Nous nous sentions aimés par elle ; quels que soient nos âges ou la distance. Elle nous aimait avec intelligence et sans abnégation demeurant elle-même dépourvue de cette amertume qui s'infiltre parfois dans les âmes trop dévouées qui brûlent leur existence au feu des autres. Il lui arrivait pourtant de s'effacer pour un temps, de reculer, d'abandonner l'avant-scène qu'elle occupait avec éclat et assurance pour céder place à quelqu'un de son choix. Elle jouait alors pour un temps, les seconds rôles, exaltait – exagérément parfois les qualités de celle ou de celui qu'elle décidait de placer sous les feux de la rampe. Un week-end d'été au Touquet, nous nous étions rejointes sans famille, ni gouvernante, je ne sais plus en quelle circonstance. J'avais 16 ans. Un jeune Anglais d'une trentaine d'années aussi laid que Woody Allen, mais qui n'en possédait ni le charme, ni la vivacité, me faisait une cour discrète. Malingre, à lunettes, avec son visage de fouine il n'avait rien pour me plaire. Beaucoup trop âgé à mon goût et la beauté de mes parents me rendait exigeante. Je cherchais à le fuir. Ma mère devait penser qu'un mariage en pays étranger résoudrait mes problèmes et les siens, ceux que poseraient bientôt mon retour en Egypte. Elle lui avait aussi sans doute découvert des qualités cachées. - Tu lui plais beaucoup, me dit-elle. - Il ne me plaît pas du tout ! Mais du tout. Elle éclata de rire et il n'en fut jamais plus question.