Première grenouille Sur une première grenouille, le 6 décembre 1854, on fait la ligature de la veine et de l'artère crurales droites ; après quoi, on fait une plaie à la peau du dos, par laquelle on introduit un fragment de curare. Cette opération fut faite à deux heures cinq minutes, et, à deux heures vingt minutes, l'animal est complètement immobile. Quand on lui pince la peau du corps, celle des deux pattes antérieures, celle de la patte droite postérieure, et la patte postérieure gauche, dont les vaisseaux sont liés, il y a des mouvements réflexes, et l'animal retire ce membre. Mais on remarque, quand on pince la patte antérieure, que la patte dont les vaisseaux sont liés remue seule. A deux heures et demie, l'animal est dans le même état, et les mouvements réflexes de la patte postérieure deviennent plus évidents quand on l'a laissée reposer pendant quelque temps. A deux heures quarante minutes, si l'on pince d'abord la patte postérieure intacte, les autres ne remuent pas ; mais si l'on pince une patte antérieure, la patte postérieure opérée se meut. Quand, après quelque temps de repos, on imprime un mouvement à l'assiette sur laquelle se trouve la grenouille, cet ébranlement produit des mouvements dans la patte qui a été opérée. Mais, si aussitôt on remue de nouveau l'assiette, le phénomène n'a plus lieu. Enfin, on laisse reposer la grenouille un quart d'heure, et quand on pince la patte postérieure intacte, l'autre, dont les vaisseaux sont liés, remue. Il en est de même lorsqu'on pince les pattes antérieures. Après avoir observé ainsi tous ces phénomènes qui montrent, comme nous le verrons, que les nerfs moteurs seuls sont affectés et les sensitifs conservés, on laissa la grenouille dans l'assiette jusqu'au lendemain. Elle était placée sous une cloche pour empêcher son dessèchement par évaporation ; la température était de 8 à 10 degrés. Le 7 décembre, à onze heures du matin, et à deux heures et demie du soir, en pinçant la patte dont les vaisseaux sont liés, on y observe des mouvements réflexes. On laisse la grenouille dans les mêmes conditions que la veille. Le 8 décembre, quand on pince un membre quelconque, il ne se produit plus d'action réflexe ; ces mouvements ont partout disparu. Mais en galvanisant les deux membres antérieurs, sans enlever la peau, on obtient des contractions énergiques. En galvanisant le membre postérieur intact, on a également des contractions énergiques ; tandis que, lorsqu'on galvanise, avec le même courant de la pièce électrique, le membre dont les vaisseaux ont été liés, les contractions sont relativement beaucoup plus faibles. Le 9 décembre, en galvanisant les quatre membres de la grenouille sans enlever la peau, on obtient des contractions dans tous, excepté dans celui dont les vaisseaux sont liés. D'où il résulte que les contractions sont encore très fortes dans les trois membres dont les muscles ont été empoisonnés par le curare, tandis qu'elles ne sont plus sensibles dans les muscles que le curare n'a pas atteints, en raison de la ligature des vaisseaux. Le 10, les phénomènes sont toujours les mêmes. Le 11, de même ; les trois membres empoisonnés se contractent, tandis que, dans le quatrième, il n'y a pas de contraction sensible. Le 12, même état ; seulement les contractions, dans les membres, sont moins intenses ; le coeur battait toujours. Pendant trois jours la grenouille n'est pas observée. Le 15, la grenouille qui était d'abord d'une couleur noirâtre, est devenue verte, et il y avait une espèce de roideur cadavérique qui avait succédé à la résolution des membres qui existait précédemment. Cette roideur est plus forte dans les membres antérieurs. On écorche alors la grenouille, et l'on remarque que les muscles de la patte liée sont un peu plus roses, ce qui tient probablement à la ligature des vaisseaux. En galvanisant les muscles mis à nu dans les trois membres empoisonnés, il y a encore de faibles contractions fibrillaires, particulièrement dans les muscles postérieurs et intérieurs de la cuisse ; Il y a dans les membres des muscles qui perdent plus rapidement leur contractilité que les autres, et, quand il faut comparer, on doit toujours agir sur les mêmes muscles. Il n'y a plus de contraction du tout dans les muscles non empoisonnés. Ce qui prouve que c'est bien au poison qu'est due cette persistance, c'est que, dans le membre lié, les muscles sont contractiles au-dessus de la ligature et ne le sont pas au-dessous. Le coeur ne bat plus ; l'oreillette est gorgée de sang. Le 16, la contractilité persiste encore dans le gastrocnjémien et dans le muscle droit antérieur de la cuisse du membre postérieur o— les vaisseaux n'avaient pas été liés. On cesse d'observer la grenouille. Nous voyons, d'après cette expérience, qu'au bout de dix jours, il y avait encore des contractions dans les muscles empoisonnés, tandis qu'au bout de trois ou quatre jours la contractilité avait déjà complètement disparu dans le membre o— le curare n'avait pas agi, puisque la ligature l'avait empêché d'y pénétrer. - On voit donc clairement, par cette expérience, que l'action du curare augmente la persistance de la contractilité musculaire. Deuxième grenouille. Le 6 décembre 1854, sur une seconde grenouille, on isole le nerf sciatique; on passe au-dessous un fil, avec lequel on lie le membre en entier par-dessus la peau. Le nerf se trouve ainsi isolé et en dehors de la ligature. A deux heures vingt minutes, on introduit un fragment de curare par une incision faite à la peau du dos: peu à peu la grenouille ressent les effets du poison. Quand on lui pince la patte liée, elle la remue; quand on pince une patte antérieure, elle remue également le membre lié. La grenouille devient peu à peu insensible dans les trois membres intacts, c’est-à-dire que, lorsqu’on pince ses pattes, elle ne remue pas; mais il en résulte des mouvements dans la patte liée. A deux heures et demie, on a les mêmes phénomènes; à deux heures quarante minutes, quand on pince la patte postérieure intacte, aucun mouvement ne se manifeste. Mais quand on pince les pattes antérieures, on a des mouvements dans la patte postérieure liée. Au bout d’un certain temps de repos, lorsqu’on pince la patte postérieure intacte, on observe des mouvements dans la patte postérieure liée; - quand on remue la plaque de liège sur laquelle la grenouille est fixée, il survient des mouvements dans la patte liée. On observe alors une différence de teinte singulière dans la peau de la grenouille: la peau de la patte liée est d’une couleur plus claire que celle du reste du corps. On laisse alors reposer la grenouille pendant un quart d’heure, et après ce temps, quand on vient à pincer successivement les trois pattes empoisonnées, on a toujours des mouvements dans la patte liée, non empoisonnée. Le 7 décembre, à onze heures du matin, il n’y a plus de mouvements dans la patte liée quand on pince les autres. On découvre les muscles du mollet sur les membres postérieurs droit et gauche; on excite par la pince électrique, et on constate une contraction très évidente et à peu près égale dans les deux membres. On conserve la grenouille dans une assiette, sous une cloche, dans l’amphithéâtre; la température est de 8 à 10 degrés. Le 8 décembre les muscles des mollets sont contractiles; mais les muscles du côté de la patte liée le sont plus faiblement que ceux du côté où le curare a agi. Le 9 décembre, le muscle du mollet de la patte liée n’est plus excitable au courant électrique; l’autre réagit très énergiquement encore sous un courant de même intensité. Le 10, les mêmes phénomènes continuent. Le 11, également; - le 12, la contractilité du membre empoisonné existe encore, mais faible. Le 15, toute trace de contractilité a disparu. Nous voyons, dans cette expérience, le même résultat qui s’est produit sur une grenouille un peu moins vivace: la contractilité a duré pendant six jours dans le membre empoisonné, tandis qu’au bout de trois jours elle avait disparu dans le membre non empoisonné. Quelle pourrait être la cause de cette durée plus considérable de la contractilité musculaire dans les muscles empoisonnés par le curare. Est-ce l’effet du poison lui-même, ou bien la possibilité qu’ont ces muscles de recevoir encore du sang, grâce à la persistance des battements du coeur, et à la possibilité, peut-être, de la respiration cutanée de ces animaux. Car ici les muscles non empoisonnés ne recevaient plus de sang, tandis que les autres continuaient à en recevoir. Pour examiner cette question, nous avons fait l’expérience suivante: Troisième grenouille.