Cécile Brousse, Bernadette de la Rochère, division Conditions de vie des ménages et Emmanuel Massé, Unité méthodes statistiques, Insee Au cours d'une semaine du mois de janvier 2001, en France métropolitaine, 86 500 adultes ont fréquenté au moins une fois, soit un service d'hébergement soit une distribution de repas chauds. Parmi ces usagers des services d'aide, 63 500 étaient privés d'un domicile propre ; 16 000 enfants de moins de 18 ans les accompagnaient. Pour estimer le nombre de sans-domicile usagers des services d'aide, il faut également ajouter quelque 6 500 personnes logées dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), les centres provisoires d'hébergement (CPH) et les centres de transit. Au-delà de ces chiffres globaux, l'étude s'intéresse aux conditions de vie des adultes francophones sans domicile usagers des services d'aide des agglomérations de plus de 20 000 habitants. Parmi ceux-ci, la veille du jour où ils ont été interviewés, 22% avaient dormi dans des lieux non prévus pour l'habitation (rue, gare, centre commercial, voiture, cage d'escalier) ou dans des centres qu'ils avaient dû quitter le matin, 36% avaient été accueillis en chambres individuelles ou collectives dans des établissements accessibles en journée, 5% hébergés en chambres d'hôtel et 37% dans des logements dépendant d'associations ou d'organismes publics. Les conditions d'existence de ces sans-domicile sont très diverses mais ils partagent des difficultés similaires et aucun ne dispose d'un lieu de vie personnel de manière durable. En janvier 2001, plus de 2 000 structures en France métropolitaine ont distribué des repas chauds ou fourni un hébergement gratuit ou à faible participation ( encadré 1). Elles sont particulièrement présentes dans les grandes villes. Ainsi, dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, on compte une place d'hébergement occupée pour 550 habitants contre seulement une place pour 825 dans les agglomérations de 20 000 à 100 000 habitants. Au cours d'une nuit moyenne de janvier 2001, 54 000 places d'hébergement étaient occupées par des personnes de 18 ans ou plus. Chaque jour, 28 400 repas chauds étaient servis à des adultes à midi et 31 300 le soir. A midi, la moitié des repas étaient servis dans des centres d'hébergement et l'autre dans des distributions gratuites. Par contre, le soir, près des trois quarts des repas étaient servis dans des centres d'hébergement. Qui sont les usagers de ces services d'aide en janvier 2001 ? Certains usagers fréquentent les services de manière régulière, d'autres de façon plus épisodique. Ainsi, une semaine moyenne du mois de janvier 2001, 86 500 personnes différentes, âgées de 18 ans ou plus, ont eu recours, au moins une fois, à un service d'hébergement (hors CADA, CPH et centres de transit) ou à une distribution de repas chauds. La population des utilisateurs est relativement stable sur une courte période, les usagers occasionnels étant peu nombreux : 6 usagers sur 10 font appel au dispositif d'aide tous les jours et 2 sur 10 y recourent 5 ou 6 jours par semaine. D'autre part, un jour donné une part importante des usagers bénéficient de plusieurs aides ; 25% des usagers recourent aux deux repas et à l'hébergement, et 16% à l'hébergement et au repas du soir servi sur place. Parmi les usagers des distributions de repas chauds, 19% n'ont pas de domicile, 37% sont logés de manière précaire par de la famille, en chambre d'hôtel ou en squatt et 37% sont locataires ou sous-locataires. D'autres résident dans des foyers-logements, sortent d'hôpital ou de prison. Le nombre d'usagers des services d'aide privés d'un domicile personnel s'élevait à 63 500 adultes une semaine du mois de janvier 2001 ; ils étaient accompagnés de 16 000 enfants dont beaucoup en bas âge (encadré 2). En tenant compte des 6 500 personnes hébergées dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), les centres provisoires d'hébergement (CPH) et les centres de transit, on peut estimer à environ 86 000 le nombre de personnes sans-domicile en France métropolitaine une semaine du mois de janvier 2001. Parmi eux, cette étude se limite aux 46 800 adultes francophones des agglomérations de plus de 20 000 habitants. Les conditions de vie des sans-domicile dans la rue ou dans des abris de fortune... En ce mois de janvier 2001, parmi les sans-domicile usagers des services, 8% dormaient dans un lieu non prévu pour l'habitation ( encadré 3). La moitié d'entre eux occupaient un lieu privé (cave, usine, voiture, cage d'escalier), dans un cas sur trois le propriétaire étant au courant, l'autre moitié dormaient dans l'espace public, dans des lieux fermés (station de métro, gare, centre commercial), ou dans des lieux ouverts (rue, jardin public). Les trois quarts des sans-abri ont la possibilité de recevoir du courrier, la plupart étant domiciliés par une association. Les personnes qui dorment dans la rue ou dans des abris de fortune peuvent connaître des modes d'hébergement alternatifs sur de courtes périodes : un tiers des sans-domicile dans la rue depuis plus d'une semaine déclarent ne pas y dormir tous les jours, ils se font héberger ponctuellement par de la famille, des amis ou recourent au dispositif d'hébergement. Mais plus du quart des personnes sans-abri la veille de l'enquête expliquent qu'elles sont arrivées trop tard au centre, qu'il était complet, ou qu'elles avaient dépassé la durée réglementaire de séjour. ... en chambre ou en dortoir dans un centre d'hébergement ... Dans les centres d'hébergement, la moitié des personnes sont admises par l'intermédiaire d'un service social, l'autre moitié arrivent de leur propre initiative ou sous la conduite des pompiers, d'une équipe de rue ou de la police. De manière générale, les sans-domicile orientés par un service social bénéficient de meilleures conditions d'hébergement. Les conditions de vie des hébergés sont très différentes selon qu'ils doivent partir ou non le matin ( tableau 1). Dans la première catégorie de centres qui accueillent 14% des sans-domicile usagers des services d'aide, le règlement intérieur oblige les hébergés à quitter le centre le matin et même parfois avant 8 heures. Souvent, ils ne sont pas sûrs de retrouver une place la nuit suivante. Dans la deuxième catégorie de centres, les résidents, qui représentent 36% des sans-domicile aidés, sont libres de rester dans la journée, au moins dans les parties communes, et souvent dans leur chambre. La moitié des hébergés dispose d'une chambre individuelle INSEE PREMIERE INSEE - 18, BD ADOLPHE PINARD - PARIS CEDEX 14 - TÉL. : 33 (1) 41 17 50 50 Encadré 1 Les organismes retenus dans le champ de l'étude Les services d'hébergement comprennent : - les Centres d'Hébergement et de Réadaptation Sociale (CHRS) assurant un hébergement (financement par l'Aide Sociale à l'Hébergement, relevant de l'État) ; - les centres maternels (financement par l'Aide Sociale à l'Enfance, relevant des Conseils Généraux) ; - les hôtels sociaux ; - les centres associatifs ou communaux non conventionnés à l'aide sociale ; - les places réservées à l'urgence dans des structures telles que les foyers de jeunes travailleurs ou les foyers de travailleurs migrants, les résidences sociales ; - les chambres d'hôtel louées par des associations ou des organismes publics ; - les communautés de travail. Les distributions de repas chauds L'aide alimentaire se présente sous deux formes : la distribution de colis alimentaires d'une part et de repas chauds d'autre part. Les repas chauds désignent les repas consommables sur place soit dans des locaux spécialement conçus pour la restauration soit dans la rue, la nourriture étant transportée en camionnette. L'étude ne retient que les distributions de repas chauds car les colis alimentaires, qui représentent la grande majorité de l'aide alimentaire distribuée, sont principalement utilisés par des personnes disposant d'un logement ordinaire. Encadré 2 Comment a-t-on défini la situation de sans-domicile ? Une personne est dite sans-domicile un jour donné si la nuit précédente elle a été dans l'une ou l'autre des deux situations suivantes : soit elle a eu recours à un service d'hébergement, soit elle a dormi dans un lieu non prévu pour l'habitation (rue, abri de fortune). Ainsi définie, la catégorie des sans-domicile est plus large que celle des sans-abri : elle inclut les personnes hébergées pour une longue durée comme les femmes résidant en centre maternel. A l'inverse, cette définition peut paraître restrictive ; elle exclut notamment les personnes sans logement et contraintes de ce fait de dormir à l'hôtel (à leurs frais) ou de se faire héberger chez des particuliers ou d'occuper un logement sans titre. Enfin cette définition n'intègre pas non plus les personnes logées dans des conditions particulières (constructions provisoires, habitations de fortune, habitations mobiles). D'après le recensement de la population de 1999, le nombre de personnes dont la chambre d'hôtel constitue la résidence principale s'élève à 51 400. Le recensement indique également que 41 400 personnes sont logées dans des habitations de fortune ou des constructions provisoires comme par exemple des baraques de chantiers, des caravanes immobilisées, des cabanes aménagées, des locaux agricoles reconvertis en habitation. Ces lieux d'habitation sont considérés comme des logements dans les enquêtes habituelles de l'Insee. Enfin, le nombre de personnes logées en habitation mobile s'élève à 129 000, ce sont principalement des gens du voyage. Par ailleurs, d'après l'Enquête Logement de 1996-1997, on peut estimer à 80 000 le nombre de personnes de 17 à 60 ans en situation d'hébergement contraint dans un logement, sans être ni descendants ni ascendants de la personne de référence du ménage ou de son conjoint. Enfin, on ne connaît pas au plan national le nombre de personnes qui habitent contre un sur sept seulement dans les centres que l'on doit quitter le matin. Tous peuvent laisser leurs affaires et une grande majorité peuvent recevoir des visites. En contrepartie, dans ces centres, les résidents sont souvent mis à contribution. On leur demande de participer financièrement aux frais d'hébergement (six sur dix) et/ou d'aider à la cuisine, au ménage ou à l'entretien (quatre sur dix). ... dans un logement ou une chambre d'hôtel mis à disposition par un centre ou une association L'hébergement en studio ou en appartement concerne 37 % des sans-domicile usagers des services d'aide. Un quart des logements sont intégrés dans des structures collectives, les autres sont situés non loin du centre de rattachement ou de l'association dont ils dépendent. Les personnes hébergées en logement bénéficient d'un confort normal. Elles sont même souvent mieux logées que les usagers des distributions de repas chauds qui résident dans leur propre logement, chez des particuliers ou dans un logement sans titre d'occupation. Par ailleurs, 5% des sans-domicile sont hébergés à l'hôtel. Enfin, de nombreux sans-domicile participent de manière régulière aux frais d'hébergement : 30 % de ceux qui sont à l'hôtel, 80%de ceux qui vivent en appartement. Une fois sur deux, leur contribution dépasse 90 euros (600 francs) par mois. Les personnes accompagnées d'enfants sont en général hébergées dans des structures qui leur permettent d'avoir une vie familiale. Les trois quarts sont en appartements et les autres dans des centres où elles peuvent rester durant la journée. L'absence de chez-soi et la précarité des conditions de vie Les personnes sans-domicile utilisatrices des services d'aide ne disposent d'aucun lieu de vie qui leur appartienne en propre. La précarité de leur situation et l'incertitude qui en découle sont bien traduites dans le langage courant par l'expression sans-domicile-fixe. L'incertitude est poussée à l'extrême pour les sans-abri qui peuvent être délogés d'une nuit à l'autre voire interrompus dans leur sommeil mais également pour les hébergés pour qui la durée de séjour est limitée. Pour certains, l'incertitude s'applique également aux nécessités élémentaires comme le fait de se nourrir, se tenir au chaud pendant la journée, se vêtir ou se laver. La moitié des personnes qui dorment dans un lieu non prévu pour l'habitation ou dans un centre fermé la journée se sont rendues dans un accueil de jour dans le mois précédent et un tiers se sont procurés des vêtements dans un vestiaire ( tableau 2). Sources L'enquête a bénéficié de la participation financière et des conseils de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion, du ministère de l'Emploi et de la solidarité, du ministère de l'Équipement et du logement, de l'Institut national d'études démographiques, de la Caisse nationale d'allocations familiales et du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale. Les représentants d'une cinquantaine d'associations et d'organismes publics ont été consultés au cours de cette préparation. La méthodologie de l'enquête s'est appuyée sur les travaux de l'Institut national d'études démographiques (1995 et 1998) et sur ceux du Bureau du census américain (1996). La collecte a été réalisée du 15 janvier au 15 février 2001 auprès d'un échantillon de 4 109 utilisateurs de services d'hébergement ou de distribution de repas chauds dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants. En amont de l'enquête, un recensement des services d'hébergement et des distributions de repas chauds a été effectué dans 80 agglomérations de plus de 20 000 habitants, et dans 80 agglomérations de 5 000 à 20 000 habitants tirées au sort. Pour les petites agglomérations de moins de 5 000 habitants et pour les communes rurales, on s'est servi du recensement de la population de 1999 (recensement des centres d'hébergement). Les résultats de l'enquête auprès des usagers, effectuée dans les seules agglomérations de plus de 20 000 habitants, ont pu ainsi être extrapolés à l'ensemble du territoire métropolitain. Il en ressort que les agglomérations de plus de 20 000 habitants regroupent 85 % des prestations. On compte 61 700 francophones usagers des services d'hébergement et des distributions de repas chauds dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, dont 46 800 usagers sans domicile. Les usagers non francophones représentent 14% de l'ensemble de ces usagers. Bibliographie , " Les sans-domicile usagers des services d'hébergement ou des distributions de repas chauds ", Brousse C., de la Rochère B., Massé E. in, Les travaux de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, La Documentation française, février 2002 ( à paraître). " Le classement des situations de logement : les sans-domicile dans des nomenclatures générales ", Clanché F., Sociétés Contemporaines, n°30, avril 1998. " Le confort des logements dessine aussi l'espace social ", Clanché F., Économie et statistique, n°288-289, Insee. " La rue et le foyer ", Marpsat M., Travaux et Documentsn°144, Ined 2000. " Un avantage sous contrainte, le risque moindre pour les femmes de se retrouver à la rue ", Firdion J-. M. Marpsat M., Population n°54 Ined, 1999. " Le classement des sans-abri ", Soulié C., in Actes de la recherche en sciences sociales, n°118, juin 1997. " Hébergement social : environ 35 000 adultes et enfants sans logement sont hébergés en établissement ", Woitrain E., Etudes et Résultats, n° 10, Drees, mars 1999 . " Pour une meilleure connaissance des sans-abri et de l'exclusion du logement ", rapport final du groupe de travail sur les sansabri, rapport du Cnis n°29, mars 1996. " Helping America's homeless ", Martha Burt - Alii, Urban-Institute, 2001. " En quête du chiffre : trois décennies d'estimations du nombre de SDF dans la presse ", Recherches et Prévisions, n° 60, Cnaf, 2000 . Encadré 3 Les limites de l'étude auprès des usagers des services d'hébergement et des distributions de repas chauds Tous les sans-domicile qui dormaient dans la rue ou dans des abris de fortune (gare, centre commercial, cage d'escalier, voiture) en janvier 2001 n'ont pas été pris en compte par la présente étude ; en premier lieu, ceux qui ont dû passer une courte période de temps dans la rue sans avoir à faire appel au réseau d'aide. Ainsi, les personnes contraintes de dormir une nuit dans la rue, par exemple à la suite de violences conjugales, n'ont pas été comptées dans l'étude. L'enquête n'a pas non plus atteint les sans-domicile ayant séjourné dans la rue plusieurs jours durant le mois de janvier 2001 sans jamais faire appel à un centre d'hébergement ou à une distribution de repas chauds faute d'en connaître l'existence ou par choix. Ces personnes survivent avec des moyens de subsistance divers : revenus procurés par la "manche" ou des petits boulots occasionnels, soutien des habitants du quartier, nourriture glanée sur les marchés, produits donnés par les commerçants, prestations sociales. Enfin, l'étude manque les sans-domicile présents dans les agglomérations dépourvues de services d'hébergement et de distributions de repas chauds. Il s'agit principalement d'agglomérations de petite taille dans lesquelles on peut supposer que la précarité résidentielle conduit à résider dans des constructions provisoires ou des habitations de fortune transformées en logement (bâtiments agricoles, baraques de chantier, caravanes immobilisées) plutôt que dans des lieux publics ou des abris de fortune. D'après le recensement, en 1999, dans les communes rurales et les agglomérations de moins de 20 000 habitants, le nombre de personnes résidant dans ce type de logements s'élevait à 24 000. Une étude méthodologique complémentaire, réalisée par l'Ined en collaboration avec l'Insee, tente d'évaluer, par d'autres méthodes, la part des personnes sans-domicile qui n'ont pas de contact avec les services d'hébergement et de restauration.