente ici une difficulté de détail, qui, par son importance, mérite d'être examinée et discutée avec quelque attention.
« J'observe que le français est, à peu de nuances près, la langue vulgaire des campagnes de la majeure partie du Royaume; tandis que nos paysans méridionaux ont leur idiôme naturel et particulier, hors duquel ils n'entendent plus rien. Cette différence est si vraie et si essentielle, que l'excellente Feuille villageoise de M. Cerutti, qui fait un si grand bien dans les campagnes où elle est entendue, et qui en ferait bien davantage si l'esprit y abondait moins, si les matières en étaient, généralement parlant, moins relevées, est entièrement perdue pour les campagnes du midi. — Les habitans de ces contrées sont encore bien loin d'avoir une idée nette, non seulement de notre sublime Constitution, mais même de l'immense révolution qui s'est opérée dans le Royaume et, pour ainsi dire, autour d'eux. Ce n'est pas qu'ils n'aient sans cesse à la bouche ces mots magiques de Révolution et de Constitution; je ne doute même pas qu'enflammés comme ils sont, ils ne se fissent tous tuer pour le maintien de cette dernière, à l'instar des patriotes éclairés des villes de leur voisinage ; mais qu'on leur demande qu'elle [sic] est la cause qu'ils ont embrassée, ils répondront sans hésiter que c'est la cause du Roi : et voilà qui prouve jusqu'à l'évidence, qu'ils n'ont pas encore fait un pas dans la nouvelle carrière de lumières dans laquelle les citadins ont déjà fait de si grands progrès.
« Or, dans l'indispensable et même urgente nécessité de faire participer cette intéressante partie de citoyens à l'instruction générale, quel parti prendre pour y procéder avec succès? Ira-t-on leur enseigner la langue française et, pour cet effet, mettre dans leurs mains la Grammaire raisonnée? Mais, occupés, dès l'âge de raison, aux travaux continuels des champs, d'où dépend leur existence, auront-ils le tems de l'étudier et le degré d'intelligence nécessaire pour l'entendre? Et, en supposant, contre toute vraisemblance, qu'ils parvinssent à vaincre cette première difficulté, en serait-ce assez pour saisir, je ne dirai pas toutes les finesses de nôtre langue, mais celles dont la feuille villageoise spécialement destinée pour eux est remplie? Je tiens, pour moi, qu'un cours de belles-lettres ne serait pas de trop : et, dès lors, qui n'apperçoit la nullité ou plutôt l'absurdité d'une telle entreprise?
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« Quel moyen emploiera-t-on donc pour remplir cet important objet? Il n'en est qu'un à mon avis.
« Après avoir démontré l'absolue impossibilité de parvenir dans aucun sens à familiariser avec la langue française nos paysans gascons, languedociens, provençaux, etc., je crois que le seul moyen qui nous reste, est de les instruire exclusivement dans leur langue maternelle. Ah ! qu'on ne croie pas que ces divers idiômes méridionaux ne sont que de purs jargons : ce sont de vraies langues, tout aussi anciennes que la plupart de nos langues modernes; tout aussi riches, tout aussi abondantes en expressions nobles et hardies, en tropes, en métaphores qu'aucune des langues d'Europe : les poésies immortelles de Goudelin en sont une preuve sans réplique.
« Pour cet effet, il s'agirait d'abord d'imprimer des Alphabets purement gascons, languedociens, provençaux, etc., dans lesquels on assignerait avec soin à chaque lettre sa force et sa valeur. On pourrait même en retrancher quelques-unes, telles que nôtre V, qui, se confondant absolument, au moins dans le gascon, avec le B, devient parfaitement inutile. De plus, je ne voudrais point qu'on fit prononcer dans bien des cas l'U comme OU; mais plutôt qu'on exprimât cette diphtongue partout où elle se fait entendre distinctement, excepté toutefois dans le latin dont on ne peut raisonnablement changer l'orthographe pour la commodité de nos paysans. — Par exemple, pour exprimer en gascon le mot Dieu, que Goudelin écrit Dius, j'écrirais Dïous, les deux points sur l'ï servant à indiquer qu'il faut traîner et doubler en quelque sorte cette voyelle.
« On ajouterait à ces divers alphabets quelques leçons préliminaires à la portée des enfans et capables de piquer leur curiosité; et, du moment que la lecture de ces premières leçons leur serait devenue familière, on mettrait entre leurs mains un historique succinct, clair et précis de la révolution et des abus révoltans qui l'ont si long-tems et si impunément provoquée. A cela succéderait une traduction fidèle de la Constitution et des lois rurales. Enfin, moyennant certains honoraires, un particulier instruit serait chargé (dans chaque District ou dans chaque Département, selon l'étendue du territoire où le même idiôme serait entendu) de préparer, chaque semaine, et de traduire avec le plus grand soin, pour les campagnes des environs, un extrait des nouvelles publiques et nommément des décrets qui les intéresseraient d'une manière directe. — Du reste l'impression de ces traductions diverses et ces traductions elles-mêmes me semblent devoir être aux frais de la Nation entière, dont la tranquillité universelle tient immédiatement au repos particulier de chacune de ses parties...
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« Enfin on établirait pour chacun de ces idiômes méridionaux une orthographe uniforme et invariable.
« Quel inconvénient y aurait-il ensuite à ce que les Collecteurs pris dans la classe des paysans tinssent leurs registres et fissent leurs quittances dans leur langue naturelle? Il n'y a personne dans les villes voisines qui ne l'entende aussi bien qu'eux. Les Receveurs Généraux, eux-mêmes, n'auraient pas la moindre peine à faire leurs relevés d'après de tels registres, à moins qu'ils ne fussent étrangers dans cette partie du Royaume, comme il n'est que trop souvent arrivé sous l'ancien régime.
« Mrs Les Curés des Villages, chargés d'afficher à la porte de leurs Eglises soit un décret, soit une proclamation, voudraient bien se donner la peine d'en prendre l'esprit, de les traduire et de les publier par extrait et d'une main lisible. Cela leur coûterait d'autant moins qu'ils sont obligés par état de connaître à fonds la langue du Canton : sans quoi ils auraient beau s'époûmmoner dans leurs prônes, ils ne sauraient se faire entendre, et manqueraient totalement le but de leur instruction chrétienne.
« Mrs les Notaires voudraient également bien se prêter à ce nouvel ordre de choses, en n'expédiant jamais à ces bonnes gens le double d'un acte quelconque qui ne fût traduit dans leur idiôme naturel » 1.
C'est là, on le voit, ni plus ni moins qu'un projet hardi de fédéralisme linguistique. L'auteur propose sans vergogne de retourner audelà de 1539.
Il ne pouvait être donné aucune suite à des propositions qui, même dans le Midi, malgré le souvenir des contraintes imposées par François Ier, heurtaient l'esprit qui venait de se répandre, et devaient paraître non seulement archaïques, mais absurdes et presque impies, car elles attentaient à la Révolution elle-même, sous couleur de la servir.
1. Arch. N., F17 1309, doss. 2.
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CHAPITRE III RÉSISTANCES ET DIFFICULTÉS
LE VETO. — Dentzel s'est plaint plus tard à la Convention que le décret du 14 janvier ait été « frappé de l'exécrable veto ». Et plusieurs autres patriotes, Chabot, Grégoire ont exprimé le même regret 1. « Le tyran, dit Grégoire, dans son rapport du 16 prairial an II, n'eut garde de faire une chose qu'il croyait utile à la liberté ». Faut-il tenir cette accusation pour fondée? Quelle aurait été la pensée de la Cour? Empêcher l'Assemblée de faire connaître son oeuvre et de faire approuver sa politique? Pareil espoir se rapporterait assez bien au machiavélisme puéril de certains des inspirateurs de Louis XVI. En tous cas il est constant que le décret a été recueilli dans la Collection Baudouin et qu'il ne porte pas la mention « sanctionné » 2.
Cependant les dossiers conservés aux Archives nationales prouvent, à n'en pas douter, que le décret fut, sinon intégralement appliqué — il ne pouvait guère l'être, du moins suivi de mesures destinées à lui donner quelque effet 3.
BESOGNE ÉPINEUSE. — Je ne sache pas que l'Assemblée ait jamais essayé de faire traduire les décrets ou la Constitution soit en lorrain soit en picard, mais ce que nous avons dit de la situation linguistique dans les pays où se parlaient ces idiomes explique suffisamment qu'il n'ait été fait aucun effort en ce sens. On estimait sans doute que les populations comprenaient assez le français, même si elles n'en usaient pas, pour qu'on n'eût pas à se préoccuper d'elles. Au contraire, pour d'autres provinces, on chercha à réaliser le voeu de la loi.
1. Voir une lettre de Chabot : « L'Assemblée Nationale avait décrété que tous ses décrets seraient traduits en langue vulgaire... Nous ignorons la cause de l'inexécution de cet ancien décret « (Lett. à Grég., p. 73, 8 sept, de l'an II de la liberté). Cf. Rapp. de Grégoire, Ib., p. 305, et une lettre de Strasbourg du 9 juin 1792: « Nous ignorons s. ce décret a été sanctionné, mais, n'ayant jamais été promulgué, il n'a jamais reçu d' exécution » (Arch. N., AA. 32).
2. Voir Collect. génle des décrets de l'Ass. Nat., Paris, Baudouin, II, 15.
3. Voir Arch. N., AA. 32 à 34 une série de dossiers.
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RÉSISTANCES ET DIFFICULTÉS 31
Une lettre écrite à d'Ormesson le 22 janvier, montre quelles illusions les bureaux se faisaient : La traduction en allemand sera facile à obtenir, la traduction en italien sera faite en Corse; restent le bas breton, le basque, le béarnais 1.
La tâche était au contraire fort lourde; des difficultés de toutes sortes se présentaient. D'abord les idiomes allaient-ils être en état d'exprimer les idées qu'on voulait leur faire traduire?
La langue politique française elle-même était encore en pleine formation. Comment le gascon ou le provençal eussent-ils, en quelques semaines, rattrapé leur retard, et offert les ressources techniques nécessaires pour exposer ou commenter les votes de la Constituante? Il est facile de comprendre que, si l'abolition des anciens droits s'exprimait sans peine, le droit nouveau avec ses demi-réformes, ses procédures compliquées, ses nouveaux officiers chargés de l'appliquer aux personnes et aux choses, n'était pas facile à traduire — ni à justifier — en langue paysanne.
En second lieu, comme le remarquaient fort bien le Directoire et le procureur syndic de la Corrèze, les patois étaient des langues parlées qui n'avaient point d'écriture ni d'orthographe adaptées. « Les langues écrites ou imprimées, sont encore plus difficiles à lire que le français, à cause de la prononciation de plusieurs consonnes qui approchent de la prononciation italienne », et « ne peuvent point être écrites sans qu'on fasse connaître auparavant une convention particulière qui détermine le sens et la prononciation qu'on doit leur donner » 2. Par quel moyen y remédier? Une Académie des dialectes n'y eût pas suffi.
Et puis où s'arrêter en présence du morcellement des patois? Larrouy, qui demanda à être chargé de la traduction des décrets en béarnais, faisait observer au garde des sceaux que l'idiome n'est pas uniforme en Béarn ; qu'une partie de cette province emploie des mots qui, dans les villes voisines, « sont aussi méconnus que le grec 3 ».
Pour éviter de se perdre dans la poussière des parlers, certains traducteurs, officiels ou officieux, se firent chacun une sorte de langue moyenne; tel Bernadau, qui avait traduit la Déclaration en « gascon mitoyen entre tous les jargons » 4. De même Ch. Franç. Bouche, député de la ci-devant Sénéchaussée d'Aix, qui avait été Constituant et qui fut membre du Tribunal de Cassation 6. Comme
1. Arch. N. AA. 32.
2. Arch. N., AA. 32, f° 32706 r° et v°. 1er Déc. 1792.
3. Arch. N., AA. 32.
4. Lett. à Grég., p. 128; cf. p. 136.
8. Voir la Counstitucién francézo... traduite conformément aux Décrets de l'Assemblée Nationale constituante en langue provençale et présentée à l'Assemblée Nationale
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32 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
il s'adressait « eis habitans deis desparteméns des Bouquos-daouRhoné, daou Var, et deis Bassos-Alpos », pour leur faire connaître l'oeuvre de l'Assemblée, qu'il appelle la « bienfaitrice et l'évangéliste du monde », il s'est servi « daou lengagi lou pu generalemén respéndu, aquo és-à-diré, d'aqueou qué l'on comprén partou ».
Mais si l'on exigeait des traductions bien localisées, comment faire? Les circonscriptions départementales, ainsi que le remarquaient les autorités, ne coïncidaient pas avec les anciennes. Qui serait en mesure de décider où était l'unité dialectale et combien il y en avait? Des philologues modernes eussent répondu par avance : Impossible. Les intéressés, fondés sur leur pratique, signalèrent aussi la difficulté 1.
Législative. Paris, I. N., 1792. Bib. Sorb., II. F. r. in-12°, 43. L'auteur avait espéré qu'il se trouverait un traducteur. Comme il ne s'en est pas présenté, il s'est mis luimême à la besogne. Il conseille à ses compatriotes de lire le petit livre, et de le faire apprendre à leurs enfants « comme un catéchisme » (p. 4). 1. Arch. N., AA. 32. Observations sur plusieurs difficultés...
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CHAPITRE IV LES TRADUCTEURS
BONNES VOLONTÉS. — Un personnel de bonne volonté s'offrit. Je ne le connais pas tout entier. Pour le basque, ce fut l'avocat Larrouy qui se présenta. Il fut accepté 1.
Le 29 février 1791, une traduction de la Constitution en italien, par Gaëtano Boldoni, professeur au Lycée de Paris, fut présentée au Comité d'Instruction publique 2.
DUGAS. — L'entreprise la plus intéressante paraît avoir été celle de Dugas. Le 20 janvier 1791, il fut chargé par le Roi 3 de faire les traductions pour trente départements : « Lot-et-Garonne, Bouchesdu-Rhône, Charente, Gers, Gironde, Lot, Aude, Tarn, Puy-deDôme, Basses-Alpes, Arriège, Creuse, Haute-Vienne, Lozère, Landes, Hérault, Allier, Basses-Pyrennées, Gard, Dordogne, PyrennéesOrientales, Ardèche, Haute-Loire, Aveyron, Charente-Inférieure, Cantal, Hautes-Pyrennées, Var, Haute-Garonne, Corrèze » 4.
Il chercha des collaborateurs, et, avec leur aide, mena rondement son travail 5. Le 6 octobre 1791, il offrait déjà de présenter 24 vo1.
vo1. 8 juin, on cherche le moyen de le rémunérer. Donc il avait déjà travaillé Cependant il existe aux Archives une lettre des Amis de la Constitution de Bayonne, proposant pour cette fonction un ecclésiastique en possession des divers dialectes de la langue basque (AA. 32, doss. 3, 16 déc. 1791).
2. Elle avait été imprimée au Cercle Social (Guill., Proc. verb. Com. I. P., Lég., p. 134). Barère signale le travail de Boldoni, Bolletino nazionale. Il y en a, dit-il, deux gros volumes in-8° (Mém., II, 128).
3. Du moins il le dit. Si cela est exact, comment accorder cette nomination avec le veto ?
4. Arch. N., AA. 32. Dugas s'était d'abord offert à M. Guignard, ministre, puis à l'archevêque de Bordeaux, qui le renvoya à M. d'Ormesson. L'affaire en resta là quelque temps, puis elle fut reprise. Dugas est l'auteur du Code politique (Tourneux, Bibl., I, n° 615), où sont réunis les décrets et dont il a fait hommage à l'Assemblée (Proc. verb. de la Constituante, 26 juillet 1790, B. N. Le 27/10 in-8°). Il existe aux Archives Nationales (AA. 32) une minute de lettre au Ministre où il est dit : " Né en Languedoc, ayant passé la plus grande partie de ma vie dans cette contrée et dans celles qui l'avoisinent, je possède leur idiome (sic) avec toutes les nuances qui les distinguent ; Redacteur du Point du jour, auteur d'une Collection de decrets dont j'ai fait hommage a l'Assemblée sous le nom de Code politique de la France et que l'on estime pour sa grande exactitude, voilà, Monsieur, mes seuls titres auprès de vous ».
5. Cf. Arch. N., AA. 32 : Pièces relatives à la traduction des décrets dans les difféHistoire
difféHistoire la langue française. IX. 3
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lumes finis: 9 pour les Hautes-Pyrénées, 7 pour les Basses-Pyrénées, 2 pour la Dordogne, 2 pour l'Aveyron, 1 pour la Corrèze, 1 pour les Landes, 1 pour l'Aude, 1 pour la Haute-Garonne 1.
En 1792 un inventaire put être dressé 2, et il montre que l'oeuvre était parvenue à un haut degré d'avancement. Elle finit par former une collection de 96 volumes de décrets, plus 18 d'actes constitutionnels 3.
rents idiomes, ordonnée par décret du 14 janv. 1790 et confiée aux soins de M. Dugas par décision du 19 janv. 1791.
1. Arch. N., AA. 32 doss. 3.
2. C'est Rondonneau qui en est l'auteur (Arch. N., Ib.). Le malheureux Dugas eut une peine extrême à se faire payer et même à obtenir le remboursement de ses avances. Ses collaborateurs le poursuivaient sans succès de leurs réclamations. En floréal an III, il était encore en instance.
3. Où sont-ils ? Quelques cahiers se trouvent seuls aux Archives Nationales (AA. 32, doss. 4). Ce sont des traductions en patois de la Corrèze et du Lot. J'ai cherché les autres dans la collection Rondonneau, sans avoir eu la chance de les découvrir. En revanche, on trouvera dans F 17 1069, toutes les pièces relatives au paiement des redevances à Dugas.
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CHAPITRE V EXAMEN DES TRADUCTIONS COMMANDÉES
LES OBSERVATIONS. — Le travail de Dugas fut soumis à l'examen des divers départements. Le 4 mars 1792, une circulaire très pressée était envoyée aux départements des Basses-Alpes, Aude, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Corrèze, Garonne (Haute), Gironde, Lot-etGaronne, Pyrénnées (sic) (Hautes et Basses), Tarn et Var, afin que l'on fit vérifier le plus tôt possible si la traduction de la Constitution rendait « exactement le sens de l'original ». Parfois la traduction était incomplète, d'autres fois il semble que des mots d'un patois étaient introduits dans un autre, ou encore que des mots purement français étaient employés en assez grand nombre. Nous n'avons pas toutes les réponses ; celles qui nous sont parvenues témoignent en général d'une satisfaction assez marquée. Le 5 avril 1792, le département de l'Aveyron trouvait que la traduction « rendoit parfaitement le langage presque general du département » ; on priait de bien vouloir la faire imprimer sur-le-champ. Les Administrateurs du département de Lot-et-Garonne approuvèrent aussi, mais s'ils jugèrent que « cette traduction avait en général les qualités requises pour les ouvrages de ce genre, et qu'elle pourroit contribuer à répandre sur tout dans les campagnes la connoissance des principes dont tous les Français doivent être pénétrés », ils ajoutaient : « quelques changemens, la pluspart dans l'orthographe deffectueuse en certains points, nous ont semblé seulement nécessaires, afin de la rapprocher de la prononciation la plus généralement usitée, et de faciliter l'accès de cet important ouvrage aux Lecteurs peu versés dans un idiome qui compte un très petit nombre de productions littéraires imprimées et qui varie souvent d'un lieu à un autre dans le Département » 1. A Tulle, on fit des réserves plus sérieuses : « Chaque canton, chaque bourg, faisait-on observer à Garat (1er sept. 1792), a, dans cet idiome, des inflexions et un accent
1. Arch. N., AA. 32, n° 15117. Agen, 15 may 1792.
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différent, de sorte que le traducteur qui s'est trouvé du canton de Juillac, n'a point pris l'accent des autres cantons qui présente des différences plus ou moins sensibles, mais qui deviennent considérables à la distance de sept ou huit lieues » 1.
Des critiques plus aigres arrivèrent d'ailleurs, ainsi des HautesPyrénées : La traduction n'était point conforme à l'idiome propre du département. Les administrateurs en avaient fait faire une autre et renvoyaient la première au Ministre de la Justice, en y joignant un exemplaire de celle qu'ils jugeaient plus exacte 2.
Un rapport demanda, pour éviter de semblables reproches, que chaque traduction, au lieu d'être seulement examinée par un député, le fût par deux, au choix du ministre 3.
1. Arch. N., AA. 32, n° 32706, r° et v°.
2. Tarbes, 6 décembre 1792, Arch. N , AA. 32, n° 33307.
3. Arch. N., AA. 32.
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CHAPITRE VI TRADUCTIONS SUR PLACE
BUREAUX DÉPARTEMENTAUX. — En Alsace, on estimait que les traductions qui arrivaient de Paris avaient de graves défauts ; d'une part elles sentaient le français, de l'autre elles étaient en allemand trop pur, et cela était un défaut différent, mais presque aussi grave.
Le Conseil général de la Moselle demanda l'autorisation de faire faire une traduction des décrets « appropriée à l'idiome incorrect usité dans les parties allemandes de ce département » ; la Meurthe eut aussi son traducteur 1.
Les résultats ne paraissent pas avoir été bien satisfaisants. La question était en effet fort délicate. L'allemand dialectal ne s'écrivait pas. Fallait-il donc s'en tenir à l'allemand littéraire? Mais il était inconnu de la plupart des habitants.
Nous connaissons, m'écrit M. P. Lévy, une partie des traducteurs qui travaillèrent en Alsace et en Lorraine, ainsi Goebel, qui, dans sa Grammaire analytique de la langue allemande (Strasbourg, 1796), s'intitule : interprète des langues étrangères au dépôt général de la guerre. Ulrich avait été nommé secrétaire-interprète de la municipalité de Strasbourg après concours. En 1790 il publiait chez Levrault une traduction des décrets 2.
Le 2 mai, le Directoire du Finistère adressait une circulaire aux districts en les priant de désigner des traducteurs. Le district de Brest proposa, le 10, un commis des bureaux de la marine, nommé Salaun ; le 7, Morlaix répondait qu'on avait trouvé pour traduire les décrets sur la contribution foncière Pervès, de Morlaix. Il traduisit d'autres
1. Voir Procès-verb des délibérations du Conseil général de la Moselle (Arch. N., F1c III, Moselle 26 nov. 1790, dans May, La lutt, pour le fr., p. 48). Il faudrait rechercher dans cette série si des dispositions analogues furent prises dans d'autres départements à idiomes. Quelques-uns des rapports et des procès-verbaux des conseils généraux sont dans les Archives départementales.
2. Cf. Wöchentliche Kachrichten. de Strasb. (6 août 1790). On relève dans ces traductions un certain nombre d'alsatismes, mais elles sont en haut-allemand.
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38 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
lois encore. Comment? nous l'ignorons, n'ayant pas sa traduction. De leur côté les Sociétés des Amis de la Constitution s'étaient mises à l'oeuvre çà et là pour arriver au même but 1. Les Jacobins de Colmar s'y employèrent avec ardeur 2.
POINT D'ORGANISATION DÉFINITIVE. — Il est assez facile de comprendre comment on a pu affirmer plus tard que les décrets étaient inconnus, faute d'avoir été traduits. Sans doute, dans certains départements, le plus grand nombre paraissent l'avoir été au fur et à mesure. En Alsace, on les trouve imprimés en deux langues par les autorités locales, soit qu'on ait tout réimprimé en français et allemand 3, soit qu'on ait joint à la brochure française reçue de Paris une traduction qu'on a fait exécuter sur place*. Mais ailleurs rien de systématique, ainsi en Moselle 6.
Les choses allèrent de la sorte, sans organisation régulière, jusqu'à la fin de la Législative. Le 2 juin 1792, les Administrateurs de Strasbourg se plaignent encore que le décret relatif à la traduction des lois, n'ayant pas été promulgué, n'a point eu d'exécution. Cependant « deux différentes traductions circulent dans les départements du Haut et du Bas-Rhin ; une grande partie du Département de la Mozelle, autrefois Lorraine allemande, et dont les habitans ne savent pas un mot françois, ne peut jouïr de la connoissance des Lois auxquelles elle est soumise, puisque ces Lois n'y sont pas traduites. Le même inconvénient existe dans quelques communes du Département de la Meurthe et du Doubs » 6. Le remède leur paraît être d'instituer un Bureau central des Traductions. Ce même 2 juin, Roland, ministre de l'Intérieur, transmet à son collègue de la justice une proposition de Simon, secrétaire interprète du Bas-Rhin portant établissement de ce bureau central 7.
1. Ainsi la Société de Lectoure qui fit traduire en dialecte la Déclaration des Droits (Arch. du Gers, L. 699. Reg. de la Soc. pop. de Lectoure).
2. Frère Gloxin a demandé à ce que M. Decker soit invité à faire un grand nombre d'exemplaires de la Constitution, pour les vendre à bon marché aux frères. Nommé des commissaires pour faire les traductions (2 oct. 1791, Leuillot, Les Jacobins de Colmar, p. 38).
3. Voir la loi du 19 nov. 1790 sur les Sociétés libres, réimprimée avec traduction en allemand chez F. G. Levrault (Impr. du B.-R.).
4. Voir la loi sur les Sociétés populaires du 9 oct. 1791, traduite dans une brochure à part chez F. G. Levrault (Impr. du B.-R.). V. Catal. du Alsatica de la Bibl. d'Oscar Berger-Levrault, Nancy, 1885, 1re et 5e partie.
5. « Une chose inconcevable, c'est que les trois quarts de ce département qui ne sont familiarisés qu'avec la langue allemande, n'ont peut-être jamais reçu un seul exemplaire d' une loi ou instruction quelconque traduite en cet idiome. »
(Journ. du cn Clémence, envoyé à Metz le 26 août an Ier de l'égalité (1792 Arch. des Aff. étr., France, I, 408, 668).
6. Arch. N., AA. 32, n° 17877, I, v°. Simon était parmi les signataires. 7. Arch. N., AA. 32, doss. 3.
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TRADUCTIONS SUR PLACE 39
Mais le ministre hésitait. Il craignait non sans raison que, pour l'allemand, on n'employât un langage trop correct au lieu de celui qui était en usage dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, de la Moselle, etc. 1. Finalement, il ne semble pas qu'on se soit jamais arrêté à aucun plan uniforme. C'est là du reste chose qui intéresse surtout l'histoire de l'Administration ; il importait seulement de marquer ici les intentions. Les premières Assemblées n'ont pas fait la guerre aux idiomes, elles ont au contraire tenté de s'allier avec eux pour faire connaître et comprendre la Révolution.
1. Arch. N., AA. 33.
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LIVRE IV LA BATAILLE DES ÉCRITS
CHAPITRE PREMIER PUBLICATIONS EN DIALECTES
PETIT NOMBRE DE CES PUBLICATIONS. — Il n'entre pas dans mon dessein de faire ici la revue des publications en dialectes. Le regretté Gazier a retrouvé celles que s'était procurées Grégoire, et il les a jointes aux lettres sur les patois. Le Dr Noulet en a signalé d'autres. On pourra encore glaner bien longtemps derrière eux 1. Notre documentation sur ce point est à l'heure qu'il est, ridiculement insuffisante. Même à Paris, les journaux imaginaient des pièces comiques en patois 2.
Ce sont en grande partie des curés patriotes et constitutionnels qui se sont servis de ce moyen. On comprend pourquoi. C'est parmi eux que se trouvaient les demi-érudits et les bilingues capables de faire passer les idées révolutionnaires d'une langue dans l'autre 3.
Les Sociétés des Amis de la Constitution, vrais foyers de propa1.
propa1. Chanson sur la Constitution faite par un paysan du canton de Salignac, électeur au départt de la Dordogne. C'est le patois sarladais. L'auteur y chante la victoire de l'égalité. M. Gust. Hermann, qui la publie, suppose qu'elle a dû être chantée dans les fédérations de village à village. La Révol. fr., 1900, t. XXXIX, p. 508).
Cf. Ei Marseilles, adresse emé la tradussien (1792) Discours de Dubois Sarrayer, aux A. d. l. C. d'Aix, 1790 ; — (Mary-Lafon, Hist. pol., relig. et litt. du midi de la France, Paris, 1842, 4 vol. in-8°). — Relatioun dei siege soustengu per la ville de Carpentra contre l'armade dei brigan avignounes, 1791 (en vers), Poemes carpentrassiens, 1857.
2. Voir dans les Actes des Apôtres une lettre des habitants de Mauville (village du District d'Arras) à Robespierre pour remercier du don de 30 000 liv. en faveur des pauvres des 83 dépts. 13 pauvres hommes dans le village ont eu 14 sous (n° 224, p. 4). Le n° 238 contient une complainte sur l'élection de l'évêque intrus dans l'Aisne Au couplet 18 intervient le maire d'Haramon. Il parle patois. Et en bas de la page se trouve une note : « Nous avons cru qu'il était très naturel de faire parler nos électeurs picards dans le patois de leur pays » (p. 10).
3. Ils ont naturellement été victimes des brocards et des facéties.
Lou pauré pèro Cayla N'a toundut sa barbo Lou pauré pèro Cayla N'a boulgut se desfrouca L'argaut y pès abo
L'a foutut en la
Lou paouré pèro, etc.
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42 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
gande et écoles de patriotisme, ont été très favorables aux publications en patois.
Les clubs sont même des centres où chacun apporte ses productions : dialogue en patois sur l'impôt ou poème patois de l'abbé Bernady, etc. 1.
A Montauban, le 10 mai 1791, il fut donné lecture d'un dialogue en patois, au sujet de la nomination de M. Sermet comme évêque de Toulouse. Ce dialogue mérita les applaudissements de l'Assemblée. Il fut imprimé par les soins du club 2.
II y a de tout naturellement dans cette littérature politico-religieuse, des dissertations, des lettres, des discours, des satires, des chansons. Mais, si elle est assez variée, elle est malgré tout extrêmement pauvre. En y ajoutant les pièces qu'on pourra retrouver, on ne composera jamais qu'un maigre recueil, qui ne pourra se comparer aux millions de publications françaises.
Ces réserves ne vont pas à dénier toute influence aux écrits en patois, loin de là : le nombre ne fait pas tout. Une situation politique se trouve parfois retournée par un mot heureux qui porte. Qu'on se rappelle certains événements de notre temps, par exemple la disgrâce de M. Buffet en 1875-1876. S'il ne fut pas élu au Sénat, malgré sa grande influence dans le département des Vosges, quelques pages contribuèrent probablement plus à son échec que de graves raisons politiques 3. Elles étaient si pleines de malice railleuse que des
Coummo un bouc èro pudent, Aquel pauré pèro ; Coummo un bouc éro pudent, Et fumat coummo un aren Lous péous lou roudabou ;
Hélas ! qu'un tourment. Coummo un bouc, etc.
(Annales révolutionnaires, t. XIV, 1922, p. 430).
1. V. Galabert, Le club jacobin de Montauban. Voici quelques titres que je traduis : Discours prononcé à l'occasion de la Fédération par Sermet, futur évêque métropolitain du Sud (Rec. Grég., n° 22); Dialogue entre le P. Sermet et maître Guillaume (Ib., 21) ; L'Aristocratie chassée de Montpellier (Ib., 4); Dialogue entre un électeur qui a procédé à l'élection de 70 curés pour le district de Toulouse et un dévot de la même ville (Ib., 20) ; Lettre du maire d'Egletons aux paysans de son voisinage (Ib., 18) ; Chanson nouvelle sur un air français (Perpignan) (Ib., in-4°, n° 1) ; Profession de foi (même recueil, ms.. p. 623); La France régénérée de Bernady; L'avis salutaire de M. Salivas au brave monde de la campagne; La Verité, déployée par un poète villageois... par Remuzat de Marseille (Bouch.-d.-Rhône, III, 707). — L'Almanach du Père Gérard passa en langue du Comtat-Venaissin en 1792.
2. Un exemplaire se trouve dans un recueil factice intitulé Révolution, à la Faculté de théologie de Montauban. Voir La Révol. fr.. t. XXXVI, 1899, p. 404.
3. Le titre, que je cite de mémoire, était quelque chose comme ceci : Lo grand discours qu'é fa lo Toinon di p'tit Batiste y Conseil municipal de Barbey-Seroux, devant lé séance, di tot qu' le conseillés s' chofinzor e coté di foné (Le grand discours qu'a fait le Toinon du petit Baptiste au Conseil municipal do Barbey-Seroux, avant la séance, du temps que les conseillers se chauffaient à côté du fourneau).
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PUBLICATIONS EN DIALECTES 43
électeurs sénatoriaux, partisans du candidat, eurent peur de se faire moquer en votant pour lui.
Mais je dois dire qu'on se ferait une idée fausse, presque ridicule, du rôle que jouèrent patois et dialectes en ne tenant compte que des pièces imprimées ou manuscrites. La difficulté à les employer ainsi était trop grande. C'était un travail de lire du patois, et dont on n'avait aucune habitude. C'en était un aussi et bien plus grand de l'écrire ; au contraire, dans la conversation, il retrouvait tous ses avantages de langue usuelle.
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CHAPITRE II PUBLICATIONS EN IDIOMES
EN BRETAGNE. — Il n'y a, à ma connaissance, qu'une province à idiome pour laquelle une enquête d'ensemble un peu approfondie ail été entreprise, c'est la Bretagne 1.
Dès le commencement de la Révolution, on y voit traduire des pièces importantes, la Déclaration de la Noblesse du 10 janvier 1789, dont on tira 7 000 exemplaires en français, 3 000 en breton et une Circulaire aux Bas Bretons des environs de Quimper sur les demandes à soumettre dans l'intérêt du peuple.
Le 13 décembre 1790, le Directoire avait chargé Jannou et Guillier de traduire la proclamation sur les menées des prêtres réfractaires dans le Léon, rédigée par Daniel et Morvan. On la tira à 3 000. Cette pièce devait être répandue dans les campagnes. Elle paraît malheureusement perdue.
Dans ce pays où la foi était si vive, et où il était si nécessaire d'apaiser les inquiétudes causées par les prétendues atteintes portées à l'Église catholique, les « schismatiques » ont beaucoup écrit en breton pour se défendre. Gazier mentionne sous le n° 5 (p. 642 du ms.) une pièce datée du 12 février 1791. C'est une adresse aux paysans et aux prêtres sur la question religieuse. Suit un discours à ce sujet au nom de douze assermentés et une lettre de la municipalité de Carhaix adressée à celle de Brest, relative, elle aussi, à la même matière.
Le 12 août 1792, Le Gall, curé constitutionnel de Plounéour-Trez écrivait au citoyen Du Couédic, procureur-syndic du district de Lesneven, une lettre intéressante. Il est possible que l'on découvre encore d'autres productions de ce genre. Il faut noter aussi des pièces d'un caractère moins spécial, comme le Manifeste des Amis de la Constitution de Quimper (1791).
1. Voir un article très solide de Daniel Bernard dans Ann. de Bretaqne, XXVII, 1911-1912, p. 605 et suiv. et XXVIII, 1912-1913, p. 287 et suiv. Il a été formé aux Archives du Finistère une collection des documents en breton de cette période.
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PUBLICATIONS EN IDIOMES 45
Dans le Morbihan, même souci de « propager l'esprit public ». On traduit l' Almanach du Père Gérard, et, le 3 avril 1792, 40 exemplaires de la traduction étaient distribués entre les municipalités et les juges de paix « revêtues des formes picquantes et de l'expression énergique et naïve de l'idiome celtique » 1.
Pourtant, même en Bretagne, les assemblées départementales ne prenaient pas toujours le soin de traduire les écrits de propagande, tant s'en faut. Ainsi le Conseil général des Côtes-du-Nord décidait, le 14 novembre 1790, d'imprimer trois mille exemplaires des observations de Le Coz et de les distribuer aux municipalités et au clergé. Il ne songe pas à les faire passer en breton 2.
EN FLANDRE MARITIME. — Depuis la destruction de Thérouanne, le pays étant rattaché à l'évêché d'Ypres, le clergé se trouvait sous une autorité étrangère. Le 24 septembre 1789, l'évêque, Charles d'Arberg, rédige un mandement aux fidèles de la partie française de son diocèse. Il est en français, mais avec le flamand en regard 3. L'évêque d'Ypres continua ses interventions. En 1791, il adressait une lettre au principal et à des professeurs du Collège de Bergues qui avaient prêté le serment et où il les excommuniait. Cette lettre est traduite en flamand, ainsi qu'une autre adresse du même aux administrateurs du district d'Hazebrouck. Malgré cela, il ne semble pas que la Flandre flamingante ait été fortement travaillée ni par les émigrés ni par la contre-révolution.
Quand on eut un évêque constitutionnel dans le Nord (Primat), on le vit, lui aussi, s'adresser aux fidèles en flamand pour leur expliquer la Constitution civile du clergé (11 avril 1791)4.
Il fut en cela très secondé par un de ses prêtres, Deschodt, de Steenbecque, infatigable traducteur. M. Lemaire croit que c'est Deschodt qui traduisit le mandement; en tous cas on a de celui-ci :
— Een Woordje over den eed des geystely kkeyd aen het gemeente van Duynkerque (Un mot sur le Serment Constitutionnel, au peuple de Dunkerque s. l. n. d.); Almanach van de Vader Geeraerd vor het Jaer 1792 etc.. Tot Duynkerke by vrieden der Constitutee (Almanach du Père Gérard, de l'année 1792... A Dunkerque chez les amis de la constitution) 5. En 1793, il traduisait toujours. Il publia
1. Cf. La Société populaire régénérée et épurée d'Hennebont à tous les citoyens du département du Morbihan (Rec. Grég., n° 4 des in-4°).
2. Arch. N., F'1c III, Côtes-du-Nord, 1. Séances du Cons. G 1, p. 37.
3. Placard in-f°. Signalé par le Dr Lemaire de Dunkerque.
4. Rec. Grég., n° 6 des in-4°.
5. O. c, 767, n. 1.
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46 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
la Constitution et les Droits de l'Homme, et le Directoire en décida l'impression et l'envoi à toutes les communes 1.
Malgré tout, ceux qui ont étudié le pays à cette époque, MM. Lefebvre, Lennel, Lemaire, s'accordent à penser que les pièces en flamand sont de rarissimes exceptions, dues probablement en partie au zèle d'un homme. L'usage n'était pas d'imprimer en flamand avant la Révolution. Il n'y avait ni raison ni possibilité de le créer, et, dans les années qui suivirent, tout ou à peu près tout se publia en français.
EN LORRAINE ALLEMANDE. — On dut sentir vivement le besoin de s'adresser en leur langue aux habitants de l'ancien bailliage allemand. Hentz, quand il était encore juge de paix du canton de Sierck (district de Thionville), avait composé un opuscule pour prémunir les habitants des campagnes contre le fanatisme; il écrivit à la Législative pour demander qu'il fût traduit en allemand, en même temps qu'on l'imprimerait en français (20 décembre 1791) 2. J'ignore ce qu'il advint de cette proposition et s'il en fut fait d'autres.
LE CAS PARTICULIER DE L'ALSACE. OBSERVATIONS GÉNÉRALES. — Je serais porté, si dans cet exposé général je pouvais multiplier les divisions, à mettre, parmi les pays à idiome, l'Alsace tout à fait à part. En effet elle parlait un dialecte allemand, mais tous ceux qui avaient quelque culture avaient appris à lire et à écrire l'allemand littéraire, langue de culture approfondie et ancienne, apte à toutes les controverses, et qui venait justement de prendre complètement conscience de son génie. Un magnifique et soudain développement dont nous avons parlé dans un précédent volume, l'avait portée à une place éminente. Il est bien clair que les oeuvres allemandes étaient, par suite des affinités de race et de langue, destinées à plaire au monde cultivé d'Alsace. En second lieu, d'étroites relations d'un autre ordre, religieuses celles-là, existaient entre une partie de la population et les protestants d'Allemagne. Enfin, des liens positifs et légaux, des serments liaient encore quantité de sujets du roi de France à des princes allemands.
Soit dans le Haut-Rhin, soit dans le Bas-Rhin, au rebours de ce qui se passa ailleurs, c'est l'écrit publié exclusivement en français qui fait exception.
Les autorités civiles s'adressaient au public en deux langues. Les
1. 24 juin 1793, 33 p., Arch. dép. du Nord, L. Distr. d'Hazebrouck, 7, f° 104, dans Lennel, o. c., 77.
2. Guill., Proc. verb., Com. I. P. Lég , p. 60.
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PUBLICATIONS EN IDIOMES 47
autorités ecclésiastiques les imitaient : Constitutionnels aussi bien que Réfractaires, Brendel 1 comme le Prince de Rohan 2, restèrent fidèles à un usage nécessaire.
LES SOCIÉTÉS POPULAIRES. — Les Sociétés populaires alsaciennes se fussent bien gardées, elles aussi, de se cantonner dans le français; c'eût été réduire leur action que de mettre entre eux et les gens qui savaient lire l'obstacle d'une langue étrangère 3. Les premières publications en allemand parues sur leur ordre ou sous leur impulsion remontent à 1789. A mesure que les événements marchèrent, elles se succédèrent presque sans interruption.
Les questions religieuses en ont provoqué une foule 4. Il s'agissait en effet « de détruire les fâcheuses impressions des prières, des neuvaines perfides » 3, et aussi l'effet des mandements dont « l'évêque du Collier » et l'évêque de Bâle foudroyaient les schismatiques. En effet, les contre-révolutionnaires n'étaient pas plus chiches de leur prose que les patriotes.
Mais c'était à tout propos et sur tous sujets qu'il fallait instruire et combattre, en Alsace comme ailleurs. Les Jacobins n'épargnèrent ni efforts ni dépenses. Le 1er juin 1791, la Société de Strasbourg arrête qu'il sera fait une instruction allemande pour les campagnes (cf. 4 juin, où on lit l'adresse). Euloge Schneider travaille sans relâche. Le 7 février, il donne un Discours sur les dangers de la désunion; le 27 avril, Une parole sérieuse aux citoyens de Strasbourg (Reuss, Const. civ., II, 76). Le 23 août, paraît une Adresse des Français aux peuples et soldats de l'Empire; le même jour, Adresse aux électeurs. Le 15 septembre, il s'offre à traduire le Discours sur le républicanisme, et ainsi de suite.
Les propagandistes strasbourgeois avaient, il faut l'ajouter, de vastes ambitions; ils entendaient non seulement agir sur leur département, mais entraîner l'opinion des pays d'Outre-Rhin, et c'était une raison de plus de s'exprimer en allemand. Ils ne perdaient pas
1. Voir Lettre des catholiques de Strasbourg à N. S. Père le Pape Pie VI, 19 janv. 1790, dans Reuss, Const. civ., I, 42.
2. L'évêque réfractaire de Rohan fait imprimer (2 mai 1791) un bref du St Père en latin et en allemand (Voir Reuss, o. c, I, 201 ; cf. Id., Ib.. II, 39). De même l'évêque de Bâle fait en deux langues sa protestation contre la nomination de Martin, évêque du Haut-Rhin (5 av. 1791, Id.. ib., I, 242).
3. La Feuille villageoise nous a dit le retentissement qu'ont eu les papiers allemands lancés par les Jacobins d'Alsace : « La Société des Amis de la Constitution a publié en allemand des écrits qui ont réuni tous les coeurs » (jeudi 16 juin 1791).
4. Citons : Catéchisme de raison, de morale et de philosophie (26 oct. 1790, dans Heitz, Soc. pol., 63) ; — Lieber Herr Mayer und Mitbrüder (20 déc. 1790, dans Reuss, Const. civ., I, 15) ; — Discours de Grégoire sur la légitimité du serment (janv. 1791) ; — Discours de l'abbé Voegel (6 mars 1791; cf. Le Glaneur alsacien, 21 août 1870).
5. 1er mai 1790, dans Heitz, Soc. pol., 39.
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48 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
toujours leur peine. Une poésie composée par Rouget de l'Isle pour la fête du 25 septembre 1791, l'Hymne à la liberté, fut traduite par les soins de Dietrich en vers allemands et distribuée au peuple, qui la chanta sur la place d'Armes (place Kléber). Elle vint aux oreilles des habitants du Brisgau qui, de l'autre côté du Rhin, la reprirent et l'apprirent à leur tour.
Souvent l'original venait de France. L'Almanach du P. Gérard servit longtemps sous ce titre : Haus und Dorf-Kalender des alten Vaters Gerhard... für das vierte Jahr der Freiheit 1.
Le même esprit, avec moins d'ambition, régnait à Colmar, dans les réunions de patriotes. Lucé, pasteur protestant, prononça le 10 avril 1791, en allemand et en français, l'éloge de Mirabeau; cet éloge fut imprimé par ordre de la Société des Amis de la Constitution 2.
Des villes plus petites, telles que Sélestat, avaient leur club et souvent leurs écrits à elles 3.
Il est inutile de pousser plus loin ces investigations. Les deux partis rivalisent. Du côté des contre-révolutionnaires il n'y a pour ainsi dire qu'à puiser. Dans son livre La Contre-Révolution en Alsace de 1789 à 1793, F. C. Heitz a entassé une foule de documents; pour mieux dire, le volume en est tout entier composé. L'ouvrage de Reuss sur la Constitution civile du Clergé apporte d'autres pièces, en nombre immense 4.
Heitz avait réuni, à lui seul, environ 8 000 brochures, pamphlets, feuilles volantes contre-révolutionnaires, qui forment aujourd'hui une des sections de la Bibliothèque de Strasbourg. On y trouve la preuve que nous sommes ici dans une province à part, où le rôle du langage concurrent ne peut se comparer au rôle du basque ou du breton.
1. (Strasburg. Akademische Buchhandlung. Bib. U. Str., M. 109 400). On le distribuait, on le faisait lire dans les carrefours. Il est suivi de deux pièces de vers, dont la première, à propos de la déclaration de l'Assemblée Nationale aux peuples de l'Europe du 29 décembre 1791 a été composée « par un paysan allemand des bords du Rhin ».
2. Leuillot, o. c, 22. On trouvera dans ce livre l'indication des publications en allemand faites sur l'ordre des Jacobins de la ville : Discours de Benjamin Gloxin, 14 juillet 1791 (p. 33) ; autre discours du même, 18 juillet (p. 34), etc.
3. « Je vous fais passer 4 Exempl. et 8 en allemand de la reponse faite par un Brave defenseur de la patrie au pamphlet seditieux intitule Dialogue de trois Grenadiers de l'armée du Rhin. Je vous invite de faire la lecture par toute la Ville en allemand et en français. Signé Zaëpfel, Cre du Direct, exécutif près la com. de Schlestadt, Correspce de la Munic, de la Cne de Schlestat, Registre General, p. 17. 17 Germ. an IV de la Rep. fr., N° 291, Arch. de Schl., D. Vb 2.
4. Quelques exemples: En 1791 paraissent en allemand les Instructions à tous les Strasbourgeois qui ont le droit de chasse en cette ville, écrit contre-révolutionnaire de la dernière violence (Reuss, Const. civ. I, 76; cf. Les Alsaciens trahispar eux-mêmes, (Id., Ib., I, 114, n. 1). Le 1er mars 1791, la Société ordonne l'impression en deux langues
d' une adresse aux électeurs protestants (Id., Ib., I, 137).
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PUBLICATIONS EN IDIOMES 49
Encore faut-il bien remarquer que la langue des imprimés n'est pas le dialecte que l'on parle, mais la langue littéraire que lisent sans aucune peine tous ceux qui ont un commencement d'instruction, une langue en somme étrangère. D'où les colères qui éclateront bientôt et qui amèneront les persécutions.
LES JOURNAUX. — Les journaux, comme les brochures, étaient en général en allemand. Assurément il y eut à Strasbourg des journaux français, d'abord les Affiches, qui devinrent bilingues 1; puis le Courrier politique et littéraire des deux nations, qui n'était qu'une entreprise de publicité (1790); la Feuille de Strasbourg ou Journal politique et littéraire des rives du Rhin, de Chayrou ; la Feuille hebdomadaire et politique de Simon (1789-1790); la Chronique de Strasbourg, d'Ehrmann 2. Plusieurs de ces journaux français, tels que le Courrier de Strasbourg et le Courrier de Paris de Laveaux, n'étaient pas faits pour l'Alsace, mais plutôt pour Paris 3.
La Feuille hebdomadaire patriotique (Patriotisches Wochenblatt, dont le n° 1 avait paru le 6 décembre 1789) tenta de paraître en deux langues. Mais, le 20 janvier suivant, on supprimait la partie française, qui n'était pas lue 4.
Donnons seulement quelques titres de journaux en allemand :
Argos oder der Mann mit hundert Augen. Strasb. chez J. Stuber, 1792 (le 1er n° est du 3 juin); — Der Freund des Volks (édité par quelques gardes nationaux, 1790); — Journal der neuen Staatsverfassung von Frankreich (Le n° 2 est du 7 octobre 1791); — Der Kriegsbote (1792);— Die neuesten Religions-Begebenheiten in Frank1.
Frank1. Affiches étaient passées en 1787 à Saltzmann, pour en faire un journal politique destiné à contrebalancer l'influence des journaux allemands. En 1794, elles seront réunies au Weltbote. Le journal changea encore plusieurs fois de titre.
2. Elle fut remplacée par un journal allemand : Das Nationalblatt für das Niederrheinische Departement. Après cela, Ehrmann publia encore un journal allemand : Die politische Strassburgische Zeitung.
On trouvera la liste des journaux de Strasbourg dans Heitz, Les Sociétés politiques de Strasbourg, VII-VIII. Les Archives municipales de Strasbourg conservent deux volumes de journaux. Le premier est formé de numéros dépareillés de diverses feuilles (0.5342f). La Bibliothèque Nationale est beaucoup plus riche.
3. Voir Reuss, Const. civ., II, p. 60.
4. Voir Beylage zum 7 tien stück (20 jenner 1790, p. 58):
Avis. La plupart de MM. les Abonnés français, entendant également la langue allemande, & leur nombre étant très petit, on a jugé à propos de supprimer le français & de ne donner à l'avenir qu'une feuille allemande. Cependant les articles d'une importance majeure seront donnés dans les deux langues par la même feuille.
Nachricht. Da die meisten französischen Herren Abonnenten, die beyde Sprachen verstehen, das deutsche Blatt gewählt haben ; so ist nicht mehr der Mühe werth auch eine französische Auflage zu machen. Doch sollen künftig auch die Artickel von gar grosser Wichtigkeit in beyden Sprachen auf demselben Blatte vorgewagen werden, welches selten der Fall seyn wird.
Le rédacteur de cette feuille est Simon (Strassburg, Lorenz und Schuler (M. 109.399).
Histoire de la langue française. IX. 4
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50 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
reich (1792, de Kaemmerer ; journal des assermentés) ; — Geschichte der gegenwaertigen Zeit (1790-1792, de J.-F. Simon; Schneider y collabora); — Nationalblatt (le n° 50 est du 17 mai 1791);
— Politisch-Litterarischer-Kurier (le 1er n° est du 2 décembre 1789);
— Privilegirte Strassburgische Zeitung (1789, — Strassburger Kurier (1er janvier 1793), par J. Frantz (1793-1795); — Strassburgisches Politisches Journal (1790-1793, de Cotta de Stuttgart, l'ami de Schneider, qui épousa sa femme d'un jour); — Weltbote (le n° 12 est du 13 germinal an II); — Wöchentliche Nachrichten für die Deutsch-sprechenden Einwohner Franzosen, besonders aber für die Handwerker und Bauern. Freyheit und Gehorsam (publié par André Ulrich; le 1er n° est du 7 janvier 1791).
Strasbourg était naturellement le centre de cette presse, mais on trouve des journaux bien ailleurs, ainsi à Haguenau : Der wahre elsässische Patriot (1791). On notera que le District interdit ce journal, convaincu que le but de son rédacteur était de transmettre par la traduction à la connaissance des citoyens de la campagne, les principes empoisonnés qui infectent la capitale! (Reuss, Const. civ., I, p. 187).
Autrement dans toute l'Alsace, idées, formules, mots d'ordre français, habillés à l'allemande, étaient lancés : Nur Sieg und Freyheit oder Tod ! — In dem ganzen Koenigreich Sind wir Franken alle gleich ! (La victoire et la liberté, ou la mort. Dans le royaume entier tous les Français sont égaux), etc.
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CHAPITRE III RÔLE DU FRANÇAIS
DÉLUGE DE PAPIERS. — Les faits que nous venons de constater en Alsace sont exceptionnels. Ils ne doivent point nous faire perdre de vue le reste du pays. En général, les écrits en patois ou en idiome ne pouvaient entrer en balance avec les écrits en langue française. Jamais les presses de Paris ou des provinces n'avaient été aussi actives, et elles suffisaient à peine aux besoins. Ce n'est pas une averse de papiers qui se répand alors sur le pays, c'est un déluge. De mai 1789 à mai 1792, on vit naître un millier de journaux ou d'écrits affectant la forme de journaux. Un citoyen, en y employant toute sa journée, ne fût pas arrivé à les lire. La production se ralentit un peu en 1791, pour reprendre ensuite tant que dura le régime de la liberté. Cette histoire a été faite par Hatin1. On peut trouver également tous les détails sur les livres, brochures, pamphlets, etc., dans l'admirable Bibliographie de Tourneux 2. La seule masse de ces énormes volumes où la place principale est occupée par des titres, dira assez, même au lecteur qui ne sera pas curieux de se reporter aux documents, ce que fut alors la production des écrits de toute sorte en français. Que pèsent auprès de cela quelques pages, quelques feuilles en idiome et en patois ?
On trouve en tète d'un curieux dialogue, publié en Haute-Saône et destiné à l'Apologie de l'Assemblée et de la Constitution, dont l'auteur est visiblement un ecclésiastique, l'exposé des motifs qui lui ont fait préférer le français. Voici la « Note du Rédacteur » : « Le langage populaire étant différent de village à village, et à plus forte raison de province à province, la lecture des réflexions de
1. Hist. de la Presse... t. IV, V, et VI.
2. Bibliogr. de l'Hist. de Paris, Cf. Léonard Gallois, Hist. des journ. et des journal, de la Rév. fr. Paris, 1845-6, 2 vol. in-8°,
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52 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Claudine et des réponses de Pierrot, en occasionnant au Lecteur une étude du patois, lui auroit inspiré du dégoût et distrait son attention. Cette considération m'a décidé à accepter l'honorable emploi de Rédacteur de ce Dialogue, qui peut être utile au public 1. »
Au lieu de nous attarder à marquer une disproportion qui saute aux yeux, mieux vaudrait montrer comment il se pouvait faire que les écrits français pénétrassent jusqu'à la masse ignorante. Assurément nous n'avons pas le moyen de suivre tous ces imprimés dans chacune des communes rurales. Certains d'entre eux, cela n'est pas contestable, tels l'Almanach du Père Gérard2, Ouvrez les yeux, l'Ami des citoyens, la Lettre de Creuzé-Latouche aux habitants des campagnes, ont eu une immense diffusion du Nord au Sud. Les journaux non seulement se débitaient, s'expédiaient, se colportaient, mais se placardaient. Bon gré mal gré ces papiers tiraient l'oeil, excitaient la curiosité.
Quoiqu'ils écrivissent en français, les rédacteurs avaient raison d'espérer arriver jusqu'au coeur des villages. On le voit bien à la confiance que témoignent ceux qui dirigent la Feuille villageoise, qui, dès la première année, avait 15 000 souscripteurs, chiffre énorme pour l'époque. Tout en souhaitant l'unification linguistique comme un bienfait 3, ils ne se sentaient pas vraiment entravés dans
1. « Comme nous présentons nos idées en termes plus communicatifs, plus saillants et plus énergiques dans le langage qui nous est propre et familier, elles perdent beaucoup de leur mérite en les confiant à un organe étranger. Si donc le Lecteur citoyen prend moins d'intérêt en lisant ce Dialogue sous ma plume, ce n'est pas la faute de Claudine et Pierrot dont les réflexions patoises, naïves et pleines de sel dans leur langage, auroient pu intéresser davantage, c'est la faute du Rédacteur qui a tâché néanmoins de se plier, malgré l'importance du sujet, à quelques expressions triviales et capables de laisser reconnoître par-tout les idées et les images de Claudine et Pierrot » (Dialogue entre un mari et sa femme sur la nouvelle Constitution rédigé et mis en François par M. R. Electeur du Département de la Haute-Saône... Vesoul, J. B. Poirson Imprimeur du Dépt, 1890, 1077, 8°. Bibl. Besançon, 277, 891. Communiqaé par M. A. Mathiez).
2. Voir une réimpression de L'Almanach du Père Gérard dans La Révol. fr., t. XVII, p. 431. Sur les journaux des Jacobins, voir Hatin, Hist. de la Presse. VI, 447. La Cour, elle, subventionnait diverses feuilles, le Chant du Coq, le Postillon de la guerre, le Logographe.
3. « Le vaste empire François étoit autrefois partagé en un grand nombre d'états divers et indépendans. Chacun de ces peuples avoit ses lois, ses habitudes et sa langue particulière ; et chacun d'eux, en se réunissant, les avoiltconservées. Quand on voyageait en France, on croyoit parcourir cent petits royaumes différens : de province en province, et, presque de contrée en contrée, on se trouvoit en pays étranger. Le despotisme tiroit parti de ce désaccord universel. L'union est amie de la liberté. La gloire de l'assemblée nationale est d'avoir renversé les barrières et les privilèges qui divisoient la France, d'avoir fait de ces domaines inégaux, de ces régimes variés, un juste ensemble, un corps bien proportionné dans toutes ses parties.
De jour en jour, nous verrons disparoitre la bigarrure des coutumes ; nos législateurs les changeront par-tout en lois générales. Cette uniformité, celle de l'instruction publique, celle des administrations produira bientôt l'uniformité dos langages et Picards et Gascons renonceront à leur patois, pour être aussi bons François par la langue que par le coeur » (n° 28, 7 avr. 1791).
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RÔLE DU FRANÇAIS 53
leur entreprise par cet obstacle de la diversité des parlers 1. Quiconque sait lire, sait le français, pensaient-ils. Et ils raisonnaient à peu près juste.
1. Coupé, curé de Sermaise, près Noyon, propose aux Jacobins (St-Honoré) des Vues pour éclairer le peuple de la campagne (21 sept. 1791). Paris, Impr. du Patle fr. Arch. N., A. D., VIII, 21.
Il préconise la rédaction d'une feuille de nouvelles, des almanachs, des chansons, des airs à boire, des spectacles, des danses. Parmi les membres du Comité qui ordonne l'impression: Roederer, Royer, évêque de l'Ain, Collot d'Herbois, Lanthenas. Aucune allusion aux patois.
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LIVRE V LA BATAILLE DES PAROLES
CHAPITRE PREMIER LES FÊTES
LES FÉDÉRATIONS. — S'il faut se résigner à une ignorance à peu près complète en ce qui concerne les innombrables paroles, envolées à jamais, qu'échangèrent alors des millions d'hommes — et de femmes —, il y a des moyens d'apercevoir comment le français s'infiltra dans les réunions organisées.
Aussi bien ont-elles joué un rôle directeur. Tout le monde sait ce que furent les Fédérations, commencées en Bretagne dès 1788, continuées dans l'Ariège et le Rouergue en août 1789. A partir de ce moment, l'élan donné ne s'arrêta plus : fédérations de milices voisines, puis fédérations de provinces, pour aboutir à la Fédération nationale.
Sans décrire ces journées, il nous sera permis d'insister sur leur caractère fondamental. Elles consacraient non un rapprochement, mais une fusion; c'étaient mieux que des visites de voisins à voisins, c'étaient des rendez-vous où des frères longtemps séparés venaient de loin se reconnaître : à Pontivy, les Bretons et les Angevins; à Dôle, les gardes nationaux francs-comtois, alsaciens, champenois. A Strasbourg, 2 281 délégués accourus non seulement d'Alsace, mais de Lorraine, de Franche-Comté. A Lyon, 50000 hommes furent réunis, appelés de partout, depuis Sarrelouis jusqu'à Marseille. Finalement, les éléments actifs de 44 000 municipalités se rejoignaient à Paris 1. Le mouvement avait atteint les pays les plus reculés, les plus habitués à vivre « séparés » : le Nébouzan, le Couserans, le Comminges.
RÔLE DU LANGAGE LOCAL. — Il y eut dans les fêtes locales ou régio1.
régio1. Sagnac, dans Lavisse, Hist. cont., I, p. 233.
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56 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
nales des harangues en patois. Sermet, l'orateur célèbre qui avait prêché le carême devant Louis XV, prononça, lors de la fédération du 14 juillet 1790, organisée par le bataillon de St-Geniès, auquel il appartenait, un discours en patois 1, où il flétrit avec une extrême vigueur tous les abus de l'ancien régime 2.
Cependant on peut considérer que c'est là un fait assez rare, dû peut-être à la bonhomie de l'orateur, qui affectait de se tenir le plus près possible de ses ouailles. Les documents relatifs aux Fédérations sont uniformément en français 3. Assurément ce n'est pas une preuve. Depuis longtemps on avait l'habitude de mettre par écrit, en français, des procès-verbaux de réunions en patois. Mais nous avons plusieurs relations circonstanciées qui montrent la part faite à chacune des langues, ainsi pour la grande fête de Strasbourg. Le lundi 21 juin 1790, le Maire et les officiers municipaux se réunissent. Ils décident que les adresses et les pièces relatives à la confédération générale seront traduites en allemand, imprimées et envoyées sous cette forme au commandant de la garde nationale de chaque ville, bourg et village du district de Strasbourg, avec une lettre allemande qui contiendra les deux articles du décret du 8, traduits également en allemand. Ceci était nécessaire pour « amener du monde ». Le grand jour venu, les serments se prêtèrent dans les deux langues. Il le fallait aussi « pour la sincérité » 4.
Il n'empêche que la fête fut toute française. Nous avons conservé les pièces. Elles sont en français. C'est en cette langue que parlèrent les enfants, les jardinières. Or, beaucoup probablement ne savaient que peu ou mal notre langue. Seul Blessig, au nom de l'Université protestante, prit la parole en allemand. Il possédait le français, mais sans doute il importait que quelqu'un rappelât la tradition 3. L'exception ne fait que mieux ressortir le caractère général qu'on avait voulu donner à la journée.
1. Extraits dans La Révol. fr., t. VIII, 1885, p. 917 et suiv.
2. Fr. Galabert a signalé combien l'évêque C. Sermet usait volontiers du patois. A Montauban, le 6 mai 1791, « comme dans les réponses qu'on faisait à ses honnêtetés, on se servait souvent de « M. l'Evêque », il leur dit en patois : « Continuez de m'appeler père Sermet, comme vous faisiez il y a cinq ou six ans, quand je prêchais le carême » (Le Père Sermet à Montauban, dans La Révol. fr.. t. XXXVI, 1899, p. 404).
3. Ainsi dans les Hautes-Alpes où il y eut Confédération des gardes nationales le 20 avril 1790 (La Révol. fr.. 1891, t. XXI, p. 82 et s.).
4. On avait fait ainsi à Colmar, le 12 avril.
3. Il commença ainsi : « Citoyens, Soldats, Habitants de la Meuse, de la Moselle, de la Meurthe, de la Loire et du Rhin ; vous tous, Français, qui différez les uns des autres par le langage et par le culte, mais que le même esprit réunit
Deux petits enfants furent baptisés, un protestant, un catholique. Les actes sont en latin, comme d'usage. Le petit catholique reçut les prénoms suivants : Carolus, patritius, foederatus primus Renatus augiensis (de la plaine) fortunatus, decimo tertio junij Die
foede ris inferioris Rheni natus. (V. Reg. bapt. Par. St-Laurent (Cathédr.) Arch. Mun. Str., N. 73).
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LES FÊTES 57
Qu'on considère, en opposition avec la grande Fédération, la fête célébrée quelques jours plus tard, le 25 août 1790, en l'honneur du Roi. Tout change; on est entre Alsaciens, on revient à l'allemand. Le 3 juillet, il est fait appel à un professeur de l'Université qui prendra la parole 1 — en allemand. Rien n'est plus instructif que ce contraste.
Quand on se « fédérait », non seulement pour célébrer la nation nouvelle, mais pour l'affirmer, le français s'imposait. Seul il donnait son sens à la cérémonie. Se servir d'une autre langue eût été, non seulement un manque de convenance à l'égard des délégués venus des autres départements, mais une manière d'infidélité à la Patrie, un reniement devant l'autel. Souvent on le savait mal. Qu'importait? Nous écoutons en de pareils moments ceux qui usent de paroles françaises non seulement avec indulgence, mais avec une sympathie accrue. Nous leur savons gré de leur effort, au lieu de rire de leur maladresse. L'impropriété des termes, l'étrangeté de l'accent prennent de la grâce comme dans la bouche d'un enfant aimé qui s'essaie à la parole. Je ne prétends pas que les dialectes ou idiomes n'aient eu aucune place dans ces journées, loin de là. Autour de la cérémonie, c'étaient des réjouissances, des beuveries, l'envers de la parade officielle. La tension d'esprit, l'exaltation du coeur ne se soutiennent pas indéfiniment, l'effort linguistique non plus. Les patois reparaissaient furtivement dans les coulisses et les couloirs, partout où on retrouvait les « pays » et où on choquait son verre avec eux. Néanmoins il n'est pas excessif de soutenir que d'abord le français gagnait à ces fêtes sa consécration officielle de langue nationale, et qu'ensuite elles faisaient apparaître l'évidente nécessité de compléter par l'unité du parler la communion des sentiments.
PROJETS D'ORGANISATION. — Les années 1790, 1791, 1792 virent se succéder ces solennités patriotiques, les unes commémoratives, les autres politiques, les autres morales. On célèbre le souvenir du Jeu de Paume, de la prise de la Bastille; on divinise Mirabeau; on transfère Voltaire au Panthéon; on honore les Suisses de Châteauvieux, etc. etc.
Peu à peu les idées de Rousseau sur les réjouissances publiques ont pris figure de réalités. Les Révolutionnaires, après ces improvisations, du patriotisme, se sont rendu compte qu'il y a là une institution nécessaire, un élément essentiel de l'éducation publique 2.
1. Reuss a cité de curieux discours prononcés aux fêtes par Goepp à Heiligenstein et d'autres encore (Hist. de Strasb., p. 328 ; cf. Vieilles paperasses, p. 25 et suiv.).
2. Mathiez, Orig. des cultes, p. 77.
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58 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Si l'instruction de la jeunesse doit assurer l'avenir, l'éducation des adultes presse plus encore. Il s'agit en effet de précipiter et de multiplier les conversions aux nouvelles doctrines, d'entretenir, d'exalter la foi des citoyens, d'instituer la religion de la patrie, qui prendra place d'abord auprès de l'autre, plus tard sera élevée au-dessus d'elle, finalement sera appelée à la remplacer.
On trouvera dans les ouvrages spéciaux l'histoire des projets et des décrets relatifs à cette matière. Mirabeau et Talleyrand y avaient déjà donné toute leur attention 1. Sous la Législative, simples citoyens et députés luttèrent d'imagination et de zèle. Barruel emplit un livre de réflexions à ce sujet 2. Condorcet fait des fêtes une partie essentielle de son système d'instruction publique (20 et 21 avr. 1792) 3.
Il est évident que la langue nationale devait régner en maîtresse dans ces réunions d'édification. Sur ce théâtre nouveau « on réciteroit des odes, des discours ; on y joueroit des pièces patriotiques, composées pour les jeux... Presque tout le peuple pouvant se rassembler dans la salle, huit ou dix représentations équivaudroient à trente ou quarante sur les petits théâtres » 4.
Toutefois rien de systématique ne put être établi. On en resta à la promesse contenue dans l'article additionnel de la Constitution : « Il sera établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, les attacher à la patrie et aux lois ».
Mais bien avant qu'il y eût une législation, l'effet politique était produit, les contacts avaient eu lieu dans des conditions exceptionnelles d'efficacité chaleureuse. On peut certifier que les résultats linguistiques étaient, eux aussi, considérables.
1. Mathiez, Orig. des cultes, p. 8 1.
2. Plan d'éducation, p. 82. Il cite un Extrait des Vues patriotiques sur l'éducation du peuple.
3. Mathiez, Orig. des cultes, p. 131-132.
4. Mme de Brulart, Disc. s. l'éduc. publ., p. 35.
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CHAPITRE II RÔLE DU CLERGÉ
LE CLERGÉ ET LA POLITIQUE. — Entre ces journées qui marquaient, se plaçait la longue suite des jours ordinaires ; mais, à cette époque, beaucoup étaient signalés par un événement. Et, dans la plupart des endroits, c'étaient à propos de tout des discussions sans fin.
Les réunions religieuses, sans tourner à la réunion politique proprement dite, n'avaient pas tardé à perdre quelque chose de leur caractère traditionnel. Les graves questions posées par la Constitution civile du clergé, la saisie des biens ecclésiastiques, etc., se débattaient à l'église et autour de l'église, avec un tel acharnement que bientôt ce fut là le terrain où se heurtèrent le plus fréquemment la Révolution et la contre-révolution. Les villages eux-mêmes furent réveillés de leur torpeur. Les citoyens passifs comme les autres, les femmes même se jetèrent dans la lutte.
USAGE DES PATOIS ET IDIOMES. — On comprend que l'Église constitutionnelle ait cherché partout des curés parlant patois et idiome aussi bien que les réfractaires, vieux habitués des paroisses. C'était pour elle une question de vie ou de mort que d'établir sa légitimité auprès des fidèles les moins instruits, de la masse confessante et communiante. En Alsace on faisait ou on laissait venir en renfort des gens d'ontre-Rhin 1, mais que faire en Bretagne? 5 Grave souci
1. Voir Reuss, Égl. const., I, p. 197 ; II, p. 58.
2. On nous parle d'un discours en breton de l'abbé Morgan, procureur de GrandChamp (Morbihan). « La difficulté, ajoute-t-il, était de trouver un nombre suffisant de prêtres sachant comprendre et parler la langue du pays. Les administrateurs d'Auray le font observer au département en ces termes : « Nous ne voyons aucun jour aux remet placements, si ce n'est pour les cures d'Auray et de Palais, qui peuvent avoir des « pasteurs français, au lieu que, pour toutes les autres, il faut absolument qu'ils « entendent et parlent le langage de leurs ouailles. Voilà une grande considération, « qui n'a point échappé aux prêtres de ce district et dont ils ont tiré parti » (Arch. dép. Clerg. cath. Personnel. Voir Jeanvrot, Le Masle, évêque const. du Morbihan dans La Révol. fr., t. XXI, 1891, p. 499).
On organisa cependant le clergé dans 110 communes et on trouva 250 prêtres constitutionnels.
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60 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pour les assermentés. Il n'y a point de doute, en tous cas, que là où on avait l'habitude de s'adresser aux fidèles dans une autre langue que le français, on la garda 1. Les réfractaires ne furent pas les moins attachés à des usages qui avaient l'avantage d'empêcher la propagation d'idées malsaines. Pour l'Alsace les preuves abondent. A Strasbourg, en janvier 1790, Ditterich (qu'il ne faut pas confondre avec Dietrich), professeur à l'Université épiscopale, fit un discours en allemand sur les dangers qui menaçaient la foi. Autres discours de Schoell (26 octobre 1790), d'Euloge Schneider (12 février), de Yung (1er juillet 1792), de Schneider (11 Août); de Gintzrot (7 octobre) ; de Kiechel (14 et 17 octobre) ; de Zimmermann (7 avril 1793); de Butenschoen (23 juillet), etc., etc. Un jour, un membre raconta en allemand ce qu'il avait vu à Paris (Jacob., 10 septembre 1792, dans Heitz, Soc. pol., 239).
Pour le Haut-Rhin, le chroniqueur colmarien Billing a noté le début des sermons en français: il ne se place que le 20 mai 1792 (Cf. Leuillot, o. c, 228, 230).
PRÔNES ET LECTURES. — Il n'en est pas moins vrai que les « curés rouges » et leurs affidés contribuèrent grandement à propager le français. On connaît par les Lettres à Grégoire les dispositions d'un certain nombre d'entre eux. D'autres les partageaient. La Feuille villageoise est un essai, tel que seuls pouvaient le tenter des gens rompus à l'enseignement des simples, pour rendre les nouvelles et les doctrines accessibles, pour expurger les textes de mots savants, et les mâcher en quelque sorte, ainsi que des aliments qu'une mère réduit en purée avant de les donner à des enfants encore petits.
Parmi ceux qui prenaient la peine d'ingurgiter cette nourriture au peuple se trouvaient beaucoup d'ecclésiastiques.
« Comme les trois quarts ne savent ni lire ni écrire, dit Chabot, je leur fais tous les dimanches après dîner, une instruction morale en patois, et je leur explique ainsi les sages décrets de l'Assemblée nationale » 2.
Dans les villages, les lecteurs bénévoles, c'étaient eux le plus souvent. La Feuille villageoise le signale et s'en réjouit: « Une foule de pasteurs bien inspirés du ciel... ont facilité l'intelligence de
1. On trouvera chez les historiens de l'Alsace de très nombreuses preuves que, dans les sermons, l'allemand était beaucoup plus employé que le français. A la Cathédrale même, avant qu'elle fût devenue le temple de la Raison, les Euloge Schneider, les Dereser prêchaient en allemand.
Brendel, né Allemand, nommé évêque, avant de prêter le serment, adressa le 21 février 1791 à la foule un sermon dans les deux langues (Reuss, Const. civ., I, p. 129).
2. Lett. à Grég., p. 52, 4 sept, an II.
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RÔLE DU CLERGÉ 61
notre Feuille, en rassemblant autour d'eux les villageois qui désiroient l'entendre. Ils nous traduisoient dans leur langage ; ils répondoient aux doutes et aux questions, ou bien ils nous les adressoient pour y répondre ; quelquefois même ils y joignoient des remarques et des articles dont notre Feuille s'est enrichie. Ils expliquoient nos leçons en particulier et nous distribuions les leurs en public »1.
Faisons la part de ce qu'il y a dans ce passage d'enthousiasme apostolique, accordons qu'il exprime peut-être des voeux plutôt qu'il ne retrace des faits réels. Il semble bien pourtant que, dans la réalité, la Révolution trouvait les propagandistes dont elle avait besoin surtout parmi les membres du clergé.
Nous avons plusieurs tableaux de ces réunions villageoises, manifestement pris sur le vif. Ainsi on écrit de Liancourt (près Clermont en Beauvoisis) : « Nous en faisons (du journal) tous les samedis notre délassement et nos délices : la maison commune s'est transformée en un club patriotique où les journaliers, les artisans, les cultivateurs, les gens de commerce, les bourgeois, le clergé de la paroisse, et même quelques étrangers se rendent presque chaque semaine avec empressement pour entendre nos leçons: un de nos prêtres et moi nous sommes les lecteurs d'office, et nos disciples nous écoutent dans le plus grand silence » 2.
COMMENTATEURS BÉNÉVOLES. — Si les faits qu'on nous rapporte sont exacts, il se rencontrait aussi « parmi les fermiers et les campagnards bien intentionnés pour la terre » des citoyens dévoués qui, par une grâce de l'esprit révolutionnaire et un peu, il faut le dire, parce que des explications nombreuses accompagnaient les textes 3, s'étaient mis à la langue politique au point de pouvoir l'interpréter aux autres campagnards : « De proche en proche, dit la Feuille villageoise avec quelque lyrisme, les idées les plus rares vont circuler et devenir familières. L'intérêt les propage, l'enthousiasme les accueille, l'attention les rend plus faciles à saisir. Voyez les groupes de la place publique, entendez les orateurs en lambeaux, et les dissertateurs en guenilles : ils parlent couramment la langue de la tribune et celle des livres. Les expressions neuves, les termes savants se sont mêlés au langage commun avec la même rapidité que l'eau d'une pluie orageuse se mêle aux eaux des fleuves. Nous comptions sur cette expansion miraculeuse des esprits; nous comptions sur l'effet de tant de papiers qui précédoient ou accom1.
accom1. 46, 11 août 1791, p. 360.
2. Feuill. vill., n° 13, p. 241.
3. Feuil. vill, 19 août 1791, p. 360.
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62 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pagnoient notre Feuille; nous comptions sur le zèle des municipalités, et la ferveur des clubs; enfin nous comptions sur les clartés intermédiaires des habitans les plus instruits de la. campagne. Ils n'ont pas trompé notre espérance ».
LECTEURS OFFICIELS. — Un moment on eût voulu que cette organisation devînt générale et régulière et qu'elle fît pour ainsi dire partie du culte. Une étude de Mathiez 1 a mis en lumière cette curieuse tentative. C'est Grégoire qui, quelques jours après le décret relatif aux traductions, proposa, le 9 février 1790, d'inviter les curés à faire connaître au prône les décrets de l'Assemblée. Le 23, ordre fut donné que le discours du Roi du 4 et l'adresse de l'Assemblée Nationale du 11 fussent lus dans toutes les chaires.
On faisait fausse route, la suite le montra bien. C'était prier le clergé de prêter son concours au gouvernement, mais c'était lui donner en même temps la tentation et le droit de juger les décrets, puisqu'il fallait bien, sous peine d'hypocrisie, les commenter en conscience. On s'exposait par conséquent à les déférer en quelque sorte à des gens qui parfois les réprouvaient. Si bien que, le 2 novembre, un nouveau décret fut voté, où il était dit simplement que les décrets seraient lus à l'issue de la messe paroissiale.
Les curés patriotes ou les municipalités instituèrent des lecteurs. En Bretagne particulièrement, ils paraissent avoir été nombreux. Dès le début de décembre 1790, dans le district de Rostrenen (alors dans le Finistère), il était établi qu'il y aurait un lecteur patriote par municipalité 2. Ces lecteurs devaient peu à peu devenir des prédicateurs. Les Girondins, Roland en particulier, s'employèrent à répandre une si utile institution de propagande 3.
Il est toutefois probable que les lecteurs ne se bornaient pas à
1. La Révol. et l'Égl., ch. II.
2. Arch. N., D.XIX, 102, f° 610.
3. Roland, dans une de ses circulaires, insiste sur la nécessité a d'instruire ces hommes, précieux à qui le défaut de moyens et la continuité de leurs travaux enlèvent tant d'occasions de savoir ce qui se passe et de juger avec discernement les intérêts de la chose publique » (Mathiez, o. c, 50). Voir une adresse aux Sociétés. (Monit. du 22 mai 1792, Suppt Réimpr., XII, p. 449). On a publié un procès-verbal de nomination:
« L'an 4e de la Liberté, le 1er de l'Egalité, par la voye de Monsieur Albith, commissaire de l'Assemblée nationale, mil sept cent quatre vingt douze, le vingt et un du mois de septembre, à l'issue de la messe paroissiale, a été nommé un lecteur pour lire les papiers publics, en présence du maire et du procureur et des électeurs de la commune de Cuverville Surgère, district de Dieppe, canton de Criel, et plusieurs citoyens, et a été nomme M. Dupont, curé de ladite paroisse, qui a accepté avec nous, ce que nous avons signé le jour et an que dessus à Cuverville. Detrimont, greffier, Dupont, curé de Cuverville, Metelle, procureur de la Commune, Carouge, maire»
Roland, ministre de l'intérieur, envoya ses félicitations « sur cette mesure qui tend à propager les lumières » (Annales révolutionnaires, t. XIV, 1922, p. 505)
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RÔLE DU CLERGÉ 63
donner connaissance des textes français. C'eût été manquer à leur fonction puisqu'il s'agissait essentiellement d'informer les illettrés. Je me garderais néanmoins d'affirmer qu'ils traduisaient. Ils le faisaient peut-être où c'était nécessaire ; ailleurs, sans traduire, ils expliquaient dans le langage du pays les mots et les phrases difficiles 1. Évidemment ce n'était pas là une école de purisme, c'était encore une école de français.
1. On trouve expliqués dans la Feuille villageoise, pour les lecteurs de la campagne, le sens des mots les plus répandus : révolution, constitution, assemblée nationale, décrets sanctionner, etc. (jeudi 30 sept. 1790).
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CHAPITRE III LES SOCIÉTÉS POPULAIRES
LES CLUBS ET LA LANGUE. — Nous avons déjà parlé de ces Sociétés, centres de débats et d'action politiques. Toutes ne sont pas connues, mais celles qu'on connaît se comptent par milliers. Des villages infimes ont eu la leur 1. Il était sûrement dans l'esprit général de ces Sociétés de favoriser par leurs discussions même la langue nationale, instrument d'unité et d'égalité. A Marseille, en 1790, au Club de la rue Tubaneau, le président, en ouvrant la séance, invitait les citoyens à parler français, et cette recommandation était affichée dans la salle 2. Nous verrons plus tard la Convention demander leur appui aux Sociétés populaires pour combattre les « jargons ».
Mais autre chose est la doctrine, autre chose la pratique. A Callas (Var), « deux membres, considérant « qu'il ne devait plus y avoir « d'autre idiome dans la République que le français, ce qui... rappro« chait toujours plus de l'égalité », proposèrent « de ne plus parler que français, et de ne plus faire de motions qu'en cette langue ». La proposition souleva des réclamations, et amena l'intervention de l'agent national 3. Comment, dans des pays où il avait fallu, en 1789, expliquer aux paysans ce qu'on leur voulait avec les États Généraux, n'eût-on pas composé avec les habitudes? 4
LE PEUPLE ENTRE DANS LES SOCIÉTÉS. — Le développement des Sociétés, loin de diminuer le rôle du patois, l'accrut. Au début beaucoup d'entre elles se composaient de bourgeois qui savaient le français. Mais elles auraient manqué leur but et ne seraient pas parvenues au développement qu'elles ont reçu, si elles n'avaient groupé qu'une classe de citoyens choisis. Dans les petites communes on vit
1. Voir Monit. du 7 mars 1791, n° 66.
2. Voir Fabre, Rues, V, 131, d'après la Tribune, org. de la Soc. Pop., et Hist. de Marseille, 1829, II, 320, note, dans Brun, Mém. ms.
3. Poupé, La soc. pop. de Callas, dans La Révol. fr., t. XLIII, p. 496.
4. Ainsi à Auriol, Arch. mun. d'Auriol, BB. 21, fol. 77, dans Brun, Mém. ms.
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LES SOCIÉTÉS POPULAIRES 65
propriétaires, artisans, laboureurs, domestiques s'y coudoyer fraternellement. Elles formèrent à proprement parler, les églises, au sens antique du mot, c'est-à-dire les assemblées des fidèles de la Révolution.
LE PATOIS EST ADMIS. — Aussi est-on autorisé à penser, pour ainsi dire à priori, que les choses s'y passaient comme dans les assemblées de village de l'ancien régime et comme dans les réunions de bien des Conseils municipaux d'aujourd'hui. L'ordre du jour, le procès-verbal étaient en français, la discussion en patois, sinon toujours, du moins souvent. Le Rapport de Grégoire, par les souhaits qu'il exprime, autorise déjà cette supposition. Il contient même une affirmation formelle : « Quelques Sociétés populaires du Midi discutent en provençal »1. Grégoire était bien informé.
A Carpentras, entre 1789 et 1791, quand on réunit une assemblée de citoyens, le président fait toujours un court exposé en langue vulgaire ; à Venosque, dans le voisinage, on en use de même. A la Société des Amis de la Constitution d'Aix, chaque fois qu'on lit une pièce importante, on y ajoute une explication en provençal.
A Marseille, le 8 novembre 1790, un garde national, âgé de 70 ans, prononce un long discours en patois au Club des Amis de la Constitution, et le répète aux Amis de St-Loup, dans la banlieue de Marseille 2.
A Digne, le 19 août 1792, le procureur général syndic tient un discours en provençal sur les devoirs du citoyen 3.
On trouvera dans le Mémoire de Brun, quand il sera publié, des détails sur les difficultés que causèrent ces questions de langue dans la région. Un modus vivendi s'était établi spontanément depuis 1789, dit l'auteur, et il fut maintenu jusqu'à la dissolution des Sociétés : on traduisait souvent ce qui avait été d'abord lu en français, et quelquefois même on pérorait en provençal. A Apt, le Club patriotique, à la séance du 17 avril 1791, constatant la difficulté qu'ont les adhérents à prononcer la formule du serment, décide que le secrétaire la prononcera, et que le candidat répondra seulement par : « je le jure ». On s'abonne à la Correspondance nationale, au Laboureur, ou à la Sentinelle. Mais le 11 juin 1792, un membre réclame que la lecture du journal soit faite en provençal. Et après discussion le Président prie l'orateur de faire la lecture en provençal de ce
1. Lett. à Grég., p. 308.
2. Arch. Dép., L. 2071, dans Brun, Mém. ms.
3. Aubert, o. c., Bull. B. A., III, 191. Arch. des Bsses-A., L. 848, dans Brun, Ib.
Histoire de la langue française. IX. 5
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66 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
journal, mais de celui-là seulement, puis de continuer par la lecture des autres en français 1.
A Nice, on chante aux Séances de la Société populaire des chansons en français et en nissard. La citoyenne Aglaë charmait l'assistance par ses chants en patois 2.
La Petite Revue des bibliophiles Dauphinois a publié les discours en patois prononcés par les citoyennes de Pommiers à la Société des Amis de la Constitution, en 17923.
A plus forte raison, quand il s'agissait d'aller porter la bonne parole au dehors, les Sociétés sacrifiaient-elles la forme au fond.
C'est ainsi qu'à Montauban, l'abbé Calmels et Rivals proposèrent d'enseigner gratuitement « les avantages de la Constitution » « aux habitants non lettrés », et aux enfants dans le patois du pays (9 janv. 1791).
DANS LES PAYS À IDIOME. — C'est trop peu de dire que le langage local domina, il était perpétuellement dans toutes les bouches. Les Alsaciens tenaient à avoir des maires, des curés, des généraux même parlant allemand ; c'est la raison pour laquelle ils réclamèrent le vieux Lückner. Les bruits répandus sur l'interdiction de l'allemand dans la gestion des affaires les inquiétèrent au point d'amener des protestations et des pamphlets, nous le verrons.
LA SOCIÉTÉ POPULAIRE DE STRASBOURG. — Constituée au commencement de 1790, elle paraît avoir pris rapidement une grande extension 4. Elle était au début peuplée de « Welches », mais beaucoup d'Alsaciens ne tardèrent pas à s'y faire inscrire aussi. Il est à croire qu'une partie seulement d'entre eux savaient le français, il fallait donc faire sa place à l'allemand. Il fut décidé le 26 juin 1790 que les procès-verbaux seraient tenus en français et en allemand 3.
1. Cahiers mss., Bibl. de Marseille, n° 49012, 1791-1793. Il y aurait eu dans ces Cahiers une Oraison funèbre de Mirabeau en provençal.
2. Combet, La Soc. pop. de Nice, dans Ann. de la Soc. des let., sc. et arts, XXI, p. 400.
3. Année 1873-1874.
4. Dans son numéro du 27 Janvier, La Feuille politique de Strasbourg, qui avait remplacé l'ancienne Gazette privilégiée, organe officiel du Magistrat exposa en quelques lignes le programme des fondateurs : « Il s'est constitué à Strasbourg sous le nom de Société de la Constitution, une société qui a pour but de maintenir la Révolution, de surveiller d'un regard vigilant ses ennemis et d'écarter autant qu'il sera en son pouvoir, les obstacles qu'elle rencontrera. Elle veut la paix, la tranquillité et l'union ; elle considère comme le plus saint des devoirs l'exécution des décrets de l' Assemblée sanctionnés par le roi, elle a choisi le nom qu'elle porte, afin de pouvoir
s'affilier à la Société de la Constitution de la capitale " (Seinguerlet, Strasb, pendant la
Révol. p. 34).
5. Voir Heitz, Soc. pol., 44. Malheureusement nous n'avons plus le 1er volume de
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LES SOCIÉTÉS POPULAIRES 67
Pour les discussions, une règle du 26 juin 1790 admit les deux langues 1. Cela veut-il dire qu'on traduisait au fur et à mesure rapports, discours, etc. ?2 C'eût été le seul moyen d'assurer satisfaction à tous, mais les séances eussent été interminables. Il est plus probable qu'on ne procédait ainsi que dans les circonstances les plus importantes. Il venait des délégués, des visiteurs, force était bien de se mettre à leur portée; souvent le dialecte était seul de mise 3; au contraire, avec des gens « de l'intérieur », et ceux-là étaient ceux qu'on tenait surtout à entendre, le français était seul employé.
Dans la plupart des cas, la discussion se poursuivait, tantôt en une langue, tantôt dans l'autre. On imagine l'ennui des auditeurs quand l'orateur qu'on ne comprenait pas tenait un peu de temps la tribune. On lisait les nouvelles. Comment traduire toujours les journaux, si modeste que fût alors leur format?
Finalement le mieux parut être, pour éviter de graves inconvénients et des récriminations, d'alterner, et de tenir tour à tour des séances distinctes, les unes allemandes, les autres françaises. Un membre en fit la motion le 23 juin 1791. L'idée plut. La Société décida qu'il serait fait « un rapport du mode d'exécution de l'arrêté qu'elle prend en même tems d'avoir une séance allemande ». Le 18, on discuta ce rapport et il fut accepté 4.
Les séances de propagande au dehors avaient lieu aussi tantôt en
ces procès-verbaux. Le IIe et le IIIe sont conservés aux Arch. Munles de Strasbourg (vol. 135 et 136). Les feuillets sont divisés en deux, verticalement. La colonne de droite était destinée au texte allemand. Mais on ne l'y a pas consigné. Ces procès-verbaux continuent jusqu'au 1er février 1793, c'est-à-dire après la scission de la Société (8 février 1792).
Les principaux orateurs étaient au début : Noissette le jeune, doué d'un remarquable talent oratoire; Levrault, à peine âgé de trente ans, et qui, malgré son âge, remplissait les fonctions d'avocat général; Frédéric Saltzmann, licencié en théologie protestante et publiciste ; Champy et Arbogast, professeur de mathématiques, qui devint membre de la Convention. Les orateurs de l'opinion la plus avancée ne furent pas des Alsaciens, ce furent des Français de l'intérieur, des Welches (Seinguerlet, o. c., p. 36). Un grand nombre de soldats, officiers, sous-officiers du 13e Infre, du 46e, etc, étaient entrés dans la Société.
1. Heitz, Soc. pol., 44.
2. A certaines séances on lit le procès-verbal en deux langues (par exemple 28 mai 1791 — et cependant il n'y a pas de texte allemand au registre —, 6 juin, 8 juin, 15 juin, 20 juin, etc.) ; d'autres fois en français seulement (25 mai 1791, 13 juin, 18 juin, 12 juill., etc.).
3. C'étaient parfois des hommes distingués, ainsi le poète Aug. Lamey, qui vint le 30 avr. 1791, jour de poésies allemandes.
Mais c'étaient aussi des paysans. Le 20 mai 1792, se présentent des cultivateurs. On leur explique les mots aristocrates et démocrates. On leur donne l'Almanach du Père Gérard, en allemand.
4. L'ordre du jour appelle le rapport sur le mode d'exécution de la séance allemande proposée dans les précédentes séances. Le Rapporteur présente un projet d'arrêté en plusieurs articles, dont la société arrête les suivants amendés et sous amendés :
Article 1. La Société aura quatre séances par semaine dont une allemande.
Art. 2. Le local sera nécessairement le même pour les séances françaises et
allemandes.
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68 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
allemand, tantôt en français 1. Saltzmann, le créateur de la Société littéraire allemande, fut parmi les plus ardents propagandistes. Il haranguait le dimanche, à la maison commune, des auditoires qui comprenaient jusqu'à trois mille personnes, soldats, ouvriers, domestiques.
En principe, l'organisation était raisonnable et paraissait de nature à satisfaire tout le monde 2. Ce qui prouve qu'il n'en fut rien, c'est qu'il y eut encore des plaintes. Le 29 janvier 1792, quoiqu'on vînt d'élire un secrétaire allemand (le 20), des membres protestèrent contre la négligence du Comité de correspondance à envoyer aux séances allemandes les lettres reçues. C'était là en effet une grosse difficulté. Toute société était en correspondance continuelle avec les autres ; or les lettres et adresses venues d'Alsace étaient en allemand, mais tout ce qui arrivait de France était en français, et c'était le plus important dans les relations. Autour des lettres et des réponses à y faire s'engageaient des discussions, auxquelles se mêlaient membres français et allemands. Pouvait-on, pour respecter les droits incontestés des membres allemands, s'astreindre à de continuelles interprétations et à des explications sans fin ? Le français finissait bon gré mal gré par empiéter par un effet naturel de la vie de relations 3.
LA SOCIÉTÉ DE COLMAR. — Elle nous présente le même tableau que la société soeur. Seulement nous avons ses procès-verbaux et
Art. 3. — Le Président de la société présidera les unes et les autres, et ne pourra être remplacé par le vice-Président qu'en cas d'absence.
Art. 4. — Les séances allemandes commenceront comme les françaises par la lecture du Procès-verbal de la dernière séance allemande, on y donnera l'extrait allemand des précédens procès-verbaux français.
Gaspar Gérard Noissette, Président (Arch. Mun., Strasbg, n° 135).
1. Le 20 juillet 1790, les lectures françaises furent inaugurées par un discours (Heitz, Soc. pol., 52, cf. 142, 147, etc.). La société écrit, le 25 sept. 1790, aux Comités de la Constitution et de la guerre de l'Assemblée nationale : « Nous avons ouvert à Strasbourg des conférences publiques en français et en allemand, afin d'éclairer le peuple sur les décrets de l'Assemblée. Nous avons augmenté le nombre des conférences françaises à cause de la garnison. Notre entreprise a réussi ; sur les deux mille auditeurs habituels, nous comptons six à sept cents militaires » (Seinguerlet, Strasb. pend, la Rév., p. 35).
2. Séance extraordinaire du 2 avril, an 4e de la Liberté (1792) :
« Le Président ouvre la séance par un discours en français afin d'expliquer l'objet de cette séance.
Le Vice-Président prononce un discours allemand pour la même raison.
Charles Laveaux, orateur français, prononce le discours adopté pour l'éloge de Mirabeau.
L'orchestre exécute l'ouverture d'Iphigénie et le choeur d'Orphée...
Schneider, orateur allemand, retrace au nom de la So : le Tableau des efforts et des succès de Mirabeau pour la liberté française... L'orchestre exécute divers morceaux analogues à la fête; l'air Ça ira est répété à plusieurs reprises et toujours applaudi »
3. En une seule séance (19 avr. 1791), la Société de Strasbourg dépouille des lettres de Delle, Dax, Ajaccio, Bergerac, Colmar, Moissac, la Rochelle, Nanci Aix Sèvres;
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ils nous fournissent des détails dont il sera bon de rapporter quelques-uns. Le 16 janvier 1791, la société se forme et élit un bureau provisoire. Le règlement était en allemand : Ordnung und Reglement (Leuillot, o. c, p. 2). Cependant, à partir du 27 février, tous les procès-verbaux, à l'exception de celui du 2 juin 1793, furent en français (Ib., p. 13 et 49) 1. Ce n'était pas un signe que l'allemand dût être prohibé. Au contraire, presque tout de suite après, le 6 mars, on arrêtait que « les motions à faire seront écrites, inscrites au bureau, et que celles qui seront faites en français seront expliquées en allemand » (Ib., p. 16). Et ceci montre clairement la réalité. Les procès-verbaux écrits en français relataient des discussions verbales où le français et l'allemand s'étaient succédé et parfois mêlés.
Quand on suit patiemment les comptes rendus des séances, l'impression qui s'en dégage est très nette. On avait commencé en allemand; puis de très bonne heure, sans que qui que ce soit le proposât ou l'imposât, on adopta le français, langue de la nation, sans bien entendu exclure l'allemand. Aussi beaucoup de petites gens suivaient-ils avec peine. Ils faisaient de leur mieux, et à chaque instant protestaient. Plus leur zèle était ardent, plus ils souffraient d'être comme à l'écart, et ils en gardaient, nous le verrons, quelque rancune.
AUTRES VILLES. — Il faudrait pouvoir suivre la vie des Sociétés de petites villes. Il semble bien que partout on fit à l'allemand la part nécessaire. Nulle part peut-être on n'a pratiqué le bilinguisme avec le même souci qu'à Thann, où la réunion était visiblement désireuse qu'aucun de ses membres ne demeurât étranger aux débats 2. On avait décidé, le 3 avril 1791, que les procès-verbaux seraient traduits en allemand, et un membre avait été chargé spécialement de la besogne 3. Le même jour, on écrivait à MM. du département, pour les prier de vouloir bien envoyer à la municipalité de cette ville les décrets de l'Assemblée nationale et arrêtés du Directoire dans les deux langues.
d'autres vinrent de Ribeauviller (26 avr. 1791), Wasselonne (9 mai), Bercht (30 mai), Barr (15 juin), etc.
1. Les rédacteurs écrivent icelle, échéait, etc. Ces mots décèlent leur origine. C'étaient des termes de praticiens.
2. Elle comptait un grand nombre de membres d'origine française : Fourcade (né à Tonnerre), Chapuis (maître d'école, né à Giromagny.), Letellier de Conniègne (Comigne ou Conliège ?), Lambert (de Remiremont), Bruant (de Bourg), Clebsattel (du Vaucluse). Tous ces gens parlaient probablement les deux langues, comme la bourgeoisie de la ville.
3. Poulet, L'espr. publ. à Thann, p. 40.
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70 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Il arrivait que le même membre parlât de suite en français et en alsacien 1; en cas contraire, on traduisait son discours. De même pour tout le reste des séances.
La déclaration de guerre, annoncée le 3 mai 1792, fut, dès le lendemain, solennellement proclamée en français et en allemand, en présence de la municipalité 2.
A Riquewihr, le 31 mars 1792, on souscrivait à 22 exemplaires du " Père Gérard », dont un seul en français. A Saverne, la Société populaire avait un secrétaire allemand et un secrétaire français 3.
De ce que nous venons d'exposer, un fait ressort, incontestable. Pendant la première période de la Révolution, les Sociétés populaires alsaciennes n'ont pas travaillé consciemment à la diffusion du français. Néanmoins, j'estime qu'elles l'ont servie. Des gens de langue allemande y coudoyaient des Français et c'était beaucoup. Pour peu qu'ils eussent une première teinture de français, ils apprenaient à comprendre, sinon à parler. Si jamais la méthode directe a donné des résultats, ce fut là, dans ces milieux échauffés, où le patriotisme avivait singulièrement la curiosité, et où l'on souffrait impatiemment de paraître des Français incomplets.
1. D'Aigrefeuille fit, en allemand et en français, aux applaudissements de l'Assemblée, « un discours plein d'énergie, de patriotisme et de vérité sur les bienfaits de la Constitution » (1er mai 1791, Poulet, o. c, p. 12).
2. Poulet, o. c, p. 58.
3. Fischer, La Soc. popul. de Saverne. Cette étude, très sommaire, ne fournit pas de renseignements détaillés.
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CHAPITRE IV COUPLETS ET CHANSONS
LA MARSEILLAISE. — Qui ne sent qu'il faudrait, pour traiter notre sujet dans toute son ampleur, étudier toutes les formes de la vie intellectuelle? Les productions de génie manquaient, de médiocres y ont suppléé. L'esprit, dit-on, s'en était allé; l'enthousiasme le remplaçait. Pour introduire la langue dans les milieux qui l'ignoraient, un almanach convenait peut-être mieux que les Provinciales. Des pièces de théâtre d'ordre tout à fait inférieur étaient saluées d'applaudissements et attiraient les foules, plus avides de mots pompeux et exagérés que de finesses 1.
La chanson a peut-être été, de tous les genres, celui qui a eu le plus d'action 2. Un air que répètent des millions de bouches porte la langue plus loin qu'un traité ou un discours. Déjà la Fédération n'était plus qu'un heureux souvenir, et le Ça ira, né sous l'averse, pendant les préparatifs de la fête, retentissait toujours dans les armées et les assemblées, à la fois comme un refrain et comme un mot d'ordre.
Il y eut mieux, la Marseillaise, qui naquit à l'endroit et à l'heure où elle devait naître : à Strasbourg, le soir de la proclamation de la guerre. Ce fut toujours le bonheur de la France dans sa vie tourmentée que de trouver à point nommé, l'homme, la femme, l'oeuvre qu'il lui fallait pour son salut. Michelet, dans une de ces phrases que son génie grave sur une époque comme une inscription sur un fronton, a dit : « Il fut donné à la grande âme de la France, en son moment le plus désintéressé et sacré, de trouver un chant, — un chant qui, répété de proche en proche, a gagné toute la terre. Cela est divin et rare d'ajouter un chant éternel à la voix des nations ».
La guerre avait été déclarée à l'Autriche, le 20 avril 1792. La nouvelle en parvint le 25 à Strasbourg. Ce fut une fête dans la ville.
1. Le 23 août 1791, L. G. Gérard proposait un Théâtre d'Éducation nationale. Arch. N., F17A, 1310, doss. 7.
2. On trouve les titres des Recueils de Chansons dans Nisard, Des chans. popul., I, 453.
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72 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Un défilé militaire, où le maire, revêtu de son écharpe et accompagné des officiers municipaux, représentait les habitants, parcourut les quartiers surexcités. A tous les carrefours, en français et en allemand, on donnait lecture de la proclamation; les musiques ne cessaient de jouer. Mais le Ça ira, léger et sautillant carillon, était indigne d'accompagner les cris de guerre et les appels aux armes. Des phrases sorties des Clubs circulaient : « Il faut vaincre ou mourir libres. Que les despotes tremblent ! Marchons pour le genre humain ». Les « enfants de la patrie », dont un bataillon était commandé par le fils du maire, les criaient aux quatre vents de l'espace.
L'exaltation de la colère, de l'espoir, de la résolution, soulevait tous les patriotes ; elle cherchait son expression. Dietrich sollicita le talent de son jeune ami Rouget de l'Isle, poète et musicien, et celui-ci, dans une de ces nuits de fièvre où l'homme, face au silence, élève sa pensée jusqu'aux mots éternels, surexcité par le Champagne, dit-on, inspiré plutôt par les circonstances et les sentiments unanimes, rentré dans son petit logis de la rue de la Mésange, créa en quelques heures l'hymne qui, le lendemain soir, après quelques retouches de Masclet, fut chanté chez Dietrich : Allons, enfants de la patrie1...
En quelques jours des copies en furent répandues, et dès le mois de mai 1792, le chant de Rouget de l'Isle était arrivé dans une foule de villes de France.
Tout le monde a appris pourquoi et comment ce Chant de guerre de l'armée du Rhin perdit son nom. Il était parvenu dans le Midi, par quelle voie, on ne le sait pas exactement. C'était à l'époque où l'Assemblée venait de décider la formation d'un camp de vingt mille fédérés sous Paris. Au lendemain du 20 juin, le ministère girondin tombé, Barbaroux écrit aux Jacobins de Marseille pour leur demander « six cents hommes qui sachent mourir ». Les Montpelliérains veulent se joindre aux Marseillais. Après un banquet fraternel, Mireur, médecin qui s'était enrôlé comme volontaire, se lève et entonne les strophes de flamme. Des acclamations s'élèvent, les journaux publient le texte, le bataillon est constitué en une semaine. En juillet, il se met en route, roulant ses charrois et ses canons. Au passage des villes et des villages, il reprend la terrible marche. Par toute la vallée du Rhône, puis de la Saône, et jusqu'à Paris, c'est partout une ruée de peuple qui écoute, apprend, répète, hurle le cri de guerre et d'amour. Des gens de Provence, la plupart de langue d'oc, ont fait leur le chant français de la nouvelle croisade.
1. Voir Jul. Tiersot, Hist. de la Marseillaise. Paris, 1915, 8°.
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COUPLETS ET CHANSONS 73
Il a pris leur nom. On n'a pas assez remarqué ce fait surprenant, invraisemblable. La musique sans doute concourait à l'effet. Elle n'eût point suffi sans quelque intelligence du texte 1.
« Ma maison, raconte Barbaroux, en parlant de son retour, était entourée et remplie de citoyens. On amena un corps de musique. On chanta des chansons provençales qu'on avait faites en mon honneur et l'hymne des Marseillais... Je me souviens toujours avec attendrissement qu'au dernier couplet de l'hymne, lorsqu'on chante
Amour sacré de la patrie... tous les citoyens se mirent à genoux dans la maison et dans la rue ».
Bientôt la Marseillaise fut de toutes les fêtes et aussi de toutes les campagnes; les volontaires de toutes les régions la surent. Elle chanta à Jemmapes et à Wattignies. Hoche, Carnot, après Dumouriez, la menaient à l'assaut, comme un engin de bataille. Elle alla à la conquête pacifique de la Savoie, et on nous rapporte que les montagnards qui accompagnaient la délégation de Chambéry, en l'entendant, se prosternaient comme pour une prière : « Liberté, liberté chérie » !
Les théologiens diraient qu'elle conférait aux paysans le don passif des langues. Tenons-nous-en au réel, elle leur donnait la volonté de comprendre et de redire le Pater de la nouvelle foi. Le chant national n'enseignait pas aux masses, même en les faisant tomber dans l'extase, la langue nationale, elle les convertissait à l'idée de l'apprendre.
1. Schneider mit la Marseillaise en allemand (Argos, XLIII, 27 nov. 1792) et aussi Lucé (Leuillot, o. c, p. 44).
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LIVRE VI
LES MESURES DE TOUT ORDRE ET LA LANGUE
CHAPITRE PREMIER LA NOUVELLE DIVISION DU TERRITOIRE
DÉPARTEMENTS ET LANGAGES. — Parmi les mesures qui indirectement devaient avoir pour effet d'assurer l'extension du français, je placerais au premier rang la nouvelle division du territoire. Dès l'abord on renonça à organiser des provinces, ou à compléter l'organisation de celles qui existaient. Loin de songer à en faire des circonscriptions homogènes, avec leurs centres, leurs divisions, leur constitution administrative, judiciaire, économique, etc., comme il en avait été question à la fin de l'Ancien Régime1, la Révolution, rompant avec le passé, décréta une répartition territoriale toute nouvelle, sur la base du département.
La pensée de l'Assemblée n'était pas, comme on l'a dit, de briser tous les liens et de diviser les intérêts. Elle s'inspirait avant tout de la nécessité de mettre de l'ordre dans un chaos, que l'abolition des anciens droits obligeait à détruire. Dans son rapport à la séance du 8 janvier, Bureaux de Pusy s'en était expliqué. Il s'agissait d'offrir à l'esprit l'idée d'un partage égal, fraternel, utile sous tous les rapports, et jamais celle d'un déchirement ou d'une dislocation du corps politique, et par conséquent les anciennes limites des circonscriptions devaient être respectées toutes les fois qu'il n'y aurait pas une utilité réelle ou une nécessité évidente de les détruire.
1. La province, au sens propre, n'existait pas. Le mot est employé pour la première fois, avec sa valeur administrative rigoureuse, dans le règlement du 6 juin 1787, qui créa les Assemblées de provinces.
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76 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Quand on parcourt les dossiers du Comité de division 1, on est frappé de voir l'accord établi entre les députés des pays intéressés au sujet des limitations. Des procès-verbaux authentiques et signés le constatent presque partout.
La question de langue ne semble avoir joué qu'un bien faible rôle dans la formation des circonscriptions nouvelles, en Flandre par exemple, ou en Alsace. Ste-Marie-aux-Mines alléguera la distance pour être rattachée « au département de Colmar », non la similitude de langage (il est vrai qu'on y parlait aussi français).
Cependant il ne faudrait pas généraliser trop. Certains députés firent observer qu'on ne tenait aucun compte, dans le regroupement des populations, des affinités du langage. Ils parlèrent de réclamations, et cela était exact, il y en avait.
Une controverse très âpre s'était ouverte entre Basques et Béarnais 2. Si la question de langage n'en faisait pas le fond, elle était au moins alléguée comme prétexte. Finement les Béarnais distinguaient. Évidemment, pour ce qui concernait les relations fréquentes, comme on en a dans un même district, il importait de ne mettre ensemble que des populations d'un idiome commun. L'affaire se présentait autrement quand il s'agissait d'un département 3.
1. Arch. N., DIV bis et NNX.
2. On trouvera aux Archives Nationales, dans DIV bis 1, doss. 15, les pièces relatives à ce débat entre le Béarn et le pays basque. Les députés avaient eu entre eux de longues conférences, mais n'étaient pas parvenus à s'arranger, la Soule voulant s'agrandir. Les Béarnais jugeaient que « rien n'eut été plus naturel et plus raisonable [que de former un tout du pays basque] si l'on considere que ces trois petits pays basques sont unis ainsi qu'ils lont declaré par un meme langage quils ont dit etre [in]intelligible pour tout autre qu'eux, qu'ils ont les memes moeurs et les mesme usages et quils se son dit une nation en quelque maniere separée des autres, ils ne doivent donc eprouver aucun embarras pour resserer plus etroitement cette union si naturelle ». Mais les trois pays basques ne veulent point confondre leurs limites, ni unifier leurs lois, et les Souletains ne veulent pas s'unir à la Navarre ; ils prétendent arrondir leur département. Ils ne sont « alors arretté par aucun obstacle ni par la difference du langage ni par la difference et opposition des loix ».
Les « deputés du Bearn n'ont point dit que les Basques n'eussent un idiome différent de celuy des Bearnois... ils ont dit seulement que les coutumes de la Soule et de la Navarre quoique pays Basques etoient ecrites en idiome Bearnois, comme celle du Bearn, que celle du Labourt etoit ecrite en francois comme celle des autres provinces du royaume, que ces differences n'empechoient point que ces peubles unis en partie au bearn pour l'administration de la justice rendue au parlement de Pau pour toutes ces provinces, n'eussent avec les Bearnais toutes les communications relatives a leurs interets et toutes celles que l'unité du departement rendroit necessaires ».
3. « L'on sent parfaitement que la plus legere difference dans le langage et dans les moeurs des peubles doit agir fortement lorsqu'il s'agit des interets journaliers et habituels qui regardent le peuble dans un detail plus minucieux et plus multiplié et qui l'affectent dans la partie la plus indigente et la plus nombreuse que lorsqu'il s'agit de grands interets plus rares et moins habituels qui regardent la partie du peuble la plus riche et la moins nombreuse ».
Aussi « le recours le plus considerable et le plus necessaire pour les premiers sera le recours au tribunal et a l'administration du district et le recours au tribunal et a l'administration du departement ne regardera la plus part du tems que les seconds » ( Ib.)
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LA NOUVELLE DIVISION DU TERRITOIRE 77
Le débat vint devant l'Assemblée. Garat l'aîné et Garat le jeune, députés du Tiers pour le bailliage d'Ustarits, soutinrent la demande des Basques. Darnaudat, conseiller au parlement de Navarre et député du Tiers, élu par les États de Béarn, riposta que c'était là, au point de vue politique, une raison de plus de réunir les deux peuples.
Ainsi pensaient, sans aucun doute, la majorité des Constituants. Target parait avoir été un des seuls à estimer qu'il était nécessaire de respecter, parmi d'autres traditions, les habitudes de langage : « Prenez garde, disait-il, que si, dans certaines parties, les Divisions anticipent d'une province à l'autre, ce sera pour attacher ensemble des hommes rapprochés par le voisinage, unis par les rapports d'affaires, par une conformité du langage et des moeurs »1.
La masse de l'Assemblée entendait justement effacer « toutes les divisions qui empêchaient de fondre l'esprit et l'intérêt particulier des provinces dans l'esprit et l'intérêt de toute la nation ». On passa outre aux réserves, ou on repoussa résolument les propositions contraires :
« La Lorraine allemande et françoise, les Trois Evêchés et le Barrois devoient, selon l'avis du Comité, former deux départemens. Quelques députés de la Lorraine allemande pensoient que la diversité des idiomes devoit déterminer à faire de cette partie de la province un département séparé. Leur prétention n'a pas été admise » 2. « St Malo vouloit être érigé en sixième département de la Bretagne, et donnoit pour motif la différence des langages, l'étendue des côtes... Ces exceptions ont été refusées » 3.
La fédération linguistique était donc écartée, sans même, à bien dire, avoir été proposée. La division adoptée commençait à consacrer la France une et indivisible : Une nation, une loi, un roi.
Encore ne faudrait-il pas attribuer à la création des départements des conséquences linguistiques qu'elle ne pouvait pas avoir. Elle ne détruisait pas un état de choses qui n'a jamais existé que dans l'imagination des philologues d'autrefois. La science moderne a montré ce qu'il y avait de factice dans cette conception de dialectes régionaux, divisés en sous-dialectes, eux-mêmes sous-divisés 4. Au XVIIIe siècle en tous cas, il n'y avait que des patois locaux,
Les députés de Béarn, parmi lesquels Darnaudat, proposaient donc un département à 6 districts, 3 béarnais (Pau, Orthez, Oloron), 3 basques (Soule, Navarre et Labourt) avec Mauléon, St Palais et Ustarits comme chefs-lieux.
1. Opinion de M. Target sur la division du royaume à la séance du 10 nov. 1789, p. 2425 (Suppt au proc.-verb. de l'Assembl. Nat., t. 2, Arch. N., AD, XVIIIe 3).
2. Courrier de Provence, t. V, n° XCIII, 12-15 janv. 1790, p. 10.
3. Ib., p. 14.
4. Voir H. de la l., t. I, p. 296.
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78 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
différents de paroisse à paroisse, au milieu desquels des phénomènes phonétiques, morphologiques, lexicologiques, s'étaient fait de larges aires qui ne coïncidaient pas entre elles, et enjambaient par-dessus toutes les circonscriptions administratives, religieuses, etc., leurs limites ne s'ajustant que tout à fait accidentellement aux frontières de ces circonscriptions.
Ces patois vivaient d'une vie relativement isolée, que la nouvelle division pouvait troubler, qu'elle ne menaçait pas directement. Des idiomes divers, français et allemand, allaient pouvoir vivre dans la Moselle ou la Meurthe comme ils avaient vécu dans la ci-devant Lorraine. De même les parlers romans. Tout au plus peut-on dire que le département, tracé sans souci aucun de leurs rapports, leur enlevait les chances qu'ils pouvaient garder de se réunir par une force de cohésion naturelle. Il ne leur restait plus en ce sens que la possibilité de groupements artificiels, entrepris volontairement, comme on en a vu au XIXe siècle. Et cette entrave, s'ils avaient eu un avenir à attendre, n'était tout de même pas sans importance, quand on le compare à ce qui eût pu se produire dans des provinces unifiées, suivant les idées de 1787.
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CHAPITRE II LE FRANÇAIS ET LES ACTES
ON EN PREND A SON AISE AVEC LES ORDONNANCES. — C'est à propos d'un incident causé par l'emploi officiel du français et l'ignorance où les paysans étaient restés, de cette langue que Vergniaud établit sa réputation. A Allassac (Corrèze), le 23 janvier 1790, le jour de la promulgation de la loi municipale, des jeunes gens, après la messe, avaient brûlé le banc des seigneurs et des officiers de justice. La loi martiale est aussitôt proclamée en français. La foule ne comprend pas. La cavalerie de la maréchaussée charge les paysans qui se dispersent en laissant des morts. Intervention de la garde nationale de Brive. D'où un procès criminel que la Constituante, sollicitée, renvoya devant le tribunal du district de Bordeaux. Vergniaud le plaida.
Semblables gènes n'avaient jamais cessé de produire semblables incidents. Aussi se trouva-t-il un peu partout des hommes qui, s'inspirant des besoins et des intérêts réels, en prirent à leur aise avec les vieilles ordonnances.
Pour ramener le calme après la Grande Peur, de Coincy, lieutenant général à Toulon, fait une affiche en provençal ; une autre, signée de Caraman, est aux Archives de Seillans 1.
Un jour, le provençal pénétra jusque dans l'Assemblée nationale. Le 28 octobre 1789, une députation de prud'hommes pêcheurs marseillais se présenta à la barre et le chef prononça une courte harangue que le Courrier d'Avignon reproduit ainsi: « Ve, Messieurs, nous aoutri saven pas parla coumou fasé ; mai saven senti, mai saven apprecia vostei décrets... Noste gardou deis archives que san parla en frances, vai vous pinta nostre sentimen... » Bouche traduisit en quelques mots et le garde des Archives lui succéda 2.
INQUIÉTUDES ET PROTESTATIONS EN ALSACE. — S'était-il répandu des bruits au sujet des intentions de l'Assemblée, ou bien, sans que
1. Bull. Et. Draguignan, XXXIII, 1900-1901, p. XVIII.
2. Courrier d'Avignon, 8 nov. 1790. Cf. Moniteur du 30 oct., dans Brun, Mém. ms.
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80 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
rien justifiât leurs craintes, se trouva-t-il des gens pour penser que, puisqu'on instituait un régime de liberté, le jour était venu de proclamer le libre usage des diverses langues, et de renoncer aux principes suivis par la monarchie, avec quelques tempéraments qu'ils fussent appliqués ? Il est certain, en tous cas, qu'il arriva d'Alsace des avertissements et des propositions. Voici un projet franc de bilinguisme administratif que Gazier s'est fait scrupule de publier dans ' le Recueil des Lettres à Grégoire, mais que je dois rapporter ici:
« La partie la plus considérable des habitans de la province d'Alsace, est composée d'Allemands. Tout le petit peuple des villes, et le plus grand nombre des habitans de la campagne, ignorent parfaitement l'usage de la langue Française.
« La situation topographique de l'Alsace est telle, ses rapports de commerce avec l'Allemagne sont si habituels et si urgens, que la langue Allemande y est constamment entretenue, que la province, et sur-tout les grandes villes sont continuellement recrutées d'Allemands qui viennent s'y fixer de toutes les contrées de l'Empire.
« Ces circonstances retarderont toujours le progrès de la langue Française, telles mesures que prenne le Gouvernement pour en favoriser l'usage. Il devient dès-lors indispensable que les actes publics du plus grand nombre des citoyens soient rédigés dans la langue du pays, qui est l'Allemande, et que les Officiers publics, chargés de leur rédaction, connoissent parfaitement cette langue.
« Tout citoyen attaqué dans son honneur, dans sa vie, dans sa propriété, a le droit incontestable de se défendre dans la langue qui lui est familière : que ce soit la Française ou l'Allemande, il faut qu'il ait la faculté de s'expliquer dans l'une ou dans l'autre, et qu'il ne soit pas réduit à s'adresser à ses Juges par interprète.
« Ainsi les Juges de toute espèce, qui seront établis en Alsace en vertu du nouvel ordre judiciaire, devront, de toute nécessité, savoir les deux langues, afin qu'ils puissent comprendre, soit les citoyens qu'ils seront dans le cas de juger, soit les Jurés qui constateront le fait, soit les témoins qu'il s'agira d'ouïr, soit enfin les titres et pièces qui leur seront présentés dans ces langues.
« Cette qualité requise dans les Juges, servira à remédier à un très-grand abus. Le citoyen ne sera plus obligé, comme par le passé, de faire traduire, à grands frais, de nombreuses pièces de procédure, et la religion du Juge ne sera plus surprise par l'inexactitude et l'infidélité de ces traductions qui ont occasionné souvent de criantes injustices.
« On auroit tort d'alléguer l'usage contraire qui a eu lieu jusqu'à présent au Conseil Supérieur de la province. Ce qui pouvoit très-
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LE FRANÇAIS ET LES ACTES 81
bien se concilier avec les maximes d'un Gouvernement purement monarchique, répugneroit ouvertement à l'esprit d'un systême libre, puisé dans la loi de la nature, tel que celui qui s'introduit actuellement.
" Qui craindroit d'avancer que les Rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les Rois, et l'on oseroit encore soutenir que le Peuple doit savoir la langue de ses Juges, tandis qu'il seroit permis à un Juge d'ignorer la langue du Peuple qu'il est appellé à juger? « M'objectera-t-on peut-être que ce seroit blesser les droits d'un Citoyen actif que de lui donner l'exclusion des emplois judiciaires sur le motif seul qu'il n'est pas au fait de l'une ou de l'autre langue '! « Eh bien! Messieurs, seroit-ce donc faire tort à un Citoyen, qui se voue à un état quelconque, que d'exiger qu'il soit doué des qualités indispensables pour en remplir les fonctions au plus grand avantage de la société ?
« Mais le peuple seroit-il fondé à se plaindre d'un choix sur lequel il auroit influé lui-même, et lui interdira-t-on la faculté de donner sa confiance à un Concitoyen qui ignoreroit l'une ou l'autre langue ?
« Oui, Messieurs, il est d'une sage Législation d'éclairer le choix du Peuple; elle doit l'empêcher de se nuire à lui-même, en prévenant les funestes effets de l'intrigue et de la cabale qui n'infectent que trop souvent les élections populaires.
« Et en admettant même qu'un Citoyen eût concouru à l'élection de son Juge, ne conservera-t-il pas toujours le droit imprescriptible de le récuser au cas qu'il ignorât sa langue?
« Il est impossible, Messieurs, je le répète, sur la position topographique de l'Alsace, que la langue Allemande puisse en être proscrite, et le moyen le plus sûr et le plus légitime d'y répandre l'usage de la langue Française, est d'exiger la connoissance des deux langues, dans tous ceux qui aspireront aux places de Judicature. Il importe même à la Nation, que la langue allemande, qui est langue mere, une des plus riches, et j'ose le dire, une des plus répandues et des plus ennoblies de l'Europe, soit conservée dans son sein, et que les Nationaux puissent continuer à venir puiser en Alsace, la Littérature Germanique et étrangere, plutôt que de l'aller chercher à Gottingue et ailleurs dans l'intérieur de l'Allemagne.
« Et comment donc, Messieurs, tandis que la nouvelle Constitution, que vous préparez si glorieusement, invitera les étrangers de toutes les Nations à venir se fixer en France, vous fermeriez aux Allemands la porte de l'Alsace? Et certes, vous la leur fermeriez, si vous pouviez jamais concevoir l'idée de leur ôter la faculté de déHistoire de la langue française. IX. 6
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82 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
fendre leurs intérêts les plus chers dans la langue qui leur est familière.
« Et le peuple Alsacien pourra-t-il se faire à un nouvel ordre des choses qui tendroit à le priver d'un droit aussi sacré, aussi incontestable, et dont il a joui constamment jusqu'à présent dans tous les tribunaux inférieurs de la province: une constitution qui relève la dignité de l'homme, et qui servira de modèle à toutes les Nations de la terre seroit donc pour lui une source de calamités, et ne lui offriroit plus que l'affligeante perspective d'un vil et rude esclavage.
« Car enfin l'on ne sauroit se dissimuler, que juger le citoyen dans une langue qui lui est étrangere, n'ait été envisagé de tout tems, comme le despotisme le plus outrageant; il frappe directement le peuple et la classe la plus nombreuse, la moins fortunée et la plus foible des citoyens, et entraîne des injustices et des oppressions qui révoltent l'humanité : c'est ce même genre de despotisme qui fit égorger Quintilius Varus avec ses trois légions, et qui mit fin à la domination des Romains en Allemagne. Il auroit fait perdre de nos jours la Hongrie à l'Empereur Joseph II, si ce Prince n'y avoit promptement remédié en révoquant la loi qui introduisoit l'usage de la langue Allemande dans les tribunaux de ce royaume.
« Je conclus donc, Messieurs, à ce que la connoissance des deux langues, Française et Allemande, soit une qualité requise et essentielle dans les Officiers de justice et les Greffiers qui seront établis dans la Province d'Alsace en vertu du nouvel ordre judiciaire, ou que pour le moins il soit permis à tout citoyen de récuser valablement le Juge qui ignoreroit la langue de celui qu'il sera dans le cas de juger» 1.
De son côté André Ulrich, secrétaire-interprète de la municipalité, prononça le 6 juillet 1790, à sa réception, un discours en faveur de la langue allemande et il le termina par des conclusions dans lesquelles il demande : 1° Que les Corps administratifs des deux départements du Rhin se servent de la langue allemande dans toutes les pièces adressées aux habitants qui ne parlent que cette langue. 2° Que les procès-verbaux des Corps administratifs touchant les affaires majeures soient traduits en langue allemande, et que les citoyens soient invités par ces Corps respectifs à les faire imprimer à leurs frais dans les deux langues. 3° Que dans le cas où les séances administratives se tiendraient publiquement, on oblige un des secrétaires d'expliquer la partie essentielle de l'objet des motions et des délibérations en allemand. 4° Que les juges de dis1.
dis1. sur le nouvel ordre judiciaire, adressées à l'Assemblée nationale. Recueil de pièces sur les Patois, Bibl. de la Société des Amis de Port-Royal, ms., pièce 16, p. 1-7.
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LE FRANÇAIS ET LES ACTES 83
trict, les juges de paix et tous les autres juges, énoncent et consignent, par écrit, en allemand, tout ce qui est relatif aux habitants parlant la langue allemande. 5° Que les parties puissent récuser le juge qui ignore leur langue. Il ajoute : « Il y a 300 habitants de l'Alsace qui ignorent la langue française, sur un seul qui la connaît, et comme un seul apprendra plus aisément une langue que 300, qu'enfin le voeu de 300 doit l'emporter sur celui d'un seul, je ne vois aucune difficulté de soutenir cette juste réclamation de la majeure partie de nos citoyens » 1.
UN PAMPHLET. — Les Alsaciens se plaignaient, on le voit, avant d'être battus. L'affaire fit même l'objet d'un curieux pamphlet, qui a été réimprimé de nos jours".
Si on en croyait le titre, ce dialogue aurait eu lieu le 23 août 17903. L'auteur anonyme a mis en scène Stark, forgeron, Schwach, tailleur, Canniverstan, perruquier français, Marroquin, cordonnier demifrançais, et le fils d'un maître tonnelier, jeune gradué en droit. Stark est le plus monté. Il met Schwach, venu pour prendre une chopine, au courant des propositions nouvelles. On lui a conté qu'aussitôt la nouvelle constitution en vigueur, tout sera traité en français dans la nouvelle municipalité. Le procès-verbal devrait être comme jadis, non en français seulement, mais en allemand aussi, et comme Schwach objecte : Nous sommes maintenant devenus Français, nous avons juré fidélité à la nation, il nous faut abandonner ça aussi. « Abandonner quoi? s'écrie Stark, indigné. Nous n'avons plus le droit de parler allemand, nous devrons parler français ! Ce serait bien le diable. Chacun parle suivant que le bec lui est crû, l'allemand allemand, le welche welche. Pourquoi est-ce que nous avons choisi notre nouveau conseil ? Pour nous ou pour les autres? » Une paire de Français veulent faire la loi à la majorité de
1. Heitz, Soc. pol.. p. 46-47.
2. Bürger-Gespräch über die Abschaffung der Deutschen Sprache bey der Verhandlung der öffentlichen Geschäfte in Strassburg, Gehalten den 23 Augst 1790. Herausgegeben von E. Löper. Strassburg, R. Schultz et Cie, 1886. 24 p. in-12. L'oeuvre a échappé à ceux qui ont recueilli les textes en patois alsacien (voir p. 3).
3. Il était important de s'assurer du caractère alsacien du dialecte pour savoir si la pièce n'a pas été fabriquée dans quelque officine contre-révolutionnaire d'outre-Rhin. Or, d'après M. Gérock, le dialecte employé n'est pas du Strasbourgeois authentique. « Le dialecte, a bien voulu m'écrire M. Gérock, offre des caractères qui permettent de douter que l'auteur ait été un vrai Strasbourgeois. Il se rapproche par certaines formes de l'alémanique de la Haute-Alsace ou de la Suisse, et, par la construction, du haut-allemand. De même le jargon de Canniverstan est tout à fait artificiel, trop correctement allemand pour un Français, et déformé uniquement par une prononciation figurée fantaisiste.
« De plus le titre de Schulrath (conseiller scolaire) n'a jamais été en usage en Alsace ; il décèle l'origine étrangère de l'auteur anonyme ».
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84 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
la population. Qu'est-ce que c'est que ces manières-là? Qu'est-ce qu'elle apporte, la nouvelle constitution? On n'aurait même plus autant de liberté qu'avant. « Ce serait une belle affaire ».
Stark n'est pas un ennemi du français, il voudrait bien le savoir un peu mieux, il a envoyé ses petits par échange en pays français. Mais il ne peut pas admettre que des gens qui ont leur mot à dire soient obligés d'assister au conseil, muets comme des carpes, parce qu'ils ne savent pas parler français.
Les deux personnages s'entretenaient en patois. Entre Canniverstan, qui parle français, puis se met à écorcher l'allemand. Il est depuis vingt ans à Strasbourg, il ne parvient pas à parler la langue, c'est « trop rude pour un gosier français ».
Intervient Marroquin. Celui-là a reçu un coup de savate sur la tète, comme dit Stark. Il a lu tout son « Parlement » et les appendices du Des Pepliers. Il affecte de parler le français et le hache : « Je peux bien dire, que l'Allemand né m'est pas cuit au coeur, j'y ai tout-à-fait mangé un dégout : tenez, voyez-vous, quand j'entends parler nos gens leur Strasbourgeois-Allemand, je pense que jé né lé peux pas soutenir et qu'il mé faut d'abord courir, qui sait combien loin ». Naturellement il a désiré depuis longtemps la substitution du français à l'allemand.
La discussion se précise. A Schwach, qui observe qu'il reste permis de plaider sa cause en allemand, Stark répond : « Et quand une décision est rendue par la Chambre des XV sur des questions professionnelles, l'obtient-on en français ou en allemand? » Schwach est bien obligé de convenir que le texte est en français; on n'a que la ressource de le faire traduire.
Il n'en faut pas plus. Les enfants du pays auront des frais que les Français n'auront pas. Ils seront devenus « les beaux-enfants ». « Ça démange Stark au foie ».
Canniverstan, qui n'a pas tout compris, juge à propos de poser la question politique. « Messieurs, ça me paraît singulier (en fr.). Comment ! vous avez adopté la nouvelle Constitution française, vous avez juré fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi, vous avez une Municipalité exactement comme dans toute la France. On ne parle dans toutes les Municipalités de France que le français, on ne fait le procès-verbal qu'en français, on plaide en français, on rend les arrêts et les jugements en français, et vous ne voulez pas que tout se passe ainsi dans votre municipalité ».
Stark se révolte, sa thèse est celle que les patriotes alsaciens plaideront plus tard et toujours, et il la soutient avec véhémence : « Ne pouvons-nous dans notre coeur être de bons citoyens français et de
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braves patriotes, parce que nous ne pouvons parler français couramment? Cela ferait rire une vache... Il y a une grande différence entre parler français et avoir des sentiments français. Nous devons être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, nous l'avons juré et nous voulons tenir notre serment en gens d'honneur, si la nation elle aussi se comporte bien avec nous, cela se comprend, comme nous l'espérons et l'attendons. Devons-nous pour cela renier notre langue maternelle, supporter que les jugements soient rendus en une langue étrangère? C'est une chose qui, sur mon âme, n'a rien de commun avec la première ».
Canniverstan : « Il faut bien reconnaître pourtant, Monsieur Stark, que tous les Allemands réunis, de toute leur vie n'auraient pu mettre sur pied une Constitution, comme la française ».
Stark se dérobe. C'est une autre affaire. Il n'y comprend rien. Ce n'est pas à des petites gens comme lui à critiquer. Mais la Constitution peut exister, sans obliger à renoncer à l'allemand.
Oui. Mais les décrets de l'Assemblée ? interrompt Marroquin.
Qu'on les traduise, s'écrie Stark 1.
Marroquin : « Oh! il est un ciel-grand différend parmi un décrét, qué j'entends prélire en langue françois, et parmi un en langue allemand ».
Et les procès? questionne Stark. Est-ce que les choses vont continuer à se passer comme à Colmar? Est-ce qu'on va être obligé de payer des traductions, et de passer par ces canailles d'huissiers et ces procureurs, qui par dessus le marché traduisent de travers? C'est un avantage de la nouvelle Constitution. Nous nommons notre municipalité et nos juges. Prenons des hommes en qui nous ayons confiance et avec qui nous puissions nous entretenir dans notre idiome.
« Vous n'allez tout de même pas exclure les Français, demande Canniverstan. Je frise bien des tètes savantes, et il en entre quelque chose dans la mienne ».
« Eh bien, accommodez vos perruques, Monsieur Lavelette, et quand vous aurez autant perdu de cheveux qu'il y en a sur une tête, alors on pensera à vous. A votre santé « M. Je ne comprends pas ». C'est alors qu'intervient le jeune gradué en droit qui a écouté dans un coin de la salle. Il parle, lui, haut-allemand :
« Me sera-t-il permis, Messieurs, de mêler aussi quelques paroles à votre entretien? Il semble que ces M.M. se soient un peu emportés au sujet de la langue allemande qui dans notre Municipalité au
1. Voir p. 88 la délibération du Directoire du Bas-Rhin, du 13 juillet 1790.
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début a été un peu sacrifiée. Mais depuis lors on est devenu plus juste et on le deviendra encore plus, car on verra que pour nous Strasbourgeois, les deux langues, l'allemande comme la française sont également indispensables, et que ce serait une folle entreprise de vouloir que la langue allemande, qui est la langue propre du pays et sûrement le demeurera longtemps encore, soit tout à fait opprimée et exclue des débats officiels des affaires, surtout que nous sommes constamment en rapport aussi bien avec des Allemands qu'avec des Français dans notre commerce et nos échanges. Par suite il y aura tout avantage de choisir, pour occuper les places de juges, des hommes qui, même si les deux langues ne sont pas au même degré en leur complète possession (ceci est un cas très rare), tout au moins ne soient pas complètement ignorants de l'une des deux. Car comme les décrets de l'Assemblée nationale sont tous rédigés en langue française, que de plus le nouveau code qui doit être élaboré et d'après lequel les juges auront à prononcer dans l'avenir, sera de même rédigé en français, il faut qu'un juge et un administrateur public sache assez de français pour que les décrets et les lois d'après lesquels il doit administrer et juger lui soient intelligibles. D'autre part, il importe non seulement à l'intérêt de notre ville, mais de tout le pays, qu'on ne choisisse absolument pas comme juges et administrateurs des gens sans aucune connaissance de l'allemand, parce que sans cela ils seraient complètement incapables de se faire comprendre à la majeure partie des habitants de notre province, qui ne sont pas du tout au courant du français, chose qui d'après l'ancienne organisation se produisait au Conseil de Colmar et dans notre intendance et qui avait toutes sortes de conséquences fâcheuses. Cependant il serait déraisonnable et peu adroit de notre part, de vouloir exclure des emplois publics des hommes au fait du droit et habiles, que nous pourrions connaître, uniquement pour cette raison qu'ils n'auraient pas surtout une grande expérience de la langue allemande. Pour l'avenir il y aurait lieu d'exiger sans doute de tout administrateur ou juge d'Alsace qu'il comprenne bien les deux langues; dans les circonstances présentes, il serait peu raisonnable de n'élire aucun de ceux qui ne savent écrire et parler que le français, et nous pourrions être satisfaits si en majorité nos sièges de magistrats étaient occupés par des juristes allemands, possédant couramment les deux langues, avec lesquels le bourgeois et le paysan pourraient s'entretenir aussi en leur langue. Avec le temps bien sûr tous ceux qui se destinent à ces sortes d'emplois devront dès leur première jeunesse s'exercer aux deux idiomes ».
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Canniverstan se déclare enchanté que les Français ne soient pas exclus; Stark lui promet plaisamment sa voix, puisque sa profession dépérit, les gens se faisant couper les cheveux, et que son art de monteur de perruques se trouvera sans emploi. Il sera conseiller municipal ou même conseiller d'école. Schwach votera aussi pour lui à condition d'avoir une perruque pour Noël. Marroquin ne peut faire autrement : « Je lui donne mon voix pour rien, seulement par ce que le François est mon langue de corps ».
Il fallait bien finir par une facétie une pièce satirique. Mais, sous des dehors plaisants, on trouve là une opinion sérieuse, et qui méritait d'être rapportée en opposition avec l'avis des Magistrats de Colmar cité plus haut. Elle était certainement celle de l'immense majorité de la population alsacienne.
TOLÉRANCE. — On se demande vraiment ce qui avait pu motiver tant d'émotion. Assurément l'Assemblée était aussi peu disposée que possible à examiner un plan de démembrement linguistique de la France. Je ne sache même pas que ce plan soit entré dans les vues des « fédéralistes ».
Mais on laissa les administrations départementales et municipales libres de continuer leurs pratiques anciennes, et on montra à cet égard autant de tolérance que l'Ancien Régime. Comment une politique d'oppression se fût-elle accordée avec les résolutions prises de faire exécuter des traductions des décrets ? Le pouvoir central se servant des idiomes et les interdisant dans les départements, c'eût été la plus absurde et la plus inconséquente des politiques. Il fallut, pour qu'on y vînt, des heures de grande crise. En attendant on persista dans le laissez-faire.
Comment les administrations en usèrent, les pièces le prouvent. Prenons un exemple à Strasbourg. On imprime la loi relative à l'envoi de Commissaires du Roi (24 janvier 1790). L'affiche est en français et en allemand. La proclamation de ce Commissaire du Roi a été également traduite (mars) 1. Plus tard, c'est sous la même forme encore qu'on portera à la connaissance des citoyens la Lettre de Roland (24 avril 1792)2. Chaque fois qu'on s'adresse à eux, on se sert des deux langues 3.
C'était plus qu'un usage, c'était une règle. L'Assemblée adminis1.
adminis1. Reuss, Const. civ., I, 165.
2. Id., Ib., I, 70, II, 71.
3. Voir, parmi d'innombrables exemples, la proclamation du Corps municipal de Strasbourg, 11 janv. 1791 (Id., Ib., I, 23). Extrait du registre de police de la Municipalité, 31 mars 1791 (Id., Ib., I, 185, etc.).
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88 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
trative du Département du Bas-Rhin s'est constituée, le 8 juillet 1790, pour s'ajourner au 1er Octobre (séance reportée ensuite au 3 novembre). Dans l'intervalle, le Directoire, Comité permanent et organe exécutif, est entré en activité. Il tint sa première séance le 13 juillet. Son premier acte a été une délibération qui a abouti à un Arrêté dans lequel il est dit : « les dites Lettres patentes seront transcrites sur le Registre particulier à ce destiné, imprimées dans les deux langues, lues, publiées, affichées, partout où besoin sera », etc.
Conformément à cette règle, la masse formidable de documents imprimés — dont nous ne sommes pas même sûrs de connaître la totalité — a été, sauf un très petit nombre, imprimée dans les deux langues, que la traduction fût faite en Alsace ou à Paris. Et ce que les départements ont fait, les districts, les municipalités, les tribunaux, l'ont fait de leur côté, de sorte que partout et toujours le bilinguisme était pratiqué en Alsace dans les actes et publications de l'autorité publique (Voir Catalogue des Alsatica de la bibliothèque d'Oscar Berger-Levrault, t. III).
Si on ne veut pas s'en tenir aux imprimés, il suffit d'un regard jeté sur les cartons des Archives Nationales pour se convaincre que les deux langues étaient sur un pied d'égalité 1. L'article 8 du règlement intérieur du Conseil général du Haut-Rhin (4 novembre 1790) était ainsi conçu : « Il sera libre à chaque membre de faire en allemand ou en français telle motion qu'il jugera convenable. Il l'expliquera ensuite ou la fera expliquer dans l'autre langue ». Le 2 décembre 1791, le Conseil général du département demanda en outre au pouvoir exécutif de ne nommer aux fonctions publiques dans les communes où l'on parlait allemand que des sujets sachant les deux langues 2.
Les Archives locales confirment pleinement ces constatations, que les documents soient relatifs à l'administration ou à la justice. Ainsi une nouvelle juridiction populaire est installée : les justices de paix. Sauf de rares exceptions, les procès-verbaux, les sentences sont en allemand 3.
Il n'y a guère d'exception que quand il s'agit de gens de Schir1.
Schir1. affiches du baron de Spon, pour les élections de 1790 dans le Bas-Rhin, sont en deux langues. Dans le Haut-Rhin, le procès-verbal ms. est en français. Un extrait en est imprimé en allemand. 1er oct. 1790. Arch. N., F'° III.
2. Arch. de la Hte-Alsace, Sér. L., dans Hoffmann, L'Alsace au XVIIIe s., t. II, p. 16, note 2.
3. Voir aux Arch. Dép. Bas-Rhin. Friedens-Gericht in Strassburg, cant. IV, 1791. n° 332-374. Cf. canton I. Reg. Protocollum, commençant le 4 janv. 1792. Presque tous les jugements sont en allemand.
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LE FRANÇAIS ET LES ACTES 89
meck qui parlent français, ou bien de soldats français, ou bien encore de Français domiciliés en Alsace.
Il ne peut être question bien entendu de présenter ici un dépouillement complet des Archives municipales. Je ne l'ai point fait, et ce serait l'objet d'une étude spéciale. Peut-être trouverait-on des indices d'un progrès du français 1; mais cela est douteux. A Strasbourg, les délibérations de la municipalité sont en français, c'est vrai. Le procès-verbal ne prouve rien quant aux discussions. A Sélestat, on trouve aux Archives la correspondance de la Municipalité avec les autres villes. Le tome I va du 15 avril 1791 au 19 ventôse an III (9 mars 1795). Il ne renferme que quelques lettres en allemand, qui viennent de Benfeld ou sont adressées à cette commune. C'est le 14 janvier 1793 qu'on apporte de Benfeld la première lettre en français (Arch. Mun., D Va, I, p. 117). Mais ceci n'est pas nouveau; les délibérations de 1754 à 1781 étaient déjà en français ; on ne faisait donc que suivre une tradition.
Partout les notaires en usent comme d'habitude. A Dambach, dans les Archives notariales, le premier acte français que j'aie trouvé du notaire de Pinet est du 13 décembre 1791. Encore est-ce un acte de vente de biens nationaux des Prémontrés d'Etival (Vosges). Les adjudicataires signent en lettres allemandes.
En somme les premières Assemblées n'ont rien innové au sujet de la langue des Actes, rien interdit, rien imposé.
1. A Andlau au Val, avant la Révolution, on ne trouve qu'isolément des actes en français, par exemple en 1782 une transaction entre l'abbaye d'Andlau et la noblesse immédiate de la Basse-Alsace ; en 1789 les délibérations du conseil municipal sont rarement en français ; depuis 1791, elles sont toujours en français. (D'après des notes gracieusement fournies par M. Bastier, sous-préfet de Sélestat).
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LIVRE VII
ACHEMINEMENT A UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE
CHAPITRE PREMIER L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET L'ÉCOLE 1
SILENCE RELATIF DES CAHIERS. — On est étonné, quand on parcourt les Cahiers, de voir la place très restreinte qu'y tiennent les questions relatives à l'instruction 2. La question de la langue n'y est pas posée, quoique l'établissement d'une instruction publique établie sur de nouvelles bases, orientée dans d'autres directions, ouverte à de « nouvelles couches sociales », fût universellement souhaité, depuis 1762 surtout, nous l'avons vu.
Cette indifférence des rédacteurs des Cahiers s'explique très naturellement. La France souffrait de maux trop pressants pour qu'on en remît le soin à une autre génération et qu'on s'occupât de la former 3.
1. L'histoire générale de l'Instruction publique sous la Révolution a été très étudiée Il faut d'abord consulter les anciens ouvrages, tels que J. B. G. Fabry, Le Génie de la Révolution considéré dans l'éducation. Paris, 1817, 3 vol., in-8°; — Guizot, Essais sur l'histoire et l'état actuel de l'instruction publique en France, Paris, 1816, in-8° ; — V. Pierre, L'Ecole sous la Révolution... Paris, 1881, in-12°; — Cf. G. Dumesnil, La Pédagogie révolutionnaire. Paris, Didier, 1883, in-8°; — Hippeau, L'instruction publique en France pendant la Révolution... Paris, 1883, in-12° ; — Du même : Discours et rapports de Mirabeau, Talleyrand... Paris, 1881, in-12°
Sur les lois et décrets, voir Recueil des lois et règlements concernant l'instruction publique depuis l'édit de Nantes de 1598 jusqu'à Décembre 1827, sous la direction de M. Rendu, Paris, 8 vol. in-8°. Mais les Procès-verbaux du Comité d'Instr. publ. de l'Ass. Législ. par Guillaume, Paris, 1889, in-8° et les Procès-verbaux du Comité d'Instr. publ. de la Convention par le même dispensent de recourir aux autres sources.
Sur les journaux, voir Tourneux. Bibliographie de l'histoire de Paris, t. III, p. 337 el suiv.
2. Voir le livre de l'abbé Allain, La quest, d'enseign. d'après les Cahiers. Comme tous les autres ouvrages du même, ce travail est fait avec soin et renferme des dépouillements précieux. Il est regrettable que l'auteur n'ait pas su garder partout une sereine impartialité.
3. Voir en particulier l'Introduction de Guillaume aux Procès-verb. du Com. d'I. P. de la Législ., p. IV et suiv. On y a réimprimé intégralement un travail rédigé par l'Archiviste Camus en 1792, qui énumère avec une précision admirable les décrets rendus, les plans et les projets qui furent présentés à l'Assemblée. Compléter à l'aide de Tourneux, o. c.
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92 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
L'esprit public se tendait tout entier vers les problèmes immédiats, politiques et économiques. Quand quelque paroisse réclamait contre l'absence de gens instruits, c'était plus souvent pour se plaindre de l'ignorance ou de l'insuffisance des sages-femmes que de l'état des humanités ou de l'inexpérience des maîtres d'école en orthographe. Après les journées et les nuits qui bouleversèrent l'ancien ordre de choses, emportée par les événements, l'Assemblée se trouva moins encore qu'auparavant en état de discuter une organisation d'avenir.
L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET L'OPINION. — En principe on en proclamait la nécessité : « C'est... une loi formelle sur la manière d'elever la jeunesse de tout le royaume, qu'il est le plus pressant d'établir avant toute autre; qu'il importe le plus à la nation d'entendre promulguer, et après laquelle soupirent en vain depuis si long-tems tous les peres de famille »1. C'était là un dogme, qui se traduira plus tard dans la fameuse formule de Danton : « Après le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple ». La phrase varie à l'infini, l'idée règne.
Non bien entendu que ce credo manquât d'infidèles, tel Faure, de la Seine-Inférieure, qui disait, presque avec les mots d'un intendant du XVIIIe siècle : « Lorsqu'un enfant aura appris à bien lire, bien écrire, les éléments de la grammaire, qui d'eux voudra prendre le tablier et remplir les fonctions les plus pénibles comme les moins lucratives de la société ? »2 Mais ces voix fort rares se perdaient dans un concert universel.
Les raisons pour lesquelles les Constituants tenaient tant au progrès des lumières étaient d'ordre politique autant que d'ordre moral, et elles avaient par conséquent une grande force. Qu'est-ce qui a fait la Révolution? demande un catéchiste de la Feuille Villageoise?
R. — La liberté de la pensée et la liberté de la presse : ces deux libertés peuvent seules maintenir la constitution.
D. — Pourquoi les droits de l'homme ont-ils été si tard connus et si tard redemandés ?
R. — Parce que le peuple ne savoit pas lire. Il ne pouvoit pas s'instruire par lui-même, et il se laissoit séduire par les autres.
D. — Quel est donc le plus grand service que les villageois puissent rendre à leurs enfans ?
R. — De leur apprendre à lire et de leur apprendre à examiner tout ce qu'on leur dit avant de le croire 3.
1. Mém. sur l'éduc. de la jeunesse, IV.
2. Hippeau, Inst. publ. pend, la Révol., 10 août 1793, 72
3. N° 6, 4 nov. 1790, p. 123.
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CHAPITRE II LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE
Dans les plans relatifs à la future instruction, on n'en trouve guère où on ait négligé de faire sa place à la langue nationale. Personne n'admettait plus qu'un citoyen pût se dispenser de la posséder.
La conséquence était qu'il fallait lui donner les moyens de l'apprendre. Un pédagogue anonyme débute ainsi. Première partie: « L'instruction qui concerne l'esprit, commence nécessairement par la connaissance du langage national, qui seroit exact et pur dans toutes les parties du royaume, si ceux ou celles de qui les enfants l'apprennent par imitation le parloient correctement ». Suit une note des plus explicites : « Il semble qu'une nation bien policée ne devroit avoir dans son sein aucuns jargons; et il est sûr qu'ils disparoîtront tous au bout de quelques générations, lorsque l'éducation devenue uniforme, aura été sevèrement circonscrite par la loi » 1.
L'auteur ajoute (en renvoyant à un Essai sur l'éducation publié par lui en 1787): « Il a été observé, et peut-être même prouvé que le vice radical de l'enseignement actuel parmi nous, c'est l'ignorance de la Langue Françoise par principes » 5.
Ce qu'on trouve le plus dans les livres et les articles du temps, ce sont des affirmations de ce genre, brèves, un peu sèches même, mais qui témoignent justement de convictions arrêtées. Les auteurs s'épargnent les discussions sur des questions où l'accord est fait: « Lire et écrire, voilà les études préliminaires auxquelles les enfans
1. Mém. sur l'éduc. de la jeunesse, p. 7.
2. En note : « Elle (la démonstration) a été présentée manuscrite, il y a deux ans, aux ministres et à l'assemblée du clergé, mais infructueusement. Nous n'avions pas alors de patrie ; et l'éducation de la jeunesse qui n'intéressoit que les particuliers, ne parut point alors matiere à mériter l'attention du gouvernement » (p. 16).
Même page on lit: « Il nous faut donc pour le premier âge une Grammaire Nationale toute nouvelle, vraiment élémentaire, dégagée de tout le scientifique et métaphysique... qui puisse être conçue et apprise aisément et même avec plaisir dans l'espace de 4 ou 5 semaines, ou de deux mois tout au plus ...telle en un mol qu'ils l'entendent tous également, sans qu'il y en ait un seul parmi eux, quelque mauvais qu'on le suppose, qui ne devienne bientôt en état de la savoir toute entière ».
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94 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
peuvent se livrer... dit l'abbé Hazard ; mais pour apprendre à lire aux enfans, l'on a suivi, jusqu'ici, une méthode... très propre à les en dégoûter; pourquoi commencer par leur donner des livres latins? ne seroit-il pas plus naturel de leur en donner de françois? Ils prononceraient plus facilement les mots d'une langue qu'ils entendent parler, et leur mémoire les retiendrait mieux. Je ne citerai point ici, une foule de mauvaises habitudes qu'on leur laisse contracter en lisant, comme précipitation... prononciation vicieuse, inconvéniens qu'on ne peut leur faire éviter qu'en leur donnant des maîtres habiles et intelligens »1.
C'est la doctrine de l'abbé Audrein : « Les principes de la religion et de la constitution, les élémens de l'agriculture et les opérations de l'arithmétique, quelques connaissances de la grammaire française et l'habitude de lire tout haut, voici ce qui doit d'abord les occuper » 2.
1. Avis aux bons parens (p. 9-10). Avant d'enseigner aux élèves le latin, ajoute l'auteur, commençons « par leur faire apprendre parfaitement les principes de la langue française » (Ib., p.26).
2. Mém. sur l'éduc. nat., p. 8. Cf. Organisn, titre IV, art. XXXIV, p. 73 et titre I, art. IV : « L'idiôme de l'enseignement sera la langue française dans toute l'étendue du royaume » (p. 62).
Citons encore ce que Mme de Brulart juge utile, indispensable même d'apprendre aux élèves: a la religion, à lire, à écrire, l'orthographe, les loix de leur pays » (o. c, p. 18).
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CHAPITRE III OUBLIS SINGULIERS
DOM FERLUS. — Pourtant une question se pose qu'il ne s'agit pas d'esquiver. Pourquoi certains réformateurs ne parlent-ils point de l'enseignement de la langue française dans les premières écoles? Prenons pour exemple dom Ferlus. Rien n'est plus clair et mieux ordonné que son système. A la base il place l'éducation nécessaire, celle que tout le monde doit avoir reçue : « Nul François ne jouira des droits de Citoyen actif, et ne pourra recevoir de patente pour aucune profession, si... il ne justifie qu'il sait lire, écrire, compter et faire l'exercice militaire » 1.
L'auteur admettrait-il donc que cette éducation obligatoire peut être donnée en patois ou en idiome ? Son livre n'en dit mot. Toutefois on ne peut juger sur ce seul paragraphe. Il faut se reporter à d'autres propositions telles que celle-ci : « Les livres, les exercices, la méthode seront les mêmes dans tout l'Empire » (p. 21). N'est-il pas dès lors implicitement convenu que l'éducation sera en français? Comment des livres en patois pourraient-ils être communs à tout le royaume? « On doit envoyer des journaux instructifs, des livres élémentaires à portée des gens de campagne » (p. 29). Ce ne peut être que des livres français. Il importe seulement de retenir que Dom Ferlus ne pose pas en règle qu'on enseignera le français à l'école première ; ses projets impliquent seulement qu'on s'y servira du français dans l'enseignement de la lecture, de l'écriture, etc. 2.
LES ORATORIENS. — J'interpréterais de même la pensée des Oratoriens 3. Ils imaginent une hiérarchie des enseignements. 1° « Tous les Français sauront lire, écrire, calculer. — 2° Les éléments de l'agriculture et du commerce, ceux de la grammaire française et de
1. P. 23, art. I du Décret proposé.
2. Il est à noter que Dom Ferlus ne propose pas non plus d'enseignement de la langue française dans les écoles de district.
3. Plan d'éducation... des Instit. publics de l'Oratoire (Daunou) 1790, dans Bulletin des Patriotes de l'Oratoire, XIII, XIV, XV, p. 4-5.
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96 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
la géographie, l'histoire nationale, les annales grecques et romaines... tel est le système graduel d'études publiques »1. L'opposition est très nette. Aucune étude de grammaire française dans les premières écoles. Cette discipline n'apparaît qu'à un degré plus élevé. Cela ne signifie pas que la première école n'use pas du français. Elle ne l'enseigne pas par principes, voilà tout.
Il en est encore de même dans le Plan de Bienvenu 2 (Côtes du Nord, 1er janvier 1791). La langue française ne se trouve mentionnée que dans le programme des écoles de district, les maîtres de canton devront seuls prouver au concours qu'ils ont une orthographe correcte.
Il me paraît donc hors de doute que plusieurs réformateurs et non des moindres écartaient encore la grammaire française du premier enseignement, mais non la langue.
1. Cf. dans le projet de décret :
TITRE I. — PREMIÈRES ÉCOLES. Les élèves de la 1re classe apprennent à lire (art. 3).
— 2e — — écrire (art. 4).
Ces cours sont gratuits. Dans les chefs-lieux de canton une 3e classe.
— district — 4e —
destinée à l'étude de la grammaire française, de la géographie et de la physique.
TITRE II. — COLLÈGES.
Dans la 1re, la 2e, la 3e classe, on étudie la langue française, les langues latine et grecque.
Par l'art. 12, on accepte des élèves qui peuvent ne pas assister aux leçons des langues.
Le Titre V spécifie que le droit publie et le droit civil seront enseignés en français (art. 5).
2. Arch. N., F17A, 1310, doss. 2.
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CHAPITRE IV LE RAPPORT DE TALLEYRAND
UNE POLITIQUE DE LA LANGUE. — Le rapport de Talleyrand tranche singulièrement sur les projets dont nous venons de parler. Il fut fait à l'Assemblée les 10, 11 et 19 septembre 1791, alors que la Constituante touchait au terme de ses séances. C'est un document important, et nous aurons à le citer à divers propos. L'usage du français doit s'universaliser en France, c'est une des pensées capitales de l'auteur, nous l'avons déjà indiqué plus haut 1.
Talleyrand ne se borne pas à déplorer la survie des dialectes et à annoncer leur prochaine disparition ; il dresse contre eux l'école primaire. De l'instituteur rural il fait ce que l'ancien régime n'avait jamais conçu qu'il pût être, un maître de la langue nationale, un facteur d'unité. La politique scolaire était inventée.
Toutefois, quand il s'agit de répartir les matières entre les enseignements des divers degrés, il semble au premier abord qu'il y ait quelque flottement dans son esprit. Voici sa déclaration formelle : « Cette instruction première... dette véritable de la société envers ses membres, doit comprendre des documents généraux nécessaires à tous, et dont l'ensemble puisse être regardé comme l'introduction de l'enfance dans la société. Ce caractère nous a paru désigner les objets suivants.
« 1° Les principes de la langue nationale, soit parlée, soit écrite; car le premier besoin social est la communication des idées et des sentiments » 2.
Plus loin il est dit : « Pour parvenir à ce but (l'extirpation des dialectes), à peine est-il besoin d'indiquer des méthodes : la meilleure de toutes pour enseigner une langue dans le premier âge de la raison, doit, en effet, se rapprocher de celle qu'un instinct universel a suggérée pour montrer à l'enfance de tous les pays le premier langage qu'elle emploie; elle doit n'être qu'une espèce de
1. Voir p. 13.
2. Hippeau, o. c., p. 65.
Histoire de la langue française. IX.
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98 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
routine, raisonnée, il est vrai, et éclairée par degrés mais nullement précédée des règles de la grammaire : car ces règles, qui ont des résultats démontrés pour celui qui sait déjà les langues et qui les a méditées, ne peuvent, en aucune manière, être des moyens de les savoir pour celui qui les ignore : elles sont des conséquences; on ne peut, sans faire violence à la raison, les lui présenter comme des principes. Mais si l'on peut laisser au cours naturel des idées le soin de rendre universel parmi nous une langue dont chaque instant rappellera le besoin... » 1.
C'est la doctrine pédagogique que nous avons trouvée chez d'autres, mais précisée et expliquée. On écarte du projet un enseignement méthodique et dogmatique, qui semble prématuré et inaccessible. Mais plus tard, à la première étude, toute pratique, se superposera une étude régulière. Aux principes de la langue nationale succéderont, dans les écoles de district, une théorie plus approfondie de l'art d'écrire et la connaissance de celles des langues anciennes qui conservent le plus de richesses pour l'esprit humain 2.
Ce rapport de Talleyrand fut très discuté, mais il ne semble pas qu'on ait contesté la doctrine et les propositions qui nous intéressent. Au contraire, l'idée de mettre la langue française au programme des écoles primaires est expressément approuvée par les auteurs des Observations, maîtres de pension à Paris 3. Et euxmêmes introduisent dans le plan d'éducation des enfants « les principes de leur langue pour les accoutumer de bonne heure à la parler avec pureté et à l'écrire correctement » 4.
Quand la Constituante se sépara, rien n'était fait. On en restait sur le principe posé dans la Constitution (art. I. Dispositions fondamentales) : « Il sera créé et organisé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes ».
1. Hippeau, o. c. p. 148.
2. Id., Ib., p. 69.
3. Observations sur le rapport (de) M. Talleyrand-Périgord. Impr. Hérissant, 1791. Arch. N., A. D. VIII, 21.
4. « On y joindra... les principes de la langue françoise, pour qu'ils puissent la parler et l'écrire correctement, et pour les mettre en état de se passer de secours étrangers, quelques professions qu'ils embrassent dans la suite » (p. 7 ; cf. p. 31). Pour l'enseignement des écoles de district, les auteurs rejettent le grec comme une spécialité qui sera confiée à des professeurs exprès, le latin et le français devant au contraire être étudiés simultanément (p. 72-73).
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CHAPITRE V LA LÉGISLATIVE
LE COMITÉ D'INSTRUCTION PUBLIQUE. PLANS ET SYSTÈMES. — Le 14 octobre 1791, il fut décrété qu'il y aurait un Comité de l'Instruction publique, composé de 24 membres. Nous savons qu'il ne chôma pas 1.
Les propositions, les plans des gens de métier continuaient d'affluer. Il y en a d'intéressants. Un professionnel, Jean Verdier, faisait une critique sévère de l'enseignement tel qu'il était pratiqué et en montrait les graves inconvénients : « Les François, disait-il, n'ont donc trouvé ni dans leurs écoles, ni dans leurs livres, les moyens de remplir le besoin journalier d'exprimer leurs pensées. Presque tous conservent un plus ou moins grand nombre de vices de prononciation : peu savent lire correctement et agréablement. On sort même ordinairement des écoles sans savoir orthographier en copiant, et sans pouvoir remuer les bras en parlant. Se trouvant dans l'impuissance d'entretenir par eux mêmes leur commerce social, les citoyens s'adressent aux gens de loi dans leurs affaires; mais qu'il s'en faut que ceux-ci soient lettrés, comme ils le doivent être! Les affaires ont été traitées dans les études et dans les tribunaux par des guerres grammaticales : les transactions et les jugements, ainsi que les loix et les reglements, ont été des semences de procès par l'imperfection, l'obscurité et l'équivoque de leurs expressions : les traités qui ont formé le droit public ont souvent été empreints des mêmes vices grammaticaux, qui ont été quelquefois les causes ou les prétextes de guerres sanglantes. Ce grand besoin de parler et d'écrire, qui va se faire sentir encore bien plus fortement à tous les citoyens, ne peut être rempli que par un enseignement qui porte également sur le discours, sur la phrase et sur le mot. Ce sont trois parties que j'ai fait entrer comme essentielles dans la Grammaire générale ; et la partie du discours est sous presse sous le titre d'Art de discourir, pour servir de supplément à toutes les grammaires générales. Je les ai prises pareillement pour divisions de mes Rudiments François et Latin » 2. L'auteur dit
1. Voir Guillaume, Proc. verb. Com. I. P., cette abréviation sans numéro de volume renvoie au volume concernant la Législative.
2. Discours s. l'éduc. nationale, 1792. Arch. N., ADVIII 21, 14e pièce, p. 8.
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100 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ailleurs : « La petite grammaire doit enseigner à bien prononcer, à bien lire, à écrire correctement, à orthographier et même à gesticuler d'une manière conforme aux caracteres de ponctuation. Nous avons quelques ouvrages qui décrivent assez bien quelques uns de ces objets : mais ils sont absolument inconnus dans les écoles. Il y a plus : le Parlement de Paris a rendu sur les contestations et les transactions de l'Université et de la chantrerie de la cathédrale, des arrêts qui déffendoient aux grandes écoles d'enseigner la petite grammaire; et aux petites d'enseigner la grande : et cette cour a maintenu le grand Chantre dans la faculté de donner à des ouvriers et à des ouvrieres, sans aucun examen, le droit exclusif d'enseigner ce qu'ils n'avoient point appris. De leur côté les régents des colleges n'ont pu enseigner les arts de la petite grammaire.
« Ils ont négligé la déclamation poëtique et oratoire qui en est une suite.
« Apprécions maintenant l'enseignement usité de la grande grammaire. Le discours purement grammatical qui en est l'objet, se divise en membres composés de phrases; les phrases en membres composés de mots; les mots aussi en membres composés de racines. Ces six sortes de parties se réunissent en un tout au moyen de six syntaxes : et cependant toutes les grammaires des modernes n'en enseignent qu'une.
« II n'est qu'une grammaire appliquable à toutes les langues : les grammaires particulieres de chacune n'en doivent être que des conséquences et des applications. Cependant la grammaire générale n'a pu obtenir de place dans les écoles ; l'on s'y est obstiné à n'enseigner les langues qu'au moyen de grammaires particulieres tronquées, informes, disparates, contradictoires et plus ou moins remplies de principes et de regles fausses »1.
1. Ib., p. 7-8.
Parmi les autres livres je citerai : Systême nouveau d'écriture par feu M. Berthaud; — L'art de l'écriture simplifié par M. Brazier; — Grammaire des Dames... par le chevalier de Punay ; — Tableau analytique de la langue françoise, suivi d'autres tableaux destinés à apprendre les principes de cette langue aux enfans, par le moyen d'un jeu; — Méthode logicosynoptique a l'usage des personnes de l'un et l'autre sexe, pour leur apprendre la méthaphysique des langues et la logique, avec un jeu, pour la communiquer aux enfans, par M. Collenot d'Angremont; — La veritable méthode d'apprendre une langue vivante ou morte, par le moyen de la langue françoise, avec la grammaire françoise, italienne et angloise dans le même système; — Démonstration et pratique de la nouvelle méthode d'enseignement des langues, comme la seule raisonnable admissible à l'exclusion de toute autre actuelle ou possible; — Système de prononciation figurée applicable à toutes les langues, et exécuté sur les langues françoise et angloise ; — Logique françoise pour préparer les jeunes gens à la Rhétorique par M. l'abbé de Hauchecorne ; — L'art de bien écrire en françois par M. de Bauvais ; — Effet du réglement d'éducation nationale. A. Generalif, 1792 (Voir Catalogue de la Bibliothèque patriotique, p. 28).
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CHAPITRE VI LE RAPPORT DE CONDORCET
OBSCURITÉS. — A l'Assemblée, les discussions se poursuivirent pendant toute cette année si troublée. Mais elles n'aboutirent qu'à un rapport. Il est vrai qu'il est capital, c'est celui de Condorcet 1.
De la question de la langue à employer à l'école primaire, l'auteur ne dit rien. Ni dans le rapport, ni dans le Projet de Décret, il n'est fait allusion soit à la nécessité d'enseigner la langue, soit à l'obligation de l'employer. Condorcet écarte le latin des établissements d'ordre plus élevé, nous le verrons. Il n'a rien dit pour fermer expressément la porte ni aux patois, ni aux idiomes.
LES IDÉES VÉRITABLES DE CONDORCET. — Par des raisonnements sur d'autres parties du plan, on peut cependant connaître sa pensée. D'abord, quand il est dit dans le rapport qu'apprendre à lire et à écrire suppose nécessairement quelques connaissances grammaticales, c'est donc que l'auteur admet un enseignement tout à fait élémentaire, qui ne peut être donné que sur le français et par le français, sauf peut-être en Alsace et en Flandre. Ensuite, quand il parle des livres à l'usage des campagnes et des livres à l'usage des villes, il pose en principe qu'il devra y avoir une différence ; or ce ne sera pas une différence d'idiome, mais de matière, « elle se rapportera à celle de l'enseignement »2.
Une note 3 permet en outre de constater avec sûreté que si Condorcet a éliminé les notions grammaticales proprement dites de l'enseignement nécessaire à tous, c'est parce qu'ayant senti le besoin de réduire le programme de l'école primaire aux seuls éléments qui suffiront pour la vie ou qui permettront à l'adulte d'étendre les connaissances acquises à l'école, il a considéré que l'enfant, en apprenant à écrire, aurait reçu les premiers et nécessaires éléments
1. Guill., o. c, p. 88.
2. Titre II, art. 5.
3. Guill., o. c, p. 194.
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102 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
grammaticaux, sans lesquels il n'y a pas d'écriture véritable. Il s'explique nettement sur ce point : « Comme toutes ces instructions sont le résultat de lectures, qu'elles obligent à écrire, il arrivera nécessairement que les enfants en contracteront une habitude suffisante pour acquérir cette facilité sans laquelle la lecture ou l'écriture sont un travail pénible. Ils acquerront avec aussi peu de peine les connaissances grammaticales ou d'orthographe nécessaires pour que la langue et l'écriture de la généralité des citoyens se perfectionnent peu à peu; et il est important, pour le maintien de l'égalité réelle, que le langage cesse de séparer les hommes en deux classes ». Ces derniers mots en disent long. Si Condorcet refuse d'accepter la division fondée sur l'élégance et la correction du langage, il est bien certain qu'il repousse avec plus de résolution encore la division autrement grave des citoyens en deux catégories, d'une part ceux qui savent le français et sont capables d'entrer en communication avec tout le monde, de l'autre les malheureux qui l'ignorent et sont étrangers à la cité. Il ne souffre pas qu'ils le sachent mal, à plus forte raison qu'ils ne le sachent pas. Seulement la. note est de 1793. L'homme qui a rédigé le rapport auquel se reportent encore aujourd'hui tous ceux qui ont de l'éducation démocratique, de son rôle, de son organisation nécessaire une idée conforme aux traditions républicaines, a-t-il vraiment attendu 1793 pour répudier l'aristocratie du langage ?
Une autre note est plus explicite encore : « Celui qui a besoin de recourir à un autre pour écrire ou même lire une lettre, pour faire le calcul de sa dépense ou de son impôt, pour connoître l'étendue de son champ ou le partager, pour savoir ce que la loi lui permet ou lui défend ; celui qui ne parle point sa langue de manière à pouvoir exprimer ses idées, qui n'écrit pas de manière à être lu sans dégoût ; celui-là est nécessairement dans une dépendance individuelle, dans une dépendance qui rend nul ou dangereux pour lui l'exercice des droits de citoyen » 1.
Je ne vois dans ces additions que des gloses et des explications, non des corrections inspirées à sa doctrine par les circonstances.
RAPPROCHEMENTS NÉCESSAIRES. — Il me parait impossible d'autre part, si on veut interpréter la partie du rapport de Condorcet concernant les premières écoles, de faire abstraction des passages où il parle du rôle de la langue vulgaire à propos des collèges. Et ces passages, qu'on trouvera plus loin, sont décisifs.
1. Rapp., éd. 1793, dans Guill., Proc. verb.. Com. I. p., p. 203, note.
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Enfin, il convient de tenir compte des analyses profondes qu'il a faites ailleurs du langage à employer avec les enfants, et dont je reproduis en note quelques passages 1.
1. « On sent que les livres destinés à donner aux enfants la première habitude de lire, ne doivent renfermer que des phrases d'une construction simple et facile à saisir. L'habitude de ces formes de phrases leur en fera découvrir la syntaxe par une sorte de routine ; il faut aussi qu'ils puissent en entendre tous les mots à l'aide d'une simple explication ; mais cette dernière condition exige ici quelques développements.
« Il n'y a peut-être pas un seul mot de la langue qu'un enfant comprenne, si on veut entendre par là qu'il y attachera le même sens qu'un homme dont l'expérience a étendu les idées et leur a donné de la précision et de la justesse... Les mots expriment evidemment des idées différentes suivant les divers degrés de science que les hommes ont acquise. Par exemple, le mot or ne réveille pas la même idée pour un homme ignorant et pour un homme instruit, pour celui-ci et pour un physicien, ou même pour un physicien et pour un chymiste : il renferme pour ce dernier un beaucoup plus grand nombre d'idées et peut-être d'autres idées. Le mot belier, le mot avoine ne réveillent pas les mêmes idées dans la tête d'un homme de la campagne et dans celle d'un naturaliste : non seulement le nombre de ces idées est plus grand pour ce dernier, mais les caractères par lesquels chacun d'eux distingue le belier d'un autre animal, l'avoine d'une autre plante, et qu'on peut appeler la définition du mot ou de l'objet, ne sont pas les mêmes. Il ne peut y avoir d'exception que pour les mots qui expriment des idées abstraites très simples, et dans un autre sens pour ceux qui sont susceptibles de véritables définitions, tels que les mots de sciences mathématiques... Ces principes exposés, on apperçoit d'abord combien il serait chimérique d'exiger que les enfants ne trouvassent dans leurs livres que des mots dont ils eussent des idées bien exactement identiques avec celles d'un philosophe habitué à les analyser. Par exemple, comme la plupart même des hommes faits, ils n'auront qu'une idée très-vague et très-peu précise des mots grammaticaux, et même des relations grammaticales que ces mots expriment. Mais il n'y a aucun inconvénient à ce qu'un enfant lise j'ai fait et je fis, sans savoir que le présent du verbe avoir mis avant le participe du verbe faire exprime un prétérit de ce verbe, pendant qu'un autre se forme par un changement particulier dans la terminaison du verbe même. Il en résultera seulement que pour lui la langue française n'aura aucun avantage sur celle où il n'existerait aucun moyen de distinguer ni ces deux prétérits, ni la nuance d'idée qui en caractérise la différence... Ce serait détruire absolument l'intelligence humaine que de vouloir l'assujettir à ne marcher que d'idées précises en idées précises, à n'apprendre des mots qu'après avoir rigoureusement analysé les idées qu'ils expriment; elle doit commencer par des idées vagues et incomplètes, pour acquérir ensuite par l'expérience et par l'analyse, des idées toujours de plus en plus précises et complètes, sans pouvoir jamais atteindre les limites de cette précision et de cette connaissance entière des objets.
« Ainsi, par des mots que les enfants puissent comprendre, on doit entendre ceux qui expriment pour eux une idée à leur portée ; de manière que cette idée, sans être la même que celle qu'aurait un homme fait, ne renferme rien de contradictoire à celle-ci. Les enfants seraient à peu près comme ceux qui n'entendent de deux mots synonymes que ce qu'ils ont de commun et à qui leur différence échappe. Avec cette précaution, les élèves acquerront une véritable instruction et on ne leur donnera pas d'idées fausses, mais seulement des idées incomplètes ou indéterminées, parce qu'ils ne peuvent en avoir d'autres. Autrement il serait impossible de se servir avec eux de la langue des hommes ; et comme on forme un langage particulier au premier âge, et proportionné à la faiblesse de l'organe de la parole, il faudrait instituer une langue à part proportionnée à leur intelligence. On peut donc employer dans les livres destinés aux enfants des mots qui expriment des nuances, des degrés de sentiment qu'ils ne peuvent connaître, pourvu qu'ils aient une idée de ce sentiment en lui-même ; et dès que l'idée principale exprimée par un mot est à leur portée, il est inutile qu'il réveille en eux toutes les idées accessoires que le langage ordinaire y attache. Les langues ne sont pas l'ouvrage des philosophes ; on n'a pas eu besoin d'y exprimer par un mot distinct l'idée commune et simple, dont un grand nombre d'autres mots expriment les modifications diverses ; jamais même on ne peut espérer qu'elles atteignent à cette perfection, puisque, les mots ne se formant qu'après les idées et par la nécessité de les exprimer, les progrès de l'esprit précèdent nécessairement ceux du langage. Il y a plus : si l'on doit donner aux enfants une analyse exacte, quoiqu'incomplète encore du sens des mots qui dési-
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Avec la clairvoyance d'un homme rompu à l'analyse des idées et des mots et qui sait comment les mots suggèrent ou expriment, il étudie ce qu'on peut enseigner à l'enfant du vocabulaire et des formes de la langue, ce qu'il est nécessaire et possible qu'il en perçoive, de quelles approximations il faut se contenter d'abord. Qui ne voit que cela suppose que l'enfant est très jeune, donc que la langue lui est enseignée dès les premières années ? Quand Condorcet ajoute que les mots scientifiques sont les plus faciles à entendre, qui supposerait qu'il pense à des mots scientifiques en basque ou en breton? Les formes même, telles que j'ai fait, je fis, qu'il cite en exemple, sont françaises.
Dans le 3e Mémoire, sa pensée se précise plus sûrement encore. Il y étudie comment on pourrait se servir des traductions d'Amyot, malgré le vieillissement de quelques mots 1. Plus loin il énumère
gnent ou les objets physiques qu'on veut leur faire connaître, ou les idées morales sur lesquelles on veut fixer leur attention, et de ceux qui doivent servir pour ces développements, il est impossible d'analyser avec le même scrupule les mots d'un usage vulgaire qu'on est obligé d'employer pour s'entendre avec eux.
« Il y aura donc pour eux comme pour nous deux manières de comprendre les mots : l'une plus vague pour les mots communs, l'autre plus précise pour ceux qui doivent être l'expression d'idées plus réfléchies. A mesure que l'esprit humain se perfectionnera, on emploiera moins de mots de la première manière, mais jamais ils ne disparaîtront entièrement du langage ; et semblablement il faut dans l'éducation chercher à en diminuer le nombre, mais n'avoir pas la prétention de pouvoir s'en passer.
« ...J'observerai de plus que l'on doit préférer d'employer dans les livres des enfants ceux des mots techniques, qui, soit pour les objets physiques, soit pour les autres, sont adoptés généralement. Cette langue scientifique est toujours mieux faite que la langue vulgaire. Les changements s'y font plus sensiblement et par une convention moins tacite. Ces mots expriment en général des idées plus précises, désignent des objets plus réellement distincts, et répondent à des idées mieux faites et d'une analyse plus facile, puisque souvent ces noms sont même postérieurs à cette analyse. Si le goût les bannit des ouvrages purement littéraires, c'est parce que l'affectation de science blesserait ou la délicatesse ou l'orgueil des lecteurs, c'est qu'ils y répandraient plus d'obscurité qu'ils n'y mettraient de précision « (2e Mémoire, dans Bibl. de l'Hom. publ,, fasc. 2, p. 16 et suiv.).
1. « On pourrait employer une partie de cet ouvrage en se servant de la traduction d'Amiot, qu'il serait facile de purger des fautes de langage, sans lui rien ôter de sa naïveté, qui la fait préférer encore à des traductions plus correctes, mais privées de mouvement et de vie ; car il ne faut pas croire que l'agrément du style d'Amiot, la grâce ou l'énergie de celui de Montaigne tiennent à leur vieux langage. Sans doute l'usage qu'ils font de quelques mots expressifs qui ont vieilli, de quelques formes de phrases énergiques ou piquantes aujourd'hui proscrites de la langue, contribuent au plaisir que donne la lecture de leurs ouvrages ; mais rien n'exige le sacrifice de ces mots et de ces phrases. La pureté du style ne consiste pas à n'employer que les mots ou les tours qui sont du langage habituel, mais à ne blesser ni l'analogie grammaticale, ni l'esprit de la langue dans les mots non usités, dans les formes de phrases ou nouvelles ou rajeunies qu'on peut se permettre : elle exige de ne choquer l'usage que pour plus de propriété, de précision, d'énergie et de grâce ; et cette règle est fondée sur la raison même. En effet, toute violation de l'usage produit une impression qui nécessairement occupe une partie de l'attention destinée pour entendre ce qu'on lit ou ce qu'on écoute : il faut donc un dédommagement à cette peine. Ainsi, en préparant pour l'instruction commune un de nos vieux auteurs, rien n'empêche de conserver l'ancien mot s'il est meilleur, mais rien ne doit non plus empêcher de le corriger, s'il n'a d'autre mérite que d'être en désuétude » (76., fasc. 3, p. 36).
« A ces ouvrages pour l'instruction des hommes, on doit joindre des dictionnaires, de
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les livres qui devront être répandus : dictionnaires, encyclopédies simplifiées, qui permettront à ceux qui n'auraient reçu que le premier degré d'instruction d'étendre leurs connaissances. Est-ce qu'il y a une possibilité quelconque, en présence de ces textes, de supposer que Condorcet admettait que l'école fût faite en une autre langue que le français ?
S'il n'avait pas présupposé que le français devait être, à l'exclusion de toute autre, la langue de la première école et des premiers livres, ces développements n'auraient aucun sens. Mais quand on les étudie, on se rend compte des raisons qui l'ont porté à écarter des classes du premier âge un enseignement par principes. Il le croyait, lui aussi, inutile, quelquefois même dangereux par les analyses prématurées qu'il suppose et qui ne lui paraissaient pas accommodées aux facultés de l'enfant. Il estimait qu'il donnerait lieu à des méprises et rebuterait les jeunes esprits par des casse-tête.
L'ÉCOLE FRANÇAISE ET LE PATS. — Assurément on ne serait pas embarrassé de citer des départements — assez indépendants pourtant — où les autorités locales dirigent leurs efforts vers une diffusion plus large de l'enseignement du français, ainsi les PyrénéesOrientales 1.
A Villelongue, on offrira bientôt la régence au citoyen Monnier, sergent-major d'un régiment cantonné dans le pays; pourquoi? afin de « détruire entièrement l'idiome catalan, que nous parlons, pour le remplacer par le langage national » (Torr. et Despl., o. c, p. 359).
« Depuis la Révolution, écrit-on de Tréguier, les écoles des villes, qui jadis étaient peu suivies, se multiplient. Il en résulte que la campagne, dans le bas âge, reçoit un commencement d'édualmanachs,
d'édualmanachs, journaux. Ainsi, il faudrait une petite encyclopédie très-courte, et précisément à la portée de ceux qui n'auraient reçu que le premier degré de l'instruction : il faudrait qu'ils pussent y trouver l'explication des mots qu'ils n'entendraient pas dans les livres, les connaissances les plus usuelles, celles qui forment en quelque sorte le corps de chaque science, enfin l'indication des livres dans lesquels ils pourraient s'instruire davantage » (Ib., p. 40).
1. Le programme d'enseignement de 1790, à Rivesaltes, comporte que le premier maître « enseignera la grammaire française et latine, le catéchisme, l'histoire et la littérature jusqu'en rhétorique », et le second, « la lecture, l'écriture, la grammaire française, le catéchisme et le calcul » (Torreilles et Desplanque, l'Ens. élém. en Roussillon, p. 319)
Après le départ de l'intendant, M. de St-Sauveur, la plupart des écoles rouvrent leurs portes ; les communes ne reculent devant aucun sacrifice et offrent aux régents des « mésades » (mensualités) de 20 sous pour chacun de ceux qui liront le latin et le français » (Id., Ib., p. 315).
Les concurrents à l'enseignement « se feront mutuellement des questions sur la grammaire française et latine et répondront à celles qui pourront leur être faites par les examinateurs » (Id., Ib., p. 318, n. 4).
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cation dans la lecture et l'écriture du français et du latin » (Lett. à Grég., p. 283).
En mai 1790, l'administration de Colmar sollicite l'envoi de soeurs de la Providence, dont une enseignerait en français.
Mais ces faits ne passent guère ni en nombre ni en valeur les faits analogues que nous avons vus se produire à la fin de l'ancien régime, et il ne faudrait pas croire que l'annonce des futures écoles françaises ait provoqué une allégresse universelle, même parmi les patriotes. Dans son n° du 16 septembre 1791, le journal strasbourgeois Geschichte der gegenwaertigen Zeit fait sur ce projet des réserves expresses : « J'espère qu'on enseignera les règles élémentaires de la langue allemande dans les régions de l'empire français où l'on parle allemand, afin que nous apprenions à connaître d'abord — comme cela doit être le cas dans un enseignement normal — l'esprit de notre langue maternelle avant de passer à l'étude d'une langue étrangère » 1.
RÉSULTATS. — Arrivait-on à compenser les désastres qui s'accumulaient? Non. Il faut bien le dire. Le voeu qu'on crie un peu partout, ce n'est pas d'avoir un enseignement français, c'est d'avoir un enseignement. Quelques-uns rêvent, d'écoles nouvelles, sérieuses, régénératrices, pénétrées des vrais principes, d'un enseignement donné par de vrais instituteurs ; la masse des autres regrettent les vieilles pratiques et les maîtres qu'on avait. Ils étaient pour la plupart mauvais, mais ils étaient. Or les Assemblées avaient vainement pris des dispositions conservatrices, en attendant. Divers décrets ruinaient l'ancien édifice.
La suppression de la dîme et des droits ecclésiastiques, la confiscation des biens de fondation, dont les revenus assuraient la rémunération au moins partielle du personnel ; la destruction des ordres religieux, l'obligation du serment surtout, avaient amené la disparition de la plupart des écoles. Beaucoup de maîtres, violentés dans leur conscience, ou entraînés par leur curé, privés de salaires, proscrits même, avaient disparu. Ils n'étaient pas remplacés, ou ils étaient remplacés par des schismatiques, que les populations, ameutées par le clergé réfractaire, refusaient d'accepter. Le français, pour ne parler que de lui, ne pouvait que perdre à une situation si fâcheuse.
Il serait piquant de comparer les résultats de l'initiative privée, et de faire, d'après les Affiches et les Annonces de toute sorte, un
1. Reuss, Notes s. l'instr. prim. en Alsace, p. 25.
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LE RAPPORT DE CONDORCET 107
tableau du marché du français. Rien peut-être ne montrerait mieux que ces offres et ces, demandes le cas que partout on fait de la connaissance de la langue de Paris.
Voici d'après M. Brun (Mém. ms., p. 81) quelques annonces pour la seule année 1791 à Marseille :
Un bon maître de langues, déjà connu à Marseille, désireroit trouver deux ou trois écoliers au plus, qui voulussent apprendre en peu de temps, les langues italienne et angloise, et perfectionner la langue maternelle (Journal de Provence, 10 mai 1791).
Un sieur Demare, lyonnais, s'offre pour enseigner les langues française et latine, l'écriture et l'arithmétique, conjointement avec les droits de l'homme (Ib.; 14 juin 1791).
Une demoiselle désire enseigner « la grammaire françoise... c'est à dire l'art de parler, de lire et d'écrire correctement » (Ib., 12 juillet 1791).
On propose d'enseigner « la langue françoise par principes, et de faire à cet égard des cours suivis, s'il se présente un nombre d'écoliers suffisant » (Ib., 12 novembre 1791).
Et dans les années suivantes les offres ne sont pas moins nombreuses. Je relève entre autres, 21 juin 1792, un avis aux mères de famille, pour un cours rue de l'Arbre (Marseille), où figurent « la grammaire française, la géographie, la fable ou mythologie, le style, l'arithmétique, l'instruction du coeur... ». Le 15 décembre 1792, même rue, l'institution Quétin et fils offre un programme avec du français (Ib.).
A Toulon, en 1791, un nommé Batavel 1 demande l'autorisation d'ouvrir une école pour enseigner les langues. 2
Un pensionnat établi à Saint-Loup avec la devise « rure morum corporisque sanitas » enseigne le français et le latin.
Ainsi de suite. Femmes et hommes se font connaître pour occuper des préceptorats, ou diriger des pensionnats. 5
1. Bourilly, L'I. P. dans la région de Toulon, 1789-1815.
2. Voici quelques autres annonces : avis d'un nommé Manenty, ci-devant maître de pension, qui propose d'enseigner : « 1° la religion ; 2° la langue française par principe, le stile épistolaire, l'art oratoire, la morale... 3° l'histoire sainte ; 4° la langue latine » (Journal de Provence, devenu Journal de Marseille. 13 août 1793 ; dans Brun, Mém. ms. 81).
3. Voir aussi 10 mai 1791 : « Une jeune dame nouvellement arrivée de Paris, parlant bien le français, désire une place de femme de chambre » (Id., Ib.).
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LIVRE VIII LA RÉVOLUTION ET LE LATIN
CHAPITRE PREMIER L'ENSEIGNEMENT EN FRANÇAIS
LES CAHIERS ET LA RÉFORME. — Les « Cahiers » sont plus explicites sur l'organisation et le programme des collèges que sur les Ecoles. Les voeux exprimés tendent presque tous à une francisation des études. Le bailliage de Château-Thierry exprime le voeu que l'éducation publique ne se borne plus à l'étude de la seule langue latine1.
A Essonnes, on voudrait couper la journée en deux. Le matin serait employé à l'étude de la langue française et à la composition dans la même langue, le soir aux études de langues mortes 3.
A Vouvant, en pleine Vendée, on déclare que des connaissances sûres en langue française, aussi bien qu'en langue latine, devraient être données aux enfants 3.
Le Tiers-État de Bordeaux désire « qu'il soit formé par les États Généraux, un nouveau plan d'éducation nationale ; qu'au lieu de cette ancienne méthode pratiquée dans nos collèges, qui consume les premières années de l'homme dans l'étude aride d'une langue morte, il soit établi des maisons d'instruction où la religion, la morale, les belles-lettres, les langues, les sciences, l'histoire, le droit des gens, et le droit naturel trouveront les enseignements qui conviennent au temps présent, à la chose publique, et aux sujets d'un grand et riche empire » 4, etc.
Pour remettre les choses au point, et rendre à chacun son dû,
1. Arch. Parl, II, p. 665. Cf. Allain, o. c. p. 94.
2. Allain, o. c, p. 309.
3. Arch. Parl., V, p. 425, n. 2.
4. Arch. Parl.. II, p. 405. Cf. Allain, o. c. p. 253.
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deux réformes fondamentales étaient nécessaires : 1° Supprimer ce qui restait encore de l'usage d'enseigner en latin ; 2° Généraliser l'enseignement du français et le rendre obligatoire.
LA CLASSE EN FRANÇAIS ET LES PLANS D'INSTRUCTION. — La première réforme était avancée déjà. Elle ne trouvait plus d'adversaires, au moins en théorie. Barruel, dans son Plan d'éducation, ne juge pas qu'elle vaille même d'être discutée : « Tout l'enseignement, dit-il, doit être en français, bien entendu » (p. 284)1. Paris, de l'Oratoire, dira de même : « Toute l'éducation des collèges ne pourrait être qu'en français »2. Jusqu'à la fin de cette période se renouvellent des réclamations monotones contre l'enseignement en latin. Le 30 mars 1792, d'Archenholtz, ancien capitaine au service de la Prusse, qui a beaucoup vu, envoie à la Législative un mémoire plein d'observations sur l'éducation, vante les mérites de Basedow, le savant qui « répandit sur l'éducation de grandes lumières », et ajoute : « il mit des choses à la place des mots, méthode d'instruction plus à la portée des enfants et moins sèche, il montra surtout qu'il ne fallait pas donner aux enfants des livres écrits dans une langue inconnue, et dont les objets se trouvaient fort au-dessus de leur capacité »3.
LA CLASSE EN FRANÇAIS ET LES ASSEMBLÉES. — Tous les projets d'organisation de l'instruction publique s'accordèrent sur ce point. Le plan de Mirabeau — qui est peut-être de Cabanis, peut-être de Reybaz 4, — explique avec une extrême précision comment il ne s'agit pas seulement de rompre avec une tradition démodée, mais d'éviter un grand inconvénient, celui de gêner, peut-être jusqu'à la compromettre, l'éducation tout entière : « Dans les Universités on enseigne beaucoup de choses en latin, dit-il 5. Je suis loin de vouloir proscrire l'étude des langues mortes, il est au contraire à désirer qu'on l'encourage ; je voudrais surtout qu'on pût faire renaître de ses cendres cette belle langue grecque dont le mécanisme est si parfaitement analytique, et dont l'harmonie appelle toutes les beautés du discours. Pour bien apprécier sa propre langue, il faut pouvoir la
1. « Il seroit superflu de dire ici qu'ils (les livres de philosophie) doivent être écrits en français ». C'est le seul moyen de déraciner la Scolastique. « Combien de gens ont clé découragés par ce latin barbare, avec lequel on outrage impunément le bon sens ! » (Ib., p. 289).
2. Proj. d'éduc. nat., p. 11.
3. Guill., o. c., p. 427.
4. Dreyfus-Brisac, Prob. de bibliog. pédag., t. I, p. 274. Cf. Guill. o. c, Conv., VI, n. 3.
5. Cassanyès a encore étudié la grammaire en latin (La Révol. fr., t. XIV, p. 977).
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L'ENSEIGNEMENT EN FRANÇAIS 111
comparer avec une autre, et c'est les meilleures qu'il faut prendre pour objet de comparaison.
« Que le grec et le latin soient donc regardés comme propres à fournir des vues précieuses sur les procédés de l'esprit dans l'énonciation des idées ; qu'on les estime, qu'on les recommande à raison des excellents livres qu'ils nous mettent à portée de connaître beaucoup mieux : rien de plus raisonnable, sans doute. Mais je crois nécessaire d'ordonner que tout enseignement public se fasse désormais en français ». 1
Talleyrand introduisit à cet effet des dispositions expresses dans son projet. 2 Personne ne contesta, je crois, la sagesse de la réforme dont nous parlons.
Point de doute non plus sur les intentions de Condorcet : Les Cours, dans tous les instituts, se donneront en français (Titre IV) 3. — Les sciences et les arts, seront enseignés en français dans tous les lycées (Tit. VI) 4.
Ainsi, au cas où les plans d'organisation auraient été discutés, cette réforme radicale n'eût sans doute rencontré aucune opposition. L'unanimité était faite.
1. Hippeau, o. c, p. 11,
2. Ecoles de médecine, art. 17. — Ecoles pour l'enseignement du droit, art. 4. « Les leçons se feront en français ».
3. Rapp. dans Guill., o. c, p. 231.
4. Id., ib., p. 237.
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CHAPITRE II L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS
IMPRÉCATIONS CONTRE LE LATINISME. — Sur le second point, à savoir quelle place il convenait de faire au français, l'accord était moins général. Mais on s'entendait sur la nécessité de « secouer le joug du latinisme ». « Un enfant passe toute sa jeunesse, dit l'abbé Hazard, à l'étude d'une langue morte que l'on peut posséder en deux ans d'application... cinq années... sont employées à faire des thèmes, c'est-à-dire, à traduire sa langue, que l'on sait très peu, en une autre langue que l'on ignore entierement ; que l'on s'étonne après cela de l'incapacité d'un jeune homme au sortir du collège... Avant d'enseigner le latin à mes élèves, je commence par leur faire apprendre parfaitement les principes de la langue française »1.
Le Projet d'éducation nationale de Paris, de l'Oratoire, débute, lui, par cette affirmation au moins hardie : « Jusqu'à présent, il n'y a point eu, à proprement parler, d'éducation parmi nous ». Et l'auteur propose que dans la première éducation les enfants apprennent à lire, à écrire... un abrégé d'orthographe (p. 5); dans les collèges, la langue dont il y a le plus à faire dans leur région ; au reste ils pourraient toujours étudier la latine (p. 12).
La haine de l'éducation telle qu'elle se pratique pousse Rivière à demander la suppression de toutes les Universités et écoles publiques 2: « Tant que le François et les autres Langues vivantes ne fournirent point un assez grand nombre de bons Ouvrages dans tous les genres, il fut encore raisonnable peut-être, de favoriser l'Étude des Anciens. Mais depuis que toutes les productions de leur génie sont, pour ainsi dire, fondues dans nos livres et dans ceux des nations voisines ; depuis que nous avons en tout genre des modèles qui valent ou surpassent ceux de l'Antiquité, n'est-il pas
1. Plan d'Educ. patriot., p. 25-26.
2. Palladium de la Const. pol. ou Régénération morale de la France, p. 9-11.
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L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS 113
inutile, absurde et cruel d'user la Jeunesse dans une étude stérile de mots ? »
« Les Grecs n'apprenaient que le Grec. Si les François n'ont pas plus tôt brisé le joug d'une infâme routine, qui, tenant l'esprit public à la chaîne, en a toujours retardé la marche et les progrès, c'est en partie l'ouvrage de la politique ministérielle ». L'auteur expose ensuite que l'Université de Paris, sentant « le dégoût du public s'accroître de jour en jour, et sa frêle existence ne plus tenir qu'au fil usé des Grades et du Latin », imposa le Latin partout. Et Rivière conclut à « la dissolution de tous les corps didactiques ».
L'avocat Raymond de Varennes ramassera toutes les accusations depuis longtemps proférées contre le latin : « Après dix années de principes latins, de thêmes latins, de vers latins, de discours latins, d'argumens latins, de lectures et de traductions d'auteurs latins, ils reviennent chez eux gonflés et bouffis de latin inintelligible, et très-ignorans sur tout le reste.... Nos colleges, nos universités, nos instituteurs particuliers, imbus de leurs petits principes locaux et d'usage, sont... insuffisans pour former la jeunesse. Sous le joug de leur férule, l'esprit se noie dans des questions oiseuses qu'il ne comprend pas, s'émousse sur des langues mortes qu'il oublie promptement, se monte sur des theses échafaudées sur le pédantisme, qui l'égarent ; et si sa mémoire s'exerce, c'est pour y classer des poëmes latins, que le plus studieux écolier ne sauroit traduire » 1.
PROPOSITION EN FAVEUR DU FRANÇAIS. — Dom Blondin, Feuillant, pose en principe que, si on a employé jusqu'alors « un temps aussi considérable à apprendre le latin et les langues étrangères, c'est parce que, ne connaissant nullement les principes de sa langue maternelle, on en a étudié d'autres dans lesquelles il étoit physique ment impossible d'opérer sans être instruit du méchanisme de la sienne propre » 2.
« Il est absurde, dit Barruel, de faire des langues anciennes le principal objet de l'éducation ; elles n'en doivent être qu'un accessoire, et il ne faut les considérer que comme des instrumens propres à acquérir de véritables connoissances, et à rendre, pour ainsi dire, indigènes les productions d'un sol étranger » 3.
L'indignation entraîne Fontaine de St-Fréville, « chef d'une maison d'éducation... notable adjoint et caporal volontaire de l'armée parisienne », aux plus sévères condamnations : « Les Professeurs des
1. Idées patriot., p. 61 et 7.
2. Précis de la l. fr., Avertissement.
3. Plan d'éduc, p. 210.
Histoire de la langue française. IX. 8
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114 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Collèges, qui ont le plus de goût et de réputation, dit-il, font traduire en vers Latins à leurs Élèves des passages de nos meilleurs Poétes Français, et ne leur parlent pas seulement des premières règles de la Versification Française. Quelques-uns même punissent les Elèves qui ont l'audace de faire des vers Français. Ce qu'ils appellent sujet du Prix d'honneur, est une composition Latine ; avant d'avoir enseigné l'art de traduire le Latin, ils enseignent les règles de la Syntaxe Latine ; ils font traduire le Français en cette Langue; ils mettent la nôtre à la torture pour faire passer en revue tous les tours de celle des Latins. En toute occasion, dans le régime des Universités, la Langue Française n'a que le second pas. Une lettre changée, omise ou ajoutée dans un mot Latin, est la faute la plus grave, c'est un barbarisme ; et les fautes les plus essentielles contre l'Orthographe et la Syntaxe même du Français, n'étaient pas, il y a quelques années, seulement comptées pour une faute dans la composition des Élèves. On n'y faisait guéres plus d'attention qu'à la forme des lettres. Les Universités ont encore le même régime que leur donna Charlemagne ; il semble, dans les Colléges, que l'on soit encore sous le règne de ses successeurs, ou au commencement de celui de François premier. On dirait que la Cour, que les Grands ne parlent que Latin, que les oracles de la Justice se rendent en Latin, que les Actes publics s'écrivent en Latin, et que la Langue de l'Europe, la Langue universelle, le Français, en un mot, soit encore un jargon, une Langue à naître ou du moins naissante ».
Tout le plan est à l'avenant. Dans la classe d'éloquence (16 à 17 ans) on fera des compositions, seulement en français. « Nous n'avons pas plus besoin de Harangues Latines que de vers Latins. Les meilleures ne sont que des recueils de plagiats, des pieces de marquéterie " 1.
Les conceptions de Major sont les suivantes : « Jusqu'à un certain âge, 14 ans par exemple... les jeunes apprendront la langue françoise, ils s'exerceront à faire des recits, à écrire des lettres, à faire des idyles, en un mot quelques ouvrages de littérature » 2. La géographie et les mathématiques sont plus utiles que la syntaxe et la versification latines (p. 6). « Le latin deviendra, comme les langues étrangères, un accessoire des études... Le moyen d'imiter les chefsd'oeuvres des anciens n'est pas de se traîner pésamment sur deux ou trois livres de l'Odissée ou de l'Enéide » (Ib.).
1. Essai ou proj. d'éduc, p. 29 ; cf. p. 35.
2. Tabl. d'un Coll. en activ., p. 5. En se reportant au Tableau, on voit la place considérable faite à l' enseignement du français, dès la première classe et dans les autres. Les principes s' y trouvent mis en application. Latin et français marchent ensemble (Cf. p. ou et suiv.).
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L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS 115
« Jusqu'ici l'objet principal des études a été le latin ; parce que c'étoit un moyen nécessaire pour avoir une place dans l'église ou dans la magistrature ; aujourd'hui ce moyen est presque nul » (p. 9). « L'instruction doit changer absolument » (p. 11).
« Les trois ou quatre années qui suivent le commencement des études, reprend Legendre, au lieu d'être employées à l'étude d'une langue qui n'est presque d'aucun usage dans le cours de la vie, doivent l'être à apprendre par principes la langue Française, qui, par sa beauté, son énergie et sa douceur, est presque devenue la langue universelle »1.
Pour remplacer le latin, suivant Verdier, on introduira des matières diverses, mais le français est la première. « Il seroit maintenant bien ridicule de demander si la premiere application des Belles-lettres doit se faire à la langue maternelle. C'est pourtant une question que les anciennes écoles, qui se disoient latines, n'ont pu résoudre. La langue françoise y a toujours été traitée comme une étrangere » 2. Dans son Nouveau plan d'éducation, l'abbé Villier, de l'Oratoire, mettrait, vers la douzième année des élèves, l'analyse et les discours de Condillac entre leurs mains. « Les éleves habitués à parler purement françois... trouveront peu de difficultés dans l'étude de la grammaire, dont les regles seront à leur portée » (p. 76-77).
En troisième (c'est-à-dire après six années d'étude), il ferait enseigner à ses élèves l'art de raisonner, de penser et d'écrire, toujours d'après Condillac. Il leur ferait lire Racine, Molière, Corneille et Voltaire ; on aura soin, dit-il « de leur faire observer les beautés du langage, et sur-tout de les accoutumer à faire l'application des regles qu'on leur aura apprises, aux différens exemples qui se présenteront » (p. 94-95).
On n'enseignera les langues étrangères, et même le latin aux élèves, qu'après s'être assuré qu'ils « savent leur langue passablement... et sont en état de faire avec facilité l'application des regles de la grammaire » (p. 9 ; cf. p. 98 et suiv.).
Dans les collèges actuels, le but principal étant d'apprendre le latin, on n'enseigne aux enfants que des lambeaux de chaque matière et « les jeunes gens sortant de rhétorique... ne savent réellement ni françois, ni latin, ni grec » (p. 104-105).
1. Coup d'oeil sur l'éduc. publ., p. 3.
2. L'auteur ajoute : « la langue des Romains si utile, si belle, si reguliere et si facile, y étoit enseignée par des principes si courts, si faux et par une méthode si imparfaite et si vicieuse que cent années de cet enseignement ne l'y auroient pas apprise aux esprits les plus disposés à la bien étudier. Plaise à Dieu que les difficultés que cet enseignement absurde y a fait naître, ne deviennent pas un motif de la proscrire des nouvelles écoles ! » (Disc. s. l'éduc. nat., Arch. N.,. A. DVIII 21, 14e pièce, p. 10)
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116 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
L'abbé Audrein voudrait voir instituer trois sortes d'écoles : « les petites écoles ou pédagogies, des petits collèges ou collèges de langues, et des grands collèges » (O. c, p. 7).
Dans les premières, à côté des principes de la religion et de la constitution, des éléments d'agriculture et des opérations de l'arithmétique, il faudrait donner aux élèves « quelques connoissances de la grammaire française, et l'habitude de lire tout haut » (Ib., p. 8).
Dans les petits collèges, « après la langue française, sur laquelle le plus rigoureux examen sera nécessaire avant de passer dans les grands collèges, les langues angloise, allemande, espagnole, italienne doivent avoir le pas. Le grec et le latin pour quiconque voudra se former dans notre ancienne littérature, ne paroîtront pas moins importans » (Ib., p. 10).
« Pour être admis à étudier dans les grands collèges, il faudra avoir 15 ans commencés, et... en outre subir un rigoureux examen sur la Grammaire française... Celle de Wailli semble mériter la préférence » (Ib., p. 73 et n. 1).
Un projet d'humanités en deux ans 1, adressé à l'Assemblée Nationale propose: « Première année. Faire apprendre, de mémoire, à ses Elèves, la Grammaire françoise la plus correcte; (je suppose ici — remarque l'auteur — que les enfants sauront lire), aplanir les difficultés de chaque page par des observations raisonnées ; enseigner l'accord, la liaison, les dépendances des substantifs, adjectifs, verbes, régimes directs et indirects, donner une connoissance exacte de l'orthographe, des accents et ponctuations ; et réunir, avec ordre et harmonie, plusieurs phrases pour en former la Période.
« La Lecture contribuant à ouvrir l'Esprit..., les Etudians de chaque classe liroient tour à tour, en présence de leurs maîtres, etc.
« Seconde année. Choisir une rhétorique françoise succincte et expressive... faire lire assidument le matin les discours de nos meilleurs Orateurs... Enseigner le soir les règles de la poésie...
« La langue latine étant une source inépuisable de richesses pour la langue françoise, je désirerois que ceux qui veulent tendre à la perfection continuassent de l'étudier ».
Dans la première classe, d'après Fontaine de St-Fréville déjà cité, « les enfants de six à huit ans apprennent à lire et à écrire. De huit à neuf ans, dans la seconde classe, on leur enseigne les Principes généraux des Langues et ceux de la Langue Française en particulier » (O. c, 21-22) 5. « Dans la troisième classe, le Pro1.
Pro1. N., F17, 1310, doss. 8.
2. L'auteur a soin d'indiquer comment se feront les dictées ; les enfants qui auront fait des fautes chercheront les mots dans le Dictionnaire.
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L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS 117
fesseur continuera de leur enseigner les principes de l'Orthographe française, et tâchera de ne leur laisser ignorer là-dessus que ce qu'ils ne peuvent encore savoir, l'Orthographe d'usage qu'ils apprendront par la suite » (Ib., 23). « Dans la quatrième classe, en même temps que la langue latine, on joindra une instruction sur la syntaxe française, on leur fera analyser des phrases Françaises, en leur apprenant à clâsser tous les mots, à distinguer les espéces (ce que je n'ai vu, dit l'auteur, encore pratiquer nulle part). Cet exercice, appliqué aux deux langues, leur sera infiniment utile. Il les perfectionnera dans l'orthographe, leur enseignera les règles de la ponctuation. Il appliquera aussi ces principes à leurs essais de traduction » (Ib., 24-25), « La Composition française commencera dans la sixième classe » (de 12 à 13 ans).
L'élève de l'Abbé Auger, à neuf ans, sait lire et écrire, « sa mémoire est ornée de quelques traits de l'histoire fabuleuse, sacrée et profane; je l'introduis au college, et je le mets aussitôt sous des maîtres qui, pendant deux années entieres, ne sont occupés qu'à lui apprendre la grammaire de sa langue, l'abrégé de l'histoire de France, de la géographie, de la chronologie, de l'histoire naturelle ».
« Une troisième année, un autre maître lui donnera les premiers principes des langues grecque et latine, qu'il lui fera comparer aux principes de la langue françoise : car je veux que, dans tout le cours des études, on fasse marcher les trois langues de front, en comparant les langues et les auteurs, de sorte que, par cette comparaison, un enfant les apprenne mieux que s'il les étudioit isolées »1.
Après avoir passé une année en rhétorique... notre jeune Emile étudiera, une autre année, « les meilleurs élémens possibles de logique, de métaphysique, de morale, de droit public : il les étudiera « en bon françois, et non dans ce latin barbare, qui effraya et découragea le sévère Patru » 2.
« C'est dans cette troisième année que nous le perfectionnerons autant qu'il sera en nous, que nous lui apprendrons à composer des
1. Projet d'éduc, p. 39-40. On trouvera le système développé dans un autre livre du même, l'Organisation des Écoles nationales. Après avoir répété qu'on doit faire « marcher de front l'enseignement des langues grecque, latine et françoise » (p. 5-6), l'auteur ajoute : C'est dans les écoles préparatoires aux grandes Ecoles, ou secondes écoles que, pendant deux ans, on enseignera la grammaire française, en se servant surtout du manuel de Dangrémont (p. 13-14 et n. 1).
Dans les troisièmes écoles, on commencera à enseigner le grec et le latin, mais on les fera comparer « aux principes de la langue françoise : car il faut que, dans tout le cours des études, — Auger y revient — on fasse marcher les trois langues de front »
(p. 15).
Dans les collèges, ou Écoles académiques, " la langue françoise ne sera point
négligée » ; mais, s'il semble très utile de faire des vers grecs ou latins, « il paroît
inutile d'appliquer les élèves à la composition des vers françois » (p. 17).
2. Auger, o. c, p 13.
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118 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
discours raisonnés et suivis, seulement dans sa langue, à les débiter d'un ton ferme et assuré, en articulant bien chaque mot, en pesant sur les syllabes muettes, en donnant à chaque idée, à chaque sentiment, les articulations convenables. Nous l'accoutumerons, durant tout le cours de ses études, à bien lire. Je dis à bien lire: je n'ai connu presque personne qui sache lire en public »1.
« Notre orateur... apprendra les mathématiques et tout ce qu'on y apprend actuellement, mais en françois et dans de bons imprimés ; et par là nous gagnerons une année entière » 2.
Enfin voici le principal : « On pourra... ne faire que des études toutes françaises, et passer des secondes écoles à l'année de rhétorique, et aux deux années de philosophie dont les lectures sont toutes en français... Ainsi le même établissement fournira trois cours divers d'études... un cours complet de grandes études grecques, latines et françaises ; des études toutes françaises; des études en grande partie françaises avec quelques années de grammaire grecque et latine » (p. 20-21).
Mon lecteur trouvera sans doute que j'ai accumulé dans ce chapitre bien des noms et des textes. Je ne l'ai pas fait sans dessein ; il importait qu'on ne se représentât pas la réforme comme imaginée par quelques esprits téméraires. Les pédagogues « aventurés » étaient légion. S'ils divergeaient d'opinion sur des détails de méthode et ne tombaient pas tous d'accord pour prescrire ce qu'il fallait faire, ils étaient unanimes à condamner ce qu'on avait fait jusque-là, et demandaient tout d'une voix une solide connaissance de la langue française comme base de toute pédagogie.
D'Ecully, petite localité de la banlieue de Lyon, des citoyens écrivent à l'Assemblée Nationale : « Si quelques Grecs et quelques Romains instruits avoient pu, de nos jours, revenir parmi nous, combien n'auroient-ils pas ri de pitié de voir nos Etats modernes, pour toute instruction, se faire marchands de mauvais latin » 3.
1. Auger, o. c, p. 44.
2. Id., Ib., p. 45.
3. 30 mars 1792. Arch. N°, F17 1309, doss. 6.
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CHAPITRE III RÉSISTANCES
On est étonné pourtant des résistances que semblent opposer quelques hommes qu'à priori on aurait cru convaincus. Ainsi Dom Ferlus dont nous exposons dans un autre volume les hardies initiatives 1 est loin de partager l'engouement d'Auger. Dans sa brochure pédagogique, si sobre, mais si lumineuse, où il examine successivement toutes les questions, pas un mot, nous l'avons dit (p. 95), pour prescrire d'enseigner en français, pas un non plus pour indiquer qu'il faut enseigner le français. On voit l'auteur défendre avec vigueur le latin (p. 52), montrer la nécessité non seulement du grec mais de l'anglais pour les médecins. Il ne fait aucune proposition sur l'introduction du français dans les programmes, et semble croire que les versions y pourvoiront (p. 53-54).
Le savant Lacépède va plus loin. Il écarte le français, délibérément, et dit ses raisons. « Les jeunes gens, après avoir étudié les principes de la Grammaire générale, n'auront besoin relativement à la langue françoise, que de connoître les différentes expressions qu'elle renferme. L'usage seul les leur indiquera, et d'ailleurs toutes les portions d'ouvrage qu'ils seront obligés de traduire en françois, en s'occupant des diverses langues... ne les mettront-elles pas à même d'être exercés sur l'application de ces principes généraux à la langue françoise ? »2
Nous retrouverons des illusions semblables chez les philosophes qui créeront les Écoles Centrales et qu'abusera leur foi dans les méthodes de Condillac.
1. V. tome VII, p. 89.
2. Vues sur l'Enseigt publ., p. 27. Il ne donne du reste au latin que sept à huit mois; il veut d'autre part qu'on apprenne l'anglais, l'allemand, l'italien et l'espagnol.
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CHAPITRE IV LES DÉPUTÉS ET LE LATIN
L'EMPREINTE. — Il était à peu près impossible que la masse des Constituants fût sévère pour le latin. La plupart, même s'ils avaient fait leurs études après 1762, et s'ils avaient par suite échappé à la tyrannie de l'humanisme jésuite, devaient ou croyaient devoir une bonne partie de leur formation à la culture classique. Il est bien vrai que plusieurs avaient voyagé et connaissaient les langues et les livres étrangers. Mais le fonds principal de leur instruction première n'était pas moins latin. A Rousseau et à Condillac ils associaient les philosophes et les historiens de Rome, et leur coeur n'était pas moins obsédé de ces souvenirs que leur esprit. Combien comme Gensonné avaient harangué en latin ! Vergniaud et Robespierre s'accordaient sur ce point, Pichegru était un lauréat du grand Concours. Les discours des orateurs reflètent aussi fidèlement le Conciones que l'art du temps les modèles antiques. Les médiocres citaient et recitaient1. Les plus grands eux-mêmes ne résistaient pas à la tentation d'appuyer souvent — trop souvent — d'une formule ancienne leurs opinions 2. Quand, plus tard, il fallut vaincre et aussi mourir, tout ce que la légende ou l'histoire fournissait d'attitudes et de mots, fut copié jusqu'à satiété. Comment l'idée eût-elle
1. Pour un exemple parmi des milliers, voir l'adresse des Jacobins à propos du 31 mai dans Buchez et Roux, Hist. parl, de la Révolution, t. XXVIII, p. 131. Sur l'éducation scolaire des hommes de la Révolution, voir Aulard, Et. et leç. s. la Rév. fr., t. IV, p 1 et suiv.
2. Nul plus que Cam. Desmoulins n'a retenu les leçons des Jésuites et le cours d'histoire romaine. Ses souvenirs classiques encombrent chaque numéro du Vieux Cordelier. « La liberté serait consolidée, et l'Europe vaincue, si vous aviez un COMITÉ DE CLÉMENCE. C'est ce Comité qui finirait la Révolution... Que les imbéciles et les fripons m'appellent modéré, s'ils le veulent. Je ne rougis point de n'être pas plus enragé que M. Brutus ; or voici ce que Brutus écrivait... On sait que Thrasybule, après s'être emparé d'Athènes... Dira-t-on que Thrasybule et Brutus étaient des feuillants, des brissotins ?. . C'est cette politique, autant que sa bonté, son humanité, qui inspira à
Antonin ces belles paroles aux magistrats qui le pressaient de poursuivre et de punir
Je ne puis m'empêcher de transcrire ici le passage que l'anti-fédéraliste a cité de Montesquieu, et qui est si bien à l'ordre du jour. On verra que le génie de César ne travaillait pas mieux que la sottise de nos ultra-révolutionnaires à faire détester la république » (n° IV, 30 frim. an II).
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LES DÉPUTÉS ET LE LATIN 121
pu venir à de pareils hommes de briser, de relâcher même le lien entre la jeunesse française et l'antiquité? Il s'est trouvé des gens pour risquer le mot et soutenir que c'était aux langues mortes que la France devait les bienfaits de la Révolution 1.
Toutefois il y avait loin de ces idées, de ces préjugés même au vieux dédain des pédants et à la défiance envers la langue nationale. On peut dire, et cela n'est pas exagéré, que les révolutionnaires la chérissaient, qu'elle leur apparaissait très clairement comme une des gloires de la France au dehors et comme une des forces de la Révolution au dedans. Ils ne pouvaient par suite accepter qu'on la tînt en dehors de l'éducation ni qu'on lui ménageât la place. Mirabeau, en bon disciple de Condillac, entrant jusqu'au fond dans l'étude des raisons qui font l'intérêt des langues et leur donnent de l'action sur le développement des esprits, avait dit déjà toute l'application qu'il fallait donner à l'étude de la nôtre 2.
CONDORCET. — Condorcet, une fois qu'il n'est plus retenu par les scrupules dont nous avons parlé, et qu'il se trouve devant des enfants plus grands ou des jeunes gens, tranche net: On enseignera dans les écoles secondaires « les notions grammaticales nécessaires pour parler et écrire correctement »3. C'est le premier article du programme.
Avec lui la rupture s'annonce, complète et définitive : « L'enseignement, dit-il, n'était pas moins vicieux par sa forme que par le choix et la distribution des objets. Pendant six années, une étude progressive du latin faisait le fonds de l'instruction ; et c'était sur ce fonds qu'on répandait les principes généraux de la grammaire, quelques connaissances de géographie et d'histoire, quelques notions de l'art de parler et d'écrire...
« On pourra trouver la langue latine trop négligée. Mais sous quel point de vue une langue doit-elle être considérée dans une éducation générale? Ne suffit-il pas de mettre les élèves en état de lire les livres vraiment utiles écrits dans cette langue, et de pouvoir, sans maîtres, faire de nouveaux progrès?... Par quel privilège singulier, lorsque le temps destiné pour l'instruction, lorsque l'objet même de l'enseignement force de se borner dans tous les genres à des connoissances élémentaires, et de laisser ensuite le goût des
1. Ainsi Pommereu, qui devint professeur de Grammaire générale à Avranches en l'an VII, quand il était encore professeur à Clamecy (Mad. Déries, Ec. Centr. de la Manche, p. 69). Il est vrai que celui-là était du métier, mais on retrouverait ailleurs cette opinion extravagante.
2. Voir p. 110.
3. Rapport, dans Guill., o. c, p. 229.
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122 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
jeunes gens se porter librement vers celles qu'ils veulent cultiver, le latin seul serait-il l'objet d'une instruction plus étendue ? Le considère-t-on comme la langue générale des savants, quoi qu'il perde tous les jours cet avantage? Mais une connaissance élémentaire du latin suffit pour lire leurs livres ; mais il ne se trouve aucun ouvrage de sciences, de philosophie, de politique vraiment important, qui n'ait été traduit ; mais toutes les vérités que renferment ces livres existent et mieux développées, et réunies à des vérités nouvelles, dans des livres écrits en langue vulgaire. La lecture des originaux n'est proprement utile qu'à ceux dont l'objet n'est pas l'étude de la science même, mais celle de son histoire.
« Enfin, puisqu'il faut tout dire, ajoute-t-il, puisque tous les préjugés doivent aujourd'hui disparaître, l'étude longue, approfondie des langues des anciens, étude qui nécessiterait la lecture des livres qu'ils nous ont laissés, serait peut-être plus nuisible qu'utile.
« Nous cherchons dans l'éducation à faire connaître des vérités, et ces livres sont remplis d'erreurs. Nous cherchons à former la raison, et ces livres peuvent l'égarer. Nous sommes si éloignés des anciens, nous les avons tellement devancés dans la route de la vérité, qu'il faut avoir sa raison déjà tout armée pour que ces précieuses dépouilles puissent l'enrichir sans la corrompre » 1.
1. Guill., o. c, p. 199-200.
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CHAPITRE V PROGRÈS DANS LA PRATIQUE
LENTEUR A S'ÉMOUVOIR. — L'histoire des pratiques pédagogiques de ce temps n'est pas faite dans son ensemble. Mais d'après la foule des monographies qui ont été publiées, on s'en fait une idée approximative, la même du reste qui s'impose à la lecture des pièces d'Archives.
Visiblement, en pratique, le latin tenait toujours bon 1. C'étaient les maisons d'avant-garde seules qui avaient osé lui reprendre sa vieille prépondérance. A l'Université de Paris, on en était toujours au même point. En 1790, les élèves de philosophie pétitionnaient encore pour obtenir des cours en français; on délibéra, pour finir par leur accorder leur demande 2.
Pourtant, le mouvement général des idées finissait par entraîner les esprits, même dans les milieux les plus rebelles.
MANIFESTATIONS SCOLAIRES. — Passons rapidement sur les amusettes auxquelles de tout temps s'est complue la naïveté universitaire, et sur les manifestations anodines des jours de séance publique 3.
Le 7 février 1790, un Essai a lieu par les Élèves de M.M. Serane et Denizot, instituteurs nationaux, à Passy-lès-Paris. Il porte sur « les fondemens de la Religion Chrétienne, sur le génie des Langues Française et Latine » 4.
1. En 1790, le 12 juillet, à la distribution des prix, à la Sorbonne, grand discours en latin sur la liberté recouvrée : De recepta Gallorum libertate, par Franc. Jos.-Mich. Noel, professeur de littérature au Collège Louis-le-Grand. Paris, Seguy-Thiboust 1790, in-4°, dans Tourneux, Bib., III, 17288.
2. Duo petiere... ne professores iidem lectiones suas latine, sed vernacule essent babituri.
Lange composa ses Eléments de physique en français. Jourdain cite un rapport du 6 oct. 1790, qui constate que l'auteur parait « avoir parfaitement rempli le but que s'est proposé l'Université, en ordonnant que l'enseignement de la physique se feroit désormais en français dans ses écoles » (Hist. de l'Univ., p. 483).
3. Monit., t. VI, p. 196.
4. Prospectus, Arch. N., AD. VIII, 21.
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124 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
« Ceux de la première force raisonneront sur les principes de la Grammaire française; ils rendront compte des idées attachées à chaque mot, des différentes manières de faire usage des Langues.
« Ils s'étendront sur le discours considéré grammaticalement, et sur la phrase en général.
« Ils disserteront sur l'usage essentiel de l'Article »1.
ON OUVRE DES COURS DE FRANÇAIS. — A Paris, en 1790, on vit Duhamel, dont le nom reviendra dans la suite de cet exposé, ouvrir au Collège d'Harcourt un cours de français. La même année, Dubufe présente ses élèves à l'Assemblée Nationale. Il leur enseigne à lire et à écrire correctement les langues française, anglaise, allemande, espagnole et italienne 2.
Les maisons où on n'avait pas attendu pour aller de l'avant prononçaient avec décision leur mouvement. En 1790, les Bénédictins de Pau déclarent qu'ils « gémissaient depuis longtemps de se voir asservis sous le joug des préjugés, et d'être obligés de retarder la marche du génie de leurs élèves parce qu'ils ne pouvaient s'élancer au delà des bornes posées par l'usage » 3. Le sens de ces mots est très clair, puisque, se considérant comme plus libres, ce que font les dirigeants, c'est d'augmenter la part du français dans les programmes.
A Provins, dit un rapport, « depuis la Révolution et la nouvelle organisation du collége, la langue latine a toujours été enseigné (sic), mais l'art de bien parler et d'écrire la langue française a été présenté aux élèves comme devant faire l'objet d'une étude sérieuse » 4.
La municipalité de Saint-Lô, réorganisant son collège, a une phrase qui en dit long. Elle garde le latin, « ne voulant pas négliger tout à fait une langue « qui est celle de nos maîtres en législation ». Que voilà des mérites restreints, et combien on en a rabattu !
A STRASBOURG. — Le « protocollum Universitatis » du 22 septembre 1789 indique que les élèves du Gymnase s'efforcent d'ac1.
d'ac1. collège d'Angers, lors de la distribution solennelle des prix du 12 août 1791, les écoliers firent devant le public un exercice en forme d'entretien, où fut prouvée l'influence « que la Révolution allait opérer sur la perfection de la langue » et démontré qu'elle allait porter la littérature française à une splendeur qui balancera peut-être celle du siècle de Molière (Mureau, Anc. coll. de la prov. d'Anjou, dans l'Anjou histor., juill. 1900, p. 31).
2. Arch. N., AD. VIII, 29.
3. Lespy, Hist. du Coll. de Pau, p. 238
4. Arch. N., F17 13178, doss. 43.
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PROGRÈS DANS LA PRATIQUE 125
quérir une prononciation française correcte, et en général de parler mieux le français. A Pâques 1790, le gymnasiarque Oberlin harangue en français le maire Dietrich. C'était une grande nouveauté, mais sur l'importance de laquelle il ne se faudrait pas méprendre. Le Gymnase se modernise, il se modernise autant et plus en faveur de l'allemand que du français 1.
Dans un texte de la fondation St-Thomas, qui est de 1790 (Univers., I. 7. L. 13), il est dit que les leçons publiques de l'Université seront données en langue latine « pour que les étudiants des différentes nations puissent y assister », mais que « les professeurs enseignent dans les cours privés au gré de leurs auditeurs en langue latine, française ou allemande, ce qui leur attire de jeunes Seigneurs de différens pays » 2. Ce n'était point là chose nouvelle. Peut-être insiste-t-on un peu plus qu'on n'eût fait auparavant sur ces leçons françaises à côté. Il ne peut être pour si peu question de transformation.
Le Collège, créé en 1791, n'avait point les vieilles traditions du Gymnase. La place du français y fut tout de suite prédominante. Les Affiches de Strasbourg (Supp. n° 19, 14 mai 1791) contiennent en français et eu allemand un Avis signé Arbogast, concernant ce Collège; on y lit :
« Outre les chaires de... il y a une chaire d'histoire et deux de langue françoise.
« Les Mathématiques et l'histoire s'enseignent en françois.
« Si on le désire, la physique sera expliquée en allemand et en françois; afin que ceux-mêmes qui ne savent point le latin, puissent fréquenter ce cours ».
Dans l'une des classes de langue française, « on se propose d'apprendre cette langue aux Allemands, l'autre est destinée à enseigner le françois par principes à ceux qui en ont déjà l'usage, mais qui voudront se mettre en état de le parler, et de l'écrire avec pureté et élégance ».
Il ne faut pas s'étonner des demi-conversions. Comment eussent fait la plupart des maîtres strasbourgeois pour donner un enseignement tout français? Un des professeurs de l'Université ne terminait-il pas une préface par ces mots : « Quoi que citoyen-né de
1. Après le discours de Dietrich, il y eut récitation de vers allemands, de dialogues allemands-latins. A la Saint Michel 1791, Oberlin joint à son programme une traduction en latin de... la Déclaration des droits.
2. Varrentrapp, Die Strasb. Univers, in der Zeit der fr. Revol., 448 et suiv.; cf. p. 452. J. Hermann par exemple (1738-1800) avait fait en 1764-69 un cours en français, en 1773 un en allemand (V. J. E. Gérock, Die Naturwissensch. auf d. Strassb. Universitaet, Mitth. d. Philomath. Gesellschaft i. Els.-Lothr., I, 1896).
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126 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
l'empire des Français, je suis néanmoins, comme la plupart des habitants des deux départements du Rhin, un étranger dans la langue de la nation. Je supplie donc le lecteur de vouloir bien me pardonner les fautes de style qui pourraient m'être échappées »1.
UN PROJET ORIGINAL. — Il mé paraît autrement intéressant de signaler un projet lancé la même année par le Conseil de la Commune de Strasbourg, et envoyé sous forme de pétition à l'Assemblée, le 22 août 1791. Il vise à faire instituer à Strasbourg une vaste maison internationale d'enseignement et de science, où les jeunes gens du Nord trouveraient l'enseignement des deux langues, et surtout des traductions en français de toutes les découvertes utiles des nations étrangères ; elles seraient exécutées à Strasbourg même et feraient vraiment de cette langue une langue universelle 2. Voilà qui réflétait vraiment les idées répandues en Alsace.
LE COLLÈGE DE FRANCE. — La conversion la plus éclatante et qui ne manqua pas son effet, fut celle du Collège de France ; elle est de 1791. Nul doute qu'il n'y ait là une des raisons pour lesquelles une indulgence particulière fut témoignée par les Révolutionnaires à cet établissement 3.
A MI-ROUTE. — Je ne poursuivrai pas cette revue. Aussi bien elle
1. Seinguerlet, o. c, p. 208. A Thann, un maître était « préposé dans la ville pour l'instruction de la jeunesse dans la langue française ». Il écrit, le 1er juin 1791 : J'ai cru devoir m'empresser « do répondre aux vues patriotiques de notre cher confrère M. Dollfus, en faisant écrire et apprendre par coeur les Droits de l'homme par mes écoliers » (Poulet, L'espr. publ. à Thann, p. 226).
2. Voici ce texte même : « Petition des Kommunenrathes der Stadt Strassburg an die Nationalversammlung, vom 22ten Aug. 1791 um zu begehren, dass aussor den gewöhnlichen Departements — oder Distrikts — Lehranstalten auch eine Anstalt zum Unterrichte in der höhern Wissenschaften in Strassburg errichtet werde... Die franzözische Sprache ist die allgemeine Sprache aller aufgeklärten Männer in Europa geworden. Nur zwey andere Sprachen, wie ein berühmter Schriftsteller bemerkt, könnten es mit derselben, wegen der Zahl der Menschen, die sic sprechen, wegen der Grösse der Länder, wo sic üblich sind, wegen der guten und zahlreichen Bücher welche darinn geschricben sind, wegen der wichtigen Rolle, welche diese Nation in dem europäischen Gleichgewichte spielen ihr (sic) aufnehmen. Das ist die englische und teutsche Sprache.
« In Strassburg spricht man teutsch und französich. Die jungen Fremden aus Teutschland und aus dem ganzen Norden sind daselbst weniger als anderwärts in Verlegenheit, weil sic ungefähr dieselben Sitten antreffen, und Leute, die ihre Sprache sprechen, biss sie nach und nach die französische erlernt haben. Franzosen würden mit den Wissenschaften zugleich das Teutcho erlernen, welches ihnen wichtigen Nuzzen schaffen kann. Es wäre leicht solch Einrichtungen zu treffen, damit daselbst beyde Sprachen samt der Litteratur in ihrer Reinheit vorgetragen würden. Ueber das könnte man alle nützlichen Entdeckungen fremder Nationen alsbald in Strasburg ins Französische übertragen, und auf solche lert diese Sprache wirklich zu einer Universalsprache machen » (Affiches de Strasbourg, Strassburgisches Wochenblatt, N° 38, 17 septembre 1791, p. 434).
3. Guill., o. c, Conv., 23 août 1793, II, p. 613
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PROGRÈS DANS LA PRATIQUE 127
ne mènerait pas très loin. D'abord une tradition dont le passé était si long ne pouvait guère se détruire en quelques mois, si vive que fût la poussée des évènements. La majorité des enseignants appartenait au clergé régulier ou séculier, et avait le préjugé inné de la langue catholique. En outre les collèges étaient menacés jusque dans leur existence; ils avaient été ruinés par toute une série de décrets qui leur enlevaient leurs biens de fondation. Malgré les sursis accordés, ils se soutenaient péniblement et n'avaient guère d'inclination aux expériences pédagogiques. Il me suffisait de marquer dans quel sens on cherchait, et comment le développement du français se faisait aux dépens du latin, comment d'autre part il était présenté comme un progrès en harmonie avec la Révolution et une sorte d'adhésion et de manifestation loyaliste du monde enseignant.
Rien de décisif ne pouvait se produire sans une loi, qu'on attendait toujours 1. Le 13 août 1792, la Législative décréta bien qu'elle s'occuperait de l'instruction publique immédiatement après avoir terminé le décret sur l'état civil des citoyens. C'étaient là de précieuses promesses, mais rien de plus. Elles ne furent suivies d'aucun effet, puisque, comme on sait, la Convention fut convoquée avant qu'on eût rien voté encore du régime nouveau de l'Instruction publique. En somme, beaucoup de ruines, et des projets de reconstruction, rien de plus, tel est le triste bilan des trois premières années 2.
1. Sur le besoin pressant d'une Instruction publique, voir l'adresse des Jacobins des Bouches-du-Rhône et du Gard (Guill., o. c., p. 431 et suiv.).
2. Sur la détresse des Collèges, voir l'enquête de 1791 aux Archives. Cf. Guillaume, o. c, p. 417, 433, 436.
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CHAPITRE VI LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE
LES CAHIERS. — Les libertins se souvenaient des railleries de Voltaire à l'égard de l'Église romaine, qui ne prie qu'en latin 1. Cependant il ne faut voir, dans la campagne qui fut entreprise pour franciser le culte, aucune pensée d'hostilité contre l'Église.
Beaucoup de Constituants avaient espéré associer intimement l'esprit chrétien et l'esprit de réforme. La guerre religieuse, qui perdit la Révolution, commença avec la Constitution civile du clergé, quoique cette réglementation ne fût dans la pensée de presque aucun de ceux qui la votèrent, une mesure d'hostilité contre la religion catholique, mais l'établissement d'un régime grâce auquel l'Église de France serait directement attachée à la monarchie régénérée.
Personne, parmi eux, je crois, ne songea à introduire dans les obligations qu'on imposait au clergé, celle de changer l'usage liturgique et de substituer le français au latin pour les cérémonies du culte. Il est hors de doute pourtant que, dans le clergé même, cette pensée hantait divers esprits.
L'abbé Allain a cité un Cahier, celui de la paroisse de Fosses, où se trouve exprimé le voeu que les prières se fassent en français : « La plupart des habitants ne savent point lire, y est-il dit, cela fait qu'ils n'entendent rien des prières qui se font à l'église, ils s'y ennuient; ils y causent comme dans la rue » 2. Le pieux curé qui a rédigé ces considérants naïfs ne pensait sans doute qu'à l'édification de ses ouailles. Comprenait-il l'importance de la « nationalisation de la prière? » 3
D' autres en tous cas avaient des souvenirs et des connaissances
1. Hist. du Parl, de Paris, LXIV.
2. Arch. parl. t. IV, p. 363. Cf. Babeau, Le Village sous l'Anc. Rég„ p. 111, n. 2, et Allain, La question d'enseign., p. 309.
3. « On ne saurait évaluer trop haut l'importance de ce grand fait, la nationalisation de la prière » (Hauser, Le princ. des nation., p. 13).
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LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE 129
qui leur permettaient de voir plus loin. Sans y apporter l'esprit résolu des églises protestantes, ils se rendaient compte de l'immense force qu'avaient donnée à la foi les « Versions ». Les Jansénistes, le grand Arnauld en particulier, avaient fait pénétrer le français dans le culte privé 1. C'était un premier progrès. N'y avait-il pas un intérêt égal et supérieur à profiter des circonstances pour l'introduire dans le culte public?
Dans les discussions dont nous parlons plus loin, les Annales de la Religion (XI, 562), citèrent comme exprimant le même voeu le Cahier de Mantes et Meulan. Il ne contient rien à ce sujet 2. Au contraire celui de Paris extra muros est on ne peut plus formel : « Il seroit à desirer que les Offices et Prières publiques se fissent en langue françoise » (p. 30).
PÉTITIONS A LA CONSTITUANTE. — D'après le Mémoire Apologétique de Brugière dont je parlerai plus loin, des adresses, des félicitations sans nombre parvenues à l'Assemblée Constituante manifestaient le même désir (p. 94). Il y a peut-être là quelque exagération. Mais il existe des pétitions de ce genre. Il y en a même eu d'imprimées. On peut voir d'abord le Culte public en Langue française. Le curé de Ste Pallaye (Yonne), qui a écrit ces pages, a hésité, on le sent bien. Puis le voeu des populations a fini par lever ses scrupules 3. Il désire sans doute « étendre le bienfait de notre liberté nationale à notre Langue Françoise » (p. 4), mais il désire surtout rajeunir et revivifier la foi. « Il faut pour nourrir la piété des peuples, autre chose que des mots et du bruit » (p. 21). Dans une série d'articles, il examine les textes des Conciles, des Pères, de l'Écriture. C'est l'article IV qui doit surtout retenir l'attention. Il est intitulé : Voeu du Peuple sur l'usage de sa Langue ( p. 20). « Le peuple français, comme les Juifs retour de Babylone, se relève de sa captivité. Son intelligence, dégagée du chaos dont on l'enveloppait sans cesse, ne peut plus se fixer à un simulacre de dévotion ».
« Convenons-en de bonne foi, dans les Paroisses de la campagne, le curé, presque seul, entend la langue des Offices ». « Si le principal Chantre, à qui cette langue est absolument étrangère, préside
1. Voir H. de la Long., t. IV et VII.
2. Il demande seulement, comme celui de St-Quentin-en-Vermandois, une liturgie commune (p. 6).
3. « Des autorités que je révère, ont plusieurs fois repoussé ma plume en travaillant •à cette Adresse. Enhardi cependant par d'autres autorités plus respectables et infiniment plus sures, je l'ai reprise, pour vous demander, Messieurs, au nom de tous les habitans de la campagne, au nom même de la plus considérable portion des habitans des villes, que nos prières publiques, exprimées en une langue que très peu de personnes savent actuellement, se fassent désormais en Langue Françoise » (Culte publ., p. 5).
Histoire de la langue française. IX. 9
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130 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
quelquefois lui-même au chant des Pseaumes, qui est-ce alors qui prie ? » L'Église est la Société de tous les Fidèles. « Or cette société en France... est composée d'environ 24 millions d'individus. Si d'abord, de cette immense population nous retranchons les Fidèles qui ne savent pas le Latin, si nous ôtons ensuite ceux du Clergé qui ne vont aux Offices que pour la représentation, et qui s'en croient dispensés dans toute autre circonstance, si parmi les Laies nous pouvons compter pour peu ceux qui se bornent à la plus courte assistance; quel sera le résultat? Certainement nous n'aurons pas le quatrième de l'unité sur vingt-quatre. Admettons l'usage de notre langue maternelle, les vingt-quatre millions pourront prier, et comme Saint-Paul l'exige, ils pourront prier avec intelligence » (p. 21-22).
Mais l'Assemblée Nationale a-t-elle le droit de statuer sur la Liturgie? Oui! tout comme l'Empereur de jadis, qui a commandé d'officier à haute et intelligible voix. « L'Assemblée Nationale ne fera que rappeler le Clergé à ses propres principes, comme elle vient de le faire par les articles XII, XIII et XIV qu'elle a décrétés la nuit du 4 au 5 " 1. La conclusion est brève et ferme : « Tous nos livres d'église en langue française ».
La Lettre d'un Fidèle à M. ... Curé de... Membre de l'Assemblée Nationale sur le Culte public fait aussi partie de ces adresses, tout en gardant sa physionomie particulière : « Autrefois on pouvoit passer des journées entières à l'Eglise avec un grand plaisir, parce que tout le monde comprenoit l'idiome dans lequel il adressoit ses prieres au Seigneur. Aujourd'hui nous n'entendons plus la Langue Latine ; elle n'est plus pour la plûpart des fidèles qu'un vrai jargon... Nos Peres, plus sages que nous dans les changemens arrivés en France dans la Langue Latine, chantoient les Epîtres et Evangiles, moitié Latin, moitié François. Ces Epîtres, connues sous le nom d'Epîtres farcies, Epistolae farcitae, étoient particulierement destinées à desennuyer le Peuple et à l'occuper de pieuses pensées » (p. 13).
« Je ne prétends point que l'Eglise soit une salle de spectacle et de divertissement. Loin de moi l'idée bisarre d'introduire dans nos Temples des farces qui attireroient à coup sûr tant de Belles élégantes si avides d'étaler leurs graces aux yeux du Public. Non,
1. L'auteur examine si la foi ne s'altèrera pas par les mots nouveaux dont notre langue peut s' enrichir (p. 24), si on sera obligé do changer nos versions tous les cent ans (p. 25), si notre langue est propre à exprimer les mystères (p. 26). On peut remettre le soin de cette reforme à un comité d'ecclésiastiques. Les idiomes reculeront dans le Midi, en Alsace, en Bretagne, en Béarn (p. 31).
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LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE 131
mes belles Dames, je ne suis pas assez galant pour plaider votre cause 1. Je veux rétablir la piété et la ferveur parmi les Fidèles. Pour cela je demande bonnement que l'on introduise l'usage des prières et des Offices en Langue vulgaire. Traitez-moi d'Aristocrate, de Janséniste si vous voulez ; mais regardez le changement que je vous propose comme infiniment intéressant pour l'Etat et pour l'Eglise »
(p. 14).
« Il seroit bien à souhaiter, opine un pédagogue, que le service divin se fit en françois. On ne dit pas de bon coeur ce qu'on ne comprend pas. Cette étude mene à la connoissance de la religion : Voilà pourquoi je l'ai indiqué » 2.
Morize, associé libre des Sociétés d'Agriculture d'Évreux et d'Auch, écrit à l'Assemblée (Évreux, 24 août 1791) : « Il est essentiel de ne pas luy faire perdre (à la jeunesse) la fleur de ses plus belles années dans le long apprentissage d'une Langue qui n'etant plus usitée, est pour luy une espece d'Esclavage qui ne peut gueres avoir presentement d'autre but que l'Etat Ecclesiastique — Etat Ecclesiastique qui pouroit encore à la rigueur s'en passer sans ces fameux préjugés Ultramontains, puis qu'un pretre pouroit aussi bien dire la messe en françois qu'en latin, ce au grand contentement même des trois quarts et demi des Chretiens qui ne peuvent chanter les Louanges de dieu que comme des perroquets, c'est a dire sans onction, sans ferveur et sans faire attention quils rendent des actions de Graces, ou quils demandent de nouvelles faveurs » 3.
« La langue latine, reprend un autre, et cet autre est Dom Ferlus, est indispensablement nécessaire à ces derniers (nos Ecclésiastiques), tant que la lithurgie sera en latin, et qu'on n'aura pas rendu à la piété, à la Religion et aux moeurs le service de faire célébrer les divins mysteres et la priere publique en françois » '4.
L'IDÉE SE RÉPAND. — On dirait que Chabot avait lu ces adresses quand il écrivait à Grégoire que pareille réforme favoriserait l'unité religieuse, et le retour des protestants à l'orthodoxie : « L'article qui révolte le plus les non-catholiques de la classe du peuple, dit-il, ce sont nos prières en un latin barbare qu'il ne comprend pas et que nos ennemis peuvent d'autant plus facilement calomnier » 5. Il ajoutait : « L'Assemblée nationale usera donc de ses droits pour
1. La pièce est très libre.
2. Projet d'éducation nationale, p. 7, n. 1.
3. Arch. N., F17A 1310, doss. 7.
4. Proj. d'éduc. nat., prés, le 10 juillet 1791, p. 53. 8. Lett. à Grég., p. 75.
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132 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
nous faire tous prier l'Être suprême dans une langue que nous entendions » 1.
Du Gers arrive à Grégoire cet avis : « Il faudrait... qu'au lieu de balbutier en latin, qu'ils n'entendent guère, des prières que le paysan entend sans doute bien moins, toutes les prières, instructions, catéchismes et service d'église... soient dorénavant faits en français » 2. D'autres correspondants ont exprimé la même opinion, alors qu'on ne leur demandait pas leur avis là-dessus.
Me sera-t-il permis de rapprocher de ces voeux celui que présenta la Société de Strasbourg, le 29 juin 1791 ? Un membre ayant demandé que l'Assemblée Nationale fût invitée à faire chanter dans les églises un hymne en français « qui exprimeroit les sentimens de liberté et de patriotisme qui tiennent de si près à la vraie religion », on envoie son discours au Comité ecclésiastique de l'Assemblée Nationale 3.
Ailleurs, c'est un prêtre qui discute dans une Instruction familière aux Croyants, divisée en demandes et réponses, comme un catéchisme 4, et ainsi de suite.
Le 31 mai 1792, dans la Feuille villageoise (n° 36), Thévenet, curé de Salagnon, près Bourgoin (Isère), proteste contre l'emploi de la langue latine dans le culte, et son confrère Dupuis, curé de Droyes (Hte-Marne), imite son exemple.
Nul doute que le jour où l'attention des historiens se portera sur ce point, ils ne découvrent des voeux et des propositions semblables à ceux que je viens de rapporter. Il m'est arrivé d'en rencontrer parmi d'autres papiers. Ainsi le 5 février de la 4e année de la Liberté, un
1. « La surveillance qu'elle a accordée aux administrations sur tout ce qui regarde le culte rend cette opération indispensable. Il est plus d'un administrateur incapable d'exercer cette fonction publique tant que la liturgie sera dans une langue morte » (Lett. à Grég., p. 75).
2. Let. à Grég.. p. 100, n° 40. « L'avantage religieux de la destruction du patois ne serait [pas] moins grand que son avantage politique. Il importe à une grande partie de la nation de savoir la langue dans laquelle on l'instruit de la religion, et qui bientôt sera celle de la liturgie. L'ignorance de cette langue nécessiterait un grand nombre de traductions des nouveaux livres de liturgie, qu'il est à désirer de ne pas multiplier, et remettrait le voyageur le plus instruit dans le cas de ne rien comprendre à I'office de beaucoup de départements et d'y assister comme le peuple dans nos églises. Tous les Français doivent savoir lire les bons ouvrages que nous avons sur la religion, dans la langue de ces ouvrages, et non dans les traductions qu'on ne fera pas pour eux » (Ib., p. 213, n° 29).
3. Reg. mss., Arch. mun. de Strasbourg.
4. D. Le pape ne dit-il pas que si on change les prières de l'église, c'est à dire que si on les traduit de latines en françois, ce sera une nouveauté qui obscurcira l'état (l'éclat ?) dont l'église a toujours joui, nouveauté capable de produire la désobéissance, la temerité, laudace, la sédition, le schisme et plusieurs autres maux ?
R. hé! qui croira, cher ami, que la traduction des prières, si elle avoit lieu, produisit la désobéissance etc. l'apôtre dit lui même aux corinthiens chap 14 v. 14 : si je prie dieu en une langue étrangère, il est vrai que je prie d'esprit, mais je nentend (sic) point ce que je dis, et au verset 15 : comment ferai je donc? je prierai dieu et le louerai d'esprit et en entendant point ce que je dirai (sic) (Arch. N., F17A 1320, doss. 2).
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LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE 133
professeur de rhétorique du Collège de Lisieux, nommé Couture, écrivait aux Représentants : « Lorsque j'entre dans un de ces temples consacrés à chanter les louanges de l'Eternel, j'entends le peuple célébrer ses merveilles dans une langue qu'il ne comprend pas... Représentants, ne touchez pas encore au dogme, vos ennemis en profiteraient, ordonnez seulement une traduction littérale. Que les Latins prient dans la langue qui leur est propre ; mais nous, soyons en tout Français » (Arch. N., F 17 1309, doss. 3).
Je ne voudrais pas pour cela laisser croire à un mouvement général d'opinion. C'était une minorité pensante, mais une minorité, qui souhaitait ce changement de la liturgie.
LE GOUVERNEMENT PREND PARTI. — Un jour, le Gouvernement prit parti, mais avec quelle réserve ! Le 6 novembre 1792, le ministre Roland, adressant « aux pasteurs des villes et des campagnes une lettre pour les inviter à supprimer le Salvum fac Regem, s'exprime ainsi : « Retranchez surtout de votre psalmodie cette antienne impatriotique... que le bon peuple chante encore, mais qu'il eût lui-même arraché de ses Heures, si par la plus choquante des contradictions et la plus perfide des combinaisons, on ne l'eût contraint jusqu'à présent, de chanter machinalement en latin des mots qu'il n'entend pas, tandis qu'il ne devrait s'entretenir avec l'Etre Suprême, que par les épanchemens de son coeur, et les exprimer dans sa langue naturelle et la plus usuelle. Notre révolution amènera probablement ces changemens salutaires » 1.
Malgré le mot célèbre de Camus : Nous avons le droit de changer la religion, on se tint sur ses gardes, rien ne fut même proposé aux Assemblées. On en resta à la circulaire que je viens de rapporter.
1. Brugière, Mém. Apologét., p. 166.
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DEUXIEME PÉRIODE
DE LA RÉUNION DE LA CONVENTION AU IX THERMIDOR
LIVRE PREMIER L'ÉCOLE ET LA LANGUE 1
CHAPITRE PREMIER LE RAPPORT LANTHENAS
La Convention était à peine réunie depuis un mois que la question de l'élimination des idiomes étrangers avait été posée expressément devant elle. A la 5e séance, le 22 octobre 1792, le Comité d'Instruction publique chargea son président Arbogast « de présenter des articles additionnels au titre des écoles primaires, pour les citoyens de la République qui n'entendront point la langue française » 2. Adoptés par le Comité, rapportés à l'Assemblée successivement par M.-J. Chénier et par Lanthenas, ils furent incorporés au projet de décret dont ils forment le titre III 3.
Ce rapport de Lanthenas (18 décembre 1792), mérite de retenir l'attention. Il proclame la nécessité de détruire les patois, mais montre une large tolérance pour les idiomes communs à la France et aux pays voisins : « Votre Comité a senti qu'il fallait, par les dispositions du premier enseignement public, avancer l'époque où l'unité de la République en aura tellement fondu toutes les parties, qu'une seule et même langue, riche de mille chefs-d'oeuvre familiers à tous les citoyens, les liera ensemble, pour toujours, de la manière
1. Dans cette partie je mettrai les faits dans l'ordre inverse de celui que j'ai précédemment suivi. Ce sont les actes législatifs qui prétendent résoudre la question des langues. Même s'ils ont été inefficaces à l'époque, ils ont commencé une politique nouvelle, et à ce titre seul ils mériteraient une attention particulière.
2. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 13.
3. Id., ib., Conv., t. I, p. 33, n° 1.
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136 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
la plus indissoluble. II faut que les intérêts de la République soient maintenant connus de tous ses membres : et ils ne peuvent l'être comme il convient, qu'en rendant la langue nationale parfaitement familière à tous. D'ailleurs, le moyen de répandre les principes de notre liberté et d'augmenter l'ascendant de notre industrie, c'est de mettre à même les Français de nos frontières de parler avec une égale facilité la langue qui les lie à nos voisins et celle qui doit désormais les unir davantage avec leurs frères. Ainsi l'on a cru que dans la Corse il fallait que la langue française fût parlée par tout le monde, et qu'il en fût de même dans les pays où l'on ne connaît aujourd'hui que le basque et le bas-breton; le même motif a porté votre Comité à considérer d'une manière particulière les écoles où l'allemand sera parlé, parce que cette langue, par l'étendue du pays où elle est en usage, ainsi que par celle du territoire français où elle domine, lui a paru mériter plus d'attention. Mais partout où les communications sont gênées par des idiomes particuliers, qui n'ont aucune espèce d'illustration, et ne sont qu'un reste de barbarie des siècles passés, on s'empressera de prendre tous les moyens nécessaires pour les faire disparaître le plus tôt possible » 1.
Le titre III du Projet de décret (novembre 1792), est intitulé :
Dispositions particulières pour les pays où la langue française n'est pas d'un usage familier au peuple 2. Voici ces dispositions :
Art. 1. L'enseignement public sera partout dirigé de manière qu'un de ses premiers bienfaits soit que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République.
Art. 2. A cet effet, dans les départements où la langue allemande s'est conservée jusqu'à présent, on enseignera à lire et à écrire tant en français qu'en allemand; et le reste de l'enseignement dans les écoles primaires se fera dans les deux langues.
Art. 3 Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, on enseignera à lire et à écrire en français ; dans toutes les autres parties de l'instruction, l'enseignement se fera en même temps en langue française et dans l'idiome du pays, autant qu'il sera nécessaire pour propager rapidement les connaissances utiles.
Art. 4. Dans les lieux de quinze cents habitants, et ceux d'une population plus forte, où la langue allemande est en usage, les instituteurs devront être jugés capables d'enseigner dans les deux langues.
Art. 5. Dans les villages d'une population moindre, on se confor1.
confor1. o. c., Conv., t. I, p. 79.
2. Id., ib., Conv., t. I, p. 70.
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LE RAPPORT LANTHENAS 137
mera à cette disposition autant que les circonstances le permettront.
Art. 6. Cependant, et pour la première nomination seulement, ceux des instituteurs, dans les lieux de quinze cents habitants et au-dessus, qui ne sauront enseigner qu'en allemand, et qui seront jugés dignes d'être conservés, pourront se faire aider par un instituteur adjoint qui enseignera en français.
L'adjoint sera à la charge des instituteurs, et il devra être approuvé par les personnes chargées de la nomination de ces mêmes instituteurs.
Art. 7. Les places d'instituteurs qui viendront à vaquer par la suite ne pourront être accordées, dans tous les endroits où l'on parle allemand, qu'à des personnes versées dans les deux langues.
Le Comité d'Instruction publique, — peut-être sous l'influence d'Arbogast, Alsacien, — tout en indiquant le but à atteindre, l'avait placé assez loin, comme on voit. Il faisait des concessions qui marquaient de la largeur d'esprit et du sens pratique, mais qui n'étaient guère en harmonie avec les circonstances. La République avait avant tout à ce moment le devoir de se défendre; or on se montrait impitoyable aux patois qui la gênaient peu, tolérant aux idiomes qui menaçaient jusqu'à son existence. Il y avait là, quoique les mesures proposées pussent se justifier sous d'autres rapports, une erreur politique grave.
Le titre I du projet fut seul voté. Celui qui nous intéresse ne fut pas mis en discussion.
Dans la 23e séance (mercredi 14 novembre), avait été prise une décision de principe qui mérite d'être rapportée, et, d'après laquelle, « l'augmentation à accorder aux instituteurs qui seront tenus d'enseigner dans les deux idiomes serait la même dans les pays basque, breton, et du Haut et Bas-Rhin, et que cette augmentation serait de deux cents livres ». Cette disposition fut insérée à l'article 10 du titre IV.
1. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 38.
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CHAPITRE II ON RÉCLAME UNE « INSTRUCTION PUBLIQUE »
On peut suivre, dans l'Introduction mise par Guillaume aux tomes III et IV de ses Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique, l'histoire serrée, mais néanmoins complète, des débats sans fin qui eurent pour objet l'instruction, tant au Comité qu'à la Convention. Les diverses phases sont distinguées avec une clarté qui ne laisse rien à désirer.
Le pays tout entier, peut-on dire, réclamait la discussion immédiate et l'adoption d'un système. Hébert était là-dessus d'accord avec le Marais 1. Il n'est qu'une voix dans toutes les communes, dans tous les cantons, dans tous les districts et les départements, pour demander la constitution et l'éducation nationale, dit un rapport, écho fidèle de la plainte universelle 2. On pourrait citer vingt textes : « Nous pensons sincèrement que c'est le plus beau présent que la Convention puisse faire à la République : pour que le peuple reçoive un bienfait avec reconnaissance, il faut qu'il puisse en apprécier la valeur. C'est l'ignorance qui nous a valu la malheureuse guerre de la Vendée, et que la Convention craigne qu'éteinte dans ce point, elle ne se reproduise dans un autre. Instruisons nos frères, et ils seront bientôt républicains comme nous; d'ailleurs nous ne devons pas vous taire qu'on demande partout l'instruction publique, et nous nous joignons à ce voeu général pour que vous engagiez la Convention à la faire marcher de front avec la Constitution »3 (Gar1.
(Gar1. une des grandes colères du Père Duchesne de voir que l'instruction publique ne va que d'une aile, et qu'il existe des accapareurs d'esprit qui ne veulent pas que le peuple soit instruit, afin que les gueux continuent de porter la besace. Voir ses bons avis à toutes les sociétés populaires pour qu'elles donnent le grand coup de collier à l'instruction des sans-culoltes, afin d'écraser une bonne fois le fanatisme et la tyrannie (Hatin, Hist. de la Presse. t. VI, p. 522).
2. Amar, Merlins, de Vienne, 9 mai 1793, dans Aulard, Act. du Com. S. P., t. IV, p. 78. Cf. « On n'entend que ce cri : Et l'instruction publique? Quand s'occupera-t-on de l'instruction publique?» (Cailhava, Rapp. sur la région de Toulouse, juin 1793, dans Caron, Rapports, t. I, p. 133).
3. Cf. Romme, 18 frim. an II, dans Guill., o. c. Conv., t. III, p. 93.
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ON RÉCLAME UNE « INSTRUCTION PUBLIQUE » 139
nier, Trullard, de Mazade, de La Rochelle, 4 juin 1793, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. IV, p. 445).
Une autre lettre du jour suivant dira : « Demain j'installerai provisoirement les instituteurs et institutrices des écoles primaires. Je suis informé que ces établissements plaisent ici beaucoup à la classe indigente du peuple ; c'est vainement qu'on aurait consacré le principe de l'égalité des droits, si tous les citoyens ne pouvaient acquérir indistinctement les mêmes connaissances. Si les Assemblées constituante et législative, et même la Convention nationale, n'eussent pas toujours différé d'organiser l'instruction publique, le peuple serait plus avancé qu'il ne l'est aujourd'hui et la révolution des préjugés religieux serait absolument terminée »1.
Les sans-culottes espéraient du « progrès des lumières » un affermissement du régime et une large diffusion de leurs idées dont l'avenir ne pouvait être assuré qu'à ce prix; les familles, elles, s'effrayaient de voir leurs enfants grandir à l'abandon et dans une complète ignorance. Celles qui jadis payaient des précepteurs n'en trouvaient plus. Les autres, surtout celles de la petite bourgeoisie des villes, effrayées de voir les écoles se fermer une à une n'étaient pas moins ardentes à réclamer l'accomplissement de promesses cent fois renouvelées.
1. Roux-Fazillac au Com. S. P., 19 frim. an II (9 déc. 1793) de Périgueux ; dans Aul., Act. du Com. S. P., t. IX, p. 292 ; cf. Id., Ib., p. 479, 614, etc.
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CHAPITRE III LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE
CONFUSION. — Jamais peut-être on ne vit pareil tohu-bohu de propositions et de tendances. Le devoir de l'État, ses droits, la liberté des pères de choisir pour leurs enfants une formation à leur gré, l'utilité de cette formation, les services que rendent à un peuple les sciences et les arts, la haute culture et la plus humble, les dangers auxquels ils l'exposent, la nécessité d'avoir des hommes capables de donner l'enseignement, la menace que l'existence d'une aristocratie savante fait peser sur un peuple d'égaux, la possibilité de créer si vaste machine et d'en payer les frais, tout fut examiné, soutenu, contesté. Les organisations les plus tyranniques et les plus folles furent imaginées et soutenues pendant que des sceptiques, non seulement soufflaient sur les bulles de savon et les crevaient une à une, mais opposaient leurs argumentations à des conceptions fort défendables et qui ont été appliquées depuis. Pourtant, jusqu'au début de l'an II, on débattit moins sur les grands principes que sur des projets présentant quelque possibilité d'être exécutés.
Dans presque tous les systèmes l'enseignement du français avait sa place marquée. La jeunesse, en apprenant à lire et à écrire, recevra les premières notions grammaticales de notre langue, disait Romme 1.
Chez Joseph Serre, ce représentant des Hautes-Alpes, qui connaît la situation linguistique de son département, les recommandations au sujet de la propagation nécessaire de la langue prennent une forme impérative : Art. 5. On leur apprendra (aux enfants) à lire, à écrire, les règles de l'arithmétique... les principes de la langue française.
Art. 6. L'enseignement se fera en français dans toute l'étendue de la République2.
1. Rapp. du 20 déc. 1792, dans Guill., o. c, Conv., t. I, p. 209.
2. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 288 (déc. 1792, impr. en juin 1793)
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LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE 141
Le projet d'éducation par les fêtes, proposé par Rabaud St-Etienne, implique de même que les enfants- auront appris le français, puisque « Tout enfant de dix ans sera tenu de savoir par coeur la déclaration des droits et celle des devoirs, et les principales hymnes civiles» 1.
Un projet adopté le 28 mai 1793, portait :
1er Degré (Écoles primaires). — Langue française.
Parler,
Lire,
Écrire.
2e Degré (Écoles secondaires). — Éléments de la grammaire française.
3e Degré (Instituts). — Grammaire générale,
— française.
4e Degré (Lycées). — Grammaire générale et langue française.
LES DÉBATS DE JUILLET 1793. — Dans la grande séance du 2, Lequinio exposa ses idées. Il ne manqua pas d'insister sur les moyens d'effacer les préjugés des habitants des campagnes contre ceux des villes, et les préjugés contraires. Il espérait en particulier que les patois en recevraient une atteinte mortelle (V. p. 198) 2.
Le projet présenté le 3 par Ch. Duval disait (art. 32): « Les instituteurs et les institutrices seront chargés d'enseigner l'art de lire la prose et les vers français, les principes de l'écriture à la main... les règles de la langue nationale » 3.
Le projet de Delacroix dans sa section IV, art. 3, stipulait: « Il sera composé, dans le plus bref délai possible, des livres élémentaires qui auront pour objet... 3° l'art de parler et d'écrire correctement la langue française » 4.
Le projet de Léonard Bourdon portait (titre II, art. 4) « [Dans les écoles communales] on enseigne la lecture, l'écriture... la langue française »5.
Dupont, des Hautes-Pyrénées, reconnaissait expressément, lui aussi, les droits de la langue nationale (art. 11): « La République
1. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 234.
2. Id., ib., t. I, p. 328; cf. p. 547, 318.
3. Id., ib., t. I, p. 641.
4. Id., ib., t. II, p. 99. Cette disposition ne s'appliquait qu'à renseignement des garçons.
5. Id., 16., t. II, p. 120. Il est remarquable au contraire que Hentz, de la Moselle, ne souffle pas mot de cet enseignement particulier ; toutefois ses sentiments se sont marqués à une autre occasion.
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142 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
étant une et indivisible, l'éducation se fera dans la langue française, commune à la grande majorité des citoyens »1.
INTERVENTION DE GRÉGOIRE. — Le 30 juillet, ce fut le tour de Grégoire de s'affirmer. Il montra les parents réunis aux enfants, pendant les longues soirées d'hiver, l'instruction devenue chère, même aux gens d'âge mûr, et le langage général s'en ressentant : « Les connaissances utiles, comme une douce rosée, se répandront sur toute la masse des individus qui composent la nation ; ainsi disparaîtront insensiblement les jargons locaux, les patois de six millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale. Car, je ne puis trop le répéter, il est plus important qu'on ne pense en politique d'extirper cette diversité d'idiomes grossiers, qui prolongent l'enfance de la raison et la vieillesse des préjugés » 5.
Grégoire a ajouté aussi une note aux Idées de Deleyre. La voici: « Lavater a fait un recueil de chansons patriotiques en allemand, dans lesquelles il célèbre les fondateurs de la liberté helvétique, et les événemens célèbres qui ont illustré la révolution des Suisses. Je les ai oui chanter clans les vallées de leur pays... Il seroit bien intéressant qu'aux chansons plates et indécentes de nos campagnes, on substituât des couplets qui feroient chérir les vertus du patriotisme, et fortifieroient l'horreur de la tyrannie avec celle du. vice. Ce seroit un moyen de plus d'anéantir la plupart de nos patois. J'ai engagé plusieurs de nos poetes à s'occuper de cet objet important, entr'autres les citoyens Champfort, Chénier, François Neufchâteau, etc. » (Idées sur l'éducn nationle, p. 35).
DAUNOU. — Daunou allait plus loin. Son projet d'une loi sur l'Instruction publique entrait dans le détail des moyens à prendre pour favoriser la langue, et proposait une réforme de l'Orthographe 3.
Après avoir préconisé une transformation de l'enseignement de la lecture par une épellation rationnelle, en homme du métier, l'ex-oratorien abordait les questions techniques de l'écriture et de la grammaire. Il se rendait compte en effet de l'influence néfaste de l'orthographe qui paralyse toute la première éducation, et des défauts de la grammaire telle qu'on l'enseignait d'ordinaire, qui compromettait les résultats que cette discipline eût pu exercer sur le développement de la pensée 1.
1. Guill, o. c. Conv., t. I, p. 674. Guillaume place cette brochure sans date en juillet 1 793.
2. Id., ib., t. II, p. 177.
3. Id., ib., t. I, p. 394.
4. « J'invoque donc une réforme d'un plus grand caractère que celles qui ont été introduites jusqu'ici dans l' enseignement de la lecture, disait-il. Je réclame, comme un moyen de raison publique, le changement de l'orthographe nationale, et je ne crois pas
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LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE 143
MICHEL EDME PETIT. — Michel Edme Petit n'opposa pas aux propositions d'enseigner la langue nationale sa causticité ordinaire. Il est vrai qu'il n'en dit rien dans son « Opinion », mais dans le Catéchisme républicain, il recommande de n'employer que des mots de la langue française, les phrases et les tournures les plus généralement usitées dans la République, et cela veut dire évidemment que cette langue
cette proposition indigne d'être adressée à des législateurs qui compteront pour quelque chose le progrès, ou plutôt, si je puis m'exprimer ainsi, la santé de l'esprit humain. Il n'est point question ici de quelques corrections partielles semblables à celles que l'on a tentées, et qui ne sont bien souvent que de nouvelles manières de contrarier la nature. Je demande la restauration de tout le système orthographique, et que, d'après l'analyse exacte des sons divers dont notre idiome se compose, l'on institue entre ces sons et les caractères de l'écriture une corrélation si précise et si constante, que les uns et les autres devenant égaux en nombre, jamais un même son ne soit désigné par deux différents caractères, ni un même caractère applicable à deux sons différents. Celte analyse des sons de notre idiome, la philosophie l'a déjà faite ou l'a du moins fort avancée : cette correspondance invariable entre la langue parlée et la langue écrite, il ne faut plus que la vouloir pour l'établir avec succès. Nous ne pouvons pas désirer, pour cette réforme importante, une plus favorable époque que celle où les préjugés se taisent, où les habitudes s'ébranlent, où l'on travaille enfin à régénérer l'instruction.
« Je crois n'avoir point à combattre aujourd'hui la plupart des objections que le projet de cette réforme a dû essuyer en d'autres temps ; je n'en préviendrai qu'une seule.
« On suppose qu'un tel changement dans l'orthographe doit entraver ou abolir l'usage des livres écrits selon la méthode ordinaire, ou du moins que la lecture de ces livres deviendrait presque inaccessible aux enfants accoutumés à un autre système graphique.
K Il ne s'agit, pour dissiper cette objection, que de bien expliquer ce que je propose. Assurément, je ne demande point que l'on n'imprime plus aucun livre avec notre orthographe actuelle, ni même que les lois soient écrites avec l'orthographe philosophique que j'ai indiquée. Les livres classiques que les enfants auront entre les mains dans les écoles nationales, sont les seuls que j'aie ici en vue. A l'égard de tous les autres, il faut laisser agir le temps, la liberté et la raison.
« La question se réduit donc à ce seul point : Est-il vrai que des enfants instruits selon la méthode que je conseille ne pourraient plus faire aucun usage des livres imprimés avec l'orthographe commune ?
« Je vous fais à mon tour une question. Lorsque, dans la méthode actuelle, un enfant sait bien lire le français, combien de temps lui faut-il pour se mettre au fait des caractères grecs et pour apprendre à les lire? Deux jours, ou quinze, si vous le voulez. Eh bien ! il n'en faudra pas davantage pour qu'à la fin de leur éducation commune, à l'âge d'environ douze ans, vous donniez de même à vos élèves la clef de votre orthographe vulgaire, et que vous les mettiez en état de lire avec facilité des livres dont jusqu'alors ils auront fort bien pu se passer. Vous sentez qu'à cet âge votre système usuel de lecture pourra leur être enseigné sans péril, et que des esprits sains, pénétrants, actifs, n'y verront qu'une convention bizarre qu'ils apprendront comme un fait, et qu'ils ne recevront pas comme une doctrine.
« J'observe, en terminant cette discussion, que la réforme de l'orthographe et le perfectionnement de la grammaire rattacheront bientôt à l'éducation intellectuelle de l'enfance beaucoup de connaissances précieuses qui en sont retranchées aujourd'hui, beaucoup d'habitudes excellentes qui en sont proscrites. J'ignore si, au milieu des sciences humaines, il en est une seule qui l'emporte en utilité et en intérêt sur l'analyse des sensations, des idées et des signes ; et si parmi toutes les méthodes de penser, il en est de plus salutaires que celle qui consiste à reporter chaque conception à son origine, et à combler l'intervalle entre les systèmes et les sensations. Or tels seraient les infaillibles fruits d'un bon enseignement grammatical, et c'est ainsi qu'en apprenant à parler et à lire, vos élèves s'élèveraient sans difficultés, et presque d'eux-mêmes à la théorie la plus claire et à la pratique la plus sûre de la pensée. L'on prend aujourd'hui bien plus de peine pour égarer l'esprit humain et pour l'empêcher d'être sage, qu'il n'en faudrait pour cultiver ses facultés et en seconder les progrès » (Guill., o. c, Conv., t. I, p. 594-595).
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144 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
devra être connue des enfants 1. Il prévoit d'autre part que ce langage, une fois mis en usage par le gouvernement, perfectionnera la langue républicaine 2.
DELEYRE. — Deleyre, député de la Gironde, faisait partie du groupe des gens qui, non seulement étaient attachés au français, mais qui avaient souci de le garder dans sa pureté. Reprenant et développant à cet effet une idée des Frères, il suggérait d'entrechanger les instituteurs des diverses régions : « Parmi les instituteurs, il faudroit en choisir pour la langue française, de ceux qui la parlent bien, d'un accent pur, élevés quelque temps à Paris ou dans les départemens limitrophes. Les défauts de prononciation ou de langue, comme ceux du corps, influent sur l'éducation des enfans, ou parce qu'ils les imitent, ou parce qu'ils les contrefont. Ils s'habituent à répéter par vénération ce qu'ils estiment, ou par malignité ce qu'ils méprisent. Un des moyens les plus sûrs de répandre dans toute la République la pureté de la langue française, tant pour la diction que pour la prononciation, ce serait d'envoyer les enfants du Midi dans les gymnases du Nord où l'on parle le mieux, et les enfants du Nord dans les gymnases du Midi, pour y porter le bon usage de notre langue.
« Mais s'il faut éviter en général d'avoir pour maîtres de langue française des Gascons ou d'autres méridionaux, peut-être devroit-on prendre parmi ceux-ci des instituteurs pour la langue latine, dont il est important de cultiver... le bon goût, ne fût-ce que par amour de la liberté. Nos naturels de la Provence et du Languedoc prononcent mieux le latin que les autres Français, parce que leur idiome maternel en approche davantage » 3.
WANDELAINCOURT. — Dans sa brochure sur l'instruction publique, Wandelaincourt, député de la Haute-Marne, étudie minutieusement les méthodes à employer' dans l'éducation de la première enfance. Ses idées principales sur le rôle à donner au français sont les suivantes : « L'étude des langues est particulièrement appropriée à l'enfance. On la rend facile et agréable en étudiant les principes de la langue française d'abord, et en se servant d'un livre qui traite des arts et des sciences, au lieu de phrases décousues et vides ». Le français s'impose « parce qu'il est plus nécessaire que nous la par1
par1 du 1er oct. 1793, art. 16 du proj. de Décret, dans Guill., o c., Conv., t. II, p. 557.
2. Ib.. p. 360.
3 Idées sur l'éduc. nat., p. 41-45 Cf. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 667-668.
4. I. N, p. 357. Cf. Tourn., III, 17004. Voir Art. II, p. 5 et suiv.
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LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE 145
lions [cette langue] plus correctement qu'une autre ; parce qu'elle suit presque toujours la génération et l'ordre des idées... parce qu'enfin elle sert mieux à faire entendre les autres langues. Notre langue aura donc la préférence, mais ce ne sera que pour les principes et l'explication des règles du langage ».
Les principes sont nécessaires « parce que les règles sont autant de cases destinées à recevoir une espèce particulière de mots, et autant de numéros propres à marquer les rapports que chaque terme doit indiquer dans une phrase ; parce que cette pratique bien entendue seconde merveilleusement la mémoire, rend l'esprit juste, accoutume les jeunes gens à faire usage de leur raison, à remarquer, à combiner ».
Le travail fait sur une langue suffira pour une autre, s'il y a analogie, et si cette analogie n'existe pas, les contraires s'expliquent par les contraires.
Montrer que le latin a des cas, et que le français, n'en ayant point, rend les rapports par le moyen de certaines prépositions, c'est s'obliger à remarquer les divers sens des prépositions d'origine latine, comme à ou de, mais dont les emplois se sont étendus et peuvent être montrés au moyen de petites questions.
Une fois sur ce chemin, Wandelaincourt pousse jusqu'à l'esquisse d'une grammaire française, formée d'après les principes et les vues qu'il vient d'indiquer. Nous ne pouvons le suivre dans les développements qu'il consacre à ce sujet non plus que dans ses essais sur l'art d'écrire et de lire, où foisonnent les idées, dont quelques-unes d'une grande justesse 1.
Il m'a paru utile de signaler cet accord ; il est significatif. Les législateurs vont donc mettre la langue nationale partout au centre du premier enseignement. Cela était nouveau et essentiel.
DANS L'OPINION PUBLIQUE. — Semblables intentions répondaient plus que jamais au voeu général. Cependant, si l'ensemble du pays se prononçait en ce sens, il y avait encore des villes et même des départements où on continuait à désirer que l'école se fit dans l'idiome du pays, et que le français fût considéré comme un luxe réservé. C'était le cas dans presque toute l'Alsace, et aussi dans le Nord, par exemple à Bergues, où des patriotes, ou soi-disant tels, ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir que l'unification nationale était à ce
1. Des Suites forment de véritables manuels. Le premier concerne la lecture, l'écriture et la grammaire; vient après une histoire naturelle en 260 pages, puis une étude des Arts en 94 pages, une physique sommaire en 30 pages et un Art de penser en 20 pages.
Histoire de la langue française. IX. 10
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146 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
prix, et qu'il était nécessaire d'y préparer les nouvelles générations 1. Esprit particulariste? je ne sais. J'inclinerais plutôt à croire qu'on espérait surtout épargner de la peine aux enfants et les voir s'assurer plus facilement et plus vite les connaissances indispensables.
Chez Cambry, la protestation en faveur du breton s'inspire d'une curiosité d'érudit; et elle ne va pas du reste jusqu'à l'opposition à une diffusion nécessaire de la langue nationale 2.
1. On eût voulu à Bergues que l'étude du français fût retardée et commençât avec celle des sciences. Et la réclamation en ce sens, datée de décembre 1792, était l'oeuvre de Lorins, un Berguois, Président de la Société des Amis de la Constitution ! (Peter, L'enseign. sec. dans le dép. du Nord., p. 76).
2. Cambry ne croit pas tout à fait, avec les Bretons, que leur langue soit supérieure à toutes les langues de l'univers (Voy. dans le Finist., 1, p. 53), mais il l'admire profondément, la présente, l'étudie (Ib., I, p. 24 et 49). Il veut bien accorder qu'elle servait à " maintenir un état d'asservissement capable de comprimer le caractère des habitants » (Ib., p. 49), mais s'indigne de la voir écorcher (Ib., p. 18) et s'écrie : « Il est barbare de négliger, d'anéantir la langue des bretons, des celles, la plus vieille médaille de l'ancien monde. Déterrez le Brigant, que l'ignorance a dédaigné; tirez-le de l'affreuse misère où le gouvernement des rois l'abandonna... et quand il serait vrai que ses aperçus fussent des chimères... leur bizarrerie, leur sublimité devrait les faire conserver» (Ib., p. 82).
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CHAPITRE IV LA LOI DE VENDÉMIAIRE
Le 30 vendémiaire an II (21 octobre 1793), un décret institua des écoles primaires d'État. Il disait : « On forme les enfants aux exercices du corps, à soulager dans leurs travaux domestiques et champêtres les vieillards, les pères de famille, les veuves, les orphelins qui auront besoin de secours ainsi qu'à travailler pour le soldat de la patrie qui quitte ses foyers, ses champs, son atelier pour la défense commune. Ils apprennent à parler, lire et écrire la langue française. On leur fait connaître les traits de vertu qui honorent le plus les hommes libres, et particulièrement les traits de la Révolution française les plus propres à leur élever l'âme et à les rendre dignes de la liberté et de l'égalité. Ils acquièrent quelques notions géographiques de la France. La connaissance des droits et des devoirs de l'homme et du citoyen est mise à leur portée par des exemples et par leur propre expérience. Ils s'exercent à l'usage des nombres, du compas, du niveau, des poids et mesures, du levier, de la poulie, et de la mesure du temps. On les rend souvent témoins des travaux champêtres et de ceux des ateliers; ils y prennent part autant que leur âge le permet1 ».
Ce programme était exagérément ambitieux à coup sûr, mais il ne mérite pas les sarcasmes, car il était plein d'idéalisme et débordait d'esprit de solidarité ; l'on y sent l'inspiration d'une pédagogie instinctive mais supérieure, qui combine les soins du corps et ceux de l'esprit, la gymnastique et la morale 2; il mêle l'expérience à l'enseignement, recommande d'adapter, de simplifier 3.
1. Guill., o. c, Conv., t. II, p. 679.
2. Ce souci de former les âmes, qui parait si absurde aux censeurs dans l'École d'Etat et si naturel dans l'École d'Église, inspirait depuis longtemps les idéalistes : « Il faut désormais que ceux qui seront à la tête de ces écoles soient des instituteurs de morale, disait Barruel, qu'ils en prennent le titre en même tems qu'ils en rempliront les fonctions, et qu'ils ne soient plus connus sous cette dénomination de maîtres d'école, si avilissante que nous sommes parvenus à en faire une espèce d'injure » (Plan d'éduc. p. 81). Cf. « Ils demandent un officier de morale pour les instruire, et l'éducation nationale pour former leurs enfants à la connaissance de leurs droits et à l'amour de la patrie». (Le représ. à Brest et Cherb., 24 frim. an II (14 déc. 1793), dans Aul., Act. du Com. S. P., t. IX, p. 402).
3. Cf. Allain, L'OEuv. scol. de la Révol., p. 46.
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148 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Pour nous, nous y remarquerons la place éminente qu'y occupe l'enseignement de la langue. C'est un des seuls dont il soit fait mention expresse. On a foi dans la vertu éducatrice de la pensée française; la langue est le produit de l'esprit national, mais, en retour, elle contribue à le former dans sa liberté et sa puissance 1.
Le 5 brumaire, le Comité, par l'organe de Romme, proposa des articles additionnels; le 6e et le 7e sont importants. Ils répètent l'article Ier du projet Arbogast-Lanthenas : « L'enseignement public est partout dirigé de manière qu'un de ses premiers bienfaits soit que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République.
Dans toutes les parties de la République, l'instruction ne se fait qu'en langue française » (Guill., o. c, Conv., t. II, p. 689).
Le double principe était posé en quelques lignes : on enseignait en français et on enseignait le français. L'école, devenue institution d'État, était chargée d'un service essentiel, d'ordre politique.
1. " Les lycées répondent aux universités... En répandant notre langue et nos principes, ils étendront nos conquêtes, les seules dignes de nous, celles qui affranchissent l'homme des erreurs et des préjugés » (Romme, Rapp. de vendém. an II dans Hippeau, o. c, p. 325).
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CHAPITRE V REVISION DE LA LOI. — UN NOUVEAU SYSTÈME
On signale quelques mesures prises presque tout de suite, pour appliquer le décret; ainsi à Strasbourg on décida l'organisation du cours de langue française 1. Mais déjà Coupé, de l'Oise, avait obtenu de la Convention un vote qui remettait tout en question (14 brumaire) 2. Le Comité fut chargé le 19 d'une revision. Le 24, il était déjà en mesure de présenter ses propositions. Elles maintenaient les articles concernant l'enseignement de la langue française, et en outre la disposition essentielle : L'enseignement se fait partout en langue française (art. 7) 3.
La discussion commença en frimaire. Bouquier soutint inopinément un contre-projet qui emporta l'adhésion d'une partie du Comité, des Jacobins et de la presque unanimité de la Convention. L'enseignement était déclaré « libre ». Dans la section III, qui traite du « premier degré d'instruction », il était bien question de lecture et d'écriture ; aucune mention expresse de la langue n'était conservée. Plus d'obligation pour les parents, un programme abandonné en fait à la bonne volonté des citoyens et citoyennes. On n'était plus tenu qu'à employer les livres élémentaires adoptés par la représentation nationale.
Le Comité partagé décida de présenter à la fois son Plan de révision et le projet Bouquier. Le 18 frimaire, la Convention en délibéra. La priorité fut accordée au projet Bouquier, qui finit par l'emporter, avec des modifications. Le 29, les trois premières sections étaient votées et devaient être promulguées avant qu'on discutât le reste. C'est sous ce régime d'abandon que la République de l'an II allait vivre. Pendant que par un effort héroïque elle sauvait ses principes, elle renonçait à les vulgariser par l'école.
1. 12 frim. an II (2 déc. 1793). Délib. du corps munic, V, 1373, dans Reuss, Notes inst. prim., p. 113.
2. Voir Guill., o. c., Conv., t. III, p. XV.
3. Id., ib., t. II, p. 850.
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CHAPITRE VI LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES
ORIGINE DE L'IDÉE. — L'idée de livres élémentaires uniformes et imposés par l'autorité n'est nullement un produit de l'esprit jacobin. Divers théoriciens l'avaient présentée sous l'Ancien Régime, ainsi La Chalotais 1, l'abbé Coyer 2, d'Holbach 3. Les physiocrates l'avaient adoptée*.
Elle se retrouve dans les Cahiers5. Rien d'étonnant donc à ce qu'elle se soit généralisée dès qu'il fut question d'avoir une instruction publique uniforme et uniformément répandue dans tout l'empire. Elle fut reprise dans les principaux plans publiés de 1789 à 1792 : « L'Assemblée et tous les citoyens, dit Dom Ferlus, doivent être sur-tout généreux pour encourager la composition des livres élémentaires qu'on mettra entre les mains des jeunes citoyens... » Une phrase de l'éminent bénédictin suffira à indiquer l'importance qu'il attache à la rédaction de ces manuels : « Ce seront, dit-il, vraiment les livres de la Nation, le plus beau présent que le génie puisse faire à l'humanité » 6. C'est aussi sur ces livres que repose l'espoir principal de Barruel. Ils sont l'essentiel de son Plan 7.
1. « Que ne pourroit-on pas apprendre en dix ans, si l'on étoit bien conduit, et que l'on eût de bons Livres élémentaires.
« S. M. pourroit faire composer des livres classiques élémentaires, où l'instruction seroit toute faite relativement à l'âge et à la portée des enfans depuis 6 ou 7 ans jusqu'à 17 ou 18 » (Essai d'éduc. nat., Post-script., p. 131-152 ; Cf. Compte-rendu des Constitutions des Jésuites, 1762, p. 242 et Second compte-rendu, p. 122-123).
2. « Lorsqu'on aura la famille des livres Elementaires, il faudra leur donner la sanction publique » (Plan d'éduc, p. 274).
3. Ethocratie, th. x.
4. Turgot, OEuv.. t. IV, p. 580.
5. Allain, La quest. d'enseig., Index, n° 6.
6. Proj. d'éduc. nat. p. 13 et 16.
7. Voir Art. X : « Ce que dit d'Alembert des éléments de géométrie, peut convenir aux livres élémentaires en général... les Descartes, les Newton, les Leibnitz n'eussent pas été de trop pour les bien exécuter... On no parviendra à un résultat satisfaisant que si nos législateurs, après avoir décrété les grandes bases de l'éducation en général, convoquent ensuite une législature académique, dont le premier soin sera d'arrêter un plan d'études propre à tous les départemens, d'en fixer tous les détails, soit pour les petites, soit pour les grandes écoles, de faire un réglement pour chacune d'elles, de déterminer enfin tous les livres élémentaires qui doivent être destinés à former un cours complet de doctrine. On commencera par le code des mères et l'a. b. c. » (p. 163-170). « A défaut de savans distingués qui veuillent se charger du premier
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LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES 151
La nécessité de ces ouvrages est également si bien démontrée aux yeux de Lacépède, que l'illustre savant ne croit pas nécessaire d'y insister : « Je n'ai pas besoin d'ajouter que des livres élémentaires sur tous les objets de l'instruction gratuite, seront à différentes époques, composés par ordre des Représentans de la Nation, et distribués dans les différens collèges ou aux différens professeurs isolés »1.
Condorcet inséra tout naturellement l'idée dans son Projet : « Dans les écoles primaires et secondaires, les livres élémentaires seront le résultat d'un concours ouvert à tous les citoyens, à tous les hommes qui seront jaloux de contribuer à l'instruction publique; mais on désignera les auteurs des livres élémentaires pour les instituts » 2.
INSTITUTION D'UN CONCOURS. — La Convention devait saisir pareil moyen d'assurer l'unité des esprits. Dès la 4e séance, on en parla au Comité d'Instruction publique 3. Le projet de Lanthenas y faisait une première allusion : « De bons livres élémentaires pour les écoles, et des instructions sages pour les instituteurs, aideront infiniment les hommes même les plus habiles » 4. A peu près vers la même époque, Arbogast y insista : « Le défaut, ou la disette des ouvrages élémentaires, a été jusqu'à présent un des plus grands obstacles qui s'opposaient au perfectionnement de l'instruction » 5.
Daunou, lui, n'acceptait le principe qu'avec des atténuations. Un livre unique l'effrayait. Il proposait d'adopter plusieurs livres classiques sur une même matière, afin que l'instituteur pût choisir 6.
Jean Bon Saint-André poussait plus loin la répugnance : « Je ne crois pas qu'il soit possible, déclare-t-il, de faire de bons livres
travail, on ouvrira un concours » (p. 171). « A mesure qu'on devra réimprimer, tous les collèges seront prévenus. Professeurs, instituteurs, savants soumettront leurs observations » (p. 172). « Le corps académique ira jusqu'à fixer, par des numéros, ce qui fera la matière de chaque leçon » (p. 176). « Il établira les prix, qui seront très bas » (p. 179).
Des réglements aussi minutieux régleront les livres classiques (art. XI et suiv.).
Jamais hiérarchie de manuels plus étroite et plus complète n'avait sans doute été conçue.
1. Vues sur l'enseig., p. 31.
2. Rapp., dans Guill., o. c., p. 211-212. Cf. Proj. de décret, titre II, art. 5.
3. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 9-12.
4. Dans Hippeau, o. c., p. 296. Cf. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 84.
5. Derniers jours de 1792. Disc. d'Arbogast, dans Hippeau, o. c., Déb. lég., 47. Cf. Guill., o. c, Conv. t. I, p. 94. Se reporter aussi à l'opinion de Lequinio (Id., ib., p. 554, 575).
6. Ess. s. l'I. P., p. 23.
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152 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
élémentaires pour les enfants » 1. Mais, ces voix isolées ne pouvaient arrêter l'exécution. Il importe de se rappeler, nous l'avons noté, que si le projet de Bouquier, si différent des autres, réduisait le nombre des Manuels, il ne les supprimait pas 2.
Un premier décret (13 juin 1793) resta sans effet 3. Le 9 pluviôse an II (28 janvier 1794) — la date est à noter —, la Convention adopta les conclusions d'un rapport du Comité d'Instruction publique 4, rédigé sous l'inspiration de Grégoire.
LA GRAMMAIRE NATIONALE. — Parmi les manuels élémentaires à composer se trouvait naturellement des Notions de Grammaire française; c'était le n° 4. La Chalotais en avait déjà montré la nécessité".
On répondait par là aux voeux de plus en plus pressants des « instituteurs ». De toutes parts ils réclamaient des Manuels, et depuis longtemps. Il ne faut pas s'y tromper, bien entendu. Ce qui manquait surtout aux maîtres, anciens et nouveaux, c'était les manuels de civisme, les catéchismes républicains, tout ce qui devait former le premier enseignement moral des enfants, et dont aucun spécimen antérieur à la Révolution ne pouvait exister 6. Cependant il arrivait aussi qu'on demandât des grammaires 7. Il se trouvait même des exaltés qui eussent remplacé volontiers le catéchisme par un livre de conjugaisons 8.
Toute une série d'ouvrages furent envoyés dès cette époque ou à la Convention, ou à son Comité. L'appel avait été entendu 9.
1. Hippeau, o. c, Déb. lég., p. 45.
2. Guill., o. c., Conv., t. III, p. 38.
3. Le 11 septembre 1793, des inspecteurs étaient envoyés par la Convention dans les départements pour examiner les livres élémentaires.
4. Guill., o. c., Conv., t. III, p. 292 et 371.
5. « Un Livre classique nécessaire seroit un recueil relatif à l'état actuel de notre Langue, extrait des Remarques de Vaugelas, de Bouhours, de Corneille, de Patru, de St-Evremond, et de tous ceux qui ont écrit sur la Langue, avec les raisons de leurs décisions » (Essai, p. 76).
6. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 116, 314, 321, 370, 541, 555, 792, etc. Cf. Arch. N., F17 1009B 2065.
7. Chemelat, « instituteur républicain », écrivait le 27 prairial an II (15 juin 1794) : A l'Ecole primaire il faut une grammaire française « composée et rédigée dans l'esprit d'une Administration populaire » (Arch. N., F 17 1310, doss. 5).
8. « Pour réussir dans l'éducation que je propose, il faut brûler généralement tous les livres qui parlent de dieu par superstition... que ces mêmes livres soient remplacés 1° par un alphabet ou syllabique fait avec précision ; 2° par les meilleurs livres élémentaires qui traitent de la langue française ; 3° et enfin par les meilleurs auteurs pour toutes les sciences généralement... Les enfans ne copieront que ceux (les livres) qu'ils étudieront, et les maîtres leur en interpréteront la prononciation, ils leur feront encore suivre la régularité de l'écriture; ils leur feront suivre les phrases, même les accens, les virgules et les points » (Mignard, Essai sur la Morale, p. 30 ; cf. p. 34).
9. Voici quelques indications. J'ai dû. souvent me borner au litre, les pièces n'étant pas faciles à retrouver. Livre des principes de la langue française (Guill., o. c, Conv.,
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LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES 153
Il convient de noter d'ailleurs que le Comité d'Instruction publique, préoccupé avant tout de l'avancement des connaissances, n'excluait nullement des écoles les ouvrages composés en idiome ou en patois. Le 7 messidor il renvoyait au concours trois ouvrages en langue allemande soumis par Simon et Jean Schweighaeuser (secrétaire interprète du Bas-Rhin) 1.
Le 18 messidor de l'an II (6 juillet 1794), le Jury du Concours fut nommé. Dès le lendemain il accordait à Blondin une gratification 2. On était à la veille de la Révolution de thermidor. Les travaux n'aboutirent pas, et le 18 fructidor une prorogation fut accordée. Les concurrents eurent jusqu'au 1er nivôse de l'an III pour produire leurs oeuvres 3.
t. III, p. 322) ; Midon, Essai de nouvelle orthographe (5 germ., 15 flor. an II) (Id., ib., t. IV, p. 311); Gargas, Projet de décret sur le perfectionnement de la grammaire (renvoyé au Concours, le 13 prair. an II) (Id., ib.. p. 517) ; Blondin, Précis de la langue française (renvoyé au Concours, le 15 prair. an II) (Id., ib., p. 532) ; Petits traités de grammaire (5 prair.) (Id., ib., p. 466); Bruand, de Besançon, Notions sur la grammaire (Id., ib.. p. 546) ; Notions élémentaires de la grammaire (21 prair.) (Id., ib., p. 613) ; Notions sur la langue française (Id., ib., p. 616) ; Cours de langue française à l'usage des écoles nationales par une société de gens de lettres (Id., ib., p. 748) ; Sollier, Observations sur la langue française (Id., ib., p. 650) ; Jussieu, Simplifier les règles et l'enseignement de la langue (Id., ib., p. 640); Méthode réduite aux règles les plus simples et justifiée par l'expérience pour apprendre à lire en très peu de temps... et la grammaire française (29 prair. an II) (Id., ib., p. 646) ; Eléments de la langue nationale ou Grammaire des sansculottes. Avec cette épigraphe : Ecrire et parler la langue nationale sont des connaissances indispensables a tout citoyen (Id., ib.) ; Chemin fils, Principes de la grammaire française (29 prair. an II) (Id., ib., p. 647); Diog. Coursiaux, Cours élémentaire de la langue française (1er mess, an II) (Id., ib., p. 663); Boinvilliers, Grammaire Nationale mise à la portée de tout le monde, enrichie d'un petit dictionnaire de mots nouveaux, introduits dans notre langue depuis la Constitution, par M. de Boinvilliers. auteur du Manuel des enfans, ouvrage propre à l'instruction des jeunes habitans de la campagne (Versailles, Bould de la Reine, n° 25).
1. Comment faut-il comprendre la phrase contenue dans la lettre d'envoi des auteurs : Vous avez déclaré qu'on ne doit pas se gêner sur la langue (Guillaume, o. c, Conv., t. IV, p. 698). Elle s'explique par une autre où les deux auteurs en appellent à Arbogast, qui « connaît l'idiome » dans lequel ils ont écrit (Ib.). Le 25 floréal, il avait reçu des mêmes l'alphabet allemand (Id., ib., p. 427). Le 19 floréal, il avait renvoyé à Grégoire une Syntaxe de l'idiome provençal (Id., ib., p. 373).
2. « Le Comité d'Instruction publique, après avoir examiné des élèves de Blondin, considérant l'utilité des travaux du citoyen Blondin pour faciliter l'étude de la langue de la liberté et d'autres langues modernes auxquelles sa méthode est applicable », lui accorde une gratification de 1500 livres (Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 763-764).
3. Id., ib., t. IV, p. 751, 735-756, 934.
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LIVRE II LA PROPAGANDE ET LES DIVERS LANGAGES
CHAPITRE PREMIER LA TRADUCTION DES DÉCRETS
La CONVENTION CONTINUE LA TRADITION DES PRÉCÉDENTES ASSEMBLÉES. — Au début, rien ne fut changé dans la politique pratiquée à l'égard des idiomes et des dialectes. « Pour donner à l' esprit public une impulsion accélérée, disait Roland, il faut multiplier les canaux d'instruction envers le peuple. Le huitième au moins des François n'en entend pas la langue; il faudroit donc traduire et nos Ioix et nos bons écrits, dans les différens dialectes de ces habitans »1.
D'autre part l'exécution du travail de traduction des décrets prescrits par la Constituante avait été lente et incomplète. C'était la condamnation des moyens employés; ce n'était pas la condamnation du principe. Quoique, au train dont allaient les choses, on risquât de traduire les lois après qu'elles seraient abrogées, la Convention n'abandonna pas l'espoir de se tenir en contact par ce moyen de fortune avec les populations et de leur permettre de la suivre et de la juger 2.
Dès sa réunion, l'assemblée s'occupa de cette affaire. Boldoni, professeur de langues étrangères au Lycée, offrait, le 20 septembre 1792,
1. Il propose de même l'unification du costume (Compte-rendu à la Convent. Nationale, p. 234).
2. Dejeon réclame de l'argent pour avoir traduit en italien la Marseillaise et la Révolution (une note dit qu'il n'a traduit que la Marseillaise). Lettre reçue le 5 juil. 1793, Arch. Aff. Étr., Fr., 323, f 276.
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156 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
de se charger de la traduction nécessaire des décrets en langue italienne pour la Corse. On le renvoya à l'Assemblée 1. Le 26, Simon sollicitait des instructions précises, et Danton lui indiquait de se borner aux décrets de la Convention, en laissant aux autorités d'Alsace le soin de continuer la version des décrets de la Législative 2. Il ne s'agissait pas de faire des compilations, mais d'aller au plus pressé et de suivre les événements.
Le 6 octobre 1792, Reubell présenta un de ses cousins, le citoyen Maas de Colmar, qui demandait à être employé au bureau de la traduction des lois dépendant du Ministère des Affaires Etrangères. Après avoir fait à Colmar, comme secrétaire-interprète au département du Haut-Rhin, toutes les traductions des lois de la première et de la seconde Assemblée, il ne servait plus à rien en Alsace, « puisque les loix devaient désormais être envoyées toutes traduites, et que dès lors sa collaboration devenait inutile au département » 3. Une demande analogue était présentée par Blaux, député de la Moselle, pour le cas où il s'agirait d'instituer définitivement un service de traduction régulière et systématique de toutes les lois, proclamations et adresses en allemand (19 octobre) 4.
INTERVENTION DE RÜHL ET DE DENTZEL. — Le 6 novembre, Rühl porta de nouveau les doléances de ses compatriotes à la tribune. Il protesta contre l'infidélité « pitoyable de la traduction qui se fait dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin par des traducteurs qui ne savent ni français ni allemand ». Il ajoutait que « d'un mal on était tombé dans un pire », car depuis longtemps on négligeait ce travail, et « les habitants des campagnes qui n'entendent pas le français ne savaient pas encore que la royauté était abolie en France » 5.
Léonard Bourdon approuva vivement cette intention de l'Assemblée de traduire en idiome étranger les décrets rendus, et le secrétaire Lanjuinais répondit que le bureau venait d'être saisi d'une lettre des rédacteurs-traducteurs en langues étrangères établis près de la Convention, s'offrant gratuitement pour faire ce travail. Barère fit observer qu'il existait déjà une loi à ce sujet et qu'il ne s'agissait que de la faire exécuter. Il demanda que le ministre de l'intérieur
1. Arch. N., AA. 32, doss. 2.
2. Ib.,
3. Ib., AA. 33.
4. Ib., Blaux proposait, pour éviter les frais, de faire imprimer sur place à Metz, Bitche, etc., ce qu'on aurait traduit à Strasbourg en « allemand familier », ce qui sera autrement utile que dos traductions en allemand « épuré », que le vulgaire ne comprend pas.
5. May, La lutte pour le fr. en Lorr., p. 17.
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LA TRADUCTION DES DÉCRETS 157
fût chargé de ce soin et d'en rendre compte sous trois jours. Reubell demanda en outre qu'il fût établi une commission qui aurait pour mission de suivre la traduction des lois dans les différents idiomes. Ces deux propositions furent adoptées 1.
Ce n'était pas seulement de l'Alsace qu'il s'agissait. « Il seroit à souhaiter que l'on s'occupât de faire traduire pour les Basques au moins les lois principales », écrivaient les commissaires en mission à Bayonne 2.
Le 7, Dentzel fit son rapport 3. Il y demandait le maintien du principe. Seuls, les habitants des villes connaissent les lois, « par des interprètes, qui, s'ils sont infidèles, les induisent en erreur au lieu de les éclairer ; et les campagnards, cette classe utile et précieuse, en est privée presque tout à fait. C'est de cette source dont je dérive.une grande partie des malheurs, dont le fanatisme et l'aristocratie se servoient pour agiter les citoyens... La lettre de vos commissaires dans les départemens des Pyrénées, ne vous prouve que trop la vérité dont je vous parle; vérité que je pourrois appuyer par mon expérience dans les départemens du Rhin: c'est-là où le fanatisme a encore ses torches allumées, où les lois des élections, et sociales, ayant été mal comprises et mal interprétées, ont produit des rixes continuelles et des illégalités sans nombre; c'est-là où un fort parti royaliste égare les esprits et fait la désolation des vrais Républicains.
« L'esprit du républicanisme se répand, et avec lui la cupidité de suivre la marche de vos travaux... c'est à vous à transmettre au peuple souverain le résultat de vos veilles, d'une manière intelligible... votre commission tache « de combiner la stabilité d'un pareil établissement avec l'économie nécessaire ». Il s'agit donc de traduire :
en italien, pour la Corse, le Mont-Blanc, et l'Italie elle-même, car « bientôt le brave Kellermann fera placer les Droits de l'homme au Capitole de Rome » ;
en castillan 4: « nos concitoyens des départemens des Pyrénées le parlent, et... quelle satisfaction de... donner un aliment à l'esprit qui anime déjà le peuple de l'Espagne et du Portugal ! » ;
en basque et en bas-breton. « Le Basque et le Bas-Breton sont les
1. Arch. Parlem., Ire sér., t. LIII, p. 205.
2. Com. de Sal. publ., Séance du 6 novembre, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. I, p. 226. Cf. la lettre du 25 (P) oct. 1792 dans Carnot, Corresp.. t. I, p. 238.
3. I.N., in-8°, 12 p. Cf. Un mot insidieusement traduit peut changer totalement le sens d'une loi... « Tôt ou tard nous verrions reparaître cette bizarre multiplicité de coutumes qui seraient au moins aussi nombreuses que les départements » (Chabot à Grég., Lett. à Grég., p. 73).
4. On confond, volontairement peut-être, catalan et castillan.
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138 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
seuls idiômes, dont l'effet de la traduction se bornera seulement aux habitans de la République » (sic)... Nos frères du Morbihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord, ne sont-ce pas ceux qui ont contribué à renverser le trône du despote ? » ;
en allemand : « Il y a non seulement 4 départemens de la République, qui parlent cette langue presque exclusivement du Français(sic), mais... il existe une grande portion de peuples Allemands, dont le territoire est occupé en ce moment par l'armée valeureuse de la République ». Ce peuple « est lassé de l'esclavage le plus vil de ses petits soi-disant souverains; ...bientôt vous le verrez paroître à votre barre, vous solliciter, au nom de l'humanité et de la liberté, la permission de former le 85e département... Cela n'est pas tout : vos décrets ainsi traduits en Allemand, vont parcourir et éclairer les États de François II, de Frédéric-Guillaume, une partie de la Suède, du Danemarck, de la Pologne, de la Hollande, et des électorats d'Hanovre, de Saxe, de Bavière, de Cologne, la Westphalie, et une grande quantité de petites principautés et de comtés...
« Il est indispensable de former cet établissement dans les départemens mêmes où ces différens idiômes sont usités... La cherté excessive du papier et la rareté des mains-d'oeuvre à Paris, les frais énormes de l'envoi, et la pureté de ces différens langages qui se trouvent aussi rarement à Paris, comme elle est abondante dans les départemens respectifs ; voilà des raisons plus que suffisantes qui vous détermineront d'accepter cette proposition » (p. 2-7).
Dentzel ajoutait : « Votre Commission ne pourroit pas s'arrêter aux différens patois, dont presque chaque département a le sien propre. Le citoyen Grégoire, membre de la Commission de traduction, se propose de vous soumettre un ouvrage concernant tous les patois de la République ».
Un projet de décret suivait. Les dispositions essentielles étaient les suivantes :
1. Les lois seront traduites en langue allemande, italienne, castillane, basque, et bas-bretonne.
2. La traduction et les impressions se feront dans les départemens.
3. Il y aura six chefs de traduction, que le ministre de la justice placera dans les départemens respectifs...
8. Les traducteurs seront sur la surveillance des directoires des départemens.
9. Le texte et la traduction imprimés... seront envoyés... par la voie des départemens aux districts, et par les districts aux municipalités (p. 9-10).
Le 7 novembre 1792, la Convention décréta qu'il serait nommé
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LA TRADUCTION DES DÉCRETS 159
une commission chargée d'accélérer la traduction. Elle chargea le ministre de la justice de rendre compte à cette commission des travaux qui ont dû être faits, et nomma commissaires Dentzel, Rühl, Reubell, Meillau, Cadoy, Grégoire et Léonard Bourdon. Ce n'était que la promesse d'une solution, quoique tous ces membres de l'Assemblée eussent déjà témoigné de l'intérêt qu'ils prenaient à la question.
LE DÉCRET ET L'OPINION. — Dès ce moment, il se trouva des gens pour penser qu'on avait tort de pactiser avec les jargons et qu'il fallait les extirper du sol national. On lit dans la Chronique de Paris du 10 novembre 1792, sous le titre Instruction publique : « Le Bas-Breton, le Basque, etc., sont des idiômes plus étrangers à la majorité des Français, que le chinois et le turc. Cette bigarrure dans le langage pouvait être tolérée sous l'ancienne division de la France en provinces, et dans un temps où l'ignorance du peuple avait un grand objet d'utilité pour le gouvernement, mais aujourd'hui, où loin de craindre les lumières, le premier intérêt de l'Etat est de les propager, il faut bannir du territoire de la république toute autre langue que celle que l'on parle à la Convention nationale. La multitude des idiômes et des paroles est un obstacle très puissant à la rapidité des communications. Beaucoup de Français n'entendent nos lois, que lorsqu'elles sont traduites en un informe langage. Comment connaîtraient-ils leurs droits s'ils ignorent la langue dans laquelle la Déclaration en est écrite ?
« On a rappelé à la Convention nationale l'existence d'une loi, qui ordonne la traduction des décrets en allemand, en patois, etc. Cette mesure est bonne pour le moment actuel ; mais il en est une qui doit entrer dans le plan d'instruction publique et en faire d'abord un article important : c'est la destruction absolue des idiômes et des patois.
« Les habitants des campagnes où il n'existe point de patois, parlent en général un français très-corrompu. Les auteurs, en les transportant sur la scène, leur ont conservé leur langage, ce qui les rend presque toujours ridicules, et donne sur eux une sorte d'avantage aux citadins. Ceci pouvait convenir, lorsque la féodalité maintenait ses paysans dans un état d'abjection nécessaire à ses intérêts : maintenant que la bure marche à côté de la soie, en attendant qu'elle ait le pas sur elle, un respectable habitant de la campagne, s'il énonce sur la scène une maxime raisonnable, ne doit pas le faire dans un langage niais, ridicule ou corrompu. Signé : Roussel ».
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160 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Le bruit fait autour de ces projets attira de nouvelles propositions 1. Il serait curieux de savoir quels furent les travaux de la commission. Mais j'avoue que les renseignements me font défaut 2. Le 13 novembre 1792, Dithurbide, offrant à Garat ses services pour la version en basque, déclarait qu'il lui semblait inutile qu'on s'occupât de versions en patois ; c'est la preuve que l'idée de ces versions n'était pas abandonnée 3. On devait s'en tenir aux idiomes. Peutêtre retrouverait-on la trace des essais tentés, soit dans les Archives du Ministère des Affaires Étrangères, soit dans les Archives de la Justice.
De Dunkerque, le 5 mai de l'an IV de la liberté, un imprimeur, Brassart, offrit de réimprimer en flamand les décrets de la Constituante et aussi ceux de la Législative, Quelque intéressé qu'on le suppose à une affaire qui devait coûter 30 000tt, les motifs qu'il allègue sont à reproduire : « Quand l'Assemblée nationale Constituante a decretté que les Lois qu'elle avoit faites seraient réimprimées dans tous les idiômes connûs en France, et quand l'Assemblée Législative actuelle a ordonné l'exécution de cet intéressant décret, l'une et l'autre savaient sans doutte que la langue flamande était plus familiere aux peuples de ce vaste departement ; que sa population est immense ; que l'éducation etant généralement negligée, pour ainsi dire nulle, et les congrégations religieuses infiniment plus multipliées qu'ailleurs, il devait en resulter que le nombre des fanatiques, des dupes et des malveuillans (sic) y était trés considérable.
« Ces assemblées se sont dit en outre que le departement du Nord longeant dans touttes ses parties la flandre autrichienne et autres provinces Belgiques, il y auroit entre nos prêtres et ceux de ces Provinces, une correspondance, des raports, une communication plus intime, l'événement n'a que trop justiffié ces douloureuses verités.
« De grands maux en sont résultés, de plus grands se fussent
1. Un juif, Moïse Ensheim, écrit de Metz à Grégoire (10 nov. an Ier) : « Je lus dernierement dans les papiers publics que la Convention nationale n'etait pas contente de la traduction des décrets en langue allemande. Comme j'ai passé ma jeunesse en alemagne je pense y avoir acquis de celte langue une connaissance suffisante pour la traduction dont il s'agit, n'y aurait-il pas moyen de m'employer dans cette affaire jusqu'à ce que je trouvasse un meilleur sort ? » (Grég. Corr. Moselle) Bibl. Soc. des Am. de P.-R. Moïse Ensheim a traduit les droits de l'homme en hébreu, « non sans difficulté, en raison des termes métaphysiques et moraux ».
2. Guillaume ne parle que vaguement de cette Commission, qui semble avoir été bientôt remplacée par une autre. Les traducteurs, dit l'un d'entre eux, Deltufo, devaient recevoir six mille livres, et les trois premiers mois devaient être payés le 1er janvier 1793, mais, avant cette époque, plusieurs membres partirent en mission et tout resta sans exécution (o. c, Conv., t. III, p. 211)
3. Arch. N., AA. 32, doss. 2.
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LA TRADUCTION DES DÉCRETS 161
produits, si le zele de quelques bons patriotes eclesiastiques, et l'activité soutenue des Gardes Nationales des deux villes de Lille et de Dunkerque n'en eussent prévénus (sic) ou arrêttés les progrés ; et ce progrés lui même eût eté d'autant plus rapide, qu'il a souvente fois eté veriffié que beaucoup de nos mauvais prêtres avoient traduits la plus part de nos décrêts, qu'ils en avoient tronquées ou envenimées les dispositions, et étaient ainsi parvenûs à rendre notre constitution odieuse non seulement aux gens de nos campagnes, mais encore a ceux des Belges et flamands nos voisins dont peut être il importe plus qu'on ne croit, de mériter l'estime et conserver lamitié »1. Une main impitoyable a écrit en réponse : Rien à faire.
Nous avons des preuves qu'en attendant une organisation centrale, on travaillait dans les départements aux traductions. Le 10 juillet 1793, les représentants à l'armée du Nord envoyaient une traduction de la Constitution en flamand que venait d'exécuter le citoyen Vanheeghe, administrateur du district de St-Omer 2.
Ehrmann, dans la Moselle, expliquait la Constitution dans les deux langues 3.
Duhalde avait traduit l'Acte Constitutionnel en idiome du pays [basque]. « Cette mesure était d'autant plus nécessaire, dit celui qui transmet cette nouvelle, que les aristocrates d'Ustaritz ont profité du contraire pour aigrir les citoyens... Vous devriez faire une adresse au peuple basque » 4.
De ce même pays basque, un envoyé, Régnier, écrivait à Roland, ministre de l'Intérieur (29 octobre 1792) : « Les Basques sont courageux, intrépides, parlant un langage qui n'a aucun rapport avec les langues connues ; cette langue n'est point écrite, quoique très facile à écrire; quelques livres de dévotion sont les seuls qu'il y ait en cet idiome. Les prêtres ont toute la confiance de ces peuples; aussi ont-ils abusé de leur ascendant. Les Basques sont tous fanatiques faute d'instruction ; il serait très essentiel et de toute nécessité, qu'on traduisit en langue basque plusieurs bons ouvrages sur la Révolution, pour éclairer ces hommes égarés. Je suis parvenu à rassembler un comité de traducteurs qui se feront un plaisir de traduire et coopérer avec moi à l'instruction de ces gens égarés; mais il faut que la République fasse les frais de l'impression. Je me suis rendu de Bayonne à St-Jean-de-Luz, Hendaye, Urrugne, avec
1. Arch N AA. 32 doss. 2.
2. Cambrai, 10 juill. 1793, dans Aulard, Act. du Com. S. P., t. V, p. 227.
3. Sept. 1793, dans Aul., Ib., t. VII, p. 159.
4. Fourcade à Garat, St-Pée, 24 juillet 1793, dans Caron, Rapp. des agents de l'Int., I, p. 387.
Histoire de la langue française. IX. 11
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162 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
les commissaires de la Convention, qui sont les citoyens Garvau, Carnot, Lamarque, et l'adjudant général Lacuée : tous sont convenus de la nécessité de cette dépense, qui ne peut que fructifier pour la République » 1.
NOUVELLES MESURES. — Le 20 juin 1793, le Comité de Salut public délibéra encore sur cet éternel sujet des traductions : « Considérant que le défaut d'instruction est la principale cause des égarements auxquels une partie du peuple se laisse entraîner dans quelques départements où la langue française n'est pas la seule langue vulgaire, qu'il importe que l'opinion de tous les citoyens soit éclairée au moment où ils vont tous être appelés à donner leurs suffrages sur le projet de l'acte constitutionnel, où les ennemis de la liberté redoublent leurs efforts pour diviser les esprits et faire perdre de vue l'intérêt général; Arrête que le ministre de l'intérieur est chargé d'établir incessamment un bureau de traduction, qui traduira en allemand, en italien, en bas-breton et en basque les lois, Bulletin de la Convention nationale, proclamations et autres pièces, dont l'envoi direct aux municipalités, dans l'une ou l'autre de ces langues sera jugé nécessaire, et que lesdites traductions seront imprimées et envoyées auxdites municipalités dans le moindre délai possible aprés leur publication;
« Arrête en outre que le ministre fera connaître au Comité le nombre des exemplaires à distribuer de chacune desdites traductions, à raison du nombre des communes, et néanmoins que le nombre des exemplaires de traduction italienne demeure dès à présent fixé à cinq cents pour le département de la Corse »2.
Le 27 juillet, le Comité modifie son plan primitif, non pour le réduire, mais pour le rendre plus sûrement efficace. Il arrête :
« 1° Le ministre de l'intérieur, au lieu de faire traduire en italien et imprimer dans la même langue toutes les lois, adresses, bulletins, pour les faire passer en Corse, ne fera traduire que les lois qui concernent directement la Corse et celles qui, étant susceptibles d'exécution dans ledit département, devront y être exécutées ainsi que dans toute la République.
« 2° Il fera rédiger un Bulletin en langue italienne, sous le nom de Bulletin national, qui sera divisé en six articles, ainsi qu'il suit : 1° Adresses. Cette adresse contiendra la nomenclature des endroits qui auront envoyé des adresses et adhésions à la Convention
1. Arch. N., H 1148. Communiqué par M. Caron
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. V, p. 24. Le 29, on le fixa à 600 (Id., Ib., p. 121).
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LA TRADUCTION DES DÉCRETS 163
nationale. 2° Correspondance des représentants du peuple près des armées. 3° Correspondance des généraux. Ces deux articles contiendront l'abrégé desdites correspondances. 4° Adresses des corps administratifs, Sociétés populaires, etc. Celui-ci contiendra l'abrégé desdites adresses. 5° Dons patriotiques et pétitions. Il indiquera la valeur, le nombre des dons et le genre de pétitions. 6° Décrets. Cet article enfin contiendra et en entier les décrets de la Convention qui concerneront la Corse en particulier, ainsi que ceux qui, communs à toute la République, pourront et devront être exécutés dans ledit département, et la simple nomenclature des autres. Au lieu de 600 exemplaires, il en enverra 1 200, dont 600 en placard et 600 en cahier, et invitera les maires de villages, etc. de les lire ou faire lire par les curés au peuple et de les conserver dans leurs archives. Et cette mesure aura lieu aussi pour la traduction allemande » 1.
Ce décret fut-il suivi d'exécution? C'est ce que des recherches ultérieures pourront seules établir. En tous cas, il est à noter que, dans le décret organique du 4 décembre 1793 (14 frimaire an II), on règle encore une foi la question des traductions 2.
1. Aul., Act. du Com. S. P., t. V, p. 392.
2. « La commission de l'envoi des lois réunira dans ses bureaux les traducteurs nécessaires pour traduire les décrets en différens idiomes encore usités en France, et en langues étrangères, pour les lois, discours, rapports et adresses dont la publicité dans les pays étrangers est utile aux intérêts de la liberté et de la République française : le texte français sera toujours placé à côté de la version. » Duvergier, VI, 317.
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CHAPITRE II LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES
LES PAYS A DIALECTE. — Les discussions, les publications et les discours continuaient d'être ce qu'ils avaient été depuis trois ans, c'est-à-dire en immense majorité français, dans la plupart des pays à dialectes. Personne ne s'attend à trouver ici ni une statistique impossible, ni des listes interminables d'ouvrages, de pamphlets et d'articles. Malgré les restrictions apportées à la liberté de la presse pendant la Terreur, les imprimés arrivaient sans cesse de Paris, des chefs-lieux de départements et de districts. Les imprimeries n'y suffisaient pas 1.
Parmi ce fatras d'imprimés, le nombre des plaquettes qu'on trouve en patois ou en idiome est démesurément petit. Cela se comprend. Les auxiliaires que la propagande aurait pu trouver sur place, soit pour composer dans une autre langue que le français, soit pour exécuter des versions d'un texte donné, avaient singulièrement diminué. Les curés patoisants avaient presque tous disparu ou s'étaient cachés; la Révolution n'en eût guère pu enrôler à son service, étant donné les vexations de toute sorte que le clergé constitutionnel avait à subir comme l'autre; les réfractaires qui servaient la contre-révolution se fussent gardés d'imprimer des pièces patoises qui eussent permis de les reconnaître sans peine et de les dénoncer. C'était un jeu où l'on risquait sa tète.
Les Sociétés continuaient leur propagande verbale. De Nice on envoyait des missionnaires dans les campagnes (1er novembre 1792 et 4 octobre 1793). A Villecrose, on entreprend des instructions sur la morale, le patriotisme, les droits de l'homme (26 floréal an II-15 mai
1. On voit les Représentants réclamer des presses (Aul., Act. du Com. S. P., t. V, p. 130 et 252). En effet les armées, les communes, les propagandistes se plaignaient de ne pas recevoir des papiers en suffisance ou de ne pas les recevoir régulièrement :
Dans les Basses-Alpes « les feuilles publiques arrivent très lentement dans les villes, et sont presque inconnues dans les campagnes» (Extr. d'un rapport de Buonarotti à Paré, août (?) 1793, dans Caron, o. c., t. I, p. 114); « Nous ne recevons aucuns journaux, aucun ouvrage patriotique » (Lafaye, de Limonest, 29 août 1793, dans Id., ib. t. II, p. 94).
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LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES 165
1794). Elle se font en patois. Cependant il ne semble pas qu'on considérât en général comme absolument nécessaire, pour faire entendre la bonne parole, de s'adresser aux foules dans leur langage. Est-ce parce que les meneurs en tout pays n'étaient pas villageois, la masse de ceux-ci vivant toujours à peu près exclusivement occupée de ses intérêts matériels et le front courbé vers la terre? Peut-être, malgré l'entrée des paysans dans les Sociétés populaires. Un nommé Mogue, des Ardennes, « propagateur des Droits de l'homme », envoyé par le Comité de Salut public près l'armée et les départements de l'Ouest, demande l'impression en très gros caractères de la Déclaration. Il s'adresse donc aux presque illettrés, qui lisent difficilement. Or c'est en français qu'il se propose d'éditer son affiche 1.
LES PAYS A IDIOME. — Dans les pays à idiome, le rôle des parlers indigènes restait visiblement plus important. Les Jacobins de Nice publiaient en italien en même temps qu'en français. Le 11 novembre 1792, il était donné lecture à la Société d'une lettre adressée par Blanqui au Comité central. Cette lettre était accompagnée d'une copie d'adresse au peuple de Nice, en français et en italien. Elle fut tirée à 6 000 exemplaires et répandue partout. Le 24 février 1793, le Directoire du département faisait imprimer en italien et en français le discours du citoyen Froment 2. Les plaintes des républicains prouvaient qu'il eût fallu plus encore. L'esprit public est très mauvais dans les Alpes Maritimes, écrit Buonarotti, c'est qu'on « n'a rien fait pour l'instruction de la classe laborieuse ; on n'a point publié d'écrits civiques dans l'idiome du pays » 3.
Jagot et Grégoire, envoyés dans le département, firent tout imprimer en deux langues : « procès-verbaux, proclamations, instructions et arrêtés concernant le renouvellement des municipalités, la démarcation des districts, les assemblées primaires et électorales, la convocation des électeurs, l'organisation des bataillons volontaires, une proclamation de leurs collègues pour le recrutement, et... des ouvrages destinés à combattre l'aristocratie, à vivifier l'esprit public » 4. Le rapport sur la fête en l'honneur de Barra et de Viala
1. 6 vent, an II. Arch. N., F 17 1009B, doss. 2018. Cf. la propagande fédéraliste dans les Bouches-du-Rhône (Ann. Rév., II, 393 etc.). Martin s'adresse aux gens de Salon en provençal.
2. Combet, L'enseig. à Nice, p. 403 et 406.
3. Extr. d'un rapp. envoyé de Nice, 29 août 1793, dans Caron, o. c, t. I, p. 116. La Société prie les Représentants du peuple de faire imprimer la Déclaration et la
Constitution en langue vulgaire et italienne (Combet, o. c., p 403).
4. Ils déclarent avoir dépensé de ce chef en assignats 2 676 1. 18 s. Voir Compte en recette et dépense, I. N., Pluviôse an III.
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166 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
par David (23 messidor an II) fut traduit en italien (B. N., Le 38 849) ; on mit même en italien le rapport de Grégoire sur les patois
(B. N., Le 38 811).
En Corse, mêmes pratiques. Les Représentants envoyés dans le département, constatant qu'une grande partie des citoyens des montagnes ne parle qu'italien, annoncent qu'ils ont cru devoir faire imprimer tous arrêtés, proclamations etc., sur deux colonnes correspondantes dans les deux langues 1: « Nous te demandons, écrit Buonarotti à Paré, de nous faire envoyer très régulièrement en Corse, à Bastia, le Bulletin de la Convention nationale, toutes les lois, les rapports intéressants... et les journaux que le Conseil exécutif envoie aux armées. Il faut que ce qui est traduit en italien nous soit envoyé dans les deux langues » 2.
Dans les Pyrénées-Orientales le 4 juillet 1793, Espert prend un arrêté très grave. Il le fait traduire en catalan 3.
En pays basque, la campagne en faveur des assignats, organisée par les Représentants, de concert avec les Sociétés populaires, se fait en basque en même temps qu'en français 4. A St Jean-Pied-dePort, tous les jours de marché, après-midi, il y a lecture des nouvelles en langue basque 5.
En Bretagne, au mois de novembre 1792, Hurault, vicaire épiscopal du Finistère, lance l'idée d'un journal breton-français, pour l'instruction des habitants des campagnes. D'autres allèguent l'exemple des essais heureux qu'ils ont tentés : « Vous savez que dans nos campagnes un grand nombre ne déblatère contre la Constitution que parce qu'il ne l'entend pas. Le meilleur moyen de ramener ces critiques de bonne foi, qui blasphèment ce qu'ils ignorent, c'est de mettre la Constitution à leur portée. J'ai voulu le faire en la traduisant en Breton. Ma traduction fait fortune ici ; je ne puis pas suffire à en donner des copies à tous ceux qui m'en demandent... Je voudrais, citoyen Du Couédic, que vous fassiez examiner cette traduction et que vous la livriez à l'impression, si elle en était jugée digne. Car si l'instruction est le besoin de tous, c'est surtout dans nos campagnes que ce besoin se fait sentir. Prodiguer la lumière et la prodiguer de manière qu'il suffise d'ouvrir les yeux pour voir clair, c'est déjouer les projets des aristocrates et des insermentés qui ne
1. 14 mars 1793, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. II, p. 362 ; cf. 4 avril, Id., Ib., III, 77.
2. Le-Port-de-la-Montagne, 5 pluviôse an II-24 janv. 1794, dans Caron, o. c., t. I,
p. 121. Buonarotti demande qu'on lui adjoigne Dufourny, si la langue italienne ne lui est pas tout a fait étrangère.
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. V, p. 179.
4. 22 avril 1793. Aul., Act. du Com. S. P., t. III, p. 393 3. Rapp. de Régnier, 6 déc. 1792. Arch. N., II. 1448.
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LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES 167
peuvent rien sur l'esprit du peuple qu'en le trompant sur ses vrais intérêts » 1.
Divers documents prouvent que, à défaut de ce journal, les publications en breton ne manquèrent pas. Ce sont, outre les décrets de la Convention, les arrêtés, les jugements du tribunal révolutionnaire, bref, les papiers officiels, des manifestes de commissaires, des proclamations de généraux, en particulier de Hoche 2, des discours, des rapports, comme le rapport de Robespierre sur l'Etre-Suprême (18 floréal an II-7 mai 1794). La pièce n° 4, p. 634 du ms. des Lettres à Grégoire est en deux langues, français et breton. C'est un Appel, lancé dans le Morbihan pour la construction d'une frégate de 40 canons, destinée à combattre les Anglais. A Plounéour-Trez, lors de la plantation d'un arbre de la Liberté, le citoyen Cahel, commissaire de la Convention, prononce en breton « le discours le plus analogue à la circonstance » 3.
Cependant, en Bretagne aussi, c'est du français surtout qu'on se sert, alors même, semble-t-il, qu'on pourrait faire mieux. Le capitaine Defay, prisonnier — peut-être par repentir, peut-être avec l'espoir d'obtenir la vie sauve, — se décide à écrire une proclamation aux Bretons, peuple du Morbihan. On eût dû, semble-t-il, lui suggérer de la faire en breton. Aucunement. Elle est en français 4.
1. D. Bernard, La Révol. fr. et la lang. bretonne dans deux communes du Finistère, dans Ann. de Bret., 1912, t. XXVIII, p 291-292.
2. Chassin cite un de ces manifestes, il note que plusieurs ont, comme celui-là, été traduits en breton (Les pacif. de l'Ouest, t. III, p. 220).
3. A. Dupuy, Plounéour-Trez et Plouguerneau pendant la Terreur, dans Ann. de Dret., 1887, t. III, p. 48.
4. La Révol. fr., 1901, t. XL, p. 339-340.
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CHAPITRE III EN ALSACE
L'ALLEMAND TOUJOURS RECONNU. — En Alsace, l'heure de la mise en suspicion de l'idiome allait seulement venir. En attendant, les plus « purs » en font usage sans scrupule jusqu'en pleine année 1793. Les autorités, particulièrement les tribunaux de répression, publient leurs actes en deux langues. Les Sociétés font de même 1. Quand, le 6 décembre 1792, le club de Strasbourg s'abonne aux gazettes, on partage entre les feuilles en français et les feuilles en allemand.
Au moment où on inaugura le culte de la Raison (27 brumaire an 11-17 novembre 1793), l'allemand était encore admis au partage. Un service a lieu à la cathédrale. On y a convoqué une nombreuse assemblée ; des délégués sont venus de la Meurthe. On y parle français, mais aussi allemand. Le peuple est consulté dans les deux langues pour savoir s'il veut encore des prêtres 2. Les orateurs français, dit un procès-verbal, furent souvent interrompus par les acclamations du peuple. Un officier municipal « fut ensuite entendu, en langue allemande, avec le même enthousiasme » 3. Les vingt-cinq Préceptes de la Raison sont ensuite réunis dans un imprimé ; il est en allemand et en français 4.
A Colmar, le 13 avril 1791, les Jacobins avaient décidé la publication d'une feuille hebdomadaire destinée aux campagnes dont certains exemplaires seraient en français et d'autres en allemand. La réalisation tarda longtemps. Quand le Wochenblatt parut chez Decker (le 1er novembre 1792), il parut en allemand 3. Comment eût-on chargé des frais d'une édition française une feuille dédiée — je tra1.
tra1. quelle portée a ceci ? Le 13 déc. 1792, une citoyenne demande qu'il soit créé une Société nouvelle. La Société s'y oppose. « Il y avait déjà à Strasbourg tant de sujets de désunion, en particulier la différence des langues » (Reg., Arch. Mun. Strasb., à la date).
2. Aul., Culte de la Rais., p. 124-123.
3. Treuttel et Würtz, dans Aul., Cult, de la Rais., p. 127.
4. Proc-verb. de l'Ass. Gén., Strasb., dans Reuss, Const. civ., t. II, p. 227.
5. Leuillot, o. c, p. 24. Le numéro contenait une traduction de la Marseillaise due à Pfeffel.
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EN ALSACE 169
duis le titre — à l'instruction des campagnes? A la même époque, dans les discussions de la Société, l'allemand n'est pas abandonné ni sur le point de l'être. Ce n'est que le 8 floréal an II (27 avril 1794), qu'on introduit Chambeau au comité des Rapports; on ne lui avait pas fait place auparavant, parce que, dans l'origine, le Club ne parlait presque qu'allemand et que ce frère ne savait pas cette langue 1.
Le récit détaillé des séances fait voir pleinement qu'il était fait constamment usage de l'allemand. Le 9 juin 1793, en réglant l'ordre des séances, on met en tête, après le procès-verbal, la lecture des dépêches et adresses et leur interprétation en allemand (Leuillot, o. c, 51). Et ce jour même, le Président, François Hell, remplit le rôle de traducteur, soit de la Correspondance, soit des Bulletins (Id., ib., p. 52, 53). De même, dans la séance du 16, où il interprète la Constitution (Id., ib., p. 55). C'est désormais une règle (23 juin, Id., ib., p. 57, 58). A cette même séance, Frère Bippert discourt en allemand (Id., ib., p. 59). Le 7 juillet, encore un discours et un serment en allemand de Larcher (Id., ib., p. 63). Le 1er août, Adresse destinée aux Jacobins de Paris. Elle est lue dans les deux langues (Id., ib., p. 69).
Foussedoire, représentant de la Convention, arrive. Le 29 pluviôse an II (15 février 1794), il harangue la Société. « Une multitude de voix » demande la traduction en allemand et la publication de son discours(Id., ib., p. 117). Il n'est fait aucune objection. Enfin, dans la grande séance du 28 ventôse (18 mars 1794), où on discute la nomination des instituteurs de français, un membre réclame qu'il soit toujours donné en allemand interprétation du procès-verbal, au moins par extrait (Id., ib., p. 157).
A Val-aux-Mines (Ste-Marie-aux-Mines), une bonne partie des bourgeois étant française de langue, le français dominait à la Société; on s'y servait néanmoins de l'allemand 2. A Thann, aux Jacobins, le bilinguisme persistait, appliqué peut-être plus rigoureusement que partout ailleurs, maison jugera, par ce qui se passait dans cette bourgade à demi francisée, de l'importance que pouvait garder l'allemand dans des endroits moins « avancés ». On y lisait les nouvelles dans les deux langues 3. Aucune des deux n'avait la préséance.
On commençait tantôt par le français 4, tantôt par l'allemand 5 : on
1. Leuillot, o. c, p. 198, note 10.
2. Proc.-verb. des séances de la Société populaire de Val-aux-Mines (ci-devant Ste-Marie-aux-Mines), dans Bull. Soc. philomath, de St-Dié, 1904-1903, p. 229.
3. 13 floréal an II, dans Poulet, o. c., p. 171. Cf. 10 prairial, Id., ib., p. 173 ; 23 niv., Id., ib., p. 133, etc.
4. 2 niv. an II, dans Poulet, o. c, p. 133.
5. 24 brum., 3 niv. an II, Id., ib., p. 114, 132.
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170 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
lisait les journaux, on prenait connaissance de la correspondance officielle 1, à laquelle s'ajoutaient parfois des lettres privées 2. On commentait les décrets 3 et les arrêtés 4, les lettres de la municipalité 3. On discourait en allemand 6 ou en français 7, ensuite l'interprète, le président, ou un autre membre traduisait, soit sur-le-champ, soit dans une séance ultérieure 8. Quelque pièce intéressante est-elle communiquée, elle est traduite ; le cas échéant, on la publie en allemand 9.
Si on trouve de l'indifférence dans le public, on cherche à la vaincre en l'assurant qu'il pourra comprendre, qu'on le haranguera dans sa langue 10.
1. « Le citoyen Dollfus a donné des explications très étendues et favorables pour la circulation des assignats et on a donné lecture en allemand de la « Feuille villageoise » 21 avril 1793 (Poulet, o. c, p. 72-73). Cf. La lecture de la Feuille villageoise a terminé la séance, 26 mai 1793 (Id., ib., 83). La séance a été ouverte par la lecture des gazettes allemandes, 2 juin 1793 (Id., ib., p. 86).
2. Le f. Probst a lu une lettre adressée par son frère employé près les armées et il< l'a expliquée en allemand, 29 mai — 10 prairial an II (Id., ib., p. 174).
3. Deux décrets de la Convention nationale, l'un du 13 sept. 1793, relatif aux agents infidèles, l'autre du 20 du même mois, relatif aux certificats de civisme. Après cette lecture faite en langue française par le citoyen Fourcade et réitérée en langue allemandepar le citoyen Schwilgué... 28 oct. 1793 (Id., ib., p. 104). Cf. 27 pluv. an II, (Id., ib., p. 145 ; 20 vent, an II, Id., ib., p. 136).
4. Lecture faite de l'arrêté de la municipalité, le cit. Probst l'a interprété en langue française et la Société a unanimement répondu qu'elle satisferait à son invitation,. 14 mai 1793 (Id., ib., p. 79).
5. Une lecture d'une lettre écrite au département en date du 1er juin 1793 par la municipalité de Thann fut traduite en allemand, 9 juin 1793 (Id., ib., p. 87 ; cf. 7 pluv. an II, Id., ib., p. 138).
6. Le frère Pauly Neumann est monté à la tribune où il a fait lecture d'un discours très énergique en allemand, 20 brumaire an 11-10 nov. 1793 (Id., ib., p. 109 ; cf. 30 pluv. an II, Id., ib., p. 146 ; 12 therm. an II, Id., ib.. p. 183).
7. Un discours fort applaudi dont l'explication a été donnée en allemand par Schwilgué, 27 brumaire an II — 17 nov. 1793 (Id., ib., p. 114).
8. Le f. Clebsattel a donné lecture d'un discours qui s'est terminé par une instruction aux membres de la Société, tendante à leur faire connaître leurs devoirs et la manière fraternelle et respectueuse avec laquelle ils doivent se comporter dans l'assemblée. Il a été vivement applaudi.
Le président a dit que ce discours était trop long pour le rendre dans l'instant en langue allemande, qu'il se chargeait de le traduire pour la première séance, 11 février23 pluviôse an II (Id., ib., p. 144).
9. Il a été donné lecture de la traduction en langue allemande de la lettre du Représentant du peuple au citoyen Fourcade, 28 fév.—10 ventôse an II (ld., ib., p. 151). Cf. Clebsattel a donné lecture d'une épitre d'un philosophe au peuple, tendante à l'éclairer sur la chose des religions. La traduction en langue allemande en a été demandée par le f. Pidot 13 mars—23 ventôse an II (Id., ib., p. 137).
10. Le 1. Fourcade a donné lecture d'une invitation aux citoyens de cette commune qu'il a fait traduire en allemand. La Société a applaudi, après que la lecture en allemand en a été faite par le f. Risler, 14 avril— 23 germinal an II (Id., ib.. p. 163). Cf. Richou avait appelé les citoyens de la ville dans le temple de l'Etre Suprême et après leur avoir expliqué en français et en allemand l'objet de sa convocation... 2b juin — 8 messidor an II (Id., ib.. p. 210). Le f. Clebsattel s'est fortement récrié de voir dans ce temple si peu do monde ; il a annoncé qu'il y serait prononcé dorénavant un discours en français et un discours en allemand chaque décade. 18 juillet — 30 messidor an II (Id., ib., p. 180).
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EN ALSACE 171
Et jusqu'au bout, on persista dans cette organisation rationnelle que rien ne paraît avoir troublée '.,
JOURNAUX ET PUBLICATIONS. — Les journaux allemands continuaient à paraître, soit à Strasbourg, soit à Colmar 2, et même dans des villes plus petites.
Je donnerai ici un document venu d'Alsace à une époque que je ne puis préciser, mais que diverses phrases situent dans l'année 1793 ou dans le voisinage 3 : « L'instruction du peuple est la base de la liberté. On ne peut pas rendre hommage à une divinité que l'on ne connoit pas ; on ne peut pas défendre des droits qui nous sont inconnus ; on ne peut pas prendre à coeur un évangile qui n'est point preché.
« Voila le cas dans le quel se trouvent les departemens de l'empire françois, dont les habitans n'entendent et ne parlent que la langue allemande. L'Alsace entière et la Lorraine allemande sont, comme detachées de la patrie de la liberté, faute d'une instruction publique, qui leur ensigna (sic) la grande cause de leurs droits, la cause de l'humanité. Dans tous les autres departemens le peuple est instruit par des feuilles publiques, il reçoit des nouvelles sur tout ce qui se passe, et son activité et sa chaleur pour la conservation et la defense de la liberté conquise est toujours alimentée : les citoyens de l'empire, qui ont le malheur de ne pas parler que la langue françoise (sic), n'ont aucuns de ces avantages.
« Ces citoyens abandonnés aux influences de l'aristocratie civile et ecclesiastique sont néanmoins aussi les enfans de l'empire françois ; ils sont les premiers exposés à toutes les horreurs de la guerre, sans savoir de quoi il s'agit, sans connoitre le vrai but de leurs frères, sans pouvoir se former une idée juste du parti à prendre pour faire le bien. Ils sont, en un mot, un troupeau abandonné qui n'échappe aux loups que par des heureux accidens.
« C'est pour remedier aux causes de ces justes plaintes, et pour mettre les Allemands, citoyens françois, en état de connoitre les affaires de la patrie, de les envisager comme les leurs, de les aimer et de les défendre de toutes leurs forces, et de ne faire qu'une seule masse avec le reste des François, que j'ai conçu l'idée de les instruire par une feuille purement villageoise, de leur expliquer les
1. On a lu dans des nouvelles allemandes le récit de la dernière conspiration. Le Président a parlé en allemand sur ces événements. Le frère Dürwell a lu en allemand le récit de la dernière conjuration de Robespierre. 17 août — 30 thermidor an II (Poulet, o. c, p. 200).
2. Leuillot, o. c, p. 43.
3. Il est aux Archives Nationales non encore classé (F. 18),
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172 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
droits de l'homme, de les éclairer sur les grandes causes de la liberté et de l'égalité. Il en doit paroitre chaque semaine une feuille et demie, sous le titre de l'Evangile de la liberté, de l'égalité et des connoissances utiles au peuple pour instruire les Allemands citoyens François. Une telle feuille bien rédigée ne rempliroit pas seulement le but indiqué, mais elle pourroit en outre, étant exportée chez nos voisins, les instruire et les gagner peu à peu à la cause de l'humanité » 1.
Il n'est pas exagéré de dire que les pièces en allemand publiées en Alsace à cette époque forment toute une littérature. Les chansons y jouent un rôle important, comme il est naturel. Tantôt ce sont des traductions : Das Heil des Gleichthumes (imitation de Veillons au salut de l'Empire) ; Freier Völkergesang, Freiheits-Gesang, Gesang auf die französische Tanzweise (Dansons la Carmagnole, etc.) Un détenu envoie ces versions à Paris en l'an II 2.
Tantôt ce sont des originaux comme les Gesaenge auf alle Dekaden und Volksfeste der Franken, de Schaller 3, qui n'ont été réunis qu'en l'an VII, mais qui avaient paru auparavant en feuilles volantes. Les Chants d'un français sur les bords du Rhin, d'Aug. Lamey (1772-1861), ont joui d'une véritable célébrité, méritée du reste. Une mention spéciale est due à Pfeffel, principal apôtre littéraire de la Révolution en Alsace. On traduisit même en français certains de ses Lieds patriotiques, ainsi Alsa, dont une version, due à Ramond de la Carbonnière, fut mise en vers par M.-J. Chénier 4.
1. Là-dessus l'auteur prie le Ministre de l'Intérieur d'examiner son devis et de lui donner une subvention. Il calcule ses frais à 21 418tt pour 3 000 exemplaires, non compris les frais de poste. Signé Jean Goebel.
2. Arch. N., F17 1010 2413.
3. Schaller (1762-1831) était pasteur à Pfaffenhofen. Cf. Reuss, Hist. de Strasb., p. 328 et Vieil, paper., p. 23 et suiv.
4. Rev. de litt. comp., 1921, p. 439, 443.
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LIVRE III RUPTURE AVEC LES IDIOMES ET LES PATOIS
CHAPITRE PREMIER LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER
EMBARRAS DES REPRÉSENTANTS EN MISSION. — Le savant éditeur des Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique serait porté à considérer que la campagne contre les idiomes, menée par Barère en pluviôse, est un fait accidentel et qu'elle s'est inspirée uniquement d'idées générales, dont aucune circonstance particulière n'imposait l'application brusque. J'avoue que je ne puis, quelle que soit l'autorité de l'auteur, partager cet avis. Mais je crois qu'il faut bien préciser, et pour cela il y a lieu, suivant moi, de faire une distinction entre les pays à idiomes et les pays à dialectes. Au reste ce que nous avons dit plus haut l'impose déjà. C'est dans les pays à idiomes seulement que la différence de langage causait une gêne sérieuse au développement de la Révolution.
Les Représentants étaient rarement envoyés en mission dans le département par lequel ils avaient été élus. Il n'est pas du tout prouvé qu'un décret ait jamais prononcé cette exclusive '. En tous cas, Reubell l'a dit à Colmar, le 10 août 1793, l'esprit de la Convention était d'assurer à ses commissaires une complète indépendance, et pour cela de les tenir éloignés de leur milieu, de leurs parents, de leurs électeurs 2. On peut donc poser en principe qu'en général ils
1. Voir Aulard, La Révol. fr.. 1896, t. XXXI, p. 383. Fayau se plaint qu'on lui ait opposé ce décret (Aul., Act. du Com. S. P., t. VI, p. 278).
2. Leuillot, o. c, p. 71. Lemoyne est envoyé dans son département (13 vendém. an III, 6 oct. 1794), " mais, attendu qu'il est envoyé dans son département, ses fonctions seront restreintes... » (Aul., Acl. du Com. S. P.. t. XVII, p. 263). Au contraire le Conseil exécutif provisoire était persuadé, lui, que la surveillance ne pourrait être plus utilement exercée que par des hommes qui, connaissant l'idiome du pays, pourraient en parcourir les campagnes (Conseil exécutif provisoire, 4 brum. an II — 23 oct. 1793, dans Aul., Ib., t. VIII, p. 3).
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174 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ignoraient le langage particulier des gens au milieu desquels ils allaient se trouver pour un temps.
Une fois sur place et aux prises avec les difficultés, les commissaires ne manquèrent pas de remarquer et de signaler les inconvénients des pratiques adoptées. En brumaire an II, Ehrmann insistait pour que la République employât les mêmes armes que ses adversaires ; il était seul représentant à parler allemand, il demandait qu'on lui adjoignît des collègues offrant le même avantage : « Il est du grand intérêt de la République que, parmi les représentants à cette armée, un au moins y connaisse et les hommes et les choses et les localités ». Parmi les choses se trouve sûrement le dialecte. Ehrmann ajoute du reste : « Le travail m'est d'autant plus fatigant que les habitants de ces frontières, qui ne parlent que l'allemand, s'adressent à moi »1. Faure, à l'armée de la Moselle, faisait les mêmes constatations et les mêmes demandes : « Le peuple est... excellent et meilleur que dans les autres parties de la république que je connais... Il manque ici principalement l'instruction, et la différence des langues nuit beaucoup au progrès de la Révolution. Les traductions que vous faites faire à Paris ne servent pour ainsi dire à rien ici, car l'allemand pur y est aussi étranger que le français pour la partie du peuple qui n'est pas instruite. Ce dont j'aurais besoin, citoyens collègues, c'est que vous me procurassiez deux véritables Jacobins bien instruits. Nous ferions du bien dans ce pays 2. Il faudrait qu'ils fussent pris parmi les membres épurés... et il serait à désirer que l'un d'eux au moins sût l'allemand » 3.
Nous avons là-dessus d'autres rapports. Les Basques en général méritaient des éloges. Ils se battaient d'ordinaire avec un entrain que tous signalent. Cependant, certains avaient trahi 4. De SaintJean-Pied-de-Port, Féraud prie qu'on lui adjoigne Neveu, en raison de sa connaissance très profonde du pays et du langage des habitants (23 juin 1793); on fit droit à sa demande 5. De Corse, Lacombe-Saint-Michel, le 15 sept. 1793, écrit au Comité pour demander qu'on adjoigne à Saliceti et à lui-même Gasparin, « qui
1. 18 brum. an II (8 nov. 1793), dans Aul., Act. du Com. S. P., t. VIII p. 301.
2. De Bitche, 29 frim. an II (19 déc. 1793), Id., Ib., t. IX, p. 334
3. Du 3 niv. (25 déc), Id., Ib., t. IX, p 662.
4. A l'affaire malheureuse du camp de Sarc, attaqué le 2 mai 1793, la compagnie des Miquelets, recrutée parmi les Basques, trahit avec son commandant (Richard, Le gouvern révol. dans les B.-Pyr., p. 16). Vers le même temps, les habitants de la vallée des Aldudes firent une démarche auprès do l'ennemi pour obtenir leur annexion à l'Espagne (Id., Ann. Rév., 1922). Au contraire, La Tour d'Auvergne, Breton, entraînait ses Basques. Il avait sur eux un extraordinaire ascendant. Les Mémoires sur Lazare Carnol (I, 287) disent que cet ascendant s'explique par sa connaissance de leur idiome et de leur caractère.
5. Aul., Act. du Com. S. P., t. V, p. 61.
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LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER 175
connaît la langue et les moeurs des Corses ». Le Comité y consentit également 1.
LE DOUBLE PÉRIL. — C'était incontestablement chose grave déjà que de pareilles gênes, imposées à de pareils hommes, à des heures où, munis de pouvoirs sans bornes, ils étaient appelés à connaître de tout et de tous, à tout gouverner directement et souverainement. Mais c'était la Révolution elle-même qui en était empêchée. Les idiomes, malgré tous les efforts qu'on pouvait faire et dont nous avons parlé pour pénétrer à travers un rideau de ténèbres jusqu'aux masses rurales, offraient un obstacle insurmontable.
En outre, ils se prêtaient à la contre-propagande du dedans et aussi, dans certains pays, du dehors. On se rappelle le tableau où Couturier dépeint l'état d'esprit d'un district de Lorraine (celui de Boulay, 24 septembre 1793). « Pour ainsi dire tout le peuple est allemand et n'a aucune notion de la langue française ; il est superstitieux et le bandeau du fanatisme est si épais que, si les hommes séducteurs ne sont pas écartés, son égarement sera incurable ; il n'aime pas le Français, parce qu'il le sait sans religion et même le destructeur, à ce qu'il croit, de la vraie religion, dont le pape, son saint père, est le chef visible. Les prêtres constitutionnels sont à ses yeux des monstres et antéchrists. Les prêtres réfracfaires sont nichés dans le pays de Trêves ; ce nid de chenilles sacerdotales est à portée de correspondance par des espions à leur gré avec leurs coryphées de l'intérieur, dont les plus dangereux sont leurs anciens marguilliers et maîtres d'école, qui ne lui parlent que de l'enfer et lui promettent le paradis avec le retour de ses anciens princes, descendants de Léopold, dont le gouvernement est toujours regretté » 2.
Je voudrais donner au moins un fait — il est postérieur 3, mais peu importe, — qui illustre cette description et montre comment, en mettant à profit leur ignorance du français, on se jouait de la naïveté des simples. Je l'emprunte aux procès-verbaux des Jacobins de Colmar. « Les c. Rothé et Schwartz... ayant passé devant la montagne, ils ont vu Arles, Brandt, Jedele, Platten et beaucoup d'autres citoyens... rassemblés pour signer une pétition du citoyen Ritzenthaler, lequel les assurait que son contenu renfermait les seules demandes au représentant... d'obliger la municipalité à rendre ses comptes et à accélérer le partage des biens communaux. Que l'assemblée ayant eu lieu dans l'auberge même, où logeait le Représentant, ils ont
1. Aul., Act. du Com. S. P., t. VI, p. 510.
2. Id., Ib., t. VII, p. 42-43.
3. 22 février 1794.
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signé la pétition... ne pouvant s'imaginer que dans un pareil lieu, on pût avoir l'audace de faire signer des écrits séditieux, mais que lors de [sa] présentation au Représentant, il s'était trouvé de bons patriotes auprès de lui qui ont expliqué dans l'idiome du pays aux citoyens présents le contenu de l'écrit séditieux... sur quoi ils ont révoqué leur signature et assuré le Représentant de leur patriotisme » 1. Ainsi voilà des gens, des patriotes, qui croient signer un papier de caractère purement administratif et municipal, contenant une demande légitime, et qui inscrivent leur nom sur un papier de révoltés.
LES IDIOMES DÉCLARÉS SUSPECTS. — Aussi n'y a-t-il pas trop à s'étonner que les idiomes soient devenus « suspects » et aient été, eux aussi, dénoncés. Les plaintes contre eux viennent d'un peu partout. Elles visent d'abord l'impossibilité de se faire entendre.
Isoré écrit de Cassel : « Si le peuple de la Flandre maritime n'est pas à la hauteur de la Révolution, il faut s'en prendre à la langue qu'on y cultive encore en secret» (12 frimaire an II-2 décembre 1793) 2.
Des Basses-Pyrénées même note. A Ustaritz, constate un envoyé, « le fanatisme domine ; peu de personnes savent parler français ; les prêtres basques et autres mauvais citoyens ont interprété à ces infortunés habitants les décrets comme ils ont eu intérêt ». Dès le mois d'octobre la conviction s'imposait à ceux qui étaient sur place que « sans instruction en basque, le patriotisme pur aura de la peine à se propager » 3.
Carrier et Pocholle mandent de Rennes, le 17 septembre 1793 : a Ils (les maux et les ravages du fanatisme) sont d'autant plus difficiles à étouffer que, dans les cantons les plus fanatisés, on ne peut y faire entendre le langage de la raison. Les habitans des campagnes n'entendent et ne savent parler qu'un idiome qui ne peut être entendu et compris que par eux » 4.
« J'ai été affligé, rapporte un autre, en traversant cette ci-devant Bretagne, de l'ignorance, de la stupidité, de la barbarie de ceux qui l'habitent. Vos décrets, vos décades y sont inconnus. J'y ai vu chômer la fête des Rois »5. C'est ce malheureux langage qui entrave tout : « Ils (les Bretons) sont en général sains et robustes et ils ont toutes les dispositions nécessaires à la liberté, mais ils parlent un
1. Leuillot, o. c., p. 123.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. IX, p. 104.
3. Regnier, Rapp. du 29 oct. 1792. Arch. N., H. 1448.
4. Legros, La Rév., p. 291.
5. Un Représentant à Brest au Comité de Salut P., 19 niv an II (Aul Art du Com. S. P., t. X, p. 133).
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LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER 177
langage qui est aussi éloigné du nôtre que l'allemand et l'anglais : ils n'ont aucune espèce d'instruction et sont par là livrés aux prêtres fanatiques... en général les villes sont patriotes, mais les campagnes sont à cent lieues de la Révolution, et tout jusqu'à leur maintien, leurs costumes, et surtout leur langage annonce assez qu'il faudra de grands efforts pour les mettre à la hauteur » 1. « Les mouvements séditieux... sont occasionnés... par les dispositions contre-révolutionnaires d'une grande partie des habitants des campagnes, que la différence du langage empêche de pouvoir éclairer » 2.
C'était là pour ainsi dire le rôle passif des idiomes. Leur rôle actif ne dut pas être moindre. Seulement il est difficile d'en retrouver les traces. Il n'est pas besoin de réfléchir longtemps pour en trouver la raison. L'auteur, l'imprimeur, les colporteurs couraient trop grand risque. Ils préféraient servir leur cause par des moyens moins dangereux. Aussi, l'Alsace mise à part, le nombre des imprimés contre-révolutionnaires en idiome qu'on a signalés jusqu'ici est-il extrêmement restreint, et en admettant qu'on en découvre de nouveaux, ce ne sera jamais que des raretés. Je citerai du pays breton d'abord deux complaintes extraites de pièces de procédure où Yves le Marec, Chartreux, donnait des conseils à ceux qui seraient tentés de prêter le serment 3, ensuite des papiers publiés par le chanoine Peyron, et qui ont été saisis sur une fille Coublanc à Kerlosquet (près Douarnenez) 4. On a également remis la main sur une complainte des prisonniers au château de Brest. L'abbé Branelles, qui fut guillotiné à Brest, avait composé un cantique : « Derniers sentiments ». D'autres chants ont été recueillis par l'abbé Durand dans Ar Feiz hag ar Vro (La honte dans le pays, Vannes, 1847). On remarquera que le grand nombre de ces pièces sont des chansons. Je ne conteste pas l'importance des chansons, loin de là, j'ai même insisté sur l'effet qu'ont eu certaines d'entre elles. Il importe de remarquer néanmoins l'absence de discussions, de démonstrations, même de manifestes 5. La cause de ce fait, suivant moi, est qu'une chanson s'apprend de proche en proche ; les plus dépourvus d'instruction la répètent. D'autre part, si on l'imprime ou qu'on la copie, c'est une feuille qu'on cache avec facilité. Il dut y en avoir beaucoup.
1. Lett. de Prieur de la Marne du 23 brum. an II (13 nov. 1793), dans Aul., Act. du Com. S. P., t. VIII, p. 401-402.
2. Du même, 23 flor. an II —12 mai 1794; Id., Ib., t. XIII, p. 468. Cf. plus haut les observations de Lequinio.
3. Ann. de Bret., 1899-1900, t. XV, p. 565.
4. Dans le nombre se trouve aussi une chanson contre l'évéque Expilly. Elle est en français.
5. Voir Chassin, Études sur la Chouannerie (Index, au mot manifeste).
Histoire de la langue française. IX. 12
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DANS L'EST. — C'est dans les pays de l'Est surtout que la situation créée par l'existence d'un idiome particulier parut grave, et qu'elle le fut. La petite ville de Bitche, par exemple, demeurait impénétrable et comme fermée par son langage aux influences du dehors. La Feuille de Strasbourg, au courant de ces résistances, avait proposé une solution au moins originale, savoir une annexion au Bas-Rhin, où elle ne se trouverait plus dépaysée 1.
Le 3 juin 1793, Couturier, en mission dans les départements du Rhin, envoyait un rapport où il demandait qu'on fit des efforts pour franciser « autant que faire se pourra, les parties allemandes de la République » ; il faut, disait-il, que chaque commune, dans les campagnes, ait un régent d'école pour enseigner les enfants à lire, écrire et calculer sans déplacement ; il est nécessaire que les régents d'école, dans les communes allemandes, sachent les deux langues 2.
Un peu plus tard, le danger était devenu tout à fait pressant, ou du moins semblait tel aux Représentants que le Comité avait envoyés avec des pouvoirs extraordinaires. En novembre 1793 (le 27 brumaire an II), on écrivait d'Alsace : « Ce pays-ci est en général très bon, excepté quelques districts et cantons, surtout ceux ci-devant allemands » 3. Lacoste mandait de son côté : « Si la langue allemande n'est proscrite et des institutions établies pour apprendre celle de la République, on ne peut répondre de lui conserver ce principal boulevard» (Strasbourg) 4.
Faisons la part du fanatisme de Lacoste, principal auteur des stupides et cruelles propositions dont nous parlerons plus loin, il n'est pas niable que la propagande contre-révolutionnaire faisait rage en allemand. La similitude de langage, qui avait permis de recruter outre-Rhin des prêtres, des instituteurs, des agitateurs républicains, permettait aussi à l'ennemi d'introduire ses gens, ses journaux, ses
1. Voir Feuille de Strasbourg, ou Journal politique et littéraire des rives du Rhin, par Chayrou, du 12 juin 1792 (N° LII). Suite de la lettre du camp de Neukirch du 3 juin :
« Nous touchons à un pays qui a bien besoin de l'attention de nos législateurs, c'est le district de Bitsch... les décrets de l'Assemblée Nationale n'y sont pas plus connus qu'en Sibérie; les gens de la campagne n'entendent que la langue allemande, les décrets n'y arrivent qu'en français et l'on se garde bien do les leur expliquer... Aucun prêtre n'y a prêté le serment... Il me semble que le seul moyen de parvenir (à faire cesser cet état de nullité) serait de détacher ce District du Département de la Moselle et de l'annexer à celui du Bas-Rhin. Par-là, du moins, il correspondrait dans sa langue propre, avec l'administration métropole et recevrait les instructions convenables » (Bibl munic. Str., M. 109.376).
2. Conv. Nat., Supp. au rapport des citoyens Couturier et Dentzel... rédigé par le citoyen Couturier, du 3 juin 1793. Paris, I. N., p. 100-102.
3. Un Représentt au Comité, 27 brum. an II (17 nov. 1793), dans Aul. Act du Com. S. P., t. VIII, p. 511.
4. 28 frim. an II (18 déc. 1793), Id., Ib., t. IX, p. 503.
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LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER 179
idées. Les femmes qui passaient les ponts avec des balles de brochures sous leurs jupes, n'étaient pas toutes arrêtées, et les barques traversaient pendant la nuit, narguant la douane.
Il arrivait, dans les armées même, que des bataillons devaient être séparés, faute de pouvoir s'entendre. La garnison de Huningue avait d'abord été formée imprudemment de deux bataillons, l'un d'Alsaciens, l'autre de gens de Seine-et-Oise; ils « n'entendaient pas le langage l'un de l'autre », il fut impossible de les conserver côte à côte 1.
1. Rapport de Dt, Basle, 17 juin 1793. Arch. Aff. Étr., Fr. 323, f. 120. Une masse d'imprimés ont pénétré ainsi, comme ce Wahrheits-Freund (1791) que Reuss n'avait connu que de nom et dont J. E. Gérock a fait l'histoire (Revue d'Alsace, 1924).
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CHAPITRE II Là GUERRE AUX IDIOMES
L'ÉCOLE DE FRANÇAIS. — Il est donc compréhensible et même naturel que Barère ait jugé qu'il y avait une question des idiomes et qu'elle intéressait le salut public. Il était tout simple aussi qu'il pensât, pour remédier à la situation, à la création d'écoles. L'initiative avait été prise et l'exemple donné. De simples citoyens professaient que là était le remède. « Citoyens, écrivait un préposé des douanes de Sarreguemines, nommé Lebrun, le 12 février de l'an II de la République (sic), je crois que la diversité des Langues est un grand obstacle dans le sistème Politique aux Liaisons fraternelles des Peuples de la terre, a plus forte raison dans une République une et indivisible ; en conséquence je demande que les instituteurs qui seront établis dans les Ecoles primaires des pays ou la Langue allemande est en usage, soient spécialement chargés de donner à leurs Elèves, les Principes de la langue françoise» 1. C'est le remède proposé par ce modeste fonctionnaire qui parut le seul bon et le seul capable d'assurer à l'avenir l'unité morale. Au reste, la loi de vendémiaire n'avait-elle pas indiqué la route à suivre? Toute la différence était qu'au lieu d'attendre des résultats lointains, il s'agissait de « procéder par la méthode révolutionnaire ».
Le 3 pluviôse, à propos du Décret sur les livres élémentaires, Grégoire posa de nouveau la doctrine : « Lire, écrire et parler la langue nationale sont des connaissances indispensables à tout citoyen. L'unité de la République commande l'unité d'idiomes, et tous les Français doivent s'honorer de connaître une langue qui désormais sera par excellence celle du courage, des vertus et de la liberté » 2.
OFFENSIVE DE BARÈRE. — Le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794), au nom du Comité de Salut public, Barère dénonça à la tribune les
1. Arch. N., F17 1004s, doss. 412. Les plans et demandes d'instruction remplissent ces cartons.
2. Guill., o. c, Conv., t. III, p. 368.
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LA GUERRE AUX IDIOMES 181
dangers que faisaient courir à la République « les idiomes anciens, welches, gascons, celtiques, wisigots, phocéens et orientaux ». Se fondant sur les témoignages des Représentants, il affirmait qu'ils avaient empêché la Révolution de pénétrer dans neuf départements importants. En Bretagne, les prêtres, à l'aide du bas-breton, dirigent les consciences, empêchent les paysans de connaître les lois et d'aimer la République. Dans le Haut et le Bas-Rhin, c'est l'identité de langage qui a fait appeler le Prussien et l'Autrichien en Alsace, qui a ensuite poussé le paysan à émigrer. Les Basques, avec leur langue sonore et imagée, regardée comme un héritage des ancêtres, restent sous la domination des prêtres, alors qu'ils ont montré de quel dévouement ils étaient capables pour la République en la défendant le long de la Bidassoa. En Corse, Paoli, « Anglois par reconnaissance, dissimulé par habitude, faible par sou âge, Italien par principe, sacerdotal par besoin, se sert de l'italien pour pervertir l'esprit public ». En somme, « le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République parlent allemand; la contre-révolution parle italien et le fanatisme parle basque. Brisons ces instruments de dommage et d'erreur. Il vaut mieux instruire que faire traduire, comme si c'était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires...
« La monarchie avait des raisons de ressembler à la tour de Babel ; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue nationale, incapables de contrôler le pouvoir, c'est trahir la patrie, c'est méconnaître les bienfaits de l'imprimerie, chaque imprimeur étant un instituteur de langue et de législation. Le français deviendra la langue universelle, étant la langue des peuples. En attendant, comme il a eu l'honneur de servir à la déclaration des Droits de l'homme, il doit devenir la langue de tous les Français. Nous devons aux citoyens « l'instrument de la pensée publique, l'agent le plus sûr de la Révolution, le même langage ». Chez un peuple libre la langue doit être une et la même pour tous »1.
BARÈRE ET DOMERGUE. — Si cette violente diatribe ne s'inspirait pas des idées de Domergue, il est incontestable qu'elle se rencontre sur des points essentiels avec les observations que fit ce dernier, le 23, au Conseil général de la commune de Paris, dans une adresse qu'il destinait aux communes et aux Sociétés populaires de la République
1. Guill., o. c, Conv., t. III, p. 349-354.
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et qu'il avait, dit-il dans un post-scriptum, écrite avant le 8. Bien que la conclusion soit différente et que Domergue propose d'autres moyens que Barère, à savoir la publication périodique d'un cours de langue française — son cours — pour unifier la langue 1, l'exposé des motifs est sensiblement le même : « Je puise mon courage, disait-il, dans le besoin qu'éprouve mon coeur d'être utile à tous les Français; je le puise dans l'espoir d'élever notre langue à la hauteur du peuple qui la parle; je le puise dans la certitude de coopérer à l'unité de langage, comme nos législateurs ont opéré l'unité de gouvernement et de législation, et dans la certitude plus flatteuse encore de pouvoir, par la propagation de notre langue, ce conducteur électrique de la liberté, de l'égalité, de la raison, contribuer à la régénération publique de l'Europe » 2.
1. Le cours de langue française devait contenir :
1° La grammaire française élémentaire simplifiée... suivie de la nomenclature des mots à difficiles familles de mots et homonymes. Cette partie, « dégagée de toutes les difficultés et les erreurs de la routine collégiale », sera intelligible à tous.
2° Un vocabulaire des mots usuels et de ceux qu'a enfantés la Révolution, où il v aura des définitions logiques, une prononciation exacte, une prosodie sûre, le sens propre et le sens figuré, la synonymie, la classification, l'orthographe de l'usage et les réformes que sollicite la raison.
(Des définitions comme le roi est le souverain, des mots comme marquis, baron, etc. doivent être relégués au théâtre pour servir d'objet d'horreur ou de ridicule).
3° La grammaire raisonnée, développement philosophique de la grammaire élémentaire. Elle motive les changements révolutionnaires opérés dans le système grammatical.
4° La solution des différentes difficultés... En forçant à remonter à des principes inconnus, à tracer des règles nouvelles, elle enrichit de morceaux précieux l'édifice de la grammaire.
5° Le commentaire grammatical d'un auteur célèbre.
6° Le recueil des meilleurs morceaux d'éloquence et de poésie, avec des notes didactiques (Voir l'Adresse. Imprim. Guyot, 12 p. in-8°).
Domergue avait déjà essayé de ressusciter la Société grammaticale qui, en 1791, avait repris son Journal de la Langue française, et de lui donner un caractère semi-officiel en la logeant dans une pièce contiguë aux bureaux du Comité d'instruction publique.
Le Comité lui refusa l'autorisation d'y demeurer, mais l'engagea à continuer ses travaux (27 ventôse an II — 17 mars 1794). Il avait été destitué de ses fonctions le 21 ventôse (Guill., o. c, Conv., t. III, p. 561). En vendémiaire an III, la Commission d'Instruction publique lui concéda un logement au Muséum des Arts, pavillon des Archives (Voir une de ses lettres dans les Lett. à Grég., p. 322).
2. Nous savons par une lettre qu'il adressa à Grégoire le 25 « Préréal » an II (sic) que le Comité de Salut public, à qui Romme avait présenté cette adresse « la renvoya par arrêté, à celui d'Instruction publique, et Guiton-Morveaux fut chargé par Prieur de la Côte-d'Or de la remettre. La remise, ajoute la lettre, a été faite, mais nul rapporteur... n'a été nommé ». Domergue se réjouit à l'idée que Grégoire pourrait être choisi (Lett. à Grég., p. 321).
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CHAPITRE III LE DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE
LA DISCUSSION DU DÉCRET. — La discussion fut brève. Barère représenta que, à trop étendre la mesure, on risquait de la rendre inefficace, parce qu'il faudrait « une masse d'hommes impossibles à trouver ». Il ajouta des précisions qui montrent combien il était renseigné — il était du reste député des Hautes-Pyrénées : « Ce dont nous avons essentiellement besoin aujourd'hui, c'est qu'il ne se forme pas une nouvelle Vendée dans la ci-devant Bretagne, où, comme nous le verrons dans les Rapports de Richard et Choudieu, les prêtres ont exercé la plus cruelle influence en ne parlant que le bas-breton 1. Ce dont nous avons besoin, c'est de repeupler un district du département du Bas-Rhin, que des émigrés ont entraîné 2, parce qu'ils parlaient aux habitants leur langage, et se servaient de ce moyen pour les égarer. Ce dont nous avons besoin, c'est que Paoli n'opère pas la contre-révolution en Corse par les moyens que lui en offre la langue italienne, qu'on parle uniquement dans cette île. Enfin, ce dont nous avons besoin, c'est de mettre à l'abri du fanatisme le peuple basque, qui est patriote, mais que des ennemis de la liberté pourraient corrompre en lui déguisant les vrais principes» 3.
LES INSTITUTEURS DE LANGUE FRANÇAISE. — Il fut décidé, sur la proposition du Comité de Salut public, que des instituteurs de langue française seraient nommés dans un délai de dix jours, dans tous les
1. Je n'ai trouvé dans ce rapport aucune allusion au langage dont les prêtres se servaient. Rien non plus dans les autres brochures qui se trouvent avec ce rapport et ont trait aux événements de Vendée (Bib. de la Ch. des Députés. Coll. Portier de l'Oise, Rév. fr., 34, Br 164). Il y a plus, Momoro, Commissaire national, décrit les origines de l'insurrection et dépeint les agissements des nobles :
« Que firent ces nobles ? ils eurent la politique de s'oublier entièrement, de changer de costume, de prendre celui de ces paysans, de vivre avec eux, de manger le même pain, de coucher comme eux dans les bois, et de défendre comme eux la religion... ». C'était l'occasion de nous les montrer parlant aux paysans leur langage. Pas un mot n'est dit à ce sujet. Il est vrai qu'il est question des nobles, non des curés.
2. Barère fait allusion à la grande fuite, étudiée par Reuss.
3. Journ. des Déb. et Décrets, dans Guill., o. c., Conv., t. III, p. 356.
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184 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
départements dont les habitants parlaient bas-breton, italien, basque et allemand :
Art. 1. — Il sera établi dans dix jours, à compter du jour de la publication du présent décret, un instituteur de langue françoise dans chaque commune des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord, et dans la partie de la Loire-Inférieure dont les habitants parlent l'idiome appelé bas-breton.
Art. 2. — Il sera procédé à la même nomination d'un instituteur de la langue françoise dans chaque commune de campagne des départements du Haut et du Bas-Rhin, dans le département de Corse, dans la partie du département de la Moselle, du département du Nord 1, du Mont-Terrible, des Alpes-Maritimes et des BassesPyrénées, dont les habitants parlent un idiome étranger.
Art. 4. — Ils seront tenus d'enseigner tous les jours la langue françoise et la Déclaration des droits de l'homme alternativement à tous les jeunes citoyens des deux sexes, que les pères, mères et tuteurs sont obligés d'envoyer dans les écoles publiques.
Les jours de décade, ils donneront lecture au peuple et traduiront vocalement les lois de la République, en préférant celles qui sont analogues à l'agriculture et aux droits des citoyens.
Art. 6. — Les sociétés populaires sont invitées à propager l'établissement des clubs pour la traduction vocale des décrets et des lois de la République, et à multiplier les moyens de faire connoitre la langue françoise dans les campagnes les plus reculées.
Le Comité de Salut public est chargé de prendre à ce sujet toutes les mesures qu'il croira nécessaires 2.
Le 30 pluviôse (18 février), un nouveau décret étendit la mesure à la Meurthe, et aux communes des Pyrénées-Orientales qui parlaient exclusivement catalan.
Dix jours pour improviser ce personnel bilingue, sans faire appel à un ci-devant ni à un ministre d'un culte (art. 3 du décret), c'était évidemment peu.
1. Ce département fut ajouté à la liste sur une observation de Merlin de Douai.
2. Guill., o. c, Conv., t. III, p. 348. Cf. Proc.-verb. de la Conv., t. XXX, p. 191.
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CHAPITRE IV LES ACTES EN FRANÇAIS
Nous avons vu les velléités qui s'étaient produites d'appliquer intégralement les antiques ordonnances sur l'introduction de la langue française dans tous les actes publics. Mais rien n'ayant encore été décidé, la Convention avait le choix entre une doctrine rigoureuse et le maintien des tempéraments depuis si longtemps admis. Ce devait être et ce fut la première résolution qui l'emporta.
Le 23 prairial an II (10 juin 1794), Thibaudeau était sollicité par une lettre des Administrateurs du Département du Bas-Rhin. Elle débute ainsi : « Nous avons senti comme toi, citoien Reprt, combien il était avantageux à la propagation des principes de la révolution et à la marche de l'esprit public de substituer dans tous les actes publics la langue républicainne aux idiomes étrangers ». Les signataires rappellent leur délibération du 25 germinal, dont ils envoient un exemplaire. Ils ajoutent : « Nous ne voyons donc dans une loi générale à proposer sur cet objet que le but avantageux de porter tous les français à ne parler qu'une seule langue comme ils ne forment qu'une seule famille, qu'ils n'ont que les mêmes droits, les mêmes loix et les mêmes devoirs à remplir. Le seul inconvénient que l'on peut alleguer ce serait de mettre les citoiens non encore au fait de la mère langue de la République dans le cas de pouvoir être trompé (sic) par un officier public de mauvaise foi, mais cette objection doit disparaître devant l'intéret général qui requiert, à notre avis, la loi que le Comité se propose de faire rendre »1.
Un citoyen, nommé Nègre, dont nous parlerons plus loin, exprimait des idées analogues : « Que tous actes publics ne seront valides qu'autant qu'ils seront conçus, rendus, écrits en la langue française. La République voulant rester fidele à ses principes d'unité, et abolissant à cet efêt l'usage de tous les idiomes ou patois usités dans différents points de son Etendue.
1. Arch. N., F 17 6891, n° 217. Comparez la lettre des Administrateurs du HautRhin citée p. 234.
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186 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
« Que tout Général dès son entrée dans le territoire ennemi, imposera aux vaincus la même loy des Romains, c'est-à-dire n'écoutera que le langage français.
« C'est avec notre propre langue que tous les peuples conquis sentiront les Avantages de la Liberté, s'approprieront nos principes, et se républicaniseront.
« Voilà, Citoyen, le voeu d'un jeune français. S'il est utile, remplissez-le; en faisant votre devoir, vous ferez ses plus doux plaisirs. Salut et fraternité.
« Haîne aux Tyrans, Amour aux Peuples. Nègre »1.
Il m'a paru nécessaire de citer ces plaintes venues des pays intéressés pour montrer que l'idée ne fut pas uniquement inspirée aux Jacobins par leur esprit tyrannique.
Quoi qu'il en soit, Thibaudeau avait inséré dans le projet de décret, adopté par le Comité d'Instruction publique des dispositions rigoureuses. Il ne fut pas rapporté.
Mais le 2 thermidor (20 juillet 1794), sur un rapport de Merlin de Douai au Comité de législation, on délibéra. Le Commissaire du district de Bergues, séant à Dunkerque, nous mande, dit l'auteur, que dans cette partie du département du Nord on ne se fait aucun scrupule d'enregistrer des actes écrits en langue flamande. Et sans doute « ni le département du Morbihan ni celui du Finistère ne sont exempts du même reproche, quant à l'usage du Bas-Breton ». Merlin connaissait la politique des rois à ce propos, et il est loin de se plaire à opposer la pensée des « tyrans » à la conception républicaine de la nation.
Après avoir rappelé l'ordonnance de Villers-Cotterets et celles qui l'ont suivie, il concluait, non sans habileté, qu'on avait bien le droit, « pour consolider la liberté du peuple », d'employer les mesures autrefois mises en oeuvre « pour river les fers de ceux qu'on osoit appeler des sujets ». Un décret complémentaire de celui de pluviôse an II défendit l'emploi d'aucun idiome autre que le français, même sous seing privé :
Art. 1. A compter du jour de la publication de la présente loi, nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu'en langue française.
2. Après le mois qui suivra la publication de la présente loi, il ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s'il n'est écrit en langue française.
3. Tout fonctionnaire ou officier public, tout agent du Gouverne1.
Gouverne1. N., F17 6891, n° 2123.
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LES ACTES EN FRANÇAIS 187
ment qui, à dater du jour de la publication de la présente loi, dressera, écrira ou souscrira, dans l'exercice de ses fonctions, des procès-verbaux, jugemens, contrats ou autres actes généralement quelconques conçus en idiomes ou langues autres que la française, sera traduit devant le tribunal de police correctionnelle de sa résidence, condamné à six mois d'emprisonnement, et destitué.
4. La même peine aura lieu contre tout receveur du droit d'enregistrement qui, après le mois de la publication de la présente loi, enregistrera des actes, même sous seing privé, écrits en idiômes ou langues autres que le français 1.
Les Commissaires prirent quelques arrêtés d'application. Dans le Nord, où de fâcheux agissements avaient été signalés, un arrêté de Florent Guyot, daté de Dune libre le 27 messidor, ordonna la rédaction de tous les actes publics en langue française 5.
1. Duvergier, Collect., t. VII, p. 225. Cf. un projet de décret du Com. I. P. du 3 messidor. Arch. N., F 17, 6391, n° 217.
2. Arch. dép. de Bergues, 13 f° 127, dans Lennel, L'instr. prim. dans le départ, du Nord, p. 59.
Le français ne devait pas gagner grand'chose à cette contrainte, si on en juge par la façon dont l'écorchaient des agents subalternes. Voici quatre gendarmes de Marckolsheim, qui essayent de donner un témoignage de civisme à leur collègue Beckmann :
Le 2 prairial " dern Undheilbaren Rebuplicq ». Ils ont signé les uns en lettres allemandes, les autres en françaises : Graper gendarme, Schroder chandarm, Deiper, Comandant de Brigote.
Rien de plus drôle que ce document allemand farci de mots français écorchés « Brigat, bateriott » et qui porte fièrement en tête : Lieberté, Egaligte, Frate... On n'a pas pu finir le mot (Arch. N., DIII 211, B.-Rhin).
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CHAPITRE V LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE
PREMIERS ARRÊTÉS DES REPRÉSENTANTS. — En Alsace, on ne s'en tint pas, on ne pouvait pas s'en tenir aux mesures générales. Déjà Lebas et St -Just, arrivés en octobre 1793, en présence d'une armée désorganisée, exposée à des intrigues politiques de toute sorte, sentant une partie de la population prête à l'insurrection, prirent inquiétude de cet attachement à la langue allemande qu'ils constataient jusque chez les Jacobins, et ils crurent qu'ils devaient et pouvaient s'en défaire, comme ils se défaisaient de tout ce qui menaçait la République.
Le 9 nivôse (29 décembre 1793), reprenant pour les appliquer les idées de Couturier, et devançant la Convention elle-même, en vertu de leurs pouvoirs illimités, ils décrétaient la création d'une école de français dans chaque commune ou canton du Bas-Rhin 1 :
« Provisoirement et jusqu'à l'établissement de l'instruction publique, il sera formé dans chaque commune du canton du départt du Bas-Rhin, une école publique de langue française.
« Le Département du Bas-Rhin prendra sur les fonds provenant de l'emprunt sur les riches, une somme de 600 000 livres, pour organiser promptement cet établissement, et en rendra compte à la Convention Nationale ». (Les rep. du peuple Lebas, St-Just) 2.
En fait cet arrêté n'était pas inattendu. Il étendait simplement au département ce qui avait été décidé pour Strasbourg un peu aupa1.
aupa1. une note manuscrite de Heitz dans son exemplaire de Le Génie de la Rév. considéré dans l'éducation, Paris, 1817 (Bibl. univ. et région, de Strasb.), un arrêté de la Commission provisoire municipale du 21 avertissait que les personnes sachant la langue française eussent à se présenter pour avoir des places d'instituteurs. Heitz ne s'est-il pas trompé sur la date? Ne faut-il pas lire 31 ?
2. Il est bien certain que beaucoup d'Alsaciens souffraient de cette ignorance du français. Un détenu à la maison de Strasbourg écrit le 1er germinal an II (21 mars 1794) pour « proposer un plan d'instruction publique ». Il termine en déplorant le désavantage qu'il a « d'être peu agueri dans la langue française ».
" Obligé de se servir d'un traducteur pour faire une " versition » de la langue allemande en langue française, il n'aura pas sans doute rendu la justesse et la précision de ses idées » (Arch. N., F17 1318, doss. 7).
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LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE 189
ravant par la Commission municipale. Dans sa séance du 12 frimaire an II (2 décembre 1793), elle avait en effet arrêté : « Il sera établi dans chaque arrondissement (de la ville) un instituteur pour l'enseignement journalier de la langue française tant à la jeunesse qu'aux citoyens ». Et dans plusieurs réunions subséquentes, on avait repris la question et fixé les détails d'application 1.
Mais si ces arrêtés n'avaient rien d'oppressif, en voici un autre d'un caractère bien différent. A la fête célébrée à Strasbourg en commémoration des martyrs de la liberté, le 17 décembre 1793, deux discours devaient être faits en français, un troisième en allemand. Le représentant Baudot s'opposa à ce que le dernier fût prononcé. Les trois le furent en français 2.
Les Représentants entraient donc dans une voie nouvelle et dangereuse. Ils ne cherchaient plus seulement à introduire le français, ou même à l'imposer ; ils interdisaient l'autre langue dans une cérémonie officielle. L'ère des violences était ouverte.
LES RESPONSABLES. — Il faudrait une longue recherche à travers les documents qui ont survécu pour savoir quelle était au juste, dans cette question spéciale de la langue, l'attitude de chacun de ceux qui menaient alors l'opinion.
Il est bien certain que Monet, né en Savoie, et maire de Strasbourg, était entièrement étranger à l'allemand. La langue de Schneider lui était aussi odieuse que sa personne. Entré en fonctions le jour même de l'exécution de Louis XVI, il s'exaspéra peu à peu contre les milieux alsaciens où il voyait le centre de la résistance aux idées extrémistes. Cependant le jour de l'inauguration du temple de la Raison, il en était encore à laisser traduire en allemand sa brochure : Le Clergé abjurant l'imposture 3.
La Propagande, ce singulier aggloméré de patriotes mandés du dehors et envoyés par les Clubs affiliés de France pour mener l'Alsace 4, ne pouvait se montrer résignée à supporter une langue qui gênait son action, car, de ses 80 membres, c'est à peine si quelquesuns entendaient le langage de la province 5.
1. Délibons du Corps mun. Str., 5e vol., f° 1374 et suiv. (Communiqué par M. P. Lévy).
2. Heitz, Soc. pol., p. 311.
3. En allemand, le titre est : Les prêtres veulent redevenir des êtres humains (M. 6451).
4. Leur première réunion eut lieu le 27 brumaire (17 nov.) à la Cathédrale.
5. Venaient de la région Vully, de Sarrebourg, Ming, de Phalsbourg, Schwartz, Ortlieb, Darbas, de Colmar. Mais les autres ne parlaient probablement que français : c'étaient Lavraud, Giroux, Schuller, de Chalon-sur-Saône ; Jardet, Dubois, de Beaune ; Delatre, Richard, Meuller, Baget, de Metz ; Nautit, de Pont-à-Mousson ; Cayon, de Nancy ; Rades, de Lunéville; Robinet, Paillot, de Bar-sur-Ornain; Caillet, Grammaire, de Barsur-Aube; Capitaine, Léonard, de Châlons-sur-Marne ; Laugier, Peccate, de St-Diez ;
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190 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Mais Euloge Schneider, Allemand de naissance, avait ses raisons pour juger vaines et inopportunes ces attaques violentes contre l'idiome. D'autre part Saint-Just et Lebas étaient si peu acquis à la Propagande, qu'ils la firent supprimer par le décret du 6 décembre. Il semble bien que les principaux coupables des violences aient été Baudot et Lacoste. Quoi qu'il en soit de la responsabilité des uns ou des autres, on vit l'allemand — entendez aussi bien le dialecte du cru — pourchassé en ennemi.
LA PROSCRIPTION DE L'ALLEMAND. — Le 23 germinal (14 avril 1794), le Directoire du département du Bas-Rhin ordonna la rédaction en français de tous les papiers de l'administration, et de tous ceux qui lui seraient adressés 1.
Les séances allemandes de la Société des Jacobins furent interdites 2. Peu de jours après, on en arrivait à des décisions francheBouillon, Friez, de Montbéliard ; Frisne, La Viele, de Verdun-sur-le-Doubs ; Chabé,de Seurre ; Vieune, Durand, de Nuits; Reuillot, l'Espagnol, de Conches; Miquel, Thierry, d'Epinal (D'après un papier de la Corr. de Grég. (Bas-Rhin), Bibl. Soc. des Amis P.-R.).
1. " Les Administrateurs du Directoire du Dépt du Bas-Rhin, considérant qu'il est instant de prendre les dispositions nécessaires pour répondre aux vues de la Convention qui, par son décret du 8 Pluviôse dernier, a ordonné l'établissement d'instituteurs français dans les départements du Rhin, afin d'y établir généralement la langue française ; considérant que le défaut de connaissance de cette langue entrave encore dans le Département la propagation des principes de la Révolution et ralentit la marche de l'esprit public ; considérant que la différence de langage entre les habitans de la rive gauche du Rhin et leurs frères de l'intérieur paroît être un obstacle à la communication fraternelle qui doit exister entr'eux ; qu'il est par consequent essentiel de détruire une cause qui pourroit nuire à l'harmonie politique de tous les Français, et relâcher les liens sociaux qui les unissent ; considérant enfin, qu'il est de l'intérêt général, que tous les Français qui ne forment qu'une même famille, qui ont les mêmes lois, les mêmes droits et les mêmes devoirs à remplir, ayent aussi le même langage ; que pour parvenir à ce résultat salutaire, il est nécessaire d'augmenter les moyens de propager la mère-langue de la République dans le Département et de bannir de tous les actes publics un idiome, qui rend les habitans encore, quant à ce, étrangers au reste de la France;
" Arrêtent :
" Que toutes les Délibérations et lettres des Municipalités, les rapports et procèsverbaux des employés et salariés de la République, les pétitions des citoyens aux corps administratifs, enfin tout ce qui sera relatif à l'administration, et qui sera adressé au Directoire du Département ou à ceux des Districts, sera rédigé en langue française.
ce Les Administrateurs déclarent qu'ils ne recevront plus celles qui seront écrites en allemand ; que leur intention n'est cependant point par là de mettre leurs concitoyens dans la nécessité de recourir au secours de ces hommes rapaces qui pullulent encore dans le Département et qui profitent de l'ignorance du citoyen de la campagne pour assouvir leur cupidité ; mais de les inviter de rédiger leurs écrits dans tel style et dans quelle forme ils pourront, pourvu que l'objet y soit clairement et brièvement énoncé.
ce Invitent en outre tous les libraires et imprimeurs du Département de ne se servir dans l'impression des ouvrages ou traductions en langue allemande, que de caractères français.
" La présente Délibération sera imprimée dans les deux langues, lue, publiée affichée et exécutée dans toute l'étendue du Département. Signé Mougeat, Prét ; Carey, Wagner Saget, Jaequy et Barbier Secre Gl » (Arch. Mun. Strasb., n° 108, du 25e germinal an II, t. II, 447).
2. Voir Histoire de la Propagande et des miracles qu'elle a faits à Strasbourg pendant son séjour dans cette ville, dans le mois de frimaire de l'an II de la république
« La Propagande a fait abolir les séances en langue allemande (de la société popu-
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ment ridicules, à de simples trompe-l'oeil. Ordre avait été donné par le même Directoire aux libraires et imprimeurs d'imprimer l'allemand en caractères français 1. On s'en prit aux écriteaux et aux enseignes : « Sur la proposition d'un membre, et ouï l'Agent national : Le Corps municipal désirant propager l'uniformité d'idiome dans cette partie de la République où la langue française est moins usitée :
« Arrête que toutes les inscriptions des bâtimens publics ne se feront désormais qu'en français, et que les inscriptions allemandes seront effacées.
« Invite instamment au nom du bien public ses Concitoyens d'effacer de même dans la décade les caractères allemands qui pourroient se trouver dans les inscriptions ou affiches placées aux maisons, au-dessus des magasins, ateliers ou boutiques. (Collationné : Dorou, Secrre adjoint) » 2.
ON PROPOSE DES MESURES DE VIOLENCE. — Ces mesures, aussi vaines qu'odieuses, ne satisfaisaient point encore les énergumènes, les tyrans ayant toujours confondu le bon sens et la faiblesse.
Le 5 frimaire déjà (25 novembre 1793), parmi les Jacobins « épurés » s'étaient produits des projets insensés de déportation ou d'exécution en masse des gens dont le crime était d'ignorer le fiançais, qu'on ne leur avait jamais appris 3. Un ancien prêtre, nommé Rousseville, se chargea de développer l'idée et de la transmettre à Paris4. Le 19 ventôse an II (9 mars 1794), il envoyait à la Convention un pamphlet virulent, qu'il se proposait de mettre ensuite en allemand. Ce pamphlet est intitulé Dissertation sur la francilisation de la ci-devant Alsace. L'élucubration de Rousseville, trop peu connue, mérite d'être citée; elle éclaire mieux que toute autre pièce, ce que fut cette période de la Terreur en Alsace 5.
laire) quoique les vrais sans-culottes de cette commune, cette portion précieuse du peuple qui a le plus de nerf et de vertus, ne parlent que cette langue. Au temple même de la raison, le seul culte qui existe à Strasbourg, la langue allemande a été proscrite. Comment est-il possible d'instruire, d'éclairer et de persuader un peuple, en lui parlant une langue qu'il n'entend pas ? » (Arch. Municip. de Strasb. Livre bleu, t. I, p. 191). A Haguenau, la présence de Monet et de Rousseville amena au même résultat.
1. V. p. 190, n. 1.
2. " Extrait des Registres du Corps Municipal de la Commune de Strasbourg, Séance publique du 11 Messidor an II ». Arch. Municip. de Strasb., n° 711, tome V, n° 109 2577. Cf. t. VII, n° 1355.
3. ce Plusieurs orateurs prononcèrent des discours très énergiques ; les uns demandaient qu'on les déportât et qu'on transplantât en Alsace une colonie de Sans-Culottes ; d'autres que l'on leur fit faire une promenade à la guillotine, pour opérer leur conversion » (Heitz, Soc. pol., p. 302-303 ; cf. Eccard, La lang. fr. en Als., dans Rev. Als. illustr , 1910).
4. Ce Rousseville était un agent de Robespierre (Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV,
p. 497-498).
5. Le texte est en manuscrit aux Archives Nationales, F 15 3301. Il a été imprimé à
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192 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Après quelques pages de récriminations contre les menées des ennemis de la République, quelques sorties virulentes contre les religions, Rousseville en vient au point du langage : « Ces cultes bizarres dont je demande la destruction, avoient osé s'approprier des langues particulières pour les choses qui les concernoient ; mais ce ne doit être qu'à celui de la vérité que nous voulons propager, qu'il faut qu'on consacre la plus belle et la plus étendue de celles qui existent en Europe, et cette langue est celle que parle la majorité des Français, et que la minorité doit apprendre. C'est dans cette langue mâle et sublime que les Voltaire, les Jean-Jacques, les Helvétius et tous les grands philosophes écrivirent leurs ouvrages immortels ; c'est dans cette langue qu'on a prouvé que la noblesse n'étoit qu'une chimère, le sacerdoce qu'une imposture, la royauté qu'un crime digne du dernier supplice, et qu'il n'y avoit de réel que l'égalité des sans-culottes, la vertu des républicains et la puissance de la nature. Enfin c'est dans cette langue qu'on écrit ces lois majestueuses et justes, qui fixeront à jamais notre bonheur et les destinées ineffables du genre humain...
« Assurément ce n'est point au langage, mais aux actions, que je veux qu'on juge définitivement du patriotisme d'un ou de plusieurs de mes semblables ; mais encore faut-il pouvoir faire entendre sa profession de foi ; et si je ne soupçonne pas un homme d'être aristocrate, précisement parce qu'il ne parle qu'une langue qui l'assimile en quelque sorte à nos ennemis... j'avouerai en même temps que je l'aimerois davantage s'il faisoit tous ses efforts pour s'acquérir un lien de plus entre lui et la presque-totalité de ses véritables frères, les républicains français... Un Français, au milieu d'une troupe d'Allemands, appréhende sans cesse que dans leur langage barbare ils ne blasphèment la révolution.
« Habitans de la ci-devant Alsace, si vous avez juré d'être nos amis, si vos sermens sont sincères, si ce qu'il en a coûté à plusieurs d'entre vous pour appeler nos perfides ennemis vous a totalement guéris du désir d'être allemands, faites que nous puissions connoitre par vos discours les dispositions de vos coeurs, et augmenter par la communication fraternelle de vos sentimens patriotiques la haine implacable que nous avons vouée à tous les tyrans...
« Ce n'est pas assez qu'on ait décrété qu'on vous donneroit des instituteurs chargés de resserrer par l'uniformité du langage,
Strasbourg chez Leyrault le 1er vent, an II (19 fév. 1794). Reuss possédait la pièce
et la cite. Elle a etc, lue à la Société de Thann, le 30 ventôse an II - 20 mars 1794 (Poulet, o. c, p. 198). Un exemplaire en a été conservé aux Archives municipales de
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LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE 193
l'union qui doit ne faire qu'une famille de tous les Français ; il faut mettre ce décret à une prompte exécution, trouver des hommes, et faciliter leur travail par votre bonne volonté.
« Un moyen sûr d'avoir des sujets capables d'une entreprise aussi grande que celle d'échanger ici l'allemand contre le français, c'est de faire de leurs fonctions des places utiles et honorables à ceux même qui les rempliront... Ces instituteurs auront un traitement honnête; ils seront regardés et honorés dans leurs communes, comme des espèces de magistrats chargés de faire connoitre et aimer nos lois ; ils seront comme les pères de tous ceux à qui ils auront appris la langue nationale...
« Une classe d'hommes que l'opinion a détruite... demande à grands cris, pourquoi on l'a exclue de l'éducation publique... Presque tous regrettent leurs anciennes prérogatives... ce furent des prêtres qui préparèrent dernièrement une Vendée constitutionnelle dans nos campagnes... ne confions pas la génération future à ceux qui avoient tout fait pour tromper et corrompre la génération présente.
« Que toutes les sociétés populaires, que toutes les autorités constituées, que tous les bons patriotes soient invités à chercher des maîtres de langue française, d'un civisme et d'une capacité reconnus ; et l'espace d'une ou deux décades prouvera que ce n'est pas dans ce siècle de philosophie et de lumières, qu'il est impossible de se passer des moines et des prêtres.
« Je ne parlérai point ici de l'assiduité des pères de famille à fréquenter eux-mêmes, et à faire fréquenter par leurs enfans les espèces de cours de langage et de droit français qui seront ouverts tous les jours par ces instituteurs. Qu'ils sachent néanmoins que ces établissemens entrant une fois dans le système politique relatif aux pays dans lesquels on ne parle pas français, on traiteroit comme suspects... ceux qui y mettroient quelque négligence ou empêchement... « Les institutions publiques de langue française une fois établies avec la vigueur républicaine, il est d'autres mesures secondaires qu'il sera bon d'employer... Je voudrois, par exemple, qu'il fût défendu sous de fortes amendes à celui qui sait les deux langues et qui parle avec un français qui ne sait que la sienne, de refuser de répondre quand il lui demande un chemin, une boutique, une maison... Je voudrois qu'on sût que, même dans l'ancien régime, ce qu'on appeloit la politesse ne vouloit pas que deux hommes parlassent devant un troisième une langue qu'il n'entendoit pas, quand ils en savoient une qui leur étoit commune avec lui. Je voudrois que le patriotisme fit de chacun de ceux qui savent les deux Histoire de la langue française. IX. 13
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langues, autant de maîtres de français au milieu de leurs familles et de leurs concitoyens. Je voudrois qu'on envoyât dans l'intérieur toutes les troupes levées dans la ci-devant Alsace, et qu'on n'employât sur le Rhin que des troupes françaises de langue et de' sentiment. Je voudrois enfin, que tous les discours publics dans les villes, que toutes les requêtes ou pétitions aux autorités constituées, que tous les actes publics, en un mot que toutes les choses de quelque importance se fissent en français.
« Ayant il y a quelques décades, proposé un journal français, particulier aux trois départemens, je ne fus point accueilli par la société populaire avec tout l'empressement que méritoit une chose de cette importance. Dans les premiers temps de la révolution Laveaux faisoit ici un journal français, on le lisoit presque partout...
« Je dirai pourtant que j'ai vu avec satisfaction qu'une partie des familles patriotes envoyoient leurs enfans dans les contrées voisines où la langue française est usitée, et j'ai dit : pourquoi ne pas generaliser les choses ? pourquoi ne pas faire une espèce de levée en masse de tous les jeunes citoyens et citoyennes de la ci-devant Alsace, et ne pas les placer pour un temps, par réquisition, chez les Français de l'intérieur? pourquoi ne pas décréter qu'aucune place civile et militaire de la République ne pourra être occupée que par des hommes qui sauront le Français ?...
" ...Vous recevrez avec joie des familles de frères qui viendront cultiver les terres abandonnées (par les émigrés), réparer les pertes de votre population, augmenter votre amour pour la révolution et faciliter votre résistance...
" Il sera fait par les représentants montagnards qui ont déjà sauvé votre pays, en appliquant le fer et le feu sur vos plaies gangrenées, et par de braves révolutionnaires qu'ils sauront s'adjoindre au besoin, un scrutin épuratoire de ce qui reste d'hommes dans la ci-devant Alsace : on en transplantera une bonne partie dans des lieux où il faudra qu'ils deviennent français, et on laissera l'autre pour se franciser avec la colonie qu'on appellera de l'intérieur de la République ».
On croirait, en lisant cette fin, à la folle élucubration d'un cerveau brûlé. Non. Philibert Simond, un Savoyard, qui fut député à la Convention et périt sur l'échafaud, lut le 17 floréal an II (6 mai 1794), un rapport dont les conclusions étaient toutes semblables : « Ce n'est pus assez, disait-il, de placer dans chaque commune un instituteur qui cherche à populariser cette langue, on n'atteindrait par là que partiellement le but; curies élèves, sortis de l'école, oublieront bien vite ce qu'ils y ont appris ; se trouvant entourés de personnes ne parlant que l'allemand, ils préféreront parler leur langage mater-
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nel. Il faut donc aviser aux moyens par lesquels le langage puisse être favorisé le plus efficacement possible. Le Comité vous propose dans ce but les mesures suivantes, que vous aurez à soumettre au Comité de S. P.
1° Que l'on donne aux citoyens de l'intérieur, qui parlent le français et qui ont mérité de la patrie, la préférence de l'achat des biens nationaux, et vice versa, que l'on favorise l'achat de ces biens de l'intérieur aux citoyens parlant allemand.
2° Que l'on transporte un nombre égal de citoyens parlant le français de l'intérieur de la République dans les deux départements du Rhin, de sorte qu'il y aura autant d'habitants parlant le français que de ceux parlant l'allemand dans les deux départements. Adopté par la Société » 1.
La Convention ne donna aucune suite à ces propositions. Peutêtre même les ignora-t-elle sur le moment 5 ; mais elles restèrent dans la mémoire des habitants et servirent à alimenter la haine de la République.
1. Heitz, o. c, p. 347-348.
2. Le 17 pluviôse an III, Bailly écrit de Strasbourg : " Ce que la Convention ignore, c'est que, dans le temps où l'on voulait anéantir toutes les grandes communes de la République, on faisait à Strasbourg la proposition féroce et insensée d'épurer la population et d'arracher tous les habitants à leurs foyers, pour les transplanter dans un sol qui ne les avait pas vus naître » (Aul., Act. du Com. S. P., t. XX, p. 87).
Sorgius parle de ces faits et donne quelques détails intéressants (Die l'olksschulen, p. 12-13) :
Des commissaires du peuple avec pouvoir discrétionnaire parcourent l'Alsace, souvent accompagnés de paysans armés que la population appelait " Speckreiter » [?].
Grande était la surprise de ces commissaires en pénétrant en Alsace par la Marche de Saverne et y rencontrant une population qui ce par la langue, les moeurs et le costume semblait plus allemande que française. » Pleins de préjugés à l'égard de ces Alsaciens allemands de langue, ils disaient qu'il fallait changer celle-ci le plus vite possible. Et c'est alors qu'éclata la lutte pour la langue et la nomination des maîtres, qui coûta tant de peine aux instituteurs du temps, que l'on déplaçait sans pitié et sans tolérer de résistance. En un tournemain il fallait que l'Alsace apprit le français.
Il est cependant historiquement prouvé que la lutte pour la suprématie du français n'était que partiellement provoquée par Paris. Elle était bien plutôt le fait des Représentants et Commissaires du peuple en mission avec pouvoir discrétionnaire.
Au début, on les avait accueillis avec espoir et joie, complant sur eux pour faire la paix entre les partis. Mais les citoyens tranquilles se virent bientôt déçus dans leurs espoirs. Les Commissaires fréquentaient les Assemblées de Jacobins, se trouvaient en partie sous leur influence et bientôt, dans leurs proclamations, parlèrent le langage des clubs. Parlait-on l'allemand devant eux, c'était la langue des tyrans; parlait-on des revers de l'Armée à la frontière, c'était la trahison; blàmait-on les décisions de la Convention ou des Commissaires, on était traître à la République. A Strasbourg, les choses allèrent si loin que personne ne voulait accepter et exercer la charge de maire, qui finit par échoir à un jeune et fougueux Jacobin, Monet, qui ne comprenait pas l'allemand...
Pour le recrutement de l'armée, on força beaucoup d'instituteurs, les célibataires ou ceux qui n'avaient pas d'enfant surtout, à quitter leur école pour prendre du service.
Quand le nouveau calendrier fut introduit et que le Decadi remplaça le dimanche, l'instituteur fut contraint de l'observer avec ses élèves, qui devaient danser autour de l'arbre de la liberté en chantant : " Saira, Saira... » (Souvenir oral de vieux amis de l'auteur).
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CHAPITRE VI LES PATOIS ET LA POLITIQUE
REPRÉSENTANTS PATOISANTS. — Dentzel avait refusé de joindre les patois aux idiomes dans son rapport sur les traductions, mais Grégoire avait son siège fait, on le savait. Une première fois, à la Convention, à propos d'instruction, le 30 juillet, il était intervenu, nous l'avons dit. Le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794), quand Barère avait proposé de créer des instituteurs dans les pays où il était parlé des idiomes étrangers, un membre avait introduit un amendement pour étendre cette mesure, c'est-à-dire, visiblement, pour s'attaquer aux dialectes. Barère craignit qu'on risquât tout à vouloir trop faire, et combattit la motion 1. Ce membre, c'était Grégoire. Si l'Assemblée ne le suivit point, la raison en est, d'après moi, que la persistance des patois était peut-être un embarras, mais pas un danger. Elle ne compromettait pas la sûreté de la République. On pouvait, en les poursuivant, servir l'unité, l'égalité aussi, on ne sauvait pas la patrie. C'est le point que je voudrais établir.
Il est arrivé à des Représentants en mission ou à des Commissaires de se servir de la connaissance qu'ils pouvaient avoir des parlers locaux. C'est le cas de Cassanyès qui savait le catalan. Il en profita en pleine bataille : « Comme je sais parler leur langage, je m'avançai pour les sommer de se rendre » (les habitants de Thozes) 2.
Un autre jour, c'est Gonchon qui tient une réunion à Lyon (28 mai 1793) : « Toutes les femmes disaient que j'avais été envoyé pour protéger les accapareurs. Comme elles tenaient ces propos en patois lyonnais, je m'écriai sur le même ton et dans le même
1. Voici la réponse de Barère : ce Ce n'est pas qu'il n'existe d'autres idiomes plus ou moins grossiers dans d'autres départements ; mais ils ne sont pas exclusifs, mais ils n'ont pas empêché de connaître la langue nationale. Si elle n'est pas également bien parlée partout, elle est du moins facilement entenduo ». Les clubs et les sociétés patriotiques y pourvoiront, '' Le législateur doit voir d'en haut, et ne doit ainsi apercevoir que les nuances très prononcées, que les différences énormes; il ne doit des instituteurs de langue qu'au pays qui, habitué exclusivement à un idiome, est, pour ainsi dire isolé et séparé de la grande famille ». (Paragraphe ajouté dans le rapport imprimé)
2. Compte-rendu de la mission Cassanyès, p. 23.
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LES PATOIS ET LA POLITIQUE 197
patois : « Bravas citoyenas ! vo ne volli donc pas m'écota? » Elles furent toutes surprises de m'entendre parler leur patois, et alors elles demandèrent les premières le silence, en disant toutes : « Ecotons-le, il a l'air d'un bon infant » 1.
GÊNE OU OBSTACLE? — Pour plusieurs, c'était assurément une surprise d'entendre jargonner en tant d'endroits. Carnot, en mission aux Pyrénées (septembre 1792), en fut scandalisé : « Le défaut de communications, écrit-il, fait que des pays qui se touchent demeurent, pour ainsi dire, étrangers l'un à l'autre ; langage, moeurs, costumes, tout est différent. Ces séparations entretiennent l'ignorance, l'égoïsme et l'indifférence pour les affaires générales de la République » (H. Carn., Mém. sur Laz. Carn., I, 280). Le carnet de route de Goupilleau, envoyé en 1793 dans le Midi, nous dit ses ébahissements. A Aix déjà, le président de la Société avait annoncé au peuple, en patois, la présence du Représentant. A Aubagne (le pays de Domergue !), ce fut pis : « Au club on ne parle pas français, mais on l'entend ». Naturellement Goupilleau ne pouvait pas se mettre à l'unisson 2.
Malgré cela, rien dans la correspondance, soit des Représentants, soit des Commissaires, qui fasse allusion à des difficultés véritables. Bo parcourt tout le Tarn ; il ne parle pas de la peine qu'il aurait éprouvée à se faire entendre 3. Voici Chaudron-Rousseau à Céret, en plein milieu hostile et étranger de langue. Il a harangué les villages, il note simplement : « Nos discours ont été écoutés avec attention et docilité » 4. Paganel a visité les communes du Midi, non seulement des villes comme Lavaur, Castres, Albi, Gaillac, mais l'Isle d'Albi, Réalmont, Rabastens. Il écrit triomphalement de Toulouse (16 pluviôse an II-4 février 1794): « Je m'y attachais encore à faire aimer la Révolution et la Convention, en opposant le bien qu'elles ont fait aux Français, et celui qu'elles veulent leur faire encore, aux maux qui nous sont venus des prêtres et des rois. Je ne puis vous peindre l'effet prodigieux de ces divers discours ; il faudrait en avoir été témoin pour s'en former une juste idée. Si les Représentants du peuple font quelque bien dans leurs commissions, la principale partie en appartient à ce qu'ils disent au
1. Caron, o. c, I, 485. Gonchon était ouvrier en soie à Paris.
2. Carnet de route publié par Gouve et Giraud, Nîmes, 1905, p. 38 ; cf. p. 42 et 64 : " A Fontvielle on me fît loger chez des femmes qui n'entendaient pas le français, mais qui me ccuriblèrent d'honnetetés ».
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 41. Sur Perpignan et les intrigues nouées dans le pays avec les Espagnols, voir en particulier Id., Ib., t. VIII, p. 684 (24 nov. 1793), t. IX, p. 456 (16 déc. 1793). Il faut du reste se défier de ces textes.
4. 4 messid. an II, Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV, p. 463.
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198 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
peuple assemblé. Il n'y a pas d'erreur qui résiste à leurs paroles, point de fanatiseur qui ose parler après eux. Peut-être faudrait-il... comme les représentants du peuple ne peuvent pas tout faire, leur adjoindre des. patriotes dignes de votre confiance et de la leur, qui eussent l'habitude de parler et celle d'écrire. J'oserai vous répondre qu'ils préviendront, dans tous les pays qu'ils parcourront, les mouvements et même les inquiétudes populaires, et que c'est peut-être le meilleur moyen qui existe de préserver la France des crises contre-révolutionnaires qu'elle a éprouvées l'année dernière de tant de côtés » 1. Lequinio, en mission dans la Charente, mande de son côté : « Je parierais sur ma tète qu'il n'y a ni Vendée ni Basse-Bretagne que je ne ramenasse à la raison, et je crois fermement que cinq ou six Représentants, connaissant l'esprit de la campagne comme je le connais, sachant un peu écrire et parler, et ayant autant de fermeté que de douceur, vaudraient à la France des armées et lui épargneraient des millions et une multitude d'agitations en la parcourant pour répandre l'esprit philosophique dans les campagnes. Ce que j'ai dit dans mon arrêté, je l'ai prêché avec bien plus de développement dans les campagnes au milieu des paysans qui n'avaient jamais entendu parler que d'oremus, et ils ont fini par me couvrir.de bénédictions » 2.
Semblable communication avait une valeur particulière, car Lequinio avait eu l'attention attirée sur le problème des langues par Grégoire, dont il fut l'un des correspondants. Le 2 juillet 1793, à propos d'une discussion sur l'éducation publique, il avait marqué fortement l'importance de la lutte à entreprendre contre les parlers non français : « Plus vous ferez communiquer les habitants des campagnes avec ceux des villes, disait-il, et plus vous réussirez à établir la vraie égalité qui réside dans le coeur de l'homme qui ose penser, et qui, sans ces utiles communications, s'effacera toujours devant l'impudence de l'homme riche.
« Vous en retirerez enfin l'avantage de voir s'éteindre sans peines (sic) les idiomes étrangers que l'on parle encore dans quelques coins de la France et la pureté de la langue s'établir partout où se parlent actuellement des langues qui ne semblent être que des dépravations de la langue mère » 3. Les faits avaient-ils donc corrigé son opinion? Parlait-il comme un homme pour qui la difficulté n'existe pas, ou bien était-il en possession de parler
1. Aul., Acl. du Com. S. P., t. X, p. 693.
2. 1er pluv. an II. De Rochefort. (Aul., Act. du Com. S. P., t X p. 341). On prendra garde toutefois qu'il s'arrangerait aussi, à son dire, du bas-breton
3. Plan propose le 2 juillet 1793, dans Guill., 0. c., Conv t. I, p. 547.
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LES PATOIS ET LA POLITIQUE 199
le dialecte? On peut faire toutes sortes d'hypothèses. Toujours est-il qu'il mentionne les conditions auxquelles les propagandistes devraient satisfaire. Il semble que l'occasion était belle de marquer quel secours pouvaient apporter des gens possédant le langage du pays. Il n'en dit rien.
Là où les « vicaires » ont fonctionné, rien non plus dans les rapports qui dise combien leur connaissance des parlers locaux a été utile : « Le citoyen Lorrain, écrit Couturier, administrateur et cordonnier de profession, doit aujourd'hui être à la tète du convoi qui part avec des cloches de cuivre. C'est un citoyen pauvre, mais dont le patriotisme est à toute épreuve ; c'est un apôtre de la Révolution comme il n'y en a point; c'est à lui que le rapide succès de la régénération que j'ai faite est dû en plus grande partie. Depuis six semaines il ne m'a pas quitté dans mes tournées. Il faut qu'il ait une poitrine de fer pour avoir autant prêché et chanté, comme il l'a fait dans les ci-devant chaires de mensonge, et le tout à la manière des sans-culottes de campagne »1. Couturier est encore un des Représentants qui se sont occupés à d'autres occasions de la difficulté des idiomes. Il fait ici un éloge des facultés de Lorrain, de sa foi, de ses poumons même. Pourquoi ne dit-il rien de sa connaissance du parler?
Voici qu'on nous signale un honnête courtier, d'un infatigable dévouement à la République : « Je me suis informé si on en avait reçu des exemplaires (de la Constitution); je n'ai pas trouvé une seule personne qui en eût connaissance, si ce n'est, à Bayeux, un excellent patriote nommé Vautier... Il a écrit au Ministre pour lui demander un exemplaire de la Constitution, qu'il a reçu bien exactement, et dont il donne connaissance à tous. Il demande que le Bulletin de la Convention lui soit envoyé, qu'il l'affichera tous les jours dans son étude, qui est très fréquentée » 2. En quelle langue étaient les commentaires dont Vautier accompagnait ses lectures ? Il semble qu'il ne vaille pas la peine de s'attacher à ce détail.
Aucune étude sur la propagande, aucune du moins qui me soit connue, ne vaut celle de H. Labroue sur Lakanal et l'instruction civique dans la Dordogne 3. Nous y voyons la naissance des Commissions d'instruction sociale, la création des apôtres civiques, chargés de se rendre dans les chaumières ; nous y trouvons l'analyse du Journal d'instruction populaire qu'ils portaient avec eux. Les entre1.
entre1. frim. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. VIII, p. 694.
2. Caron, o. c. t. II, p. 16-17. Rapport d'Heudier (3 août 1793). Le même propose un Journal des Décades qui serait envové à toutes les municipalités (Ib., p. 42).
3. La Révol. fr., 1904, t. XLVII, p. 481 et suiv.
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200 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
tiens civiques, destinés aux plus humbles, sont invariablement en
français.
Un dernier fait. Roux-Fazillac a entendu un instituteur lire un jour de décadi, un discours « très propre à éclairer le peuple ». Il se propose de l'envoyer dans tous les cantons faire la même lecture. Il spécifie bien qu'il ne s'agit pas des centres, mais des villages : " c'est le moyen qu'il faut adopter dans un pays où les habitants des campagnes, quelquefois même les officiers municipaux, ne savent pas lire »1. Il veut donc s'adresser aux illettrés et ne propose nullement de traduire le papier.
LE PATOIS ET LES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES. — Même silence sur le langage quand il s'agit des menées des contre-révolutionnaires et des « fanatiques ». Nous avons des relations extrêmement détaillées de la façon dont les choses se passaient. Or, il semble à peu près établi qu'en Vendée, par exemple, les écrits destinés à entretenir l'insurrection des « brigands » et à leur amener des recrues n'ont pas emprunté les formes du parler paysan. La raison primordiale en est sans doute que des écrits eussent été fort inutiles en n'importe quelle langue, la masse des révoltés ne sachant pas lire 2. Les appels se sont donc faits surtout oralement. On entrait dans les maisons, on racolait; le patois jouait probablement son rôle et un rôle important dans ces circonstances, mais nous n'en avons nulle preuve.
Nous possédons un des cantiques que l'on chantait parmi les Vendéens, c'est un travestissement de la Marseillaise; une nuit même, il trompa les Républicains. Il est en français patoisé :
Allons, les armées catholiques, Le jour de gloëre est arrivé ! Contre nous de la République L'étendard sanglant est levé ! Entendez-vous, dans ces campagnes, Les cris impies dos scélérats ? Gle venant jusque dans vos bras Prondre vos feilles et vos femmes !
O sainte Vierge Marie
Condis, soutiens nos bras vengeurs !
Contre ine séquelle annemie
Combats avec tes zélateurs!
A nos étendards la victoëre
Est premise de quiau moument
1. Niv. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. X, p. 55 et 109
2. Barère paraît avoir confondu Bretagne et Vendée comme on l'a vu plus haut.
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LES PATOIS ET LA POLITIQUE 201
Et le régicide expirant
Voië ten triomphe et notre gloëre ! Aux armes, Poitevins ! Formez vos bataillons ! Marchez ! Le sang des Bleus rougira vos sillons ! 1
Les proclamations des chefs sont en français, les lettres du Roi également, cela va sans dire.
Nous voyons les insurgés en contact avec des Français, dans des villes où ils ont pénétré ; ils écorchent la langue commune, la patoisent, mais la parlent : « Je vous en prions... J'avons pitié de votre âme et il faudra pourtant bien que je vous tuions » 2. Le citoyen Jacques-Yves Bernard Chiron, Commissaire national près le tribunal du district de Blain, a été pris par les brigands, et avant de leur échapper, il a causé avec eux longuement. Aucune allusion au patois. Le parlait-il? 3 Les insurgés crient " Vive le Ré! » mais une fois pris par les bleus, et amenés devant les tribunaux, ils répondent aux interrogatoires. Nulle mention d'interprètes dans les procédures 4. La ressemblance des deux langues suffit à expliquer ces faits 5.
ON S'ACCOMMODE DES EMBARRAS LINGUISTIQUES. — Il en allait de même un peu partout, même dans le Midi, " C'est principalement dans les foires que le conspirateur travaille et exploite le malheureux agriculteur, écrit Lanot, parce que c'est là que les trouvant rassemblés dans les cabarets, des émissaires adroits, revêtus du costume du pays et souvent même pris et achetés dans la classe du peuple, parcourent les cabarets, et tout en causant boeufs, moutons, récoltes, et en continuant des marchés, en maudissant les assignats, répandent les germes des insurrections... C'est là qu'on alarme leur imagination, qu'on étouffe leur bon sens, en rappelant les bons mots du curé, en évoquant les miracles et les diables de l'enfer, et en ne leur pronostiquant que famine et pillage de leur récolte, c'est là, en un mot, que les muscadins de campagne se
1. Cantique par l'Abbé Lusson, frère de l'aubergiste de Saint-Fulgent, dans Chassin, Prép. de la guer. de Vend., t. III, p. 476.
2. Journal du président du tribunal de Cholet, dans Guerr. de Vend. et des Chouans, Paris, 1824, t. I, p. 84.
3. Compte-rendu au Cn Morillon, Cre de la Convn. Arch. Aff. Etr., Fr., 1409 f° 183 et suiv.
4. Carrier, Lett. du 22 brum. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. VIII, p. 376. La grande proclamation des Représentants, adressée à tout l'Ouest, le 15 frimaire an III, pour porter à la connaissance des populations le décret du 12, fut imprimée en français et non traduite (Id., Ib., t. XVIII, p. 536).
5. Des hommes instruits, questionnés, s'y tromperont, '' Le patois de ce pays-ci, dit un préfet de l'Empire, ne ressemble en rien à un dialecte... C'est un français défiguré et mal prononcé » (B. N., ms. f., Nouv. Acq., 5912. f° 300). Il est à remarquer que presque tous les Préfets des départements au Nord de la Loire, même quand ils envoient des traductions, ne reconnaissent pas l'existence de dialectes.
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202 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
rassemblent et font des portraits abominables de la Convention et de ses travaux, en y prêtant de l'argent pour faire des emplettes et en y promettant protection aux pauvres journaliers » 1 .
La scène est sûrement reproduite avec exactitude, chaque trait en est d'une précision extrême. Or il s'agit des paysans de la Corrèze, et dans ce département — j'ai pu m'en assurer par moi-même au cours d'une enquête dialectale — aujourd'hui encore, un certain nombre de vieilles gens ne parlent pas le français ; c'est donc en patois qu'on cherchait, en l'an II, à les pousser à la révolte. Aucune observation ne le marque. La chose ne valait-elle donc pas d'être mentionnée? C'est que, je pense, elle ne paraissait pas considérable 2.
Dithurbide, en proposant à la Commission des traductions de se réduire aux idiomes, avait bien fait ressortir la différence entre pays à idiome et pays à patois, tout en montrant qu'il n'avait qu'une connaissance très imparfaite de l'état linguistique général : « Il y a autant de jargons (30) dans la République; mais je suis convaincu que la plupart des peuples qui les parlent entendent assez le français pour se passer de traductions, puisqu'aux Basques et aux Bas-Bretons près, ce ne sont que des corruptions du français » 3. Là est sans doute la vérité.
Ce qui précède ne va pas à dire que brusquement la lumière s'était faite dans les cerveaux. Je ne veux rien exagérer. Révolutionnaires et contre-révolutionnaires continuaient d'appeler à l'occasion les patois à la rescousse.
Nous savons qu'en mai et juillet 1793, une délégation de propagande fédéraliste quitta Marseille 4, envoyée par le Comité des Sections, avec le dessein d'évangéliser la région d'Arles. Les harangueurs se servirent parfois du français — rarement; à St-Chamas, à Salon, ils usèrent du provençal. A Aix même, la délégation fut accueillie par une harangue en provençal 5.
A la société de Dunes-en-Condomois, comme divers sociétaires ignoraient le français, employé sans doute d'ordinaire dans les séances, on désigna six citoyens pour traduire en idiome du pays la
1. De Tulle, 23 niv. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P.. t. X, p. 209.
2. Même dans les Pyrénées-Orientales, dont l'esprit était particulièrement mauvais, les Représentants, qui le signalent très vivement, ne s'en prennent pas au parler catalan. Cependant, sur cette frontière comme sur d'autres, le parler des habitants était aussi celui de voisins en guerre avec la France, car il y avait de nombreux Catalans dans l' armée hispano-portugaise qui fut vaincue au Boulou
3. Arch. N., AA. 32, doss. 2.
4. La propagande fédéraliste dans les Bouehes-du-Rhône, dans Annal. Rév., juil. 1909, p. 394 et suiv. ; cf. p. 402. Voir Brun, Mém. ms.
3. Guibal, Le mouv. fédér. en Prov., p. 89 ; cf. Brun, Mém. ms.
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LES PATOIS ET LA POLITIQUE 203
Constitution révolutionnaire, ainsi que les décrets et les nouvelles 1. Toutes les Sociétés dont nous avons parlé continuaient à être bilingues. Néanmoins, même dans celles où on parlait le plus ordinairement patois, le français avait pénétré, et les réunions y accoutumaient les oreilles, les yeux et les esprits. On ne pouvait pas traduire intégralement la foule d'écrits et d'imprimés dont la lecture et la discussion emplissaient les séances. Barère disait juste quand il proclamait le principe que les Clubs, les Sociétés patriotiques étaient des écoles primaires pour la langue et la liberté. Et elles avaient pour élèves non seulement leurs membres, mais tous les citoyens. On tendait l'oreille, on « s'arrangeait ». Les mots difficiles et nouveaux étaient, à tout prendre, aussi obscurs pour un francisant que pour un patoisant. Maximum ne disait pas plus à l'un qu'à l'autre. Il dut, tout comme réquisition et tant d'autres, être enseigné par la méthode directe et la leçon de choses.
1. Bigourdan, Soc. popul. de Dunes, dans El. et Doc., fasc. VIII, p. 62.
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CHAPITRE VII L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE
LERAPPORT DU 16 PRAIRIAL. — Malgré tout, Grégoire avait son siège fait, et il n'était pas homme à se laisser rebuter par les fins de non recevoir de Barère et des autres. Il avait longtemps étudié la question, pris ses informations, et réfléchi. La destruction des patois lui paraissait, sinon chose de salut public, du moins chose nécessaire dans l'intérêt de la nation et de la République, et aussi dans l'intérêt de l'Église, dont il entendait, ainsi que nous le verrons, franciser la liturgie, espérant lui redonner par là une action plus forte que jamais sur les âmes.
Si en effet un ou deux, parmi ses nombreux correspondants, estimaient qu'il ne valait guère la peine de faire la guerre aux patois, si même certains exprimaient la crainte qu'en les détruisant on ne fit tort aux moeurs et à la religion, presque tous au contraire proclamaient que leur disparition serait un immense bienfait. On ne lui cachait point que l'entreprise était chanceuse. Il n'y a, en pays wallon, lui écrivait-on, ni cour, ni foyers de civilisation purement française, ni sociétés littéraires; les habitants s'occupent peu de questions d'art, où la langue importe, et le français est pour eux trop surchargé de règles. Du reste, le wallon est très riche, très énergique et très doux. De Provence, nous l'avons vu, un « félibre » avant la lettre lui répondait : '' Pour détruire le patois, il faudrait détruire le soleil, la fraîcheur des nuits, le genre d'aliments, la qualité des eaux, l'homme tout entier ».
La variété des moyens proposés pour réussir devait aussi lui donner à réfléchir; la plupart n'étaient ni d'un emploi facile ni d'un effet immédiat. La persuasion seule, signalait-on, serait efficace; des lois brutales échoueraient. La Société des Amis de la Constitution de Limoges observait avec clairvoyance que « pour le changer [le langage] il n'y a que la voie de la persuasion et la voie des moyens indirects » (Lett. à Grég., p. 171). Il fallait, pour triompher de vieilles habitudes, transformer les usages du clergé, interdire prônes,
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L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 205
exercices, catéchismes en patois, exclure en même temps les patois des tribunaux et des actes civils; mais, à ces mesures pour ainsi dire négatives, il était nécessaire d'en ajouter d'autres, positives, telles que la multiplication, par tous les moyens, des voies de communication et des rapports des villageois avec les centres plus instruits. Il convenait surtout de compter sur un plan d'éducation bien organisé, appliqué par des instituteurs purement français, qui disposeraient de bons manuels élémentaires, et répandraient dans les campagnes des livres écrits dans la langue commune, traitant d'agriculture, de commerce, de religion, faisant aussi connaître la constitution et les lois.
Le 9 prairial an II (28 mai 1794), le Comité d'Instruction publique entendit le rapport de Grégoire « sur les idiomes et patois répandus dans les différentes contrées de la République ». Après cette lecture, le Comité décida qu'il y joindrait un projet de décret. Le 11, Grégoire fut autorisé à conférer avec le Comité de Salut public. Le 16 (6 juin), le rapport fut lu à la Convention 1. Il aurait de quoi étonner, à cette date, et en pareil lieu, si on ne savait, comme le dit Grégoire lui-même, qu' « au milieu des orages politiques (la Convention), tout en tenant d'une main sûre le gouvernail de l'Etat, prouvait que rien de ce qui intéresse la gloire de la nation ne lui est étranger » 2.
Grégoire a fait deux parties distinctes de sa harangue. La seconde, où il examine les moyens de révolutionner la langue, sera étudiée ailleurs. La première est consacrée à montrer qu'il faut " l'uniformer ». Grégoire, qui a lu Rivarol, peut-être même Charpentier, commence par constater que la langue française est, de l'assentiment de tous les peuples, devenue '' classique » en Europe 3.
" Si notre idiome a reçu un tel accueil des tyrans et des cours,
1. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 487.
2. On en trouvera le texte in extenso dans le Moniteur, t. XX, p. 643. Cf. La Révol. fr., t. II, p. 649. L'édition originale se trouve au Mus. pédagogique, n° 11646, et dans le Recueil des pièces mss. réunies par Grégoire, que j'ai si souvent cité.
3. " La langue française a conquis l'estime de l'Europe et depuis un siècle elle y est classique. Mon but n'est point d'assigner les causes qui lui ont assuré cette prérogative ; il y a dix ans qu'au fond de l'Allemagne (à Berlin) on discuta savamment cette question, qui, suivant l'expression d'un écrivain, eût flatté l'orgueil de Rome, empressée à la consacrer dans son histoire comme une de ses belles époques. On connaît les tentatives de la politique romaine pour universaliser sa langue ; elle défendait d'en employer d'autres pour haranguer les ambassadeurs étrangers, pour négocier avec eux, et, malgré ses efforts, elle n'obtint qu'imparfaitement ce qu'un assentiment libre accorde à la langue française. On sait qu'en 1774 elle servit à rédiger le traité entre les Turcs et les Russes ; depuis la paix de Nimégue elle a été prostituée pour ainsi dire aux intrigues des cabinets de l'Europe, parce que dans sa marche éclairée et méthodique, la pensée s'exprime facilement, ce qui lui donne un caractère de raison, de probité, que les fourbes eux-mêmes trouvent plus propre à les garantir des fourberies diplomatiques ».
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206 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
à qui la France monarchique donnait des théâtres, des pompons, des modes et des manières, quel accueil ne doit-il pas se promettre de la part des peuples à qui la France républicaine révèle leurs droits en leur ouvrant la route de la liberté ?
« Mais cet idiome, admis dans les transactions politiques, usité dans plusieurs villes de l'Allemagne, de l'Italie, des Pays-Bas, dans une partie du pays de Liège, de Luxembourg, de la Suisse, même dans le Canada et sur les bords du Mississipi, par quelle fatalité est-il encore ignoré d'une très grande partie des Français? »
Grégoire donne une brève étude sur les diverses influences qui ont fait disparaître le celtique primitif, invasions, domination romaine, et qui ont contribué à la formation des dialectes : La féodalité, qui morcela la France, « y conserva soigneusement cette disparité d'idiomes comme un moyen de reconnaître, de ressaisir les serfs fugitifs et de river leurs chaînes ».
" II n'y a environ que quinze départements de l'intérieur où la langue française soit exclusivement parlée; encore y éprouve-t-elle des altérations sensibles, soit dans la prononciation des mots, soit par l'emploi de termes impropres et surannés, surtout vers Sancerre, où l'on retrouve une partie des expressions de Rabelais, Amyot et Montaigne.
« Nous n'avons plus de provinces, et nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms » 1.
Plusieurs de ces dialectes, à la vérité, sont génétiquement les mêmes; ils ont un fonds de physionomie ressemblante, et seulement quelques traits métis tellement nuancés que les divers faubourgs d'une commune, telle que Salins et Commune Affranchie, offrent des variantes.
Cette disparité s'est conservée d'une manière plus tranchante dans des villages situés sur les bords opposés d'une rivière, où, à défaut de pont, les communications étaient autrefois plus rares. Le passage de Strasbourg à Brest est actuellement plus facile que ne l'étaient jadis des courses de vingt lieues, et l'on cite encore vers Saint-Claude, dans le département du Jura, des testaments faits
1. " Peut-être n'est-il pas inutile d'en faire rémunération : le bas-breton, le normand, le picard, le rouchi ou wallon, le flamand, le champenois, le messin, le lorrain, le franc-comtois, le bourguignon, le bressan, le lyonnais, le dauphinois, l'auvergnat, le poitevin, le limousin, le picard, le provençal, le languedocien, le vélayen, le catalan, le béarnais, le basque, le rouergat et le gascon ; ce dernier seul est parle sur une surface de 10 lieues en tout sens. Au nombre des patois, ajoute Grégoire, je puis encore placer l'italien de la Corse, des Alpes-Maritimes, et l'allemand des Haut et Bas-Rhin, parce que ces deux idiomes y sont très-dégénérés ". Il termine par une allusion au parler des nègres de nos colonies. On voit que l'auteur s'attaque en réalité aux idiomes sous prétexte qu'ils sont dialectaux.
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L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 207
(est-il dit) à la veille d'un grand voyage; car il s'agissait d'aller à Besançon, qui était la capitale de la province.
« On peut assurer sans exagération qu'au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale; qu'un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie; qu'en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent purement n'excède pas trois millions, et probablement le nombre de ceux qui l'écrivent correctement est encore moindre.
« Ainsi, avec trente patois différents, nous sommes encore pour le langage à la tour de Babel, tandis que, pour la liberté, nous formons l'avant-garde des nations... L'état politique du globe bannit l'espérance de ramener les peuples à une langue commune... une langue universelle est, dans son genre, ce que la pierre philosophale est en chimie.
« Mais au moins on peut uniformer la langue d'une grande nation de manière que tous les citoyens qui la composent puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l'organisation sociale, et qui doit être jaloux de consacrer au plutôt, dans une République une et indivisible, l'usage unique et invariable de la langue de la liberté.
« Sur le rapport de son Comité de salut public, la Convention nationale décréta, le 8 pluviôse, qu'il serait établi des instituteurs pour enseigner notre langue dans les départements où elle est le moins connue. Cette mesure, très-salutaire, mais qui ne s'étend pas à tous ceux où l'on parle patois, doit être secondée par le zèle des citoyens. La voix douce de la persuasion peut accélérer l'époque où ces idiomes féodaux auront disparu. Un des moyens les plus efficaces peut-être pour électriser les citoyens, c'est de leur prouver que la connaissance et l'usage de la langue nationale importent à la conservation de la liberté. Aux vrais républicains, il suffit de montrer le bien, on est dispensé de le leur commander.
« La résurrection de la France s'est opérée d'une manière imposante; elle se soutient avec majesté; mais le retour d'un peuple à la liberté ne peut en consolider l'existence que par les moeurs et les lumières. Avouons qu'il nous reste beaucoup à faire à cet égard.
" Tous les membres du souverain sont admissibles à toutes les places; il est à désirer que tous puissent successivement les remplir, et retourner à leurs professions agricoles ou mécaniques. Cet état de choses nous présente l'alternative suivante : si ces places sont occupées par des hommes incapables de s'énoncer, d'écrire dans la
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langue nationale, les droits des citoyens seront-ils bien garantis par des actes dont la rédaction présentera l'impropriété des termes, l'imprécision des idées, en un mot tous les symptômes de l'ignorance? Si au contraire cette ignorance exclut des places, bientôt renaîtra cette aristocratie qui jadis employait le patois pour montrer son affabilité protectrice à ceux qu'on appelait insolemment les petites gens. Bientôt la société sera réinfectée de gens comme il faut; la liberté des suffrages sera restreinte, les cabales seront plus faciles à nouer, plus difficiles à rompre, et, par le fait, entre deux classes séparées s'établira une sorte de hiérarchie. Ainsi l'ignorance de la langue compromettrait le bonheur social ou détruirait l'égalité ».
Il ne faut pas que, par ignorance, comme cela se vit, le peuple aille prendre un décret pour un « décret de prise de corps ».
« Proposerez-vous de suppléer à cette ignorance par des traductions ? Alors vous multipliez les dépenses, en compliquant les rouages politiques, vous en ralentissez le mouvement : ajoutons que la majeure partie des dialectes vulgaires résistent à la traduction ou n'en permettent que d'infidèles 1. Si dans notre langue la partie politique est à peine créée, que peut-elle être dans des idiomes dont les uns abondent à la vérité, en expressions sentimentales pour peindre les douces effusions du coeur, mais sont absolument dénués de termes relatifs à la politique; les autres sont des jargons lourds et grossiers, sans syntaxe déterminée, parce que la langue est toujours la mesure du génie d'un peuple ; les mots ne croissent qu'avec la progression des idées et des besoins. Leibnitz avait raison. Les mots sont les lettres de change de l'entendement ; si donc il acquiert de nouvelles idées, il lui faut des termes nouveaux, sans quoi l'équilibre serait rompu. Plutôt que d'abandonner cette fabrication aux caprices de l'ignorance, il vaut mieux certainement lui donner votre langue ; d'ailleurs l'homme des campagnes, peu accoutumé à généraliser ses idées, manquera toujours de termes abstraits ; et cette inévitable pauvreté de langage, qui resserre l'esprit, mutilera vos adresses et vos décrets, si même elle ne les rend intraduisibles.
« Cette disparité de dialectes a souvent contrarié les opérations de vos Commissaires dans les départements. Ceux qui se trouvaient aux Pyrénées-Orientales (sic) en octobre 1792 vous écrivirent que, chez les Basques, peuple doux et brave, un grand nombre était accessible au fanatisme, parce que l'idiome est un obstacle à la propagation des lumières. La même chose est arrivée dans d'autres dépar1.
dépar1. le texte : promettent.
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L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 209
tements, où des scélérats fondaient sur l'ignorance de notre langue le succès de leurs machinations contre-révolutionnaires.
« C'est surtout vers nos frontières que les dialectes, communs aux peuples des limites opposées, établissent avec nos ennemis des relations dangereuses, tandis que dans l'étendue de la République, tant de jargons sont autant de barrières qui gênent les mouvements du commerce et atténuent les relations sociales. Par l'influence respective des moeurs sur le langage, du langage sur les moeurs, ils empêchent l'amalgame politique, et d'un seul peuple en font trente. Cette observation acquiert un grand poids, si l'on considère que, faute de s'entendre, tant d'hommes se sont égorgés et que souvent les querelles sanguinaires des nations, comme les querelles ridicules des scholastiques, n'ont été que de véritables logomachies. Il faut donc que l'unité de langue entre les enfants de la même famille éteigne les restes des préventions résultantes des anciennes divisions provinciales, et resserre les liens d'amitié qui doivent unir des frères...
« Toutes les erreurs se tiennent comme toutes les vérités... C'est surtout l'ignorance de l'idiome national qui tient tant d'individus à une si grande distance de la vérité ; cependant, si vous ne les mettez en communication directe avec les hommes et les livres, leurs erreurs, accumulées, enracinées depuis des siècles, seront indestructibles.
« Pour perfectionner l'agriculture et toutes les branches de l'économie rurale, si arriérées chez nous, la connaissance de la langue nationale est également indispensable... les livres les plus usuels sont souvent inintelligibles pour les citoyens des campagnes...
« Il faut donc, en révolutionnant les arts, uniformer leur idiome technique; il faut que les connaissances disséminées éclairent toute la surface du territoire français, semblables à ces réverbères qui, sagement distribués dans toutes les parties d'une cité, y répartissent la lumière. Un poète a dit :
Peut-être qu'un Lycurgue, un Cicéron sauvage, Est chantre de paroisse ou maire de village.
« Les développements du génie attesteront cette vérité ».
Mais il y a des objections à ce plan d'unification. Les méridionaux quitteront-ils facilement leur dialecte, qui est une véritable et belle langue ? A cela, Grégoire répond que ni d'Astros ni Goudouli ne sont comparables à Pascal, Fénelon et Jean-Jacques ; que d'ailleurs les habitants du Midi, qui ont abjuré le fédéralisme politique, « combattront avec la même énergie celui des idiomes ».
Histoire de la langue française. IX. 14
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Ces idiomes resteront domaine d'étude, et, à ce sujet, l'orateur s'élève à la conception de la grammaire générale et d'une philosophie de la linguistique : « La filiation des termes conduit à celle des idées... L'histoire étymologique des langues, dit le célèbre Sulzer, serait la meilleure histoire des progrès de l'esprit humain. Déjà la Commission des arts, dans son instruction, a recommandé de recueillir ces monuments imprimés ou manuscrits ; il faut chercher des perles jusque dans le fumier d'Ennius »'. En outre, dans le provençal en particulier, l'on pourra puiser peut-être des « expressions enflammées, des tours naïfs qui nous manquent ».
La seconde objection, la plus grave, est la crainte de voir les moeurs s'altérer dans les campagnes, que leurs patois mêmes ferment à l'invasion du mal.
« L'objection eût été insoluble sous le règne du despotisme. Dans une monarchie, le scandale des palais insulte à la misère des cabanes... De là cette multitude de femmes de chambre, de valets de chambre, de laquais, qui reportaient ensuite dans leurs hameaux des manières moins gauches, un langage moins rustre, mais une dépravation contagieuse qui gangrenait les villages. De tous les individus qui, après avoir habité les villes, retournaient sous le toit paternel, il n'y avait guères de bons que les vieux soldats...
« La forme nouvelle de notre gouvernement et l'austérité de nos principes repoussent toute parité entre l'ancien et le nouvel état de choses. La population refluera dans les campagnes, et les grandes communes ne seront plus des foyers putrides d'où sans cesse la fainéantise et l'opulence exhalaient le crime. C'est là surtout que les ressorts moraux doivent avoir le plus d'élasticité. Des moeurs ! sans elles point de République, et sans République point de moeurs.
« Tout ce qu'on vient de dire appelle la conclusion, que pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale, simplifier le méchanisme (sic) et faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage... l'unité d'idiome est une partie intégrante de la révolution, et, dès lors, plus on m'opposera de difficultés, plus on me prouvera la nécessité d'opposer des moyens pour les combattre. Dût-on n'obtenir qu'un demi-succès, mieux vaudrait encore faire un peu de bien que de n'en point faire ».
Du reste, l'usage des patois tend déjà de lui-même à décliner : « Il y a cinquante ans que, dans la Bibliothèque des auteurs de Bour1
Bour1 phys.cien J -B. Leroy, dans une lettre publiée par Gazier, attirait l'attention de Grégoire sur 1 utilité des patois pour les recherches sur la langue nationale, et rappelait qu' il avait donne à Sainte-Palayc le conseil de les étudier (Lett. à Grég p. 323)
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gogne, Papillon disait, en parlant des Noël de La Monnoie : « Ils conserveront le souvenir d'un idiome qui commence à se perdre comme la plupart des autres patois de la France ».
Le français se répandra de diverses façons : « Déjà la révolution a fait passer un certain nombre de mots français dans tous les départements, où ils sont presque universellement connus, et la nouvelle distribution du territoire a établi de nouveaux rapports qui contribuent à propager la langue nationale.
« La suppression de la dîme, de la féodalité, du droit coutumier, l'établissement du nouveau système dès poids et mesures, entraînent l'anéantissement d'une multitude de termes qui n'étaient que d'un usage local...
« En général, dans nos bataillons, on parle français, et cette masse de républicains qui en aura contracté l'usage le répandra dans ses foyers. Par l'effet de la révolution, beaucoup de ci-devant citadins iront cultiver leurs terres. Il y aura plus d'aisance dans les campagnes ; on ouvrira des canaux et des routes ; on prendra, pour la première fois, des mesures efficaces pour améliorer les chemins vicinaux ; les fêtes nationales, en continuant à détruire les tripots, les jeux de hasard, qui ont désolé tant de familles, donneront au peuple des plaisirs dignes de lui : l'action combinée de ces opérations, diverses doit tourner au profit de la langue française ».
Les moyens moraux ne doivent pas être négligés. On avait ordonné des traductions. « Le tyran n'eut garde de faire une chose qu'il croyait utile à la liberté... Cependant j'observerai que, si cette traduction est utile, il est un terme où cette mesure doit cesser, car ce serait prolonger l'existence des dialectes que nous voulons proscrire, et, s'il faut encore en faire usage, que ce soit pour exhorter le peuple à les abandonner ». Qu'on distribue avec « profusion, dans les campagnes surtout, non de gros livres, — communément ils épouvantent — mais une foule d'opuscules patriotiques qui contiendront des notions simples et lumineuses ». Opuscules relatifs à la politique, à l'histoire naturelle, à la météorologie, d'une application immédiate, à la physique élémentaire (en passant, Grégoire insiste sur la nécessité « d'uniformer » les nomenclatures; nous y reviendrons), bulletins, journaux, et jusqu'aux chansons seront efficaces pour la réforme voulue, pourvu qu'elles soient choisies et semblables à celles où Lavater a célébré la république helvétique. Au théâtre, plus de patois ! Qu'on n'objecte pas Plaute avec son latin barbare d'Ausonie, qu'on n'imite pas, chez les modernes, Goldoni, produisant sur la scène des marchands vénitiens et le jargon bergamasque de Brighella ! « Sous un despote, Dufresny, Dancourt pouvaient
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impunément amener sur le théâtre des acteurs qui, en parlant un demi patois, excitaient le rire ou la pitié : toutes les convenances doivent actuellement proscrire ce ton... Je voudrais que toutes les municipalités admissent dans leurs discussions l'usage exclusif du français ; je voudrais qu'une police sage fit rectifier cette foule d'enseignes qui outragent la grammaire et fournissent aux étrangers l'occasion d'aiguiser l'épigramme ; je voudrais qu'un plan systématique répudiât les dénominations absurdes des places, rues, quais, et autres lieux publics... Quelques sociétés populaires du Midi discutent en provençal... Eh! pourquoi la Convention ne ferait-elle pas aux citoyens l'invitation civique de renoncer à ces dialectes et de s'énoncer constamment en français?...
« Encourageons tout ce qui peut être avantageux à la Patrie ; que dès ce moment l'idiôme de la liberté soit à l'ordre du jour... Quelques locutions bâtardes, quelques idiotismes prolongeront encore leur existence dans le canton... Les citoyens de Saintes iront encore voir leur « borderie » ; ceux de Blois leur « closerie », et ceux de Paris leur « métairie ». Vers Bordeaux, on défrichera des " landes » ; vers Nîmes, des « garrigues ». Mais enfin les vraies dénominations prévaudront... Les accents feront une plus longue résistance... A la Convention Nationale on retrouve les inflexions et les accents de toute la France... L'organisation, nous dit-on, y contribue... c'est plutôt à l'habitude qu'à la nature qu'il faut en demander la raison... L'accent n'est pas plus irréformable que les mots ».
Il y avait un autre moyen d'action, le vrai ; ouvrir des écoles. Grégoire le savait mieux que personne. Le cri de ses correspondants était unanime : un enseignement sérieux, de bons instituteurs! Envoyer les enfants à l'école (Languedoc) ; faire des ouvrages élémentaires, choisir des maîtres qui sachent le français (Mézin, par Nérac) organiser un plan d'éducation (Limagne) ; distribuer des prix à l'occasion des fêtes pour des exercices en français pur ou de bonnes lectures (Jura); n'admettre pour instituteurs que des hommes ignorants du patois local (Salins) ; faire des leçons quotidiennes aux enfants, hebdomadaires aux adultes (Mâconnais) ; nommer de bons maîtres, rédiger une grammaire courte et claire (St-Omer); prendre des maîtres d'école en règle (Berry) ; avoir des instituteurs ne parlant que le pur français (Poitou).
On trouvera tous les textes dans le volume publié par Gazier. En voici un qui n'a pas été imprimé, et qui en vaut la peine. C'est une lettre adressée par Virchaux à Grégoire, le 5 décembre 1790 : « Un des plus grands bienfaits que puisse accorder l'Assemblée nationale
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aux habitants de la campagne, c'est de les encourager à oublier toute espèce de patois, comme le plus grand obstacle à leur instruction. Qu'ils jabottent le françois, tant bien que mal, dans les commencements, ils l'apprendront enfin de leurs enfans, moyennant que vous leur ôtiez leurs maîtres et maîtresses d'école, si ceux-ci ne le parlent [ni] ne l'écrivent correctement, en les remplaçant par d'autres, qui auront subi un rigoureux examen au Comité d'Education national...
« Je crois donc, Monsieur, que l'auguste aéropage doit décréter que la première instruction ne se fera qu'en françois et grammaticalement, dans toute l'étendue du royaume, qu'il n'y aura non plus qu'une seule méthode pour apprendre à épeler et à lire aux enfans, et une seule orthographe. Comme cette belle langue est digne d'enterrer toutes les autres, on ne peut trop la purifier de ce qu'elle a de deffectueux et la rendre par là riche et élégante » (Lett. à Grég., ms., p. 161).
Les autres moyens paraissent accessoires : prônes en français (Mont-de-Marsan) ; ou en deux langues (Lett. de Chabot) ; diffusion de journaux, un par décade suffiroit pour cet effet en une seule année. Chaque commune serait obligée de souscrire pour un ou deux exemplaires (Hennebert, Lett. de St-Omer, 19 frim. an III, Lett. à Grég., ms., p. 515); chansons patriotiques (Lett. de Chaudon, 1794, Lett. à Grég., p. 124) ; instructions sur les lois principales (Ib.) ; composition concertée entre l'évêque et les corps administratifs, ensuite « distribution de catéchismes élémentaires, composés de trois parties distinctes, savoir : le dogme, la morale et la Constitution » (Maringues, Ib., p. 164, n° 30).
Il paraît étrange que, dans ces conditions, Grégoire, membre influent du Comité d'Instruction publique, n'ait pas insisté sur le rôle de l'école, qu'il avait indiqué précédemment, et qu'il n'y fasse qu'une allusion en passant.
C'est très probablement qu'il songe, non aux enfants, mais aux adultes, qui n'iront plus s'asseoir sur les bancs des écoles, si on en crée. Il voudrait des sanctions pour les réfractaires ; celle qu'il imagina était singulière : « Dans certains cantons de la Suisse, dit-il, celui qui veut se marier doit préalablement justifier qu'il a son habit militaire, son fusil et son sabre: en consacrant chez nous cet usage, pourquoi les futurs époux ne seraient-ils pas soumis à prouver qu'ils savent lire, écrire et parler la langue nationale?»
Il y a, dans ce rapport, de la déclamation et des outrances. Aucun écrit de l'époque, aucun discours surtout, n'en est exempt. Mais on conviendra que c'est l'oeuvre d'un homme qui avait examiné le problème sous toutes ses faces, et qui présente un programme raisonné.
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Bien des idées utopiques se mêlent à ses propositions, bien des erreurs à ses observations. Pour moi, je suis surtout frappé de voir comment il avait su profiter des renseignements qui lui avaient été fournis, et avec quelle pénétration il détermine les faits qui sont de nature à agir sur le langage. On peut lui reprocher des abus d'érudition qui donnent à son exposé un air de pédanterie, l'alourdissent, lui ôtent de sa valeur polémique. Mais ce jour-là Grégoire enseignait. Il avait, même dans la Convention, des préjugés à vaincre, une conviction à faire naître. Barère avait surtout parlé politique, lui ne touche qu'en passant à ce sujet. Il insiste sur l'unité morale de la nation. Or, l'idée que la question du langage n'était pas sans rapports avec les plus hautes questions de la vie nationale, n'avait jamais été exposée ; on s'explique que Grégoire se soit complu à certains développements.
Sa conclusion est extrêmement mesurée. Rien dans ce qu'il conseille ne ressemble à de la contrainte. Avait-il — tout en approuvant le décret du 8 pluviôse — le soupçon que des mesures violentes étaient destinées à rester inefficaces? Je n'oserais l'affirmer. En tout cas, lui, ne suggère rien d'analogue. Il compte sur les bonnes volontés, il croit à l'influence des idées nouvelles. Peut-on lui reprocher de s'être fait illusion sur le patriotisme et sa puissance ? Si les maîtres d'alors avaient tous ressemblé à ce saint schismatique, dont la bonté passait encore le courage, la République eût été bientôt, et dans sa langue, couverte universellement de bénédictions.
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CHAPITRE VIII CONCLUSION BÉNIGNE
ADRESSE AUX FRANÇAIS. — Après avoir entendu Grégoire, la Convention se borna à des mesures bien anodines ; mais ce sont celleslà même qui avaient été demandées 1. Elle chargea le Comité d'Instruction publique de présenter un rapport sur les moyens d'exécution pour une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau de la langue française. Elle mit « l'idiome de la liberté à l'ordre du jour ». Une adresse aux Français fut adoptée. Elle a été imprimée à l'Imprimerie Nationale et porte la date du 16 prairial. Elle est signée de Prieur (de la Côte d'Or), président, Carrier, Isoré, Paganel, Lesage-Senault, Francastel, Bernard (de Saintes), secrétaires (7 pages).
Il est inutile de la résumer longuement. On peut deviner les idées qui l'inspirent, les termes mêmes dans lesquels elle est rédigée : Vous détestez le fédéralisme politique; abjurez celui du langage; la langue doit être une comme la République... Dans toute l'étendue du territoire français, il faut que les discours comme les coeurs soient à l'unisson...
Les dialectes « sont le dernier anneau de la chaîne que la tyrannie vous avait imposée ».
« Comment pouvez-vous statuer sur l'acceptation des lois, les aimer, leur obéir, si la langue dans laquelle elles sont écrites vous est inconnue?... Proposer de la traduire, ce seroit pour vous un surcroit de dépenses ; ce seroit rallentir la marche du gouvernement ; d'ailleurs la plupart des patois ont une indigence de mots qui ne comporte que des traductions infidèles.
« Si la langue française ne vous est pas familière, ou vous remplirez mal les fonctions auxquelles vous appelleront vos concitoyens... ou votre ignorance connue éloignera de vous les suffrages; alors les places seront constamment réparties entre un petit nombre de personnes, l'autorité se concentrera dans leurs mains... bientôt ils
1. Duvergier, o. c, t. VII, p. 186.
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vous considéreroient comme une classe subordonnée, et l' aristocratie ressuscitée anéantiroit l'égalité ».
« Vous ne pourrez tirer aucun fruit des ouvrages utiles, qui répandent les lumières ».
« Un peuple ignorant ne sera jamais un peuple libre, ou ne le sera pas longtemps ».
« Qu'une sainte émulation vous anime pour bannir ces jargons qui sont encore des lambeaux de la féodalité et des monumens de l'esclavage... Le bon exemple que montreront les pères de famille et les vieillards sera un titre de plus pour mériter vos respects ».
'' Vous n'avez que des sentiments républicains, la langue de la liberté doit seule les exprimer, seule elle doit vous servir d'interprète dans les relations sociales, dans l'intimité des familles, dans toutes les circonstances de la vie... La patrie vous tiendra compte de vos efforts; quand elle se borne à une simple invitation, votre amour pour elle doit la convertir en décret » 1.
1. Cf. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 497. Le Comité d'Instruction publique décida le 15 messidor (3 juil.), que le Rapport de Grégoire et l'Adresse seraient tirés au même nombre que les Annales du Civisme (Id., ib., t. IV, p. 738).
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LIVRE IV EFFETS DU DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE
CHAPITRE PREMIER IMPRESSION CAUSÉE
APPROBATIONS. — Les approbations de principe ne firent pas défaut. A la Convention, Michel-Edme Petit, si sceptique à l'égard des plans utopiques d'instruction publique et qui attaqua aussi bien le décret antérieurement voté que les plans nouveaux, ne dirigea aucune de ses critiques contre les mesures qui concernaient la langue française. Tout au contraire, le 27 pluviôse (15 février), il exprima son regret de voir que toute la France ne fût pas acheminée à la parler : « La langue française, dont il est si important d'étendre l'usage dans sa pureté, cette langue restera encore un jargon dans plusieurs parties de la France, vous aurez encore des Gascons vers la Garonne et des Allemands vers le Rhin ». On ne pouvait affirmer en termes plus décisifs la nécessité d'un enseignement du français destiné à détruire jusqu'aux traces des idiomes 1.
1. L'orateur ajoute : '' Les néologies les plus barbares vont s'introduire dans cette langue destinée sans cela à être la langue de l'univers. Ce seul objet mérite la plus sérieuse attention, et le dessein de populariser la langue française, dessein que vous venez d'adopter, rentre dans ma pensée, surtout quand je vois que d'une administration à l'autre on ne s'entend pas, tant le français est négligé ; surtout quand je vois jusque dans la rédaction même de nos décrets se glisser les fautes les plus impardonnables telles que ce solécisme : l'enseignement sera fait publiquement. On fait le prône ; mais on donne l'enseignement ou l'instruction. La langue française doit gagner à la Révolution, puisqu'elle se nettoie de toute la bassesse royaliste. Eh bien ! Je vous proteste, moi, qu'elle deviendra bientôt inintelligible si la présomptueuse ignorance veut l'enseigner ; et sans doute ce serait ici un petit inconvénient si ceux qu'il entraîne après soi n'étaient pas incalculables, si les hommes pouvaient s'entendre entre eux en parlant un langage différent, si les habitudes civiles et le gouvernement qui en résulte, si la moralité même pouvaient être absolument les mêmes pour des hommes qui se servent seulement de dialectes différents ; si enfin le pur idiome de la liberté ne devait pas préparer la liberté du monde » (Guill., o. c., Conv., t. III, p. 422).
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218 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Dans le pays, la campagne pour l'unité d'idiome rencontra des enthousiastes. Elle avait pour elle, nous l'avons vu par les réponses faites à Grégoire, des adhésions acquises par avance. D'autres s'y ajoutèrent, " Une multitude d'idiomes grossiers divisent la France en autant de peuples que de contrées. Il est tems que l'oreille délicate du voyageur ne soit plus choquée de ces intonations diverses qui changent à chaque province, qui rappellent l'ancien régime; qu'elles soient enfouies avec lui dans la nuit de l'oubli; qu'il n'y ait plus en France qu'une même langue comme une même administration.
« Rome, après avoir asservi les peuples par sa valeur, fut jalouse encore de les enchaîner par son langage : dans ses plus beaux jours, elle rechercha cette nouvelle gloire. Ce que fit ce peuple-roi pour son honneur, faisons-le pour notre prospérité. Amis de la paix, la conquête des provinces voisines nous importe peu : notre seule félicité doit captiver maintenant notre attention. Sans rougir, verrons-nous les étrangers apprendre et parler notre langue, alors qu'elle est inconnue au plus grand nombre d'entre nous? Un corps respectable par ses lumières lui a décerné des droits à l'universalité; et nous ne la rendrons pas universelle seulement parmi nous. Ah! les peuples jaloux de leur liberté, ont un bien plus grand soin de ce qui intéresse leur bonheur et leur gloire! La revendeuse d'Athènes, qui reconnut à l'accent seul que Théophraste étoit étranger, nous prouve à quel point l'usage de la langue étoit général. Les chefs-d'oeuvre d'Homère, de Sophocle, de Démosthène, de Platon étoient entendus de tous les Grecs. Eh! à combien de Français, même de nos jours, les Racine, les La Fontaine, les Rousseau sont encore étrangers !
" On doit attribuer les variations de la langue française à l'ignorance de la multitude. Qu'elle soit commune à toutes les classes, et bientôt elle sera plus riche et plus stable. Le voyageur, ami de la nature et des lettres, qui parcourt les rians vallons d'Helvétie, s'arrête avec plaisir près de la charrue du robuste et fier concitoyen de Gessner, qui se délasse de ses travaux par la lecture de ce chantre de l'innocence pastorale. Si l'on s'empresse de rendre commun le langage constitutionnel, on pourra bientôt en France trouver Télémaque ou le Contrat social dans la pannetière des laboureurs.
« Dans la foule des ouvrages instructifs qui doivent composer la bibliothèque des nobles époux de la terre, on trouvera sans doute l'Ami des enfans et toutes les productions d'un des plus vertueux écrivains, dont nous ne pouvons rappeler le souvenir que les yeux humectés des larmes de l'amitié.
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IMPRESSION CAUSÉE 219
« Quelavenir ne peut-on pas prévoir, par l'établissement d'un langage national! Les progrès de l'esprit humain dans ce siècle, lui méritèrent le titre de siècle des lumières; mais lorsqu'elles seront répandues dans toutes les classes de la société, avec quels nouveaux succès ne seront-elles pas cultivées?... Quel titre créera-t-on pour caractériser ces jours de vérité? '' 1
En Alsace, nous avons dit dans un chapitre précédent sous quelles menaces on vivait. Les Administrateurs locaux avaient déjà déféré aux ordres de Lebas et de St-Just. Le 21 nivôse (10 janvier 1794), ils avaient ordonné que l'arrêté des Représentants fût imprimé dans les deux langues et affiché à la diligence des directoires des districts, lesquels seraient responsables de sa prompte exécution 2. Toutefois rien n'avait suivi. Les communes n'étaient pas convaincues et n'avaient pas les moyens d'obéir, si elles l'eussent voulu. Une seule ouvrit son école française, celle d'Obernai.
Quand de Paris arrivèrent les nouvelles injonctions, les uns crurent, les autres feignirent sans doute de croire à des résultats prochains et bienfaisants. Une délibération fut encore prise par le Directoire du Bas-Rhin, en date du 25 germinal an II (14 avril 1794). La Société des Jacobins proclama que ce les fils de la liberté doivent parler la langue des hommes libres ». Monet fit à cet égard, le 21 floréal an II (16 mai 1794), à la Société populaire, une harangue qui nous a été conservée 3. Rousseville tonnait.
1. Chalvet (P. Vinc.) Des quai, et des dev. d'un Instit. pub., p. 11 et suiv. L'auteur est de la S. N. des Neufs-Soeurs et de celle des Amis de la Rép. de Grenoble.
2. Reuss, Inst. Prim., p. 117-118. Cf. Eccard, La l. fr. en Als., dans Rev. Als. ill..
1910.
3. A. Ulrich, Recueil de pièces, etc. vulgo Livre Bleu, I, 113, n° LXXI : '' La principale cause des succès que les factions avaient obtenus dans le Bas-Rhin, est dans l'antipathie invétérée des habitans contre les Français et leur tendance trop marquée vers le germanisme ; le titre de Français ou de Welche était n'aguère une sorte d'insulte ; celui d'Allemand annonçait un compatriote, auquel l'amitié devait un accueil fraternel. L'Alsace, avant la Révolution, réunie depuis peu de temps à la France, avait conservé ses anciennes moeurs, son costume, son langage, et une juridiction particulière ; des barrières hérissées de douanes, de contrôleurs, de péages la séparaient du territoire, dont elle faisait une partie nouvelle, tandis que le commerce refluait librement et sans entraves vers l'empire où les négociants de Strasbourg avaient des maisons établies » (p. 126).
'' L'éducation nationale uniforme dans tous les départemens, commune à tous les citoyens, contribuera aussi à réformer promptement le caractère et les moeurs, sinon de la génération présente, au moins de celle qui lui succède. L'on ne saurait assez applaudir au décret sage et politique, qui établit dans chaque commune une école de langue française; rendre celte langue familière, bannir l'allemande du commerce et de tous les actes publics, l'extirper insensiblement, proscrire le costume et les moeurs étrangères, c'est briser autant de noeuds qui unissent le Bas-Rhin à l'ennemi ; c'est élever un mur de séparation éternelle entre les hommes libres et les esclaves, c'est identifier enfin l'Alsace à la République » (p. 128).
'' La société ayant entendu la lecture de ce discours, en arrêta l'impression dans les deux langues » (p. 131).
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220 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
De Colmar, des Jacobins, Lucé et Haussmann, furent envoyés à la barre de la Convention (voir Bullet du 26 germinal an II — 15 avril 1794), et remercièrent : « Recevez, dit l'orateur, les bénédictions de nos concitoyens pour le décret salutaire, qui donne un instituteur de langue française à chaque commune, où l'on avait coutume de parler un idiome étranger. Nos enfants, plus heureux que leurs pères, ne balbutieront plus en exprimant leurs sentiments républicains. Français par le langage comme par le coeur, ils connaîtront vos décrets bienfaisants dans leur pureté primitive »1.
Du Midi aussi, des adhésions arrivèrent. Voici une délibération de la Société populaire, les Antipolitiques républicains d'Entrecasteaux, en date du 30 messidor an II—18 juillet 1794 (Arch. communales d'Entrecasteaux, police générale) :
« Délibéré sur une invitation générale tendante à faire parler la langue françoise dans toute l'étendue de la Republique, d'exiger rigoureusement des instituteurs de la commune, l'accomplissement formel et efficace de cette obligation, '' Je triomphe aujourd'hui, a dit un des membres, qui s'est levé pour prendre la parole, je triomphe de ce joug aimable et salutaire auquel on va soumettre les individus de la republique françoise sans exception; nous nous assimilons à nos hautes destinées. On n'entendra plus, désormais, grâce à nos observations en tout genre, cet idiome lourd et assumant, ces patois très disséminés dans la Republique dont l'accent faisait presque perdre, aux yeux de l'étranger qui nous fréquentait, une partie de la gloire quelconque que nous nous sommes acquise. Et si nous ne pouvons marcher de pair avec les phenix de notre langue, nous aurons du moins par le secours de l'habitude et l'étude des règles, s'il est possible, l'avantage précieux et consolant de nous communiquer mutuellement nos pensées et de nous rendre à notre primitive origine ». D'autres membres ont parlé... Et bientôt en serait resulté une grammaire vocale et républicaine. Mais de l'invitation du président, on en tire la conséquence que ceux qui auront des connaissances et de la bonne volonté la dessus en feront part aux républicains, et que les instituteurs actuels obtiendront dans leurs écoles, en attendant une séance tumultueuse et visigothe où les jeunes élèves se démonteront pour répéter et retenir chaque mot des phrases, se roidiront et se tendront comme un arc pour prononcer convenablement et sans dureté les mots gracieux et élégants de la langue française et dénaturer cette pente enracinée à mettre un mot patois à la place d'un mot françois, emmielleront l'apreté de
1. Leuillot, o. c. p. 193.
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IMPRESSION CAUSÉE 221
leur langue, et se prépareront par les soins opiniâtres de leur vigilants instituteurs et les differentes sensations qu'ils recevront de l'habitude d'entendre des sons doux et harmonieux, à recevoir les grands principes de la langue françoise et à apprendre les diverses connoissances tracées dans le plan que doit répandre bientôt le comité d'instruction publique » 1.
De Perpignan, le 7 ventôse an II, un agité, Nègre, ce controlleur des Etapes », écrivait au Comité d'Instruction publique : '' La Convention Nationale l'a établie cette égalité désirable pour tous les humains par mille loix respectables... il existe cependant encore le principal mobile de tous ces mêmes abus. Elle a porté ses regards bienfaisants sur tout ce qui révoltoit la raison, et la raison gémit encore d'un préjugé qu'elle n'a pas détruit. Encore elle ne nous a point désigné l'idiôme National, qui doit caractériser un nouveau Peuple, cette langue Républicaine qui doit consacrer nos principes et faire connoitre à nos ennemis les sentiments qui nous animent. Entourés de Nations Barbares ou avilies par la servitude, dont le langage peint si bien les moeurs corrompues, tous nos départements frontières s'expriment comme elles. Les Pyrénées Orientales parlent le catalan, la Mozelle l'autrichien, la Manche l'ancien breton (!), le Var le piémontais. Si l'habit National et la Cocarde tricolore qui flottent sur ces pays, ne détruisoît pas tout soupçon, en france on se croiroit souvent étranger. Même langage, mêmes habits, mêmes usages, mêmes vices que chez les puissances voisines, tout m'a fait quelquefois douter si j'étois au milieu de mes compatriotes. Je ne suis pas le premier à vous faire ces observations; je le sais, mais je veux partager la gloire de ceux qui vous les ont déjà faites. Unis par tous les liens politiques et naturels, pourquoi serions-nous séparés par une vue dans le langage ? Ah ! qu'il n'existe plus cet abus, il outrage et la nature et la raison. N'ayons tous qu'une même voix, habitant la même patrie, jouissant des mêmes biens, vivant sous les mêmes loix, ne formant qu'une seule famille, parlons tous le même langage. Nos voix ne faisant qu'un accord, en seront bien plus agréables à l'Etre suprême, alors vraiment nous nous regarderons comme frères, comme Egaux et l'esprit particulier du pays n'existera plus.
« Oui, citoyens, cette diversité de langage entretient la diversité des Partis, chaque pays donne la prééminence à son idiome et celui qui ne le parle pas entre rarement en crédit. C'est vous qui pré1.
pré1. par M. Trokobas, instituteur à Entrecasteaux, à M. A. Brun, qui a bien voulu me le transmettre.
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222 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
sentez à la Convention Nationale les décrets relatifs à l'instruction du Peuple, c'est vous qui pour ainsi dire le civilisez, faites encore une action digne de votre employ, demandez aux Représentans du peuple français de décréter que tout citoyen de quelle contrée qu'il soit natif, dans quelle partie de la République qu'il soit, centrale ou frontière, ne parlera plus que français, à moins d'être regardé comme ami ou allié des Tyrans qui nous font la guerre »1.
A Dax, le 7 thermidor an II (25 juillet 1794), la Société populaire s'engagea à seconder les vues du Comité dans l'anéantissement du patois et dans le projet d'universaliser l'usagede la langue française 2.
1. Arch. N., F17 6891. Cf. p. 186.
2. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 867.
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CHAPITRE II ESSAIS D'APPLICATION
Quels furent les effets réels et positifs de la campagne entreprise? Assurément nous ne sommes pas en état de les mesurer partout, mais, à en juger par ce que nous savons, ils ne répondirent nullement — ils ne pouvaient pas répondre — aux espérances. Le procureur général syndic des Pyrénées-Orientales écrivait au Comité de Salut public le 5 germinal an II (25 mars 1794): « L'établissement des instituteurs de langue française dans nos campagnes est le seul véritable moyen de révolutionner tous les esprits... mais, citoyens représentants, l'effet d'un si salutaire décret sera nul par le manque d'instituteurs » 1. Cette prophétie sinistre devait se réaliser entièrement.
EN FLANDRE. — Quelques nominations d'instituteurs français furent faites à Bailleul, à Steenworde, à Bergues, à Hazebrouck, mais tardivement et péniblement. La Commission executive avait attendu quatre mois pour écrire dans les districts de Bergues et d'Hazebrouck, et faire appliquer un décret, qui donnait dix jours de délai 2. Cependant la Société populaire avait énergiquement travaillé, et bientôt devait arriver à Paris un projet très mûri et qui eût remédié à tout 3.
EN ALSACE. — Les administrations départementales, celles d'arrondissements et un certain nombre de municipalités, les plus considérables, se mirent en mouvement dès le début. Un premier ordre leur avait été envoyé le 19 février (1er ventôse).
On avait ouvert un registre le 12 (2 mars) pour inscrire les citoyens et citoyennes qui voudraient enseigner.
Le 25 (15 mars), la Municipalité de Strasbourg avait décidé de son côté qu'on n'enseignerait plus à lire et à écrire qu'en langue française 4.
1. Torreilles, o. c., p. 359.
2. Lennel, o. c, p. 58 et 133. Cf. Lefebvre, o. c, p. 764.
3. Voir p. 243 aux Ecoles normales.
4. Délib. corps mun., V, 1985, dans Reuss, Inst. prim., p. 123.
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224 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Le 2 germinal (22 mars). Délibération du Directr du District de Strasbourg. Ordre d'envoyer le cit. Grandmougin dans toutes les communes qui n'ont pas encore établi d'écoles.
Le 10 floréal (29 avril). Avis aux citoyens de Strasbourg. Tableau des instituteurs auxquels le Conseil général a donné le certificat de civisme et de bonnes moeurs. Invitation aux parents de choisir entre ces instituteurs.
Le 23 floréal (12 mai). Délibération du District de Strasbourg. Examen des Instituteurs que les communes ont reçus provisoirement par le cit. Grandmougin.
Le 14 messidor (2 juillet). L'Agent national du District de Strasbourg envoie aux Municipalités l'arrêté du Comité de Salut public :
" Vous recevrez ci-joint l'arrêté du Comité de Salut public du 29 Prairial dernier, relatif aux fonctions à remplir par les instituteurs nationaux dans les divers départemens où l'on parle des idiômes différents.
" Les dispositions sages qu'il renferme, vous feront connoître de quelle manière l'instruction publique doit être organisée.
« Citoyens, l'instruction publique bien dirigée, c'est la base de l'éducation nationale, c'est le germe de la vraie morale, c'est la source de toutes les vertus républicaines, c'est en un mot, après la défense de la patrie, l'affaire la plus importante et qui doit être sans cesse à l'ordre du jour. Des motifs aussi puissants me donnent lieu de croire que vous veillerez sérieusement à l'exécution de l'arrêté du Comité de Salut public et que vous me mettrez à même de lui rendre un compte satisfaisant à cet égard. Signé : Mainoni, Agent national » 1.
On donnait l'ordre, non les moyens.
L'empressement des communes fut loin d'être grand. Beaucoup attendaient. La promesse d'un Représentant de ce prohiber entièrement l'allemand dans les écoles primaires... et l'annonce qu'il ne leur serait permis de s'en servir que pour l'explication du français » n'avait rien de séduisant 2. Autant valait décréter purement et simplement la suppression de toute instruction. Ce fut dans bien des endroits, non seulement une résistance, mais une désobéissance formelle. Ainsi le délégué Grandmougin, ancien maître
1. Arch. mun. de Strasb., 719, t. V, n° 109.
2. Simon déclare que les Représentants du peuple interdiront l'usage de l'allemand dans les écoles qu'on va créer et que les instituteurs ne pourront l'employer que pour expliquer les mots français à leurs pupilles (séance du Club, 7 floréal (26 avril) Strassb. Zeitung, 9 flor. an II—28 av. 1794, dans Reuss, Gymn., p. 97 ; cf. Heitz, o. c, p. 343.
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ESSAIS D'APPLICATION 225
de pension, devenu personnage politique important, se présenta en vain à Balbronn le 8 germinal an II (28 mars 1794), pour sommer la commune d'obéir à la loi. La commune ne se soumit pas, elle promit seulement qu'on « se procurerait un maître de langue française, si cela devait être nécessaire »1.
Pourtant diverses localités cherchèrent des maîtres. On peut voir leurs annonces dans les journaux. La Strassburgische Zeitung du 5 germinal an II (25 mars 1794), renferme une annonce de la municipalité de Rosheim demandant un maître d'école français. Celle du 8 contient un appel ayant le même objet, lancé par la Société populaire de Wasselonne 2. La municipalité de Dornach renvoie Jean Bauer, " puisqu'il ne connaît nullement la langue française » 3. Haguenau s'enquérait à la ronde 4. Ça et là les recherches amenèrent une précieuse découverte. Heiligenstein réussit à dénicher l'oiseau rare. Le 16 messidor an II (3 juillet 1794), la Société populaire pouvait écrire au Représentant du Peuple, Commissaire de la Convention Nationale près l'armée du Rhin : « La Société Populaire de Heiligenstein, District de Benfeld, departement du Bas Rhin, ayant reçu le Decret du 8 Pluvios qui ordonne l'Etablissement d'Instituteur de Langues française dans les Campagnes de plusieurs departement qui parle un autre Idiome que la Langue françaisse, Cest reunis enconformité de Larticle 3 Pr deliberer sur la Nomination d'un Instituteur qui reunirait les faculté de bon Patriote avec des Tallents propres aformer une Jeunesse qui fit les poir de notre Commune. La Société sétant penetre de l'importance de la Nomination d'un Citoyen qui remplisse le Veux de la Loix apres avoir murement reflechi a unanimement arreté que le Citoyen Siegfried Toussaint sera proposé avotre consentement. Nous vous prions Representant du Peuple de vouloir bien nous l'accorder » 5.
A Val-aux-Mines, c'est le 20 ventôse (10 mars) qu'arrive l'adresse de la Société populaire de Strasbourg, qui invitait ce les Sociétés à prendre en considération son objet, qui est la propagation de la langue française, que nous devons d'ailleurs materniser sur le sol de notre République » 6. Un Comité de six membres, formé à
1. Reuss, Inst. prim., p. 123.
2. Voir Id., Ib., p. 132.
3. Gide, Journ. d'Alsace, 23 sept. 1900.
4. On fait lecture de plusieurs lettres du district d'Haguenau adressées à celui de Belfort, par lesquelles ce dernier est invité par les autorités constituées à leur procurer des sujets capables de remplir les places de maîtres de langue française (Poulet, o. c, p. 137).
5. Protocolle, Arch. Dép. Strasb., Inv. N° 6 D. Deux commissaires sont chargés de présenter Toussaint, suivant une délibération en allemand qui suit.
6. Proc.-verb. Soc. Val-aux-Mines, p. 237.
Histoire de la langue française. IX. 15
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226 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Strasbourg, devait recevoir les « souscriptions » de tous ceux qui se destinent à cet honorable état. La question fut reprise à la séance du 30. On décida de faire connaître la loi à tous les citoyens, et deux membres furent chargés d'une démarche auprès de la Municipalité, pour l'inviter à faire publier, au son de la caisse, que tous les citoyens « qui voudront se dévouer à l'enseignement de la langue française maternisée sont priés de se faire inscrire au bureau de la Société populaire »1.
Le 5 germinal (25 mars), on cherchait encore les moyens d'obtempérer à l'arrêté du 1er. Le Comité de Correspondance reçoit mandat d'y travailler et de présenter une liste le décadi suivant. On inscrit d'ores et déjà Grandpierron et J. Jos. Hachette. Il est sursis à l'inscription de Thurel en attendant son certificat de civisme 2. Le 10 thermidor, le cit. Aubry est reconnu avoir le plus de capacité. C'est donc lui qu'on choisit pour enseigner à Ste-Croix. Mais quand on demande au candidat s'il se présente comme instituteur de la langue française ou comme instituteur des écoles primaires, c'est cette fonction qu'il déclare préférer; les autres candidats en font autant 3.
On avait nommé Grand pierron le 20 germinal (9 avril) 1. La Société d'Epinal certifie que Klein, ex-prètre, conviendrait, et qu'il accepte (20 floréal-9 mai) 5. On presse la nomination de Hachette, secrétaire de la Société 6. Hachette est nommé, mais il sera bientôt l'objet d'une plainte : il ne corrige pas « les exemplaires de ses écoliers » 7.
L'échec était inévitable, le personnel manquait. Alors que les instituteurs tout court faisaient défaut presque partout, par quel privilège eût-on découvert dans le Bas-Rhin des hommes — sans parler des femmes — bilingues et capables d'enseigner en français ? Le 20 avril (1er floréal), un mémoire annonçait aux Jacobins de Strasbourg qu'il ne s'était présenté jusqu'à présent qu'un petit nombre d'instituteurs de langue française pour les écoles de la campagne 8. C'était exact.
En ce mois d'avril, pour les 400 communes alsaciennes, on avait trouvé, en tout et pour tout, 30 à 40 candidats! Dans StrasbourgVille, où la Société populaire avait chargé six de ses membres d'examiner les postulants (17 ventôse an II-7 mars 1794), 5 instituteurs
1. Proc.-verb. Soc. Val-aux-Mines., p. 246
2. Ib., p. 249.
3. Ib., p. 281.
4. Ib., p. 259.
5. Ib, p. 263.
6. Ib., p. 264.
7. Ib., p. 305.
8. Heitz, o. c., p. 341.
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ESSAIS D'APPLICATION 227
nationaux seulement s'étaient présentés. La Société, pour y remédier, arrêta qu'elle adjoindrait encore quelques membres au Comité qui se réunissait tous les quintidis et décadis au Temple des Réformés 1. C'était un pauvre moyen.
Dans le Haut-Rhin la situation était toute pareille. A la séance du 18 pluviôse (6 février), c'est-à-dire aussitôt que lui était parvenu le décret du 8, la Société de Colmar s'était occupée de l'application. Le bureau fut chargé d'un rapport. Les dix jours de délai étaient bien entendu passés depuis longtemps quand on reprit la question 2. Mais on l'examina très sérieusement. Le 27 ventôse (17 mars), séance extraordinaire. Un membre demande qu'en fasse de bons choix, et propose une adresse aux communes pour provoquer les candidatures. La Société nommera ensuite un Comité d'examen. Plus pressé de rester dans les délais légaux, un autre membre voudrait que le Comité de Correspondance soumît dès la prochaine séance une liste de candidats. Après une discussion assez confuse, on choisit un Comité de 10 membres. Le 2 floréal (21 avril), le Rapporteur du Comité d'instruction lisait un projet de lettre sur la pénurie des sujets 3. Le 10, on constate de nouveau les mêmes difficultés. Enfin le 16 floréal (5 mai), le Rapporteur rend compte des moyens employés pour trouver des instituteurs pour les 132 communes du district. Il demande qu'on agrée en attendant les 37 dont les capacités et le civisme ont été constatés. Divers membres estiment que le voeu de la loi ne serait point rempli; finalement on ajourne au surlendemain 18. A cette séance, trêve est faite aux discussions et on procède aux nominations. La Société propose 16 instituteurs. Les Sociétés du district en présentent 10 autres 4. Le 30 floréal (19 mai), se rendant compte de l'insuffisance des résultats, on prend le parti de faire appel à toutes les Sociétés de la République 5. De nouveau, des membres reviennent à ce sujet le 6 prairial (25 mai) 6. Enfin des nominations sont faites le 16 prairial (4 juin) 7. Mais comme elles ne portaient que sur 31 maîtres, on approuve l'adresse dont il avait été antérieurement question, et on l'envoie à toutes les Sociétés. Elle disait: «... quels que soient le zèle, l'activité et les soins que nous avons cru devoir apporter à la loi du 8 pluviôse dernier (27 janvier), relative à l'établissement des instituteurs dans ce département,
1. Voir Reuss, Instr. prim., p. 124-425, 132, 146-148.
2. Leuillot, o. c, p. 104.
3. Id., ib., p. 156; Id., ib., 193.
4. Id., ib., p. 204-205.
5. Id., ib., p. 213.
6. Id., ib., p. 219.
7. Id., ib., p. 232.
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228 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
nous ne sommes pas parvenus jusqu'à présent au but que cette loi indique, et nous ne connaissons encore que 31 citoyens dignes et capables par leurs qualités morales et civiques et par leurs talents de remplir les places d'instituteur; cependant, il en faut nécessairement un nombre égal à celui des communes, et, pour l'atteindre, il en faudrait encore 100.
« Après avoir épuisé tous les moyens pour nous en procurer, tant dans ce département que dans celui du Bas-Rhin, où l'idiôme esclave est aussi naturalisé, nous avons arrêté de nous adresser à vous, frères et amis, pour vous engager de faire connaître aux citoyens qui possèdent les deux langues et qui d'ailleurs réuniraient les qualités requises, le désir que nous avons de les voir se vouer à l'instruction de la jeunesse dans ce département : puissent les sentiments qui nous attachent tous au bonheur commun les déterminer à venir bientôt fraterniser avec nous. Nous les assurons d'avance que nous saurons toujours leur donner des preuves non équivoques de reconnaissance. Salut et fraternité »1.
On ne peut s'empêcher de reconnaître que la Société de Colmar avait fait preuve d'un beau zèle et obtenu des résultats relativement importants. Peut-être était-elle stimulée par Foussedoire. Il écrivait à ce propos au Comité de Salut public une lettre qui prouve combien le succès de ces écoles lui tenait au coeur et l'importance qu'il leur attribuait pour l'affermissement de l'esprit républicain en Alsace : « Le décret qui établit des instituteurs pour la langue française dans le département du Haut-Rhin va bientôt recevoir son exécution. L'usage d'un idiome étranger est peut-être le plus fort obstacle à la propagation des lumières dans les campagnes du département » 2. A ce moment Foussedoire pouvait encore écrire en ces termes et se faire des illusions. Elles durent être bientôt dissipées. Le 16 prairial (4 juin), nouvelle communication où la vérité éclatait tout entière. « Les progrès de la raison y sont lents (dans le département), et les prêtres, qui abusent toujours des lois, même les plus favorables à la liberté des cultes, contribuent toujours à y entretenir un foyer de fanatisme que l'ignorance et la diversité des langues ne peuvent qu'alimenter davantage. Les Sociétés populaires travaillent sans relâche à propager les lumières. Malheureusement les instructeurs de langue française qui doivent être établis dans ce département, sont extrêmement difficiles à trouver; je m'occupe souvent d'une manière particulière de cet objet intéressant » 3.
1. Leuillot, o. c. p. 233-234.
2. 10 vent. an II (28 fév. 1794), Aul., Act. du Com. S. P t. XI, p. 468
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 754. Colmar, 6 prairial an II (25 mai 1794)
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ESSAIS D'APPLICATION 229
Le 11 prairial (30 mai), le Comité d'instruction publique renvoie à Thibaudeau une lettre où le citoyen Laroche dénonce (29 floréal—18 mai 1794) l'inexécution dans le département de la loi du 8 pluviôse 1.
A la date où il écrit, pas un instituteur n'avait été nommé. Le 9 germinal (29 mars), un citoyen a été présenté à Foussedoire, trente autres se sont inscrits à la Société populaire. Celle-ci a fait ses choix, la loi est toujours sans effet. « Craint-on de se presser trop de rendre entièrement français les bons sans-culottes des campagnes du Haut-Rhin? Peut-on se dissimuler le grand bien qu'un bon républicain seroit à portée de faire parmi eux indépendamment de l'enseignement de la langue, en éclairant ces hommes intéressans sur les vrais principes de la Constitution, sur les droits de l'homme, sur les devoirs sociaux, en leur donnant l'explication des loix auxquelles ils ne manquent souvent que faute de les comprendre, en les guérissant, par des raisonnemens mis à leur portée, des égaremens du fanatisme et des erreurs de la superstition, en leur montrant l'exemple des moeurs, de la probité, des vertus sociales »2.
EN MOSELLE. — Simon, dans un discours échauffé, prononcé sur la place publique de Sarreguemines — j'ignore à quelle date précise, mais certainement sur ces entrefaites — annonçait en vain la mort de l'idiome du pays sous l'action des nouvelles écoles: « La création d'instituteurs, va peu à peu faire disparaître les traces de cet idiôme barbare, digne langage des esclaves », disait-il 3. C'était là des mots et du vent. Il est bien vrai que Mallarmé mande de Sarre libre, le 27 floréal (16 mai): «Déjà dans ce district, comme dans ceux où l'idiome germanique déshonorait encore la langue des républicains, s'établissent, en vertu de la loi du 8 pluviôse, des instituteurs publics. Dans six mois, s'ils suivent leur mission avec zèle, ce langage tudesque et grossier, que d'ailleurs des Français doivent abhorrer., puisqu'ils le partagent avec des esclaves, aura disparu » 4. Le 1er prairial (20 mai), il s'entête encore aux mêmes espoirs : « La barbarie de l'idiome a pu contribuer à fermer les coeurs des citoyens aux principes lumineux et sûrs de la civilisation politique ; mais ce dialecte tudesque va s'oublier, et des instituteurs de langue française, institués en exécution du décret du 8 pluviôse, seront non moins efficaces que pourraient l'être des apôtres de morale et de républicanisme » 3. Tout cela n'étant appuyé sur aucun fait, on
1. Arch. N., F 17 6891. Renvoyé à Thibaudeau le 2 prairial an II.
2. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 508. Arch. N., F17 6891.
3. S. 1. ni d., p. 11 (Bibl. Soc. des Amis de Port-Royal).
4. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 567.
5. Id., Ib., p. 639.
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230 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
est en droit de croire que Mallarmé ne fait que donner une adhésion aux projets de ceux qui, à Paris, avaient fait voter la loi, et qu'il ferme les yeux sur les difficultés pratiques qu'elle rencontrait dans l'application.
En fait, le 2 messidor (20 juin), Grégoire recevait de Luttange, district de Thionville, une lettre qui a de quoi surprendre. Le signataire a seulement entendu parler d'écoles françaises : « J'ai ouï dire, législateur, écrit-il, que tu avais fait la motion qu'il fallait chercher à rendre le français l'unique langue et language (sic) dans l'empire; cela paraît impossible tant qu'on ne cherchera pas à' détruire tant de préjugé (sic), qu'il y a encore parmi nous, et surtout que nous ne voyons aucune instruction publique, car il n'y a encore que très-peu d'instituteur (sic), et que ce peu ne tient pas école, et, j'ose le dire, nos enfants sont plus négligé (sic) que jamais, en sorte que nous avons reculé au lieu d'être en avant. Notre ortographe (sic) est encore un obstacle à la généralisation que tu proposes, il faut donc la corriger, et on ne le peut parfaitement qu'en corrigeant et surtout augmenter (sic) l'alphabet qui est insuffisante (sic) »1.
DANS LA MEURTHE. — L'administration du département montra aussi un certain empressement. Elle n'avait garde, disait-elle, d'excéder ses pouvoirs. Mais elle adressa des copies de la lettre qui lui était envoyée aux Directoires des districts de Bar et de Sarrebourg, et elle donna son avis, exposant les raisons qui, suivant elle, empêchaient le recrutement des maîtres. C'était d'abord qu'un certain nombre d'hommes capables étaient aux armées, ou se trouvaient exclus de ces fonctions; ensuite qu'ils préféraient le séjour des grandes communes ; enfin que les diverses administrations, qui payaient mieux, offraient des situations plus avantageuses.
D'autre part la République ne procurait ni logement, ni salles d'école suffisantes ; les municipalités s'intéressaient peu à ces établissements ; les familles avaient besoin de leurs jeunes enfants, en l'absence des aînés partis aux frontières; enfin, la loi sur le maximum fonctionnant mal, empêchait les sans-culottes « qui n'ont que des talents et des enfants », de transporter leur ménage et de vivre avec quinze cents livres par an « dans des communes où le défaut d'instruction et les inconvénients du voisinage des frontières ennemies se font encore vivement sentir » 2.
1. Lett à Grég.. p. 331.
2 Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 668-669. d'après un dossier ms. du Musée Pédag., anct n° 88.
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ESSAIS D'APPLICATION 231
Ces raisons étaient justes, car le district de Dieuze, averti par Nancy, les donna à son tour, presque dans les mêmes termes (18 messidor-16 juillet), en y ajoutant même des renseignements statistiques du plus haut intérêt : « Nous sommes forcés d'avouer que ce Décret est resté jusqu'ici sans exécution dans notre District; de 72 communes qui le composent, il en est trente où l'on ne parle qu'allemand; il faudroit donc trente instituteurs qui entendissent les deux langues, et certe il y a impossibilité de les trouver dans ces environs, puisqu'il n'est presque point d'écoles primaires ouvertes même dans les lieux où l'on ne parle que français...
« D'après le tableau que nous avons dressé, sur la demande de l'administration du département, de tous les instituteurs établis dans notre district, selon la loi du 29 frimaire, nous remarquons qu'il n'y en a que six dans nos trente communes allemandes, encore ignorons-nous s'ils savent la langue française, par ce qu'ils ne sont pas présenté (sic) au directoire du district; ce sont les municipalités chargées par cette loi de la surveillance immédiate des instituteurs qui les ont reçu (sic).
« A l'égard des instituteurs de langue française à placer dans les communes où les habitans parlent divers idiomes, en exécution de la loi du 8 pluviôse, l'article 3 du décret porte qu'ils seront nommés par les représentants du peuple sur l'indication des sociétés populaires ; il n'appartenait pas aux administrations de district d'y pourvoir.
« Cependant cet établissement est d'autant plus instant dans nos communes allemandes que le fanatisme et sa soeur l'ignorance y dominent encore ; que l'instruction seule peut y arracher le bandeau de l'erreur, qui empêche le progrès de la raison.
« Notre district est tout agricole, point de ressources, pas même dans le chef-lieu, qui compte à peine trois mille ames et où nous ne pouvons trouver les collaborateurs nécessaires à nos bureaux.
« Hâtez-vous, citoyens, de nous envoyer des patriotes bien prononcés, pris dans les grandes communes où l'on parle les deux langues; qu'ils apportent dans nos campagnes, où la langue nationale n'est pas usitée, le flambeau de la vérité et de la persuasion, que bientôt nos administrés, tous frères, tous amis, n'ayent plus qu'un même langage, qu'un même esprit et qu'un même coeur pour abhorrer la tyrannie et chérir la Republique »1.
C'est de toutes parts les mêmes plaintes. Le 13 germinal (2 avril),
1. Les membres composant le directoire du district de Dieuze: Signé: Schneider, v.-p., Prury (?), Vogin, Wauthier, administrateur, et Etienne, secrétaire (Même dossier. Cf. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 671).
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232 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
la Société populaire de Phalsbourg se désole « qu'il ne s'est présenté personne dans la commune pour remplir les fonctions d'instituteur ». Et cependant la municipalité a écrit à Strasbourg, à Metz, et même à Nancy 1.
DANS LE MONT TERRIBLE. — Les Administrateurs du district de Delémont envoient en prairial une lettre dont on saisit le Comité d'Instruction publique, indiquant les moyens de recruter des instituteurs, dont on manque 2.
DANS LES ALPES-MARITIMES. — Dans ce département, pour trouver des instituteurs, on s'adressa directement au Comité d'Instruction publique à Paris ; on le pria d'abord d'accorder aux maîtres un traitement, et ensuite de voir si « dans les arrondissements de ce département et des départements adjacents on pourrait trouver des sujets propres à remplir les fonctions d'instituteurs, lorsque, outre les qualités civiques, ils réuniront à la connaissance de la langue de la liberté celle des idiomes vulgaires du pays »3. La langue française était-elle si peu répandue dans le département? Un instituteur demandait un drapeau avec une inscription : Institut national de langue française 1. Autour de ce drapeau, on eût peut-être rallié un bataillon d'élèves, mais pas de collègues.
Le 7 brumaire an III (28 octobre 1794), il fut décidé de faire faire lecture, chaque jour de décadi, d'une lettre d'un jeune élève de l'Ecole du Champ-de-Mars par un élève du citoyen Berthoud, « instituteur national de langue françoise » (Combet, o. c, p. 409).
Pour les pays à dialecte, j'avoue que les renseignements spéciaux me font à peu près totalement défaut. Du reste le décret de pluviôse ne s'appliquait pas à ces départements'. Il n'y a donc pas lieu de rechercher si des écoles de français y ont été créées. Il nous suffira d'examiner, et nous le ferons, si on avait ouvert des écoles.
1. Guil., o. c., Conv., t. IV, p. 74-78; cf. Arch. N., F 17, 1010A, 2437.
2. Arch. N., F17 10102, n° 3179; cf. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 507.
3. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 703.
4. Rev. hist. de la Rév. et de l'Emp., juil. 1915. Cf. Combet, La Rév. à Nice et l'Enseignement à Nice sous le Consulat.
5. Signalons pourtant un ou deux faits qui se rapportent au mouvement d'idées dont nous parlons : En 1794, à Beauvais, le conseil général défendit aux maîtres et maîtresses d'écoles, et à tous les instituteurs « d'apprendre soit à lire, soit à écrire avec d'autres livres qu'avec des livres français, et entre autres ceux qui traiteraient des droits de l'homme » (Charvet, L'inslr. publ. à Beauvais, p. 38). Dans le Var, l'agent national du district de Draguignan écrit le 2 messidor que les instituteurs doivent » attacher à faire disparaître le jargon bizarre de la contrée (Brun, Rech. hist., p. 492).
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CHAPITRE III OBSTACLES IMPRÉVUS
LA FRANCISATION ET LES FINANCES. — Rien ne montre qu'à la Convention on ait été surpris ni inquiet des résistances. D'autres soucis pressaient. La Convention avait voté le décret de pluviôse sans réserve, puis applaudi Grégoire. Mais des causes multiples, on le savait, s'opposaient, et devaient s'opposer longtemps encore, par la suite, à la francisation des écoles primaires. « Peut-être, dit M. May, les conventionnels ne virent-ils pas ces obstacles, ou, s'ils les virent, ne les jugèrent-ils pas insurmontables, les uns parce qu'ils avaient une foi robuste dans la vertu agissante des textes et des prescriptions légales, les autres parce que, dans leur inexpérience des affaires publiques, ils n'avaient pas encore le sens des possibilités, beaucoup parce qu'ils ne soupçonnaient pas la mentalité des populations rurales, auxquelles, pour la plus grande part, s'adressa leur réforme, tous enfin et d'instinct, parce qu'élevés à l'école de la monarchie absolue, ils croyaient qu'il suffisait de parler en maître pour être obéi. Les faits devaient leur faire voir bientôt jusqu'où va la force de résistance d'une langue parlée depuis plusieurs siècles » (o. c., p. 55).
Je ne suis pas convaincu que l'Assemblée, si favorable qu'elle pût être à l'oeuvre de nationalisation linguistique, fût disposée à consentir les sacrifices nécessaires. On le vit presque tout de suite à une circulaire que le Comité de Salut public envoya aux agents nationaux (28 prairial an II—16 juin 1794), c'est-à-dire quelques jours à peine après le rapport de Grégoire. Elle fut probablement provoquée par les doutes que soumettaient les Administrations départementales.
En effet, le 12 ventôse an II (3 mars 1794), les Administrateurs du Haut-Rhin s'informaient de ce qu'ils devaient faire. Les 10/12èmes du département ne parlent que l'idiome étranger. Or, aux termes de l'art. IV, les instituteurs français doivent connaître les deux langues. Il sera impossible de trouver des personnes dans ce cas pour chaque commune.
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234 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Les personnes instruites et recommandables par leur civisme sont déjà occupées dans les différents services tant militaires que civils ; on ne peut admettre aux fonctions d'enseignement les ministres du culte et encore moins les adversaires du régime.
Donc, faut-il qu'il y ait deux instituteurs, l'un pour l'idiome, l'autre pour le français ? « L'intelligence des anciens titres, et l'usage habituel exige encore pendant quelque tems qu'il y ait des personnes instruites dans l'idiôme étranger. L'avantage qui va nous résulter en le faisant tomber bientôt dans la désuétude doit le faire emporter sur cet inconvénient et nous devons nous borner à un instituteur français » ?
La 2e question est celle de savoir si « dans les communes où l'on ne pourrait procurer des Instituteurs français, on doit encore les priver d'un Instituteur pour I'idiôme étranger, auquel cas elles n'en auraient aucun ; ce résultat nous paraît encore plus dangereux que l'inconvénient de les instruire dans une autre langue.
« Ne serait-il pas aussi convenable d'ordonner que tous les actes publics, soit des juges de paix, notaires et administrations, seront redigés en Langue française ; ce qui serait encore un grand pas que l'on ferait pour l'usage de cette dernière Langue ?
« Cette proposition peut être prise en considération et si vous la trouvés juste, vous voudrés bien la soumettre à la Convention pour qu'il soit rendu un décrêt à cet égard. L'exécution en serait d'autant plus facile que tous nos Juges ou notaires savent le français » 1.
On répondit : « La Convention nationale a senti l'importance d'une loi pour l'enseignement de la langue française aux citoyens des divers départements où l'on parle des idiomes différents.
« Dans une République une et indivisible, la langue doit être une. C' est un fédéralisme que la variété des dialectes : elle fut un des ressorts de la tyrannie ; il faut le briser entièrement : la malveillance s'en servirait avec avantage.
« Le décret du 8 pluviôse ordonne, en conséquence, le prompt établissement d'un instituteur de langue française dans chaque commune de campagne des départements où les habitants sont dans l'habitude de s'exprimer dans une langue étrangère.
« Cet instituteur doit, chaque jour, enseigner la langue française et la déclaration des droits de l'homme à tous les jeunes citoyens des deux sexes, et chaque décadi faire lecture au peuple des lois de la République en les traduisant vocalement.
1. Arch. N., F 17, 6891. Au bas de la dernière page Bien public, n° 1366.
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OBSTACLES IMPRÉVUS 235
« Mais, en le chargeant de ces fonctions importantes, la loi ne le dispense pas de remplir celles d'instituteur des écoles primaires.
« Le travail est la mesure du salaire, et c'est ce principe qui a déterminé le législateur, en accordant à l'instituteur un traitement fixe et plus fort, pour l'indemniser d'un plus grand travail.
« Ainsi donc, dans les communes de campagne, le même instituteur doit non seulement enseigner la langue française, mais encore satisfaire à tout ce qu'exigent de lui les lois relatives à l'instruction publique » l.
Cette exigence ne pouvait qu'empêcher l'exécution de la loi, déjà si difficile à appliquer. On aggravait les charges des maîtres, alors qu'il fallait battre le rappel pour en trouver un de loin en loin.
LA FRANCISATION ET LES ARMÉES. — Ni Barère ni personne n'avaient réfléchi à d'autres conséquences de la francisation à outrance. Du quartier général d'Arlon, Gillet écrit, le 8 floréal an II (27 avril 1794), pour savoir quel parti prendre, et comment appliquer la loi qui exclut ceux qui ne savent ni lire ni écrire des grades qui viendront à vaquer « de caporal à général en chef ». Faut-il que les candidats sachent lire et écrire en français ?2
« La loi qui a exclu de l'avancement tout militaire qui ne sait pas lire et écrire, dit-il, était nécessaire ; mais on l'a étendue à tous ceux qui ne savent pas le français, quoique sachant parfaitement lire et écrire en allemand. Voici ce qui en est résulté. L'armée de la Moselle renferme un grand nombre de bataillons formés dans les cantons où l'on ne parle pour ainsi dire que l'allemand. Il y a dans ces bataillons beaucoup de braves militaires qui, depuis le commencement de la guerre, servent la patrie avec autant de zèle que de succès ; on les a exclus de l'avancement par cela seul qu'ils ne savent pas le français. Il en est résulté, premièrement, beaucoup de mécontentement, et il est constant aujourd'hui que c'est l'origine du complot de désertion qui a existé dans la 173e demi-brigade d'infanterie. La perversité de nos ennemis dit aux Allemands : « Vous n'êtes plus estimés, on vous méprisé ». Secondement, cette exclusion est à la fois préjudiciable à la chose publique et aux individus. A la chose publique, parce qu'elle se trouve privée des talents d'un grand nombre d'excellents officiers qui auraient pu la servir utilement; il est même des bataillons où le remplacement des officiers devient impossible, si on exclut ceux qui ne savent lire et
1. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV, p. 344.
2. Remarquer que celte loi avait été demandée de divers endroits, ainsi par les Commissaires envoyés dans les Alpes-Maritimes (Id., Ib., t. II, p. 363).
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236 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
écrire qu'en allemand. Aux individus, parce qu'ils se voient déchus
de l'espérance de parvenir à des grades qu'ils croient avoir acquis
par de longs travaux et d'honorables services.
... « La loi prive de tout avancement ceux qui ne savent pas lire et
écrire. Cette loi peut-elle s'appliquer à ceux qui ne savent écrire
qu'en allemand ? Cette interprétation m'a paru trop rigoureuse. La
loi n'exige d'autre condition que de savoir lire et écrire. Elle ne dit
point dans quelle langue, et il est certain qu'un officier qui sait lire
et écrire en allemand peut aussi bien faire un rapport, rendre un
compte, faire son service, en un mot, que s'il écrivait en français.
Avant la Révolution, il y avait vingt régiments où l'on ne parlait ou
n'écrivait pas d'autre langue que l'allemand.
« Je n'ai donc pas cru contrarier l'esprit de la loi, j'ai cru au contraire faire une chose juste et utile en prenant l'arrêté que je vous adresse ; il porte que ceux qui savent lire et écrire en langue allemande sont susceptibles d'avancement, quoiqu'ils ne sachent pas le français 1.
« Si vous partagez mon opinion, si, comme moi, vous croyez cette mesure juste, indispensable, je vous invite à proposer à la Convention nationale d'expliquer ainsi son décret, car il est à présumer que l'exclusion qui a eu lieu à l'armée de la Moselle contre les Allemands aura été pratiquée dans d'autres armées » 2.
Cette lettre me paraît très importante. Elle faisait sentir qu'on tombait d'un danger dans un autre, car il ne s'agissait pas de jeter le désordre et la défiance dans les armées, dont le patriotisme républicain était ardent, mais dont la cohésion laissait encore parfois à désirer.
1. L'arrêté (en date du même jour), qui est joint à cette lettre, porte en outre que toutes les nominations faites jusqu'à ce jour sont confirmées. Toutefois le Représentant rappelle à tous les militaires que c'est un devoir pour tout Français de savoir la langue de son pays.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 103-101.
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CHAPITRE IV
A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES PREMIERS PROJETS D'ÉCOLES NORMALES
LES MÉTHODES. — C'était une oeuvre singulièrement difficile que d'apprendre le français aux enfants qui ne le parlaient pas. Elle demandait des méthodes appropriées, des maîtres habiles, la présence régulière et prolongée des élèves. Or, qu'espérer de pauvres hères comme cet instituteur de la Robertsau, le citoyen Schwoerer, dont Reuss a raconté les tribulations ? On le voit se faire interpréter le procès-verbal de son interrogatoire en langue allemande : « il ne connaissait pas la langue française ». Il était né du reste au-delà du Rhin ! 1
Elle existait pourtant, la méthode, qui n'était ni celle des thèmes et des versions, ni l'analyse transcendentale et abstraite de la Grammaire générale. Elle avait même fait des merveilles entre les mains de deux apôtres, dans un coin reculé des montagnes vosgiennes. La Convention en avait eu connaissance. Le procès-verbal du 16 fructidor an II(2 sept. 1794) contient en effet la communication suivante faite par « un membre » 2 : « Dans le département du Bas-Rhin, il y a une vallée dite le Ban-de-la-Roche, composée de plusieurs communes dans lesquelles on ne parlait qu'un patois que l'on ne comprenait plus hors de la vallée. Un vieillard respectable, père d'une
1. Reuss, Les trib. d'un me d'école, p. 24.
2. Guillaume accepte l'indication du Journal des Débats et décrets, qui nomme Ehrmann (o. c., Conv., t. IV, p. 397). Les lettres publiées par Gazier permettent de croire qu'il s'agit de Grégoire : « Vous devez vous souvenir de ce que vous avez vu au Bande-la-Roche ; l'application de mon frère et de M. son devancier (Stouber) pourront peut-être servir d'exemple à d'autres » (Lett. à Grég., p. 229).
Il faut noter que l'autre Oberlin (Jacques-Jérémie), le professeur du gymnase de Strasbourg, qui écrivait en 1775 son Essai sur le patois lorrain, et qui compare souvent le Ban-de-la-Roche à Lunéville, ne croyait pas alors à la possibilité de détruire le patois. « C'est en vain qu'on se proposerait de déraciner le jargon populaire, dit-il, les scavans l'apprendroient plutôt que les paysans et gens de métier ne sauraient s'en défaire. Ajoutons que, parmi le beau sexe, l'on trouve presque partout des zélés partisans du patois de chaque canton » (p. 4.) Oberlin avait fait une bibliographie de livres patois comprenant 36 numéros. Elle appartient aujourd'hui à la bibliothèque de Nîmes.
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238 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
nombreuse famille, nommé Stouber, s'est dévoué à donner à ces citoyens les moyens de communiquer avec les autres hommes. Pour arriver à ce but, il créa une école d'instituteurs destinés à apprendre le français aux bons habitants de cette vallée. Les soins de Stouber n'ont pas été infructueux ; il est parvenu à faire apprendre à la jeunesse à lire et à écrire en français. Stouber avec son successeur et ami Oberlin ont porté leurs soins plus loin. Ils ont enseigné aux jeunes gens du Ban-de-la-Roche les éléments de physique et d'astronomie, de la botanique, de la musique, et de beaucoup d'autres connaissances utiles à l'homme social ; et ce brave homme se croirait offensé si on lui offrait une récompense pécuniaire ». La Convention nationale décrète que le « récit qui vient de lui être fait sera inséré honorablement au procès-verbal et au Bulletin ».
Quand il eut connaissance de la séance de la Convention, Oberlin répondit par une lettre simple et touchante, qui est aux Archives 1, où est exposée sinon son oeuvre, du moins sa méthode. C'est la méthode directe, combinant leçon de mots et leçon de choses, telle que nous la préconisons de notre temps. Voici cette lettre :
« Dépt du Bas-Rhin, Waldersbach, au Ban de la Roche, 9 Vendémiaire an III.
« Je reçus, il y a quelques jours, un Extrait du Procès Verbal de la Convention Nationale du 16 Fructidor de l'An deux de la République Une et indivisible, où il fut fait mention honorable de mon bon et loyal Prédécesseur Stouber, et de moi, pour nos Efforts à francésiser, cultiver, civiliser les Habitans des cinq Villages et trois Hameaux, sur les quels nous osions travailler au Ban de la Roche.
« Je fus extrêmement surpris de cet Honeur inattendu, et encore ne sais-je trouver des expressions pour Vous témoigner la vive Reconoissance, dont je fus pénétrer.
« Mon Embarras est d'autant plus grand, que ma Langue maternelle étant l'allemande, sachant à force de Lecture assez de François pour ma chère Vallée, je reste court vis à vis de François, nés François. Agréez, Citoyens Représentants, agréez l'assurance, que je vis de Coeur et d'Ame, de Talens et de toutes mes Forces pour la République Françoise.
« La Convention Nationale me témoigne Son Approbation de mes soins pour introduire ici la Langue françoise. Peut-être oserois-je Vous présenter une petite Description de la Méthode, dont je me suis principalement servi :
« Il y a environ 27 Ans, que j'établis huit Institutrices pour les
1. Arch. N., F17 6891.
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A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 239
huit Villages et Hameaux. Ces bonnes Filles instruites par feu ma Femme et moi, montroient à leurs jeunes Elèves des deux sexes des Figures d'Histoires, d'Animaux et de Plantes, où j'avais écrit les Noms françois et patois, avec une courte Description en François. Pour occuper en même temps les Mains des Enfans, les Conductrices leur apprenoient le Tricotage inconnu jusqu'alors dans cette Contrée. Puis elles les amusoient par des Jeux, qui donnoient de l'Exercice au Corps, dégourdissoient les Membres, contribuoient à la Santé, et leur apprenoient à jouer honnêtement et sans se quereller. Dans les beaux Jours on les menait à la Promenade, là les Enfans cueilloient des Plantes et les Conductrices les leur nomoient et leur faisoient répéter les Noms. — Toutes ces Instructions avoient l'air d'un Jeu, d'un Amusement continuel.
« J'ai une petite Collection d'Histoire naturelle, de Productions de l'Art, d'Instruments de Joueurs de Gobelets, etc. Le tout au service de nos Institutrices. Quand donc le Zèle des Elèves començoit un peu à se rallentir, un nouveau Miracle de notre Façon excitoit de nouveau leur Surprise et ranimoit leur Goût à apprendre. J'ai oublié de parler des petites Cartes Géographiques, taillées grossièrement en Bois, par le Moyen des quelles mes chers petits Elèves se familiarisoient un peu avec tous les Pays du Monde.
« Quand une Institutrice m'avertit, que les Elèves avoient bien saisi leur Tache de Plantes Animaux Histoires Cartes Géographiques, elle osoit produire ses Elèves à l'Eglise assemblée, et les Enfans montroient leurs Progrès avec une Gaieté, avec une Extase, qui faisoit pleurer les Vieux. De plus par cette Répétition ou Récitation publique je réussis à Enseigner aux Vieux ce qui leur étoit utile, mais que je n'aurois pas eu l'Occasion de leur apprendre.
« Par ces moyens cette petite Peuplade, jadis parfaitement ignorante, est toute métamorphosée et le François est quasi la Langue maternelle de toutes les Familles qui ont bien voulu se laisser civiliser, quoique les Leçons de ces Institutrices, pour éviter le Dégoût des Maîtresses et des Elèves ne se donassent qu'un ou deux Jours par semaine, et qu'elles ne se douent aujourdhui qu'autant par Décade.
« Corne par les dits Travaux j'ai eu le Bonheur de prévenir les Voeux du Comité d'Instruction et de la Convention Nationale ; je ne souhaite rien tant que d'avoir la Satisfaction d'oser consacrer le Reste de mes Jours à l'Instruction de cette Contrée.
« Que Dieu conserve la République et confonde ses Ennemis » 1.
1. Il existe encore aux Archives Nationales (F17A 1207), une note à la main du
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240 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Dans son désert, l'apôtre prêchait et il était écouté ; à Paris il fut seulement complimenté.
ORIGINE DE L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES 1. — L'idée de faire une pépinière de maîtres était ancienne déjà en France. Elle avait été préconisée dès le XVIIe siècle, et depuis par Crevier 2, par l'abbé Pesselier, par Rivard, par Vanière 3. Barletti Saint-Paul prétend même avoir souffert pour elle l'incarcération à la Bastille 4. Rollant, en créant au chef-lieu de chaque Université une école spéciale et professionnelle, recrutée au concours et dotée du monopole, Vadier en instituant des Facultés d'éducation, Proyart en demandant une école à Paris, se proposaient le même objet 6. Du reste les noviciats, pour certaines congrégations, étaient des sortes d'ébauches de l'école rêvée, et avaient montré l'intérêt d'une semblable institution 6.
D'autre part l'essai avait été tenté en Allemagne avec des résultats excellents, on le savait en Alsace et en Lorraine, en raison du voisinage 7. Un certain nombre de Cahiers, rédigés dans l'Est, y font allusion 8.
Depuis la Révolution, diverses propositions avaient été faites aux
même Jean Frédéric Oberlin, jointe à la traduction qu'il envoie de la parabole de l'Enfant Prodigue le 10 déc. 1807 : « Quoiqu'il y ait 40 ans passés (depuis 1767), que je deserve cette Paroisse, je ne comprends rien, lorsque j'entends parler mes Paroissiens entre eux en Patois. Mais aussi en ma présence on ne parle jamais Patois, et dans beaucoup de familles on ne parle plus Patois avec les Enfants ».
1. Sur ce sujet voir l'article de P. Dupuy dans Le Centenaire de l'Ecole Normale, et Guill., o, c., Conv., t. IV, et XXXVIII.
2. Diff. prop. à M. de La Chalotais, p. 44 ; et Mémoire sur la nécessité d'établir dans Paris une maison d'instruction pour former des maîtres... S. 1. n. d., vers 1762, 28 p. Barbier l'attribue à Rivarol.
3. Voir II. L., t. V, p. 38.
4. Cependant, ajoute-t-il, il était autorisé par le gouvernement. Mais l'Université aurait vu d'un si mauvais oeil le Prospectus de celte école, que le Cours fut interdit (o. c, p. 14, note m.). M. Funck-Brentano, qui a dépouillé les Registres, a vérifié que Barletti Saint-Paul fut en effet enfermé du 20 février au 17 mai 1766, pour le motif suivant : Epigrammes et injures contre les commissaires només pour l'examen d'un ouvrage de lui sur l'instruction de la jeunesse (Les lett. de cachet à Paris... Paris, 1903, n° 5707).
5. Letaconnoux, Les proj. de réf. scol., dans le Journ. de Psychol., janv.-mars 1924, p. 251-252. Cf. le voeu du Clergé du Languedoc (1789) Hist. Lang., XIV, col. 2539.
6. Daunou accueillit l'idée d'avoir des écoles de l'art d'enseigner (Dupuy, o. c., p. 24-25).
7. J. Fr. Simon, le futur organisateur de l'École Normale do Strasbourg, avait fait avec Schweighasuser un stage au célèbre établissement de Basedow, le Philanthropinum de Dessau.
C'est dans un manuel publié en 1781 qu'ils expriment le voeu de voir Louis XVI créer « un corps de génie pour former des instituteurs capables de fournir à l'Etat des hommes vigoureux et éclairés et des citoyens vertueux », comme Louis XIV « a établi un corps du génie pour rendre le canon français respectable aux ennemis » (Connaissances les plus nécessaires... destinées à la jeunesse du moyen-âge par MM. Schweighaeuser et Simon conseillers de légat, de Mgr le Margrave de Bade et directeurs d'une maison d'éducation. Bâte, 1781, in-12°, dans Reuss, Inst. pr.. p. 138).
8. Allain, La quest. d'ens., p. 335, n° 15 de l'index et p. 356, n° 10.
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A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 241
Assemblées, par Major (12 octobre 1790)1, par d'Archenholtz, ancien capitaine au service de la Prusse, qui exposait les magnifiques progrès faits en Allemagne et la valeur de l'établissement de Basedow 2. Le Comité d'Instruction publique de la Législative s'était au moins entretenu de la question : « M. Bourdon étant venu au Comité, il a lu une adresse par laquelle il demande des encouragements publics pour établir une école d'expérience où viendraient des élèves de tous les départements »:i.
L'Alsacien Dorsch envoya à Paris une brochure qui fut transmise au Comité d'Instruction publique le 14 mars 1792. Elle est intitulée : Projet d'établissement de Collèges pour l'instruction des Maîtres d'école, dans chaque département du Royaume, présenté à l'Assemblée Nationale (Arch. N., F 17 1309, doss. 5). L'auteur les appelle Collèges des Maîtres d'école (Schul-Lehrer Akademien). Le projet n'a point pour but la francisation immédiate. On apprendrait dans les Collèges de Maîtres « l'art de lire et d'écrire; l'orthographe et les principes de la langue du pays, pour pouvoir la parler et l'écrire correctement. Dans un département où deux langues sont en usage, comme le nôtre, par exemple, il faut que les maîtres d'école les possèdent toutes les deux », dit-il 1.
L'IDÉE SE PRÉCISE. — Simon a raconté plus tard les entretiens qu'il eut à propos d'écoles normales avec le Comité d'Instruction publique 5.
Lors des grandes discussions de juillet 1793, Léonard Bourdon et Grégoire parlèrent de la nécessité de ces Ecoles normales6. Le mot 7, comme la chose, s'imposait peu à peu aux esprits. Barère,
1. Projet d'une École Nationale, ou les Professeurs de tous les Collèges de la France viendront apprendre le cours d'instruction donné par l'Assemblée Nationale et la manière de l'enseigner (Voir le détail p. 16 et suiv.). J. F. Major, Tableau d'un collège en activité, Bar-le-Duc (22 Dec. 1790), in-8°. Précédé d'un Discours sur l'Instruction publique adressé au Comité de Constitution le 12 oct. 1790.
2. Let. du 30 mars 1792. Arch. N., F 17 1309, doss. 6.
3. 25 nov. 1791. Guill., o. c., p. 35.
4. Cf. Guill , o. c., p. 149.
5. Il avait pris part à la journée du 10 août, puis à la défense de Mayence. Voir ses Observations sur l'organisation des premiers degrés de l'instruction publique. Paris, Levrault, 1801, in-8°.
Un membre ayant proposé de faire venir d'Allemagne les ouvrages sur l'organisation des écoles normales, les universités et les gymnases, le Comité a chargé M. Arbogast d'écrire pour cet effet à Strasbourg (Guill., o. c., t. I, p. 10).
6. 3Guill., o. c, Conv., t. II, p. 119 et 177. Le fils du pédagogue allemand Villaume, ami et ancien collaborateur de Campe, avait écrit à la Convention, le 16 oct. 1712, offrant ses services et pour fonder et diriger des séminaires de maîtres pour les écoles nationales » (Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 507).
7. Il venait d'Allemagne. Voir Id., ib., t. I, p. 10, n. 4 et Id., ib., Conv., t. IV, p. 461, n. 1. Je crois devoir signaler qu'il prit une extension rapide : Treize canonniers, un nombre proportionné de platineurs, garnisseurs, monteurs, forgeurs de baïonHistoire
baïonHistoire la langue française. IX. 16
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242 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
saisissant au passage l'occasion de se mettre en avant, en proposant la fondation de l'École de Mars, ajouta qu'il y avait lieu d'établir à Paris « une école où se formeraient les instituteurs, pour les disséminer ensuite dans tous les districts », et il annonça un autre rapport'. Il faut noter ce rapprochement : Ecole de Mars, Ecoles Normales, on y persistera; et par là on perdra tout. L'expérience faite en ventôse de la méthode révolutionnaire à l'École des Armes donnera l'illusion qu'en toutes matières les résultats peuvent être aussi prompts, et qu'on formera des instituteurs comme des salpêtriers et des armuriers.
Le 1er prairial an II (20 mai 1794), Coupé présentait à la Convention un Projet de décret tendant à révolutionner l'instruction2 : « L'administration de chacun des districts de la République désignera, en consultant à cet effet les sociétés populaires, quatre citoyens ayant des dispositions pour l'enseignement. Les citoyens désignés se rendront à Paris pour le 1er messidor ; ils recevront vingt sols par lieue pour frais de route. A Paris ils seront logés, et recevront quatre livres par jour. Des citoyens choisis par le Comité de salut public, leur donneront pendant deux mois des leçons pour les préparer aux fonctions d'instituteurs; ces citoyens se concerteront entre eux sur l'uniformité du mode d'enseignement des objets dont ils seront chargés, et des ordres seront donnés par le Comité de salut public pour que le même enseignement puisse être fait à la fois dans plusieurs sections. Ces maîtres rédigeront leurs leçons; elles seront imprimées, et il en sera remis des exemplaires aux élèves avant leur départ. Le cours d'instruction terminé, les citoyens qui l'auront suivi retourneront dans leurs districts, et là, dans les chefs-lieux de canton qui seront désignés par l'administration, ils ouvriront des écoles publiques d'instruction où ils répéteront la méthode d'enseignement qu'ils auront reçue à Paris. Ces nouveaux cours seront de deux mois. Les citoyens et citoyennes qui seront dans l'intention de se vouer à l'instruction en feront la déclaration à la municipalité, et se rendront dans l'une des quatre écoles ouvertes dans le district; ils recevront quarante sous par jour pendant la durée des cours. Dès que le cours sera terminé, ces citoyens et ces citoyennes se rendront dans les communes où ils désireront ouvrir une école conformément au décret du 29 frimaire ».
Les dispositions que nous venons de résumer étaient suivies d'un
nettes, etc., réunis en école normale ont été formés dans le même temps (Lakanal, 15 mess an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV p. 702)
1. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. XXVII
2. Id., Ib., p. 460.
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A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 243
article final ainsi conçu : « Pour connaître l'effet que ce cours normal aura pu produire, il sera répété l'année suivante. Cette première expérience indiquera par ses résultats les moyens de la perfectionner et de donner à cette méthode révolutionnaire toute l'extension dont elle sera susceptible »1.
LE PROJET DE BERGUES. — La Société populaire de cette ville envoya au Comité d'Instruction publique un Projet d'établissement d'un Institut National à Bergues pour l'enseignement de la langue française dans la ci-devant Flandre Maritime2. Il est assez important pour être reproduit.
ARTICLE PREMIER.
« Il sera établi pour les deux districts de Bergues et Hazebrouk un institut national, dont l'objet principal sera de former des instituteurs qui aient la capacité d'enseigner dans les communes de campagne, la Langue françoise, conformément au Décret du 8 pluviôse.
« Les deux districts de Bergues et Hazebrouk font ce qu'on appeloit ci-devant la Flandre-maritime françoise; les habitans y parlent la langue flamande.
« Les vues bienfaisantes du Législateur, deviennent parfaitement nulles, si l'on n'adopte ce moyen, car il n'existe peut-être pas dans les deux districts six citoyens qui aient la capacité nécessaire pour enseigner la Langue françoise; ce n'est pas que le pays soit totalement dépourvû de talens, mais ceux qui en possèdent quelq'uns, ceux, surtout, qui ont celui de connoître à fond la Langue françoise, se trouvent placés dans les administrations, dans les tribunaux, ou exercent quelques autres fonctions qu'ils ne quitteroient pas pour remplir une place d'instituteur.
« Il n'y a pas encore une seule commune de campagne qui jouit de l'avantage qu'a voulu lui assurer la convention nationale, rien ne prouve conséquemment davantage la pénurie des sujets. Deux citoyens seulement se sont présentés à la Société pour être examinés, l'un deux a été accepté à la vérité, et sera, aux termes du décret, proposé à la nomination du Représentant du peuple en mission dans ce département, mais nous devons avouer que ce citoyen même, n'a pas toute la capacité qu'on desireroit et qui rigoureusement est indispensable pour remplir sa place avec succès. L'on a été obligé d'user de quelque indulgence, parce qu'on a cru qu'il valoit mieux de faire un bien médiocre que d'en priver totalement la campagne par trop de sévérité.
1. Guill., o. c., Conv., t. IV, Introd., p. XXV.
2. 3 vendém. an III (24 sept. 1794). Arch. N., F17 6891 n° 4944.
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244 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ARTICLE 2. « Cet institut sera placé à Bergues, dans le Bâtiment servant maintenant à l'enseignement des humanités.
ARTICLE 3.
« Quatre instituteurs sachant parfaitement les deux Langues, seront attachés à cet institut, ils seront nommés par le représentant du Peuple en commission dans le Département qui prendra à cet effet les renseignemens nécessaires sur leur capacité. Leur traitement sera de 3 000tt.
«... l'on peut assurer qu'on ne parviendra à se procurer ces quatre instituteurs qu'avec infiniment de peine.
ARTICLE 4.
« Chaque Municipalité de ville et de Campagne des deux districts, indiquera ceux des citoyens de leur commune dans qui elle remarquera le plus de disposition et d'aptitude pour apprendre la langue françoise et qui la connoissent déjà assez pour n'avoir besoin que d'une année d'application pour s'y perfectionner...
ARTICLE 5.
« Ces citoyens seront pris de Préférence parmi ceux qui ont Reçu quelques principes de la langue latine, s'il s'en présente suffisamment.
ARTICLE 6.
« Les citoyens indiqués seront examinés par les quatre instituteurs et les commissaires dont il va être parlé à l'article 8 ; il en sera désigné 100 qui auront été reconnus les plus capables, et dans qui l'on aura remarqué le plus de disposition, pour être reçus dans l'institut national; en observant néanmoins, de ne pas inscrire ceux que les qualités physiques ou morales doivent éloigner d'une place d'instituteur, et ceux qui sont présumés ne vouloir pas se charger de cette fonction à cause de leur fortune.
ARTICLE 7.
« Chaque élève touchera une gratification de 400tt par année, qui sera payée par trimestre à titre d'encouragement et en considération des frais de son déplacement.
« ... Il ne faut pas s'attendre à voir beaucoup de jeunes gens fortunés fréquenter cet institut, du moins dans l'intention de devenir
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instituteurs ; il n'y a que les pères vraiment sans-culotes qui pourront ambitionner ces places pour leurs enfans, et à moins de les encourager, l'on manquera le but, car c'est déjà un sacrifice pour eux, s'ils doivent se priver pendant une année et quelquefois plus longtemps des secours qu'ils peuvent recevoir de leurs enfans, à la campagne surtout; si à ce premier sacrifice, l'on joint celui de devoir payer une pension hors de chez eux, ils seront absolument dans l'impuissance de profiter des avantages que présentera cet établissement.
ARTICLE 8.
« Cet établissement sera surveillé par cinq commissaires nommés par le conseil général du District, qui les choisira parmi les citoyens qui ont une connoissance parfaite des règles de la Grammaire.
ARTICLE 9.
« Ces Commissaires s'assembleront une fois par décade, et plus souvent s'il en est besoin, ils détermineront de concert avec les quatre instituteurs le mode de l'enseignement, et ceux-ci seront tenus de s'y conformer.
ARTICLE 10.
« Les instituteurs enseigneront aussi les premiers élémens des sciences les plus utiles et les plus indispensables à des républicains ; ils s'entendent à cet égard avec les cinq commissaires.
ARTICLE 11.
« A la fin des Cours de l'année, les élèves qui auront acquis la capacité nécessaire, seront reçus pour instituteurs dans les communes pour lesquelles ils témoigneront de la préférence; ils choisiront dans l'ordre de leurs talens reconnus.
ARTICLE 12. « A la fin de l'année, l'on remplacera ceux des élèves qui auront quitté pour aller occuper une place d'instituteur, et l'on complétera derechef le nombre en le portant à 100, en suivant à cet effet le mode indiqué par les articles précédens — on fera de même chaque année, jusqu'à ce que chaque commune de campagne ait son instituteur, à laquelle époque cet institut sera supprimé.
ARTICLE 13. « L'enseignement sera public et chacun pourra y assister ; les jeunes gens cependant qui voudront suivre le même Cours avec les 100
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246 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
élèves déterminés par l'art. 6, seront soumis à la même police et discipline, quoiqu'ils ne touchent pas la gratification allouée par l'article 7.
« Adopté par la Société populaire en sa séance du trois vendémiaire 3e année de la républ. fr. u. et ind. « Marhem président, Bouchette secrétaire », etc.
Voilà certes un projet bien conçu, solide, tel qu'un Comité de spécialistes eût eu peine à le dresser. Il est digne de Bouchette 1. On ne pouvait lui reprocher que la dépense qu'il entraînait : 62000 livres. Aucune mention n'indique qu'il ait été l'objet d'un examen.
SUGGESTIONS DU BAS-RHIN. — Nous avons rapporté plus haut les efforts faits par les Administrateurs du Bas-Rhin, pour trouver des instituteurs de français. Dans une lettre à Thibaudeau du 23 prairial an II (11 juin 1794), ils avaient avoué leur impuissance. Nous avons réclamé, disent-ils, le secours de la Société populaire de Strasbourg à ce sujet, mais ses efforts ont été presque nuls jusqu'à présent et nous sommes « forcé de soliciter le Comité d'instruction publique de venir à notre secours pour prevenir cette pénurie préjudiciable à la chose publique dans ce département » (Ulrich, Rivet pr., Marey, Mougeat, Fiesse) 2. Thibaudeau fit un rapport, le 29 prairial (17 juin). Il y faisait ressortir une fois de plus les difficultés qui s'élevaient au sujet des lois de frimaire et de pluviôse :
« 1° Dans chaque commune où l'on parle l'idiome étranger, doit-il y avoir deux instituteurs, dont l'un pour cet idiome, l'autre pour le français, et seront-ils payés l'un et l'autre du traitement fixé par les deux lois?
« 2° Dans les Communes pour lesquelles l'on ne peut pas trouver des instituteurs français, doit-on laisser un instituteur pour l'idiôme étranger?
« 3° Quels sont les moyens de donner promptement des instituteurs de langue française aux départemens désignés par la loi du 8 pluviôse ?
« Il n'y a pas de doute, continue-t-il, que l'intention de la Convention dans la loy du 29 frimaire a été que les instituteurs des écoles primaires enseignassent en français dans toute la république, quoique cela n'y fût pas formellement exprimé ».
On avait bien prévu que la loi de frimaire serait insuffisante, on l'a complétée le 6 (lisez 8) pluviôse. « Ainsi c'est à l'exécution de cette
1. V. p. 25.
2. Arch. N., F17 6891
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A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 247
dernière loy que les autorités constituées des départemens visés doivent se fixer ». Cependant, « comme elle n'abroge pas formellement la loy du 29 frimaire, il est nécessaire de ne plus laisser de doutes à cet égard ».
« Ils se plaignent de la rareté des hommes en état de remplir les fonctions des instituteurs, parce qu'il faut qu'ils sachent à la fois la langue française et l'idiôme ou le patois du païs dans lequel ils sont établis ».
« Il n'y a que le comité de Salut public qui puisse prendre des mesures pour faire cesser cette difficulté, soit en mettant en réquisition, pour les envoyer dans les départemens, des hommes en état de faire l'enseignement prescrit par la loy du 8 pluviôse, soit en authorisant les autorités constituées de ces départemens à faire euxmêmes ces réquisitions, soit enfin en établissant des écoles normales dans les départemens indiqués par la loy du 8 pluviôse » 1.
Le 1er messidor an II (19 juin 1794), le Comité entendit ce rapport 2. Un projet de décret fut envoyé au Comité de Salut public. Les écoles normales y sont expressément mentionnées :
« 1° Les dispositions de la loi du 29 frimaire sont rapportées pour les départements dans lesquels il a été établi des instituteurs de langue française pour le premier degré d'instruction publique.
« 2° Tous les instituteurs des Ecoles primaires enseigneront en langue française.
« 3° Les directoires de district sont autorisés à mettre en réquisition les citoyens qui seront jugés capables de remplir les fonctions d'instituteurs des écoles primaires dans les communes où il ne s'en trouverait pas d'établies.
« 4° Dans les chefs-lieux des départements pour lesquels il a été établi des instituteurs de langue française, par le décret du 8 pluviôse, il sera établi une école normale pour en former.
« 5° Les directoires de district de ces chefs-lieux choisiront, à cet effet, deux citoyens les plus capables d'enseigner la langue française, d'après la méthode la plus facile et la plus prompte.
« 6° Le cours durera pendant trois mois ; tous les citoyens qui se destineront à l'enseignement primaire y seront admis ».
AJOURNEMENT. — Tout cela demeura en projet. Cependant, le 8 messidor (26 juin), le Comité d'Instruction publique rappelait, sous la signature de Villar, au Comité de Salut public le rapport
1. Arch. N., F17 6891.
2. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 665 et suiv.
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248 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
et le projet de décret relatif aux Instituteurs de langue française1. Messidor se passa sans que le Comité de Salut public prit une décision à ce sujet, et on le comprend; non seulement il était surchargé d'affaires, mais il répugnait fort probablement à constater les déplorables résultats des lois de frimaire et de pluviôse. Il fallut que le 29, le Comité d'Instruction publique lui renvoyât une nouvelle expédition de son projet de décret. Ce fut seulement le jour de la 4e sans-culottide que la Convention, sur le rapport de Lindet, vota un décret aux termes duquel son Comité d'Instruction publique était chargé de lui présenter, dans deux décades, un projet « d'écoles normales, où seront appelés de tous les districts tous les citoyens déjà instruits, pour leur faire apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres de connaissances humaines, l'art d'enseigner les Sciences utiles » 2. Il était bien tard.
Pendant cette période, il n'y eut, à ma connaissance, qu'un seul et unique essai du système 3. Ce fut en Alsace que Simon le tenta. Il en avait été chargé par le département du Bas-Rhin. Mais son école normale ne marcha que médiocrement ; les raisons, d'après ce que nous avons dit, sont faciles à deviner. Il faut ajouter que personne n'eut l'air d'apprécier la valeur de son effort dans ces temps si troublés. On vit à un moment les locaux de l'Ecole occupés par les porcs que l'administration militaire avait réquisitionnés !4
1. Arch. N., F17 6891.
2. Guill., o. c., Conv., t. IV, Introd., p. XXVII-XXVIII.
3. Un jeune homme d'Eiweiler, canton de Frühlingen (Bas-Rhin), Jean Philippe Kaibach, écrit en allemand de Strasbourg, le 15 prairial an II (3 juin 1794), en fournissant un certificat de moralité et de civisme, pour exposer que le représentant a fait connaître dans le district de Neusaarwerden l'ouverture d'une école normale à Strasbourg, destinée à la formation d'instituteurs de français. L'Agent national a prévenu les jeunes gens. Lui s'offre. Il ne sait pas le français, mais il l'apprendra pour l'enseigner ensuite dans son endroit. Quoique père de famille, il a fait le sacrifice d'une séparation avec l'espoir de servir sa nouvelle patrie. Il a fait le voyage de Strasbourg, s'est présenté à Simon. Mais il ne peut pas supporter les frais, il demande un secours (Arch N., F 17 6891).
4. Guill., o. c., Conv., t. IV, Introd., p. III ; cf. p. 738.
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CHAPITRE V
EFFET MÉDIOCRE DE LA POLITIQUE DE LA LANGUE SUR L'USAGE LINGUISTIQUE
LES VELLÉITÉS ET LES FAITS. — J'ai dit plus haut que les milieux républicains n'avaient pas été insensibles aux appels de la Convention. Si les écoles décrétées ne purent pas se créer, le mouvement d'opinion fut réel et peut-être assez étendu. Mais put-il se traduire dans les faits, et vint-on au français par ordre et sous l'influence des injonctions envoyées de Paris? C'est une autre affaire.
La vie politique elle-même, et à plus forte raison la vie scolaire, en fut à peine influencée. Comment eût-il pu en être autrement? Le regret d'ignorer une langue pousse à l'apprendre, quand on en a les moyens et le temps. Mais il ne suffit pas d'aimer une langue, il faut s'en assimiler de façon quelconque les mots et les formes.
On entreprit et on exécuta des traductions, tout comme on en avait fait jusque-là. Les Sociétés populaires continuaient à presser les administrations pour en avoir. Celle de Bitche écrit, le 27 floréal, an II (16 mai 1794), aux Membres composant l'administration du département de la Moselle : « La société toujours prévoyante sur les obstacles qui peuvent entraver le propagement du républicanisme, vient de s'assurer que le plus grand obstacle nait de la difference de la langue. Vous avez été invité par l'administration de district à adresser les loix en allemand; soit oubli dans les Bureaux, soit tout autre Cause, le district interrogé a répondu négativement sur la nature de cet envoy. Nous ne doutons pas que vous ne vous empressiez à coriger cet abus. Vos frères vous y invitent et attendent de votre zele la plus prompte exécution »1.
Le 11 prairial an II (30 mai 1794), le Comité d'Instruction publique, loin d'abjurer l'hérésie, chargeait Grégoire lui-même de s'assurer si les traductions ordonnées par un décret s'effectuaient. Cette date
1. Signé Ferey, président, g1 de brigade, Commandant de Bitche, Joly, secrétaire. Arch. de la Moselle, II. L. 901. Pér. révolre. Communiqué par M. D'Arbois de Jubainville, Archiviste.
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250 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
importe. C'est ce jour-là en effet que Grégoire fut autorisé à communiquer au Comité de Salut public son célèbre rapport sur les patois 1. La rencontre est instructive, elle montre comment on entendait combiner des moyens d'action qui ne s'excluaient pas : se servir des idiomes en attendant, faute de mieux, et former en même temps des générations qui connussent le français. Quel est le politique raisonnable qui n'eût pas consenti à ces concessions et n'eût pas subordonné les avantages de la francisation à des nécessités autrement pressantes?
LES ADMINISTRATIONS, LES SOCIÉTÉS. — La propagande continua dans la langue qui portait le mieux. Assurément, une fois les directives reçues de Paris, on éprouvait comme une pudeur de ne pas donner les marques de patriotisme demandées. Mais à l'impossible nul n'est tenu, et à bien dire, exiger de nombre de républicains de renoncer à leur langage, c'était leur enjoindre de se tenir cois. Aussi est-il bien des clubs qui n'essayèrent même pas de se conformer aux nouvelles instructions.
A Villecroze, le 10 floréal an II (29 avril 1794), on s'abonne au Journal d'Instruction publique ; on organise des instructions morales et patriotiques, où on explique les droits de l'homme et les lois en langue vulgaire du pays 2. A Dunes-en-Condomois, à la séance du 25 floréal an II (14 mai 1794), on charge le président de présenter à la prochaine séance un précis du rapport de Robespierre sur l'Etre suprême, en idiome du pays 3.
Il y eut des localités où on renonça plus ou moins solennellement au patois, où on fit même mine de le condamner ; ces manifestations ne furent ni bien nombreuses ni bien sérieuses, et il faut y regarder de près. Ainsi on raconte qu'à Marseille le conseil municipal interdit la représentation de pièces en provençal, « l'unité des Français devant exister jusque dans leur langue » (23 floréal an II — 12 mai 1794)4. Mais de graves soupçons n'avaient pas cessé de peser sur les dispositions de la ville à l'égard du gouvernement. D'autre part, les autorités locales voulaient en la circonstance faire pièce à un auteur, et tout cela a bien pu, autant que le zèle pour la langue nationale, inspirer cette mesure inattendue qu'on couvrait d'un prétendu loyalisme envers la langue. Lorsque l'armée révolutionnaire était rentrée dans Marseille (25 août 1793), la nouvelle municipalité, pour se recommander, avait fait proclamer la décla1.
décla1. o. c., Conv., t. IV, p. 501.
2. Poupé, o. c., dans La Révol. fr., t. 40, 1901, p. 148; cf. Brun, Mêm. ms. 3. Bigourdan, Soc. pop. de Dunes, p. 62.
4. Fabre, Rues de Marseille, t. III, p. 410, dans Brun, Rech. hist., p. 492.
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LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 251
ration des droits et la constitution dans tous les lieux publics — en langue provençale 1.
Ailleurs aussi il faut se défier des empressements excessifs. Ainsi en Alsace, Barr et Sélestat semblaient lutter de bons sentiments; il s'agissait en réalité pour l'une ou l'autre ville d'être choisie pour chef-lieu du district 2.
Reconnaissons que diverses localités essayèrent de bonne foi de bannir le patois. Ainsi à Callas (Var), le 6 thermidor (24 juillet), deux membres de la Société populaire, considérant « qu'il ne devait plus y avoir d'autre idiome dans la République que le français, ce qui... rapprochait toujours plus de l'égalité », proposèrent de ne plus parler que français et de ne plus faire de motions qu'en cette langue. La proposition fut adoptée. Mais il fallut bien en rabattre; des réclamations s'élevèrent, notamment au sujet de la lecture « des papiers publics » et des procès-verbaux. L'agent national eut beau relire le décret de la Convention sur l'emploi de la langue française et faire sentir la nécessité de s'y conformer ; il est certain que le provençal ne fit qu'une absence et ne tarda pas à reparaître, après moins d'un mois (Séances des 1er et 4 fructidor an II-18 et 21 août 1794) 3.
A Aix, à la Société des Anti-politiques, le 16 pluviôse an II (4 février 1794), le Président avait lu le décret et invité « tous les François à ne parler que sa propre langue »4 (sic). Se tint-on à cette résolution? Peut-être quelque temps. Mais en vendémiaire an III, quand on « régénérera » la Société et que d'anciens clubistes se présenteront pour rentrer, on leur fera lecture de l'arrêté en... provençal 5.
En pays d'idiome, il n'y eut peut-être même pas d'abandons temporaires, du moins là où la terreur n'y obligea point. En Bretagne, le 20 prairial an II (9 juin 1794), un maire et un commissaire du dis1.
dis1. Doc. sur l'hist. de l'Egl. d'Auriol. p. 187, dans Brun, Mém. ms.
2. Le directoire de Benfeld, transféré à Barr, avait pris, dès le 17 janvier, une délibération sur l'ouverture provisoire d'écoles françaises dans l'Arrondissement (Eccard, o. c, p. 122). Marc Probst avait été nommé président des écoles françaises. Sélestat essaya de jeter la défaveur sur Barr. Le 17 pluviôse an II (5 février 1794), le Conseil général de la Commune, le Général de brigade Girardot, toutes les Autorités civiles et militaires et la Société populaire s'unirent dans une pétition en faveur du transfert à Sélestat. On s'appuyait sur ce que et les Administrateurs trouveront une resource dans un certain nombre de patriotes éclairés de cette commune pour les differentes Commissions, ce que Barr n'a jamais pu fournir vû qu'on n'y parle que la langue allemande » (Arch. munie, de Sélestat, D13 n° 9, p. 337).
3. Poupé, o. c., p. 496. L'agent national rappelait encore en messidor que les instituteurs devaient s'attacher à faire disparaître « le jargon bizarre de cette contrée » (Bulletin de la Soc. d'ét. de Draguignan, Honoré, L'instr. à Bormes, dans Brun, Rech. hist., p. 492).
4. Arch. des B.-d.-Rhône, L. 2029, f° 77 v°, dans Brun, Mém. ms.
5. Bizos, Le Distr. d'Aix, dans La Révol. fr., t. XIII, 1887, p. 2; cf. Brun, Mém. ms. Rapport de l'agent d'exécution.
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252 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
trict, expliquaient de concert au peuple que « le Peuple français reconnaît l'Être Suprême » 1. Ils se servirent du breton.
RÉSULTATS DE LA TERREUR EXERCÉE EN ALSACE. — En Alsace, les usages se maintenaient, et, malgré les menaces, dialecte et français alternaient, même dans la bouche des patriotes. Considérons d'abord Val-aux-Mines. Le 7 ventôse an III (25 février 1794), Kriegelstein obtient la parole à la Société. Il monte à la tribune pour y lire un discours allemand, rendu ensuite en « langue républicaine » par Testu. Le 10 ventôse, c'est Isaac Grandpierron qui parle en français. Son discours est mis en allemand par Dicker. Ce n'est pas tout. Les droits des deux idiomes sont réglés suivant un principe d'égalité. On demande que toutes les motions faites au sein de la Société soient traduites et rendues dans les deux langues; sur l'observation que les deux interprètes chargés de cette traduction manquaient souvent tous deux, il est arrêté qu'on en nommera deux autres... afin qu'en l'absence de l'un, l'autre puisse le suppléer. A la même séance, il est encore décidé que chaque décadi un Membre fera lecture des gazettes pendant une heure en français, d'une à deux heures; de deux à trois heures on continuera en allemand 2.
A la fête de la Raison, Hachette est chargé de tenir le discours français, Grügelstein (est-ce le même que Kriegelstein ?) le discours allemand (10 prairial an II —29 mai 1794, Proc.-verb., p. 267). On ne voulait pas « laisser à leurs préjugés les gens de la localité et des petites localités environnantes qui étaient de langue allemande ».
Aux Jacobins de Colmar, des mesures tout aussi libérales et raisonnables furent prises. Le 2 thermidor an II (20 juillet 1794), Fridolin Frey, simple ouvrier, demandait de nouveau qu'on reproduisît chaque fois en allemand ce qui avait été traité en français 3. En fait Lucé, Metzger, Ortlieb rendaient ordinairement aux frères le service de traduire. On proposa le 8 que ce devînt une règle et que l'un d'eux se tînt régulièrement au bureau à cet effet 4.
Le même jour, les inquiétudes se manifestèrent au sujet de la francisation précipitée. Le décret ordonnant que les publications des pièces et actes n'eût plus lieu qu'en français, fut lu en séance ; Blanchard demanda que le Comité fit un rapport sur la situation que créait cette mesure. Il fut répondu que la municipalité avise1.
avise1. Dupuy, Art. c. dans Ann. de Bret.. t. III p. 51
2. Proc. verb., p. 232. Cf. p. 287. 3. Leuillot, o. c., p. 285.
4. Id., ib., p. 292.
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LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 253
rait. Quant aux campagnes, le comité d'instruction fut chargé d'un rapport pour faciliter l'exécution du décret 1.
On se soumettait donc, mais il était visible qu'on le faisait sans empressement. Pour ne pas revenir plus tard sur ce sujet, je dirai tout de suite qu'aussitôt que la chose fut possible sans trop de danger, les membres allemands réclamèrent. Un brave homme de tambour, nommé Doll, « observa », le 10 vendémiaire an III (1er octobre 1794), que, lorsqu'il faisait des publications de la part du Corps municipal, il était tenu de les faire en allemand. Il désirait donc que dans la Société on expliquât de même ce qui se disait à des concitoyens qui ne comprennent pas le français. Adopté 2. Lucé fut invité à traduire en idiome allemand l'écrit intitulé les Crimes des Sociétés populaires, pour en donner lecture à la séance du décadi 3. Les demandes à ce propos ne cessaient plus. Le 20 pluviôse (8 février), Buob, constatant que les nouvelles sont importantes, déclare qu'il serait bon d'en être informé dans l'idiome du pays ; il propose qu'on s'abonne à la Strassburger Zeitung. A la même séance, on traduit un passage de la Feuille décadaire de Chayrou 4. Le 10 ventôse (28 février), on traduit en idiome le décret sur la liberté des cultes. Frey donne des nouvelles en allemand. On réclame encore une fois un abonnement à une feuille en allemand 5.
Le 20 ventôse (10 mars), les plaintes se renouvellent. Suivant l'art. 6 du règlement du 20 décembre, les discours devaient être traduits et lus au décadi suivant 6. Fiest regrette qu'il n'y ait jamais de discours allemands. « Les Sociétaires... [connaissant] cette langue n'ont jamais l'attention de faire la traduction... il demande que le discours de Jourdain (sur le courage) soit interprété. Ortlieb... analyse... ce discours en allemand; il [lit les] plus intéressantes nouvelles contenues dans les gazettes allemandes. Lucé demande la parole pour faire l'interprétation en allemand du rapport [de Carnot] » 7.
Encore trouvait-on que le français tenait une trop grande place dans les réunions. Quand, en l'an III, la Société se mit à décliner visiblement, — les raisons, on le devine, étaient d'ordre général, — plusieurs attribuèrent cette décadence à l'abus qui avait été fait du français, au parti pris de discuter en cette langue, ce qui avait fini par lasser des habitués. Erdinger observant qu'ordinairement les mem1.
mem1. o. c., p. 292.
2. Id., ib., p. 362.
3. Id., ib., p. 403.
4. Id., ib., p. 425-426.
5. Id., ib., p. 430-431.
6. Id., ib., p. 416.
7. Id., ib., p. 434.
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254 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
bres ne se rendent plus en nombre suffisant aux séances, Doll a découvert les causes de l'absence des membres, c'est « qu'on ne traite... les affaires que dans la langue française et, comme beaucoup de membres ne la comprennent point, ils sont naturellement distraits 1. Dès que Foussedoire arriva, il jugea fort sainement la situation, et, loin de bannir l'allemand, il ne songea qu'à s'en servir. Apprenant qu'il avait existé une feuille de propagande villageoise en allemand, il la ressuscita, en en faisant une édition française et une édition allemande, et cela dans le mois qui suit le décret Barère (ventôse an II) :
1. — Il sera rédigé et distribué à chaque commune du département du Haut-Rhin, à toutes les autorités et aux Sociétés populaires une feuille périodique destinée à propager l'esprit public...
2. — Cette feuille sera rédigée par les anciens éditeurs de la feuille périodique, dite Feuille villageoise [et] imprimée tant en langue françoise qu'en idiome dit du pays, jusqu'à ce que l'instruction publique ait fait disparaître cet idiome étranger 2.
Nous connaissons mal le Décadaire. Cependant les premiers numéros ont été retrouvés et publiés par Guillaume avec une lettre de l'éditeur Blanchard, datée de Colmar, 8 floréal an II. Il y est dit: « Privé de la connaissance de ses devoirs et de ses droits, à cause de sa difficulté à comprendre la langue française, il ne connaissait pas le prix de la Révolution...
« Une société de patriotes connut l'étendue de ces maux et songea à y remédier.
« Elle entreprit déjà l'année dernière la rédaction d'une feuille villageoise, qui, rédigée dans l'idiome du pays et répandue avec profusion, servît merveilleusement à instruire le peuple et à l'éclairer ».
« Cependant la loi salutaire qui accorde des instituteurs de la langue française aux communes de ce département, exigea aussi un changement dans la rédaction de cette feuille.
« Le représentant... Foussedoire, en reconnaissant la nécessité de l'instruction dans ce département, ordonna que ladite feuille serait rédigée dans les deux langues pour servir de livre élémentaire aux instituteurs, pour habituer peu à peu le peuple à la langue française, et pour l'instruire insensiblement dans les connaissances qui forment des républicains » 3.
1. Leuillot, o. c, p. 439.
2. Guill., o. c., Conv., t. III, p. 595, et t. IV, p. 327; cf Arch. N., F17 1009B
2184.
3. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 325. Le Décadaire parut jusqu'en l'an III. A en
juger par les numéros spécimens, il n e dut pas avoir un grand succès près des
populations alsaciennes.
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LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 255
PROTESTATIONS. ALLEMANDS DE LANGUE, PATRIOTES DE COEUR. — C'était la seule chose à faire, s'accommoder du présent et préparer l'avenir. Sans doute on s'explique les impatiences de Représentants incapables de trouver même assez de citoyens comprenant le français pour composer les corps municipaux 1. La différence de langage, qui ailleurs était un inconvénient, tournait en Alsace au fléau. Elle favorisait les communications constantes avec l'ennemi, et les rendait plus difficiles à surveiller.
Mais c'était un injuste aveuglement, et une funeste confusion que de traiter en bloc comme des ennemis de la République tous les gens qui parlaient allemand. Hentz, lui aussi, donna dans cette erreur. « Le Bas-Rhin, écrit-il le 19 prairial (7 juin), et les districts qui ne parlent qu'allemand sont plus mauvais que l'ennemi» 2. Et à quelques jours de là (25 prairial), il continue : « Quand le mouvement sera donné, je parcourrai les départements du Haut-Rhin et du BasRhin, qui sont bien mauvais, et je mettrai à la raison les égoïstes, les agitateurs et les contrerévolutionnaires allemands, qui invitent les Prussiens à venir chez eux » 3. Le 4 thermidor (22 juillet), après avoir parcouru avec Goujon le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et le MontTerrible, il reprend : « Ce malheureux état de choses a son principe dans l'aristocratie des riches, qui dominent dans ce pays, dans le caractère des Allemands, qui sont serviles, dans la langue, si différente de la nôtre, dans la présence des prêtres et d'une foule de juifs. Ils nous appellent des étrangers, et le mot Français, donné à quelqu'un, est une injure... Dans le Mont-Terrible... le peuple de la partie française est excellent » 4.
Le résultat de cette méprise fut celui auquel on pouvait s'attendre. La contrainte ne réussit jamais longtemps. En France elle exaspère et révolte. Hartmann a cité l'opinion d'André Ulrich, le célèbre publiciste de l'époque. Elle est formelle: plus on faisait, plus la résistance devenait opiniâtre, et tournait à la haine de la Révolution et même de la France 5.
1. Bar écrit, le 28 ventôse an II (18 mars 1794), de Sélestat : « l'habitude où est encore la grande majorité des citoyens du département du Bas-Rhin, de ne parler que la langue allemande, en les empêchant de saisir le sens des lois, les met dans l'incapacité de remplir les fonctions publiques... A Landau... le défaut d'usage de la langue française, le peu d'énergie des citoyens, tout m'a conduit à ne former qu'une commission municipale provisoire » (Aul., Act. du Com. S. P., t. XII, p. 52).
2. Id., 76., t. XIV, p. 211.
3. Id., Ib., p. 302.
4. Id., Ib., t. XV, p. 368.
5. « La première et la principale cause pour laquelle le Strasbourgeois et l'Alsacien montre une si grande froideur et même de la haine contre les Français était plutôt parce qu'ils ne comprenaient pas leur langue qu'on leur imposait despotiquement, que parce que le gouvernement était despotique ».
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256 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
On peut voir, dans les Procès-verbaux publiés par Leuillot, avec quelle sévérité les Jacobins de Colmar sommèrent les membres qui avaient été à la Propagande de s'expliquer sur les motions barbares et incendiaires qu'on y avait faites 1. « Les habitants du Haut-Rhin, disait-on, ne diffèrent pas en patriotisme des autres départements... Il est vrai que... l'on y parle encore l'idiome allemand. Mais sommes-nous moins français pour cela?... La différence de l'idiome ne peut... servir de prétexte à établir une différence entre les départements qui ne connaissent que la langue française » 2.
De son côté, la Société des Amis de la Constitution de la Ville et du voisinage de Ribeauviller, écrit à la Convention, le 15 thermidor an II (2 août 1794) de la République une, indivisible et démocratique : « ... la calomnie s'est étudié a déprimer aux yeux du Peuple français les habitans du Departement du Haut-Rhin. Nos freres de Colmar y ont repondu par les faits, par les preuves sans nombre que le Departement du haut-Rhin n'a cessé de donner de son Patriotisme, de son Amour pur et ardent pour notre immortelle République. Vous les avez trouvées consignées dans l'Adresse que la Société populaire de Colmar vous a présentée le 30 messidor.
« La Société et la commune de Ribeauviller vinrent y adhérer pleinement: Nous garantissons la verité de chaque ligne... Mais vous ne parlés pas la Langue Nationale? Cela est faux, tous ceux qui la savent, et c'est la moitié des Citoyens, la parlent et la parlent avec plaisir et de préférence; et ceux qui ne savent encore qu'une seule langue, parlent la langue qu'ils savent; nos Detracteurs, que font-ils de plus ? et s'ils étaient à la place de nos corps constitués, ignorant la langue de nos Administrés, leur parleroient ils en langue française pour le plaisir de la parler ou pour en être compris ?
« Nous ne parlons pas la langue Nationale? Mais suffit-il de parler français pour être bons républicains? Les infâmes fanatiques de la Vendée et les traîtres lyonnais et Toulonnais et les Marseillais insensés fédéralistes ne parlaient-ils pas français, ceux là? Et suffitil de parler Allemand pour être contre-révolutionnaire ? les fidèles habitans des Départements du haut et bas Rhin, qui sont morts les armes à la main, qui ont massacrés (sic) les vils satellites des Despotes
'' Les Alsaciens ne peuvent être formés à la vie civique, que si on leur apprend
à parler....
" La langue française doit être inculquée au peuple par des écoles appropriées.
Si une fois elles existent, alors les juges et l'administration pourront l'introduire
officiellement '' (Hartmann, Andreas Ulrich. ein strasb. Publizist, dans Jahrb, f. Gesch.
der Spr. u. Lit. in Elsass-Lothringen, p. 65 et suiv.).
1. Leuillot, o. c., p. 318.
2. Observations de la S. sur le rapport présenté à la Convention... par Hentz, dans
Leuillot, o. c., p. 338
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LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 257
— nous mêmes enfin qui outre les travaux de la fenaison et de la récolte, avons continué à envoyer chaque décade un sixième de nos concitoyens faire la garde pénible des bords du Rhin dégarnis de Troupes; en étaient ils — en sommes nous moins bons républicains, parce que nous parlons encore en partie la langue allemande ?
« Nous ne parlons pas la Langue nationale ! Mais si même sans le secours de la langue nous n'en sommes pas moins bons français, est-ce là un mérite de moins ou de plus? — Nous ne parlons pas la langue nationale ! Mais nous employons tous les moyens possibles pour l'apprendre ; nos sociétés populaires discutent les interrêts de la République dans les deux langues ; nos instituteurs du peuple lui addressent la parole au Temple de l'Etre suprême chaque Décadi successivement dans les deux langues, ils mettent entre les mains du peuple des hymnes en deux colonnes, énoncées dans les deux langues. Nos instituteurs de la langue française sont ou vont être établis; et pour suppléer à leur pénurie, puisqu'il faut qu'ils soient également versés dans les deux langues, vous allez recevoir incessamment, citns Représentants, de la part de l'Administration du Département du haut-Rhin, un moyen également sur, prompt et facile, d'accélérer presque sans institeurs (sic) la connaissance et l'usage de la langue française dans nos Départements; méthode conçue et exécutée par un membre de notre Société; Nous saisissons cette occasion pour vous prier de l'adopter sans perte de temps et de la rendre générale dans nos écoles nationales, lorsque vous serez convaincus de son utilité. Citoyens Représentans, que faut-il faire de plus pour mériter votre approbation et l'amour de nos frères, dites nous le ; rien de ce qui peut contribuer au Salut de la République n'est étranger à la Société populaire de Ribeauviller ; vous connaîtrez sans doute des républicains plus éloquens, mais vous n'en compterez pas de plus fidèles que les habitans du Département du haut-Rhin. Salut et Fraternité. Eberhard, Près. Barth, Pres.adj. Kohler, Secrre " 1.
Schneider, si exalté qu'il fût, avait des raisons de voir juste en cette affaire. S'il savait le français, il était né Allemand, et en menant la bataille dans le pays, il avait vu par expérience où on en était ; il faisait la différence entre ce qu'on pouvait espérer de l'avenir et ce qu'il était raisonnable de demander dans le présent. Il écrivait dans l'Argos, dès le 12 pluviôse (31 janvier) : « Toutes les communes où jusqu'à présent on a parlé une autre langue que la française, reçoivent un maître de cette dernière. Cela est raisonnable et adapté à son
1. Arch. N., F 17 6891. L'adresse fut renvoyée au Comité d'instruction publique, le 9 fructidor (26 août).
Histoire de la langue française. IX. 17
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258 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
but; mais vouloir que de braves gens, sans leçons, en quatre semaines, comprennent et parlent le français, est et demeure un pur non sens » (ein baarer Unsinn, n° XV, p. 127).
On eût pu ajouter que des milliers d'hommes mouraient pour la République, avant d'avoir appris sa langue, à commencer par l'héroïque enfant qu'on allait porter au Panthéon. C'est en patois en effet que Viala, atteint d'une balle, s'était écrié : « M'an pas manquat ; aquo es egaou, mori per la libertat '' 1.
Je voudrais terminer sur un autre nom, cher à tout Alsacien, celui de Kléber. Envoyé à l'armée du Rhin, et sur le point de quitter ses compatriotes qui combattaient dans l'Ouest, il écrira le 1er frimaire an III (21 novembre 1794) à Gillet, le Représentant du peuple : Je voudrais « la consolation de pouvoir mener avec moi l'adjudantgénéral Ney, afin qu'en arrivant dans cette nouvelle armée je puisse au moins parler tout de suite à quelqu'un qui connaisse mon langage » 2. Rien de plus humain que cet attachement à la petite patrie chez l'homme qui va combattre et peut-être mourir pour la grande. On pense au soldat du temps du roi-citoyen dont parle un poète qui, à travers les fumées de la bataille, aperçoit le coq qui surmonte la hampe du drapeau et le regarde, les yeux fixes, « Comme un souvenir du clocher ».
1. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 363. Le rapport de la Commission officielle se trouve Id., ib., t. IV, p. 732.
2. La Révol. fr., t. V, 1884, p. 76. Gillet transmit sa demande le 3 frimaire (Aul. Act. du Com. S. P.. t. XVIII, p. 310).
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CHAPITRE VI L'ÉDUCATION DES ADULTES
LE THÉÂTRE. — Je n'ai pas cru devoir m'arrêter longtemps au théâtre de cette époque, si fastidieux. Son influence a pu être utile dans certaines villes. Cambry, après avoir décrit la vie des habitants de Quimper et leurs chansons bachiques, ajoute : « Depuis la révolution on y a un théatre d'amateurs » et il fait cette réflexion : « La pureté du langage français s'évanouissait... peut être pour jamais, sans cette multitude de spectacles établis dans les villes et dans les villages de France » (o. c, p. 138). Nul doute, même si on veut rabattre, comme il convient, quelque chose de l'opinion de Cambry, que le théâtre n'ait été dans les villes une école de pur français. Mais contribuait-il à répandre le français ?
Il est certain que, sauf en Alsace, il fut à peu près exclusivement français. A Marseille même, la décadence du théâtre provençal s'acheva très rapidement. Au début de la Révolution, on cite encore quelques pièces d'ancien type : un divertissement de Bonnet Bonneville, où sont insérés des couplets provençaux, le Tribut du coeur ou les fêtes citoyennes par Tolmer, Vallier et Brulot — les personnages de marque parlent français, pendant que des paysans venus pour s'engager, usent du patois — ; la Réunion patriotique par Pelabon, qui devait être interdite à Marseille, — comparez Mathiou et Anno (1792) et Lou sans culotto a Niço (1793) presque totalement en provençal. Tout cela est peu de chose à côté des pièces en français, les unes empruntées au vieux répertoire, les autres composées à l'occasion des événements : Les Anglais à Toulon, Marseille sauvée, etc.1. Dans la pensée des révolutionnaires, les représentations étaient un instrument d'éducation. A Nice, le théâtre portait le beau nom d'Ecole des moeurs 2, et Barère avait pompeusement déclaré que
1. P. Moulin, Le th. à Mars. pend, la Rév., dans Congr. Soc, Sau., 1906, p. 643.
2. Combet, o. c, XXII, p. 200.
La Commission de l'Instruction publique est exclusivement chargée, en vertu de la loi du 12 germinal, de tout ce qui concerne la régénération de l'art dramatique et de la police morale des spectacles, qui fait partie de l'éducation publique (Aul., Act. du Com. S. P.. t. XIV, p. 169).
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260 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
c'était l'école primaire des hommes éclairés et un supplément à l'éducation publique 1. Mais les villes qui n'avaient point de salle ni de troupe étaient nombreuses, et les villages n'en eurent jamais.
FÊTES ET RÉUNIONS. — D'une tout autre importance ont été les fêtes et les cérémonies 2. Les fêtes, nous l'avons vu, avaient commencé spontanément du temps des premières Assemblées, mais sans rien de régulier et de périodique. Il était toujours question d'en organiser la série. Les pouvoirs publics n'en avaient pas eu le temps. A la Convention, dès le mois de décembre 1792, elles furent mises à l'ordre du jour. On trouvera partout l'histoire des atermoiements et des discussions qui empêchèrent longtemps d'en arrêter la liste et d'en déterminer le caractère, si bien que ce fut seulement le 18 floréal an II (7 mai 1794) que fut rendu le décret, à la demande de Robespierre. Non seulement la République célébrait tous les ans les fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793 et du 31 mai 1793, mais trente-six fêtes correspondant aux trente-six décadis étaient instituées.
Les fêtes étaient un moyen d'éducation 3. Il ne s'agissait pas de réjouissances à proprement parler, mais de célébrations par lesquelles on entendait former la conscience générale ou l'entretenir, et sur cette pensée mère, tout le monde était d'accord, la Montagne et la Gironde, Vergniaud et Boissy d'Anglas. « L'instruction publique, dit Rabaud Saint-Etienne, demande des lycées, des collèges, des académies, des livres, des instruments, des calculs, des méthodes ; elle s'enferme dans les murs. L'éducation nationale demande des cirques, des gymnases, des armes, des jeux publics, des fêtes nationales, le concours fraternel de tous les âges et de tous les sexes, le spectacle imposant et doux de la société humaine rassemblée, elle veut un grand espace, le spectacle des champs et de la nature, c'est par là qu'élevant tout à coup les moeurs au niveau des lois on peut faire une révolution dans les tètes et dans les coeurs,
t. Guill., o. c., Conv., t. II, p. 687.
2. Voir, outre les études de Mathiez déjà citées, Blum, Les fêtes du 14 juil. 1790 au XVIII brum. an X. dans La Révol. fr., t. LXXII, p. 199-200.
3. Le 22 avril 1793, on avait discuté à la Convention sur instruction et éducation. Roux pensait que le mot instruction suffisait dans la phrase : « L'instruction est le besoin rie tous «. Audrein trouvait au contraire qu'éducation suffisait. D'autres opinants demandaient qu'on joignit les deux (Guill., o. c., Conv., t. I, p. 419).
« On croit que la poste et l'imprimerie suffisent à la propagation des idées, disait Daunou ; comme si le peuple des campagnes, dans l'état présent de ses moeurs et de ses lumières pouvoit faire, des deux moyens que l'on indique, un usage bien commode et bien étendu ! comme s'il n'avoit pas le besoin trop manifeste d'une instruction plus accessible et plus immédiate, et si j'ose ainsi parler, plus électrique et plus vivante » (Essai sur l' Instr. publ., p. 7).
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L'ÉDUCATION DES ADULTES 261
comme elle s'est faite dans les conditions et le gouvernement ». Il fallait bien, comme toujours, avoir ses autorités. L'orateur alléguait d'une part l'Eglise, de l'autre les Anciens. « Les prêtres par leurs cérémonies, leurs sermons, leurs hymnes, leurs missions, leurs pèlerinages, leurs patrons, leurs tableaux, et par tout ce que la nature et l'art mettaient à leur disposition, conduisaient infailliblement les hommes vers leur but. » 1
Chez les Anciens, qu'il est malheureusement impossible d'égaler, de grandes et communes institutions faisaient qu'au même jour, au même instant, tous les citoyens, dans tous les âges et tous les lieux, recevaient les mêmes impressions par les sens, par l'imagination, par la mémoire, par le raisonnement, par tout ce que l'homme a de facultés, et par cet enthousiasme que l'on pourrait appeler la magie de la raison.
« Les plus belles écoles, les plus utiles, les plus simples, où la jeunesse puisse recevoir une éducation vraiment républicaine, proclame à son tour Marie-Joseph Chénier, ce sont, n'en doutez pas, les séances publiques des départements, des districts, des municipalités, des tribunaux et surtout des sociétés populaires » 2.
« Les véritables écoles des vertus, des moeurs et des lois républicaines, sentenciait Bouquier, sont dans les sociétés populaires, dans les assemblées de sections, dans les fêtes décadaires, dans les fêtes nationales et locales, les banquets civiques et les théâtres » 3.
« Les institutions publiques, opinait de son côté Boissy d'Anglas, doivent former la véritable éducation des peuples, mais cette éducation ne peut être profitable qu'autant qu'elles seront environnées de cérémonies et de fêtes ou plutôt qu'autant qu'elles ne seront ellesmêmes que des fêtes et des cérémonies » 4.
Toutes les fêtes furent organisées avec le caractère théâtral qui était dans le goût de l'époque. Ce furent avant tout des spectacles où le symbolisme jouait un rôle prépondérant 5. Néanmoins, ce ne furent pas des spectacles muets ni des rites bornés à des gestes. Mirabeau eût voulu que les grands poètes, les orateurs éloquents récitassent leurs vers, prononçassent leurs discours dans ces solen1.
solen1. 22 déc. 1792.
2. 15 brum. an II (5 novembre 1793), dans Hippeau, o. c., t. II, p. 104. Cf. 119, 200, etc.
3. Rapport sur le dern. degré d'instruction, dans Guill., o. c., Conv., t. III, p. 573.
4. Ess. sur les fêtes (25 pluviôse), dans Sicard, L'éduc. mor. pend, la Révol.,
p. 359.
5. Merlin de Thionville eût voulu moins d'apparat dans le spectacle, plus de participation du peuple. Telle était l'idée maîtresse qu'il soutint quand il en traça le plan, le 7 vend, an III-28 sept. 1794 (Guill , o. c., Conv., t. V, p. 96-97).
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262 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
nités, qui eussent été les fêtes de l'esprit en même temps que de la foi civique. A défaut des grands poètes, il y en eut de petits, mais en nombre, et leurs productions, avec l'aide de la musique, ne manquaient pas de faire leur effet sur des coeurs bien disposés. Il est des chants dont la vogue n'a pas encore passé, comme le Chant du Départ. Le peuple y ajoutait ses airs favoris, le Ça ira, la Carmagnole, et surtout l'Hymne des Marseillais 1.
Les recherches modernes ont montré comment l'idée première se transforma et peu à peu se confondit avec l'idée originairement lancée par de Moy, d'un culte civil et laïque. On sait même à peu près aujourd'hui où les Cultes de la Raison et de l'Être suprême ont été réellement célébrés, et l'impression qu'ils ont produite 2. Il s'agissait naturellement, dans ces entreprises, de bien autre chose que de substituer une religion de langue française à une de langue latine. C'est l'âme même des peuples qu'on avait la prétention irréfléchie de transformer brusquement de fond en comble, non seulement par la persuasion, mais par des moyens odieux, que tout républicain a le devoir de flétrir.
Toutefois, il est bien certain qu'aucun des créateurs n'eût eu l'idée de renoncer à l'avantage qu'offrait la langue française pour séduire et entraîner les esprits. C'était au contraire une des supériorités sur lesquelles on comptait, que la faculté d'être immédiatement compris. Les Représentants en mission triomphaient à ce propos. L'un d'eux écrit de Brest (1er pluviose an II—20 janvier 1794) : « Il lui reste [au peuple] à détruire ceux [les hochets] de l'imbécillité. C'est une vérité dont il est convaincu depuis qu'au lieu d'entendre psalmodier dans ses temples un langage qu'il ne comprenait pas, il y entend les éternelles vérités de la raison ».
Des prières, de véritables prières, invocations à Dieu ou à la Patrie, accompagnaient les hymnes. Il arrivait qu'elles fussent composées par des prêtres comme la « Prière pour demander à Dieu de rendre les Français dignes de la liberté », par Coué, curé d'Orville 3.
Les discours formaient aussi une partie essentielle des Assemblées, dont ils étaient les sermons. Poultier en a composé tout un recueil qui a commencé à paraître le 20 prairial an II (8 juin 1794). Ils sont dédiés à l'Être Suprême, à la Nature, au Genre humain 4. Il y
1 Voir ValdriKhi. La Marseillaise ; Motta, La Marseillaise, dans Giornale di erudizione,
1, 1889 p. 85, et II, 1890, p. 178; Pierre, Les hymnes et les chans. de la Révolution.
Paris, 1904, in-8°, Tiersot, Les fêtes et les chants. Paris, 1908, in-12°.
2. Voir Aul; Le Culte de la Raison et le Culte de l'Être Suprème. Paris, F. Alcan, 1892, in 12°.
3. Feuille cillay.. 29 mars 1792.
4. Tourneux, Bibl. hist.. n° 15870.
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L'ÉDUCATION DES ADULTES 263
en a beaucoup d'autres. Tous sont tombés dans l'oubli, comme ils le méritaient, étant pour la plupart insupportables. Il faut dire cependant que l'enflure n'y est pas toujours la tare de l'insincérité, mais simplement l'excès amené dans le style par une hyperesthésie morale due à des circonstances exceptionnelles, à la pratique fâcheuse de la rhétorique et à une imitation indiscrète de l'antique. Malgré tout, ces productions ont agi, elles ont recueilli les applaudissements, soulevé même des cris d'enthousiasme et dans les villes et dans les villages.
Il y a eu des fêtes dans des localités infimes : à Dié-sur-Loire, à Vimoutier (Orne), à Livry, à Seyssel 1. Boisset, le 11 septembre 1793, annonce de Montélimar la réunion dans la Drôme de 69 sociétés populaires 2. Les simples décadis devaient grouper les paysans autour de l'instituteur, dans des sortes d'offices républicains. Des lectures, des chants attireraient les familles 3. Il n'y a point de doute que ces intentions furent remplies en bien des endroits, pendant quelque temps.
Pas un des Commissaires de l'an II qui n'ait parlé au peuple dans les moindres bourgades et jusque dans des communes retirées. Souvent, plus ils sentaient les auditeurs rebelles, attachés à leurs « superstitions », plus ils s'efforçaient de les catéchiser et de les convertir, et il n'est pas douteux, malgré l'emphase de leurs rapports, qu'ils arrivaient à se faire écouter et applaudir. « Je leur ai montré, écrit Crassous, de Milly, le 16 pluviôse an II (4 février 1794), un moyen de faire des fêtes de décade ; je leur ai fait voir l'avantage qu'ils en pouvaient tirer pour leur instruction et même pour leur plaisir... J'ai recommandé de rassembler les enfants... de leur faire réciter ce qu'ils savent, et leur faire donner une récompense par les vieillards. Ce genre de fête les flatte » 4.
1. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 750, 752, etc.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. VI, p. 440.
3. La Convention décrète un cahier d'instructions (4e s.-culott. an II) à lire chaque décadi dans chaque commune devant les pères, mères et enfants (Guill., o. c., Conv. — pl. petit t. V, p. 78).
4. Aul., Act. du Com. S. P.. t. X, p. 685. Cf. « Comme rien au monde n'est plus propre à faire oublier ces anciennes rêveries que le rassemblement des citoyens les jours de décades, j'ai indiqué [partout] où je passais la commune d'Itteville pour y célébrer la décade dernière dans le temple de la Raison, et j'ai eu la satisfaction d'y voir réunis tous les citoyens des communes voisines, pères, mères, grands-pères, enfants et petitsenfants, au nombre de plus de quatre mille. Le temple de la Raison n'était plus assez grand pour contenir l'affluence. Là les hymnes sacrés de la Liberté et de la Raison triomphantes ont remplacé les jérémiades du vieux rite « (Couturier, 5 frim. an II25 nov. 1793, Id., 76., t. VIII, p. 692-693); — « Les bons citoyens se rassembleront, en présence des autorités constituées, autour de l'autel de la patrie, ou, à défaut, devant l'arbre de la liberté, pour y chanter des hymnes patriotiques, y entendre la proclamation des lois et un rapport abrégé sur la situation politique de la République et sur les travaux de la Convention nationale, lequel rapport sera fait par un membre des autorité
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264 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
On imagine sans peine que, dans bien des cas, le paysan, même rallié à la République, mais blessé dans sa foi séculaire par un culte qu'on lui représentait comme impie, excité par des prédications sournoises, se tenait à l'écart. Le 10 août 1793, fête à Ambert, célébrée avec apparat. Les citoyens sont invités à fraterniser et à danser ; les places restèrent désertes, avoue un Rapport de Lebreton 1.
En revanche, nous avons de nombreux témoignages que même des populations rurales s'intéressaient aux réunions et y prenaient une part active. On entendait alors des discours « enfants du patriotisme plutôt que de l'éloquence », comme dit le Représentant Blutel de ceux qu'il a entendus à Magny-le-Freule (Calvados), le 21 nivôse an II (10 janvier 1794), en l'honneur de la prise de Toulon 2.
Condorcet eût voulu, si les plans d'instruction avaient pu se réaliser, que les instituteurs présidassent à ces fêtes 3. A leur défaut, des magistrats municipaux, des membres de sociétés populaires étaient parmi ceux qui intervenaient ainsi. Parlaient-ils français? Probablement pas toujours. Il serait ridicule de faire de ces fêtes des sortes de Pentecôtes où, par la grâce de la Révolution, les apôtres et les catéchumènes sentaient leurs esprits s'ouvrir tout à coup à la langue nationale. Les choses se passaient plus humainement. Les discoureurs haranguaient de leur mieux, et ceux qui essayaient de les comprendre étant soulevés par l'enthousiasme, aidés par tout ce qui parlait aux yeux, on s'entendait à peu près.
A Péronne, le 1er décembre 1793, grande fête du brûlement des titres de noblesse et des idoles. Il y avait sûrement là, au moins dans la première partie, de quoi éveiller l'intelligence du paysan, mais même la seconde semble avoir été comprise. La fête, dit le rapport de Dumont, « se termina par des banquets, des danses »; mais ce qu'il est bon de remarquer, c'est le propos tenu par des filles de la campagne : « Il viendront cor, chez curés, nos dire que des morciaux de bos sont des saints ; oh leur dirons : os êtes des menteus, oh ne volons pus de vous »''. Paysans et paysannes étaient venus, causant en patois, ils faisaient de même en s'en
constituées du lieu ou un citoyen désigné par elles, autre que les ministres du culte. Le reste du temps pourra être employé à l'exercice des armes, de la course et à des danses publiques » (Cavaignac, Dartigocyte, Auch, 19 brum. an II —9 nov. 1793, Id., Ib., t. VIII, p. 313 note).
1. Caron, Rapp., II, 138.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. X, p. 173. A ces braves gens il ne parvient rien. On demande pour eux le Bulletin des Lois. Il y a un chant civique d'un cultivateur de Montdu-Vey(Carentan, Manche) (Guill., o. c.. Conv., t. IV, p. 761, n. 10)
3. Guill., o. c. p. 228.
4. Aul., Act. du Com. S. P., t. IX, p. 84
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L'ÉDUCATION DES ADULTES 265
retournant; mais ils avaient pris une leçon de français. C'était tout gain pour la langue nationale 1.
1. En Alsace, avant la période de persécution, on avait naturellement fait à l'allemand sa place. Le programme des fêtes décadaires à célébrer au Temple de la Raison à . Colmar stipule, dans la section II, art. 1er : Le Temple de la Raison s'ouvrira à 9 heures du matin. Le culte y sera célébré en allemand, jusqu'à ce que l'instruction ait fait disparaître cet idiome étranger.
Art. 2. Le Temple de la Raison s'ouvrira de nouveau à 3 heures de l'après-midi ; le culte y sera célébré dans la langue française (Leuillot, o. c, p. 210).
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LIVRE V ABOLITION DE L'ÉDUCATION LATINE
CHAPITRE PREMIER AGONIE DES COLLÈGES
SÉVÈRES CONDAMNATIONS. — Je serai extrêmement bref sur la suppression de l'ancienne éducation latine 1. Il est inutile d'entasser les textes, et de citer les nouveaux actes d'accusation. Quelles que
1. On ne cite jamais que le 1er vers de la boutade de Berchoux (1797). Quoique un peu lourde de forme, cette satire mérite mieux que cela.
Qui me délivrera des Grecs et des Romains?...
A peine je fus né, qu'un maudit rudiment
Poursuivit mon enfance avec acharnement.
La langue des Césars faisait tout mon supplice...
Dans le monde savant je me vis introduit.
J'entendis des discours sur toutes les matières
Jamais sans qu'on citât les Grecs et leurs confrères...
J'avais pris en horreur cette société,
Et demandais enfin grâce à l'antiquité,
Je voulais observer des moeurs contemporaines,
Vivre avec des Français, loin de Rome et d'Athènes...
Mais les anciens n'ont pu me laisser respirer.
Tout mon pays s'est mis à se régénérer.
Les Grecs et les Romains mêlés dans nos querelles
Sont venus présider à nos oeuvres nouvelles.
Bientôt tous nos bandits, à Rome transportés,
Se sont crus des héros pour s'être révoltés...
Les biens étaient communs, tous les hommes égaux.
Et Lycurgue invitait à piller les châteaux.
...O vous qui gouvernez notre triste patrie,
Qu'il ne soit plus parlé des Grecs, je vous supplie ;
Ils ne peuvent prétendre à de nouveaux succès ;
Vous serait-il égal de nous parler français?
Votre néologisme effarouche les dames ;
Elles n'entendent rien à vos myriagrammes;
La langue que parlaient Racine et Fénelon
Nous suffirait encor, si vous le trouviez bon...
OEuv., t. IV, p. 107 et suiv.
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268 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
fussent les violences, il arrivait encore souvent qu'on proposât de concilier la tradition et les nouveaux besoins 1. Cependant, en général, les Conventionnels qui s'occupaient de la question de l'enseignement ne montraient pas cette modération. Lavoisier s'est exprimé avec une grande véhémence : « L'éducation publique, telle qu'elle existe dans presque toute l'Europe, dit-il, a été instituée dans la vue, non de former des citoyens, mais de faire des prêtres, des moines et des théologiens. De là le système d'éducation qui se trouve presque entièrement dirigé vers l'enseignement de la langue latine » 2.
Romme va plus loin encore que Lavoisier ; il croit, non à une erreur pédagogique qui s'explique par l'histoire, mais à un dessein malfaisant et prémédité : « La langue latine, dit-il, a été jusqu'à présent presque l'unique objet de l'enseignement des collèges. Cette étude eût été moins vaine, si elle eût conduit à se nourrir de bonne heure de la philosophie des anciens, de leur morale austère, de leur goût dans les beaux-arts, et surtout de l'amour énergique des Romains pour la liberté dans les temps héroïques de la République ; mais on fatigue plus la jeunesse pour la maintenir dans une ignorance présomptueuse et crédule, que pour lui faire acqué1.
acqué1. ou deux échantillons seulement pour donner le ton :
« Il est plus aisé d'enseigner la langue françoise que la langue latine, la géographie et les mathématiques sont plus utiles que la syntaxe et la versification latines. Le latin tombera dans l'oubli... Pas plus que le grec qu'on ne parle pas depuis nombre de siècles : le latin deviendra, comme les langues étrangères, un accessoire des études » (J. F. Major, Tableau d'un Collège en activité, p. 6 ; cf. Arch. N., A. D. VIII, 29).
Dans un Discours sur l'éducation, lu au Temple de la Raison de Bordeaux, le 1er décadi de nivôse an II, la citoyenne Thérésia-Cabarrus (Mme Tallien) disait : « Que le latin, cette langue sublime, il est vrai, dans ses beautés, ne soit pas cependant un principe exigé dans l'éducation de nos jeunes élèves ; qu'ils apprennent d'abord le langage correct de leur pays ; que l'on ait soin de leur prononciation ; qu'ils s'énoncent en public avec grâce et facilité » (Guill., o. c., Conv., t. III, p. 634).
« Du temps de l'esclavage, l'enfant apprenoit d'abord une langue morte, par l'étude de laquelle il auroit du finir. Ne pouvant pas alors comparer cette langue avec la sienne qu'il ne connoissoit pas, il devoit sans doute se trainer longtems et péniblement dans la carrière des études, sans pouvoir jamais communiquer avec justesse ses pensées ni dans l'une ni dans l'autre langue » (Arch. N., F 17 1318, doss. 7).
Mais l'auteur est loin de proscrire les langues mortes « que les Cicerons et les Demosthenes ont parlées ». Il met seulement en tête l'art d'écrire la langue de la Liberté.
Dans un plan pour Strasbourg, il y a un professeur de langue française (Miller), un professeur de langue française développée (Rosières). « Aucun élevé ne sera admis au cours des langues mortes s'il ne connoit point les principes de la langue françoise » (L'Agent Nat 1 du Distr. de Strasb au Comité de S. P.).
2. Réflex. sur l'instruction publique, dans Guill., o. c., Conv., t. II, p. 333; cf. OEuv., t. VI, p. 516.
Dans un brouillon de discours écrit en décembre 1792 et trouvé dans ses papiers, Lakanal disait sèchement : « Quant à l'étude des langues, je pense, contre l'avis de votre Comité, que lu seule qu'on doive enseigner dans les premiers degrés de l'instruction, c'est la nôtre ; il s'agit de former de bons Français et non de mauvais Latins » (Id., ib., Conv., t. V, p. 661).
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AGONIE DES COLLÈGES 269
rir des vérités utiles ». Les quatre facultés... « se regardent comme soeurs, ont le même costume, donnent les mêmes titres à leurs initiés, et parlent la même langue, sans cependant s'entendre toujours entre elles, et sans être entendues du peuple, sans doute pour mieux lui voiler les |moyens qui leur sont propres, mais qui leur échappent aujourd'hui, de prolonger son ignorance et ses querelles, ses maux et sa crédulité »1.
Dans sa 55e séance (22 février 1793), le Comité d'Instruction publique décida que l'enseignement de la langue latine n'entrerait point dans les travaux des écoles secondaires 2.
LA PÉTITION DU DÉPARTEMENT DE PARIS. — Ces aversions allaient se traduire en loi. Le département de Paris s'était, pendant les vacances de 1793, préoccupé de la rentrée des classes. Un Plan d'Etudes provisoires fut dressé par Crouzet, principal du Collège du Panthéon, et Mahérault, professeur au même collège 3. Les élèves y sont répartis en deux divisions : enfants, adolescents. Les enfants apprennent la grammaire française; les adolescents, les langues grecque et latine. Le cours des études est de quatre ans. On y ajoutera deux ans complémentaires pour reprendre les Cours, ou perfectionner les jeunes gens dans les sciences qui auraient le plus de rapport avec les états auxquels ils se destinent. Ce plan était bien timide. Monge, Gart, Hassenfratz furent consultés et aussi, naturellement, le Comité d'Instruction publique. On reprit le plan de Condorcet, avec ses instituts et ses lycées, mais en introduisant sous le nom d'écoles secondaires, des écoles d'arts et métiers entre le premier et le troisième degré.
On a vu que ce plan n'excluait pas les langues anciennes. Le tableau-programme n° 2 porte : Connaissance des langues et des beaux-arts : Grammaire générale française. — Langue latine. — Langue grecque. — Langue vivante variée dans chaque institut. — Le tableau n° 3 (Lycée de Paris) porte également les langues modernes et les langues anciennes, orientales, grecque, latine 1.
Le 15 septembre, une députation du département, de la Commune, des Sociétés populaires apporta une pétition à la Convention. Non seulement cette pétition fut accueillie, mais, sur la propo1.
propo1. du 20 décembre 1792 dans Guill., o. c., Conv., t. I, p. 203.
Cf. « En répandant notre langue et nos principes, ils [les lycées] étendront nos conquêtes, les seules dignes de nous, celles qui affranchissent l'homme des erreurs et des préjugés » (Id., ib., Conv., t. I, p. 212).
2. Id., ib., Conv., t. I, p. 357.
3. Mus. Péd., n° 9761.
4. Guill., o. c, Conv., t. II, p. 415 et suiv.
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270 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
sition de Lakanal, on la convertit en décret. Il était dit à l'art. 3 : « Pour les moyens d'exécution, le département et la municipalité de Paris sont autorisés à se concerter avec la Commission de l'Instruction publique de la Convention Nationale, afin que ces établissements soient mis en activité au 1er novembre prochain; et en conséquence les collèges de plein exercice et les facultés de théologie, de médecine, des arts et de droit sont supprimés sur toute la surface de la République ». Seul Coupé de l'Oise avait fait des objections. Mais, comme le marquaient Dufourny et Fourcroy, il s'agissait d'abolir l'ancien régime en matière d'éducation. Le lendemain la discussion reprit; Chabot, Prieur de la Marne, Fabre d'Églantine, Cambon, firent des critiques. La Convention remit à trois jours et adjoignit trois membres à la Commission des six : Guiton-Morveaux, Edme-Petit et Romme. L'exécution du décret fut suspendue. La Commission revint au plan de Condorcet et au programme d'Arbogast, déjà adopté le 28 mai 1. Romme rédigea un projet de décret, où était maintenu l'article portant suppression des anciennes institutions « aussitôt que les nouveaux établissements pourront entrer en exercice » 2. Mais la discussion de ce rapport fut encore ajournée. Dans l'intervalle, les professeurs furent maintenus dans les collèges de Paris. Leurs traitements devaient leur être payés; ils ne le furent que très irrégulièrement, de sorte que bon nombre de cours se trouvaient suspendus 1.
On aura sans doute, en lisant ce chapitre, l'impression d'une bataille indécise. C'est bien en effet le caractère qu'elle présentait. On condamnait l'ancienne éducation; c'était surtout à cause des anciens éducateurs. Sans doute on avait abusé du latin, on en avait surtout mésusé. L'antiquité latino-grecque n'avait pas perdu pour cela son prestige, une parenté illusoire des principes continuait d'attirer les regards vers les républiques des siècles passés. On eût voulu servir les anciens dieux sans leurs prêtres.
Les latinistes ne désespérèrent jamais ; ils avaient raison 4. Le
1. Ce plan ne ruinait ni le latin, ni le grec (Voir Guill., o. c., Conv., t. II, p. 471).
2. Voir art. 7 du décret du 8 et décret du 13 pluv. an II (1er févr. 1794). Cette mesure brulale et imprudente qui en fait suspendait l'éducation de la jeunesse, était en opposition certaine avec les voeux des populations. Les Archives Nationales ont conservé la trace des protestations qui s'élevèrent. Les pères de famille de Brive réclament contre la suppression du collège (4 du 2e mois an II) (F 17 1008; 1319, 1). Le 5 prairial an II (23 mai 1794), les citoyens commissaires de la Cne de la Flèche, députés à la Convention, demandent le maintien de l'établissement d'éducation existant dans celte commune (Arch. N., F07 1010, 3161), etc.
3. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 636, et note.
4. Barbier, instituteur, a mis en latin le 2 pluv. an III (21 janv. 1795) « les vertus » dont les législateurs « sont le parfait modèle ". Il envoie une pétition qui est remise au C. I. P. :
« Vous connoissez, législateurs, l'importance de ces deux langues. Sans leur secours
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AGONIE DES COLLÈGES 271
français prenait seulement la place qui lui appartenait, la première.
D'après le plan de la Commune on commençait le matin à 9 heures par l'Art de penser, la Grammaire générale et l'art d'écrire la langue française. Les professeurs désignés étaient de choix : Barletti, Duhamel, Domergue, Lemaire, Delacour, Perrier, Laplace. Tous étaient parmi les maîtres de l'époque 1.
Le latin n'était pas pour cela chassé de l'éducation.
auroit-il paru depuis la révolution tant de termes nouveaux francisés qui tirent leur origine de ces deux langues ?
« Il falloit donc que les uns les sussent pour former ces termes et les autres pour les entendre; il en sera de même par la suite. Ces langues sont donc d'une utilité indispensable, puisqu'elles s'enseignent dans toutes les parties de l'univers » (Arch. N., F 17 1318, doss. 7. La brochure est jointe, doss. 8).
Guéroult, professeur de rhétorique, Decoussy, professeur de belles-lettres et Coisnon, principal du ci-devant Collège de la Marche, envoient aussi un plan. Il commence par l'étude simultanée des deux langues (Arch. N., F 17 1318, doss. 8).
Les Conventionnels continuaient à professer pour le latin une véritable reconnaissance : « Les langues anciennes, disait Boissy d'Anglas, sont la clef de plusieurs sciences, une nation libre doit les connaître, indépendamment de toute autre considération, parce qu'elles furent autrefois l'idiome de la liberté » (28 germ. an II —17 avr 1794, dans Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 185).
1. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 632-633.
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CHAPITRE II DERNIERS ESSAIS DE TRANSFORMATION
Sous la menace, ou spontanément, des collèges, à Lyon, à Strasbourg, etc. avaient continué de s'amender et de mettre en application les idées qui prévalaient.
Dans le Cantal, le 12 avril 1793, le Conseil général arrêta que « chaque professeur des premier, second et troisième degrés d'instruction enseignera les éléments de la langue française et la mettra préférablement à toute autre au premier rang des études publiques 1.
Au Mans, estimant que la langue française est celle dont l'étude doit être la plus familière aux enfants, on les y appliquait, avec Restaut pour guide, dès la petite classe. On ne sacrifiait pas le latin, on l'abrégeait. A Paris, les principaux et professeurs des cidevant Collèges, adressent, le 20 messidor an III (8 juillet 1795), une pétition à la Convention. Ce n'est pas pour demander un retour aux anciens errements. Ils réduisent les études latines à trois ans, dont deux pour le grec, et ajoutent aux quatre professeurs nécessaires pour mener cet enseignement à bien, six maîtres d'autres matières, dont un de grammaire ou de littérature française et un d'entendement humain. Le rédacteur met sur le même pied Grammaire latine, Grammaire française 2.
De Rouen, le « principal » des écoles publiques de la ville et faubourgs, nommé Germain le Normand, adressait le 26 août, l'an 2e de la République française, une pétition « tendant à ce que le pétitionnaire soit autorisé d'établir dans le collège de Rouen une école française dans laquelle il enseignera les éléments de la langue française tant parlée qu'écrite » 3.
Dans un collège de Lunéville, Pierre Helot enseigne la langue française et un abrégé de prononciation et d'orthographe. Ainsi de suite. Les maisons restées ouvertes jettent du lest.
1. Bull de la Hte Auv. Le coll. de St-Flour, 1908, p. 188, dans Brun, Rech. hist.. p. 493.
2. Guill., o. c., Conv., t. VI, p. 419-420.
3. Id., ib., Conv., t. II, p. 432-433.
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DERNIERS ESSAIS DE TRANSFORMATION 273
Rien n'est plus significatif à cet égard que les essais par lesquels le Gymnase de Strasbourg fit un nouvel effort pour se moderniser. On en trouvera le détail dans les études de Reuss.
Fries, le 20 floréal (9 mai), donne à Huzard des indications sur les programmes. Notons l'article VIII : Langue Françoise. Les considérants sont à retenir : « Celle-ci (la langue française) est un des principaux objets des leçons que donnent les Instituteurs du Gymnase, persuadés qu'ils sont, que non seulement elle fournit d'excellens modèles pour former nos élèves au goût de l'Eloquence et des Belles-Lettres en général, mais quelle rapprochera entièrement dans le Département du Bas-Rhin des Citoyens François qui ne diffèrent entre eux que de langage " 1. — Puis timidement on ajoute : On enseigne du reste aussi la langue latine, « c'est qu'elle contribue... à faciliter la connoissance et surtout l'orthographe de la langue françoise ». Ces bonnes gens se grimaient pour avoir le droit de vivre.
1. Reuss, Gymn. prot., p. 100. Il y avait, à cette époque, 3 divisions :grec; latin et religion; français, allemand, mathématiques, géographie, histoire.
Nous avons parlé plus haut du Collège National; c'était Fr. Miller qui y enseignait le français.
Histoire de la langue française. IX.
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CHAPITRE III FIN DES COLLÈGES ET DES UNIVERSITÉS
C'étaient là des sursauts d'agonie. Il est évident que les collèges condamnés à mort avec sursis, ainsi que les Universités, ne comptaient plus. Le vieux système d'éducation latine était aboli en fait, sinon en droit 1.
Le Collège de France fut maintenu. Il avait eu des défenseurs illustres, en particulier Lagrange, aux yeux de qui il était la première École de l'Univers. « J'ai vu arriver et j'ai examiné, dit-il, les candidats aux Écoles Normales, je les ai trouvés au-dessous du médiocre ». Il restait convaincu que le Collège était la seule et véritable École Normale. 2
L'Université de Strasbourg elle-même, désertée, ne put résister. En 1791 elle avait 23 étudiants, en 1792, 20; en 1793, 13; en 1794, G. Considérée comme un foyer d'obscurantisme et de germanisme, elle n'était nullement défendue par les pouvoirs locaux, au contraire 3.
1. Certains collèges parvinrent cependant à survivre : à Paris, Louis-Le-Grand ; dans les départements, Sorèze, Provins, Auxerre, Orléans, Lunéville, etc. On soutint les maîtres par des indemnités, comme l'a prouvé Guillaume. Voir par exemple pour Provins, o. c., Conv., t. VI, p. 573.
La pétition de Dom Ferlus, appuyée par le Directoire du Tarn, demandant qu'on vienne en aide à l'École de Sorèze, se trouve aux Arch. N., F 17 1144.
2. Le décret est du 25 messidor an III (13 juillet 1795). Voir Guill., o. c., Conv., t. VI, p. 401. La pièce est sans date, mais postérieure à vendémiaire an III (Arch. N., F 17 6891).
3 Voici en quels termes il était parlé de cette vieille cl illustre maison : « Un membre a dit: quelques efforts que nous ayons faits jusqu'à ce jour pour détruire l'esprit de localité qui rend une partie des habitans de cette commune étrangers au reste de la République, nous n'avons cependant encore pu atteindre tous les abus, toutes les institutions antiques, autour desquelles viennent se rallier les fédéralistes et les contrerévolut onnaires. Strasbourg réuni depuis trop peu de tems à la France, s'est plutôt regardé tomme subissant un joug imposé par la force des armes que comme partie intégrante d'un état ; invoquant sans cesse la capitulation qui l'avait arrachée à l'aigle d' Autriche, cette commune avoit conservé, jusqu'à l'heureuse époque de notre révolution, des droits particuliers, des privilèges, des péages, une douane, une université, une juridiction criminelle et civile qui n'avoit aucune liaison, aucun rapport avec les droits, coutumes et établissemens des autres villes de l'intérieur; exemple de contributions générales, elle levoit des impôts de tout genre pour son administration locale et ses besoins; elle n'accordoit de seccours à l'état que sous le titre de dons gratuits; c'étoit
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FIN DES COLLÈGES ET DES UNIVERSITÉS 275
en un mot un gouvernement aristocratique allié de la France et non pas une portion de cet empire.
« La révolution a enfin brisé ces barrières funestes qui isoloient les coeurs et les intérêts ; l'édifice gothique de la magistrature, du grand et du petit sénat, des échevins des tribus et maîtrises s'est écroulé sous la main hardie d'un peuple insurgé ; mais des administrateurs perfides initiés dans les complots de Dietrich, ont ralenti, autant qu'il étoit en eux, le cours rapide de la liberté et audacieusement suspendu l'exécution des lois décrétées par les représentans du peuple; nourrissant l'espoir criminel d'une révolte prochaine ils tâchoient de conserver à la commune, qu'ils cherchoient à maîtriser, des biens qui, aux termes des lois dévoient être vendus ; ils s'opposoient à l'aliénation des propriétés des corporations et maîtrises supprimées ; une lenteur affectée accompagnoit toutes les grandes opérations administratives, qui auroient ancré la révolution dans nos murs et désespéré les ennemis de la chose publique en les privant des moyens nécessaires à l'exécution de leurs coupables entreprises ; une université qui n'est pas nationalisée encore, qui appartient en propre à cette ville, qui lui a été consacrée par les traités comme un privilège, subsiste même de nos jours et présente aux yeux de la république le spectacle étonnant de la servilité et du germanisme l'ans un pays français et libre.
« C'est sur cette université riche en biens et en revenus, pauvre en civisme et en vertus républicaines que je fixe aujourd'hui votre attention ; cet objet est également intéressant sous le rapport d'administration et sous celui d'esprit public.
« Cette commune n'a cessé de renfermer un grand nombre de ces familles anciennes, qui pour se conserver le superstitieux ascendant qu'elles s'étoient acquis sur le peuple, affectoient en public et dans la solitude de leurs foyers les moeurs peu civilisées, les habitudes gothiques de leurs ancêtres et refusoient de se dépouiller de ces idées rétrécies qui depuis longtems ont été épurées par le souffle de la raison ; l'université de la ville au lieu de réformer, par l'instruction, des coutumes grossières, au lieu de répandre ces connaissances utiles, fruits de la philosophie plus cultivée de nos jours, au lieu de rapprocher, par les principes de l'égalité, l'orgueil des rangs introduits dans les siècles de la féodalité et sous l'aristocratie du droit germanique, flattoit, caressoit la vanité stupide des patriciens, dont elle se glorifioit de porter les chaînes, croyant partager leur éclat emprunté et leur gloire futile ; revêtus la plupart des fonctions du sacerdoce, les professeurs n'employoient l'autorité de leur double ministère qu'à rappeler au peuple le souvenir d'une ville impériale où ses pères, à les entendre, avoient joui d'une parfaite indépendance, tandis qu'ils n'y avoient été que les serviles artisans des passions des riches et leurs aveugles esclaves ; delà sont nés tous ces obstacles que la révolution a rencontrés dans nos murs; delà sont partis tous ces pamphlets liberticides qui nous ont si longtems fait craindre une scission criminelle avec la république; c'est là qu'étoit le point d'appui de la conspiration de Dietrich qui cherchoit à rattacher à l'empire une province fertile qui en avoit été depuis peu démembrée ; ainsi l'enfant en suçant le lait de sa mère, en recevant les premières impressions des idées morales et religieuses apprenoit à regretter les fers de l'Autriche, à détester sa vraie patrie et à se regarder comme membre d'une société asservie et subjuguée.
« ...détruisons tout ce qui n'est avantageux qu'à quelques familles et qui porte créindice au peuple et à l'ensemble de la cité ; que l'idée de l'empire ne soit désorma s rappelée dans Strasbourg qu'avec celle de l'esclavage honteux et dur dans lequel on y gémit; propageons les principes de la liberté, qui nous rendront chaque jour notre patrie plus chère; accélérons surtout l'établissement do tout ce qui peut resserer nos noeuds avec la France que l'on a envain cherché à rendre odieuse dans ces murs; l'intérêt général, les loix nous en imposent le devoir auguste et sacré.
« Je vous propose donc d'arrêter et de déclarer :
« 1° Qu'invariablement unis à la Convention nationale, nous ferons tous nos efforts pour détruire l'hvdre du germanisme et toutes les institutions qui lui assurent encore une existence; qu'en conséquence de ces principes et en exécution de la loi du 24 août 1793 (vieux style) les biens de l'université de cette ville seront mis, comme biens nationaux, sous la surveillance immédiate de l'administration du district., »
Extrait des Registres du Corps Municipal do la commune de Strasbourg Séance du 10 prairial an II (Warrentrapp, art. c,. p. 472, 478 et 480-481) La suppression de l'Université fut votée à l'unanimité.
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CHAPITRE IV LES INSCRIPTIONS LATINES
La question de la langue à adopter dans les Inscriptions, déjà débattue au XVIIe siècle, avait fait, au XVIIIe, l'objet de nouvelles discussions.
L'Académie des Inscriptions en tenait alors pour tous les goûts'. Il ne manquait pas de gens pour trouver, avec Voltaire, un peu ridicule et choquant qu'on honorât un roi de France dans une langue étrangère. Malgré tout la tradition restait forte. Le président de Brosses ayant perdu sa premièie femme en décembre 1761, il lui fit élever un monument dans l'église St-Jean de Dijon, et y fit graver une inscription française. L'innovation parut à Foisset médiocrement heureuse. Etait-ce parce qu'il s'agissait d'un monument funéraire, et qu'il était placé dans une église? 2 Au contraire les gens qui n'aimaient point le latin, tel l'abbé Coyer, malgré la supériorité reconnue de cette langue synthétique pour le style épigraphique, s'extasiaient quand ils rencontraient quelque part au fronton d'une porte des vers français, fussent-ils médiocres 3.
C'était question de doctrine. On y mettait d'abord une sorte d'amour-propre national, si bien que le Président Rolland n'hésita pas à clore son Plan d'éducation par un mémoire sur ce sujet. Ce mémoire donna lieu à une polémique à laquelle prirent part le poète Roucher et Sébastien Mercier, qui soutinrent la cause du français. Visiblement le public était avec eux. Un monument, encore que fait pour le personnage qu'il honore, est fait aussi pour le peuple qu'il doit instruire. C'est une leçon que la vertu ou le talent donne au passant, et que l'inscription résume.
Avec la Révolution, la question des inscriptions devait prendre une tout autre ampleur. Mirabeau s'indignait, le 12 Décembre 1790,
1. Voir Gohin, La question du français dans les inscriptions au .XVIIIe siècle dans Mél. Brunol, p. 201 et suiv.
2. Le présidt de Brosses, p. 532.
3. Voyage d'Italie, t. I, p. 22.
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LES INSCRIPTIONS LATINES 277
que les monnaies portassent « des légendes dans la langue des Romains ». Mais il ne s'agissait plus de quelques lignes gravées sur la pierre ou le bronze, forcément très clair semées, il s'agissait des innombrables phrases en vers ou en prose qui, écrites aussi bien sur des murs que sur des banderoles, des drapeaux, des bannières et jusque sur des assiettes, formulaient l'espoir, la foi, la volonté du peuple. Le rôle de l'inscription grandit alors dans une proportion qu'il eût été impossible de deviner quelques années auparavant. Tantôt c'est une simple devise « Une foi, une loi, un roi ; Vivre libres ou mourir ». Tantôt c'est une maxime, une pensée d'un des prophètes. A Rennes, une pyramide élevée sur l'autel de la patrie porte cette phrase de Rousseau : « La patrie ne peut subsister sans la liberté, la liberté sans la vertu »1. A la cérémonie funèbre du Champ de Mars, on en lit toute une série :
1° A la Mémoire des braves guerriers morts à Nancy, pour la défense de la loi, le 31 août 1790.
2° Ennemis de la constitution; tremblez : en mourant, ils nous ont laissé leur exemple.
3° Le marbre et l'airain périront, mais leur gloire sera éternelle.
4° C'est ici qu'ils avoient juré avec nous de mourir fidèles à la nation, à la loi, et au roi 2.
Point de réunions sans inscriptions; elles attendent les cortèges, les précèdent, les accompagnent, les suivent. Les pouvoirs publics les dictent : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante » (4 avril 1791). Quand Simonneau meurt comme on sait, on choisit la phrase toute simple qui sera gravée sur son monument 3.
Celle qu'on avait ordonné de mettre à la porte des cimetières : « La mort est un sommeil éternel », occasionna une vraie bataille politique.
De plus en plus, au fur et à mesure que la Révolution se développe, on prend conscience de la doctrine qui se résume dans la formule de M.-J. Chénier : « C'est par les fêtes, les cérémonies, les monuments, que l'homme s'attache au sol qui l'a vu naître » 4. Le 1er août 1793, Barère parle avec dédain des médailles qui portent « en idiome étranger : gallicae nobilitatis signum » .
Dans la séance du 2 frimaire an II (20 novembre 1793), sur une
1. Voir Mathiez, Orig. des cultes rév., p. 41.
2. Voir la Feuille villageoise qui les transcrit, n° 1, p. 12.
3. Guill., o. c, pièce ann., 18 mars 1792, p. 153. A un moment, il est décidé que toutes les mairies devaient avoir une inscription commune. Sur les monnaies, on mettra : Le peuple seul est souverain, ou encore : les hommes sont égaux devant la loi.
4. Voir Hippeau, o. c, t. II, p. 104; cf. p. 119, 200.
5. Rapp. au nom du Com. Sal. P., I. N., p. 4.
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278 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
demande d'un membre à propos des inscriptions de Dol, l'Assemblée renvoya au Comité d'instruction publique la proposition de faire effacer toutes les inscriptions latines. Boutroue fut nommé rapporteur le 13 frimaire (5 décembre). A la séance du 7 nivôse (27 décembre), un membre (Grégoire?) renouvela la proposition de radier toutes les inscriptions latines et d'interdire d'en faire d'autres. Le 12 nivôse, Grégoire fut nommé rapporteur, et présenta son travail le 21 1.
Il débutait ainsi : « Leibnitz voulait un idiome universel, qui fût le lien commun des connaissances humaines. Son désir commence à se réaliser : notre langue, reconnue pour celle de la raison, par sa clarté, deviendra, par nos principes, celle de la liberté. Ne lui faisons donc pas l'outrage de la repousser de nos monuments, tandis qu'elle reçoit les suffrages de l'Europe.
« Nous sommes loin de déprécier celle de ces antiques républicains dont nous chérissons la mémoire; mais qui pourrait désirer sous aucun rapport d'être Grec ou Romain lorsqu'il est Français? » Il concluait : « Pour les monuments comme pour les monnaies, le peuple français ne doit admettre que l'idiome national ». « Il faut que les murs, le marbre et l'airain parlent à tous les sans-culottes contemporains et futurs le langage de la liberté ».
Le décret fut adopté le jour même. Il disait :
« I. Toutes les inscriptions des monuments publics seront désormais en langue française.
« II. Toutes les inscriptions des monuments antiques seront conservées » 2.
Personne que je sache ne prit la défense du latin. Quel argument aurait-on pu donner ? 3
Dès le 16 frimaire (6 décembre), Devin de Noyon proposait un quatrain français pour remplacer les deux vers latins de Santeul inscrits sur la porte de l'Arsenal 4. Il est certain qu'il y eut des grattages et des substitutions. On a conservé de Marigner : Traduction et imitation d'inscriptions latines gravées sur les monuments de Paris (22 nivôse an II — 11 janvier 1794) 5.
Sous prétexte de francisation on a dû beaucoup détruire et beaucoup gâcher. Mais d'autre part on a énormément inscrit. Toutes les
1. Guill., o. c. Conv., t. III, p. 69, 71 et 217. 2- id., ib.. p. 257, 260 et suiv.
3. Marie-Jos. Chénier, le 6 vendém. an III ( 27 sept. 1794) parlant de la fète de J. J. Rousseau,
Rousseau, : « Les inscriptions n'étaient point défigurées par un langage barbare, ou par le jargon du bel esprit », (Guill.. o. c. Conv., t. V, n 99) Cf . Le rapport du Cit.
Jammes excitant l'indignation de l'Assemblée, trant ces inscriptions blessent les lois
4. Arch. N., F17 14444, 1. Cf 10080, 4454.
5. Arch. N., F17 1008 , 1638.
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LES INSCRIPTIONS LATINES 279
autorités s'y sont mises, centrales et locales, civiles et militaires. C'était une passion. On se rappelle l'engageante et provocatrice inscription du pont du Rhin: « Ici commence le pays de la liberté». L'entrée de Paris devait de même en imposer. « Aux barrières on élèvera des monuments destinés à retracer les époques révolutionnaires et les victoires des armées de la République, un concours est ouvert pour composer les inscriptions qui doivent y être placées » 1.
Chaque événement doit être commémoré. Lyon repris, il est décidé qu'une colonne rappellera à Commune Affranchie l'infamie de Lyon :
Art. 5. — Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville, avec cette inscription : Lyon fit la guerre à la liberté; Lyon n'est plus. Le dix-huitième jour du premier mois, l'an deuxième de la République française une et indivisible2.
Chaudron Rousseau écrit de Prades (29 prairial an 11-17 juin 1794) 3 : « Je demande qu'un obélisque soit élevé à l'endroit où les Espagnols avaient établi leurs batteries, avec une inscription qui transmette honorablement à la postérité cet exemple de valeur et de fidélité républicaines ».
On pense bien, d'après ce qui vient d'être dit, que les cultes révolutionnaires usèrent et abusèrent de l'inscription.
A Commercy, en l'an II, le temple décadaire portait : « Au grand Etre, à l'existence de l'Être suprême, à l'immortalité de l'âme, au peuple souverain, à l'amour conjugal, aux armées de la République ».
Bientôt les temples des théophilanthropes auront une partie de leur catéchisme sur les murs : « Adorez Dieu, chérissez vos semblables, rendez-vous utile à la patrie...
« Enfants, honorez vos pères et mères. Obéissez-leur avec affection. Soulagez leur vieillesse. Pères et mères, instruisez vos enfants ».
Les hommes « pratiques » s'égayeront sans doute de cette foi naïve dans la vertu des symboles. En effet, la Révolution croyait, à tort peut-être, comme la plupart des religions, comme l'Université, à l'efficacité de l'exemple. Elle le publiait, le commentait, avec l'espoir que la dignité humaine s'en trouverait rehaussée, que la faiblesse en serait soutenue, et l'ardeur encouragée. En même temps
1. Aul., Act. du Com. S. P.. t. XIV, p. 629. Cf. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 736 et 750. Voir un Essai d'inscription pour les différents monuments de la ville de Paris [de Bourdelois] (Id., ib., p. 761).
2. Décret relatif à la Mission à l'Armée des Alpes devant Lyon, dans Aul., Act. du Com. S. P.. t. VII, p. 376.
3. Voir Aul., Ib., t. XIV, p. 374.
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280 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
qu'elle punissait avec rigueur, elle voulait honorer dignement. Nous n'avons pas à juger la valeur morale et politique du système. Il nous suffit de dire qu'il n'était applicable que si on se servait d'une langue intelligible, il n'avait de sens que si la Nation, dans ses Jugements des morts et des vivants, parlait sa langue. Le français s'en trouva appelé à un nouveau rôle.
Quand les prédications se turent, des choses s'étaient produites qui ne permettaient guère de revenir en arrière. Non seulement le Panthéon garda son fronton, mais les habitudes prises demeurèrent. Il est bien vrai que les cimetières, qui renferment le grand nombre des inscriptions, restèrent latins. Mais l'état-civil, lui, avait été laïcisé. C'était le prêtre qui reconduisait le mort, c'était l'officier de l'étatcivil, le maire, qui l'inscrivait. El tout naturellement la langue de l'acte mortuaire tendait à s'étendre à la tombe, où seules bientôt des formules Hic jacet, Requiescat in pace, rappelleront l'ancien usage.
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TROISIÈME PÉRIODE DU IX THERMIDOR AU COUP D'ÉTAT DE BRUMAIRE
LIVRE PREMIER NOUVELLE POLITIQUE
CHAPITRE PREMIER ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES
APRÈS LA TERREUR. — Malgré la chute de Robespierre, le développement de la Révolution sembla se poursuivre. En réalité les ressorts étaient détendus. La politique linguistique, comme la politique générale, ne tarda pas à s'en ressentir. Il est très difficile de savoir si les patois et les idiomes avaient profité du rétablissement de la liberté de penser et d'écrire. On n'a là-dessus que des rensei gnements trop fragmentaires. Il est possible, par exemple, qu'il y ait eu en Alsace comme une sorte de réaction. Mais les preuves manquent. A Strasbourg, les journaux allemands étaient nombreux 1 ; on a vu qu'ils n'avaient jamais été sérieusement menacés de disparaître.
En Flandre, des prêtres français rentrèrent en quantité considérable, des prêtres belges s'introduisirent. Nul doute qu'ils n'aient parlé assez souvent leur langue à nos paysans 2. Ce n'est tout de même qu'une hypothèse. Un ex-jésuite, curé en 1791, puis supérieur du séminaire de Bergues, nommé Antoine Cauche, publiait à Bergues, en 1795, un « Nederlandschen Mercuer », dans lequel
1. Sans reparler du Weltbote, on verra paraître successivement Der republikanische Wächter, la Republikanische Kronik de Schlemmer (1796), der Wahlmann de Lembert (an V), la Rheinische Kronik, la Kronik der Menschheit et la Chronik der Franken.
2. Lefebvre, Les paysans du Nord, p. 558.
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282 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
il traduisait en flamand les nouvelles du jour et les décrets de la Convention. Cette feuille n'eut du reste que quelques numéros 1.
Dans le Midi, la contre-révolution vociférait et menaçait d'une autre Terreur, la sienne 2. Elle se servait presque exclusivement du français. Sans doute des patoisants se trouvèrent pour célébrer le 9 thermidor, comme il s'en était trouvé pour chanter d'autres événements. On a conservé l'Hymne à la Rasou ou le Dialoguo entre dus Insurjats de l'armado rouyalo et Suito del Dialoguo 3. J'ai moi-même, au cours d'une enquête dialectale, enregistré dans le village de Voutezac (Corrèze), de la bouche d'un artisan qui ne savait pas la Marseillaise, et qui était un « rouge », une chanson limousine dont le refrain porte sur « le pauvre Robespierre ». Est-elle du temps? (Arch. de la Parole, série D, cas. 3, tir. 34). Il y a eu de ces productions après la Terreur, comme de tout temps. Il n'en faudrait nullement conclure au réveil d'une inspiration étouffée. Je n'y attribue pas plus d'importance qu'aux catéchismes en latin 4.
LES IDIOMES ET LES CHOUANS. — Les dangers qui avaient poussé à des mesures de violence n'avaient pas tous disparu. L'Est et le Nord n'étaient plus exposés à l'invasion, mais la guerre civile continuait à faire rage dans l'Ouest. Or une bonne partie des chouans était de langue bretonne. Si cette langue ne servait pas comme d'autres à entretenir des communications avec l'ennemi, ce qui ne permettait pas de la charger des mêmes reproches que l'allemand, elle tenait ces départements à l'écart du mouvement général des idées.
Dès avant la fin de l'an III, les plaintes des Représentants montrent la gravité du mal : « si le gouvernement ne fait pas instruire les habitants ; s'il ne fait pas ouvrir de grandes routes et creuser des canaux navigables dans la Vendée, ce pays sera la ressource éternelle des mécontents » (Lett. de G. E. Merl. de la Boulaye à Grégoire, d'Angers, 23 messidor an II-11 juillet 1794, dans Lett. à Grég., p. 317).
De Pontivy, le Représentant Bouret écrivait, le 9 brumaire an III
1. Looten, Un journ. flam. à Bergues en 1795, p. 195.
2. « Ce sont ces tigres qui demandent du sang, toujours du sang, qui veulent en avoir jusqu'auc genoux, et qui, dans leur idiome atrocement énergique, qu'il est impossible de rendre on français, disent que, s'il redeviennent jamais les maîtres, il ne restera pas un enfant a la mamelle » Cadroy, Mariette, Lett. du 4 vent, an III (22 févr. 1795), dans Aul., Act. du Com. S. P., t XX p. 480
3. Voir Noulet, o. c . p 156 et Gazier, Lett. à Grég.. p. 343, n° 24.
4. Il existe aux Arch. N , F17 1318, dossier 8, une instruction, véritable catéchisme
laïque et républicain, intitulé Instruction latine sur les principes républicains dédiée à la jeunesse française. Une note indique qu'elle est du Cn Barbier instituteur. (A la fin de
cette note J. C. [17] 98. Est-ce la date?).
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ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES 283
(30 octobre 94) : « Les localités, l'ignorance des habitants des campagnes, leurs antiques préjugés, la différence du langage, tout concourt à servir les projets perfides des rebelles et des tyrans.... On peut vaincre les difficultés que le sol présente, par l'exécution ■de grandes mesures déjà combinées, mais l'instruction publique peut seule vaincre les esprits, et, dans ce pays, ses conquêtes sont malheureusement trop lentes. Je n'épargne rien pour en hâter les progrès. Je place des instituteurs partout où l'instruction paraît pouvoir germer » l. Dix jours plus tard, nouvelles plaintes : « On ne saurait instruire tout à coup une masse d'hommes fanatisés qui n'entendent pas un mot de votre langage. L'esprit public ne s'introduira en Bretagne qu'avec une génération neuve » 2. Jugeant qu'il est « extrêmement pressant d'arrêter les malheurs qui affligent ces montrées », Bouret a fait avec Leyris une proclamation, datée du 19 brumaire an III (9 novembre 1794). L'arrêté qu'elle accompagne et la proclamation devaient être traduits en breton et affichés dans toutes les communes 3. Le 28 brumaire (18 novembre), Bouret mande encore d'Hennebont (Morbihan): « Ce que j'ai à vous dire à ce sujet... s'accorde parfaitement avec la loi qui établit des instituteurs dans les campagnes, quoique, dans les circonstances actuelles, cela ne soit pas applicable à la plus grande partie du département du Morbihan, qui, relativement à ses localités et à l'esprit qui y règne, est le repaire de presque tous les brigands réfugiés de Bretagne. Mais les autres départements de cette ci-devant province n'offrent pas le même inconvénient. Les cultivateurs y manquent réellement d'instruction et n'assassineraient pas leurs instructeurs » 4. Au moment de cesser sa mission, Bouret se résume en quelque sorte: « Je n'ai pas cessé de vous dire... que les progrès de l'instruction étaient lents, et qu'un peuple ignorant et fanatique ne changerait pas de moeurs et d'opinion dans si peu de temps, surtout quand il avait un idiome qui lui était propre, ce qui était un moyen puissant pour ceux qui étaient intéressés à alimenter son fanatisme et à l'entretenir dans ses erreurs. Mes sentiments à ce sujet sont toujours les mêmes » (27 frimaire — 17 décembre) 5. Le 19 nivôse an III (8 janvier 1795) arrive un dernier rapport, très méthodique, où Bouret se montre encore plus précis. Il commence par étudier l'esprit public dans le Morbihan. « C'est une erreur, dit-il, de croire que l'ins1.
l'ins1. Act. du Com. S. P., t. XVII, p. 696.
2. Leyris et Bouret, De Vannes, 19 brum. an III, dans Id., Ib., t. XVIII, p. 56.
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. XVIII, p. 67.
4. Id., Ib., t. XVIII, p. 220. Suit un très judicieux aperçu des services que doit rendre un instituteur.
5. Id., Ib., t. XVIII, p. 777-778.
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284 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
traction opérera subitement cet effet (de détruire les anciens préjugés). « Indépendamment de ce que les progrès de l'instruction sont lents, en thèse générale, il faut le dire, dans ces contrées la génération présente des habitants des campagnes n'en est presque pas susceptible. En voici les raisons.
« 1° Ils parlent un idiome barbare, qui est le seul usité parmi eux, et qui varie même dans chaque district, si bien que, quand un étranger veut entrer en conversation avec eux, après avoir beaucoup écouté, ils répondent nontanquete, c'est-à-dire : Je n'y entends rien » 1.
EN ALSACE. — Foussedoire qui avait été envoyé en pacificateur, affectait l'optimisme. Il transigeait, nous l'avons vu. Pourtant il se voit forcé d'avouer, dès le 29 fructidor an II (15 septembre 1794), qu'il est urgent de franciser le pays : « Le peuple, dit-il, est en ce moment dans le Bas-Rhin ce qu'il est partout. A la vérité il n'est pas aussi éclairé que celui de l'intérieur. L'idiome s'y oppose. Mais, en multipliant les instituteurs français, on l'amènera sous peu de temps à embrasser avec plus d'ardeur encore les principes qui déjà ont jeté de profondes racines dans plusieurs communes importantes de ce département 2 ». II n'y a dans cette lettre que ces quelques mots sur l'idiome, mais venus de ce modéré, ils suffisent.
EN LORRAINE ALLEMANDE. — Les prêtres réfractaires commençaient à redoubler leur propagande, et prenaient à peine le soin de s'en cacher. Des émigrés rentraient aussi. Des pays voisins, des émissaires venaient semer la haine et la révolte. « Bien des paroisses, écrit l'évêque de Metz, le 8 messidor an III (26 juin 1793), sont gâtées par les prêtres « refracteurs », dont la Lorraine et le pays de Bitsch fourmillent et même de ceux qui sont revenus de leurs déportations » 3. De langue allemande lui-même, l'évêque n'incrimine pas l'idiome, mais il est facile de deviner l'usage qu'en font les agitateurs. Voici du reste un passage qui précise : « Les articles de vôtre lettre encycliques concernants les prêtres, qui pendant la persecution ont abdiqués, rendus leurs lettres... ont été malitieusement mal expliques au gens des campagnes par des prêtres mercenaires et sur tout par des Ex-moines qui ont eus l'adresse de conserver leurs lettres, ils ont insinués aux fideles de la partie de la lorraine allemande que les évêques dans un concil tenu à Paris
1. Aul , Act. du Com. S. P., t. XIX, p. 368
2. Id., Ib.. p. 729-730.
3. Corr. de Grégoire, Moselle, Bibl. Soc. des Amis de P.-R.
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ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES 283
avoient excomuniés tous les prêtres qui avoient rendus leurs lettres de Prètrisse... leurs intrigues et mansonges ont réussits »1.
DANS LE NORD. — On a déjà publié sur la réaction qui suivit thermidor bien des documents concernant ce pays. Il y en a beaucoup d'autres dans la Correspondance de Grégoire. Le curé deLaunoy (distr. de Lille) se plaint à Grégoire (26 messidor an III— 14 juillet 1795) : « Je vous fais part que dans nos environs nous craignons une Vendée. Le chapitre de Tournay y envoye des prêtres dans toutes les communes frontieres, comme Missionnaires». Suivent les détails de leurs menées audacieuses. Le curé de Beuvry par Orchies (Nord) mande de son côté : « Il y en a (des prêtres dissidents) qui rodent en cachête sous l'habit de md de pipes ou d'alumettes; mais ceux de la ci-devant Belgique et diocèse de Tournay dont nous faisions parti à la révolution, quoique soumis eux-mêmes, ils ne cessent de répéter chez eux et aux sots de chez nous qui y courent que leur serment n'est point un serment, que ce n'est rien en comparaison de celui qu'on a prêté en france (c'est ainsi qu'ils s'expriment par rapport à nous, car ils ne veulent pas être françois), qu'ils ne peuvent venir à nos messes sans être damnés ». 2
1. 8 messidor an III, Corr. de Grégoire, Moselle, Bibl. Soc. des Amis de P.-R.
2. Corr. de Grég. Nord. Bibl. Soc. des Amis de P.-R.
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CHAPITRE II DISPOSITIONS DES ESPRITS
A LA CONVENTION. — Boissy d'Anglas, dans un plaidoyer pour la liberté des cultes, prononcé le 3 ventôse an III (21 février 1795), déplorait, tout comme on l'avait fait un an auparavant, « la barbarie de quelques idiomes qui maintiennent l'ignorance dans quelques contrées de la République »4. L'Assemblée non plus n'avait pas abandonné ses principes ; on le vit bien. Un curieux débat eut lieu en effet quelques jours après (7 ventôse — 23 février). Il était question d'introduire, dans les écoles centrales des départements frontières, un professeur de langues vivantes. Certains membres se récrièrent : « Je crois, remarqua l'un d'eux, qu'il est dans l'intention de la Convention de faire disparaître du sol de la République tous les jargons particuliers, pour ne conserver que la langue nationale ». Le rapporteur rassura son collègue : « J'observe à mon collègue qu'il n'a pas saisi le sens de l'article. Il n'est pas question de conserver des idiomes particuliers, mais de répandre, selon les localités, la connaissance des langues parlées chez les peuples nos voisins, avec lesquels nous pouvons avoir des relations de commerce ou d'amitié. Ainsi dans les départements voisins des Pyrénées, on enseignera l'espagnol; l'italien dans les départements situés au pied des Alpes; l'allemand, dans les départements du Nord » 2.
On ne serait pas embarrassé de citer d'autres paroles de même inspiration. La Convention, cela n'est pas douteux, continuait à désirer, a vouloir même le progrès de la langue française. Le 27 thermidor an II (14 août 1794), le Comité d'Instruction publique recevait de l'agent national d'Issoudun une lettre où il s'informait s'il devait faire exécuter la loi du 8 pluviôse. On lui répondit que l'intention de la Convention était qu'on enseignât partout la langue nationale 3.
Les Jacobins non plus ne renoncèrent jamais, tant que la Société exista.
1. Guill., o. c. Conv., t. IV, p. 520.
2 Id., ib., Conv., t. V, p. 543-44.
3 Id., ib., Conv., t. IV, p. 992 et 997.
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DISPOSITIONS DES ESPRITS 287
Le 29 vendémiaire an III (20 octobre 1794), la question fut agitée dans une séance. Un citoyen, qui arrivait du Mont-Terrible, rappela les plaintes de la Société populaire de Delémont à la Convention et constata que le décret de pluviôse n'avait pas reçu d'exécution 1.
Toutefois, si les lois restaient en vigueur, les méthodes de gouvernement avaient changé. La Convention désirait toujours que le français fût enseigné et su, mais il est certain que désormais elle attendait davantage du temps que des lois. Non seulement elle avait abandonné toute pensée de contrainte, ce qui n'était que de la clairvoyance; mais, nous allons le voir, elle était beaucoup moins tentée que jadis d'appliquer la force de l'État à propager la langue, ce qui était de la faiblesse. L'ardeur combative était tombée; il était visible que la République, ayant passé dans des mains plus molles, s'abandonnait. Le relâchement général se fit sentir jusque dans la politique linguistique.
DANS LE PAYS. — Il est certain que la cause du français devait souffrir longtemps des brutalités de ceux qui avaient prétendu la servir. Voici les réflexions pleines de sens qu'envoie un pasteur protestant, Muller, à l'évêque de Blois (Strasbourg, 6 vendémiaire an III— 28 septembre 1794): « Comme les arrestations, déportations et refus de certificats de civisme ont nécessité de nombreux remplacemens dans les bureaux des administrations, et que par là, il s'est manifesté une penurie de sujets capables et versés dans la Langue Allemande et Françoise, des enroleurs ont porté plusieurs de nos jeunes candidats au Ministere à préferer des emplois de bureaux, en leur insinuant que les choix de leurs confreres pour les Ecoles seront cassés aussitôt qu'on trouvera des sujets qui n'ont pas tâté de la Théologie, pourvû qu'ils sachent le François tellement quellement. L'établissement d'écoles normales peut seul donner dans notre Département la perspective de fournir toutes les communes d'instituteurs habiles. Il se présente pour ces établissements dans les Départemens, où le peuple de la campagne ne sait que la langue allemande, une difficulté qui demande au moins douze ans pour être vaincue. Il est impossible de trouver actuellement pour chaque commune un maitre de langue Françoise et un Instituteur pour les connoissances qui doivent former l'esprit et le coeur des enfans. On s'est bientôt apperçu qu'il faut pourvoir aux deux besoins par le même homme, et cet homme doit necessairement savoir les deux langues, parceque suivant des
1. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 150 ; cf. t. IV, p. 307.
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288 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
axiomes irrefragables de Psychologie l'échange des idées et des sentimens ne se fait que tres défectueusement et tres froidement dans une langue qui n'est pas commune et familiere à celui qui enseigne et à celui qui apprend. Nos Reformateurs à la Robespierre ont voulu proscrire tout a coup la Langue Allemande de notre Ville ; ils ont crié, que l'usage de cette langue doit rendre suspect d'intelligence avec les ennemis ; ils ont affecté de couvrir cette Langue de mépris, comme si elle étoit essentiellement impropre à exprimer une saine politique et à faire parler dignement la philosophie. Je serois mortifié s'il m'etoit défendu d'augurer que les François ne dedaigneront pas, après la paix, les communications literaires avec une Nation qui comte des philosophes originaux. La philosophie de Kant est encore inconnue en France, et elle mérite d'y être transplantée. Mais je brise là ; il y auroit matiere à une longue Epitre si je voulois verser dans votre sein tous mes voeux et toutes mes doléances relatives à l'enseignement d'une saine philosophie spéculative » 1.
Malgré cela, il ne faudrait pas croire que les excès des terroristes eussent causé une répulsion telle que le mouvement de francisation fût arrêté. Les patriotes d'Alsace vivaient leur vie dialectale, comme en attendant, mais essayaient de se familiariser avec le français. On voit la Société de Heiligenstein s'abonner à une feuille française en même temps qu'à un journal allemand (10 brumaire an III— 1er novembre 1794). Le 22 vendémiaire(13 octobre), elle s'excusait d'écrire en allemand à Strasbourg : « Il est vrai, frères et Amis, que par mégarde nous vous avons écrit à deux differentes reprises dans un Idiôme que nous regrettons nous-mêmes d'être forcés de conserver encore long-tems dans notre Société pour nous entendre nous même et nous rendre intelligibles aux Habitans de deux Communes voisines fraternellement réunis en une même Société, qui quoique jadis divisés par des opinions religieuses se sont dès le commencement de la révolution constament distingués par l'attachement le plus caractérisé aux principes de la Liberté et de l'égalité. Pour nourrir en nous de plus en plus le feu sacré du patriotisme, nous vous prions de nous entourer de vos lumières, de vos conseils en tout ce qui pourra tendre à l'affermissement de la liberté, et de nous communiquer tous les écrits qui visent à ce noble but. C'est par cette communication fraternelle que les liens qui nous unissent tous seront serrez de plus près, et que le bien de notre patrie ne s'opé1.
s'opé1. de Grégoire, Haut-Rhin, Bibl. Soc. des Amis de P.-R. Cf. Warrentrapp,
art. c., p. 498.
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DISPOSITIONS DES ESPRITS 289
rera que plus efficacement. Salut fraternel »1. Jamais la Société de Colmar ne perdit de vue non plus la création d'instituteurs français. Elle en proposait encore en frimaire an III 2.
Un peu partout, les municipalités continuaient à chercher des instituteurs sachant la langue française 3.
PROJETS ENVOYÉS AU COMITÉ D'INSTRUCTION PUBLIQUE. — Ces projets sont, eux aussi, tout pleins de l'esprit qui avait inspiré la loi de pluviôse, dont on déplorait l'inexécution. L'un des seuls que je citerai est inspiré à son auteur, Gauthier, lieutenant au premier bataillon des Amis de la République, par les constatations qu'il a faites au pays des brigands, où il faisait campagne.
Pour ce combattant, le dialecte c'est l'ennemi. Lui disparu, l'unification réalisée, « vos enfans sont également bien élevés, ils se connaissent; ils parlent et écrivent correctement la même langue : vous faites disparaître ces idiômes barbares, qui ont assuré pendant si long-tems l'empire des prêtres, et occasionné la plupart de nos guerres intestines, par la difficulté de communiquer avec les habitans des campagnes... Pour que l'exécution de ce projet ne trouvât pas d'opposition, on n'admettrait auprez des enfans que des personnes qui possedassent bien notre langue. Cette précaution vaudrait mieux que les Grammaires et les Dictionnaires » 4.
On peut comparer à ce qui précède un écrit de Vaureix, instituteur à Beaumont (district de Clermont-Ferrand, P.-de-D.), du 8 brumaire an III. Le souci de faire connaître à tous le français, et de l'enseigner méthodiquement, est un de ceux qui doivent dominer, dit l'auteur : « L'étude de la Langue nationale parait devoir occuper la première place parmi les differens objets du ressort de l'enseignement, parce qu'il convient de connaître même par principes la Langue maternelle avant que de songer à épeller une autre science quelconque, ici se présente une reflexion toute naturelle et à Laquelle on ne fait pas assez d'attention. En effet la Langue française, sage dans sa marche, assez belle et beaucoup plus riche aujourd'hui qu'elle ne l'était vers le commencement du siecle dernier, a ses difficultés d'ailleurs, qui demandent la plus sérieuse attention, même dans ceux qui la parlent habituellement; et c'est encore sur quoi l'on ne réfléchit pas assez ; on l'apprend au Berceau, et presque sans autre
1. Protocolle, Arch. Dép. Strasb., Inv. N° 6 D.
2. Leuillot, o. c , p. 407, 411.
3. A Nice, le 22 vend, an III (13 oct. 1794), la Société s'occupait de vérifier les citoyens capables d'être employés dans les écoles primaires (Combet, o. c, p. 408).
On institua des épreuves le dernier quintidi.
4. 28 vend, an III-19 oct. 1794. Arch. N., F 17 A 1310, doss. 5.
Histoire de la langue française. IX. 19
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290 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Etude on continue de la parler comme on l'a apprise: aussi n'est-il pas rare de voir aujourd'hui des personnes, même assez instruites, tomber soit pour l'expression, soit pour le tour dans les fautes les plus grossières. Que ne pourrais-je pas dire des campagnes du Département du puy-de-Dôme ou l'usage de la Langue française est absolument inconnu et presqu'entierement ignoré, malgré l'adresse de la Convention nationale au peuple français sur la nécessité d'universaliser l'usage de la langue nationale, parceque les autorités constituées n'y ont attaché aucune importance, ne l'ayant pas même faite publier, ni lire? le meilleur moyen d'anéantir le patois dans les campagnes serait de convertir cette adresse en Décret, de rendre uniforme le costume de tous les français en général... L'uniformité de costume aménerait plus facilement l'uniformité de langage, surtout si l'adresse du 16 prairial était convertie en décret... »1.
1. Arch. N., F17 A 1310, doss. 5.
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CHAPITRE III PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES
OBSERVATIONS. — Il ne faut pas oublier que la question des idiomes se posait tout autrement depuis que, au début de l'an III, les armées de la République, franchissant les frontières, lui avaient livré des pays étrangers parlant flamand, allemand, espagnol, etc. Il ne pouvait venir à l'esprit de personne d'imposer à ces pays conquis, dont le sort n'était pas encore réglé, qui n'étaient pas formés en départements, des obligations linguistiques. On avait bien des choses plus urgentes à demander aux habitants. Et d'autre part le moyen d'avoir plusieurs règles à ce sujet, de tolérer là ce qu'on interdisait ailleurs ? La Babel naturelle s'expliquait. Une Babel administrative, créée de toutes pièces, était un vrai non-sens.
ON REVIENT AUX TOLÉRANCES. — On céda pourtant et ce fut une des premières concessions que l'on accorda. Le 16 fructidor an II (2 septembre 1794), la Convention décréta que l'exécution de la loi du 2 thermidor précédent serait suspendue jusqu'au nouveau rapport des comités de législation et d'instruction publique. Ce nouveau rapport ne fut jamais fait, ce qui équivalait à l'abrogation de la loi 1.
PERSISTANCE DES VIEUX USAGES. —Il y aurait eu lieu d'agir pourtant, si on ne voulait pas imiter l'indolence de la monarchie. Pour mesurer combien peu on avait obtenu, il suffit de quelques exemples. Je les prendrai naturellement en Alsace. A Strasbourg, en vendémiaire an III, le IVe arrondissement a pour juge de paix Fried. Les registres débutent par une longue série de jugements en français. Puis l'allemand reparait et domine très nettement dans la suite. En vendémiaire an IV, nouveau registre. Plus trace de français.
Passons aux notaires. A Benfeld — localité particulièrement allemande, il faut le dire —, chez le notaire Dépinay, en 1792-1793, tous
1. Bullet, des Lois, n°51, loi 276.
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292 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
les actes sont en allemand. De même en 1793-1794. Ce n'est qu'en l'an IV qu'on voit apparaître quelques actes en français avec des signatures allemandes de gens visiblement à peu près illettrés 1. La suite ne contient guère que des actes en allemand. Souvent ces actes portent la mention : Fait, lû, passé et interprété en allemand 2. Les actes de l'état civil présentent un mélange déconcertant des deux langues, suivant les communes. A Barr, depuis 1791, les actes de naissance sont tantôt en allemand, tantôt en français. A Epfig, c'est à partir de 1793 que le français apparaît, alternant avec l'allemand. A Dambach, les délibérations du Conseil Municipal sont, depuis 1791, tantôt dans une langue, tantôt dans l'autre ; les actes de mariage de même depuis 1791. Au contraire les décès sont enregistrés en français depuis 1792.
LA TRADUCTION DES ACTES DU POUVOIR CENTRAL. — Rühl, fidèle à ses idées, ne voyait d'autre remède que de traduire les actes. Presque coup sur coup, il envoie à ce sujet au Comité de Salut public deux lettres qui sont de première importance et que je donnerai tout entières : « Je me suis informé s'il ne se trouvait pas en la commune de Strasbourg un homme bien au fait des deux langues française et allemande, que l'on pourrait attacher à un bureau de traduction, et dont on pourrait aussi se servir pour traduire en airs allemands les hymnes et les chants civiques que le Comité de salut public aura distingués, et on m'a indiqué pour cet effet un jeune poète allemand, mais né Français, nommé Lamey, qui est présentement greffier de la justice du IIIe arrondissement de Strasbourg, et qui a déjà donné en langue allemande le petit recueil des hymnes et chants civiques dont vous trouverez un exemplaire ci-joint sous n° 1, et qui a remporté les suffrages des connaisseurs en poésie allemande. Il est prêt à me suivre à Paris et se contentera d'abord de 2.400 livres de traitement par année 3. Le voeu de l'article 4 de ma commission est donc rempli en partie, sauf votre ratification.
« Pour satisfaire aussi à celui de l'article 5, je me suis adressé au citoyen Würtz, libraire, dont le commerce a été autrefois bien étendu en Allemagne, pour me concerter avec lui sur les moyens de faire circuler en ce vaste pays le Bulletin de la Convention traduit
1. Gross, dans un acte en français, n'ayant pas l'usage de l'écriture allemande, signe en lettres hébraïques (24 flor. an III-13 mai 4 795).
2 Ainsi dans un acte du 19 messidor an III (7 juillet 1795). Cf. 12 messidor an III. La formule varie. On trouve ailleurs : après lecture et interprétation faites (Arch Dép. au Bas-Rhin. Fonds nouvel ement versé, non catalogué)
3. Lamey fut nommé, en 1795, traducteur du Bulletin des Lois, à l'Imprimerie de la République, à Paris.
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PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES 293
en allemand, de même que les rapports dont la Convention aura décrété la traduction en allemand, ou que le Comité aura jugés d'une utilité générale. Ce libraire me remit hier le plan qui se trouve ajouté à ce rapport sous n° 2; mais comme ce plan ne contient rien de. nouveau pour moi, si j'excepte le projet d'un journal allemand, je n'en ai pas pu retirer le fruit que j'en ai espéré ; car, pour ce qui est de la proposition qu'il me fait de faire répandre le Bulletin par nos agents secrets dans les pays étrangers, je n'ai pas eu besoin qu'il m'indiquât ce moyen ; ce qu'il aurait dû me dire se réduisait à m'apprendre comment ce moyen serait praticable. Pour ce qui est de son autre proposition de me servir de la voie des libraires suisses, je la lui avais indiquée moi-même, et je saurai m'en servir sans lui. Reste donc à discuter le projet d'un journal allemand, auquel je reviendrai en un autre temps.
« Ce qui, dans cet instant-ci, doit vous occuper, chers collègues, c'est la lettre qui m'a été adressée par l'administration du district de Wissembourg, que je joins ici sous n° 3, avec son incluse, qui n'est autre chose qu'une copie d'une lettre que ces administrateurs vous ont écrite le 16 du courant. Pesez dans votre sagesse, je vous en conjure, au nom de la patrie, le contenu de cette lettre, et soyez persuadés que, s'il se trouve dans le seul district de Wissembourg 190 communes dans lesquelles il n'y a pas un seul citoyen qui connaît la langue française, il se trouve dans le reste des districts des départements du Haut et du Bas-Rhin, de même dans les districts de Sarrebourg et de Dieuze du département de la Meurthe, et dans ceux de Sarreguemines et de Sarrelibre, du département de la Moselle, plus de deux mille communes encore qui sont dans le même cas, et auxquelles on peut appliquer tout ce que les administrateurs du district, de Wissembourg disent de leurs communes. Pour tout au monde, chers collègues, regardez en pitié les pauvres habitants des extrêmes frontières du côté de l'Allemagne, et donnezleur un terme pour apprendre la langue française; donnez-leur des instituteurs français, répandez parmi eux vos bulletins et vos rapports imprimés dans les deux langues, et, si au bout de dix ans ils ne sont pas encore en état d'entendre nos lois, de rendre justice et de passer tous les actes en langue française, sévissez alors contre eux et traitez-les avec rigueur ; mais, dans ce moment-ci, regardez ce peuple, qui n'a jamais remué, malgré tout ce qu'on a fait pour le soulever; regardez-le comme digne de vos soins paternels, et pesez bien dans votre sagesse la lettre des administrateurs de Wissembourg.
« Comme il est important de savoir sous quel point de vue le succès de nos armées et les travaux de la Convention sont pré-
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294 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
sentes dans les gazettes et les journaux allemands, je me suis informé d'abord, à mon arrivée ici, si on ne pouvait pas me procurer de telles gazettes ou journaux; maison me dit que, l'importation de cette espèce de feuilles étant très sévèrement défendue, on ne pouvait m'en procurer. Aujourd'hui cependant, le médecin Wedekind, réfugié mayençais, me remit une note que vous trouverez jointe ici sous n° 4, avec le n° 83, du 11 juillet dernier, de la Gazette de Mannheim, et le n° 110, du 12 juillet aussi dernier, de la Gazette impériale de Francfort, ajoutés ici sous nos 5 et 6, qui m'ont paru mériter votre attention; car dans l'article Vienne, du 5 juillet dernier, il est dit, entre autres, que « l'armée des puissances coalisées n'est point en état de poursuivre ses victoires, parce que les armées françaises, quoique battues, se trouvent, par le moyen des réquisitions, renforcées autant qu'auparavant, et même plus encore, pour pouvoir porter défit à leurs vainqueurs ». Il est dit encore, dans le même article, que la guerre présente est une douloureuse leçon pour ceux qui se persuadent que les Français ont été battus complètement, ou que l'on a remporté sur eux une victoire. Il est dit enfin, dans cet article, que le feld-maréchal Lascy a dit, il n'y a pas longtemps encore, qu'il est impossible de battre complètement une nation telle que la nation française ou de remporter sur elle une victoire complète, à moins qu'elle ne se détruise elle-même, ce qui paraissait être le cas des Français, comme il est celui des Polonais. Dans la Gazette de Mannheim il est dit, dans l'article Bruxelles, qu'il paraissait convenu avec les Français que les armées combinées évacueraient la Belgique, qu'elles se retireraient de ce pays dans le plus bel ordre possible, et que l'on parlait partout d'une trêve entre les deux armées. J'invite mon collègue Barère de donner connaissance à la Convention nationale de ces différents traits de vanterie et de craintes allemandes, de les accompagner de ses réflexions que lui, né dans le ci-devant pays de Bigorre et jeune encore, n'attendra sûrement pas qu'elles lui soient suggérées par un vieillard sexagénaire, né sur les bords du Rhin.
« Avant de partir pour Paris, je vous ai écrit, mes collègues, en date du 14 du courant, que, dès que je serais arrivé à Strasbourg, je traduirais et ferais imprimer en caractères allemands le rapport de Barère sur la conjuration de Robespierre et complices. A mon arrivée dans le département du Bas-Rhin, je me suis aperçu que cette traduction et impression était plus que nécessaire; elle est faite sous mon inspection, et pourrait être meilleure, mais elle est fidèle. Vous en recevrez ici deux exemplaires de la première feuille sous n° 7, et j'aurai soin de la répandre et de la faire répandre
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PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES 293
partout, et même, s'il est possible, dans les pays étrangers, ce qui est d'autant plus à propos qu'il est dit dans la Gazette de Mannheim, sous n° 5 ci-dessus, que « depuis quelque temps Robespierre, Barère et le reste des membres du Comité de salut public paraissent régulièrement aux Jacobins et tâchent en général plus que jamais à s'insinuer auprès d'eux, qu'il paraît par conséquent qu'ils ont des pressentiments de périls et d'événements où ils pourraient avoir besoin de secours, supposition qui est encore confirmée, ajoute-ton, par un long discours que Robespierre a fait depuis peu sur les pièges qu'on lui tend tous les jours, sur les complots journellement renouvelés contre la liberté et sur les calomnies répandues contre lui et contre le gouvernement révolutionnaire. Philippe Rühl »1.
« Le Bulletin de la Convention, traduit en allemand et imprimé en caractères français à Paris, n'est jamais parvenu au directoire du département du Bas-Rhin... l'administration du district de Strasbourg n'en a pas encore eu un seul exemplaire... celle du district de Wissembourg se trouve dans le même cas... ce Bulletin, ainsi traduit et imprimé, est absolument inconnu à l'administration du district de Haguenau... il en est de même de celle du district de Saar-Réunion (ou Neu-Saarwerden),... il n'y a que le directoire du district de Schlestadt qui en a reçu quelques exemplaires en très petit nombre, mais qui depuis longtemps n'en reçoit plus, comme tout ceci est prouvé par les pièces justificatives sous nos 1, 2, 3, 4, 5 et 6, que je joins à ce rapport. C'était donc doublement en pure perte que l'on faisait traduire à Paris, en allemand, et imprimer en caractères latins ou français le susdit Bulletin, puisque cette traduction n'a pas été envoyée, les administrés n'auraient pas pu la lire, étant imprimée en caractères latins ou français qu'ils ne connaissaient pas; en un mot c'était autant d'argent, que coûtait cette traduction et cette impression, de jeté dans la rivière.
« L'administration du département du Bas-Rhin croyait cependant que la traduction et l'impression, dont elle ignorait qu'il s'en faisait une à Paris, était si nécessaire que, dans l'origine, elle l'a fait réimprimer en entier en langue allemande et ensuite, pour économiser les frais d'impression, par extraits dans une feuille intitulée Der Volksfreund, ou l'Ami du peuple, dont vous trouverez ici un exemplaire sous n° 7. Ajoutez à cela que l'administration du district de Strasbourg observe qu'il ne sera guère possible de se passer encore dans ce district de la traduction allemande du Bulletin, à moins qu'on
1. Aul., Act. du Com. S. P., Strasbourg, 25 thermidor an II (12 août 1794), t. XVI, p. 58-61.
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296 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ne veuille faire ignorer les lois aux citoyens, que celle de Haguenau prétend qu'elle en a déjà écrit au Comité de salut public, que le directoire du district de Saar-Réunion déclare qu'il serait très utile que le Bulletin lui parvint traduit en allemand, attendu que ce district est un pays réuni, où la langue allemande est pour ainsi dire la seule en usage. Or, la conséquence de tout ceci est :
« Qu'il faut supprimer l'impression de la traduction du Bulletin en caractères latins ou français ;
« Qu'il faut le faire imprimer en caractères allemands sur une colonne, en face d'une autre colonne qui contiendra le texte français, ce qui familiarisera les administrés avec la langue française qu'ils apprendront peu à peu en comparant la traduction allemande avec le texte français ;
« Qu'il en faut, enfin, envoyer un nombre suffisant d'exemplaires aux administrations de districts à langue allemande.
« Vous saurez que, si la traduction et l'impression du Bulletin de la Convention, au moins par extrait des articles principaux, est nécessaire, celle du Bulletin des lois est indispensable, à cause des décrets dont l'insertion dans ce Bulletin doit servir de publication, et qu'il en est de même des arrêtés du Comité de salut public.
« Vous verrez, par la réponse qui a été faite à mes questions par l'administration du district de Saar-Réunion (ou de Neu-Saarwerden), que l'exécution de la loi du 9 thermidor, d'après laquelle, à compter du jour de sa publication, nul acte public ne pourra être écrit qu'en langue française, est impraticable dans ce pays, dont toutes les municipalités, juges de paix, comités de surveillance et forestiers ne connaissent que la langue allemande; et que, malgré tous les soins de l'administration et de la Société populaire, et malgré toutes leurs recherches, elles n'ont encore pu trouver que deux instituteurs de langue française.
« Vous verrez enfin, par les pièces sous nos 1, 2, 3, que les frais de traduction et d'impression des décrets, et rapports de la seule administration du département du Bas-Rhin, se montent pour l'année 1793 à la somme énorme de 220.558 livres 15 sols; ceux du district de Strasbourg à celle de 72.000 livres; ceux du district de Haguenau, à 14.000 livres; de celui de Schlestadt à 15.449 livres, ce qui donne un total effrayant de passé 313.058 livres, sur lequel on pourra épargner deux tiers au moins lorsqu'on aura organisé méthodiquement ces mêmes traductions et impressions.
« Mais comme on ne saurait parvenir à ce but économique et si salutaire en même temps, si on manque de sujets que l'on puisse employer utilement, j'ai, conformément à ma commission, voulu
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PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES 297
engager avant-hier un très bon sujet, nommé Jean Frantz, dont les connaissances littéraires, la pureté des moeurs et la douceur de caractère me sont connus depuis longtemps. Lui ayant fait ma proposition, il me dit ingénument qu'il a travaillé pendant quatre années consécutives au Bureau de bien public de la municipalité de Strasbourg, et que, depuis deux mois, il a été remercié purement et simplement. Ayant là-dessus écrit à l'agent national de la commune la lettre dont la minute est jointe ici sous n° 8, j'en attends encore la réponse, que je n'aurai pas sitôt reçue, que je quitterai le département du Bas-Rhin, où j'ai recueilli tous les renseignements relatifs à la mission que j'ai à remplir, pour me rendre à Colmar, chef-lieu du département du Haut-Rhin, d'où je vous écrirai le premier quintidi de fructidor prochain »1.
Le 16 fructidor (2 septembre), on écrivait de Nancy : « La publication des lois éclaire le peuple en lui montrant quelles ont été dictés par le desir de le rendre heureux ; néanmoins dans les communes allemandes des Districts de dieuze et Saarbourg on ne recoit pas les lois traduite en allemand; l'idiôme français leur est absolument étranger, et les habitants de ces communes isolés par leur langage restent abandonnée aux préjugés politiques et religieux que l'instruction Publique auroit bientot dissipée » 2.
En fait, des actes continuaient à arriver de Paris tout traduits 5. En même temps, on traduisait aussi sur place des documents venus de Paris, aussi bien que des pièces émanant des autorités locales 4.
1. Aul., Act. du Com. S. P., t. XVI, p. 181-183 ; Strasbourg, 30 thermidor an II— 17 Août 1794.
2. Extrait d'une lettre du cn Michaud, Représt du peuple au Comité de Sal. P., 16 fruct. an II. (Arch. N., F17 6891).
3. Oscar Berger-Levrault (Catalogue des Alsatica, Nancy, 1886, 5e partie) dit à ce propos dans une Note préliminaire p. X : « Pendant l'an VI, la traduction en Allemand des Lois et Arrêtés du Directoire exécutif se faisait généralement à Paris, contrairement aux habitudes précédentes, et F. G. Levrault en constatait le fait sur les numéros sortant de ses presses pour ne pas en assumer la responsabilité ».
M Gérock, si informé de toutes les choses alsaciennes, me fait observer que Ose. BergerLevrault, qui avait l'esprit dynastique très développé, a commis là une erreur. Les traductions étaient faites, non pas par les soins de F. G. Levrault qui n'était que l'imprimeur, mais par le Bureau des traducteurs, fonctionnant sous l'autorité du Directoire du département. C'est donc ce dernier qui indiquait, en tête des imprimés qu'il faisait faire, l'origine de la traduction.
4. La Bibliothèque universitaire de Strasbourg en possède un assez grand nombre, aussi sous forme d'affiches, portant en exergue : Pariser Ucbersetzung. Il y aurait là une étude à faire. La même Bibliothèque universitaire possède une collection, probablement incomplète, de l'édition allemande des Bulletins do la Convention Nationale. Je l'ai trouvée, m'écrit M. Gérock, dans les fonds, non catalogués par les Allemands, de la bibliothèque Heitz. Osc. Berger-Levrault n'a donc pas pu en avoir connaissance lorsqu'il travaillait à la Bibliothèque pour la confection de son catalogue. Il faudrait constater si vraiment les traductions exécutées en Alsace laissaient à désirer.
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LIVRE II LE FRANÇAIS ET L'ENSEIGNEMENT
CHAPITRE PREMIER INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES
CAUSES ET EFFETS. — Au lendemain de thermidor, l'instruction publique avait cessé d'être une chose de Salut public. Elle était revenue au Comité d'Instruction publique, dont Lakanal fut nommé président le 17. et où Garat entra le 26. La formation, des esprits et des coeurs n'allait plus être menée « au pas de charge » et « par la méthode révolutionnaire ». Il eût été possible que les choses n'en allassent que mieux, car les essais tentés jusque-là n'avaient guère été heureux. Nous avons parlé des résultats de la loi de pluviôse. Considérons maintenant les résultats généraux de la loi de frimaire.
Leclerc, député de Maine-et-Loire, avait été sinistre prophète quand il avait dit le 12 décembre 1792 : « L'esprit de parti s'abstiendra de favoriser les écoles. Bien des pères, scandalisés même de ce que vous aurez fait composer des livres nouveaux pour remplacer les Heures et le Catéchisme, ouvriront facilementleurs âmes aux malignes impressions des prêtres, et, soit par leur propre faiblesse, soit par condescendance pour celle de leurs femmes, ils voueront volontairement leurs enfants à l'ignorance, tant les préjugés religieux ont encore d'empire »1. Pour que des écoles pussent s'établir partout, étant donné le système d'instruction publique adopté, étant donné d'autre part l'état de l'esprit public, il eût fallu un miracle. La bonne volonté des autorités, stimulée par les réclamations des familles, n'était pas douteuse. Mais il y eût eu d'insurmontables obstacles à vaincre, même si la loi avait comporté un plan, et elle n'en comportait pas.
1. Hippeau, L'inst. sous la Rév., p. 28.
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300 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Guillaume a dépouillé avec le plus grand soin la Correspondance du Comité d'Instruction publique, et il a prouvé sans peine que de nombreux districts, des communes aussi, avaient écrit à Paris pour poser des questions ou faire des observations de toutes sortes, en particulier pour obtenir l'autorisation d'employer, ici une soeur, là un ex-prêtre, etc., à des fonctions d'instituteur 1. Les plaintes aussi sont nombreuses. Partout revient le même refrain : les instituteurs manquent. Peut-on agréer ceux qui plairaient aux familles ?
Nous avons dit plus haut ce qui avait été fait dans le département de la Meurthe. Des résultats très heureux avaient de même été obtenus dans l'arrondissement de Rambouillet, en Haute-Marne, à Belfort, etc.
Malgré cela, même dans la Meurthe, les districts allemands étaient singulièrement dépourvus. Le 16 fructidor an II (2 septembre 1794), une lettre de Nancy va jusqu'à demander des instituteurs allemands, puisqu'il n'y en a pas d'autres. « Les écoles Primaires ne sont Point organisés (sic), il faudroit établir des instituteurs allemands. Les corps administratifs de ses deux districts proposent d'extraire des bataillons des depts frontieres les Cens propres a remplir ces fonctions. Peut etre la chose Publique gagneroit elle Plus a les utiliser de cette maniere qu'elle ne perdroit Par la privation de quelsques soldats cest avous Citoyens Collegues a resoudre cette question » 3.
En général, on peut dire qu'il est bien peu de départements où les résultats du décret Bouquier aient été favorables 4. Le 11 prairial an II (30 mai 1794), le Comité d'Instruction publique renvoyait à Bouquier une lettre des Administrateurs du district de Delémont. Ils avaient demandé en floréal que les sociétés populaires fussent invitées à fournir une liste, et que le Comité mît en réquisition 23 patriotes instruits pour les communes françaises et autant parlant allemand, pour les communes allemandes. Ne l'ayant pas obtenu, ils signalent qu'ils ne peuvent organiser les écoles 5.
1. O. c., Conv., t. IV, p. XLII et suiv. Cf. 556, 621, 626, 637, etc.
2. Voir Guill., o. c, Conv., t. IV, p. XLVII-XLVIII
3. Extrait d'une lettre écrite par le citoyen Michaud, Représentant du peuple au Comité de Salut Public dattée de Nanci le 16 fructidor, enregistrée sous le N° 1762(Arch. N. F17 6891).
4. Les dires des satisfaits ont besoin d'être contrôlés. Ainsi, de Clamecy, l'agent national mande que presque toutes les communes ont nommé des instituteurs (11 flor. an II-30 avril 1794, dans Guill., o. c. Conv., t. IV, p. 293). Or le 5 fructidor (22 août), on reçoit du même une lettre informant le Comité des difficultés qui s'y presentent (Id., ib., t. IV, p. 974.
5. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 507. Le Moniteur du 5 brumaire an III (26 oct. 1794) contient des plaintes toutes semblables apportées par un Jacobin de retour du Mont-Terrible le 29 vend. (Id , ib.).
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INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES 301
Le procureur syndic de Perpignan écrit, le 16 floréal an II (3 mai 1794) : « Dans ce moment aucun professeur ne propage l'instruction publique, ny ayant aucun individu qui aille s'instruire dans les différentes classes ». Il est vrai de dire que les classes de l'école primaire de la ville avaient été transformées en « magasin d'abondance » et celles du collège en hôpital militaire 1.
Dans la Haute-Loire, Guyardin mande, le 10 prairial an II (29 mai 1794) : « l'ignorance... est si épaisse dans ces contrées que les communes ne peuvent pas trouver d'instituteurs pour tenir les écoles primaires » 2.
UNE PREMIÈRE STATISTIQUE. — Pour l'année qui suit, nous avons des renseignements plus complets. En effet l'article 3 d'un décret du 21 thermidor an II (8 août 1794), portait que les administrations de district feraient passer au Comité un état exact des écoles. Ces papiers ne semblent plus exister; s'ils ont été envoyés, ils sont égarés. Mais nous possédons une courte statistique dressée par les bureaux de la Commission exécutive de l'Instruction publique et retrouvée dans les papiers de Ginguené 3. Elle date du commencement de l'an III (12 brumaire—2 novembre 1794), et, quelque sommaire qu'elle soit, elle nous apporte des renseignements du plus haut intérêt.
Voici les résultats pour les pays à idiomes, c'est-à-dire ceux où l'école eût pu rendre le plus de services pour la propagation du français :
Côtes-du-Nord..
Saint-Brieuc. Aucun renseignement. Dinan. Peu d'écoles. Instituteurs ineptes. Pontrieux. 16 écoles sur 474. Loudéac. Point de renseignements.
Finistère
Quimper. Point d'écoles. Carhaix. —
Landerneau. —
Ille-et-Vilaine. .
Port-Malo. Quelques écoles. Redon. Point de renseignements. Bain. —
Vitré. Point d'écoles.
1. Torreilles et Despl., o. c., p 324 et n. 3. Cf. Six mois après la publication de la loi du 29 frimaire, cinq communes seulement du district de Perpignan avaient un instituteur. Une sixième aurait bien voulu confier l'instruction des enfants à un sergent-major, afin qu'il détruise « entièrement l'idiome catalan... pour le remplacer par le langage national », mais celte commune demeura sans instituteur, le sergent-major n'ayant pas obtenu l'autorisation de quitter son bataillon (Id., ib., p. 325 et n. 3).
2. Lett. datée du Puy, dans Aul., Act. du Com S. P., t. XIV, p. 13.
3. B. N., Nouv. acq. fr.. n° 9192. f° 39-45. Cf. Guill.,_ o. c., Conv., t. VI, p. 899 et suiv. J'y ajoute quelques renseignements fournis en exécution d'une circulaire de floréal an II par les agents nationaux (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 908).
4. En l'an II l'agent national disait 0 sur 70 (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 909).
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302 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Morbihan
Roche-des-Trois (Rochefort-en-Terre). Point
d'écoles. Josselin. Point d'écoles. Hennebont. —
Pontivy. —
Le Faouet. Quelques écoles. Ploërmel. —
Nord
Douai. Quelques écoles.
Cambrai. —
Le Quesnoy. —
Berck. Point de renseignements.
Hazebrouck. — I
Avesnes. —
Pyrénées (Basses)..
Pau. Écoles à moitié organisées. Oloron. Peu d'écoles.
Pyrénées (Hautes)..
Tarbes. 14 écoles sur 150.
Argelès. Écoles organisées en partie.
Bagnères. Peu d'écoles.
Pyrénées-Orientales.
Perpignan. Peu d'écoles. Prades. —
Meurthe
Nancy. Écoles organisées en grande partie.
Vézelize. 53 écoles sur 85.
Sarrebourg. Écoles organisées, excepté dans les
communes allemandes. Blamont. Écoles totalement organisées. Pont-à-Mousson. Quelques écoles. Salins-Libre. —
Dieuze. Aucun renseignement.
Moselle
Metz. Quelques écoles.
Briey. —
Sarreguemines. —
Bitche. Point d'écoles.
Fauquemont. —
Mont-Terrible. .
Porrentruy. Point d'écoles. Delémont. —
Rhin (Bas)
Strasbourg. Ecoles organisées excepté 13 2. Wissembourg. 5 écoles sur 220 3. Haguenau. 16 écoles sur 140. Saar-Union. Peu d'écoles.
Rhin (Haut). . . .
Colmar. Quelques écoles.
Belfort. Écoles organisées en partie.
Altkirch. 33 écoles sur 145.
1. Des renseignements antérieurs des agents nationaux disaient : Exécution intégrale ou a peu près (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 908).
2. En l'an II, 39 sur 69 (Id., ib., Conv., t. VI, p. 910).
3. En l'an II, d'après l'Agent national, 0 (Id., ib., Conv., t. VI, p. 909).
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INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES 303
En somme, d'après Guillaume, sur 557 districts, 350 ont fourni des rapports; 32 seulement ont des écoles organisées à peu près complètement; 41 ont des écoles organisées en partie. Dans les 277 districts restants, un nombre appréciable n'ont pas donné de chiffres, les autres déclarent avoir très peu d'écoles; il y en a qui n'en ont point du tout.
Il faut assurément tenir compte que certains pays ravagés par la guerre civile ou étrangère n'avaient rien pu créer. Mais l'ensemble du tableau est décisif. Le système avait échoué et des anciennes écoles il ne restait guère que des ruines 1.
1. Guillaume, o. c. Conv., t. VI, p. 907. On comparera sur l'Alsace, Letaconnoux, Ann. Révol.. t. IV, p. 685 et Arch. N., F1C III, Ht-Rhin. Sorgius cite Spach (Descr. du Départt du Bas-Rhin, par Migneret, t. III, p. 34). Celui-ci, historien très sûr, se fondant sur la statistique, écrit : « La secousse révolutionnaire conduisit à la fermeture de la plupart des Ecoles primaires, si bien que, le 17 mai 1791, il ne restait plus dans tout le département du Bas-Rhin que 29 écoles pourvues de leurs maîtres » (Die Volksschulen, p. 75).
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CHAPITRE II L'ÉCOLE NORMALE
FORMATION ET RECRUTEMENT. — Nous avons exposé plus haut comment l'idée d'écoles de maîtres avait pénétré en France. La nécessité imposait de former immédiatement les instituteurs qui manquaient. Grégoire avait déjà montré les grands besoins de l'instruction publique. Lindet (quatrième sans culottide—20 septembre 1794) avait fait prendre des décrets. Le 6 vendémiaire an III (27 septembre 1794) intervint le décret célèbre, qui instituait l'École Normale. Le citoyen Glêze de Strasbourg la demande encore quelques jours après : « Ne serait-il pas à désirer... que la Convention par un autre Décret appellât à paris un certain nombre de citoyens par District capables de devenir des instituteurs, et qu'elle y fasse ouvrir un cours d'Études gratuites pour les y former sans délai, et les renvoyer ensuite dans leurs Départemens respectifs? » (26 vend, an III—17 octobre 1794) 1.
Malheureusement, avant ce décret, Garat avait dénaturé le plan primitif, de sorte que l'École Normale de l'an III, devenue une sorte d'École d'enseignement supérieur, ne correspondit plus du tout ni aux besoins, ni aux intentions de la Convention.
Elle eut, on le sait, des maîtres excellents, mais ce n'était pas ceux qu'il fallait. Elle eut des élèves, mais ce n'était pas les jeunes gens qui devaient régénérer les écoles populaires. On a reconstitué partiellement au moins les listes. Elles ont de quoi surprendre 2.
Beaucoup de demandes témoignent cependant de l'espoir que l'en1.
l'en1. N., F 17 6891. On avait aussi établi des Écoles Normales à Naples, et prévenu le Comité (Arch. Aff. Étr., Fr. 1413, 147).
2. « Il avait été recommandé de préférer les candidats les plus instruits : mais, dans bien des districts, on n'eut pas l'embarras du choix ; en fait, il n'y eut d'exigé que le certificat de civisme. Les treize ou quatorze cents élèves que l'on avait ainsi recrutés formaient une masse très hétérogène, où tout différait, les origines, les âges et les degrés d'instruction. Dans leurs rangs, il y avait de ci-devant nobles et d'anciens prêtres ; il y avait des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, beaucoup d'hommes mûrs et même des vieillards ; on se montrait, assis sur les bancs, Bougainville, le célèbre navigateur, qui avait soixante-six ans. Un grand nombre d'instituteurs primaires avaient été désignés, surtout dans les campagnes. Dans les villes on avait pris volontiers des professeurs de collège, auxquels les événements avaient fait des loisirs. C'est ainsi qu'à Paris furent nommés Mahérault, Crouzet, les deux Guéroult, De Wailly, etc.
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L'ÉCOLE NORMALE 305
treprise avait fait naître, et dans les populations et chez les maîtres. Certains pensaient qu'il serait fait une sélection et qu'on appellerait ceux qui avaient fait preuve d'aptitudes pédagogiques. Parmi ceuxlà, il convenait de ne pas négliger les hommes qui avaient l'habitude de l'enseignement du français, matière essentielle.
Le citoyen Cuns, instituteur à Chénérailles, district d'Aubusson (Creuse), demande que les auteurs qui ont envoyé les meilleurs ouvrages au concours soient admis aux Écoles Normales. « En effet, le prompt besoin où se trouve la Nation d'universaliser la langue française dans toute l'étendue de la république par des principes uniformes de grammaire, de lecture, de prononciation aussi bien que de répandre des méthodes pour apprendre d'une manière uniforme les principes de...toutes les autres sciences, semble engager à choisir de préférence ceux qui ont déjà des principes sur les différentes matières » 1.
Divers articles du règlement étaient fort heureux. Organiser, à côté d'un enseignement dogmatique, des conférences, où les futurs maîtres, qui n'étaient plus des enfants, pourraient s'éclairer, faire leurs remarques, présenter leurs objections, c'était combiner des leçons et des débats, une Ecole et un Congrès 2.
Mais malgré l'exemple de l'École des Armes, ce n'est pas en quatre mois qu'on pouvait épuiser le programme, évincer les incapables, grouper les autres et les exercer. En outre, les conditions matérielles étaient mauvaises, les élèves étaient trop nombreux, les salles trop petites. Enfin, pour les lettres, les professeurs étaient mal choisis.
LA GRAMMAIRE FRANÇAISE A L'ECOLE. — En grammaire, un Domergue eût peut-être tout sauvé. Il fut d'abord question de Pougens 3.
Laromiguière, le futur professeur de la Faculté des lettres, figure sur la liste des deux cent cinquante élèves do l'Ecole, dont M. Dupuy a pu découvrir les noms ; mais on y compte aussi beaucoup de fonctionnaires, employés de diverses sortes, magistrats et greffiers. Il y a jusqu'à des militaires, des marins en activité de service, qui, on ne sait trop comment, avaient réussi à se procurer un congé plus ou moins régulier » (Perrot, L'Éc. Norm. et son centen., p. IX-X).
Les dossiers des Archives Nationales F 17 6891, renferment des pièces très curieuses. On y voit quantité de districts, de Wissembourg à Pontrieux, qui, faute de pouvoir déléguer d'anciens prêtres, ou parce que les jeunes gens instruits sont aux armées, ou parce que des maîtres en exercice ont peur de perdre leur place, n'ont su qui déléguer.
En revanche on constate que les patriotes de la Guadeloupe veulent envoyer
des élèves.
1. Arch. N., F 17, 6891 (18 brum. an III-8 nov. 1794).
2. De province, des « amateurs des beaux-arts » demandaient à suivre « médiatement » les leçons (Arch. N., F 17. 6891).
3. Le Comité d'Instruction publique l'avait choisi. Voir Guill., o. c., Conv., t. V, p. 159. 1er brum. an III (22 oct. 1794).
Histoire de la langue française. IX. 211
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306 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
L'homme, qui appartenait à l'École de Lacurne de Ste-Palaye, quï avait commencé à fouiller le trésor du vieux langage, qui a laissé des ouvrages et des manuscrits dont Littré a tiré le plus grand profit, eût peut-être versé dans l'érudition. Il eût peut-être aussi aidé à mettre la grammaire dans sa voie. Finalement, la préférence fut retirée à cet aveugle, elle alla à l'abbé Sicard, l'éducateur dessourds-muets, successeur de l'abbé de l'Épée.
Fourrier a fait de Sicard un portrait très nuancé : « Petit de taille, encore jeune, dit-il, il a la voix forte, distincte et timbrée. Il est ingénieux, intéressant, actif et sait comment occuper une grande assemblée. Il plaît à la multitude, qui l'applaudit à tout rompre. Il vante son art, sa méthode et ses principes, et parle à tout propos de l'homme de la nature qu'il prétend être le sourd et muet. C'est un homme de beaucoup d'esprit sans génie, qui paraît fort sensible et qu'au fond je crois modeste, mais qui a été séduit par je ne sais quel système de grammaire, qu'il prétend être la clef des sciences. Il parle souvent, longtemps et avec emphase ; il a dans l'accent et dans la diction quelque chose de capricieux. Son projet de grammaire, qui a des côtés brillants, est un des plus fous que je connaisse. Cependant on parle de l'adopter et même de le prescrire dans les écoles de la République. Si on en vient là, nous aurons de quoi rire. Du reste, Sicard est rempli de zèle et de patience et donne l'exemple de toutes les vertus, mais il est fou: et cela me fait songer qu'il plaît aux femmes, quoique petit et assez laid » 1.
Le professeur de grammaire, comme les autres, était essentiellement chargé d'apprendre aux futurs instituteurs à appliquer à l'enseignement de la grammaire française les méthodes tracées dans les livres élémentaires adoptés par la Convention nationale et publiés par ses ordres 2.
Sa carrière n'avait nullement préparé Sicard à ce rôle. C'était, dit M. Paul Dupuy, « les expériences des Célestins et du séminaire Saint-Magloire qui, en suggérant à Garat la pensée d'appliquer à l'enseignement primaire les procédés de la méthode de l'analyse, avaient déterminé la direction de ses vues sur l'École normale. A l'Ecole normale, Sicard se proposait de transporter ses procédés du séminaire Saint-Magloire : le programme de son cours d'Art de la parole annonçait un enseignement philosophique et scientifique qui devait aboutir à des applications pratiques et élé1.
élé1. par P. Dupuy, L'Ec. Norm. de l'an III, dans L'Éc. Norm. et son centen., p 140-141.
2. Décret du 9 brumaire an III (30 octobre 1794), art. 8.
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L'ÉCOLE NORMALE 307
mentaires pour les instituteurs. Lorsque le professeur aurait démontré que l'abstraction faisait le langage véritable, il indiquerait une méthode propre à conduire les élèves des écoles primaires à toutes les abstractions, par une opération très simple, très facile, qui rendrait l'abstraction visible en quelque sorte (son système de numération pour les sourds-muets). — Lorsqu'il aurait prouvé que tous les verbes pouvaient être rappelés et réduits à un seul, que celui-là tout seul méritait le nom de verbe, il dirait comment, dans les écoles primaires, la conjugaison de tous les verbes français pouvait être également réduite à une seule conjugaison ; il ferait voir comment on peut simplifier la théorie des temps en les distribuant en deux classes, les uns considérés comme absolus, les autres comme relatifs. — S'il racontait l'histoire dé l'écriture, ce serait de manière qu'elle pût être mise à la portée des élèves des écoles primaires. — S'il exposait les rapports de la Grammaire générale avec les grammaires particulières, ce serait pour tirer des principes qu'il aurait développés, pour en faire naître par voie de conséquence et comme dernier résultat l'ouvrage élémentaire qui pourrait être propre aux écoles primaires. — Et il concluait en annonçant « que l'art de communiquer de la manière la plus prompte et la plus sûre toutes les connaissances serait surtout la grande tâche de celui qui devait enseigner l'art de la parole ; il ne perdrait jamais de vue le but de l'École normale, lequel était moins d'enseigner la science que d'indiquer la marche que doit suivre l'esprit dans l'étude qu'il en veut faire ». Ainsi le seul programme de Sicard annonçait l'instituteur demandé parla Convention. Il annonçait du même coup une philosophie conforme à celle dont Garat donnait lui-même le programme » 1.
Le principe dont s'inspirait Sicard était, comme le lui fit judicieusement remarquer un élève nommé Latapie, des plus contestables. Ce disciple jugeait étrange que le maître présentât comme « les hommes de la nature » les sourds-muets, qui sont précisément victimes d'une « méprise de la nature ». Et Sicard n'eut rien à répondre de sérieux (Débats, I, 109, dans P. Dupuy, o. c, p. 132).
Il amenait ses sourds-muets, en particulier Massieu, et produisait avec eux des effets de sensiblerie. Son cours semblait moins fait pour éclairer que pour attendrir. On a cité son explication de l'origine du verbe être : « Nous apprendrons à notre élève que ce mot fut peut-être un des premiers que dut prononcer la tendresse de la première mère, qui voulut rassurer son mari sur l'apparence de
1. P. Dupuy, o. c, p. 110.
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308 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
mort de son premier enfant, endormi sur ses genoux. « Il vit, ditelle, il respire; j'entends le souffle de sa bouche (et une mère ne saurait s'y tromper), ce souffle est celui de la vie ; il existe, il est ». « Sicard ajoutait ensuite que l'explication, empruntée à Court de Gébelin, était peut-être plus ingénieuse que vraie, mais l'effet cherché était produit, et tous les pères de famille redevenus élèves pleuraient en pensant à leurs femmes et à leurs enfants »'.
DISCUSSIONS. — Outre les séances ordinaires, le règlement de l'École Normale prescrivait tous les quintidis une séance consacrée à l'étude et à la discussion des livres élémentaires, dont les professeurs avaient été chargés par le décret du 1er brumaire. « Autant que j'en puis juger, dit M. P. Dupuy, il y a eu en pluviôse et en ventôse 5 séances de quintidi, consacrées à l'examen des éléments de lecture et d'écriture préparés par Sicard. Celles du 15 et du 25 pluviôse ont été rapportées par la Feuille de la République du 18 pluviôse et celle du 1er ventôse ». Pour le 15, « Sicard, dit le journal, avait été chargé de lire le premier livre élémentaire. C'est une grammaire de sa composition. Elle n'a pas été à l'abri des observations critiques. Volney et Garat, en soumettant à leur collègue les objections qu'ils avaient à faire contre son ouvrage, ont donné aux élèves un modèle de conférence dont quelques-uns ont fort peu profité ». Pour le 25 : « Dans la séance de quintidi, un des professeurs, Sicard, soumettait à l'examen et à une discussion critique le premier livre élémentaire. La conférence a eu lieu entre lui et ses collègues, et quelques hommes de lettres invités à cette séance. La discussion a été vive et lumineuse, et elle a tourné tout entière au profit de l'instruction, puisque le professeur a renoncé à ses idées particulières pour adopter celles qu'on lui proposait avec avantage » 2. « Sur la séance du 5 ventôse, on trouve une allusion d'un élève dans le compte-rendu sténographique de celle du 9. On sait, par la Décade du 30, qu'à la séance du 15, Delille, étant entré dans la salle,
1. P. Dupuy, o. c. p. 145.
2. Un rapport de police est plus brutal. On le trouvera aux Archives Nationales :
« Esprit public. Instruction publique (Deuxième Decade Ventose An III). Il est un de ces professeurs dont la vue seule excitait l'enthousiasme pendant le premier mois de leçons; c'est le cit11 Sicard, il n'obtient plus de succès que quand il amene un sourd et muet, le jeune Massieu vrayement étonnant, les leçons de grammaire générale que donne le cit. Sicard sont mal digerées, sans methode, plutot étranges qu'extraordinaires, son système grammatical dont les préliminaires ont été victorieusement attaqués et renversés ne tiendra pas contre l'examen des hommes instruits. Le cit. Sicard avait d'abord apporté dans ses leçons beaucoup de jactance. Sa suffisance avait séduit la masse des éleves : mais pendant ce dernier mois, il a été beaucoup plus modeste, son ton est devenu moins tranchant et tous les jours il a rapporté quelques articles du décrèt de proscription que sa haute et profonde science avait prononcé contre tous les grammairiens » (F 17 6891, doss. 8).
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L'ÉCOLE NORMALE 309
fut salué par des applaudissements répétés. Enfin, il est probable qu'une dernière séance eut lieu le 25 ventôse, car, le 26, un membre du comité d'instruction publique, Lakanal ou Deleyre sans doute, demanda que l'ouvrage sur les éléments de lecture et d'écriture du citoyen Sicard fût imprimé en nombre suffisant pour être distribué aux membres de la Convention, que les planches en fussent conservées jusqu'après le rapport qui en serait fait à la Convention pour en demander l'impression définitive. Daunou et Grégoire furent au préalable chargés d'examiner le manuscrit et d'en faire un premier rapport au comité »1.
Il faudrait, pour juger en toute sûreté, avoir d'autres documents que le Manuel de l'enfance2, qui parut plus tard, et n'est qu'un traité de lecture, suivi de dialogues, où Sicard converse avec Massieu de divers sujets. Cette partie devait être suivie d'une autre qui renfermerait la grammaire.
Les Elémens de Grammaire générale appliqués à la langue française (Paris, Bourlotton, an VII) nous apportent quelques indications. Il semble bien que ce soit là un résumé du cours de l'auteur 3. Chaque chapitre comprend un développement, puis une leçon abrégée, où Sicard s'adresse à la fois aux instituteurs et aux « tendres mères ». Cette leçon est rédigée comme un catéchisme, par demandes et par réponses'*.
L'ÉCHEC. — En vérité, il ne sortit des leçons et des conférences
1. P. Dupuy, o. c, p. 164-165.
2. Le Manuel de l'Enfance contenant des élémens de lecture et des dialogues instructifs et moraux, dédié aux mères et à toutes les personnes chargées de l'Education de la première Enfance, par Roch-Ambroise Sicard, Instituteur des Sourds-Muets, et Membre de l'Institut national. Paris, Le Clerc, 1797, an V (Mus. péd., n° 33168).
Il est vraisemblable que ce livre a été composé bien avant l'an V, car le treizième dialogue roule sur les Écoles Normales. Il y est dit : « ils (les élèves) reviendront ensuite dans leurs départemens instruire à leur tour les maîtres des Ecoles Primaires, et surveiller les maîtres des Ecoles Centrales. De là naîtra l'uniformité d'enseignement » (p. 108). Le quatorzième roule sur le même sujet. Il explique comment à l'école primaire les enfants prendront une idée de ce que c'est que les sciences. Cette mentalité est celle de l'époque où la Convention créait son système.
3. 2 vol. in-8°. D'après l'éditeur, l'ouvrage était déjà commencé en l'an V, mais l'auteur fut « enveloppé dans le décret du 19 fructidor ».
4. L'auteur croit toujours qu'on ne peut fonder un livre pour l'enfance que sur les « vrais principes » : « Les principes généraux et éternels de cette grammaire logique sont ceux de toutes les langues. C'est d'après ses principes et ses règles que les grammaires de tous les idiomes ont dû être faites ; aussi avons-nous eu soin d'en rappeler les principes toutes les fois que l'occasion s'en est présentée. Et qu'on n'imagine pas que ces principes sont au dessus de l'intelligence de la tendre enfance. Il est bien plus difficile de mettre à sa portée ce qui n'est justifié que par les caprices de l'usage » (t. I, p. 306).
« Rendre moins difficile la pénible tâche des mères ; l'étude des enfants moins désagréable, et leurs succès plus prompts, j'ai tout sacrifié à ce but-là » (t. II, Introd.,p. VII).
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310 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
de l'École Normale ni un instituteur préparé, ni un livre adapté. Le seul vrai débat roula sur la réforme de l'orthographe. Nous le raconterons ailleurs.
L'école ferma. On trouvera dans l'étude de P. Dupuy et les Procèsverbaux de Guillaume les condamnations sévères dont elle fut l'objet à la Convention (27 germinal an III — 16 avril 1795). Seul Fourcroy en défendit le principe. La suite prouva combien il était dans le vrai. Le rapport de Daunou concluait à la suppression. Il fut adopté (7 floréal — 26 avril); on refusa même de prolonger l'essai jusqu'au 30 prairial (18 juin).
En vain une pétition signée d'une vingtaine d'élèves demandant la continuation des cours au moins jusqu'à ce que fussent rédigés les livres élémentaires, fut remise à la Convention 1. On passa outre. Seuls quelques jeunes gens furent autorisés à demeurer à Paris.
Quant aux Écoles Normales qui devaient être créées dans les départements, on y renonça. Le Comité n'apercevait plus « aucun moyen d'effectuer avec quelque utilité ce difficile et dispendieux projet » (Rapp. de Daunou) 2.
1. Arch. N., F17 1144 et 6891. Cf. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 133, 141.
2. Guill., ib., Conv., t. VI, p. 137.
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CHAPITRE III INFIDÉLITÉS A LA POLITIQUE SCOLAIRE
LA PORTE ENTREBAILLÉE AUX PATOIS. — Malgré cette déconvenue, la Convention ne renonça pas à organiser l'instruction publique. Le Comité adopta, les 28 et 29 vendémiaire an III (19 et 20 octobre 1794), un nouveau projet. Nous n'en retiendrons que deux articles. L'article 2 du chapitre IV disait :
« On enseignera... 4° les éléments de la langue française, soit parlée, soit écrite ».
L'art. 3 était ainsi conçu :
« Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, l'enseignement se fera en même temps dans l'idiome du pays et en langue française, de manière qu'elle devienne dans peu de temps d'un usage familier à tous les citoyens de la République ».
C'est le 27 brumaire que la Convention aborda les programmes. Barailon rejetait l'enseignement de la grammaire française dans les écoles de canton 1. Au cours de la discussion, il soutint opiniâtrément qu'on surchargeait le premier enseignement. L'article 2 fut néanmoins adopté. L'étude de la langue était maintenue 2.
Mais l'article 3 fit l'objet d'un vif débat, que nous croyons devoir reproduire intégralement, d'après le Moniteur : DUHEM. — Je vais proposer, comme doutes, quelques observations sur cet article. Je voudrais qu'au lieu de donner la faculté d'enseigner dans l'idiome, on se bornât à l'enseignement en langue française. Par là, vous forceriez bientôt tous les habitants des départements qui conservent des idiomes à ne parler que la langue mère. Si au contraire vous donnez vos leçons dans les deux langues, vous consacrez naturellement l'idiome, le patois barbare; vous accoutumez les citoyens à regarder le français comme une langue savante, à se faire une espèce de gloire de conserver celle que parlent leurs parents. Au
1. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 214, 217.
2. Id., ib., Conv., t. V, p. 232.
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312 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
lieu que si les enfants étaient instruits forcément dans la langue française, ils finiraient par y habituer peu à peu même leurs parents. Je désirerais donc que la langue française fût la langue dominante dans les écoles, sauf à faire usage de l'idiome comme d'un moyen accessoire. Je prie le rapporteur de donner son opinion à cet égard.
LE RAPPORTEUR. — Il est impossible dans l'ordre actuel des choses d'enseigner exclusivement dans la langue française. Il faut d'abord se faire entendre des élèves, qui, dans les pays d'idiome, arriveront aux écoles à six ou sept ans n'entendant, n'ayant parlé que cet idiome. Il faut encore qu'ils puissent eux-mêmes être entendus des autres citoyens ; autrement vous en feriez des petits êtres isolés, très malheureux. Au surplus le Comité d'instruction publique n'a point perdu de vue la nécessité de rendre la langue française dominante, et la rédaction de l'article le prouve, puisqu'il y a mis ces mots : « de manière qu'elle devienne, dans peu de temps, d'un usage familier à tous les citoyens de la République ». Il n'a voulu en laissant subsister les idiomes dans l'enseignement, s'en servir que comme d'un véhicule qui fit mieux comprendre la langue française.
ROMME. — Il est facile, je crois, de concilier toutes les opinions ; c'est d'adopter cette rédaction : « L'enseignement sera fait en langue française ; les idiomes ne seront employés que comme moyen auxiliaire ».
MASSIEU.— J'appuie cette rédaction ; la langue française est déjà devenue, je ne sais par quel empire, c'est sans doute par celui de sa beauté, de sa clarté, par celui des ouvrages sublimes qu'elle a produits dans tous les genres, la langue française, dis-je, est déjà devenue la langue universelle de l'Europe. C'est donc une raison pour que, dans les écoles de la République, cette langue soit préférée exclusivement autant que possible, et que, si les idiomes sont nécessaires, ils ne soient employés que comme des langages subsidiaires ; mais avant tout, parlons aux enfants la langue de leur pays, la langue française.
LE RAPPORTEUR. — Il n'y a qu'à ôter de l'article l'alternative de l'idiome, et alors l'article satisfera tous les esprits.
AUDREIN. — Je demande que nous nous en tenions au principe, et que nous décrétions simplement que l'enseignement sera fait en langue française.
EHRMANN. — Si vous adoptez cette rédaction, vous allez jeter la consternation dans tous les départements frontières, où, dans ceux du Rhin, par exemple, on ne parle et on n'entend que l'allemand. Décréter que l'enseignement se fera exclusivement en langue fran-
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INFIDÉLITÉS A LA POLITIQUE SCOLAIRE 313
çaise, c'est comme si vous décrétiez qu'à Paris on apprendra en grec les arts et les métiers.
Je demande la priorité pour la rédaction de Romme.
BOISSY. — Elle n'est pas française 1.
D'autres la demandent pour celle du rapporteur. La priorité est accordée à la rédaction de Romme. L'article 3 est adopté avec cet amendement 2.
L'EFFET DANS LE PAYS. — Il est bien certain que l'intention du législateur n'était que d'accorder des facilités passagères. On réservait les droits du français, on désirait même qu'il éliminât ses rivaux. Il n'en est pas moins vrai qu'on rompait avec les principes votés le 8 pluviôse, et qu'on créait un danger. Des tolérances justifiées ne pouvaient manquer d'être interprétées dans bien des endroits comme des autorisations. De toutes façons, c'était une fâcheuse rédaction que celle qui omettait de marquer le but nécessaire.
Les municipalités bien intentionnées ne se trompèrent pas sur les idées du législateur. Ainsi, à Douarnenez, on admit des maîtres ne sachant pas le breton, vu surtout que « l'intention du législateur était moins d'enseigner le breton que de le faire oublier » 3. Néanmoins il s'en fallut bien qu'il en fût ainsi partout et les idiomes rentrèrent, avec autorisation, dans l'école.
On voit même des jurys d'instruction se plaindre que la loi, en laissant au français la place à laquelle il avait droit, gênât le recrutement des maîtres. Voici ce qu'on écrit de Schlestatt, le 21 pluviôse an III (9 février 1793), un an après le décret Barère : « Au Représentant du Peuple, Bailly, en mission dans les Départemens du Rhin, etc. (Lettre adressée au Comité d'Instruction publique 20 frimaire an III, sur certaines dispositions de la loi du 27 brumaire) :
« ... Vous y verrez ce qui avait été fait avant la loi du 27 bru maire, ce qui reste à faire, et les difficultés presqu'insurmontables et de plus d'un genre, que l'instruction publique éprouvera encore longtemps dans les Départemens du Rhin. Les principales sont la pénurie des bons instituteurs et des institutrices, même des
1. Boissy a voulu dire, sans doute, qu'il n'était pas français de laisser aux idiomes locaux une place dans l'école publique. La nouvelle rédaction présentée par Lakanal, au contraire, « ôtait de l'article l'alternative de l'idiome », et rédigeait par conséquent cet article ainsi : « Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, l'enseignement se fera en langue française de manière, etc. ».
2. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 232-233, 26 brum. an III. Cf. Moniteur, réimp., t. XXII, p. 527.
3. Dan. Bernard, art. c, dans Ann. de Bret., t. XXVIII, p. 293.
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314 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
médiocres, laquelle provient de la nécessité de savoir le français et l'allemand, et le fanatisme d'un grand nombre de communes qui veulent assujettir les instituteurs à enseigner comme auparavant des doctrines et pratiques religieuses. Cette seconde difficulté est encore la plus invincible, et s'est beaucoup renforcée depuis l'époque de la lettre des citoyens Massenet et Kuhn... comme si le libre exercice des cultes... pouvoit jamais concerner les écoles primaires. Les Membres composant le jury d'instruction publique du District de Schlestatt. Signé, Massenet, Kuhn et Bavelaer »1.
Ce qui pressait le plus assurément c'était de ne pas laisser les enfants dans une ignorance complète, et de les mettre au moins en possession des éléments essentiels des connaissances, ensuite de répandre les idées de morale républicaine. La connaissance de la langue française ne venait qu'après. Il n'en est pas moins vrai que l'État commettait la faute, reprochée à l'Église, de sacrifier l'idiome aux intérêts de sa propagande. Et l'État n'avait pas sur ce point les mêmes droits qu'elle.
1. Imprimé, avec traduction en allemand, par Kuhn, de St-Nabor (Bibl. de l'Univ de Strasb., M. 122.761).
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CHAPITRE IV LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES
AJOURNEMENTS. — Huit mois après l'ouverture du concours, deux mois après la nomination du jury, le 26 fructidor an II (12 septembre 1794), Lakanal affirmait à la Convention que les livres qui devaient servir aux écoles primaires allaient être publiés. C'était faux. Le jury ne semble pas avoir travaillé avant cette date, et lorsqu'il se livra à un premier examen, il constata que les livres ne correspondaient pas aux vues de la Convention. Lakanal, revenant sur sa déclaration, en convint le 7 brumaire an III (28 octobre 1794) 1. On avait confondu « résumer » et « élémenter » 2. Il fut décidé qu'on s'adresserait à des hommes choisis : pour la grammaire, on demanderait à Pougens 3. Se mit-il jamais à la besogne ? Le 7 ventôse an III (25 février 1795), Lakanal prononçait encore une fois des paroles optimistes : « Les écoles primaires s'organisent de toutes parts, les livres élémentaires sont composés » 4. Il fallut en réalité les attendre encore longtemps.
LES CHEFS-D'OEUVRE TARDENT A VENIR. — Assurément on avait eu des propositions. Alphabets, grammaires, manuels d'orthographe étaient arrivés en nombre 5.
Aucun des « hommes de génie » sur lesquels on comptait ne se
1. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 183.
2. Sous le titre de livres élémentaires on vit paraître des manuels techniques de toute sorte.
Topsent annonce au Comité qu'après son arrêté du 27 floréal, qui invite les citoyens à composer des livres classiques (Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 543-546), le citoyen Romme a composé la Science de l'homme de mer. Rochef. 3 mess, an II (Id., Ib., t. XIV, p. 441).
3. Il fut nommé par arrêté du 1er brumaire an III, puis du 28 germinal, membre du jury.
4. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 341.
5. Je citerai d'abord une Grammaire offerte à Grégoire par Borrelly, le 13 prairial an II (Lett. à Grég., ms., p. 503).
Panckoucke fait hommage au Comité d'une Nouvelle Grammaire raisonnée à l'usage d'une jeune personne (6 vent, an III). Cf. sa Grammaire élémentaire et mécanique. 1795. On trouve aux Archives Nationales différents livrets : Aust. Morin, Alphabet conciliant l'orthographe et la prononciation (F 17 1008a, etc. Cf. 1008d, 1009A, 1506,1647, 1, 1771, 1, 1932, 4.), etc.
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316 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pressait de se mettre à l'oeuvre. Ces retards étaient peut-être plus graves encore que l'échec des Écoles Normales. A la rigueur de mauvais maîtres eussent pu suffire avec de bons livres. Sans ces instruments, rien n'était à espérer.
Le 7 fructidor an III (24 août 1795), il avait été décidé que le concours des livres élémentaires serait fermé; le 28 (14 septembre), le jury annonçait qu'il espérait avoir fini son examen dans la 2e décade de vendémiaire an IV. Ce n'est que le Ier brumaire qu'il présenta son rapport général. Le 2, fut remis le tableau de classement; le 3, le rapport sur les indemnités. La Convention se sépara le 4.
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CHAPITRE V DERNIER RECUL. ABANDON DE LA POLITIQUE SCOLAIRE
TOUJOURS PEU D'ÉCOLES. — On trouvera dans les réponses reçues par Lakanal, au cours de sa mission de prairial an III, des renseignements officiels sur l'état, non des écoles de français, qui n'avaient jamais eu qu'une existence précaire, mais des écoles primaires en général. Ces renseignements complètent ceux que j'ai donnés dans un précédent chapitre.
En voici quelques extraits, au hasard : Dans l'Allier, district de Cerilly, 32000 habitants, 18 écoles, 13 instituteurs, 9 institutrices; district de Monmarault, point d'institutrices, malgré les demandes des communes. Dans l'Aude, district de Lagrave, la majorité des arrondissements est privée d'instituteurs et d'institutrices. Dans la Charente, district d'Angoulême, sur 65 écoles, 22 instituteurs. Dans le Cher, si à Bourges tout va bien, dans la campagne sur 37 écoles, 9 ont un instituteur et une institutrice, 9 n'ont qu'un instituteur. Dans le district de Sancerre, 7 communes seulement sont pourvues. Dans le Tarn, 44 écoles, manquent 15 instituteurs et 36 institutrices; dans le district de Cadillac, 40 écoles, 24 instituteurs, 3 institutrices, etc., etc. On se plaint souvent de la qualité des maîtres aussi bien que de la quantité. Ainsi on mande de Monflanquin : « Sur 30 à 40 instituteurs qui se sont présentés et dont quelques-uns ont été nommés, à peine en comptons-nous deux qui sachent lire et écrire » 1.
On connaît par ailleurs des départements privilégiés comme la Meurthe. Dans le district de Lunéville, toutes les communes, sauf six, sont pourvues. Dans le district de Chateau-Salins, on se plaint que les chefs-lieux d'établissement d'écoles sont trop espacés. II y a néanmoins 6144 élèves, l'hiver bien entendu. Encore les instituteurs sont-ils d'anciens maîtres fort médiocres. A Vézelise, 2 052 élèves. Mais « les préjugés des parens les retiennent d'envoyer leurs enfants là où ils n'apprendront aucune religion ». A Blamont le nombre des élèves est assez élevé. Toutefois les maîtres sont peu capables, ils
1. Arch. N., F17 134435.
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n'ont « en général point d'idée de la grammaire française » ; le jury n'a pas eu à choisir. Les écoles de Toul comptent 2 073 garçons,
1 897 filles, l'hiver. Aucun renseignement sur Dieuze. Si insuffisants que soient de pareils résultats, ils dépassent singulièrement ceux qu'on avait obtenus ailleurs.
Pour le Midi, voici quelques résultats concernant divers districts 1 : Digne, 4 écoles sur 88 communes ; Barcelonnette, pas d'instituteur ; Castellane et Forcalquier, quelques instituteurs ; Marseille, 33 écoles ; Arles, écoles organisées; Tarascon, pas de renseignement; Grasse, pas d'école; Fréjus, 14 écoles; Saint-Maximin,
11 ; Barjols et Brignoles, quelques écoles; Apt, 34 écoles sur 49 communes ; Carpentras, 17 sur 52 2. D'après une liasse de correspondances émanant des Municipalités 3, dans le district d'Aix, en l'an III, 25 communes sur 58 étaient pourvues d'écoles. Inutile de poursuivre. L'insuccès des écoles publiques demeurait complet. Il en était de même jusqu'à Paris 4.
On se l'explique sans peine. La répartition prévue des écoles entre les communes était mal établie, les traitements promis étaient trop faibles, et ils furent irrégulièrement versés ; ce n'était pas une compensation suffisante que le titre, si prestigieux qu'on le crût alors, d' « instituteur ». Le recrutement fut déplorable; il fallut se contenter de maîtres sans préparation éprouvée, munis d'un brevet de civisme, qui prouvait juste autant qu'un certificat de catholicisme en ce qui concernait l'instruction et les capacités. Quelques maîtres manquaient de valeur morale ; ceux qui en avaient inspiraient eux-mêmes aux familles restées foncièrement chrétiennes une défiance invincible, que l'Église attisait, étant résolue à empêcher à tout prix l'expérience d'une école affranchie d'elle.
LA LOI DE BRUMAIRE AN IV. — On comprend que la Convention ne pouvait pas se séparer sans discuter encore une fois de l'Instruc1.
l'Instruc1. Bourilly, o. c, à Toulon, 12 instituteurs, 13 institutrices s'offrent, la plupart insuffisants ; à Aix, à Marignan, Charleval, Gardanne, il y a des écoles. (Arch. B.-du-Rhône, L. 799, dans Brun, Mém. ms.).
2. Brun, Mém. ms.
3. Arch. des B.-du-Rh. L. 800 (dans Brun, Mém. ms.).
4. Voir Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Consulat, t. III. P 79, 779 ; t. IV, p. 278, 279, 348, 571, 734; t. V, p. 97, 168, 274, 389, 424, 523. Consulter aux Arch. Nat. le carton F17 A 1320, et surtout 1344.
On a cité — avec quelle joie — cent preuves de la médiocrité des résultats obtenus. Je ne voudrais plus en donner qu'une. A Péronnas, commune distante de Bourg d'un kilomètre (304 habitants), on ne compte en 1808 que deux individus sachant lire et écrire, d'après un rapport du préfet Bossi (Aulard, Nap. et le mon., p. 54). La nouvelle génération, qui avait grandi sous la Révolution, était moins avancée encore que la précédente.
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DERNIER RECUL. ABANDON DE LA POLITIQUE SCOLAIRE 319
tion publique. Les plus modérés sentaient le besoin de l'assurer 1.
Hélas! la loi qui fut votée était une vraie loi de renonciation, au moins en ce qui concerne l'instruction primaire. Le 6 messidor an III (24 juin 1795), Boissy d'Anglas lut un Rapport, au nom de la Commission des Onze. Suivant les dispositions nouvelles, l'instituteur n'était plus salarié, mais seulement logé par la nation (p. 94). L'éducation des filles était remise aux soins éclairés de parents ignorants, et aux établissements libres et particuliers d'instruction (p. 99). Il n'y était question ni de l'enseignement du français ni même de l'enseignement en français.
Le 7 fructidor (24 août), le projet revenu au Comité d'Instruction publique fit l'objet d'un rapport de Lakanal. Il rétablissait des principes méconnus. L'art. 4 disait simplement : « Dans chaque école primaire, on enseignera à lire, écrire, compter, et les éléments de la morale ». L'art. 5 stipulait du moins : « L'enseignement sera fait en langue française » 2. Il ne devait pas subsister.
Une conférence eut lieu entre Lakanal et Fourcroy d'une part, représentant le Comité, Daunou de l'autre, représentant la Commission des Onze 3. Le projet du Comité fut adopté, mais avec suppression de l'art. 5, dont il ne resta rien dans la loi 4. Daunou, si longtemps en état d'arrestation, n'avait pas suivi le mouvement. Les autres membres de la conférence n'avaient plus, en présence des échecs, la conviction nécessaire pour défendre les principes de l'an II. Quoi qu'il en soit, on ne reculait plus, on abdiquait. La politique de la langue était abandonnée 5.
1. Panckoucke, qui n'était certes pas un Jacobin, écrivait encore avec la belle foi de jadis : « Cet objet (les progrès de l'instruction dans les campagnes, les petites villes) est d'une si grande importance, qu'il me seroit facile de démontrer que le salut de la République y est attaché » (Gram. étre et mécan., p. 62).
2. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 580. Ginguené, dans son rapport du 4 vendémiaire, était d'avis qu'il ne s'agissait que de multiplier le nombre des individus sachant lire et en état d'écrire, quoique mal et sans orthographe (Arch. Nat., F17 1697).
3. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 643.
4. Id., ib.,p. 793-794.
5. On insérait bien dans la loi que, pour être inscrit sur le registre civique, il faudrait qu'on sût lire et écrire, mais rien ne spécifiait en quelle langue (Id., ib., Conv., t. VI, p. 415).
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CHAPITRE VI
COMPENSATIONS.
LE FRANÇAIS PREND POSSESSION DU HAUT ET DU MOYEN
ENSEIGNEMENT
MAGNIFIQUES CRÉATIONS. — Si la Convention avait échoué dans sa lutte contre les langues vivantes, elle avait du moins triomphé des langues mortes, plus faciles à vaincre à coups de décrets. Le latin cessait partout d'être la langue de l'enseignement.
On sait quelle série de créations marquèrent cette dernière période. Or le français fut seul autorisé dans les grandes institutions nouvelles. Au Muséum d'Histoire Naturelle, à l'École des Travaux Publics, d'où sortit l'École Polytechnique, aux Écoles de Santé de Paris, de Montpellier et de Strasbourg, à l'École des Langues Orientales, à l'École Normale, et jusque dans le Cours d'Antiquités institué à la Bibliothèque par la loi de prairial an III 1, partout, dans ces établissements appelés pour la plupart à un si magnifique avenir, qu'on s'y occupât de lettres ou de sciences, qu'ils fussent théoriques ou pratiques, c'était une règle générale : on enseignait en français. Sous ce rapport, toute satisfaction était donnée aux aspirations modernes.
LE FRANÇAIS ET LES ECOLES CENTRALES. — Il ne pouvait pas en être autrement dans les Écoles Centrales. Si la politique de la langue était abandonnée ailleurs, dans des maisons qui devaient remplacer Universités et Collèges, il ne devait venir à l'esprit de personne d'introduire des maîtres incapables d'enseigner en français 2. La connaissance du latin ne pouvait y suppléer, d'abord parce que les
1. On crée l'École des Langues orientales (10 germinal an III-27 mars 1795). L'art. 4 porte: « Les... professeurs composeront en français la grammaire des langues qu'ils enseigneront » (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 21).
2. Une preuve entre plusieurs de la résolution qu'on maintenait de n'admettre point d'enseignement en latin, c'est le refus que le Comité oppose aux Administrateurs de Strasbourg qui demandaient d'attacher à l'École de Santé un jeune Danois, nommé Ahrend. Le Comité passa à l'ordre du jour : « La République ne peut... employer des individus qui ne parlent pas sa langue, la seule admissible pour l'enseignement dans les Ecoles de Santé » (Guill., o. c, Conv., t. V, p. 191).
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COMPENSATIONS 321
programmes des Ecoles Centrales étaient essentiellement scientifiques, ensuite parce que les élèves, faute de préparation, eussent été complètement incapables de suivre des cours en latin. De sorte que, même si on ne l'eût pas décidée, la substitution du français au latin était inévitable. Mais on la voulut expressément. L'article III du chap. I du décret du 7 ventôse an III portait : « Dans toutes les, Écoles centrales, les professeurs donneront leurs cours en français ».
Toutefois une autre mesure eût été nécessaire. Il eût fallu un enseignement suivi et méthodique du français. C'était dans ces écoles qu'il devait avoir sa place véritable et qu'il devait produire ses fruits. Comment ne fut-il pas institué ?
Le projet primitif du Comité prévoyait: Un professeur de grammaire et art d'écrire 1. Le 7 fructidor, dans son rapport, Lakanal inscrit encore : Un professeur de grammaire générale et de l'art d'écrire 2. Dans le projet commun de la Commission des Onze et du Comité, il n'est plus fait mention que d'un professeur de grammaire générale 3. Aucune disposition qui assure un enseignement méthodique et pratique de la langue nationale.
Lakanal en est-il responsable ? Dans son rapport du 26 frimaire an III (16 décembre 1794), défendant les lettres contre les reproches de J. J. Rousseau, il s'écriait : « Ressuscitez les langues anciennes pour enrichir la nôtre de leurs trésors ; les auteurs de l'antiquité respirent l'amour sacré de la patrie, l'enthousiasme de la liberté, et cette haine vertueuse que l'être sensible doit aux oppresseurs de l'humanité. Rapprochez de vous les langues principales de l'univers moderne ; ce n'est que par là que la vôtre peut se perfectionner. »4 D'un autre passage on peut inférer qu'il demeurait absolument opposé à l'enseignement en latin 5. C'est tout. Il faut ajouter que rien dans les considérants ne fait allusion directement ni à la valeur de la littérature française comme instrument d'éducation ni à la nécessité d'enfoncer aussi avant que possible dans l'étude de la langue par principes. C'est la grammaire générale seule qui remplira tous les rôles.
On ne pouvait commettre une erreur plus fâcheuse. Assurément les Écoles Centrales faisaient partie d'un ensemble et on avait
1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 574.
2. Id., ib., p. 581.
3. Id., ib.. p. 794 et 871.
4. Id., ib., t. V, p. 305.
5. Id. ib,, p. 303. Cf. « Les éléments... seront enseignes dans ces premiers établissements (les écoles de l'enfance) avec plus de choix et de variété, sans y être amalgamés avec ceux d'une langue certainement utile, mais qui, devenue l'unique véhicule de toutes les idées, retardait infiniment la marche de l'esprit humain dans les premières années de la vie » (Rapp. sur les Ecoles Centrales, 26 frim. an III).
Histoire de la langue française. IX. 21
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compté sans aucun doute sur les écoles primaires pour assurer les connaissances préalables, en particulier pour familiariser tous les enfants avec la pratique de la langue.
Il n'en est pas moins vrai qu'on méconnaissait une vérité proclamée depuis Rollin, et que les éducateurs des premières assemblées avaient défendue avec force : la nécessité d'apprendre le français « par principes ». Et, pour renier cette doctrine, on choisissait le temps où on renonçait à l'enseignement obligatoire du français dans les écoles primaires !
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CHAPITRE VII LE DIRECTOIRE. — INDIFFÉRENCE ET VEULERIE
DES AVERTISSEMENTS CONTINUENT A ARRIVER. — Divers personnages, aux prises avec les difficultés quotidiennes, ne cessaient de rappeler l'attention sur les embarras où les mettaient les idiomes, et sur le fâcheux état d'esprit des populations qui les parlaient.
La Correspondance de Grégoire à elle seule renferme plusieurs lettres dans lesquelles des curés constitutionnels communiquent leurs impressions et donnent de sages conseils. Le 3 ventôse de l'an V (12 février 1797), le curé de Flettrange écrit : « Le malheur de ce pays (de la Lorraine allemande et de l'Alsace) vient de l'ignorance de la langue française. Les malveillans leur ont faussement expliqué la constitution, les Ioix et les décrets, et ils ne cessent pas encore leurs horribles machinations, nous marchons ici sur un volcan, l'explosion sera terrible, si on ne prend pas les mesures les plus sévères pour éliminer les prêtres réfractaires dont le pays est rempli...
« L'an passé au mois de Messidor il ne s'en fallait que peu, et tous les patriotes étaient massacrés, en un jour sont arrivés processionnellement douze mille fanatiques à Fauquemont... Les horreurs de la Vendée se repeteront sous peu dans la Lorraine allemande et dans l'Alsace ».
Le 20 messidor an V (8 juillet 1797), le même curé mande encore: « Je remarque que nos confrères de la partie française sont mille fois plus tranquiles, le peuple y est plus instruit que parmi nos allemands qui sont superstitieux, ignorans et jurent in verba magistri »1.
En Alsace même, on entend exprimer des regrets sur la lenteur des progrès du français. Le 19 prairial an VI (7 juin 1798), l'évêque de Colmar, Berdolet, écrit à Rebour, Directeur de l'Imprimerielibrairie chrétienne, que son synode s'est tenu : « Tout a été traité
1. Corr.de Grég., Moselle, Bib. des Amis de P.-R.
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324 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
avec un concert édifiant et en langue nationale ; mais pour l'instruction des fidèles qui y assistoient, quelquefois en foule, et qui n'ont pas l'usage de la Langue françoise, les actes du Synode étoient en même tems traduits et publiés en langue allemande, ceux du Concile National avoient deja été publiés et imprimés de même en langue allemande ». Il ajoute: « Il seroit à souhaiter que dans mon diocèse il n'y eut que l'idiôme français »1.
Toutefois il fallait bien se plier aux nécessités, et faire contre fortune bon coeur. A Volgensbourg, canton de Huningue (Ht-Rh.), le 13 vendémiaire an VI (4 octobre 1797), on établit une imprimerie, pour répandre les traductions. Elle fut placée sous les auspices de Grégoire. 2
Naturellement le Directoire recevait, lui aussi, des informations : « Le fanatisme exerce encore son empire, surtout sur quelques cantons, sur ceux surtout où l'idiome allemand est en usage 3. Des prêtres déportés et séditieux parcourent... quelques cantons de ce département, notamment ceux où l'idiome allemand est en usage » 4.
ACTES ET PAROLES. — Malgré tout, la période de l'action énergique était passée. Je ne connais aucune mesure par laquelle le gouvernement ait essayé vraiment d'aider à la diffusion de la langue nationale. De temps à autre la doctrine s'affirmait et c'était tout. Ainsi le collège de l'Égalité, rue Saint-Jacques, avait été baptisé Prytanée français par le ministre, le 16 thermidor an VI (3 août 1798). Il avait pour directeur Champagne, et calquait en général son enseignement sur celui des Écoles Centrales 5. Mais des corrections importantes avaient été faites au programme. Lors de la distribution des prix, le 7 fructidor an VII (24 août 1799), en présence du nouveau ministre Quinette, Champagne prononça un discours 6 où
1. Corr. de Grég., Ht-Rhin. Bib. des Amis de P.-R.
2. « La traduction allemande de la lettre encyclique, des Annales de la religion, du Journal du concile national de france et d'autres ouvrages intéressants sont le fruit de nos veilles de six mois ». L'adresse est l'oeuvre des Frères Hagé, ci-devant vicaires épiscopaux, et directeurs de l'imprimerie épiscopale du Haut-Rhin (Corr. de Grég., Ht-Rhin, Bib. des Amis de P.-R.). Les auteurs espèrent bien être fournis de toutes les pièces et être considérés comme une succursale de la Librairie Chrétienne. L'évêque de Metz, Francin, envoie les prospectus des Hagé dans les parties allemandes de son diocèse; beaucoup d'ecclésiastiques s'y abonnent, mais les réfractaires interdisent ces publications « Il est domage, ajoute l'évêque, que le haut-allemand de cet ouvrage empechera
bien des pères de famille à y suscrire (sic) du côté de Thionville et Luxembourg » (Metz, 24 mai 1797, an V. Ib.). Cet évêque sait lui-même fort mal le français.
3. Etat du 1er fructidor an VI (18 août 1798) dans May o. c. , p 66
4. Rapport de Saulnier le jeune (frim. an VIII) Id., ib.,p 66.
5. Voir Aulard, Paris... t. V, p. 27 ; cf. p. 405, 435.
6. Paris, Bertr. Quinquet, an VII. Voir p. 16.
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LE DIRECTOIRE. — INDIFFÉRENCE ET VEULERIE 325
il disait : « La première et la plus importante (des langues vivantes)... est la langue française, dont les premiers élémens avoient peut-être — on remarquera ce peut-être — été trop négligés dans nos anciennes écoles. Cependant la grammaire est la première métaphysique à la portée des enfants... Une langue bien connue, et cette langue doit être la langue maternelle, facilite d'abord par ses analogies l'étude de toutes les autres ; de plus elle abrège toutes les espèces d'instruction parce qu'elle est un moyen de communiquer et de s'entendre bien, qu'elle établit entre le maître et l'élève ». L'orateur ajoutait: « D'après ces principes vrais, nous avons donné cette année, une attention particulière à la connaissance de la langue française, qui a été pour la première enfance, la plus importante et presque la seule étude ». C'était de la pédagogie, et non plus de la politique. Étaitce même de la pédagogie? Assurément il y a des mots de ministres qui sont des mots d'ordre ; il y en a bien davantage qui ne sont que du vent.
François de Neufchâteau, qui était grammairien et qui fut ministre, s'intéressait réellement à la langue et à la grammaire françaises 1. Les prescriptions qui concernaient l'enseignement en français furent renouvelées par lui.
VITESSE ACQUISE. — Là où les choses allaient, elles allaient de la vitesse acquise. Dans le Midi, des administrations continuaient à rechercher des instituteurs ayant une connaissance sérieuse de la langue nationale. En l'an VI, l'administration centrale du Var estime que les instituteurs doivent parler correctement la langue française et être exempts de toutes locutions vicieuses (22 pluviôse—8 février) 2. A Bayonne, le Commissaire du pouvoir exécutif fait des recommandations à ce sujet (avril 1796) 3.
Quand il y eut des préfets, ils n'eurent pas tous besoin d'être stylés. Certains gardaient la tradition, ainsi Laumond, du Bas-Rhin. En réorganisant ses écoles, il n'avait garde d'oublier la chose principale, à savoir la diffusion du français. Il tenait à ce que ses maîtres l'enseignassent « autant que les localités le permettraient ». Il avait seulement tiré une leçon de sagesse des années où l'on
1. Il était même puriste à ses heures. On trouvera aux Archives Nationales A. B. XIX, 84, une collection de notes et d'extraits sur diverses questions : fureter, l'accord des participes, la nécessité d'avoir une grammaire de l'Académie, les composés, les suffixes de dérivation, l'orthographe de guère, commencer à et commencer de, plus d'un, etc.
2. Bulletin Acad. du Var (1894, t. XVII).
3. Soulice, Notes pour servir à l'histoire de l'I. P. dans les Basses-Pyrénées, dans Brun, Rech. hist.. p. 193.
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croyait pouvoir tout improviser, et modérait son impatience: « Bornons-nous, disait-il, à propager le plus vite possible la langue française, et faisons-la de cette manière aller de pair avec la langue maternelle du département. C'est tout ce qu'on peut espérer. Semper cogitamus idiomate materno. S'il y a plus à désirer, ce ne peut être que l'ouvrage des siècles ».
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CHAPITRE VIII GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE
FAVEUR DONT JOUIT LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE. — Trois sections, comme on sait, se superposaient dans les Écoles Centrales. Le programme comportait 1° De douze à quatorze ans : dessin, histoire naturelle, langues anciennes, et aussi, selon la « localité », langues vivantes.
2° De quatorze à seize ans: mathématiques, physique, chimie.
3° De seize à dix-huit ans : grammaire générale, belles-lettres, histoire, législation.
Nous avons assez marqué l'engouement qu'a suscité au XVIIIe siècle la Grammaire générale 1 pour n'être pas obligé d'expliquer ici les raisons qui pouvaient la faire introduire dans le plan d'études de la Convention. Les grands réformateurs avaient demandé cette innovation 2.
Beaucoup de révolutionnaires en étaient férus, Talleyrand, Brissot, Daunou 3, Deleyre 4, Masuyer 6, etc. Mais c'est peut-être Lan1.
Lan1. de mes anciens élèves, M. Fouquet, préparait depuis de longues années, une thèse sur la Grammaire générale, quand un déplorable accident l'a enlevé à la science.
2. Je rappellerai seulement l'opinion de La Chalotais : « Il faut commencer par une Grammaire Générale et raisonnée, qui contienne les fondements de l'art de parler, qui donne une idée nette de toutes les parties du Discours, où l'on voie ce qui est commun à toutes les Langues, et les principales différences qui s'y rencontrent » (Essai,
p. 73)
3. « J'ignore si, au milieu des sciences humaines, il en est une seule qui l'emporte
en utilité et en intérêt sur l'analyse des sensations, des idées et des signes, et si parmi toutes les méthodes de penser, il en est de plus salutaires que celle qui consiste à reporter chaque conception à son origine, et à combler l'intervalle entre les systèmes et les sensations. Or tels seraient les infaillibles fruits d'un bon enseignement grammatical, et c'est ainsi qu'en apprenant à parler et à lire, vos élèves s'élèveraient sans difficultés, et presque d'eux-mêmes, à la théorie la plus claire et à la pratique la plus sûre de la pensée » (O. c, p. 27).
4. « Il y a des choses que tous doivent savoir, ou faire : tels sont les fondemens de la Constitution française ; les élémens de la grammaire générale raisonnée » (O. c., p. 19; cf. p. 23).
5. « Dans les gymnases ou Lycées on enseignera : la métaphysique des grammaires, la grammaire générale et particulière » (Projet d'I. P. Cf. titre IV, art. Il, 8°). Cet enseignement sera donné par un professeur de métaphysique des langues, grammaire générale et grammaire française.
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juinais qui fournit le plus bel exemple du croyant pour qui cette étude était le mode essentiel de formation de l'esprit à la pensée et au raisonnement 1.
LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET LES PLANS D'ÉTUDES. — Cette faveur dont jouissait la Grammaire générale lui avait valu de trouver place dans de nombreux plans d'instruction, parus un peu partout. On a conservé un Plan d'Instruction publique... comprenant les écoles primaires, secondaires et instituts, à établir dans la ville de Vienne ... ensuite du voeu manifesté par l'Assemblée électorale de District, dans sa session de novembre et décembre 1792... (Vienne, Jos. Labbé, 1793, in-12°). On y lit : « La troisième école est destinée aux élémens de la langue française ». Voici la première des leçons considérées comme nécessaires : « Grammaire générale rapprochée de l'intelligence des élèves, expliquée par les idées les plus simples, les termes les plus familiers, les exemples les plus sensibles, et appliquée à la langue maternelle » 2.
Le 1er brumaire an VI (22 octobre 1797), le Citoyen Joubert, président de l'Administration Centrale du Département de la Seine tiendra des propos analogues : « Est-ce que la grammaire générale n'est pas le premier degré de toute doctrine, l'instrument principal et des instituteurs et des écoliers ? Est-ce que les règles pour connoître la vraie
1. Il avait été professeur de droit à Rennes, en 1775 (à vingt et un ans). « Elu quatre ans après l'un des conseils des Etats de la province de Bretagne, dit-il, devenu ensuite membre de la Constituante et d'autres assemblées législatives, retourné en 1796, comme en 1791 professeur de législation », j'y trouvai « des élèves avancés en âge, pleins d'esprit el d'ardeur », mais qui «au milieu des troubles n'avaient pu suivre que très faiblement les premières études » et qui « étaient peu en état de comprendre mes leçons, quoique je les donnasse en français. Ils n'avaient pas acquis les notions métaphysiques les plus essentielles, bien loin d'avoir contracté l'habitude d'en faire usage, habitude si nécessaire, particulièrement aux jurisconsultes ». Lanjuinais ajoute : « J'étais convaincu dès longtemps que la science de la grammaire générale, qui bien entendue, peut se confondre avec la bonne métaphysique et la bonne logique, et pose même les londements de la morale naturelle, pouvait le plus efficacement suppléer à ce qui leur manquait, hâter et assurer leurs progrès dans l'étude à laquelle je devais les introduire, celle des lois positives, celle qui apprend à les interpréter, à les juger au besoin, à les corriger, et même à les projeter et à les rédiger ».
« La chaire de grammaire générale à Rennes avait un titulaire absent et non représenté. Je m'offris par zèle, et je fus agréé pour le remplacer provisoirement. Le premier donc en cette ville, j'enseignai la grammaire générale, non seulement aux étudiants en Droit public et privé, mais à d'autres élèves qui se présentèrent et qui furent assidus » (Disc, prélimin. en tête de l'Hist. nat. de la Parole, de Court de Gébelin).
Lanjuinais n'était pas seul à considérer la Grammaire générale comme capable de former l'esprit juridique. On trouve à la suite d'un rapport de l'an VIII un écrit qui définit la Grammaire générale comme une science importante, « qui est le fonds de la bonne logique ou plutôt l'enseignement de la constitution et de quelques maximes de droit » (Arch. N., F 17 A. 1314).
D'ailleurs le rapport ci-dessus déclare : « On n'apperçoit pas l'utilité d'une grammaire générale, parce qu'on n'apprend pas à faire des lois ». Lanjuinais, lui, n'apostasia jamais.
2. Arch. N., F 17 589, 593.
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GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 329
propriété des termes, l'accord du signe avec l'idée, la raison de l'usage, le fondement, j'ai presque dit, l'excuse des exceptions, ne sont pas d'une' nécessité qui ne souffre point de délai et à quoi il faut céder d'abord ? Eh bien ! ce cours est celui par où nos jeunes élèves sont invités à commencer. Au sortir de l'école grammaticale, où ils ont appliqué les généralités de leur théorie à la langue française, ils arrivent, sans avoir perdu de tems, sans avoir pris de détours, chez le professeur de langues anciennes »1.
Le point n'est donc pas de savoir pourquoi les spéculations de la Grammaire générale avaient été introduites dans les programmes, mais de déterminer quel profit on pensait en tirer pour la connaissance des langues. Sur le plan de Talleyrand, on ne peut se méprendre. Il demandait qu'on enseignât la grammaire en général, la syntaxe des langues anciennes comparée avec celle des langues modernes, la grammaire française en particulier, la comparaison du français avec les langues vivantes, les variations du français aux différentes époques. Tout cela gardait un caractère philologique, sinon exclusif, du moins prépondérant. C'était de la grammaire comparée plutôt que de la grammaire philosophique. Entendue ainsi, elle eût donné à l'étude de la langue un caractère scientifique qu'elle n'a pas encore.
Les dossiers des Archives Nationales 2 contiennent toutes les pièces nécessaires pour se faire une idée de l'enseignement qui fut donné. Ce sont d'abord les réponses collectives des professeurs des Ecoles Centrales, et un rapport du Conseil d'Instruction publique adressé au Ministre et divisé par Sections, dont l'une a trait à la Grammaire générale. Ce sont surtout les réponses fournies aux divers ministres : Fr. de Neuchâteau, Quinette et Lucien Bonaparte, de l'an VI à l'an VIII, par les professeurs de Grammaire générale, auxquels avait été adressé un Questionnaire détaillé sur leur nom, leur âge, leurs publications antérieures, les livres qu'ils avaient composés pour leur enseignement, surtout sur leurs méthodes et le nombre de leurs élèves de l'an V à l'an VII. Des lettres accompagnent le plus souvent les réponses au Questionnaire. Les professeurs ont en général exposé très exactement ce qu'était leur cours. Plusieurs ont envoyé des affiches, des brochures, des programmes, des cahiers de notes. J'ai dépouillé ces cartons avec grand soin. Ce n'est pas le lieu d'en analyser tout le contenu. Mais j'en tirerai les renseignements utiles à mon objet.
1. Disc. pron. le 1er brum. an VI à l'ouverture de l'Ec. Cµentr. de la rue Antoine.
2. F17 1344, 1-3.
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330 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
LES MAÎTRES. — Dans la séance du Comité d'Instruction publique du 21 germinal an III (10 avril 1795), les professeurs de l'Ecole Normale avaient exposé « qu'un établissement d'un degré supérieur à Paris, au milieu des Ecoles Centrales serait utile pour former les professeurs des Écoles centrales »1. Le 28, il avait été donné suite à cette observation. L'article 5 d'un décret du jour stipulait :« Le Comité d'instruction publique présentera incessamment un projet de décret pour organiser définitivement à Paris une École normale destinée à former des professeurs pour les Écoles Centrales ». C'était l'institution qui devait être créée au XIXe siècle. Mais le projet ne fut jamais élaboré.
Malgré cela, et quoique certaines chaires de Grammaire générale soient restées un temps vacantes, on recruta sans trop de difficultés des professeurs pour cet enseignement nouveau. Un assez grand nombre avaient appartenu au personnel des anciens collèges 2. D'autres avaient exercé diverses fonctions, suivi les carrières et fait les études les plus différentes.
L'un était mathématicien 3, un second botaniste 4, un autre théologien et évêque constitutionnel 5. Le Helloco, de la Lys, s'était engagé comme volontaire en 1792. J. Cazalis avait été Génovéfain, Ortolan, frère de la Doctrine; Lissès, du Pas-de-Calais, sortait de l'Oratoire. Arrachart, du Morbihan, d'abord précepteur, ensuite bibliothécaire, avait été employé à l'agence d'habillement et de recrutement.
Ces maîtres, de provenance si disparate, n'étaient pas pour la plupart dépourvus de culture, tant s'en faut 6. Certains avaient même subi des concours très sérieux, avant d'être nommés, ainsi dans
1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 61 et 93.
2. Rouziès, du Lot, ancien principal du Collège de Cahors et de Sarlat; Bignon, maître de quartier au Collège de Rouen; Barletti Saint-Paul, du Collège des Cadets d'Espagne; Minault, des Deux-Sèvres; Ricque, de la Vienne ; Bourgeois, de la Somme ; Chamberland, de la Côte d'Or, qui avait longtemps séjourné en Angleterre, et avait enseigné 14 ans à Oxford ; Henschling, de Bruxelles, qui avait enseigné l'hébreu, le grec, l'italien, l'allemand, l'anglais.
Philippon, du Loiret, Descole, du Gard, plusieurs autres encore avaient été maîtres de pension.
3. Poirrier, de la Loire-Infre ; de même Debrun, de l'Aisne.
4. Merlet La Boulaye, de Maine-et-Loire.
5. Barthe (P. Ben.) évêque du Gers, ancien professeur de théologie à l'Université de Toulouse, professeur à l'école du Gers.
6. Il existe dans le carton F 17 A. 1311, un écrit non daté qui dit: « Pour ce qui est des Ecoles Centrales, le rapport mentionne que parmi les professeurs de langues, il en est plusieurs qui ne savent que très imparfaitement l'orthographe ».
Cette même observation se retrouve sur un autre feuillet : « Entre ceux qui enseignent le latin il en est plusieurs qui ne savent que très imparfaitement l'orthographe de leur propre langue ».
Cela est très exagéré. J'ai lu les documents. Ceux qui présentent des fautes sont l'exception. Debrun, de l'Aisne, est parmi ces non-orthographistes. Mais c'est un mathématicien, aussi égaré dans la Grammaire que dans la « Nousiographie »
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GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 331
l'Yonne. Sans s'effrayer de la nouveauté du cours, sans se rebuter devant l'ignorance des élèves, les préjugés des familles, les calomnies des adversaires, ils ont cherché leurs matériaux, comme leurs plans, organisé leurs leçons avec un dévouement méritoire. Il n'est pour s'en rendre compte que de lire le dossier envoyé par Cazalis 1. Il a eu des audaces dont la moindre ameuterait aujourd'hui tous les grammairiens-amateurs assis en aveugles sur les marches du Pont des Arts.
Quand on a lu les cahiers et la correspondance des professeurs, qu'on a constaté leurs efforts et connu leurs déceptions, on s'associe au témoignage que leur rendait, le 16 pluviôse an VIII (4 février 1800), le Conseil de l'Instruction publique, composé de Lagrange, Garat, Palissot, Ginguené, Domergue, Lebreton, Jacquemont, Tracy : « Le cours de Grammaire Générale est un de ceux où le Conseil a remarqué parmi les professeurs le plus d'hommes distingués par leur lumière et par leur zèle » (Arch. N., F 17 13441).
A Paris, le jury avait été heureux dans ses choix. Il présentait : Suard, Domergue, Duhamel, Dumouchel, Thiébaut (de l'Académie
1. Ce Cazalis était poète en latin. Avant d'enseigner la Grammaire générale, il a éprouvé le besoin de consulter les autorités. Il est venu à Paris s'entretenir avec Domergue. Ses observations sont des plus curieuses : « L'opinion publique, écrit-il, le 20 floréal an VII (9 mai 1799), n'entend que la Grammaire françoise et influe pour dégoûter les élèves ».
« J'ai mis en mains à chacun la Grammaire de De Wailly et les Fables de La Fontaine. Je leur ai fait remarquer l'accord du substantif avec l'adjectif... » (Suit toute la Grammaire).
« Pour les former à écrire et à rendre leurs idées, j'ai commencé par leur faire faire des lettres, je leur lisois et fesois lire Mme de Sévigné, ensuite la fable dont nous avions fait l'analyse ».
Cazalis a essayé d'une orthographe simplifiée préconisée à l'École Normale : « L'usage que j'ai voulu essayer d'une nouvelle orthographe à l'exemple de la Grammaire de Roulfé, dont le raport (sic) a été fait à l'Institut national en l'an V, a jette de la défaveur sur le cours... Je reprendrai dans les programmes de l'an VII l'orthographe usitée ».
« Nous avons passé ensuite à la partie de la Grammaire qui traite des mots, nous avons comparé l'ancienne dénomination .. avec une nouvelle qui leur fournit l'idée attachée au mot par le caractère dont il est revêtu dans le discours... »
Dans cette nouvelle nomenclature : « les mots lien et qualification ont paru bizarres et ridicules ; j'en avois trouvé l'idée dans les leçons des Ecoles Normales, je les ai reformés dans mes cahiers de l'an VII ».
Un sommaire donne sa classification: nom, qualificatif, déterminatif et conjonctif. On a d'autres détails dans un imprimé qui est joint : le verbe adjectif y est nommé le qualifico-lien. Il y a un futur complétif : j'aurai fait ; trois modes: affirmatif. conditionnel, subordonné pétitif. L'infinitif y est l'abstractif.
Mais, comme le dit une nouvelle lettre du 11 fructidor an VII (28 août 1799) : Dans le département « les institutions particulières jouissent d'une préférence distinguée ».
« Vous nous représentez comme professeurs d'Ecole Normale, à l'égard des Instituteurs des Ecoles primaires, vous nous chargez de la confection des livres Elementaires... j'aurois eu besoin de votre autorité, contre le préjugé de l'ignorance la plus invétérée, pour qui tout ce qui sent la nouveauté est blasphème et malédiction ».
Le 13 vendémiaire an VIII (7 oct. 1799), encore une lettre du même : « On veut absolument me borner aux premiers éléments de la Grammaire françoise et dans l'abrégé de De Wailly » (Arch. N., F17 13442).
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332 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
de Berlin) 1. C'étaient là non seulement des hommes de valeur, mais des spécialistes, Domergue d'abord 2, Duhamel aussi 3. Ce dernier est le type du Condillacien. Il écrit : « Suivre une méthode naturelle et sûre dans l'étude d'une science, c'est bien faire la langue de cette science, et en bien faire la langue, c'est faire l'analyse des idées qu'elle renferme et y attacher des signes et des expressions analogues » (Mémoire joint au dossier). Un mot aussi sur Thiébaut de la rue « Antoine ». Il avait publié des Dissertations dans les Mémoires de l'Académie de Berlin, contre la méthode grammaticale fondée sur l'usage. Il est l'auteur de tous les articles raisonnes du Dictionnaire de l'Elocution française et du Dictionnaire grammatical de la langue française.
La province n'était pas dépourvue de ces spécialistes. Baradère, de Pau, auteur d'un traité d'Idéologie, en est un spécimen 4. Il faut nommer également son voisin, Estarac, des Htes-Pyrénées, qui a donné une Grammaire Générale en 1811; Benoni Debrun, de Soissons, auteur d'un Cours de Psychologie ; Mérandon, de Saône-etLoire, qui a mis l'apologie de la Grammaire générale en action dans une saynète, à la manière des débats scéniques de mode dans les anciens-collèges 5.
Mais peut-être le plus compétent était-il, malgré l'apparence, Le Helloco (de la Lys), qui semble s'être rendu compte de ce que valait la doctrine, et de ce que présentaient de hasardé ses a priori. Il fallait qu'il y eût souvent réfléchi pour se refuser à suivre Condillac, et le qualifier de « très léger, très superficiel » et surtout l'accuser « d'une inconcevable intrépidité dans ses assertions » (Arch. N., F17A 13442).
INDÉCISIONS. — Si on considère les choses d'ensemble, il n'y a point de doute que, dans un grand nombre d'écoles, on n'ait tâché
1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 115.
2. Domergue annonce à la fin de son livre, La prononciation françoise, un ouvrage: « Grammaire Générale simplifiée, appliquée particulièrement à la langue françoise. Cet ouvrage, convenable à toutes les bibliothèques, est principalement destiné aux écoles centrales. Il est sous presse » (p. 307).
3. Il avait enseigné dans des pensions, et donné pendant quatre ans, jusqu'en 1789, des leçons do langue française. Il s'était formé avec Beauzée. Maître de chambre particulière au Collège d'Harcourt jusqu'en 1792, il devint élève de l'École Normale, puis professeur et administrateur aux Sourds et Muets. Il a publié des études sur l'instruction publique avec Condorcet et Sieyès. Nous aurons à reparler de lui.
4. Il envoie au ministre un énorme cours de psychologie et de logique : « J'ai toujours pensé, dit-il, que le cours de Grammaire Générale devoit remplacer la Philosophie des anciens colleges, en ce qu'elle avoit de bon, et l'appliquer ensuite à la théorie du langage en général et de la langue françoise en particulier » (Pau, 15 fructidor an VII, Arch. N., F17A 13143). '
5. Cf. Picavet, Les idéol.. p. 39.
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GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 333
de donner au cours son vrai caractère philosophique. Les maîtres allèrent chercher leur bien partout parmi les doctrines des théoriciens. Ils dépouillèrent Port-Royal, Duclos, Dangeau, Dumarsais, Girard, Locke, de Brosses, Harris 1, Beauzée, Domergue, Garat et jusqu'à Fénelon et le P. Lamy. Mais c'est surtout Condillac et Court de Gébelin qui fournirent l'essentiel et servirent de guides, jusqu'au jour où parut l'oeuvre de Sicard : Eléments de Grammaire générale appliquée à la langue française. Tout cela forma à peu près l'amalgame qu'on voulait.
On vit des professeurs, dont l'esprit était habitué aux méthodes scientifiques, tel Merlet La Boulaye, d'Angers, proclamer : « Mon but est de former des observateurs » et s'aventurer avant l'ère de la philologie positive dans un exposé historique et comparatif 2.
Escher, du Bas-Rhin, avait fait, lui, une sorte de grammaire comparée où il rapprochait français, allemand, latin, anglais et italien 3. D'autres collègues, de formation allemande, se refusaient à suivre Condillac et s'enfonçaient dans le Kantisme, voire dans une sociologie historique avant la lettre. D'autres réunissaient dans des leçons communes latin et français, tels Domange, dans la Meuse, Bruno Benoît, dans les Bouches-du-Rhône 4. Enfin il y avait des professeurs — et ce ne sont pas les moins intéressants pour nous — qui s'en tenaient purement et simplement au français.
Il est visible que chacun suivait surtout ses inspirations et ses goûts. Ainsi un homme comme Barthe, du Gers, théologien de métier, n'était occupé que de philosophie et de métaphysique du langage. A aucun moment il n'eut l'idée de faire au français une application quelconque de ses théories.
Gattel, au contraire, le lexicographe bien connu, y employait tout son zèle. Il écrivait au ministre le 15 vendémiaire an VIII (7 octobre 1799) : « Les continuelles applications que je fais des principes géné1.
géné1. avait fait traduire Harris (Guill., o. c, Conv., t. V, p. 169).
2. Il écrit le 29 vendémiaire an VIII (21 oct. 1799) : « Nous nous sommes engagés dans l'étude de la langue française, ensuite j'ai fait le parallèle du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV ; j'ai aussi fait connaître la littérature italienne et j'ai fini par faire voir le progrès des Allemands dans les sciences, les belleslettres et les arts comme une suite du perfectionnement de la langue » (Arch. N., F17 A 13443).
3. Arch. N., F 11 A 1344 3. Il n'était point le seul qui sût les langues vivantes. Barletti St-Paul, Thiébaut, Bourgeois (qui donna une grammaire anglaise en l'an IX), avaient enseigné à l'étranger.
4. Le professeur de Grammaire générale à l'Ecole Centrale de Beauvais était Géruzcz. Boinvilliers y enseignait les Belles-Lettres. Mais il y avait eu en plusieurs endroits des arrangements entre professeurs. Ils s'étaient chargés, avec approbation du Ministre, d'un cours supplémentaire de langues anciennes. Tous les après-midi, Boinvilliers faisait un cours de grammaire française et de latinité (Charvet, Inst. publ. à Beauvais, p. 18).
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334 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
raux aux langues particulières soit anciennes soit modernes, sont surtout relatives à la langue française, dont je ne laisse échapper aucune occasion de rappeler les règles, d'éclaircir les difficultés. Je n'oublie point que mon premier devoir est de former des citoyens et que dans un état républicain, sous un gouvernement libre qui a pour base l'égalité établie par la nature entre tous les hommes, où chacun est appelé par la Constitution et peut être porté par son mérite aux fonctions publiques les plus relevées, chacun aussi doit travailler à pouvoir un jour les remplir dignement, en joignant aux vertus et aux lumières le talent de l'élocution, et par conséquent une connoissance approfondie de sa langue » (Arch. N., F 17 13442).
RÉPUGNANCES DES ÉLÈVES ET DES FAMILLES. ON NE TIENT QU'AU FRANÇAIS. — Beaucoup des collègues de Gattel éprouvèrent un grand embarras. C'est qu'en effet un cours se règle moins sur un plan d'études et une instruction ministérielle que sur les goûts des maîtres et les besoins des élèves. Si on prétend l'instituer ou le maintenir en opposition avec des voeux déclarés, surtout dans une école où le règlement permet de choisir, il végète, on le déserte, l'application de ceux qui le suivent baisse, les résultats sont médiocres.
Or les volontés du pouvoir tardèrent à s'exprimer et les préférences des élèves se manifestèrent tout de suite. Ils demandaient un enseignement du français ; souvent, quand on ne le leur donnait point, ils s'en allaient. Magin écrit des Ardennes : « Ce cours en l'an V a eu dans le commencement jusqu'à trente élève (sic), mais ce fut une méprise causée par l'ignorance de l'objet qui y est traité... Généralement on croyoit que ce cours n'avoit d'autre objet que l'enseignement de la langue françoise; on parut très surpris d'abord de s'être trompé. J'eus beau représenter... on m'écouta... mais le cours n'en déserta pas moins, au point qu'au bout d'un mois d'exercice, de trente il n'en resta que dix » 1 (Arch. N., F 17 13442).
Un aveu semblable est fait par le professeur des Landes : « Des élèves déjà âgés ne cherchent qu'à savoir l'orthographe » (Lett. du citoyen Magniez, 10 prairial an Vil. Arch. N., F 17 13442).
L'esprit positif régnait. On voulait des choses utiles, marchandes, non des spéculations : « La pluspart bornent leur ambition à acquérir la connaissance mécanique de la Langue française et de contracter par l'usage plutôt que par principes, l'habitude de parler et
1. Magin a publié des Etudes sur la langue française. Charleville, Buffet et Cie an XI avec une longue lettre de Sicard, Secrétaire de la Classe de Littérature et Beaux-Arts de l'Institut, datée de pluviôse an XI. Il ne semble pas, à en juger par l'échantillon que nous donnons, qu'il fût bien grand clerc.
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GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 335
d'écrire correctement. Tels sont ceux qui, se destinants à des arts d'industrie, au commerce, ou à l'agriculture, n'ont que trois ou quatre années à donner à leur instruction littéraire » (Lett. de Rouziès, du Lot). Comparez : « Les élèves dans ce département, appartiennent à des parens tous négocians, et qui hâtent, autant qu'il est en eux, la fin des études de leurs enfans ». On leur donnait donc ce qu'ils voulaient, les conjugaisons et l'accord, d'après Domergue (Lett. de Mareschal, 24 vendémiaire an VIII—16 octobre
1799, Arch. N., F17A 13442).
LA GRAMMAIRE FRANÇAISE SUBSTITUÉE A LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE. — Beaucoup de maîtres s'inclinèrent et réduisirent leur enseignement au français. Fabre mande de l'Aveyron (15 brumaire an VIII-6 novembre 1799) : « ... Les circonstances et la diverse portée des élèves ne m'ont pas permis d'embrasser toute l'étendue de l'institution... je me suis borné à leur faire suivre des cours ordinaires de grammaire française et latine. Quoi que mon cours n'embrasse pas cette dernière partie, j'ai cru devoir céder, surtout dans les commencements, aux instances de leurs parents» (Arch. N., F 17 13442).
Ollitrault avait fait de même à Quimper : « Au commencement de l'année dernière j'attendis quelque temps, mais en vain, des élèves de Grammaire générale. Prévoyant que je n'en aurois pas, si je n'en formois moi même, voulant de plus me rendre utile à mes concitoyens, j'annonçai... que je donnerois provisoirement, des leçons de Grammaire françoise... J'eus bientôt un assez bon nombre d'élèves, mais la plupart ne savoient qu'imparfaitement lire et écrire, n'en soyez pas surpris, citoyen ministre, les écoles primaires n'ont pas encore réussi dans ce pays, et les maîtres particuliers y sont très rares.
« Au commencement de celle-ci (cette année) point d'élèves encore pour la Grammaire Générale... ceux qui m'étoient venus n'étoient pas assez formés... et demandoient instamment à continuer la Grammaire françoise » (Lett. du 5 fructidor an VIII —23 août
1800, Arch. N., F 17 13442).
En l'an V, en Indre-et-Loire, il ne s'était pas présenté d'élèves pour le cours de Grammaire générale de Marc Corneille. Le professeur, voulant se rendre utile, a fait un cours de Grammaire française, qui a été suivi par un assez grand nombre d'enfants, de l'âge de 10 à 14 ans. Même programme et même succès en l'an VI (Arch. N., F 17 13442) 1.
1. Cf. « Si nous suivions ce plan, nous n'aurions pas d'élèves » (Varney, Hte-Marne, Arch. N., ib.).
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D'autres professeurs cédaient de même à leur public. ToussaintLarivière; du Calvados, avait fait précéder son cours de Grammaire générale d'un cours de Grammaire française et d'un cours de Grammaire latine, pour avoir deux langues à comparer. Ses élèves, entraînés, lui avaient demandé de faire imprimer les éléments de Grammaire française 1. Il continua à diviser son cours en deux années; il se sentait « obligé de s'arrêter longtemps sur la grammaire française que beaucoup d'élèves ont principalement en vue » (Arch. N., F 17 13442. S. d.).
Ailleurs il n'était point seulement question de préférences des élèves, mais de nécessités. Les malheureux n'avaient rien appris; même si on prétendait les mener au sommet, il fallait commencer par gravir les premiers degrés, « La jeunesse vient aux Écoles Centrales sans savoir même le français», dit la réponse collective des AlpesMaritimes (Arch. N., F 17 13441). Voilà la cruelle vérité qu'on pouvait méconnaître dans les bureaux et les Comités, à laquelle des maîtres doués de bon sens et de dévouement ne pouvaient pas fermer les yeux. Bon gré, mal gré, ils se « constituaient en instituteurs primaires ». Baradère lui-même a dû se résigner : « Les élèves étant dépourvus des connoissances preliminaires, je fus obligé de ne mettre entre les mains de mes élèves de l'an V qu'une petite grammaire française » (Arch. N., F17 13443).
Il n'est pas difficile du reste de voir que beaucoup de professeurs ont cédé sans regret à leurs inclinations. Domange, de la Meuse, avait l'horreur des spéculations en l'air. Sauger Préneuf, de la HauteVienne, sans partager les répugnances de son collègue, proclame les motifs qui lui ont dicté sa décision. Il n'a pas oublié qu'il parlait à des Français. « Parcourant les langues en général, nous avons dû... reposer nos regards plus particulièrement sur la langue maternelle. Je me suis attaché scrupuleusement à corriger leurs vices de prononciation les plus communs. J'ai dressé à cet effet un tableau : d'une part diction incorrecte, de l'autre diction correcte. Plusieurs pères de famille m'ont témoigné le désir de le voir imprimé 2 ». Descole a fait de même dans le Gard : « Comme c'est surtout la langue nationale qu'il importe de connaître dans ses procédés analytiques et tous ses moyens, je fais pour la majorité de mes élèves le plus d'appli1.
d'appli1. a de lui : Elémens de grammaire française, pour servir d'introduction au cours de grammaire générale à l'usage des élèves de l'Ecole Centrale du Calvados. Caen, an VII (Bibl. Strasb., n° 589).
2. « L'auteur laissera à l'amour que le Ministre a pour la langue le soin déjuger si ce travail ne pourrait pas un jour être de quelque utilité générale. En attendant, il joint des Solutions grammaticales, avec une lettre du citoyen Caminade, datée de l'an VI » ; Elle porte sur une des questions épineuses de la Grammaire : son et leur avec chacun, etc.
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cations qu'il est possible à la langue française. Je discute ses principes et ses usages, je remonte autant que possible à l'étymologie des mots, j'examine les différentes modifications qu'ils ont reçues... Cette partie de mon travail... doit être d'une utilité plus immédiate pour la majorité de mes élèves » (Arch. N., F 17 13442).
Personne n'a donné plus fortement que Sauger, de la Hte-Vienne, en répondant aux lettres ministérielles du 30 fructidor an VII (16 septembre 1799) et du Ve jour complre de la même année, les raisons qui imposaient de procéder ainsi, surtout en présence d'enfants qui n'ont pas même « les premières notions de leur langue et ignorent jusqu'aux principes généraux de l'orthographe» (Arch. N., F 17 13443).
Il semble qu'on ait senti, dans divers départements du Midi, que l'École Centrale offrait le moyen de généraliser la connaissance sérieuse de la langue. A la séance d'ouverture de l'École de Gap 1, l'un des professeurs, Rolland, prononça un discours où il disait : « On trouvera ici plus de temps pour la langue nationale, celle de toutes qui nous intéresse le plus et qui cependant est pour nous et pour tous les Provençaux une langue morte... Accoutumés dès le berceau à faire usage d'un dialecte vulgaire et grossier, il nous manque quand nous voulons nous énoncer ou écrire en français, cette aisance, cette facilité d'expression que, sous d'autres climats des hommes qui ne nous surpassent ni en talents ni en connaissances semblent tenir du sol qui les a vus naître. Dans nos conversations ordinaires, combien de termes impropres, de tournures vicieuses dérobées au patois ! Combien l'accent de ce patois ne défigure-t-il pas le français que nous parlons !... Telle est, s'il m'est permis de le dire, la tache originelle de ces contrées qui rend nécessaire dans le département un cours de langue française. Pour faciliter cette étude et en assurer les fruits, le patois sera proscrit dans l'enceinte de l'École Centrale » (1er nivôse an VI—21 décembre 1797).
D'autres ne donnent point de motifs, mais ils sont grammairiens français et ils enseignent comme tels. Le cours que Fontaine, de l'Yonne, présente le prouve. C'est un essai remarquable pour la partie française, qui est étudiée avec de la méthode et parfois avec un grand sens littéraire (Arch. N., F 17 13443). Magniez, dans les Landes, donne un abrégé de langue française qu'il a fait, « avec le secours duquel et des explications, les élèves peuvent rendre compte à la fin de l'année de toutes les parties du discours français ». De
1. Voir Bull. Soc. d'Etudes des Htes-Alpes, t. XI, 1892, p. 227 et Nicollet, Notice historique sur l'Ecole Centrale de Gap (1796-1804).
Histoire de la langue française. IX. 22
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338 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
même Durand, de l'Ain : « J'ai pensé qu'il falloit surtout instruire mes élèves de la théorie de notre Langue par la pratique, sans cependant négliger les règles » (Arch. N., F 17 13442, 15 vendémiaire
an VIII- 7 octobre 1799). De même naturellement Rolland, dont
nous parlions plus haut : « Il n'est pas nécessaire d'avertir que nous nous attacherons particulièrement à faire l'application des principes de la Grammaire générale à la Langue française, dont nous nous proposons de développer les règles, les usages qui lui sont propres, avec toute l'étendue dont nous serons capables » (Arch. N., F 17 13442, 19 frimaire an VII—9 décembre 1798). On peut ajouter Raybaud, des Alpes-Maritimes, Godfroy, de la Moselle, Gressot, du Mont Terrible 1.
Il se trouva même, paraît-il, un professeur, — un sot ou un sage ? pour annoncer un cours de « Grammaire générale française » 2.
Nous avons parlé des désirs des élèves; on voit ici les effets des inclinations des maîtres. Sans instructions précises, ils s'abandonnaient aux inspirations de leur conscience pédagogique, et chez presque tous dominait le sentiment de leur devoir envers le français.
AVANTAGES QUE LA GRAMMAIRE FRANÇAISE TIRAIT DE L'ENSEIGNEMENT DE LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE. — Pour mesurer tous les services que dans leur chaire de Grammaire générale les maîtres des Écoles Centrales ont pu rendre à notre langue, il faudrait considérer ce qu'ont fait non seulement ceux dont nous venons de parler, mais les autres, les philosophes. En fait, les plus entêtés de Grammaire générale ne pouvaient, sauf exception, en présence des élèves qu'ils avaient, appuyer leurs analyses sur d'autres langues que la française. Ils y prenaient non seulement leurs exemples, mais souvent leurs idées et ils y rapportaient leurs doctrines.
Naturellement leur marche n'était pas toujours la même. Tantôt le cours de grammaire française servait d'introduction aux généralisations, tantôt les principes généraux étaient posés d'abord, puis suivis d'applications à la grammaire française. Il est bien évident que c'était la première manière qui était la bonne, et pour attirer
1. Ce dernier distingue avec humour ce qui devrait être et ce qui est : « Peut-être au moins paroîtroit-il naturel de dire quelque chose des règles particulières de la langue maternelle ; mais nous devons en supposer la connoissance dans nos élèves, dont les premières éludes ont, sans doute, été basées sur ce fondement essentiel ». En fait, lui aussi répare, et explique aux élèves sortis récemment des Ecoles primaires les règles de la langue française « d'après les principes de Vailly » (Arch. N., F17 1344A, 2 et 3).
2. Ollitrault témoignait au ministre sa crainte que la grammaire qu'il enseignait à Quimper ne ressemblât trop à la Grammaire générale (5 fructidor an VIII— 21 août 1800).
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GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 339
les élèves, et pour fonder les considérations philosophiques sur une base. Delarivière, du Calvados, en usait ainsi. De même Abbey, du Jura; Layer, d'Eure-et-Loir; Vidal, de la Drôme ; Fontaine, de la Nièvre 1; St-Quentin, de l'Allier ; Carrère, de la Hte-Garonne.
Cependant il arrivait qu'on commençât à rebours, par les abstractions. Les choses se passaient ainsi dans la Lys. Le professeur, Draparnaud, dans la première année de son cours, « analysait la pensée dans l'esprit qui la conçoit, ce qui donne l'analyse de l'esprit humain; dans la deuxième année, il considérait la pensée dans le langage, qui l'exprime » (Arch. N., F 17 13441). De même Mangin, dans la Meurthe ; Debrun, dans l'Aisne ; Bardon, dans la Sarthe, etc.
De toutes façons et malgré les différences de plan, le cours, quand il ne débutait pas par une étude exclusive du français, y aboutissait.
OBSERVATIONS DE L'ADMINISTRATION. — Il semble bien toutefois que, jusqu'à la fin, l'Administration centrale ait cherché à s'opposer à cette déformation, et tenu à conserver au cours de Grammaire générale le caractère d'un cours de philosophie 2. Était-ce là désir de répandre des idées philosophiques en accord avec la politique religieuse du Directoire ? En tous cas, si on s'en fie au rapport que nous avons cité, les professeurs qui se bornent à enseigner la grammaire française n'ont pas l'air d'être bien vus en haut lieu. Le rapporteur dit même textuellement qu'ils n'ont pas compris le but de leur cours. François de Neufchâ*teau, Quinette, leur recommandent successivement de ne pas perdre de vue l'objet propre de la chaire. Ce dernier finit par préciser.
Dans une circulaire du Ve jour complre de l'an VII (21 septembre 1799), il se reporte à la circulaire de Fr. de Neufchâteau du 20 fructidor an V (6 septembre 1797), et ajoute : « Ne sachant pas comment vous envisagez l'ensemble de votre cours, je vous ferai ici quelques observations que je crois utiles, parce que je m'aperçois que plusieurs Professeurs de grammaire générale n'ont pas vu toute l'étendue de l'enseignement dont ils sont chargés : ils se croient bornés à la grammaire, et c'est à tort.
« Le nom de grammaire générale donné à la chaire que vous occu1.
occu1. Je croyais devoir commencer par les mots pour déguiser « la sécheresse de l'idéologie », et la faire découler par intervalles de quelques observations bien senties dans la langue maternelle » (Lett., 15 vendémiaire an VIII-7 oct. 1799, Arch. N., F17A 1344A3).
2. On entendit Binet, professeur de langues anciennes à l'Ecole Centrale du Panthéon, démontrer que logique et grammaire étaient inséparables et se fondaient dans la Grammaire générale (Discours pron. à la rentrée des Ec. Cent., p. 28-29).
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340 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pez, ne doit pas faire illusion. On ne pouvait, sans doute, en choisir un plus convenable, par beaucoup de raisons; mais, quoique préférable à tout autre, il a l'inconvénient de n'exprimer qu'en partie ce que vous devez enseigner : car votre cours doit comprendre l'idéologie, la grammaire générale, la grammaire française et la logique.
« En effet, citoyen, dans l'ensemble de l'éducation, votre cours doit être le complément et le couronnement du cours de langues anciennes, et l'introduction aux cours de belles-lettres, d'histoire et de législation. Or vous n'ignorez pas que dans le nouveau système d'instruction, auquel préside exclusivement la méthode qui consiste à aller toujours du connu à l'inconnu, les Professeurs de langues anciennes doivent, avant d'entrer en matière, faire observer aux enfans, comment, depuis leur naissance, ils ont appris le peu qu'ils savent; leur faire remarquer ce qu'ils font quand ils pensent et quand ils parlent; c'est-à-dire, leur donner les faibles notions d'idéologie et de grammaire générale qui sont à la portée de cet âge, et qui sont nécessaires pour bien comprendre les règles d'une langue quelconque, et pour en abréger l'étude.
« Pour la même raison, votre cours venant après celui de langues anciennes, vous devez d'abord profiter des connaissances acquises par les élèves dans cet intervalle, pour leur donner des leçons plus approfondies sur l'idéologie et la grammaire générale; car c'est là l'époque où ils doivent apprendre réellement ces deux sciences. Ensuite, il faut appliquer ces connaissances à la grammaire française, puisqu'elle est le premier pas dans l'étude des belles-lettres; et enfin, il faut en tirer les règles de l'art de raisonner, puisque c'est là le fil conducteur qui doit aider les jeunes gens à apprécier les hommes et les choses, les faits et les institutions, dans les cours d'histoire et de législation, et les guider pendant le reste de leur vie » (Arch. N., F1A 23).
LES RÉSULTATS. 1 — Ces instructions venaient trop tard. Le cours de Grammaire générale, même en recevant cette nouvelle orientation, ne pouvait réussir. Offert à des jeunes gens que leurs études antérieures n'y avaient pas préparés, et qui étaient peu capables de le suivre, trop abstrait surtout, en opposition avec les tendances
1. Il faudrait, pour que cette étude fût complète, l'étendre aux livres contemporains qui traitent du même sujet. Nous en avons cité déjà. En voici d'autres : Dangremont, Méthode logico-synoptique (Voir Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 612, 14 fructidor an III); J. Edme Serreau, Grammaire raisonnée et principes de la l. fr., an VII (Arch. N., F17 1011 1301) ; Arnaud, Principes de lecture ; Rouilleau, Livre pour apprendre à bien lire le fr. an VII (Ib„ 1369). Cf. Ib., 1512, 1588 ; Loneux, Grammaire générale appliquée à la langue française. an VIII (Ib., 1623).
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GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 341
réalistes de l'époque, en outre par son caractère philosophique, suspect aux catholiques, il ne pouvait avoir que peu de succès. Nous donnerons plus loin des chiffres. Ce que nous voulions montrer ici, c'est qu'en fait la langue et la grammaire françaises furent enseignées dans la plupart des Écoles Centrales, mais pour ainsi dire subrepticement et faute de mieux. Ce n'était pas là que la politique scolaire de la Révolution aurait dû aboutir. Binet, dans un Discours, en l'an VII, examina la question que nous venons de nous poser et essaya de démontrer que l'enseignement du français était vraiment assuré par le régime d'études qu'on avait établi.
« On peut se demander... dit-il, pourquoi parmi les cours qui composent les Écoles centrales, il n'en existe pas encore pour la langue française. Qu'on ne croie pas qu'elle y soit oubliée. Nous osons dire au contraire qu'elle y est enseignée continuellement, et de la manière la plus étendue qu'il soit possible.
« Nous sommes loin de contester l'utilité, la nécessité même d'un enseignement spécial à cet égard, pour des élèves qui se borneroient à cette partie de l'étude, et à qui leur âge, leur inclination et leurs vues diverses ne permettroient point d'aller au delà. Mais ceux qui se proposent de parcourir toute la carrière, chaque pas qu'ils y font doit les avancer d'autant dans la connoissance de leur langue maternelle. Nous ne sommes plus dans ces siècles, où le Latin étoit le seul interprète de toutes les sciences; où le bon Français encore neuf et à peine formé étoit exclu comme barbare des écoles publiques' de France. Les tems sont bien changés, et le bon Français à son tour, réduisant insensiblement le Latin à lui-même, s'est emparé de tous les genres d'enseignement. C'est en français que le maître enseigne, c'est en français que l'élève est obligé de recueillir et de rendre les leçons du maître. En apprenant sa langue par cette voie, on ne peut pas dire qu'il apprenne seulement des mots : l'histoire naturelle, la physique, la chimie ne lui disent le nom des choses, qu'en lui mettant les choses mêmes sous les yeux; l'histoire et les sciences morales ne lui parlent que sur des idées qu'il trouve en lui-même ; les belles-lettres ne sont elles-mêmes que la perfection du langage; et du côté des langues anciennes, la traduction des auteurs qui fait la base de cette étude, n'est-elle pas un exercice continuel de langue française ?
« Qu'aura-t-il donc manqué à l'élève à la fin de ses cours, pour savoir sa langue maternelle? Sera-ce la connoissance des principes? Il y en a de généraux, il y en a de particuliers. Quant aux principes généraux du langage, naturellement abstraits et au-dessus de la portée des commençans ils les retrouveront, plus avancés en âge,
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342 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
dans la grammaire générale qui les attend pour cet effet à la fin, de la carrière. A l'égard des règles les plus faciles et des formes particulières de la langue française, outre qu'il est à présumer que désormais l'élève n'arrivera guère à l'époque de son admission aux écoles centrales sans cette étude préliminaire, qui ne scait qu'elles se combinent nécessairement avec les élémens des langues anciennes, et que la première attention d'un professeur, est d'en faire observer les rapports et les différences » 1 ? Tout cela n'était vrai qu'en partie 2.
1. Rec. des disc. et des prix de poésie... Imp. du Dépt, an VII, p. 31-33.
2. Cyprien Godfroy, professeur de Grammaire générale, à l'Ecole Centrale de Metz, juge mieux la situation. C'était un ancien lazariste, né à Briey en 1760. En octobre 1797, en réponse à une circulaire du Ministre de l'Intérieur (20 fruct. an V-6 sept. 1797), il dit que, dans la plupart des écoles, les professeurs de Grammaire générale, de langues anciennes, d'histoire et même de belles-lettres n'ont que point ou peu d'élèves. Il ajoute qu'il faudrait d'abord apprendre la grammaire qu'on ne sait pas, et qu'ensuite seulement on pourrait envoyer les élèves au professeur de langues anciennes : « L'on n'auroit plus à faire aux Ecoles centrales ce reproche trop fondé qu'on ne peut y apprendre ni français ni latin ».
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CHAPITRE IX DÉVELOPPEMENT DES ÉCOLES CENTRALES
FAITS ET LÉGENDES. — Malgré la légende, la prospérité des Écoles Centrales, loin de diminuer, s'accrut d'année en année.
On a fait grand bruit des insuccès. Il y en a eu. L'école de la Vendée n'avait que 50 élèves. Mais comment en eût-elle attiré beaucoup au lendemain de l'insurrection? Le Vaucluse n'en comptait que 68. Ce pays aussi avait été trop profondément agité pour qu'il en fût autrement. Il faut ajouter qu'en cinq ans, cinq ans de tourmentes, de guerres étrangères et civiles, une institution d'une conception si nouvelle n'avait guère eu le temps de faire ses preuves nulle part. Cependant on constate que, de l'an V à l'an IX, les progrès de la plupart des écoles ne cessaient de s'affirmer. A la fin un grand nombre d'entre elles étaient en pleine prospérité. Celle de Besançon était devenue « tellement célèbre », qu'elle comptait 500 élèves, en l'an IX; et elle en avait de 31 départements différents 1.
Celle de Strasbourg était également en très bonne voie 2. De même celle d'Auxerre 3, celle de Montpellier 4, celle de Toulouse, celle des Landes, dont la population avait quadruplé 5. A Rodez, on comptait en l'an VI, 248 élèves; en l'an VII, 321; en l'an X, 386 6.
Au cours de Grammaire générale, il se trouva dans quelques départements, comme les Bouches-du-Rhône, qu'aucun élève ne se
1. Statistique du dépt du Doubs, in-8°. Le Préfet signale que beaucoup de Suisses viennent à Besançon suivre les cours.
2. « L'école centrale long-temps déserte, n'a commencé à être fréquentée qu'en l'an.IX. Le zèle des professeurs, et les progrès qu'ont faits les jeunes gens, dont le public a été à même de juger dans les exercices qui ont eu lieu à la fin de ladite année, ont vaincu la répugnance que les parens témoignaient à envoyer leurs enfants aux différens cours d'éducation. L'école centrale compte, proportionnellement à la localité, un aussi grand nombre d'élèves que les écoles les plus distinguées de la République » (Laumond, Statist. du dépt du Bas-Rhin. Cf. Jardinet, Statist. du dépt de Sambre-et-Meuse, p. 39).
3. Picavet, Les Idéol., p. 42.
4. Id., Ib., p. 44.
5. Décade du 20 vendémiaire an VII.
6. Lunel, Histoire du Collège de Rodez, dans Picavet, o. c, p. 47, n. 2
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844 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
présenta 1. En Lozère, un seul élève s'était inscrit et il se retira à la fin de germinal. Il allait travailler à la terre, sans doute. Nous voilà loin du Bas-Rhin, où Grassot réunissait 58 élèves 2, ou bien de l'Hérault où le citoyen Draparnaud accusait 200 auditeurs. Toutefois, quand on le voit ajouter que 75 écrivent sous sa dictée! l'attention doit être mise en éveil. Ces étudiants en Grammaire générale étaient évidemment des commençants, qui apprenaient l'orthographe. Et il y a lieu de croire qu'il en était de même ailleurs. Les plaintes et les observations que nous avons résumées plus haut le disent clairement. Mais la chose au fond n'a pas pour nous grande importance, puisque ce que nous cherchons à connaître, c'est le développement des études de langue française.
1. Le professeur, en présence de cette situation, prit le parti de faire du français.
2. Le dessin en attirait 85, les langues anciennes 46, les belles-lettres 15, la législation 2.
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STATISTIQUE DES ÉLÈVES DES COURS DE GRAMMAIRE GÉNÉRALE D'APRÈS LES DOCUMENTS DES ARCHIVES NATIONALES F 17A 1344.
AN V AN VI AN VII
Ain 5 4
(16-28)1 (14-16)
Aisne. ... 10 42
(13-18) Allier. ... 1 7 13
(13-16) Hautes-Alpes.. 10 8 14
(14-22) (18-20) (15-19)
Ardennes. . . 10 5 -+- 3 7
Aube. . . . peu d'élèves 17 30
(14-22) Bouches-duRhône.
Bouches-duRhône. . 00 00 00
Calvados. . . 10 à 18 20 26
Côte-d'Or. . . 75 96 133
Creuse.. . . 404 7 4, 12, 15
(12-15) (16-17)
Doubs. . . . 12 15 40
Gard. ... 12 à 18 12 à 18 12 à 18
Haute-Garonne. 20 20 30
(10-15) (10-15) (11-19)
Gers. ... 5 ou 7 6 ou 7 5 (même âge)
(16-18) (16-18)
Hérault. . . 2006
Ille-et-Vilaine. 20
(16-22) Indre-et-Loire. 3
(14-16) Isère. ... 10 5 7
(16 et plus) Jura. ... 15 24 19
(16-20) (16) (17-25)
Landes.. . . 23 32 46
(14-18) Loire. . . . 10 10 12
(12-14) (13-15)
1. Les chiffres de la seconde ligne, entre parenthèses, indiquent l'âge des élèves.
2. Pour les principes généraux, 14 pour l'application à la langue française.
3. En l'an VI, il (le professeur) a donné des leçons de grammaire française à dix élèves.
4. « Par le beau temps ».
5. 25 après la conscription.
6. 75 écrivent sous la dictée. En l'an VI, l'école de l'Hérault avait 80 élèves en Grammaire générale, d'après les sources consultées par A. Duruy.
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346
HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
AN V AN VI AN VII
Haute-Loire. . 22 à 28 36
(12-17) (12-18)
Loire-Inférieure. 8 à 10 15 à 20 20 et même 30
(16-25)
Loiret. ... 6 3
(19-40) (20)
Lot 33 30 28
(13-18) Lot-et-Garonne. 6 15
(16-18) (16-18)
Lozère.. . . 12 12 1
(9-13) (10-14) (12)
Manche. . . 30 30 30
(14-20) (14-20) (14-20)
Marne.. . . 6 12 29 à 20
Haute-Marne.. 11 13 12
(13-15)
Mayenne. . . 18 30
(15-17) (15-17)
Meurthe. . . 1 4 14 1
(16) (16-22) (16-24)
Meuse. ... 5
(12-18)
Morbihan. . . 12
Moselle. . . 40 40
Nièvre.. . . 4 13 22
(15-18) (14-19) (14-18)
Nord. ... 5 10 17
(16-25) (16-25) (16-25) Orne. .
Pas-de-Calais.. 26 22
(16-19-27) Basses- Pyrénées.. . . 15 à 18 15 à 18 10
(12-211) (12-20) (16-20)
Bas-Rhin. . . 6 20 45
Haute-Saône. . 3 4 6
(16 et au-dessus)
Saône-et-Loire. 5 10 18
Sarthe. ... 7
(12-17)
Seine. . . 8 15 21 École du Panthéon.
3 12 à 16 École de la rue
(12-13) (14 et plus) «Antoine».
1. 9 après la conscription.
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DÉVELOPPEMENT DES ÉCOLES CENTRALES
347
AN V AN VI AN VII
Seine-Inférieure. 5 14 25
(16-21) (22-13) (14-20)
Seine-et-Marne. moins moins 00 En l'an IV:
25 élèves. Deux-Sèvres. .12 15 27
(17-20) (17-20) (19-21)
Somme. . . 12 15 17
(13-15) (13-16) (13-18)
Var 131
Vaucluse. . . 8 18 21
Vienne. . . 18 37 65 En l'an IV:
12 élèves. Haute-Vienne. 10 13 14
(12-15) Yonne.. . . 12 15 19
(13-17) (13-18) (14-18) 2
1. Tous aspirants; se sont embarqués. Il en reste 7.
2. 4 ont abandonné, se jugeant trop peu préparés.
Le progrès était incontestable. Mais il est bien évident que les quelques douzaines de « grammairiens philosophes » qu'on formait par département, qui eussent suffi s'il se fût agi d'une école normale, ne pouvaient guère compter dans un temps où, pour gagner le pays, il fallait à la langue des centaines de jeunes gens qui la possédassent 1.
On comprend que Barailon lui-même, dans la séance du 27 brumaire au VI (17 novembre 1797), tout en défendant les Écoles Centrales, ait accepté l'idée de supprimer la chaire de Grammaire générale. C'était d'une part une grammaire prétentieuse, vide, tournant facilement à la déclamation, de l'autre une philosophie enfantine et grossière. La faute grave qu'on avait commise en n'instituant pas d'enseignement spécial, à la fois théorique et pratique de la langue française, apparaissait malgré tout. Rien n'avait pu tenir lieu de ce cours nécessaire".
1. En outre, une fois renseignés sur le nombre des élèves, on voudrait aussi et surtout connaître leur valeur. Des cahiers de professeurs nous sont parvenus. Il faudrait voir des cahiers d'élèves. Il en reste certainement dans les archives départementales et privées ; ils méritent d'être exhumés.
2. Meiners trouvait que la langue française était négligée à l'École Centrale (Beschreib. einer Reise, p. 170-171): « On m'a affirmé, dit-il, que certains élèves n'arrivent pas à écrire cette dernière sans grosses fautes d'orthographe » (Reuss, Gymn. prot., p. 232).
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348 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Quant aux bibliothèques, organisées avec tant de peine et de soin par les « Vandales », elles n'eurent guère le temps d'agir. En principe, outre qu'il y en eut une dans chaque chef-lieu d'arrondissement, les Écoles Centrales qui en possédaient durent les ouvrir au public, le principe de l'École étant de recevoir tous ceux qui voulaient s'instruire et qui formaient le groupe des Auditeurs. Au moyen de ces bibliothèques, accessibles sans formalités, l'Ecole Centrale devait combiner instruction des enfants et éducation des adultes. Mais, s'il est relativement facile de compter le nombre 1 des dépôts ou d'en connaître les règlements 2, et même à la rigueur d'en déterminer la richesse 3 et la composition4, comment savoir si ces bibliothèques ont été fréquentées et par quels lecteurs?
1. Sur les Bibliothèques fondées par la Révolution, voir dans Gautier, Nos Bibl. publiques, p. 20 et suiv. des renseignements très sommaires.
La création d'une Commission chargée de veiller à la conservation des monuments des arts et des sciences remontait au mois de novembre 1790. On trouvera dans la notice de Camus des indications détaillées sur cette commission, sa composition et son fonctionnement. Comme nous l'avons dit plus haut, une section spéciale du Comité d'instruction publique, nommée le 10 novembre, eut la mission de s'occuper de toutes les questions relatives aux bibliothèques et aux monuments (Guill., o. c., 4e séance, p. 13, note 5).
2. La bibliothèque de Porrentruy était ouverte tous les jours quintidis et décadis, exceptés de 10h à 12 et de 3 à 5 (Arch. N., F17 13178, doss. 46).
3. La bibliothèque formée à St-Lô conformément à la loi de pluviôse an II contenait, en brumaire an IV, 15000 volumes.
4. En général, elles étaient malheureusement très pauvres en ouvrages d'histoire, de littérature et de sciences exactes (Voir Laumond, Statist. B.-Rhin, p. 39).
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CHAPITRE X L'ÉCOLE PRIMAIRE SOUS LE DIRECTOIRE
ETAT MISÉRABLE DES ÉCOLES. TÉMOIGNAGES. — Dans l'enseignement primaire, même à Paris, l'école — qu'on ne peut plus appeler école d'Etat, puisque l'Etat ne la payait plus, — l'école publique, pour mieux dire, luttait péniblement contre une concurrence victorieuse. Les administrateurs du département le reconnaissent 1.
Dans le reste de la France, la situation était lamentable. « Vous appercevrez, disait Barbé-Marbois, en ventôse an IV, quelques écoles éparses à des distances incommodes pour l'enfance, et sur-tout pendant l'hiver. Les élèves y viennent, mais en très-petit nombre, parce que les circonstances retiennent aux travaux tous ceux qui peuvent y être employés avec un commencement d'utilité. La chambre où le maître donne ses leçons est ordinairement humide, sans plancher, mal éclairée, et la cherté de toutes choses empêche les élèves d'être suffisamment pourvus de ce qui est nécessaire à leur instruction. Les maîtres sont peu assidus, parce que, fort mal payés, il faut qu'ils exercent en même temps une autre profession, et qu'ils cultivent, pour vivre, ou leur jardin ou leurs portions communales ; ils remplissent leurs fonctions de la manière la plus indépendante ; et les officiers municipaux des campagnes n'ont pu se persuader encore que la surveillance de l'éducation leur étoit attribuée. Ces maîtres sont réduits à la moitié, et peut-être au tiers du nombre ancien ; et de jour en jour il est plus difficile de remplacer ceux qui viennent à manquer. Le nombre des enfans qui sortent de ces écoles, instruits dans l'art d'écrire et de calculer, n'est pas aujourd'hui égal à la moitié de ce qu'il étoit autrefois.
1, Dans un rapport sur sa gestion de l'an V, le commissaire du Directoire donne, pour l'an VI, cette statistique sommaire : « Il existe dans le département de la Seine plus de 2000 écoles particulières et 56 écoles primaires seulement ». Dans un autre compte rendu pour l'an VI, les administrateurs de la Seine disent : « Il y a des cantons où elles (les écoles primaires de l'Etat) n'ont pu se bien organiser ; d'autres même où il n'y a pas d'instituteur et d'institutrice, par le grand nombre de maîtres particuliers qui s'y sont fixés « (Aul., La politique scolaire du Directoire, dans Revue bleue, 12 mai 1900).
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350 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Ces deux arts, si nécessaires dans toutes les professions civiles, ainsi que dans les armées de terre et de mer; ces arts, non moins essentiels dans la vie privée, sont à la veille d'être renfermés dans un très petit cercle d'individus. Déjà le gouvernement s'apperçoit de ce défaut général d'instruction ; il annonce au Corps législatif qu'il est une infinité de communes dans la République où il ne se trouve pas un homme capable d'écrire lisiblement les actes essentiels qui constatent l'état civil des citoyens. Si l'on n'y remédie aussi promptement qu'efficacement, cette pénurie sera bien autrement sensible pour la génération suivante. Le développement des lumières s'opère avec lenteur... Déjà le nombre des hommes instruits est diminué, au point que si nous n'y prenions garde, cette rareté nous rameneroit aux temps du privilège de clergie »1.
L'instruction est presque nulle dans sa partie la plus immédiatement nécessaire au peuple, avouait de son côté Fourcroy 2. Et dans les années qui suivirent, la situation ne s'améliora guère, les rapports parvenus des départements le prouvent. Les jurys n'avaient toujours trouvé personne pour tenir les écoles. Ou bien ils s'étaient par nécessité, contentés des premiers venus 3. « Elle (l'instruction) est nulle si pas dangereuse, les hommes à qui elle est confiée sont presque tous des ignorants. Faute de mieux, il a fallu nommer des cy devant clercs de villages, qui tiennent à leur routine et au culte romain... le fanatisme a fait tant de mal aux habitans des campagnes, que les instituteurs républicains ont été abandonnés » 4. On trouvera, en feuilletant les dossiers, la même antienne vingt fois ressassée.
RÔLE PLUS QUE MODESTE DU FRANÇAIS. — Ce que devenait l'enseignement du français dans ces conditions, on le devine. Les souhaits même, à plus forte raison les plans, s'étaient fait singulièrement modestes : « On tâchera d'enseigner dans les villages l'écriture et les deux premières règles ; dans les bourgs et les villes cela sera indispensable... Mais comme c'est une instruction bien bornée que celle de ne savoir que lire et son catéchisme... je voudrois que dans chaque canton il y eût une école où l'on enseignât davantage et plus long-tems les mêmes choses. On y donneroit les élémens de la langue françoise, les quatre premières règles... Cette même espece
1. Rapp. au Cons. des Anciens, p. 6-7.
2. 11 germ. an IV, Opinion, Cons. des Anciens, p. 11
3. Torreilles et Desplanques, o. c. p. 337. Dans tout le Roussillon, il fut fondé de l'an IV à l'an VIII, 14 écoles publiques de garçons, pas une école de filles.
4. Compte-rendu de la Cn du Dir. exécutif près l'Adn centrale du Nord. 2e décade de vendém. an VI (Arch. N., Fic III Nord, 7).
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L'ECOLE PRIMAIRE SOUS LE DIRECTOIRE 351
de classe seroit la seconde pour les cantons ruraux, et seroit, avec la première, l'école primaire de toutes les villes » 1. L'étude des éléments du français était considérée comme une ambition que la petite école de village ne pouvait se permettre.
Il se trouva, dans les Conseils, des représentants pour acquiescer à ces doctrines de renoncement, tel Andrieux : « Je suis effrayé, opinait-il, de la nomenclature d'enseignement qu'on paraît exiger des instituteurs des écoles primaires qu'on appelle renforcées ! Ils devront montrer les élémens de la grammaire française, ceux de la mesure des surfaces et des solides, c'est-à-dire, de la géométrie rectiligne et sphérique et de la stéréotomie, de la géographie du territoire de la République et des pays limitrophes ; donner des notions sur l'agriculture, le commerce et les arts mécaniques... Mais voilà l'Encyclopédie... »2
Dans les diverses provinces de langue étrangère, l'école était redevenue ou restée d'idiome local. Le rapport du Commissaire François le montre nettement : « Si vous écoutez, dit-il, les autorités constituées de la ci-devant Flandre maritime, ils vous diront: « Tant que nous n'aurons point de livres en flamand, nous ne pourrons rien faire ». Entrez dans les écoles de ce pays, vous trouverez le catéchisme de Mgr l'Evêque d'Arras entre les mains des élèves; on peut donc y donner des leçons en français, oui sans doute, mais dans... le catéchisme » 3. L'auteur est piqué, on le sent, mais il n'y a nulle raison de douter de son témoignage. Les municipalités dont il parle étaient résignées.
En Alsace et en Lorraine, l'institution d'une école française était devenue une rare exception qu'on citait 4.
Toutefois une impulsion comme celle qui avait été donnée ne pouvait s'arrêter si vite entièrement, et il ne manqua pas, au cours de la nouvelle discussion instituée sur les écoles, d'hommes résolus à opposer la tradition républicaine aux renoncements des sceptiques. Mangenet, le 11 frimaire an VI (1er décembre 1797), estimait que si les hautes sciences conviennent peu aux agriculteurs, savoir lire, écrire, compter, parler la langue française de manière à se faire entendre... constituaient l'éducation qui leur est propre".
La nouvelle rédaction présentée au nom de la Commission
4. Mentelle, Consid. gén. sur l'I. P., p. 19. Mentelle était professeur aux Ecoles Centrales de la Seine.
2. Opinion sur l'I. p. dans les écoles primaires, Cons. des Cinq-Cents, 11 flor. an VII, I. N., p. 21.
3. Arch. N., Fic III Nord, 7. Brumaire an VII. Dans Lennel, o. c, p. 400.
4. Colchen, Mém. Statist., p. 97.
5. Opinion, I. N., germinal an VII, p. 8.
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352 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
d'Instruction publique par Heurtault-Lamerville, le 9 nivôse an VII (29 décembre 1798), stipulait (titre II, art. II) que dans les écoles à plusieurs instituteurs on enseignerait les éléments de la Grammaire française 1.
C'est à Sonthonax que revient l'honneur d'avoir repris, le 1er ventôse an VII (19 février 1799), les arguments des Commissaires de la Convention : « Il seroit à souhaiter sur-tout que vos écoles primaires parvinssent à rendre la langue française familière à toutes les parties de la République; qu'elles pussent extirper ces idiomes barbares qui, dans plusieurs départemens, sont seuls connus du peuple. C'est un étrange phénomène, que la langue que l'Europe entière s'honore de connoître et de cultiver, soit ignorée d'une partie des Français ou parlée d'une manière si rebutante. Vous sentez toute l'importance de cette considération.
« C'est parce que les habitans des campagnes de l'ouest, n'employoient et n'entendoient qu'un jargon inintelligible qu'ils étoient livrés à toute l'influence de leurs prêtres, et qu'ils ne pouvoient entendre les paroles de paix que leur portoient les républicains. Cette uniformité de langage fera disparoître les antipathies qui se perpétuent entre les divers cantons pour le reste des Français. Elle facilitera la communication des lumières en rendant nos auteurs classiques aussi familiers au ci-devant Basque, à l'habitant de l'ancienne Armorique, qu'à celui de Paris » 2.
1. Opinion, I. N., nivôse an VII, p. 4. 2. Opinion, ventôse an VII, p. 6.
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CHAPITRE XI NOUVEAUX PROJETS D'ÉCOLES NORMALES
VELLÉITÉS SANS EFFET. — Après l'expérience manquée de l'an III, l'idée d'écoles normales ne pouvait pas être reprise tout de suite. Elle n'était pas abandonnée pour cela. En vendémiaire an IV, le Comité d'Instruction publique avait chargé la Commission des relations extérieures « de faire en sorte d'obtenir des détails sur les écoles normales organisées à Leipzig »1.
« Les Ecoles normales, dit de son côté Barbé-Marbois en ventôse an IV, n'ont manqué si complètement leur but que par le vice des premiers choix, et parce que les départemens n'ont envoyé, pour la plus grande partie, que des sujets dépourvus de cette première instruction qu'on exigeoit avec raison d'hommes qui venoient apprendre la méthode d'enseigner » 2.
Le 11 germinal an IV (31 mars 1796), Fourcroy soutenait aussi que l'expérience faite dans de mauvaises conditions ne prouvait rien : « De ce que la réussite de cette institution n'a pas été complète, de ce que des plaintes, peut-être exagérées, mais en partie fondées, ont provoqué sa suppression, de ce que la marche même suivie dans cette école — il faut encore en convenir — avoit semblé exiger cette sévère mesure, gardons-nous d'en conclure que l'idée d'une école normale, d'une école d'instituteurs, ne soit point favorable aux progrès de la raison ; ne craignons pas d'avancer ici qu'elle est un des plus sûrs moyens de réaliser les établissemens particuliers d'instruction chez un grand peuple ; osons même prévoir qu'elle sera représentée aux méditations des législateurs, et qu'établie sur d'autres bases que celles qu'on lui avoit données dans ce premier essai, elle deviendra la véritable et la seule pépinière des instituteurs des écoles primaires, et même des professeurs des écoles centrales » 3.
1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 743.
2. Rapport cité, p. 9.
3. Cons. des Anc., Opinion, I. N., p. 6.
Histoire de la langue française. IX. 23
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354 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Mais les circonstances n'étaient guère favorables, les écoles primaires n'étant plus affaire d'État. En outre il était trop tôt. Toutefois l'idée d'avoir des écoles de maîtres devait reparaître lors des discussions de l'an VII. Déjà en l'an V, François de Neufchâteau comptait rassembler les instituteurs aux chefs-lieux pendant un certain temps, aux frais des communes, et les former là aux méthodes nouvelles 1. Briot parla aussi dans son Rapport d'un grand lycée normal (Séance des Cinq-Cents, 27 brumaire an VII—17 novembre 1798). Finalement un arrêté créant un « cours normal » pour perfectionner le mode d'instruction employé par les Instituteurs des Ecoles primaires fut pris le 16 ventôse an VII (6 mars 1799). Les Ecoles Centrales devaient développer les principes de l'enseignement à tous les instituteurs et institutrices, soit primaires, soit particuliers (25 floréal an VII-14 mai 1799). Une école fut créée dans la Seine. Le citoyen Duhamel parla à l'ouverture 2. Maudru 3 y fut nommé le 26 fructidor an VII (12 septembre 1799) avec Domergue. Ce n'était point cette institution qui pouvait fournir aux immenses besoins de l'Etat.
1. Rec. des Circ., LXXI, 20 fructidor.
2. Aul., Paris..., t. V, p. 522-523. Cf. 579.
3. Il est l'auteur d'un Nouveau système de lecture, applicable à toutes les langues, Paris et Strasb., vendém. an VIII, in-8°. Ce livre est hérissé de termes techniques, mais renferme un embryon de phonétique. J. B. Maudru y affiche son titre de Professeur à l'Ecole normale du département de la Seine.
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CHAPITRE XII LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES
FERMETURE DU CONCOURS. LHOMOND PRIMÉ. — Le 14 brumaire, Lakanal avait fait un rapport aux Cinq-Cents 1. Une résolution fut prise, d'après laquelle les ouvrages destinés à devenir livres élémentaires de la République seraient imprimés à ses frais, distribués aux deux Conseils et envoyés aux Administrations départementales. La résolution fut transmise le même jour aux Anciens. Une Commission de cinq membres fut nommée, et, le 30, Barbé-Marbois présenta son Rapport.
Voici ce qui concerne la grammaire française : « Le jury met les Elémens de la grammaire française par Lhomond à la tête des ouvrages de cette classe qu'il a jugés dignes de son suffrage ; il en propose l'impression, et il a jugé que l'auteur méritoit une indemnité de 3 000 livres. Le rapport fait au Conseil des CinqCents ne dit rien de plus, et ce silence est un éloge complet. Effectivement ce petit ouvrage se recommande assez par lui-même aux yeux des gens qui ont réfléchi sur l'enseignement pratique. Simple dans sa marche et dans son style, l'auteur ne dit que ce qu'il faut pour les enfans, et il le dit ainsi qu'il faut le dire pour leur âge. Élève du bon Rollin, on voit que Lhomond a vécu long-temps en observateur avec des enfans. Il appartenoit à une école célèbre qui commençoit à se réformer et à suivre le siècle, quand elle a été détruite, et qui n'est point encore remplacée. Ses Elémens ont le cachet précieux d'une longue expérience. Les éditions successives dont ils ont obtenu les honneurs annoncent qu'ils n'ont pas été composés pour le concours, comme le petit nombre de bons ouvrages qu'on y a présentés. Il est difficile, dans un cercle de jours et de mois déterminé, de tracer un bon traité élémentaire qui doit être le résultat d'une infinité de combinaisons et d'essais sur l'intelligence variée et progressive des différens âges ; il faut avoir le temps d'être court, d'être clair, de s'appuyer sur des faits. C'est à quoi on
1. Moniteur, 5-8 frimaire.
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356 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ne songe pas toujours dans un programme de concours, dont le but est le plus souvent d'appeler des tours de force oratoires et académiques, fruits éphémères de l'imagination et de la chaleur du moment. La commission a mis ce livre au nombre des trois ouvrages dont elle n'eût pas hésité à proposer l'impression aux frais de la République » (p. 28-29).
Fourcroy, dans la séance du 11 germinal, proposa, lui aussi, de restreindre à trois le nombre des livres qui seraient imprimés aux frais de la République 1. La Grammaire française de Lhomond était du nombre. Ses conclusions furent adoptées. Ce livre de Lhomond avait paru en 1780 2. Malgré le vote dont il venait d'être honoré, le libraire Colas, avec lequel Lhomond avait traité en 1793, continua à le publier pour son compte. L'édition de l'an V fit néanmoins mention de la consécration obtenue 3. Les annonces de la Grammaire de Lhomond furent au moins envoyées par le Ministre de l'Intérieur aux Administrations de Département 4.
Outre la Grammaire de Lhomond, la Commission avait distingué 1° La Grammaire élémentaire et mécanique5, dont la critique avait paru intéressante, mais dont la partie dogmatique avait médiocrement plu. L'idée de commencer par le verbe ne paraissait pas heureuse. L'ouvrage poussait trop loin l'analyse pour des élèves qu'aucune comparaison de langues ne préparait à comprendre. On lui donnait un prix de 3 000 livres.
2° Le Précis de la langue française de Blondin, qui avait été jugé trop peu nouveau. L'auteur, comme les très vieux grammairiens, avait présenté des déclinaisons qui n'existaient pas en français. Ses planches, avec figures, peu utiles pour les enfants, ne paraissaient guère utilisables pour les écoles publiques (Prix de 2000 livres).
3° Les Notions élémentaires sur la grammaire française, par un prisonnier français sur les bords du Danube, qui étaient précédées d'une introduction fort neuve. Mais l'ouvrage était trop savant, et l'auteur avait oublié qu'il écrivait pour la multitude des maîtres, qui, hors des grandes communes, ne sont pas tous capables de comprendre, même dans notre langue, les écrits des savants 6.
Je n'ai aucunement le désir de rabaisser les mérites de Lhomond. Il faut tout de même convenir qu'il ne valait vraiment pas la peine
1. Opinion, p. 11.
2. Voir Buisson, Dict. péd., art. Lhomond.
3. Il m'a été impossible de retrouver ces éditions.
4. Rec. des Circ., t. I, p. 111.
5. Paris, Pougin, Plassan, Gide, 1795, an IV. Panckoucke, en retard, avait néanmoins été autorisé à soumettre son oeuvre (Guill., o. c. Conv. t. VI , p. 567).
6. Barbé-Marbois, Rapport, p. 29-32.
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LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES 357
d'organiser officiellement un grand concours national pour en arriver à couronner un ouvrage rédigé du temps des collèges et pour eux.
RÉCRIMINATIONS. — Panckoucke, mécontent, malgré son respect pour Lhomond, qu'on considérât une Grammaire faite pour des enfants qui apprennent le latin comme vraiment adaptée à un rôle tout différent, se plaignit à Lakanal par une lettre du 10 frimaire an IV (1er décembre 1795).
Blondin, lui, avait antérieurement demandé au Comité d'Instruction publique: 1° Que sa méthode fût adoptée comme base élémentaire pour l'enseignement, tant du latin que des langues modernes ; 2° Que son nom fût inscrit sur la liste des récompenses ; 3° Qu'on lui concédât un logement et une salle d'exercices au Louvre pour applications au tableau ; 4° Qu'on lui accordât un secours pour lui faciliter l'impression, tant de ses grammaires en différentes langues que de son Dictionnaire prosodique des mots de la langue française qui ont le même son (6 thermidor an III—24 juillet 1795). Le Comité le fit inscrire sur la liste ; il avait renvoyé son Précis au jury des livres élémentaires et ajourné ses autres demandes 1. Après le jugement rendu, il ne se tint pas pour battu, et protesta. Le Musée pédagogique possède une plaquette rarissime 2: Au Conseil des Cinq-Cents. Observation que soumet le cn Blondin... sur l'article du rapport... du Jury... L'auteur s'étonne que sa méthode n'ait obtenu que le 3e rang et ne soit pas parmi les livres à imprimer aux frais de la République.
A dire vrai, l'idée de livres élémentaires, comme tant d'autres, survécut au concours. Domergue, en l'an V, essaie de présenter son ouvrage, la Prononciation françoise, comme répondant au type qu'il faudrait : « Cet opuscule... est, dit-il, un véritable LIVRE ÉLÉMENTAIRE: sorte d'ouvrage dont il n'existe pas peut-être de modèle, et dont l'essence est de présenter sous une forme simple, de mettre à la portée de l'enfance ce que la philosophie a de plus exquis... Le simple savant, le simple praticien, font également mal un livre élémentaire ; le premier ajuste des ailes à un enfant, dont la foiblesse le retient à terre ; le second lui met un bandeau sur les yeux, et le pique de toutes les épines que son imprévoyance n'a pas écartées. On ne peut exceller en ce genre, sans la réunion, dans le même homme, du philosophe, qui conçoit, et de l'instituteur, qui exécute » (306-307).
1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 453. 2. N° 11753.
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358 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
En l'an VII, François de Neufchâteau, qui avait fait lui-même une méthode pratique de lecture, essaya de substituer à l'idée du livre élémentaire, l'idée du cahier où l'élève, faisant preuve d'activité personnelle, devait consigner les idées et les faits enseignés par le maître. Nous avons vu renaître cette utopie. Les régimes qui suivront reviendront à la grammaire d'État.
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CHAPITRE XIII
RÉSULTATS INDIRECTS LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS
TRANSFORMATION GÉNÉRALE DES ÉCOLES ET DES LIVRES. — Cette étude ne peut pas se terminer sans une remarque très importante. Une des causes de l'état misérable des écoles publiques, c'était le développement des écoles privées.
Il est à peine besoin de citer des établissements parisiens bien connus, célèbres même, tels que le Lycée des Arts. Il s'était ouvert au milieu de 1792, sous les auspices de la Société philomathique1. Son créateur était Gaullard de Saudray. Ouvert solennellement après la fin de la Législative, sous la présidence de Fourcroy, il était installé dans le cirque du Jardin-Égalité, et avait, outre une immense salle de réunion, des salles de cours, des salons, une bibliothèque, et jusqu'à des bains et un restaurant.
Toutes les leçons y étaient gratuites, et il faut signaler qu'en patriotes, les dirigeants avaient entendu se mettre à la portée de tous, en ouvrant des classes primaires. Il servit grandement les industries de guerre et l'industrie en général, soutenant et récompensant les inventeurs, organisant des expositions, professant infatigablement les sciences pures et les sciences appliquées. Lors de la création de l'École Normale, il ouvrit dix cours dialogués où il offrit aux élèves six cents places gratuites.
Sans être un établissement public, le Lycée des Arts obtint, grâce à Grégoire et à Lakanal, d'être subventionné en échange de sa coopération. Mais après un incendie qui le priva de son local, l'établissement successivement transporté à l'Oratoire et à l'Hôtel de Ville, dut se transformer. Les cours cessèrent. Le Lycée ne fut plus qu'une Société d'encouragement.
Pendant ce temps, le Lycée de Pilâtre existait toujours. Il avait seulement — après épuration — ajouté à son nom l'épithète de
1. Voir un article de Berthelot dans le Journal des Savants (août 1888) ; cf. Dejob, L'instr. publ. en Fr., p. 156.
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360 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
républicain. Au temps de la Terreur, La Harpe était incarcéré, mais la plupart de ses collègues enseignaient, en bonnet rouge. La crise passée, le Lycée se mondanisa, et La Harpe y reparut, furieux de ses souffrances et de ses faiblesses. La langue française y fournit la matière et le prétexte de leçons retentissantes. C'est là que fut étudié, après un discours prononcé le 31 décembre 1794, l'abus des mots dans la langue révolutionnaire, qui fut imprimé sous le titre de : Du fanatisme dans la langue révolutionnaire. En l'absence de La Harpe, entre le 18 fructidor et l'année qui suivit le 18 brumaire, Mercier le remplaça. Plus tard, La Harpe dut encore s'éloigner par ordre (ventôse an X—février 1802). Ginguené y fit bientôt ses cours de Littérature moderne. Il n'est pas besoin de mettre en lumière le caractère de l'établissement. La pédagogie y était entièrement rajeunie. En 1803, après la création des Lycées, le nom étant monopolisé, l'établissement, toujours vivant, prit le nom d'Athénée. La Grammaire générale a joué son rôle au Lycée comme ailleurs. C'est Sicard qui l'y enseignait 1.
Le Lycée de la Jeunesse fut fondé en nivôse an V. La langue française y tenait une place peut-être plus considérable que partout ailleurs. Les objets de l'enseignement étaient :
1° L'Écriture.
2° La Lecture. Les élèves, dans leur division respective, font chaque jour des lectures communes, suivies de remarques écrites et orales. Elles sont relatives à la Langue française.
3° L'orthographe. Les Cours et les morceaux de Littérature donnés par les professeurs, sont dictés par ceux-ci, aux commençants, mot par mot; et par les élèves, lettre par lettre...
7° Le Style épistolaire.
8° L'éloquence Grecque, Latine et Française.
9° La Poésie 2.
En 1797, les fondateurs d'un Salon des étrangers ouvrirent un Lycée des Étrangers, appelé aussi Lycée Marbeul, puis Lycée Thilusson, du nom de l'Hôtel de la rue de Provence où il transporta son siège. La Harpe y enseigna également. C'était un véritable cercle littéraire et artistique où se rencontraient gens du monde et hommes de lettres : Chénier, Lebrun, Lemercier, Ducis. Il publiait le journal : Les Veillées des Muses.
Nous ne saurions énumérer les Collèges et les pensionnats qui s'établirent. Beaucoup de ces fondations étaient des restaurations.
1. Il ne semble pas qu'avant 1794 il ait donné un Cours suivi. En 1796, son cours a cessé. Les séances reprennent en l'an IX (1800).
2. Voir Coup d'oeil du Lycée de la Jeunesse, Paris, frimaire an VII p 7-8
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LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS 361
On sait le bruit que fit la réouverture du Collège de Navarre. Tous ces établissements, pour différents qu'ils fussent des établissements républicains, ne reproduisaient pas intégralement l'ancien type; on n'y avait pas repris des programmes considérés comme archaïques. « De toute nécessité il faut réformer le plan d'éducation que l'on pratique dans toutes nos maisons d'éducation ; elle entraîne avec elle un dégoût pour la plus grande partie des jeunes gens qui sont peu portés à apprendre le latin. La manière de leur montrer les décourage avant d'en connoître les premiers principes »1.
On voit les directeurs du cours d'instruction ouvert au Collège de la Marche (Montagne du Panthéon) soutenir également la nécessité de combiner latin et français 2. L'Institution des Jeunes Français, rue St-Dominique, école théorique et pratique, annonce de son côté qu'elle substituera l'étude des choses à celle des mots, profitera des dispositions naturelles des enfants à l'observation et à l'analyse. On pense bien qu'avec un pareil principe elle ne va pas se cantonner dans le latin. En effet, elle étudie la grammaire universelle, les langues modernes aussi bien que les anciennes 3.
Dans le Courrier Républicain du 30 frimaire an V, le citoyen Tache, prêtre de l'Oratoire des Minimes, publie une réclame en faveur de sa maison d'éducation de la Place-Royale; il y enseigne, dit-il, « l'étude de la religion et des sciences », le français, le latin, la géographie, l'anglais et l'allemand4. Blondin recommence ses cours de français dans la Salle des Ducs et Pairs au Louvre, le 21 brumaire (11 novembre). La langue y avait sa large place, le primidi, le quartidi et le septidi (Arch. N., ADVIII 29).
DANS LES DÉPARTEMENTS. — Les mêmes changements d'orientation se remarquent dans des maisons ouvertes au fond des provinces. Maudru, évêque des Vosges, fonde un « Pensionnat-écoles-chrétiennes à Senones pour tous les bons Citoyens des Vôges, de la Meurthe, des Haut et Bas-Rhin ». Il écrit : « Tous les Citoyens ne peuvent et ne doivent pas tout savoir : mais certains élémens sont communs aux diverses fonctions, aux divers emplois de la société. Il ne faudra que la langue française pour apprendre le code des lois de la République. L'école de médecine changera d'idiôme comme la chimie en a changé avec la phisique expérimen1.
expérimen1. N., Ecoles libres particulières, sans date, ADVIII 29, p. 5, VIIIe pièce.
2. Arch. N., ADVIII. 26.
3. C'est le même plan que dans l'ancienne école des Jeunes Français.
4. Aul., La Pol. scol. du Dir., dans Revue bleue, 12 mai 1900.
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362 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
tale. Il suffira donc, mais il faudra pour se perfectionner dans l'usage de la langue française, étudier les elémens de la langue latine » 1. Plus loin l'évêque ajoute : « L'instruction doit changer de forme ; il faut passer simultanément de l'étude à la pratique, exercer les Elèves à bien prononcer le français » 2.
Au Gymnase protestant de Strasbourg, reconstitué à grand'peine à côté de l'École Centrale, quand Beyckert mourut le 29 nivôse an VIII (18 janvier 1800), pour le remplacer, on employa le mode républicain de l'élection. C'est Brunner qui fut nommé « tant à cause de ses connaissances supérieures en français que de ses autres études excellentes » (Act. Gymn., 160) 3.
Il m'est impossible d'analyser ici les centaines de pièces et documents qui se trouvent aux Archives, et qui donnent une idée nette de la place qu'occupait alors la grammaire française dans l'enseignement privé; partout la langue nationale tient un rang d'honneur. Et si les détails fournis prouvent à n'en pas douter qu'il y aurait beaucoup à dire sur les méthodes, assurément trop abstraites, trop scolastiques, les études étaient solides et sérieuses 4. Or l'arrêté du Directoire relatif à la surveillance des maisons particulières d'éducation(17 pluviôse an VI-5 février 1798) ne prescrivait pas qu'on s'assurât si l'enseignement de la langue était donné. Les choses allaient donc de la vitesse acquise : la bataille pour le français dans les études moyennes était gagnée, l'impulsion donnée eût suffi, si on ne se fût pas employé à l'arrêter.
LES PETITES ÉCOLES. — C'est là surtout que l'enseignement libre triomphait. Mais à quelles conditions et pour quelles raisons? La première est sans doute qu'on y enseignait la « doctrine chrétienne ». C'était là une différence essentielle par rapport à l'école publique, et qui constituait l'avantage principal de ces maisons. Mais ne s'en étaiton pas assuré d'autres ? Avait-on restauré les anciennes méthodes et les anciens programmes? En aucune façon. En général, l'école libre lutte contre l'école publique en lui empruntant ses programmes. Je dirai plus, elle les affiche et s'en fait une réclame. Sous le Directoire, l'annonce d'un cours de français était un gage de succès :
Pension de jeunes demoiselles, rue de Courcelles, n° 276 :
1. En note : « Ceux qui auront de la vocation pour l'état ecclésiastique, se perfectionneront, au séminaire, dans l'usage de la langue latine ».
2. Colège de Senones. p. 7 et 8.
3. Toutefois ce n'est pas en français qu'on enseignait (Reuss, Gymn., p. 216). L'allemand du reste n'était guère mieux su que le français. Le patois l'envahissait. La grammaire s'enseignait encore en latin. A Bouxviller, l'allemand régnait de même
4. Voir Arch. N., F17 1337, doss. 16, an VIII
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LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS 363
« La citoyenne Leroux, Institutrice depuis vingt ans, leur enseigne (aux élèves) elle même, la Géographie, l'Histoire, les langues Française, Italienne et Anglaise » (Arch. N., ADVIII 29, Écoles libres particulières, sans date, p. 10).
Maison d'éducation pour les jeunes gens depuis cinq ans jusqu'à quinze. Hôtel ci-devant Laval, rue du Mont-Parnasse :
« La lecture, l'écriture, la langue française, la langue latine, la littérature et les mathématiques entreront dans l'essence de son enseignement.
« Deux Citoyennes, de moeurs douces leur donneront des soins
maternels... Une d'elles a fait une étude particulière de la langue
française et des mathématiques, de l'italien et de l'anglais, de la
musique et du dessin » (Arch. N., ADVIII 29, Écoles libres, pièces
détachées, sans date).
A l'Institution libre tenue rue Honoré par Ousouf (Élève de l'Ecole Normale ) 1, le programme comporte : La langue française et la latine, qui « se serviront réciproquement de terme de comparaison ».
Il en était de même en province.
Un instituteur libre du Nord, Jean-Louis Mortelette, d'Aniche, se présente pour profiter de la loi qui a permis à tous d'enseigner. Son programme, du 8 brumaire an III (29 octobre 1794), débute ainsi : «J'apprendrai... les connaissances des caractères de l'alphabet, épeler, lire et écrire, parler la langue françoise dans sa plus grande pureté... Ceux qui désireront faire des progrès dans la grammaire, la rhétorique et la poésie françoise me trouveront toujours très disposé à leur communiquer mes lumières à cet égard » 2.
Tant de prospectus de ce genre ont été conservés que je ne m'arrêterai pas à des départements acquis depuis longtemps. Dans ceux qu'il s'agissait encore de conquérir, le français n'est pas négligé. Peut-être, en poussant l'étude très à fond, trouverait-on des distinctions à faire. Ainsi il semble bien qu'en Alsace les établissements catholiques aient été plus ouverts à la francisation que les établissements protestants. En tous cas n'est-ce pas un signe des temps que de trouver des écoles où on annonce qu'on punira l'enfant surpris à parler allemand?
Je donnerai seulement une poignée de faits. A Barr, le pasteur Fritz fonde une école libre. Dans une lettre du 2 germinal an II (22 mars 1794), il annonçait cette fondation à ses concitoyens 3. Le
1. Arch. N., ADVIII, 29, p. 2. Le directeur, tout en arborant son titre, se « défie de l'obscur néologisme de l'Ecole dite Normale ».
2. Arch. Dép., L. T. 1024, dans Lennel, o. c, p. 66.
3. Voici la lettre où Fritz communique ses intentions: « Barr, den 2. Germinal, II.
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364 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pasteur Schweighaüser fonde aussi une école. Une troisième est ouverte en 1796 par François Humbert, une autre en 1797, bref en 1802, 5 écoles libres enseignent, avec 264 enfants. Partout on mentionne expressément que le français sera enseigné.
Je ne prétends pas soutenir bien entendu que toutes les écoles se rangeaient à ces vues. Il suffit de lire le discours inaugural de J. N. Belin de Ballu, l'helléniste bien connu, pour se rendre compte qu'aux yeux de certaines gens, le français ne comptait toujours pas et ne valait guère être enseigné 1.
Jahr der französischen Republik. Mitbürger, Maire und Municipalbeamte, Ich gedenke die Erlaubnis zu benüzen, welche das Gesetz vom 29. Frimaire (19. Dezember) jedem guten Bürger ertheilt, der Republik durch Bildung guter und aufgeklärter Bürger und Bürgerinnen nüzlich zu werden.
« Ich gedenke Schulen fur Söhne und Töchter von eilf Jahren und drüber zu eröffnen und ihnen über folgende Gegenstände Unterricht zu ertheilen : Anfangsgründe der französischen und teutschen Sprache, die Constitution, die wichtigsten Lehren der Weisen aller Völker und Zeitalter von Gott und den Pflichten der Menschen, das Gemeinnützigste aus Erdbeschreibung, Völkergeschichte, Naturkenntniss, Rechnenkunst und Schönschreiben.
« In meinem ganzen Unterricht werde ich den patriotischen Sinn, die warme Liebe fur Tugend und die Aufklärung zu meinem Augenmerk machen, wodurch der Mensch der Freiheit würdig und empfänglich wird, wodurch das öffentliche Wohl befördert und häusliches Glück möglich wird » (Hecker, Die Stadt Barr von der französischen Revolution bis auf unsere Tage. Strasbourg-Colmar, 1911).
1. 10 floréal an IX—30 avril 1801. Pour l'inauguration du Gymnase littéraire et des arts de Versailles. Imp. Locard fils.
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LIVRE IV LES FÊTES, LES CULTES ET LE FRANÇAIS
CHAPITRE PREMIER ORGANISATION OFFICIELLE
ABOUTISSEMENT TARDIF. — Après thermidor, certaines manifestations n'avaient plus aucune chance de se renouveler. D'autres ne pouvaient retrouver leur ancien éclat. L'autel de la Raison gisait à terre, et le culte de l'Être-Suprème ne pouvait continuer, quoiqu'il traduisît des sentiments qui étaient ceux d'une grande partie du peuple français. Il avait été frappé à mort par le patronage du «tyran »1. Malgré tout, la confiance des Gouvernants dans l'effet d'édification produit par les fêtes n'était nullement ébranlée. On pourrait même dire que les républicains, au fur et à mesure qu'ils se désabusaient de l'illusion que les lois suffisent à changer les hommes, ne mettaient que plus d'ardeur à agir sur les esprits par une propagande éducative, capable de déterminer la masse à suivre la direction qu'on lui donnait 2.
Le Ier nivôse an III (21 décembre 1794), Marie-Joseph Chénier avait déposé son rapport au nom du Comité d'Instruction publique ; le 9, la Convention provoquait les projets en vue d'une organisation régulière des fêtes publiques. Les projets vinrent en foule, mais rien de définitif ne fut fait. Le décret du 18 floréal ne fut même pas rendu exécutoire. C'est seulement à la veille de sa séparation, le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), que la série légale des fêtes
1. Voir sur ceci et sur tout ce qui suit l'exposé magistral de Mathiez. La Théophilanthropie... p. 23. Cf. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 535, 556; t. II, p. 113; t. III, p. 508 ; t. V, p. 273, 337, 457.
2. Grégoire note déjà que « les motifs qui avaient servi de prétexte à la création des fêtes décadaires subsistaient ou plutôt qu'ils se développaient avec plus de force ». (Mathiez, Théoph., 25.)
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366 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
fut fixée, après un rapport de Daunou, et qu'elles prirent leur place dans le calendrier républicain 1.
Le 27 ventôse an V (17 mars 1797), le ministre de l'Intérieur, Bénézech, envoya une instruction sur les programmes. Il y eut un ordonnateur en chef, chargé surtout du matériel, et un bureau des fêtes, théâtres et monuments, dont « le grand objet » fut « d'améliorer peu à peu les moeurs, de procurer au peuple l'instruction, de l'attacher à ses nouvelles lois à l'aide des fêtes nationales, des jeux utiles, solennités et cérémonies publiques ». Le bureau envoyait aux administrations et aux armées les chants et hymnes, que le Conservatoire publiait chaque mois dans le Journal des chants civiques.
François de Neufchâteau imprima aux fêtes une véritable direction. On donnait aux municipalités non seulement le rite, mais jusqu'au thème des discours. Et le metteur en oeuvre ne manquait ni d'imagination ni d'esprit.
Les réunions décadaires elles-mêmes eurent leur programme, intelligemment choisi. Le Bulletin décadaire apportait la matière; dans les villes, les professeurs des Ecoles Centrales, dans les villages, les instituteurs étaient invités à y prêter leur concours. Des manuels, des recueils de chants étaient en préparation, lorsque le ministre fut révoqué et remplacé par Quinette (4 messidor an VII—22 juin 1799).
LA THÉOPHILANTHROPIE. — Le culte le plus important fut celui des Théophilanthropes. Il a tenu plus de place et eu plus de succès qu'on ne l'a dit. Les recherches modernes l'ont bien montré. Le mémoire retentissant de La Reveillère-Lépeaux, lu devant l'Institut dans la séance du 12 floréal an V (1er mai 1797), en était l'apologie. Leclerc proposait une sorte de liturgie (Mathiez, Théoph., p. 153). L'institution eut l'appui de l'État, malgré l'opposition de Carnot et de quelques clairvoyants, et, après fructidor, fut appelée par son pontife à « modifier la substance de l'homme », simplement. La théophilanthropie a groupé des hommes très distingués et attiré beaucoup de ces déistes dont l'époque fourmillait. Elle fit son entrée solennelle dans les églises, qu'elle partagea souvent avec les « frères catholiques ». Elle eut même ses écoles — avec enseignement de la grammaire française — et on put croire un moment qu'un grand avenir lui était réservé.
1. Les sept fêtes nationales étaient: fête de la fondation de la République (1er vendémiaire-22 sept.), fête de la jeunesse (10 germinal-30 mars), fête des époux (10 floréal-29 avril), fête de la reconnaissance (10 prairial-29 mai), fête de l'agriculture (10 messidor-28 juin), fête de la liberté (!) et 10 thermidor-27 et 28 juillet); fête des vieillards (10 fructidor-27août). Le premier Directoire ajouta trois fêtes nouvelles : Anniversaire de la mort de Louis XVI; 14 juillet ; 10 août.
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Mais en ce qui nous concerne, il n'y a guère à tenir compte de la théophilanthropie. Les cercles constitutionnels, qui l'appuyèrent tant qu'ils vécurent, étaient loin d'être répandus, comme les sociétés populaires de l'an II, sur toute la surface du pays. Il n'y eut que quelques départements, tels que l'Yonne, où cette religion arriva à pénétrer au village. Là on la vit s'installer jusque dans des agglomérations de quarante feux (Malay-le-Petit) 1. Ailleurs elle resta confinée dans les villes, et n'agit en aucune façon sur les patois.
LES FÊTES DÉCADAIRES. — La seule influence durable eût été celle de réunions périodiques et fréquentes, telles que les fêtes décadaires. Un arrêté du 14 germinal an VI (3 avril 1798) et les lois du 17 thermidor, puis du 28 fructidor, les réorganisèrent. Mais le décadi était en exécration chez les catholiques ; son culte, en concurrence avec les « offices », était proscrit. Malgré les ordres réitérés, on ne parvenait à l'imposer qu'aux autorités 2. Pris en soi du reste, il ne présentait pas les caractères nécessaires à un culte populaire. D'abord on manquait d'idoles. Les fêtes étaient exclusivement consacrées à des souvenirs récents autour desquels la légende n'avait pas eu le temps de se former — celle de Lepelletier et de Marat n'avait pas été remplacée — ou bien elles étaient destinées à l'exaltation de vertus abstraites. Les héros auraient eu besoin d'apparaître comme des saints ; on leur conservait au contraire le caractère humain, pour hausser jusqu'à eux ceux qui auraient leur bonne volonté et leur foi, de sorte qu'ils n'avaient point l'attrait mystérieux qui plaît à l'imagination des foules. Pour émouvoir les coeurs, il eût fallu du reste qu'on les trouvât fidèles aux premiers enthousiasmes ; or ils étaient aigris par des désillusions, alarmés aussi par les propos malveillants de ceux qui opposaient les « saturnales » républicaines à la religion et les représentaient comme de damnables parodies.
Aussi, en dépit des Ça ira, ça n'allait pas, ou plutôt « ça n'allait plus ». La République, partout battue en brèche, paraissait près de succomber. Dans les villes même, les cérémonies se traînaient devant quelques spectateurs amenés par la curiosité, ou même venus pour gouailler. Politiquement, on sortit d'embarras par le coup d'État de fructidor. Restait la grosse et véritable difficulté, reprendre l'opinion. Un grand nombre de penseurs et de politiques proposèrent leurs plans. On imagina des religions et des cultes : culte social, culte naturel, adorateurs de la liberté et de l'égalité, etc.
1. Math., Théoph., p. 359 et 377.
2. « Le jour du décadi n'a pas d'attrait dans les campagnes, faute de quelques fonds pour payer des instruments », Auch, 23 nivôse an II (Aul., Act. du Com. S. P., t. X p. 211).
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368 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Il eût été nécessaire aussi que la célébration en fût accompagnée de la pompe, et célébrée dans le décor dont les grandes villes seules pouvaient payer le luxe et régler l'ordonnance. Les prêtres qui y étaient attachés, magistrats locaux, vieillards — on avait beaucoup compté sur les vieillards, — sans habits de cérémonie, sans gestes consacrés, manquaient de prestige 1. Leur intelligence insuffisante des symboles qu'ils exaltaient, leur inhabileté à manier la parole et à trouver les mots qui touchent, firent que les assistants devinrent de plus en plus rares, surtout alors qu'une misère générale avait détruit bien des espoirs.
En l'an II, dit excellemment Mathiez, tous ceux qui participaient aux fêtes civiques, communiaient entre eux en un même sentiment : l'amour enthousiaste de la patrie, source du bonheur futur. En l'an VII, le scepticisme est veau et a desséché les âmes. L'image resplendissante de la patrie s'est effacée dans le lointain, derrière les laides figures des politiciens, qui s'en constituaient les fondés de pouvoir. La foi en la valeur souveraine des institutions n'a pas résisté à la secousse répétée des réalités. Le patriotisme, qui était une religion au début de la Révolution, n'est plus guère maintenant qu'une opinion politique 2.
Ce fut bientôt le retour monotone et obligatoire de cérémonies vaines et froides, qui ne pouvaient avoir sur les masses désenchantées aucune influence, d'aucune sorte 3.
TRIOMPHE DU DIMANCHE. — De plus en plus le dimanche triomphait. Malgré tous les efforts du gouvernement et de ses agents, les masses rurales préféraient « la messe et le chapelet » à la lecture des lois et des actes, et la Légende dorée aux relations des victoires. La République était dépopularisée.
Dans les communes rurales, les réunions décadaires sont nulles, écrivait le Commissaire central de l'Aube4. Dans les campagnes, reprenait celui des Landes, on ne les célèbre jamais.
On avait espéré y intéresser les familles en fixant au décadi les mariages civils, occasion naturelle de réunions joyeuses. En fait, on obligeait par là les familles et leurs invités à des déplacements gênants, et quelquefois coûteux, auxquels l'édification ne
1. Souvent la caducité forme un tableau triste (Lefébure, Rapp. Carpentras, 25 nivôse an II-14 janv. 1794, dans Caron, o. c , t. II, p 176)
2. Théoph.. p. 534-535.
3. Sur la décadence des fêtes, même à Paris, voir Aulard Paris.. , t. V, p. 116-118, 154, 167, 197,227,238,241,299, 411, etc.
4. Mathiez, Théoph., p. 501.
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ORGANISATION OFFICIELLE 369
gagnait rien, quand encore la cérémonie ne tournait pas au charivari.
Il serait peut-être exagéré de dire que la langue ne profita pas de ces réunions. Elles ne furent pas en tous cas ces « écoles primaires des hommes faits » qu'on avait rêvées. Qui sait si, dans certains endroits, les autorités parlaient le français ? Il est bien douteux que dans les petites localités d'Alsace, on se soit servi d'un autre idiome que de l'allemand 1.
1, A Strasbourg, c'est en allemand qu'était rédigée la publication périodique subventionnée par la municipalité, qui mettait à la disposition du peuple des chants et hymnes patriotiques (Mathiez, Théoph., p. 492).
Histoire de la langue française. IX. 24
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LIVRE V LE CULTE CATHOLIQUE ET LE FRANÇAIS
CHAPITRE PREMIER EN FAVEDR DE LA LANGUE NATIONALE
LA SÉRIE DES PROTESTATIONS CONTRE LE LATIN CONTINUE. — Une dernière chance se présenta encore à cette époque pour la langue française, celle de gagner une place plus large dans le culte catholique restauré. Nous avons donné, dans un chapitre antérieur, des textes où, dans une intention pieuse, on avait demandé l'abandon complet ou partiel du latin. Il n'est pas surprenant que plusieurs des Conventionnels qui se sont occupés d'instruction publique aient proposé que cette substitution d'une langue à l'autre se fit par autorité. Romme s'élève contre l'usage d'officier en latin, ce qui est « saintement faire chanter au peuple son ignorance et sa sottise »4 . L'esprit de l'Église, dit à son tour Lavoisier, a toujours « répugné à toute innovation, et parce que les premiers chrétiens parlaient et priaient en latin, on en a conclu que dans quelque pays que ce fût, quelque changement qui pût arriver dans le langage vulgaire, il fallait prier en latin jusqu'à la consommation des siècles » 2.
Mais vint un temps où incontestablement les Révolutionnaires espéraient détruire le catholicisme. Il ne s'agissait plus alors ni de modifications, ni même de transformations dans ses rites ou son organisation ; on cherchait à l'extirper, et pendant cette période, le clergé assermenté subit lui aussi d'odieuses persécutions.
Un des griefs qu'on fait à l'Église, c'est qu'elle parle une langue étrangère 3. La Feuille villageoise, organe des « curés rouges », fait
1. Rapport du 20 déc. 1792, dans Gnill., o. c., Conv., t. I, p. 203.
2. Réf. sur l'instr. publique, dans Guill., ib., t. II, p. LVIII.
3. Cf. « Il lui reste à détruire ceux (les hochets) de l'imbécillité. C'est une vérité dont il est convaincu depuis qu'au lieu d'entendre psalmodier dans ses temples un langage qu'il ne comprenait pas, il y entend les éternelles vérités de la raison » (Rapport du Repr. à Brest, 1er pluviôse an II, Aul., Act. du Com. S. P.. t. X, p. 339).
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372 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
souvent allusion à « ce latin que les prêtres chantent et qu'ils n'entendent pas plus que nous ! » (Décadi, 30 ventôse, Ve Année, N° 33).
La Société populaire et montagnarde de Lorient demande, dans une adresse du 21 frimaire an II (11 décembre 1793), que ceux qui voudraient, par une langue étrangère et inconnue, tromper encore le Peuple soient « tenus de faire entendre, dans la langue nationale, les prières qu'ils disent adresser, au nom du Peuple, à l'Eternel » 1.
Le Dimanche 26 mai an II, dans un Discours au Club révolutionnaire des vrais sans-culottes, Lonqueue écrit : « Les prêtres... ont toujours contrarié le bon sens ; ils ont toujours parlé un langage mystérieux et absurde » (Paris, Impr. du Lycée des Arts, réimpression, p. 3).
C'est tantôt un mot en passant, tantôt une diatribe : Un ex-curé « ne craignait pas de mêler la superstition à l'acte civil ; il bénissait l'anneau et en faisait faire la ridicule cérémonie en marmottant du latin ». (Crassous, de Montfort Brutus, 6 prairial an 11-25 mai 1794, Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 747).
« Ces prêtres oisifs, ces célibataires corrompus, complices des ennemis du peuple, ne faisaient consister leur culte que dans des cérémonies bizarres et dans un jargon inintelligible » 2.
« Quel mal fais-je, écrit Chantreau dans ses Documents, quand je ne crois pas faire une bonne oeuvre en allant tous les huit jours entendre parler latin à un homme qui gesticule devant une table carrée, y boit un coup, se retourne pour me parler latin, me salue et s'en va ? »3
En l'an IV, l'écho de ces récriminations retentit encore : « Ils ont abruti l'espèce humaine au point d'interdire à chaque nation l'usage de sa propre langue ; ils ont persuadé à ce troupeau de dupes, qui les suit, qu'il faut, pour honorer dignement la divinité, hurler, du malin au soir, de prétendus cantiques écrits dans la langue des Hébreux, et platement traduits dans un latin que la millième partie de ceux qui les crient ne comprend point » (Discours de P. F. Real, lors de la fête des Victoires, à Bruxelles, 10 prairial an IV 29 mai 1796, dans le Rédacteur, n° 219).
Cependant, depuis qu'était intervenu le bienfaisant décret sur la liberté des cultes, ceux qui n'avaient pas cessé de travailler à réconcilier la Révolution et le Christianisme purent se remettre à agir et à espérer, en dépit des réfractaires et de leurs anathèmes.
1. Jullien, Adresse, p. 6.
2. Un citn de la Soc. pop. de Chal. s. Marne aux Jacobins de Paris, 13 prairial an II dans Aul., Soc. de Jacob., t. VI, p. 164.
3. Aul., Le Cult. de la Rais., p. 150.
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EN FAVEUR DE LA LANGUE NATIONALE 373
Grégoire, qui n'avait abdiqué ni son caractère de prêtre, ni sa foi de patriote, devait parler de ce sujet dans son Rapport de prairial. Il n'y a pas manqué. Dès le 30 juillet 1793, il avait exposé ses vues : « Leur anéantissement (des patois) sera plus prochain encore, si, comme je l'espère, vingt millions de catholiques se décident à ne plus parler à Dieu sans savoir ce qu'ils lui disent, mais à célébrer l'office divin en langue vulgaire »1.
Dans un ouvrage intitulé : Du nouvel ordre social fondé sur la religion, un des républicains les plus fermes, membre du Conseil des Cinq-Cents, Bancal [des Issards], trempé par l'épreuve, et profondément religieux, écrivait sous la même inspiration : « La sainte Messe et les saints offices de notre Religion... qui sont célébrés et prononcés en latin, rendent la parole de Dieu inintelligible au peuple... Tout ce qui intéresse la Religion devrait être présenté de manière à produire des fruits utiles » 2.
« La traduction en français de tout ce qui regarde la religion seroit, je pense, non une réforme, mais un devoir des prêtres qui sont revêtus de la sainteté, une oeuvre de charité qui feroit jouir le peuple de toutes les consolations de la religion ».
« Je crois pouvoir assurer que ce seul changement changeroit en mieux les moeurs du peuple françois..: Que les prêtres qui ont le caractère de sainteté, autorisés par l'église, nous disent la messe et les offices en français... Alors les Français auront l'esprit de la République, l'esprit le plus parfait qui ait encore existé » 3.
1. Discours du citoyen Grégoire sur l'éducation, Guill., o. c, Conv., t. II, p. 177.
2. P. 111. Les novateurs, en citant ce passage, ont retranché ce qui concerne la Messe, par peur d'être pris pour des protestants. Bancal y reviendra : « J'ose transcrire en français le commencement de la sainte Messe » (p. 512).
3. A la fin, la date de la rédaction est donnée : 2 vendémiaire an VI (23 sept. 1797).
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CHAPITRE II LE CONCILE NATIONAL
AVANT LA RÉUNION. — Quand le premier Concile de l'Eglise gallicane dut se réunir, on ne manqua pas d'attirer son attention sur cette question '.
On pourra consulter d'abord la brochure de Jti L.-N. Réformes à faire dans l'extérieur du Culte catholique, substituer le français au latin pour la prière publique, etc. Demandé au Concile de l'Église Gallicane. L'auteur a souffert des persécutions, comme l'Église ellemême. C'est parce que Dieu est seulement honoré des lèvres, que dans sa sagesse il a renversé et entraîné dans le tourbillon de la Révolution des sacrificateurs, ses Autels, ses Temples. « Le seul moyen de ramener sa miséricorde est de lui former des Adorateurs en esprit » (p. 5). Dans quelle langue doit-on rédiger les Décrets et Canons? « Je réponds : Ce doit être en Français ». Vous annoncez dans le § 8 de l'Organisation des travaux du Concile : Partie de la Lithurgie en langue vulgaire. Pour moi je ne balance pas de vous dire, que, dans le véritable intérêt de la Religion, il faut qu'elle le soit entièrement » (p. 4). Et c'est facile. Rien ne manque, ni traductions, ni morceaux lyriques susceptibles d'être adaptés à des chants religieux (p. 3). « Ce seroit un travail d'autant plus digne de la Commission que le Concile en chargeroit, que, en rendant, comme on vient de le voir, un service signalé à la Religion, elle y rattacheroit bien des individus que nos Frères Prétendus réformés et la nouvelle Secte des Théophilanthropes 2 séparent journellement de notre réunion Catholico-Chrétienne, et essentiellement par ce
1. Dans l'évèché de Perpignan le synode du 2 messidor an VI (2 juin 1798) décide :
Art. 3 « Quant à la refonte des goigs ou éloges de certains Saints, il a été délibéré de n'en permettre l'impression en catalan qu'avec la traduction française, desquels un original devroit être déposé aux archives du presbytère » (Corr. Grég., Pyr.-Or., Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.).
2. « Aucune (secte) ne devient plus rivale de notre religion que celle des Théophilanthropes, dont la simplicité du dogme (c'est précisément ce qu'on appelle Religion naturelle), la popularité du langage, la brièveté de leurs exercices... favorisent singuliè-
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LE CONCILE NATIONAL 375
moyen de l'appas des Prières simples, courtes et toutes en français. Elle rempliroit, en même tems, un des voeux de nos nouvelles Loix qui exigent qu'on ne parle plus d'autre langue que le Français ; auquel, déja spontanément les Nations, même nos rivales, rendent l'hommage d'abandonner la leur propre, et la Latine dont elles se servoient ci-devant, pour rédiger leur divers Traités » (p. 6) 1.
Dans les Observations pour être présentées au Concile national, Copin, curé de Noirmont (Mont-Terrible) demande, le 10 Août 1797 (23 thermidor an V), à l'article 4, qu'on confronte la liturgie moderne avec les anciennes qui se trouvent dans les « bibliothèques », et que « les prières en soient faites au moin (sic) en partie en langue vulgaire » 2.
Un ancien Bénédictin, Dufeÿ, écrit aux évêques assemblés (22 thermidor an V) : « L'étude de la langue latine étant absolument négligée à présent, et la fondation des Séminaires étant devenue presque impraticable, le seul remede à ces grands inconvéniens seroit de permettre de faire la liturgie et l'office divin en Langue vulgaire ».
LA QUESTION EST POSÉE 3. — Le Concile réuni forma plusieurs congrégations, dont la congrégation de liturgie, constituée le vendredi 23 Août 4. Elle avait à son programme : 1° Uniformité dans la Liturgie... 4° Cérémonial gallican, 5° Partie de la Liturgie en langue vulgaire 5. Je n'ai pas retrouvé les discours, s'il y en a eu. Mais il suffit de lire les procès-verbaux pour constater que la majorité des « Vénérables Pères » ne se décida qu'avec répugnance.
Séance du trois novembre 1797, vendredi matin, 13 brumaire an VI (Procès-verb., f° 100 v°) :
« Le projet de decret concernant la lithurgie est soumis à la discussion. Plusieurs articles sont successivement mis aux voix et Décrétés.
« On reprend la discussion du decret concernant la lithurgie. Sur le 7e article, un membre observe que cet article semble donner
rement la paresse de l'homme. On ne saurait croire combien, déja, ses progrès sont rapides, même dans la classe du commun du peuple » (p. 6).
1. On remarquera que l'auteur, qui est à Bayonne, ou de Bayonne, ne fait pas la moindre allusion au dialecte local. Il accepte sans réserve la thèse de la langue une.
2. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R. Cf. « Ces mêmes demandes, réitérées au Concile national, de différentes parties de la République, et notamment dans une lettre des ecclésiastiques d'Autun, mon diocèse natal, et la manière dont le concile les accueillit, m'ont enfin engagé à m'en occuper plus sérieusement depuis trois ans, et à y procéder par principes » (Dissert., p. 30).
3. Un bref résumé de ce qui suit se trouve dans Actes du second Concile National, Paris, an X, t. III, p. 201-204,
4. Elle était composée de Grégoire (Evêque de Blois), Royer (Evêque de Belley), Daire (Proc. de l'Ev. du Puy), Juglar (Proc. de l'Ev. de Digne), Servois (Proc. de l'Ev. de Mandes) (sic).
5. Procès-verb. ms., f° 34 v°, Coll. Grég., Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.
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376 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
à entendre que les saints mysteres devraient être celebrés en langue vulgaire, ce qui lui paroit dangereux soit à raison de la mobilité des langues vivantes, soit parceque certaines personnes pourroient en être scandalisées, soit parcequ'on pourroit en prendre occasion de calomnier le Concile. On répond qu'il n'est pas question de la celebration de la messe en langue vulgaire. Néanmoins on demande et on adopte l'ajournement de cet article après le rapport qui sera fait dans le courant de la semaine prochaine sur les parties de la lithurgie qui peuvent être mises en français.
« Sur le 9e article, on dit que c'est de ce principe que sont partis les novateurs du 16e siecle, qu'il n'est nullement à propos de faire actuellement aucun changement, et qu'il faut renvoyer le tout au futur Concile. On répond qu'il n'est pas question de rien changer quant à present, mais seulement d'indiquer les bases d'après lesquelles on peut disposer les matériaux.
(Renvoi)... L'article 7 : «La liturgie doit, autant qu'il est possible, associer l'intelligence des fideles au sens des prieres et des cérémonies », est ajourné.
LE DÉCRET. — Malgré ces hésitations, on aboutit pourtant à un Premier décret sur les différentes parties de la liturgie. Il portait: Art. III. « La lecture de l'Epitre et de l'Evangile, le prône et l'instruction aux messes parroissiales sont, pour les pasteurs, d'une obligation indispensable.
« Dans les parroisses où il y a plusieurs messes le Dimanche, outre la messe parroissiale, à la premiere et à la derniere, après l'epître et l'evangile on les lit aux fideles en langue vulgaire avec les réflexions qui les accompagnent.
« Le Concile exprime le desir que cette lecture ait lieu à toutes les messes » 1.
Un second décret fut adopté dans la séance du jeudi matin 9 novembre 1797 (19 brumaire). Il disait : « Le Concile national, considérant que si la liturgie doit, autant qu'il est possible, associer les fideles aux prieres du célébrant et leur intelligence au sens de ces prieres, l'application de ce principe doit etre cependant subordonnée aux mesures de sagesse chrétienne que commandent les circonstances, décréte :
Art. I. A dater de la publication du présent décret les prieres du prône seront faites en français, dans toutes les Eglises catholiques de France.
1. Adopté le lundi matin 6 novembre 1797 (16 brumaire an VI). Procès-verb. ms., fn 105 r°; cf. Ann. de la Rel, t. VI, 3e Année, 25 brumaire an VI (15 nov. 1797), p. 81.
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LE CONCILE NATIONAL 377
Art. III. Dans la rédaction d'un rituel uniforme pour l'Eglise gallicane, l'administration des sacremens sera en langue française : les formules sacramentelles seront en latin.
Art. IV. Dans les diocèses où des dialectes particuliers sont en usage, les pasteurs sont invités à redoubler leurs efforts pour répandre la connaissance de la langue nationale »1.
Comme on voit, pour favorable qu'il fût au principe que la liturgie doit, autant que possible, associer l'intelligence des fidèles au sens des prières et des cérémonies, le Concile ne prit que des demimesures. Encore celles que prescrivait le second décret n'avaientelles été discutées, semble-t-il, ni en commission, ni en séance.
Il n'y a aucun doute que le meneur dans toute cette affaire avait été le président de la Congrégation, Grégoire.
Je ne crois pas que Grégoire fût le moins du monde le « complice des protestants ». Mais il est incontestable que ceux-ci avaient saisi au vol ses propos et qu'ils les avaient accueillis avec joie. Blessig, son « digne ami » de Strasbourg, s'en est plusieurs fois entretenu avec lui. Déjà le 3 pluviôse an III (22 janvier 1793), il lui écrit : « J'ai distingué... avec une vive satisfaction dans ton discours l'expression: de « prières en langue étrangère » 2. Le 27 ventôse (17 mars 1795), il rapporte à Grégoire ses impressions sur une fête : « J'ai conjuré les larmes aux yeux les protestants et les catholiques qui furent présents, de bannir à jamais tout esprit de parti, tout sentiment haineux, et tout morcellement de secte que pourroient occasionner des vues honteuses d'amour propre, de ressentiment, d'arrogance, de cupidité ou de fanatisme... Ai-je tort, mon respectable ami, si je m'attends à entendre bientôt parler de vos offices, hymnes et liturgies en langue française ? » 3 Le 27 germinal an IV (16 avril 1796), nouvelle lettre : « Vous le dirai-je cependant? et vous voulez que je le dise : Votre sévérité envers les prêtres mariés et votre indulgence pour quelques rits, dont vous-même sembliez desirer la réforme, comme par exemple l'usage liturgique de la langue latine, ne m'ont point étonné à la vérité, car j'ai senti la force des motifs et des temps, mais j'ai été affligé de voir que le bien que vous desirez de faire ne peut point s'opérer encore » 4.
Grégoire fût allé beaucoup plus loin que ses confrères, si la majorité y eût consenti.
C'était une des supériorités des cultes révolutionnaires, une de
1. Proc. verb. ms., 110 r° ; cf. Ann. de la Rel., t. VI, p. 82-83. Un troisième décret ne fut pas publié.
2. Corr. Grégoire, Bas-Rhin, lett. 7. Bibl. de la Soc. des Amis do P.-R.
3. Ib., lett. suiv.
4. Ib., lett. suiv.
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378 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
celles sur lesquelles comptaient leurs créateurs que cette faculté
d'être compris des foules. Les Représentants en mission en triomphaient
triomphaient l'occasion.
La « théophilanthropie » présentait, elle aussi, sur le catholicisme cette supériorité. De Château-Thierry, l'instituteur Rubarbe écrivait à un théophilanthrope une lettre que Grégoire a raillée à cause des fautes de français et d'orthographe qu'elle renferme, mais qui n'en est pas moins significative : « ce culte... sans contredit préférable au romain, qui est rempli de paroles que le peuple n'entend pas et qu'il ne se soucie guère d'entendre, attendu que c'est une langue qu'on entend (sic) pas, car tout le monde ne sait pas le latin » 1.
Si ce n'est pas le succès de la théophilanthropie qui a amené l'Eglise constitutionnelle à la pensée de franciser le culte — et l'idée, je crois l'avoir montré, est plus ancienne et vient d'ailleurs, — il se peut néanmoins que l'effroi causé par cette concurrence redoutable ait contribué à décider le Concile ; c'est ce qui expliquerait qu'après la chute de Larevellière, en l'an VII, l'attitude changea 2.
OPPOSITIONS. - Les décisions prises ne contentèrent pas ceux qui espéraient un changement radical 3. Pourtant elles effrayèrent les prudents. L'évêque de Rennes se déclara le premier. Le 7 vendémiaire an VII, il écrivait à Grégoire : « On gemit de ce que le Concile n'a point ordonné toutes les prières publiques en langue vulgaire. Vêpres, messe, formules des sacrements, on veut tout en françois; mais les Bretons dont la langue est plus ancienne même que le grec, les Picards, les Auvergnats, les Gascons, les Biscayens, les Provençaux n'ont-ils pas le même droit de vouloir nos liturgies dans leurs langues ou jargons? Vous le savez, telle fut autrefois la manie des protestants; et à leur prière, l'un des plus beaux génies du temps,
1. Grég., Hist. des sectes, t. I, p. 419, dans Mathiez, Théoph., p. 322.
2. Mathiez, o. c, p. 260.
3. « Quant à la prière faite en langue vulgaire, nous ne savons à quoi attribuer la conduite timide qu'a tenue le Concile. Il n'a pu se dissimuler le voeu devenu général parmi tous les fidèles éclairés ; il a entendu dans son sein la lecture des savans mémoires que l'illustre évêque de Blois a faits à ce sujet. Des hommes accoutumés à voir ce que l'étonnante révolution de France a fait en si peu de temps et malgré tant d'obstacles, se trompent sans doute s'ils croyent qu'en matière religieuse on produit les mêmes effets par les mêmes moyens. Le Concile, en ne décrétant point sur la prière en langue vulgaire, n'a pas simplement consulté la foiblesse de l'autorité que les circonstances lui
donnoient sur l'opinion publique, il a pris dans la plus sage et dans la plus mûre considération les obstacles que lui opposoient l'habitude, l'ignorance, et la malveillance; il a certainement espéré que l'asssemblée qui le suivroit seroit plus heureusement placée
pour faire avec sagesse et avec succès certains changemens » (Ann. de la Rel., t. VII, (p. 179-180). Brugière opine au contraire que ce fut là un contre-sens que la condescendance du rapporteur lui a fait admettre pour ne pas effaroucher les dévots minutieux (Appel, p. 96).
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LE CONCILE NATIONAL 379
Clément Marot, traduisit en françois nos pseaumes. Voici comment il commence le touchant Miserere mei :
Lave-moi, Sire, et relave bien fort De ma commise iniquité mauvaise ; Et du peché, qui m'a rendu si ord, D'eau de grâce me nettoyer te plaise 1.
« Voyez les versions de la Bible chez les protestants. Sans cesse ils sont obligés d'y retoucher, et chaque nouveau traducteur met du sien. Aussi combien ne diffèrent point entr'elles les Bibles luthériennes, calvinistes, sociniennes, anglicanes, etc. Les liturgies de ces différentes sectes ne se ressemblent pas davantage et ne demandent pas moins souvent d'être retouchées. Aussi, dès qu'un protestant e[s]t hors de son pays, il ne peut plus participer au culte public. Un catholique, au contraire, n'est dépaysé dans aucune des contrées de l'Eglise latine.
« Si les Grecs et les Latins n'avoient eu qu'une même langue, croyez-vous qu'il eût été aussi facile à Photius et à ses adhérents d'entraîner toute l'Eglise greque dans le schisme, en attribuant à l'Eglise latine des erreurs et des abus dont elle ne fut jamais coupable ?
« Je vous le dis franchement, je viens d'examiner de nouveau les raisons pour et contre ce système. Les premieres ne m'offrent que quelques petits avantages spécieux ; les secondes présentent des inconvénients réels, nombreux, effrayants. Dans la jeunesse où l'on doute peu, j'étois pour les traductions ; aujourd'hui, je rougis d'avoir été séduit par des apparences si mensongeres. Tout changement dans notre culte devroit être profondément médité, ne fut-ce que par respect pour nos peres. Des chimeres, la plus dangereuse peutêtre, c'est celle du « parfaitisme ». Rien ne lui resiste. Par quelles erreurs ou quelles folies d'abord, et ensuite par quels crimes, par quelles horreurs n'a-t-elle point souillé notre revolution? Ne nous exposons point à mériter les mêmes reproches que nous sommes fondés à faire à nos orgueilleux philosophes. Défions-nous de l'épouventable manie de tout innover. Comme le dit un penseur moderne, n'ayons pas une confiance crédule aux figures tracées par la théorie, ni un mépris inconsidéré pour les réalités gravées par l'expérience » 2.
1. Le texte exact est : Me nettoyer d'eau de grace te plaise.
2. Corr. de Grég., Lett. Ille-et-Vil. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R., cf. le P. Roussel, Corr. de Le Coz, t. I, p. 308-309.
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CHAPITRE III L'EXÉCUTION DU DÉCRET
LE SACRAMENTAIRE FRANÇAIS. — C'est incontestablement le diocèse de Versailles qui fut le centre du « gallicisme ». L'évêque Clément était acquis à l'idée. Son vicaire épiscopal, Ponsignon, en fut le metteur en oeuvre. Sur l'ordre de l'évêque, il rédigea un Sacramentaire français. C'est autour de ce livre que se livra la bataille. J'ai été assez heureux pour remettre la main sur le Sacramentaire, conservé dans les documents manuscrits non classés de la Bibliothèque des Amis de Port Royal. Il n'est précédé d'aucune notice. C'est un manuel destiné à l'administration des Sacrements 1.
Le texte est à peu près totalement expurgé de latin. Les formules rituelles elles-mêmes sont en français'. En revanche pas une allusion au reste de la liturgie 3.
AUTRES LIVRES. — Il ne faudrait pas croire qu'il n'y eut pas d'autres essais. On vit paraître des traductions des Offices: Vêpres du Dimanche, traduites en françois. A l'usage des Eglises du département de Rhône-et-Loire (S. l. n. d., 32 p.) 4.
1. 1° Administration du Sacrement de baptême aux enfans (p. 1-12) ; 2° Administration du baptême aux adultes (p. 13-22) ; 3° Administration du Sacrement de Confirmation (p. 23-20) ; 4° Administration du Sacrement de Pénitence (p. 26-28) ; 3° Administration du Sacrement de l'Eucharistie pendant les Saints Mystères ou séparément avec un chapitre spécial pour l'administration du viatique aux malades ou de communion aux infirmes (p. 28-33) ; Administration du Sacrement de l'ExtrêmeOnction et Saint-Viatique conjointement (p. 33-41) ; Administration de l'ExtrêmeOnction et du Saint-Viatique à un prêtre ou à un diacre (p. 41-42) ; Administration du Sacrement de l'Extrême-Onction seul, à un malade ayant sa connaissance (p. 42-46).
2. Une seule exception, p. 29 : « Après la confession faite par les Ministres, au nom des Communians, ou conjointement avec eux, le Celebrant se retourne vers eux du côté de l'Evangile... et dit à haute voix : Misereatur vestri... et Indulgentiam f absolutionem etc. Il se retourne au milieu de l'Autel vers les Communians et dit à voix haute, une fois : Ecce Agnus Dei, cece qui tollit peccata Mundi, puis trois fois : Domine, non Sum Dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum die Verbum et Sanabitur anima mea... Aussitôt après, il s'approche des Communians ».
3. Il est dit seulement p. 23 : « Il serait à souhaiter que les pasteurs introduisent l'usage de chanter dans cette cérémonie des cantiques françois, qui y seraient relatifs, dont les confirmés et les assistants retireraient plus de fruits et d'édification ».
4. Certains psaumes sont traduits en vers, d'autres en prose.
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L'EXÉCUTION DU DÉCRET 381
Je citerai en outre : Formule abrégée pour faire le prône à l'usage du diocèse du Doubs 1.
Essai pour le Dimanche des hymnes, Pseaumes et Cantiques en français, notés pour être chantés sur les mêmes tons des hymnes, pseaumes et cantiques latins auxquels ils correspondent dans les usages de Paris.
Essai de la Messe du jour de l'Epiphanie en Français, notée d'après les tons marqués dans le Graduel.
Suivent en français, les Prières et les cérémonies dont l'Église se sert pour l'administration des Sacrements de Baptême, ExtrêmeOnction, et le Saint Viatique 2.
Il importe aussi de signaler une Dissertation sur la célébration de l'Offtce divin en langue vulgaire 3, oeuvre d'un laic 4.
C'est visiblement dans la partie « Discussion » une riposte à l'Avis motivé dont nous parlerons plus loin", mais l'auteur a mûri longtemps son projet auparavant et étudié sa matière. On reconnaît un technicien de la liturgie. Il fait suivre sa Dissertation de Règles de la Psalmodie française qui sont d'un homme de métier.
La technique de la liturgie nouvelle se dégageait donc et la Bibliothèque nécessaire se formait. En messidor an VII, la Dissertation fut même adoptée du plus grand nombre des évêques. N'ayant pu l'insérer dans le premier numéro des Annales de vendémiaire an VIII, l'évêque d'Amiens, Dubois, la fit imprimer avec les règles de la psalmodie. Clément écrit à ce propos, dans le P. S. de sa lettre du
1. Besançon, J. Fr. Daclin, an VII. Les psaumes et antiennes y sont en latin et en français. Ponsignon l'envoie à Grégoire (Lett. du 5 Août 1800).
2. Paris, Imp. Libr. Chrét. An VII. En tète, des textes et des textes, en faveur de la thèse; ils constituent la Préface. Puis, sous forme de demandes et de réponses, un Avis au Lecteur, qui justifie l'entreprise. Enfin une Liturgie Gallicane dans laquelle la Messe même se trouve, ainsi que les Sacrements (126 pages in-8°).
3. Avec trente-sept Chants ou Airs, sur chacun desquels on peut chanter tous les Psaumes, suivant la traduction du Bréviaire de Paris, aussi agréablement qu'on chante les cantiques. Paris. Impr Lib chrét. et chez Brajeux, frimaire an VIII.
4. L'exemplaire de la Nationale porte un nom: C. Renaud. C'est bien l'auteur ; Grégoire le connaît et le cite.
5. Le ton de cette Dissertation est très modéré, la discussion sérieuse, serrée et calme. Les arguments et les textes sont ceux qu'on trouve partout. Je signale cependant une ou deux phrases : « Bien des personnes éclairées considèrent le long espace de tems où Dieu n'a pas permis qu'on pût faire le service divin en langue vulgaire, comme l'exécution, à notre égard, de la menace qu'il avoit faite aux juifs de leur parler en une langue étrangère qu'ils entendroient de leurs oreilles, mais qu'ils ne comprendroient pas. Pourquoi vouloir prolonger une peine si douloureuse ? » (p. 18).
« Comme Saint Chrysostôme a dit que le jeûne chrétien, en affaiblissant le corps, fortifie l'ame, nous pouvons bien dire . que le chant latin fatigue le corps, sans nourrir l'ame... » (p. 16 17).
« J'ai connu un couvent de moines où l'on n'avait plus conservé de l'office divin que l'usage de le sonner aussi régulièrement que par le passé, mais sans le dire jamais. Il en est de même de tous ceux pour qui le chant latin n'est qu'un composé de différens sons nuls à leur intelligence » (p. 17).
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382 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
21 brumaire an VIII (12 novembre 1799) : « Le citoyen occupé de procurer le chant régulier des pseaumes de Paris, m'a fait part hyer de sa Dissertation sur cet objet. Quel qu'extraordinaire qu'il paroisse dans la pratique, je pense, comme vous et M. Gregoire, qu'il seroit très utile d'y tendre, avec sagesse et en instruisant. Sa Dissertation me paroît y convenir, et qu'il seroit a désirer qu'elle eut l'approbation de plusieurs Evêques pour l'impression »1.
LES SACREMENTS EN FRANÇAIS EN SEINE-ET-OISE. — Ponsignon, curé de Meulan, Vicaire Épiscopal de Versailles, adressa son OEuvre aux « Évêques réunis »2 à Paris, par une lettre du 1er thermidor an VII (19 juillet 1799), dont la minute est conservée dans les papiers de Grégoire. Elle fut imprimée dans les Annales de la Religion3.
« Je ne réponds pas, dit-il, du mérite de l'exécution; vous en serez les juges: mais je puis répondre du succès qu'en obtiendra la pratique, si j'en augure par celui qu'ont obtenus ici les essais multipliés qui en ont été faits...
« A peine m'eûtes-vous désigné pour ce travail, que, moins... flatté d'être par votre ordre l'organe du Concile, dont je vous regarde comme les mandataires, qu'animé par l'espérance de l'édification qui en reviendroit à l'église, je m'empressai de rédiger l'administration du Baptême, ensuite celle du Mariage, celle des Malades; je les soumis successivement à l'examen et à l'approbation de notre vénérable évêque ; et je les administrai sous cette nouvelle forme, non seulement sans contradiction, mais avec applaudissement et souvent même avec attendrissement de la part des assistans.
« Je dois vous avouer que depuis quelque tems (depuis sur-tout que la licence ne paroît plus permise que contre les objets religieux), je ne me présentois à l'administration des sacremens, et sur-tout du Baptême, qu'avec la crainte d'être le témoin des irrévérences et l'objet des sarcasmes de l'impiété : le plus souvent je n'étois entouré que d'une jeunesse tumultueuse et dissipée; souvent aussi ceux qui présentoient des enfans au baptême, n'apportoient que des dispositions d'une froide indifférence ou d'un dédain mal déguisé pour des cérémonies qui leur sembloient vaines, parce qu'ils ne les comprenoient pas : quelques uns même m'avoient reproché ouvertement de leur parler un langage inconnu.
« Mais depuis que l'administration des sacremens se fait en français, tout a changé au profit de la religion.
1. La signature seule et quelques corrections sont de la main de Clément (Corr. Grég., S.-et-Oise. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.).
2. On appelait ainsi le Bureau permanent.
3. T. IX, Ve année, p. 318 et suiv.
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L'EXÉCUTION DU DÉCRET 383
« Sur près de quatre cents baptêmes qui ont été administrés en cette forme, il n'en est pas un qui n'ait inspiré un vif intérêt : à la dissipation a succédé le recueillement : des chrétiens attentifs réclament la piété par leur silence : les cérémonies expliquées et comprises impriment le respect, même à ceux qui apportent des dispositions contraires ; et des hommes d'une religion très équivoque, témoins de ces cérémonies, n'ont pu se défendre d'en être touchés jusqu'aux larmes et en ont fait l'aveu.
« Les belles formules du mariage produisent le même effet. Dans l'administration des derniers sacremens, les malades ne sont plus purement passifs ; ils se joignent aux prières qui les touchent et les consolent, et les assistans y répondent avec piété. Il n'est pas jusqu'à la cérémonie des relevailles, qui jusqu'alors n'intéressoit personne, qui ne trouve à présent des auditeurs attentifs et édifiés.
« Je dis plus : c'est que ces dispositions des assistans influent jusques sur le ministre des Sacremens, et le portent à les administrer avec plus de respect et de dignité. Quand il parle dans une langue inconnue, la certitude de n'être pas entendu, la crainte de devenir ennuyeux le forcent presque malgré lui à la précipitation.
« Mais ici l'attention qu'il apperçoit au-dehors excite la sienne : l'onction qu'il répand se communique à lui-même et lui rend ses fonctions plus vénérables.
« Tout se réunit donc pour confirmer cette vérité sentie par les pères du Concile national, ainsi que par tous les amis éclairés de la religion, que les pratiques augustes de cette religion sainte ne peuvent que gagner à être plus connues : que l'espèce de secret qu'on en a fait jusqu'à présent, bien loin d'augmenter le respect, ne sert qu'à le diminuer; et qu'un Sacramentaire, au lieu d'être une sorte de code mystérieux, dont l'intelligence est réservée presque aux seuls prêtres, devroit être un manuel intéressant pour tout fidèle, et un livre classique pour la jeunesse chrétienne ».
Puis Ponsignon justifie quelques changements qu'il a introduits, de légères additions, il plaide que l'ordination elle-même doit être en français, puisque l'évêque s'adresse au peuple pour lui demander son témoignage sur les candidats. Il ajoute : « J'avoue même que tout se prononce en français dans notre église... » (p. 324).
« Si le Concile, en votant l'administration des sacremens en français, s'est conformé aux principes de la raison, pourquoi renoncer à ces principes, lorsqu'il s'agit de la forme du sacrement? pourquoi cette bigarrure? pourquoi cette demie réforme? pourquoi laisser à ceux qui nous suivront le soin de la completter?... pourquoi cesser d'instruire et d'édifier les fidèles, dans le moment où ils
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384 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
doivent être plus avertis que jamais de l'opération de la grâce dans leur ame?... pourquoi laisser croire que les formules sacramentelles sont composées de paroles secrètes qui n'ont de vertu que dans une langue inconnue?... Dira-t-on que les formules sacramentelles doivent être conservées en latin, par respect pour la langue de l'église? En ce cas il ne falloit rien changer » (p. 325-326).
Et l'auteur reprend le procès des protestants contre la prétendue langue de l'église : « Si on a conservé le latin dans l'église, comme on l'a fait longtems encore après dans les tribunaux et dans les actes publics, ce n'a été que par habitude ou par la difficulté de suivre toutes les variations des langues vulgaires, non encore formées, et peut-être plus encore, pour ne point céder aux Protestans qui exigeoient cette réforme » (p. 327).
On le voit, et l'auteur le reconnaît lui-même, le Sacramentaire allait plus loin que ne l'avait ordonné le concile, il anticipait. L'évêque lui donna pourtant sa pleine approbation par une Lettre pastorale portant permission d'user de la langue française pour l'administration des Sacremens aux Fidèles du Diocèse de Seine-et Oise, et des Eglises vacantes de la Métropole (17 vendémiaire an VIII-9 octobre 1799)1.
L'évêque commence par rappeler la parole de Saint-Jean : « Dieu est esprit et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité », puis la décision du Concile de Francfort (794), can. 52 : « L'Eglise n'a point borné l'usage des langues dans le culte divin; mais elle tient que Dieu peut être adoré dans toutes les langues, et qu'il y exauce les hommes, lorsqu'ils lui demandent des choses justes ». « L'intention de l'Eglise est... d'associer, autant qu'il se peut, les Fidèles à ses prières et à ses offices (Décret du Concile national). Le Concile a pourvu au détail de ce soin, en décidant que l'Administration des Sacremens se fera en français... Nous n'avons mis que trop de délai pour nous y conformer; car le Concile veut que ce Sacramentaire se trouve préparé. Et par qui peut-il l'être, que par les Evêques?
« C'est la règle expresse du quatrième Concile de Latran. Ce que le Concile National a réservé au Concile suivant, c'est de le rendre uniforme, et de l'adopter comme Sacramentaire gallican ».
Au quatrième Concile de Latran « l'Eglise a enjoint expressément (stricte praecipimus) que, lorsqu'une Nation entière se trouve composée de peuples de différentes langues, vivant dans une même foi, les Evêques des Diocèses... aient soin... de leur administrer les
1. Coll. Grég., t. 109, p. (17 ; 8 p. in-8°. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.
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L'EXÉCUTION DU DÉCRET 385
Sacremens de l'Eglise selon la diversité de leurs usages et de leurs langues » (a. 1215, sous le Pape Inn. III, can. 9).
L'Evêque est donc « obligé de veiller avec lumière à la fidélité des traductions... Dans le fait... c'est un soin qui est continuellement exercé en France par les Evêques de la Basse-Bretagne et des Basques... N'y aurait-il donc en France que les Français qui seraient privés du même avantage ?
« A ces causes... ordonnons que désormais la pratique de ce Diocèse, et des Diocèses vacans de cette Métropole, y sera rendue conforme, et l'administration des Sacremens faite en français, commencée avec sagesse et par degrés, au soin et jugement des propres Pasteurs. Pourquoi nous réglons au provisoire, que désormais il pourra être fait usage en toutes nos Eglises de la langue française dans l'administration des Sacremens; ne permettant cependant à cet effet d'autre traduction que celle que nous approuvons par les présentes sur l'examen de plusieurs de nos confrères, composée par notre cher Vicaire, le citoyen Ponsignon, et n'en permettant aucune autre sans notre préalable examen; le tout jusqu'à la publication de la traduction uniforme du rituel Gallican, annoncé par le Concile National. Donné à Versailles, le 17 vendémiaire an VIII. Clément, Evêque du Diocèse de Seine-et-Oise ».
Histoire de la langue française. IX.
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CHAPITRE IV LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE
VIVE OPPOSITION. — C'est Royer, Evêque de l'église métropolitaine de Paris, et les pasteurs formant son Presbytère qui prirent la tête du contre-mouvement 1. Ils écrivirent aux Annales une Lettre ouverte où ils soutenaient que le vicaire épiscopal s'était arrogé des droits qu'il n'avait pas, que c'étaient là des nouveautés inouïes. Elles étaient d'abord formellement contraires à l'article III du second décret sur la liturgie.
En outre les principes suivants avaient été posés. Neuvième principe : « On doit conserver ce qui est d'un usage général dans l'église catholique » (469).
Dixième principe : « Les formes du Sacrifice de la Messe et l'administration des Sacremens ne peuvent subir aucun changement (Ib.).
« Qu'aucun prêtre français ne se laisse donc surprendre par le pompeux étalage des succès qu'un dangereux novateur dit avoir obtenus. Le temps des innovations est passé; le français catholique ne peut plus soupirer qu'après le retour de l'ordre, de l'union et de la paix, et il voueroit à l'exécration publique celui qui chercheroit à révolutionner l'église, comme celui qui tenteroit de bouleverser l'état...
« Nous improuvons l'innovation introduite dans la cathédrale de Versailles, nous n'y participerons ni directement ni indirectement » 2.
Saurine, évêque de Dax, donna de son côté un Avis motivé sur les Lettres Pastorales du Citoyen Clément, évêque du Diocèse de Seineet-Oise du 7 et 17 vendémiaire an VIII 3. Cet Avis fit un bruit énorme. Saurine conteste que les évêques réunis aient donné à faire autre chose qu'un premier essai4.
1. Ann. de la Rel., t. IX, p. 461. Voir [Brugière] Appel, p. 5. Il y eut un grand émoi à l'évêché de Paris, et aux Annales. On arrêta l'impression.
2. P. 472. Un N. B. signale d'autres réclamations, celle de Poulard, curé d'Aubervilliers, et celle de Capel, que le Concile a nommé à l'un des évêchés de SaintDomingue.
3. Voir Ann. de la Rel., t. X, p. 49. Autre titre : Réfutation de l'opinion tendante à introduire la langue vulgaire dans la Liturgie Gallicane.
4. « Leur dessein n'était point qu'on l'imprimât comme réglement quelconque,
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LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 387
« On multiplie, sans le vouloir sans doute, nos maux et nos dangers, ceux de la religion et de la patrie, en fournissant à nos ennemis communs des armes qu'ils n'avoient pas encore » (p. 50). Le Concile avait soumis « ces idées nouvelles, ou, pour mieux dire, renouvelées des protestans, à l'examen de tout le clergé, en renvoyant la décision à un temps plus opportun, au futur Concile » (p. 51).
Puis l'auteur reprend le procès au fond, examinant les textes du Concile de Trente et du IVe Concile de Latran; il discute l'interprétation du passage de Paul, rappelle une controverse sur la matière entre le roi de Grande Bretagne, Jacques Ier, et le Cardinal du Perron.
Des traductions peuvent être lues. Ceux qui ne savent pas lire ne peuvent s'en prendre qu'à eux. Officier en français à voix basse ne sert de rien. Le français n'est pas entendu des assistants étrangers, ni des sourds (!) ni des fidèles dont les « prêtres prononcent avec précipitation, ou bredouillent, et cet inconvénient là n'est pas rare»(!)(p. 70-71). Il suffit que le prêtre comprenne. « Puisqu'on veut que le peuple entende tout, il faut tout adapter au seul langage qui lui est connu. En ce cas, il faudra faire bien des traductions diverses, puisque le peuple, dans un grand nombre de contrées, ne connoît pas le français, témoin les Basques, les Bas-Bretons, les Gascons des montagnes, les Provençaux, etc. » (p. 75).
En outre, il faudrait suivre les changements de la langue vulgaire, « de sorte que qui verroit aujourd'hui réciter le service de l'église en langue française, telle que nous apprenons par nos romans qu'elle étoit il y a deux ou trois cents ans, la religion se tourneroit en dérision et mocquerie; comme, d'ici à cent ans, la traduction des pseaumes de Marot se trouvera chose goffe, inepte et ridicule » (p. 76).
Tels sont les arguments de du Perron. Arnault ne pensait pas autrement, ni Racine le fils, ni le docte abbé Renaudot.
« La perte des anciennes langues que la religion ne conserve pas, entraîne, à la longue, la perte des écritures originales, celle des antiques monumens, celle des sciences et des arts. La substitution des langues vulgaires, comme on la veut, seroit donc le premier pas vers la destruction de la religion, le premier pas vers le vandalisme général » (p. 93).
Royer, évêque de Paris, El. Marie Desbois, évêque d'Amiens,
encore moins qu'on le mît à exécution, sans concert, sans accord, sans examen préalable, sans avoir consulté ni les évêques de France, ni même le clergé du diocèse, ce qui n'est ni canonique, ni conforme au voeu du concile » (p. 49-50).
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388 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
qu'on ne se fût pas attendu à voir sitôt chanter la palinodie, appuyèrent la protestation de l'évêque de Dax, « étant incapables d'aucune foiblesse, même à l'égard de notre respectable ami, le célèbre évêque de Blois » (Ann. de la Rel., t. X, p. 96).
Puis ce fut (p. 121) une Déclaration motivée des évêques de la métropole de Rennes contre l'emploi de la langue vulgaire, signée de l'évêque Le Coz (13 frimaire an VIII) 1, et (page 576) les adhésions de quatorze évêques à cette opposition, savoir ceux de Perpignan, Pamiers, Rennes, Troyes, Le Puy, Coutances, Besançon, Le Mans, Avignon, Aix, Grenoble, Vesoul, Colmar, Mende. Des prêtres signèrent aussi. Le français était bien menacé. Mais ses partisans ne se laissèrent pas abattre.
RÉPONSE DE L'AUTEUR. — Les évêques réunis, le 30 vendémiaire an VIII (22 octobre 1799), entendirent la lecture de la riposte de Ponsignon à ses adversaires. Les Annales ayant refusé de l'insérer, force fut de la publier à part. Elle porte le titre de Apologie de l'usage de la langue française dans l'administration des sacremens, en exécution de l'article III du deuxième décret du Concile National sur la Liturgie, contre les réclamations des R. R. Royer, évêque Métropolitain de Paris, et Saurine, évêque de Dax2.
Cette Apologie est précédée d'une Lettre sans nom d'auteur, du 27 ventôse an VIII (18 mars 1800), incitant Ponsignon à se défendre. Il en résulte que non seulement l'évêque de Versailles avait suivi le travail de son vicaire épiscopal, mais que d'autres évêques avaient entendu lecture du Sacramentaire, ainsi que plusieurs Ecclésiastiques du Presbytère de Paris (p. 12). Ce sont même les évêques qui ont donné le titre. Le Concile avait prévu une rédaction, non une traduction, donc autorisé des changements (p. 14). Nous n'entrerons pas dans la discussion où l'auteur revendique des droits que les protestataires lui contestent, et démontre que l'opprobre qu'on essaye de jeter sur lui retomberait en dernier lieu sur le Concile National. Le fond du sujet n'est pas véritablement abordé 3.
1. Cf. Le Coz, Corr., t. I, p. 360. Depuis longtemps Le Coz, on l'a vu, était revenu de ses illusions; dès l'an III, il proposait à Grégoire de retrancher le mot République de l'encyclique des évêques réunis pour y substituer gouvernement (Mathiez, Théoph p. 20).
2. Paris, Impr. Libr. chrét., s. d., in-8°. Le titre de départ porte le nom de F. L. Ponsignon et la date du 22 octobre 1799.
On trouve page 33 : Observations du citoyen Ponsignon en réponse à l'Avis motivé (cf. Ann. de la Rel, 14 janv. 1800, t. X, p. 49).
3. Je signalerai pourtant cette page curieuse : « Supposons que dans une Église on adminislre par an huit cents baptêmes (et cette supposition est constatée par l'expérience) : chacun de ces baptèmes procure au moins trois témoins, le père communément, et toujours un Parrain et une Marraine ; ce qui fait deux mille quatre cents témoins, sans
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LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 389
Écrivant à son collègue de Blois, le 21 brumaire an VIII (12 novembre 1799), Clément lui donnait des nouvelles des applications du « gallicisme » dans son Diocèse : « Je vois par votre lettre du 17 brumaire que j'ai l'aventage (sic) de penser en beaucoup de choses comme vous, spécialement sur l'usage de la langue vulguaire (sic) dans l'Administration des Sacremens. Ce ne peut être que par un concert de fait, que l'on puisse en introduire l'usage...
« Vous parlez des circonstances. Elles m'ont été parfaitement favorables ici, et sans contradiction » 1.
Mais il importait d'agir sur l'opinion générale. Le Vicaire épiscopal de Versailles avait préparé une réponse à ses contradicteurs. Il suppliait Grégoire d'intervenir. Une première lettre est datée du 24 brumaire an VIII (15 novembre 1799) 2. Le 11 nivôse (1er janvier 1800), nouvelle lettre au même « cher et respectable Évêque » 3.
compter les assistans qui sont quelquefois assez nombreux: accordons que, dans ce nombre, il se trouve quatre cents chrétiens instruits et fervens ; reste deux mille qui peut-être n'ont fait depuis long-tems d'autre acte extérieur de religion que celui-là. Si vous récitez du latin devant eux, vous ne leur procurez aucune instruction ; vous n'excitez en eux aucun sentiment ; ils ne savent ni ce que vous dites ni ce que vous faites ; souvent même vous ajoutez à leurs préjugés et à leur esprit de dérision envers des cérémonies sur lesquelles ils ont entendu jetter le ridicule. Mais prononcez du français avec la gravité et le recueillement convenables, et vous exciterez dans les uns des idées de religion qu'ils ne connoissoient pas ; vous réveillerez dans les autres des sentimens depuis longtems assoupis, ou du moins vous obtiendrez presqu'infailliblement une attention qui les disposera à la décence extérieure ; et l'impie le plus déhonte n'aura plus de prétexte à troubler vos fonctions par les sarcasmes et les objections contre un langage et des cérémonies qu'il se plaignoit de ne pas comprendre » (Apologie, p. 52).
1. Lett, ms., Corr. Gréq., Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.
2. Ces lettres, manuscrites comme la précédente, sont conservées dans la Correspondance de Grégoire. « Au citoyen Grégoire, membre de l'Institut National, rue SaintGuillaume, Faube Saint-Germain, Paris. Etes-vous de retour à Paris?... votre voiage qui a été sans doute bien agréable a ceux que vous avez visités ne l'a gueres été pour moi; votre absence [m'] a laissé seul en butte aux attaques d'un parti qui vous poursuit sous mon nom et qui voudrait pouvoir anéantir un ouvrage que je n'ai entrepris que sur votre invitation. Je ne vous parlerai que de la Lettre du presbitère de Paris insérée dans la dixième livraison des Annales, et qui n'est qu'une satyre personnèle ou nulle vérité, nulle décence n'est respectée : j'y ai préparé une réponse que M. l'Evêque d'Amiens m'a promis de publier dans les Annales. Mais je voudrais au préalable vous en faire ainsi qu'à lui une lecture particulière ; il faudrait donc que je fusse assuré de votre retour a Paris, et que je pusse obtenir de vous deux une heure d'audience determinée. Des apologies que je n'attendais pas avaient précédé les satyres que je prévoiais et servaient d'avance à m'en consoler, il était du droit naturel d'opposer l'éloge au blâme et la défense à l'attaque ; j'avais remis à M. l'Evêque d'Amiens des extraits de ces apologies, il m'avait promis d'en faire usage dans les Annales et jusqu'à présent rien n'en a paru.
« Serais-je donc réduit a me croire abandonné par ceux mornes dont j'ai rempli les intentions avec le plus grand zèle ? devrai-je dire après une année de veilles et de travaux : « frange miser calamos, vigilataque proelia dele ». Cette letlre se termine par une phrase d'espoir : « Mais je compte sur votre fermeté à suivre un dessein si utile a la religion, si canonique dans son principe, si indispensable dans les circonstances presentes et qui, s'il était rejette aujourd'hui, le serait peut-être encore pour des siècles. Salut plein d'un tendre et respectueux dévouement ».
3. « Votre nouvelle dignité (Grégoire venait d'être élu Membre du Corps Législatif) n'empechera pas sans doute que vous ne daigniez continuer a proteger et a diriger mes
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Grégoire insista-t-il auprès de la rédaction des Annales? En tous cas, à la suite de l'article dont nous avons parlé parut un deuxième opuscule, du 24 nivôse an VIII (14 janvier 1800), intitulé Observations... en réponse à l'Avis motivé du citoyen Saurine. Ponsignon y traite cette fois la question au fond 1.
INTERVENTION DE BRUGIÈRE. — Sur les entrefaites, le curé Brugière (de Saint-Paul, à Paris) publia, sans nom d'auteur, son Appel au peuple chrétien de la réclamation de M. Royer, évêque de Paris, contre l'admission de la langue française dans l'administration des Sacrements, par un des Pères du Concile National. Il s'en prend à Royer qu'il suit argument par argument. C'est un fervent et un croyant, sûr du succès 2. Les raisons que donne Brugière n'ont rien de bien original 3. Mais le ton est vif et les saillies nombreuses :
travaux J'ai redigé de courtes observations sur la longue dissertation de M. Saurine contre le Sacramentaire français et j'espere que sous vos auspices elles pourront paraître dans les Annales. Je vois avec chagrin qu'on y accueille et qu'on y entasse coup sur coup les attaques qui me sont faites, tandis qu'on néglige d'y insérer les apologies et les défenses qui pourraient y servir de contrepoids. M. l'évêque d'Amiens contribue lui-même à décrier ouvertement un ouvrage dont il est le principal provocateur et qu'il se propose de publier : j'ai peine a croire d'après cela que la publication en soit possible, ou qu'elle puisse avoir aucun succès : d'après ces reflexions comment me resterait-il du courage pour achever la partie dogmatique des Sacremens, quoiquelle soit dejà tre*s avancée : d'ailleurs elle n'est point essentielle à un rituel et la plupart ne presentent que la partie ceremonièlle et la pratique administrative ; ces traités en outre, quelques courts qu'on les fit, augmenteraient de beaucoup un volume qu'il n'est pas prudent de grossir dans l'incertitude de son succès ou meme de son existence : enfin la methode de traiter plusieurs des Sacremens, tels que la penitence, le mariage, et l'ordre doit etre sur plusieurs points absolument nouvelle et il ne m'appartient pas de trancher sur ces articles délicats, je vous soumets néantmoins ces reflexions et je recevrai vos avis avec la plus entiere déférence ».
1. Il est reproduit dans les Ann. de la Rel., t. XI, p. 583-874.
2. « J'annonce au citoyen Ponsignon, qu'avant même la tenue du futur Concile, l'administration des Sacremens, en langue française, sera d'un usage universel par toute la France... Si je me trompois dans mon calcul, je serois autorisé à publier sur les toîts que vers la fin du XVIIIe siècle, il n'y avoit ni bon sens, ni raison dans la très-grande majorité des pasteurs de l'Eglise Gallicane » (Appel, p. 51).
3. Il arguë toujours de l'impossibilité où l'on met les fidèles de participer en esprit à la célébration du culte (p. 57).
« S'obstiner à ne pas vouloir faire usage de la langue française dans la liturgie, c'est priver les fidèles de l'exercice d'une fonction à laquelle ils ont un droit inaliénable, celui d'offrir le sacrifice » (p. 89).
Le Concile de Trente, dont l'autorité du reste, en matière de discipline, est contestée et contestable, n'a pas défendu partout l'usage des langues vulgaires. Son texte est très obscur (p. 102-104).
En 1723, on célébrait à Rome les offices en diverses langues : arméniène, copte, syro-chaldaïque, sclavonne, aussi bien qu'en grec et en latin.
M. Le Coz se trompe. Le catéchisme de Montpellier le dit bien : « L'Eglise, au commencement, a célébré dans chaque pays le service divin dans le langage vulgaire » (p. 106) Quand l'évêque ordonne, il dit à ceux qu'il ordonne lecteurs, en leur faisant mettre la main sur le livre des leçons : Faites entendre aux fidèles la parole de Dieu. Attachez-vous à prononcer ces saintes paroles distinctement, intelligiblemment. Que signifie cet ordre, si on doit lire en langue non entendue ? (p 111-112).
Brugière qui parle avec tant de dignité et de respect des « errants », ne s'émeut pas du reproche qui lui est fait de leur ressembler. Il reconnaît même que le commun
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Les prêtres même éprouveront le bénéfice de la réforme. On ne verra plus des « diseurs de messe », ces « porte dieu dont l'insouciance est telle, qu'ils ne s'embarrassent aucunement de ce qu'ils disent... parce qu'ils sont bien convaincus... qu'on n'est pas en état de les entendre » (p. 62). Le temps est fini de la maxime : « Des chapelets et pas de livres ». Un chrétien qui ne comprend pas, c'est le flûteur de Vaucanson, encore le flûteur est-il un ouvrage de génie, tandis que ce chrétien est l'avilissement de l'ouvrage le plus parfait de Dieu (p. 65). « On s'est accoutumé, dit Fleuri, à regarder tout ce qui se fait à l'église comme des cérémonies, et tout ce qui s'y dit comme des formules... de-là vient qu'il est si ordinaire d'y dormir » (p. 72). « Il ne reste qu'un squelette de religion... des pratiques extérieures que rien n'anime, un culte pharisaïque, des dévotions superstitieuses et au moins absurdes, de Sacré-Coeur, etc. » (p. 73)1.
RIPOSTE AUX VERSAILLAIS. — La réponse de Ponsignon lui avait valu une riposte où sa témérité n'est guère ménagée 2. On essaye de convaincre le vicaire général d'ignorance, de mauvaise foi, de complicité avec les protestants. La fameuse réforme serviroit à quoi, puisqu' « il ne veut point qu'on donne une Liturgie en langue vulgaire, aux contrées de la France où l'on parle des idiômes particuliers ; et cela pour deux raisons, l'une que l'influence du gouvernement actuel rendra bientôt, dit-il, le français vulgaire par tout; l'autre, que les habitans de ces contrées sont en petit nombre. La première seroit une espèce de miracle, qu'aucun gouvernement n'a encore pu opérer dans un vaste empire ; et c'est dans un miracle imaginaire que le C. P. va puiser ses raisons ; la seconde est évidemment fausse. La plus grande partie de la population de la France est dans les campagnes; et dans les campagnes un peu éloignées des villes, on parle des idiômes particuliers, ou un mauvais français. On n'y entend point, ou presque point le français moderne pur, qui est
des catholiques est beaucoup moins instruit de sa religion que le commun des protestants ne l'est de la sienne ; la raison en est toute simple : « Les protestants célèbrent leur culte en langue vulgaire ».
1. L'ouvrage se termine après un appel pathétique, par la reproduction de la Lettre de Ponsignon, du 1er thermidor an VII (19 juillet 1799).
Le Mémoire apologétique de P. Brugière, publié en l'an XII après la' mort de l'auteur (15 brumaire an XII-7 nov. 1803), reprend naturellement toute la discussion (p. 63 et suiv.). J'en citerai seulement cette boutade : « faire parler français à des Français, lorsqu'ils parlent à Dieu; faire chanter en français, des Français, lorsqu'ils chantent les louanges de Dieu, n'est-ce pas le comble du ridicule, l'ultimatum de la déraison? On serait tenté de croire que, par une singularité bien autrement singulière, ces judicieux Aristarques pensent que Dieu n'entend pas le français » (p. 63).
2. Remarques sur la réponse du citoyen Ponsignon à l'Avis motivé, Paris, Baudelot et Eberbart, s. d., in-8°. L'opuscule se termine par une bibliographie des ouvrages où la même question a été antérieurement discutée.
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celui de nos livres, de manière que plus de la moitié des habitans de la France sont dans ce cas. On sait cela quand on a un peu voyagé, quand on a vu autre chose que les grandes villes et les environs. Le C. P. regarde-t-il cette moitié comme peu de chose? plus de quinze millions de personnes, comme un petit nombre? qu'en fera-t-il ? » (p. 23-24). Le 16 floréal an VIII (6 mai 1800), l'évêque Clément mandait à Grégoire : « Cher et Reverendissime Confrère, Votre lettre du 28 Germinal, en adoptant si nettement comme'moi-la Décision du Concile sur l'emploi de la langue française dans l'Administration des Sacremens aux Fidèles, m'assure de votre suffrage, pour quand vous aurez pu lire mon Mémoire, que j'ai eu a coeur de ne donner que dans l'indispensable nécessité; avec autant de démonstration au fonds, que de retenue et de modération dans la forme. Mais cet objet est à cette heure pour moi une matière qui ne m'occupe plus, et qui ne m'occupera pas davantage, puisqu'il est porté au prochain Concile National»1. Évidemment ces dernières lignes ne signifient pas que Clément entend désormais attendre et remettre. Elles seraient en contradiction avec le reste de la lettre, qui marque une entière décision, et la volonté de défendre les idées du Concile. Toutefois il n'y avait visiblement pas beaucoup à compter sur l'action de l'évêque.
En revanche Ponsignon, plus attaqué et plus ardent que son chef, en appela encore une fois au grand patron de l'idée : Grégoire. Le 10 thermidor (29 juillet), l'évêque Clément annonçait à Grégoire la visite de son vicaire. Celui-ci de son côté, le 5 août, écrivait directement au « patriarche » : « Vous avez donc absolument abandonné la cause du Sacramentaire français ? Vous voiez donc avec indifférence chaque n° des Annales donner un nouveau coup de pied a vous, a M. Clément, a moi, a tous les bons esprits, a la vérité, a l'édification publique, au bon sens, etc.... Pourquoi donc garder le silence en si beau sujet de parler ? — On n'oserait pas probablement vous clore la bouche comme a moi. — Quel vertige a donc tourné la tète des annalistes dont le chef était le plus ardent propagateur du français et qui aujourdhui me sacrifie cruellement au parti de l'opposition ? je crois bien qu'il faut que je renonce a l'espérance de le voir imprimer mon ouvrage, malgré tant de promesses réitérées, je voudrais pourtant avoir là dessus une assurance quelconque pour savoir si je dois poursuivre mon entreprise ou y renoncer. Si j'osais vous prier de sonder M. Mauvie sur cet objet, comme de vous même : peut-être en saurait-il ou y pour1.
pour1. Grég., Seine-et-Oise. Bibl. de la Soc. des Amis do P.-R.
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rait-il quelque chose. J'espère aller a Paris incessamment et ce sera pour moi une faveur si je puis recevoir de votre bouche un mot d'encouragement. Recevez... »1.
GRÉGOIRE DONNE. — L'évêque de Blois n'était pas de ces hommes qui abandonnent les causes compromises. Nous sentons, disait-il, ce que vaut « la cause si intéressante que nous soutenons et. que nous nous féliciterons toujours d'avoir soutenue; parce que nous sentons tout le prix de la grâce que Dieu nous fait d'en connoître l'importance, et de la soutenir pour le bien de son Eglise » 2. Il lança un vrai plaidoyer 3. Son opuscule n'est certes pas un chef-d'oeuvre littéraire. Grégoire ne s'est pas occupé d'y mettre de l'art, il ne cherche même pas à composer. Il voulait agir, non plaire. Mais c'est une oeuvre forte et qui porte.
Tous les arguments que le bon sens et l'érudition combinés pouvaient fournir en faveur de sa thèse, l'auteur les a, comme on pense, trouvés et produits, sans aucun de ces écarts de langage ou de ces formules emphatiques qui déparent certains de ses rapports et discours antérieurs. On sent que de grands sentiments l'élèvent audessus de la polémique : le respect de ses frères dans l'épiscopat, le désir de ne pas diviser l'Église, une volonté de progrès dégagée des routines, mais qui se garde de condamner ou de maudire le passé, des regrets du temps perdu qui ne tournent jamais au dédain. Mais surtout, d'un bout à l'autre, éclate un amour profond des fidèles, un dévouement manifeste aux plus humbles, pour tout dire, une vertu d'apôtre qu'aucune menace n'a effrayé, qu'aucun coup n'a abattu, qui continue son rêve de fondre le christianisme et la Révolution, malgré l'orage qui vient de passer et la menace qu'il sent venir, où va périr l'Église dont il est le chef.
1. Corr. Grég., Seine-et-Oise. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R. Dans leur numéro du 31 juillet 1799, les Nouvelles Ecclésiastiques avaient reproduit la lettre de Ponsignon du 14 thermidor an VII (19 juillet 1799). Le 3 juillet 1800, le même journal insérait la lettre de Le Coz, puis la Dissertation sur la célébration de l'office divin. Son avis donné en termes fort modérés, était très net : « l'évêque de Versailles peut avoir mal fait d'agir seul dans un cas où le concert paroissoit nécessaire : mais du moins ce qu'il a fait est une chose, qu'il seroit à souhaiter que tous les Evêques du monde s'accordassent à vouloir faire comme lui » (p. 54).
2. Avis au lecteur, p. 7 de l'ouvrage cité ci-dessous.
3. Voir Réclamations des fidèles catholiques de France au prochain Concile National en faveur de l'usage primitif de la langue vulgaire dans l'administration des Sacrements et la célébration de l'office divin Contre l'Avis motivé, etc.. publié dans les Annales de la Religion, t. X, p. 49, pour servir de suite à la Dissertation publiée depuis peu sur la même matière... [Par l'abbé H. Grégoire]. Paris, Brajeux, 1801, in-8°, VIII-159 pages. B. N., 8°, Ld-4 5479. C'est sans doute ce livre qu'annonçait Grégoire quand il disait dans les Actes du second Concile National III, 204, an X, « il y a du neuf à dire pour [la francisation], et le rédacteur du compte-rendu des évêques espère le prouver en publiant sur cet objet son ouvrage présenté au Concile National de 1797 ».
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Les seules objections qui lui inspirent des ripostes de quelque vivacité sont celles où se trahit l'oubli des devoirs du clergé ou de l'esprit de charité. Quand il entend dire que « le seul inconvénient qui résulte de la conservation de la langue originale consiste en ce que le simple vulgaire, les femmes, les enfans et autres personnes illettrées ne peuvent pas entendre immédiatement et par eux-mêmes les expressions des prières, des louanges et des actions de grâces qu'on y adresse à Dieu », il tressaille. « En effet, s'écrie-t-il ironiquement, les femmes, les enfans, et autres personnes illettrées, qu'est-ce que tout cela en comparaison des gens lettrés ? Cela ne mérite pas qu'on y fasse attention; et les consolations spirituelles, et autres avantages dont pourroient jouir des individus de si peu de conséquence (et en si petit nombre, qu'à peine sont-ils deux cents contre un homme lettré) sont si peu de chose eu soi, que cela ne mérite pas d'être recherché! » (p. 66)1. Et c'est là toute son amertume. S'il veut peindre la routine, il emprunte un tableau tout fait.
Certains des arguments de ses contradicteurs lui paraissent vraiment singuliers : Les prêtres peuvent bredouiller en latin ; la langue française ne serait pas si commode. Eh bien, répond-il simplement, ils bredouilleront moins. « Le prêtre apprendroit à se respecter lui-même » (p. 79).
Malgré la prolixité du style et les redites, l'esprit est frappé de temps en temps par des formules vives et nettes : « Apparemment que les pasteurs entendent pour les fidèles, comme les nourrices mangent pour leurs nourrissons » (p. 84).
« Pour prier, pour traiter avec Dieu, de Dieu, de soi-même, du prochain, des choses de la vie éternelle, un consentement vague et implicite, une simple direction d'intention peuvent-ils suffire ? » (p. 82).
Chanter des psaumes en français, c'est faire comme les protestants. Tout ce que font les protestants est-il mauvais parce qu'ils le font? (p. 41-42). C'est là du « noir à noircir les gens » (p. 53). Comment la version, adoptée dans plus de quarante diocèses, dont l'Avis motivé présente la lecture aux fidèles comme remède et dédommagement, peut-elle être erreur, venin, poison par l'usage du chant? « Il en seroit donc comme de l'usage de la même eau, qui, froide, retient les aliments, et, tiède, les fait vomir! » (p. 55).
1. Cf. « Nous avons des livres, nous disent-elles (les personnes pieuses), mais qui, nous ? Vous etes en quelques endroits un seul sur cent qui en avez, en d'autres un sur mille ; lesquels ou ne savent pas lire, ou par défaut de goût ou de moyens n'ont pas de livres. Vous vous nourrissez donc, vous? je le suppose; mais tant d'autres meurent faute de manger, et cela vous est indifférent ! Est-ce donc là votre charité ? elle n'est pas catholique » (p. 63).
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« Les chantres de profession, et la plûpart des autres fidèles qui chantent, ne peuvent mieux être comparés qu'à ces laquais de grands seigneurs qui servent leurs maîtres à table : tous les mets les plus exquis leur passent par les mains, mais ils n'ont pas le pouvoir d'en manger » (p. 9).
« Si sans nous causer aucune dépense, ni nous déranger de nos occupations ordinaires, l'Avis motivé et ses partisans peuvent, dans l'espace d'un mois, nous donner l'intelligence de la langue latine en laquelle on fait le service divin, nous lui donnerons la préférence. Mais si on ne peut nous donner l'intelligence de la langue en laquelle on fait l'office, qu'on fasse donc l'office dans la langue dont nous avons l'intelligence » (p. 112-113).
Tout nourri des Pères et des Écritures, Grégoire les appelle à son aide avec sobriété et à propos. Il a entendu à Saint-Nicolas du Chardonnet des prières et toute une cérémonie en français. Pourquoi donc pas les offices ? « Combien... n'auroient pu retenir leurs larmes, si, à la reprise du culte, nous avions chanté en langue vulgaire ces paroles du pseaume 73 : « Ceux qui vous haïssent ont mis leur gloire à vous insulter au milieu de vos solennités... » (p. 30).
On voit assez par ces quelques extraits combien les arguments de bon sens, si nombreux dans cette cause, sont présentés avec verve. Mais il en est que nous devons particulièrement retenir pour l'histoire de la langue. Les adversaires ne peuvent plus arguer de l'infériorité de la langue vulgaire. Si elle n'est pas une « mèrelangue » (p. 92), elle a donné cent chefs-d'oeuvre en preuve de sa haute valeur. Elle est arrivée à maturité (p. 93).
« Assurés par une expérience de cent cinquante ans que les règles de notre langue sont fixées, et qu'elle est aujourd'hui aussi parfaite que pouvoient l'être toutes celles dont l'Eglise s'est originairement servie pour l'exercice de son culte, à mesure qu'elle s'est étendue parmi les nations, nous sommes persuadés que ce temps de la miséricorde du seigneur, après lequel elle soupire depuis si long-tems, est enfin arrivé » (p. 18).
Arnauld l'appelait déjà « une des plus belles langues de l'Europe » ; et Bouhours écrivait « qu'on l'y parloit dans toutes les Cours » ; or, « loin d'avoir dégénéré depuis, tout le monde sait qu'elle est parvenue à un tel degré de perfection, qu'elle n'est pas seulement vulgaire dans toute la France, mais encore dans toutes les grandes villes de l'Europe. Et nous ne doutons pas que quand on concluera (sic) le traité de la paix générale, c'est dans cette langue qu'il sera exprimé, ainsi que le vient d'être celui de la paix particulière, entre la Repu-
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blique et l'Empire; ainsi que l'ont été en 1783, les différents traités qui pacifièrent les deux mondes, ainsi que le furent en 1774, le traité, entre les Russes et les Turcs, à quoi M. de la Harpe fait allusion par ces vers :
Des intérêts des Rois, votre langue est l'arbitre; Disputant contre Orlof, l'orateur du Divan, Osman plaide en français les droits de son Sultan ; Et dans Foksani, le Turc et la Russie Décident en françois du destin de l'Asie.
« Nous venons de lire dans le Publiciste : La lettre que l'Empereur Alexandre Premier addressa au Prince Royal de Danemarck pour le féliciter du courage qu'il montra dans l'affaire du 2 avril, étoit écrite en français, circonstance qu'il ne faut pas oublier (ajoute le Publiciste). C'est encore en français qu'on a publié à Copenhague les événemens militaires entre le Dannemark et la Grande-Bretagne, depuis le 30 mars 1801, jusqu'au 2 avril de la même année. Il semble que la langue des Français soit devenue désormais l'idiome convenu dans l'Europe pour célébrer les exploits militaires » (4 prairial an IX) (p. 91-92).
Les sophismes historico-théologiques ne pèsent rien aux yeux de Grégoire. Dès la page 4, il a dissipé l'erreur que le latin est la langue de l'Église 1. Quand on dit que les Saints Pères ont tranché le débat, on fausse le texte : il s'agit des Pères du Concile de Trente (p. 110-111) 2.
Une objection restait pourtant, grave et gênante. Officier en français n'était pas un moyen de se faire entendre des Bas-Bretons, des Provençaux, etc. Grégoire s'en tire mal. Il ne peut pas accepter le culte en patois, ce serait compromettre sa cause, risquer la dignité de la religion. L'évêque de Blois refuse d'aller jusque-là et l'on retrouve en lui l'auteur du rapport sur les patois. Les dissidents se mettront au français 3 :
1. « En quelle langue... les apôtres et les hommes apostoliques ont-ils établi partout la célébration du service divin ?... L'ont-ils établie en latin? Oui, mais non pas par-tout. En grec? Oui, mais non pas par-tout. En syriaque? Oui, mais non pas par-tout. En hébreu ? Oui, mais non pas par-tout... Et en quelle langue donc par-tout ?En langue vulgaire, c'est-à-dire, en la langue ordinaire du lieu, et le plus généralement connue de tous les assistans. Pourquoi en usoient-ils ainsi par-tout ? 1° Parce que le bon sens le demande. 2° Parce qu'ils se proposoient par-tout, en tout, et préférablement à tout, la plus grande utilité et la plus grande édification des fidèles... 3° Pour donner l'exemple à leurs successeurs dans le même ministère ».
2. Le canon du Concile n'est qu'un point de discipline sujet à variation. Pehem, professeur de droit canon à l'Université de Vienne, l'a proclamé en 1782. Un évêque de Toscane a donné l'exemple delà réforme, avec plein succès, dans son diocèse (p. 39-40).
3. Chabot avait exprimé la même opinion : « Si l'on faisait traduire nos livres liturgiques en langue vulgaire de chaque département, un voyageur aurait besoin d'entendre
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« Quoique le français soit la langue vulgaire de toute la France en général, néanmoins les paysans [les] plus éloignés des villes dans la Bretagne, la Provence, la Gascogne, le Languedoc, le Poitou, ont, en chacun de ces lieux, un patois particulier qui leur est plus usité et plus vulgaire que le français, il n'est sans doute pas nécessaire de célébrer le service divin dans tous ces patois, qui n'ont ni l'étendue, ni l'exactitude, ni la stabilité de la langue française : mais cela n'empêche pas que la célébration en langue française ne fût très avantageuse à toute la France en général, et même dans les lieux où le français est moins usité et où le latin ne l'est pas du tout ; parce que cela contribuant à leur rendre le français plus vulgaire, leur seroit avantageux, et pour la religion, et pour leurs affaires temporelles » (p. 37).
« La considération des Basques et des Bretons d'aujourd'hui ne doit pas empêcher... de celébrer [les offices] en la langue commune à toute la France... Un médecin abandonne-t-il quatre-vingtdix-huit malades qu'il peut guérir à cause de deux autres qu'il ne peut encore soulager? » (p. 34).
Enfin il y avait à emporter l'adhésion de ceux dont la pusillanimité se déguise en prudence, et la peur en raison ; Grégoire l'essaye : On craint cette nouveauté dans les circonstances où nous sommes. « Mais le besoin du Peuple Français est le même dans les deux partis »(p. 114). Les prêtres insermentés le sentent comme les autres : « Si de leur côté ils tenoient un Concile, où siégeassent le prêtre rétractant, qui, vers la fin de l'an VII, administra le baptême en français à Saint Gervais ; le prêtre retractant qui, vers le commencement de l'an VIII, disoit que le rétablissement que nous demandons étoit le voeu de son professeur, et qu'il avoit raison ; le prêtre insermenté qui, dans une lettre du courant de l'an VIII, appeloit cela un usage si ancien et si nouveau, et ajout oit que les raisons sont d'un côté et les préjugés de l'autre, l'ecclésiastique étranger, et parconséquent insermenté qui, dans un écrit public de l'an VIII, appelle cela un point ou le suffrage de la raison et celui de la religion se trouvent d'un côté, et l'usage seulement de l'autre ; et sans doute un grand nombre d'autres qui pensent de même, ils accueilleroient aussi favorablement notre voeu que l'accueille un vertueux et savant canoniste de leur parti, qui dit qu'il faudroit faire sur cette matière un écrit à chaux et à ciment qui, si la routine et la prévention injuste
toutes les langues et de porter avec lui une bibliothèque liturgique pour assister aux offices de l'Eglise... Le français est donc la seule langue que l'on puisse adopter pour toutes les liturgies françaises, comme pour tous les livres de religion » (Lelt. à Gréq . p. 76-77).
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empêchoient de s'y rendre aujourd'hui, seroit au moins un témoignage pour la postérité que l'abus n'a pas été sans réclamation » (p. 117-118).
Il m'a semblé impossible de ne pas m'arrêter un instant à ce plaidoyer, autre Deffense et Illustration, où l'amour du pays, de la Révolution et de la démocratie chrétienne s'unissent pour exalter notre langue et lui ouvrir la vie religieuse 1. Le jansénisme, qui avait toujours bien mérité d'elle, la servait une dernière fois.
1. Brugière mérite à cet égard d'être cité après Grégoire : « En employant dans la liturgie l'usage de la langue française, vous lui faciliterez [au peuple] en mêmetemps le moyen de se perfectionner dans sa propre langue, dans sa langue naturelle, ce qui n'est pas sans doute à mépriser. C'est le voeu du gouvernement, c'est le voeu qu'a émis le concile national, en invitant les pasteurs à redoubler leurs efforts, pour répandre la connoissance de la langue française dans les diocèses, où des dialectes particuliers sont en usage ; quel moyen plus puissant pour les attacher plus fortement et à la patrie et à la religion ? Que serviroit à ces peuples de faire des progrès dans la connoissance de leur langue maternelle, si les avantages qui en résultent, se bornent uniquement aux intérêts de la société civile ? La langue nationale est le véhicule le plus propre à leur donner de la religion les sublimes idées qu'elle comporte. Quelle confiance ils prendront dans les dogmes et dans les mystères de cette religion, lorsque réunis dans les sentimens d'une même foi, ils adresseront à Dieu en commun leurs prières et leurs voeux dans une langue dont ils éprouveront la force et l'énergie, et dont l'harmonie et la douceur font goûter les délices les plus pures et les douceurs les plus délicieuses ! Quelle fin s'est donc proposée le concile national, en invitant les pasteurs à répandre la connoissance de la langue française? N'a t-il eu en vue que de civiliser, d'adoucir les moeurs des habitans de la Basse-Bretagne, du Jura, des Cévennes, du Mont-d'Or ? Il a porté ses vues plus loin, et ces vues sont bien dignes d'évêques et de prêtres éclairés, et vraiment théophilantropes, c'est-à-dire les vrais amis de Dieu et des hommes. Il a eu en vue de faciliter, par la connoissance de la langue française, la connoissance de la religion. Et comment parvenir à remplir un si grand objet, si l'on s'obstine à leur en faire pratiquer l'exercice public en une langue étrangère, inconnue, qu'ils n'entendent pas? Tant vaudroit-il les laisser croupir dans l'ignorance, en leur laissant l'usage de leurs barbares dialectes : et quels reproches nous aurions à nous faire, nous évêques, nous prêtres, si nous nous contentions d'en faire des français plus civilisés, plus polis, si nous ne nous appliquions de toutes nos forces à en faire des chrétiens plus éclairés et plus vertueux ? Et quel moyen plus puissant, encore une fois, que l'exercice public de la liturgie en langue française ? » (Appel, p. 75-76).
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CHAPITRE V DANS LA PRATIQUE
HARDIES INITIATIVES. — Brugière n'avait pas attendu le Concile pour appliquer ses idées. Appelé pendant la Terreur auprès d'un malade dont la famille l'avait prié d'administrer les sacrements en français, il le fit. L'effet d'édification fut tel que le prêtre continua cette pratique. Puis, vers l'an VII, les controverses achevèrent de le décider. Il s'y engagea à fond. En l'an IX, il prit possession de l'église Sainte-Marie. Les paroissiens lui demandèrent de se servir du français. On chanta d'abord après complies, toutes sortes d'hymnes. Un seul paroissien se retira. On pria alors le curé de faire de même pour les prières de l'Avent et du Carême. Il l'essaya encore, à la satisfaction de tous.
Un curé de Beauvais vint s'enquérir, puis un autre du Pays Chartrain. Mieux que cela, en l'an X, l'évêque Royer, assistant au Salut français, éprouva « ce qu'avait éprouvé Saül à la rencontre de prophètes, parmi lesquels il prophétisa comme eux » ; « il chanta de tout son coeur en français, comme les autres ».
L'abbé Leroi fut converti à son tour, au point qu'il paya l'impression de la Réclamation 1.
C'est même là-dessus que Brugière, encourageant le technicien qui lui avait fourni les moyens d'exécution, l'engagea à mettre en ordre et à recueillir tout ce qui avait été chanté à Sainte-Marie, et « qui forma un volume de trois cents pages contenant le chant des Pseaumes, des Hymnes, des Proses, des Saluts, des Lamentations, de la Passion, et enfin de l'Ordinaire de la Messe ».
« Brugière n'eût pas craint d'oser sans aucun soutien, comme le fidèle Abraham,-seul de son pays, comme le chaste Lot, seul de sa ville » 2. Il avait un émule, Duplan. « Le dimanche 18 thermidor an VI (5 août 1797), content les Annales, Duplan fit dans l'église de Gentilly, près Paris, l'essai de faire chanter les Vêpres en langue vulgaire, sur le ton ordinaire des Pseaumes. L'un des évêques réunis
1. Voir sur tous ces faits la Préface du Mémoire apologétique, XI-XIII.
2. Mémoire apologétique, p. 98.
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400 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
à Paris a cru devoir céder à l'invitation qui lui avait été faite d'assister à cet Office... Cet essai a parfaitement réussi »'. Or la note des Annales est de l'évêque lui-même, qui, entraîné par l'expérience, fut quelque temps au moins le partisan de la doctrine et résolut de faire imprimer ces chants qu'il avait chantés de tout son coeur, à gorge déployée, « pendant qu'il se contentait de fricotter les Vêpres latines ».
Brugière eût fait volontiers sur la question un plébiscite à soumettre au peuple : « Dites le à l'Église ». D'où le titre de son Opuscule : Appel au peuple chrétien.
RARETÉ DES TÉMOIGNAGES. — Assurément les protagonistes doivent avoir été singulièrement fortifiés dans leurs idées par l'adhésion, même partielle, du Concile de 1797. Mais furent-ils imités ? Où et par qui? C'est un problème à éclaircir. Hors les déclarations de l'évêque de Seine-et-Oise, Clément, dont nous avons parlé, nous n'avons guère de témoignages sur l'accueil fait par les ecclésiastiques et les fidèles aux nouveaux usages. Si nous en croyons Ponsignon, des centaines de baptêmes ont été donnés en langue française ; il nous le dit, mais nous n'en savons rien de plus. Grégoire y fait aussi allusion, mais d'après la même source, et sans aucune indication précise 2.
A Paris, l'évêque Royer avait accepté — au moins pendant un temps —, nous dit-on, que plusieurs prêtres donnassent les sacrements en français. Il disait en personne les prières du prône en français, conformément aux décisions du Concile (Grégoire, o. c, p. 139-140) 3. On y vit donner le baptême en français. Quand et où ? se demande-t-on \
Un prêtre reçut en cette langue l'extrême-onction de son curé en présence d'autres prêtres et de laïcs 5. Des cérémonies de cette sorte eurent lieu en ville 6. Mais combien de fois ? Qui en fut témoin?
Si les Matines, les Compiles se disaient en français, si on y chanta des psaumes, des hymnes aussi bien que des cantiques 1,
1. VII, 182. Cf. Grégoire, o. c, p. 74 et 138. Grégoire tient les détails d'un assistant.
2. Dans telle paroisse de Versailles, le vicaire épiscopal, d'après le voeu de son évêque, administre aussi le baptême en langue vulgaire (Réel., p. 74). Cf. « dans telle paroisse du diocèse de Versailles, on lit en français seulement les leçons de matines, et le reste se chante en latin » (Ib., p. 73).
3. Grégoire emprunte probablement le fait à l'Apologie, p. V. 4. Grégoire, o. c. p. 137.
3. Id., ib.. p. 144.
6. Id., ib., et p. 74.
7. Id., ib., p. 74, 144, 137. Dans une paroisse de Paris, on chante avant None des Pseaumes en français (p. 73); dans une autre... depuis trois ans, on récite en français les compiles durant le Carême pour prière du soir (ib.).
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DANS LA PRATIQUE 401
personne ne rapporte qu'on ait francisé la Messe, ni même, sauf exceptionnellement, les Vêpres.
S'il faut en croire les tenants du français, les nouveautés, loin d'être mal vues des fidèles, étaient très goûtées par eux. Ce fut même, on nous le dit expressément, à la sollicitation des paroissiens qu'on donna en français les sacrements, et l'impression fut telle que les assistants, profondément remués, se mêlaient à la célébration. Les faits allégués auraient besoin naturellement d'être contrôlés, puisqu'ils sont rapportés par des hommes qui ont intérêt à montrer l'effet bienfaisant de ces pratiques. Pourtant, ce qui semble confirmer leurs dires, c'est que des insermentés suivaient l'exemple. Boursier, curé de St-Gervais, a administré le baptême en français1. « Le curé de Surenne, autre insermenté, est dans l'usage de lire à ses paroissiens la Passion en français, au lieu de se fatiguer à la leur chanter inutilement en latin ». Le curé de Brunoi, encore un insermenté, en a fait autant cette année (Grég., o. c., p. 115). A SaintNicolas du Chardonnet, MM. Hur et Grinne ont fait chanter l'hymne Statuta en français et à chaque strophe la reprise du Rorate 2.
Malgré les exemples que je viens de rapporter, il est difficile de dire si vraiment le français s'introduisit dans le culte — en dehors même de la Messe. — J'ai l'impression de tentatives isolées plutôt que d'un commencement de mouvement général. Je dirai plus. Il me semble bien que Grégoire n'a pas eu connaissance de beaucoup d'essais de francisation dans les divers diocèses ; il les aurait cités, au lieu d'emprunter à Ponsignon ceux qu'il allègue 3. Celui-ci fait allusion à de nombreuses adhésions qu'il aurait reçues (Apol., p. IV). Il les avait, prétend-il, communiquées aux Annales, qui ne les ont pas insérées. C'est dommage. On aimerait les connaître et contrôler son témoignage. Si l'attention des historiens se porte désormais sur ce point, peut-être trouveront-ils dans les Archives des renseignements positifs 4.
RÉPUGNANCE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE. — Visiblement l'Église assermentée, si réduite, répugnait dans son ensemble à briser ainsi avec
Dans une autre paroisse de Paris, on lit en français, non-seulement les leçons, mais les matines toute (sic) entières (ib.).
M. le Curé de Saint-Paul fait des essais de psalmodie française : Te Deum, psaumes, prières de l'Avant et du Carême, etc. (p. 77).
1. Brugière, Mém. apol., p. 90.
2. Id, Ib., p. 90.
3. Brugière cite aussi, parmi les convaincus, Ricci, qui était à la tête du Diocèse de Pistoie (Ib., p. 99).
4. Je dois dire que je n'en ai pas rencontré dans la portion que j'ai lue de l'énorme correspondance manuscrite de Grégoire.
Histoire de la langue française. IX. 26
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402 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
la tradition. Ayant déjà assez à faire de soutenir dans chaque village une lutte furieuse, elle ne voulait pas risquer de se compromettre encore aux yeux des fidèles, en se donnant des airs d'hérésie. Il lui suffisait d'être traitée en schismatique. Des essais qui, en d'autres temps, eussent peut-être été vus avec quelque complaisance, ne pouvaient manquer d'être représentés comme des sacrilèges d'inspiration diabolique. Après les faux prêtres, les faux baptêmes, on aurait les fausses prières. Les prélats reculèrent.
Il est facile de voir, en feuilletant les Annales, que, si la direction changea plusieurs fois, les dispositions envers les franciseurs changèrent peu, et toujours pour devenir plus hostiles.
Le citoyen Vernerey, curé de Luhier (Besançon), avait proposé des Vues sur un cours de théologie française. En insérant ce travail, la direction du journal l'accompagna de cette note: « Nous devons protester ici contre l'étrange idée d'un cours de théologie en français, quoi que proposée par un ecclésiastique du mérite le plus distingué. Rien ne paroît mieux disposé pour précipiter les prêtres et l'église dans une profonde barbarie. Nous ne craignons pas de sonner le tocsin contre toutes ces francisations» (an VIII) 1.
Nous avons, du reste, d'autres preuves que des preuves négatives. Il y eut de nombreux synodes diocésains. Tout en acceptant que leur langue serait le français (voir Syn. de Versailles, Act., 19 janvier 1796. Coll. Grég., tome 109, pièce 5, p. 29, Bibl. Soc. des Am. de P.-R.), ou bien ils passèrent sous silence la question débattue ou bien ils se prononcèrent en faveur de la tradition.
Synode de Toulouse : « L'église d'Auch conservera le latin dans l'office divin jusqu'à ce qu'il en soit autrement décidé par un Concile d'Occident ». — Synode de Bayeux (2 septembre 1800). On « réclame contre tout changement d'idiôme dans l'office public » — Synode de Vannes : « L'assemblée a unanimement protesté contre le Sacramentaire Français » 2. — Synode de Rouen : « Le Concile
1. Ann. de la Rel., t. XI, p. 215. Brugière n'eut pas plus de succès. « L'enseignement de la théologie en latin est en France un vieux préjugé de corps : nos évêques aurontils le courage et la force de l'abattre ? La théologie est la science des dogmes et la doctrine des moeurs ; qu'on ait égard et qu'on s'en tienne à ce que le Saint-Esprit a dicté, à ce que la tradition constante et suivie de l'Eglise, qui est la colonne et la base de la vérité, nous a transmis de siècle en siècle, alors on fera des théologiens, non des théologiens de nos jours, dont toute la science consistoit en chicanes et en subtilités plus propres à soutenir le mensonge, qu'à établir la vérité » (Appel, p. 83).
Grégoire rapporte pourtant que feu Climent, évêque de Barcelone, renonça à composer de bons ouvrages de piété en sa langue, parce qu'il y avait assez de bons ouvrages français qu'il suffisait de traduire. Dans un séminaire d'Allemagne, les séminaristes croyaient ne pouvoir « devenir habiles théologiens qu'autant qu'ils seroient bien pourvus des bons ouvrages françois, et les moins aisés prenoient sur leur nécessaire pour s'en procurer » (Récl., p. 94-93, n.).
2. Ann. de la Rel., t. XII, p. 502, 506, 540.
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DANS LA PRATIQUE 403
s'oppose au changement de l'idiôme latin dans les Offices, et à l'introduction de la langue vulgaire dans la Liturgie ». Toutefois il « recommande aux Fidèles de se procurer des livres traduits en françois, afin de pouvoir suivre l'Office avec intelligence » (Act. du Conc. Métrop. de Rouen, 5 octobre 1800—13 vendémre an IX, Rouen, Fouquet, p. 38). — Synode de Vesoul : « Le synode donne comme instruction au vén. Lempereur, député au concile métropolitain : de déclarer qu'il s'oppose formellement, autant qu'il est en lui, à l'introduction de la langue vulgaire dans l'Office public du diocèse de la Haute-Saône » (Ann. de la Rel., t. XII, p. 544).
A Versailles même, l'opinion parait sur la fin être devenue très froide. Le révérend évêque notifia d'abord au synode, « comme un juste éclaircissement qu'il devoit à son clergé, les raisons canoniques de la conduite régulière et réservée qu'il avoit tenue depuis le Concile National dans l'exécution de son décret sur l'administration des sacremens aux fidèles en langue vulgaire ; le succès et les bénédictions que Dieu y avoit répandues, contre les vaines équivoques que l'inadvertance lui avoit opposées » (Ib., 541).
On y entendit ensuite le rapport du citoyen Ponsignon... archidiacre... sur la confection d'un Sacramentaire à adopter, selon le plan du Concile National, en la langue vulgaire, dans l'administration des Sacremens, pour parvenir à l'uniformité du rit gallican décrétée pour occuper le prochain Concile National. Le synode a conclu de donner acte de sa reconnoissance au citoyen Ponsignon, sur ce travail destiné à être joint au Mémoire présenté précédemment par le diocèse, pour y être pourvu par le prochain concile 1. Sans plus.
Grégoire devait sentir venir la défaite. N'était-ce pas en prévision qu'il écrivait à la veille du Concordat : « Que le nombre de ces pasteurs et membres éclairés du Concile... soit grand ou petit, il n'importe ; ayant plus égard au poids des raisons qu'au nombre des suffrages ; c'est en ceux-là que nous reconnaîtrons la voix de l'Eglise » (Réclam., p. 122). Cette belle intrépidité ne servait de rien.
LE SECOND CONCILE. — On se rappelle les obstacles opposés à la réunion du dernier Concile. Royer, l'évêque de Paris, ne reconnaissait plus depuis longtemps l'autorité des Evêques Réunis, sorte de Bureau Permanent. Il était hostile au Concile nouveau. Celui-ci se réunit pourtant. Quand il se tint, Grégoire y fit une relation détaillée des mesures prises en exécution des décrets de 17972. Il
1. Ann. de la Rel, t. XII, p. 543.
2. Actes du Second Concile National, Paris, Lib. chrét., an X, t. III, p. 201.
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404 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
prit la parole le lundi 3 août, le mercredi 5, et fit son rapport sur la Liturgie. « Après quelques observations générales faites sur le rapport, et principalement sur le projet de décret, » l'évêque de Coutances demanda l'ajournement à huitaine de la discussion de ce projet. Il fut appuyé par l'évêque de Saint-Claude ; l'évêque d'Auch proposa, par amendement, d'ajourner aussi à huit jours la discussion sur le rapport. Adopté 1. Le 12 arriva; aucune trace de la disdiscussion. Or le 14, on annonça la Bulle « pour la pacification des troubles religieux ». Le ministre de la police espérait que « le Concile aviseroit dans sa sagesse à une prompte séparation ». 2
L'Église gallicane avait fini de vivre. Bonaparte ne s'était servi d'elle que pour obtenir de la cour romaine des concessions. C'est sur celle-ci qu'il entendait fonder sa politique. Faut-il conclure que la liturgie française mourut du même coup? Non. Elle était morte auparavant. Nous avons vu que le rapport de Grégoire sur la liturgie fut escamoté. C'est son Traité de l'Uniformité et de l'Amélioration de la liturgie. Assurément Grégoire n'y abandonne pas ses doctrines 3, mais il ne fait plus qu'une simple allusion à la francisation. Il rappelle qu'on avait fait un premier pas ; il ne lui vient pas à l'esprit de proposer qu'on fasse le saut décisif 4.
Il appartient à d'autres de dire si l'Église gagnait autant en unité qu'elle perdait en force. La langue française en tous cas avait manqué encore une fois l'occasion de s'emparer d'une province essentielle de la pensée et du sentiment 5.
1. Ann. de la Rel, t. XIII, p. 321-322. 2 Ib.. p. 350.
3. « Autant le peuple a de dégoût pour du latin qu'il ne comprend pas, autant il a d'empressement à écouter les chants qui frappent son coeur, parce que son esprit en saisit le sens ; il le répète dans ses travaux rustiques ; et souvent il remplace des couplets indécents et triviaux, qui sans cela auraient plus de vogue. Je ne suis pas surpris que les anglais dissenters attachent tant de prix au recueil de cantiques publiés par Wats : Jamais la poésie n'est plus belle que quand elle associe ses richesses aux idées sublimes de la religion » (p. 113-114).
4. « Ces articles furent adoptés par le concile, seulement on ajourna la disposition du septième, portant que la liturgie doit associer l'intelligence des fidèles aux sens des prières et des cérémonies: C'est une vérité indéniable. Mais après avoir statué que les prières du prône se feraient on langue française, et qu'il en serait de même pour l'administration des sacrements dans la rédaction d'un rituel uniforme de l'église gallicane, le concile ne crut pas devoir étendre plus loin l'admission de la langue vulgaire dans le culte public » (p. 125).
Brugière, lui, ne désespérait pas pour cela. Au contraire, reconnaissant un droit à l'Etat en ces matières, il invoquera l'article organique de la Convention du 26 messidor an IX-15 juill. 1801 (titre III du culte, art. 39), qui prescrit l'unité de liturgie et soutient qu'il prolonge et reprend l'article identique du Concile National, que les choses restent donc dans le statu quo (Mém. apol. p. 92).
5. On lit dans les Actes du Second Concile national de France, t. III, p. 201-204 : « Un décret du concile national portoit qu'il seroit rédigé un rituel uniforme pour les églises gallicanes, et que l'administration des sacremens (les formules sacramentelles exceptées), seroit en langue française : le vén. Ponsignon, sur notre invitation, s'étoit
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DANS LA PRATIQUE 405
chargé de la rédiger. D'après le consentement et la recommandation du rév. évêque de Versailles, on commença à mettre cette forme en pratique dans sa ville épiscopale pour l'administration du baptême, du mariage, et pour les sacremens des mourans. Dès ce moment on en sentit tout l'avantage ; les cérémonies expliquées et comprises ; les prières augustes qui les accompagnent, prononcées dans une langue qui les mettent à la portée de tout le monde, impriment le respect à tous les assistans : ils en sont touchés jusqu'aux larmes ; on se presse autour du pasteur pour l'entendre ; il n'est pas jusqu'à la cérémonie des relevailles qui ne trouve des auditeurs attentifs et édifiés.
« Dans l'administration des derniers sacremens, les malades ne sont plus purement passifs ; ils se joignent aux prières qui les consolent, et les fidèles présens y répondent avec piété. Ces dispositions des assistans influent jusque sur le ministre des sacremens, et le portent à les administrer avec plus de respect et de dignité. Tout se réunit donc pour prouver que les pratiques et les prières de notre sainte religion ne peuvent que gagner à être connues ; et comme le disoit le vén. Ponsignon, un sacramentaire, au lieu d'être une sorte de code mystérieux dont l'intelligence est réservée à ceux qui entendent le latin, devroit être un manuel intéressant pour tous les fidèles, et un livre classique pour la jeunesse. [Tout ce passage est emprunté à Ponsignon, v. p. 383.]
« Cet usage est celui de toute l'antiquité chrétienne, qui administroit les sacremens dans la langue du peuple : pour le justifier, le rév. évêque de Versailles, les vén. Brugières et Duplan, et le cit. Renaud publièrent divers écrits; mais le rév. évêque de Paris, de concert avec son presbytère, et le rév. évêque de Dax écrivirent en sens opposé. Alors parurent, contre l'introduction de la liturgie en langue vulgaire, différentes protestations dont on grossit la liste, même en y joignant celle du rév. évêque de Besançon, qui ne s'en doutoit pas.
« Mais, dira quelqu'un, on avoit donc voulu introduire l'usage de célébrer la messe en français ; et sans doute déjà dans quelques diocèses, on l'avoit fait. Point du tout. Et sur quel motif pouvoient donc s'appuyer ces réclamations ? sur aucun. Cette absence de raisons et de motifs imprime une teinte de ridicule, soit à ceux qui s'escrimoient contre ce qui n'existoit pas, soit à ceux qui croyoient faire une chose merveilleuse en leur adressant des protestations et des adhésions. Au reste, l'usage de la liturgie en langue vulgaire est une question si souvent débattue, surtout à la fin du seizième siècle, que, pour quiconque est un peu versé dans ces discussions, il n'y a rien de neuf à dire contre, tandis qu'il y a du neuf à dire pour; et le rédacteur du compte rendu des évêques espère le prouver en publiant sur cet objet son ouvrage présenté au concile national de 1797 ».
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LIVRE VI LES RÉSULTATS DE LA REVOLUTION
CHAPITRE PREMIER PROGRÈS CONSTATÉS
L'IDÉAL DES RÉVOLUTIONNAIRES. — Quiconque n'est pas hostile de parti pris à tout ce qu'a établi ou cherché à établir la Révolution, n'aura pas manqué, en lisant les pages qui précèdent, d'observer combien les Révolutionnaires de toute nuance avaient le sens profond des grands intérêts nationaux et comment en particulier, en travaillant à l'établissement de la République de langue une et indivisible, ils contribuaient à parfaire l'unité morale de la France.
Si c'était un rêve, il était noble et grand. En haut, réagir contre des routines démodées, et remettre définitivement à sa place la langue latine qui n'avait plus aucun droit à rester exclusivement la langue des études libérales, n'étant plus ni l'organe des sciences définitivement constituées d'après des méthodes nouvelles, ni celui des lettres depuis longtemps libérées ; reconnaître donc pour instrument unique de la pensée nationale la langue française, la faire entrer de la cour de récréations des collèges et du vestibule des Universités dans les salles de classes, faciliter par ce coup d'État l'instruction supérieure, l'assurer aussi en éliminant les chances d'erreur et les obscurités qui naissent de l'emploi d'un idiome étranger, mal adapté, faire des créations de l'esprit français, des chefs-d'oeuvre de nos poètes, de nos prosateurs, de la langue ellemême, produit authentique du génie de la race, l'objet essentiel de l'enseignement linguistique, la matière des réflexions et des analyses, la base de l'éducation littéraire, le moyen de formation des esprits et des caractères.
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408 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
En bas, créer à la pensée française, passée et présente, un foyer dans chaque commune, accueillant aux adultes comme aux enfants, église du patriotisme ; donner à tous l'avantage de savoir lire dans tous les livres, non pour les seuls besoins de la vie quotidienne, mais de façon à devenir des hommes et des citoyens complets, à entrer en communication avec les savants et les écrivains de leur pays; mettre les plus humbles en état de pouvoir, en toute occasion, suivre et comprendre la marche des événements, les discussions politiques, sociales, économiques, d'y prendre part, de défendre directement et sans intermédiaires leurs idées aussi bien que leurs intérêts ; abaisser les barrières qui étaient les douanes provinciales de la pensée, fondre tous les citoyens en une âme commune, qui mettrait les mêmes idées et les mêmes sentiments dans les mêmes mots, du Rhin aux Pyrénées ; accomplir par le moyen de relations devenues faciles et sûres l'oeuvre de fraternité; vivifier, en les rendant compréhensibles, jusqu'aux hautes leçons qu'ils recevaient des monuments, jusqu'au culte qu'ils rendaient à Dieu, devenu conscient et personnel ; en un mot élever la masse, en lui fournissant l'instrument premier et indispensable, jusqu'à une vie nouvelle, plus large, plus haute, plus morale, plus humaine et presque divine.
Voilà quelques-uns des résultats auxquels on voulait atteindre, et on comprend qu'une époque géante, où des pétrisseurs de mondes ignoraient la règle qui impose de mesurer les entreprises généreuses à la médiocrité des forces des plus vaillants, se soit éprise de ce vaste plan de nationalisation linguistique. Il n'est pas dans la condition de l'humanité que des hommes, de quelque pouvoir qu'ils disposent, arrivent en quelques années, à changer la langue maternelle de peuples entiers. Le parler est la chose qui se commande le moins, toutes sortes d'oppresseurs en ont fait l'expérience; il est même téméraire de chercher à précipiter les changements.
Les résultats ne répondirent donc pas aux espérances, il serait vain de le contester, et tout l'exposé qui précède en fait foi. Néanmoins il faudrait bien se garder de croire qu'ils furent nuls. A la fin de la Révolution, le nombre des gens qui parlaient le français, en l'estropiant plus ou moins, avait énormément augmenté. Un paysan facétieux, répondant à un enquêteur de l'Empire, lui disait: « Depeu la Révolutiun, je commençon de franciller esé bein » 1. Des millions d'autres campagnards eussent pu prendre le mot à leur compte. Quand le grand linguiste Meillet, considérant la
1. Arch. N., F17, 12092. De St-Léger s. Dheune (Saône-et-Loire).
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PROGRÈS CONSTATÉS 409
situation linguistique d'avant et celle d'après la Révolution, a déclaré qu'on en était à peu près au même point en 1800 qu'en 1789, il faut bien dire qu'il s'est trompé 1. Il a raison de penser qu'il n'y avait pas de langages disparus. Mais le français s'était introduit, à côté des divers parlers, dans une foule d'endroits où auparavant il n'avait jamais pris pied.
LES STATISTIQUES. — Des étrangers qui voyageaient en France sous l'Empire, comme Christ. Aug. Fischer, remarquèrent les progrès accomplis : le français avait pénétré même dans les basses classes 2. Mais il n'est plus besoin de s'en rapporter à des témoignages isolés, et pour ainsi dire fortuits. Nous sommes entrés dans l'âge des statistiques et des enquêtes.
L'histoire et la bibliographie des statistiques a été faite dernièrement, de main de maître, par mon collègue de Saint-Léger, dans Le Bibliographe moderne3. Assurément les statistiques ne donnent
1. Rev. du mois, 10 janv. 1920, p. 29.
2. Briefe eines Südlaenders. Leipz., 1803, p. 178-184.
3. XIXe année, janvier-juin 1918-1919, p. 5 et suiv. : Les Mémoires statistiques des Départements pendant le Directoire, le Consulat et l'Empire. Née sous l'ancien régime, l'idée fut reprise par les Assemblées révolutionnaires, mais c'est à François de Neufchâteau que rerient l'honneur de l'avoir mise à exécution dès son premier passage au Ministère de l'Intérieur (du 28 mess, an V—16 juillet 1797, au 24 fructidor an V-10 sept. 1797). Quand il redevint ministre (29 prairial an VI-17 juin 1798), il la reprit, et fournit un canevas aux commissaires. Ce canevas faisait place à un chapitre sur les moeurs et usages du département. C'est là que pouvaient être donnés les renseignements sur le langage.
Sous le Consulat, Lucien Bonaparte s'occupa à son tour de cet inventaire (Circulaire du 23 prairial an VIII-14 juin 1800). Mais ce fut Chaptal qui étudia l'idée avec le plus de méthode (Circre de germinal an IX). Toutefois lui aussi négligea de demander ■des informations au sujet du langage.
Malgré les efforts du gouvernement, le travail marcha très lentement. Sur ordre du ministre, un plan fut dressé par Peuchet, Essai d'une Statistique générale de la France. Paris, an IX, in-8°, 78 pages. Quelques mémoires parurent. Le mouvement était donné. Le ministère fit imprimer les Statistiques de 33 départements.
Chaptal voulut faire plus complet. Une collection nouvelle fut entreprise, qui commença à paraître in-f° en l'an XI.
En 1804, Champagny, qui avait succédé à Chaptal, donna ordre de suspendre la publication. Puis, le 26 floréal an XIII (16 mai 1805), on donna à Testu le droit d'imprimer et de vendre les mémoires à son compte. Le travail commença, mais fut suspendu. Testu s'aboucha avec des géographes et des littérateurs. Un plan modifié fut adopté par le ministre en juin 1812. On verra plus loin comment, grâce à Coquebert de Montbret, une vaste enquête linguistique spéciale avait été entreprise. Survint la suppression du bureau de Statistique (oct. 1812). Testu n'obtint pas du ministre, comte de Montalivet, la subvention qu'il avait demandée, et la statistique officielle demeura en partie manuscrite. La Bibliothèque Nationale a conservé le prospectus de Testu de 1808 (Voir en tète ■de la Statistique de l'Ain, 1808). Ce document contient le plan uniforme. Au chapitre III (Instruction publique), il n'est pas fait mention du langage. En 1810, Peuchet et Chanlaire, employés au Ministère, avaient publié une Description topographique et statistique de la France. Paris. P. G. Chanlaire, 3 vol. in-4°.
En dépouillant aux Archives F 20 1-2-3-4-5, où se trouve l'analyse de la Correspondance avec les Préfets, j'ai constaté que beaucoup des mémoires avaient été considérés comme plus ou moins manqués : Creuse (médiocre ; on a demandé au Préfet de le refaire) ; Escaut (médiocre) ; Finistère (très mauvais) ; Forêts (incomplet) ; Morbihan
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410 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pas souvent les renseignements précis que des philologues souhaiteraient. Beaucoup négligent totalement la question du langage, qui auraient pu et dû en parler. Que le préfet de la Marne n'ait pas songé à quelques parlers réfugiés dans des communes telles que Cheminon ou Courtisol, il en est fort excusable. Mais un administrateur, observant l'état moral des populations, eût pu trouver un mot à dire sur le langage dont usaient les gens des campagnes dans la Drôme, la Lozère, la Loire-Inférieure, le Lot-et-Garonne, le Gers, l'Ille-et-Vilaine, les Vosges. Ce n'était pas non plus chose indifférente dans le Golo ! Or les rapports sont muets à ce sujet.
RENSEIGNEMENTS INSUFFISANTS. — En second lieu, il arrive aux préfets de donner tout autre chose que ce que nous souhaiterions. Ils transmettent des racontars de seconde main sur la nature et le caractère des parlers de la région, renseignements qui sont sans valeur, ainsi pour les Deux-Sèvres 1, la Haute-Vienne 2. On y trouve un chapitre intitulé : Le langage. Il contient des détails sur le patois, les chansons, l'Enéide en vers burlesques de l'abbé Roby, la Parabole de l'Enfant prodigue (p. 106-107). Le préfet Texier-Olivier ajoute : « Dans les villes on parle françois, mais avec une prononciation vicieuse. L'accent limousin ne se perd que difficilement, même chez ceux qui font de longues absences. Les habitants des campagnes entendent un peu la langue françoise, mais ils ne peuvent la parler qu'avec beaucoup de peine ; ils ont un langage particulier qui a plus ou moins de rudesse, et qui varie à l'infini pour le dialecte et pour l'expression ». C'est tout.
Pour la Meurthe, les indications ne sont guère plus satisfaisantes. Qu'on en juge: « Dans la partie N. E. qui dépendait de l'Empire germanique, tous les habitans sont de race allemande ; cette langue est toujours la seule que l'on y parle dans les campagnes » (p. 134) 3. Le rapport ajoute : « On parle françois avec assez de pureté dans nos villes, et parmi les gens bien élevés, on ne remarque point d'accent particulier... Mais le langage du peuple est fort lourd, sur-tout dans le Toulois. Le patois lorrain que l'on parle dans nos villages est le vieux françois » 4. Les fonctionnaires placés à la tête des départe(très
départe(très ; Puy-de-Dôme (renvoyé au Préfet pour changements) ; Sambre-et-Meuso (médiocre) ; Saône-et-Loire (renvoyé au Préfet) ; Stura (simple aperçu statistique) ; Vienne (renvoyé au Préfet) ; Yonne (incomplet).
1. Voir an XII, p. 214.
2. 1808, in-4°
3. Voir M. Marquis, Mém. Statist. de la Meurthe. Paris, Impr.Impér.,an XIII, in-f°.
4. Ce patois diffère do canton à canton, et quelquefois de village à village... Dans l'arrondissement de Sarrebourg et dans trois cantons de celui de Château-Salins, on parle allemand ; mais ce n'est qu'un dialecte grossier et désagréable à l'oreille (p. 140).
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PROGRÈS CONSTATÉS 411
ments n'étaient pas des linguistes, ils ne l'ont que trop fait voir 1.
Un certain nombre d'entre eux, répondant à une enquête dont nous parlerons plus loin, se font l'illusion que les patois ont disparu de leurs départements. C'est le cas dans l'Indre 2, l'Indre-et-Loire 3, la Marne 4, le Maine-et-Loire 6. Le préfet de la Nièvre en dit autant 6 et aussi celui du Calvados 7, celui de la Seine-Inférieure 8, celui de l'Eure 9, celui de l'Oise, celui de l'Aisne 10, celui de l'Allier 11, celui de la Loire-Inférieure12.
Tous ces gens se trompent, sans doute, et des dialectologues jugeraient sévèrement leur ignorance, mais leurs affirmations ellesmêmes ont leur valeur pour l'objet qui nous occupe. En effet, puisque ni les administrateurs, ni ceux de leurs administrés qu'ils ont interrogés n'ont l'impression qu'on parle autour d'eux autre chose que le français, altéré peut-être, mais reconnaissable, c'est donc que le français domine et règne. J'interpréterais ainsi, sans hésiter, des affirmations telles que celle qui suit : Les paysans (de la Côte-d'Or et des autres départements de Bourgogne), lorsqu'ils sont obligés de converser avec les habitans des villes, parlent géné1.
géné1. des Bouches-du-Rhône nous dira :
« Ce mélange (de grec, de mauvais latin, d'italien et de catalan) en fit une langue particulière, toujours riche et remarquable par une infinité de termes exprimant seuls des choses, qui en nécessitent plusieurs dans la langue française. Elle a encore perdu beaucoup de son caractère originel par le mélange d'un grand nombre de termes français qu'elle a emprunté depuis la réunion de la Provence à la France. Aujourd'hui, la langue française, étant avec raison la seule reçue dans toute la République, la langue provençale ne peut plus être regardée que comme un idiome qu'on emploie généralement à quelques nuances près, depuis Nice jusqu'à Bordeaux ». (Paris, Valade, an XI-1802, in-8°, par J. Et. Michel (d'Eyguières), p. 163. Admin. en 1790,1791,1792). Celui d'Ille-et-Vilaine s'aventure plus témérairement encore : « La langue du cultivateur est un vieux français qui varie. Dans les cantons du sud particulièrement, ils parlent pur Joinville (!!); mais la prononciation gutturale et sifflante, que notre alphabet ne peut pas rendre, tient au celtique, dont il a retenu quelques mots, et surtout des noms de lieux, dans toute leur pureté » (Statist. d'Ille-et-Vil, par le cit. Borie, Préfet. Paris, an IX, p. 12).
2. Let. du 23 juill. 1812. B. N., ms. Nouv. acq. fr., 5911, f° 181.
3. Let. du 22 fév. 1812, Ib., f° 189.
L'on y prononce nâtion, conversâtion Suit un Tableau de quelques mots particuliers : bardou = âne, joué = peu, noue = endroit bas, chatelet = devidoir, etc. (Ib., f° 191-192).
4. Sauf les cantons de Marson et Ste-Menehould. La lettre donne un recueil de mots « courtisiers » (Ib., f° 296).
3. On y parle la langue française sans caractère distinctif. Ni mots ni tournures particulières, sauf sur les confins du Poitou (Ib., f° 290).
6. Il n'y a de patois qu'en Morvan (arrt de Château-Chinon) (Ib., f° 361).
7. Let. du 1er févr. 1812. B. N. ms. Nouv. acq. fr., 5913, f° 161.
8. Le Préfet envoie une lettre du Sous-Préf. d'Yvetot « Tout le monde, sans exception, y parle la langue française ». Il avoue du reste que ses habitudes ne le mettent pas en relation avec le peuple.
9. B. N., N. acq. fr. 5910, f° 388.
10. Ib., f° 21-22.
11. Let. 27 oct. 1808. Ib., f° 26. Dans l'arrondissement de Moulins, on parle la langue française sans dialecte, même dans les communes rurales.
12. Let. du 6 juill. 1812, B. N., Nouv. acq. fr. 5911, f° 229-230.
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412 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ralement français et même assez purement (B. N., Nouv. acq. fr., 5910, f° 255. Notice non signée).
Mais il y a mieux que ces renseignements négatifs.
PROGRÈS ATTESTÉS DU FRANÇAIS. — DANS LES PAYS DE LANGUE D'OUI ET DE LANGUE FRANCO-PROVENÇALE : SEINE-INFÉRIEURE. — Le préfet de la Seine-Inférieure envoyant, le 31 décembre 1812, un vocabulaire de l'idiome Cauchois, précédé d'observations générales, y ajoute une analyse pénétrante des causes qui ont agi sur le langage dans les vingt dernières années.
« Ce changement (qui peut bien être commun aux autres dialectes) paraît, dit-il, avoir été opéré depuis 23 ans, pour trois causes principales :
« 1° L'habitude et la nécessité de lire ces nombreuses loix, ces arrêtés en tout genre, dont les placards tapissaient les murs de toutes les communes, ces feuilles publiques, qui venaient journellement exciter et repaître la curiosité de tous les citoyens.
« 2° L'établissement des fonctions municipales qui obligea tant de paysans à se faire un style intelligible pour correspondre avec des autorités supérieures et surtout celui des sociétés populaires, dont tous les membres, à la campagne comme à la ville, se virent souvent dans la nécessité de parler, du haut de la tribune, à des collègues aussi ignorants qu'eux, mais souvent disposés à les ridiculiser s'ils s'exprimaient en patois vulgaire.
« 3° La réquisition et conscription militaire qui, dépaysant une bonne partie de la jeunesse, la mit dans le cas d'épurer son langage par l'habitude d'entendre parler mieux ou différemment. D'où il arrive que, quand ils reviennent dans leurs foyers, ils y apportent une manière de parler qui, tout en se détériorant peut-être un peu, ne laisse pas que de se propager peu ou beaucoup parmi ceux qu'ils fréquentent.
« La réunion de ces trois causes a produit sur le patois cauchois une amélioration bien sensible pour quiconque peut se rappeller le langage usité il y a vingt-cinq ans pour le comparer avec celui d'aujourd'hui, on lui trouve en effet une physionomie plus française
« II n'est peut être pas impossible que dans peu ce perfectionnement ne s'acheve. Qui sait si le regne de Napoleon le Grand n'ajoutera pas ce nouveau prodige à tant d'autres... C'est un genre de conquête qui ne serait pas indigne de sa gloire... »
Laissons de côté les flatteries et ne retenons que cette explication des raisons qui tendent à exterminer le patois cauchois. Elle est des plus exactes.
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PROGRÈS CONSTATÉS 413
Je voudrais aussi ne pas laisser passer sans la souligner la phrase par laquelle le préfet conclut. Il a gardé, il le montre assez, le souci de l'unification linguistique que jamais intendant n'avait eu. L'esprit révolutionnaire avait passé par là.
AIN. — Le préfet de l'Ain pense de même : « Reserve faite de quelques expressions locales, dit-il, la langue françoise est la seule en usage... on la parle généralement assez bien ; depuis quelques années surtout elle est devenue l'objet d'une étude particulière dans les différentes villes du departement, et principalement dans le chef-lieu. On peut dire qu'il est peu de pères de famille jouissant de quelqu'aisance, même parmi les artisans, qui ne tiennent à ce que leurs enfans de l'un et l'autre sexe reçoivent ce genre d'instruction; et il est satisfaisant de voir que ce n'est pas sans succès »1.
MONT-BLANC. — Dans le département du Mont-Blanc, après de longs développements sur le langage, des exemples, la Parabole de l'enfant prodigue (p. 301), le préfet en vient à la situation respective des idiomes, et il nous apporte des précisions intéressantes : « Les habitans des campagnes entendent généralement le françois et plusieurs le parlent : ce qui est l'effet, en bonne partie, des migrations annuelles. Le patois des villes et des bourgs s'est, pour ainsi dire, francisé. L'étude et la pratique de la langue françoise ont fait des progrès sensibles dans toutes classes de citoyens depuis la révolution. Quantité d'expressions puisées dans l'ancien style de la jurisprudence, et dont l'usage se faisoit remarquer même parmi les hommes les plus instruits, sont presque disparues. On parle généralement mieux le françois à Chambéry que dans plusieurs villes de l'ancienne France; au moins est-il certain que la prononciation n'y est défigurée par aucun accent » 2.
DANS LES PAYS DE LANGUE ALLEMANDE : BAS-RHIN. — Laumond consacre à ce sujet deux chapitres. L'un d'eux a pour titre : Les habitans se familiarisent-ils avec l'usage de la langue française ? Le voici :
1. Ensuite le préfet donne une description du patois que parle l'habitant des campagnes. Il ajoute : « Il est à remarquer que le patois Bressan a subi beaucoup de changemens depuis quelques années, et surtout depuis la révolution qui a considérablement multiplié les relations entre les campagnes et les villes. Les campagnes ont emprunté de ces dernières un certain nombre d'expressions souvent mal rendues ; néanmoins on peut dire que ces sortes d'emprunts lui ont été avantageux ; ils ont singulièrement contribué à répandre une certaine clarté dans un idiôme dont la grande habitude seule pouvoit donner l'intelligence » (Suit la Parabole de l'enfant prodigue. Statist. générale de la France, Ain, par Bossi, préfet. Paris, Testu, 1808, p. 318 et s.).
2. Statistique générale de la France. Dépt du Mont-Blanc, par M. de Verneilh, expréfet. Paris, Testu, 1807, in-4°, p. 307.
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414 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
« Tous ceux qui jouissent de quelque aisance ont à peu près l'habitude de notre langue. En général elle est familière à environ une moitié du département, au moins pour les usages ordinaires de la vie. La proportion est plus forte dans les villes, surtout à Strasbourg, où elle est au moins des trois quarts ; mais il y a encore certains cantons dans la campagne où elle est presque entièrement inconnue.
« La langue allemande s'est conservée en Alsace, 1°par l'habitude maternelle, si l'on peut s'exprimer ainsi ; 2° par le grand nombre d'ouvriers en tous genres, qui ne parlent point d'autre langue; et 3° parce que dans cette province, jadis régie par des usages particuliers, la plus grande partie des actes publics se rédigeaient en allemand. Cette langue était même le dialecte officiel de la magistrature de Strasbourg.
« Au commencement de la révolution, l'usage du français avait pris, en quelque sorte, un caractère de dévouement à la patrie, et par cela seul était devenu plus commun. Les exagérations qui suivirent bientôt arrêtèrent ce mouvement, surtout lorsque parler en allemand fut devenu un crime; car les habitudes des peuples, qui cèdent quelquefois à la persuasion, bravent ordinairement la violence.
« Les fréquens logemens de gens de guerre, le service des jeunes citoyens aux armées, et les affaires familiarisent de plus en plus les habitans du Bas-Rhin avec la langue française. Cette révolution sera peut-être beaucoup moins lente qu'on ne devrait s'y attendre chez un peuple aussi attaché, que l'Alsacien, à ses usages ; et l'autorité la secondera puissamment, si elle ne se sert jamais de l'allemand seul, dans ses communications avec les administrés.
« L'un des plus grands moyens sera la bonne organisation des écoles primaires ; je reviendrai sur cet objet, à l'article des écoles » 1.
Un autre chapitre est intitulé : L'usage de la langue allemande diminue-t-il ? Y a-t-il quelque chose à faire pour la détruire ? En quelle langue imprime-t-on le plus ? Le texte est le suivant : « J'ai exposé, dans un des articles précédens (Instruction publique), les causes qui maintiennent l'usage de la langue allemande chez le peuple du département du Bas-Rhin, et notamment dans les campagnes, ainsi que les moyens, non d'y substituer entièrement (ce qui serait impossible), mais d'y familiariser peu à peu le français. J'ai indiqué que la moitié de la population, à peu près, comprend notre langue, et que celte proportion est même plus forte dans les
1. Statistique du département du Bas-Rhin, p. 207-209. Paris, an X (La statistique a été dressée en Messidor an IX).
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PROGRÈS CONSTATÉS 415
villes. J'attends beaucoup de mon arrêté, qui vient d'ordonner l'établissement d'un instituteur au moins par commune, et de l'invitation que j'ai faite de donner, dans le choix, la préférence à ceux qui pourront enseigner la langue française ; mais ce n'est que du temps que l'on peut en espérer un usage plus fréquent et plus répandu. Il existe, dans l'ancienne philosophie scolastique, un adage qui n'en est pas moins vrai pour être vieux : Semper cogitamus idiomate materno. Il n'y a point de puissance humaine qui puisse empêcher un enfant de parler la langue de sa nourrice ; de père en fils la langue se transmet. Je ne sais rien qui puisse prévaloir contre cet ordre de choses ; la transplantation même ne l'opérerait pas. Bornons-nous donc à propager, le plus possible, le langage français, à le rendre indispensable à chacun des habitans pour toutes ses relations de cité; et faisons-le de cette manière aller de pair avec la langue maternelle du département ; c'est tout ce que l'on peut espérer. S'il y a plus à désirer, ce ne pourra être que l'ouvrage des siècles.
« A l'article Imprimerie (4e Question), j'ai parlé de la proportion qui existe entre les impressions qui se font ici de livres français et de livres allemands. J'ai observé que, depuis la Révolution, l'imprimerie n'a pas été fort active dans ce département; qu'excepté quelques livres de sciences et arts, dont beaucoup en latin, il n'avait point paru d'ouvrages considérables ; et qu'enfin ce qui s'imprimait pour le peuple, tels que livres d'église, prières, chansons, avis, etc., était, pour la majeure partie, en langue allemande, qui est véritablement celle du pays. Mais tout ce qui tient aux lettres, et en général aux connaissances élevées, se fait, se dit, se traite et s'enseigne en français ; les librairies, les bibliothèques sont meublées de préférence de livres en cette langue, qui ne peut manquer de se propager de plus en plus, et de devenir, avec le temps, la langue prépondérante, surtout lorsqu'on verra le gouvernement accorder des préférences, pour les fonctions publiques, aux citoyens qui sauront le français » 1.
L'opinion de Laumond est confirmée par le Conseil Général : Avant la Révolution, dit-il, la langue allemande était seule dominante dans les tribunaux et les administrations. Aussi la plus grande partie des Alsaciens étaient-ils absolument étrangers à la langue française. Depuis la Révolution le mouvement vers l'usage du fran1.
fran1. du département du Bas-Rhin, p. 282-284.
« Le spectacle français est assez suivi par les habitans de Strasbourg ; mais ils témoignent un empressement marqué pour la troupe allemande, quand il s'en présente » (Ib., p. 258).
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416 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
çais, d'abord très rapide, n'a été ralenti que par l'influence des mesures coërcitives exercées pendant la Terreur. Dans les campagnes, la moitié des individus parle plus ou moins le français, et dans les villes les 3/4. Le Conseil Général du Bas-Rhin désire que l'enseignement du français soit successivement introduit dans toutes les Ecoles Elémentaires du Bas-Rhin, en commençant par les Communes les plus populaires et les plus aisées 1.
MOSELLE. — En Moselle, même effet des événements. Les gens sachant lire et écrire étaient en 1789 de 67.616, ils sont en l'an IX de 68.265. Il n'y a eu qu'un accroissement de 649 2; ce n'est donc pas là la cause du changement. Mais, jusqu'en 1793, les habitants des campagnes « ayant pris un intérêt direct aux suites de ce grand événement » étaient portés à apprendre. Cet enthousiasme « se réfroidit » par « le malheur du tems » : Écoles fermées, levées militaires, on a fait travailler les enfants. « Depuis le rétablissement des écoles, le goût de l'instruction renaît », on voit même avec satisfaction, « les communes allemandes choisir des maîtres d'école français » et cette langue s'introduire dans les lieux où en 1789, elle était ignorée.
« La langue française est actuellement familière aux deux tiers des habitans de ce pays, dans lequel elle étoit presque inconnue au commencement du siècle. On parloit le patois messin même dans les meilleures maisons. Il est encore usité dans les campagnes, mais en concurrence avec le français, que le paysan parle facilement. Il a même fait, dans la partie allemande, des progrès mesurés sur la fertilité du sol, et l'aisance que les habitans se sont procurée pendant la révolution ; ils recherchent et choisissent de préférence des maîtres d'école qui possèdent les deux langues. Il est plusieurs
1. Cseil gal du Bas-Rhin, 1809. Ms. Coq. de Montbret, Rouen, 721, p. 119. Ce qui a empêché une plus grande propagation du français pendant la période révolutionnaire, c'est, dans l'opinion de M. Lévy, qui a bien voulu me communiquer une note à ce sujet : 1° l'immigration allemande, qui, à aucun moment n'a complètement cessé, et qui a amené des ouvriers, des étudiants, des acteurs, des professeurs, des prêtres, dont beaucoup prirent une part à la lutte et gênèrent l'action de l'élément français.
2° la question religieuse dont les contre-révolutionnaires jouèrent pour combattre les sympathies des patriotes pour la France.
3° l'incompréhension des masses qui ne voyaient pas l'intérêt de connaître le français.
4° la résistance lie certains hommes gênés dans leurs habitudes (par exemple le profr Haffner ou Koch).
5° la presse, presque tout entière allemande.
6° l'exagération de certains révolutionnaires venus de l'intérieur.
7° le manque d'instituteurs.
2. Analise de la stat. génle de la Fr. par de Ferrière. Paris, An XII (1803), in-f°, p. 9. Ces chiffres paraissent un peu bien précis. Quelles sont les statistiques sur lesquelles ils reposent ? Qui a fait les recensements des lettrés et des illettrés ?
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PROGRÈS CONSTATÉS 417
villages où l'on n'entendoit pas, avant 1789, prononcer un mot de français, et où cette langue a déjà fait des progrès sensibles. Il faut laisser agir le temps, et dans quelques années elle sera presque généralement répandue sur le département. On peut citer pour exemple, Thionville et plusieurs villages de son arrondissement, cédés à la France par le traité des Pyrénées, et dans lesquels il ne reste plus aucune trace de la langue allemande, qui y étoit seule en usage encore à la fin du XVIIe siècle » 1.
Je ne saurais trop insister avant de passer à d'autres régions sur les témoignages que je viens de citer, et qui se rapportent aux pays qui étaient les plus difficiles à conquérir. On voit que, malgré les fautes commises et les difficultés rencontrées, le français avait commencé à s'implanter profondément.
DANS LES PAYS DE LANGUE D'OC. — DRÔME. — Le sous-préfet de Montélimar écrit : « Depuis la Révolution, dans la ci-devant Provence, dans le Languedoc et dans la partie méridionale du Dauphiné, l'idiome patois est d'un usage un peu moins général, les mouvements des troupes, la circulation des voyageurs, le retour des militaires sur leurs foyers ont du porter à la langue française l'application d'un certain nombre d'individus » 2.
BOUCHES-DU-RHÔNE. — A Marseille, d'après la Statistique, la langue française, si peu répandue en 1789, avait fait de grands progrès en dix ans: « le provençal s'y réfugie désormais dans les vieux quartiers, résidence des pécheurs, des poissonnières, des ouvriers, des nervis. Dans les villes de second ordre, Carpentras, Draguignan, les bourgeois conversent encore assez fréquemment en provençal. Quant au peuple des campagnes, il parle provençal, mais on y sait le français, et si le conservatisme paysan maintient sa langue, une tendance se dessine, celle que la Révolution a mise en branle, et un auteur peut dire : le provençal s'en va. Il y a même des points, ceux qui avoisinent le Rhône, où il recule nettement.
«La Révolution eut seule le pouvoir de rompre les habitudes du pays... Ce peuple qui ne savait que le provençal, crut savoir le français, parce que les orateurs des assemblées populaires affectaient de le haranguer dans cette langue. D'ailleurs la nécessité de l'ap1.
l'ap1. Mém. Stat. du département de la Moselle. Paris, an XI, f° 97-111. Cf. Anal, de la statistique, p. 12.
2. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910, f° 353. Cf. un mémoire sur le patois de Romans (Ib., f° 378 v°) : « Ce patois se pert tous les jours ; il n'est plus en usage que parmi le menu peuple; la langue française a fait de grands progrès, le patois a adopté plusieurs mots français ».
Histoire de la langue française. IX. 27
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418 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
prendre se fit sentir tous les jours davantage et toute la population se mit à la parler tant bien que mal » 1.
HÉRAULT. — Sur l'Hérault, nous avons des observations qui n'émanent pas d'un administrateur, mais d'un commerçant, témoin désintéressé et véridique : Martin fils, de la maison Bérard et Martin. Il écrit le 4 mai 1812 : « Plusieurs causes me paraissent contribuer à l'altération des patois en général. D'abord, l'éducation, qui plus généralement prisée, porte, dans toutes les classes de la société, le génie de la langue française à laquelle en province n'étaient initiés naguères que quelques privilégiés. Ensuite, les voyages fréquens des habitans des départements dans la capitale, voyages bien plus rares il y a trente ans. Enfin la cause la plus puissante peut-être a été notre révolution, qui a réuni sous les mêmes drapeaux et sous le même langage une foule de jeunes gens, dont beaucoup n'auraient jamais parlé que l'ydiome de leur pays natal, tandis qu'ils sont rentrés et rentrent chaque jour chez eux familiarisés avec la langue française qu'ils inoculent, pour ainsi dire à leurs parens, à leurs amis, à leurs enfans » 2.
HAUTE-GARONNE. — La Haute-Garonne a envoyé un vrai mémoire : « Dans les villes et dans tout le pays qui les entoure, l'idiome -vulgaire subit peu à peu des changemens qui le rapprochent de la langue nationale. Ce qu'on peut attribuer au mélange fréquent des habitans des divers pays, soit dans les armées et les levées en masse, soit dans les réunions politiques. Le désir de se distinguer était un effet nécessaire [de] ces réunions, et l'effet peut-être subsiste encore après sa cause. On a senti partout le besoin d'entendre et de parler le français. Il faut dire aussi que l'instruction qui consiste à savoir lire, écrire et compter s'est un peu étendue dans les campagnes depuis quinze ans. Ce qu'il y a de certain, c'est que les personnes qui parlent le français avec un mélange plaisant de mots et de tours gascons et avec cet accent qui excite le rire dans nos spectacles, sont devenues plus rares à Toulouse et sans doute aussi dans les autres villes de cette contrée. Un comédien qui viendrait chercher ici des modèles en ce genre en trouverait moins aujourd'hui et de moins saillants qu'autrefois » 3.
1. Statist. des B.-du-Rhône, publiée sous la direction du préfet Villeneuve-Barjemon dans Brun, Rech. hist.. p. 494. Cf. L. Constans, La litt. prov., dans Bouch.-du-Rh., t. III, p. 721.
2. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5911, f° 128. L'auteur développe ces idées dans un Mémoire historique sur le Dialecte de Montpellier (voir ib. f° 146, où il y a quelques additions intéressantes).
3. Bastide, Consr de Préfre de la Hte-Gar., 21 avril 1810, B. N., ms., Nouv. acq. fr. 5911, f°s 14 et 15.
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PROGRÈS CONSTATÉS 419
L'auteur continue et considère « l'Établissement des Sales de spectacle, où les manouvriers, les artisans viennent, dans des tems heureux, épurer leur langage grossier et se familiariser avec la langue française. Parcourez les rues de nos grandes villes les jours de repos, et vous entendrez les émules des Elleviou, des Martin, voire des Laïs, fesant retentir... les voutes des cabarets. Ceux-ci chantent des vaudevilles, des romances; ceux-là des ariettes, des ■morceaux même de grand Opéra. Aurait-on entendu de pareils chants, il y a cinquante ans? j'ose répondre que non. Ces voutes retentissaient alors de chansons, peut-être plus franches et plus gaies, mais toujours composées en patois ». Puis revenant encore à la Révolution, il ajoute : « La loi de la conscription, si elle reste en vigueur, maintiendra dans les siècles à venir et cette cause et ses effets, pour les propager dans les villages, dernier refuge des mots languedociens bannis des villes, refuge où l'instruction pénétrera plus lentement et contre lequel les autres causes d'altération n'agiront que d'une manière indirecte »1.
Les autres documents sont moins explicites. Mais ceux-là suffisent, je crois, pour marquer le progrès accompli 2.
1. Il est intéressant d'ajouter que l'auteur prévoit que les patois ne disparaîtront pas, mais se franciseront. Ce sera « des enfants adoptifs de la langue française ».
2. Je crois devoir cependant en extraire quelques passages.
Puy-de-Dôme. — Clermont : « Le patois y est tout-à-fait dégradé ; chaque quartier a celui des villages qui l'avoisinent ou avec lesquels il a des rapports, et l'usage du français y domine de manière à avoir altéré tout-à-fait le dialecte du pays » (Lettre du Préf. du Dépt, 24 juin 1808. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 3912, f° 46v°.)
Le patois de Riom... a de même cédé presque entièrement au français.
Creuse. — « Le patois est généralement en usage dans les campagnes. Néanmoins tous les campagnards y comprennent bien le français, même ceux qui ne le parlent pas » (B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910. f°s 262-3).
Charente. — Dans la commune de Saint-Sornin, qui touche au nord le canton de La Rochefoucauld, « on trouve plusieurs campagnards, qui se parlent français, mais avec un accent qui tient du baragouinage » (Lettre de Montbron, 14 mai 1810, signé Marchadier, juge de paix. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910, f° 220 v°).
« Dans toutes les communes sans exception le paysan y comprend le français.
« Dans les simples bourgades de mon canton, les gens qui ont reçu un tensoipeu (sic) d'éducation ne s'y parlent qu'en français, tandis qu'à Périgueux des dames à la promenade, en grande toilette, causaient en patois » (Id., Ib., f° 223 v°).
Haute-Vienne. — « Dans les villes on parle français, mais avec une prononciation vicieuse. L'accent limousin ne se perd que difficilement, même chez ceux qui font de longues absences. Les habitants des campagnes entendent un peu la langue françoise, mais ils ne peuvent la parler qu'avec beaucoup de peine (Texier-Olivier, Préfet, Stat. de la Haute-Vienne. Paris, Testu, 1808, in-4°, p. 106).
Htes-Alpes. — M. Rey, de St-Chaffrey, écrit à propos du Briançonnais : « Les communes limitrophes de la Ville abandonnent tous les jours leurs anciens mots barbares, gaulois et employent dans leur idiome vulgaire, le français en lui donnant un accent, une prononciation, une terminaison de patois assez doux » (B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910, f°s 78-79). Cf. : « le patois dont les dernières classes de la Société dans le midi de la France s'obstinent à se servir exclusivement, ce qui par cela seul contraint les hommes même instruits, à l'employer à leur tour dans beaucoup d'occasions » (Roland, Dict. des exp. vicieuses, 2e édn. Gap, Allier, in-8°).
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420 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
CHANGEMENTS DANS L'ESPRIT PUBLIC. LA LANGUE PARTIE INTÉGRANTE DE: LA NATION MODERNE. — Il y avait quelque chose de plus précieux encore pour le français que ces réalisations, c'étaient les transformations profondes de l'esprit général, qui promettaient d'autres résultats pour l'avenir. Quelque aversion que l'on affectât de professer dans certains milieux pour les « horreurs révolutionnaires », le pays avait passé par une de ces crises matérielles et morales au sortir desquelles les hommes se trouvent, bon gré mal gré, différents de ce qu'ils étaient auparavant. Si l'idiome local dans bien des endroits restait en possession de la vie familiale, il existait désormais une vie commune, qui n'était pas comme jadis purement administrative, mais qui était devenue politique et sociale. Après une période d'intensité terrible, elle allait se réduire, on ne pouvait plus la supprimer 1.
Notre démocratie manquée, avait pendant dix ans, trop manifesté,, trop discuté, trop agi, pour ne pas avoir besoin de repos. Mais on sentait confusément que cette détente passagère n'était pas un renoncement. L'esprit public ne ressemblait plus, malgré l'apparence, à ce qu'il avait été; des paroles avaient été dites qui ne pouvaient plus s'effacer, et elles étaient françaises, exclusivement.
L'anéantissement des patois eût été proche s'il n'était resté dans les villages une population sédentaire, composée non seulement des vieillards, mais des femmes, qui elles n'avaient pas fait campagne et couru le monde, mêlées à des camarades de tout pays et de tout idiome. Celles-là transmettaient leur langage aux enfants : « Semper lactamus idiomate materno » 2.
D'autre part des principes avaient été posés et des impulsions données. Les tendances d'un François Ier, d'un Richelieu, d'un Colbert, étaient devenues doctrine et doctrine d'État. La langue devait être nationale et formait un des éléments essentiels de la nationalité. Pour qu'elle pût jouer son rôle, l'État lui devait son appui. L'école devait être le foyer d'où elle rayonnerait et se propagerait jusqu'au plus profond des masses. Si l'Église, par entêtement dans sa tradition et par crainte de compromettre son caractère international, s'était retranché cet avantage, il était de l'intérêt de l'État de se l'assurer et de mettre cette force à son service. Par une conséquence nécessaire, l'école devait redevenir tôt ou tard une institution de l'État.
1. Il faut ajouter que le nouveau gouvernement continuait, sous certains rapports, la tradition ; par exemple, il s'appliquait à compléter le réseau des routes.
2. « Les voyages d'une partie de leurs habitans n'y apportent aucun changement, les hommes reprennent bien vite leur langue naturelle auprès des femmes et des enfans qui perpetuent sans altération du moins sensible le patois » (B. N., ms., Nouv acq. fr., 5910, f°s 78-9).
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PROGRÈS CONSTATÉS 421
On l'a vue depuis altérée dans son caractère, réduite dans son rôle, détournée vers d'autres fins; elle ne cessa plus, malgré cela, d'être l'école nationale, destinée à l'Instruction « publique ». Le personnel put être au-dessous ou à côté de sa tâche, les plus fâcheuses pratiques purent y renaître et les faiblesses envers les idiomes locaux se renouveler ; elle resta essentiellement française de langue et de programme.
La langue elle-même, sans être sous l'autorité de l'Etat, a gagné à la Révolution de devenir chose d'État. Les propositions pour la révolutionner — dont nous parlerons ailleurs — ont passé, le devoir de la conserver a été retenu. Depuis lors l'État en impose ■et en surveille l'étude; il en fait enseigner les règles et en garde par conséquent la tradition, au moyen de ses maîtres, de ses programmes, de ses examens ; il en commande le respect. En exerçant cette tutelle, il a fait de l'idiome, dans une certaine mesure, un bien national, dont chacun a le libre usage, mais dont le soin, au dedans comme au dehors, importe à la prospérité générale. Et ainsi la Révolution a préparé pour la langue un régime de vie nouveau. Le XIXe siècle nous en montrera certains effets, qui furent presque immédiats ; les siècles qui viennent en obtiendront d'autres, encore impossibles à prévoir.
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QUATRIÈME PÉRIODE APRÈS BRUMAIRE. — LE CONSULAT ET L'EMPIRE
LIVRE PREMIER LA RÉACTION LATINE
CHAPITRE PREMIER LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES
OBSERVATION GÉNÉRALE. — Après Brumaire, l'histoire de la propagande en faveur du français s'arrête à peu près complètement. Sans doute, aucune restauration des institutions à l'aide desquelles avait pu végéter si longtemps l'esprit provincial et particulariste ne fut tentée; aucune ne pouvait l'être. La division en départements demeura. La France du Consulat et de l'Empire continuait, sous bien des rapports, la République une et indivisible, et centralisait comme elle, plus qu'elle. Mais la question d'unité d'idiome y était reléguée tout à fait à l'arrière-plan.
La suppression du culte théophilanthropique, la destruction de l'Église Constitutionnelle, l'abolition des fêtes, eurent des conséquences qu'il est facile d'apercevoir et même d'estimer à leur grandeur véritable, d'après ce que nous avons dit dans les chapitres précédents. Aucun de ces actes ne peut se comparer aux bouleversements que subit le système d'instruction publique.
DÉFAUTS GRAVES DES ÉCOLES. 1 — Les Écoles Centrales en avaient et de diverses sortes. Le premier c'est que la répartition en était mauvaise. Elles étaient appelées Centrales, parce qu'elles étaient
1. L'abbé Allain a étudié avec attention les documents concernant les Ecoles Centrales. Il ne les a pas toujours employés avec l'impartialité qu'il eût fallu (voir L'oeuvre scolaire de la Révolution). D'autre part, il y a un peu trop d'indulgence dans ce
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424 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
réputées placées au centre des départements ; mais le chef-lieu des divisions administratives nouvelles n'était pas nécessairement un centre, et souvent n'avait avec les autres villes et les bourgs que des communications rares et précaires 1. En second lieu, elles n'avaient pas d'internat, ce qui dérangeait les familles dans leurs habitudes et leur donnait des motifs légitimes d'inquiétude 2.
Sitôt qu'on consulta les autorités locales, l'esprit arrondissementier, qui s'était manifesté violemment lors de la division, se réveilla. On réclama le rétablissement des collèges de jadis, qui étaient sur place ou à portée, ce qui permettait à beaucoup de familles éclairées de faire donner à leurs enfants un commencement d'éducation libérale, sans s'imposer de gros frais et payer une pension au dehors 3. Un exemple de ces récriminations, qui sont générales : « Le système actuel d'enseignement reste incomplet, dit le préfet des DeuxSèvres, et ne peut produire les heureux résultats qu'on en doit attendre. Il importe donc qu'il y ait des écoles secondaires à Niort et à Saint-Maixent, les externes n'étant point admis dans les pensionnats qui s'y sont fondés et dont l'état florissant rivalise avec celui de l'École Centrale » (Obs. du Préf., Arch. N., F 17 13178, doss. 49).
De plus, la conception même des Écoles laissait visiblement à désirer. L'École prétendait à réunir l'enseignement secondaire à un commencement d'enseignement supérieur. Or elle prenait l'enfant trop tard, et l'abandonnait trop tôt. Il y entrait non préparé 4, et en sortait incomplètement formé.
La discipline intellectuelle comme la discipline morale était insufqu'en
insufqu'en Picavet, o. c, p. 38 et suiv. Mais ces deux études sont à consulter contradictoirement. Je fais beaucoup moins de cas du pamphlet d'Albert Duruy.
1. Quel est l'habitant de Saint-Dié ou de Neufchâteau qui eût envoyé son fils à Epinal, bourg semblable au sien, auquel rien ne le rattachait, ni service de correspondance, ni route, ni tradition d'aucune sorte ? L'Ecole d'Epinal végéta : elle ne pouvait pas prospérer. Cent ans devaient passer encore avant qu'on eût l'idée saugrenue de créer un Lycée dans cette ville.
2. De bonne heure on organisa des pensionnats officieux. Beaucoup étaient tenus par les professeurs.
3. Luminais, au Conseil des Cinq-Cents, fit un tableau pittoresque de la petite charrette, traînée par une vieille haquenée, conduisant les parents vers la ville où, en même temps qu'ils iraient voir leur enfant, ils porteraient les légumes, le lait et les oeufs (Opinion, p. 11).
4. Il y a, disait Chaltan, « un vuide entre l'instruction primaire proprement dite et celle secondaire » (Opinion, 28 niv. an VII —17 janvier 1799, p. 3). Cf. « L'instruction.., trop relevée, suppose des connaissances... que l'on n'y donne pas... quoi que cependant ce seroient celles qui deviendroient le plus utiles au grand nombre » (Cassini, Disc, à l'École Centrale de Beauvais, an VIII, dans Charvet, o. c, p. 35).
Dès le 2 prairial an III (21 mai 1793), Hardoin, ancien professeur de Droit à l'Université de Paris, devenu juge de paix à Joigny, avait montré avec une extrême justesse qu'il fallait des écoles intermédiaires entre les Écoles primaires et l'École Centrale. Il était d'avis que les études latino-grecques, tout en ayant besoin d'être réformées, formaient le goût et initiaient les enfants à une haute culture (Arch. N., F17A 1320, doss.4).
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LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 425
fisamment assurée. Point de chef pour diriger l'établissement, guider le choix des élèves parmi les cours, tous facultatifs, et veiller sur leur travail. Par une pédagogie d'illusions, on avait tout sacrifié à la liberté. L'ensemble des études était incoordonné, les matières se trouvaient réparties presque au hasard. Des règlements essayèrent de concilier variété et continuité ; ils n'eurent que peu d'effet.
Les programmes, eux aussi, pour excellent qu'en fût l'esprit général, prêtaient à la critique. Les lettres avaient été incontestablement trop sacrifiées aux sciences, et la formation du cerveau à l'acquisition de notions immédiatement utilisables.
En ce qui concerne l'apprentissage de la langue, la lacune était manifeste, l'embarras des professeurs de Grammaire générale nous l'a montré. Les Écoles Centrales auraient dû recevoir des élèves déjà dégrossis, et ayant acquis les premiers éléments de l'orthographe et de la grammaire, mais les premières écoles manquaient; et, si elles avaient existé, on n'aurait pas eu la possibilité d'y donner l'enseignement de la langue par principes, que tous les réformateurs du XVIIIe siècle avaient considéré comme une nécessité. Là comme partout — c'est le vice essentiel du système pédagogique de l'an IV — l'enseignement moyen avait été négligé. Il eût fallu une division de transition, n'eût-ce été que la classe qu'on appelle aujourd'hui dans nos écoles primaires le cours préparatoire.
HAUTE VALEUR DE L'INSTITUTION. — Il ne faudrait par pour cela méconnaître les mérites de cette création grandiose, destinée à répartir également dans toute la France une instruction supérieure, rajeunie, capable d'initier la jeunesse aux découvertes et aux méthodes de la science la plus moderne, seul essai qui ait jamais été tenté pour fonder l'éducation sur l'esprit d'observation positive.
Les élèves n'étaient enfermés ni dans des murs, ni dans des cours. Ils lisaient des journaux, dont la Décade, aussi bien que des livres, et il semble bien que dans beaucoup d'endroits l'esprit de libre observation avait donné ses fruits. On jugeait avec indépendance, on discutait, au lieu d'accepter les yeux fermés la parole des maîtres.
QUELQUES OPINIONS. — Stendhal nous a dit avec force les bienfaits qu'il en avait éprouvés. Il n'y avait pas appris l'orthographe, sans doute, mais c'était justement le caractère de ces maisons d'enseigner mieux que cela, même en grammaire 1: « Les Écoles Cen1.
Cen1. Journal, publié par Stryienski et Fr. de Nion, p. IV. A son premier voyage à Paris, il écrivit cela avec deux ll dans une lettre officielle... M. Pierre Daru, le parent et le protecteur de Beyle, s'écria : « Voilà donc ce brillant humaniste qui a remporté tous les prix dans son endroit! » (Picavet, o. c, p. 43, n. 2).
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426 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
traies, l'École polytechnique sont fondées ; ce fut le plus beau temps de l'Instruction publique. Bientôt elle fit peur aux gouvernants, et depuis, sous de beaux prétextes, on a toujours cherché à la gâter. Aujourd'hui, l'on enseigne aux enfants qu'equus veut dire cheval ; mais on se garde bien de leur apprendre ce que c'est qu'un cheval. Les enfants, dans, leur curiosité indiscrète, pourraient finir par demander ce que c'est qu'un magistrat... On cherche à former des âmes basses et à perfectionner quelque enseignement partiel ; tandis qu'il n'y a aucun cours de politique, de morale et de logique » '. Par un goût qui mérite d'être signalé ici, c'était le cours de Grammaire générale de Gattel que le futur grand écrivain préférait. Il resta acquis pour le reste de sa vie à cette discipline qui a certainement contribué à sa formation intellectuelle 2.
Fourcroy, qui est en partie responsable de leur suppression, a rendu aux Écoles Centrales un magnifique témoignage : « Les écoles centrales, dit-il, malgré les attaques multipliées que la malveillance, la haine de la Révolution, les préjugés leur ont livrées en commun depuis les premiers moments de leur établissement, sont, aux yeux des hommes éclairés et impartiaux, un des monuments les plus remarquables du régime républicain. En vain essaie-t-on de déclarer qu'elles n'ont point encore d'organisation, et qu'elles manquent également de moyens d'instruction et d'écoliers. Ce reproche, qui pouvait avoir quelque fondement il y a trois ans, n'est plus vrai ni vraisemblable aujourd'hui. Les Écoles Centrales ont beaucoup gagné dans presque tous les départements. Elles sont l'asile de tous les hommes éclairés dans les sciences utiles... Elles ont produit des ouvrages très bien faits. Les écoliers y augmentent d'année en année. Ceux qui les calomnient n'en connaissent souvent pas l'organisation et confondent aveuglément les difficultés et les obstacles qu'elles ont eu à vaincre dans les deux premières années de leur existence, avec leur amélioration et leurs succès soutenus depuis trois ans » (Sagnac, Ens. av. et pend, la Révn, dans Rev. Hist. mod., p. 450).
Terminons par le mot décisif d'un penseur catholique, Cournot : « Je n'ai connu aucun homme de mérite, ayant passé par les écoles centrales, qui n'en eût conservé un bon souvenir » 3. C'est dans des Ecoles Centrales, il est juste de ne pas l'oublier, qu'Ampère a débuté dans l'enseignement ; c'est là que Cuvier a donné, en l'an V, les leçons dont la réunion a formé un de ses principaux livres :
1. Beyle Stendhal, Vie de Napol, p. 89, dans Arbelet, La jeun, de Stendh., p. 239.
2. Arbelet, o. c, p. 241. Stendhal se passionna pour l'ouvrage de Destutt de Tracy, quand il parut, en 1808. La Grammaire générale l'avait initié aux doctrines de Condillac.
3. Souvenirs, pub. par Bottinelli, p. 178.
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LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 427
Tableau élémentaire de l'histoire naturelle des Animaux (An VI). C'est pour elles que Lamarck composa son Système des Animaux, sans vertèbres (An IX) ; c'est là que fut d'abord enseignée cette Philosophie zoologique, dont le mépris de Napoléon n'a pas diminué la valeur, et d'où est sortie au XIXe siècle la théorie de l'évolution ; c'est à leur usage, c'est pour leurs élèves que Destutt de Tracy a fait ses Eléments d'idéologie.
REMÈDES POSSIBLES. — Pour établir que les Écoles Centrales étaient peu estimées des familles qui devaient leur fournir leur clientèle, on a produit divers témoignages, en particulier les Avis des Préfets et des Conseils élus. II faudrait les reprendre tous et les examiner de très près, et avec critique1.
1. « L'école de l'Isère remplace avantageusement l'ancien collège royal de Grenoble, dit le préfet ; l'enseignement y est plus varié, moins long, moins fastidieux, plus utile aux diverses classes de la Société et... les élèves y sont infiniment plus nombreux qu'ils ne l'étaient dans ce collège ».
Berriat-St Prix, Gattel, Villar, membre de l'Institut, y professaient. « Il faudrait cependant y adjoindre un professeur de langues vivantes et un de langues anciennes, et conserver la chaire de chimie et de physique expérimentale, dont l'enseignement est si utile dans un pays où il existe tant de mines et de fabriques » (25 ventôse an IX — 16 mars 1801, Arch. N., F17 13178, doss. 22).
Dans le Doubs, le Conseil du 1er arrondissement constate que le Collège n'offrait pas les mêmes avantages et les mêmes ressources que les Écoles Centrales, qui donnent, il est vrai, moins de développement à l'enseignement des langues anciennes, mais qui « à cette branche unissent si heureusement l'étude de toutes les sciences nécessaires, utiles et honnêtes » (Extrait du registre des délibérations du Conseil du 1er arrondt du Doubs (Besançon). Séance du 9 germinal an IX —30 mars 1801, Arch. N., F 11 13178).
L'Ecole Centrale d'Angers a, d'après le préfet, l'avantage « de réunir divers établissements scientifiques du plus grand intérêt, une bibliothèque nombreuse, riche et de la plus belle tenue, un des jardins de botanique des plus complets qui existent en France... ainsi donc, quel que (sic) doive être la forme ultérieure de l'enseignement, tous les éléments d'une excellente maison d'éducation se trouvent rassemblés à Angers » (Rapp. du préf., 12 messidor an IX— 1er juil. 1801, Arch. N., F17 1317, dossier 30).
On pourrait ajouter beaucoup d'autres témoignages. De Fontainebleau : « Les progrès de l'École Centrale établie à Fontainebleau ne laissent rien a désirer à cette ville pour l'instruction publique» (Arch. Sorb., carton XXVII).
Du Pas-de-Calais : « Le systeme d'enseignement dans cette école (à Boulogne) est certainement meilleur que dans les Collèges, plus complet, plus favorable surtout à cette nombreuse classe de la société destinée à cultiver les arts et à se livrer au commerce » (Ib.).
Du Gard : Le Conseil d'arrondissement pense que le pensionnat de l'Ecole centrale remplace avec avantage le ci-devant collège de Nîmes (Ib.).
De l'Ourthe : Les anciens collèges n'ont pas produit de gens instruits (lb.).
D'Ille-et-Vilaine : L'École Centrale est suivie (Ib.).
Nous ne donnerons plus qu'un texte. Il est relatif à l'École de l'Ain. Elle avait obtenu des résultats « merveilleux » : jardin botanique de 3 200 individus, muséum d'histoire naturelle, bibliothèque de 25 000 volumes, dont beaucoup d'histoire; rien n'y manquait. « Des enfants qui savoient à peine lire à leur entrée dans l'établissement, traduisirent au bout de deux ans Quinte-Curce et Virgile (?) Tels ignoroient la forme et les caractères de l'arithmétique qui se trouvèrent après quelques années, inscrits sur la liste des admissibles à l'école polytechnique, nommés aspirans do marine, ou promus au grade d'officiers dans l'artillerie ou le génie ». Une école de musique ajoutait à l'intérêt (Stat. de l'Ain, in-4°, p. 371).
Je conviens que ces apologies doivent éveiller autant de défiance que les diatribes.
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428 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
En tous cas, les vices des Écoles Centrales étaient loin d'être incurables 1. Laumond, le préfet du Bas-Rhin, signalait les moyens de les guérir. Il demande l'éducation, une marche graduelle, un principal, des prytanées ou pensionnats publics. Il prie enfin qu'on « ne compromette pas tout, en tout bousculant ». Les améliorations dans les écoles actuelles préviendraient l'inconvénient de refaire à neuf, « toujours grave dans l'instruction, où le bien ne peut résulter que de la continuité d'action » (Statist. du B.-Rhin, p. 219 et s.) 2.
Dans la Haute-Loire, le préfet acceptait la restauration des collèges, mais il eût voulu garder l'École Centrale. De même à Bordeaux, où le préfet propose un plan général d'études secondaires, dans lequel l'École Centrale se trouve conservée. Le plan nouveau n'avait pas cessé, comme dit le préfet de l'Orne, de paraître à tous égards supérieur à l'ancien 3. Chénier, de Tracy, les rédacteurs de la Décade, protestèrent contre l'idée d'abolir les Écoles, qui commençait à se répandre. En vain. Les méthodes violentes, si sévèrement condamnées quand des révolutionnaires les pratiquent, sont exemplaires quand on les emploie à restaurer. Les gouvernements les plus timorés les ont appliquées à l'enseignement secondaire depuis la Révolution jusqu'à nos jours.
CAMPAGNE VIOLENTE. —L'École Centrale, comme dit le préfet d'Angoulême, avait « deux adversaires incorrigibles, la malveillance et le demi-savoir » 4. En effet, en même temps qu'on essayait de soulever contre leur éloignement l'esprit local, on excitait contre leurs méthodes le sentiment de la tradition, contre leur libre et hardie orgaElles
orgaElles surtout de préfets, qu'on n'avait pas encore changés partout, et qui peuvent être suspectés de louer de parti pris une institution républicaine.
Après avoir lu les documents et les études, on garde l'impression qu'une histoire impartiale des Écoles Centrales est encore à faire. Mais il y a de très bonnes monographies, parmi lesquelles on peut citer celle de la regrettée Mlle Déries : L'École centrale de la Manche, celle de Gain : Ecole Centrale de la Meurthe.
1. Des écoles annexes étaient prévues par la loi. Titre II, art. 10. Un peu partout les pensionnats s'organisaient.
2. Cf. « Quant aux écoles centrales, il ne s'agit que d'achever, que de perfectionner nu ouvrage qui sans doute est plus qu'ébauché ; d'en organiser les élémens de manière à ce qu'ils offrent une gradation dans les études, et de remplir la lacune qui se trouve entre l'enseignement de ces écoles et celui des écoles primaires » (Barruel, Obs. s. l'Instr. pub., p. 43).
3. Arch. Sorb., cart. XXVII. Le préfet de la Dordogne voudrait des écoles intermédiaires entre les écoles communales et les écoles centrales, où les élèves sont découragés et abandonnent, ou bien s'ils persévèrent, n'acquièrent qu'une instruction incomplète et éphémère. « On n'a peut-être pas assez considéré toutes les causes qui ont empêché ou retardé les succès de ces Ecoles, aux quelles on doit au moins d'avoir fait naître dans beaucoup de Départements le gout des Mathématiques et du dessein (sic), qui était on peut dire ignoré » (Périgueux, le 14 prairial an IX — 3 juin 1801, Arch. N., F 17. 13178, dossier 12).
4. 5e jour complre de l'an IX — 22 sept. 1801. Arch. N., F 12 13178, doss. 9.
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LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 429
nisation les instincts d'ordre, de discipline, de morale même. Le clergé réfractaire, qui voyait pour la première fois des Écoles d'État, indifférentes aux confessions, substituant les méthodes condillaciennes au « balbutiement des langues mortes », fit contre elles une de ces campagnes enragées, comme nous en avons vu, où à des arguments justes se mêlaient les pires calomnies. Les attaques, suivant le mot de la Décade, « allaient jusqu'à l'indécence ». Le préfet des Hautes-Alpes, Bonnaire, y a vu très clair : « La véritable raison de leur abandon (des Écoles Centrales), dit-il, n'est que trop souvent un éloignement marqué pour tout ce qui a tenu et tient au nouvel ordre de choses » 1.
Il y avait là une part de l'oeuvre diabolique des Cloots, des Hébert, des Chaumette ; il fallait la détruire. « Nous sommes des foyers de peste dont on redoute le contact dangereux » écrit Girard-Janin, professeur de Grammaire générale dans le Nord, à Saladin 2. Les « bonnes écoles », déjà prospères 3, s'élèveraient sur les ruines, et n'auraient plus à craindre un retour de l'esprit philosophique.
LE SALUT PAR LE LATIN. — Le point qui nous intéresse spécialement, c'est de savoir si les voeux tendaient à ce que le latin fût rétabli dans sa situation d'autrefois. Disons tout de suite que la grosse majorité des autorités qu'on consulta — cela n'est pas contestable— souhaita le renforcement des études latines 4. Il ne faut pas voir là seulement un de ces retours fréquents qui ramènent périodiquement la France aux idées qu'elle avait semblé résolument abandonner. Le latin avait gardé un nombre considérable de fidèles. Et il n'est pas contestable que sa part avait été réduite à l'excès'.
1. Cf. Les parents gâtés par les prêtres aiment mieux garder leurs enfants auprès d'eux... que de les envoyer à l'École Centrale (Landes, 22 brum, an VIII — 13 nov. 1799, Arch. N., F17 13442).
2. Let. du 30 frim. an VI, dans Peter, L'ens, sec. dans le dépt du Nord, p. 107.
3. Le préfet se plaint que l'École Centrale de Fontainebleau ne compte que 50 pensionnaires et une vingtaine d'externes, ce qui, dit-il, pour une population d'environ 300000 habitants du département, n'annonce pas de grands progrès, tandis que le pensionnat de Juilly, établi sur les mêmes bases que son ancien collège, compte plus de 230 élèves (Obs., Arch. N., F 17 13178, doss. 43).
Le préfet de Lot-et-Garonne dans sa Statistique de l'an X, p. 59. signale le grand nombre d'écoles privées, en particulier trois à Aiguillon, à Layrac et à Villeneuve, qui ont un nombre considérable d'élèves. On y étudie le latin, les mathématiques et le dessin. Ce sont des écoles intermédiaires. Celle de Villeneuve est sous l'inspection de vingt-six pères de famille, qui l'ont fondée.
4. « L'étude des langues anciennes, dit Frochot, à la distribution des prix des trois Écoles Centrales de Paris, le 19 messidor an XII (8 juill. 1804), dut n'être indiquée aux écoles centrales que comme l'objet secondaire dans l'instruction, précisément parce cette étude était enseignée presque exclusivement dans l'ancien système » (Aulard, Napol et le Mon., p. 35). « L'importance des langues anciennes ne peut être méconnue que chez les nations abruties par l'ignorance et la barbarie » (Cons 1 Génl de la HteMarne, dans Allain, OEuv. scol. de la Rév., p. 413).
5. Il s'était trouvé du reste des maîtres pour faire au latin une place assez large
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430 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Passons sur les colères des Parigots de brumaire. Quelques hommes, qui avaient mieux profité de leurs humanités, plus courtois, sont aussi absolus, et demandent le retour pur et simple au système de l'Ancien Régime 1.
Voici qui est déjà plus digne d'esprits pondérés : « Quant à l'étude des langues anciennes, n'avons-nous pas tombé d'un excès dans l'excès contraire? se demande-t-on à Avranches. Sans doute l'étude des langues vivantes est utile et nécessaire, mais l'habitude qu'on a de les parler, les rapports avec ceux qui les parlent rendent les progrès infiniment plus faciles... Si le commerçant peut à la rigueur s'en tenir aux langues vivantes, c'est plus particulièrement dans l'élude des langues anciennes que se forme l'homme de lettres, le magistrat, le législateur. Tant qu'il y aura des hommes éclairés et sensibles, les anciens seront toujours les législateurs du goût, de la morale et de la vertu. Ceux qui ne voyent dans cette étude que du grec et du latin ne raisonnent souvent ainsi que par défaut de connaissances. C'est par elles que nous rallumerons les flambeaux qui jadis ont éclairé Rome et Athènes, et en cherchant dans ces saintes émanations de l'antiquité le feu du génie, nous y trouverons aussi les traces des vertus qui ont immortalisé tant de grands hommes » 2.
Encore beaucoup se montrent-ils plus réservés. En effet l'opinion générale n'était nullement qu'on dût retourner à l'ancien système. Des collèges, oui, on en réclame de toutes parts, mais « dégagés de leurs anciens abus ». Le mot est du préfet du Cantal 3; la plupart de ses collègues pensent comme lui'.
Suivant le préfet de l'Indre, « ce serait également un mal de rétablir tous les collèges et de n'en point rétablir ». Mais « il
dans l'enseignement de l'École Centrale, en marge des programmes, ainsi à Angoulême et à Périgueux.
Le 10 avril 1799 (21 germinal an VII), s'ouvrait près de l'École Centrale de la Meurthe un pensionnat. C'est déjà un prototype des collèges de nos jeunes années. Le programme de la première division, celle des petits, comprenait l'étude de la grammaire française jusqu'au verbe, des déclinaisons et des conjugaisons latines. En seconde, on achevait la grammaire française et on commençait la syntaxe latine. Ensuite, par une bifurcation, les élèves choisissaient entre l'étude des langues mortes (grec), des langues vivantes ou de la Grammaire générale (Voir Gain, o. c., p. 120).
1. A Poitiers, on veut un collège où l'on enseigne la théologie, la physique, la logique et les humanités (Réponses aux questions proposées par le Ministre de l'intérieur... par le conseil du cinquième arrondt du département de la Vienne, séant à Poitiers. Arch. N., F17 13178).
A Pont-l'Evêque, dans le Calvados, on estime qu'il faudrait rappeler le même corps enseignant qu'avant la Révolution, et cela implique le retour intégral aux anciennes éludes (Chapitre II du Procès-verbal des délibérations du Conseil général du département du Calvados pendant la session de l'an neuf, 29 Germinal. Arch. N., F 17 13178).
De même à Limoges. Avis motivé du Préfet, Arch. N., Ib.
2. Conseil Général de la Manche, dans Déries, Le dist. de St-Lô, p. 142.
3. Aurillac, 27 mess, an IX-16 juill. 1801, Arch. N., F17 1318B, doss. 8.
4. Voir l'avis du préfet d'Alençon, 5e j. compre, an IX — 22 sept. 1801, Ib.,doss. 38.
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LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 431
faudrait... que le genre d'instruction qui y serait donnée, fût mis en rapport avec celui qui sera pratiqué dans chaque École Centrale ».
Suivant le préfet de l'Oise (Beauvais), « le rétablissement d'une maison d'éducation serait très avantageux, pourvu qu'on ne s'en tint pas absolument au programme classique » (Allain, OEuv. Scol. Rév. p. 384) 1.
En somme, on voulait un enseignement secondaire où on tint compte « des progrès immenses qu'ont accomplis les sciences », 3 où les « méthodes d'enseignement fussent perfectionnées comme les objets même qu'on enseigne » 3.
FIDÈLES DU FRANÇAIS. — Mais précisons encore davantage. Il s'en faut bien que la majorité des conseils consultés ait souhaité qu'on fît du latin, comme autrefois, la matière exclusive de l'enseignement. Il importe ici de donner quelques faits, parce qu'ils ont été systématiquement méconnus.
Dans le Calvados, on demande l'étude de la grammaire française (Allain, OEuv. scol, Rév. p. 367).
Dans la Manche, le Conseil Général montre l'insuffisance de l'ancien programme pour l'enseignement du français (Id., Ib., p. 412).
Dans le Doubs (Besançon), on remarque : « Si dans les Écoles Centrales on ne cultive pas assez l'étude de la langue latine, il faut convenir que dans l'aneien collège, comme presque partout, on employait à ce travail les premières années de l'enfance et de la première jeunesse » (Id., Ib., p. 371).
La ville de Provins était parvenue à garder son collège, transformé depuis la Révolution et qui comptait encore 40 pensionnaires, 12 demi-pensionnaires et 20 externes au moment de l'enquête. La langue latine y avait toujours été enseignée, mais l'art de bien parler et d'écrire la langue française avait « été présenté aux élèves comme devant faire l'objet d'une étude sérieuse »4.
Le conseil d'arrondissement de Nancy se prononce plus nettement. Il est entièrement opposé à faire renaître les anciennes institutions d'enseignement, le plan d'études n'en offrant que des vices sans nombre; « ces vices sont parfaitement connus; ils ont été pendant longtemps l'objet des réclamations de tous les gens instruits et de la France entière, et ce n'est pas sans doute après qu'on les a
1. Châteauroux, 28 floréal an IX — 18 mai 1801. Arch. N., F17 13178, doss. 21.
2. Avis motivé sur le rétablissement des anciens collèges. Arch. N., F 11 13178.
3. Carcassonne, le 18 thermidor an IX — 6 août 1801. Arch. N., F 17 13178, doss. 4.
4. Copie de la Lettre des Membres du Conseil d'arrondt de Provins. Arch. N., F 17 13188, doss. 43.
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432 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
détruits que l'on chercheroit aujourd'hui à les faire renaître... Que serviroit (sic) effectivement aujourd'hui des Collèges uniquement occupés à enseigner le latin? Ils ne pourroient être utiles qu'à un très petit nombre d'élèves qui seroient appelés, soit par leur goût pour la belle littérature, soit par leur désir d'acquérir les connoissances nécessaires pour parvenir à certains états. Mais aujourd'hui... que les principes sur l'instruction sont tellement changés que, loin de regarder la langue latine comme une base essentielle de l'instruction, on considère son étude comme une perte de tems pour celui qui ne se destine pas à un des états pour lesquels elle seroit absolument nécessaire, il doit être évident que cette langue ne sera plus enseignée qu'à ce très petit nombre d'élèves dont on a parlé plus haut, et que les Collèges, si on les rétablissoit... seroient déserts »1.
L'abbé Allain a cité comme particulièrement sévère la censure que le Conseil Général d'Ille-et- Vilaine a faite des Écoles Centrales. En effet, dans ce département, on professe un amour véritable de l'ancienne organisation. Rennes dit pourtant : « Le mode d'enseignement suivi dans le collège était vicieux, on négligeait l'étude de la langue et de la littérature française pour s'occuper principalement du latin qu'une année passée dans le monde faisait oublier » (OEuv. scol. Rév., p. 375). Un enseignement régulier du français est demandé aussi instamment qu'un enseignement du latin (Ib., p. 409). La grammaire française et la latine « paraissent devoir concourir ensemble » 2.
Celte idée de combiner l'étude des trois langues était générale. Dans la Marne, le préfet prévoit un Collège Central et trois Collèges, où l'enseignement commun se réduirait aux principes de la langue grecque, de la langue latine et de la française (Arch. Sorb., An IX). C'était le plan type. Il est proposé de Briançon, de Bordeaux, d'un peu partout, par les Conseils, les Maires, les Préfets.
Toutefois des esprits avisés devinaient bien où on voulait en venir, et ils craignaient non sans raison que les éléments de français qu'on allait mettre dans cette combinaison fussent bien peu de chose. Les préfets en particulier, plus fidèles que les élus à la pensée républicaine, montraient de la défiance. « Il est reçu, dit celui de la Seine-Inférieure, qu'on peut ignorer le grec et même le latin et n'en être pas moins un médecin habile, ou un légiste délié; on rirait
1. Procès-verbaux du Conseil du deuxième arrondissement dans sa session de l'an Neuf de la République. Arch. N., F 17 13178.
2. Dans les collèges du département, on enseignait, dans les trois premières classes surtout, le français en même temps que le latin (Réponses du préfet et des conseils d arrondt. Arch. N., F17 13178, doss. 20).
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LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 433
au nez de quelqu'un qui soutiendrait que l'une ou l'autre de ces langues puisse être de quelque utilité à un administrateur et il serait promptement écrasé sous le poids des exemples contraires ».
C'était également l'avis d'hommes d'affaires et d'hommes de sciences. Dutens, ingénieur des Ponts, membre du Conseil d'Arrondissement, dit: « On sent... combien à raison de son industrie et de son commerce, l'étude des sciences naturelles serait préférable à celle des langues mortes qui, pour avoir été trop négligée dans ces derniers temps, semble cependant tenir une trop grande place dans les nouveaux systèmes d'instruction qui viennent d'être proposés récemment » (Descr. top. de Louviers, Evreux, an IX, p. 36).
Le maire de Rouen, chef d'une grande cité commerciale, est entièrement opposé au rétablissement des anciens collèges ; les idées sur la nature d'une bonne éducation lui paraissent changées : « Au lieu du latin, dit-il, on étudie actuellement les langues vivantes; et s'il est à souhaiter que l'étude des langues savantes ne soit point abandonnée, on pourrait, sans rétablir les collèges, perfectionner l'institution naissante des écoles centrales, afin de les mettre à portée d'offrir plus de secours pour cette partie de l'enseignement public » 1.
Il se rencontrera même, et le fait vaut bien qu'on le note, une Assemblée pour juger que le français devait primer tout le reste. On fait trop de sciences, jugeait-on dans la Haute-Marne. Les élèves « négligent pour quelques figures géométriques l'art de parler et d'écrire leur propre langue » 2.
A considérer attentivement les textes que nous venons de citer, on s'aperçoit facilement que la question des Ecoles Centrales n'était pas purement d'ordre pédagogique. Des deux côtés les gens du temps se laissaient préoccuper par leurs préférences politiques.
Il y a un cas au moins où il était légitime de ne pas juger en pédagogie pure, c'est quand on constatait que la nouvelle éducation avait servi la cause nationale. Or, dans certains pays, les résultats obtenus n'étaient pas contestables.
« La situation de l'École Centrale est, et a toujours été très satisfaisante, dit le préfet des Pyrénées-Orientales... Il n'est pas douteux que l'établissement de l'École Centrale n'ait ranimé les études... l'idiome particulier du pays y cède peu à peu à l'influence de
1. Le Maire de la ville de Rouen au Préfet du département de la Seine-Infre. Arch. N., F 17 13178. Cf. Les professeurs de langues anciennes enseigneront en même temps la grammaire française (Barruel, Observ. sur l'Instr. publ, p. 72).
2. Arch. N., F 17 13178 (an XIII).
Histoire de la langue française. IX. 28
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434 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
l'instruction, l'usage de la lecture, l'étude des principes de la grammaire, les relations habituelles entre les professeurs et les élèves y rendent la langue nationale plus familière » 1.
C'est le rapport de Roger Martin, fait le 6 brumaire au nom de la Commission d'Instruction publique et discuté le 27 brumaire et le 11 frimaire an VI, qu'on peut considérer comme le point de départ du mouvement de restauration de l'enseignement secondaire placé entre les écoles primaires et les Ecoles Centrales. Ce qui précède explique pourquoi le français avait gardé dans ce plan une place éminente 2.
1. Perpignan, 4 prairial an IX—24 mai 1801 (Arch. N., F 17 13178, dossier 44). La pièce est signée : Le Général de Brigade, Préfet du Département, Martin. Cf. Arch. Sorb., XXVII. Pyr.-Orles.
Comparez la lettre du Professeur Carrère : « Je commencerai dès cette année, à suivre le plan que vous avez bien voulu me tracer, et je le ferai avec d'autant plus de plaisir que l'enseignement de la Grammaire française donnera à la chaire que j'occupe un degré d'utilité beaucoup plus grand dans ce Département, où la langue Nationale est fort maltraitée, sous tous les rapports » (30 vend, an VIII). Arch. N., F17 13443.
2. « La première année, dit-on, on enseignera les.. premiers éléments de la langue française. On emploiera la deuxième année à un plus grand développement de la géographie et de la langue française, aux premiers éléments du latin... et la troisième année aux tours élégants de la langue française, à quelques principes de goût et de style, à la traduction de quelques ouvrages latins de médiocre difficulté » (Allain, L'oeuv. de la scol. Rév., p. 246-247).
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CHAPITRE II
ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES PROPOSITIONS DÉCENTRALISATRICES
En l'an IX, la campagne menée depuis plusieurs années par intermittences 1, aboutit à une enquête à laquelle nous avons emprunté nombre des documents qui précèdent.
Finalement les Écoles Centrales furent condamnées 2, et, malgré les regrets qu'elles inspiraient à des législateurs avant même que la loi eût été votée 3, la suppression en fut décidée le 11 floréal an X (15 mai 1802).
Dans divers pays de France on avait espéré que le nouveau système scolaire tiendrait compte « des localités » 4. D'Alsace arriva un véritable mémoire, où survivait l'illusion qu'une organisation particulière donnerait satisfaction aux besoins spéciaux de la contrée 5. Hardiment on y revendiquait pour l'allemand une situation officielle.
1. Luminais se montra indigné au Conseil des Cinq-Cents que la Commission eût bâti un système d'enseignement des hautes sciences si gigantesque, alors que les six septièmes de la nation ne savaient pas lire, et qu'on donnât des professeurs de langues anciennes et de langues vivantes « à des hommes qui n'entendoient pas le français » (Opinion, frim. an VI, p. 6).
Un message du Directoire exécutif du 3 brumaire avait demandé aux Conseils de délibérer en particulier sur les moyens de graduer les écoles et de remplir le vide effrayant entre les Écoles primaires et les Écoles Centrales, d'autre part « de former des établissemens où les instituteurs viendraient apprendre l'art d'enseigner » (Disc, de Heurtault Lamerville, rapporteur, 14 germ. an VII, p. 26).
2. Arnault (de l'Institut) reconnaissait que les Écoles n'avaient pas donné ce qu'on en espérait. L'esprit de parti en avait écarté les élèves, l'absence d'écoles intermédiaires aussi (Disc, à la Distrib. des prix de l'an X. Paris, fruct. an XI, p. 9).
3. Jacquemont disait dans son Rapport au Tribunal (4 flor. an X-24 av. 1802) : « Ce serait une erreur de croire que les écoles centrales n'aient point été utiles. Le nombre des élèves qu'elles présentaient dans ces dernières années s'était considérablement augmenté. L'ordre des études et la matière de l'enseignement s'étaient fixés, et l'administration avait pris d'elle-même une marche exacte et régulière. Le zèle et l'activité des professeurs avaient suppléé à tout ce qui leur manquait ».
Fourcroy reconnut aussi combien cette mesure radicale était injustifiée : « Déjà dans beaucoup de villes, on se plaint de la destruction des écoles centrales, et ces plaintes succèdent quelquefois à celles que l'on faisait, il y a quelques mois, sur le peu d'utilité de ces écoles » (Discours au corps législ, 20 flor. an X—10 mai 1802, dans Rec. de lois conc. l'instr. publ, t. II, p. 235).
4. Voir un remarquable rapport du préfet du Gard (9 fruct. an IX).
8. Notes sur l'instr. publ, Strasbourg, s. d., Dannbach, impr. de la Mairie. Bibl. Univ. de Strasb., M. 33.919.
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436 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Il me paraît indispensable de donner ici une brève analyse de ce document.
On voudrait une instruction à quatre degrés :
I. Des Écoles primaires, où on apprendrait les choses essentielles : Lire. Ecrire. Chiffrer.
II. Des Écoles centrales, Collèges, Gymnases, à 4 classes.
Les 3 premières années rempliraient le vide entre les premières écoles et les écoles centrales. Les 3 supérieures comprendraient le programme des écoles centrales.
Pour les départements situés le long du Rhin, on ajouterait l'allemand aux matières enseignées.
Un professeur de dessin serait attaché à l'établissement, mais ce serait là un enseignement à part.
III. Des Écoles supérieures.
IV. Des Écoles spéciales : Droit, Médecine. Il y aurait lieu de réunir à divers endroits écoles supérieures et spéciales. Des Lycées tiendraient la place des Universités.
Ce qui fait l'intérêt de ce plan, ce sont les observations qui l'accompagnent. I. Sur les écoles primaires : La confiance dans les écoles n'est pas venue. — Leur nombre doit être égal à celui des anciennes écoles paroissiales. Il faut y rétablir l'enseignement des devoirs et la croyance en Dieu. Il y faut un inspecteur permanent. C'était jadis le curé. « Sans doute qu'il faudra maintenant le chercher ailleurs ».
II. Sur les Écoles secondaires :
1° Les écoles centrales ne présentent pas une instruction graduée.
2° Elles ne soumettent pas un jeune homme à une discipline sévère.
3° Elles abandonnent au bon plaisir des élèves de fréquenter tels cours que bon leur semble.
4° Il résulte nécessairement de là un manque de liaison.
5° Il est à craindre, avec le système suivi, que l'étude des langues mortes... ne soit de jour en jour plus négligée 1.
III. Sur les Écoles supérieures. Il y a nécessité de créer des maisons où se forme une élite pour les Écoles Centrales. Il ne faut pas disperser les écoles. Les sciences sont soeurs. Il faudrait en France 10 à 12 grands établissements, à l'instar des grandes Universités d'Allemagne.
Mais voici qui est plus particulier et la note y insiste : « Comme
1. « Peut-être qu'à l'égard du latin, et plus encore du grec, on pourra faire une exception en faveur de ceux qui déclarent ne point se destiner aux études. Quel mal y a-t-il cependant, qu'un jeune homme apprenne un peu de latin, quand il n'en auroit pas besoin pour le reste de sa vie ? Ne lui devra-t-il pas une connoissance plus profonde de sa langue et une meilleure orthographe ? »
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ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES 437
il est essentiel qu'un maître soit compris de ses élèves, nous croyons devoir observer, qu'au moins pour les écoles primaires et les écoles secondaires inférieures l'enseignement dans les deux langues sera absolument nécessaire dans les deux départemens du Rhin.
« En supposant, que le gouvernement veuille établir des écoles supérieures en plus d'un endroit, nous croyons devoir remarquer que, pour l'avantage des sciences, il seroit infiniment important de donner, autant que le local semblera l'exiger, à chacune de ces écoles une physionomie particulière.
« Il faudroit se garder de cette triste idée d'uniformité absolue. Une école située sur les frontières, dont les professeurs par conséquent peuvent et doivent mettre à profit les trésors littéraires de l'étranger, ne doit pas ressembler entierement dans ses loix organiques à une école de l'intérieur.
« Les considérations suivantes serviront à démontrer l'utilité et l'importance d'un pareil établissement à Strasbourg.
« Cette ville située au centre de l'Europe et aux confins de deux grands empires, est le premier endroit où viennent aborder les étrangers des différens pays de l'Allemagne, de la Suisse, et de tout le Nord. Sa position avantageuse, ses relations commerciales, la bonté du climat, l'exercice de trois cultes, la facilité d'y étudier la science militaire, des maîtres habiles dans tous les genres d'instruction, l'usage de la langue Françoise et Allemande, y ont attiré constamment une nombreuse jeunesse de toutes les parties de l'Europe. La paix une fois rétablie, il y a lieu d'espérer que les étrangers viendront affluer de nouveau dans ses murs, pourvû qu'ils y trouvent les mêmes moyens d'instruction, qui leur avoient rendu ce séjour si recommendable.
« Une circonstance, qui a contribué surtout à attirer de tout tems à Strasbourg une foule de jeunes étrangers, c'est que l'enseignement s'y faisoit dans les trois langues, latine, françoise et allemande ; sans cette précaution et si l'on s'avisoit, pour l'amour de l'uniformité, à faire donner uniquement les leçons en françois, on écarteroit par-la même la plûpart des étrangers.
« On se tromperoit en se persuadant, que dans le fond il est peu important, qu'il y ait dans une ville quelques étrangers de plus ou de moins ; que sous ce rapport l'établissement d'une école supérieure à Strasbourg, ainsi que l'enseignement dans les différentes langues, sont très-inutiles. Un gouvernement vraiment paternel ne peut point être indifférent à tout ce qui peut contribuer à une plus grande aisance des citoyens, puisque c'est sur elle que repose la richesse et la prospérité d'un état. Les jeunes étrangers, qui venoient
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438 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
faire leurs études à Strasbourg avant la révolution, y ont dépensé annuellement près d'un million, somme qui a reflué sur toutes les classes des citoyens, et qui a vivifié en mille et mille manieres les bras de l'industrie. Peut-être que l'on trouvera ce calcul exagéré, mais il n'en est pas moins fondé dans la plus exacte vérité.
« On devroit ne pas oublier, que dans un établissement littéraire sur les bords du Rhin, il seroit également utile et nécessaire de donner une partie de l'enseignement dans la langue du pays.
« Utile. Strasbourg offre un avantage, qui n'est commun à aucune autre ville de l'interieur, et dont on pourroit tirer parti pour le bien des lettres en général. Elle peut servir en quelque sorte d'entrepôt pour transmettre à l'étranger les richesses littéraires de la France ; et pour communiquer réciproquement à la France les productions de la littérature étrangere, surtout celle de l'Allemagne et des pays du Nord. On a commencé à traduire quelques ouvrages allemands en françois ; mais c'est bien peu de chose, en comparoison de ce qui mériteroit réellement d'être plus connu. Plus les bibliotheques germaniques et de littérature étrangere, qui commencent à paroître, seront bien écrites, plus elles prouveront l'utilité d'une connoissance et d'un usage plus étendu de la littérature allemande.
« Nécessaire. Déjà l'inconvénient se fait sentir, que les leçons de l'école de médecine sont données exclusivement en françois. Un nombre assez considérable d'éleves en médecine et surtout en chirurgie affluans, soit de la Suisse, soit des bourgs et des petites villes des départemens allemands, ne peuvent plus profiter de cette instruction publique, faute d'être assez versés dans la langue françoise. Il se verroient privés de toute instruction, si les anciens professeurs de l'université ne leur donnoient quelques cours dans la langue qu'ils entendent. Qu'ils apprennent le françois, dira-t-on. Cela ne va pas si vite comme on le pense. Il y a 150 ans, que l'Alsace est réunie à la France, et cependant la langue française est pour la grande majorité de ses habitans une langue étrangere. Cela ne les a pas empêché cependant de servir leur patrie avec autant de zèle, que s'ils avoient sû le françois dans la plus grande perfection. Il en est de même du plat-pays du Languedoc réuni depuis tant de siecles à la France, dont les habitans conservent encore de nos jours leur ancien langage.
« Nous ne croyons pas même, qu'il seroit désirable, que les Alsaciens, ainsi que les habitans des nouveaux départemens, renonçassent à leur langue naturelle. Oter à un peuple sa langue, c'est lui ôter en même tems son caractère. Ce seroit aller contre la nature, et la nature n'a point voulu que sur les bords du Rhin et sur ceux
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ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES 439
de la Seine il y eut une même manière de sentir et d'exprimer les objets.
« Il en est des langues comme des plantes. Chacune a son sol, qui lui est particulier, et dans lequel seul elle puisse véritablement prospérer » (p. 11-13).
La République consulaire ne pouvait pas s'accommoder mieux du régionalisme que la République jacobine ne s'était accommodée du fédéralisme, et pareilles propositions n'avaient aucune chance d'être prises en considération1.
1. Toutefois à Strasbourg, au Gymnase, les tolérances continuèrent. Le 25 germinal an VIII(15 avril 1800), à la fête scolaire, Werner harangua les familles en allemand (Reuss, Gymn. prot., p. 219).
Le 30 mars 1802, on avait invité le préfet Laumond. L'un des élèves récita du La Fontaine, un autre du Gellert. « Convenez, dit le préfet, que c'est une bonne chose que d'apprendre les deux langues de bonne heure ensemble » (Id., Ib., p. 228). Ce n'est qu'en 1825 que le Gymnase cessera d'enseigner en allemand.
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CHAPITRE III L'INTOLÉRANCE LATINE
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DU NOUVEAU SYSTÈME D'INSTRUCTION SECONDAIRE. — On sait ce que fut la loi nouvelle. Elle abandonnait en fait l'instruction primaire aux communes.
Elle instituait des Lycées clairsemés 1 avec des Écoles communales et des Pensionnats destinés à tenir lieu des Collèges 2.
Pour les programmes, il parut en vérité impossible de revenir complètement à ceux de l'ancien régime. Fourcroy y insista avec force : « Ce n'est plus à sept années péniblement usées dans l'étude unique du latin, disait-il, que doit etre bornée l'instruction de ces écoles secondaires. Emanation des anciennes écoles centrales, dont il est nécessaire de conserver au moins l'esprit, ces institutions réformées doivent offrir... avec l'étude des langues anciennes plus approfondies... celle de la géographie, de l'histoire, des sciences physiques et mathématiques » 3.
Seulement il faut bien prendre garde de distinguer entre les sciences et les lettres. Le magnifique épanouissement des sciences, qui avaient tant contribué à sauver l'État, et qui étaient représentées par des hommes tels qu'aucune époque n'en avait vu réunis, mettait la chimie, la physique, à l'abri des suppressions, voire des réductions brutales. Les lettres françaises ne trouvèrent pas la même protection. L'arrêté des consuls du 19 frimaire an XI (10 décembre
1. Le premier fut celui de Moulins, inauguré le 27 prairial an XI (16 juin 1803) par une messe du Saint-Esprit.
2. Un règlement général du 27 messidor an IX (16 juil. 1801) avait divisé le Prytanée en Collèges (Paris, St-Cyr, St-Germain, Compiègne, puis Bruxelles).
litre IV , art. 5 : dans la 1re sect. « on apprendra à lire, à écrire, à chiffrer et les premiers élémens de la grammaire;
« Dans la seconde les quatre premières règles de l'arithmétique, l'orthographe et les principes de la langue latine ;
« Dans la 3e les principes de la langue latine appliqués à l'explication des auteurs
les plus faciles » ;
Art. 14. « Dans la première classe d'humanités les élémens du grec »
3. Disc. au Corps Législ.. 20 floréal an X-10 mai 1802; Rec. des lois..., t. II, p. 236.
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L'INTOLÉRANCE LATINE 44 i
1802), porte : Art. I. On enseignera essentiellement dans les lycées le latin et les mathématiques.
Je ne suis aucunement porté à défendre ici cette détestable formule, une des plus fâcheuses qui pût être adoptée après le grand effort fait par la Révolution pour rapprocher l'éducation de la réalité et de la vie. Il ne faudrait pourtant pas s'y méprendre et considérer que tout autre enseignement était exclu. Le texte dit essentiellement, il ne dit pas exclusivement. Laissons de côté ce qui concerne l'histoire et la géographie, auxquelles on a fait une place.
Le français n'est pas prohibé, mais il s'enseigne par le latin, à l'aide des thèmes et des versions : « Dans toutes ces classes (les quatre dernières) les professeurs formeront leurs élèves à l'art d'écrire, en leur dictant des morceaux à traduire par écrit de français en latin et de latin en français... Il y aura un professeur de belleslettres latines et françaises qui fera deux classes par jour. Chaque classe durera un an, de manière qu'en deux ans, le cours de belleslettres latines et françaises soit terminé ».
Pour achever de bien marquer la hiérarchie des langues, l'article 6 précise avec une redoutable clarté ce que le génie français est appelé à fournir à la culture. « Dans les quatre dernières classes de latin, on exercera la mémoire des élèves en leur faisant apprendre par coeur, et réciter avec soin, les plus beaux endroits des auteurs qu'ils auront expliqués, ainsi que les passages des bons auteurs français qui auront traduit ou imité ces mêmes morceaux » 1.
Une commission fut nommée pour le choix des livres classiques des lycées, dans les classes de latin et de belles-lettres. Elle était composée de Fontanes, Champagne et Domairon. A première vue le rapport qu'elle fit le 25 floréal an XI (15 mai 1803) est effrayant. Voici le programme d'ensemble :
SÉRIE LITTÉRAIRE. — OBJETS D'ENSEIGNEMENT.
Première année.
6e classe. — Latin. Chiffrer.
5e classe. — Latin. Les quatre règles.
Deuxième année.
4e classe. — Latin. Géographie.
3e classe. — Latin. Géographie. Éléments de chronologie. Histoire ancienne.
1. Rec. des lois.... t. II, p. 306.
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442 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Troisième année. 2e classe. — Latin. Géographie. Histoire jusqu'à l'Empire français. Mythologie.
1re classe. — Latin. Géographie. Histoire de France.
Quatrième et cinquième années. Belles-lettres latines et françaises.
ON SACRIFIE LE FRANÇAIS. — Il faut ensuite lire le rapport luimême. Sur la préférence — le mot suffit-il? — accordée à l'antiquité les premières lignes ne laissent aucun doute : « Les principes des belles-lettres ne sont pas sujets aux mêmes révolutions que ceux des sciences ; ils sont puisés dans l'imitation d'un modèle qui ne change point... Il serait ridicule aujourd'hui de citer à l'astronomie et à la physique l'autorité de Ptolémée et d'Epicure : mais les principes d'Aristote et d'Horace n'ont point changé; l'éloquence et la poésie les suivent encore... Les vrais principes sont publiés d'avance par la voix de vingt siècles, des doctrines éprouvées ont déjà formé plusieurs générations d'hommes illustres, et dès lors on n'a plus besoin que de rétablir les bonnes traditions et de rendre hommage à l'expérience. Il faut imiter en tout la sagesse du gouvernement : c'est dans les ruines des anciennes écoles qu'il a retrouvé les matériaux des nouvelles ».
Il était impossible de dire plus clairement qu'on retournait au pur humanisme, jadis condamné avec tant de force, comme nous l'avons vu, et qu'on entendait restaurer la tradition des vieux collèges. Au reste la Commission ne songe pas à dissimuler, et elle lance, en faveur du latin et de sa suprématie, des phrases qui méritent d'être rapportées, car elles eussent fait scandale non seulement en France, mais en Europe vingt ans auparavant. Les voici : « La connaissance de la langue latine fera toujours la principale partie de l'enseignement : c'est d'après les plus importantes considérations que cet usage est maintenu. Nulle langue en effet ne réunit autant d'avantages ; elle a donné naissance au plus grand nombre des idiomes modernes ; les Romains qui la parlaient ne sont plus; elle leur survit encore, et semble éternelle comme leur nom. Plusieurs sciences la choisissent pour leur interprète, et se propagent avec elle d'un bout du monde à l'autre; la jurisprudence la réclame, la médecine ne l'abandonnera pas, et la religion la consacre dans ses temples. Les philosophes ont quelquefois agité la question d'une langue universelle ; mais cette question était résolue d'avance : Rome antique ne réunit-elle pas en quelque sorte,
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L'INTOLÉRANCE LATINE 443
sous la domination de sa langue, tous les empires de l'Europe, qui ne sont que les débris du sien ? » 1
Ainsi on fait bon marché des titres du français, qui semblaient pourtant reconnus même sous l'Ancien Régime ; on abandonne sans discussion ni réserve la place que notre idiome semblait avoir conquise dans le monde, la primatie dont depuis cinquante ans tous s'étaient félicités en France, Rivarol comme Grégoire, les salons royalistes comme les Clubs Jacobins!
LE PARALLÉLISME. — Pourtant tout le terrain gagné par le bon sens n'est pas reperdu. On convient que l'opinion de Rollin est fondée, que l'élève « doit d'abord connaître les principes généraux de sa propre langue, que donc l'étude de la grammaire française doit précéder la grammaire latine ». Et voilà le français réintroduit dans les basses classes. Avec Lhomond, deux mois, pense-t-on, suffiront ! En cinquième, on traduira Phèdre, et ici se mesure déjà la place faite au français : « On comparera leur élégante briéveté (des fables de Phèdre) aux grâces de La Fontaine, on apprendra par coeur les fables françaises imitées de Phèdre ; et ce double exercice formera le goût et la mémoire ». Ce serait peu de chose, on en conviendra, si les réformateurs n'avaient pas eu la générosité d'ajouter un livre de lectures françaises : les Moeurs des Israélites de Fleury ! En quatrième, on fera réciter à voix haute la « fable touchante » d'Aristonoüs par Fénelon, quelques uns de ses dialogues pour le duc de Bourgogne, et des portraits de La Bruyère. Il est bien difficile de dire quel auteur latin La Bruyère a imité. Le français empiète donc. Dans la troisième classe « l'instruction prendra encore plus d'intérêt ». On mettra en parallèle le Charles XII de Voltaire et l' Alexandre de Quinte-Curce. En outre on mettra dans les mains des élèves Télémaque. Ne faisant pas de grec, ils n'auront jamais touché à l'Odyssée. N'importe ! Les rédacteurs de ce plan se croient autorisés à conclure avec satisfaction : « On voit que les écoles modernes ne mériteront pas les reproches faits quelquefois aux anciennes universités ; on ne dira plus que l'étude du français est sacrifiée à celle du latin ; les chefs-d'oeuvre français, dans ce nouveau plan, se trouvent à chaque instant rapprochés des chefsd'oeuvre antiques, et l'honneur de la langue maternelle est bien vengé » (Rec. des lois..., p. 387).
Il est vrai que nous ne sommes pas au bout ; il faut suivre le programme des « humanités ». En seconde et en première on donnera,
1. Rec. des lois..., t. II, p. 378-380.
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444 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
en face de Salluste et de Tite-Live, la Conspiration de Venise de St-Réal et les Révolutions romaines de Vertot; en première l'Histoire universelle de Bossuet « plus majestueux que Tite-Live lui-même ». Rousseau (le lyrique) fera pendant à Horace, et Madame de Sévigné à Pline le Jeune. Dans la classe de Belles-Lettres on a été plus hardi encore, « on a voulu réunir tous les genres d'attraits et d'instruction ». « On a mis l'Andrienne à côté du Misanthrope de Molière, l'Art poétique d'Horace avec celui de Boileau, Tacite auprès de Montesquieu, le septième chant de la Henriade, vis-à-vis du sixième de l'Enéide ; les Géorgiques de Delille comparées à celles de Virgile. Le Petit Carême de Massillon et les Oraisons funèbres de Bossuet, feront pendant aux plus belles Harangues de l'Orateur romain ». On n'a pas même voulu supprimer les auteurs « d'un goût moins pur, quand des beautés réelles se mêlent à leurs défauts ». Ainsi des fragments de Sénèque et de Lucain seront lus tour à tour avec quelques morceaux choisis de Fontenelle et de Thomas. C'est dans cette classe de belles-lettres que le talent des élèves doit briller de tout son éclat. Les narrations, les vers latins et même français, les compositions oratoires, tout sera mis en usage pour former le style, en donnant de la justesse à l'imagination et de l'abondance à la pensée. On conseille pour cette classe le Traité des Etudes par Rollin, et les Principes généraux des belles-lettres par Domairon. La Commission s'est risquée plus encore, sans le dire. Elle a inscrit dans la liste des auteurs Esther et Athalie, qui n'ayant pas de pendants, ne pouvaient figurer dans le rapport 1.
Son oeuvre est donc, à tout prendre, d'un esprit assez libéral. Enfermée par l'arrêté du 19 frimaire an XI dans un parallélisme rigide, elle semble avoir fait effort pour tirer le meilleur parti possible d'une conception humiliante qui méconnaissait par principe tout ce qui fait l'originalité de notre génie. Il n'en est pas moins
1. Rec. des lois..., t. II, p. 397. Cf. Aul., Napol. et le Mon., p. 101, et 110-111. On comparera des arrêtés secondaires : Arrêté du 19 vendém. an XII (12 oct. 1803), relatif aux écoles secondaires communales :
Art. 29. Dans la sixième, on enseignera les elémens de la grammaire latine et française.
Dans la cinquième, on continuera l'explication des auteurs latins et français; on y joindra la lecture de quelques auteurs français les plus à la portée des jeunes gens, et analogues aux auteurs latins qu'on aura mis entre leurs mains ; on leur fera apprendre par coeur les morceaux les plus intéressans ; on exercera les élèves à pratiquer les 4 règles de l'arithmétique.
Dans la 4e on continuera l'étude des langues française et latine.
Dans la 3e on expliquera les poètes latins les plus faciles à traduire ; et on ne lira ou apprendra que les poètes français du même genre.
Dans la 2e on poursuivra l'étude des langues latine et française.
Dans la 1re on complétera l'étude du latin. Là, plus question de français (Rec. des lois..., t. III, p. 110).
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L'INTOLÉRANCE LATINE 445
vrai que le français, loin d'être l'objet principal des études, en devenait l'accessoire. On lui donnait des fleurs, 1 non la place éminente à laquelle il avait droit. Il était à la discrétion de ses ennemis.
Et c'était là un dessein prémédité. Le discours prononcé au Tribunat, le 6 floréal an X (26 avril 1802) ne laisse aucun doute à cet égard. « J'ai entendu de bons esprits former le voeu d'ajouter à cette nomenclature l'étude de la langue française... J'avoue que... je ne puis partager leur opinion. Il serait utile sans doute, de créer une chaire de langue française dans les lycées, si les langues anciennes n'avaient pas besoin du concours des langues vivantes pour être étudiées, et si on ne les comparait sans cesse avec la langue nationale ; enfin, si de cette comparaison il ne résultait pas un avantage facile à reconnaître dans les expressions de ceux qui ont suivi cette double étude. Il serait en outre bien extraordinaire aujourd'hui que de bons professeurs recourussent seulement aux auteurs anciens pour trouver la richesse des pensées et les grâces du style, lorsque notre langue a étendu son domaine chez toutes les nations, et qu'ils enseignassent la rhétorique sans faire connaître les chefs d'oeuvre que nous possédons dans tous les genres » 2.
On voit s'étaler ici la détestable doctrine qui a fait si longtemps fortune. Le français ne s'enseigne pas. Nul besoin d'en mettre au programme une étude systématique. Quelques remarques judicieuses, jetées par un professeur à propos de traductions, suffisent. Certes je ne nie pas les résultats que cette méthode a donnés. Entre les mains d'un maître exercé et qui n'était pas décidé par avance à sacrifier l'une des langues à l'autre, elle pouvait convenir. Les maîtres font les méthodes. Michelet avait gardé d'excellents souvenirs des leçons de Villemain. Mais maniée par des médiocres, cette pédagogie n'est qu'une machine à abrutir. Des mots, des règles, de la grammaire, de la prosodie, jamais une idée ou un sentiment sous la forme où ils jaillissent dans l'âme des enfants. Tout est donné au latin, le temps, l'attention et l'effort. Au lieu d'être un moyen, il devient un but, le seul. Les études servent à empêcher de penser.
1. Roederer, orateur du gouvernement, avait dit : « A la suite de l'instruction préliminaire dans les écoles secondaires l'enseignement comprend : 1° la langue de son pays qu'il importe tant de savoir, et pour savoir ce qu'on pense, et pour savoir ce qu'on dit et pour savoir ce qu'on fait » (Disc, au Corps Législat., 24 flor. an X).
2. Rec. des lois..., t. II, p. 121.
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CHAPITRE IV LE LATIN ET LES HAUTES ÉTUDES
ÉCOLES SUPÉRIEURES. — Le latin fut exigé à l'entrée des Écoles supérieures : à l'École de Médecine, à l'École de Droit, à l'Ecole Polytechnique. Les candidats durent être en état d'expliquer les Offices de Cicéron.
Les cours de ces établissements avaient lieu en français 1. Toutefois il n'en fut pas de même des examens. « Toutes les descriptions se feront en français », disait le réglement du 14 messidor an IV (2 juillet 1796), ch. III, p. 10. La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803, tit. II, art. 6) le modifia. Elle contenait les dispositions suivantes : « Les examens (de médecine) seront publics ; deux d'entre eux seront nécessairement en latin. Après les examens, l'aspirant sera tenu de soutenir une thèse qu'il aura écrite en latin ou en français ».
L'exposé des motifs de Fourcroy essayait de justifier ce retour : « On a senti la nécessité d'exiger que la langue latine fût familière aux aspirans. Les ouvrages des grands maîtres dans l'art de guérir sont écrits pour la plupart en latin, et sont les sources auxquelles les élèves ont dû puiser les véritables principes de l'art, comment pourraient-ils profiter de ces trésors, et les avoir en quelque sorte à leur disposition, s'ils n'avaient en leurs mains la clef qui peut les leur ouvrir? » En conséquence, des cinq examens que l'aspirant sera obligé de soutenir, deux au moins seront soutenus en latin 2.
RARES PROTESTATAIRES. — Dans cette déroute, Duhamel, l'ancien professeur de l'Ecole Centrale, essaya bravement de trouver un
1. Liard, Enseign. sup., t. II, p. 61. Il se trouva cependant un professeur de médecine, en réaction sur Molière, pour demander l'autorisation de faire son cours en latin ! (Aul., Napol. et le Mon., p. 279-280).
2. Rec. des lois..., t. I, p. 11, 333, 338, 342.
Le titre III, qui concerne les officiers de santé, stipule au contraire que leurs examens auront lieu en français. Le contraste est instructif. On voit s'affirmer l'idée hiérarchique, en haut ceux qui ont fait du latin, en bas ceux qui l'ignorent. Au sommet, Polytechnique, en bas, les Arts et Métiers (Loi du 6 vent, an XI—25 fév 1803, Rec. des lois..., t. II, p. 322).
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LE LATIN ET LES HAUTES ÉTUDES 447
refuge au Collège de France et d'y faire créer une chaire de langue française 1. Jamais peut-être les bienfaits qu'une connaissance solide de la langue peut apporter aux citoyens, à la politique, et même à l'enseignement des plus modestes métiers, n'avaient été plus fortement et plus sobrement mis en lumière. Jamais non plus on n'avait mieux réfuté le sophisme qu'on apprend le français en faisant du grec et du latin 2. Mais il n'advint rien, que je sache, de sa courageuse initiative. Le temps était à l'obéissance.
1. Le Mémoire a été imprimé. Il est de germinal an X. Arch. N., coll. Rondonneau, ADVIII 26.
2. Ce que Duhamel voudrait, c'est une étude raisonnée, fondée sur les « analogies » à l'aide desquelles on se rend maître du lexique, de la syntaxe, voire de l'orthographe. Il est fidèle à la croyance que l'art de bien parler et de bien écrire notre langue est la même que l'art de penser et de raisonner, et que c'est le plus grand avantage qu'on puisse retirer de l'instruction et de l'éducation. « Une langue grammaticale mieux faite régulariserait l'enseignement, perfectionnerait la langue usuelle et commune : ce qui est un des plus grands avantages que la société puisse attendre du progrès des lumières » (Mém., p. 23).
A l'Ecole Polymathique de Butet, « les exercices de la huitième classe ont pour objet le Mécanisme simultané de la Lecture et de l'Ecriture, la Pratique interlocutoire des Conjugaisons françaises...
« Les exercices de la septième sont relatifs à la distinction des parties du Discours, à l'orthographe usuelle des mots dans leurs formes constantes, à l'usage des Dictionnaires... Et ainsi de suite » (Voir le Progr. de l'an XI. Paris. Imp. de l'Ec. Polymath., an XI, in-8°, p. 24 et suiv. Arch. N., ADVIII, 29).
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CHAPITRE V QUELQUES DONNÉES SUR L'ÉTAT DES ÉTUDES
UNE ENQUÊTE. — On n'aurait qu'une idée bien insuffisante des résultats qu'eurent dans la pratique les institutions scolaires de l'époque, si on ne considérait que les Lycées. Heureusement on a conservé des dossiers qui permettent de se faire une idée de ce qui s'enseignait dans les petites villes et les bourgs.
Ce sont d'abord les réponses concernant les écoles secondaires communales, auxquelles l'administration avait demandé, par une circulaire du 30 ventôse an XIII, des renseignements sur les matières qui étaient enseignées. Le programme comportait français, latin, mathématiques, on le suivait. Ce qui serait nécessaire, ce serait de savoir combien d'élèves optaient pour le latin, combien pour les mathématiques, on ne nous le dit pas exactement.
D'autres dossiers ont été conservés. Ce sont les états fournis par les préfets en réponse à une circulaire du 21 prairial an XIII (26 juin 1805).
Il s'agissait de savoir, parmi les maisons d'éducation qui aspiraient à être élevées au rang d'institutions secondaires, quelles étaient celles qui méritaient cet honneur. On voulait connaître les maîtres, l'installation, le nombre des élèves, le prix de l'écolage et les programmes.
Presque tous les préfets ont répondu, mais quelques-uns l'ont fait sommairement, se bornant à mettre en tète de l'état fourni : Maisons où on enseigne les langues française et latine et les mathématiques 1.
Parfois même le titre porte : « ou les mathématiques », si bien que nous ne sommes pas sûrs si la bifurcation pouvait se faire partout. Quoi qu'il en soit, il m'a paru intéressant de recueillir les
1. En ce cas je mets dans la colonne Observations : T (titre) ce qui signifie que l'état ne porte aucune indication relative aux programmes, en dehors du titre.
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QUELQUES DONNÉES SUR L'ÉTAT DES ÉTUDES 449
indications fournies par ces dossiers peu connus, et qui contribueront à jeter quelque lumière sur l'enseignement du deuxième degré à cette époque 1.
1. Voir Arch. Nat., F 17 1720. — F 17 19358 (Registre des Écoles Secondaires) est un simple registre de police concernant Paris seul.
Ajoutons que F 17 3600 contient toutes sortes de renseignements sur les Ecoles secondaires, mélangés à des rapports sur l'enseignement primaire.
Histoire de la langue française. IX.
29
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ÉCOLES LIBRES EN L'AN XIII.
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DEPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS
LATIN FRANÇAIS LATIN
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Moulins 5 (68) T.
Bourbon 1 (62) —
Souvigny — (9) —
Montluçon — (72) —
Cerilly —(12) —
Allier Saint-Pourçain. . . . —(68)
Ebreuil —(45) Plusieurs de ces écoles reçoivent une
Lapalisse — (40) subvention des communes.
Cusset — (42)
Vichy. ...... -(21)
Varennes-sur-Allier.. . —(31)
Puy-de-Saint-Pierre.. . 1 (18)
Monétier — (8)
Guillestre 2 (140)
Hautes-Alpes.
Châteauroux —(17)
Saint-Bonnet — (24)
Orpierre — (22)
Veynes —(10)
Ardèche Le Préfet écrit :« Presque toutes les communes
communes Département ont des maîtres d'école où l'on n'enseigne tant bien que mal qu'à lire et à écrire ».
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Pamiers 1 3 (53) Dans l'école franco-latine, 20 élèves en
français, 5 en latin.
Mirepoix 1 (33) 1 (27) Dans l'école franco-latine, 28 élèves en
Ariège Lezat — (10) latin, 5 en mathématiques.
Sainl-Lizier — (20) Dans certaines communes des instituCastilhon
instituCastilhon (30) teurs enseignent la lecture, l'écriture
Niaux — (8) et le calcul.
Troyes 3 (116)
Saint-Martin-es-Vignes.. 1 (33)
Ervy - (18)
Aube Bar-sur-Aube.. ... — (29)
Romilly-sur Seine. . . — (15)
Bar-sur-Seine — (53) A Bar on enseigne aussi l'anglais et
l'italien.
Saint-Affrique. ... 3 Plusieurs écoles du même genre ont fermé
Aveyron La Guiole depuis l'organisation des écoles seconMur-de-Barrès.
seconMur-de-Barrès. . daires.
Aubagne 2 (123)
La Ciotat 1
Marseille 16(549)
Aix 5(113) 2(60)
Bouches-du-Rhône. . Martigues 2(17)
Salon 6(127)
Arles 5(154)
Saint-Rémy 4(92) 2 (30)
Tarascon 3(89)
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS
LATIN FRANÇAIS LATIN
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Bayeux 3 (178) 1 (122) Plusieurs de ces maisons n'ont que quelques
quelques en latin et français : 10 sur 50, 27 sur 66. Les autres reçoivent l'éducation des écoles primaires (lire, écrire). Prix : 1 fr. 75 par mois.
Caen 7 (196) 3(43) Dans l'une des trois on apprend le latin et
l'anglais, dans l'autre le latin et le grec. Pas de mention du français. Calvados Cully 3
Honfleur 2
Pont-l'Evèque.... 1
Lisieux 2 Un petit nombre d'élèves apprend le latin.
Orbec 1
Falaise 3
Campeaux 1
La Landelle 1
Le Gast 1
Sainte-Marie-Laumont. . 1
Cantal Néant.
Angoulême 7 (116) T.
La Rochefoucauld. . . 3 (13) —
Charente Châteauneuf 1 (17) —
Barbezieux 1 (9)
Confolens 1 (17)
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Saintes 3(106) T.
Charente-Inférieure. . Pons 1 (25)
La Tremblade. ... 1 (24)
Allassac 1 (45) T.
Brive 7(136) —
Cublac 1 (20) —
Curemonte — (25) —
Juillac — (42) —
-(80)
Larche — (30) —
Corrèze Meyssac — (40) —
Objat — (20) —
Saint-Julien-Ségur. . . — (12) —
Saint-Solve —(15) —
Tulle 2 (28) Elles sont tenues par d'anciens professeurs des Écoles Centrales.
Turenne — (29) T.
Ussac —(30) —
Chatillon 2 (19) T.
Semur 2 (21) —
Côte-d'Or Vitteaux 1 ( 34)
Côte-d'Or Dijon 10(139) -
Beaune 4(126) —
Nolay 1 (31) —
Guéret T.
Boussac —
Aubusson 2 (70) —
Bourganeuf —
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN OBSERVATIONS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Nontron 1(46) « Il existe dans le Département plusieurs
Périgueux 4 (68) 1 (9) autres Écoles où l'on enseigne les éléExcideuil
éléExcideuil (52) ments de la lecture, de l'écriture et du
Lille 1 (34) calcul ».
Dordogne Sarlat — (14)
Montignac —(62)
Terrasson —(15)
Villefranche — (4) 1 (28)
Mussidan 1 (31)
Besançon 8(182) T.
Morey — (34) —
Etray — (46) —
Doubs Ouvans —(22) —
Clerval —(20) —
Pontarlier 2 (21) —
Ornans 1 (25) —
Crest 1 (23) T.
Drôme Romans — (13) —
Valence 2 (56) _
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Chartres 2 (50) T.
Dreux 2 (61)
Châteaudun 2 (49)
Eure-et-Loir. . . . Nogent-le-Rotrou. 1 (10)
La Loupe 1 (35) Prix: 18 francs en primaire; 36 en grammaire
grammaire ; 60 en grammaire latine et mathématiques.
Brest 1 (35)
Lesneven — (50)
Finistère Morlaix — (33)
Sibirill —(72)
Quimperlé —(40)
Alais 1 (3)
Saint-Jean-du-Gard.. . 1 (14)
Genolhac 1 (5)
Gard Nismes 7(276) Une de ces écoles enseigne l'italien.
Saint-Gilles 1 (40) Le directeur est instituteur primaire.
Saint-Hippolyte. ... 1 (50) Le directeur a avec lui un professeur de
langue française. Sauve 1 (35)
Toulouse 5(509) T.
Haute-Garonne. . . Saint-Gaudens. . . . 1(135) Castel-Sarrasin. ... 1 (24) Revel 1 (57)
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS
LATIN FRANÇAIS LATIN
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Condom 4(106) T.
Lauze 1 (31)
Nogaro 1 (59)
Houga 1 (42)
Lectoure 2 (29)
Fleurance 1 (25) 2 (55)
Solomiac 1 (22)
Mauvezin 1 (16)
Terraube 1 (20) Véritable école primaire.
Saint-Clar 1 (35) —
Lisle-Bouzon 1 (75) —
Bivès 1 (24) —
Tournecoupe 1 (30) —
Castelnau 1 (20) —
Montastruc 1 (20)
Auch 2 (71)
Gimont. 1(19)
Seissan 2 (51)
Saramon 1 (16)
L'Isle-en-Jourdain. . . 2 (73) 1 (12)
Noilhan 1 (12)
Barcelonne 1 (40) Quelques enfants seulement apprennent
le latin et la grammaire française. Marnac 2 (31)
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Riscle 1 (12)
Miélan 1 (52) Quelques écoliers apprennent le latin.
Gers (suite). . . . Beaumarchais 1 (4)
Mirande — (6)
Montesquiou — (6)
Rennes 10(204) T.
Saint-Malo 1 (13)
Vitré 1 (2) 1
La Guerche 1 (4) 1 (17) Enseigne les mathématiques et non le latin.
Ille-et-Vilaine. . . . Redon.... 1 (74)
Bain 1 (5)
Lou-du-Lac 1 (47) Les externes vivent dans les fermes
voisines.
Tours 5(269) Sur les 5 directeurs, 2 maîtres d'écriture,
qui font enseigner le latin aux élèves qui veulent l'apprendre. Indre-et-Loire . . Château-Renault.. . . 1 (12)
Chinon 1 (82)
Richelieu 1 (18) La maison porte toujours le nom de
Collège de Richelieu.
Dôle 4 (76)
Salins — (64) Dans une des cinq écoles on enseigne les
Jura mathématiques.
Poligny 1 (40)
Saint-Claude 1 (44)
I Landes Néant.
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES FRANÇAIS OBSERVATIONS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Liamone Ajaccio 5(91) Il y a dans quelques communes de l'intérieur
l'intérieur écoles primaires où l'on enseigne... les principes des langues latine et française et le calcul décimal. Il y a également quelques autres écoles particulières dans lesquelles l'on enseigne une des deux langues seulement.
Loir-et-Cher. . . . Néant.
Montbrison 3 (69) T.
Chazelles-sur-Lavieu. . 1 (36)
Roche 1 (64) Petit séminaire.
Loire Saint-Étienne 3 (58)
Rive-de-Gier 1 (8)
Roanne 7(138)
Charlieu 2 (20)
Pas d'établissement proHaute-Loire.
proHaute-Loire.
prement dit.
Orléans 13 (473)
Loiret Ferrières 1 (14)
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Lorris 1 (60)
Loiret (suite). . . . Pithiviers 1 (56)
Gien 1 (60)
Montauban 6 (242) T.
Lauzerte 2 (54)
Gourdon 2 (80)
Lot Martel 1 (25)
Salviac 1(15)
Cahors 1 (34)
Agen 6(233)
Beauville 1 (21)
Tonneins 2 (36)
Casteljaloux 1 (44)
Damazan 1 (16)
Nérac 1 (24)
Lot-et-Garonne. Bruch 1 (44)
Monterabeau 1 (20) On y enseigne aussi l'anglais.
Francescas 1 (30)
Sos 1 (24)
Pujols 1 (14)
Penne 1 (24) 1 (16)
Monflanquin 1 (15)
Lozère Néant.
Valognes 2 (52)
Manche Cherbourg 2 (40)
Bricquebecq 1 (16)
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS
LATIN FRANÇAIS LATIN
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Muneville-sur-Mer. . 1 (35)
Coutances 1 (5)
Mesnil-près-la-Oue. . . 1 (13)
Pirou 1 (2)
Perrières 1 (10)
Pontorson. ..... 1 (36)
Granville 4 (39) 1 (40) L'École française enseigne les mathématiques
mathématiques c'est une école publique et Manche (suite) gratuite de navigation.
Avranches 5(227) Une école enseigne le grec.
Saint-James 2(48) Prix : 15 francs pour le français ; 24 francs
pour le latin.
Mortain 2(51) Ces écoles sont divisées en deux sections :
a) latin (19 élèves) ; b) grammaire
Sainl-Lo 3(120) française, géographie, histoire, mathéCarentan
mathéCarentan (17) matiques (32 élèves).
Thorigny 2 (24) Prix: latin 2 francs, écriture 1 franc,
lecture 0 fr. 75.
Reims. ...... 3(107) T.
Châlons 2 (82) —
Avize. ...... 1 (9) —
Marne Montmirail 1 (7) -
Auve 1 (15) —
Vitry 1 (25) -
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Joinville 1 (36) T.
Montier-en-Der. ... 1 (11) —
Chaumont 1 (6) —
Haute-Marne. . . . Langres 2 (33) —
Montigny 1 (8) —
Pouilly 1 (17) Le Directeur Moniot enseigne depuis
41 ans.
Laval 5(105) 2 (206)
Ernée 1 (50)
Mayenne Château-Gontier. ... 1 (59)
Craon 1 (20) On paie dans cette école 450 francs pour
le latin et 390 francs pour le français.
Thiaucourt 1 (12)
Nancy 6 (86) Une des écoles est particulièrement destinée
destinée l'enseignement des belles-lettres
Meurthe Château-Salins. . . . 1(18) et de la grammaire générale.
Vic 1 (33)
Lunéville 2 (16)
Blamont 1 (12)
Vézelize 1 (3)
Bar-sur-Ornain. .
Montmédy 1 (30) 4 (184)
Meuse ; Verdun 5 (92) Dans l'une on apprend l'allemand; les
élèves de deux autres fréquentent
Étain 2(104) l'école secondaire.
Clermont 1 (19)
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN OBSERVATIONS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Mont-Blanc.... Conflans 1 (42) Les élèves des écoles de Conflans et
Chambéry 1 (36) de Chambéry (petit séminaire) suivent
l'école secondaire communale.
Napoléonville 1 (29)
Cléquères 1 (20)
Faouët 1 (30) Il existe dans différentes communes des
maîtres d'école qui apprennent à lire Guéméné —(20) et à écrire aux enfants; quelquesMorbihan Locminé —(34) uns y ajoutent les quatre premières
Gourin —(12) règles de l'arithmétique.
Lorient —(20) On y enseigne aussi l'anglais.
Hennebon 1 (35) 12 apprennent le latin, les autres, le
Vannes.. 5(165) 4(119) français et les mathématiques.
La Roche-Bernard. . . 1 (40) Lire, écrire et le calcul.
Moselle Metz 4 ( 73)
Moselle Briey 3 (32)
Cassel 1 (11) T.
Lille 11(453) —
Nord Haubourdin 1 (25) —
Esquermes 1 (36) —
Cambrai 6(156) —
------------------------------------------------------------------------
Avesnes 1 (6) T.
Quesnoy 2 (26) —
Nord (suite) Douai 5( 241) -
Nord (suite). . . . Valenciennes 8(227) —
Bouchain 1 (25) —
Seclin 3 (70) —
Beauvais 2(101) T.
Breteuil 1 (30) —
Bury —(15) —
Chantilly —(54) —
Gerberoy —(11) —
Grandvilliers-aux-Bois. . —(16) —
La Morlaye —(26) —
Oise Marissel —(10) —
Nanteuil —(21)
Noailles —(5) —
Plessis-Longueau. . . —(53) Dans l'hiver.
Rhuis —(20) —
Saint-Just —(50) —
Senlis 2 (64) —
Verneuil 1 (56) —
Alençon 7(209) 2 (27) Les deux écoles de français ont le programme
programme
Argentan 2 (30) Lire, écrire, éléments de latinité.
Orne Mortagne 1 (50)
Boissi-Maugis 1 (35)
Laigle 2 (41)
Moulins 1 (8)
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN OBSERVATIONS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Arras 5 (68) T.
Béthune 3(106)
Lens 1 (26)
Lillers 2 (46) Ces chiffres sont ceux de l'hiver.
Hersin 2 (11)
Montreuil 1 (36)
Pas-de-Calais. . . . Capelle 1 (16)
Frevent 5 (60-75)
Boulogne 4(236-134)
Saint-Martin-Choquel. . 1
Audinghen 1 (18)
Samer 1 (8)
Riom 10(297)
Pionsat 1 (48)
Charensat 1 (40)
Menat 1 (35)
Arlanc 1 (25)
Cunlhac 1 (13)
Puy-de-Dôme. . . . Saint-Germain-l'Herm. . 2 (12)
Saint-Gervais-s.-Maymont. 1 (20)
Clermont 15 (302) 1 1 primaire. Le programme des diverses
Billom 5 (72) écoles est indiqué, mais peu nettement.
Ardes 2 (21) Il semble qu'on enseigne la langue
Latour 2 (45) latine seulement dans 3 écoles.
Tauves 1 (20)
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Pau 4 (95)
Oloron 2 (39)
Arudy 1 (18)
Mauléon 2 (17)
Basses-Pyrénées. Parris 1 (4) C'est le desservant qui montre gratuitement.
gratuitement.
Bayonne 2 (39)
Orthez 1 (29)
Salies 1 (7)
Navarrenx 2 (37)
Tarbes 3 (30)
Maubourguet 1 (15)
Hautes-Pyrénées. . . Lourdes 1 (filles) (30)
Beaucens 1 (4) M. Ragette reçoit ce que lui offre la
reconnaissance.
Pyrénées-Orientales. . Perpignan 1 (30)
Strasbourg 3(54) 1(20) On enseigne l'allemand dans les 4 écoles.
Bas-Rhin Landau 1 (19)
Haut-Rhin Néant.
Lyon 58(2065) T.
Saint-Rambert. ... 2 (41)
Oulins 6 (90)
Rhône Saint-Genis-Laval... 2 (40)
Condrieu 1(150)
Colonges 1 (21)
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN OBSERVATIONS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Gy 1 (27) Tous les maîtres enseignent la langue
Gray 3(140) française, un peu moins mal l'arithméBucey
l'arithméBucey (70) tique selon les principes du calcul
Champlitte 1 (80) décimal.
Velesmes 1 (31)
Vesoul 3 (60) 4(125)
Jussey 1 (20)
Haute-Saône. . . . Port-sur-Saône. ... 1 (38)
Lure 1 (20)
Vauvillers 1 (18)
Saint-Loup 1 (28)
Villersexel 1 (32)
Melisey 1 (30)
Luxeuil 1 (23)
Saulx 1 (23)
Héricourt 1 (20)
Le Mans 9(185) Une autre école, sans programme indiqué,
indiqué, les mathématiques.
Beaumont-sur-Sarthe. . 1 (30)
Sarthe Cherré 1 (42)
Mamers 2 (60)
Bonnétable 2 (76)
La Ferté-Bernard. . . 1 (55)
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Ballon 1 (25)
La Suze 1 (58)
La Flèche 3(73)
Sarthe (suite). . . . Sablé 1 (10)
Pressigné 1 (40) Peu d'élèves étudient la langue latine.
On enseigne particulièrement à lire et à écrire.
Seine Paris et environs.. . . 73(2068) 2(33) Beaucoup d'écoles n'ont pas envoyé le
nombre de leurs élèves. Une n'enseigne que l'allemand.
Eu 2 (39) T.
Montivilliers 1 (25-31) —
Seine-Inférieure. .
Harfleur 1 (14) —
Bolbec 1 (55) —
Brie 1 (97) T.
Dammartin 1 (47) —
Fontainebleau. ... 2 (70) —
Seine-et-Marne. . . Le Mée.. 1 (10)
Meaux 1 (40) —
Saint-Cyr 1 (30) —
Guitrancourt 1 (22) Plan des lycées.
Seine-et-Oise. . . . Magny 2 (27)
Saint-Gervais 1 (20) —
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES FRANÇAIS LATIN OBSERVATIONS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Villiers-le-Bel 2 (41)
Gonesse 2 (38)
Beaumont 2(167)
Nointel 1 (50)
Marines 1 (19)
Versailles 5(108)
Seine-et-Oise (suite). . Saint-Germain. . . . 3(39)
Marly-l.-M 1 (35)
Meulan 1 (36)
Montfort 1 (21)
Poissy 1 —
Corbeil 4(176)
Étampes Néant
Deux-Sèvres. . . . Niort 2 (68)
Amiens 4(194)
Flixecourt 1 (14)
Cardonnette 1 (18)
Abbeville 2 (58)
Somme Saint-Valery 2(103)
Doullens 1 (20)
Péronne 1 (17)
Nesle 1 (16)
Albert 1 (45)
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Mondidier 1
Somme (suite).. . . Roye 2 (63)
Moreuil 1 (40)
Albi 4(103) T.
Gaillac 2 (49)
Tarn Lavaur 2(118)
Grauliet 1 (44)
Brignoles 1 (23)
Carcés 1 (6)
Entrecasteaux 1 (10)
Cotignac 3 (67)
Tourves 1 (9)
Roquebrune. . . . 3 (58)
Néoulles 1 (20)
Pignans 3 (51)
Forcalquier 1 (10)
Gonfaron 2 (27)
Var Vidauban 2 (24)
Callas 2 (33)
Salernes 2 (28)
Saint-Tropez 5(157)
Grimaud 1 (15)
Le Luc 6(197)
Fayance 2 (42)
Les Arcs 1 (30)
Bargemont 5 (59)
Aups 4 (52)
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MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES FRANÇAIS LATIN OBSERVATIONS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL
Grasse 2 (31) L'abondance de ces écoles ne signifieAntibes
signifieAntibes t-elle pas que le Préfet a compté toutes
Vence 1 (14) les écoles où, suivant la mode du Midi,
Carros 1 (15) on commençait des études de latinité?
Cannes 1 (2) Il dit en effet qu'il a donné la liste des
Châteauneuf 1 (23) maisons autres que les écoles seconMougins
seconMougins (12) daires communales et particulières
Cagnes 1 (45) où on enseigne latin et français.
Tourrettes 1 (12)
Auribeau. .... 1 (6)
Var (suite) Toulon 16(722)
Ollioules 3(122)
Le Puget 3 (92)
La Valette 2(40)
Le Beausset 1 (6)
Sollies 2 (51)
Pierrefeu 1 (20)
Signes 1 (21)
Le Revest. ..... 1 (8)
Bandol 1 (12)
Avignon 6 (67) T.
Vaucluse. .... Lisle ...... 2(61)
Cavaillon 1 (3 6)
Carpentras 7 (95)
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Aubignan 2 (51)
Vaucluse (suite). . . Beaumes..... 3 (37)
Vaison 2 (21)
Les Sables Séminaire(5) Le but paraît être de former partout des
Vendée Chavagne-de Montaigu.. 1 (70) élèves pour l'état ecclésiastique.
Fontenay 5 (50)
Poitiers 4 (52) T.
Loudun 2 (44)
Mauprevoir 1 (6)
Vienne
Civray 1 (4)
Chatellerault 3 (80)
Montmorillon 1 (13)
Haute-Vienne. . . Néant
Vosges 3 maîtres (Saint-Dié, Mirecourt, Rambervillers.
Rambervillers. de maisons).
Auxerre 4(121) T.
Avallon 3 (66)
Vézelay 1 (11)
Sens 2 (44)
Villeneuve-s.-Y. . . . 1(25-30)
Précy 1 (20)
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472 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
D'autres états, de 1807, complètent ceux que je viens de résumer 1. Ils contiennent, sur le sujet qui nous occupe, quelques renseignements.
On pourrait glaner ailleurs. Ainsi le 18 novembre 1811, le Recteur de Rennes envoie un tableau, très court du reste, des Maîtres qui enseignent « les langues vivantes » à Nantes. Il y en a deux de langue anglaise et trois... de langue française 2.
Il y a lieu, avant de terminer ce chapitre, de rappeler que l'Université impériale, si puissamment appuyée qu'elle fût par le maître, ne parvint pas à vaincre l'opposition cléricale. De tous côtés et de toutes façons, on tourna la loi, et le décret rigoureux de 1811, qui tendait à instituer le blocus universitaire, resta à peu près lettre morte. Les petits séminaires, sortant de leur rôle, faisaient une âpre concurrence aux lycées, collèges et écoles secondaires, dont la vie en beaucoup d'endroits était chétive. Or ces maisons accordaient au latin une place encore plus avantageuse que l'Université.
Je n'insisterai pas plus qu'il ne convient sur ces choses, qui n'ont pas une importance capitale. Sans doute, il n'était pas indifférent que la langue eût désormais l'enseignement public avec elle ou contre elle. Mais au point où elle en était parvenue, elle avait moins besoin des hommes de robe longue. Qui sait même si tout ce retour de pédantisme ne l'a pas servie, en préparant de nouvelles révoltes. On se rappelle les reproches que Lamartine faisait à l'éducation qu'il avait reçue. Le souvenir que Hugo avait gardé de la sienne le mettait dans une véritable colère, qui a influé sur ses théories :
« Marchands de grec, marchands de latin, cuistres, dogues, Philistins, magisters, je vous hais, pédagogues... »
1. Arch. Nat., F17 1721.
2. Arch. N., F17 6301.
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CHAPITRE VI L'UNIVERSITÉ IMPÉRIALE
LE JOUG DU LATIN S'APPESANTIT. — La création de l'Université impériale en 1806-1808 1 ne fit qu'aggraver le latinisme de l'an X. Aux outranciers de la réaction, l'Administration répondait bien avec des airs résolus qu'à la fin de l'Ancien Régime « on se plaignait qu'on ne s'occupât pas assez de la langue et de la littérature française » 2. Mais ces dispositions modernistes ne se traduisaient guère dans les réglements et les programmes, et d'année en année le joug du latin se fit plus pesant.
Le 19 septembre 1809, la bifurcation établie par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) fut abolie. Au lieu de deux sections : latin d'une part, mathématiques de l'autre, les élèves des lycées reçurent une instruction commune : 1° Deux années de grammaire (français, latin; dans la seconde année, grec); 2° deux années d'humanités (mêmes matières avec étude des meilleurs auteurs français) ; 3° rhétorique ; 4° mathématiques spéciales. Le français n'était toujours étudié que par le latin et on pourrait dire pour le latin. L'explication, écrite ou orale, des textes latins devait exercer les élèves à l'écrire et à le parler.
On saluait sa résurrection de cris joyeux. « Ergo renascitur lingua Romanorum », s'écriait Burnouf, dans un transport, à la distribution du Concours général en 1812. Et ceci veut dire que les thèmes, les versions, les discours et les vers latins remplaçaient des disciplines devenues d'autant plus suspectes qu'elles avaient fait leurs preuves. C'était sur leur succès en ces matières qu'on jugeait les maîtres. La classe d'histoire seule demeurait un peu gênante, Tite-Live et Cornelius Nepos n'ayant pas prévu la 4e dynastie. Mais si le régime eût duré, la servilité y eût pourvu. Un courtisan ne proposait-il pas une histoire latine de l'époque contemporaine !3
1. Le projet fut adopté au Conseil d'État le 4 juillet 1806 et promulgué le 7 mars 1808. Voir Rec. des lois..., t. III, p. 158.
2. Weil, Hist. de l'enseign. sec. en Fr., p. 35-37.
3. Schmidt, Réf. Univ. Imp., p. 94.
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474 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Assurément bien des gens comprenaient qu'on se fourvoyait, peu se hasardaient à le dire. Un modeste grammairien, Vanier, osait cependant annoncer l'avenir : « Il viendra peut-être un temps où nous apprendrons le français par le français, et non par le latin. Ce sera alors que nous saurons réellement notre langue, et que nous ne nous trouverons plus, comme par le passé, dans la dure nécessité de recommencer nos études au sortir des collèges. Ce tems viendra quand nous aurons des grammaires et des écoles vraiment françaises »'. Dans son for intérieur, Fontanes lui-même voyait probablement très bien les dangers de cette éducation dont la rhétorique occupait le sommet, où les élèves rapetassaient des centons d'antiquité, et dont les maîtres considéraient comme une gloire suprême d'avoir donné une nouvelle traduction d'Horace 2. Il savait bien que dans ses lycées, où les études grecques étaient à peu près nulles, on n'étudiait qu'une antiquité de convention, un monde verbal et vide. Mais l'intérêt politique lui commandait son attitude.
Quelques historiens ont supposé que Bonaparte, devenu Napoléon, était obsédé à la fois du souvenir de Charlemagne et de César. Poussa-t-il jusqu'à vouloir renouer la tradition de l'Empire d'Occident et substituer au Saint-Empire romain germanique le SaintEmpire latin des Français ? 3 En tous cas, en 1810, « pour célébrer solennellement » l'alliance auguste qui se fonde pour le repos des générations futures, « et rétablir l'usage de la langue latine... qu'il sied peut-être de parler quand nos lois et nos armes s'étendent au loin », les professeurs de rhétorique furent invités à prononcer, le 1er jeudi du mois de juin, un discours latin sur le mariage de S. M. L'Empereur et Roi avec S. A. I. et R. l'Archiduchesse Marie-Louise. Luce de Lancival eut le prix. C'était justice. Quand il n'était encore que le citoyen Luce, n'avait-il pas prononcé un discours « très analogue » sur l'utilité des langues grecque et romaine?4 « On les appelle des langues mortes, s'écriait-il, elles sont mortes pour les autres nations, mais les Grecs et les Romains vivent pour les Français ». Heureux Français!
Que quelques-uns aient songé à rétablir la classe en latin, cela ne paraît pas douteux. Ils n'y réussirent cependant pas. Des gens qui avaient alors une" autorité considérable dans les Conseils d'Instruction publique, comme Cuvier, avaient dit avec trop de force le dommage qui en résulterait, et « l'impossibilité de se servir désor1.
désor1. des partic., p. 8-9.
2. Schmidt, Réf. Univ. Imp., p. 94.
3. Lavisse, Journal des Débats, 11 juillet et 22 août 1890.
4. Aulard, Paris..., 13 fructidor an VIII (1er sept. 1800).
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L'UNIVERSITÉ IMPÉRIALE 475
mais d'une langue dont les auteurs avaient ignoré les faits et les idées découvertes par les sciences ». La philosophie logique ellemême resta française. Il y eut bien quelques demandes en faveur du latin. Des pères de famille — on connaît l'usage que les pédagogues rétrogrades font, à l'occasion, des pères de famille — sollicitèrent, dès 1805, la création d'un cours de philosophie professé en latin. Le Conseil Général de la Gironde émit un voeu analogue. Mais le Conseil de l'Université se borna, en 1809, à laisser les professeurs libres de choisir 1. Il s'en trouva pour essayer du latin, ainsi le professeur Poirrier, de Nantes. Mais dans des essais comme ceuxlà, il faut, pour réussir, le consentement des élèves et on devine que, malgré leur passivité ordinaire, ceux du temps, quelqu'habitués qu'ils fussent à marcher comme des soldats, mirent peu d'empressement à ajouter à leur peine, sans que le résultat utile leur apparût.
A la Faculté de Droit, règles analogues. Le décret du IVe jour complre de l'an XII (21 septembre 1804) prescrit: « A la licence et au doctorat, l'un des examens portera sur le droit romain et sera fait en latin » (art. 43).
On pense bien que, dans les ombres de Facultés des Lettres qui furent instituées pour donner les grades, les décrets n'oublièrent pas de faire au latin sa place. Le décret portant organisation de l'Université dit, au Titre III, art. 20, § 2 : « Pour subir l'examen de la licence il faudra... 2° composer en latin et en français sur un sujet et dans un temps donné... § 21 : Le doctorat dans la Faculté des Lettres, ne pourra être obtenu qu'en présentant son titre de licencié, et en soutenant deux thèses, l'une sur la rhétorique et sur la logique, l'autre sur la littérature ancienne ; la première devra être écrite et soutenue en latin » 2.
1. Aul., Nap. et le Mon., p. 111. On abolit la faculté du choix en 1822, lors de la suppression de l'École Normale. En 1828, M. de Vatimesnil la rétablit. C'est Victor Cousin, sous Louis-Philippe, qui mil définitivement fin à cet anachronisme.
2. Rec. des Lois..., t. III, p. 93.
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CHAPITRE VII L'ÉCOLE NORMALE D'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
FORMATION DE L'ÉCOLE. — Le retour à l'idée d'Écoles Normales était fatal. Chassiron l'avait reprise dans son discours du 6 floréal an X (26 avril 1802). L'article 110 du titre XIV de la loi du 17 mars 1808 porte : « Il sera établi à Paris un pensionnat normal, destiné à recevoir jusqu'à trois cents jeunes gens, qui y seront formés à l'art d'enseigner les lettres et les sciences »1. Le décret concernant règlement pour l'Université Impériale (17 septembre 1808, tit. VIII, art. 17), ajoute : « Le pensionnat normal sera mis en activité dans le cours de l'année 1809 ; le nombre des élèves pourra n'être porté qu'à cent la première année, à deux cents la seconde, et ne sera complété que la troisième année » 2. Les chiffres seuls indiquent qu'on ne savait pas encore au juste ce qu'on voulait faire. On avait seulement résolu de pourvoir l'Instruction publique de fonctionnaires formés.
L'École Normale s'ouvrit en 1809, au Collège d'Harcourt, puis dans la maison dite du St-Esprit. Guéroult en était directeur. Basset était directeur des études 3. Le règlement avait été arrêté le 30 mars 1810. Un décret du 29 juillet 1811 exemptait les élèves du service militaire 4. C'étaient des jeunes gens de 17 ans au moins, qui avaient lait au minimum deux ans dans les hautes classes d'un lycée.
LA PLACE DU LATIN. — Le latin ne régnait pas en maître absolu à l'École Normale. Un règlement du 17 mars 1808 se bornait à avertir les élèves que « devant composer en latin pour la licence et soutenir
1. Rec. des Lois..., t. III, p. 4.
2. Ib., p. 187.
3. Tous les mémoires relatifs à l'installation se trouvent Arch. N., F 11 7403-7404. Ils vont de 1809 à 1814.
Une liste complète des élèves de l'origine à 1821 se trouve dans F 17 7409 ; une liste des candidats, Ib., 7406.
4. On trouvera quelques indications dans P. Dupuy, art. cit. dans Centen. de l'Ec. Norm., p. 211. Le discours prononcé à l'inauguration par Fontanes est dans le Moniteur du 19 avril 1811.
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L'ÉCOLE NORMALE D'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 477
des thèses en latin pour le doctorat, ils devaient faire un fréquent usage de la langue latine dans leurs discussions et leurs compositions ». Tous les trois mois, en présence du chef de l'École, avaient lieu des exercices où on traitait soit en latin, soit en français, des questions de philosophie et d'histoire 1.
Villemain nous a laissé dans ses Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature 2 le récit d'une visite faite dans cette maison en 1812, alors que « créée magnifiquement sur le papier », elle n'occupait qu'un réduit dans les combles de Louis-le-Grand. Guéroult, Conseiller à vie de l'Université Impériale, voulait l'École « inflexiblement classique, sans distraction et même sans diversité d'études, par la seule méditation de l'antique et de l'excellent » (p. 138). Le jour où M. de Narbonne y entra, on y faisait « l'analyse rapide et la critique incidente des meilleurs passages du Marc-Aurèle de Thomas, rapprochés de quelques grands traits de l'original antique. Ensuite on lut et on discuta sans pitié quelques Considérations écrites par un élève sur Fénelon et Vauvenargues ».
Le maître qui commandait tout, et qui avait installé « tant de gens d'esprit dans un grenier », avait l'ambition que son règne fût marqué par des oeuvres éclatantes, et, ne réussissant pas à les susciter par ses prix décennaux, il reprenait l'oeuvre par la base. L'enseignement des lycées devait être régénéré par une laborieuse milice de jeunes maîtres. Napoléon, confia M. de Calonne à Villemain, « y veut des études fortement classiques, l'antiquité et le siècle de Louis XIV » (p. 146). « Je tiens beaucoup à mon École normale... c'est ma création, une création nécessaire. Mettons la jeunesse au régime des saines et fortes lectures. Corneille, Bossuet, voilà les maîtres qu'il lui faut. Cela est grand, sublime, et en même temps régulier, paisible, subordonné. Ah ! ceux-là ne font pas de révolution ; ils n'en inspirent pas ; ils entrent, à pleines voiles d'obéissance, dans l'ordre établi de leur temps ; ils le fortifient, ils le décorent » (p. 157).
1. Aul., Napol. et le Mon., p. 347-348. Le latin payait toutes ces faveurs en latineries, car on n'ose pas appeler poèmes ces pièces dithyrambiques dont les thuriféraires assommaient le maître à chaque occasion. Napoleoni.... Lutetiam reduci (1807) ; Augustissimes conjugibus Napoleoni et Mariae (Marron, pasteur) ; Ludovicae epithalamium (Cauchy, 1810); De nuncupata honoris titulo legione (du même). Ce Cauchy, secrétairearchiviste du Sénat, est un des maîtres flagorneurs du régime.
2. T. I, p. 137, ch. XIII.
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LIVRE II LE NOUVEAU RÉGIME ET LES PARLERS
CHAPITRE PREMIER LA TRADITION RÉPUBLICAINE
L'ESPRIT DE FRANCISATION ET LES AUTORITÉS. — Cet esprit n'est jamais mort ni dans la nation ni dans l'Administration. A plus forte raison s'affirmait-il au lendemain de la Révolution. Ne nous attardons point à citer des grammairiens ; on peut les soupçonner de vouloir prôner leur marchandise 1, mais voici des faits, qui révèlent la façon de penser des Assemblées, des Administrateurs, des simples citoyens et qui montrent qu'elle ne changea pas brusquement après brumaire. Je mêle à dessein les pays à idiomes et les pays à dialectes.
A plusieurs occasions, les préfets ont continué à marquer de diverses façons leur mépris et leur répulsion pour les idiomes. Ainsi, dans sa Statistique du Nord, Dieudonné signale l' « incursion » d'une troupe d'acteurs patoisants à Lille et dans les environs : « Les confrairies dramatiques parcourent encore les campagnes voisines, dit-il, y donnant le spectacle de pieuses farces débitées dans le patois du pays d'une manière bouffonne et quelquefois peu décente.
1. Un seul exemple. J. B. Maudru écrit à l'Institut : « Il faut que victorieuse à son tour, notre langue étende son aimable empire partout où nos succès militaires nous ont acquis de nouveaux frères ; que devant elle tombent cette foule de barrières qui, sous le nom de jargons, isolant entr'eux les membres de la grande famille, opposent une foule d'entraves à la libre communication des pensées, et qu'enfin sous un régime représentatif, dans une République qui est une, la langue également une, resserre, par cette unité, le lien si nécessaire des relations réciproques. Mais pour obtenir que sans porter atteinte aux différons idiômes qui ont cours, la langue nationale, ainsi que notre ère, ainsi que nos poids, nos mesures et nos monnoies, soit universellement répandue sur tous les points de la République ; et que par celte universalité, elle puisse, par-tout et sans effort, ouvrir l'entrée à tous les genres d'enseignement... » (Nouv. syst. de lecture, p. 4-5). L'auteur était Professeur à l'Ecole normale du dépt de la Seine.
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480 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
« Ces grotesques acteurs ont fait, il y a peu de teins, une excursion à Lille, appelés par le directeur du Cirque qui espérait attirer par ce moyen, beaucoup de monde dans son établissement. On désertait en effet la salle des spectacles de Lille pour aller voir l' rene d' Norweg in chun morciau, et eune biel comédi pou rire, par les comédiins d' Tuscoix, d' Rouboi, d' Wacqua et d' Waterlo, tertou in sanc (La reine de Norwège, en cinq morceaux, ou cinq actes, et une belle comédie pour rire, par les comédiens de Tourcoing, de Roubaix, de Wasquehal et de Watrelos, tous ensemble). Le directeur du grand spectacle s'est plaint, et persuadé que l'autorité ne doit autoriser et protéger les spectacles que quand ils sont des écoles de goût et de moeurs, j'ai défendu aux comédiens de Tourcoing et de Roubaix de continuer leurs représentations » 1.
Simple dédain ? Non. Les préfets ont en haine tout ce qui fait obstacle au développement du pays et à la bonne gestion des affaires. Et de ce point de vue, ils se plaignent des patois et des difficultés qu'ils leur occasionnent. Il n'est que de lire une lettre adressée par le préfet du département de la Haute-Vienne au Ministre de l'Intérieur, le 3 thermidor an X. « De toutes les causes, dit-elle, qui dans les Communes Rurales de divers Départemens, s'opposent à la prompte Exécution des Lois et des mesures du Gouvernement, il n'en est peut être pas de plus sensible que la différence du langage Écrit avec le langage Parlé.
« Appellé successivement à Administrer deux Départemens où le patois est, pour Beaucoup de Communes, le seul moyen de se faire entendre de ceux qui les habitent, j'ai Eû occasion de me convaincre que dans ces Communes l'Exécution des Lois est beaucoup plus lente, et bien plus difficultueuse. L'habitant y est naturellement plus défiant et plus soupçonneux; il croit toujours qu'on veut le tromper; et toutes ses idées se Rapportant à cette crainte, on n'en obtient jamais que des Renseignemens trompeurs et inexacts.
« Il seroit bien à désirer que la Langue françoise devint le moyen général de Communication entre l'administration et les administrés ; mais ce ne peut être l'ouvrage d'un Jour, et il faudra Encore bien des années pour y parvenir.
« La Révolution cependant dans quelques départemens, et surtout dans Ceux qui sont frontière, et où les armées ont séjourné, a hâté la Généralisation de l'Emploi de la Langue.
« Sous ce Rapport, le Département des basses Alpes, que je
1. Statist. du Dép! du Nord. Douai, Morlier, an XII (1804), t. III, p. 101, n. 1. Cf. p. 122. Le préfet se refuse à citer les oeuvres patoises.
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LA TRADITION RÉPUBLICAINE 481
viens de quitter, Est bien plus avancé que Celui de la haute Vienne. L'idiome Limousin n'a Presque rien perdu de sa force et de sa prédomination ; et il est telle Commune où la Langue françoise est entiérement ignorée. Les legers progrés que le françois a fait depuis quelques années vont disparoitre, si le Gouvernement ne lui prête son appuy, et ne cherche dans sa sagesse les moyens d'En Étendre l'usage » 1.
RÉGION BASQUE. — A Mauléon, l'arrondissement sollicitait avec instance le rétablissement d'un collège ; il en donnait pour raison qu'outre les avantages généraux qu'offrent les collèges, celui-ci acquerrait un nouveau degré d'utilité, en rendant la langue française plus familière à la partie des Pays Basques qui forme cet arrondissement, où elle parait étrangère (Arch. S., cart. XXVII, p. 468. Pau, 5 thermidor an IX-24 juillet 1801). Le dossier de cette affaire est aux Archives (F 17 13178, doss. 42). Il est des plus intéressants 2.
Le 12 fructidor an X(30 août 1802), le sous-préfet de Mauléon écrit au préfet : « Nulle portion de ce département où le besoin de l'instruction soit plus généralement reconnu nécessaire que dans le 3e arrondissement » en raison des « difficultés presqu'invincibles, résultantes de la bisarrerie de l'idiome du pays » (Arch. N., F 17 7028).
Le document le plus circonstancié est la requête du maire de St-Palais, qu'envoie le secrétaire général de la préfecture (thermidor an X). Après avoir rappelé les services rendus par les Basques et déploré leur profonde ignorance, il ajoute : « La singularité de la langue des Basques semble une barrière elevée pour leur interdire à jamais l'accès de toutes les connaissances, et les isoler du reste des hommes. Aussi les loix, les arrêtés du gouvernement leur sont inintelligibles, et tant de sages instructions et de découvertes précieuses, que les autorités propagent à l'envi, sont irrévocablement perdues pour eux.
« Aucuns moyens preparatoires pour ceux qui se destinent à l'art de guérir, au Commerce, à la Marine, et l'idiome Basque, qui n'a de connexité avec aucune langue connue, s'oppose à une théorie saine par rapport à tous ceux qui n'ont pas les facultés nécessaires pour vaincre cet obstacle...
1. Signé Tester Olivier. Arch. N., F 11 7030.
2. Les Basses-Pyrénées avaient de nombreux collèges, dont un très important à Sainte-Marie, près d'Oloron (ancienne Soule). On espère que le rétablissement de ce dernier y attirera à nouveau les jeunes gens que l'Espagne y envoyait avant la Révolution.
Histoire de la langue française. IX. 31
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482 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
« La masse entière d'une population de 120 000 ames est plus isolée du reste de l'empire par la différence de language, qu'elle neserait par de vastes mers.
« ... Le moyen unique [de ne pas la laisser croupir] est l'établissement d'une école secondaire au coeur du pays basque, destinée spécialement à enseigner la langue française et à la propager parmi le peuple...
« Il se formera en peu de temps un nombre quelconque de sujets... et parmi eux il s'en trouvera de propres à être instituteurs primaires, ceux-ci seront à proprement parler les fondateurs de l'instruction publique, familiarisés avec les méthodes ingénieuses qui existent... ils apprendront enfin à lire et à écrire correctement le français, ce qu'on attendrait inutilement des maîtres actuels, et assujettissant leurs élèves à parler français dans leurs classes, et en faisant usage de petits livres propres à amuser l'enfance, on peut espérer que la langue française se répandra, et qu'elle sera le véhicule des bons principes, et des vérités de toute espèce...
« On peut enfin calculer l'époque à laquelle le peuple Basque entendra, sans intermédiaire et sans interprette la Voix de ses premiers magistrats et de ses législateurs, et leur transmettra à son tour, le tableau de ses besoins comme l'expression de sa reconnaissance » 1.
Or ces instances se renouvelleront jusqu'en l'an XIII 2. Admettons qu'elles fussent surtout dictées par le désir d'obtenir un collège. Les motifs allégués n'en sont pas pour cela moins intéressants à retenir.
RÉGION BRETONNE. — MORBIHAN. — L'École Centrale de Pontivy estime de celles qui avaient le plus tristement échoué. Le Conseil n'en demande pas moins des établissements d'instruction qui propagent le français : « L'on ne doit pas cependant se dissimuler que c'est dans ces départements qui forment la ci-devant Basse-Bretagne,
1. Le préfet appuie fortement ces demandes. Il y revient, le 4 brumaire an XI16 oct. 1802 (Arch. N., F 11 7028). De son côté Servien, général de brigade, membre du Corps législatif, fait des démarches. Nous avons de lui une lettre du 11 germinal an XI (1er avr. 1803) : « les motifs... vous paraitroient plus convainquants si vous êtiés sur les lieux et si vous voyiés par vous-même combien les Basques sont étrangers parmi nous » (Ib.).
2. Lettre au Ministre de l'Intérieur adressée au nom du Conseil Municipal : « Le Conseil Municipal de la ville de Mauléon, chef-lieu du 3e arrondissement des Basse Pyrennées, vous expose que sa situation dans un pays où l'on ne parle pas la langue française, exige impérieusement l'établissement d'une école secondaire, où les jeunes gens puissent se familiariser avec la langue qui est celle des loix, et qui leur est désormais d'une indispensable nécessité » (10 frim. an XIII-1er déc 1804 Arch N F17 7028).
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LA TRADITION RÉPUBLICAINE 483
que l'on doit multiplier les moyens d'instruction pour faire disparaître l'idiome du bas-breton, la seule langue usuelle des habitants des campagnes de cet arrondissement qui les rend, pour ainsi dire, étrangers au milieu de leurs concitoyens dont ils ne peuvent se faire entendre et qu'ils ne peuvent comprendre ». « Il est naturel, dit encore un Breton, le 4 thermidor an XI (23 juillet 1803), de penser quele gouvernement désire, en propageant l'instruction, rendre aussi la langue française familière et d'un usage général en Basse-Bretagne. On n'y parviendra qu'en instituant d'autorité des maîtres d'écoles salariés aux dépens des pères de famille jusqu'à un âge déterminé. Si cela n'était pas établi pour toutes les communes, au moins pourrait-on le faire dans les plus considérables et y adjoindre les petites communes. Signé : J. Garnier » 1.
ILLE-ET-VILAINE. — Un citoyen de Rennes, nommé Lebus, qui n'est pas un apologiste aveugle de l'instruction, tant s'en faut, écrit de son côté pour demander au moins une école par district. Les enfants y étudieront les droits de l'homme, l'histoire de leur nation, la topographie du Royaume, et les principes de leur langue maternelle 2.
RÉGION ALLEMANDE. — MEURTHE. — Au lendemain du coup d'Etat de brumaire, Saulnier le jeune, qui n'a pas encore été remplacé comme directeur de l'administration départementale de la Meurthe, tient le même langage qu'il tenait en l'an VI. Il déclare au délégué des Consuls envoyé dans le département, que « si le royalisme conserve encore quelques faibles racines dans le département, c'est parce que... des prêtres déportés et séditieux parcourent... quelques cantons de ce département, notamment ceux où l'idiome allemand est en usage » 3.
MOSELLE. — Bitche, nous l'avons vu, avait été une des localités les plus fermées à la langue française. La situation s'améliorait peu à peu, grâce à d'anciens soldats qui s'établissaient dans le pays. Cependant on se plaint que les écoles restent tout allemandes. Avant la Révolution il existait un Collège, on y faisait des études jusqu'à la Rhétorique. « Ces moines Allemands ne pouvoient enseigner correctement la Langue française qu'ils ignoroient Eux1.
Eux1. Not., Inv. et Docam., p. 111. Cf. l'avis du s. prêt' 1 de Lorient, du 12 therm. an XI (Ann. Réres, IX, 129).
Il a paru une Grammaire de la Jeunesse ou Principes de la langue française par un professeur de l'École communale de St-Brieuc. St-Brieuc, 1807, in-8°.
2. Decap, o. c.. p. 130. Arch. N., F17 1320, doss. 2.
3. Arch. N., Fle III, Meurthe, dans May, o. c, p. 66.
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484 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
mêmes et ne mettoient entre les mains de leurs Élèves, aucun des bons Auteurs classiques Latins, mais seulement des ouvrages sur cette Langue.
« Le citoyen Muller, âgé de 54 ans, ex-Augustin, un des plus anciens Régens de cette maison, a réuni vingt six Écoliers dont l'instruction étoit négligée depuis 12 années, ne connaissant d'autre Langage qu'un Allemand grossier ».
Il serait d'autant plus besoin de veiller à répandre le français que « Bitche est environnée de Communes populeuses dont la Réunion à la République n'a eu lieu que depuis Environ Dix Ans et dans lesquelles l'Instruction a été négligée jusqu'à ce Jour. La Langue française n'y est que très peu Connue, de là cet Eloignement pour leur nouveau Concitoyen... de la cette incertitude dans l'Exécution des ordres des autorités dont ils ne comprennent pas le Langage » 1.
BAS-RHIN. — Quand, en l'an X, se forma à Strasbourg la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts du Bas-Rhin, l'une des premières questions mises au concours fut la suivante : « Quels sont les moyens de propager la connaissance et l'usage de la langue française parmi les habitants de toutes les classes dans les départements de la République où la langue vulgaire est l'allemande ? » En 1805 la même question fut remise au concours 2.
RÉGION CATALANE. — On trouvera aux Archives (F17A 1718) une longue lettre du Cn Escalaïs, instituteur à la Cne de Claira, datée du 1er vendémiaire an XIII (23 septembre 1804). Ruiné par les assignats, il exhale ses plaintes et demande une place. Pour l'obtenir il commence par résumer le rapport de Grégoire.
Il insiste sur les différences qui de village à village séparent les jargons. « Rozier observe que d'un village à l'autre les cultivateurs ne s'entendent point, que le même cep de vigne a vingt noms différens; il en est de même des instrumens ruraux, grains, et spécialement des plantes et végétaux ». Le langage d'une nation doit être uniforme... etc..
Il demande d'ordonner : 1° que toutes les communes admettent dans toutes leurs discussions et délibérations l'usage exclusif de la langue française.
2° qu'il soit établi des instituteurs dans toutes les communes des départemens méridionaux, et principalement dans celui des Py1.
Py1. an XI. Arch. N., F17 7026.
2. Sur les résultats négatifs de cette enquête, voir D. Goldschmitt, Inlrod. de la lanq fr. en Als.-Lorraine, dans Rev. péd., Nouv. Sér., 4905, t. XLVII, p. 560.
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LA TRADITION RÉPUBLICAINE 485
rénées-Orientales comme étant le plus reculé tant pour la connoissance de la langue que pour la civilité française.
3° que les instituteurs soient examinés par des hommes suffisamment instruits et ayant l'accent d'un vrai français.
4° qu'on enseigne « les élémens de la langue française soit parlée soit écrite... l'idiome du pays ne pourroit être employé, attendu la nécessité d'anéantir les patois... ».
5° qu'il soit « enjoint aux Curés, vicaires, desservans des parroisses de ne prêcher et s'énoncer à l'avenir au peuple qu'en français ». Mais c'était là une lettre privée et rien ne permet de penser qu'une suite quelconque fut donnée aux propositions de ce citoyen
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CHAPITRE II SOUS L'EMPIRE
NAPOLÉON ET LE FRANÇAIS. — Napoléon Bonaparte n'avait pas pour le français la tendresse filiale de ceux qui l'ont sucé avec le lait : ce n'était pas sa langue maternelle. Il cherchera à le répandre au dehors, dans les pays qu'il annexait à son monstrueux empire, nous le verrons. Il y avait là un moyen d'action. Mais au dedans, une connaissance un peu plus générale du français n'avait rien qui pût servir ses desseins ni renforcer son autorité. La Révolution lui avait fourni une nation et une armée suffisamment homogènes. De quoi lui eût servi une augmentation des forces de cohésion déjà toutes puissantes ? Le mot qu'on lui a prêté n'est sans doute pas authentique ; il n'en correspond pas moins à sa pensée : « Laissez à ces braves gens leur dialecte alsacien; ils sabrent toujours en français ».
On ne songea à aucun moment à mettre au service du français la nouvelle tyrannie comme les Jacobins avaient mis la leur. Le gouvernement de l'Empire laissait vivre la liberté des parlers, une des seules qui ne coûtât rien à son absolutisme.
Il n'y a pas lieu d'en tirer grande conséquence. En effet la Muse patoise ne s'était jamais tue pendant la Révolution, malgré le discrédit où étaient tombés les idiomes. On avait même imprimé ou réimprimé des pièces qui n'avaient rien de politique 1. Aucun fait après 1804, n'autorise à parler d'un renouveau. L'âge du réveil n'était pas venu.
De temps en temps, un patoisant embouchait sa clarinette pour célébrer la IVe dynastie. Le passage de Napoléon à Metz le 26 septembre 1806 fut salué d'une chanson en patois messin. Vesoul,
1. Duclos, après avoir cité des chansons politiques en idiome local, dont une de Taschereau de Fargues, donne une pièce intitulée : Enterromen del calendrié républicain (Hist. des Ariégeois, p. 308-310).
Pour le Midi, se reporter à la Bibliographie de Noulet. Cf. Millin, dans Mag. Encycl., 1811, t. III, p. 274.
Pour les autres régions, on peut citer quelques Noëls, par exemple les Noëls MâconnaisPont-de-Vaux, 1797, in-8°.
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SOUS L'EMPIRE 487
Géromé (Gérardmer) y allèrent de leurs couplets 1. Il n'est pas impossible que les préfets, les ministres même aient accueilli avec ■quelque plaisir ces paysanneries, comme des marques naïves d'attachement au régime. Je n'ai du moins trouvé nulle part la preuve qu'on eût voulu les voir se multiplier, ni qu'on ait pris aux parlers dissidents un intérêt véritable.
On trouvera plus loin les résultats d'une vaste enquête menée par le Ministère sur les parlers en usage. Elle n'implique pas qu'on ait éprouvé pour eux autre chose que de la curiosité. Même en admettant que ce soit le ministre qui ait eu l'idée de cette enquête — et il n'en est probablement rien, —du moment qu'elle, portait aussi bien sur des langues dont sûrement on ne voyait pas avec faveur la survie, et qu'on ne désirait pas perpétuer dans les départements réunis, la preuve est faite que ce n'est pas par sympathie qu'on s'informait des parlers de la vieille France.
L'AVIS DES ÉRUDITS. — Les patois sont considérés comme une matière d'étude. Ils n'ont point d'autre valeur aux yeux même de ceux qui s'en occupent 2. Rien n'est plus significatif à cet égard que la notice donnée par Dupin à l'Académie Celtique. Celte Académie, fondée en germinal au XIII (30 mars 1805), qui devait devenir la société des Antiquaires de France, était l'âme des recherches érudites dans notre pays. Elle avait une commission des patois. Dupin dit à ce sujet : « Il y a des personnes qui voient avec chagrin l'altération progressive de nos patois locaux et leur tendance à se fondre dans la langue nationale. Je crois, comme elles, qu'une étude sage et une comparaison judicieuse de ces dialectes pourront offrir au grammairien, et plus encore peut-être à l'historien, une mine féconde, beaucoup trop négligée jusqu'à ce jour; et s'ils venaient à disparaître tout-à-fait avant qu'une main savante eût mis en oeuvre les matériaux altérés, mais précieux, qu'ils renferment encore, j'en partagerais sincèrement le regret. Mais lorsque la Société royale aura recueilli ces fragments épars de nos antiquités, je serai le premier à désirer de voir disparaître et s'effacer entièrement ces différences d'idiomes qui isolent encore quelques membres de la grande famille française. Si l'envie du savoir a ses écueils, il en existe un plus grand nombre pour l'homme ignorant.
1. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5912, f° 175 v°. Couplets pour la fête de l'Empereur. 15 août 1810. Cf. Arch. N., F17 13092. Adresse des gens de Géromé. Voir aussi Martin, Fables, contes et poésies patoises. Montpellier, 1805, in-8°.
2. Voir un Mémoire sur le patois picard par M. L. A. J. Grég. d'Essigny fils, de Roye, dans Mag. Encycl., 1811, t. V, p. 116, 241.
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488 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
« Plus d'une fois j'ai entendu des paysans se plaindre d'avoir été surpris par des gens astucieux, comme il y en a partout, qui, abusant de leur ignorance, leur faisaient signer des écrits dont ils ne comprenaient ni le sens ni les expressions. Ces hommes simples se trouvaient dépouillés de leur patrimoine pour n'avoir connu que leur patois. Or, je crois qu'il est plus aisé de guérir l'ignorance des uns que la mauvaise foi des autres » 1. Ceci était écrit le 19 décembre 1814. Faut-il supposer que les terribles événements de l'année avaient ravivé le sentiment national? Peut-être. Mais l'idée que les patois devaient disparaître n'avait pas besoin de ce stimulant.
1. Mém. de la Soc. roy. des Antiq. de Fr., t. I, p. 222.
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CHAPITRE III RÈGLES ET PRATIQUES ADMINISTRATIVES
LES ÉTATS FINANCIERS. — De temps à autre, comme sous l'Ancien Régime, peut-être avec un peu plus de vigueur, des ordres vinrent rappeler aux administrations qu'il était de leur devoir de se servir du français. Ainsi les fonctionnaires de l'administration des finances furent invités à y veiller. En voici un exemple :
Le Sous-Préfet de l'Arrondissement communal de Selèstatt, aux Maires des Communes de son ressort.
Selèstatt, le 12 Janvier 1807.
« J'ai remarqué, Messieurs, que presque la totalité des percepteurs des communes de mon arrondissement, continuent de rédiger leurs comptes en langue allemande, non obstant l'arrêté du premier Consul, en date du 24 Prairial an XI, qui dit, article premier : « Dans un an, à compter de la publication du présent arrêté, les « actes publics dans les départemens de la Belgique, dans ceux de « la rive gauche du Rhin, etc., et tous autres où l'usage de dresser « lesdits actes dans la langue de ces pays se serait maintenu, devront « être écrits en langue française ».
« Je vous rappelle en conséquence les dispositions ci-dessus, en vous priant, Messieurs, de les faire connaître aux percepteurs de vos communes respectives ; en les prévenant, que tous les comptes non encore dressés, à quelqu'exercice qu'ils appartiennent, ne seront plus admis, s'ils ne le sont en langue française. Je renverrai en conséquence tous ceux rédigés en langue allemande pour être recommencés aux frais des percepteurs; néanmoins ceux déjà dressés et qui existent dans mes bureaux (les comptes de l'an XIII exceptés) pourront encore subsister en langue allemande ». Signé : Cunier (Bulln offic. de l'Arrt de Sélestat).
LES PIÈCES JUDICIAIRES ET ADMINISTRATIVES. — En fait les tolérances se perpétuaient. En 1801, Meiners, de Goettingue, visite Strasbourg. Dans sa Relation de voyage, il dit : « On se plaint surtout, à ce que
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490 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
j'entends, dans les nouveaux départements de l'administration présente de la justice. On a nommé ici des juges, qui ne comprennent pas l'allemand, et de pareils juges donnent raison aux parties qui plaident en français » (p. 155). C'est là chose à vérifier, car si on feuillette les pièces amoncelées dans les Archives, on ne s'aperçoit guère de cet exclusivisme prétendu. Les documents allemands y foisonnent.
Il en est de même des papiers administratifs. On y constate un progrès du français, mais pas un seul de ces sauts brusques qu'aurait fait faire une administration qui savait commander.
Je reconnais que certaines interventions mériteraient d'être examinées. On voit par exemple le gouvernement exiger une édition française d'un journal, ainsi de la Strassburger Weltbote, devenu le Niederrlieinischer Kurier. En 1809, il est enjoint à Saltzmann de publier aussi son journal en langue française et le 5 novembre paraît le Courrier de Strasbourg1. Quels étaient les motifs qui faisaient agir l'administration ? Seuls les érudits qui disposent des archives départementales pourront recueillir et expliquer les faits de ce genre.
1. Le 9 novembre 1815, le titre devient, par ordre : Courrier du département du Bas-Rhin, transformé le 4 déc. 1823, en : Courrier du Bas-Rhin.
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CHAPITRE IV LE FRANÇAIS, L'ÉTAT ET L'ÉGLISE CONCORDATAIRE
LA VIE RELIGIEUSE ET LES PARLERS. — C'est dans la vie religieuse — rattachée alors en partie à la vie administrative — qu'il serait le plus intéressant de suivre la politique impériale. L'Église concordataire était à la fois indépendante et soumise. On la servait pour s'en servir. Ne pouvant la commander ouvertement, on tâchait au moins de la diriger, avec ménagement.
Or, dans les campagnes, curés et desservants avaient repris l'habitude d'user des idiomes et des patois. Je ne pense pas qu'il y eût là de la part du clergé un parti pris de réagir contre des tendances qu'on pouvait taxer de révolutionnaires. Nous avons vu, en pays d'idiome allemand, un évêque qui ignorait cet idiome. Ailleurs, au contraire, en Flandre, on nommera un homme instruit du flamand 1. Il n'y avait point de règle ; le choix des prélats était déterminé par d'autres motifs.
Il est probable que les desservants de villages revenaient sans dessein et pour des raisons de pure commodité, à des usages un moment menacés. « Dans toutes [les communes], sans exception, le paisan y comprend le français, aussi MM. les Curés n'y font-ils leurs prônes que dans cette langue, au lieu que dans le centre du Limousin et du Perigord, où les habitans de la campagne entendent moins le français, on y prêche en patois » 2. Tel est le tableau qu'on nous fait, et il est probablement exact.
OBSERVATIONS DES PRÉFETS. — Les préfets, comme les administrateurs qui les avaient précédés, se préoccupaient cependant de ces pratiques. « Parmi ces moyens [de répandre la langue], disait l'un d'eux, il en est un, que tous les hommes jaloux de voir disparoitre les
1. Dans une lettre de Lille, du 29 oct. 1801, signée Nolf, curé, prést du presb. du Nord, on lit : « On nous assure que M. Schelles, vû sa connaissance parfaite de la langue flamande, est destiné pour un diocèse flamand » (Corr. Grég., Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R., Nord).
2. Le juge de paix du canton de Montbron (Charente), au Ministre, 14 mai 1810. B. N., ms. Nouv. acq. franc., 5910, f° 221.
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492 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
différens Ydiomes qui deshonorent notre Langue désirent vivement de voir adopter. Ce serait que les Ministres du Culte Catholique ne pussent faire leurs instructions et le Catéchisme, qu'en françois. Les Enfans qui sont Bien plus propres à Recevoir les impressions qu'on veut leur donner, s'accoutumeroient insensiblement à Entendre et à parler le françois ; Et la Génération Naissante en auroit au moins une Teinture, qui s'aggrandissant par la suite, finirait par rendre son usage Général.
« Les Ecclésiastiques de la haute vienne ont contracté depuis longtemps l'habitude de ne parler, dans leurs instructions, que le Patois ; et c'est peut être à l'insouciance de l'ancien Gouvernement à cet Egard, qu'on doit la prolongation de l'Ydiome. Il est digne du gouvernement, qui s'occupe de tous les genres de prospérité, de veiller à l'accroissement de la langue maternelle et je ne doute pas qu'il ne cherche à vaincre, par une prescription authentique, la Répugnance, qu'un Zéle outré pour les intérêts De la Religion, fait éprouver à beaucoup d'Ecclésiastiques, à abbandonner l'Ydiome dans lequel ils ont Contracté l'usage d'instruire la Jeunesse à la Pratique de la Morale. Salut et respect. Texier Olivier »1.
La minute de la réponse a été conservée ; elle est datée de thermidor an X. Le gouvernement ne se désintéresse pas de la question. Mais il s'en rapporte à l'évèque ; c'est à lui que le ministre renvoie le préfet : « Vous vous plaignez, Citoyen préfet, de ce que dans la plus grande partie de votre département la Langue française est presque entièrement ignorée, et de ce que le peuple ne connoit d'autre idiome que le patois... Vous pensez que le moyen le plus efficace de détruire une telle habitude seroit que les Instructions religieuses particulierement le catéchisme fussent faites en français et non dans le langage vulgaire... une pareille mesure doit être l'effet de la persuasion plutot que de l'autorité, ou s'il y en avoit une qui put être employée avec quelque succès, ce seroit celle de l'Evêque de votre département, c'est donc à lui que je vous invite à vous adresser pour cet objet. Lui seul par l'ascendant que lui donne sa place, paroît pouvoir déterminer les ecclésiastiques qui lui sont subordonnés à répondre à la sagesse de vos vues. J. v. s. ».
Sous L'EMPIRE. — Plusieurs fois, soit qu'ils envoyassent au bureau de Statistique les renseignements qu'il demandait, soit à d'autres propos, les préfets ont continué à noter cet usage assez répandu chez les curés de campagne de se servir des idiomes, et ils en indiquent les fâcheuses conséquences :
1. Arch. N., F17 7030.
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LE FRANÇAIS, L'ÉTAT ET L'ÉGLISE CONCORDATAIRE 493
« Une des causes, qui doit nécessairement contribuer à conserver, principalement dans les communes qui avoisinent la Corrèze et le Puy-de-Dôme l'usage d'un dialecte grossier, écrit le préfet de la Creuse, c'est que les desservants des succursales y font toutes leurs instructions religieuses en patois. Cet usage est immémorial, aussi n'emploie-t-on dans ces communes que des ecclésiastiques du pays »1.
ATTITUDE DU MINISTÈRE. — Sans attacher à ces questions une grande importance, le gouvernement essayait de faire cesser peu à peu les anciennes pratiques. Dans une correspondance dont nous parlerons plus loin, le préfet de la Moselle, Vaublanc, demandait instamment qu'on envoyât à ce sujet des instructions au clergé (17 novembre 1806). Le Secrétaire d'État lui répond : « Je vous préviens... que je vais écrire à S. E. le Ministre des Cultes pour le prier d'obliger les curés et des servans à faire leurs prônes et Catéchismes en français ou tout au moins dans les deux langues » (16 décembre 1806) 2.
A la suite se trouve en effet la minute d'une lettre adressée à S. E. le Ministre des Cultes, l'informant et le priant de donner les ordres nécessaires au clergé.
Le 30 décembre, le Ministre des Cultes, Portalis, répondait au Ministre de l'Intérieur : « J'ai reçu la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire, concernant l'usage établi dans le Séminaire de Metz, de faire toutes les instructions en langue allemande. Je ne puis que partager votre sentiment sur les incouvéniens qui naissent de cet usage; et je vais m'occuper des mesures à prendre pour les faire changer »3.
Toutefois il est visible que l'Autorité n'ose pas insister, de peur de mécontenter le clergé et de paraître gêner son action : « Il serait sans doute à desirer que le langage pût, dès ce moment, être uniforme dans toute l'Étendue de l'Empire, et je ne doute pas que ce prélat (l'évêque de Metz) n'invite les Curés et desservans de son Diocèse, à faire leurs prônes et leurs catéchismes en français, mais je pense qu'on ne pourra obtenir que du temps un changement complet à cet égard, attendu que dans plusieurs paroisses les fidèles seraient dans le cas d'être privés de toute instruction religieuse, si l'on obligeait tout à coup les divers ministres du Culte à faire usage de la langue française dans l'exercice de leurs fonctions ».
1. B. N. ms., Nouv. acq. fr., 3910, f° 263.
2. Arch. N., F17 1718. Minute. Cf. p. 522.
3. Ib.
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494 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
En 1811, c'est le tour du préfet des Côtes-du-Nord. Dans un rap port daté de St-Brieuc (28 janvier), il signale la création par l'évêque, d'une nouvelle école à Tréguier : « Une autre considération sur laquelle s'appuie M. l'Évêque, dit-il, c'est la nécessité d'une école en faveur des jeunes gens qui aspirent au sacerdoce, et à qui la différence de l'idiome qu'on parle dans cette partie du diocèse (le bas-breton) et l'éloignement, ne permettent que très difficilement de profiter des bienfaits de l'instruction qu'on trouve dans la ville: épiscopale ».
Le préfet est peu enclin à céder : « On peut faire observer à cet égard, d'un côté, que la différence de l'idiome doit d'autant moins motiver la nécessité d'une école de ce genre à Tréguier, qu'on sait très bien que loin que l'enseignement doive se faire en langue bretonne, il est souvent utile d'éloigner les élèves de leur pays natal, pour les deshabituer de parler cet idiôme et les obliger à parler français ; D'un autre côté que, fût-il utile à certains élèves de conserver l'usage de la langue bretonne concurremment avec l'étude du français et du latin, ces conditions se rencontraient déjà sans, nouvel établissement 1° à Tréguier... 2° à Lannion... 3° à Guingamp » 1.
Le ton de cette lettre l'indique assez clairement : sans empêcher l'Église de faire sa prédication dans l'idiome vulgaire du pays, le préfet n'entend pas qu'on aille jusqu'à l'abus. Je n'ai malheureusement pas trouvé la réponse faite à son rapport.
On ne peut s'empêcher de juger favorablement la politique que révèlent ces diverses interventions. L'État se garde d'une pression déplacée ; il fait des remontrances, et essaye d'obtenir des évêques de discrètes mais efficaces admonestations qui peu à peu amèneront le changement des vieilles coutumes. Ce serait parfait, si cette politique s'était soutenue jusqu'au bout ; mais, dans l'affaire du Catéchisme unique, elle fut totalement abandonnée.
1. Arch. N., F 17 6302. Un peu plus loin le préfet reproche au Sr Richard de sacrifierdans son établissement le français au latin.
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CHAPITRE V L'AFFAIRE DU CATÉCHISME DNIQDE
ON AUTORISE LES IDIOMES. — Ce devait être un des bénéfices du Concordat que d'employer l'Église à l'affermissement du régime, et, dans ces vues un, moyen un peu grossier, mais puissant, était d'introduire la foi à la IVe dynastie dans le catéchisme lui-même. Le prétexte de l'unification était bon. On arrangea le catéchisme de Bossuet et l'ouvrage, adopté par l'autorité ecclésiastique, fut imposé par tout l'Empire, malgré quelques observations de certains évêques, comme Saurine, l'ancien évêque constitutionnel (4 avril 1806) 1.
La langue de la rédaction authentique était le français, mais on n'eut garde de s'en tenir à lui, c'eût été manquer le but. L'évêque de Nice rappela qu'il y avait dans l'ancien diocèse un catéchisme en patois du 13 septembre 1711, « pour le plus grand nombre des Enfans qui ne connaissent d'autre langue que celle du pays. Aujourd'hui les Catéchistes sont obligés de traduire. Une traduction uniforme et soignée éviterait les inconveniens de toutes ces versions particulières, souvent inexactes et incomplètes ; des Curés et Desservans la réclament ». L'évêque voulait donc être autorisé à faire imprimer à Nice un catéchisme en français et en patois. On lui répondit le 19, qu'on n'y voyait point d'inconvénient, pourvu que cette traduction se fit sous ses yeux 2. Il suffisait que l'Administration sût à qui s'en prendre des altérations que pourrait subir le texte 3. L'évêque de Nice reçut même mission d'examiner toutes les traductions faites pour les diocèses d'au-delà des Alpes. Et elles furent assez nombreuses. A Rome, le cardinal Caprara en vérifia une qui fut adoptée à Turin 4.
II était presque nécessaire que ces mesures fussent prises pour l'Italie. Mais on les étendit aux pays bretons. L'évêque de Quimper
1. Arch. N., F19 5438.
2. Arch. N., F 19 5439. La traduction est au dossier.
3. Voir dans Ib., F 19 5438 des observations sur la version italienne.
4. L'évêque de Noli, qui n'avait que 9 paroisses, se suffit avec celle de Milan. L'évêque de Savone, celui du Trasimène prirent celle de Gênes.
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496 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
l'avait demandé (26 août 1806) 1. On le lui accorda sans peine : « Il se présente, disait-il, de grandes difficultés locales. La presque totalité de mon diocèse n'entend et ne parle que le breton. Jusqu'à ce moment le catéchisme était imprimé dans cette langue ; il est impossible de changer brusquement cette méthode, il faut donc que je m'occupe d'abord de faire traduire le catéchisme universel dans la langue bretonne; cet ouvrage, pour être fait avec exactitude, exigera du tems. Les imprimeurs de paris auront-ils les moyens de graver des caractères pour une langue qu'ils ne connoissent pas et de l'imprimer avec exactitude ? Nos imprimeurs auront-ils les fonds nécessaires pour l'achat des planches? »
Le 23 février, nouvelle lettre : « Je dois publier le catéchisme dans la langue française et la langue bretone ; il a donc fallu le traduire dans cette dernière langue. Cet ouvrage a exigé un travail difficile, parce qu'il a fallu adopter un breton qui put être entendu dans toutes les parties de mon diocèse, et dans celui de St-Brieuc, car il existe dans mon diocèse seul deux ou trois espèces de breton ».
L'évêque de Quimper n'eut qu'à s'arranger avec son collègue de St-Brieuc, qui fournissait, lui, l'édition française. Le prélat écrivait : " Il faut tout observer dans des pays où les innovations éprouvent toujours quelque résistance. Si j'eusse publié le catéchisme français avant le breton, les peuples des campagnes se seroient plaint que l'on préféroient (sic) les villes et qu'on ne s'occupoient (sic) pas d'eux avec la même sollicitude » 2. Personne ne lui fit observer que le français avait droit à une certaine primauté, et qu'il était d'intérêt public de le répandre.
On ne fit pas plus de difficultés à l'évêque de Strasbourg. Son vicaire général le 19 septembre 1806, expose : 1° que « la Langue allemande est la seule usitée dans la très grande partie de ce diocèse où le peuple ne comprend pas le françois ». Il en est de même des diocèses voisins de Mayence, de Trèves, d'Aix la Chapelle, et d'une partie des diocèses de Nancy et de Metz : ce qui rend une traduction allemande de ce catéchisme absolument nécessaire. 2° Que cette traduction doit être une.
3° Que l'allemand usité dans un diocèse diffère beaucoup de l'allemand usité dans un autre, et que la traduction doit donc être examinée dans les divers diocèses, de façon à ne présenter que des mots communs et partout usités.
1. Arch. N., F19 5439.
2. Ib.
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L'AFFAIRE DU CATÉCHISME UNIQUE 497
Une lettre de l'évêque (30 septembre), confirme ces observations. Comme l'évêque ne sait pas personnellement l'allemand, on pourra avoir recours au vicaire général, qui offre ses services. Le 6 octobre, le consentement est donné. La traduction est exécutée et imprimée chez Levrault 1. De la sorte les petits Alsaciens apprendront sans difficulté leurs devoirs envers l'Empereur. Tant pis pour la langue française.
1. On la trouvera aux Arch. N., F 19 5439.
Histoire de la langue française. IX. 32
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CHAPITRE VI LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X
L'ABANDON DES ÉCOLES D'ÉTAT. — Le 30 germinal an X (20 avril 1802), Fourcroy, orateur du gouvernement, avait abandonné les Écoles primaires aux initiatives des communes : « Le Gouvernement, en recherchant les causes qui ont empêché jusqu'à présent l'organisation de ces écoles, malgré les efforts de plusieurs assemblées, et malgré les dispositions de la loi du 3 brumaire an IV (23 octobre 1795), les a reconnues dans une trop grande uniformité de mesures, et dans la véritable impossibilité de payer les maîtres sur les fonds publics. L'expérience de ce qui se faisoit autrefois l'a convaincu qu'il faut en confier le soin aux administrations locales, qui y ont un intérêt direct, et qui en feront, dans chaque commune, une affaire de famille » (I. N., floréal an X, p. 7) 1.
Il y a là des mots qui méritent l'attention. On rappelle « ce qui se faisait autrefois » ; l'école de la commune va devenir « une affaire de famille » au lieu d'être une affaire d'État. Comment, dans ces conditions, eût-on prétendu la faire servir à l'unification linguistique ? C'était là une chimère, condamnée comme tant d'autres. Par un de ces paradoxes que l'histoire présente en foule, le régime qui avait fondé la liberté, avait imaginé de soumettre le langage de tout le pays à l'unité; le régime qui instituait le despotisme lui rendait la liberté !
RECONSTITUTION LENTE ET INCOMPLÈTE DU PREMIER ENSEIGNEMENT. — Nous avons assez dit, dans les chapitres qui précèdent, comment et pourquoi les écoles primaires décrétées par les lois révolutionnaires avaient été rares et peu fréquentées. Il n'était pas possible que celles que les communes devaient organiser trouvassent, dans la bonne volonté des autorités locales ou la générosité des habitants, les
1. « La loi du 11 floréal an XI (1er mai 1802) ordonna dans toutes les communes l'établissement d'écoles primaires ; mais ses dispositions ne furent pas mieux exécutées que ne l'avaient été les décrets de la Convention, et l'instruction primaire demeura à peu près dans le même état » (Guizot, Ess. sur l'Instr. publ., p. 65)
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LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X 499
ressources indispensables à une vie véritable. La nécessité, l'utilité même d'une instruction un peu étendue n'apparaissait guère à la masse rurale, et beaucoup de ceux qui mettaient jadis leur espoir dans les « lumières » se fussent volontiers employés maintenant à les éteindre 1. Au reste un arrêté de thermidor an X défendit d'établir des surimpositions pour dépenses ordinaires. On ne pouvait avoir recours qu'à des contributions volontaires. C'était couper court aux générosités des municipalités qui auraient gardé la foi. Le « maître d'école » — je me sers à dessein de ce mot qui aurait dû être anachronique — privé souvent même du logement qu'on lui devait, mais qu'on n'avait pas pu lui donner 2, parce que les propriétés saisies étaient aliénées et les cures rendues aux curés, retournait à son ancienne condition. Pauvre marchand d'une denrée peu estimée, il était rejeté en proie à la charité.
Je n'ai point l'intention d'exposer en détail l'état des écoles à cette époque. Je dirai brièvement, après avoir pris connaissance des dossiers conservés aux Archives Nationales, et qui, pour incomplets qu'ils soient, fournissent des données statistiques suffisantes pour une grande partie des départements 3, que le nombre des écoles resta longtemps tout à fait inférieur aux besoins.
En l'an XI, beaucoup de communes n'avaient pas encore de maîtres 4. Le Cantal, les Côtes-du-Nord, le Lot-et-Garonne, le Vaucluse, le Var manquaient d'écoles. Un exemple : dans l'arrondissement de Brignoles, sur 62 communes, 9 avaient un instituteur 5. En Moselle, en frimaire an XII, sur 931 municipalités dont le département est composé, 369 seulement ont des instituteurs, 562 en sont dépourvues. Le nombre des élèves est de 24 318. Ils forment à peu
1. Il y avait des exceptions. Ainsi,- dans l'Aveyron, on voulait des enfants « au courant ».
« Les grands événemens dont cette génération a été témoin, écrit le préfet, ont étendu la sphère des idées du paisible cultivateur, excité son ambition, augmenté sa curiosité. Pour satisfaire l'une et l'autre, il fallait savoir lire, écrire, et dez l'Etablissement des Écoles primaires les habitans de nos campagnes s'y sont précipités en foule. L'incertitude où se trouvent les jeunes gens sur leur destination, l'idée d'être appelés à servir sous les drapeaux, augmente encore leur désir d'apprendre. Les Aveironnais connaissant presque tous l'utilité du savoir envoient leurs enfants à l'école ». Etat de Sit., fin an 1806, Arch.N., F17 1716.
2. Certains départements s'empressaient à les fournir. Dans la Meurthe, les parents se cotisaient pour fournir le logement ou la rétribution.
3. Voir particulièrement F17A 17(6-1719, 6300 et suiv. On voudrait connaître la situation dans le Nord, les Basses-Pyrénées, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin. Les papiers manquent.
4. Il faut se garder des généralisations. La situation était bien différente d'un département à l'autre, comme il devait arriver avec une organisation où tout dépendait du bon vouloir des pouvoirs locaux, du zèle du préfet, du tempérament de l'évêque, et de l'esprit des habitants. Le Bas-Rhin est bien pourvu. Sarrebourg, pays contigu, n's. rien ou presque. 18 mess. (7 juil. 1803). Arch. N., F17a 1718.
5. Arch. N.,F17A 1719.
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500
HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
près les 61/100 des enfans en âge de fréquenter les écoles. 39 sur 100 restent sans instruction 1.
Le préfet de l'Ain est résigné: «Conserver ce qui est, c'est-à-dire 68 écoles, plus ou moins fréquentées en hyvert; presque désertes en été, c'est tout ce qu'on peut espérer » 2.
La situation s'améliora-t-elle ? Par endroits, oui. « Depuis trois ans le nombre des écoles est plus que doublé », mande un préfet, en l'an XII. C'était là un beau résultat et qui promettait, mais qui ne doit pas éblouir. Il était la récompense du zèle d'un fonctionnaire tout dévoué à cette oeuvre, à la fermeté duquel on dut de grands progrès, comme nous le verrons par la suite.
La grande majorité des communes de la Côte-d'Or et de la Hte-Marne ont des instituteurs, dit le recteur 3. Il n'en est pas de même en Saône-et-Loire. Il faut lire entre les lignes. En réalité, même dans la Côte-d'Or, il reste encore bien des communes dépourvues, ainsi que le montre le tableau ci-dessous.
ONT UN
DEPARTEMENTS ARRONDISSEMENTS COMMUNES NENONTPAS
INSTITUTEUR
SOUS-PRÉFECTURES
Côte-d'Or. . . Beaune 204 126 78
Châtillon-sur-Seine. . 116 95 21
Dijon 271 203 68
Semur 147 98 49
Saône-et-Loire. Aulun 86 20 66
Chalon-sur-Saône.. . 160 82 78
Charolles 144 30 114
Louhans 82 55 27
Mâcon 136 32 104
Ailleurs, c'était bien pis. En 1808, la moitié des villages de Vaucluse manquaient encore d'écoles. Le préfet de l'Ain écrit dans sa Statistique: «Le nombre des écoles primaires a diminué depuis 1801, trente dans le département! »*
1. Arch. N., F17A 1718.
2. Let. du préf. au Cons. d'Etat, chargé de la direction et de la surveillance de l'I. P. 21 thorm. an XI (9 août 1803). Arch. N., F17A 1716.
3. Let. du Rect., 5 mars 1812. Arch. N., F17 6301.
4. Il ajoute des détails:
« Dans la plupart des communes on n'auroit pu trouver des hommes sachant assez lire et écrire pour enseigner les premiers élémens ; il y a même plusieurs villages où il faut absolument avoir recours au curé pour savoir ce que contient la lettre d'un conscrit qui écrit à sa famille. L'insouciance des gens de la campagne, par rapport a
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LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X 501
Le département le plus arriéré était probablement la Vienne. En 1810, 122 communes avaient un instituteur; 114 n'en avaient pas 1.
Il n'est que juste de signaler ici une mesure fiscale libérale, qui fut prise en faveur des écoles où on n'enseignait que la langue française (22 février 1811). Une rétribution était due au profit de l'Université par les pensions, institutions, collèges, lycées, et séminaires, c'est-à-dire par les écoles où l'on ne se bornait pas exclusivement à l'enseignement de la lecture, de l'écriture, et aux premières notions de calcul. « Cette mesure, dit une circulaire, paraît susceptible de quelques modifications dans votre Académie. Je désire y favoriser de tout mon pouvoir l'étude de la langue française. J'ai décidé en conséquence que les écoles consacrées spécialement à l'enseignement de cette langue seraient considérées comme écoles primaires ; que les chefs seraient dispensés du droit de diplôme décennal et du droit annuel, et les élèves de la rétribution » 2.
l'instruction à donner à leurs enfans, a toujours été portée dans cette contrée à un point étonnant. Elle est aujourd'hui dans un état encore plus affligeant ».
L'instruction élémentaire est presque nulle dans le département. « A Perronnas, commune distante de Bourg d'un kil. et peuplée de 304 habitans, qui pourroient aisément profiter de l'enseignement de la ville, on ne compte que deux individus sachant lire et écrire» (Statist. de l'Ain, in-4°, p. 377).
1. Arch. N., F17 6301.
2. Circul.... relat. à l'instruction publ. Paris, Delal., 1863, p. 106, n° 59.
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CHAPITRE VII RÔLE ET CARACTÈRE DES ÉCOLES
LE RECRUTEMENT DES MAÎTRES. — L'école, là où elle existait, n'avait plus rien de commun avec l'école idéale que les révolutionnaires avaient rêvée. Elle retournait à sa destination d'autrefois. Elle redevenait un catéchisme. Des communes eussent voulu un bon maître, elles n'avaient qu'un bon chantre 1.
Comme il fallait vraiment, pour se faire instituteur, ou une irrésistible vocation, ou une impossibilité complète de faire mieux, le personnel n'abondait point. J'en donnerai une preuve typique. Le Briançonnais, vieille pépinière, ne fournissait plus assez de replants. On trouve aux Archives Nationales une statistique des Hautes-Alpes du 15 septembre 1808, donnant le nombre des immigrants et des émigrants 2.
Il est venu du Pô et des Basses-Alpes 10 maîtres d'école. Il en est parti 601, 6 seulement de plus que de colporteurs 3. Le préfet observe : « Parmi les Instituteurs, il en est d'âgés seulement de 15 à 18 ans, qui ne rapportent que 50 à 100 f. Ceux qui ont plus d'expérience et de lumières rentrent avec 400 et au delà». Il ajoute : « Le nombre des Instituteurs va en décroissant depuis 20 ans. La seule Vallouise qui en fournissait 240, n'en voit plus partir que 70. La cessation des écoles pendant les troubles révolutionnaires en est une cause principale... Les jeunes gens s'adonnent plutôt au colportage, qui offre plus de gains, de vanité, une conduite moins morale.
1. Dans la Révol. fr., 1898, t. XXXIV, p. 237, on a rapporté les procès-verbaux de nomination d'un maître d'école à Jaulgonnc (Aisne) en 1763, d'un autre à Bruyères, en 1808. On dirait que rien n'est changé. L'instituteur est un simple sacristain. Cf. Arch. N., F17A 1710.
2. Arch. N., F 20 434.
3. Le tableau s'établit de la façon suivante :
Lagrave 58 instituteurs, 130 colporteurs.
Monestier 184 — 315 —
Briançon 163 — 38 —
Largentière 114 — 64 —
Aiguilles 82 — 46 —
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RÔLE ET CARACTÈRE DES ÉCOLES 503
Des colporteurs arrivent à 1 200 f. de bénéfice, quoique le nombre de ces favorisés soit très petit ».
Voici du reste un tableau par communes :
Dans
l'arrondissement
d'Embrun.
Orcières a fourni 4 instituteurs, 51 colp.
Chorges — 14 —
Embrun — 24 — 44 —
(en outre 6 port, de marmottes) Savines — 8 instituteurs, 47 colp.
Guillestre — 33 — 48 —
Gap.
Saint-Bonnet a fourni 25 instituteurs, 39 colp.
Saint-Firmin — 10 — 36 — Saint-Étienne-en -
Dévoluy — 197 —
Veynes — 12 —
(en outre 230 peign. de chanvre).
Serres — —
SINGULIER PERSONNEL. — On prenait les maîtres où on pouvait. Dans l'arrondissement de Mirande, une statistique (s. d.,mais postérieure à 1808) indique parmi les instituteurs : 25 instituteurs de profession, 1 professeur de mathématiques, un commerçant, trois militaires, 1 officier d'infanterie. A Lombez, on trouve un officier, deux maîtres d'écriture, 3 militaires réformés, 1 arpenteur.
A Agen, le tableau est plus varié encore : un tailleur, deux militaires, un artiste, un fondeur en suif, un cordonnier, un ancien curé, un huissier, un maître de pension 1.
Souvent les malheureux n'avaient pas renoncé à leur ancien métier, qui les aidait à vivre. Dans l'Académie de Poitiers, à Corps, arrondissement de Fontenay, un nommé Leynard, adjoint au Maire, cumulait les fonctions d'instituteur et de sacristain, et était en même temps cabaretier (1810) 2. A Savinien (St-Jean-d'Angély, Char.-Infre), l'un des instituteurs est notaire, un autre chantre à l'église, un 3e marchand, un 4e cordonnier et un 5e cafetier. Le préfet est d'avis de les conserver, sauf le premier et le dernier (1810) 3.
Dans le canton de Bayeux exerce un nommé Jullienne. Celui-là est un imposteur, se disant « sorcier » (1809) 4.
De pareils maîtres, on le comprend, ne donnaient pas toute satisfaction. Le notaire cité plus haut, était obligé à de fréquentes
1. Arch.N., F17 6300.
2. Ib., F17 6301.
3. Ib.
4. Ib.
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504 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
absences. Mais c'était bien pis quand ils exerçaient leurs divers métiers dans le même local. En septembre 1811, le recteur de l'Académie d'Orléans signale à Montargis « un ex-capucin, ex-curé constitutionnel, marié, cafetier billardier » qui tient son école dans sa maison 1.
On pense bien que les capacités professionnelles d'un corps ainsi composé étaient modestes. Il comprenait des hommes convenables, nous dit-on, dans le Puy-de-Dôme, la Haute-Loire, le Cantal, etc. Mais ailleurs ! Au reste mieux vaut feuilleter les témoignages.
AISNE. — « Il n'existe dans chaque commune que des Ecoles tenues par des particuliers qui sont loin d'avoir la capacité que vous semblez exiger... Ils ignorent le système des poids et mesures... Ils ont en général si peu de talens qu'il faudrait les remplacer tous si l'on pouvait espérer de leur trouver des successeurs... Ils ont pour la plupart, comme avant la révolution, une fonction quelconque dans l'église du lieu » 2. A Bechancourt, un berger s'est fait instituteur (Let. jointe) 3.
ARDÈCHE. — On a vu plus haut (p. 450) ce qu'en dit le préfet, à la date du 27 messidor an XIII — 16 juillet 1805.
DRÔME. — « L'instruction du peuple est livrée à des hommes dont le moindre inconvénient est leur incapacité » (Préfet, 31 juillet 1806). « La concurrence à bas prix des écoles libres tue l'école publique » 5.
LOIRET. — « Les instituteurs savent à peine lire et écrire... les écoles sont presque désertes » (10 février 1806)5, etc.
Dans les tableaux où, je dois le dire, on estime en général très sommairement — mais assez attentivement — les connaissances, la note qui domine c'est : « capacités suffisantes ». Il y a des notes « nulles » en quantité appréciable, moins pourtant qu'on ne croirait. Il faut dire que tout ce qui est demandé à ce personnel, c'est de montrer à lire, écrire et compter. Il importe surtout qu'il pense bien. Si un maître est coté comme peu instruit, mais de bonne conduite, sa situation est assurée 6.
Ce que ni Recteurs, ni Préfets, ni Évêques ne pardonnent, c'est de n'avoir point de principes religieux. Les anciens prêtres ma1.
ma1. N., F 17 6301.
2. Let. du préf., 11 therm. an XI (30 juil. 1803).
3. En 1810, à St-Clémentin, arrondissement de Bressuire (D.-Sèvres), on trouve un Perrot d'Ablancour " descendant du traducteur des Belles infidelles » ; il n'a que la note « suffisante » (Arch. X., F 17 6301).
4. Arch. N., F17A 1716.
5. Ib., F17A 1717.
6. Cf. Schmidt, o. c, p. 105
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RÔLE ET CARACTÈRES DES ÉCOLES 505
riés, et qui n'ont pas fait bénir leur mariage, sont plus sévèrement jugés que les ivrognes (Voir en particulier le rapport de l'évêque d'Agen, 1809) 1.
1. Le rapport de Rennes (non signé) 16 avril 1809, avoue que l'état de l'instruction est pitoyable. Il se plaint des bonnes soeurs des campagnes qui enseignent uniquement le catéchisme, mais « connoissent peu le sens et le prix des maximes évangéliques, et y substituent souvent des maximes et des pratiques superstitieuses, ou tout au moins inutiles pour le chrétien » (Arch. N., F 17 6301).
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CHAPITRE VIII RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES
BESOINS ET DEMANDES. — Pour remédier à ces vices, il n'y avait qu'un moyen : instituer non plus seulement une école normale à Paris, mais des écoles normales départementales. L'idée devait nécessairement s'imposer. Dès l'an XII, S. Ours fils, qui était à Grenoble, après avoir montré la « nullité des écoles primaires dans les communes rurales, suggère que là est le remède. « Bien des personnes dont l'opinion est d'un grand poids, voudroient rétablir l'école normale ». Il propose d'y employer les ministres du culte. S. Ours est de ceux qui n'ont pas oublié « les miracles de la Révolution ». Il y fait courageusement allusion 1.
Le 16 août 1806, Chazal, préfet des Hautes-Pyrénées, s'appuyant sans doute sur ce qu'il sait de la loi votée pour la Constitution de l'Université impériale, demande qu'on songe à ce moyen pour tirer de leur misère les écoles de son département 2.
Un double encouragement vint aux novateurs. D'abord une organisation de ce genre était prévue par l'art. 108 du décret du 17 mars 1808. En outre l'idée avait été réalisée en Alsace. C'était l'oeuvre de Lezay-Marnésia qui, après avoir créé l'école de Rhin et Moselle, avait institué celle de Strasbourg. Il s'y intéressait au point de l'inspecter lui-même et d'assister souvent aux leçons.
On a conservé aux Archives Nationales un rapport sans date adressé à ce sujet au Ministère de l'Intérieur. D'après ce rapport optimiste 3, il y a 40 000 écoles dont les maîtres ont été examinés par les Recteurs et les Inspecteurs d'Académie. Mais, ajoute l'auteur, « dans les départements nouvellement réunis, surtout dans les communes où la langue française n'est point encor populaire, il a
1. 28 pluviôse (18 fév. 1804). Arch. N., F17 5947. Rapport au Consr d'État...
2. « J'ai pensé qu'un moyen qui remédierait à ces inconvéniens obtiendrait votre approbation.
« Ce moyen consiste dans l'établissement d'une espèce d'école normale dans le chef lieu du département » (Let. du 16 août 1806. S. Chazal).
Du Ministère on demande des renseignements, mais je ne trouve aucune pièce relative à la suite donnée (Arch. N., F 17 1718).
3. Arch. N., F 17 5941.
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RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES 507
été difficile d'exercer une exacte surveillance ou plutôt de l'exercer avec succès.
« Quant aux classes normales à établir en vertu de l'art. 108 du décret du 17 mars 1808, ces sortes d'institutions ne sont encore en activité que dans les villes de Trèves, Strasbourg et Coblentz.
«... Leur établissement... a été favorisé par un concours de circonstances et des efforts de zèle qui ne se sont point trouvés ailleurs ».
Ces trois écoles « ne sont point tout à fait dans le véritable esprit de la loi qui veut qu'on ouvre une ou plusieurs classes normales dans les Lycées et les Collèges, mais qui n'a institué qu'une seule école normale, celle qui existe à Paris ». Elles imposent de grands sacrifices. D'un autre côté, en chargeant un professeur de Lycée ou de collège d'ouvrir un cours normal, attirerait-on un nombre suffisant d'aspirants ?
Ces questions, annonce le rapport, vont être discutées par le Conseil de l'Université. Elles ne le furent jamais. On remarquera du reste combien les conclusions présentées étaient peu faites pour stimuler. On interprétait la loi dans le sens le plus étroit. L'école normale était unique. Ailleurs il ne devait exister que des classes normales.
QUELQUES ESSAIS. — En fait, on ne vit guère apparaître que des écoles normales privées, modestes essais que l'administration se contentait d'approuver 1. Dans l'Ardèche, dès 1795, s'était établi à Thueys, Sous la direction de Mlle Rivier, une sorte de petite école normale d'institutrices. L'examen comprenait la grammaire. Le préfet et l'administration l'autorisèrent.
Tout près de Paris, M. Pain, Directeur d'École française à Versailles, avait créé une méthode par laquelle les enfants apprenaient à la fois à mettre l'orthographe et à bien lire. On la soumit à Fourcroy, et dans l'exposé des motifs, on indiqua l'importance qu'il y a, même pour les plus pauvres, à écrire correctement. On défigure les mots. « C'est un vrai malheur pour tous les ouvriers, et le sujet d'un reproche grave que les étrangers font à notre nation, à notre langue et à nos écoles ». Le rapport proposait que M. Pain fût chargé de faire une sorte d'École Normale. Le journal du département de Seine-et-Oise fit une grande réclame et à la méthode et à cette idée d'une École Normale (30 janvier 1806, 31 juillet 1806, 14 août 1806. Versailles, Imp. Jalabert). Je ne sais pas si on a poussé les choses plus loin.
1. Arch. N., F17A 1716.
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508 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Dans l'Oise, les instituteurs furent appelés, dès 1810, à des leçons normales, et ensuite examinés par un jury (Schmidt, o. c, p. 97).
PERSISTANCE DES RÉCLAMATIONS. — Pourtant les réclamations continuaient. « Une école normale primaire bien organisée, par les soins de l'Université et sur laquelle je compte vous faire un prochain rapport, peut seule parvenir à nous donner de bons maîtres d'éc le » écrivait le recteur de Montbrison au Grand Maître le 7 fév. 1811. Son collègue de Nîmes, vers le même temps, opinait dans le même sens.
« Il ne reste plus que l'établissement d'une école normale auprès des lycées, pour former des instituteurs qui puissent suppléer aux frères de la doctrine... Les diplomes ne devraient être délivrés aux instituteurs, qu'après un examen devant un jury nommé ad hoc, dans chaque arrondissement, ceux qui seroient refusés pourroient être envoyés à l'École Normale, supposé qu'on leur reconnût du talent. On pourroit exiger que les nouveaux instituteurs qui se presenteroient eussent étudié quelques mois à l'Ecole Normale avant d'être admis, ce seroit pour eux un (une a été corrigé) espèce de séminaire et l'on n'admettroit à enseigner que ceux qui auroient donné quelques preuves de talent et de capacité...
« Il faut que la mesure soit générale, car si elle n'est pas mise en pratique dans les autres Académies, les instituteurs primaires qu'on voudra y assujettir à Nismes diront avec quelque fondement, à Montpellier de pareilles mesures n'ont pas lieu, donc nous pouvons nous en dispenser » 1.
Dans le Haut-Rhin, l'exemple du département voisin faillit entraîner une organisation régulière. Le recteur transmet, le 13 septembre 1813, une lettre de Colmar du 20 mai, signée de la Vieuville et transcrite par le Secrétaire de l'Académie, où il est dit : « il est certain qu'on ne parviendra à en trouver (des instituteurs) de réellement capables que lorsqu'on aura pris le soin de les former d'avance dans des classes normales. Je regarde donc, M. le Recteur, l'établissement de ce genre que vous avez déjà créé près du lycée de Strasbourg, comme la base essentielle de toute amélioration dans le système d'institution primaire, et je vous dois de sincères remerciemens pour les facilités que vous m'offrez, afin que je puisse en faire jouir mon département ». Il était question de former 15 élèves pendant 3 ans sur le programme de Strasbourg. Après cela, on
1. Fédenat, Recteur de Nismes, Let. (s. d , mais postérieure à une première lettre du 31 août 181-1). Arch. N., F17 6302.
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RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES 509
astreindrait les anciens instituteurs les moins instruits à passer par la même école 1.
En fait, l'Administration préférait certainement rappeler les Frères. C'était là une mesure depuis longtemps préparée. L'enquête où j'ai puisé le montre. Une circulaire du 24 frimaire an XIII (15 décembre 1804) demandait à tous les préfets si les Frères avaient encore des maisons et combien d'entre eux survivaient 2.
Je ne crois pas que l'idée d'écoles normales fût pour cela écartée, ni même reçue avec défaveur. Mais c'était là une grosse affaire, qui entraînait de grandes dépenses, car elle devait s'étendre à tout l'Empire 3. On n'eut ni le temps ni les ressources nécessaires. C'est au reste ce qui manqua pour organiser l'instruction primaire tout entière. On enquêtait, non seulement pour surveiller, mais avec l'idée d'améliorer et de compléter l'organisation. D'irréparables désastres l'empêchèrent. In extremis, Carnot obtint pendant les Cent-Jours un décret dont l'article 2 portait :
" Il sera ouvert à Paris une école d'essai d'éducation primaire, organisée de manière à pouvoir servir de modèle et à devenir école normale, pour former des instituteurs primaires » 4.
1. Arch. N., F 17 5941.
2. Voir les réponses de l'Aude, des Deux-Sèvres, du Tarn, de la Haute-Vienne, du Var, des Vosges. L'effectif était extrêmement réduit. Mais certains préfets, comme celui de la Meurthe, espéraient qu'il « se formerait une maison de probation » à Nancy (6 fév. 1807. Arch. N., F17A 1718).
3. Il est question aussi des classes normales dans un rapport du recteur de Pise, s. d. (Arch. N., F17 6303).
4. H. Carnot, Mém. s. Laz Carnot, t. II, p. 476.
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CHAPITRE IX LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE
CONSÉQUENCES POUR LE FRANÇAIS DE LA MISÈRE DES ÉCOLES. — Pour qu'on puisse juger du tort que firent à l'enseignement du français ces atermoiements et cette carence, je voudrais mettre sous les yeux un Mémoire sur les Ecoles Normales à Etablir dans l'Académie de Cahors, rédigé par l'inspecteur d'Académie, le 11 février 1812 : « Afin de mettre de l'ordre dans la recherche des moyens que nous avons à proposer, nous croyons devoir considérer les instituteurs, pour l'instruction desquels sont établies les Écoles Normales, sous deux points de vue différents, suivant qu'ils sont déjà reconnus et autorisés par M. le Grand Maître ou qu'ils aspirent à obtenir cette institution en remplissant les formalités requises : ce qui les divise en instituteurs primaires déjà en fonction, et en instituteurs à former pour être placés. On peut encore subdiviser chaque classe en instituteurs de ville ou de campagne; en instituteurs communaux ou particuliers; en simples abécédaires; en maîtres d'écriture et d'arithmétique; et en instituteurs élémentaires, qui enseignent encore un peu de grammaire française, d'ortographe, de mythologie, de géographie, etc..
« Quoique la Grammaire française ne soit pas nominativement comprise parmi les objets dont se compose l'instruction primaire, il est néanmoins indispensable d'en donner au moins quelques notions superficielles dans notre cours normal; et en suite dans les petites Écoles des contrées méridionales; attendu que les enfans qui doivent la fréquenter ne connaissent ordinairement que le patois grossier de leurs familles, pour qui la langue nationale est un idiôme étranger.
« Il suffira que l'instituteur puisse faire connaître la valeur et les différentes transformations des parties du discours; les lois que suivent les mots dont l'ortographe est variable suivant les fonctions qu'ils remplissent dans la phrase; les genres et les nombres dans
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LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 511
les noms; les temps et les personnes dans les verbes; les principales irrégularités de la langue écrite ou parlée; enfin une explication sommaire de la ponctuation »1.
Un texte comme celui-là en dit long et supplée aux témoignages qui, il faut le reconnaître, sont très insuffisants, car le gouvernement n'a jamais clairement demandé aux préfets ou aux recteurs si les maîtres enseignaient le français. On s'inquiétait s'ils enseignaient le calcul décimal et le système métrique. C'était là la grosse affaire. Je n'ai même trouvé à peu près nulle part d'indications sur la langue qu'on employait à l'école pour enseigner 2.
DANS LES PAYS A IDIOMES. — BAS-RHIN ET HAUT-RHIN. — Je citerais volontiers comme un modèle l'arrêté du préfet du Bas-Rhin, Laumond (29 nivôse an IX-15 janvier 1801). Il ordonnait quant à la langue tout ce qu'on pouvait alors ordonner :
ART. Ier. — L'organisation des écoles primaires par arrondissement est rapportée.
ART. II. — Il y aura dans chaque commune du département au moins un instituteur.
ART. III. — L'instituteur enseignera à lire, à écrire, à calculer, et les élémens de la morale républicaine.
ART. IV. — Les instituteurs seront nommés de la manière ciaprès. Le conseil municipal de chaque commune choisira, à la prochaine réunion, à la pluralité des suffrages, un candidat ayant l'intelligence et la moralité nécessaires pour remplir avec succès les fonctions d'instituteur; il choisira, autant que les localités le permettront, un citoyen sachant la langue française. Le maire enverra le candidat, muni du procès-verbal de son élection, au jury d'instruction de l'arrondissement, pour y être examiné; celui-ci adressera son attestation d'examen, avec ledit procès-verbal d'élection, au Sous-Préfet de l'arrondissement, lequel enverra les dites pièces avec son avis au Préfet, pour être la nomination approuvée, s'il y a lieu.
ART. VII. — Les conseils municipaux fixeront, sous l'approbation du Préfet, les traitemens desdits instituteurs...
1. Arch. N., F 17 5947.
2. Une exception pour l'Isère, qui a envoyé en l'an XIV une statistique minutieuse, où on fait deux séries de tableaux : a) des communes qui ont des écoles ; b) des communes qui n'en ont pas (Arch. N., F 17 1717). On enseigne le français à St-Marcellin, Chirens, St-Victor-de-Morestel, Vertrieu, Corps, Entre-Deux-Guiers-le-Bas, Huez, St-Ismier, St-Pierre-d'Allevard, Champier, Chonas, Meiziac, Le Peage ; le latin à Tullins, Crémieu, Paladru, Passins, Vignieu, Allevard.
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512 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ART. IX. — Au moyen des dispositions ci-dessus, tout père de famille sera invité à envoyer ses enfans, depuis l'âge de sept ans jusqu'à celui de douze, à l'école...
ART. XL — L'instituteur sera en même temps chargé de remplir les fonctions de secrétaire de la Mairie. Sont cependant exceptées de cette disposition les communes dont la population exige... d'établir ou de conserver une place distincte de secrétaire de la Mairie...
Il semble bien qu'un effort a répondu aux voeux du préfet, mais nous n'avons pas le moyen de vérifier en détail les résultats obtenus.
Quand on met la main sur quelque dossier, on a l'impression qu'il s'agit d'affaires où se heurtent toutes sortes de passions, et où les intéressés se couvrent, comme souvent en pareil cas, de prétextes. Ainsi, le 28 mai 1810, arrive à Paris une Lettre au Gd Maître de l'U. Impérial (sic) signée du curé cantonal de Weyer, et contresignée par l'évêque Saurine 1 :
« Une commune entière ose élever la voix jusqu'à votre Excellence. C'est la commune de Weyer, la plus considérable et la plus populeuse du Canton de Drulingen, arrt de Saverne (B.-Rhin), faisant jadis partie du comté de Nassau-Saarbruck, où la langue allemande est le seul idiome.
« Il existe dans cette Commune mixte deux Écoles primaires, l'une luthérienne... l'autre catholique dont l'instituteur, Sébastien Joseph Steubel, est un idiot. Sans principes, n'ayant ni méthode ni caractère ni gout pour l'enseignement, teinturier de profession, tenant cabaret et tripot, favorisant le libertinage et la débauche et négligeant l'instruction dont il est chargé au point qu'il ne sort de son Ecole aucun Eleve qui sache bien écrire son nom.
« L'ayant, en ma qualité de pasteur, plusieurs fois charitablement averti de se défaire de son cabaret et tripot et de se livrer avec plus de Zèle et d'Exactitude aux soins de l'instruction, il osa m'invectiver grossièrement, me menacer même, de porter la main sur moi, sur quoi j'ai crû devoir cesser de mettre les pieds dans son École...
« Pour détruire le dégoût que les habitans pour la plupart protestant (sic) montraient pour la langue française, je me suis donné la peine de l'enseigner gratuitement, dans mes moments libres, à quelques enfans; leurs progrès rapides triomphèrent du préjugé et porterent les parents tant luthériens que catholiques à prier avec instance le Maire du lieu de leur donner un instituteur capable
1. Arch. N., F 17 5941.
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LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 513
d'enseigner la langue française à leurs Enfans; mais sans avoir égard à leurs prières, il rengagea de concert... le susdit Seb. Jos. Steubel dont il est l'oncle, sans consulter le pasteur.
« Les Peres de famille au désespoir vinrent me prier de vouloir bien être leur organe... préférant les voir (leurs enfans) ignorans que démoralisés et gatés.
« Votre excellence sentira combien il est essentiel, que la langue française soit enseignée dans un pays nouvellement conquis où le peuple regrettant encore ses anciens coutumes et princes n'est que foiblement porté pour notre gouvernement. Mes confrères les Curés de mon arrondissement et moi y contribuerons de notre mieux, mais à quoi aboutirons nos efforts tant que la nomination... appartiendra à des Maires pour la plupart ignorants et insouciants ? »
On croirait entendre un défenseur de la langue française. Or quelle est la conclusion ? Le curé propose George Strauch, dont il reconnaît qu'il la « possède faiblement ». L'affaire était donc d'ordre confessionnel et privé. Il n'y a dans un semblable document qu'une chose intéressante, si elle est vraie, c'est que l'enseignement du français entrait dans les préoccupations d'une partie des habitants, et qu'en l'enseignant on pouvait attirer une clientèle.
Il n'est pas douteux en effet que des maires désiraient que les enfants apprissent le français. La municipalité de Heuchelheim (canton de Bergzabern, B.-Rh.), le 28 juin 1810, demande au recteur la nomination de Jean Valentin Hoffmann, natif d'Offenbach, arrondissement de Spire (dépt du Mont-Tonnerre), qui sait le français : « Nous sentons très bien, disent les signataires (dont toutes les signatures sont en caractères allemands), l'urgente nécessité, que chaque Français doit comprendre la langue de sa patrie » (Arch. N., F 11 5941).
Dans le Haut-Rhin, les dispositions étaient bonnes. Sans doute, là comme ailleurs, les maîtres avaient plus de bonne volonté que de compétence'. Tandis que l'enseignement secondaire était assez avancé et qu'il y avait des collèges à peu près francisés 2 à côté d'autres tout allemands où le français était étudié comme une langue étrangère 3, dans les petites écoles, l'allemand régnait en maître, presque partout. Il fallait que des citoyens de bonne volonté se missent à la besogne. Mais on en trouvait. Le Maire
1. et Le maître d'école de Seppois le Haut et de Seppois le bas écrit quelque peu le français » (Let. du Rect. de Strasb., 14 mars 1812. Arch. N., F 17 5941).
2. Ainsi à Altkirch, à l'école secondaire, les élèves de 1re année étudient la grammaire française de Meidinger, ceux de 2de continuent (Arch. N., F17 7028).
3. A Bouxviller, par exemple. Toutefois un prospectus du maire Schnabel annonce que M. Flagnieu, Français de naissance, qui parle allemand, donne l'enseignement du français dans toutes les classes; et un soin particulier sera donné en vue d'exercer la pratique de cette langue.
Histoire de la langue française. IX. 33
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514 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
de Lalaye et Charbes, le 5 février 1806, avertit M. le Sous-Préfet de l'Arrondissement de Barr de ses intentions : « J'ai l'honneur... de vous annoncer, que le 26 Janvier dernier, j'ai commencé une école gratis, conjointement avec l'instituteur de ma commune, pour les jeunes gens dudit lieu, non-mariés, qui ont fait leurs pâques, tous les dimanches et fêtes, depuis midi jusqu'à trois heures de relevée, dans laquelle on apprend à lire, écrire en français et l'arithmétique. J'ai vu avec plaisir que déjà le premier dimanche nous avons reçu 41 élèves et le second dimanche 53. J'apprends avec un plus grand plaisir encore, que toute la jeunesse de ma commune se prépare à venir recevoir nos leçons ; même les jeunes gens des communes voisines, que nous recevons avec intérêt, pourvu qu'ils ne viennent pas en trop grand nombre pour gêner ceux de la commune ».
Des primes ont été établies : « J'ai promis à cette jeunesse désireuse d'apprendre, un prix de douze mouchoirs, pour les six garçons et les six filles qui profiteront le mieux des instructions pendant la première année. Ils seront donnés par nous en présence de M. le Curé de la commune, le jour de la fête patronale du lieu. Cette distribution sera renouvelée d'année en année aussi longtemps que ladite école existera. Le prix desdits mouchoirs sera pris sur les fonds pour les dépenses imprévues qui seront accordées au budget de la présente année, si Monsieur le Sous-Préfet veut bien nous l'accorder. Signé : Quiporte, Maire ».
Et le sous-préfet prend un arrêté (le 7 février) : « Vu la lettre ci-dessus; Le Sous-Préfet, en applaudissant aux vues d'utilité publique qui y sont développées, et au zèle louable qui distingue le Sieur Quiporte, Maire de Lalaye, et l'instituteur de ladite commune, Arrête : que mention honorable en sera faite au Bulletin officiel de Correspondance de la Sous-Préfecture, dans lequel la lettre précitée sera insérée avec le présent, pour être adressés aux Maires du ressort. Copie en sera transmise à M. le Conseiller d'État, Préfet. Signé : Cunier ». Il est vraisemblable que l'exemple ainsi récompensé donna quelques fruits.
MEURTHE 1. — Les instituteurs les plus instruits joignaient à leur enseignement les principes de la Grammaire française 2. Mais nous ne savons rien des efforts qu'on pouvait faire dans la partie allemande du département.
FINISTÈRE. — Le préfet renonce pour ainsi dire à avoir des
1. Pour la Moselle, voir plus loin, ch. x.
2. Lct. du Sre Génl, 23 therm. an XI (11 août 1803). Arch. N., F17 1708. N.
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LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 515
écoles : « Il n'y a guèrres que 36 communes qui soient susceptibles de recevoir cet établissement ; celles de campagne ne sont composées que d'habitations éparses où personne ne parle français, il n'a jamais existé d'École de la langue Brétonne, et je ne pense pas que l'intention du gouvernement soit d'en établir »1.
GOLO. — Les obstacles sont grands, « la difficulté est de trouver des Instituteurs qui connaissent la langue française, le calcul décimal, et les nouvelles dénominations des Poids et Mesures » 2.
DANS LES PAYS À DIALECTES. — Pour le reste de la France, je ne me flatte pas de posséder les documents qui seraient nécessaires. Il y a visiblement des endroits où les parents désirent que leurs enfants sachent le français et le sachent bien. A Orange, un réglement de l'an XI décide que le français sera seul en usage dans l'école. L'adjoint exercera ses élèves à la prononciation française et corrigera les locutions vicieuses. Il fera des questions simples et exigera une réponse en français. Ce pays était gagné. L'article 37 du plan d'études de l'école secondaire, créée en 1803, était en effet ainsi conçu : « Le directeur et les professeurs sont particulièrement chargés de veiller à ce que les élèves externes ou pensionnaires ne se servent jamais de l'idiome local dans leurs conversations habituelles ni pendant leurs exercices de récréation » 3.
On trouve dans le diocèse d'Autun des maîtres qui non seulement montrent à lire et à écrire, mais qui enseignent la grammaire: J. Ant. Chapuy à St-Dezert (Givry) ; Théodore Miard à Mâcon ; Gauthier à St-André-le-Désert (Cluny) ; Et. Longepierre à Mont Bellet (Montbellet) ; J. P. Mich. Ribou à St-Alban ; Morizot à Nevers ; Sunce à Château-Chinon ; Guillemet à Luzy ; Marchal à MoulinsEngilbert; Pierre Bernay à Tannay; Marille (P. Guil.) à Pouilly ; Godart (Nicolas) à Prémery 4.
PRÉFETS PURISTES. — Les choses paraissent être allées un peu suivant l'impulsion que le préfet, assez libre alors, leur donnait5. Or il se trouvait que plusieurs, nous l'avons dit, avaient du français un souci poussé jusqu'au purisme. On en surprend qui voudraient
1. Let. du préf., 17 flor. an XI (7 mai 1803). Arch. Nat., F17A 1717.
2. Arch. N., F17 1717.
3. Yrondelle, Hist. du Coll. d'Orange, p. 362.
4. 10 juin 1809. Arch. N., F17 6301.
5. L'abbé Allain dit : « Les statistiques publiées en l'an IX et X par les préfets signalent le mauvais état des écoles dans l'Ardèche ; on gémit de voir, dans les communes les plus considérables, l'enfance livrée, en général, à l'impéritie de maîtres d'école dont la totalité n'entend rien aux premiers éléments de la langue française » (OEuv. scol. de la Rév., p. 322).
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516 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
faire extirper du pays les locutions locales 1. Ils éprouvent une vraie tristesse en se voyant réduits à choisir des sous-ordres parmi des illettrés, et en recevant au lieu d'actes et de correspondances d'inintelligibles grimoires. « Ce département, écrit le préfet des Hautes-Pyrénées, est extrêmement pauvre en instituteurs ; on y est tellement ignorant qu'on ne désire pas même s'instruire » (1er messidor an XI— 20 juin 1803).
« Les registres, quoique avec le secours des formules, sont rédigés d'une manière inintelligible, parce que les rédacteurs n'entendant pas le français, ne comprennent pas le sens de ces formules : il me faut deviner celui des délibérations des conseils municipaux, qui offrent un mélange confus de français et de patois du pays » 2.
Si seulement on savait « mettre l'orthographe »3 ! Les maîtres sont signalés, quand ils forment la jeunesse à cet art précieux 4. Ils ont du reste des émules dans l'enseignement privé 5.
IMPRESSION GÉNÉRALE. — Malgré tout cela, je ne crains pas de l'affirmer, dans le Midi surtout, on trouve inscrits sur les listes plus de maîtres de latin que de maîtres de français 6. Rien ne donne, je ne dis pas l'impression d'une organisation systématique, mais même celle d'un effort. J'inclinerais même à croire que bien des instituteurs devaient ignorer ou à peu près le français. A propos d'un périodique du grammairien Domergue, le Journal des Sciences et des Arts des Bouches-du-Rhône (t. II, p. 5) dit en 1805 : « En renouvelant cette annonce, nous croyons devoir ajouter une invitation à MM. les Maires d'en donner connaissance à tous les instituteurs dont la plupart ignorent la langue française » 7. Était-on trop exigeant au Journal? Peut-être, car on ne voit pas en quoi
1. En l'an XII, le préfet de l'Eure dit: « Les instituteurs actuels, au nombre d'environ 400, sont pour la moitié des gens de la campagne, dont l'éducation peu soignée entretient l'usage d'un accent et d'expressions vicieuses... il n'y a pas plus de 50 instituteurs qui soient en état de former leurs élèves aux principes raisonnés de l'orthographe et de la grammaire » (Aul., Nap. et le Mon., p. 15-16).
2. Arch. N., F17A 1718.
3. Dans l'Oise, le préfet Belderbusch adresse un traité d'orthographe qui fait partie du Cours Elémentaire qu'il fait rédiger pour les Écoles primaires (9 avril 1806). Il a institué un prix d'orthographe (Arch. N., F17A 1718).
4. « Le citoyen Claude ci-devant me à la pension de St-Yon, près Rouen, enseigne la lecture, l'écriture, l'orthographe » (Arch. N., F 171 1716).
5. Dans la Maison d'éducation de Madame Gontier et Cie (pensionnat) à Aix, « on apprend à lire avec ponctuation, à écrire avec ortographe » (Arch. N., Imprimé. F17A 1716).
6. En 1809, d'après un rapport de l'évêque de Cahors, une assez grande quantité est portée comme enseignant le latin, personne comme enseignant le français (Arch N.. F17 6301).
7. Brun, Mém. ms., p. 89. Au commencement du XIXe siècle, dans les Hautes-Alpes, on trouve encore le français difficile à apprendre et inutile à savoir (Ladoucette, Hist. topogr. ant. des Htes-Alpes, p. 611).
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LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 517
un périodique de Domergue eût pu intéresser des gens qui n'auraient pas su la langue. Ignorer doit être traduit : ne pas connaître les règles et les finesses. Mais il y a d'autres textes. Du Calvados, le cn Cheradame, membre du Conseil Municipal de N.-D. de Courson, arrivant de Lisieux, écrit le Ier floréal an XII (21 avril 1804) : « les Écoles Primaires sont tenues par des femmes ou autres personnes qui à peine scavent lire pour leurs affaires domestiques, et qui pour l'Ecriture ne scavent ni français ni « hortographe " 1. Comment écrivaient les maîtres, pour que cet homme en fût choqué ?
1. Arch. N., F17A 1716.
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CHAPITRE X ON DÉPARTEMENT MODÈLE
EN MOSELLE. — Si dans les départements de la vieille France, la diffusion de la langue par l'école n'a pas été l'objet d'une action suivie et concertée, c'est une raison de plus de signaler les départements où on a montré du zèle et de la clairvoyance. Metz a été favorisée. Déjà Colchen s'est employé à remédier à ce qu'il considérait comme un mal national : la classe en idiome. Le 11 fructidor an XI (29 août 1803), il s'informe et renvoie un tableau fourni par le sous-préfet de Thionville avec un questionnaire. Il veut savoir en effet si les instituteurs enseignent essentiellement la langue française et le calcul décimal.
D'après le tableau du 4e Arrondissement, possédaient le français les maîtres de :
Achen (écrit passablement en
français). Altzing (connait assés bien
la langue française). Altwiller (écrit passablement
en français). Altrippe. Baronville. Bezig. Biding. Bistroff. Bitche.
Bousseweiller. Brulange. Cocheren. Destry. Diebling. Eincheville. Folswiller.
Forbach.
Freybouse.
Grosbliderstroff.
Gros-Rederchin.
Gros-Tenquin.
Guéblange.
Guesseling.
Hambach.
Hanwiller.
Heckenranschbach.
Hellering.
Hellimer.
Holving.
Hombourg-Bas.
Hoste.
Hottewiller.
Ippling.
Kappelkingert.
Kerbach.
1. Il sera traité dans un autre volume des départements que la France venait d'acquérir, en particulier des Alpes-Maritimes.
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UN DÉPARTEMENT MODÈLE 519
Landroff.
Launing.
Lengelsheim.
Leywiller.
Lixing.
Lhopital.
Macheren.
Maxstadt.
Meysenthal.
Morhange.
Nelling.
Neufgrange.
Petersbechel.
Remering.
Rorbach.
St Avold.
St J. Rorbach.
Sarralbe.
Sarinsming.
Sarreguemines.
Saimbouze.
Soucht.
Schpikeren.
Tenteling.
Tleving.
Uberkingert.
Vallerange.
Valmont.
Wahl-Ebersing.
Villers.
Villerwaldt.
Valsbronn (si on l'exige).
Velferding.
Viswiller.
Vitring.
Vousterwiller.
C'était une belle proportion. 59 écoles seulement n'enseignaient pas le français. On ne s'étonne pas que le préfet écrive avec quelque fierté : « Je dois observer en terminant que la Langue française devient actuellement familière dans des villages où, il y a dix ans, elle était absolument ignorée. Cette révolution est due principalement aux soins que l'on a pris de faire admettre par les communes allemandes des instituteurs qui possédassent les deux langues et je ne néglige rien pour y en augmenter le nombre »1.
LES EFFORTS REDOUBLENT. — En vendémiaire an XIII (septembreoctobre 1804), on n'est pas encore satisfait à Metz. On imagine d'instituer des sortes de classes préparatoires où les enfants apprendront le français avant toute étude : « Les professeurs de l'École de Saralbe sont obligés d'Enseigner à leurs Élèves trois langues à la fois, l'Allemande pour l'intelligence de la française, qui dans ces contrées est encore bien peu usitée, et cette dernière, afin qu'ils puissent suivre le cours de latinité, ce mode d'Instruction devenant aussi pénible pour les uns que compliqué pour les autres.
« Le Sous Préfet propose afin de remedier à cet inconvenient, de creer une 7e classe ou l'on apprendrait le français aux jeunes Gens qui ne savent que l'Allemand. Cette classe qui seroit en quelque
1. Let. du préf., 15 frim. an XII (7 déc. 1803). Arch. N., F17A 1718. Voir dans cette pièce toutes sortes de détails sur les écoles de Metz et les moyens de donner à chacun une instruction en rapport avec ses aptitudes. Cf. une lettre du 2 frim. an XIII signée du Cr de Préfre Leclerc (23 nov. 1804).
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520 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
sorte préparatoire, ne peut etre suppléée par les Écoles primaires dont les Maîtres ignorent generalement les principes de cette Langue et auroit l'avantage de la rendre plus familiere » 1. C'était une idée géniale ; mais je ne sache pas qu'elle ait reçu même un commencement d'application.
Le 22 thermidor an XIII (10 août 1805), le nouveau préfet, Viénot de Vaublanc aborde l'ensemble de la question 2 et propose des moyens... «jacobins »: « J'ai l'honneur de vous prévenir que, dans plus de 400 communes de ce Département on a conservé l'usage de faire l'enseignement en langue allemande, malgré l'obligation imposée par mon prédécesseur au jury des Écoles Primaires, de n'admettre pour Instituteurs que des hommes sachant les deux langues ; je me suis convaincu de cet abus dans la tournée que je viens de faire dans la partie allemande de mon département, par exemple dans l'école primaire de Bitche ; sur une vingtaine d'enfants, à peine si trois ou quatre parloient français.
« Plusieurs causes contribuent à maintenir cette coutume. 1° La force qu'a sur la pluspart des hommes une ancienne habitude ; 2° l'obstination des parens à ne mettre que des livres allemands entre les mains des Enfans; 3° les Instructions Religieuses toujours faites en allemand dans plusieurs Villes telles que Bitche, Sarralbe, Puttelange et Faulquemont, où cependant le français est en usage.
« Pour introduire peu à peu cette derniere langue et en rendre la pratique plus familière, je pense qu'il est essentiel de contraindre les maîtres d'École à se conformer au mode d'enseignement qui leur est prescrit, et pour cet effet, je demande, M. le Cr d'État, que vous m'autorisiez à destituer les Instituteurs qui n'enseigneront pas dans les deux idiômes et à defendre de se servir dans les Écoles de livres Élementaires allemands. Je vous prie aussi de vouloir bien vous Concerter avec son Excellence le Mre des Cultes pour obliger les curés et desservans de ces contrées à faire leurs prônes et catéchismes en français ou au moins dans les deux langues.
« J'ai lieu d'espérer que vous adopterez les mesures que je viens de vous proposer. J'ai l'honneur... Vaublanc ».
APPROBATION GOUVERNEMENTALE. — Ces mesures rappelaient l'an II. Cependant Fourcroy, dans un rapport au Ministre, daté du 12 frimaire an XIV (3 décembre 1805), les approuva. Il répondit le 10 janvier 1806, c'est-à-dire cinq mois après avoir reçu les propo1.
propo1. Préf. de la Moselle à Fourcroy. Sien. Vivitre. Secre génal. Arch. N. F 17 7026
2. Arch. N., F17A 1718.
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UN DÉPARTEMENT MODÈLE 521
sitions du préfet : « S. E..... vous autorise à destituer les instituteurs des Écoles primaires qui ne donneront pas leur enseignement en français ou au moins dans les deux langues française et allemande, et à défendre de se servir dans les Écoles des livres élémentaires allemands. Je vous invite en conséquence à faire connaître cette décision à tous les instituteurs primaires de votre département » 1.
Vaublanc profita sans tarder de la permission. Le 18 janvier, il prit un arrêté qui soumettait à un nouvel examen à subir dans le délai de trois mois tous les instituteurs. Ceux qui n'obtiendraient pas le certificat étaient prévenus qu'ils perdraient leur place. Ils ne devaient ni faire usage de livres en allemand, ni en tolérer aux mains de leurs élèves (art. IV). L'arrêté, communiqué à Paris le 5 février, reçut l'approbation du Ministre. Vaublanc terminait sa lettre en exposant qu'il était nécessaire, pour réussir, d'obtenir de l'évêque qu'il interdît de son côté, catéchismes et prônes en allemand.
Il serait intéressant de savoir si les menaces eurent quelque effet. On ne voit pas bien comment les maîtres s'y seraient pris pour se mettre en mesure d'obéir. En tous cas, à la rentrée, l'affaire reprit.
Le 30 octobre 1806, le préfet écrit au Ministre de l'Intérieur... « Votre Excellence a remarqué que plusieurs des signataires de l'information de commodo et incommodo ont signé leurs noms en caractères allemands, et vous ajoutez combien il est à désirer que je parvienne à rendre l'usage de la langue française général dans mon département 2.
« Lorsque j'y ai fait une première tournée en l'an 13, j'ai vu avec peine que dans les deux tiers de ce département, les instituteurs se servoient dans les écoles primaires de livres élémentaires allemands. J'en ai témoigné mon étonnement ; mais on m'a répondu qu'ils avoient été autorisés jusqu'alors à se servir de ces livres. J'en ai écrit à M. Fourcroy qui m'a répondu dix mois après, que le Gouvernement vouloit que les seuls livres élémentaires françois fussent enseignés dans les écoles primaires.
« Je n'ai rien négligé pour faire exécuter cette décision que j'avois provoquée et dernièrement encore, ne trouvant point dans le Maire de St-Avold les dispositions que je désirois, fatigué des objections qu'il me présentoit, je me suis rendu à sept heures du matin dans l'école primaire. J'ai examiné touts les livres dont se servoient les enfants. Les deux tiers étoient allemands. Je les ai déchi1.
déchi1. N., F 17 1718. Minute.
2. Cette lettre, qui serait curieuse, n'est pas au dossier.
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522 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
rés sur le champ, j'ai donné de l'argent pour qu'on en achetât d'autres en françois et j'ai déclaré à l'instituteur que je ferois une nouvelle visite à l'instant qu'il s'y attendroit le moins, et qu'il perdroit sa place, s'il se servoit encore de livres élémentaires allemands.
« Il me sera possible de faire exécuter cette disposition dans les villes, mais dans les villages où l'on parle allemand, on ne trouve que très rarement des instituteurs qui parlent les deux langues ; pour en avoir il faudroit ajouter une petite somme aux foibles appointements que donnent les communes ; peut etre seroit-il digne de l'active sagesse de Votre Excellence de prendre cet objet en grande considération, il est certain que la langue fait la Patrie, et qu'il est bien difficile d'être françois dans toute l'étendue du mot, quand on ne parle qu'allemand. En outre cette ignorance de la langue françoise rend l'administration extrêmement difficile et lente ».
Le préfet va plus loin et aborde la question la plus délicate : « Il est une chose qui contribue beaucoup à entretenir l'usage de la seule langue allemande dans un grand nombre de communes, c'est d'y envoyer des prêtres qui parlent cette langue, et qui souvent même ignorent le françois ; les sermons et le catéchisme faits en allemand entretiennent les habitants dans l'usage de cette langue, et dans la fausse idée qu'ils n'ont pas besoin d'en apprendre une autre.
« Votre Excellence peut être persuadée que pendant toute mon administration, je m'occuperai avec une persévérance constante à étendre la langue françoise dans mon département. Je trouve honteux de voir des familles, françoises depuis des siècles, ignorer la langue de leur Patrie, et rester indifférentes aux grandes choses qui signalent le règne de l'Empereur, elles ne peuvent partager l'enthousiasme de la Nation, puisqu'elles ne comprennent pas les expressions par lesquelles nous manifestons notre admiration... Vaublanc ».
Ainsi un homme, qui était et avait toujours été de droite, parlait le langage de François Ier et de Grégoire, et il semble avoir réussi à galvaniser les bureaux, malgré leur crainte, héréditaire des « affaires ». Les idées de la Révolution n'étaient pas mortes.
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CHAPITRE XI LA LANGUE ET LA VIE GÉNÉRALE
LA CENTRALISATION. — Pour terminer, je voudrais indiquer brièvement ce qui, dans le régime napoléonien, a fait faire à la langue nationale de nouveaux progrès. Il faut considérer d'abord comment s'est poursuivie l'oeuvre de centralisation. Rien, ou à peu près rien ne resta de ce qui faisait l'originalité des divers pays. Leurs institutions propres abattues ne furent remplacées par rien qui sentît de près ou de loin « la localité ».
Il n'y a désormais en France qu'une administration uniforme, toute semblable de Strasbourg à Bordeaux, dont les fonctionnaires, appartenant tous à un cadre unique, sont envoyés au hasard des places disponibles de poste en poste, qu'ils soient préfets, magistrats, percepteurs, gendarmes ou agents-voyers. Naturellement ils n'administrent, ne paperassent qu'en français; leurs guichets, déjà peu avenants pour quiconque s'y présente, se fermeraient impitoyablement au malheureux incapable de s'expliquer. Il peut arriver qu'un séjour prolongé les acclimate et accoutume certains d'entre eux à comprendre quelques bribes du parler de l'endroit où leur carrière les a jetés, mais c'est là un accident qui dépend de complaisances personnelles, et sur lequel ceux qui ont affaire à l'Administration n'ont pas à compter.
Or le rôle de l'État a été immensément augmenté. Il intervient désormais dans tout, au moins pour contrôler, souvent pour gérer, au lieu et place soit des particuliers, soit des autorités locales. Il ne s'agit pas encore de le faire producteur, mais il est déjà marchand. Les habitants ont perpétuellement affaire à lui.
LA GUERRE. — En outre, la forme nouvelle qu'avait prise la vie nationale, la guerre à perpétuité, n'était pas pour effacer l'effet des récents événements, mais bien plutôt pour l'augmenter. Fondus dans une France militaire et guerrière, au long de ces dures années passées à grogner, à souffrir, à vaincre, les paysans prenaient
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524 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
bon gré mal gré un sentiment national dont l'orgueil soutenait les élans. L'école de français d'alors, c'était le régiment. Sans doute, les « pays », qui s'y rencontraient, échangeaient avec plaisir mots et quolibets dans le langage du cru 1. Mais dans son cours ordinaire, la vie de gloire et de servitude était toute française 2. Une absence aussi prolongée de toute la population mâle ne s'était jamais produite. Les conséquences devaient en être fatales pour les patois.
Quand les congés rendaient les hommes à la vie civile — et il en revenait, malgré tout, des vainqueurs d'Austerlitz et des vaincus de Leipzig —, ils prenaient femme, et ce n'était pas nécessairement dans leur pays. En ce cas, ils n'allaient pas apprendre le patois du village où ils se fixaient, et la femme n'apprenait pas celui de son mari 3. C'était un ménage gagné pour le français. Mais, même s'il revenait dans son lieu d'origine, le vieux soldat n'était plus le même homme. Se remettait-il au patois, quelque plaisir qu'il y pût prendre, il ne le parlait plus avec la même pureté. Il avait en outre trop de souvenirs qui se prêtaient mal à cette forme de langage. Un observateur qui écrit presque au lendemain de Waterloo l'a bien vu : « Depuis vingt-cinq ans, dit-il, il (le patois poitevin) a subi des altérations sensibles ; on ne le parle plus dans les villes ; et les déplacemens multipliés qu'ont subis les villageois, leurs rapports forcés et si fréquens avec les gens d'affaires, les enrôlemens, les flux et reflux des levées en masse, ont tendu sans cesse à effacer toutes les nuances et à donner une teinte uniforme aux habitudes et au langage de toutes nos provinces » 4.
1. Millin, qui publia en 1808 dans le Magazin encyclopédique un article où il rapporte des locutions curieuses mêlées à leur français parles Provençaux, ajoute : « Ces locutions ne sont pas une suite de l'ignorance des règles de la langue française, elles viennent de l'habitude de parler la langue du pays. Le peuple de la Provence ou du Languedoc sait presque généralement le français ; mais il se plaît à parler le provençal ou le languedocien : les enfans l'apprennent dès le berceau comme leur langue maternelle ; ils le parlent avec tous ceux qui les entourent ; et les hommes que les circonstances ont conduits dans des contrées éloignées, aiment à employer un idiome qui leur rappelle leurs premiers plaisirs et le lieu qui les a vus naître; souvenirs qui ne s'effacent jamais. Qu'un habitant du midi de la France en rencontre un autre à Paris, à Londres, à Petersbourg, à la Chine, aussitôt vous entendrez, qu'es aqueou ? etc. vous les verrez se chercher, et se livrer au plaisir de parler la langue de leur pays » (t. II, p. 256).
2. Il faut néanmoins être très réservé. On m'a cité une famille alsacienne où l'aïeul, caporal de la Grande Armée, récitait imperturbablement sa théorie et ne savait pas parler français. Le cas n'est sûrement pas unique.
3. Vaublanc, le préfet de la Moselle, constate, dans un rapport du 28 avril 1811 au Ministre de l'Intérieur, que les militaires se marient et prennent leur retraite dans le département, et la langue en bénéficie. « Dans beaucoup de communes où il y a vingt ans on n'entendait jamais prononcer un mot de français, cette langue se parle maintenant » (Arch. N., Fic III, Mos., 14, dans May, o. c, p. 71).
4. Mém. de la Société des Antiquaires de France, 1817, t. 1, p. 198.
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APPENDICE
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE
I. — L'ENQUÊTE.
Autour de 1806, l'Administration impériale poussait dans tous les sens des recherches minutieuses. Il est difficile, quand on n'a pas manié les documents eux-mêmes, de se représenter avec quelle intelligence et quelle curiosité ces recherches étaient conduites. Elles ne portaient pas seulement, comme on pourrait le croire, sur des objets d'utilité, mais sur toutes sortes de matières. On dirait aussi bien par endroits d'une enquête de savant que d'une information de ministre.
Il est vraisemblable que, cependant, le Bureau de Statistique ne se fût pas livré à de si longues et si minutieuses enquêtes concernant les langues parlées dans l'Empire, s'il ne s'était pas trouvé là un homme pour qui ces questions présentaient un intérêt tout particulier. C'était Coquebert de Montbret. En tous cas, la direction venait de lui : les accusés de réception, les lettres de rappel sont de sa main.
Ch. Coquebert de Montbret, dit M. Gallois, était fils d'un conseiller à la Cour des Comptes. Il avait débuté dans la diplomatie comme consul à Hambourg, puis avait exercé à Dublin. Rentré à Paris, en 1793, il trouva, grâce à ses connaissances dans les sciences physiques et naturelles, un appui auprès de Fourcroy, de Monge, de Berthollet, qui le firent mettre en réquisition par le Comité de Salut Public pour l'établissement du système métrique et le service des poudres. Il professait la géographie physique au Lycée républicain ; il fit également, en 1796-97, un cours sur la géographie physique et les gîtes minéraux à l'École des Mines. Rentré, après le
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526 APPENDICE
18 brumaire, dans l'administration des Affaires Étrangères, il va à Amsterdam, à Londres, et quitte ce poste après la rupture du traité d'Amiens, pour être appelé au Conseil d'État, puis au Ministère de l'Intérieur, où il est chargé, en même temps que des services de l'Agriculture, du Commerce, des Manufactures, de la direction de la statistique. En 1805, il fut envoyé en Hollande pour mettre à exécution le traité conclu à propos de l'octroi de la navigation du Rhin. Il devint ensuite directeur des douanes de Hollande, après la réunion de ce pays à la France. Nous le retrouverons en 1812 à Paris, comme secrétaire général du Ministère du Commerce. Il prit sa retraite, en 1815, et se consacra tout entier à un grand ouvrage sur la géographie physique et économique de l'Europe, dont il continua, en voyageant, à amasser les matériaux, et qu'il n'a pas eu le temps d'achever 1.
Déjà le livre anonyme, qui a pour titre Mélanges sur les langues (Paris, Bureau de l'Almanach du Commerce, 1831, 8°), donne de précieux renseignements sur les intentions de l'Administration impériale (V. p. 432, Matériaux pour servir à l'histoire des dialectes). Le travail dont nous consignons ici quelques échantillons, y est-il dit, fut entrepris vers l'année 1807, au bureau chargé de la statistique au Ministère de l'Intérieur. Après la suppression de ce bureau, il a été poursuivi par la Société Royale des Antiquaires de France 2.
Mais nous avons des indications plus précises dans les papiers de Coquebert de Montbret. C'est d'abord un mémoire adressé au Ministre, où se trouvent exposés le plan, le but, et les résultats généraux de l'enquête 3. Il est ainsi conçu :
« Monseigneur,
« Des hommes instruits, sentant l'utilité dont la Connaissance des Langues peut être pour l'Histoire des peuples qui les parlent, témoignaient depuis longtemps le Désir qu'il fût entrepris en France sur cet objet intéressant des recherches analogues à celles
1. Voir sa notice biographique par le baron Sylvestre, dans les Mémoires publiés par la Société royale et centrale d'Agriculture, 1832, 63-84 (Gallois, Régions naturelles et noms de pays, Paris, 1908, 12-14).
2. On comparera les Mémoires de la Société des Antiquaires, 1824, t. VI.
3. B. N., N. Acq. fr., 20080, 1re pièce. C'est une minute. Un titre en marge porte : Proposition pour que Eug. Coquebert de Montbret soit chargé de la continuation de ce travail dans le second Bureau de la section d'Agriculture. Le Bureau de Statistique est donc dissous. Nous sommes après 1812.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 527
auxquelles on s'est livré avec succès dans différents pays étrangers.
« M. de Champagny, alors ministre de l'Intérieur, jugea convenable d'ouvrir à ce sujet, en 1807, une Correspondance avec MM. les Préfets ; on commença d'abord par ceux de ces fonctionnaires que leur genre d'instruction et leurs occupations antérieures faisaient présumer être les plus en état de donner des notions précises et authentiques ; ensuite on écrivit successivement à leurs collègues à mesure que ces derniers, ayant notablement avancé les différentes parties de leurs Travaux statistiques relatives à la Population, à l'Agriculture et à l'Industrie, pouvaient sans inconvénient donner quelques-uns de leurs momens à un article de Recherches que les grands Intérêts de l'Administration n'ont jamais permis d'envisager autrement que comme un objet secondaire qu'on a même cherché à restreindre le plus possible. Cette correspondance continuée pendant cinq ans avec ménagement, mais avec suite et persévérance a déjà produit une Masse considérable de Matériaux précieux, qui bien qu'encore incomplets ont fait connaître plusieurs résultats neufs et donné l'occasion de remarquer des rectifications essentielles à faire dans les ouvrages historiques et philologiques imprimés jusqu'à ce moment 1.
« Pour donner à Votre Excellence une idée de ce qui a été fait à cet égard, on entrera d'abord dans quelques détails sur la manière dont le travail dont il s'agit a été conçu et on s'attachera ensuite à lui présenter la classification la plus exacte qu'il soit encore possible d'établir des divers langages parlés dans l'étendue de l'Empire.
« On a pensé que le premier pas à faire devait consister à déterminer avec précision les limites de l'étendue de Pays dans laquelle se parle chacun des idiomes principaux que l'on peut considérer comme des langues mères.
« 2° A tâcher pareillement de reconnaître les principaux points qui circonscrivent à peu près le Territoire qu'occupe chaque dialecte secondaire de ces divers langages principaux. Le premier de ces deux articles était facile à exécuter et l'on s'est mis en état au moyen des notions recueillies à cet égard par MM. les Préfets de porter sur une grande carte de l'Empire les lignes délimitatives qui séparent la langue française de chacun des autres langages diffé1.
diffé1. lettres ministérielles adressées, soit aux préfets, soit à des savants comme Legodinec, sont très nombreuses ; il en existe, dans les papiers que nous allons analyser, vingt ou trente en minutes, presque identiques de forme, ou ne différant que par des variantes sans importance. Celle à Legodinec (26 janvier 1808) a été imprimée dans les Mémoires de l'Académie Celtique (II, 125).
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528 APPENDICE
rents parlés dans l'Empire, tels que l'allemand, le flamand, le basbreton, le basque, etc. 1.
« Ce travail entièrement neuf et qu'aucun des auteurs qui ont approfondi ces matières n'a présenté avec précision, est encore susceptible de plusieurs rectifications et additions essentielles. »
Le rapport concluait : « Si le travail peut être continué, on donnera un aperçu plus exact des limites de chaque dialecte, on étudiera son origine », les « variations qu'il a éprouvées de mémoire d'homme », on transcrira des morceaux sur plusieurs colonnes, de façon à apercevoir les variétés.
On espère ainsi remarquer quels sont les divers langages qui ont contribué à le former ; 2° comment se sont modifiés les mots de la langue mère ; les affinités qu'il présente à cet égard avec les dialectes analogues ; 3° les idiotismes ; 4° les ouvrages en vers ou en prose en les recherchant dans les bibliothèques publiques et privées.
« Le travail servira la Grammaire générale, l'histoire étymologique des langues, l'histoire des migrations de peuples, la géographie ancienne et du Moyen-Age. »
Une note présente enfin Eugène Coquebert de Montbret comme capable et désireux d'utiliser les matériaux accumulés sous la direction de son père. C'est lui qui a rédigé la notice. Il prend un intérêt très vif à ces études. Il est apte à les continuer 2.
A la suite a été transcrit le commencement d'un mémoire mis au point, où Coquebert de Montbret s'était visiblement proposé de consigner les renseignements qu'il s'était procurés, après les avoir mis en ordre. Ce mémoire commence ainsi : « Je crois devoir placer ici le détail, département par département, des renseignements que j'ai été à même de recueillir sur la ligne de démarcation de la langue française en 1806 et 1807. »
Le premier chapitre concerne le département du Nord ; on le trouvera cité dans ce qui suit, mais l'exposé s'arrête presque aussitôt.
II. — L'ETAT LINGUISTIQUE DE LA FRANCE ENTRE 1806 ET 1812.
Les préfets sollicités, au besoin rappelés à leur devoir, ont répondu avec zèle. Ils ont consulté diverses personnes, particulièrement les
1. Il m'a malheureusement été impossible de retrouver cette carte générale, soit aux Archives, soit dans les Bibliothèques, soit au Ministère de l'Intérieur..
2. Eug. Coquebert de Montbret était né à Hambourg, en 1785. Il est mort à Rouen, en 1849. Il fit don à la ville de Rouen de sa bibliothèque composée d'environ 60 000 volumes et de plus de 100 manuscrits.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 529
sous-préfets et les juges de paix, qui s'informaient sur place. Au reste, l'Administration centrale ne manquait pas de réclamer des suppléments ou des rectifications, si les indications fournies paraissaient insuffisantes ou erronées.
Les renseignements reçus sont conservés dans deux séries de documents :
I. Un carton des Archives Nationales, malheureusement unique : F. 17A 1209.
II. Des manuscrits de la B. N., savoir :
a) Nouv. Acquis. Franc., 5910, 5911, 5912, 5913. Je les désignerai simplement par leur numéro. Dans les trois premiers recueils, les renseignements sont groupés par ordre de départements. 5913 est un recueil de cartes, auxquelles on a joint quelques lettres et un petit nombre de documents.
b) Un manuscrit Nouv. Acquis. Franç., 20080, auquel nous avons renvoyé plus haut.
Ce ms. n'est souvent qu'une mise au net de notes contenues dans le ms. 721 de la Bibliothèque de Rouen (Fonds Coquebert de Montbret), dont nous allons parler.
III. Des notes prises par Coquebert de Montbret et réunies dans deux recueils appartenant à la Bibliothèque de Rouen (Fonds Coquebert de Montbret, n°s 721 et 191). Je les désignerai par Rouen, 721 et 191.
Il arrive assez souvent que les documents réunis dans ces diverses séries font double emploi. Dans une même série, les indications se répètent aussi; ainsi 721 copie parfois 191. Mais aucun de ces recueils ne peut être négligé. Il arrive que l'un indique la source où ont été puisés les renseignements contenus dans l'autre. En particulier, les listes des communes-limites offrent un grand intérêt ; elles permettent de reconstituer des cartes disparues, sur lesquelles Coquebert de Montbret avait travaillé.
Les dialectologues ont déjà bien souvent utilisé les textes patois réunis dans l'enquête du premier Empire. Nul d'entre eux, à ma connaissance, n'a songé même à indiquer l'existence des cartes qui ont servi à notre étude, si bien que je les ai cherchées pendant fort longtemps. Le précieux Atlas qu'elles composent permet, si on le combine avec les notes de Coquebert de Montbret, de tracer la limite de la langue française autour de 1806, soit sur les confins de la France, soit à l'intérieur du pays. En Suisse, où il n'y avait pas de préfets français, on n'a pu que compiler des renseignements chez divers auteurs. J'aurais voulu donner une reproduction de ces cartes. Nous avons, les éditeurs et moi, été retenus par la crainte d'élever
Histoire de la langue française. IX. 34
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530 APPENDICE
démesurément le prix de ce volume. Un certain nombre d'entre elles ont du reste été jointes à l'étude que j'ai publiée dans les Mémoires de l'Académie Royale de Langue et Littérature françaises de Belgique (nov. 1924). Des croquis permettront du moins de se faire une idée de la direction des limites 1.
1. Qu'il me soit permis de remercier ici l'Administration du département des mss. de la Bibliothèque Nationale, et M. Prou, Directeur de l'Ecole des Chartes, qui m'ont aidé dans ma recherche des documents, M. H. Labrosse, Directeur de la Bibliothèque de Rouen, qui a bien voulu envoyer à Paris les précieuses notes de Coquebert de Montbret, enfin mon ami et collègue M. L. Gallois, qui a mis toute sa compétence et sa complaisance à mon service, quand il s'est agi d'identifier des localités infimes, ignorées des cartes ordinaires.
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LIMITES DU FRANÇAIS AU SUD-OUEST 1
Communes de langue française.
Biarits (Biarritz) 2.
Anglet, 1.
Monerau (Monréjau?), 2.
Bayonne.
Saint-Pierre Dirubé, 3.
Ici l'Adour sert de limite.
Urt, 4.
La Bastide Clerence (Clairence).
Guiche, 5.
Bidache.
Came, 6.
Arancon (Arancou), 7.
La Bastide de Béarn.
Communes de langue basque.
Bidart.
Arbonne, 55.
Arcangues, 56.
Bassussarry, 57.
Arrauntz, 58.
Villefranque, 59.
Petit Mouguerre, 60.
Saint-Jean le vieux Mouguerre, 61.
La Ronce, 62.
Urcuit, 63.
Briscous, 64.
Hanan; 65.
Ayherre, 66.
Isturits, 67.
Bardos, 68.
1. La carte est celle de l'Atlas National de Dumez. Elle a été envoyée par le préfet Castellanne en 1806, elle se trouve dans B. N., Nouv. Acq. fr., 5913.
2. Nous suivons, dans cette liste, l'orthographe de la carte, sauf à mettre entre parenthèses, quand cela est nécessaire, l'orthographe actuelle.
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532
APPENDICE
Communes de langue française.
Escos, 8.
Oras (Oraas), 9.
Abitain, 10.
Athos, 11.
Notivos, 12.
Hte Vielle (Autevielle), 13.
Bideren, 14.
Guinarthe, 15
Parenties, 16.
St Gladie, 17.
Munein, 18.
Arrive, 19.
Tabaille, 20.
Espinte, 21.
Campagne, 22.
Usquain, 23.
Monfort, 24.
Nabas, 25.
Charre, 26.
Lichos, 27.
Angous, 28.
Sus, 29.
Gurs, 30.
Dognen, 31.
Orognen, 32.
Prechacq de Navarreins, 33.
Préchacq de Josbaig, 34.
Geus, 35.
Saint-Goen, 36.
Geronce, 37.
Dous, 38.
Orin, 39.
Moumour, 40.
Leguignon (Legugnon), 41.
Saint-Pé, 42.
Féas, 43.
Ance, 44.
Lanne, 45.
Aramits.
Arrête (Arette), 46.
Issor, 47.
Lourdios, 48.
Sarrance, 49.
Notre-Dame-de-Sarrance, 50.
Osse, 51.
Atas, 52.
Lées, 53.
Lescun, 54.
Communes de langue basque.
Oregue, 69.
Arraute, 70.
Charvillé, 71.
Bergoney, 72.
Viellenave, 73.
Biscay, 74.
Ilharre, 75.
Arbouet, 76.
Camou, 77.
Osserin, 78.
Gestas, 79.
Arberats, 80.
Silleque, 81.
Domenzain (Domezain), 82.
Etcharry, 83.
Aroue, 84.
Olhaybi, 85.
Charitte Inférieure, 86.
Andurem (Undurein), 87.
Araste (Arrast), 88.
Larebieu, 89.
Larrey, 90.
Moncayolle, 91.
Mendibien (Mendibieu), 92.
Lhopital, 93.
Les Arembeaux, 94.
Esquieulle (Esquiule), 95.
Barcux (Barcus), 96.
Paradis, 97.
Roquiague, 98.
Saint-Etienne, 99.
Sauguis, 100.
Trois-Ville, 101.
Tardets.
Restoue, 102
Laguinge, 103.
Montor, 104.
Haux, 105.
Etchabar (Etchebar), 106.
Larrau, 107.
Sainte Engrace, 108.
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534 APPENDICE
NOTES. — I. — Le pays basque renferme : 1° Tout l'arrondissement de Bayonne, excepté Bayonne, Anglet, Biarits, Monerau, Saint-Pierre Dirubé, Urt, La Bastide de Clerence, Guiche, Comté, Bidache.
2° Tout l'arrondissement de Mauléon, excepté Sams, Arthous, Ordios, Came, Arancon.
3° Esqieulles, qui est de l'arrondissement d'Oloron (Castellanne, 1806).
II. — La ligne se termine au mont Arias, sur la Frontière d'Espagne (Coq. de Mont., Ms. 721.255).
III. — Bayonne. — 1° On ne parle pas basque à Bayonne, on n'y entend même pas cet idiome ; mais à Saint-Jean de Luz, le basque est la langue vulgaire (Coq. de Montb., 721.250).
2° A une demi-lieue de Bayonne on parle basque, la plupart des habitants ne comprennent pas le français.
3° Martori. — Ce village parle indifféremment basque et béarnois, mais appartient au district basque (De Candolle, 1807, Coq. de Montb., 721.250).
4° On parle basque à Esquiule qui appartenait au Béarn et qui fait partie de l'arrondissement d'Oloron. L'idiome béarnais n'est presque pas usité dans cette commune.
5° Dans les communes de Montory, Rivareite, et Gestas, qui sont de l'arrondissement de Mauléon et faisaient autrefois partie de la Soule, on parle indistinctement béarnais et basque ; on croit que La Bastide de Clairence a été formée par une colonie venue de Bigorre et que c'est par cette raison que le gascon y est la langue dominante. Le basque n'est entendu que par un petit nombre d'habitants de cette commune qui est cependant fort avancée dans le pays basque.
6° Dans beaucoup de communes de langue française une partie des habitants entend le basque (Coq. de Montb., 721, 254-256).
Pour donner à mon lecteur une idée de la manière dont Coquebert de Montbret interprétait les documents qui lui étaient envoyés, je reproduirai ici intégralement la lettre, adressée par le Général de Brigade Préfet des Basses-Pyrénées, en même temps que la carte :
« Mgr. J'ai reçu la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 7 de ce mois pour me charger de lui faire connaître la ligne qui sépare la langue basque de la langue française. Je me suis empressé de faire tracer sur la carte ci-jointe cette séparation par une ligne brune qui commence à Handaye, et se termine au mont Arlas sur la frontière d'Espagne.
« V. E. remarquera que la commune d'Esquiule qui appartenait au Béarn et fait aujourd'hui partie de l'arrondissement d'Oloron, a été portée en dedans de la ligne. On y parle en effet la langue basque, et le béarnais n'y est presque pas en usage. On ne pourrait guère indiquer les motifs de cette singularité et il n'est pas plus possible d'expliquer pourquoi dans les communes de Montoy, Rivareile et Gestas qui dépendent de l'arrondissement de Mauléon et fesaient autrefois partie de la Soule, on parle indistinctement l'idiome Béarnais et la langue basque. Mais on pense généralement que c'est parce que Labastide de Clairence a été formée par une colonie venue de la Bigorre que le gascon est la langue dominante et que le basque n'y est seu que d'un petit nombre d'habitans, quoique cette commune soit fort avancée dans le pays.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 535
« Je n'ai pas besoin de faire remarquer à V. E. que l'extrême voisinage ou des rapports d'intérêt font, que dans beaucoup de communes de la langue française une grande partie d'habitans savent le basque. C'est là un effet naturel des relations qu'ont entre eux des peuples voisins et qu'on apperçoit dans toutes les frontières.
« Veuillez agréer... »
Une autre carte, jointe à celle que nous donnons indique la limite du basque et de l'espagnol au delà des Pyrénées.
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LIMITES DU FRANÇAIS A L'OUEST
MORBIHAN 1.
La ligne de division des deux langues commence aux salines d'Herbignac sur le territoire du département de la Loire-Inférieure, traverse la Vilaine au-dessous de La Roche-Bernard. Elle suit le tracé suivant :
Communes de langue française.
Herbignac, 1.
La Roche-Bernard.
Nivilliac (Nivillac), 2.
Béganne, 3.
Caden, 4.
Limerzel, 5.
Pluherlin, 6.
Ploucadeuc (Pleucadeuc).
Bohal, 7.
Saint-Maurice 2, 8.
Brignac, 9.
Saint-Nicolas, 10.
Plumelec.
Billo, 11.
Gueheno, 12.
La Chapelle es Brieres (La Chapelle
des Brières), 13. Buleon, Trève, 14. Radenac, 15. Reguiny.
Credin (Crédin), 16. Rohan.
Saint-Gauvry, 17. Saint-Samson, 18. Gueltas, 19. Saint-Gonnory (Saint-Gonnery), 20.
Communes de langue bretonne.
Penestin, 21.
Camoil (Camoel).
Férel (Feret), 22.
Arzal, 23.
Marzan, 24.
Peaule.
Le Guerne, Trève (Le Guerno), 25.
Noyai Muzillac, 26.
Questembert.
Molac, 27.
Larré, 28.
Elven.
Monterblanc, 29.
Plaudren, 30.
Saint-Jean de Brevelay, 31.
Saint-Alloueste (Saint-Allouestre), 32.
Moreac, 33.
Naizin, 34.
Ker Fourne, Trève, 35.
Noyal-Pontivy, 36.
Saint-Corand, Trève, 37.
Croissanvec, 38.
Ici, la ligne entre dans le département des Côtes-du-Nord.
NOTES. — I. — Les deux tiers du département sont bretons; la partie française comprend une partie des arrondissements de Vannes et de Ploermel plus la commune de Saint-Gonnery, qui est de l'arrondissement de Pontivy (Lettre signée Julien, Préfet, 16 Juillet 1906).
1. La carte n'est pas dans le manuscrit de la Bibliothèque Nationale. N. Acq. fr., 5913. J'ai fait photographier une carte d'un Allas conservé aux Archives Nationales. C'est l'exemplaire que Napoléon avait dans ses bagages à Waterloo. J'y ai reporté les indications que Coq. de Montbret avait transcrites d'après la carte fournie par le Préfet Julien en 1806.
2. Entre Bohal et Brignac la liste porte Saint-Maurice qui ne se trouve pas sur la carte que j'ai fait photographier, laquelle donne Saint-Guiomard. La carte de Gassini indique La Chapelle-de-Bois.
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538 APPENDICE
II. — Le Préfet, rectifiant la carte qu'il avait envoyée en Juillet, écrit le 31 octobre 1806. Il reconnaît « que le cours de là Vilaine sert effectivement de séparation aux deux langues, mais il dit que, quoiqu'en effet la langue française soit dominante à Penestin, Camoel et Servet, situés au sud de la rivière, cependant on y parle aussi le breton, ce qui l'a déterminé à prendre son point de départ des Salines d'Herbignac afin de n'omettre aucun des lieux où le breton est connu » (Rouen, 721).
CÔTES-DU-NORD 1.
Communes de langue française.
Saint-Maudon, 1.
Loudéac.
Cadelac, 2.
Trevé, 3.
Grâces, Trève, 4.
Saint-Thélo, 5.
Le Quillio, Trève, 6.
Uzel.
Allineuc, 7.
Le Bodéo, 8.
Le Harmoet (La Harmoy), 9.
Lanfains, 10.
Saint-Bihy, Trève, 11.
Le Vieux Bourg, 12.
Quintin.
Saint-Thurian, 13.
Saint-Gildas, Trève, 14.
Lezlay, Trève, 15.
Cohiniac, 16.
Boqueho, 17.
Plouvara, 18.
Plerneuf, 19.
Tremuson, 20.
Chateau Laudren (Chatelaudren).
Plelo, 21.
Trégomeur, 22.
Lentie, 23.
Benie, 24.
Etables, 25.
Plourhan, 26.
Saint-Quay, 27.
Trevenec (Treveneuc), 28.
Communes de langue bretonne.
Hemonstoir, 29.
Saint-Caradec.
Saint-Connec, Trève, 30.
Saint-Guén, Trève, 31.
Vieux Marché, Trève, 32.
Merléac, 33.
Saint-Martin des Prés, 34.
Corlay.
Haut-Corlay, 35.
Canihuel, Trève, 36.
Kerper, Trève, 37.
Saint-Gilles Pligeaux, 38.
Coet-Maloen (Coat-Malaouen), 39.
Saint-Conan, Trève, 40.
Senvenlehar (Senven Léhart), Trève,
41. Saint-Fiacre, Trève, 42. Saint-Pever, 43. Lanrodec, 44. Plouagat, 45.
Saint-Jean de Kerdaniel, 46. Bringolo, 47. Goudelin, 48.
Trezignau (Tressignaux), 49. Treguidel, 50. Kerstang, 51. Plegnien (Pleguien), 52. Lanvollon. Lannebert, 53. Pludual, 54. Saint-Laurent, 55. Plouha, 56. Saint-Jean, 57.
Ici, la ligne aboutit à la mer. La partie bretonne renferme les arrondissements de Lannion et Guingamp, une partie de Saint-Brieuc et de Loudéac.
1. Cette carie se trouve dans le manuscrit B. N., Nouv. Acq., 5913. Elle est tirée de l'Atlas National de Dumez. La partie française est coloriée en bleu, la partie bretonne en rouge. La carte a été envoyée par le préfet Boullé en 1806. C'est d'après elle que Coquebert de Montbret a dressé la liste qui suit.
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540 APPENDICE
NOTES. — I. — (Annuaire de l'an XIII). On parle breton dans les arrondissements de Lannion et de Guingamp, dans la partie occidentale de celui de Saint-Brieuc et dans quelques endroits de celui de Loudéac (Rouen, 721).
Le même manuscrit contient deux notes concernant l'une le Finistère, l'autre la Loire-Inférieure. La première est peu importante; la voici: Dans toutes les communes du département on parle les deux langues ; mais le français domine dans les villes et le breton dans les campagnes (M. Derrien, conseiller de préfecture, 1806).
La seconde concerne Batz et les environs : On ne parle breton que dans la commune de Batz et quelques hameaux voisins, encore n'est-ce que parce que leur commerce de sel avec la côte du Morbihan qui le reçoit leur a rendu son usage en quelque sorte nécessaire, car d'ailleurs la langue françoise va jusqu'à la Vilaine. Voilà ce que les commis de la Préfecture de Nantes ont dit à Candolle. Depuis il y alla lui-même et trouva qu'à Pouliguen et au bourg de Batz on parle français, mais que dans tous les villages voisins tels que Rofia, Kergall, Kermoillon, etc., on parle breton et meme les enfans savent à peine le français, les personnes faites parlent toutes les deux langues et leur breton est à peine entendu de ceux de Brest et de Vannes (Candolle, ms.).
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LIMITES DU FRANÇAIS AU NORD ET A L'EST
DÉPARTEMENT DU NORD 1.
NOTES 2. — 1° Dans l'arrondissement de Dunkerque, et dans celui d'Hazebrouck, toutes les communes sont de langue flamande, à l'exception de trois communes de l'arrondissement de Dunkerque, qui sont exclusivement de langue francaise, savoir Gravelines (1), Loon (2) et Mardick (3), et de dix communes de l'arrondissement de Hazebrouck qui sont pareillement uniquement de langue française, savoir Blaringhem (4), Boeseghem (5), Thiennes (6), Haverskerque (7), Merville (8), La Gorgue (9), Estaires, (10) NeufBerquin(11), Steemverck (12) et Nieppe (13) (Rouen, 721, p. 31 ; cf. Bottin, 1806, Rouen, 721, 37).
A Holque et S. Momelin on parle aussi français, mais à ce qu'il paraît, en concurrence avec le flamand
(Ib.).
2° La ligne de séparation des deux idiomes commence sur le bord de la mer, entre Gravelines et Dunkerque 3 et elle contourne (à peu d'exceptions près, que nous venons d'indiquer) l'ancienne province de la Flandre maritime ou flamingante soumise à la France.
La forêt de Nieppe près Armentières est considérée comme formant la séparation des deux idiomes.
Dans l'arrondissement de Lille, il n'y a que la seule commune de Werwick-Sud qui soit de langue flamande.
3° D'après une lettre du préfet du 13 septembre 1806, sur 671 communes, 99 sont flamandes, 572 françaises (Rouen, 191. 152 v° ; cf. Bottin 1806).
1. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale sus-indiqué. Elle a été dressée par Drappier, Ingénieur des Ponts et Ch. Des points intéressants y sont marqués en rouge. Des noms de communes ont été ajoutés à la main sur la carte.
2. Ces notes sont tirées de B. N., 20080, et de Rouen, 721. L'auteur s'est servi d'une lettre du préfet en date du 13 septembre 1806.
3. A Dunkerque et Gravelines, le français est presque la seule langue usitée (De Halloy, Rouen, 721, 60).
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542 APPENDICE
4° Le langage flamand commence à la sortie d'Armentières (Rouen, 721, 41).
5° L'arrondissement de Bergues comprend 59 communes; 4 seulement ne sont pas de langue flamande : Gravelines, Holque, Mardick, S. Momelin (Bottin, Rouen, 721, 9).
6° La langue flamande est d'usage depuis la rivière de l'Aa, dans les deux districts de Bergues et de Hazebrouck, qui forment la Flandre maritime de la France. A la campagne, on ne parle que flamand ; à Dunkerque, flamand et français, on n'y imprime pas en flamand (Rouen, 721, 4).
DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS.
NOTE. — Les habitants des communes de Clairmarais, Ruminghem, des fanbourgs de St-Omer... continuent de parler leur flamand corrompu. Ils s'en servent avec le français qu'ils pratiquent plutôt que leur flamand (sic) (Lettre du sous-préfet du 19 février 1807; Rouen, 721, 48).
DÉPARTEMENT DE LA LYS.
NOTES 1. — L'idiome du pays est ce qu'on appelle vulgairement le flamand, dénomination fort impropre, puisqu'on parle ce langage dans la presque totalité des Pays-Bas. Cependant la langue française n'est ignorée que dans les campagnes, encore la connaissance de cette langue fait-elle tous les jours des progrès sensibles (De Viry, Préfet, Statist, in-f° 54; Rouen, 721, 32).
2° Le département est en entier de langue flamande, à l'exception de six communes de l'arrondissement de Courtrai, savoir Dottignies(1), Espierres(2), Herseaux (3), Luingne (4), Mouscron (5) et Reckem (6), dans lesquelles on ne parle que français 2.
Les communes du même arrondissement de Courtrai où l'on parle concurremment flamand et français, sont Aelbeke (7), Autryve (8), Avelghem (9), Bavichove (10), Belleghem (11), Beveren (12), Bisseghem (13), Bossuyt(14), Caster (15), Coyghem (16), Courtrai, Dadizeele (17), Desselghem (18), Gulleghem (19), Haerlebeke, Helchin (20), Heule (21), Ingelmunster (22), Iseghem (23), Kerkhove (24), Lauwe (25), Marcke (26), Menin, Moorseele (27), Rolleghem (28), Roulers, St-Genois (29), Sweveghem (30), Tieghem (31), Vive-St-Eloi (32), Wacken (33), Waermaerde (34), Wevelgbem (35).
1. Ces notes sont tirées de B. N., 20080. Cf. Rouen, 721, 31-32. L'orthographe des noms de lieux n'est pas, dans les notes des manuscrits, strictement conforme à l'orthographe des cartes. Devais-je l'y rapporter ? Ici il m'a paru plus expédient de remettre ces noms sous la forme qu'ils ont actuellement d'après le Dictionnaire des Communes... de Guyot frères, Bruxelles, 8°. Mes lecteurs pourront toujours retrouver dans les cartes les anciennes façons d'écrire.
Pour les noms qui manquent au recueil de Guyot, j'ai suivi les cartes, et marqué les noms d'un point en haut.
2. Une lettre du préfet Chauvelin, du 19 août 1806, disait : Reckem, Mouscron, Luingne, Herseaux, et Dottignies (ms. 721, 38). Coquebert de Montbret a préféré suivre une note d'Hénissart (Ib., 36).
La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale. N. acq. fr. 5913. La partie française y est teintée en rouge.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 543
Les communes du même arrondissement de Courtrai où l'on parle exclusivement flamand et où le français n'est compris que d'un petit nombre d'hommes instruits, sont : Aerseele (36), Anseghem (37), Cachtem (38), Caeneghem (39), Ceurne (40), Deerlyck (41), Denterghem (42), Hemelgem (43), Gyselbrechteghem (44), Heestert (45), Hulste (46), Ingoyghem (47), Ledeghem (48), Lendelede (49), Marckeghem (50), Meulebeke (51), Moen (52), Oesselghem (53), Oostroosebeke (54), Ooteghem (55), Oyghem (56), Rolleghemcappelle (57), Rumbeke (58), Vichte (59), Vive-St-Bavon (60), Wielsbeke (61), Winkel-St-Eloi (62).
3° Dans l'arrondissement, 52000 habitants parlent français, soit exclusivement, soit concurremment avec le flamand; 121 à 122 000 ne parlent que flamand.
4° En venant de Lille, c'est à Menin que commence le flamand.
5° C'est la Lys qui sépare les deux idiomes. Dans l'arrondissement d'Ypres, il se trouve quelques communes, où le français est plus usité que le flamand : Messines, Neuve-Eglise (63), Warneton, Wytschaete (64), BasWarneton (65), Commines, Hollebeke (66), Houthem-lez-Ypres (67), Zantvoorde (68), Werwiq (B. N., 20080, 33; cf. Rouen, 721, 33. (Le renseignement vient de Henissart).
6° On parle flamand à Courtrai et à Menin, mais français à Tournai, flamand à Enghien, Grammont... On trouve aussi cette langue pour la première fois sur la route de Bruxelles à Hal.
7° Dans le canton d'Avelghem (Lys), on ne parle que flamand ; mais de
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544 APPENDICE
l'autre côté de l'Escaut, on ne parle que français à Escanaffles (Jemmapes). Il en est de même à Espierres sur la rive gauche de la même rivière (Van Tieghem, juge de paix à Avelghem, 1807; Rouen, 721, 54).
DÉPARTEMENT DE JEMMAPPES. (Actuellement province de Hainaut) 1.
1° Ce département est en totalité de langue française, à l'exception de huit communes des cantons d'Enghien, de Lessines et d'Ellezelles, situés à son extrême lisière, tout près du département de l'Escaut, qui est du pays flamand.
2° A Enghien, les habitants sont flamands, mais les trois quarts parlent les deux langues.
A Marcq, les cinq sixièmes sont flamands.
A Petit-Enghien, les deux tiers sont flamands.
A Hoves de même.
A St-Pierre Cappelle de même.
A Bievene, les cinq sixièmes sont flamands.
A Acren-St-Martin et St-Gérion réunies 2, les deux tiers sont flamands (mais cependant le français domine) (?).
A Everbecq, la moitié est flamande (De Coninck, Autryve, 1896, B. N., 5913).
3° A Ellezelles, on parle exclusivement français ; cependant, il s'y trouve deux petits hameaux sur la frontière du département de l'Escaut, vers Audenaerde, dont les habitants ont l'idiome flamand.
4° A Flobecq, on parle aussi exclusivement français, mais il s'y trouve un hameau où l'on ne parle que flamand. Ce hameau est soumis pour la juridiction spirituelle à la commune d'Opbrakel, département de l'Escaut.
5° À Everbecq, l'idiome flamand est le plus usité, mais les gens instruits savent le français.
6° A Wodecq, on ne connaît que la langue française (Lettre de M. Desmottes, juge de paix, 1807 ; Rouen, 721, 27).
Les autres communes voisines, où l'on ne parle que français, sont Wodecq, Bassilly, Silly, Thoricourt, Steenkerque et Petit-Roeulx (B. N., 20080, 35).
Escanaffles. On n'y parle que français. La commune se trouve vis-à-vis le canton d'Avelghem (Lys), qui est de langue flamande. De l'autre côté de l'Escaut, c'est cette rivière qui sépare de ce côté les deux idiomes (B. N., 20080, 33). Ces renseignements sont conformes à une note de Bricoult, juge de paix (1807), qui, toutefois, ne mentionne pas Wodecq (Rouen, 721, 55).
DÉPARTEMENT DE L'ESCAUT 3. (Actuellement province de la Flandre Orientale).
1° Ce département est en entier de langue flamande, à l'exception de trois communes de l'arrondissement d'Audenarde, limitrophes du département
1. Cette mention fait voir que Coquebert de Montbret travaille après 1815. Voir ms. B. N., 20080, 35. Cf. 5913, 28.
2. Cette commune s'appelle en français les Acrennes (B. N., 20080).
3. Le département a 628 964 habitants, plus 7 464 militaires.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 545
de Jemmapes, dans lesquelles on parle exclusivement français ou presque, savoir : Orroir, Amougies et Russeignies.
Il y a très peu d'individus de langue flamande dans ces trois communes, qui sont du canton de Renaix.
2° A Renaix même, le flamand domine ; une moitié seulement des habitants parle exclusivement français. Un tiers parle les deux langues 1.
3° A Quaremont et Ruyen, le flamand est le plus usité. Un dixième seulement des habitants de ces deux villages parle un peu français.
4° 11 est à remarquer que la Flandre hollandaise annexée par le gouvernement français au département de l'Escaut pour former l'arrondissement d'Eecloo, en a été séparée par le gouvernement des Pays-Bas pour être unie à la province de Zélande.
LISTE DES COMMUNES-LIMITES 2. DÉPARTEMENT DE LA DYLE 3.
Communes françaises.
*Stocquois, 1.
Lestocou, 2.
La bruier de Wisbecq, 3.
Pont à Wisbeq, 4. *le Sarliau, 5. *Bierghes, 6. * Saintes, 7.
Ernelle, 8.
Ophain, 9. *Tubize, 10.
Glabbeek, 11. *Plasmar au flasment, 12.
Landuit, 13.
Courte au bois, 14.
Communes flamandes.
*Warelles, 67.
Petit Enghien, 68. *Staleeldriesch, 69. *Ham, 70. *Mussain, 71.
Honsocht, 72.
Lembecq, 73, *Wogerberg, 74.
Malay (Hal).
Rodenem, 75.
Schembeck, 76.
Ensuite, la ligne de division traverse le bois de Hal et la forêt de Soigne.
1. Les notes 1 et 2 sont données d'après les renseignements de M. Fostier, juge de paix. Elles ont été transmises par Beyens, sous-préfet, en 1807 (Rouen, 721, 17 et 57).
2. Un astérisque remplace un signe placé par Coquebert de Montbret pour indiquer les communes les plus voisines de la limite. Je rappelle que le point en haut à la suite du nom indique la forme donnée par les cartes. M. le professeur Haust, de Liège, qui a bien voulu revoir les épreuves de ce travail, m'a fourni un certain nombre d'identifications qui sont ajoutées entre crochets, ainsi que les autres renseignements que je lui dois.
3. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale. Elle a été gravée à Bruxelles par Maillart et Soeur (an VIII). La limite y a été tracée à la main.
Aucune lettre d'envoi n'accompagne la carte, mais une note en marge nous avertit qu'elle a été envoyée par le préfet Chaban, le 17 juillet 1806, et qu'il en garantit l'exactitude Une « ligne à l'encre rouge laisse au Sud les communes où la langue française est seule en usage » (Cf. Rouen, 721, 69-72 et B. N., 20080, 36).
Histoire de la langue française. IX. 33
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546
APPENDICE
Communes françaises.
Basse noucelle, 15.
Andegin, 16.
Sartmoulin, 17. *l'Ermite, 18.
Le Straye, 19.
Le Chenoi ou Revelinge, 20.
Le Mesnil, 21. *Waterloo, 22.
Joli bois, 23.
Le Roussart, 24. *Gaillemarde, 25.
Annonsart, 26. *Longue queue, 27. *La Hulpe, 28. *Ter Holst, 29. *Rosières cense du hat, 30. *Rosières, 31.
Rixensart, 32. *Chambre [Champles], 33.
Bierges, 34.
Wavre.
La Bawete, 35.
Stadt, 36.
N. D. de bas Wavre, 37.
Gastuche, 38. *Laurensart, 39. *Del Motte [La Motte], 40. * Archennes, 41. *Malaise, 42. *La Chaussée, 43. *Pecrot, 44. *Nethen, 45. *Wez, 46. *Hamme, 47. *Abbaye de Valduc, 48. *Mille, 49. *Beauvechain, 50. *Les (trois) Burettes, 51. * L'Ecluse, 52.
La Tourette, 53.
Sclimpré, 54.
Wahenges, 55.
Saint-Remy Geest, 56.
Geest Sainte-Marie, 57.
Geest Saint-Jean, 58. *Zetrud-Lumay, 59.
Communes flamandes.
Tourneppe, 77. *Rieler, 78.
* Prieuré de 7 fontaines, 79. Alsemberg, 80.
Rhode, 81. Den Hondt, 82. Grand Espinette, 83. Lausrode, 84. Bregtenbroek, 85. Prieuré de Groenendael, 86. Hoeylaert, 87. Terheyden, 88. Vlierbeek, 89. *Malaise, 90. Overyssche ou Isque, 91. Derdeck [Terdek], 92. Tombeek, 93.
* Cense du templier, 94. Byland [Bilande], 95.
*Ottenbourg, 96.
* Cense rouge , 97. *Clabeek, 98. *Abbaie de Florival, 99.
Neipoten [Neerpoorten], 100.
Terlaen [Terlaenen], 101.
Wolfshoven [Wohlshagen], 102. *Tweenberg, 103. *Rhode-Ste-Agathe (St Achtenrode), 104.
Beaumont, 105.
Weert, 106.
forêt de Molendael (en entier).
Denolm [lire den Olm ?], 107.
Soet Waeter [Eaux douces], 108.
Maria Magdalena Vaelbeek, 109.
Blanden, 110.
Roode Cappel [Chapelle Rouge] 111.
Molendael, 112. *Durdu, 113.
Opvelp, 114.
Houxem- [Honsem], 115.
Babelom, 116.
Meldert, 117.
Hatem [Hautem-S.-Catherine], 118.
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548 APPENDICE
Communes françaises.
*Pietremal [Piétremeau], 60.
Pietrain, 61.
Herbais, 62.
Noduwez, 63. *Hampteau, 64.
Libertange, 65.
Linsmeau, 66.
Communes flamandes.
Nerm, 119. *Hougaerde, 120.
Bellikom , 121.
Overlaer, 122.
Tirlemont.
Rommersom, 123.
Angaerde [Autgaerden], 124.
Ast, 125.
Goidsenhove ou Gossoncourt, 126. *Chapeauveau, 127.
Op-Heylissem, 128.
Abbaye d'Heylissem, 129.
Neer-Heylissem, 130.
Ici, la ligne entre dans le département de l'Ourthe.
NOTES. — 1° Ce département est pour environ deux tiers de langue flamande et un tiers de langue française.
Dans l'arrondissement de Bruxelles, la moitié des communes parle flamand et l'autre français. Dans celui de Louvain, la très grande majorité des communes est du pays flamand.
Dans celui de Nivelles (anciennement Brabant Wallon), presque toutes parlent français.
2° L'arrondissement de Nivelles est tout wallon, excepté les environs de Perinnes et de Vollezeel et les deux endroits de la cense du Templier. La route de Hal à Enghien fait la limite entre Bierghes et Ham.
3° Dans Bruxelles même, on parle plus français que flamand, dans la rue haute et ses contours, la ville haute et les marchés, tandis que le flamand domine vers le canal, la porte de Schaerbeek, celle de Louvain 1.
4° Laeken. — Au village de Saint-Gille, on ne parle que le flamand, et, à deux lieux de là, en suivant la même route, à Waterloo, on ne parle que français. Boschwort [Boits fort], Den Ren (?) qui ne sont qu'à une heure de Waterloo, sont de langue flamande. La forêt de Soignes ne fait-elle pas la séparation ? (Coquebert de Montbret, 721, 21).
5° Le dictionnaire des départements réunis dit :
« La langue flamande est la seule usitée dans les arrondissements de Bruxelles et de Louvain, à l'exception de la ville de Bruxelles, où l'on est en quelque sorte plus familiarisé avec la langue française. Dans l'arrondissement de Nivelles, au contraire, le langage ordinaire est le wallon.
« L'arrondissement de la sous-préfecture de Nivelles comprend Brainel'Alleud, Genappe, Herinnes, Jauche, Jodoigne, Mellery, Nil-Saint-Martin, Perwez, Tubize, Wavre ».
DÉPARTEMENT DES DEUX-NÈTHES.
Ce département est tout entier de langue flamande, sans aucune exception.
1. Le manuscrit 20080 ajoute : " Les classes supérieures de la Société de cette ville affectionnent l'usage du français, tandis que le flamand est le langage de celles qui se livrent à l'industrie et au commerce ».
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 549
DÉPARTEMENT DE LA MEUSE INFÉRIEURE. (Actuellement province de Limbourg) 1.
NOTES. — 1° Ce département est en entier de langue flamande, à l'exception de quelques communes de la lisière méridionale qui sont françaises wallonnes (B. N., 20080, 38).
Les communes de Lanaye (1), Emale (2), Eben (3), Wonck (4), Bassenge (5), *Herstappe(6), et *Otrange(7), Roclenge (8), sont les seules où l'on parle exclusivement wallon. Dans celle de *Heur-le-Tiexhe, *Lowaige (9), *Russon (10), on parle concurremment wallon et flamand, et aussi, à ce qu'il paraît, dans celle de Hallembaye 2.
2° Le canton de Tongres est composé de vingt-six communes toutes flamandes (excepté les deux de Herstappe et d'Otrange sus-dénommées 3).
3° La commune d'Urmond, située sur la Meuse, dépendait du département de la Roer. Van Alpen l'avait indiquée comme wallonne, c'est une erreur, écrit le préfet, Alexandre Lameth, le 5 août 1806. Il n'y a que sept ou huit familles de bateliers liégeois qui s'y sont établies il y a plusieurs années, qui parlent encore wallon entre eux, et sont du reste obligés de parler le flamand avec les autres habitants, dont c'est l'unique langue (Rouen, 721, 10; cf. B. N., 5912, 124).
DÉPARTEMENT DE SAMBRE-ET-MEUSE. Il est entier et sans exception de langue française (B. N., 20080, 40).
1. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale. Elle est de A. Limozin. La partie française a été colorée en jaune. La mention qui suit entre parenthèses marque après quelle date se place la rédaction des notes.
2. Roggieri, en 1807, disait que dans les communes marquées * on parle exclusivement wallon (Rouen, 721, 52).
3. D'après une note de Vanderlinden, 1807. Rouen, 721, 53.
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550 APPENDICE
DÉPARTEMENT DE L'OURTHE.
Une première carte avait été envoyée par le préfet. Nous ne l'avons plus. En effet, le 16 juillet 1806, le Secrétariat du Bureau de Statistique envoyait au Ministre de l'Intérieur, sous la signature du préfet de l' « Ourte », une lettre où il était dit :
« J'ai l'honneur d'adresser à votre Excellence, conformément à sa lettre du 30 juin, la carte de ce département, sur laquelle j'ai fait tracer la ligne qui sépare les langues allemande et flamande de la langue françoise ».
Comme la carte n'indiquait pas les limites du département, le préfet les marquait.
Cette carte n'est pas dans le dossier. Mais nous savons :
1° Qu'on y avait tiré une ligne AB, se dirigeant de l'Ouest à l'Est, et passant de Pellaines à Houtain. Elle « sépare, disait-on, la langue flamande de la langue françoise dans la partie de ce Département qui touche à ceux de la Dyle et de la Meuse inferieure. Landen est un chef-lieu d'un canton dans lequel on ne parle que la langue flamande ».
2° La « ligne brisée CDE, allant du Nord vers le Sud-Est, passant par Fouron, Henri-Chapelle, Baelen et Membach, qui sépare, dans cette partie, la langue allemande (mauvais dialecte d'Aix-la-Chapelle et de Cologne) de la langue française ».
3° Enfin la ligne « EFG, passant à Schophem, Deidenberg, Recht, et Aldringen (Audrange), qui sépare la langue allemande de la langue française ».
Ainsi, « à l'exception de la seule commune de Rosoux, où l'on ne parle que flamand, la langue françoise, disait-on, est la seule qui soit parlée et écrite dans l'arrondissement de Liège ».
4° « Dans la moitié de l'arrondissement de Malmédy, comprise entre la ligne brisée CDEFG et la limite des deux autres arrondissemens, l'on ne connoit que la langue françoise et, dans l'autre moitié comprise entre la ligne CDEFG et les limites des Départemens de la Meuse inférieure, de la Roer, de la Sarre et des Forêts, on ne connoit que la langue allemande ».
5° « Enfin, dans l'arrondissement de Huy, il n'y a que la partie du canton de Landen, bornée par la ligne AB, où la langue flamande soit la seule connue ».
Le Ministre répondit le 4 août 1806 qu'on n'avait pas bien compris ses désirs : « La ligne de démarcation comprend des parties droites. Par la nature des choses, elle ne peut être que sinueuse, même sur l'espace le plus court. Il veut un tracé qui laisse d'un côté toutes les communes de langue française et de l'autre celles où les dialectes allemands sont le plus en usage ». Et il renvoie la carte au préfet 1.
Une nouvelle carte fut dressée. C'est celle qui est conservée dans le ms. 5913. Nous n'avons pas la lettre qui l'accompagnait, mais nous savons qu'elle a été envoyée le 28 novembre 1806 (Rouen, 721, 78). C'est une carte de Ph. J. Maillart et Soeur, datée de l'an XII.
Les difficultés n'étaient pas toutes résolues par là. En effet, la carte ne concordait pas absolument avec les renseignements fournis par le sous-préfet
1. Arch. N., F17 A (1209-1211).
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 551
de Malmédy. Elle porte au dos une note de Coquebert de Montbret ainsi conçue : « La ligne noire est tracée par le préfet, la ligne rouge est prise d'une carte envoyée par le sous-préfet de Malmédy, qui en garantit l'exactitude, et donne la liste des communes ».
Je rapporterai successivement les indications du préfet (1) et du souspréfet (II).
I
Communes françaises.
Petit-Hallet, 1. Grand-Hallet, 2. Avernas-le-Bauduin, 3. Bertrée, 4. Cras-Avernas, 5.
Trognée, 6.
Boëlhe, 7.
Crenwick, 8.
Berloz, 9.
Bettincourt, 10.
Oleye, 11.
Lantremange, 12.
Bergilers, 13.
Grandville, 14.
Lens-sur-Geer, 15.
Oreye, 16.
Otrange (Wouteringen), 17.
Herstappe (Meuse Inférieure), 18.
Heur-le-Tiexhe » »
Hallembaye » » , 19.
Communes flamandes.
Pellaines 1, 105. Lincent, 106.
Racour (Raedtshoven), 107. Wamont, 108. Wezerein, 109.
Houtain-l'Eveque, 110. Montenaeken (Meuse Inférieure), 111.
Corthys » » , 112.
Verrea » » , 113.
Fresin » » , 114.
Rosoux , 115. Corswarem (Meuse Inférieure), 116.
Hasselbroeck » » , 117.
Roclenge » » , 118.
Neer-Heers » » , 119.
Op-Heers » » , 120.
Tongres » »
Fouron-le-Comte, 121. Schophem, 122.
1. [Pellaines, Lincent, Rocour sont aujourd'hui communes wallonnes.]
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552 APPENDICE
Communes françaises.
Loen, 20.
Lixhe, 21.
Navagne, 22.
Mouland, 23.
Merchault (Meuse Inférieure), 24.
Visé.
Berneau, 25.
Bombaye, 26.
Warsage, 27.
Neufchateau.
Conincks Heyde , 28.
Knuppelstok, 29.
Saint-Jean-Sart, 30.
Abbaye de Val Dieu, 31.
Altena 32.
Donsart , 33.
Kruten Straete , 34.
Gorhez, 35.
Krutz Beuck , 36.
Tergreete, 37.
Messitert, 38.
Hesselle, 39.
Renoupré, 40.
Hell, 41.
Roisleux, 42.
Froidthier, 43.
Mignerie [Minerie], 44.
Blockhouse, 45.
Crawliez, 46.
Clermont (sur-Berwinne), 47.
Boishainam , 48.
Lohirville, 49.
Grinho [forêt de Grunhault],
Le Sode [La Saute], 51.
Villers, 52.
Houjoux [Hoyoux (Bilstain)], 53.
Herve , 54.
Limbourg.
Runschen, 55.
Communes flamandes.
Fouron-Saint-Martin, 123. Ulvend, 124. Rrutzenberg., 125. Fouron-Saint-Pierre, 126.
Planck, 127.
Teuven, 128.
Hugelstein 2 (Bois du Roi) , 129.
Sinnich, 130.
Op-Sinnich, 131.
Remersdael, 132.
Riesbrugge , 133.
Aubel, 134.
Densuellen , 135.
Roebroeck, 136.
Slaegboom, 137.
Le Welde [Velden (Aubel)], 138.
Morshoff [Maashoff], 139.
Ondort, 140.
Neuve-cour, 141.
Florence (Clermont), 142.
Bruyères, 143.
Alaubhay 3, 144.
Delvoye , 145.
Birven, 146.
Henri-Chapelle, 147.
Couton , 148.
Hockelbach, 149.
Lantzenberg, 150.
Welkenraedt, 151.
Heggen, 152.
Honthen, 153.
Nereth, 154.
Baelen (lez-Limbourg), 155.
Mazarinen, 156.
1. [Voyez, dans le Bulletin de la Soc. liég. de Litt. wallonne (1864), t. 7, 2ç fasc., pp. 1-8, une étude sur la frontière linguistique passant par la commune d'Aubel. Une carte y mentionne Altena, Donsart et Crutsbeuck comme dépendances d'Aubel. Kruten Straete n'y figure pas, non plus que Hell ; mais on y trouve un Moulin d'Iffiel (lire ifiè, altéré du wallon archaïque èfié " enfer »), qui est sans doute le même lieu dit Hell (= nécrl. hel « enfer »).]
2. [Lire Hagelstein, dépendance d'Aubel.]
3. [En wallon a l'aub'hê = « à l'arbrisseau ». Delvoye est le wallon dèl vôye « de la route ».]
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 553
Communes françaises.
Goé, 56.
Blanche Fontaine, 57.
Cartouville. Neuville, 58.
Communes allemandes.
Hunnange, 157. St-Vith.
Rodt, 158. Hindershausen, 159. Crombach, 160. Weisten, 161.
Ici la ligne entre dans le département des Forêts.
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554 APPENDICE.
Communes françaises.
Commanster, 59.
Rogery, 60.
St-Martin, 61.
Bochholtz ou Behault, 62.
Hourth, 63.
Gouvy, 64.
Communes allemandes.
Braunlauf, 162. Maldange, 163. Audrange, 164. Deiffen, 165. Lengeler, 166.
II
Le 18 novembre 1806, le sous-préfet de Malmédy écrit au Ministre. Il envoie la carte où il a tracé « avec l'exactitude mathématique la ligne de séparation des idiomes wallon, allemand et flamand ». Voici la liste qu'il donne des communes limites.
Communes françaises.
Merchault (Meuse Inférieure), 24.
Visé.
Berneau, 25.
Bombaye, 26.
Dalhem, 66.
Nuborg, 67.
Elbane, 68.
Mortroux, 69.
Neufchateau.
Wademont, 70.
La Heusière, 71.
Mouhain, 72.
Asse, 73.
Lombrone, 74.
Wideleux, 75.
Cerfontaine, 76.
Messitert, 38.
Hesselle, 39.
Renoupré, 40.
Hell, 41.
Roisleux, 42.
Froidthier, 43.
Blockhouse, 45.
Crawhez, 46.
Clermont, 47.
Boishainam , 48.
Lohirville, 49.
Le Sode , 51.
Villers, 52.
Herve , 54.
Limbourg.
Communes flamandes.
Fouron-le-Comte, 120. Schophem, 121. Warsage, 27. Conincks Heyde , 28. Knuppelstock, 29. St-Jean Sart, 30. Abbaye de Val-Dieu, 31. Altena, 32. Donsart , 33. Goirhez, 35. Krutz Beuck , 36. Tergreete, 37. Morshoff, 138. Sur le Trieux , 167.
Florence , 142. Bruyères, 143. Alaubhay , 144. Delvoye , 145. Henri Chapelle, 147. Hockelbach, 149. Wilcourt-Heyde, 168. Grinho , 50. Houjoux , 53.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 555
Communes françaises.
Goé, 56.
Pierresse, 77.
Bois de Goé.
Bois de Jalhay.
Jalhay, 78.
Espiester [Herbiester], 79.
Charneux, 80.
Solwaster, 81.
Passe, 82.
Coque en Fagne [Cokaifange], 83.
Baron Haye [Baronheid], 84.
Ster, 85.
Burnenville, 86.
Sur le Tier , 87.
Bevercé, 88.
Mont. 89.
Xhoffraix, 90.
Longfaye, 91.
Theine , 92.
Ovifat, 93.
Robertville, 94.
Champagne, 95.
Faymonville, 96.
Reimonval , 97.
Stembach , [Steinbach], 98.
Oudenval, 99.
Ligneuville, 100.
Le Pont , 101.
Laidevaud , 102. Petit-Hier [Petit-Thier], 103. Blanche fontaine, 57. Burtonville, 104. Neuville, 58.
Communes flamandes.
Lentzenberg, 150.
Honthen , 153.
Heggen, 152.
Baelen (lez-Limbourg), 155.
Runschen, 55.
Communes allemandes.
Membach, 169. Forêt de Hertogenwald. Bois Claysberg. Bois de Monta. Bois de Calbour. Sourbrodt 1, 170. Andrifosse , 171. Bois de Weversée.
Weywertz (Weversée), 172.
Butgenbach ou Bullenge, 173.
Schoppen, 174.
Möderscheid, 175.
Mirfeld, 176.
Eibertingen (Ebertange), 177.
Iveldingen (Iveldange), 178.
Montenau, 179.
Deidenberg, 180.
Born, 181.
Recht, 182.
Obert Emmels , 183.
Rodt, 158.
Hindershausen, 159.
Weisten, 161.
Département des Forêts
Commanster, 59. Rogery, 60. Cierreux, 65. St-Martin, 61. Gouvy, 64.
Braunlaut, 162.
Maldange, 163.
Aldringen (Audrange), 164.
Bochholtz ou Beho, 62.
Hourth, 63.
Deiffen, 165.
Lengeler, 166.
1. [Aujourd'hui commune wallonne. |
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556 APPENDICE
A cette carte était joint un état nominatif des 84 communes de l'arrondissement, réparties par langues 1.
Cet état est conservé dans le manuscrit 5913. Le voici :
Noms des communes. Français. Allemand. Flamand.
Amel fr. a. —
Andrimont fr. — —
Arbrefontaine fr. — —
Aubel fr. — —
Baelen — — fl.
Basse-Bodeux. ...... fr. — —
Beho fr. — —
Bellevaux fr. — —
Bilstain fr. — —
Bovigny. fr. — —
Bra fr. — —
Bullenge — a. —
Butgenbach — a. —
Call — a. —
Chevron fr. — —
Clermont fr. — —
Cornesse fr. — —
Crombach — a. —
Cronenborg — a. —
Dalheim — a. —
Dison fr. — —
Ensival fr. — —
Eupen — — fl.
Eynatten — — fl.
Fosse fr. — —
Fouron-St-Martin — — fl.
Fouron-St-Pierre — — fl.
Francorchamps fr. — —
Gemmenich — — fl.
Gleize . fr. — —
Goé fr. — —
Grand-Halleux fr. — —
Grand-Rechain fr. — —
Halschlag — a.
Hellenthal — a.
Henri-Chapelle — — fl.
Hergenrath — — fl.
Hodimont fr. —
Hombourg — — fl.
Jalhay fr.
Julémont fr.
Kettenis ... fl
1. Arch. N., F17A 1209. Le présent tableau a été dépouillé par Coquebert de Montbret (voir ms. 20080, qui reproduit la lettre de M. de Périgny).
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 557
Noms des communes. Français. Allemand. Flamand.
Lambermont fr. — —
Lierneux fr. — —
Limbourg fr. — —
Lommersweiler — a. —
Lontzen — — fl.
Malmedy fr. — —
Membach — — fl.
Meyerode — a.
Montzen — — fl.
Moresnet — — fl.
Neufchâteau fr. — —
Olne fr. — —
Petit-Rechain fr. — —
Raeren — — fl.
Rallier fr. — —
Recht — a. —
Reid(La) fr. — —
Reuland .1 — a. —
Sart fr. — —
St-Vith — a. —
Schleyden — a. —
Soiron fr. — —
Spa fr. — —
Staumont [Stoumont]. fr. — —
Stavelot fr. — —
Steffler — a.
Stembert fr. — —
Teuven. .... ... — — 11.
Theux fr. — —
Thommen — a. —
Undenbredt — a. —
Verviers fr. — —
Viel Salm fr. — —
Wane [Wanne] fr. — —
Wegnez fr. — —
Welkenraedt — — fl.
Waimes fr. — —
Wolfsheide — a. —
Xhendelesse fr. —
Fait à Malmédy le 17 novembre an 1806. — PÉRIGNY. 1. [Aujourd'hui dépendance d'Aubel].
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558 APPENDICE
DÉPARTEMENT DES FORÊTS 1. — COMMUNES-LIMITES.
Communes françaises.
Gouvy, 1. Limerlé, 2. Rettigny, 3. Sommerain, 4. Taverneux, 5. Houffalize. Cowan, 6. Tavigny, 7. Boeur, 8. Hardigny, 9. Wicourt, 10. Neuf Moulin. Mabompré, 11. Vellereux, 12. Compogne, 13. Noville, 14. Longvilly. 15. Harzy, 16. Wardin, 17. Assenois, 18. Hompré, 19. Villers-la-bonne-eau, 20. Sainles, 21. Hollange, 22.
Strainchamps, 23. Menufontaine, 24. Hotte, 25. Witry, 26. Anlier, 27. Habay-Ia-Neuve, 28. Habay-la-Vieille, 29. Villers-sur-Semoy, 30. Ste-Marie, 31. Etale. Vance,32.
Communes allemandes.
Nieder-Besslingen ou Bas Bellain, 39.
Hachiville, 40.
Asselborn, 41.
Boegen (Boevange), 42.
Brachtenbach, 43.
Oberwampach, 44.
Eschweiler ou Gelborn, 45.
Winseler, 46.
Doncols, 47.
Tarchamps, 48. Harlange, 49.
Surre (Syr).
Boulaide, 50.
Tintange, 51.
Warnach, 52.
Bondorf ou Bigonville, 53.
Bodange, 54.
Fauvillers 2.
Wisembach, 55.
Martelange, 56.
Volwelange, 57.
Holtz, 58.
Obercolpach, 59.
Attert, 60.
Schodeck, 61.
Nobressart, 62.
1. Le 30 août 1806, le préfet avait envoyé la carte demandée le 30 juin et réclamée le 23 août. Le ministre en a accusé réception le 15 septembre (A. N., F17A, 1209). Mais Coquebert de Montbret nous avertit qu'elle a été distraite pour être mise dans le Carton des Vignes. Elle ne s'y trouve plus.
M. Funck, archiviste à Luxembourg, sur la prière de M. Esch, professeur à l'Athénée, — je les remercie ici tous deux — a bien voulu en rechercher la minute, mais ne l'a pas retrouvée. Les croquis sont faits d'après la carte donnée par l'Atlas, auquel j'ai déjà eu recours plus haut. Voir p. 536.
2. [Fauvillers est wallon, mais il a des sections de langue allemande (Bodange et Wisempach)].
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560 APPENDICE
Communes françaises.
Châtillon, 33. St-Léger, 34. Bleid, 35. Signoulx, 36. Mussy-la-Ville, 37. Musson, 38.
Communes allemandes.
Thiaumont, 63. Hachy, 64. Fouché, 65. Arlon.
Toernich, 66. Habergy, 67. Meix-le-Tige. Rachecourt, 68. Halanzy 1, 69.
NOTES. — 1° La partie allemande, dit La Coste en 1806, comprend les arrondissements de Luxembourg, Diekirch et Bitbourg en entier et une petite partie de celui de Neufchâteau, savoir : les communes de Rachamp, Tarchamps, Harling, Surret, Boulaide, Tintange, Bondorf ou Bigonville, Varnach, Bodange, Fauxvillers, Wisembach, Martelange, Volwelange, Hachy. Il annonce avoir écrit au sous-préfet de Neufchâteau pour connaître la démarcation dans son arrondissement. Le ministre remercie. Il demande la traduction de l'Enfant prodigue en wallon des environs et en allemand d'Eupen. Il a à coeur de connaître et de comparer tous les dialectes de l'Empire. Il a fait reporter les indications fournies sur la grande carte de Ferraris. Le 24 juin 1807, le sous-préfet envoie le tableau que nous donnons ci-après. Le ministre accuse réception le 13 juillet.
ARRONDISSEMENT DE NEUFCHÂTEAU.
Tableau des communes où l'on parle allemand et de celles où la langue française est d'un usage général 2.
Noms des communes où l'on parle Canton. Mairie. allemand. français.
Bastogne Bastogne — Bastogne
Isle-de-Pré
Hemroulle
Savy
Lusery
Bizori
Nette
Mont
Marvie
Bertogne — Bertogne
Bethomont Rahimont
1. Les trois dernières sont aujourd'hui wallonnes.]
2. Ce travail a été sinon fait, du moins transcrit avec une extrême négligence. Nous avons dû y faire de nombreuses corrections. Ainsi de Fays-les-Veneurs on avait fait trois localités !
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 561
Noms des communes où Von parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Bastogne Boeur — Boeur
(suite) Buret
Vandebourcy
Compogne — Compogne
Givry — Givry
Givroulle — Givroulle
Trois Monts Gives Frenet Berhain
Harzy — Harzy
Benonchamps Mageret
Longchamps — Longchamps
Monaville Witbimont Rollé Champs Flamisoulle Menil-Fays
Longvilly — Longvilly
Mabompré — Mabompré
Mande-St-Etienne — Mande-St-Etienne
Noville — Noville
Cobru Bourcy Recogne Vaux
Rachamps — Rachamps
Hardigny Wicourt
Wardin — Wardin
Bras
Vellereux — Vellereux
Engreux Bonnerue
Histoire de la langue française. IX.
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562 APPENDICE
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Etalle Anlier — Anlier
Vlessart Louftémont Behême
Bellefontaine — Bellefontaine
La Hage St-Vincent
Chatillon — Chatillon
Etalle — Etalle
Lenclos Sivry Buzenol Nantimont
Habay-la-Neuve — Habay-la-Neuve
Châtelet Bologne
Habay-la-Vieille — Habay-la-Vieille
Hachy Hachy —
Fouche Sampont
Rossignol — Rossignol
Rulles — Rulles
Marbehan Houdemont
Sle-Marie — Ste-Marie
Fratin
Tintigny — Tintigny
Breuvanne Ansart Poncelle Le Menil
Vancc — Vance
Chantemelle
Villers-sur-Semois — Villers-sur-Semois
Mortinsart Orsainfaing Harinsart
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 563
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Fauvillers
Bigonville Bigonville —
Romeldange
Boulaide Boulaide
Ebly - Ebly
Chêne
Vaux-lez-Chêne Maisoncelle
Fauvillers Bodange Fauvillers 1
Wisembach Hotte
Menufontaine
Hollange — Hollange
Honville
Lescheret — Lescheret
Martelange Martelange —
Perlé
Radelange
Gremelange
Neufperlé Remoiville — Remoiville
Chaumont
Strainchamps — Strainchamps
Burnon
Surre Surre (Syr) —
Tintange Tintange —
Cel 2
Witry — Witry
Traimont Volaiville Winville
Wolwelange Wolwelange —
Parette
Warnach Warnach —
1. Dans la liste des communes-limites, cette localité est portée comme allemande. [Voir p. 558, n°2.]
2. [Lire OEil, dépendance de Tintange].
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564 APPENDICE
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Florenville Les Bulles — Les Bulles
Ste-Cécile — Ste-Cécile
Conques
Chassepierre — Chassepierre
Laiche Mesnil Azy
Chiny — Chiny
Lacuisine — Lacuisine
Fontenoille — Fontenoille
Florenville — Florenville
Jamoigne — Jamoigne
Prouvy Romponcel Valansart
Izel — Izel
Pin
Martué — Martué
Moyen — Moyen
Muno — Muno
Lambermont Watrinsart
Suxy — Suxy
Tennes — Tennes
Frenois
Villers-devant- — Villers-devantOrval
Villers-devantOrval
Houffalize Bihain — Bihain
Fraiture Régniez Petites-Tailles
Chérain — Chérain
Slerpigny Brisy
Vaux
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 565
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Houffalize Cowan — Cowan
(suite) Vissoule
Alhoumont
Gouvy — Gouvy
Houffalize — Houffalize
Limerlé — Limerlé
Steinbach Liherain Rouverois
Mont — Mont
Dinez Wilogne
Mont-Le-Ban — Mont-Le-Ban
Lomré Baclain Langlière
Ollomont — Ollomont
Nadrin Tilly
Ottré — Oltré
Hébronval
Rettigny — Rettigny
Sommerain — Sommerain
Tailles (Les) — Tailles (Les)
Fond
Chabreheid Pisserotte
Taverneux — Taverneux
Fontenaille
Tavigny — Tavigny
Cetturu Goniprez
Wibrin — Wibrin
Mormont Achouffe
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566 APPENDICE
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Neufchâteau Assenois — Assenois
Bernimont
Sart
Cousteumont
Fossés (Les) — Fossés (Les)
Habaru La vaux Nivelet Naleumont
Hamipré — Hamipré
Offaing Nanmoussart Marbay
Léglise — Léglise
Gennevaux Narcimont Wittimont
Longlier — Longlier
Laherie Massul Molinfaing
Ste-Marie — Ste-Marie
Ourt
Laneuville Wideumont Bernimont
St-Médard — St-Médard
Gribomont
Mellier — Mellier
Thibessart Rancimont
Mont-Plainchamps — Mont-Plainchamps
Grapfontaine Hosseuse Nolinfaing
Neufchâteau — Neufchâteau
Orgeo - Orgeo
Sanpont Biourge Nevraumont
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 567
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Neufchâteau Recogne — Recogne
(suite) Neuvillers
St-Pierre — St-Pierre
Libramont Presseux Flohimont Sberchamps Lamouline
Straimont — Straimont
Martilly
Tournay — Tournay
Petit-Voir Grand-Voir Fineuse Verlaine
Tronquoy — Tronquoy
Respelt Semel Morival Gerimont
Warmifontaine — Warmifontaine
Harfontaine Menugoutte
Paliseul Bertrix — Bertrix
Cugnon — Cugnon
Auby Géripont (La)
Fays-les-Veneurs — Fays-les-Veneurs
Nollevaux Plainevaux
Framont — Framont
Anloy La Rochelle
Herbeumont — Herbeumont
Jehonville — Jehonville
Sart Acremont
Mortehan — Mortehan
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568 APPENDICE
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Paliseul Oflagne — Offagne
(suite) Assenois
Glaumont
Opont — Opont
Frêne Beth Our
Paliseul - Paliseul
Launoy — Merny
Carlsbourg
Sibret Amberloup — Amberloup
Menil Héropont Fosse t Oreux Sprimont Wachiboux Herbaimont Aviscourt
Assenois — Assenois
Glaumont
Flamierge — Flamierge
Tronle
Bercheux — Bercheux
Juseret Hompré - Hompré
Grandrue Salvacourt
Houmont — Houmont
Brul
Magerotte Magery Pinsamont
Harlange Harlange —
Mande-Ste-Marie — Mande-Ste-Marie
Chenogne Lavatelle Senonchamps
Morhet - Morhet
Remience
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 569
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Sibret Nives — Nives
(suite) Vaux-les-Rosières
Cobreville Sure
Rechrival — Rechrival
Hubermont
Rechimont
Renaumonl
Milliomont
Laval
Remichampagne — Remichampagne
Rosières — Rosières
Rosière-la - Grande
Roumont — Roumont
Vigny Prelle
Sainlez — Sainlez
Sibret — Sibret
Velleroux
Jodenville
Poisson-Moulin
Flohamont
Renapré
Tarchamps Tarchamps —
Tillet — Tillet
Tompré Chisogne Acul Gérimont
Villers-la-Bonne- — Villers-la-BonneEau
Villers-la-BonneEau
La Baraque
La Tannerie
Lutrebois
Livarchamps
Chiversous
Losange
Virton Bleid — Bleid
Gomery
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570 APPENDICE
Noms des communes où l'on parle : Canton. Mairie. allemand. français.
Virton Dampicourt — Dampicourt
(suite) Mathon
Belmont — Ethe
Belmont
Gérouville — Gérouville
Limes
Harnoncourt — Harnoncourt
Lamorteau
Latour — Latour
Chenois
Meix — Meix
Montquintin — Montquintin
Couvreux
St-Léger — St-Léger
St-Mard — St-Mard
Vieux-Virton
Mussy-la-Ville — Mussy-la-Ville
Musson — Musson
Baranzy Gennevaux Willancourt
Robelmont — Robelmont
Harpigny
Ruette — Ruette
Grandcourt
Signeulx — Signeulx
St-Remy
Sommethonne — Sommethonne
Torgny — Torgny
Villers-La-Loue — Villers-La-Loue
Houdrigny
Virton — Virton
Neufchâteau, le 24 juin 1807. Le sous-préfet, COLLAND.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 571
2° Majeret, près de Bastogne, est le premier village où l'on parle un patois français, mais le patois n'est pas le patois lorrain du canton de Neufchâteau et de Gedinne; au contraire, il ressemble à celui des environs de Liège (De Halloy ; Rouen, 721, 160).
3° A Habay commence un patois français analogue à celui du canton de Gedinne, mais cependant un peu plus éloigné du français (Id., Ib., 154).
4° Suivant le Dictionnaire des départements réunis, l'arrondissement de Neufchâteau est le seul français : il comprend les justices de paix de Bastogne, Etalle, Fauvillers, Florenville, Houffalize, Neufchâteau, Paliseul, Sibret, Virton (Ib., 155).
5° Quartier allemand: Luxembourg, Arlon, Bitburg, Echternach, Diekirch, Grevenmacher, Remich.
Quartier wallon : Durbuy, Bastogne, Chiny, Houffalize, Marche, Neufchâteau, Laroche, Virton.
Ces quinze villes sont celles qui avaient le droit de députer aux États de la province (Mém. hist. des Pays-Bas autrichiens par le comte de Nenny. Bruxelles, 1785, II, 62; Ib., 156).
On ajoute: « Une ligne passant par Fouron, Henri-Chapelle, Baelen, Membach, sépare français et allemand. Elle continue par Schoppen, Diedemberg, Recht et Aldringen.
« La ligne passe par la forêt d'Hertogenwald, par le bois de Weversée et par le bois de Taiffen. Buttgembach, autrement Bullenge, est le dernier endroit allemand ; près de là est Bulligen. »
Il n'est pas besoin de montrer comment les premières indications de cette note sont en contradiction avec celles du sous-préfet.
Voici quelques autres observations qui m'ont paru présenter un certain intérêt.
1° Limbourg. — M. Monge m'a dit, en 1805, que cette petite ville d'environ 2 000 habitants, est seule de langue française, tandis que ses environs sont de langue allemande, notamment Verviers(!) et Eupen, ce qu'il attribue au gouvernement des Princes de la Maison de Bourgogne (Rouen, 721, 80).
2° Le canton d'Otterberg, de l'arrondissement de Kaiserslautern, habité en grande partie par des descendants des Wallons réfugiés, qui ont conservé leur langue, peut être considéré comme formant une enclave de langue française au milieu d'un pays de langue allemande (Annuaire statistique du départ, du Mont-Tonnerre ; Rouen, 721, 85).
3° L'arrondissement de Huy est tout entier habité par des Wallons, sauf quelques communes du canton de Landen, qui sont de langue flamande, savoir : Lincent, Peliaines, Wamont, Racour ou Raetshoven, Wezeren, Houtain-l'Evêque, Landen, Neerwinden, Overwinden, Neerheylissem, Wanghe, Neerhespen, Overhespen, Elixem, Neerlanden, Rumsdorp, Attenhoven, Laer, Wals betz.
L'arrondissement de Liège est en entier wallon, excepté la seule commune de Rosoux (fl.).
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LIMITES DU FRANÇAIS A L'EST DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 1.
Communes de langue française.
Ottange, 1.
Hirps (Cne d'Audun le Tiche), 2.
Ametz (Aumetz), 3.
Rur (Bure, Cne de Tressange), 4
Rochonvillers, 5.
Angevillers(P.: alld) 2, 6.
Algrange, 7.
Fontoy (P. : fr.), 8.
Ste Geneviève (P. : fr.) 3.
Lommerange (P. : fr.), 9.
Hemeviller (Hameviller), 10.
Ersange (Erzange), 11.
Longe Cote (Bellevue dit, — ferme,
Cne de Ranguevaux) (manque sur
la carte). Morlange (Cne de Bionville), 12. Rangevaux (Ranguevaux), 13. Justemont(Cne de Vitry sur Orne), 14. Budange, 15. Sainte Anne (Chapelle, Cne de Fameck),
Fameck), Richemond(P. : fr.), 17.
Ici la ligne traverse la Moselle. Bletange (Blettange, Cne de Bousse),
18. Logne (P. : fr.) (Chateau, Cne de
Rurange), 19. Tremery (Trémery), 20.
Communes de langue allemande.
Volmerange (Wolmerange), 57. Molvange, 58.
Bouch (ferme, Cne Escherange), 59. Nandekay (Nondkail, Cne Ottange),
60. Escherange, 61. Entrange (P.: alld), 62. Saint-Michel (Chapelle, Cne Volkrange,
Volkrange, Batzendal (Batzenthal), 64. Beuvange, 65. Wolkrange (Volkrange) (P. : alld),
66. Konaker (Konacker), 67. Nilvange (Hilvange), 68. Knutange.
Hayange (P. : alld et fr.), 69, Haute-Rémelange ) (Cne de Fameck), Basse-Rémelange ) 70.
Fameck (P. : fr.), 72. Brouck (Bouck, ferme, Cne de Uckange),
Uckange),
Bousse, 74. Landrevange, 75. Burange (Rurange), 76. Montrequienne4, 77. Luttange (P. : alld et fr.).
1. Une carte, envoyée par le Préfet Vaublanc, en 1806, est passée dans le « Carton des Vignes ». Ce carton existe aux Archives Nat. ; mais la carte n'y est pas.
2. P. renvoie au Pouillé des Bénédictins, qui fait partie des anciens pouillés du Diocèse de Metz, publié par M. Dorvcaux, Nancy, 1902. Les mentions all. et fr. signifient que l'endroit y est porté comme étant soit de langue allemande, soit de langue française.
3. Ste-Geneviève, ancienne chapelle, dépendant de la commune de Fontoy, figure sur la carte de Cassini. C'est un indice que la carte envoyée par le Préfet était cette dernière.
4. Des cartes portent Montcrken. La véritable orthographe est Montrequienne (Cne de Rurange).
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574 APPENDICE
Communes de langue française.
Mancy, 21.
Bettlainville(P.: fr. et alld), 22.
Neudelange, 23.
Aboncourt (P. : fr.), 24.
Abb. de Villers (Villers-Bettnach),
25. Rabas (manque sur la carte). Béfey (manque sur la carte). Saint-Humbert (St Hubert, VillersBettnach), 26. Nidange, 27. Epange (ferme, Cne de Charléville),
28. Haut Frene (Le Fresne, Cne de Vry),
29. Belle Fontaine (ferme, Cne de Vry),
30. Mariveaux (Cne de Hayes), 31. Mussy l'Evèque, 32. St Christophe (ancien Ermitage, Cne
de Condé Northen). 33. Haye (Hayes) (P. : fr.), 34. Luc (Lue, Cne de Hayes), 35. Pontigny, 36.
Ladouviller (Landonvillers), 37. Léauville (Lcoviller, Cne de Vaudoncourt),
Vaudoncourt), Vaudancourt (Vaudoncourt), 39. Itzing (ferme, Cne de Bannay), 40. Courcelles Chaussy (P. : fr.), 41. Plapecour (Cne de Vaudoncourt), 42.
Raville (P.: fr. et alld), 43.
Foligny (Fouligny), 44.
Vitrange, 45.
Hemilly, 46.
Aevry (Aoury, Cne de Villers-Stoncourt),
Villers-Stoncourt), Chanville, 48. Faux-en-Forêt (Cne de Vittoncourt),
49. Ariance (P. : fr.), 50. Many (P.: fr.), 51. Armanville 1, 52. Ticour (Thicourt) (P.: fr.), 53. Touville (Thonville), 54.
Communes de langue allemande.
Altroff, 78.
Budange, 79.
Hombourg, 80.
Eberswiller (Ehersviller) (P. : alld),
81. Saint-Bernard, 82.
Bertoncourt (Burtoncourt, moulin,
Cne de Charléville, P. : fr.). Rénange, 83. Charléville (P. : fr.), 84.
Ici une lacune du manuscrit 721, qui ne permet pas de tracer sur la carte la ligne de langue allde jusqu'à Warize.
Warise (Varize) (P. : alld et fr.), 85. Banay (Bannay), 86. Morlange, 87.
Bionville (P. : fr.), 88.
Chevalain (Chevaling, Cne de Fouligny),
Fouligny), Helfedange, 90.
Guinglange (P. : fr. et alld), 91. Ivreling (Yverling). Elvange(P.: alld), 92. Douville (Dorviller), 93.
Fletrange (P. : alld et fr.), 94.
Créange (P.: alld Créhange), 95. Faulquemont (P. : alld et fr.). Mcre Eglise. Adlange (Adelange), 96. Boustrofî (P. : alld), 97. Chemerie (Chémery), 98.
1. Cette localité, qui figure avec le même nom sur la carte de Cassini, est probablement Mainvillcrs.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 575
Brulange (P. : fr.), 55. Araincourt (Arraincourt), 56.
Viller, 99.
Encheviller (Einchwifler). 100.
Landdorff (Landroff), 101.
Haute-Suisse, 102.
Basse-Suisse, 103.
Districh (Destry), 104.
Baronville(P.: fr.), 105.
Morhange.
Rode, 106.
NOTES. — I. — A la porte de Fouligny cesse la langue allemande (Rouen, 721, p. 146)
II. — Ottange, village en avant de Thionville, est le premier endroit où l'on parle allemand. Là aussi commence une différence dans le costume des
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576 APPENDICE
paysans... Quoi que Thionville soit entouré de villages où l'on parle allemand, le français y est actuellement la langue la plus usitée. Il est même des personnes nées à Thionville qui ne savent pas l'allemand (de Hallay, Rouen, 721, p. 140).
II. — Après Metz et avant Saint-Avold, sur la route de Saarbruck, mais plus près de Saint-Avold, commence la langue allemande.
Metz même a du côté de la partie orientale une rue dite des Allemands où toutes les enseignes sont en allemand. Celte rue est principalement habitée par des Juifs allemands. M. Bonnard me l'a dit en 1805 1 (Rouen, 721, p. 135).
DÉPARTEMENT DE LA MEURTHE 2.
Communes de langue française.
Achain, 1.
Bellange(P.: fr.), 2. Haboudange (P. : fr.), 3.
Riche (P. : alld), 4. Metzing (Cne de Riche), 5. Conthil (P.: fr.),6. Zarbeling, 7. Lidrekin (Lidrequin), 8. Lidrezing(P.: alld et fr.), 9. Dordal (ferme, Cne de Lidrezing), 10. Recling (doit être Köcking, Cne de
Wuisse), 11. Bourgaltrofr, 12. Marimont-la-Basse, 13. Bédestroff (P.: fr.), 14. Bassing, 15. Domnon, 16.
Lostroff(P. : alld et fr.), 17. Loudrefing (P. : alld et fr.), 18. Angwiller (P. : fr.), 19. Bisping (P. : fr.), 20.
Communes de langue allemande.
Racrange (P. : alld et fr.), 40.
Bermering, 41.
Besseviller (Besviller, ferme, Cne de
Bénestroff), 42. Rodalbe (P. : alld et fr.), 43. Bénestroff, 44. Wahl (P. : alld et fr.), 45. Nebing(P. : alld), 46. Torcheville(P. alld et fr.), 47. Lhor, 48. Molring, 49. Guinseling (Guinzeling), 50.
Inswiller, 51.
Roderhoff(Rölherhofl), 52. Mittersheim (P. : alld et fr.), 53. Fénétrange (P. : alld et fr.). Romelfing (P. : alld), 54. Bcrthelming (P. : alld), 55. Saint-Jean de Bassel (P. : alld), 56. Gosselming (P. : alld), 57. Dolving(P. :alld), 58.
1. La rue des Allemands est ainsi nommée parce qu'elle conduit à la vieille porto des Allemands qui existe encore. Mais ce nom n'est qu'un abrégé de « Porte des Seigneurs allemands » ou « Porte des Chevaliers allemands », du nom d'un établissement voisin de l'Ordre teutonique, qui disparut en 1552 (voir J. B. Keune, Précis de l'Histoire de la Ville de Metz, Metz, 1910, p. 43 ; Keune était, à cette époque, directeur des Musées municipaux).
Le renseignement que donne ici Coquebert de Montbret paraît en effet des plus douteux. On a naturellement été amené à attribuer ces noms de « Porte des Allemands », « rue des Allemands ", à ce qu'il y aurait eu là des Allemands. Je ne vois aucune preuve, dans les documents du début du XIXe siècle, de la présence de juifs allemands. Les juifs, à Metz, habitaient un quartier spécial. On ne parlait pas allemand dans le quartier en question, et des enseignes en allemand eussent été inutiles. Qu'il y en ait eu une ou deux dans les rues où pouvaient se trouver des Lorrains allemands, c'est possible. Mais il est certainement faux que toutes les enseignes aient été en allemand.
2. La carie est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale, 5913. Elle est de Vigneulles (J. R.). La ligne limite des langues a été tracée en rouge à la main.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 577
Communes de langue française.
Rhode (Rhodes) (P. : fr. et alld), 21. Etang de Stock. Fribourg (P. : fr.), 22. Languimberg (P. : fr.), 23. Diane-Capelle (P. : alld et fr.), 24. Rerprik-aux-Bois (P. : fr.), 25. Sarrebourg (P. alld et fr.).
Imeling (Imling) (P. fr.), 26. Hesse(P. : fr.), 27. Hermelange, 28. Nitting(P. : fr. et alld), 29. Barville (Haute et Basse, Cne de Nitting),
Nitting), Voyer, 31.
Biberkirich (Biberskirich) (P : alld
et fr.), 32. Trois-Fontaines, 33. Abrecheviller (Abreschviller) (P. :
alld et fr.), 34. Vasperviller, 35.
Histoire de la langue française. IX.
Communes de langue allemande.
Langatte (P. : alld), 59. Haut Clocher (P. : alld), 60.
Hoff(P.: alld), 61.
Eich, 62. Bihl(Bühl),63. Schneckenbusch, 64. Brouderdorff (P. : alld), 65. Plaindewalsch (Plain de Valsch), 66.
Archeviller (Arscheviller)(P. : alld),
67. Homert (Hommert) (P. : alld), 68.
Harberg (Harreberg), 69. Walscheid (P. : alld), 70.
Enthal (Ententhal, Cne de Dabo), 71.
37
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578 APPENDICE
Communes de langue française.
Saint-Quirin (P. : alld et fr.), 36. Métairies de Saint-Quirin, 37. Turquestein, 38. Raon-les-Leau, 39.
Communes de langue allemande.
Lottenbacb(Lettenbach, Cne de SaintQuirin), 72. Dabo, 73.
NOTES. — I. — La partie allemande comprend le canton d'Albestroff (excepté Marimont-la-Basse, Lostroff et Loudrefing ; le canton de Fénétrange (excepté Angwiller et Bisping), le canton de Phalsbourg en entier ; le canton de Sarrebourg (excepté Sarrebourg, Rerprik-au-Bois, Diane-Capelle, Reinting, Bebing, Barchain, Xouaquesange, Imeling, Hesse, Biber-kirch et TroisFontaines) ; les communes d'Enthal et Lottenbach, qui sont du canton de Lorquin.
II. — Suivant Camus, dans son Voyage, la langue allemande commence à Heming, sur la route de Strasbourg (Rouen, 721, p. 134).
III. — L'arrondissement de Sarrebourg et trois cantons de celui de ChâteauSalins sont allemands.
L'Erquel. — On y parle patois français corrompu. Trois villages sont allemands : Perle ou Bieterlen, Montmeigni ou Meimiberg et Reiben.
IV. — Dans le bailliage de Schoenbourg, le français est presque inconnu (Environs de Tholey).
V. — Un vingtième environ des habitants parle allemand (Lamoureux, Rouen, 721, p. 133).
DÉPARTEMENT DES VOSGES ET DU BAS-RHIN 1.
Communes de langue française.
Lutzelhausen 3, 1. Viche, 2.
Communes de langue allemande 2.
Ober-Haslach, 21. Nider-Haslach, 22.
1. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale, 5913. C'est une carte en deux couleurs dressée après la création du Département. La limite y a été tracée à la plume.
Pour la partie qui concerne la vallée de la Bruche, des confusions se sont produites dans les notes de Coquebert de Montbret, elles sont toutes naturelles. Le préfet du Bas-Rhin, Shée, en 1806, écrit que les communes de Valdersbach, Rothau, Nasviller, Schirmeck, Barenbach, Russ et Viche « paraissent » être du département des Vosges. Il n'est pas fixé ! En examinant la carte qu'il envoie, on voit que la limite sud-ouest du département du Bas-Rhin est marquée par une limite de croix *****, un peu au nord de Saint-Blaise-la-Roche, dans la vallée de la Bruche, laissant aux Vosges le canton de Saales et des localités de la Haute-Bruche. Mais une autre limite est indiquée par une même ligne de croix *****, plus au Nord, entre Viche et Lutzelhausen. C'était là en effet que passait réellement la limite nord du département des Vosges avant 1870.
La carte présente en outre une troisième ligne qui semble mettre à part une « partie de la principauté de Salm », laquelle avait été annexée au département des Vosges, avec Senones, sa capitale. Malgré ces difficultés, une main inconnnue a, par une ligne de traits, noté fort exactement la limite des langues. A vrai dire, cette ligne ne part pas de Raon-les-Leau, où s'arrêtent les indications relatives à la Meurthe. Elle part — et cela est observé très justement — d'un point situé plus au Nord. J'ajoute donc, en suivant la ligne limite, et en me fondant sur les renseignements fournis par le souspréfet de Saint-Dié, la liste des premières localités de langue française jusqu'à Solbach, où commence la liste dressée par Coquebert de Montbret.
2. D'après les notes sur le département du Bas-Rhin.
3. Cette localité est en réalité de langue allemande, cependant en 1806 le préfet Shee affirme le contraire.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 579
Communes de langue française.
Russ, 3.
Barenbach, 4.
Schirmeck.
Rothau, 5.
Solbach1, 6.
Blanchaurupt (Blancherupt), 8.
Fouday. 7.
Bellefosse, 9.
Belmont, 10.
Le Bambois, 11.
Steige, 12.
Meisengott, 13.
Saint-Martin, 14.
Bussenberg (Bassenberg), 15.
Ville.
Neuve Eglise, 16.
Brettenau (Breitenau), 17.
Fouchy, 18.
Lallay (Lalaye), 19.
Orbeis, 20.
Communes de langue allemande.
Urmatt, 23. Mulbach, 24.
Grenddellbrouch (Grendelbruch), 25. Nasviller (Natzweiler), 26. Breittenbach (Breitenbach), 27. Erlenbach, 28. Trimbach (Trienbach), 29. Tanville (Thanvillé), 30.
Saint-Maurice, 31. Hachenbach (Wagenbach), 32. Diflembach (Dieffenbach), 33. Neufbois (Neubois), 34. Châtenois. Kintzheim, 35. Orschweiller, 36.
NOTES. —I. —Saint-Dié. — De toutes les communes de l'Alsace comprises dans le département des Vosges, celle de Natzwiller, canton de Shirmeck
1. Rouen, 721, p. 122. La liste est donnée en sens inverse dans ces notes.
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580 APPENDICE
(Schirmeck), est la seule où la langue allemande soit plus généralement usitée que la langue française.
Dans les autres communes qui sont Shirmeck, Russ, Barembach, Wische, Neuviller, Rothau, Wildsbach, Waldsbach, la langue française a toujours été en usage; on y entend l'allemand, mais tous les habitants ne parlent que français. Dans la principauté de Salm, la langue allemande n'a jamais été usitée et n'était connue que des officiers du Prince.
Quant aux communes de l'Alsace comprises dans le canton de Saales, Colroy-la-Roche, Ranrupt, Bourg-Brusch, et Saint-Blaise-la Roche, la langue française y a toujours été usitée exclusivement (M. Bizot, le Sous-Préfet, Lett. du 23 août 1806 ; Rouen, 721, p. 131).
II. — Ban de la Roche. — Le roman s'y est conservé fort pur à cause du peu de communication.
III. — La langue allemande, ou plutôt un allemand corrompu, est encore l'idiome des habitans du Bas-Rhin, à l'exception de dix à douze communes, comprises dans les cantons de Ville et Rosheim, qui parlent le patois lorrain, qui est une espèce de dialecte romance. La langue française y est cependant la langue ordinaire de tous les citoyens qui ont pu recevoir une éducation un peu soignée, surtout dans les grandes communes. Depuis la guerre de la liberté, le séjour des corps armés dans les cantonnemens, et les nombreux établissemens formés par des militaires retirés qui ont épousé des habitantes du pays, ont beaucoup contribué à étendre l'usage du français. On peut évaluer le nombre des habitans qui le parlent à un quart de la population (Bottin, Annuaire politique et économique du Département du Bas-Rhin, p. 4. Strasbourg, chez l'auteur, VIIIe ann. Arch. Munic... Strasb. 0.5286) (799).
IV. — Canton de Bar. Le langage est allemand (Bottin, Id., p. 29).
Benfeld (Id., p. 32). Bergzabern (Id., p. 35) Billigheim (Id., p. 37) Bischwiller(Id., p. 40).
Bouxwiller(Id., p. 42). Brumath (Id., p. 45). Candel(Id., p. 48). Dahn(Id.,p. 50).
Dans tous les cantons, c'est la langue allemande qui est indiquée.
V. — Canton de Rosheim. — Le langage est allemand pour 7 communes ; dans les 7 autres, on parle le patois lorrain. Ces communes, situées dans la montagne, sont Belmont, Bellefosse, Solbach, Fouday, Blancherupt ; il est à remarquer que le français leur est également familier (Bottin, Ann. pol. et écon. du département du Bas-Rhin, p. 102).
V. — Canton de Strasbourg. — Le langage est en partie allemand, en partie français (Bottin, Id., p. 122).
VI. — Plus d'un tiers des habilants parle français. La moitié entend cette langue (Bottin ; Rouen, 721, p. 115).
VII. — Grandidier dit qu'on parle roman dans 176 endroits de la Haute et Basse Alsace.
De 1530 bourgs et villages de l'Alsace 176 parlent le romance, savoir dans la préfecture de Befort 66, de Datenried, 65, de Rougemont 6, de Thann 4, dans la vallée d'Orbé 14, de Ville 9, du Ban de la Roche 9. Les habitans anciens s'y sont réfugiés à l'arrivée des Allemands (Schoepflin. On remarquera que certaines de ces indications sont relatives au Haut-Rhin).
VIII. — L'Annuaire du Bas-Rhin pour l'an VIII signale comme parlant
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 581
patois lorrain 6 communes du canton de Villé: Breitenau, Fouchy, Lallay, Steige, Urbeis, Villé;
5 du canton de Rosheim: Belmont, Bellefosse, Solbach, Fouday, Blancherupt.
DÉPARTEMENT DU HAUT-RHIN 1. A. — Partie Nord.
Communes de langue française.
Liepvre, 1.
Musloch (Cne de Liepvre), 2.
Grand et Petit Rombach (Commune
de Sainte-Croix aux-Mines), 3. Sainte-Croix, 4. Saint-Blaise, 5. Fertru, 6.
Sainte-Marie-aux-Mines.
Briosse 2, 7.
Echery (Eschéry, Cne de Ste-Marie), 8.
Saint-Pierre sur l'Hate, 9.
Petite Liepvre(Cne de Ste-Marie), 10.
Aubur (Aubure), 11.
Freland, 12,
Communes de langue allemande.
L'Allemand Rombach, 18. Lannenkirch (Thannenkirch), 19. Roderen, 20.
Roschwyr (Rohrschwyr), 21. Oberberckeim (Oberbergheim, act 1
Bergheim), 22. Ribauviller (Ribeauvillé).
Hunnaweyr (Hunawihr), 23. Ehrlach (Erlach, Cne de Riquewihr),
24. Richenveir (Riquewihr), 25. Kayserberg, 26. Ammerschwir, 27. Saint-Sébastien (Cne de Dambach), 28.
1 La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale 3913. Elle a été envoyée le 23 juillet 1806 par le préfet Fél. Desportes. Elle est analogue à celle du Bas-Rhin. La limite est tracée à la plume.
2. La carte de Cassini porte Brifosse. Brifosse, comme Liepvre, Saint-Pierre-surl'Hate, Eschery, sont des hameaux de la commune de Sainte-Marie.
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582 APPENDICE
Communes de langue française.
Bonhomme (Le), 13. La Poutroye, 14. Orbé(Orbey),15. La Baroche, 16. Pairis (Abbaye), 17.
Communes de langue allemande.
Katzenthal, 29. Nider-Morschweyer (Niedermorschwihr),
(Niedermorschwihr), Notre-Dame des Trois-Epis, 31. Turkeim (Turckheim), 32. Zimmerbach, 33. Walbach, 34. Wihr, 35.
Gunsbach (Günsbach), 36. Munster.
Hohenrodt (Hohroth), 37. Stossveyer (Stosswihr), 38. Sultzern (Sultzeren), 39.
NOTES. — I. — Il paroit qu'il y a une élévation qui sépare les idiomes (carte de Cassini, n° 163, f° 59). Orbey, La Poutroye et La Baroche sont d'un côté, de l'autre Notre-Dame-des-Trois Epis, Ammerschwir, Turckheim.
Le bois de Driteil, près Ribauviller, sépare les deux langues.
Le val de Liepvre est séparé du reste de l'Alsace par une crête qui finit près d'Orschweiler aux environs de Schelestat. Le haut de cette vallée est clairement de langue française ; en descendant, les lieux français et allemands sont mêlés.
Villages français d'Alsace : La Petite Liepvre, Echery, Saint-Pierre-sur l'Hate, Montregné, Saint-Philippe, Sainte-Marie-aux-Mines, qui est partie en Alsace et en Lorraine.
Cette vallée est de Lorraine depuis Sainte-Marie-aux-Mines pour la rive gauche du Liepvre et depuis Saint-Blaise pour la rive droite ; cette partie lorraine finit à Bois l'abbesse et comprend des lieux de noms allemands, tels que le Timbach, Schimbach, Montenbach, L'Allemand Rombach, Grand Rombach, Petit Rombach et des noms français : Liepvre, etc.
II. — Avant la Révolution, la ville de Sainte-Marie était mixte et partagée par une petite rivière appelée la Levrette. La Partie à gauche qui comprend la moitié de la ville s'appelle Sainte-Marie Lorraine. La partie à droite de la rivière qui comprend l'autre moitié de la ville, les petits hameaux de Saint-Biaise, en partie Fertrux, Echery, La petite Liepvre, Faunoux, et Sur l'Hâte s'appelait Sainte-Marie Alsace. Tous ces endroits réunis composent aujourd'hui la commune de Sainte Marie aux Mines, chef lieu de canton, avec une population de 7860 âmes.
Une demie environ de cette population parle indifféremment le français et l'allemand.
Un quart environ ne connaît que la langue française ; un quart environ ne connaît que l'allemand.
Aubur. — 300 âmes environ, dont deux tiers parlent les deux langues et un tiers l'allemand seulement.
Sainte-Croix aux Mines. — 2238 âmes environ, y compris les hameaux de Grand et Petit Rombach, le reste de celui de Saint-Biaise et les maisons éparses dans la montagne.
Liepvre. — 1 446 âmes environ, y compris le hameau de Misloch et les maisons éparses.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 583
L'Allemand-Rombach. — 1385 âmes environ, y compris le hameau de la Hingrie et les maisons éparses.
Dans ces trois dernières communes, la langue française est la seule usitée, mais beaucoup de personnes y parlent aussi l'allemand, ayant des relations continuelles avec ceux des départements du Haut et du Bas-Rhin dont le canton est frontière 1.
B. — Partie Sud. Au ballon d'Alsace limite du département.
Communes de langue française.
La Madelaine (La Madeleine), 1.
Estueffond, 2.
Estueffond-le-Bas (Etueffont Haulet
Haulet 3. Anjouté (Anjoutey), 4. Bourg, 5. Saint-Germain, 6. Félon, 7. Angeot, 8.
La Chapelle (— sous Rougemont), 9. Bretten, 10.
Belmagny (Bellemagny), 11. Etimbe (Eteimbes), 12. Vautiermont (Vauthiermont), 13. Saint-Cosme, 14. Brechaumont, 15. Reppe, 16.
Voussemagne (Foussemagne), 17. Chavanne (Chavannes-sur-l'Etang),
18. Valdieu, 19. Lutranc (Lutran), 20. Romagny, 21. Magny, 22.
Chavannes-les-Grandes, 23. Chavanotte (Chavanatte), 24. Suerse (Suarce), 25. Le Puy (Lepuix), 26. Courtelevant, 27. Rechesy (Réchésy), 28. Beurnevesein (Beurnevesain), 29. Bonfols (Bonfol), 30. Courtavont (Courtavon), 31. Levoncourt, 32. Charmoille, 33. Miserey (Miserez), 34.
Communes de langue allemande.
Oberbruck, 44. Kirchberg, 45. Nider Brucken (Niederbruck)., 46.
Masvaux (Massevaux). Lauw, 47. Rougemont, 48. Remagny (Romagny), 49. Le Val (Levai), 50. Petite Fontaine, 51. Morstwiller (Mortzwiller), 52. Soppe-le-Haut (Soppois le Haut), 53. Soppe-le-Bas (Soppois le Bas), 54. Dieffmatt(Dieffmatten), 55. Recken (Hecken), 56. Sternneberg(Sternenberg), 57. Guebenatt (Guevenatten), 58. Traubach-le-Haut, 59. Traubach-le-Bas, 60.
Elbach (Ellbach), 61.
Volferstorff (Wolfersdon), 62.
Dannemarie.
Retzwiller (Retzweiler), 63.
Manspach (Mansbach), 64.
Saint-Léger (Cne de Mansbach), 65.
Altenach, 66.
Saint-Ulrich, 67.
Mertzen(Merzen), 68.
Struette (Strüth), 69.
Hindlingen, 70.
Petit Fetteraussen (Fetterhausen), 71.
Nider Largue (Nieder Larg), 72.
Mos (Moos), 73.
Durlinstorff (Durlinsdorf), 74.
Liebdorff (Liebsdorf), 75.
1. Munier, juge de paix, 1809 ; Rouen, 721, p. 110.
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584 APPENDICE
Communes de langue française.
Miecourt, 35.
Fregiecourt, 36.
Pleujouse (Cne de Fregiecourt), 37.
Bourrignon, 38.
Pleigne, 39.
Movelier, 40.
Roggenbourg, 41. Soihière (Sovhière), 42. Riedes (Riederwald, Ober-et-Nieder), 43.
Communes de langue allemande.
Ligstorff (Lüxdorf), 76. Winckel (Winkel), 77. Largue (Ober Larg), 78. Lucelle (Lützel), 79. Leuwembourg (Löwenburg), 80. Edensveiller (Ederswiler), 81. Kuffis (Riffis), 82. Wolschwiller (Wolschweiler), 83. Rechentz (Röschenz), 84. Lauffon (Laufen). Liesperg (Liesberg), 85.
La ligne traverse la Birse au-dessus de Lauffon.
NOTES. — I. — La partie française comprend la moitié de l'arrondissement de Belfort, l'arrondissement de Porrentruy en totalité, une très petite portion de l'arrondissement d'Altkirch, l'arrondissement de Delémont presque entier, Le val de diepvre dans l'arrondissement de Colmar (Rouen, 721, p. 118).
II. — Le seuil qui détermine le versant des eaux entre les deux mers détermine aussi à peu près les limites des deux langues (M. Roudouin, 1801. Est-ce exact? demande Coquebert de Montbret, Rouen, 721, p. 117).
III. — Le bois de Gerschweiller paroit faire la séparation des deux langues ; il a au moins trois lieues de long ; d'un côté les eaux vont dans la Largue qui se jette dans l'III. De l'autre elles vont dans la Loutre et la Cauvat qui se jette dans la Savoureuse, qui tombe elle-même dans le Doubs.
IV. — En réponse à une lettre du 11 août 1806, le préfet du Haut-Rhin répond le 27 : « Je dois observer que dans les communes rurales des cantons français le langage généralement en usage est le patois, quelques individus parlent l'allemand et le français, mais ce n'est pas le grand nombre. Les communes parlant allemand sont au nombre de 79 ». Le préfet en donne une longue liste (Rouen, 191) :
Brehaumont(Cne de Fontaine). — « La majeure partie des habitants parlent le patois de France » ; la commune est tout de même comptée comme allemande (signé du Sous-Préfet de Belfort, Mengaud).
V. — Suit une autre lettre contenant la liste des communes parlant français, au nombre de 119.
Chavanotte, Chavannes-les-Grandes, Lutranc, Magny, Romagny, Suerse, et Valdieu sont comptées comme françaises, mais avec celte observation: Une grande partie des habitants parlent l'allemand et le patois.
VI. — Dans la partie française le langage généralement en usage est le patois; quelques individus parlent l'allemand et le français, mais ce n'est pas le plus grand nombre.
Les quatre communes de Leval, Petite Fontaine, Romagny et Rougemont (Con de Masvaux) sont exclusivement de langue française et non de langue allemande, comme le dit le Préfet.
Dans le canton de Dannemarie, les communes de Chavannatte, Chavannes-
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 585
les-Grandes, Lutranc, Magny, Romagny, Suerse, Valdieusont françaises, mais une grande partie des habitants parlent l'allemand et le patois. A Bréhaumont (Canton de Fontaine) la langue allemande est usitée, mais la majeure partie des habitants parle un patois français (Lettre de M. Mengaud, SousPréfet, 25 août 1806; Rouen, 721, p. 108).
C. — Partie ayant cessé d'appartenir à la France, et qui avait d'abord formé le Mont-Terrible.
I. — PORRENTRUY. — Le 26 août 1806, le Sous-Préfet de Porrentruy (4e arrondissement du Haut-Rhin) répond à une lettre du ministre datée du 11 : « La langue française est en usage dans toutes les communes de cette
Sous-Préfecture ; les villes de Porrentruy et de Montbéliard sont les deux seules où un grand nombre des habitants joignent à la connaissance de la langue française celle de la langue allemande.
Dans les communes rurales on parle un patois formé de mots celles, fran-
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586 APPENDICE
çais et allemands ; on y remarque des variétés d'un canton à un autre, notamment entre la partie de l'arrondissement qui dépendoit de la principauté de Montbéliard et celle qui était du ressort de Porrentruy.
Le défaut de sintaxe et de locution grammaticale prouve que ce dialecte n'a jamais pu être considéré comme une langue régulière. »
Et le Sous-Préfet (Daubert) renvoie à l'Annuaire du Haut-Rhin pour l'an XIV, p. 106, 107, 223 ; Rouen, 191 p. 7 ; cf. 721, p. 208.
DELEMONT. Communes. Idiomes usités. Idiome dominant.
Vigneul (Vingelz) 1, 86.
Bienne.
Boujean (Bözingen), 87.
Perles (Pieterlen), 88.
Montménil(Meinisberg), 89
Reiben, 90.
Allemand, Français.
Allemand. (Les personnes de la classe aisée sont les seules qui parlent français.)
Orvin, 91. Evilard, 92. La Hutte, 93. Péri, 94. Plagne, 95. Vauffelin, 96. Romont, 97.
Français, Patois.
Patois. (Les habitants parlent français, mais entre eux ils ne parlent que patois.)
Neuville.
Allemand, Français, Patois.
Patois.
Lamboing, 98. Nods, 99. Diesse, 100. Prêles, 101.
Français, Patois.
Patois. (Il diffère de celui qui est usité dans d'autres communes.)
Corgémont, 102. Cormoret, 103. Cortébert, 104. Courtelary. La Ferrière, 105. Saint-Imier, 106.
Français, Patois.
Patois.
Renens (Renan), 107. Sonceboz, 108. Souvillier (Sonvilier), 109. Trameland-Dessus, 110. Trameland-Dessous, 111. Villeret, 112.
Français, Patois.
Patois.
Dans tout le canton de Courtelary l'allemand n'est usité que dans quelques fermes situées sur les montagnes et par quelques individus résidant dans les
1. Vigneul, en allemand Vingelz, sur la rive gauche du lac de Bienne, au voisinage immédiat de cette ville, fait partie depuis 1898 de la commune de Bienne.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 587
communes. Ce patois a plus d'analogie avec le français que celui de Bienne ; il diffère cependant de celui de Delémont.
Communes. Idiomes usités. Idiome dominant.
Bassecourt, 103. Boécourt, 104. Bourrignon, 38. Chatillon, 115. Corbau, 116. Courchapoix, 117. Courfaivre, 118. Courrendlin, 119. Courroux, 121. Courtételle, 121. Delémont. Develier, 122.
Français, Patois.
Patois.
Elay (Seehof), 123. Glovilier (Glovelier), 124.
Allemand, Patois. Français, Patois.
Allemand. Patois.
Mervelier, 125. Mettenberg (Mettemberg),
126. Montsevelier, 127.
Français, Patois, Allemand.
Patois. (Dans ces trois communes, l'allemand est seul en usage dans les métairies.)
Movelier, 40.
Français, Patois.
Patois.
Pleigne, 39.
Français, Patois.
Patois. (L'Allemand et le patois sont en usage dans les métairies.)
Rebevelier(Rebévelier) ,128 Rebeuvelier, 129. Roggenburg, 41.
Français, Patois. Français, Patois. Allemand, Patois.
Patois. Patois. Allemand.
Rossemaison, 130. Saulcy, 131.
Français, Patois.
Patois.
oceux, 132.
La Scheulte, 133. Allemand, Patois. Allemand.
Soyhière (Sovhières), 42.
Soulce, 134.
Undervilier (Undervelier),
Français, Patois.
Patois.
135.
Verme, 136.
Français, Patois, Allemand.
Patois. (L'allemand est en usage dans les métairies.)
Viques (Vicques), 137. Vellerat, 138.
Français, Patois.
Patois.
NOTES. — I. — La prévôté de Moutiers Grandval ou Munsterthal est de langue française, à l'exception des hameaux Peslay et de la Scheulte et de quelques maisons éparses sur les frontières du Canton de Soleure.
Le patois de cette prévôté ressemble beaucoup au franc-comtois ; il est dur, traînant et inintelligible non seulement à un français, mais à un fribourgeois, à un valaisan, à un habitant de la Gruière (Rouen, 721, p. 206 v°).
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588 APPENDICE
II. — Dans le canton de Moutier on parle français, patois, et allemand. Le patois domine, l'allemand n'est en usage que dans les métairies. Les communes du canton sont: Belpraon, Bevilard, Champoz, Chételat, Corcelle, Court, Cremine, Echert, Grandval, Loveresse, Malleray, Montblé, Moutier, Perrefitte, Ponsenet, Recouvillier, Roches, Saicourt, Saule, Sornetan, Sorvelier, Souboz, Tavannes (M. Holtz, Sous-Préfet, 1806 ; Rouen, 721, p. 212).
III. — Toutes les communes du canton de Lauffon sont de langue allemande, savoir : Aesch, Allschwiller, Arlesheim, Blanen, Labourg, Brislach, Duggingen, Ettingen, Grellingen, Lauffon, Lierberg, Neutzlingen, Oberwiller, Pfeffingen, Reinach, Röschentz, Schoenenbuch, Terwiller, Sittingen, Vallen, Zwingen.
A Arlesheim et à Lauffon les gens aisés et quelques artisans qui ont voyagé en France parlent français (Id., Ib.)
IV. — L'allemand finit en venant de Basle à Laufen sur la Birse à une heure et demie de Basle. On parle français dans le reste de l'évêché de Basle jusqu'à Bienne où la langue allemande recommence. On parle français entre autres dans levai d'Imier et le Munsterthal (Rouen, 721, p. 106).
EN SUISSE 1.
Sur la limite du français et de l'allemand en Suisse, les renseignements fournis par Coquebert de Montbret sont beaucoup moins précis. Ils ne proviennent pas d'enquêtes directes, mais ont été puisés surtout dans les documents publiés. On a reproduit seulement ici celles de ses notes qui présentent quelque intérêt.
La limite entre langue française et allemande est indiquée par une ligne qui commencerait au-dessus de Bienne. Depuis Bienne, le long du lac, on parle allemand jusqu'à la Neuveville ; le village de Glaresse (Liggers) est mixte. Sur la route de Diesse, on parle français ; la ligne continue au midi par Morat, Fribourg, par les montagnes qui séparent le Gessenai d'avec le Rougemont et par Martigny en Valais ; c'est donc une partie de l'évêché de Bâle, les principautés de Neuchâtel et Valengin, le pays de Vaud, le basValais, Genève, le pays de Gex et la Savoie.
On parle allemand dans les villes de Mulhouse et de Bienne. On parle français dans la majeure partie du canton de Fribourg, dans le pays de Vaud, dans le Comté de Neuchâtel, à Genève, dans tout le bas-Vallais et dans quelques dizains du Haut-Vallais, L'accent national a beaucoup d'affinité avec celui des Savoyards ; le peuple parle un jargon ou patois dans lequel il entre quantité de mots de l'ancien gaulois. Ce patois est assez semblable à celui des Francs-comtois et des Savoyards. Dans les villes de Berne, Fribourg et Soleure, parmi les gens élevés ou d'un certain rang, la langue française est plus usitée que l'allemand (Rouen, 721, p. 286).
1. Une carte se trouve dans le ms. de la Bibliothèque Nationale, n° 5913. Elle n'a naturellement pas été envoyée par des autorités françaises. On y a tracé une limite de langues fort approximative, p. ex. pour Fribourg.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 589
ÉVÉCHÉ DE BALE 1. — I. — PAYS ALLEMANDS2. — 1. Bailliage de Schliengen en Souabe; 2. Voile et Château de
Porentruy ;
3. Bailliage d'Elsgau 3;
4. Seigneurie de Birseck;
5. Bailliage de Pfefingen (Pfeffingen) ;
6. Bailliage de Zwingen ;
Les vallons de l'évêché de Bâle commencent à Lauffen. C'est ici que finit la langue allemande. On parle français dans le reste de l'évêché jusqu'à Bienne, où la langue allemande recommence.
7. Ville de Bienne. L'allemand y est la langue dominante, mais le roman y est en usage depuis plusieurs siècles; aussi y a-t-on établi une église française.
II—PAYS ROMANS. — 1. Bailliage de SaintUrsanne ;
2. Baillage de Delémont;
3. Prévôté de Moutier Grand Val ou Munsterthal ;
4. Prévôté de L'Erguel 4;
1. Cf. Le Haut-Rhin.
2. Les bailliages allemands étaient Lauffen (cascade); Pfeffingen et Byrseck (Birse) (canton de la Byrse) ; le village de Sohière (en allemand Saugern) est sur la limite.
Sur toute la lisière du Jura, dans les vallées écartées et solitaires, principalement dans le val de Chaluet, aux frontières de Soleure, sont répandues une centaine de familles anabaptistes de langue allemande expulsées du canton de Berne au XVIIe siècle (Rouen, 721, p. 206 r°). C'est le Val de Chaluet, commune de Court, district de Moutiers, Con de Berne. Ce vallon débouche sur la Birse, à l'entrée du village de Court. Il dépendait, comme dit la note, de l'évêché de Bâle.
3. L'Elsgau comprenait les communes de Saint-Ursanne, Courtavon, Ocourt.
4. L'Erguel, ainsi nommé du Château d'Erguel, commune de Sonvilier, district de Courtelary, canton de Berne, comprenait, comme on le verra plus loin, un certain nombre de communes situées au nord et à l'ouest de Bienne.
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590 APPENDICE
5. Prévôté de Freyenberg 1 ou Mont du Bois;
6. Mairie de la Bonne ville ou Neuveville ;
7. Montagne de Diesse 2 ou Tessenberg (Zurlauben, Tableau de la Suisse ; Rouen, 721, p. 209).
Bâle. — Dans la principauté de Bâle, le petit peuple a un jargon que l'on nomme gaelon. C'est en quelque manière le patois de Franche-Comté, mais dans plusieurs districts de cette principauté on parle un allemand assez approchant de celui de Bâle ou du Sundgau (Rouen, 721, p. 184-190).
Dans les cantons de Berne, Soleure et Bâle, la langue française n'est pratiquée que par les personnes qui ont reçu de l'éducation, les gens de service des maisons riches, et les agents subalternes du commerce. Elle est encore moins générale dans le reste de la Suisse allemande (Vial, 1807; Rouen, 721, f° 168).
Erguel. — La mairie ou paroisse de Pieterlen est la seule où l'on prêche en allemand (Büsching ; Rouen, 721, p. 200; Cf. Leu et Faesi, Ib., p. 202).
Il est à remarquer que presque tous les villages ont à la fois deux noms : Pieterlen-Perle ; Traumlingen-Tramelan ; Vöglistahl-Vauffelin ; PflentschPlagne (Wildermet ; Ib., p. 203).
Le patois français des villages ressemble assez à celui des Menses de Neufchatel(Ib., p. 204).
On parle aussi allemand à Montmeigni (Meinisberg) et Reiben (Faesi, Id., Ib., p. 205).
Bienne. — L'allemand est la langue dominante, mais le romand y est en usage depuis plusieurs siècles. Aussi y a-t-on établi une église française (Rouen, 721, p. 184-190).
Ligerz. — On y prêche alternativement en allemand et en français, parce que les habitants se servent de ces deux langues dans l'usage ordinaire (Faesi, I, 692; Rouen, 721, p. 181 ; cf. 184-190).
Bailliage de Saanen ou de Gessenay. — Il se divise en deux parties différentes de langue, de moeurs, de Loix, de Privilèges.
1° Partie allemande : 4 Paroisses : Sanen (Saanen), Gsteig, Lauwinnen (Lauenen), Afflentshen ou Ablentschen.
2° Partie romande : 4 Paroisses : Rougemont ou Rothberg, ou Rotschmund, le château d'Oex ou Oesch, L'Etivaz, Rossinière.
Gouvernement d'Aigle. — Ancien démembrement du Pays de Vaud; compris aujourd'hui dans la classe des bailliages allemands, quoiqu'on y parle généralement un français corrompu.
Meyri (Meyriez). — Bailliage de Morat. C'est là qu'on commence à parler un mauvais patois français.
Bailliage de Schwarzenbourg. — Les habitants parlent tous allemand (Rouen, 721, p. 288-290).
La rivière de Thiele, qui se décharge du lac de Neuchatel dans celui de Bienne, fait limite. Pont à péage.
1. Freyenberg, ou Mont du Bois, désigne les Franches Montagnes. C'est encore aujourd'hui un district du canton de Berne, chef-lieu Saignelegier. Il est en partie contigu à la frontière française.
2. Montagne de Diesse ou Tessenberg, plateau situé au nord du lac de Bienne, entre la première chaîne du Jura (Chaîne de Macolin ou du Lac) et le Chasseral.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 591
Du côté Berne allemand. De l'autre la langue générale du peuple neuchatelois est un patois français (Zurlauben ; Rouen, 721 p. 182).
Bailliage de Morat. — On s'y sert indifféremment des deux langues, allemande et française. La plupart des villages ont par cette raison deux noms. Autrefois la langue française l'emportait de beaucoup sur l'allemande et dans la ville et dans le bailliage, mais depuis soixante-dix ans environ les Bernois ont travaillé à y faire prévaloir l'allemand. Ils ont même obligé quelques villages romans au nord et à l'orient de Morat de recevoir celte langue, et dans tous les tribunaux tout se traite en allemand.
Il y a deux églises, l'une française et l'autre allemande. Dans la partie du bailliage de Morat qui est au nord et à l'orient de cette ville on parle allemand, et dans la partie qui est au midi et à l'occident, même dans le village de Meiry ou Merlach, qui est aux portes de la ville, on parle français roman (Rouen, 721, p. 288-290).
Morat. — A Morat, les habitants parlent également mal le français et l'allemand. La ligne de séparation traverse Fribourg 1 où la Basse ville n'entend pas la Haute. Dans les valées de Sane les deux langues sont séparées par la montagne de Vaunel, dans le Valais. Dans le village de Twan, qui est au pied du mont Dura, vis-à-vis de l'isle de Saint-Pierre, dans le lac de Bienne, un ruisseau fait la division (Rouen, 721, p. 165) 2.
VALAIS. — La langue allemande est exclusivement parlée par les dixains de Conche, Brègue, Viège, Rarogne et Loeche. Ces dixains forment entre eux une étendue de seize lieues de longueur, depuis Oberwald, village du dixain de Conche le plus voisin de la montagne de la Fourche (La Furka), jusqu'au torrent de la Raspille qui sépare le dixain de Loeche de celui de Sierre. La population de ces cinq dixains d'après le dénombrement fait en 1802 est de 17 951 âmes.
La langue française est par contre seule en usage dans les dixains de Monthey, Saint-Maurice Entremont et Martigny, qui n'ont que treize lieues de longueur depuis Saint-Gingoux (Saint-Gingolph) jusqu'au torrent de la Lizerne, mais qui ont, pris ensemble, un population de 23 429 âmes.
Elle est de même exclusivement parlée dans le dixain d'Hermance. Ce dixain, démembré en 1802, de celui de Sion, s'étend au midi de cette ville l'espace de six lieues dans une vallée arrosée par la rivière de Borgne. La population est de 3 661 âmes.
Quant aux dixains de Sion et de Sierre, la langue allemande est la dominante dans les deux chefs lieux, et toutes les familles indigènes de ces deux endroits parlent habituellement cette langue. Leur population est quant à Sion de 2 246 et à Sierre de 724 âmes.
Le dixain de Sierre a encore les communes de Miège, de Ventône (Venthône) et de Sainl-Léonard, où une partie des habitans parle la langue allemande. Le reste du dixain parle français.
Celui de Sion a la commune de Bramois où plus de la moitié des habitans parle allemand. Les autres communes de ce dixain parlent aussi français.
Il est à remarquer que la langue du pays change en sortant du dixain de
1. A Fribourg, dans la Basse-Ville, qui est le quartier du peuple, on ne parle qu'allemand et dans la Haute que françois (Rouen, 721, p. 184-190).
2. Cf. A Twan on parle allemand d'un côté de l'eau et français de l'autre (Haber le jeune, t. I, 268).
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592 APPENDICE
Loèche pour entrer dans celui de Sierre, où l'on commence à parler un patois corrompu du français; cependant dans toutes les parties du Vallais, surtout dans les principaux lieux, on s'applique beaucoup à savoir l'allemand, le français, l'italien et le latin, à cause du voisinage des peuples qui usent de ces langues, au moins des trois dernières et, ce, qui fait l'éloge des Vallaisans, on y voit des gens du commun qui savent parler également ces quatre langues 1.
Le dixain de Leuk comprend les paroisses de Leuk, Laden, Turtmann, Sahlgesch, Albinen, Gresch, Embs, et Gampél, avec un grand nombre de villes et d hameaux qui en dépendent. La petite rivière de Rappelli sépare les deux dixains de Sierre et Leuk.
La Vallée d'Einfisch sur la gauche du Rhône, vis-à-vis du bourg de Sierre 2 paroit être de langue française, à en juger par les noms de ses villages : VissoyeParoisse, Saint-Jean,Gremenz, Luc, Ayer, Mission, Chaudolin, Painsey (Rouen, 721, p. 184-190).
Dans le Bas Vallais, on parle un français corrompu ou patois que les habitans nomment le roman ou langue romaine. Il doit son origine au voisinage de la Savoie (Rouen, 721, p. 184-190).
APERÇU NUMÉRIQUE. — D'après ces données, si on veut calculer quelle est la proportion existante entre l'usage du français et celui de l'allemand, on pourra l'établir de la manière suivante :
Les cinq dixains orientaux parlant allemand ont une population de 17 951 17951
La ville de Sion, dont il paraît qu'il faut déduire
un quart d'étrangers parlant français 1685
Les deux tiers à peu près de Cne de Bramois (387
habitants) 258
Le chef-lieu de Sierre où je suppose aussi un quart
parlant français 543
Le tiers à peu près de Ventone (365) 122
Le tiers à peu près de Miège (282) 94
Le tiers à peu près de Saint-Léonard dont la population a été omise dans le dénombrement de 1802, et que je suppose s'élever à 200 âmes 66
Total des individus qui parlent la langue allemande. . . 20 719
Le français par contre est parlé dans les quatre dixains occidentaux,
[Habitants] 23 429
Dans celui d'Hérmance (Heremence) 3 661
Dans les cantons ci-après du dixain de Sion :
Contey (Conthey) 1 78O
Savièse 1 098
Grimisua (Grimisuat) 430
Ayent 1 022
Nenda (Nendaz) 1013
1. Rodolph, fondateur du Royaume de Bourgogne, résidoit ordinairement dans le Vallais, et contribua sans doute à y propager la langue (Fuesslin).
2. A Sierre même, on parle plus allemand que français. Dans les villages, au contraire, on parle français savoyard (Fuesslin).
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 593
Salins Veysonnaz 333
Le tiers de Bramois 129
Un quart de Sion 561
Plus dans les communes ci-après des dixains de Sierre :
Un quart de Sierre 181
Aniviers (Anniviers) 1 765
Vercorins, Chalex (Chalais) 485
Grône 210
Granges. 150
Lens 1213
Saint-Maurice de Laques et Veyras 398
Les deux tiers de Ventone (Venthône) 243
— Miège 188
— Saint Léonard 132
Total des individus qui parlent la langue française 38 421
Quand on dit que ces derniers parlent la langue française, ce n'est que par opposition avec l'usage de la langue allemande, car d'ailleurs les gens de la campagne ne parlent qu'un patois dérivé du français ; celui-ci n'est parlé que par les personnes qui ont reçu quelque instruction.
La langue française était autrefois beaucoup plus étendue en Valais.
DÉPARTEMENT DU Pô 1.
L'Atlas de la Bibliothèque Nationale contient, pour la région, une petite carte, datée de 1807, qui indique par un astérisque les localités des vallées de la Doire, du Cluson et du Pellice où l'on parle français. Les portions hautes de ces vallées faisaient partie, comme on le sait, de l'ancien Briançonnais et n'en avaient été séparées que par les traités d'Utrecht. Les communications de ces vallées du versant oriental des Alpes avec Briançon se faisaient très facilement par le col du Mont Genèvre, le plus bas des cols des Alpes Occidentales (1 854 m.). De la haute vallée de la Doire Ripaire, on passait sans grande difficulté dans celle du Cluson par le col de Sestrières (2 030 m.). La présence de Vaudois dans la vallée du Cluson était un lien de plus avec le Briançonnais resté français.
La petite carte indique comme étant de langue française: 1° dans la vallée de la Doire, toutes les localités jusqu'à Suse exclusivement; toutefois, au voisinage de celle ville, sont encore portées comme étant de langue française Mattie (1), de Meana (2); — 2° dans la vallée du Cluson, toutes les localités jusqu'à Pignerol inclusivement ; — 3° dans la vallée du Pellice, les localités de Bobbi (Bobbio), Villar Pellis (Villar Pellice), Tour (Torre Pellice), Luserne (Luserna), Lusernetta, Rora, Angrogne (Angrogna) et Saint-Jean (S. Giovanni).
Les renseignements qui se trouvent dans les notes manuscrites de Coquebert de Montbret ne concordent pas absolument avec les données de la carte.
1. Celte carte se trouve dans le ms. 5913. C'est un extrait de la carte de Borgognio, rectifié, dressé par la Ramée Pertinchamps, Ingénieur des Ponts. Les communes françaises y sont marquées d'une étoile rouge.
Histoire de la langue française. IX . 38
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594 APPENDICE
Il commence par énumérer les treize communes dites « vaudoises » ou protestantes. Les Vaudois, dit-il, parlent françois et le jargon vaudois, et les catholiques romains qui se sont introduits dans presque toutes les communes parlent le jargon piémontois. Du tems des rois de Sardaigne, les Vaudois faisoient tous les actes publics en Italien Vulgaire » 1.
Les treize communes qui forment ce premier groupe sont les suivantes : Angrogne (3) (Angrogna), Boby (4) (Bobbio), Saint-Germain (5) (San-Germano Chisone), Saint-Jean (6) (San Giovanni), Inverse Pinache (Inverso Pinasca), Inverse Portes (7) (Inverso Porte), Pomaret (8) (Pomaretto), Pramol (9) (Pramollo), Prarustin (10) (Prarostino) ; Rora, La Tour (Torre Pellice), Vallée de Balville (Balsiglia) 2, Villar-Pellis (11) (Pellice).
Viennent ensuite six communes qui forment la vallée de Pragelas 3 où « l'on ne parle que français » : Fénestrelles (Fenestrelle), Méan (12) (Meano), Mentoulles(13), Pragelas (14) (Pragelato), Roure(15), Usseaux (16).
Dans les trente-huit autres communes de l'arrondissement de Pignerol qu'on appelle « communes de la plaine », le jargon piémontois est seul en usage. Coquebert de Montbret fait observer cependant que plusieurs de ces communes ne sont pas à proprement parler dans la plaine.
Il en cite cinq « qui sont censées faire partie des vallées vaudoises, quoiqu'il n'y existe plus un seul protestant ». Ces localités sont : Luserne (Luserna), Lusernette (Lusernetta), Campion (Campiglione), Fenil (Fenile) et Bibiane (Bibiana). En réalité les deux premières sont seules dans la partie montagneuse de la vallée du Pellice, les trois autres sont déjà dans la plaine. Ces cinq localités font partie du groupe des trente-huit communes de langue italienne.
On remarquera que, sur la carte, Luserne et Lusernette sont portées comme étant de langue française, ainsi que Pignerol, et la localité voisine de Saint-Second (San Secondo-Pinerolo).
DÉPARTEMENT DE LA DOIRE 4.
NOTES. — I. — Dans le canton de Fontainemore (arrondissement d'Aoste), les communes de Perloz, Lillianes et Fontaine More sont les seules où on parle communément le français. A Issime, l'on commence à se servir de la langue allemande, qui est d'autant plus en usage que l'on s'éloigne de ce
1. « Les vallées des Vaudois, dit une note empruntée au document envoyé de Pignerol, le 24 septembre 1807, document signé P. Geymet, sont la vallée de Pelis (Pellice), ci-devant Luzère, la valle (sic) du Cluson, ci-devant Pérouse, la vallée Balsille, ci-devant Saint-Martin »
2. La carte porte Perrier ou Valbalsille. Perrier est Perrero, sur la Germanasca, qui rejoint le Cluson à Pérouse. Ce Val Balsille de la localité de ce nom (Balsiglia), est donc la vallée de la Germanasca. On disait aussi Val Saint-Martin, du nom de la localité de Saint-Martin (San Martino di Perrero) qui s'y trouve. Voir la note précédente.
3. Ce nom de la vallée de Pragelas qu'on donnait à la partie amont de la vallée du Cluson était pris au sens large. On ne l'applique aujourd'hui qu'au bassin tout à fait supérieur dont Pragelas est la localité principale.
4. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale 5913. Elle a été faite à la main très grossièrement.
La division du pays où la langue française est en usage d'avec ceux où l'on se sert de la langue italienne est marquée par la ligne, qui fait la séparation des arrondissements. d'Aoste et d'Ivrée.
Cette ligne ponctuée dans toute sa longeur (sic) est encore marquée par un filet de couleur plus chargée que les lignes qui séparent les cantons. La ligne est marquée aux deux bouts A. et B.
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596 APPENDICE
pays pour s'approcher du fond de la Vallée où se trouve le village de la Trinité (Gressoney-La Trinité).
II. — Le Sous-Préfet a envoyé un Etat nominatif des communes ou 1 on
parle français et un patois analogue au français (20 février 1807) (B. N., ms. 5 910, f° 297). J'ai jugé inutile de le reproduire.
ALPES MARITIMES 1. Pour les Alpes Maritimes, l'Atlas de la Bibliothèque Nationale ne contient
qu'une petite carie où est tracée la limite entre les communes de langue fran1.
fran1. carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale 5913. Elle a été faite à la main. Lu limite y est marquée par une ligne.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 597
çaise et celles de langue italienne, il serait plus exact de dire de patois niçois. Cette ligne coïncide avec le cours du Var depuis la mer jusqu'au confluent de la Vésubie, laisse en territoire de langue italienne Malaussène et Villars, rejoint de nouveau le Var, et le suit jusqu'au confluent du Cians. De là elle remonte la vallée de ce torrent jusqu'à l'endroit où la gorge s'élargit en face de Rigaud, puis s'en écarte à l'Est pour suivre les sommets qui servent de ligne de partage entre les eaux qui vont au Sud, vers le Var, et celles qui vont au Nord vers la Vésubie. Elle aboutit aux sources du Var.
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STATISTIQUE NUMÉRIQUE
Je terminerai en reproduisant quelques renseignements statistiques auxquels il ne faut bien entendu, attribuer qu'une valeur approximative.
Dans le volume paru en 1831, et intitulé Mélanges sur les langues, dialectes et patois 1, a été inséré un article fort remarquable et qui m'a mis sur la trace des documents que je viens de présenter au public. Il est signé C. M. (Coquebert Montbret). P. 13-16 on lit : En 1806, nous avions reçu à la direction de la statistique du Ministère de l'Intérieur l'indication, par communes, de toutes les parties de la France où d'autres idiomes que le français formaient la langue maternelle des habitans. En prenant la population indiquée à la même époque pour chacune de ces communes, nous étions parvenus à connaître combien le territoire français d'alors renfermait d'habitans de chacune des langues qui y étaient parlées. C'était au moyen de ces renseignemens recueillis avec soin et notés avec scrupule que l'on a marqué sur des cartes particulières des départemens, et par suite sur une carte générale de la France, les limites géographiques des différens idiomes, et qu'on avait donné dans l'Annuaire des Longitudes le tableau qui y a figuré en 1809 et années suivantes, tableau qu'il ne sera pas inutile peut-être de reproduire ici. Il est intitulé : Relevé général de la population de l'empire (français) selon les différentes langues que parlent ses habitans, énoncé en nombres ronds et sans y comprendre les militaires. Il se composait de six articles seulement, et c'était à ce degré de brièveté que l'on avait réduit un travail qui avait exigé des recherches fort considérables. Voici ces articles :
Langue française 27 926 000
Langue italienne 4079000
Langue allemande 2 705 000
Langue flamande 2277000
Langue bretonne 967 000
Langue basque . 108000
TOTAL général. . . . 38 062 000
1. Paris, Delaunay, in-8.
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LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 599
C'était là, ainsi que Coquebert de Montbret le remarque, l'état des choses, alors que les frontières de l'Empire englobaient des populations qui ont cessé après les événements de 1814 et 1815, d'appartenir à la France. Aussi Coquebert de Montbret a-t-il essayé de corriger ses chiffres pour les accommoder à l'année 1830. Nous ne le suivrons pas dans ce travail, fondé sur des calculs qui n'ont rien de rigoureux.
Je donnerai par contre un extrait de ses papiers, où il essaie d'évaluer le nombre des habitants qui parlaient ou le français ou d'autres langues et dialectes en 1806, en défalquant les habitants des territoires qui ont cessé de nous appartenir après la chute de l'Empire.
En 1806, les parties du département du Nord parlant flamand, comprenaient 155 712 habitants.
La partie du Pas-de-Calais, environs de Saint-Omer, comprenait 1261 habitants.
Dans la MoselIe, il paraîtrait y avoir eu, en 1806, 218 662 personnes de langue allemande, dans la Meurthe 41 795.
Une seule commune de langue allemande, dans les Vosges, avait 609 habitants.
Le Bas-Rhin avait, de langue allemande, 493 432 habitants, le Haut-Rhin, 282 000. Ensemble pour l'Alsace : 775 432. Total de la population allemande en 1806, dans les départements qui font encore aujourd'hui (en 1831) partie du territoire français : 1 036 498.
Quant à la population de langue bretonne, elle était, dans les parties de la Bretagne où cette langue est en usage, de 985 558, sur une population de 1 385 936 qu'on comptait dans les trois départements de la Basse-Bretagne ; c'était un peu plus des sept dixièmes de leur population totale.
La partie basque de la population était, en 1806, de 109 306 habitans sur 383 502 (nombre des habitants du département des BassesPyrénées).
La Corse à la même date comptait 185 079 habitants.
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TABLE DES MATIÈRES
BIBLIOGRAPHIE, V. INTRODUCTION, 1.
PREMIÈRE PÉRIODE
DE LA RÉUNION DES ÉTATS GÉNÉRAUX A LA RÉUNION DE LA CONVENTION
LIVRE PREMIER
NATION ET LANGUE NATIONALE
CHAPITRE PREMIER L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION
Les diverses phases, 3. — L'élan spontané, 4. — La patrie et son culte, ib. — L'unité de langue et l'unité des coeurs, 3. — L'unité de langage lien politique, 6. — Accord des intérêts et des sentiments, 7. — L'unité de langue et le principe des nationalités, 9. — Autres mobiles, 10.
CHAPITRE II UNE POLITIQUE DE LA LANGUE
Grégoire, 12. — Déclarations de Talleyrand, 13.
LIVRE II LES ÉVÉNEMENTS ET LA LANGUE
CHAPITRE PREMIER OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
Impossibilité de généraliser, 13.
CHAPITRE II LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE
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602 TABLE DES MATIÈRES
LIVRE III LA TRADUCTION DES DÉCRETS
CHAPITRE PREMIER NÉCESSITÉ DE SE TENIR EN RAPPORT AVEC LE PEUPLE
CHAPITRE II ON DÉCIDE LA TRADUCTION DES DÉCRETS Décret du 14 janvier 1790, 23. — Avis des intéressés, ib.
CHAPITRE III RÉSISTANCES ET DIFFICULTÉS
Le veto, 30. — Besogne épineuse, ib.
CHAPITRE IV LES TRADUCTEURS
Bonnes volontés, 33.
CHAPITRE V EXAMEN DES TRADUCTIONS COMMANDÉES
Les observations, 35.
CHAPITRE VI TRADUCTION SUR PLACE
Bureaux départementaux, 37. — Point d'organisation définitive, 38.
LIVRE IV LA BATAILLE DES ÉCRITS
CHAPITRE PREMIER PUBLICATIONS EN DIALECTES
Petit nombre de ces publications, 41.
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TABLE DES MATIÈRES 60,3
CHAPITRE II PUBLICATIONS EN IDIOMES
En Bretagne, 44. — En Flandre maritime, 45. —En Lorraine allemande, 46. — Le cas particulier de l'Alsace. Observations générales, ib. — Les sociétés populaires, 47. — Les journaux, 49.
CHAPITRE III RÔLE DU FRANÇAIS
Déluge de papiers, 51.
LIVRE V LA BATAILLE DES PAROLES
CHAPITRE PREMIER LES FÊTES
Les Fédérations, 55. — Rôle du langage local, ib. — Projets d'organisation, 57.
CHAPITRE II RÔLE DU CLERGÉ
Le clergé et la politique, 59. — Usage des patois et idiomes, ib. — Prônes et lectures, 60. — Commentateurs bénévoles, 61. — Lecteurs officiels, 62.
CHAPITRE III LES SOCIÉTÉS POPULAIRES
Les Clubs et la langue, 64. — Le peuple entre dans les Sociétés, ib. — Le patois est admis, 65. — Dans les pays à idiome, 66. — La société populaire de Strasbourg, ib. — La Société de Colmar, 68. — Autres villes, 69.
CHAPITRE IV
COUPLETS ET CHANSONS
La Marseillaise, 71.
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604 TABLE DES MATIÈRES
LIVRE VI
LES MESURES DE TOUT ORDRE ET LA LANGUE
CHAPITRE PREMIER LA NOUVELLE DIVISION DU TERRITOIRE
Départements et langages, 75.
CHAPITRE II LE FRANÇAIS ET LES ACTES
On en prend à son aise avec les Ordonnances, 79. — Inquiétudes et protestations en Alsace, ib. — Un pamphlet, 83. — Tolérance, 87.
LIVRE VII
ACHEMINEMENT A UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE
CHAPITRE PREMIER L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET L'ÉCOLE
Silence relatif des Cahiers, 91. — L'Instruction Publique cl l'opinion, 92.
CHAPITRE II LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE
CHAPITRE III OUBLIS SINGULIERS
Dom Ferlus, 95. — Les Oratoriens, ib.
CHAPITRE IV LE RAPPORT DE TALLEYRAND
Une politique de la langue, 97.
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TABLE DES MATIÈRES 605
CHAPITRE V LA LÉGISLATIVE
Le Comité d'Instruction Publique. Plans et systèmes, 99.
CHAPITRE VI LE RAPPORT DE CONDORCET
Obscurités, 101. — Les idées véritables de Condorcet, ib. — Rapprochements nécessaires, 102. — L'École française et le pays, 105. — Résultats, 106.
LIVRE VIII LA RÉVOLUTION ET LE LATIN
CHAPITRE PREMIER L'ENSEIGNEMENT EN FRANÇAIS
Les Cahiers et la Réforme, 109. — La classe en français et les plans d'instruction, 110. — La classe en français et les Assemblées, ib.
CHAPITRE II L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS
Imprécations contre le latinisme, 112. — Propositions en faveur du français, 113.
CHAPITRE III RÉSISTANCES
CHAPITRE IV LES DÉPUTÉS ET LE LATIN
L'empreinte, 120. — Condorcet, 121.
CHAPITRE V PROGRÈS DANS LA PRATIQUE
Lenteur à s'émouvoir, 123. — Manifestations scolaires, ib. — On ouvre des cours de français, 124. — A Strasbourg, ib. — Un projet original, 120. — Le Collège de France, ib. — A mi-route, ib.
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606 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE VI LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE
Les Cahiers, 128. — Pétitions à la Constituante, 129. - L'idée serépand, 131. — Le gouvernement prend parti, 133.
DEUXIEME PERIODE DE LA RÉUNION DE LA CONVENTION AU IX THERMIDOR
LIVRE PREMIER L'ÉCOLE ET LA LANGUE
CHAPITRE PREMIER LE RAPPORT LANTHENAS
CHAPITTE II ON RÉCLAME UNE « INSTRUCTION PUBLIQUE »
CHAPITRE III LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE
Confusion, 140. — Les débats de juillet 1793, 141. — Intervention de Grégoire, 142. — Daunou, ib. — Michel-Edme Petit, 143. — Deleyre, 144. — Wandelaincourt, ib. — Dans l'opinion publique, 145.
CHAPITRE IV LA LOI DE VENDÉMIAIRE
CHAPITRE V REVISION DE LA LOI. UN NOUVEAU SYSTÈME
CHAPITRE VI LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES
Origine de l'idée, 150. — Institution d'un concours, 151. — La Grammaire nationale, 152.
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TABLE DES MATIÈRES 607
LIVRE II
LA PROPAGANDE ET LES DIVERS LANGAGES
CHAPITRE PREMIER LA TRADUCTION DES DÉCRETS
La Convention continue la tradition des précédentes Assemblées, 155. — Intervention de Rühl et de Dentzel, 156. — Le décret et l'opinion, 159. — Nouvelles mesures, 162.
CHAPITRE II LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES
Les pays à dialecte, 164. — Les pays à idiome, 165.
CHAPITRE III EN ALSACE
L'allemand toujours reconnu, 168. — Journaux et publications, 171.
LIVRE III
RUPTURE AVEC LES IDIOMES ET LES PATOIS
CHAPITRE PREMIER LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER
Embarras des Représentants en mission, 173. — Le double péril, 175. — Les idiomes déclarés suspects, 176. — Dans l'Est, 178.
CHAPITRE II LA GUERRE AUX IDIOMES
L'école de français, 180. — Offensive de Barère, ib. — Barère et Domergue, 181.
CHAPITRE III LE DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE
La discussion du décret, 183. — Les instituteurs de langue française, ib.
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608 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IV LES ACTES EN FRANÇAIS
CHAPITRE V LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE
Premiers arrêtés des Représentants, 188. — Les responsables, 189. La proscription de l'allemand, 190. — On propose des mesures de violence, 191.
CHAPITRE VI
LES PATOIS ET LA POLITIQUE
Représentants patoisants, 196. — Gêne ou obstacle? 197. — Le patois et les contre-révolutionnaires, 200. — On s'accommode des embarras linguistiques, 201.
CHAPITRE VII L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE
Le rapport du 16 prairial, 204.
CHAPITRE VIII CONCLUSION BÉNIGNE
Adresse aux Français, 215.
LIVRE IV
EFFETS DU DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE
CHAPITRE PREMIER IMPRESSION CAUSÉE Approbations, 217.
CHAPITRE II ESSAIS D'APPLICATION
En Flandre, 223. — En Alsace, ib. — En Moselle, 229. — Dans la Meurthe, 230. — Dans le Mont-Terrible, 232. — Dans les Alpes-Maritimes, ib.
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TABLE DES MATIÈRES 609
CHAPITRE III OBSTACLES IMPRÉVUS
La francisation et les finances, 233. — La francisation et les armées, 235.
CHAPITRE IV
A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES. PREMIERS PROJETS D'ÉCOLES NORMALES
Les méthodes, 237. —Origine de l'idée d'écoles normales, 240. — L'idée se précise, 241. — Le projet de Bergues, 243. — Suggestions du Bas-Rhin, 246. — Ajournement, 247.
CHAPITRE V
EFFET MÉDIOCRE DE LA POLITIQUE DE LA LANGUE SUR L'USAGE LINGUISTIQUE
Les velléités et les faits, 249. — Les administrations, les sociétés, 250. — Résultats de la terreur exercée en Alsace, 252. — Protestations : Allemands de langue, patriotes de coeur, 255.
CHAPITRE VI L'ÉDUCATION DES ADULTES
Le théâtre, 259. — Fêtes et réunions, 260.
LIVRE V ABOLITION DE L'ÉDUCATION LATINE
CHAPITRE PREMIER AGONIE DES COLLÈGES
Sévères condamnations, 267. — La pétition du département de Paris, 269.
CHAPITRE II DERNIERS ESSAIS DE TRANSFORMATION
CHAPITRE III
FIN DES COLLÈGES ET DES UNIVERSITÉS
Histoire de la langue française. IX. 39
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610 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IV LES INSCRIPTIONS LATINES
TROISIÈME PÉRIODE
DU IX THERMIDOR AU COUP D'ÉTAT DE BRUMAIRE
LIVRE PREMIER NOUVELLE POLITIQUE
CHAPITRE PREMIER ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES
Après la Terreur, 281. — Les idiomes et les Chouans, 282. — En Alsace, 284. — En Lorraine allemande, ib. — Dans le Nord, 285.
CHAPITRE II DISPOSITION DES ESPRITS
A la Convention, 286. — Dans le pays, 287. — Projets envoyés au Comité d'Instruction publique, 289.
CHAPITRE III
PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES
Observations, 291.—On revient aux tolérances, ib. —Persistance des vieux usages, ib. — La traduction des actes du pouvoir central, 292.
LIVRE II
LE FRANÇAIS ET L'ENSEIGNEMENT
CHAPITRE PREMIER
INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES
Causes et effets, 299. — Une première statistique, 301.
CHAPITRE II
L'ÉCOLE NORMALE
Formation et recrutement, 304. — La grammaire française à l'École, 305. — Discussions, 308. — L'échec, 309.
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TABLE DES MATIÈRES 611
CHAPITRE III INFIDÉLITÉS A LA POLITIQUE SCOLAIRE
La porte entrebâillée aux patois, 311. — L'effet dans le pays, 313.
CHAPITRE IV LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES
Ajournements, 315. — Les chefs-d'oeuvre tardent à venir, ib.
CHAPITRE V DERNIER RECUL. ABANDON DE LA POLITIQUE SCOLAIRE
Toujours peu d'écoles, 317. — La loi de brumaire an IV, 318.
CHAPITRE VI
COMPENSATIONS. LE FRANÇAIS PREND POSSESSION DU HAUT ET DU MOYEN ENSEIGNEMENT
Magnifiques créations, 320. — Le français et les Ecoles centrales, ib.
CHAPITRE VII LE DIRECTOIRE. INDIFFÉRENCE ET VEULERIE
Des avertissements continuent à arriver, 323. — Actes et paroles, 324. — Vitesse acquise, 325.
CHAPITRE VIII GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE
Faveur dont jouit la Grammaire générale, 327. — La Grammaire générale et les plans d'études, 328. — Les maîtres, 330. — Indécisions, 332. — Répugnance des élèves et des familles. On ne tient qu'au français, 334. — La Grammaire française substituée à la Grammaire générale, 335. — Avantages que la Grammaire française tirait de l'enseignement de la Grammaire générale, 338. — Observations de l'Administration, 339. —Les Résultats, 340.
CHAPITRE IX DÉVELOPPEMENT DES ÉCOLES CENTRALES
Faits et légendes, 343. — Statistique des élèves des cours de Grammaire générale, 345.
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612 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE X L'ÉCOLE PRIMAIRE SOUS LE DIRECTOIRE
Etat misérable des écoles. Témoignages, 349. — Rôle plus que modeste du français, 350.
CHAPITRE XI NOUVEAUX PROJETS D'ÉCOLES NORMALES
Velléités sans effet, 353.
CHAPITRE XII
LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES
Fermeture du concours. Lhomond primé, 355. — Récriminations, 357.
CHAPITRE XIII
RÉSULTATS INDIRECTS. LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS
Transformation générale des écoles et des livres, 359. — Dans les départements, 361. — Les petites écoles, 362.
LIVRE IV LES FÊTES, LES CULTES ET LE FRANÇAIS
CHAPITRE PREMIER ORGANISATION OFFICIELLE
Aboutissement tardif, 365. — La théophilanthropie, 366. — Les fêtes décadaires, 367. — Triomphe du dimanche, 368.
LIVRE V LE CULTE CATHOLIQUE ET LE FRANÇAIS
CHAPITRE PREMIER EN FAVEUR DE LA LANGUE NATIONALE La série des protestations contre le latin continue, 371,
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TABLE DES MATIÈRES 613
CHAPITRE II LE CONCILE NATIONAL
Avant la réunion, 374. — La question est posée, 375. — Le décret, 376. — Oppositions, 378.
CHAPITRE III L'EXÉCUTION DU DÉCRET
Le Sacramentaire français, 380. — Autres livres, ib. — Les Sacrements en français en Seine-et-Oise, 382.
CHAPITRE IV LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE
Vive opposition, 386. — Réponse de l'auteur, 388. — Intervention de Brugière, 390. — Riposte aux Versaillais, 391. — Grégoire donne, 393.
CHAPITRE V DANS LA PRATIQUE
Hardies initiatives, 399. — Rareté des témoignages, 400. — Répugnance générale de l'Eglise, 401. — Le second concile, 403.
LIVRE VI LES RÉSULTATS DE LA RÉVOLUTION
CHAPITRE PREMIER PROGRÈS CONSTATÉS
L'idéal des Révolutionnaires, 407. — Les Statistiques, 409. — Renseignements insuffisants, 410. — Progrès attestés du français. Dans les pays de langue d'oui et de langue franco-provençale, 412. — Dans les pays de langue allemande, 413. — Dans les pays de langue d'oc, 417. — Changements dans l'esprit public. La langue partie intégrante de la nation moderne, 420.
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614 TABLE DES MATIERES
QUATRIÈME PÉRIODE APRÈS BRUMAIRE. — LE CONSULAT ET L'EMPIRE
LIVRE PREMIER LA RÉACTION LATINE
CHAPITRE PREMIER LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES
Observation générale, 423. — Défauts graves des Ecoles, ib. — Haute valeur de l'institution, 425. — Quelques opinions, ib. — Remèdes possibles, 427. — Campagne violente, 428. — Le salut par le latin, 429. — Fidèles du français, 431.
CHAPITRE II
ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES. PROPOSITIONS DÉCENTRALISATRICES
CHAPITRE III L'INTOLÉRANCE LATINE
Caractères généraux du nouveau système d'instruction secondaire, 440. — On sacrifie le français, 442. — Le parallélisme, 443.
CHAPITRE IV LE LATIN ET LES HAUTES ÉTUDES
Ecoles supérieures, 446. — Rares protestataires, ib.
CHAPITRE V QUELQUES DONNÉES SUR L'ÉTAT DES ÉTUDES
Une enquête, 448. — Écoles libres en l'an XIII, 450.
CHAPITRE VI L'UNIVERSITÉ IMPÉRIALE
Le joug du latin s'appesantit, 473.
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TABLE DES MATIÈRES 615
CHAPITRE VII L'ÉCOLE NORMALE D'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE Formation de l'École, 476. — La place du latin, ib.
LIVRE II LE NOUVEAU RÉGIME ET LES PARLERS
CHAPITRE PREMIER
LA TRADITION RÉPUBLICAINE
L'esprit de francisation et les autorités, 479. — Région basque, 481. — Région bretonne, 482. — Région allemande, 483. — Région catalane, 484.
CHAPITRE II SOUS L'EMPIRE
Napoléon et le français, 486. — L'avis des érudits, 487.
CHAPITRE III RÈGLES ET PRATIQUES ADMINISTRATIVES
Les états financiers, 489. — Les pièces judiciaires et administratives, ib.
CHAPITRE IV LE FRANÇAIS, L'ÉTAT ET L'ÉGLISE CONCORDATAIRE
La vie religieuse et les parlers, 491. — Observations des Préfets, ib. — Sous l'Empire, 492. — Attitude du ministère, 493.
CHAPITRE V L'AFFAIRE DU CATÉCHISME UNIQUE
On autorise les idiomes, 495.
CHAPITRE VI LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X
L'abandon des Écoles d'État, 498. — Reconstitution lente et incomplète du premier enseignement, ib.
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616 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE VII RÔLE ET CARACTÈRE DES ÉCOLES
Le recrutement des maîtres, 502. — Singulier personnel, 503.
CHAPITRE VIII RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES
Besoins et demandes, 506. — Quelques essais, 507. — Persistance des l'éclamations, 508.
CHAPITRE IX LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE
Conséquences pour le français de la misère des écoles, 510. — Dans les pays à idiomes, 511. — Dans les pays à dialectes, 515. — Préfets puristes, ib. — Impression générale, 516.
CHAPITRE X UN DÉPARTEMENT MODÈLE
En Moselle, 518. — Les efforts redoublent, 519. — Approbation gouvernementale, 520.
CHAPITRE XI LA LANGUE ET LA VIE GÉNÉRALE
La centralisation, 523. — La guerre, ib.
APPENDICE
La limite de la langue française sous le Premier Empire, d'après une enquête officielle, 525.
TABLE DES MATIÈRES, 601.
CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT (3-1927).