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>§\5 GRANDS ÉVÉNEMENTS JÛj LITTÉRAIRES
ANTOINE ALBALAT
LART POÉTIQUE
DE
BOILEAU
Société Française d'Editions Littéraires et Techniques
12, RUE HAUTEFEUILLE, PARIS VIe EDGAR MALFÈRE, DIRECTEUR
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LES GRANDS EVENEMENTS LITTERAIRES
Colleclion nouvelle d'histoire littéraire publiée sous la direction d MM. ANTOINE ALBALAT, HENRI D'ALMERAS ANDRÉ BELLESSORT, JOSEPH LE GRAS
PREMIÈRE SÉRIE (1928). (Parue)
Henri D'ALMERAS Le Tartuffe, de Molière.
Ed. BENOIT-LÉVY Les Misérables, de Victor Hugo
Jules BERTAUT Le Père Goriot de Balzac.
René DuMESNlL La Publication de Madame Bovary.
Félix GAIFFE Le Mariage de Figaro.
Louis GuiMBAUD Les Oiiental s de Victor Hugo.
Joseph LE GRAS Diderot et l'Encyclopédie.
Henry LYONNET Le Cid, de Corneille.
Comtesse J DE PANGË De l'Allemagne, de Mme de Staël
Alphonse SÉCHÉ La Vie des Fleurs du Mal.
Louis THUASNE., Le Roman de la Rose.
Paul VULLIAUD Les Paroles d'un Croyant.
DEUXIÈME SÉRIE (1929) (Parue)
Antoine ALBALAT L'Art Poétique, de Boileau.
Henri d'ALMERAS Les Trois Mousquetaires.
Ernest RAYNAUD Jean Moréas et les Stances
Albert AUTIN L'Institution chrétienne, de Calvin
Georges BFAUME Les Lettres de mon Moulin.
René BRAY Les Fables de La Fontaine.
Raymond CLAUZEL Sagesse, de Verlaine.
Yves LE FEBVRE Le Génie du Christianisme.
Ph. VAN TIEGHEM La Nouvelle Héloîse.
Maurice MAGENDIE L'Astrée.
Georges MONGRÉDIEN Athalie.
A. AUGUSTIN-THIERRY Récits des Temps Mérovingiens.
Chaque volume 9 fr.
Abonnement à la série de douze volumes 100 f
(L'abonnement donne droit à l'édition originale)
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L'ART POÉTIQUE DE BOILEAU
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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
L'art d'écrre enseigné en vingt leçons, I volume, 50e mille (Colin, éditeur).
La formation du style par l'assimilation des auteurs, 1 volume, 22e mille (Colin, éditeur).
Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains, 1 volume, 20e mille (Colin, éditeur), couronné par l'Académie française.
Comment dfaut lire les auteurs classiques français, I volume, 14e mille (Colin, éditeur), couronné par l'Académie française.
Comment il ne faut pas écrire, 1 volume, 15e édition (Pion, éditeur).
Comment on devient écrivain, ]' volume, 20e édition (Pion, éditeur)
Gustave Flaubert et ses amis, I volume, 15e édition (Pion, éditeur).
Les ennemis de l'art d'écrire, 1 volume (Librairie universelle, épuisé).
Ouvriers et procédés, 1 volume (Havard, éditeur, épuisé).
Le mal d'écrire et le roman contemporain, 1 volume (Flammarion, éditeur, épuisé)
Souvenirs de la vie littéraire, 1 volume, 7e mille (Crès, éditeur).
Marie, 1 volume (Colin, éditeur, épuisé)
L'amour chez Alphonse Daudet, 1 volume (Ollendorf, épuisé).
Une fleur des tombes, 1 volume (Havard, épuisé)
L'Impossible pardon, 1 volume (épuhé).
Lacordaire, I volume (Vitte, éditeur).
Joseph de Matstre, 1 volume (Vitte, éditeur)
Pages choisies de Louis Veuillot, 1 volume (Vitte, éditeur).
Frédéric Mistral, sci génie, son oeuvre (Sansot, éditeur).
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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 100 exemplaires sur pur fil numérotés de 1 à 100.
Copyright by Edgar Mal/ère, 1928.
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I
LE CARACTÈRE DE BOILEAU
Avant de juger l'oeuvre de Boileau et pour bien apprécier le rôle qu'il a joué, il est nécessaire de connaître son tempérament, sa personnalité, sa nature.
Les détails de sa vie, autant que la lecture de ses oeuvres, nous aideront à comprendre son caractère j et son caractère, à son tour, nous expliquera ses sévérités, ses audaces, son intransigeance doctrinale. '
Le vrai Boileau n'a rien de commun avec le Mentor officiel dont on copiait les vers au collège. Mme de Sévigné nous le peint comme un joyeux vivant, indulgent et sans préjugés, prenant part aux soupers et aux diableries que son fils offrait à la Champmeslé, en compagnie de Racine. Ces parties de plaisir ne portaient pas un tort bien grave à la réputation du Satirique. On saavit très bien qu'il fréquentait les cabarets et qu'il faisait de bons dîners avec Molière, Chapelle, La Fontaine et Furetière. Il n'y avait pas là non plus de quoi se vanter, et l'on comprend que, sans être taxé d'hypocrisie, Racine et Boileau n'aient pas jugé à propos de raconter ces histoires.
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Quoique grand ami d'Arnault et des jansénistes, Boileau est un libéral, un esprit tolérant. Il lit Rabelais, qu'il appelait la « raison déguisée en masque » ; il lit les Contes de La Fontaine (Dissertation sur la Joconde) ; il loue les Amours d'Ovide et les élégies do Tibulle (Art poétique, ch. II). Il raille les dévots ; il est le fidèle ami de deux personnes les plus opposées d'idées et de sentiments : Racine et Molière. Passe encore pour Racine, dont les moeurs n'offensent que la morale ; mais Molière était un philosophe et un libertin, l'équivoque auteur de Tartuffe et de Don Juan, celui dont le janséniste Baillet disait : « Molière est un des plus dangereux ennemis que le siècle ou le monde ait su&cités à l'Église ». Brunetière a eu raison de croire, avec Remy de Gourmont, que Tartuffe est une pièce faite non pas contre les faux dévots, mais contre les dévots, quels qu'ils soient, et contre la religion, qu'elle atteint par-dessus leurs têtes. Don Juan et Tartuffe sont des oeuvres de libre-penseur. Les grands catholiques, Bourdaloue et Bossuet, ne s'y sont pas trompés. Cela n'a pas empêché le janséniste Boileau de rester l'ami du païen Molière aussi bien que celui du dévot Racine. Boileau eut même le courage de piotester contie la conduite du clergé à propos des obsèques de Molière.
On a reproché à l'auteur de Y Art poétique d'avoir, au début de sa carrière, reculé devant les menaces du duc de Montausier, et désavoué les attaques qu'il colportait en manuscrits dans les salons de Paris. Il est possible que Boileau ait eu un moment d'hésitation ; mais n'oublions pas cependant qu'il continua ouvertement ses rudes attaques.
Boileau nous étonne par l'indépendance de ses opi-
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nions. Il n'aimait pas les jésuites ; ses sympathies allaient aux jansénistes ; il admirait Pascal et il déclara un jour à un jésuite au'un seul auteur de son temps surpassait les anciens. Gn voulut savoir son nom. Il refusa de le dire. On le pressa. — Vous le voulez, mon père ? Eh ! bien, c'est Pascal. — Pascal ! dit le père interloqué, Pascal est beau comme le faux peut être beau. — \J& faux ! dit Boileau, le faux ! Sachez qu'il est aussi vrai qu'il est inimitable. » Et là-dessus, comme on lui tenait tête, il s'emporta et quitta l'appartement.
On s'explique qu'entraîné par son tempérament, Boileau se soit montré impitoyable dans ses Satires, et qu'il ait quelquefois passé les bornes de la critique et de la bienséance. Il traite d'empoisonneur, dans la Satire III, le pâtissier Mignot, qui porta plainte contre lui. Les magistrats écartèrent sa demande et Mignot, pour se venger, fit imprimer à ses frais de nombreux exemplaires de la Satire de Cotin, avec laquelle il enveloppait les paquets de biscuits qu'il expédiait en ville. Boileau lui-même en demandait et Mignot fut finalement enchanté de la réclame que lui faisait l'auteur des Satires.
Bon enfant et boute en train, Boileau, s'il faut en croiie le fils Racine, possédait un talent d'imitation qui lui valait de grands succès dans le monde. Il excellait, paraît-il, à contrefaire les gens, leurs gestes, leurs manies, leur voix. Il contrefit un jour Molière devant le roi et en présence de Molière, qui n'en fut pas autrement flatté. On invitait souvent Boileau pour entendre ses paiodies. A la fin, cependant, scandalisé de voir un homme comme Molière jouer des rôles d'histiion l'exposant à être bâtonné en public, Boileau renonça
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lui-même à faire le pitre et cessa de se donner en spectacle.
On connaissait, d'autre part, son humeur peu endurante. Courait-il une épigramme dans un salon, c'était lui qu'on accusait. Le duc de Nevers, grand seigneur et mauvais poète, ayant publié, à propos de Phèdre, quelques méchants vers contre Racine et Boileau, quelqu'un y répondit, et le duc menaça de faire bâtonner les deux amis, qui n'étaient pour rien dans cette réplique. Pradon, toujours prêt à attaquer Racine, répandit le bruit que Boileau et son ami avaient reçu dans la rue une volée de coups de bâton. Tallemant répéta la chose et c'est alors qu'on publia ces vers bien connus :
Dans «.' ^oin de Paris Boileau, tremblant et blême, Fut hier bien frotté, quoiqu'il n'en dise rien ; Voilà ce que produit son style peu chrétien...
Boileau ne fut, en réalité, ni frotté ni bâtonné, le grand Condé ayant fait prévenir le duc de Nevers « qu'il vengerait comme pour lui-même les insultes qu'on s'aviserait de faire à deux hommes d'esprit qu'il aimait et qu'il prenait sous sa protection ». L'avis suffit ; il n'y eut pas de bastonnade.
Boileau avouait qu'il avait le caractère difficile et chatouilleux, quand il se comparait à un chien toujours prêt à aboyer contre les mauvais auteurs :
Je suis rustique et fier et j'ai 1 ame grossièie ; Je ne sais rien nommer, si ce n'est par son nom ; J'appelle un chat un chat et Rollct un fripon.
Despréaux, comme le disait son père, était le meilleur
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garçon du monde ; mais il avait réellement dans le sang la vocation de la satire et surtout la haine de la sotte littérature. « Il était, dit Anatole France, vindicatif par profession. » Piqué au vif d'apprendre que ses vers sur l'astrolabe eussent été tournés en moquerie par Mme de La Sablière, Boileau fit contre elle certains vers qui restèrent en manuscrit et qu'il eut le bon goût de ne pas insérer sans sa Satire sur les femmes. Le même sentiment de modération le décida à effacer de ses ouvrages un trait piquant contre un magistrat qui s'était permis de dire que Boileau mettait beaucoup de temps à composer ses vers, chose que le poète avouait luimême de bonne grâce.
Boileau avait la colère prompte, mais sans rancune. Dans le chant 11 de Y Art poétique, il s'est moqué du mauvais poète Linière, ce qui ne l'empêchait pas de donner de l'argent à ce malheureux, qui allait le boire au cabaret en faisant une chanson contre son bienfaiteur.
Linière, que Boileau nomme dans Y Art poétique et qu'il appelle, dans YEpitre VIII, « de Senlis le poète idiot, » était un spirituel chansonnier très antireligieux. Brossette dit qu'il avait la physionomie d'un idiot. Linière finit sa vie dat«s la pire bohème.
Bourgeois par goûi et par caractère, Boileau n aimait pas les bohèmes. 11 a manqué de coeur en persiflant leur misère et en leur faisant un crime d'être pauvres et faméliques. Il a traité Saint-Amant et Faret d'ivrognes ; il a raillé le physique de l'abbé de Pure ; il s'est moqué de Tristan, l'auteur de Mariamne « passant l'été sans linge et l'hiver sans manteau », comme ces pauvres gens que peint si délicieusement La Fontaine, bohèmes, valeu-
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reux piliers d'estaminets, bavards intaiissables et grands chevaucheurs de Pégases déplumés :
Que srtrt à vos pareils de lire incessamment ? Ils sont toujours logés à la troisième chambie, Vêtus au mois de Juin, comme au mois de Décembre, Ayant pour tout laquais leur ombre seulement. 1
Boileau avait la dent cruslle non seulement pour les bohèmes, mais pour les gens en place et les personnes respectables. On sait comment il a traité Claude Perrault :
Dans Florence jadis vivait un médecin Savant hâbleur, dit-on, et célèbre assassin, etc.
Boileau aggrava même sa boutade par 1 epigramme célèbre :
Ton oncle, dis-tu, l'assassin M'a guéri d'une maladie ? La preuve qu'il ne fut jamais mon médecin, C'est que je suis encore en vie.
Il est vrai que c'est Claude Perrault qui commença la lutte « en se déchaînant à outrance » contre les Satires. Boileau ïavertit qu'il se vengerait et tint parole.
En revanche, les ennemis de Boileaa sont unanimes à louer son désintéiessement et sa bonté. Il ne tenait pas à l'argent, ne touchait pas un sou de la vente de ses livres et céda toujours ses droits d'auteur aux libraires. Il était riche ; il laissa plus de 80.000 francs à ses héritiers.
\. Fables, Vlll>\9.
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Racine a peint Boileau comme un ami sûr, un homme charmant, conciliant, sans envie, ne disant du mal de personne, ne haïssant que les « sots livres » et dont tout le monde, à la cour et dans les salons, recherchait l'amitié.
Malgré ses nombreux ennemis qui, selon le comte de Bussy-Babutin, « devaient l'estimer dans le fond du coeur, s'ils n'étaient les plus sottes gens du monda », Boileau avait pour amis les personnes les plus qualifiées du royaume ; toute la cour, à l'exemple du roi, l'aimait et l'estimait. Le duc de Montaasier lui-même finit par lui accorder sa confiance.
On cite bien des traits qui font le plus grand honneur à Boileau.
Voici comment Boursault, un adversaire déclaré, raconte, dans sa lettre à M. de Langres, aumônier à la cour, la belle conduite de Boileau envers Patru et Corneille :
« Après vous avoir parlé d'un grand maréchal de France, trouvez bon, Monseigneur, que je vous parle d'un homme illustre d'une autre manière, dont j'ai été autrefois l'ennemi et de qui je ne pourrais m'empêcher de bien parbr, quand je le serais encore. C'est de M. Despréaux, que j'ai cité au commencement de cette letrre. M. Patru, de l'académie française, qui avait beaucoup de mérite et peu de bien/ étant persécuté par d'inflexibles créanciers, qui voulaient faire vendre publiquement sa bibliothèque, M. Despréaux, qui en fut avârti, l'acheta pour empêcher qu'on ne lui fit l'amont de la déplacer, et la laissa à M. Patru, pou» en jouir le reste de la vie, comme si elle eût été toujours à lui. Si ce plaisir fat grand pour
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celui qui le reçut, je ne doute point qu'il ne le fût encore davantage pour celui qui le fit. Le même M. Despréaux, ayant appris à Fontainebleau qu'on venait de retrancher la pension que le roi donnait au grand Corneille, courut avec précipitation chez Mme de Montespan, et lui dit que le roi, tout équitable qu'il était, ne pouvait sans quelque apparence d'injustice donner une pension à un homme comme lui, qui ne commençait qu'à monter sur le Parnasse, et 1 oter à un homme qui depuis si longtemps était arrivé au sommet ; qu'il la suppliait, pour la gloire de Sa Majesté, de lui faire plutôt retrancher la sienne qu'à un homme qui la méritait incomparablement mieux ; et qu'il se consolerait plus facilement de n'en avoir point que de voir un aussi grand poète que Corneille cesser de l'avoir. Il lui parla si avantageusement du mérite de Corneille et Mnle de Montespan trouva sa manière d'agir si honnête, quelle lui promit de le faire rétablir et lui tint parole. Quoique rien ne soit plus beau que les poésies de M. Despréaux, je trouve que les actions que je viens de dire à votre Grandeur sont encore plus belles. »
Les traits de modération et de bon sens abondent dans la vie de Boileau. A la mort de Furetière, l'académie se demanda s'il fallait faire un service pour un membre qui avait si cruellement attaqué la noble compagnie. Boileau décida l'assemblée en disant avec sa franchise habituelle : « Messieurs, il y a trois choses à considérer ici ; Dieu, le public et l'académie. A l'égard de Dieu, il vous saura sans doute fort bon gré de lui sacrifier votre sentiment et de lui offrir des prières pour un mort qui en aurait besoin plus
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qu'un autre, quand il ne serait coupable que de l'animosité qu'à a montrée contre vous devant le public ; il vous sera très glorieux de ne pas poursuivre votre ennemi par delà le tombeau ; et pour ce qui regarde l'académie, sa modération sera très estimable, quand elle répondra à des injures par des prières. »
Boileau ne haïssait que les mauvais poètes et la mauvaise poésie. Là-dessus il était intraitable et manquait de charité.
Les Boloena citent plusieurs exemples de ces colères littéraires. Le président de Lamoignon ayant voulu lui recommander un certain marquis, poète galant, qui briguait l'Académie, Boileau lut ses vers et protesta énergiquement. « Je n'ai point de voix à donner, dit-il, à un homme qui a fait de si méchants vers à soixante ans, et des vers qui renferment une morale impudique. » Et, comme on lui faisait observer qu'il fallait avoir des égards pour un homme de qualité, il répliqua : « Je ne lui conteste pas ses titres de noblesse, mais ses titres au Parnasse, et je le tiens non seulement pour un mauvais poète, mais pour un poète, de mauvaises moeurs. » Et il alla exprès à l'académie voter contre lui .
Le premier mouvement de Boileau, c était la bonté ; il prêtait de l'argent à ses amis ; il rendait service à ses confrères ; il procura un éditeur à La Fontaine ; et, nous venons de le voir, il offrit de renoncer à sa pension pour la donner à Corneille et sauva Patru des mains de ses créanciers.
Racine considérait Boileau comme un homme « sans griffes ni dents, sinon en vers » et, contrairement à la légende, d'une extrême sensibilité, une
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sensibilité trop peu connue et allant jusqu'au romanesque, comme le prouvent certains faits de sa jeunesse. Il avait aimé autrefois une jeune fille qui, ne pouvant l'épouser, prit le voile. Boileau montra la délicatesse de ses sentiments en offrant à cette personne une importante somme d'argent pour lui permettre d'entrer en religion. C'est pour elle qu'il écrivit ces vers, qu'on mit plus tard en musique et qui semblent deux vers d'Alfred de Musset :
Vous soupirez, mon coeur, au nom de l'infidèle ; Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus ?
Au fond, le père de Boileau avait raison quand il disait de son fils : « C'est un bon garçon » on n'a, du reste, qu'à regarder son portrait. Cette bonne figare, éclairée de milice, ne saurait mentir. Enfin Boileau achève de se peindre, quand il se dit, avec sa modestie ordinaire, « plus enclin à blâmer que savant à bien faire ». C'est même très souvent le côté faible de sa critique.
La dispute survenue entre Boursault et Boileau montre bien le caractèie batailleur du Satirique, toujours prêt à se rebiffer, à se détendre ou à défendre ses amis. Venu à Paris sans relations, sans lecture et parlant encore son patois natal, Boursault s'était instruit tout seul et avait îéussi au théâtre. Ses comédies ne sont point méprisables. L'esprit d'observation et de réelles qualités de poète ont sauvé de l'oubli son Esope à la cour, Esope à la ville, le Mercure galant ont soutenu l'honneur du théâtre après Molière. Boursault touchait une pension de 2.000 francs pour publier une gazette rimée, dont la Cour faisait ses
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délices. Le roi lui-même lisait tous les soirs un journal que Boursault écrivait de sa main à son intention. Ayant un jour raillé dans sa Gazette un capucin, victims de la plaisanterie d'une ouvrière, qui lavait attaché pai la barbe pendant son sommeil, Boursault faillit être jeté à la Bastille et sa Gazette fut suspendue.
Vers 1663, brusquement, sans raison, pour plaire aux ennemis de Molière, Boursault, un brave homme pourtant, composa contre YEcoîe des femmes sa fameuse pièce : Le Portrait du peintre. Il n'en fallait pas plus pour que Boileau prît à partie Boursault et le nommât dans ses Satires parmi les mauvais poètes, Colletet, Mauroy, Titreville, etc., (1666). Le coup ne fut pas bien méchant, le nom de Boursault ne figurant là que pour la rime (Boileau avait mis successivement Boursault Perrault et Hénault), Boursault riposta en écrivant une comédie intitulée : La critique des Satires de M. Boileau, (qu'il ne faut pas confondre avec la réponse de l'abbé Cotin, portant le même titre.) La pièce allait être jouée au Théâtre du Marais, quand Boileau, par une requête au Parlement, la fit interdire. Ce n'était pas très courageux, et Molière se montrait plus crâne en se plaçant aux premiers rangs, à la représentation du Portrait du Peintre, dirigée contre lui et dont il s'est spirituellement vengé dans Y Impromptu de Versailles. La reculade de Boileaa fut d'autant plus remarquée, qu'il avait lui-même autorisé les attaques, en faisant dire par son libraire, dans une de ses préfaces : « J'ai charge d'avertir ceux qui voudront faire des Satires, de ne se point cacher. Je leur réponds que l'Auteur
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ne les citera point devant d'autre tribunal que celui des Muses. Si ce sont des injures grossières, les beurrières lui en feront raison ; et si c'est une raillerie délicate, il n'est pas assez ignorant dans les Loix, pour ne pas savoir qu'il doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement : comme ils contribueront sans doute à rendre l'Auteur plus illustre, ils seront le profit du Libraire, et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y trouve, je leur conseille d'attendre quelque temps, et de laisser mûrir leur mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. »
Pour justifier cette contiadiction, on fait remarquer qu'un éciit imprimé et une pièce de théâtre sont deux choses très différentes ; que Boileau voulait bien être combattu, mais non pas être mis tout vif sue la scène, et que \<x pièce était diffamatoire et visait son honneur. D'Alembert le croyait. La pièce n'est pourtant pas méchante et ne dépassait pas les bornes d'une satire littéraire. Boursault, s'est, d'ailleurs, énergiquement défendu d'avoir voulu diffamer Boileau. « Ceux, dit-il, qui se donneront la peine de lire la pièce que je mets au jour verront bien que je n'y ai rien mis de diffamatoire contre l'honneur de Boileau ni contre sa personne, comme il le suppose dans l'arrêt qui fait défense aux comédiens de la représenter. Je ne sais rien de lui qui soit à son désavantage que ce que toute la France sait aussi : c'est-à-dire certaine liberté qu'il prend d'offenser des gens qui ne lui ont jamais fait du mal, et je pense qu'il n'y en aurait guère qui lui refusassent leur estime, s'il faisait un meilleur usage de son génie. »
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Boursault, dans sa pièce, protestait surtout contre les violences de Boileau :
Il ne faut pas avoir l'esprit fort délicat Pour nommer l'un fripon, appeler l'autre fat. Qu'a-t-il fait jusqu'ici qu'exciter des murmures, Insulter des auteurs et rimer des injures ? Quelle honteuse gloire et quel plaisir brutal De ne pouvoir bien faire à moins de faire mal ! A quel homme d'honneur a-t-il vu sa manie ? Qui jamais à médire a borné son génie ? Quand d'un si grand génie on a l'esprit doué Sur le même métier on est toujours cloué . A la satire seule est-il bon qu'on s'amuse, Et n'en peut-on sortir sans égarer sa Muse ?1
Voici le texte de la Requête adressée par Boileau au parlement, publiée pour la première fois par Hallays-Dabot, dans son Histoire de la censure théâtrale 2.
« Vu par la chambre des Vacations la requête présentée par Maître Nicolas Boileau, avocat en la cour, contenant qu'il a appris par une affiche qui a été mise en tous les carrefours de cette ville de Paris, que les comédiens du Marais, jouant actuellement en la rue du Temple, devaient représenter sur le théâtre, vendredi prochain, une farce intitulée : La Critique des Satires de M. Boileau, qui est une pièce diffamatoire, contre l'honneur, la personne et les ouvrages du suppliant, ce qui est directement contraire "aux lois et ordonnances du royaume, n'étant pas permis aux farceurs et comédiens de nommer
1 Saint-René Taillandier, Etudes littéraires, p. 59.
2. Cité par Saint-René Taillandier, Etudes littéraires, p. 51.
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les personnes connues et inconnues sur les théâtres ; à ces causes, requérant estre fait défense au nommé Rosidor, qui a annoncé ladite farce, et autres comédiens de la même troupe et tous autres de représenter sur le théâtre ni ailleurs, en quelque sorte de manière que ce soit, ladite pièce intitulée sur les affiches : La Critique des Satires de M. Boileau ni l'afficher et annoncer de nouveau, à peine de punition corporelle et de 2.000 livres d'amende. »
La pièce de Boursault ne fut donc pas jouée. Il la publia en 1669, sous le titre de Satire des Satires.
Boileau toujours « bon garçon » se réconcilia avec Boursault, comme il devait se réconcilier avec Perrault. C'est Boursault qui fit les premières avances. L'auteur de Y Art poétique nous l'apprend dans une lettre à Racine : 19 août 1687, datée de Vichy :
« M. Boursault, que je croyais mort me vint voir il y a cinq ou six jours et m'apparut le soir assez subitement. Il me dit qu'il s'était détourné de trois grandes lieues du chemin de Montluçon pour avoir le bonheur de me saluer. Il me fit offre de toutes choses, d'argent, de commodités, de chevaux. Je lui répondis avec les mêmes honnêtetés et voulus le retenir pour le lendemain à dînei ; mais il me dit qu'il était obligé de s'en aller de grand matin. Ainsi nous nous séparâmes amis à outrance. » Brossette confirme le fait dans une lettre à Boileau le 25 novembre 1701 :
« On me mande la mort de M. Boursault, arrivée au mois de septembre dernier. Il s'était réconcilié avec vous de fort bonne grâce et voilà, je crois, un ami de moins, » .
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Tranchant dans ses opinions et dévoué à ses amis, il ne fallait pas attaquer Boileau. La moindre étincelle allumait sa verve. L'abbé Cotin eut l'imprudence de le provoquer dans sa Satire des Satires du temps (1666), qu'il ne faut pas confondre avec la Salue des Satires de Boursault (1669). Cotin traitait Molière de farceur et accusait Boileau (qu'il appelait Des Vipereaux) non seulement d'être un méprisable plagiaire, mais un impie, un homme sans moralité, un libertin qu'il dénonçait à la justice comme un ennemi de la Société. Quoi d'étonnant que Molière et Boileau se soient montrés durs pour Cotin, l'un dans sa satire VIII, l'autre dans la dispute de Trissotin des Femmes savantes ?
« Moitié manque de tact, moitié méchanceté, dit Faguet, Cotin avait été au delà des bornes permises de la «...tique littéraire et de la morale. Il y a là de l'injure, de la mauvaise foi et quelque chose qui sent un peu la diffamation et la délation. »
Membre influent de l'Académie française, ami de Chapelain et de Perrault, familier de l'Hôtel Rambouillet, aumônier du roi, ayant le vers facile et spirituel, auteur de deux volumes d'oeuvres galantes, l'abbé Cotin est bien le type du prêtie mondain d'ancien régime. Cet ecclésiastique bel esprit prêcha pendant 16 ans à la cour, sous Richelieu et Mazarin. Il avait publié un poème : La Jérusalem désolée ou Méditations sur les ténèbres et un autre poème, la Magdeleine. Reçu chez les Longueville et les Nemours, Cotin devint le favori de la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans. Dans des poésies légères, quatrains et madrigaux, l'abbé Cotin a chanté
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les beaux yeux, le marivaudage et l'amour, d'une façon souvent indécente.
Boileau prétend qu'il ne venait personne à ses sermons ; Perrault soutient qu'ils étaient très suivis. Cotin eut certainement du succès à la Cour et ne devait pas être un mauvais prédicateur, bien qu'on puisse se demander l'autori é que pouvait avoir ce pïêtre enrubanné de galanteries grivoises. Boileau conseillait à MM. les ecclésiastiques d'aller entendre Bourdaloue pour apprendre ce qu'il fallait imiter, et l'abbé Cotin pour apprendre ce qu'il fallait éviter. Qu'il vint du monde ou non à ces sermons, Boileau ne nous le dit pas très clairement :
Moi qui compte pour rien, ni le vin ni la chère, Si l'on n'est plus au large, assis en un festin, Qu'ctux sermons de Cassagne ou de l'abbé Cotin.
Ces vers sont obscurs ; on est surpris que Boileau ne s'en soit pas aperçu. « On voit bien, il est vrai, dit judicieusement Vigneuï-Marville, que l'auteur a voulu dire par là que ces deux prédicateurs attiraient peu de monde à leurs sermons ; mais cela est-il bien exprimé 7 Et si je disais : Je n'aime point les grandes cohues, surtout à table, et j'aime à y être plus à l'aise qu'aux sermons du père Bourdaloue, cela ne signifierait-il pas qu'on est fort pressé dans l'auditoire de ce célèbre orateur ? La pensée de Boileau ne me parait pas juste et n'exprime pas bien ce qu'il voulait dire, puisqu'on peut être beaucoup de monde à table et au sermon et y être à l'aise. »
En se réconciliant avec ses ennemis Boileau se crut obligé de reconnaître du génie (c'est-à-dire du talent)
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à Saint-Amant, à Brebeuf, à Scudéry et même à l'abbé Cotin. Il n'avait peut-êtie pas tort. Parmi les adversaires de Boileau, tous plus instruits que lui, Cotin fait figure d'érudit. « Il savait à fond, prétend Faguet le grec, le latin, l'hébreu et même le syriaque. Il pouvait réciter par coeur, nous dit Perrault, Homère et Platon, et cela n'est pas pour m étonner. Bien plus, il connaît très bien le Moyen-Age ; il nous rapporte, dans ses Observations sur le Cantique des Cantiques, des vers de René d'Anjou, le roi de Sicile. Cela ne va pas évidemment sans quelque pédantisme ; mais ce pédantisme est de ceux qui supposent une vaste instruction. * »
Chapelain, le distributeur des pensions royales, tenait l'abbé Cotin en grande estime et le recommandait en termes élogieux dans sa liste officielle : « Il est bon philosopha, moral et logicien. Il écrit facilement, parement et éloquemment, aussi bien en vers qu'en prose, et a l'air du monde et de la conversation. Il a publié beaucoup d'ouvrages Ae galanteries et de piété. » Cette simple réflexion marque l'esprit d'une époque, où galanterie et religion allaient assez bien ensemble.
Cotin n'était pas un adversaire insignifiant. Il tenait tête à Boileau. D'autres, vivant plus modestement sur leur paisible réputation, se montrèrent très sensibles aux attaques du satirique, notamment l'abbé Cassagne, que Despréaux nommait à côté de Cotin. Cet abbé Cassagne, dont les sermons étaient très suivis, fut comme frappé à mort par le poète. Il cessa
1. Emile Faguet, Histoire de la poésie, t. III.
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de prêcher et devînt fou. On l'enferma et on assure qu'il mourut de dépit, à l'âge de 46 ans. En tous cas, il y mit le temps, car il ne mourut qu'au bout d'une dizaine d'années. Certains auteurs, il faut bien le dire, furent griffés par Boileau sans raison, pour rien pour la rime, parce qu'ils l'agaçaient, comme ce Charpentier, très inconnu, grand traducteur et grand bavard.
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II
LA PUBLICATION DE L'ART POÉTIQUE
Il existe contre Y Art poétique une légende d'ennui qui date du collège On a si souvent récité ces vers ; c'est un sjjet si aride ; Boileau, comme dit Flaubert, a eu de si piètres commentateurs, que personne n'a plus envie de relire ce beau chef-d'oeuvre de sécheresse classique.
On a tort. L'art poétique n'est pas ennuyeux. Boileau redoutait l'objection et, pour rendre l'oejvre attrayante, il en a fait une sorte de satire contre les mauvais auteurs de son temps, ce qui donne au poème un caractère d'actualité qui nous séduit encore aujourd'hui.
Un ouvrage didactique ne peut avoir les agréments d'un ouvrage d'imagination. L'art poétique exigeait des qualités de condensation et de souplesse qui formaient précisément le fond du talent de Boileau. Malgré ses très visibles défauts, mauvaises transitions, répétitions de mots, impropriétés, monotonie, tics et chevilles, le poème s'est imposé par la supé-
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riorité de l'exécution. Ces vers secs, mais éclatants, ont une plénitude axiomatique qui les grave dans la mémoire. Leur coupe ne varie pas ; ils sortent tous du même gaufrier. Quand on en lit une centaine à la file et qu'on ouvre ensuite Racine, (le grand discours de Mithridate, par exemple,) on est émerveillé d'admiration devant l'aisance, la variété, l'inépuisable ressource de tours et de phrases qui font de Racine le plus grand des poètes. Et pourtant, encore une fois, les vers de Boileau sont irréprochables ; il n'en existe pas de plus solides ; ils sont parfaits, malgré leurs défauts ; on oublie même ces défauts pour ne plus voir que ce miracle d'exécution. Relisez la Satire VI, Les Embarras de Paris et la Satire III, Le Repos ridicule, où tout est cependant si artificiel. L'Epitre VI sur la retraite, l'Epitre VII à Racine, l'Epitre VIII sur l'Homme et la Nature : ce sont des chefs-d'oeuvre ; mais rien ne surpasse Y Art poétique.
Le procédé de Boileau est partout le même et partout visible. Il suivait le conseil qu'il donnait à Racine : il écrivait le second vers avant le premier, ce qui donne à ses vers leur solidité, mais aussi leur monotonie. Les rivaux de Boileau, les Quinault, Perrault et Pradon, ont quelquefois de jolis morceaux ; mais ce sont des lueurs, des intermittences, tandis que Boileau ne bronche jamais. « Son art, dit très justement Cantu 1 procède de paraginphe en paragraphe, bond par bond, sans liaison de l'un à l'autre ; à chaque fin de phrase on trouve un repos,
1. Hist. univçrselle, t, XVI.
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non seulement du vers, mais du sentiment ; c'est pour ainsi dire une respiration asthmatique... » Respiration courte, oui, mais qui ne s'arrête pas, ne faiblit pas et va jusqu'au bout de l'ascension.
L'art poétique est une oeuvre parfaite réalisée par le travail et la maîtrise de la forme, ce qui prouve une fois de plus que rien ne dure que par le style.
Boileau a fixé le domaine du classicisme. Il a donné le code des règles qui résument son esthétique et celle de ses amis, Racine, Molière, La Fontaine, etc. C'est le manifeste d'une minorité de bons écrivains contre une majorité de mauvais auteurs.
Enfin Boileau est un grand critique, parce qu'il a classé les valeurs littéraires de son époque. Il a dit nettement : « Voici ceux qui ont du talent et voici ceux qui n'en ont pas ; les uns sont de grands écrivains et les autres sont des grotesques. » Cette indication des valeurs parait aujourd'hui toute simple ; mais il n'était pas facile alors, à travers le chaos des cabales et des coteries, de discerner et de désigner ceux qui devaient triompher et ce que serait l'avenir de la littérature. Quel critique se chargerait aujourd'hui de classer sans erreur le talent de nos écrivains contemporains ? M. Pierre Quint fait judicieusement observer que MM. les critiques manquent de perspicacité quand il s'agit de juger les auteurs de leur époque. « La plupait, dit-il, contrairement à Boileau n'çnt rien compris à leur temps. Sainte-Beuve, "Taine, Brunetière, Anatole France ont écrit de grandes âneries sur leurs contemporains. Le plus souvent, ils n'ont même pas deviné qu'auprès d eux vivait tel homme encore presque inconnu, géant en puissance,
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comme replié sur lui-même, et qui allait soudainement se lever. »
La remarque est j'uste et on pourrait la développer. Laissons de côté les rétrogrades, comme Ginguéné et Morellet, les dévots et ultra-royalistes, comme Veuillot et Barbey d'Aurevilly ; prenons le type du critique sans préjugés, Sainte-Beuve. L'auteur des Lundis n'a pas compris la valeur immédiate des grands écrivains de son temps. Il a rabaissé Hugo, Lamartine et Gautier ; il a placé de médiocres poètes sur le même rang que les grands. Il n'a pas pressenti l'inîluence de Balzac, qu'il range avec Frédéric Soulié, Dumas père et Eugène Sue. Il a méconnu la prodigieuse psychologie de Stendhal. Il n'a compris ni Baudelaire ni Gérard de Nerval, et n'a pas entrevu l'école descriptive que Flaubert allait créer avec Madame Bovary. Sainte-Beuve, comme la plupart des critiques, n'a pas su prendre du recul pour juger les oeuvres qu'il avait sous les yeux. Boileau, au contraire, s'était fait, dit M. Quint « une espèce d'instinct qui l'a amené, par exemple, à défendre contre la Phèdre de Pradon, soutenue par les hommes de goût du temps, la Phèdre de Racine, qui est encore aujourd'hui l'oeuvre la plus vivante et la plus moderne du XVIIe siècle. De même, quoiqu'il ait négligé les précieux et les libertins (qui correspondent peut-être à ce que sont certaines de nos chapelles d'avant-garde, particulièrement « giraudouistes » et « surréalistes »), il s'est lié d'amitié avec les plus grands de ses contemporains, en qui il a reconnu des maîtres.
Cette perspicacité de Boileau est, en effet, très remarquable, et il ne serait peut-être pas difficile
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d'en trouver la raison. C'est^que Boileau avait à sa disposition une pierre de touche infaillible : les Anciens. Il lisait Horace ; Racine lui révélait Homère et les grecs. Ce sont les Anciens qui ont enseigné à Boileau le culte de la vérité et de la raison, la nécessité de peindre vivant, l'observation directe du coeur humain, la valeui de la perfection et du travail. C'est à la lumière de ce grand exemple que Boileau a vu ce qui manquait à ses contemporains, et il a bien jugé les écrivains de son temps parce qu'il connaissait bien les écrivains hors de son temps. A cet égard Boileau est un grand critique et certainement, comme le dit M. Quint, « un homme remarquable, parce qu'il a senti sa propre époque. »
A la veille d'écrire son Art poétique, la réputation de Boileau était définitivement établie par la publication de cinq Epitres (1669-1674) et d'une dizaine de Satires. Boileau, en 1674, avait une situation unique dans le monde des lettres. Son caractère intrépide, sa confiance dans son talent, l'intransigeance de ses goûts littéraires lui permirent de choisir en toute certitude la place qu'il pouvait prendre dans un genre de critique à peu près créé en France par du Bellay, avec son Poète courtisan, qui est déjà du Régnier. Boileau a la vocation de son rôle et débute avec la conviction de ne pas manquer son avenir. Il a bien lu Régnier ; il s'en souviendra et l'imitera en évitant sa grossièreté. Il tâchera d'être une sorte de Juvénal sans impudeur. Il publiera des satires, mais des Satires littéraires contre les mauvais auteurs. Il flagellera les personnes, mais il n'offensera ni l'honneur ni la morale. Boileau a des qualités d'ordre et de
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raison, qui en littérature se traduiront par le respect de son art, c'est-à-dire par un besoin incessant de la perfection intégrale.
On lui reproche d'avoir critiqué au hasard de la rime des auteurs qu'il ne lisait pas. Mais pourquoi eût-il choisi ? Toute la littérature de son temps était médiocre, burlesque ou précieuse. On comptait très peu de bons poètes qui, comme Chapelle, Bachaumont et Chaulieu, fussent capables d'écrire des vers faciles et naturels.
Boileau lut d'abord ses premières attaques dans des réunions d'amis au Mouton blanc, à la Pomme de pin, avec Molière, Chapelle, Furetière, Racine. Bon acteur et bon liseur, Boileau avait un entrain inépuisable. La publicité des Satires franchit le cercle des amis. Boileau les lut dans les salons et même à la Cour, où elles firent du bruit. Cette préparation au succès exaspérait ses ennemis. On l'accusait de vouloir, par la séduction du débit, tromper les auditeurs sur la qualité des vers. « Attendez, disait-on, qu'ils soient imprimés, vous aurez des déceptions. » On se trompait. Célèbres avant de paraître, les Satires assurèrent d'avance la renommée de Boileau. Elles couraient les salons quand elles commencèrent à affronter le public, en 1664, dix ans avant L'art poétique. Elles n'attaquaient pas seulement les mauvais auteurs ; les conseils et les blâmes qu'elles contenaient dépassaient l'actualité et prenaient une signification plus haute. Les Chapelain et les Cotin sont aujourd'hui oubliés et, comme le remarque D'Alembert, les satires « ont servi de cadres à d'excellents principes de goût » qui, eux, ont survécu. C'est ce caractère litté-
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raîre qui a maintenu la réputation de ces courts pamphlets, où Ton pouvait déjà prévoir les leçons de l'Art poétique. Boileau critiquait, mais en même temps il enseignait.
Il avait beau cependant être applaudi dans quelques maisons amies, Boileau ne pouvait compter ni sur tous les seigneurs de la Cour, ni sur tous les salons de Paris. Les Beaux-esprits qu'il fustigeait régnaient dans ces élégants r*!lieux, Ménage entr autres, l'ami de Mme de Sévigné, le favori de l'Hôtel Rambouillet, se moquait ouvertement de Racine et de Boileau; on le revoyait chez Mme Scudéry, la femme de l'auteur d'Alaric, chez Mme de Pellissari, Mme de Bouillon, Mme Deshoulières et d'autres personnes, familières avec les ennemis de Boileau.
Ménage était un homme de bon sens, Il ne manquait ni d'esprit ni de malice et il eut le bon goût de ne pas se fâcher d'avoir été mis au théâtre dans Les Femmes savantes. « Madame, dit-il à Mme de Rambouillet, j'ai vu la pièce. Elle est parfaitement belle et on y peut rien trouver à redire ni à critiquer. » Ménage fut le premier à soupçonner l'importance qu'allaient prendre les attaques de Boileau contre Chapelain et ses amis.
En attendant, ce sont les ennemis de Boileau qui triomphent ; on les acclame ; ils brillent à toutes les fêtes ; leur domination durera jusqu'à la fin du XVIIe siècle.
Pour le moment, à la veille de l'Art poétique, protégé par Louis XIV, qui lui restait fidèle et allait le nommer historiographe, Boileau, à quarante ans, s'est fait la réputation d'une critique redoutable.
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Après les Epitres et les Satires, il ne lui manque, pour être l'Horace français, que de publier un Art poétique. Il s'y décide. Ambitieux, convaincu, voulant être vraiment l'arbitre de son temps et mettre le sceau à son autorité, Boileau se juge à la hauteur du rôle qu'il choisit et qui lui fera dire à Racine, à propos à'Athalie : « Je m'y connais. C'est votre meilleur ouvrage. Le public y reviendra. » Boileau est sûr de lui comme de la postérité. On a même dit qu'il avait composé lui-même son propre éloge, en improvisant les quatre vers destinés à être mis au bas de son portrait gravé par Devret :
Au joug de la raison as?:rvissant la lime, Et, même en imitant, toujours original, J'ai su dans mes écrits, docte, enjoué, sublime, Rassembler en moi Perse, Horace et Juvénal.
Vigneul-Marville affirme que ces vers sont de Boileau. Ils sont de Le Verrier. Boileau le dit formellement à Brossette {Lettre CXXVIl). Mais, si Boileau n'a pas écrit ces vers, il les pensait certainement. Vigneul-Marville, d'ailleurs, se contredit. Après avoir dit que ces vers sont de Boileau, il prétend qu'ils ne sont pas de lui. Et la preuve, c'est qu'un graveur, ayant apporté son portrait à Boileau, le pria de lui donner des vers pour mettre au bas de la gravure, et que « Boileau lui répondit : qu'il n'était ni assez fou pour dire du bien de lui, ni assez fat pour en dire du mal. »
Aux approches de 1674, rompu à tous les secrets de son art, Boileau consulte ses forces et n'hésite pas à entiéprendre le poème qui devait être le couronne-
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ment de sa carrière. Certes, il avait des prédéces^urs et bien des Arts poétiques furent publiés avant le sien, Quelques-uns ont joui d'une certaine réputation, ceux de Sibilet, Du Bellay, Ronsard, Colletet (1658) La Mesnardière (1640) le père Rapin (1670) le père Le Bossu, etc..
L'art poétique de Vauquelin de la Fresnaye, disciple de Ronsard, est le plus sérieux qui ait paru avant Boileau. L'auteur paraphrase Horace et mêle à des discussions familières d'intéressants renseignements sur les poètes de son siècle. Il s'occupe surtout des règles qui régissent les genres, tragédies, comédies, épitres, satires, etc.. On a accusé Boileau d'avoir plagié Vauquelin : Il l'a imité plutôt. « Il est certain, dit Delaporte, qu'une douzaine d'examètres de Boileau ont des airs de proche parenté avec ceux de Vauquelin ; mais y a-t-il plagiat ? Le mot est tiop fort. L'imitation de Boileau se réduit, si elle existe, à quelques réminiscences. »
Jérôme Vida publia, lui aussi, au XVIe siècle, une sorte à!Art poétique en trois chants, écrit en latin et qui est un simple recueil de pastiches et de procédés donnant les moyens de s'assimiler les beautés de Virgile et d'Horace. Cet enseignement est présenté en toute bonne foi. Vida était un évêque comme il y en avait à la Cour de Léon X, épris de littérature et de mythologie et capable de confondre dans un même culte Virgile, Horace, la Vierge et les dieux de l'Olympe.
La Poétique de Scaliger eut également, au XVIe siècle, un énorme succès. Enthousiaste des Anciens, Scaliger étudie avec compétence la littérature
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grecque et latine, auteurs, règles et procédés de style.
Mais c'est Horace le grand modèle de Boileau, celui qu'il a le plus lu, le plus étroitement imité, comme nous le verrons en examinant les réponses qu'on a faites à Y Art poétique.
Au fond, ce genre de traité nous vient directement d'Aristote. C'est lui qui a proposé ce sujet aux méditations des poètes et des écrivains. Sa Poétique, oeuvre philosophique, contient les fondements d'une technique que devaient développer les futurs théoriciens littéraires.
Boileau ne pouvait se dissimuler la somme d'efforts et de labeur que présentait un poème qui ne pouvait être un chef-d'oeuvre que par la peifection de la forme. Les difficultés du métier passionnaient Boileau. Il se vantait de réussir les descriptions les moins poétiques. Il écrivait à Racine que les transitions sont « le [Jus difficile chef-d'oeuvre de la poésie » et qu'elles « le tuent ». Il reprochait à La Bruyère de les avoir supprimées. C'est par l'expression, bien plus que par l'invention, qu'il s'efforçait d'être original. Il a dit dans une préface : « Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante, extraordinaire ? Ce n'est point, comme se le persuadent les ignorants, une I ensée que personne n'a jamais eue, ni dû avoir ; c'est, au contraire, une pensée qui a dû venir à tout le monde et que quelqu'un s'avise d'exprimer. »
En résumé, Boileau se sentait parfaitement capable de remplir le rôle qu'il choisissait par la seule autorité de son goût. Cependant, maigre sa confiance, malgré la certitude du succès, il voulut consulter ses amis. Il va voir Patru, qui avait déjà tenté
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de décourager La Fontaine, et lui annonce son projet décrire un Art poétique. Patru effrayé veut le détourner d'un pareil dessein. Despieaux n'insista pas ; il fit comme La Fontaine : il se mit au travail et revint lire à Patru les débuts du poème. L'avocat cette tois se déclara enchanté et encouragea le poète à poursuivre son travail. Boileau était un lecteur séduisant ; mais Patru ne devait pas avo'r de désillusion.
Boileau se mit donc à la besogne. Et quelle besogne l II lui fallut cinq ans de 1669 à 1674, pour écrire les 1.110 vers du poème, (220 vers par an). Il est vrai qu'il se reposait en composant en même temps son poème héroïque le Lutrin et en écrivant sa quatrième Epitre sui les conquêtes de Louis XIV. » Fidèle à sa méthode de préparer son succès, Boileau, à partir de 1672, organisa des lectures de ses principaux morceaux chez M. de Pomponne, La Rochefoucauld, Mme de Guénégaud, de Chauvignon, Mme de La Fayette, chez la princesse Palatine, le prince de Condé, etc..
L'ouvrage fut célèbre avant son apparition. Les belles dames criaient au chef-d'oeuvie. Mme de Sévigné délirait d'enthousiasme. On copiait les manuscrits. Chapelle disait : « Il s'enivre de vers ». Tout cela fut monté, médité et arrangé par un homme qui savait ce qu'il faisait. Le roi lui-même pria Boileau de venir lui lire des passages et se montra ravi.
Cette rumeur de gloire inquiétait les ennemis de Boileau. Ils attendaient avec impatience l'apparition d'un ouvrage qui pouvait etie pour eux l'occasion d'une humiliation nouvelle ou d'une revanche.
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La publication de YArt poétique fut en France et même à l'étranger un des grands événements littéraires du XVIIe siècle. Par l'entremise de Pellisson, maître des requêtes, et du duc de Montausiei, ami personnel et protecteur de Chapelain, les ennemis de Boileau, Quinault, Cotin, Charpentier, Cassagne, Chapelain, Boyer, Desmarets de Saint-Sorlin se livièrent à toutes sortes de démarches pour empêcher l'apparition du poème et faire refuser à Boileau le privilège d'imprimer. Le duc de Montausier s'adressa même au roi et faillit réussir ; mais le roi tint bon, grâce à l'instance de Colbert, qui fut heureux d'annoncer à Boileau la décision royale autorisant l'impression. Boileau répondit par une lettre de remerciement dont Colbert disait : « Jamais lettre ne m'a fait plus de plaisir. » L'intelligent ministre appréciait à lear valeur Racine et Boileau. Etant un jour à Sceaux, en entretien avec eux, il dit à son valet de chambre, qui lui annonçait l'arrivée d'un prélat : « Qu'on lui fasse tout voir, hormi moi. »
L'Art poétique parut vers le 10 juillet 1674, en même temps qu'une nouvelle édition des oeuvres poétiques de Boileau. Dès 1672, son libraire Barbin avait demandé lui-même au roi le privilège d'imprimer le nouvel ouvrage ; et, le 7 juillet 1674, Boileau lui donnait le droit de jouissance du privilège, à lui et à quatre autres libraires.
Le succès de YArt poétique durait encore en 1701, vingt-sept ans après son apparition. Devenu le type de l'écrivain classique, Boileau connut de son vivant la popularité et la gloire. On le saluait dans les rues en disant : « C'est l'auteur de YArt poétique. » Dînant
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un jour chez Rollin, au collège Beauvais, il fut acclamé par les élèves et répondit aux vivats en leur faisant octroyer un jour de congé.
L'Art poétique jouit de la même réputation en France et en Europe. La Harpe à cité la longue liste de ses admirateurs au XVIIe et XVIIIe siècles. Loué par Fontenelle, Voltaire, le Batteux, Marmontel, Vauvenargues, l'Art poétique fut critiqué par Diderot, qui affectait de prendre Boileau pour un simple versificateur. La renommée du poème persista jusqu'à Delille et ne s'éteignit que vers la fin du XVIIIe siècle. L'Art poétique subit alors le changement des idées politiques, qui allaient bouleverser même la littérature. En 1787, Dorât envoya au Concours de l'Académie de Nîmes, à propos de l'influence de Boileau, une sorte de pamphlet où on reprochait au législateur du Parnasse de n'être qu'un imitateur et un étouffeur de talent. Enfin le Romantisme fit de Boileau son bouc émissaire, l'auteur responsable de la décadence de la poésie française. Après l'avoir respectueusement salué dans sa préface de Littérature et philosophie mêlées, Victor Hu^o bafoua Boileau dans les Contemplations. Pontmartin lui-même rivalisa d'ironie. « Avant peu, disait-il, Boileau ne sera plus même attaqué. En supposant qu'il le soit encore, on ne prendra plus la peine d'élever contre lui des barricades, comme contre M. de Polignac ou M. Guizot. La vraie barricade, ou plutôt le vrai pavé, c'est son bagage poétique et littéraire ; c'est le Lutrin, que M. Nisard a le bon esprit de jeter ou à peu près, par dessus bord, grosse gaieté de réfectoire où un certain luxe de style, d'images, de fictions, de rythme
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ne fait que mieux ressoitir la pauvreté du fond et la puérilité du sujet. C'est YArt poétique, qui devrait tout au plus s'appeler le Manuel du versificateur, aussi lourd, aussi oiseux, aussi gauchement didactique que celui d'Horace est vif, alerte et charmant. »
Le P. Delaporte a bien résumé le rôle et l'influence de YArt poétique :
« Despréaux, dit-il, ressemble beaucoup à ce portrait que Vaugelas traçait de lui-même au début de ses Remarques : « Je ne prétends passer que pour un simple témoin qui dépose ce qu'il a vu et oui, ou pour un homme qui aurait fait un îecueil d'arrêts qu'il donnerait au public. » Voilà, en vérité, l'attitude de Boileau dans son art poétique. Son poème est un recueil d'arrêts. Boileau rédige, co-ordonne, couche par écrit, en quatre chapitres rimes, ce qu'il a vu et oui chez l'aristocratie ou la roture des écrivains de France. »
La publication de YArt poétique souleva des clameurs de protestation chez les ennemis de Boileau. Bussy-Rabutin blâma LouL XIV d'avoir accordé le privilège d'imprimer, et prédit que Boileau serait victime de son audace. « Quand il récitait ses vers p?r ci par là, dit-il, c'étaient des fragments qui en donnaient une belle idée ; et, d'ordinaire, il ne choisissait pas les plus faibles endroits ; mais, aujourd'hui que l'on verra le fort avec le faible ; que ses vers ne seront pas soutenus de la prononciation et qu'on les verra tant qu'on voudra, je ne pense pas qu'on les estime autant que l'on faisait quand on ne les connaissait guère ». Bussy se trompait. L'histoire des Satires prouvait le contraire.
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Boileau fut attaqué par tous les mauvais écrivains qu'il avait critiqués. Boursault se montra très dur ; Cotin demandait qu'on l'assommât ; Coras l'insultait, dans son Satirique berné, en prose et en vers ; Claude Perrault publiait YEnvieux parfait et le Corbeau guéri par la Cigogne ; Bonnecoise répondait au Lutrin par son Lutrigot ; Pradon et Pinchesne le menaçaient de la bastonnade ; Montausier voulait le noyer dans la Seine ; Saint-Pavin aiguisa des épigrammes et plus tard Regnard se moquait encore ouvertement de Boileau.
Les attaques les plus sérieuses furent celles de Desmarets de Saint-Sorlin, Carel de Sainte-Garde, Pradon, D'Assoucy, Perrault, Bonnecorse, du Tremblay. On nia le talent de Boileau, son originalité, sa compétence. On lui reprochait de n'avoir pas quarante ans, d'être sans eutorité et sans invention. On le traita coirme le plus mauvais poète de son temps ; on corrigea ses vers, on chicana ses virgules ; tout fut réfuté, déchiqueté, épluché. On trouvait surtout insupportable cette prétention de vouloir régenter la littérature et se poster à l'égal d'Horace. « Comment ! disaient-ils. A 33 ans I Et à quel titre ? Qu'a-t-il fait ? Quelle est son oeuvre ? De mauvaises satires et quelques méchantes épitres 1 »
Le grand reproche qu'on faisait à Boileau, c'était d'avoir plagié Horace et même Vida. Pour Horace, Boileau ne s'en cachait pas ; il voulait être l'Horace français ; il s'appelait lui-même m sdestement un « gueux revêtu des dépouilles d'Horace » ; il répondait sans colère : « Bien loin de rendre à mes ennemis injures pour injures, ils trouveront bon que je les
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remercie du soin qu'ils prennent de publier que ma Poétique est une traduction de la Poétique d'Horace : car, puisque dans mon ouviage, qui est d'onze cents verts, il n'y en a pas plus de cinquante ou soixante, tout au plus, imités d'Horace, ils ne peuvent pas faire un plus bel éloge du reste qu'en le supposant traduit de ce grand poète ; et je m'étonne après cela qu'ils osent combattre les règles que j'y débite. Pour Vida, dont ils m'accusent d'avoir pris aussi quelque chose, mes amis savent bien que je ne l'ai jamais lu ; et j'en puis faire tel serment qu'on voudra, sans crainte de blesser ma conscience i.
On s'étonne qu'on ait fait à Boileau ce genre de reproche. L'imitation ne choquait personne à cette époque. Racine, La Fontaine et Molière avouaient leurs emprunts. Horace lui-même avait puisé dans des Poétiques antérieures et considérait les oeuvres grecques comme les grandes' sources de l'inspiration littéraire.
L'art poétique de Boileau et l'Epitre d'Horace sont deux ouvrages très différents. L'Epitre eux Pi' so,;s sous la forme d'une spirituelle causeiie, est un ensemble de conseils qui resteront les éternelles conditions de l'art d'écrire. Le soin que met Horace à signaler l'importance des sujets qu'il traite, la valeur qu'il attache à ces conseils prouvent que la littérature était en honneur à Rome, et qu'il y avait alors, comme chez nous au XVIIe siècle, beaucoup de gens qui se mêlaient d'écrire. Ne prenons pas Horace pour un pédant. Il n'a pas voulu faire un poème didactique,
I. Art poétique, Avis.
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mais une simple épitre, dans le genre de celle à Auguste ou Julius Florus sur la poésie. OEuvre satirique d'un homme ayant donné sa mesure et conquis son autorité, Y Epitre aux Pisons est, comme le dit Le Batteux, un code de la raison et du bon goût », réduit en principes et écrit dans une langue fertile en surprises, d'une extraordinaire saveur, et par conséquent, une oeuvre qui est tout le contraire de Y Art Poétique. Boileau est un poète de métier, d'ajustage, de forme froide et parfaite ; Horace un artiste de mots, d'expressions, de rythme ; il crée sa syntaxe, il cherche 1 epithète, le raccourci, l'audace. Ses inversions curieuses rendent sa traduction, très difficile 1. Ce que Boileau a emprunté à Horace, ce sont les grands principes de son enseignement. Horace est, comme lui, partisan du travail. (Vcrsate diu). Il va même jusqu'à conseiller de polir son style comme on polit ses ongles. Il veut qu'on ne soit jamais satisfait, qu'on recommence toujours. Dans la première partie de YEpitre il indique, comme Boileau, les règles générales ; dans la seconde il s'occupe de l'épopée, tragédie et comédie, et dans la troisième il traite des poètes et de la composition. La plupart des remarques d'Horace gardent leur actualité, comme le passage sur la disparition et le remplacement des mots. Ce qui est vrai en latin reste vrai en français. On ne parle plus et on n'écrit plus comme Montaigne, qui
I. Nocturna versate amnu, vcrsate diurna . Alterno pede. . Multo milite . Imminente luna .. Solvitur acris hiems . Cum tôt sustineas et tanta negotia solus . Aut prodesse volunt, aut delectare poetoe
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nous a pourtant donné les mots les plus modernes. « Nous lui devons les mots diversion et enfantillage ; à Bossuet démagogue ; à Bourdaloue saga-' cité; à Corneille invaincu; à Sévigné bavardage, amabilité, effervescence, esprit lumineux ; à Balzac féliciter ; à Molière rivalité, obscénité ; à Bernardin de Saint-Pierre bienfaisance ; à Rousseau impressionner, harmoniser, etc..x
Aujourd'hui, comme du temps d'Horace, on invente des mots ; ils vieillissent ; d'autres les remplacent.
Les ennemis de Boileau ont eu tort de croire qu'on le diminuait en l'accusant d'avoir imité Horace. Boileau conserve sa personnalité. Son oeuvre est malgré tout bien à lui.
Il fut, d'ailleurs, en butte à d'autres attaques non moins passionnées et plus injustes. Desmarets de Saint-Sorlin improvisa, en cinq sen ^res, à 1 âge de quatre vingts ans, un volume entier cv, ne Boileau : La défense du poème héroïque. Carel de Sainte-Garde fit paraître la Défense des beaux esprits de ce temps. Pradon publia le Triomphe de Pradon, les Nouvelles remarques sur le sieur D... et continua la guerre jusqu'en 1689 par le Satirique français expirant. Bonnecorse, Frain du Tremblay, Perronet, écrivirent aussi des réfutations. L'histoire de ces pamphlets tiendrait un volume. On en trouvera les détails dans l'ouvrage du P. Delaporte, - qui est une véritable histoire des écrivains de cette époque a.
1 Epitre d'Horace aux Puons, par Gonod, p. 204. 2. L'Art poétique de Botleau, 3 vol in-8.
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Pradon, à lui seul, se chargea de venger ses confrères et de réduire à néant l'oeuvre de Boileau.
« Tant en pensées qu'en termes, dit-il, je crois remarquer dans les ouvrages de ce Satirique plus de 6.000 fautes considérables, n'ayant su encore les remarquer toutes, en ce que c'est une sorte d'hydre... Quand ie dis : passe, c'est parce que la faute est petite ou parce qu'elle est des plus considérables, ce qui est une sorte de raillerie... quant aux points, aux virgules et à l'orthographe, je ne puis m en occuper. Les accommode qui voudra. »
L'outrecuidance de Pradon vous déconcerte, quand on songe à la médiocrité de ce poète. Il n'avait aucune espèce de talent ; il fut seulement le singe de Racine, Ouvrez-le au hasard, Racine est là vidé, stérilisé, parodié, à l'état d'herbier :
Ah ! père infciHmé... Ma téméraire riamme... Ma juste jalousie... Ce funèbre mystère... Dans ma fureur extrême... Toujours fier et farouche... Le perfide Pallon... Ma flamme a dû paraître... Barbare je te hais... Cette fatale vue, etc..
Ce perpétuel vocabulaire de Pradon est bien, en effet, celui de Racine, parce que c'est celui de la tragédie à cette époque. Seulement, chez Pradon, il n'y a que cela, et chez Racine ces formules disparaissent dans d'intarissables ressources de style, de langue, d'émotion et de perfection. Racine est partout grand poète, grand
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observateur psychologue, tandis que Pradon est partout mauvais poète, mauvais psychologue, versificateur sans vérité et sans vie. Le malheureux croyait s'excuser en disant qu'il n'avait pas le temps de soigner sa forme, et il soutenait que la beauté des vers de Racine n'était qu'une illusion due au débit des acteurs. Pradon a poussé la fatuité jusqu'à refaire les pièces de Racine !... Jules Lemaître cite les vers suivants de Pradon dans sa Réponse à la Satire de Boileau (1694) :
Il n'est point de mortel qui fût pssez hardi A moins que d'être né téméraire, étourdi, Qui, voyant le croquis de sa Muse effrénée, Osât subir le joug de l'affreux hyménée... Tel tu nous le dépeins. C'est ton intention Qui choque la nature et la religion. Tu fais sur l'opéra des notes curieuses, Mais tes réflexions sont trop injurieuses.
Tout est de ce style et de cette force, dit Jules Lemaître, qui ajoute : « Pradon fut bien réellement un imbécile et un sot. »
Malheureusement ce sot avait de nombreux admirateurs et passait pour savoir construire une pièce. C'est la cabale montée par le duc de Ne vers et Mnie de Bouillon, qui imposa le scandaleux succès de la Phèdte de Pradon. La duchesse de Bouillon dépensa 12.000 livres pour faire le vide pendant les six premières représentations de la Phèdre de Racine ; et pendant seize jours Pradon triompha.
L'attaque la plus sérieuse contre Y Art poétique fut le gros volume de Desmarets de Saint-Sorlin : la Défense du poème épique. Cet ouvrage fut très lu et Boileau mit
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à profit quelques-unes de ces remarques. Desmaiets prit surtout la défense du merveilleux chrétien, que Despréaux ridiculisait. Vantard intrépide, mais non sans mérite, Desmarets se croyait supérieur aux grands poètes de l'antiquité. Auteur de romans, de poésies profanes, de tragédies et d'un livre qui fit du bruit : les Délices de iesprit, Desmarets figura parmi les premiers académiciens, se conveitit, devint dévot et publia deux épopées, Clovis et Marie Magdtleine, pour prouver qu'un sujet religieux pouvait offrir autant d'intérêt qu'un sujet profane. Il était si fier d'avoir fait ces deux poèmes, qu'il prétendait les avoir achevés avec l'assistance du ciel. C'est très probablement lui que Boileau a voulu peindre dans son Art poétiqut (ch. III) :
Mais en vain le public, prompt à le mépiiscr, De son mérite faux le veut désabuser ; Lui-même, applaudissant à son maigre génie, Se donne par ses mains l'encens qu'on lui dénie : Virgile, au prix de lui, n'a point d'invention ; Homère n'entend point la noble fiction. Si contre cet arrêt le siècle se rebelle, À la postérité d'abord ii en appelle : Mais, attendant qu'ici le bon sens de retour Ramène triomphants ses ouvrages au jour, Leurs tas au magasin, cachés à la lumière, Combattent tristement les vers et la poussière ;
Desmarets, avant Molière, avait eu le premier l'idée des Précieuses ridicules dans sa fameuse comédie des Visionnaires (1640), où il met en scène des femmes folles d'amour et de littérature et où l'on trouve des tirades entières de très bons vers, pleins et forts. Comblé d'honneuis par Richelieu, qui le poussa à faiie du
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théâtre, Desmarets est l'auteur des quatre vers célèbres sur la vicîette, écrits pour la Guirlande de Julie :
Modeste est ma couleur, modeste est mon séjour ; Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe ; Mais, si sur votre front je puis me voii un jour, La plus humble des fleurs sera la plus superbe.
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III
LA DOCTRINE DE L'ART POÉTIQUE
La grande doctrine littéraire qui domine l'Art poétique de Boileau, c'est la nécessité du travail, le travail présenté comme la condition même de l'art d'écrire. Pas de style, pas de durée, par de perfection sans le travail. Boileau l'a répété cent fois :
Travaillez à loisir quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse : Un style si rapide et qui court en rimant Marque moins trop d'esprit que peu de jugement... Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le saas cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois et souvent effacez. Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois, Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois... Tous les jours, malgré moi, cloué sur un ouvrage, Retouchant un endroit, effaçant une page, Enfin passant ma vie à ce triste métier, J'envie en écrivant le sort de Pelletier.
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Cette grande loi du travail, que Boileau a mise en pratique, a toujours été celle de tous les bons écrivains. Boileau loue Malherbe « d'avoir travaillé plus que personne », et c'était un bel exemple à citer que celui d'un poète qui usait des mains de papier pour faire une stance. On prétend que Malherbe mit tiois ans à écrire l'ode funèbre sur la femme du premier président de Verdun ; il disait que, loisqu'on a fait cent vers, il faut se reposer dix ans. Il affectait même de n'être qu'un simple arrangeur de syllabes, comparable à un joueur de quilles 1. C'était pure coquetterie de sa part. En réalité, Malherbe avait paifaitement conscience de sa valeur, et les vers sur les louanges dont il s'attribue la durée nous donnent la mesure de sa modestie. Vaugelas mit trente ans à achever sa traduction de Quinte-Curce, qu'il refit entièrement quand parurent celles d'Ablancourt. « En révisant cet ouvrage, dit Victor Fournel, Conrart et Chapelain mirent encore plusieurs années à choisir entre les diverses versions de Vaugelas. » Patru en retrouva même une autre copie toute différente. La Bruyère consacra dix années de sa vie à ses Caractères et presque autant d'années à les corriger, avant de se décider à les livrer au public. Le Discours sur l'histoire universelle coûta un an de travail à Bossuet. La Rochefoucault refaisait trente fois ses Maximes ; Corneille écrivit plus de 1.200 vers pour achever son 5e acte d'Othon. Molière déclarait n'avoir jamais rien fait dont il fut véritablement content. Sacy recommença deux fois sa traduction de la Bible, d'abord parce qu'il la
I Boileau réunissait les deux talents : Il était d'une grande habileté au jeu de quilles.
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jugea trop fleurie et puis parce qu'il la trouvait trop simple. Pascal ne cessa les corrections et les ratures des Provinciales que pour satisfaire l'impatience du public. Une seule de ces lettres lui coûtait vingt jours de labeur ; il en a recommencé quelques-unes sept ou huit fois, et il a rédigé treize fois la dix-huitième. Pour BufTon, le génie n'était que de la patience et du travail. Montesquieu consacra vingt ans à L'Esprit des lois. Chateaubriand « refaisait cent fois la même page ».
Avant même de se mettre à écrire, Boileau se livrait à une sorte de travail préparatoire. Il raconte à Maucroix qu'il vient de faire une nouvelle épitre de 130 vers ; mais qu'elle n'a pas encore vu le jour et qu'il ne la même pas encore rédigée.
Boileau a exposé sa méthode dans une page inoubliable :
« Je ne suis point de ces, auteurs fuyant la peine, qui ne se croient plus obligés de rien racommoder à leurs écrits dès qu'ils les ont donnés au public. Ils allèguent, pour excuser leur paresse, qu'ils auraient peur, en les remaniant, de les affaiblir et de leur ôter cet air libre et facile qui fait, disent-ils, un des plus grands charmes du discours ; mais leur excuse, à mon avis, est très mauvaise. Ce sont les ouvrages faits à la hâte et, comme on dit, au courant de la plume, qui sont ordinairement secs, durs et forcés. Un ouvrage ne doit point paraître trop travaillé, mais il ne saurait être trop travaillé, et c'est souvent le travail même qui, en le polissant, lui donne cette facilité tant vantée qui charme le lecteur. Il y a bien de la différence entre des vers faciles et des vers facilement faits. Les écrits de Virgile, quoique extraordinairement travaillés, sont bien plus naturels BOILEAU. 4
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que ceux de Lucain, qui écrivait, dit-on, avec une rapidité prodigieuse. C'est ordinairement la peine que s'est donnée un auteur à limer et à perfectionner ses écrits qui fait que le lecteur n'a point de peine en les lisant. Voiture, qui paraît aisé, travaillait extrêmement ses ouvrages. On ne voit que des gens qui font aisément des choses médiocres ; mais des gens qui en fassent, même difficilement, de fort bonnes, ou en trouve très peu. »
La conclusion, c'est que tout se fabrique, même le naturel.
Boileau a raison : il faut, à force de travail, dissimuler le travail. Il y a pourtant quelquefois un certain plaisir à le découvrir chez un auteur, à prendre sur le fait ses procédés, son métier, sa recherche d'expressions.
Boileau a-t-il toujours réussi à cacher son propre travail ? D'une façon générale, ses vers sentent l'effort ; mais lisez-les séparément, cette sensation disparaît, et on est obligé de conclure, malgré ce labeur légendaire, que Boileau est le poète qui a fait les vers les plus faciles et les plus naturels de notre langue, des vers passés en proverbe comme ceux de La Fontaine : (on en citerait des centaines).
Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire... Passer du grave au doux, du plaisant au sévère... Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire... J'évite d'être long et je deviens obscur... Avant donc que d'écrire apprenez à penser... Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement Et les mots pour le dire arrivent aisément..! Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ; Polissez-le sans cesse et le repolissez.
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Aimez qu'on vous conseille et non pas qu'on vous loue...
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème...
Le latin dans les mots brave l'honnêteté...
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable...
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez...
Il n'est pont de degrés du médiocre au pire...
Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent...
Le vers se sent toujours des bassesses du coeur...
C'est un droit qu'à la porte on achète en entrant...
Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs...
Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable...
Un sot trouve toujours un plus sot qu^nadmire...
Un dîner réchauffé ne valut jamais rien...
Je cite ces vers ; j'en pourrais citer d'autres bien plus techniques et aussi parfaitement naturels.
S'il faut en croire Boloeana, Boileau disait que « les vers les plus simples de ses ouvrages étaient ceux qui lui avaient le plus coûté, et que ce n'est qu'à force de travail qu'on parvient à paraître aisé à ses lecteurs et qu'on leur ôte par là toute la peine qu'on s'est donnée. »
L'exemple de La Fontaine confirme ces théories. La Fontaine est peut-être le seul poète qui ait complètement réussi à dissimuler son labeur. Ses vers sont si faciles, qu'on se demande s'il est possible qu'ils aient été tant travaillés. Le témoignage des contemporains ne laisse aucun doute là-dessus. La Fontaine avait les mêmes idées que Boileau. Il dit, dans la préface de Psyché, que la prose lui « coûte autant que les vers » ; il avoue avoir mis trois ans à composer le Songe de Vaux. « Il fit ressembler l'art au naturel, dit Chamfort ; il cacha son génie par son génie même. Si les lecteurs,
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séduits par la facilité de ses vers, refusent d'y reconnaîtie les soins d'un art attentif, c'est précisément ce qu'il a désiré. »
La Fontaine n'atteignait l'air naturel, dit Taine, que par le travail assidu. Il recommençait et raturait, jusqu'à ce que son oeuvre fût la copie exacte du modèle qu'il avait conçu ». Nous avons le manuscrit de la fable : Le renard, les mouches et le hérisson. Il ne reste que deux vers du premier brouillon.
Le naturel ne s'obtient que par l'effort. « Le naturel, dit Condillac, consiste dans la facilité de faire une chose, lorsqu'après s'être étudié pour la réussir, on y réussit enfin sans s'y étudier davantage. C'est l'art tourné en habitude. » Ceux qui n'ont pas examiné d'un peu près ces questions de style s'imaginent que le « limage, le polissage, éloignent du naturel et tuent la personnalité ». C'est une grande erreur.
Pour bien comprendre les raisons qu'avait Boileau d'insister sur la nécessité du travail, il faut songer à la production littéraire de son époque. C'était une inondation de prose et de vers, un débordement d'oeuvres faciles, ennuyeuses et sans goût. Godeau, comme Ronsard, écrivit 300 vers par jour. Magnon se proposait de publier un poème de 300.000 vers. Pelletier faisait un sonnet par jour. Bover était l'auteur de 22 pièces de théâtre et avait fait plus de 500.000 vers, dit Racine, 80.000 dit Boileau. Scudery écrivait les vers aussi facilement que la prose. Sa fécondité indignait Gués de Balzac, qui s'écrie dans une de ses lettres : « O bien heureux écrivain, M. de Saumaise en latin et M. de Scudéry en français, j'admire votre facilité et j'admire votre abondance. Vous pouvez écrire, plus de calepins
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que moi dalmanachs. » Boileau s'indignait contre ce Scudéry,
Auteur de seize pièces de théâtre, pleines de rodomontade» et de platitudes, Scudéry se vantait de pouvoir écrire avec la même facilité un poème de 1.500 ou de 100.000 vers. Matamore de lettres, hâbleur et successeur de Vaugelas à l'Académie, Scudéry fut, comme auteur dramatique, éclipsé par Corneille, contre lequel, pour complaire à Richelieu, il publia ses Obser* Dations sur le Cid, qui sont sans valeur, mais qui provoquèrent la fameuse rédaction des Sentiments de VAcadémie. Le poème de Scudéry, Alaric ou Rome sauvée, est une suite d'interminables descriptions, des pages et des pages pour peindre un palais, en commençant par la façade et en finissant par le jardin. Scudéry ne croyait pas faire preuve de prolixité. Il disait dans sa préface qu'il ne pensait pas avoir abusé de la description, mais « en avoir usé modérément et dans des bornes raisonnables ».
La fécondité de Scudéry n'était pas exceptionnelle. La Pucelle de Chapelain comptait 24.000 vers. Magnon, l'ami de Corneille et de Molière, prétendait que les vers lui coûtaient moins de temps qu'on en prendrait à les lire. Auteur de tragédies ridicules, Josaphat, Séjannes, Oroondate, Jeanne de Naples, ce Magnon travaillait à un poème de 300.000 vers, sorte d'encyclopédie qui aurait eu dix volumes de 20.000 vers chacun. On comprend l'indignation de Boileau contre ces producteurs intarissables et son besoin de réagir en proclamant l'impérieuse loi du travail. C'est en pratiquant lui-même cette méthode qu'il a réalisé son oeuvre, et l'on s'explique très bien son admiration pour Malherbe ;
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comme lui pioclamateur de règles et chercheur de perfection.
En littérature, cette loi du travail est absolue ; nul ne peut s'y soustraire. Le travail seul est capable de dégager les ressources que chacun peut attendre de son propre talent.
Mais le travail n'est pas tout, et il ne faut pas lui demander l'impossible. Il améliore ce qui est médiocre ; il peut rendre bon ce qui est mauvais ; il ne donne ni la vocation ni le génie. Boileau lui-même s'est trompé, quand il a cru que l'effort lui suffirait pour atteindre le lyrisme de Pindare dans l'Ode sur la prise de Namur.
Il envoya d'abord son ode à Racine, et ils échangèrent des corrections qui sont souvent pires que le texte.
Boileau avait écrit :
Je vois ces murs qui frémissent, Déjà prêts à s'écrouler...
Correction :
Sous les coups qui retentissent Ses murs s'en vont s'écrouler...
Ce n'est pas heureux.
Contemplez bien ces approches, Voyez détacher ces roches, Voyez ouvrir ce terrain...
Correction :
Considérez ces approches, Voyez grimper sur ces roches Ces athlètes belliqueux,..
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Ce n'est pas non plus très brillant.
Voyez dans cette tempête Partout se montrer aux yeux La plume qui ceint sa tête D'un cercle si glorieux. A sa blancheur remarquable Toujours un sort favorable S'attache dans les combats....
Correction :
Contemplez, dans la tempête Qui sort de ces boulevards, La plume qui sur sa tête Attire tous les regards. A cet astre redoutable Toujours un sort favorable S'attache dans les combats...
On ne peut rien rêver de plus banal.
C'est est fait, je viens d'entendre Sur les remparts éperdus Battre un signal pour se rendre. Le feu cesse, ils sont rendus. Rappelez votre constance, Fiers ennemis de la France.
Correction :
C'en est fait, je viens d'entendre Sur ces rochers éperdus Battre un signal pour se rendre ; Le feu cesse, ils sont rendus...
Voilà bien du travail perdu, et on reste confondu d'étonnement que l'ineptie de pareils vers ait échappé à des poètes comme Racine et Boileau.
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Si pratique et si évidente qu'elle soit, la théorie du travail a cependant ses adversaires. Lamartine croyait à l'inspiration spontanée. <' Créer est beau, disait-il, mais corriger, changer, gâter, est pauvre et plat. C'est l'oeuvre des maçons et non pas des artistes ».
Lamartine n'a pas l'air de se douter que les ratures sont de véritables créations, et qu'il faut autant d'inspiration pour réécrire une page que pour l'écrire. Chaque correction peut être considérée comme une trouvaille de l'esprit, provoquée par le travail. Loin d'être un signe d'impuissance, la refonte est donc une preuve continuelle d'inspiration et de talent. On né peut pas contester cela.
Il n'a manqué que le travail à certains écrivains pour être vraiment supérieurs. Avec du travail, Villiers de l'Isle-Adam eût fait des oeuvres de premier ordre. Faute d'effort, la prose d'Axel n'est pas fixée et ne dépasse pas Y Ahasvérus de Quinet.
Les romantiques se donnèrent d'abord comme des vaticinateurs de trépied ; puis le travail reprit ses droits et les Parnassiens, avec Leconte de Lisle, cherchèrent les procédés d'achèvement et de perfection qui devaient nous mener à Heredia.
Taine est un des plus beaux exemples du résultat qu'on peut attendre de la volonté et du travail. Il a raconté lui-même comment il est parvenu à changer sa façon de penser et de sentir et à s'assimiler le style descriptif. Taine était persuadé qu'on pouvait apprendre à écrire 1.
Il faut l'avouer, toutefois, l'abus du travail a ses in1.
in1. , t II, P 26,81,76,77,240 et 250.
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convénients. C'est une besogne délicate. On veut raffiner, on se stérilise, on ôte la vie au style ; il ne reste plus que la maigreur et les tendons. Il est donc absolument nécessaire de fixer une limite au travail.
« Il y a des écrivains, dit Emile Faguet, qui gâtent en se corrigeant, et il y en a d'autres qui s'améliorent. Voulez-vous que je dise tout de suite que plus nombreux sont ceux qui s'améliorent ? Je le dirai ; c'est ma conviction... Seulement il y a en qui se gâtent en se corrigeant. » Il cite Stendhal « qui, dit-il, écrivait mal et n'aurait rien gagné à essayei de s'amender. Quand il l'a fait, il n'y a rien gagné du tout. »
Faguet avoue, d'ailleurs, qu'on « a raison de beaucoup corriger et qu'on n'a jamais assez corrigé ». « En principe, dit-il, il est parfaitement entendu qu'à tout écrivain de moyen ordre, c'est-à-dire à quatre-vingt-dixneuf sur~cent, c'est-à-dire à quasi nous tous, je donnerai très exactement le même conseil ».
Faguet a raison. Quand Boileau nous dit : « Remettez vingt fois votre oeuvre sur le métier, travaillez, raturez, recommencez », il est dans le vrai, et on aurait tort de contester sa méthode, sous prétexte qu'il y a de mauvais écrivains qui n'en tirent rien de bon. Il ne suffit pas de travailler pour devenir écrivain ; mais on ne peut pas être bon écrivain sans travail.
On s'est demandé si Boileau lui-même n'a pas un peu abusé du labeur, et s'il n'eût pas été aussi bon poète en se corrigeant un peu moins. Je ne le crois pas. Ses qualités viennent de son travail. Les vers que nous citions plus haut n'eussent pas été plus naturels, s'il les eût improvisés..
La connaissance plus exacte de la vie des grands
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écrivains, la divulgation de leurs procédés d'exécution ont encoie confirmé cette nécessité du labeur qui faisait dire à Boileau : « Notre langue veut être extrêmement travaillée ». Et cependant, malgré les conseils et les doctrines, sans l'exemple de Flaubert, nous ignorerions encore jusqu'à quel point on pouvait pousser le travail du style. Les classiques cachaient leur métier. Flaubert est le premier écrivain dont nous possédons la confession littéraire. La publication de sa correspondance a eu des conséquences considérables. La loi du travail, proclamée par l'Art poétique, a été victorieusement, douloureusement démontrée par l'exemple de Flaubert. La perfection de ses écrits a prouvé 1 excellence de sa méthode. Son oeuvre et sa correspondance sont une vivante îeçon de style. Pendant vingt ans Flaubert s'est épuisé dans un labeur effroyable, qui l'a tué à sa table de travail. Il mettait cinq ans, en moyenne, pour achever un livre ; il faisait deux pages par semaine, vingt-cinq pages en six semaines, vingt-sept en deux mois. Il recommençait dix fois la même page, jamais satisfait, toujours avide de relief et de perfection. Une pareille lenteur finissait par rendre sceptique Jules Lemaître. Il ne pouvait croire à tant de ratures et de refontes. Depuis que j'ai donné, dans mon volume, le Travail du style, les cinq rédactions successives de la description de Rouen, il n'est plus possible, je crois, de mettre en doute les confidences de Flaubert à Louise Collet.
La publication de la correspondance de Flaubert est un événement qui a modifié l'orientation même de la critique. C'est depuis cette époque qu'on se préoccupe d'étudier les manuscrits des grands écrivains pour y
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chercher des leçons de style. Je puis dire que je n'ai pas été étranger à cet effort d'analyse, qui pousse aujourd'hui la critique vers l'étude technique du métier littéraire.
Cette affirmation de la loi du travail explique la sympathie de Fhubert pour Boileau. « Quel homme ! disaitil. Ce qu'il f. voulu, il l'a bien fait. Un bon vers de Boileau vaut un bon vers d'Hugo. » Il avait raison. Il n'y a pas d'école. Il y a de la bonne et de la mauvaise littérature. Tous les poètes ont un idéal commun : la perfection de la forme. Les beaux vers de Malherbe ou de Lamartine sont de la même école. Les procédés varient ; l'art ne varie pas.
Le travail est une vertu nécessaire. C'est lui qui fait la résistance du style. Les brillants improvisateurs, comme Veuillot, le reconnaissent eux-mêmes : « Aujourd'hui, dit Louis Veuillot, on est écrivain pour vivre. Il ne s'agit plus de réfléchir, de méditer, de corriger. La littérature périra par la facilité de produire sans labeur. Le plaisir d'écrire est perdu. Le plaisir d'écrire, c'était le plaisir de vivre avec une pensée, de la mûrir, de la vêtir, de la faire forte et belle. Autrefois on faisait un livre comme on élève un enfant, avec diligence, avec patience... »
L'exemple de Flaubert justifie Boileau. Mais un autre écrivain s'est montré plus étroitement son disciple : c'est Baudelaire. On dirait que l'auteur des Fleurs du mal s'est efforcé de mériter le surnom que lui donnait Dusolier, en l'appelant un Boileau hystérique. Baudelaire a eu le courage de déclarer que le travail est la moitié de l'inspiration. «Beaucoupd'écrivains, dit-il, particulièrement les poètes, aiment mieux laisser entendre qu'ils
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composent grâce à une espèce de frénésie subtile ou d'intuition extatique, et ils auraient positivement le frisson, s'il leur fallait autoriser le public à jeter un coup d'oeil derrière la scène et contempler les laboneux et indécis embrycns de pensées, la vwie décision prise au dernier moment, l'idée si souvent entrevue comme dans un éclair et refusant si longtemps de se laisser voir en pleine lumière, la pensée pleinement mûrie et rejetée de désespoir comme étant d'une nature intraitable, le choix prudent et les rebuts, les douloureuses ratures et les interpolations ; en un mot, les rouages et les chaînes, les trucs pour les changements de décor, les échelles et les trappes, les plumes de coq, le rouge, les mouches, et tout le maquillage qui, dans les quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, constituent l'apanage et le naturel de l'historien littéraire 1. »
Plus affirmatif et plus rigoureux que Boileau, Baudelaire nous a livré les secrets de son métier. Refontes, corrections, ratures, il refaisait vingt fois la même page. « L'inspiration, disait-il, consiste à travaille' tous les jours. C'est la soeur du travail journalier. L'orgie n'est plus la soeur de l'inspiration... Ces deux contraires ne s'excluent pas plus que tous les contraires, qui constituent la Nature. L'inspiration obéit comme la faim, comme la digestion, comme le sommeil 2. »
Baudelaire allait plus loin : Il croyait, comme Edgar Poé, que c'est par l'effort et la volonté qu'on arrive à se créf,r une originalité.
Dans sa Philosophie de la composition, Poé dit textuelleI.
textuelleI. Pages critiques, Genèse d'un poème. 2 Pages de critique Conseds aux jeunes littérateurs.
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ment : « Le fait est que l'originalité... n'est nullement, comme quelques-uns le supposent, une affaire d'instinct ou d'intuition. Généralement, pour la trouver, il faut la chercher laborieusement et, bien qu'elle soit un mérite positif du genre le plus élevé, c'est moins l'esprit d'invention que l'esprit de négation qui nous fournit les moyens de l'atteindre l ». En d'autres termes, on n'est pas original : on le devient.
On dit que l'auteur des Fleurs du mal rédigeait d'abord des poésies en prose et qu'il les transcrivait ensuite en vers. Le morceau de prose intitule La chevelure serait mot pour mot une de ses poésies. Ce procédé ne doit pas nous surprendre. Racine aussi écrivait d'abord en prose les dialogues de ses tragédies et considérait sa pièce comme finie quand il n'avait plus qu'à la mettre en vers. Boileau lui-même disait dans sa Satire VI :
Souvent j habille en Vers une maligne prose : C'est par là que je vaux, si je vaux quelque chose.
En somme, la doctrine de Baudelaire était celle de Boileau. L'Art poétique annonce Baudelaire et Flaubert.
1. Baudelaire, Trad. d.s Histoires grotesques et sérieuses.
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IV RACINE ET VART POÉTIQUE
Mais le travail n'est pas tout. Pour qu'il soit fécond» il faut qu'il soit intelligent On doit le cultiver, l'éclairer» le diriger j et pour cela on n'a jamais assez de ses propres lumières.
Un des plus utiles enseignements de Y Art poétique» c'est l'insistance avec laquelle Boileau recommande de choisir un guide de travail, un « ami qui vous conseille et non pas qui vous loue » et qu'on puisse consulter en toute confiance (chant I et IV). La nécessité d'avoir un guide nous est présentée par Boileau comme la condition de tout travail littéraire.
Les Romains avaient une excellente habitude : c'était de lire leurs productions à leur amis avant de les donner au public. « Ils avaient à cela deux fins, dit VigneulMarville.: la première de recevoir les avis et les corrections dont les plus habiles gens ont toujours besoin, et la seconde de ne rien publier qui ne fût accompli. »
Il est rare, en effet, qu'on puisse bien juger soi-même la valeur de ce qu'on écrit. \JS seul moyen de savoir
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si on a du talent, c'est de le demander aux autres. La plupart des grands écrivains ont éprouvé le besoin de soumettre leurs oeuvres à un confident qui leur ouvre les yeux et les mette en garde contre leurs défauts. La Fontaine consultait Patru ; Molière, La Chapelle ; Montesquieu communiquait ses manuscrits à l'abbé Guasco ; Fontenelle lisait ses comédies chez Mme de Tencin et renonça à les faire jouer parce qu'on les trouvait mauvaises. Flaubert, pendant trente ans, écouta Bouilhet comme un oracle. Maupassant montrait ses productions à Flaubert, dont il fut toujours l'élève docile. Chateaubriand faisait corriger ses livtes par Fontanes et ses articles par Bertin. L'auteur du Génie du christianisme étiit de l'école des grands travailleurs ; il recueillait sincèrement tous les avis ; Fontanes lui fit recommencer des chapitres entiers, notamment l'épisode de Velleda et le discours du père Aubry.
Retenons ces exemples et suivons les conseils de Boilcau. Choississons un conseiller, non pas à la rigueur un professionnel, qui peut avoir du parti-pris, mais simplement un homme intelligent qui ait du jugement, qui soit sensible aux beautés littéraires. Un esprit droit est toujours un bon critique, et nous répéterons ici ce que nous avons dit ailleurs : « C'est un grand bonheur pour un homme de lettres de rencontrer un pareil ami. Il faut tout faire pour le trouver. »
Boileau n'eut pas à chercher bien loin ce précieux guide : Patru lui parut tout indiqué. Avocat, académicien, critique et lettré, Patru jouissait d'une autorité intellectuelle et morale qui le fit nommer par Vaugelas le Quintilien ftançais. Il travaillait extrêmement la rédaction de ses plaidoyers et mettait en pratique les pro-
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cédés de Boileau bien avant Y Art poétique. Ces deuxpuristes se fréquentaient, se montraient leurs travaux. Pagtru découvrit un jour dans la traduction de Longin un vers blanc, à propos de Sapho : Elle gèle, elle brûle, elle est folle, elle est sage. Ces vers dans une page de prose choquaient le grand avocat. Il disait qu'il fallait se surveiller et que, poui son compte, il était presque sûr d'avoir toujours évité ce défaut. Boileau refusa de corriger son texte. « Je parie, dit-il, qu'en cherchant bien je trouverai quelques vers dans vos plaidoyers » ; et, prenant le volume, il tomba sur ce titre qui est, en effet, un vers ; Onzième plaidoyer pour un jeune Aile-- mand.
A son tour et plus familièrement encore, Boileau devait prendre auprès de Racine le rôle de conseiller que l'auteur des Satires demandait à Patru.
La vie et l'oeuvre de Racine sont intimement liés à l'oeuvre et à la vie de Boileau. La poésie dramatique de Racine se rattache directement à Y Art poétique, parce qu'elle est la réalisation vivante des règles, des conseils et des constatations de Boileau.
Précieux et bel esprit, Racine débuta par l'ode sur La Nymphe de la Seine, à l'occasion du mariage de Louis XIV (1659). Cette ode recommandée par Chapelain, valut au jeune poète une pension de 600 livres. Le futur auteur d'Andromaque se montrait fier des encouragements de Chapelain.
A cette époque de mauvais goût, où on mettait le père Lemoine au même rang que Virgile, « Racine, dit Nisard, débutait par des madrigaux ; il prenait Chapelain, « qui enfin avait de l'esprit », dit le cardinal de Richelieu, pour juge de ses premiers vers. Il disait ;
BOILEAU. 5
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« Voici le jugement de M. Chapelain, que je rapporterai comme le texte de l'Evangile sans y rien changer ». Qui peut dire qu'il n'eût pas continué à s'affadir ou à raffiner dans ce style dont il apostrophait ainsi l'aurore : « Et toi fille du jour qui naît avant ton père * ».
Ayant fait présenter à Boileau, en 1663, sa Renommée aux Muses, Racine fut enchanté des corrections que le critique voulut bien lui faire, et c'est de ce moment que datent leurs relations. Le défaut de Racine, à cette époque, le côte périlleux de son talent, c'étaient la facilité et la banalité. Nul n'eut à ses débuts un besoin plus urgent d'en censeur impitoyable. Quand on lit ses premières poésies, on comprend l'utilité que pouvaient avoir pour lui les conseils d'un homme comme Boileau. N'en connaîtrait-on pas les détails par le fils Racine, on serait en droit de les supposer. Les Poésies diverses de Racine sont d'une puérilité étonnante. Ses odes de 1663, de 1660 (Nymphes de Seine) et même en 1685 Idylle sur la paix, Bois, Paysages, Port-Royal, tout est d'un très mauvais poète.
On n'a qu'à lire au hasard :
Que c'est une chose charmante De voir cet étang gracieux, Où, comme en un lit précieux, L'onde est toujours calme et dormante.
Quelles lichesses admirables N'ont point ces nageurs marquetés, Ces poissons aux dos argentés Sur leurs écailles agréables.
I. Hist. de la Htlérat. française, t. II, p. 280.
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Mon Dieu ! que ces plaines charmantes Ces grands prés, si beaux et si verts, Nous présentent d'appas divers Parmi leurs richesses brillantes. Ce doux air, ces vives couleurs Le pompeux éclat de ces fleurs, Dont l'herbe se colore... N'est-ce point quelque songe vain Qui me place en ce lieu de gloire ? Je vois comme de nouveaux cieux...
Je vois cette pomme éclatante Ou plutôt ce petit soleil Ce doux abricot sans pareil, Dont la couleur est si charmante...
Je vois ce cloître vénérable, Ces beaux lieux du ciel bien-aimés, Qui de cent temples animés, Cachent la richesse adorable.
Tous les poèmes de Racine sont sur ce ton Ses premières tragédies manquent également de style et de caractère. Il devait mettre des années à se créer une personnalité, et c'est seulement à partir d'Alexandre que son talent commença à se dégager. Boileau lui enseigna l'énergie, la sobriété, le travail. « Il fut, dit Jules Lemaître, la conscience morale et littéraire de Racine. En comparant les pâles débuts du grand poète tragique avec la déclaration d'amour de Phèdre, si serrée de ton, si variée de tournures, on voit le profit que Racine a tiré des conseils de Boileau ». On a voulu contester cette influence. Je trouve qu'on ne l'a pas assez
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affirmée. D'Alembert l'a très bien sentie. « Il est douteux, dit-il, que Racine sans De préaux eût été Racine, et il est certain que Despréaux sans Racine eût été luimême. »
Boileau a littéralement formé Racine, et Racine a été pour Boileau un excellent guide. Les notes du fils Racine et les lettres de Brossette nous révèlent avec quelle docilité ils corrigeaient réciproquement leurs productions l.
Boileau n'écrivait rien sans le montrer à Racine, qui lui fit supprimer une tirade de sa satire sur les femmes, composée dans une fièvre d'improvisation. Boileau, de son côté, décidait son ami à sacrifier une scène entière de Britannicus et lui adressait sa fameuse Ode sur la prise de Namur, en se déclarant prêt à l'écouter et à tout recommencer, s'il le fallait. Nous avons vu leur corrections. Elles ne sont pas heureuses, parce que cette ode, prétendue Pindarique, était un genre faux et que Boileau n'avait rien d'un poète lyiique. De même, dans une lettre du 3 octobre 1694, Racine fait part à Boileau des malheureuses corrections du Cantique des réprouvés,
Boileau envoyait même à son ami, avec prière de les retoucher, les lettres qu'il écrivait au roi et à Mme de Maintenon 2. « Je sais assez bien donner des conseils aux autres, disait Boileau ; mais, pour ce qui me regarde, je m'en rapporte toujouis aux conseils d'autrui 3 ». Boileau ne se montra pas toujours aussi docile. Vers la fin de sa vie, il supportait moins facilement la ciitique ;
1. « Racine et Boileau doivent tout à un tra\ ail obstiné». RKarol, OEuvres choisies, p. 33. Édit Mercure.
2. Lettres LX à Racine.
3. Lettres à Brossette XCI.
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jl persistait à admirer sa plus mauvaise satire, celle sur l'Equivoque, et il semblait ne plus chercher que les louanges. Pour Racine, Boileau vit toujours clairement ses défauts. Il lui conseillait de traiter des sujets grecs ; il avouait que les Turcs de Bajazet ont une âme française et non pas turque, d'accord en cela avec Mine de Sévigné.
Malgré ces réserves, qu'on ne peut contester, il n'est pas du tout prouvé que Boileau préférât Corneille à Racine. Le Boloena dit qu'il les mettait sur le même rang et tenait entre eux la balance égale. C'est ce qu'affirme le fils Racine. « Lorsque Boileau en 1700, dit le P. Delaporte, reçut la visite d'Addison, il se permit une charge à fond de train contre Corneille ; et, si l'on peut s'en fier aux notes d'Addison, Boileau aurait devant lui rabaissé outre mesure le Corneille du Ciâ et à*Horace. »
Racine, en tous cas, suivit toujours fidèlement les conseils de Boileau et, en prose ou en vers, continua à tiavailler, comme le voulait son ami.
On croit rêver, quand on songe que la versification de Racine, si fluide et si souple, est due à l'effort et au travail. Passe encore pour Boileau, dont les vers sentent l'ajustage ; Mais Racine 1 « A voir les vers de Corneille si pompeux et ceux de Racine si naturels, dit Montesquieu, on ne devinerait pas que Corneille travaillait facilement et Racine avec peine * »
L'auteur d'Andromaque eut beaucoup de peine à lutter contre la facilité qui lui inspira ses premières odes. On retrouve son amour de la préciosité jusque dans ses meilleurs oeuvr/rs (« Biûlé de plus de feux que je n en
I. E««ai sur le go(U
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70 L'ART POÉTIQUE
allumai ») et c'est encore ur. manque de goût qui lui fit applaudir la mauvaise tragédie que Boyer fit jouer sous un pseudonyme. Quand Boileau eût enseigné à son ami à faire difficilement les vers faciles, c'est-à-dire quand il lui eut enseigné le travail, la refonte et la rature, Racine devint un admirable poète.
M. Demeure croit que ce n'est pas Boileau, mais Subligny qui auiait enseigné à Racine le métier des vers 1. Je ne vois pas bien sur quoi M. Demeure peut fonder son opinion. Ce Subligny était un auteur dramatique médiocre, qui attira sur lui l'attention, en critiquant les oeuvres de Racine. Auteur d'une dissertation sur les méiites de Racine et de Pradon Subligny donna au théâtre, en 1668, une comédie qui fit du bruit, la Folle querelle, sorte de parodie ou tous les personnages parlent du succès que venait d'obtenir /Wromaque. Dans la préface, Subligny donne des leçons de style à Racine et relève chez son rival 300 fautes de diction. Racine a tenu compte de quelques-unes de ces remarques dans sa deuxième édition ù'Andromaque. Tout cela n'est pas une raison pour croire, avec M. Demeure, que c'est Subligny et non pas Boileau qui a enseigné à Racine à faire difficilement les vers. Subligny n'avait aucune idée de ce qui constitue l'originalité du style ; il blâme chez Racine les ]Jus claires qualités de son génie, l'audace, la surprise, la hardiesse des expressions qui « ont passé », dit Deltour, dans les habitudes du style poétique... Tandis que leur hardiesse scandalise Subligny ; tandis qu'il réclame contre elles, au nom du
1. Racine et son ennemi Boileau, Mercure de France, 1" juillet 1928.
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bon sens, et crie au galimatias, à peine songeons-nous aujourd'hui, à remarquer leur force et leur originalité 1. Boileau conseille de choisir un bon guide de tiavail ; mais il ne veut pas pour cela qu'on abdique toute initiative et qu'on se croie obligé d'être toujours de son avis. Sans doute il faut « corriger sans murmure, » mais à condition que votre correcteur ne soit ni un sot ni un fat, ni un contradicteur de parti-pris ni surtout un « subtil ignorant ». Boileau fait la part des choses ; il ne demande pas une soumission aveugle ; il veut qu'on s'incline en connaissance de cause, par conviction et par raison. Certains conseillers seraient dangereux à écouter :
Je vous l'ai déjà dit : aimez qu'on vous censure Et, souple à la raison, corrigez sans murmure ; Mais ne vous rendez pas dès qu'un sot vous reprend ; Souvent dans son orgueil un subtil ignorant Par d'injustes dégoûts combat toute une pièce, Blâme des plus beaux vers la noble hardiesse. 2.
En dehors même des questions littéraires Racine et Boileau vécurent ensemble sur un pied d'amitié et de confiance qui ne se démentit jamais. Racine pourtant n'avait pas un c&ractère bien commode. On se méfiait de lui. Moqueur et médisant, il passait pour faux aux yeux de Molière et de Chapelle. Je crois que Boileau est le seul qui n'ait jamais eu à se plaindre de lui. A ceux qui prenaient Boileau pour un malin, l'auteur des Satires répondait i « Racine l'est encore plus que moi. » Il était
1. Deltour, Les ennemis de Racine, p. 205.
2. Chant IV, vers 61.
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plus méchant que Boileau, dit Fontenelle. On appréciait, au contraire, la franchise de Boileau. On le trouvait seulement trop vif, trop emporté 1.
Boileau ne se gênait pas pour morignéer son ami et le ramener aux sentiments d'affabilité et d'indulgence dont Y Art poétique fait un devoir aux poètes. Il tenait tête à Racine, il lui reprochait son mauvais caractère, l'empêchait de commettre des maladresses, de publier certaines lettres ou certaines épigrammes. — Oui, j'ai tort, lui disait-il ; mais j'aime mieux avoir tort, que d'avoir orgueilleusement raison.
On a voulu contester la sincérité de cette longue amitié. Dans son article du Mercure, M. Demeure nous présente Boileau comme un ennemi de Racine, avec qui il s'était lié beaucoup plus tard qu'on ne croit. M, Demeure soutient sa thèse avec beaucoup d'érudition. II est persuadé que, vers 1672, Racine et Boileau sont encore des ennemis ; que Boileau s'est nettement déclaré pour Corneille contre Racine ; que jusqu'en 1672 Boileau a mené campagne contre Racine ; que Bri* tannicus, Andromaque, Bérénice et Bajazet ont été faits en dehors de l'inHuence de Boileau et même contre son gré ; et qu'il n'est pas sûr que Boileau ait été plus tard l'ami de Racine.
Nous ne suivrons pas M. Demeure à travers les méandres d'une hypothèse trop brutale pour être admissible. Il est possible que la date des relations entre Racine et Boileau ait été un peu avancée par le fils Racine ; il est encore très possible que ces relations n'aient^pas duié quarante ans, mais seulement vingt1,
vingt1, Trublet, Mémoires sur M de Fontenelle, p. 278.
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cinq, comme le dit Boileau (1671 à 1696). En tous cas, la sincérité de leur amitié est hors de doute. Leur correspondance prouve d'une façon éclatante que cette union fut piofonde, touchante et indissoluble.
Que Boileau ait fait des réserves sur ceitaines tragédies de Racine ; que le personnage de Pyrrhus, comme le rapporte Bolama, lui ait paru romanesque et le dénouement de Britannicas un peu puéril, et que Mme de Sévigné, dans une lettre bien connue, ait trouvé Boileau encore plus sévère qu elle, tout cela est très possible, et tout ce qu'on peut en conclure, c'est que la critique chez Boileau ne perdait jamais ses droits, même en amitié et surtout en conversation. L'auteur de l'Art poétique a fait de plus fortes réserves sur Molière, et cependant qui a plus sincèrement aimé et loué Molière? En littérature, Boileau gardait ses coudées franches et il a très bien pu dire ce qu'il a dit sans être pour cela l'ennemi de Racine. L'auteur des Satites estimait trop le naturel et le vrai pour n'être pas choqué par tout ce qu'il restait de galanterie et de fadeur dans le théâtre de Racine. L'auteur d'Andromaque connaissait certainement les sévérités de Boileau et ne s'en est jamais formalisé. Sa correspondance nous le montre fidèle jusqu'à la mort à cette amitié. Faire de Boileau un ennemi de Racine, c'est inadmissible. Deux personnes de cette valeur, qui se sont aimées et appréciées à ce point, ne peuvent pas avoir été des ennemis. Des chicanes de texte ou de dates ne détruiront pas ce fait. N'oublions pas non plus que Boileau a publié l'Epitre VII à Racine, pour le consoler d'avoir dts ennemis. L'homme qui a écrit ces vers et qui a loué Racine avec cet enthousiasme était un ami et un admirateur au-dessus de tout soup-
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74 L'ART POÉTIQUE
çon. On sait encore avec quelle ardeur Boileau applaudit Britannicw. Boursault, en rendant compte de cette représentation, nous a peint ironiquement ! émotion de Boileau :
« M. Despréaux, admirateur de tous les nobles vers de M. Racine, fit tout ce qu'un véritable ami d'auteur peut faire pour contribuer au succès de son ouvrage, et n'eut pas la patience d'attendre qu'on le commençât pour avoir la j'oie de l'applaudir. Son visage qui , à un besoin, passerait pour le répertoire des passions, épousait toutes celles de la pièce, l'une après l'autre, et se transformait comme un caméléon, à mesure que les acteurs débitaient leurs rôles ; surtout le jeune Britan^ nicus, qui avait quitté la bavette depuis peu et qui lui semblait élevé dans la crainte de Jupiter Capitolin, le touchait si fort, que le bonheur dont apparemment il devait bientôt jouir l'ayant fait rire, le récit qu'on vient faire de sa mort le fit pleurer ; et je ne sais rien de plus obligeant que d'avoir à point nommé un fond de joie et un fond de tristesse au très humble service de M. Racine. »
Les railleries de Boursault prouvent, du moins, chez Boileau des sentiments d'admiration qui compensent singulièrement les prétendues réticences dont parle Mme de Sévigné.
Il est vrai que La Motte raconte que, Boileau n'aurait pas compté Racine pour un homme de génie du siècle de Louis XIV, et qu'il n'était pour lui qu'un bel esprit à qui il avait appris à faire des vers faciles ».
Mais quelle foi peut-on ajouter à ce témoignage de La Motte.qui prétend que Boileau se rangeait lui-même au nombre de ces grands génies dont il excluait Racine ?
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Un pareil mot est invraisemblable dans la bouche de Boileau. L'auteur de Y Art poétique n'avait pas l'habitude de parler comme Scudéry.
Quoi qu'il en soit, l'amitié de Racine et de Boileau nous montre la vivante mise en pratique de cet échange de conseils et de travail dont Y Art poétique fait une loi pour tous les écrivains.
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V
VART POÉTIQUE ET LE RÉALISME D'HOMÈRE
Parmi les grands enseignements qu'on peut dégager de Y Art poétique, l'observation et l'imitation de la nature sont ceux que Boileau recommande pardessus tout et sur lesquels il a le plus insisté.
Dissipons d'abord toute équivoque : le mot nature, entendu comme spectacle des choses créées, n'eut jamais beaucoup de sens pour Boileau et ses contempoîains. Brunetière voit dans cette indifférence un signe de santé morale. Les classiques, dit-il, « ne jouissent de la Nature que comme nous faisons de respirer, par exemple, ou de vivre, sans presque nous en apercevoir, quoique ce soit pourtant un plaisir, et sans jamais éprouver le besoin de connaître le jeu de nos organes ou la composition de l'atmosphère. »
M. Morillot* relève spirituellement cet aimable paradoxe : « Que le sentiment de la nature puisse prendre en nous une intensité maladive, c'est possible ; mais
]. Boileau, p. 145.
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si le seul fait d'apercevoir quelle existe constitue une maladie, je ne vois pas pourquoi celui d'analyser le coeur humain n'en constituerait pas une autre tout aussi grave ; ne devrait-il pas nous suffire d'avoir un esprit qui pense, une âme qui aime et qui souffre, sans chercher en à savoir plus long sur ces pensées et sur ces souffrances ? A ce compte-là, ce n'est pas seulement la poésie de la nature qui est une névrose, c'est toute poésie et toute littérature : car on pourrait très bien s'en passer, et l'on ne s'en porterait peut-être pas plus mal. »
La Nature n'était pas à la mode du temps de Boileau ; elle se bornait pour lui aux arbres de son jardin. Non seulement on ne sent pas la nature dans son oeuvre, mais il ne la sentait pas lui-même dans l'oeuvre d'autrui, Théophile, Saint-Amant, La Fontaine, Du Bellay et ce Ronsard, si savoureux, qui a mêlé à toutes ses émotions poétiques de si belles sensations de nature, comme dans les Bûcherons de la forêt de Gastine.
Ce genre de sensibilité a été lettre morte pour Boileau. Il n'a jamais vu le rôle que pouvait jouer le paysage dans l'inspiration poétique. Cette indifférence nous étonne, nous qui ne comprenons plus aujourd'hui la poésie sans la couleur et le paysage.
Ce que Boileau entend par la nature, ce n'est donc pas la vision des choses rustiques, mais le fond humain, la psychologie ; la vérité des sentiments ainsi comprise, la nature est, selon lui, le grand modèle qu'il faut imiter et dont La Fontaine conseillait « de ne plus s'écarter ».
L'Art poétique est plein de conseils sur l'observation et l'imitation de la nature :
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DE BOILEAU 79
La nature, fertile en esprits excellents, Sait entre les auteurs partager les talents.
Ch.I.vers 13.
L'esprit avec plaisir reconnaît la nature.
Ch. III, 108.
Calprenède et Juba parlent du même ton ;
La nature est en nous plus diverse et plus sage.
Ch. III, 130.
On dirait que, pour plaire, instruit pai la nature. Homère ait à Vénus emprunté sa ceinture.
Cb. III, 295.
Que la nature donc soit votre étude unique.
Ch. III, 359.
La Nature, féconde en bizarres portraits,
Dans chaque âme est marquée à de différents traits.
Ch. III, 370.
Jamais de la nature il ne faut s'écarter.
Ch. III, 414.
Ce souci de la Nature est celui de bons écrivains de l'époque :
Ce style figuré dont on fait vanité
Sort du bon caractère et de la vérité ;
Ce n'est que jeux de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est pas ainsi que parle la Nature.
(MoLlfedE.)
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80 L'ART POÉTIQUE
Et maintenant il ne faut pas Quitter la nature d'un pas.
(LA FONTAINE.)
On trouve la même préoccupation chez Pascal.
Pour Boileau et ses amis, la nature c'était le naturel, la raison, la haine du faux, du burlesque, du précieux, c'est-à-dire la guerre déclarée à toute la production littéraire de l'époque. Ce retour à la nature s'imposait comme seul moyen de combattre le débordement de la littérature régnante. La formule, peut-être un peu vague, comme elle l'est encore aujourd'hui, a engendré des discussions qui durent encore. Pour vouloir servilement imiter la nature, on est tombé dans des excès de réalisme qu'eussent ceitainement répudiés les écrivains classiques de 1674.
Les adversaires mêmes de Boileau (il faut noter ce point) étaient d'accord avec lui sur la nécessité d'observer et d'imiter la nature. Scudéry, Chapelain, Pradon, Quinault, avaient là dessus les mêmes idées due Boileau. « Il est certain, dit M. Biay, qu'avec les mêmes principes les uns ont fait plus vrai et les autres plus faux ». Comment expliquer cela ? C'est qu'ils appliquaient tout autrement leur doctiine. Les Desmarets de Saint-Sorlin, Scudéry, Saint-Amant, etc., faisaient du faux en voulant faire du vrai, et Boileau avait mille fois raison de leur crier : « Vous n'êtes pas dans la Nature ; vous n'êtes pas dans le vrai. » Ces faiseurs d'épopées ne comprenaient pas. Leur jugement restait sain ; leur outil déviait.
1. La doctrine classique, p 145.
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DE BOILEAU 81
En conseillant l'imitation de la nature, Boileau prêchait d'exemple et allait assez loin dans sa théorie. Il déclarait qu'il « n'est point de serpent ni de monstre odieux qui, par l'art imités, ne puissent plaire aux yeux » et que « l'agréable artifice d'un pinceau délicat, peut faire du « plus affreux objet un objet aimable ». Il décrit compJaisamment dans le Repas ridicule le « godiveau, le beurre gluant, l'huile, le vinaigre rosat, les verres qui gardent les doigts des laquais « dans la crasse tracés », les lapins qui sentent le chou, les « baisers pleins d'ail et de tabac » (Satire X), et la mondaine qui le soir défait son maquillage et « étale son teint sur la toilette », et les « mouchoirs sales » envoyés au blanchisseur » (Satire V). « Victor Hugo, dit Morillot, admirait fort l'ingénieuse énergie de ces peintures » qui choquaient Racine.
Voici les vers que sur les instances de l'auteur dVlndromaque, Boileau consentit à supprimer dans sa Satire des femmes :
Mais qui pourrait compter le nombre de haillons De pièces, de lambeaux, de sales guenillons, De chiffons iamassés dans la plus noire ordure, Dont la femme, aux bons jours, composait sa parure ? Décrirai-je ses bas en trente enaroits percés, Ses souliers grimaçants vingt fois rapetassés, Ses coiffes d'où pendaient, au bout d'une ficelle, Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu'elle ? Peindraj-je son jupon, bigarré de latin, Qu'ensemble composaient trois thèses de satin, Présent qu'en un procès, sur certain privilège, Firent à son mari les régents d'un collège Et qui, sur cette jupe, à maint rieur encor, Derrière elle faisait dire : argumentabor.
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Evidemment Boileau est réaliste ; il a tout un côté d'audace familière, auquel il n'a pas donné libre cours et qu'il étouffe par discipline, parce qu'il est avant tout un homme de goût et de bienséances. Son réalisme, à le regarder de près, est un réalisme de convention, un réalisme de cliché et de rhétorique, en phrases et en péiiphrases, qui n'a rien de commun avec le brutal réalisme d'un Régnier. Quand Boileau justifie le « serpent et le monstre odieux », « c'est, dit M. Bray, une façon de parler qui vient d'Aristote et qui ne va pas très loin. Boileau voulait justifier les sanglantes tragédies grecques, les malheurs d'OEdipe et les fureurs d'Oreste. »
Le réalisme de Boileau était celui de George Sand : « L'art, dit George Sa.id, doit être la recherche de la vérité, et la vérité n'est pas la peinture du mal. Elle doit être la peinture du mal et du bien. Un peintre qui ne voit que l'un est aussi faux que celui qui ne voit que l'autre. La vie n'est pas bourrée que de monstres. La société n'est pas formée que de scélérats et de misérables 1. »
Boileau, déclare M. Bray, « n'a rien du théoricien réaliste ou naturaliste, et, pas plus qu'il n'admet l'imitation servile de la nature, il ne pense à recommander son imitation intégrale. »
Voilà le grand point. Boileau ne veut pas qu'on copie servilement la nature, ni qu'on tombe dans l'excès, ni qu'on dise tout ; il s'en est nettement expliqué avec Brossette. Il ne sait pas qu'une fois qu'on a choisi son sujet, il ne faut jamais craindre d'imiter et de copier la
t. Corresp. avec Flaubert, p. 450.
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nature, même servilement, par la bonne raison qu'on ne copie jamais, même quand on croit copier. Le cerveau et les yeux du peintre, ou de l'écrivain, sont une lentille qui met les choses au point, et qui transpose et interprète toujours.
L'exemple d'Homère, qu'il lisait pourtant et qu'il admirait, aurait pu montrer à Boileau jusqu'à quel point on peut pousser le réalisme et l'imitation de la nature.
Qu'on le veuille ou non, Homère est le triomphe de la description matérielle, la sensation physique, le détail en relief, dessiné et appuyé. Ce réalisme n'apparaissait pas dans les truductions de l'époque ; on le voilait ; on l'adoucissait. L'audace des Grecs faisait peur à nos classiques. Je ne serais pas surpris que l'arrivée d'OEdipe sur la scène, aveugle et les yeux sanglants, ait seule empêché Racine de mettre cette pièce au théâtre.
Ce réalisme des Anciens et en particulier celui d'Homère, Boileau ne pouvait pas le nier ; mais l'audace du mot à mot l'effrayait ; il aimait mieux l'expliquer, l'atténuer. Certaines scènes de l'Iliade le scandalisaient. La folâtrerie des dieux, entr'autres, l'embarrassait visiblement, et il allait jusqu'à dire à La Motte, qui l'affirme et le répète, qu'Homère avait fait « jouer la comédie aux dieux pou>" délasser le lecteur, que la continuité des combats aurait rebuté sans ces intermèdes. »
Perrault et ses amis constataient bien la trivialité et ce qu'ils appelaient la bassesse d'Homère ; mais, au lieu d'y voir une preuve de génie, ils n'y voyaient qu'une preuve de mauvais goût. Boileau avait
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beau défendre Homère, il était évidemment un peu suffoqué de lire qu'Ulysse, ne pouvant dormir, se tournait dans son lit « comme un boudin qu'on rôtit sur le giil » et de voir Thétis, apportant à son fils les armes de Patrocle, écarter en même temps les mouches du cadavre, détail dont La Motte ne manqua pas de signaler l'ignominie. Boileau scandalisé tâchait d'adoucir la crudité d'Homère et voulait persuader que le véritable Homère était un poète bien élevé qui observait les bienséances et écrivait en style noble. « Boileau, dit Rigault, découvre dans Homère une noblesse qu'Homère n'a jamais cherchée ». Le mot porc et le mot âne devaient être certainement nobles en grec, du .temps d'Homère, selon Boileau.
L'auteur de Y Art poétique croyait à la noblesse du btylp et voulait qu'on exprimât toujours noblement les choses les plus ordinaires. « Le style le moins noble, a-t-il dit, a toujours sa noblesse » (ch. I). Il a raison, mais c'est un art difficile que de dire noblement des choses ordinaires. Flaubert se vantait d'avoir écrit Madame Bovary pour prouver à Champfleury qu'on pouvait traiter en belle prose les sujets les plus réalistes. « Plus les choses sont sèches et malaisées à dire, déclarait Boileau à Maucroix, plus elles frappent quand elles sont dites noblement et avec cette élégance qui fait proprement la poésie. >' « Il est pljs difficile, ajoute Flaubert, de dire en belle prose : il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée que de faire une jolie description. » Boileau avouait que les deux vers de ses ouvrages que La Fontaine estimait le plus étaient ceux où il louait le roi d'avoir établi la Manufacture des points de Venise : « Et nos voisins, fiustrés de ces
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tributs serviles, que payait à leur art le luxe de leurs villes. » « Il y a, dit Boileau, un très grand nombre de petites choses que notre langue ne saurait dire noblement. Ainsi, par exemple, bien que dans des endroits les plus sublimes elle nomme sans s'avilir un mouton, une chèvre, une brebis, elle ne saurait, sans se diffamer, dans un style un peu élevé, nommer un veau, une truie, un cochon. Le mot de génisse en français est fort beau, surtout dans une églogue ; vache ne s'y peut souffrir. Pasteur et berger y sont du plus bel usage ; garde ur de pourceaux ou gardeur de boeufs y seraient horribles. »
Dire noblement les choses a toujours été l'ambition des vrais écrivains. Ce louable effort a ses inconvénients. Il incline insensiblement à remplacer l'expression familière par une expression plus relevée, qui devient vite prétentieuse et conduit aux niaises périphrases de Delille : « L'animal qui se nourrit de glands (le porc), poussière féconde (caré en poudre), l'émail du Japon (une tasse), l'amant des feuilles de Thisbé (le vers à soi), les coussins d'un char numéroté (un fiacre) ; l'airain sacré (les cloches), etc., ce que le père P. Borihours appelait le parler par phrases.
Voilà lecueil. Boileau et tous les écrivains de son temps ont horreur du mot propre. Cette horreur du mot propre a fini par stériliser la poésie classique et explique le Romantisme. Bossuet lui-même, si réaliste dans ses premiers sermons, n'osait aborder de front le mot propre. Auguste Vacquerie iappelle plaisamment, à ce propos, l'embarras du grand orateur :
« Un jour, Bossuet tomba dans une perplexilé
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affreuse. Anne de Gouzague venait de mourir et il devait faire son oraison funèbre. Anne de Gouzague avait débuté par toutes sortes de débauches et d'impiétés ; puis elle avait eu un rêve qui l'avait convertie. C'était ce rêve qui épouvantait Bossuet. Dans ce rêve il y avait une poule et ses poussins. Nommer une poule en chaire, chose terrible ! Et cependant impossible de ne pas raconter ce songe, cause de la conversion. Bossuet le raconte ; mais il faut voir avec quelles précautions, comme il s'y prépare de loin, comme il s'excuse, comme il rejette la faute sur Dieu, « qui fait entendre ses vérités en telles manières et sous telles figures qu'il lui plait ». Alors il se hasarde à commencer le récit du songe : « Elle voit paraître... » mais il s'arrête ; Dieu ne lui semble pas une autorité suffisante. Heureusement il se souvient que Jésus s'est comparé à une poule. Il se hâte de le rappeler : « Elle voit paraître... ce que Jésus-Christ n'a pas dédaigné de nous donner comme l'image de sa tendresse ». Ainsi appuyé, ayant Dieu à sa droite et le Christ à sa gauche, Bossuet ose affronter le mot poule ».... L'image de sa tendresse, dit-il, une poule, devenue mère empressée autour des petits qu'elle conduisait -v *
En résumé, malgré ses préjugés et ses réserves, à travers les atténuations et les adoucissements, Boileau a tout de même compris l'essentiel des beautés d'Homère (v. Lettres à Brouette). Il le considère comme le plus grand poète de tous les temps, celui qui résume toutes les qualités du génie, intérêt, grâce,
|. Vacquerie, Profils et $rtmace$,
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force, émotion, la vie même (Art poétique, ch. III, 295 à 308). Racine, qui lisait couramment le grec, aida certainement Boileau à sentir la profonde originalité d'Homère et des auteurs grecs. Un jour, à Auteuil, en présence de Nicole et de quelques amis, Racine se mit à lire l'OEdipe de Sophocle, en le traduisant au fur et à mesure. Cette lecture bouleversa les auditeurs par son côté dramatique et par l'émotion que Racine mit dans son débit. Il était hors de lui.... Enfin Boileau nous a prouvé la sincérité de son admiration pour Homère, quand il a écrit cette phrase étonnante : « Je soutiens que, si un homme employait plusieurs années de sa vie à apprendre le grec uniquement pour entendre Homère, il serait bien payé de son temps et de ses peines par la lecture de ce poète. »
Le culte d'Homère et l'imitation des Anciens ont persisté au XVIIIe siècle. Les poètes de cette époque cultivaient les mêmes genres littéraires, et Voltaire a écrit un poème : la Hemiade, que Boileau n'eût peut-être pas trouvé si mauvais. On a vu plus tard les romantiques comme Gautier et Flaubert apprendre le grec pour lire Ylliade dans le texte, et Gautier même rêvera d'écrire une belle tragédie grecque. Ce culte d'Homère s'est encore plus sincèrement affirmé depuis qu'on a fait justice des théories de Wolf et qu'on a définitivement affirmé la personnalité dû grand poète. Les défauts d'Homère ne diminuent pas son génie, malgré lo dormitat Homerus d'Horace, et c'est en toute véiité que Voltaire a pu dire dans le quatiain cité pai D'Alembert :
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Plein de beautés et de défauts, Le viel Homère a mon estime ; Il est, comme tous ses héros, Babillard, outré, mais sublime.
Quand on voit avec quelle admiration Boileau a parlé d'Homère dans Y Art poétique, on s'explique ses protestations contre les attaques de Charles Perrault. Le conflit éclata après la lectuie que fit Perrault à l'académie (janvier 1687) de son poème le Siècle de Louis XIV, où, pour plaire au grand roi, il déclarait que les auteurs de son temps, les Ménage, les Chapelain et Scudéry, égalaient Homère, Virgile et Sophocle. Outré d'une telle prétention chez un homme qui avait déjà osé parodier le VIe livre de Y Enéide, Boileau trouva que c'était une honte pour l'Académie d'entendre de pareils blasphèmes. Huet le força à se taire. Boileau en voulait surtout à Perrault de n'avoir pas nommé Racine, qui, très froissé, lui aussi, félicita ironiquement Perrault en lui disant qu'il ne pensait probablement pas un mot de ce qu'il venait de lire. Perrault protesta qu'il était sincère et, pour le prouver, il résolut d'élargir le sujet et se prépara à écriie son fameux Parallèle des Anciens et des Modernes. Voici en quels termes il raconte l'incident dans les Mémoires dt sa vie x :
« Mon petit poème du Siècle de Louis XIV reçut beaucoup de louanges dans la lecture qui s'en fit à l'académie.... Ces louanges irritèrent' tellement M. Despreaux, qu'après avoir grondé longtemps
I. Mémoires, p. 137, Laurens édit.
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tout bas, il s'éleva dans l'Académie et dit que c'était une honte qu'on fît une telle lecture, qui blâmait les plus grands hommes de l'Antiquité. M. Huet, alors evêque de Soissons, lui dit de se taire et que, s'il était question de prendre le parti des anciens, cela lui conviendrait mieux qu'à lui parce qu'il les connaissait beaucoup mieux ; mais qu'ils n'étaient là que pour écouler. Depuis, le chagrin de M. Despreaux lui fit faire plusieurs épigrammes qui n'allaient qu'à m'offenser, mais nullement à ruiner mon sentiment touchant les Anciens. M. Racine me fit compliment sur cet ouvrage, qu'il loua beaucoup dans la supposition que ce n'était qu'un pur jeu d'esprit qui ne contenait point mes véritables sentiments, et que, dans la vérité, je pensais tout le contraire de ce que j'avais avancé dans mon poème.... »
Boileau, ce jour-là, manqua de sang-troid. Il eût peut-être mieux valu mépriser ces paradoxes.
Charles Perrault était un homme poli et courtois. Son titre de gloire ce sont les Contes de fées. Ses contemporains ne comprenaient pas qu'il ait consenti à publier ces histoires pour petites filles, et on fit sur lui ce quatrain à propos de Peau d'âne :
Perrault nous a donné Peau d'Ane ; Qu'on me loue ou qu'on me condamne, Ma foi ! Je dis comme Boileau, Perrault nous a donné sa peau.
Au fond, malgré leurs différences d'idées, Perrault estimait le talent de Boileau et ne demandait qu'à vivre en bons termes avec ses confrères. Aussi
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accueillît-il plus tard avec empressement l'idée d'une réconciliation avec ce terrible ennemi, qui consentait enfin à s'adoucir, et à tendre la main à ses adversaires, Perrault, Boursault et Quinault. La réconciliation semble n'avoir pas été aussi sincère chez Boileau. Il apprit la mort de Perrault avec assez d'indifférence et prétendit que l'auteur du Parallèle n'avait pas « très bien reçu » la fameuse lettie contenant ses propositions de paix.
« Quand la querelle de Perrault et de Despréaux, dit d'Alembert, eût duré le temps qu'il fallait pour faire également tort l'un à l'autre ; quand les deux adversaires furent rassasiés, l'un de reproches et l'autre d epigrammes ; quand le public commença lui-même par être fatigué, des amis communs, qui duraient dû y songer plus tôt, s'occupèrent de îéconcilier ces deux hommes, faits pour s'estimer l'un l'autre ; le piemier par son rare talent, le second par son savoir et ses lumières et tous deux par leur probité. La réconciliation fut sincère de la part de Perrault ; il supprima même plusieurs traits qu'il réservait encore aux Anciens dans le tome IV de ses Parallèles, « aimant mieux, disait-il, se priver du plaisir de prouver de nouveau la bonté de sa cause que d'être brouillé plus longtemps avec des hommes d'un aussi grand mérite que ceux qu'il avait pour adversaires et dont l'amitié ne pouvait trop s'acheter. » Quant à Despréaux, il écrivait à Perrault, après leur raccommodement, une lettre qu'il appelait de réconciliation, mais dans laquelle, à travers les compliments qu'il s'efforce de lui faire, il n'a pu s'empêcher de montrer encore ce reste de malignité ou de fiel, dont il est si
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difficile à un satirique de profession de se défaire entièrement. Cette lettre était à peu près une nouvelle critique de Perrault, tant la réparation avait la tournure équivoque. Aussi un ami de Despréaux lui disait-il ; « Je ne doute pas que nous ne soyons bien ensemble ; mais, si jamais après une brouillerie nous venons à nous raccommoder, point de réconciliation, je vous prie. Je crains plus vos réparations que vos injures. »
Perrault, on le voit, eût été très excusable d'avoir gardé un peu de rancune contre l'auteur de ce genre de raccommodement. Il n'eut même pas ce tort ; il se montra jusqu'au bout un homme bien élevé, et mourut en faisant dire par son fils à Boileau qu'il demeurait jusqu'à la fin son fidèle serviteur.
Peut-être n'a-t-on pas assez cherché la vraie cause de ce malentendu sur Homère et les Anciens. Je crois qu'elle est tout entière dans la question des traductions. On n'avait alors que des traductions en style incolore, incapables de rendre l'originalité des vieux auteurs. C'est pour cela qu'après avoir déclaré de bonne foi que le style lui était indifférent et qu'il ne fallait s'attacher qu'au sens des mots, Perrault ne trouvait rien d'extraordinaire dans les oeuvres des Anciens. Il allait jusqu'à dire naïvement que « la prétendue supériorité des Anciens était apparue comme un préjugé, depuis qu'on avait pu lire les traductions françaises. » Il avait raison, et Boileau le savait bien, quand il répondait en propres termes que, « si on traduisait Homère comme il faut, il ferait
J. D'Alembert, Eloge de Perrault.
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certainement l'effet qu'il a toujours fait » ; et Boileau ajoutait que « les Anciens avaient beaucoup plus à se plaindre de leur traducteur Dacier que de leur détracteur Perrault ».
« Boileau, dit D'Alembert, ne faisait pas plus de grâce aux Traductions pesantes ou insipides de ces chefs-d'oeuvre de l'Antiquité qu'il admiroit avec tant de raison, et que Dacier, qui prétendoit les admirer aussi, avait si cruellement défigurés dans notre Langue. Justement blessé de les voir ainsi travestis et dégradés, Despréaux appîaudissoit à la comparaison que faisait Madame de La Fayette, d'un mauvais Traducteur avec un Valet sans esprit, qui porteur d'un message intéressant, répète de travers ce que son Maître l'a chargé de dire. »
Voilà l'explication des prodigieuses négations de Perrault, que Racine qualifiait « d'impertinences et d'extravagances », parce qu'il lisait, lui, les auteurs grecs dans le texte et qu'il savait à quoi s'en tenir sur leur supériorité et leur génie.
Boileau non seulement ne pardonnait pas à Perrault ses paradoxes ; mais il englobait dans le même mépris ceux qui accueillaient avec indulgence ces absurdes préjugés. C'est ainsi que, tout en reconnaissant le talent et l'espiit de Fontenelle, il déclarait, à propos de La Motte : « C'est dommage qu'il ait été s'encanailler de Fontenelle. » L'auteur de la Pluralité des Mondes s'était, en effet, déclaré pour les Modernes contre les Anciens, mais avec cette prudence et ce tact qui lui faisait dire : « Je n'ai jamais été aussi partisan de M. Perrault que certaines gens auraient voulu le persuader ; je n'ai jamais été aussi loin que lui.
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L'abbé Bignon me disait que jetais le patriarche d'une secte dont je n'étais pas. »x
Boileau plaçait au-dessus de toute discussion la question de la supériorité des auteurs anciens ; et la preuve, selon lui, qu'ils ont eu du génie, (il le répète plusieurs fois dans ses Réflexions sur Longin), c'est la durée de leur renommée depuis des siècles.
« Je n'admets, dit-il, dans ce haut rang que ce petit nombre d'écrivains merveilleux dans le nom seul fait l'éloge, comme Homère, Platon, Cicéron, Virgile... L'antiquité d'un écrivain n'est pas un titre certain de son mérite ; mais l'antique et constante admiration qu'on a toujours eue pour ces ouvrages est une preuve sûre et infaillible qu'on les doit admirer... Le gios des hommes ne se trompe pas sur les ouvrages de l'esprit... »
Boileau va plus loin. Il admirait profondément et sincèrement Racine et Corneille. Mis au pied du mur, il déclare cependant qu'il leur manque encore la consécration du temps : « La postérité jugera qui vaut le mieux des deux : car je suis persuadé que les écrits de l'un et de l'autre passeront aux siècles suivants ; mais jusque-là ni l'un ni l'autre ne doit être mis en parallèle avec Sophocle et avec Euripide, puisque leurs ouvrages n'ont point encore le sceau qu'ont les ouvrages d'Euripide ou de Sophocle, je veux dire l'approbation de plusieurs siècles. »
Ce critérium de Boileau païaît assez raisonnable.
I Mânoires sur la vie et les ouvrages de M de Fonlenelle, par l'abbé Trublet, p 40, 41. Fontenelle « parlait assez volontiers de l'inimitié que Boileau et Racine avaient pour lui, et il en contait plusieurs traits » (Ibid , p. 257)
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Il est très naturel de croire que l'Iliade et Y Odyssée sont des chefs-d'oeuvre, précisément parce qu'on les admire depuis des siècles ; mais cela ne nous démontre pas, ne nous fait pas sentir en quoi consiste la beauté de ces ouvrages, si nous ne la sentons pas par nous-mêmes. Nous avons beau savoir que telle oeuvre est admirée depuis des années ; cela n'explique pas la raison de cette admiration.
Ceci est une autre question qui nous entraînerait loin.
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VI CHAPELAIN ET L'ART POÉTIQUE
Un autre grand principe qui domine Y Art poétique, c'est qu'il existe des règles pour tous les genres de littérature, des règles auxquelles il faut se conformer, si l'on veut faire une oeuvre excellente.
De tout temps le prestige des règles a été grand ; leur nécessité s'impose ; Baudelaire lui-même le proclame : « Les rhétoriques et les prosodies, dit-il, ne sont pas des tyrannies inventées arbitrairement, mais une collection de règles réclamées par l'organisation même de l'être spirituel ; et jamais les rhétoriques et les prosodies n'ont empêché l'originalité de se produire. » *
Au XVIIe siècle, un ouvrage écrit selon les règles trouvait grâce aux yeux des censeurs les plus sévères. Il existait des règles pour le théâtre, pour l'épopée, la comédie, la tragédie, le roman, l'églogue, la satire, l'épitre. Vart poétique est le recueil de ces règles, un code de théories et de conseils pratiques. La foi
l. Cité par Lalou, Vers une alchimie lyrique, p. 95.
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dans les règles était devenue une sorte de superstition. On ne pardonnait pas à un auteur de ne pas respecter les règles. Cet oubli occasionnait parfois de curieux malentendus. On sait ce qui se passa pour les Plaideurs de Racine. La pièce est très amusante ; elle n'eût aucun succès et fut retirée après deux représentations. » C'est, nous dit Racine, qu'on voulut y voir une comédie îégulièie. Ceux qui s'y étaient le plus diverti eurent peur de n'avoir pas îi dans les règles. » Il fallut les applaudissements de Louis XIV pour changer cette chute en triomphe.
La question des règles de l'art dramatique fut la plus importante et la plus discutée. Les origines des fameuses unités de temps et de lieu pour la tragédie sont assez obscures. Mairet les aurait appliquées pour la première fois dans sa Sylvanire. D'Aubignac, dans sa Pratiqua du théâtre, nous a donné une histoire très étudiée des unités de temps et de lieu. Mais c'est Chapelain qui découvrit ces règles dans les ouvrages italiens sur Aristote, et qui réussit à les imposer en France 1.
La docilité avec laquelle ces lois furent acceptées par les écrivains de ce temps ne doit pas nous surprendre. Elles étaient fondées sur la raison, sur la vraisemblance, la logique, la vérité humaine ; seulement on ne remarquait pas que ce sont les oeuvres qui ont précédé les îègles, et que c'est après qu'une oeuvre est faite qu'on en découvre la loi. Ni Y Iliade ni Y Odyssée ni la Chanscn de Roland n'ont été com1
com1 le bel ouvrage critique de M Bray : Formation de la Doctrine classique.
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posés d'après les préceptes établis. Le poète crée d'abord et on dégage ensuite de son oeuvre les conditions de facture, de goût et de bon sens.
La confiance dans l'efficacité des règles était si forte au XVIIe siècle, qu'on semblait croire qu'il suffisait de les observer pour produire des chefs-d'oeuvre. Quelques écrivains furent victimes de cette illusion. La Mesnardière, quoique bon critique et observateur des règles, ne parvint qu'à écrire une mauvaise tragédie. L'abbé D'Aubignac, auteur de la Poétique du théâtre, le meilleur ouvrage critique de l'époque, après avoir longuement étudié le métier dramatique, se crut capable de composer à son tour une bonne tragédie. Il fit Zénobiet oeuvre médiocre, qu'il donna comme un modèle de production selon les règles, « ce qui fit dire, ajoute Vigneul-Marville, à M. le prince, le grand Condé : « Je sais bon gré à M. D'Aubignac d'avoir si bien suivi les règles d'Aristote ; mais je ne pardonne point aux règles d'Aristote d'avoir fait faire une si méchante tragédie à M. D'Aubignac. »
De pareils exemples auraient dû diminuer l'aveugle confiance qu'on avait alors dans les règles. Elles n'étaient, d'ailleurs, pas tout, même à cette époque, quoi qu'en dise Brunetièie. On ne songeait pas à nier la nécessité de l'inspiration, la vocation, le génie. Corneille lui-même déclare qu'il ne faut pas être l'esclave d'Aristote, quelque respect que l'on puisse avoir pour des lois fondées en îaison et en nature. Boileau signale le danger des fausses vocations et demande qu'on soit d'abord poète :
C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur Pense de l'art des vers atteindre la hauteur :
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S'il ne sent point du ciel l'influence secrète, Si son astre en naissant ne l'a formé poète, Dans son génie étroit il est toujours captif ; Pour lui Phébus est souid et Pégasse est rétif.
La tyiannie des règles rencontiait des résistances. De bons écrivains essayaient de briser le joug. L'unité de temps et de lieu pour la tragédie n'était pas admise par tout le monde. On regimbait, on discutait. Boileau lui-même comprenait que ces fameuses règles ne sont pas tout ; qu'il faut laisser la liberté au génie et que la technique ne saurait emprisonner l'inspira" tion. Il déclare qu' « un beau désordre est un effet de l'art » (ch. II) et qu'un « esprit vigoureux, trop resserré par l'art, sort des règles prescrites et de l'art même apprend à franchir les limites » (ch. IV) ce qui veut dire qu'il est permis au poète d'avoir des élans qui brisent les préceptes. Boileau va jusqu'à dire dans son Discours sur VOde : « Ce précepte, qui donne pour règle de ne point garder quelquefois de règles, est un mystère de l'art, et il est difficile de le faire entendre à un homme qui n'a aucun goût », comme Charles Perrault, par exemple, « qui trouvait Térence fade, Virgile froid et Homère de mauvais sens. » On peut lire encore à ce sujet un curieux passage du prologue de YEcole des femmes. Pour Molière, le grand point était de plaire, et Boileau faisait du succès continu le critérium des chefs-d'oeuvre. C'était également l'opinion de Racine dans sa préface de Britannicus, une pièce qui eut le plus grand succès, quoique faite contie toutes les règles, s'il faut en croire l'abbé de Villars : « Une pièce, qui touche les spectateurs, dit Racine et qui leur donne du plaisir, ne
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peut être absolument contre les règles ; la principale règle est de plaire et de toucher, et toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. » Boileau reconnaît que ce principe domine tout. Il s agit de plaire, voilà la règle suprême : « N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. » (Art poét., ch. I). Tous sont d'accoid là-dessus ; et Chapelain concluait en disant : « Il faut plaire, oui ; riais on ne plaît qu'avec les règles. »
Au fond, comme le P. Rapin l'a bien vu, l'inconvénient des règles frappait tout le monde. Elles rétrécissaient l'idée et la qualité de la poésie. On devenait timide ; on redoutait les métaphores, la fantaisie, les images. Racine, Boileau, Molière, La Fontaine, Corneille le savaient bien et ne se gênaient pas pour s'affranchir des chaînes et des préceptes.
Pope, le poète anglais imitateur de Boileau dans son Essai sur la Critique, se moque de la France et des français, parce qu'ils avaient en littérature la superstition des règles. Pope croit à la supériorité de l'Angleterre, pays d'un poète comme Shakespeare, qui n'a pas de règles. « Les Muses, dit-il, bientôt chassées du Latium, dépassèrent leurs limites.. De là les Ails avancent sur les contrées du nord; mais la science de la critique fleurissait surtout en France. Une nation née pour servir obéit à des règles, et Boileau encore continue à tenir le sceptre à la place d'Horace »*. .On peut se demander si l'Angleterre d'Henri VIII et d'Elisabeth n'était pas, autant que la France, une nation née pour servir et pour obéir à ces
I. Essai sur la critique, vers 713-714.
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fameuses règles qui nous viennent, d'ailleurs, de la Grèce, un pays libre, je pense.
Auteur d'Épitres et de Satires, traducteur ridiculement moderne d'Homère, Pope passait pour le premier poète de l'Angleterre, le prince du rythme et de la raison. Nous retrouvons dans son Essai le travail et l'application de Y Art poétique. Pope a lu Boileau, Pascal et Charron 1,
Contestées ou non, c'est, en résume, Chapelain qui a imposé en France, au XVIIe siècle, le culte des règles.
Bien que Boileau n'ait attaqué Chapelain que dans les Satires, l'auteur de la Pucelle est intimement lié à l'histoire de Y Art poétique. Dans sa préface de YAdone, dans ses Sentiments sur le Cid, les préfaces de la Pucelle et dans toute sa correspondance, Chapelain, bien avant Boileau, a les mêmes idées que lui et enseigne comme lui le respect des règles, l'imitation de la Nature et des Anciens. Il blâme les faux ornements, le bel esprit, les longues descriptions et recommande l'équilibre, le soin de la forme, le style sobre et naturel.
« La doctrine de Boileau, dit M. Bray, est celle de ses adversaires. Il n'a rien ajouté que la forme du vers. Elle était aussi nette avant lui que chez lui. Elle était même plus complète. » 2 M. Bray a raison d'ajouter que Boileau avait certainement lu la préface de YAdone, où Chapelain a exposé ses théories.
Erudit et bon juge, Chapelain était considéré, au
1. Pope, Epitre II.
2. La doctrine classique, p. 363.
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XVIIe siècle, non seulement comme le plus grand critique, mais comme le plus grand poète de son temps. Sa renommée était Européenne.
Chargé de la distribution des pensions royales, dont vivaient alors les écrivains, Chapelain avait une situation exceptionnelle dans les lettres françaises. Boileau pouvait, à la rigueur, admettre son enseignement et reconnaître l'excellence de ses théories* ; ce qu'il ne lui pardonnait pas, c'était sa réputation usurpée de grand poète, et tout lui parut bon pour abattre ce faux grand homme que l'on osait comparer à Malherbe. La lutte entre Chapelain et Boileau fut un événement dont les contemporains, sauf peutêtre Ménage, ne soupçonnèrent pas toute l'importance. Il s'agissait de détruire une réputation, établie depuis trente ans, presque mondiale.
Après a\oir débuté par quelques odes d'une belle inspiration, entr'autres celles au duc d'Enghien et au cardinal de Richelieu 2, Chapelain eut le tort de se prendre au sérieux et de croire à son avenir poétique. Il mit vingt ans à composer sa Pucelle, qui fut louée par tous les auteurs de son temps, y compris Gués de Balzac et Corneille.
Les attaques de Boileau éclatèrent brusquement. Ce fut une guerre sans meici, dont l'origine est assez obscure. On prétend que, lorsque Boileau, encore inconnu, nontrait ses premiers essais à l'Hôtel Ram1.
Ram1. a dit que Boileau avait imité, ou emprunté, certains hémistiches et même des vers de la Pucelle Le trait serait piquant ; je ne crois pas qu'il soit exact
2 Encore assure-t-on que cette dernière pièce n'était de\enue bonne qu'après les corrections que lui imposèrent ses amis
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bouillet, Chapelain, Ménage et Cotin l'auraient découragé en termes assez vifs. M. Georges Collas déclare cette légende inacceptable. Chapelain luimême a affirmé « qu'il ne connaissait pas Boileau », et « il n'eut pas manqué, si une telle scène avait eu lieu, d'attribuer à la vengeance les violentes attaques dont il était l'objet *.
On a dit encore que Boileau ne pardonnait pas à l'auteur de la Pucelle de ne point l'avoir mis sur la liste des gratifications officielles ; mais le désintéressement de Boileau est connu ; il ne tenait pas à l'argent, et il lui eût été facile, par son frère Gilles, ami de Chapelain, de figurer sur cette fameuse liste où brillaient Cassagne, Cotin et autres mauvais poètes.
Non, ce qui explique la haine de Boileau, c'est tout simplement la îévolte de son goût et de son bon sens contre un ouvrage dont le succès déshonorait la littérature. Boileau a attaqué Chapelain parce que Chapelain était le faux grand poète de l'époque. En ridiculisant la Pucelle, Boileau voulait ouvrir les yeux du public sur la valeur d'une oeuvre qui, parue en 1656, triomphait encore en 1674 et comptait six éditions en 18 ans.
Une telle entreprise exigeait du courage et pouvait être dangereuse. Non seulement Chapelain régnait dans les salons, surtout chez Mlle de Scudéry, mais il avait à la Cour de puissants protecteurs, notamment l'ami de Ménage et de Cotin, ce duc de Montausier qui, pour venger Chapelain, faillit faire bâtonner Boileau. Le plus curieux, c'est que ce MonI.
MonI. Chapelain, p. 445
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tausier, si indigné contre les Satires, avait lui-même, s'il faut en croire d'Alembert, débuté dans sa jeunesse par écrire aussi des Satires.
Tant que Chapelain travailla à son poème (pendant plus de vingt ans) il passa pour un génie et sa réputation ne fit que grandir. On tenait l'ouvrage pour un chef-d'oeuvre. Quand le poème parut, personne n'osa se dédire et l'admiration persista. Linière fut le premier à signaler la médiocrité t\e cette indigeste production. [Quant à Boileau, il ne prit pas la peine d'étudier l'oeuvre et d'en démontrer la médiocrité ; il se contenta de la persifler et, à force de répéter qu'elle était mauvaise, il força le public à s'en apercevoir, et le succès se ralentit. Chapelain n'avait donné que la première partie du poème (12.000 vers). Son ami Huet, évêque d'Avranches, voulait qu'on publiât la seconde paitie, (encore 12.000 veis) sous prétexte qu'on ne pouvait juger l'ouviage sans le connaître entièrement. Aucun éditeur ne voulut se charger de ces nouveaux douze mille vers. Ils ont paru seulement il y a une vingtaine d'années. Ils ne sont pas meilleurs que les autres.
Malgré sa naïveté et ses prétentions, Chapelain ne fut pourtant pas un simple grotesque. C'était un homme sans rancune et sans envie, qui, après avoir connu la gloire, supporta patiemment la pire des humiliations et expia cruellement ses rêves d'ambition poétique. Comment eût-il douté de son avenir ? Tout le monde y croyait. Sa famille même le destinait à la poésie.
L'influence de Chapelain fut considérable dans le monde des lettres et à l'Académie, dont il était le
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conseiller et l'animateur. Personne ne montrait plus de sagesse, de modération et d'activité. Grammaire, dictionnaire, rapports, élections, il s'intéressait à tout. Sa conduite dans l'affaire du Cid fut celle d'un juge impartial, obligé de tenir la balance entre l'animosité de Richelieu contre Corneille et le génie indéniable du grand poète drematique. Les Sentiments de l'Académie sur le Cid, rédigés par Chapelain, restent un modèle de critique clairvoyante. Les rapports qu'il continua à avoir avec Corneille prouvent la droiture de Chapelain. Tant que vécut l'auteur de la Pucelle, Corneille toucha sa pension de 2.000 livres. Chapelain fit placer les fils de Corneille et ne cessa d'entouier l'auteur du Cid de sollicitude et de marques d'intérêt.
Chapelain était le type du critique de bonne compagnie, affable, accueillant, instruit, connaissant bien les Anciens et notre littérature. Racine débuta sous son égide et, nous l'avons vu, se montiait fier de ses éloges. Le rôle de Chapelain a été très bien mis en lumière par MM. Brunetière, Colas et Bray.
Chapelain, nous l'avons dit, fut le premier vulgarisateur des règles de l'art dramatique formulées par Aristote. Il avait une telle confiance dans leur efficacité, que, pour répondre aux attaques contre la Pucelle, il songea un instant à publier une préface pour prouver qu'il ne méritait aucun reproche ; qu'il avait observé les règles et que ce n'était pas sa faute si son oeuvre restait médiocre. Ses amis le détournèrent de ce projet.
Chapelain ne fut pas seulement victime de son manque de talent ; son caractère et sa personne phy-
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sique l'ont beaucoup desservi. D'une avarice sordide, sale, répugnant, ridicule à voir, il ne possédait qu'une perruque et le même habit, et on reconnaissait dans sa cheminée les bûches de l'année précédente, qu'il ne brûlait jamais. Il laissa 100.000 écus à ses héritiers.
En somme, Chapelain eut, malgré tout, une belle carrière et une belle existence. Il a consacré sa vie aux lettres. Il s'est trompé sur son propre compte ; mais il avait l'esprit critique, une large compréhension, une instruction solide et des parties de vrai poète. Sans la publication de la Pucelle, il n'eût pas fait mauvaise figure devant la postérité. Il mourut l'année où parut Y Art poétique.
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VII
L'ART POÉTIQUE ET LES OPINIONS LITTÉRAIRES DE BOILEAU
On a reproché à Y Art poétique de netre qu'un code de versification et à Boileau de n'avoir enseigné que le métier, au détriment de l'inspiration et du lyrisme. Il était difficile, en effet, de ne pas faire une large place aux questions dVt et d'exécution, dans un poème qui se présentait surtout comme une oeuvre didactique. Le mot art, art des vers, revient à chaque
stant sous la plume de Boileau. « Il parle des vers et jamais de poésie », dit Théophile Gautier. C'est que Boileau est un homme de son temps. Pour lui, comme pour ses contemporains, la poésie consiste dans la facture des vers ; un bon poète est celui qui fait de beaux vers et s'exprime en belle langue..
Nous ne comprenons plus à notre époque cet exclusif souci de facture ; quand nous parlons poésie, il n'est jamais plus question de versification ni de règles. Sainte-Beuve défend Boileau là-dessus. « Je ne conçois pas du tout, dit-il, que, quand il s'agit d'un art,
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on ne tienne nul compte de l'art lui-même, et qu'on déprécie les parfaits ouvriers qui y ont excellé. »
Boileau, d'ailleurs, (nous l'avons dit) est loin de nier la nécessité de l'inspiration. M. Lanson trouve, au contraire, que l'auteur de Y Art poétique fait la part assez belle à l'imagination et à la sensibilité, en demandant que l'art soit vraisemblable ; en déclarant qu'il faut plaire avant tout et mettre dans le style des « images » et des « figures sans nombre » ; en exigeant enfin le droit d'émouvoir et en demandant qu'on sente la présence de l'auteur dans son oeuvre. « Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez... C'est peu d'être poète, il faut être amoureux.... Il faut que le coeur seul parle dans l'Elégie » (ch. III). A ce propos, faisant allusion à Flaubert, M. Lanson ajoute que Boileau n'eût jamais compris les théories « de l'impassibilité et de l'objectivité. » Cette doctrine de l'impassibilité et de l'impersonnalité, premières conditions d'une oeuvre vivante, aurait dû cependant frapper Boileau, s'il eût mieux étudié le génie réaliste des Anciens, h'Iliade et Y Odyssée sont des oeuvres absolument impassibles... Les Evangiles sont également impersonnels comme un récit de Flaubert ; il n'y a pas dans les Evangiles un mot de blâme pour les bourreaux ou de pitié pour les victimes ; les faits les plus douloureux y sont racontés avec l'indifférence d'un procès-verbal.
Au début du chant IV, Boileau revient sur cette question du métier et de l'art des vers, qu'il veut vivifier par l'émotion personnelle. Ce qu'il dit du poète peut très bien se dire du prosateur. On peut être un homme intelligent et un détestable écrivain
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et, à ce sujet, il nous met en garde contre les trop bons lecteurs qui, en les récitant, nous font admirer des vers qu'on trouve médiocres quand on les lit soimême. C'est précisément le reproche qu'on faisait à Boileau, allant lire les siens dans tous les salons ; seulement, qu'il les lût ou qu'on les lût, ses vers restaient tout de même excellents, et l'on n'avait pas de désillusion en les voyant imprimés.
Après avoir affirmé la nécessité de l'inspiration et des dons naturels, (début du chant I), Boileau reprend la question de métier et de style. C'est de la rime qu'il s'occupe, aussitôt après la vocation poétique. On sait l'importance que Boileau attachait à la rime. Rime, rimer, rimailleur, sont ses mots habituels. Il envie la facilité de Molière : « Enseignemoi Molière où tu trouves la rime. » Boileau, dans ce chant Ier, a peint en beaux vers son découragement à la poursuite de la rime :
Dans ce rude métier où mon esprit se tue, En vain pour la trouver je travaille et je sue ; Souvent, j'ai beau lever du matin jusqu'au soir, Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir. Quand je veux d'un galant dépeindre la figure, Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure ; Si je pense exprimer un auteur sans défaut, La raison dit Virgile et la rime Quinault...
Boileau avait une juste idée de la rime, quand il demandait qu'elle s'accordât avec la raison ; qu'elle fût esclave, et que le vers n'eût pas l'air d'être fait pour elle ; c'est pour cela qu'il écrivait ordinairement le second vers avant le premier, et qu'il répondait,
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quand on lui offrait un dictionnaire de rimes : « J'aimerais mieux un dictionnaire de la raison ». En cherchant si laborieusement la rime, Boileau avouait ce qui lui manquait : ses rimes à lui sont pauvres et faibles, à peine suffisantes.
Cette obligation d'enchaîner les vers deux par deux, au moyen d'une rime, faisait dire à Maucroix : « La rime est à mon avis l'écueil de notre versification, et je suis persuadé que c'est par là que les Grecs et les Latins ont un s' grand avantage sur nous. Quand ils avaient fait un vers, ce vers demeurait ; mais, pour nous, ce n'est rien que de faire un vers ; il faut en faire deux, et que le second ne paraisse pas fait pour tenir compagnie au premier. »
Il y a des gens qui n'ont trouvé qu'un vers dans leur vie et quelquefois un beau vers, comme celui de Lemierre :
Le trident de Neptune est le sceptre du monde.
L'abbé de Chambre lui aussi n'en avait fait qu'un. Il le lut à Boileau, qui lui dit : « Ah ! que la rime est belle ! »
La rime a beau être une gêne ; quand on surmonte la difficulté, « quand le lecteur, dit La Motte, sent que la rime n'a point amené d epithètes inutiles ; qu'un vers n'est pas fait pour l'autre ; qu'en un mot tout est utile et naturel, il se mêle alors au plaisir que cause la beauté de la pensée, un étonnement agréable de ce que la contrainte ne lui a rien fait per* dre. »
Les poètes regimbent contre la rime ; mais ils s'y soumettent. Fénelon s'en plaint, mais Fénelon n'est
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pas un poète. D'autres abusent de la rime et s'en font un jeu, témoin les bizarreries de Ronsard.
On a dit que la rime était un plaisir pour l'oreille et pour l'esprit, à condition qu'elle soit naturelle. « Si elle est trop singulière, dit Marmontel, elle n'a plus son effet. Boileau appelait rime de bouts rimes, celle de Sphinx et de Syrinx, et la reprochait à La Motte. L'esclave qui traîne sa chaîne ne nous cause aucune surprise : mais s'il joue avec ses liens, il nous étonne, et encore plus si, par la grâce et la dextérité avec laquelle il en déguise et la gêne et le poids, il s'en fait comme un ornement. »
Marmontel nous a laissé deux ou trois remarques piquantes sur certaines rimes de La Fontaine :
« Qui peut calculer toutes les beautés dont la poésie est redevable à la contrainte de la mesure et de la rime ? Dans les fables de La Fontaine, dont le genre a permis un style plus concis et moins artistement lié, c'est un plaisir de voir combien de vers heureux la rime semble avoir fait naître, et avec quelle facilité.
Par exemple, dans ce récit
Un vieux renard, mais des plus fins, Grand croqueur de poulets, grand pieneur de lapins, Fut enfin au piège attrapé,
rien ne manquait au sens ; mais il fallait une lime à queue, et cette rime était unique : l'amener était une chose très difficile ; et quand on lit le vers qui résout le problème» rien ne paraît plus naturel :
Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins, Sentant son renard d'une lieue.
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Dans la fable du Loup berger, que le poète eût dit seulement :
Il s'habille en berger, endosse un hoqueton Fait sa houlette d'un bâton,
c était assez ; mais ruse, qui venait au bout d'un vers suivant, demandait une rime ; et pour la rime s'est présenté ce vers naïf, qui achève le tableau :
Sans oublier sa cornemuse.
Il en est de même de l'hémistiche comme aussi sa musette, que l'esprit ne demandait pas et que la nécessité de la rime et de la mesure a fait trouver :
Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette. »
La rime a continué de nos jours à garder sa place et son importance. On sait la tyrannie quelle exerça sur les Parnassiens. Victor Hugo cherchait la rime riche jusqu'à donner la sensation de la cheville et du bout rimé. Banville est tombé dans le jeu de mots et le calembour. Son Socrate est une curiosité : « Je vous le dis incidemment, peut-on parler ainsi d'amant... » On a voulu inaugurer, de notre temps, une sorte de poésie sans rime, qui n'a pas eu d'avenir. Les vers blancs seront toujours indignes d'un poète. La poésie ne peut exister chez nous qu'avec la rime.
« Souvent, dit Boileau, une rime extraordinaire et difficile fait trouver un beau sens pour la remplir. J'en pourrais fournir une infinité d'exemples ; mais il n'y a qu'à ouvrir les poésies de nos bons écrivains. Voici deux vers assez singuliers ; ils sont de Dalibray,
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qui n'était pourtant pas un fort grand poète. C'est la métamorphose de Montmaur en marmite :
Son collet de pourpoint s'étend et forme cercle ; Son chapeau de docteur s'applatit en couvercle.
Nous n'avons dans notre langue que ces deux mots qui riment ensemble ; et il ne semblait pas qu'ils dussent se rencontrer. Cependant voyez quelle peinture ils font et quel sens ils produisent. Ils s'enrichissent mutuellement 1. »
Après s'être occupé de la rime, Boileau aborde l'art de la description. C'était le fond de son sujet. La desciiption ava't envahi la poésie et surtout le poème épique, comme aujourd'hui le roman. Boileau donne une série de conseils qui peuvent encoie très bien s'appliquer aux productions de notre temps. De nos jours aussi or 'echeiche l'outrance et la bizarîurie descriptives. Boileau raille les interminables descriptions de Scudéry (son Alaric en contient cent cinquante) et il résume son ovis en quelques veis passés en proverbes : « Qui ne sut se borner re sut jamais écrire. Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant. L'esprit rassasié le rejette à l'instant... » Tout l'art d'écrire, en effet, est dans cet effort de condensation dont la nécessité n'a pas échappé à Boileau. La force d'une description n'est pas dans la quantité, mais dans la densité. Ne regrettez pas de faire trop long, si c'est pour aniver à faire plus court. Boileau- blâme le style uniforme et trop égal ; il y veut de la variété et de la vie ; il sait faire la part de
I Delapoitc, t. I.
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l'imagination et, loin de piôner la sécheresse, il recommande au contraire la richesse et la pompe., (chant III). Ce qu'il veut qu'on évite, c'est l'emphase, la bassesse, la trivialité, comme dans le Moïse de SaintAmant. Boileau a, seulement le tort de croire peutêtre un peu trop à la vertu piopre de la description : il semble admettre l'existence de la description génê~ raie dont on abusait dans l'Epopée : une bataille, une tempête, un coucher de soleil. Ce geme de tableau est un genre artificiel que les classiques ont fastidieusement exploité. La tempête, le lever de soleil, la nuit, l'aurore n'ont aucune réalité en soi. il y a des tempêtes, des ouragans, des levers de soleil, des nuits, des aurores déterminés et circonstanciés, qu'il faut préciser comme tels, en tel endroit, dans telle circonstance. Les auteurs du xvye siècle ont abusé de la description générale.
L'excès du développement, le manque de natuiel, l'outrance des procédés n'étaient pas les seuls défauts de la description poétique. Le précieux et le burlesque déshonoraient tous les genres. On prenait plaisir à déformer la Nature, à en faire la caricature et la charge. On raffinait les sentiments ou on les ridiculisait. Roman, théâtre, épopée, poésie légère, on méprisait l'observation et la vérité humaine, pour grossii ou quintessencier les choses les plus simples. L.'Enéide de Scarron, ce prédécesseur de la Belle Hélènet enchantait la Cour et la Ville. D'Assoucy défigurait Ovide ; Brébeuf parodiait la Phatsale avant de la traduire en grandiloquence. La mode gagna la chahe. On mettait la passion du Christ en vers burlesque ! C'était une fureur. Tous ces auteurs sont
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aujourd'hui illisibles. Ce que Scarron a fait de mieux, c'est son Roman comique ; il a de l'esprit, une certaine verve, un bon style classique ; mais ces aventures sont d'une grossièreté révoltante.
Scarron eut un rival célèbre : c'est D'Assoucy, qui s'intitulait YEmpereur du Burlesque. Auteur de récits prétentieux (notamment son Ovide en belle humeur), pauvre diable ennuyeux et vantard, d'Assoucy s'était enfui, à l'âge de huit ans, de la maison paternelle. Poursuivi pour ses satires, toujours traqué et vagabond, on l'admirait à la Cour. Racine et Corneille estimaient son talent. Ce Taitarin de lettres a raconté les aventures de sa misérable vie dans des histoires où son imagination se donne libre cairière et qui sont assommantes. Il fut très sensible au dédain de Boileau, et il soutint dans sa réponse que, s'il eût continué son Ovide en belle humeut et si Scarron n'était pas mort, le burlesque eût été à la mode et eût brillé d'un nouvel éclat.
Vers 1660, la vogue du burlesque commença à décliner et les premières satires de Boileau achevèrent son discrédit. L'auteur de Y Art poétique semble avoir voulu donner lui-même le modèle du vrai burlesque, du burlesque raisonnable, en publiant le Lutrin, où la plaisanterie garde de la discrétion et de la grâce.
Les ravages de la préciosité continuèrent au XVIIIe siècle. Elle ne dominait plus les salons, mais elle se maintint en littérature.
Boileau avait été lui-même, dans sa jeunesse, un lecteur passionné de ces indigestes romans dont il se moque, comme YAstiêe, les ouvrages de La Calpienède, Mlle de Scudéry, etc. L'auteur des Satires
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gaida toujours une ceitaine faiblesse pour ce genre de lectures. On le voit bien, à l'indulgence qu'il a montrée pour Scarron, Benseiade, Sarrasin et surtout Voilure, qu'il met presque au rang d'Hoiace, quitte à prendre sa revanche sur ce pauvre abbé de Pure (qu'on appelait le singe de Voiture) et sur Le Pays, auteur oublié d'Amitiés, Amows et Amourettes, cbefs-d'oeuvre de préciosité écoeurante. Même le genre burlesque, qu'il a tant raillé, n'est pas indifférent à Boileau : il y distingue des degrés :
J'aime mieux Bergerac et sa burlesque audace. Que ces vers ou Motin se moi fond et nous glace.
Le Voyage dans la lune de Cyrano est pourtant une caricature bien ennuyeuse. On se demande comment ces charges à froid ont pu intéresser Boileau.
Soyons justes, pourtant. Si, pat certains côtés, l'auteur de Y Art hoêtique conserva quelque sympathie pour 1° génie précieux, il faut avouer que ce défaut ne faussa ni son jugement ni son goût et lui donna seulement l'avantage de bien connaître les productions qu'il condamnait.
Il existe encore de notre temps un goût du baroque, une mode de littérature bizarre, qui mériterait les railleries mordantes de Boileau contre les Sarrasin, les Scan on et les d'Assoucy. Nous avons, nous aussi, notre école d'écrivains poi itus, concettistes, ou réalistes, l'emphase de Brébcuf, les bouffonneries de Tabarin, et nous pourrions encore nous appliquer les tiès vieilles leçons de Y Ait poétique.
Boileau a presque toujours raison ; mais il a tort quelquefois et, ce qu'il y a de plus grave, il pèche souvent par ignorance.
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La façon dont il a parlé de Ronsard a scandalisé la critique, depuis que Ronsard a été remis en honneur et rétabli grand poète.
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode, Réglant tout, brouilla tout, fit un ait a sa mode, Et toutefois longtemps eut un heureux destin. Mais sa muse, en français parlant giec et latin, Vit dans lage suivant, par un îetour grotesque, Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Un point commun eût dû, ce me semble, rapprocher Ronsard et Boileau : c'est l'amour des Anciens. Ronsard et la Pléiade ont été, comme Boileau, des tervents admirateurs de l'antiquité. Une des plus claiies leçons de Y Ait poétique et de tous les écrits de Boileau, c'est qu'un auteur doit se former par l'imitation des Anciens. C'était l'opinion de Racine, La Fontaine, La Bruyère, Fénelon, etc. Seulement Ronsard et Boileau avaient une façon très différente de comprendre l'antiquité. Ronsard, Jodelle, Baïf, Belleau, Thiard, Daurat, Tahureau, Jamain, voulaient inventer des chefsd'oeuvre, se fondre une langue, créer toute une littérature, calquée à l'image des Latins et des Grecs. Us voyaient dans l'imitation un moyen infaillible de réaliser des chefs-d'oeuvre. Ce qu'ils cherchaient, c'était la transposition des modèles, le pastiche, une entreprise de fabrication qui laissait au second plan la vérité, la Nature, l'observation humaine, tandis que c'est précicément -cette vérité des sentiments que Boileau veut qu'on étudie chez les Anciens. Il ne conseille ni l'emprunt ni la copie ni le pastiche. Ce qu'il demande, c'est qu'on s'inspire des Anciens ; qu'on adopte leuis pro-
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cédés ; qu'on s'assimile leur tournure d'esprit. Horace était du même avis. Quand il dénonçait le vulgum pecus, il voulait seulement signaler la fausse imitation, la paraphrase, la copie. Il avait trop bien étudié les Grecs et trop heureusement transposé leurs rythmes, pour n'être pas persuadé, lui aussi, que l'imitation bien comprise est le meilleur moyen de développer le talent. Virgile a beau avoir imité Théocrite et Homère, il est tout de même Virgile. L'imitation de Phèdre, d'Esope et de nos vieux fabliaux n'a pas empêché La Fontaine d'être le plus personnel de tous nos écrivains. Chénier est encore un exemple saisissant de la bonne imitation des Anciens. On peut lire dans l'édition Becq de Fouquières le texte de tous les emprunts et la mise en valeur de tous les développements que Chénier a pris aux Grecs. Il n'a peut-être pas une pièce, une scène, qu'il ne leur ait empruntées.
« Quel est donc, disait Boileau répondant à Perrault, quel est donc le motit qui vous a tant fait crier contre les Anciens ? Est-ce la peur qu'on ne se gâtât en les imitant ? Mais pouvez-vous nier que ce ne soit à ce'te imitation même que nos plus grands poètes sont redevables du succès de leurs écrits ? Pouvez-vous nier que ce ne soit dans Tite-Live, dans Dion Cassius, dans Plutarque, dans Lucain et dans Sénèque que M. de Corneille a pris ses plus beaux traits ? Pouvez-vous ne pas convenir que ce soit Sophocle et Euripide qui ont formé M. Racine ? Pouvez-vous ne pas avouer que c'est dans Piaute et dans Térence que Molière a pris les grandes finesses de son art ? * »
I. Leltres à Perrault, 1700.
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Racine confirme les déclarations de Boileau, quand il écrit dans la préface de Britannkus : « J'avais copié mes personnages d'après le plus grand peintre de l'Antiquité, je veux dire d'après Tacite ; et j'étais alors si rempli de la lecture de cet excellent historien, qu'il n'y a peut-être pas un trait éclatant dans ma tragédie dont il ne m'ait donné l'idée. J'avais voulu mettre dans ce volume un extrait des plus beaux endroits que j'ai tâché d'imiter ; mais j'ai trouvé que cet extrait tiendrait presque autant de place que la tragédie 1.
Tout cela démontre une chose : c'est que la mauvaise imitation tue le talent, et la bonne imitation le développe. Imiter les anciens, c'est s'assimiler quelque chose de leur sensibilité et de leur génie. C'est ainsi que l'entendaient Boileau et tous les grands écrivains classiques.
L'admiration de Ronsard pour les Anciens, même excessive, méritait au moins l'indulgence et la sympathie. L'auteur de YArt poétique n'a voulu voir que les excès de Ronsard et, chez ses amis, que des entrepreneurs de faux chefs-d'oeuvre. Il méprisait Ronsard, parce que l'auteur de Marie représentait l'indépendance, la verve, la fantaisie sans règles, et parce qu'en effet Ronsard a parlé grec et latin et inventé des mots, des expressions, une « langue nouvelle » tirée du grec. « Il parlait français en grec, malgré les Français », dit Fénelon. Le mépris de Boileau est sans réserves. Il approuve les conclusions de Malherbe, qui condamnait ctfmme médiocres à peu près tous les vers de Ronsard. Après l'avoir défiguré et méconnu dans le
|. Deuxième préface de Btitannicus.
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chant I de YArt poétique, Boileau y revient dans le chant II et dans ses Réflexions sur Longin.
A 1 époque de YArt poétique, l'influence de Ronsard avait bien diminué. « Sa gloire, dit M. Bray, pâlissait dès la fin du XVIe siècle et disparaissait avec Malherbe ». L'oubli et le dédain commencent api es 1660. Le grand Arnault, qui n'aimait que la versification et la sécheresse, trouvait que c'était un déshonneur pour la France « d'avoir fait tant d'estime des pitoyables poésies de Ronsard. » Bien que le poète Vendomois n'eût plus guère alors que quelques admirateurs attardés, les ennemis de Boileau affectèrent de se scandaliser des attaques de YArt poétique.
Personne aujourd'hui ne conteste plus le génie de Ronsard, son inspiration féconde, l'aisance de ses rythmes, qui seront tous repris et renouvelés par Victor Hugo dans ses Orientales 1.
Cette méconnaissance de Ronsard et de notre vieille littérature est un des plus graves reproches qu'on ait faits à Boileau, et il est bien difficile, en effet, d'absoudie tant d'ignorance ou tant de mépris chez un critique qui se donnait comme l'arbitre des lettres françaises. Ce jugement sur Ronsard, dit M. Morillot, aussi injuste par ce qu'il omet que par ce qu'il signifie, a fait loi, malgré tout, pendant deux siècles : il a été le coup de grâce qui a achevé Ronsard, déjà si maltraité ; de nos jours même on a beau le reviseï, en montrer par le menu toute l'iniquité, on ne saurait se flatter d'en détruire tout l'effet ; faiie l'apologie de la Pléiade semblera toujours une oeuvre assez paradoxale ; la gloire de Ron1
Ron1 Orientales, par Loins Guimbaud, p 14ô
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sard est de celles qui ne ressuscitent pas : tout ce que peut faire notre siècle mieux éclairé, c'est d'entretenir en son honneur cet « autel expiatoire » auquel SainteBeuve a apporté la première pierre.
Boileau a essayé d'expliquer sa pensée dans sa VIIe réflexion sur Longin. Selon lui, Ronsard n'avait pas « dans le genre sérieux le vrai génie de la langue française qui, loin d'être à son point de maturité du temps de Ronsaid, n'était pas même encore sorti de sa première enfance. »
Au fond, un abîme sépare Boileau de Ronsard.
L'auteur des Sctùes est un poète de métier, un maniaque de perfection, un ajusteur, un ébéniste de génie. Comment eût-il aimé le torrentiel Ronsard, son effervescence verbale, sa profusion d'images ? Justesse, raison, bon sens, voilà Boileau, Ne lui demandez ni rêverie ni sentiment ; ce n'est ni un coeur ni une âme, mais un grand artiste d'art et de langue. Le lyrisme et l'imagination lui manquent. Quand il voudra s'y essayer, il fera YOde sur la prise de Nûmur, un modèle de platitude.
Un autre trèa bon poète, Théophile de Viau, a été injustement dédaigné par Boileau. Le législateur du Parnasse ne lui pardonnait pas d'avoir protesté contre les règles et le génie de Malherbe. Bel esprit et esprit libre, voluptueux, impie, chef des libertins, emprisonné et exilé, Théophile a manqué souvent de goût ; mais il a fait de très beaux vers et, en tous cas, un Art pcéiique dont Despréaux aurait pu louer les conseils.
Boileau méprise Ronsard et Théophile ; mais il fait grâce à Villon, à Marot (ch. I) à Saint-Gelais et Racan, qui « ont attrapé le vrai tour ». Dans toute 1 his-
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toire de notre vieille poésie il n'y a guère que Villon qui lui paraisse vraiment digne d'intérêt, Il le loue d'avoir « débrouillé l'art confus de nos vieux îomanciers », ce qui ne veut rien dire, et il oublie Rutebeuf, un vrai poète, une sorte de Villon en avance de deux siècles, célèbre par ses attaques contre les moines et les institutions de son temps. Boileau n'a que du dédain pour le Roman de la rose, qu'il n'a pas lu. Il ne se doute pas que, dès la fin du XVe siècle, tous les genres littéraires sont formés, contes, ballades, rondeaux, triolets, fables, et que le théâtre rejigîéux non seulement ne fut pas « abhorré chez nos aïeux », mais qu'il fut l'origine même de notre théâtre profane.
L'auteur de l'Ait poétique fait tout remonter à Villon. Avant Villon, il n'y a rien. Pourquoi passe-t-il sous silence Charles d'Orléans ou du Bartas ? Carel de Sainte-Garde pose la question et, pour Charles d'Orléans, elle mérite d'être posée. Charles d'Orléans fut le maître et le modèle de Villon ; il est aussi parfait que lui. Seulement la poésie de Charles d'Orléans a le ronronnement monotone d'une mécanique à répétition, tandis que Villon, lui, sait composer ; il est sobre, il est vivant et, malgré sa langue archaïque, il est en avance de plusieurs siècles. S'il eût été servi par une langue fixée, il eût été Marot (un Marot plus humain et plus protond) ; il eut été Malherbe, il eut été La Fontaine. Boileau ne s'y ^st pas trompé : Villon est le poète le plus parfait.
Ce qui est inexcusable, c'est d'avoir ignoré la poésie de la riéiade. Pour le théâtre, Boileau en parle sommairement. Jodelle, Garnier, Hardy, Montchrestien, Rotrou, ne lui semblent pas des noms à retenir. Il mêle
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la tragédie grecque avec la tragédie latine. Avant Malherbe, c'est pour lui la Barbarie. Et le plus remaïquable, c'est que ces lacunes n'ont pas frappé ses contradicteurs, probablement aussi peu curieux que lui de notre littérature nationale.
Ces jugements de Boileau sont une sorte d'indication historique. Il s'est produit, en effet, à partir de Villon, deux courants, deux routes ouvertes dans l'évolution de la poésie française : il y a eu la poésie sphituelle, à forme cursive, correcte et courante, qui tenait de la versification et du bon goût et qui, de Villon, passe par Marot, Malherbe, Racan, pour aboutir à Boileau et à Voltaire ; et il y a eu aussi un autre courant, tout de sensibilité, d'audace et de verve libre, qui vient de Ronsard, qu'on retrouve chez Théophile et Saint-Amant, mais qui n'a pas abouti, qui s'est arrêté et que Boileau a méconnu. Boileau continue l'autre courant, celui de Villon, des triolets, épitres, rondeaux et ballades de Marot, qui « montra pour rimer des chemins tout nouveaux ». Ces chemins tout nouveaux que Marot a inaugurés, c'est tout simplement le règne de la versification. Son oeuvre n'a pas grand intérêt, mais contient des morceaux parfaits, écrits dans une langue irréprochablement classique. Quarante ans avant Ronsard et soixante ans avant Malherbe, Marot peut passer, dans certaines de ses productions, pour un contemporain de Malherbe et même de Boileau. Ses causeries, ses récits en vers (Pour délivrer le prisonnier, le Papillon, Pour succéder à son père,'Pour avoir dérobé et la fable du Lion et du rat sont des contes en vers de Voltaire et souvent du pur La Fontaine.
En somme, s'il a compris Villon et s'il s'est reconnu
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dans les vers de Moiot, Boilcau a manque d'instruction littéraire ; il a ignoré le Moyen-Age et il est resté aveugle aux beautés de Ronsard. Nous ne concevons plus aujourd'hui la critique sans l'érudition. Boileau n'avait du critique qu'une qualité, mais qui domine tout : le goût... Le goût chez lui a tout remplacé. Seulement son goût restait classique et représentait l'ordre, la modération, la raison et la mesure. Boileau sait bien qu'il a le goût sûr et que la postérité ne le démentira pas. S'il a méconnu Ronsard et nos vieux poètes ; s'il a trop loué Voiture ; s'il n'a pas compris Quinault, c'est que son goût visait surtout la facture et le besoin de perfection. Boileau était un homme de peu de lecture, incapable de se refaire une éducation du goût et que le ciel destinait à être par vocation le vengeur des lettres, le régulateur et l'animateur de l'ait intégral.
Par son oeuvre et sa doctrine et grâce à l'entourage des Racine, La Fontaine, Molière, Bossuet, La Bruyère, Fénelon, Bourdaloue, etc., Boileau a pu réunir une élite capable de sauver la façade et de représenter honorablement devant la postérité le triomphe de l'ait classique et la réputation du grand siècle.
On a beaucoup discuté sur la question du goût. Y at-il un goût unique ou des goûts différents ? On écrirait des volumes sur les variations du goût. « Le goût diton, est ce qui plaît. » Le goût du XVIIe siècle n'est plus le nôtre. Ce qui choquait Boileau ne nous choque plus. Cependant le goût existe. La Bruyère l'a dit : « Il y a un bon et un mauvais goût et l'on dispute des goûts avec fondement ». Qu'on le veuille ou non, les grandes beautés littéraires s'imposent et sont éternelles. Nous sommes tous à peu près d'accord aujourd'hui sur
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Corneille, Molière, Homère, Cervantes, Racine, Tacite, Virgile, Pascal, Chateaubriand, Bossuet, Montaigne, etc., et personne ne peut contester que Boileau a été un homme de goût et qu'il avait raison contre les mauvais auteurs de son temps.
A défaut de Ronsard, le grand homme, le giand poète, pour Boileau, celui qui l'a créé et lui a dicté son rôle, c'est Malherbe. Malgré la résistance de Théophile et de Régnier, Malherbe avait, à cette époque, une léputation universelle. Son despotisme, son bon sens, le prestige de son oeuvre l'imposaient comme le maître du Parnasse, le promulgateur des règles que Boileau devait adopter et propager. Il ne faut donc pas s'étonner que Boileau ait fait dater de Malherbe la perfection de la poésie française, ce qui, d'ailleurs, n'est pas exact. II n'est pas vrai que Malherbe ait été le premier a faire « sentir dans les vers une juste cadence. » Ronsard, du Bellay, Villon, Marot, Desportes, Bertaut, Régnier, ont des pièces de vers très belles. Seulement leur peifection est intermittente, inégale, archaïque ou désordonnée, tandis que Malherbe a réalisé la perfection continue, constante, qui n'a pas été dépassée, bien que Segrais, Maynard et Racan aient fait d'aussi beaux vers que les siens.
C'était un triomphe poui Boileau de constater que Malherbe devait, comme lui, sa gloire et son talent à la patience et au travail. Il le dit dans ses lettres : « Malherbe, la Nature ne l'avait pas fait grand poète ; mais il corrige ce défaut par son esprit et par son travail, car personne n'a plus travaillé ses ouvrages, comme il païaît assez par le petit nombre de pièces qu'il a faites. Notre langue veut être extrêmement travaillée. »
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Le seul inconvénient des théories de Malherbe, c'est de laisser croire que le labeur et la technique suffisent pour fabriquer du lyrisme.
La poésie de Malherbe, toujours irréprochable et de bon goût, ne ressemblait pas à sa personne. C'était un homme grossier, mal élevé, gouailleur, d'une insolence et d'un orgueil insupportables, et qui affectait un scepticisme de parade, plein de mépris pour les autres et pour lui-même.
Boileau s'est souvent trompé ; il a souvent exagéré ; mais il eut toujours le courage de ses opinions. C'est ainsi qu'il a admiré certains poètes qui le scandalisaient, comme Mathurin Régnier, sur lequel il fait des réserves qui ne vont pas sans louanges. Il dit dans le chant II que seul Régnier fut formé sur le modèle des grands maîtres anciens. Il le qualifie ailleurs de « notre seul poète satirique » ; il l'appelle « le poète français qui a le mieux connu avant Molière les moeurs et le caractère des hommes ». Il a, dit-il, des « grâces nouvelles dans son vieux style ». Malheureusement « il a choqué la pudeur par ses rimes cyniques, qui se sentent des lieux que fréquentait l'auteur. » Boileau blâme l'immoralité de Régnier ; mais on s'explique sa faiblesse pour ce poète. C'est qu'il y a dans Boileau un Régnier prisonnier des bienséances, de même qu'il y a dans Régnier un Boileau très pur de fond et de forme, en avance de cinquante ans et qui écrit déjà les meilleurs vers de Boileau, comme on peut s'en convaincre en relisant Macette, la Satire III, la Satire VIII et la Satire IX, Régnier apparaît là comme un poète du XVIIe siècle, qui eut pu être Boileau, s'il l'avait voulu. Mais Boileau n'a retenu que l'autre Régnier, le Régnier satirique
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et débraillé, le pilier de cabaret, le furieux réaliste, le brutal obscène, le Rabelais de la poésie, qui reniait Malherbe pour retourner au XVIe siècle et à la Pléiade (Satire X. Epitre II, Elégie IV, Satire XIII et Macetle). Ce Régnier-là rugit, déborde, se répète, amplifie, éclate en trivialités, en débauches et en mangeailles. Poète grisé de révolte et de virulence verbale, Régnier ne pouvait évidemment pas jouer le rôle d'un classique et emprisonner son tempérament dans les goûts d'ordre et de discipline qui formaient le fond du talent de Boileau.
En somme, il y a deux Régnier ; Boileau n'en a vu qu'un, le grossier, l'abominable, et il a affecté de ne pas voir l'autre, celui qui était déjà pour lui un modèle de perfection, de pureté et de bon goût.
Boileau a des lacunes, des jugements incomplets, un manque visible de documentation littéraire ; il n'a jamais des erreurs de goût, même quand il traite (ch. III) des matières aujourd'hui suiannées, comme les unités de temps et de lieu. Ses conseils sur l'action, la vraisemblance et l'émotion dramatiques sont encore applicables aux oeuvres de notre temps : (« Enfant au premier acte et barbon au dernier », etc.). De même ce qu'il dit sur la nécessité de rendre les choses tragiques et surtout sur l'amour. Boileau demande que l'on conserve le caractère farouche des Achille et des Agamemnon ; il proteste contre la fadeur qui les défigure, même chez Racine. Dans ce chant III E jileau fait encure des réflexions sur l'emphase, l'artifice, la morgue du poème épique. On n'écrit plus aujourd'hui de poème épique ; mais les réflexions de Boileau peuvent encore très bien s'appliquer à toute autre forme de
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production, roman, théâtre, poésie, Jocelyn, la Chute d'un ange, la Légende des siècles.
Boileau n'a pas tort de signaler les défauts du poème épique. Le poème épique encombrait alors la littérature. De 1633 à 1687, il en païut au moins une vingtaine. Après la Fianciade de Ronsard, et les Sept jours de du Bai tas, tout le monde faisait son poème épique : le Moïse sauvé de Saint-Amant, les Sarrasins de Carel de Sainte-Gatde, le Clovis de Desmarets, la Pucelle de Chapelain, YAlaric deScudéry, le Saint Paul de Godeau, le Saint Louis du P. Lemoyne, le Jonas de Coras, le Saint Paulin de Perrault et tant d'autres. La publication de Y Art poétique arrêta ce genre de publication. Il n'y eut plus d'épopées. La Henriade ne fut qu'une honorable tentative, et les poèmes Romantiques, Jocelyn, etc., n'ont rien de commun avec l'ancienne épopée héroïque et histoiique.
Ce que Boileau ne pardonnait pas aux auteurs d'épopées, c'était l'abus qu'ils faisaient des fictions religieuses et l'emploi du merveilleux chrétien. Malgré l'exemple du Tasse, il condamnait sans appel le poème chrétien sous prétexte qu'on ne doit pas mêler le sacré au profane. Tous les grands poèmes de cette époque étaient des poèmes religieux : le Saint Louis de Lemoyne le Saint Paulin de Perrault, le Moïse de Saint-Amant, YAlaric de Scudéry, le Saint Paul de Godeau, le Clovis et la Madeleine de Desmarets, le David de Desforges, le Jonas et le David de Coras, le Charlemagne de Laboureur etc. « Dix-huit poèmes en vingt ans, dit M. Bray, dont quatorze dans les premièies années. Tous ont des sujets chrétiens, la moitié tirée de l'histoire moderne ; sept de l'ancien Testament ; deux du nouveau. Le Tasse
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ne manquait pas d émules. >» C'est l'exemple du Tasse avec son « clinquant » signalé par Boileau qui déchaînait cette production. On n'avait pas tort, en principe, de vouloir faire du poème épique ou tout autre chose. Malheureusement les auteurs n'avaient pas de talent ; ces poèmes ne valaient rien, et c'est Boileau qui avait raison.
Le tort de Boileau a été de persister à conseiller l'emploi de la mythologie païenne et de la considérer comme inséparable du poème épique et de la vraie poésie. Il n'a pas senti tout ce que contenait d'artificiel cette manie de n'écrire en vers qu'en y mêlant les Muses, Apollon, l'Hélicon, Pégase, le Parnasse, les Nymphes, Phébvs et l'Hippocrène. Sans la fable et les héros anciens, il n'y a pas de poésie, dit Boileau, et on n'est plus qu'un froid historien (ch. III). Au contraire, grâce à Vénus, Cérès, Bellone et Neptune, tout s'anime de fictions et d'images ; « chaque veitu devient une divinité ; Minerve est la Prudence et Vénus la beauté », et ainsi tout s'idéalise et s'embellit.
Quelques beaux esprits, comme Desmarets de SaintSorlin, avaient déjà dénoncé le côté suranné de cette mythologie bocagère, que Boileau jugeait indispensable aux poètes (début du chant I)., Desmarets raillait Boileau de pousser l'idolâtrie pour les Anciens jusqu'à adopter les dieux d'Homère et de Virgile, qui ornent si ridiculement la fameuse ode sur la Prise de Namur. Desmarets n'avait pas tort ; mais il se trompait en croyant qu'on pouvait remplacer la fable païenne par le dogme chrétien. Esprit mystique et vaniteux, Desmarets voulut prouver la supériorité de la poésie chrétienne en publiant son Clovis ; il développa sa thèse
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dans un gros ouvrage : les Délices de l esprit et dans son poème Marie~Magdelaine ; et il essaya de réfuter directement Boileau dans sa Défense du poème épique (1674). Desmarets et un autre écrivain plus inconnu, Du Tiemblay, furent ceux qui s'indignèrent le plus ardemment contre la mythologie de Boileau, celte vieille mythologie qui, à ses yeux, devait suffire à tout et tout transfigurer jusqu'à la langue grecque et l'harmonie des noms grecs (ch. III) :
La fable ofîre à l'esprit mille agréments divers ; Là tous les noms heureux semblent nés pour les vers ; Ulysse, Agamemnon, Oreste, Idoménée, Hélène, Ménélas, Paris, Hector, Enée...
Cette harmonie des noms antiques, qui séduisait Boileau, n'est qu'une apparence. Dans le texte grec les noms sont plus durs ; Odyjseus, Menelaos, Alkestis... C'est nous qui les adoucissons en les francisant. Leconte de Lisle devait se charger d'en rétablii l'archaïsme.
Boileau, par comparaison, protestait contre les noms des villes rhénanes qui l'empêchaient d'écrire en beaux vers les exploits de Louis XIV. Il ne comprenait pas qu'on pût choisir un héros qui s'appelait Childebrand. Carel de Sainte-Garde, l'auteur de ce Ckildebrand (en réalité : les Sarrasins) soutint dans sa réfutation que c'était un nom aussi harmonieux qu'Achille.
Boileau eut tort de vouloir imposer la mythologie païenne aux poètes ; mais les autres eurent tort de croire qu'on pouvait remplacer le merveilleux païen par le merveilleux chrétien. Tout le monde reconnaît aujourd'hui la beauté de la religion chrétienne, si poétiquement déciite par Chateaubriand; mais il n'est pas
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démontré que le dogme chrétien comporte des agréments capables d'embellir des fictions profanes. Chateaubiiand avec ses Martyrs, ses scènes théologiques qui se passent au Paradis, ses inventions d'anges, l'ange de l'amitié, l'ange des premières amours ; Klopstock avec sa Messiade, Milton avec son Paradis perdu et malgré sa gigantesque figure de Satan, prouvent que Boileau avait raison contie ce merveilleux chrétien, « qui met à chaque pas le lecteur en enfer avec Astaroth, Belzébuth et Lucifer. »
Le préjugé de Boileau s'est continué au XVIIIe siècle jusqu'à Delille. Chénier est le premier qui ait renouvelé cette source profane en y mêlant son émotion personnelle. La mythologie ne devait disparaître qu'avec Lamartine. L'aspiration, les souffrances et les sentiments humains remplacèrent définitivement, dans les Méditations, les nourrissons du Pinde, les Muses, les troupeaux de Neptune, les faux dieux de la Grèce et de l'Hélicon. On n'eut plus besoin d'avoir un dictionnaire de la fable pour comprendre la poésie. La poésie était faîte désormais de nos douleurs et de nos larmes.
C'est Lamartine encore qui remplacera l'ancien poème héroïque par le poème familier comme Jocelyn ; et Victor Hugo réalisera le véritable poème épique avec ses Légendes des siècles.
Au fond, la mythologie n'a jamais tout à fait disparu de la poésie française. Réhabilitée par Leconte de Lisle, elle triomphe chez Heredia. Henri de Régnier lui doit ses meilleures inspirations, et nous la retiouvonsau théâtre, rajeunie et rejoignant l'histoire, dans les adaptations dramatiques de notre temps : OEdipe, Alceste, Prométhée, le Sphinx, etc.
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Il faut encore retenir, dans ce chant II de Y Art poétique, ce que Boileau dit de la tragédie et de la comédie, des bonnes moeurs et de la dignité du théâtre. II n'y a pas un mot à retiancher dans ces appréciations un peu bourgeoises, mais qui intéressent tous les bons auteurs dramatiques. Boileau veut des caractères, des types vrais, fidèles à eux-mêmes (Othello, Harpagon, le baron Hulot, le père Grandet). La nature, dit-il, est « marquée dans chaque âme de différents traits » ; « mais tout esprit n'a pas les yeux pour le connaître. »
Revenant au chant IVe, sur cette question du théâtre, Boileau blâme la licence, les écarts d'imagination et ceux qui « rendent le vice aimable ». Il admet la peinture des passions ; mais il demande que l'art reste noble et honnête. Bien des auteurs de notre temps pourraient suivre ces conseils, qui lui inspirent ce beau mot : « Le vers se sent toujours des bassesses du coeur. » Boileau nous met en garde contre les séductions de la littérature libertine, qui sévissait alors comme à notre époque. Il veut surtout que le théâtre exprime chastement les désordres de l'amour.
La moralité du théâtre est un gros problème. Depuis Nicole et Bossuet, elle a fait couler beaucoup d'encre. Molière et Racine scandalisaient les gens religieux. Les messieurs de Port-Royal considéraient les comédies comme des oeuvres de perdition, jouées par des gens excommuniés. La peinture des passions a toujours quelque chose de dangereux. On peut parfois s'y tromper : les remords de Phèdre trouvèrent grâce devant le grand Arnaud. Il n'y a qu'un moyen de rendre le théâtre honnête : c'est de supprimer l'amour. Boileau
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croyait qu'on pouvait écrire de bonnes tragédies sans amour (comme OEdipe, Athalie et Métope).
Il faut rendre justice à 1 auteur de Y Art poétique. Non content de montrer la littérature sous tous ses aspects, il ne se préoccupe pas seulement des préceptes et du style ; il examine les rapports et les moeurs des gens de lettres. Ce n'est pas tout de faire des vers ; il faut savoir vivre avec ses amis. Il blâme les jalousies entre confrères, la rage de réussir, ce que nous appelons aujourd'hui la léclame. On peut encore recommander ces judicieuses réflexions à nos modernes arrivistes.
Bien qu'il n'ait jamais voulu toucher ses droits d'auteur, Boileau ne défend pas à l'écrivain de recueillir le prix de ses travaux ; mais il veut, en principe, qu'on écrive pour la gloire et non pour l'argent. Alors, comme aujourd'hui, la littérature n'enrichissait personne, et bien des poètes n'étaient millionnaires que par leurs rimes.
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VIII
L'ART POÉTIQUE ET LES CONTEMPORAINS DE BOILEAU
h'Art poétique contient des règles pour tous les genres de littérature. Parmi ces genres, il y en a de futiles, que Boileau a pris également au sérieux, entr autres le sonnet.
L'origine du sonnet remonte à notre plus vieille littérature. Adopté plus tard par les Italiens, Pétrarque le mit à la mode et lui donna tout son lustre. Colletet a publié une histoire du sonnet pleine d'érudition. Ronsard, du Bellay, Ponthus de Thiard, Desportes et Bertaut cultivèrent le sonnet et en formèrent même des suites de longs poèmes (L'Olive, les Regrets, les Antiquités). On donna une abbaye à Desportes pour un sonnet bien fait. Le sonnet devint, au XVIIIe siècle, la forme, la plus raffinée de l'esprit de salon. Le faux goût y triomphait ; les beaux esprits y rivalisaient de finesse. On citait les sonnets de Desbarreaux, Hesnard et Malleville. Pendant des années on imita le concettisme italien et l'héroïque antithèse de Gongora. Molière
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nous a laissé dans son Misanthrope un sonnet qui peut passer pour le type des sonnets à la mode et dont le public ne saisit pas tout d'abordie ridicule.
Rien n'est plus facile à faire qu'un sonnet médiocre. Avec de la dextérité, on peut toujours remplir le cadre de quelques rimes choisies, qui, pendant quatorze vers, dispensent d'avoir de l'esprit, pourvu qu'on en ait au dernier. Mais justement, parce que le sonnet est facile, peu de gens en ont fait de bons, ce qui explique la valeur que prennent ceux qui sont excellents.
Le bon sonnet exige du travail et sa difficulté est telle, que Boileau n'a pas craint de dire « qu'un sonnet sans défaut vaut seul un long poème. » On a taxé Boileau d'exagération. Nisard l'en félicite : « Boileau, dit-il, me paraît ici doublement à louer, d'abord pour avoir fait sentir par un exemple si vif le prix de la perfection dans tous les genres ; ensuite pour n'avoir pas omis le genre du sonnet. C'est la discipline assurée, sans rien ôter de la liberté. »
Boileau avait fait lui-même un sonnet sur la mort d'une jeune parente. Il se plaint à Brossette qu'on ne l'ait pas accablé d'éloges sur ces vers, qu'il considérait comme ses meilleurs. Boileau avait aussi composé dans sa jeunesse un autre sonnet dont il était très content. Celui qui figure dans ses oeuvres n'a rien de remarquable. Un des plus intrépides faiseurs de sonnets fut ce Pelletier, que Boileau a raillé dans ses Satires et qui en écrivait un par jour. Boileau dit que « chez Gombaud Maynard et Maleville, on en pourrait supporter deux ou trois entre mille. » Il y en a certainement davantage. Ces poètes, aujourd hui oubliés, s'étaient fait une réputation avec leurs sonnets. Gombaud (« Et Gombaud
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tant loué tient toujours la boutique » (ch. IV), passa un moment pour le plus grand poète de son temps, pour le maître de 1 epigramme et du sonnet. Auteur d'une bonne poésie sur la mort d'Henri IV, pensionné par Marie de Médicis et le chancelier Séguier, Gombaud figure avec Conrard parmi les fondateurs de l'Académie. Il est l'auteur de bien mauvaises pièces de théâtre.
Le sonnet fut moins en faveur au XVIIIe siècle. Le Romantisme le dédaigna, malgré l'exemple de SainteBeuve. Repris par Gérard de Nerval et Baudelaire, qui en ont d'admirables, le sonnet fut transformé par Heredia. Au lieu d'un jeu d'esprit, l'auteur des Trophées en a fait des tableaux d'histoire dignes de l'épopée. Il a uni la précision de Tacite à la couleur de Théocrite dans 6iro pièces comme les Funérailles, l'Esclave, Villula, les Centauies, où il ressuscite étonnamment lame antique, ses moeurs, son mirage, ses aspirations religieuses. Boileau ne prévoyait pas cette évolution du sonnet. Un seul sonnet fait quelquefois encore, de nos jours, la réputation d'un poète : témoin le sonnet d'Arvers.
Les sonnets de Benserade sur Job et celui de Voiture sur la fièvre qui tient la princesse Uranie divisèient un instant, au XVIIe siècle, la Cour et la ville. Ami de La Fontaine, Molière et Mme de Sévigné, le charmant et malicieux Benserade fut pendant trente ans le poète officiel des ballets et des fêtes royales. Il eut le courage, pour plaire à Louis XIV, de mettre en rondeaux les Métamorphoses d'Ovide et il fut très malheureux du peu de succès qu'il obtint. <i
fr* Benserade a renouvelé ou plutôt a recréé la poésie du ballet, en y mettant de l'élégance, beaucoup d'esprit
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et surtout des allusions aux personnes qui jouaient un rôle dans ces grandes fêtes.
Ce qui fit le succès de Benserade, c'est qu'il a su manier deux choses délicates : la raillerie et les compliments. Les grands seigneurs, qui se reconnaissaient sous ces personnages, ne lui gardaient pas rancune. Il était de toutes les réceptions.
Tallemand nous peint Benserade comme un assez vilain monsieur, un peu méprisé, vivant aux crochets des femmes, toujours en quête de relations et d'argent.
La Bruyère a fait le portrait de Benserade vieilli : « Je le sais, Théagène... On nous dit que, même vieuix il avait tant d'esprit et de vivacité qu'on se demanda, 1 quel nom il fallait lui donner dans sa jeunesse, quand it était la coqueluche et l'entêtement de certaines femmes, qui ne juraient que par lui et sur sa parole et qui disaient : « Cela est délicieux. Qu'a-t-il dit ? »
Benserade a mérité qu'on fît courir sur lui ces trois vers flatteurs :
Ce bel esprit eut des talents divers Qui trouveront l'avenir peu crédule : Il fut galant et vieux sans être ridicule.
Boileau ne s'est pas montré sévère pour ce roi de la galanterie futile. Il le nomme deux fois, à propos du nom de Louis XIV :
Que de ce nom, chanté par la bouche des belles, Benserade en tous lieux amuse les ruelles
et dans sa Satire sur l'équivoque, où il accuse Benserade d'avoir trompé le peuple et la Cour par les bons mots et les quolibets.
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Quant à Voiture, le rival de Benserade pour le sonnet, Boileau devait subir aussi le prestige que ce bel exprit exerça pendant des années sur la société de son temps. L'auteur de Y Art poétique garda toujours de la sympathie pour celui qui avait été la première lecture de sa jeunesse. « Tous les gens qui ressemblent à Voiture lui plaisent, dit Faguet ; le précieux qui est de Voiture ou qui paraît en être trouve grâce auprès de lui ». Instruit, bon latiniste, Voiture a tourné de jolis vers galants et poussé l'abus de l'esprit jusqu'à la bouffonnerie la plus énorme. Ce pitre de génie a inventé la drôlerie pince-sans-rire, la charge gigantesque et invraisemblable et qui reste néanmoins discrète de ton et de forme. Il avait du style ; ce qu'il écrivait était toujours très travaillé : il sculptait le néant. Boileau nous a laissé deux jolies lettres à M. de Vivonne, imitées de Voiture et de Gués de Balzac...
L'auteur de Y Art poétique a les préjugés de son temps : Il n'innove pas, il confirme. Il admet tous les genres littéraires, même les plus insignifiants : rondeau, madrigal, épigramme, ballade, impromptu, parce que ces genres sont à la mode et qu'ils exigent du travail. Évidemment la ballade, depuis Villon, avait droit de cité. Tout le monde en faisait. Boileau, par son indulgence, a ainsi prolongé la durée de ces productions puériles qui ont sévi jusqu'à la fin du XVIIIe siècle et dont il sentait bien la faiblesse et le mauvais goût. En revanche, il faut louer ce qu'il dit du faux-esprit, de la préciosité et des pointes qui empoisonnaient « la prose, les vers, les tragédies et les sermons » et ce qu'il dit aussi sur l'inspiration amoureuse, la couleur artificielle, la bergerie et la pastorale.
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Bien qu'il ait signalé à peu près tous les genres de poésies, Boileau, on le sait, n'a pas dit un mot des Fables de La Fontaine. On se perd en conjectures sur les motifs d'un pareil silence. Il semble bien que la fable, comme genre, n'ait pas été tout d'abord prise au sérieux. La Bruyère est le premier qui ait eu le courage de rendre justice à La Fontaine.
Cet oubli de la part de Boileau est d'autant plus inconcevable, qu'il admirait La Fontaine (Dissertation sur la Joconde) ; qu'il fréquentait le fabuliste et qu'il aimait lui-même les fables, puisqu'il en a fait deux sur des sujets t*- àtés par son ami : L'huître et les plaideurs et la Mort et le bûcheron. Elles Oont sèches ; celles de La Fontaine brillent de grâce et de naturel.
On a dit que Boileau n'avait pas voulu se compromettre en louant l'auteur des contes licencieux qui scandalisaient l'Académie, et dont un nouveau recueil, paru l'année même de Y Art poétique, attirait la sévérité du lieutenant de police La Reynie. On ne voit pas bien, en effet, l'éloge de Boileau coïncidant avec la sentence du lieutenant de police. Le plus extraordinaire, c'est que cette indifférence de Boileau ne fut remarquée par aucun de ses contemporains. « Les admirateurs des Fables, en 1674, et jusque vers la fin du siècle, dit le P. de Laporte, Mme de Sévigné, le comte de Bussy, etc., ne semblent pas avoir soupçonné cet oubli. Et, si quelqu'un l'eût alors soupçonné, nul doute que Desmarets, Pradon, Carel surtout (Carel le défenseur des beaux esprits) n'eussent saisi une telle faute comme une arme ; ils auraient brandi contre Despréaux cette masse d'Hercule. Il n'en fut rien. Tout Y Art poétique fut épluché, vers par vers, mot par mot, tout passa par le
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crible, tout jusqu'aux virgules. On reprocha à Boileau d'autres omissions ; mais de celle-là nul ne fut frappé ; personne ne s'en préoccupa, personne n'en parla, ou, tout au moins, n'en dit mot dans les livres. « Pourquoi ? » x
La Fontaine, à cette époque (1674) n'avait encore publié qu'un premier recueil de fables (1668) ; mais le genre était à la mode et elles avaient eu du succès. Boileau devait les connaître, même en manuscrits et savoir, par conséquent, que c'étaient des chefs-d'oeuvre. Il eut été beau de le voir devancer le jugement de la postérité.
Parmi les appréciations de Boileau qui conservent leur autorité (chant III) il faut suitout citer son opinion sur Molière. On peut dire à la lettre que c'est Boileau qui nous a légué Molière, quand il a dit à Louis XIV : « Sire, c'est le plus grand poète du siècle ». Boileau préférait Molière à Racine et à Corneille. S'il faut en croire Brossette, qui fut l'homme de ses confidences, il ne tarissait pas d'éloges pour Molière ; il ne mettait personne au-dessus de lui et, à l'occasion de sa mort, ses veis courageux ont bravé les rancunes de l'Eglise : « A peine un peu de terre obtenue par prière », etc..) On s'est étonné des réserves qu'il a faites à propos des Fourberies de Scapin et du sac ridicule où il ne reconnaît plus l'auteur du Misanthrope :
C'est par là que Molière, illustrant ses écrits, Peut-être de son art eût remporté le prix, Si, moins ami du peuple en ses doctes peintures, Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
1. Delaporte, H, p. 184, 180.
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Quitté pour le bouffon l'agréable et le fin, Et sans honte à Térence allié Tabarin. Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe, Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope.
Boileau a eu tort, évidemment, de prendre les Four' beries de Scapin pour une farce. Il n'y a pas de farces dans Molière. Les Fourbe) les de Scapin sont une comédie où l'on reconnaît très bien, au contraire, l'auteur du du Misanthrope, une de celles, en tous cas, où. sous un immortel dialogue, 1 ame humaine se montre avec le plus de naïveté et de profondeur. En réalité, c'est très probablement un sentiment d'affection xespectueuse qui a inspiré à Boileau ces restrictions un peu sévères. Il souffrait de voir un génie comme Molière publiquement bâtonné comme acteur sur le théâtre. Il le lui disait et Molière faisait toujours la même réponse : acteur et directeur de troupe, il était obligé de remplir certains rôles pour le succès de ses représentations. Boileau devait bien savoir que ce n'est pas avec des oeuvres comme le Misanthrope que Molière pouvait gagner de l'argent et attirer le public. M. Lartson est persuadé que la farce est le fond du talent de Molière. Je n'en crois rien. Molière a d'abord songé à faire des tragédies ; il a toujours été attiré vers ce qui est humain, sérieux et tragique. Qu'il ait débuté par la comédie italienne, comme directeur de troupe, rien d'étonnant à cela ; mais sa vocation, sa nature, c'est la vraie comédie d observation ; et la meilleure preuve, c'est qu'on retrouve ses scènes de caractère, de vérité et d'observation même dans des pièces injustement appelées Farces,
1. L'art poétique, III, p. 8.
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comme les Fomberies de Scapin. Molière cherchait avant tout la vérité et la vie. Il copiait ses personnages sur nature jusqu'au nom de M. Fleurant) ; on reconnaissait les originaux; il avait la manie de courir api es les gens pour les peindre. Ce qui choquait Boileau, c'est la facilité avec laquelle Molière passait d'un grand sujet comme Tartuffe à des trivialités d'apothicaires qui n'empêchent pas, d'ailleurs, h. Malade imaginaire d'être une grande et belle comédie. Boileau, maigri son caractère facile et jovial, reste un homme du XVIIe siècle. Intransigeant en littérature, il eût souhaité que Molière n'écrivit que des comédies nobles ; il craignait toujours de le voir verser dans la comédie populaire.
En faisant ces réserves sur le plus grand auteur comique de tous les temps, Boileau représentait les préjugés de son époque. La Bruyère et Fénelon adressent à Molière le même reproche. Ses audaces et son réalisme les déconcertent. Tartuffe, Don Juan, l'Ecole des femmes, choquaient le bon goût du public qui composait la Cour et la ville ; et Boileau se croyait obligé de rappeler son ami aux règles de la modération et du bon ton.
Ces beaux esprits du XVIIe siècle n'ont compris ni les sujets, ni le tempérament, ni le style de Molière, qui est avant tout un style de théâtre, comme l'a remarqué Dumas fils ; ils n'ont pas l'air de se douter que la déclaration d'amour de Tartuffe et la dispute d'Arsinoé et de Célimène peuvent compter parmi les plus beaux vers de notre langue. Les Bourdaloue et les Bossuet n'ont été sensibles qu'à ce qui froissait leurs timidités littéraires ou offensait leurs idées morales. La Bruyère et Fénelon dénonçaient le jargon de Molière, ses provin-
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cialismes, ses incoirections. Ils n'ont pas été frappés par le jaillissement continu, les ressources de tours et d'expressions qui font de Molière, comme le disait Boileau, le plus grand poète de son siècle.
Au fond, pour Boileau, l'idéal des auteurs comiques, c'est Térence. Il aurait voulu que Molière fût le Térence français. Il ne voit pas ou il soupçonne à peine que c'est dans Plaute qu'il faut chercher la formation de Molière, et que Molière doit tout à Plaute, ses scènes, ses procédés et même son dialogue. Le XVIIe siècle a ignoré Plaute. C'est Térence l'auteur noble, l'homme de goût qu'admirent Boileau, Racine, Bossuet, Fénelon et La Bruyère.
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IX LES ENNEMIS DE L'ART POÉTIQUE
h'Art poétique n'est pas seulement un poème didactique. C'est aussi une satire. Boileau y prend à partie les auteurs et achève de les flageller. Parmi ceux qu'il a le plus durement traités, il faut citer Saint-Amant. Boileau l'a traîné dans la boue ; il fait de lui un objet de risée (Satire I) ; il déclare qu'il n'a pour lecteurs que des sots (Satire II) ; enfin il y revient dans Y Art poétique (chant I, vers 26 et ch. III, vers 261.)
Ainsi tel autrefois qu'on vit avec Faret Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret, S'en va mal à propos d'une voix insolente Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante, Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers
N'imitez pas ce fou, qui, décrivant les mers,
Et, peignant, au milieu de leurs flots entr'ouverts,
L'Hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
Met, pour le voir passer, les poissons aux fenêtres,
Peint le petit enfant qui va, saute, revient,
Et, joyeux, à sa mère offre un caillou qu'il tient...
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Saint-Amant n'était, en réalité, ni un gueux ni un mauvais poète, mais un romantique du XVII 0 siècle, qui ne manquait pas de talent et auquel Boileau finit par rendre justice, en louant sa fameuse poésie sur la Solitude (6e réflexion sur Longin). Ce gros académicien vécut en bohème, comme Faret et Cigogne. Il avait fait la guerre et se battait bravement. Il mit dix ans à écrire son Moïse sauvé, poème prétentieux et massif, où il y a de fougueuses qualités d'imagination, un effort de préciosité puérile, mais une réelle sensibilité de poète, des choses exquises et un sens de la nature très personnel, avec de curieuses surprises... Saint-Amant poussait la description jusqu'au baroque. Elève de Marini et de Guarini, grisé de Gongorisme espagnol et de concettisme italien, il était l'ennemi des Anciens, il raillait Rome, le Tibre et ses monuments et, comme Hégésippe Moreau parlant de la Voulzie, il disait au Tibre : « Je te boirais d'un trait, si je prenais la vie en haine. » 1
Saint-Amant nous choque beaucoup moins aujourd'hui. Ses défauts mêmes ne nous déplaisent plus. Notre compréhension s'est élargie ; nous avons traversé le romantisme ; nous aimons l'imagination jusque dans ses excès ; et l'on trouve même un certain charme à voir la poésie de Saint-Amant rejoindre les Chansons des rues et des bois de Victor Hugo.
Le XVIIe siècle a bien des points de ressemblance avec notre temps. Les précieux et les Burlesques, les SaintAmant, Théophile ou d'Assoucy ont été, comme ceux d'aujourd'hui, lus et aimés du public. C'est l'auteur
I. Cf. Philarète Chasles. Etudes sur le XVIe siècle.
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de Y Art poétique qui leur a barré la route. Saint-Amant a rôdé autour du cénacle, mais n'a pu se faire admettre dans le Temple du goût dont Boileau se constituait le gardien.
Faret, l'ami de Saint-Amant, qui « charbonnait avec lui, dit Boileau, les murs d'un cabaret », n'était non plus ni un buveur ni un débauché. C'est SaintAmant qui lui a fait cette mauvaise réputation. Faret a publié un livre, YHonnête homme, qui n'est pas sans mérite et qui révèle un bon écrivain.
Un autre bohème, Colletet, malgré de jolis débuts, fut aussi cruellement égratigné par Boileau dans sa Satire /, et dans Y Art poétique, Richelieu mit Colletet au nombre des auteurs choisis pour lui faire de médiocres pièces de théâtre et lui donna un jour six cents livres pour six mauvais vers écrits en son honneur. Le poète lui fit cette réponse :
Armand, qui pour six vers m'as donné 600 livres, Que ne puis-je à ce prix te vendre tous mes livres !
Colletet était un rimeur et un esprit baroque qui trouva le moyen de se faire prendre au sérieux par des gens graves, tout en se créant un nom de drôlerie et de scandale.
Indépendant et tenant à ses opinions, Colletet discutait âprement avec Richelieu. Un jour qu'on disait au cardinal que rien ne lui lésistait :
— Vous vous trompez, dit-il : Je trouve dans Paris même des personnes qui me résistent. Colletet, qui avait combattu hier avec moi, sur un mot, ne se rend pas encore, et voilà une grande lettre qu'il vient de m'envoyer.
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Il était trop facile de railler des auteurs comme Colletet et Faret. Il en est d'autres dont Boileau n'a pu enrayer le succès et qui ne sont point méprisables. C'est le cas de Brébeuf. Sa Pharsale continua à être admirée, malgré Y Art poétique. Brébeuf était une espèce de misanthrope modeste, pessimiste, toujours malade, un brave homme plein de bon sens, de modération et de tact. Il commença par travestir la Pharsale de Lucain en style burlesque ; puis, prenant le poème au sérieux, il le traduisit en beaux vers retentissants. Ennemi par nature de l'emphase et de la gandiloquence, Boileau, dans ses lettres à Brossette, reconnaît le talent de Brébeuf, qui a, du reste, publié des poésies religieuses admirables de ton et de sincérité.
Parmi les auteurs que Boileau a le plus violemment attaqués, il faut faire une place à part à Quinault. Dans l'histoire littéraire du XVIIe siècle, Quinault est inséparable de Boileau. L'auteur des Satires le traîne après lui et l'a, par certains côtés, injustement méconnu, Peutêtie Boileau s'efforçait-il de diminuer Quinault pour grandir Racine, à qui on reprochait d'avoir débuté par l'imitation de QuinauU. Tiistan l'Hermitte et Quinault furent, en effet, les premiers modèles de Racine. On retrouve chez Tristan (dans sa Mariamne surtout), de même que dans toutes les pièces de Quinault, la facilité et la douceur du vers racinien. Jules Lemaître et Bernardin ont relevé les réminiscences et les emprunts de Racine.
Quinault était un homme charmant, modeste, un vrai poète. Il aimait les beaux vers et il a éciit des livrets d'opéras qui sont des oeuvres de poésie exquise. Elève de Tristan, il fit jouer, grâce à lui et à l'âge
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de dix-huit ans, sa première comédie : Les Rivales. Le caractère et le tempérament de Boileau expliquent son antipathie pour Quinault. L'auteur des Satires détestait ces galanteries d'opéra, délices de la Cour et des imaginations féminines. Boileau protestait contre cet engouement. De 1653 à 1664, pendant près de onze ans avant que l'auteur d'Athalie eût débuté en 1664 avec sa Thébaide, Quinault avait fait jouer des tragédies pleines de niaiseries et d'incorrections, entre autres ÏAshate, oeuvre alambiquée et précieuse, que Boileau a raillée avec raison dans le Repas ridicule. Malgré ces défauts, il y a bel et bien dans ces tragédies la langue, le style, les tirades et la manière de Racine ; Quinault est un Racine détendu et affadi ; c'est la tragédie d'amour sans vérité et sans profondeur. Cette absence de vraie psychologie choque beaucoup moins dans les livrets d'opéra de Quinault ; ses vers gardent alors un charme indéniable, auquel Boileau resta toujours à peu près insensible. Pour montrer que ce genre de poésie n'était pas difficile à faire, Boileau écrivit, luimême, en collaboration avec Racine, un livret dont aucun musicien ne parvint à mettre en musique le prologue, rédigé par Boileau. « Orphée lui-même, dit d'Alembert, y aurait échoué. Notre poète ne laissa pas de le faire paroître avec une Préface, où l'on trouve, sur l'expression musicale, des assertions aussi étranges que celles de Pascal sur la Beauté poétique ; grande leçon aux plus heureux génies, et de ne point forcer leur talent, et de se taire sur ce qu'ils ignorent. Mais le trait le plus singulier de cette Préface, c'est la phrase par laquelle elle débute. On y lit, que Mesdames de Montespan et de Thiange, lasses des Opéras de M. Qui-
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nault, proposèrent au Roi de chercher un autre Poète lyrique. Mesdames de Montespan et de Thiange, lasses des Opéras de M. Quinault ! c'est-à-dire ennuyées à'Alceste, d'Atys, de Thésée, et de Proserpine ; car pour leur honneur Armide n'existoit pas encore ! »
Quinault supporta avec assez de philosophie les attaques de Boileau. Elles ne diminuèrent ni sa réputation ni son succès. Ses amis le défendirent. Charles Perrault disait en propres termes en s'adressani à Boileau : « Les traits de votre satire ne sont pas aussi mortels que vous le pensez. On en voit un exemple dans M. Quinault, que toute la France regarde présentement, malgié tout ce que vous avez dit contre lui, comme le plus excellent poète lyrique et dramatique tout ensemble que la France ait jamais eu. »
Boileau devait bientôt revenir de ses préventions contre Quinault ; il lui rendit justice, reconnut son talent, devint son ami et s'excusa de l'avoir critiqué quand ce dernier n'avait pas encore publié « beaucoup d'ouvrages qui par la suite lui avaient acquis une juste réputation ». Après cette réconciliation, Boileau déclarait à Racine qu'il comptait désormais Quinault au rang de ses meilleurs amis, de ceux dont il estimait le plus le coeur et l'esprit ». Saint-René Taillandier s'est demandé si ce revirement d'indulgence ne doit pas être attribué à la publication de la préface de la Satire des Satires de Boursault. Non seulement Boileau renonça à ses attaques i mais il finit par se réconcilier avec tous ses ennemis, et la mort même de Chapelain sembla lui donner des remords
En faisant de Quinault son ami, Boileau s'imaginait que l'auteur à'Alceste se montrerait plus disposé à
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louer les poésies de son ancien ennemi ; mais, soit malignité ou inconscience, chaque fois qu'il allait le voir, Quinault ne lui parlait que de ses propres vers. — Je crois, disait Boileau, qu'il ne s'est raccommodé avec moi que pour venir me parler de ses vers, et il ne me parle jamais des miens.
Quinault n'est pas, avec Tristan, le seul prédécesseur de Racine. Le Racinisme a existé avant Racine, comme le Cornélianisme avant Corneille. Quelques critiques font, à ce propos, beaucoup d'honneur à un nommé Gabriel Gilbert, qui, de 1640 à 1672, fit j'ouerdes tragédies où l'on prétend retrouver les commencements de Racine. Les ver"s de Gilbert ont de la douceur, en effet ; mais ils sont d'une platitude au delà de toute expression. Gilbert peut passer pour le rival de Pradon, mais non pas poui le rival de Racine.
On s'est étonné de voir le batailleur et satirique Boileau se réconcilier avec Perrault, Boursault, Quinault et tous ses ennemis, même avec son terrible frère Gilles. Cela prouve que Despréaux était bon garçon et qu'il ne mentait pas quand il affirmait qu'il ne haïssait que les mauvais ouvrages. On lui disait qu'en publiant des satires il se ferait des ennemis. Il répondit : « Eh bien, je serai honnête homme et je ne les craindrai point. » Il tint parole et s'en expliqua dans la préface de l'édition de 1683 :
« En attaquant, dit-il, dans mes Satires les défauts de quantité d'écrivains de notre siècle, je n'ai pas prétendu pour cela ôter à ces écrivains le mérite et les bonnes qualités qu'ils peuvent avoir d'ailleurs. Je n ai pas prétendu, dis-je, que Chapelain, par exemple, quoique assez méchant poète, n'ait pas fait autrefois,
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je ne sais comment, une assez belle ode, et qu'il n'y eût point d'esprit ni d'agrément dans les ouvrages de M. Quinault, quoique si éloignés de la perfection de Virgile. J'ajouterai même, sur ce dernier, que du temps où j'écrivis contre lui, nous étions tous deux fort jeunes et qu'il n'avait pas fait alors beaucoup d'ouvrages qui lui ont dans la suite acquis une juste réputation. Je veux bien aussi avouer qu'il y a du génie dans les écrits de Saint-Amant, de Brébeuf, de Scudéry et de plusieurs autres que j'ai critiqués et qui sont en effet, d'ailleurs, très dignes de critique. En un mot, avec la même sincérité que j'ai raillé ce qu'ils ont de blâmable, je suis prêt à convenir de ce qu'ils peuvent avoir d'excellent. Voilà, ce me semble, leur rendre justice et faire bien voir que ce n'est point un esprit d'envie et de médisance qui m'a fait écrire contre eux. »
Boileau ne prit pourtant pas la peine de se îéconcilier avec tous ses adversaires ; il en est qu'il dédaigna, après les avoir seulement égratignés, comme ce fameux abbé Boyer, dont il parle au chant IV :
Qui dit froid écrivain dit détestable auteur < Boyer est à Pmchesne égal pour !e lecteur
Ce Boyer, si oublié aujourd'hui, fut, de son vivant, aussi célèbre que l'auteur à'Andromaque. Après avoir violemment prêché contre les pièces de théâtie, il fit pendant cinquante ans des tragédies, sans jamais se laisser décourager par l'insuccès. Il tenait tête à Boileau et à Racine et, fier de leurs attaques, il attribuait la chute de ses propres ouvrages non pas à son absence de talent, mais à leurs cabales. Ce qui manquait à Boyer c'est le goût. Il tombe à chaque instant dans la bassesse
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et le prosaïsme. Auteur de vingt-deux tragédies, Porus, Ulysse, Tiridate, Démétrius, Alexandre, etc., Boyer mourut à l'âge de quatre-vingts ans, plein d'optimisme, toujours spirituel, alerte et content de lui. Chapelain le tenait pour un grand poète et déclarait que Corneille seul était au-dessus de lui. Boileau range Boyer parmi les auteurs médiocres. Racine dit qu'on baillait à ses pièces et qu'il avait écrit plus de 500.000 vers.
L'abbé Boyer joua un tour assez piquant à l'auteur de Phèdre : il fit représenter une pièce, Judith, sous le pseudonyme de Pader d'Assezan ; l'oeuvre réussit et Racine fut très penaud de l'avoir applaudie.
Cette Judith, que Boyer publia avec une préface inénarrablement vaniteuse, eut d'abord un gros succès ; les belles dames en raffolèrent ; quelque temps après on la siffla. La Champmeslé ayant demandé la raison d'un tel changement, quelqu'un lui dit : « Si la pièce n'a pas été sifflée dès sa naissance, c'ebt que les siffleurs et les sifflets étaient à Versailles, pendant le Carême, aux sermons de l'abbé Boileau. »
Quant à ce Pinchesne, dont Y Art poétique fait l'égal de Boyer, il était plus insignifiant encore. Neveu de Voiture, il est l'auteur d'un lourd recueil de poésies, intitulé : Eloges du roi, des princes et des princesses de son sang et de toute la Cour.
Dans le même passage (ch. IV, 35), Boileau nomme quelques autres écrivains sans intérêt, mais utiles à connaître pour la signification d'une époque :
On ne lit guère plus Rampale et Ménardière Que Magnon, du Souhait, Corbin et La Morlière.
C'est sans doute parce qu'il connaissait le pacifique
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caractère de Despréaux que le Père Bouhours offrit à Fontenelle de le raccommoder avec Racine ot Boileau. Fontenelle refusa parce qu'il ne crut pas cette conversion sincère. Il avait peut-être tort \
M. Demeure attribue les réconciliations de Boileau à la lâcheté et à la crainte. Ce serait la peur des coups qui l'aurait calmé et qui lui fit attendre la mort de Mlle de Scudéry pour dire du mal de ses romans. Comment admettre qu'un homme comme Boileau, si bien en cour, protégé par le roi et capable d'empêcher la représentation dune pièce de théâtre, ait éprouvé tant de peur ?
La Mesnardière était médecin du roi et auteur d'une poétique qui mettait en préceptes l'enseignement du théâtre. Membre de l'académie et traducteur des lettres de Pline, La Mesnardière a publié un Traité de la mélancolie et fit jouer une tragédie, Alinde, qui tomba à plat. Les autres auteurs sont plus oubliés encore : Motin, faiseur d epigrammes et ami de Regniei ; Corbin, romancier et mauvais poète, auteur d'une traduction littérale de la Bible et d'un poème sur la vie de Saint François ; La Morlière, qui a fait des ouvrages d'archéologie sur Amiens ; Rampale, qui réussit au théâtre ; Magnon, ami de Molière et de Corneille et médiocie auteur dramatique. Ce Magnon se vantait d'écrire plus facilement les vers que la prose et se proposait de publier une grande Encyclopédie en vers, qui aurait dix volumes, chacun de 20.000 vers et où il
1. Cf. Mémoires sur la vie et les ouvrages de M. de Fontenelle, par l'abbé Trublet, p. 257.
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devait résumer toutes les connaissances humaines. Quant à Du Souhait, il a traduit YIliade en prose et publié des poésies sentimentales,
Ces noms d'auteurs, le titre et le genre de leurs ouvrages ont encore quelque intérêt pour nous. Ils nous renseignent sur le mode de productions et les succès de cette époque ; ils expliquent surtout les indignations de Boileau dans ce débordement de mauvaise littérature.
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CONCLUSIONS SUR L'ART POÉTIQUE
II fallait être bien sûr de son goût et avoir vraiment la vocation critique pour entreprendre la terrible guerre que Boileau déclara à tous les écrivains de son temps. L'auteur de Y Art poétique a été dur pour ses ennemis ; mais ceux-ci ne furent pas tendres non plus. Vilipendé et ridiculisé par Boursault, Coras, Bonnecorse, Pradon, Cotin, etc., on alla jusqu'à inventer contre Boileau l'histoire d'un prétendu accident de jeunesse humiliant pour sa viiilité. Tous ces genslà, les Chapelain, Cotin, Ménage, etc. étaient protégés par de hauts personnages, comme les Montausier, les La Feuillade et les Caumartin. Simple débutant, Boileau se trouvait très menacé. Montausier parlait de l'envoyer aux galères après l'avoir fait bâtonner. On ne peut en vouloir au Satirique de s'être ménagé des appuis chez les Mortemart, les Pomponne, La moi gnon, le grand Condé, Seigneulay, etc.. Boileau méritait la victoire, ec le combat qu'il soutenait est tout à son honneur. « Il s'agissait, dit
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Levrault, de savoir qui devait triompher pour la gloire et l'avenir des lettres françaises : Chapelain, SaintAmant, Pradon, Boyer, ou Racine, La Fontaine et Molière. »
Le XVIIe siècle passe à tort pour le siècle du bon goût. Boileau a lutté toute sa vie contre le mauvais goût du public et des auteurs ; sa voix s'est fait entendre ; il les a dominés et classés pour la postérité ; il a indiqué quels étaient les bons et quels étaient les médiocres, et c'est déjà quelque chose que d'avoir ouvert les yeux de ses contemporains. Mais Brunetière a tort de croire que la victoire est restée à Boileau. L'auteur des Satires ne réussit pas à convaincre les lecteurs de Scarron et de Chapelain, et il ne put imposer ni Racine ni Molière. Il le constatait amèrement, à la fin de sa vie, quand il dénonçait le règne des Topinambourgs, et le succès de Crébillon lui airachait ce cri : « A quels Barbares, je laisse en proie le Parnasse l » La production littéraire de la fin de son siècle était peut-être pire que la précédente. Il disait à Leverrier : « Les Pradon, dont nous nous sommes moqués, étaient des soleils auprès de ceux-ci. *'
Après la publication de Y Art poétique ses ennemis continuèrent à lui tenir tête. Les Perrault et les Quinault restèrent encore les plus nombreux, tandis que Boileau n'avait eu pour lui que Racine, Molière, La Fontaine, Chapelle, Furetière, etc.. Les Boyer, les Leclerc, Benserade, Cotin, Charpentier, Penault eurent toujours la faveur du public ; ils faisaient toujours figure de personnages et représentaient l'Académie et la littérature française aux honneurs, aux invitations et aux fêtes publiques.
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Rien ne fut changé, même après que Boileau eût été reçu à l'académie, où siégeaient tous ses adversaires, les Desmarets, Quinault, Perrault, Cassagne, Boyer, Gilles Boileau, Pradon, Benserade, Charpentier, Leclerc, Cotin, Ménage. Boileau et Racine passaient pour des révolutionnaires, parce qu'ils étaient partisans de la vérité et de la raison, que dédaignait le public des auteurs et des grandes dames, exclusivement épris de la préciosité et do romantisme Cornélien. Ces messieurs de l'Académie ne consentirent à recevoir Boileau dans leur noble compagnie qae sur l'expresse volonté du roi et sans condition, c'est-à-dire sans démarches ni visites. Cette élection, arrachée par devoir, fut une comédie qui ne trompa personne. Boileau, dans son discours de réception, affecta une modestie ironique très humiliante pour ses confrères. Il se reconnaît indigne de figurer parmi ces illustres auteurs de « grands chefsd'oeuvre qu'ils donnent tous les jours, >» et d'autant plus indigne d'un tel honneur, qu'il n'a fait (il le dit nettement) aucune démarche pour être reçu. Il feint de croire qu'on ne l'a accueilli que parce qu'il était historiographe du roi ; et il leur dit rrAme spirituellement que quelque envie qu'ils eussent de le refuser, ils ne pouvaient faire autrement que de l'admettre. Boileau termine enfin ce discours, qui est une apothéose du roi, en déclarant que c'est à eux qu'il appartient de faire des chefs-d'oeuvre » et que, pour lui, il n'a à attendre de ses illustres confrères que des lumières, des leçons et des conseils. On ne pouvait se moquer d'eux plus ouvertement. Les Académiciens reportèrent leur rancune sur Racine,
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dont l'éloge, plus tard, dans la bouche de La Bruyère, fit une sorte de scandale. La lutte continua entie Boileau et l'Académie, même après les grandes réconciliations, en 1694. Chacun resta sur ses positions. Les La Motte et les Fontenelle reprirent la cabale des beaux-esprits et achevèrent d'assurer le triomphe de Perrault.
Boileau allait de moins en moins à l'Académie. « Les bêtises que j'y entends, disait-il, m'ont vieilli de dix ans. » Et il ajoutait : « L'académie n'est maintenant composée, à deux ou trois hommes près, que de gens du plus vulgaire mérite et qui ne sont grands que dans leur propre imagination » (Brossette,... XCVII). Boileau écrivait sur eux de cruelles épigrammes, et Pellisson a raison de dire qu'il les avait tous attaqués. Si l'on en croit Cizeron-Rival, dit le père Laporte, Boileau n'était pas plus tendre enveis les quarante pris en masse, qu'envers les individus, les Cotin, Chapelain et autres. Il disait en riant que, si ces Messieurs de l'Académie voulaient une devise qui leur convint, il n'y avait qu'à mettre une troupe de singes qui se miraient dans une fontaine, avec ces ces mots autour : sibi pulchri.
Boileau écrivait à Brossette, à propos de l'Académie : « On y opine du bonnet contre Homère et contre Virgile et surtout contre le bon sens, beaucoup plus ancien qu'Homère et que Virgile. L'Académie de Lyon n'aura pas de peine à surpasser en mérite celle de Paris. »
^ On a reproché à Boileau d'avoir montré trop d apreté dans la lutte, et affecté l'orgueil d'un triomphe illusoire. On ne saurait l'en blâmer, dit M. Bour-
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going : « Il affronta leur mécontentement et leur colère, il put même amener bon nombre d'entre eux à se déjuger ; n'y avait-il pas là de quoi lui inspirer une légitime fierté ? Mais les illustres suffrages qu'il put conquérir ne lui causèrent sans doute pas autant de joie que la pensée d'avoir redressé le goût public. Avouons-le, Boileau s'en applaudit un peu haut ; ce n'est pas de l'outrecuidance, car ce qu'il pense avoir fait, il l'a fait réellement : c'est une franchise un peu rustique. Que si l'on en était choqué, on devrait se rappeler qu'il fut aussi fidèle en ses admirations, généreux dans ses éloges, que virulent dans la critique, ce qui est encore plus louable, parce que le courage exige un effort plus persistant que l'audace. » 1
D'ailleurs, (et ceci est un grand point), c'est grâce à la protection du Roi que Boileau put lutter jusqu'au bout et faire face à ses ennemis. Louis XIV se fit présenter Boileau en 1669 et lui assura une pension de 2.000 livres de rente. « Cette pension, dit Morizot, accordée du vivant même de Chapelain à l'auteur des Satires n'est pas un incident sans valeur ; on peut dire qu'à partir de ce moment il y eut quelque chose de changé dans la poésie en France ; les luttes de Boileau ne sont pas terminées, mais la victoire est déjà décidée ; il ne lui restait plus qu'à en recueillir les fruits. >»
Louis XIV semble avoii été sincère dans son admiration pour Boileau. Le roi relisait les Satires et en demandait des copies pour garder dans sa cassette 2.
1. Les Maîtres de h critique au XVII 9 siècle, p. 152. 2 Georges Colas, Nicolas Chapelain, p. 462.
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Le grand avantage de Boileau a donc été d'avoir eu le roi pour lui. Sans la protection royale, l'acharnement de ses ennemis eût étouffé la voix du satirique, car ils étaient le nombre et représentaient la Cour et la ville. Le roi s'étant déclaré pour Boileau, l'opposition fut paralysée ; la Cour prit l'habitude de mieux juger et, sous bénéfice d'inve taire, finit peu à peu par approuver les chefs-d'oeuvre que lui imposait Louis XIV. C'est grâce à cette protection que Boileau empêcha la représentation de la Satire des Satires de Boursault et qu'on put jouer Tartuffe. C'est le roi qui fit le succès des Plaideuts de Racine.
On a blâmé les flatteries hyperboliques avec lesquelles Boileau entretint pendant quarante ans la fidélité royale. Peut-être, en effet, a-t il un peu forcé la note. C'était l'usage. La France entière se prosternait devant Louis XIV. Le bon sens du roi, sa rectitude d'esprit étaient, d'ailleurs, des qualités qui devaient plaire à Boileau et qui nous garantissent la sincérité de ses louanges.
On a dit que Y Art poétique était le testament d'une littérature morte, l'herbier où sont conservés les anciens genres, le code même du style classique. « Boileau, dit Victor Hugo, partagea avec Racine le privilège d'avoir fixé la langue française » *.
Ce n'est pas exact. La langue française était fixée depuis Pascal, Guèz de Balzac et même avant eux. « Avec ce style classique, dit Taine, on ne peut traduire ni la Bible ni Homère, ni Dante, ni Shakespeare. » C'est encore exagéré. Aucun écrivain, fût-ce
I. Préface des Odes et ballades, 1820.
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DE BOILEAU 163
le Chateaubriand des Mémoires d'Outre~Tombe, n'a osé écrire avec plus de violence, de nouveauté et d'audace que Bossuet. Et la façon si personnelle, si originale, dont il a traduit la Bible et s'en est assimilé la substance et les expressions, prouve, en tous cas, que la Bible pouvait être traduite, même en style classique, par un homme de génie. Bossuet est un perpétuel créateur de mots et d'images. Rien de plus curieux que de voir précisément sa magnificence créatrice aux prises avec cette langue classique qu'il broie, qu'il pétnt, qu'il dompte à sa guise. Il est possible, après cela, que Delilîe se soit déclaré impuissant à traduire Klopstock en vers. Le style poétique est tout autre chose.
Boileau fut toujours discuté, admiré et imité. Le plus célèbre, mais le plus original de ses imitateurs fut le mari de la Guimard, inspecteur des théâtres de la cour en 1807, qui s'appelait lui aussi de son vrai nom Despréaux. Cette homonymie lui donna l'ambition de devenir poète. II composa, sur le modèle de l'Art poétique, un poème en quatre chants : L'art de la danse. Théodore de Lajarte, dans son livre : Les curiosités de l'of>éra, cite deux vers comme spécimen de cette imitation baroque : Boileau avait dit :
Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée
Le nouveau Despiéaux paraphrase ainsi :
Gardez bien qu'un jambe à courir trop hâtée Ne soit d'une autre jambe en son chemin heurtée.
On ne peut, si l'on veut être impartial et complet,
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164 L'ART POÉTIQUE
terminer l'examen d'une oeuvre comme l'Art poétique sans faire la part des critiques et montrer quelques-uns des inconvénients des doctrines de Boileau. On a souvent relevé les défauts du poème : procédés, monotonie, vers chevillés, rimes à participes et épithètes, remplissages et adverbes inutiles, etc. Le P. Delaporte a dressé un amusant catalogue des locutions et répétitions de Boileau : « que toujours dans vos vers... Un sot trouve toujours... Toujours dans vos écrits... Et toujours, quoi qu'il fasse... N'allez pas dans vos vers... Toutefois n'allez pas... » Et les phrases ridicules et compliquées, comme le début du poème : « C'est en vain qu'au Parnasse..., etc.. Trois fois le mot égayé en 42 vers, etc.. Boileau n'a pas toujours su éviter les faiblesses qu'il reprochait aux autres.
Quant au fond de la doctrine, les conseils et les idées de Boileau, nous l'avons vu, ne lui sont pas personnels. Il n'a tait que codifier ce que Chapelain et d'autres critiques, les Vida, Scaliger, Vauquelin, etc., avaient dit et répété, dès 1660,, d'après les écri- w" vains italiens. Ces théories surlës règles, l'imitation des anciens, l'observation et la vérité humaines, Boileau les a reprises et prêchées à ses contemporains, en leur rappelant qu'elles étaient raisonnables et que ce serait manquer de goût que de ne pas s'y soumettre. Il ne prévoyait pas que, lorsqu'il aurait bien établi et fixé son code, les gemes littéraires auxquels il croyait finiraient par se transformer et disparaître, et qu'un jour viendrait où l'ode et la ballade n'auraient plus rien de commun avec les Odes et ballades d'un Victor Hugo ; que les Satires finiraient avec
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DE BOILEAU 165
Gilbert et les Épopées avec la Henriade. Quant à la pastorale, le public lui sera plus fidèle. Au XVIIe siècle on lisait ÏAstrée de D'Urfé ; au XVIIIe siècle on lira Estelle et Némorin de Florian.
En enseignant à Racine à faire difficilement des vers faciles, Boileau ne devinait pas que la lassitude de l'effort engendrerait la facilité, et que, par absence de psychologie autant que par décadence de style, la tragédie s'épuiserait après Racine. La tragédie, comme genre, eut beaucoup de peine à se former au XVIe siècle, après la Pléiade et malgré l'influence d'un Rotrou. Elle brilla de tout son éclat au XVIIe siècle, avec Corneille et Racine. Elle déclina au XVIIIe siècle, malgré l'effort des pâles imitateurs Raciniens comme Lagrange-Chancel. Pradon et Campistron eurent des descendants. Voltaire tenta de libérer le genre en élargissant les sujets, tandis que Crébillon faisait de la tragédie une vocifération épileptique ; puis ce furent les grisailles de Joseph Chénier, Lemierre, Amault, Lemercier, Raynouard, Baour Lormian, Luce de Lancival, Jany, Ancelot. La tragédie expira faute de souffle, par dessication. Casimir Delavigne la soutint encore un moment, en faisant d'elle l'annonciatrice du Romantisme ; et Victor Hugo la remplaça par le drame ; de sorte qu'en considérant celte disparition ou cette transformation des genres consacrés par Boileau, l'Art poétique nous semble vraiment le testament d'une littérature disparue.
Un autre inconvénient de Y Art poétique, c'est qu il réduisait la poésie à être le produit d'un gaufrier mécanique que le Romantisme sera un jour forcé de briser. Boileau a installé un atelier de versification
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166 L'ART POÉTIQUE
qui représente le maximum de réussite que pouvaient offrir l'art du vers, la discipline, l'esthétique de la raison. Enfin tant de métier et de bon goût devait tôt ou tard étouffer la sensibilité personnelle, qui prendra sa revanche avec le Romantisme.
UArt poétique a engendré les poèmes descriptifs de Delille, la Religion de Louis Racine, les Saisons de Saint-Lambert, les Mois de Roucher, la Naviga^ tion d'Esmenard, les Fossiles de Bouilhet, Y Hermès et Y Invention de Chénier, etc..
La différence entre Delille et Boileau, c'est que la versification de Boileau est faite de résistance, de densité et de labeur, tandis que Delille semble n'avoir eu qu'un procédé de facilité aimable et glissante. Delille ne travaillait pas ; sa femme ne lui en laissait pas le temps. Il écrivait inlassablement, utilisant, changeant, renouvelant ses perpétuelles rimes en adjectifs, ses ronronnantes périphrases, ses grâces de finesse et d'esprit. Boileau a atteint la durée par la condensation et le travail .
Ce qui reste de Y Art poétique, ce sont les jugements sur les contemporains et sur les Anciens. Les opinions de Boileau là-dessus sont encore les nôtres, à très peu de chose près. Il pensait d'Homère ce que nous en pensons aujourd'hui, malgré D'Aubignac et Wolff. Ce qui restera encore, c'est l'enseignement, le côté métier, la grande loi du travail et de l'effort, la vérité pratique des conseils sur l'art d'écrire. La doctrine de Boileau est sous ce rapport toujours vivante. Les principes n'ont pas changé, tout en demeurant susceptibles de nouvelles discussions.
Et maintenant on peut se demander s'il est bien
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DE BOILEAU 167
vrai que toute production littéraire doive être soumise à ces obligations d'ordre, d équilibre et de raison, imposées par Boileau ? En d'autres termes, le goût de Boileau est-il le seul et unique goût, et doiton tout soumettre à ses lois ? Faut-il vraiment préférer le métier e la sensibilité, et le travail à l'inspiration ? La rectitude, la correction, la raison, la mesure doivent-elles réellement étouffer l'excès, l'élan, la libre et impétueuse imagination ? Racine est-il supérieur à Shakespeare ? Faut-il sacrifier Ronsard à Malesherbes ? Doit-on supprimer Rabelais ?
Evidemment non. L'esprit humain est toujours en marche et la littérature suit son évolution. Il n'y a rien dans l'avenir qui ne soit en germe dans le passé... Ce sont les oeuvres qui commandent les théories et qui établissent les lois. Les oeuvres seront toujours supérieures aux doctrines. Que ce soit Y Art poétique ou toute autre production, la critique ne peut que constater les changements et les résultats.
Tou1on~Les Brises, octobre 1929. FIN.
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TABLE DES MATIÈRES
I. Le caractère de Boileau , 7
II. La publication de l'Art poétique 25
III. La doctrine de l'Art poétique 45
IV. Racine et l'Art poétique 63
IV. L'Art poétique et le réalisme d'Homère .. 77
VI. Chapelain et l'Art poétique 95
VII. L'Art poétique et les opinions littéraires de
Boileau 107
VIII. L'Art poétique et les contemporains de Boileau 135
IX. Les ennemis de l'Art poétique. 145
X. Conclusions sur l'Art poétique 157
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ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 7 DÉCEMBRE 1929 hAR F. PAILLART A ABBEVILLE (SOMME)
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LES GRANDS ÉVÉNEMENTS LITTÉRAIRES
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HENRI-CHARLES PUECH .. Discours sur la méthode
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GUSTAVE RUDLER. .. .. Adolphe, da Benjamin Constant
JOSEPH VIANEY Les Regrets et la Défense, de du
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J, ERNEST-CHARLES L'Histoire Contemporaine, d'Anatole
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RENÉLALOU.. .. Charmes, de Paul Valéry
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MADAME DE CHAMBRUN .. Hamlet, de Shakespeare
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HENRI HAUVEITE Les Canzoniêre, de Pétrarque
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RENÉ LALOU Les Voyages de Gulliver, de Swift
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