Antoine d'Ourville
Les Fausses Vérités. Comédie

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Antoine d'Ourville

1643

Les Fausses Vérités. Comédie

Édition de Farida María Höfer y Tuñón
sous la direction de Georges Forestier
2015
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2015, license cc.
Source : Les Fausses Veritez, Comédie, par Mr. d'Ouville, à Paris, Chez Toussainct Quinet, au Palais dans la petite Salle, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. XLIII. Avec privilège du Roy.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Les Fausses Vérités
Comédie. §

Extraict du Privilege du Roy. §

PAR grace & Privilege du Roy donné à Paris le 21. de Juillet 1642. Signé par le Roy en son Conseil, LE BRUN, Il est permis à Toussaincts Quinet, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer vendre & distribuer une piece de Theatre intitulée Les Fausses Veritez, Comedie du sieur Douville, & ce durant le temps de cinq ans, à compter du jour que ladite piece sera achevée d’imprimer, & deffenses sont faites à tous Imprimeurs & Libraires d’en imprimer vendre & distribuer d’autre impression que de celle dudit Quinet, ou ses ayans causes, sur peine aux contrevenans de trois mille livres d’amende, confiscation des exemplaires & de tous despens dommages & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites lettres qui sont en vertu du present extraict tenus pour bien & deuement signifiées.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le vingt-

huictiesme Janvier 1643.

PERSONNAGES. §

  • FLORIMONDE. Damoiselle Parisienne, Amoureuse de Lidamant, & sœur de Leandre.
  • NERINE. Suivante de Florimonde.
  • LIDAMANT. Gentilhomme de Languedoc, amy de Leandre, Amoureux de Florimonde.
  • LEANDRE. Amy de Lidamant, frere de Florimonde, & Amoureux d’Orasie.
  • ORASIE. Damoiselle Parisienne, fille de Tomire, & Amoureuse de Leandre.
  • JULIE. Suivante d’Orasie.
  • TOMIRE. Vieillard, Pere d’Orasie.
  • FABRICE. Serviteur de Lidamant.
  • LISIS. Serviteur de Tomire.
La SCENE est à Paris.
{p. 1}

ACTE I. §

Scene première §

FLORIMONDE, NERINE, dans leur Chambre qui viennent de dehors.

FLORIMONDE.

Je n’en puis plus Nerine, Ah Dieux que je suis lasse
Laisse moy reposer.

NERINE.

Mais dites-moy de grace
Quel plaisir vous prenez à vous lasser ainsi.
Ce que vous cherchez loin l’avez vous pas icy,
5 Pourquoy tous les matins resver aux Tuilleries {p. 2}
Ne sçauriez vous passer ailleurs vos resveries ?
Encor venir à pied.

FLORIMONDE.

Demandes tu pourquoy ?
En sçais tu pas la cause aussi bien comme moy ?
Nerine ignores tu le suject de ma flamme ?

NERINE.

10 Non vous m’avez ouvert le secret de vostre ame.
Vous aimez Lidamant, mais Dieux qu’est-il besoin
L'ayant logé chez vous de le chercher si loin
Il a chez vostre frere estably sa demeure,
Où vous pouvez vous voir & parler à toute heure.

FLORIMONDE.

15 Las si j’en suis connuë, il faut absolument
Me resoudre à mesme heure à perdre cét Amant,

NERINE.

Parlez luy franchement, & luy faites entendre
Que vous estes la sœur de son Amy Leandre,
Quand vous luy deffendrez je le tiens si discret,
20 Qu'il ne voudra pour rien reveler ce secret.

FLORIMONDE.

{p. 3}
Tu ne sçais pas encor, & c’est ce qui m’afflige
Jusqu’à quel point d’honneur l’amitié nous oblige.
C'est un lien trop fort, je sçay que Lidamant
Est plus parfaict Amy qu’il n’est fidelle Amant.
25 Son amitié Nerine est pure & trop sincere
Pour me vouloir servir au deceu de mon frere ;

NERINE.

Il ne vous aime point, ou n’aime qu’à demy
S'il veut à son amour preferer son Amy,
Pourquoy Leandre encor vous deffend il sa veuë ?

FLORIMONDE.

30 Je n’en sçay rien Nerine, & c’est ce qui me tuë,
Il dit pour s’excuser qu’il y va de l’honneur,
Mais j’en donne la cause à sa jalouse humeur,
La moindre opinion cause ces resveries,
Je le voy cependant tousjours aux Tuilleries,
35 Et là nous nous donnons rendez vous tout les jours.
C'est dans ce lieu charmant que sont nais nos amours
Et cette passion est si grande & si forte
Que c’est chere Nerine un torrent qui m’emporte.

NERINE.

Madame il m’a semblé que jusques à ce jour
40 Avec plus de respect il a traitté l’amour,
Je ne vous suivois point de peur de vous deplaire, {p. 4}
Mais il a ce matin paru plus temeraire,
Tous vos commandemens ont esté superflus.

FLORIMONDE.

Je le puniray bien en n’y retournant plus.
45 Sa curiosité me cousteroit la vie,
Il meurt de me connoistre, & m’a tantost suivie
Si prez de mon logis que peu s’en est falu
Qu'il ne l’aict descouvert.

NERINE.

Vous avez resolu
De ne le voir donc plus ?

FLORIMONDE.

Ah chere confidente
50 Mon amour est trop grand, ma flame est trop ardante,
Quoy ! que je peusse vivre, & jamais ne le voir ?
Crois tu qu’en le voulant j’en eusse le pouvoir,
Non il est trop aimable, il a trop de merite.
Mais mon frere est levé, tachons par ma visite,
55 D'empescher le soupçon qu’il pourroit bien avoir,
Que je viens de dehors.

NERINE.

Quelqu’un vient pour le voir
Il entre j’oy du bruit.

FLORIMONDE.

{p. 5}
Dieux j’estois attrapée,
C'est Lidamant sans doute, ou je suis bien trompée.
Cette porte respond dans son appartement
60 Comme tu le sçais bien, & fort facilement
J'entends tous leurs discours quand ils parlent ensemble.
Escoutons les Nerine, Aujourd’huy ce me semble,
Ou je me trompe fort, on parlera de nous.

Scene II. §

LIDAMANT, LEANDRE, dans la Chambre de Lidamant, & Florimonde & Nerine dans la leur les escoutant.

LIDAMANT.

Comment ? desja levé ?

LEANDRE.

Vous en estonnez vous ?
65 Estonnez vous plustost qu’avec tant de tristesse
Je ne succombe point au tourment qui m’oppresse
Comme je puis durer un quart d’heure en repos,
Voyant que mon esprit s’esgare à tout propos ,
Mais vous libre d’humeur quel suject vous oblige,
70 D'estre si matinal ?

LIDAMANT.

{p. 6}
Un tourment qui m’afflige
Une rare beauté me met en tel soucy
Que je n’en puis dormir.

LEANDRE.

Quoy vous aymez aussy ?

LIDAMANT.

C'est trop peu dire aymer, j’adore une merveille.

LEANDRE.

Pour recevoir de vous une faveur pareille,
75 Je vous veux raconter comme je vous ay dit,
Le suject qui me rend tellement interdit.

LIDAMANT.

Vous m’obligerez fort.

FLORIMONDE bas à Nerine.

Escoute icy Nerine
On parlera de nous.

LEANDRE.

Une beauté divine,
Un object plus qu’humain m’a desrobé le cœur,
80 Je ne vous diray point le nom de mon vainqueur.
Je vous veux taire aussi qu’en servant cette belle,
Moins Amoureux qu’aymé, les faveurs* que j’eus d’elle,
Et tout ce que l’honneur m’en pouvoit obtenir ; {p. 7}
Car je veux les perdant perdre le souvenir.
85 Je diray seulement qu’elle estoit satisfaite,
Que pour elle j’avois une amour tres parfaite,
Et qu’ainsi j’esperois sans trop de vanité
En possedant un jour cette rare beauté
De jouir des douceurs que donne l’Hymenée ;
90 Mais comme* j’attendois cette heureuse journée
Ayant le vent en pouppe en cette mer d’Amour,
Un orage survint qui troubla ce beau jour,
Et me mit au danger d’un perilleux nauffrage,
Au milieu de mon ayse, une peste, une rage,
95 Une jalouse humeur pour me combler d’ennuis*
M'a reduit miserable, en l’estat où je suis.
Ne croyez pas pourtant parlant de jalousie,
Que mon ame jamais en ait esté saisie ;
Non de ce trait perçant mon cœur n’est point blessé
100 C'est moy qui l’ay donnée, Ah Dieux qui l’eust pensé,
Que cette passion fust cent fois plus aysée
A souffrir quand on l’a que quand on l’a causée.
Une certaine Iris, à qui j’ay faict la Cour,
Croyant que je l’aymois d’un veritable Amour,
105 Que pour tout autre object mon cœur estoit de glace,
M'a causé depuis peu cette estrange disgrace,
Ayant sçeu par malheur cette inclination,
Voyant que je bravois ainsi sa passion,
Pour se vanger de moy cette Iris trop cruelle {p. 8}
110 M'a peint à ma maistresse inconstant infidelle,
Et par quelques escrits qu’elle a montrez de moy,
Elle a faict qu’Orasie a douté de ma foy,
Et dedans cette erreur a faict que l’inhumaine
A pour moy converty tout son amour en haine,
115 Et m’a par ces mespris mis en tel desespoir
Que je n’ose esperer seulement de la voir,
Pour la desabuser de sa creance veine,
Me sentant innocent jugez qu’elle est ma peine.

LIDAMANT.

Je plaindrois vostre mal si vous estiez jaloux,
120 Mais non pas de sçavoir que l’on le soit de vous,
Trouvant entre les deux la difference mesme
Qu'endurer en aimant, ou souffrir qu’on nous aime.
Oyant nommer ce mot, vous m’avez faict trembler
Et ne sçavois comment vous pouvoir consoler,
125 Mais de cette façon vous estes consolable,
Il n’est point entre Amants de passetemps semblable
Que de faire parfois la guerre tout expres,
Afin d’avoir sujet de s’accorder apres.
Allez voir cette Dame en effect trop credulle,
130 Et tenez pour certain quoy qu’elle dissimule,
Puis que vous tesmoignez qu’elle a l’esprit jaloux,
Qu'elle est sans doute en peine encore plus que vous.

LEANDRE.

{p. 9}
Je ne crois en cecy que ce que j’en doy faire,
Parlez à vostre tour, contez moy vostre histoire.

LIDAMANT.

135 J'ayme, & je ne sçay qui, C'est vous dire en deux mots,
Le suject qui me trouble, & m’oste le repos.
Le jour que j’arrivé, remply de resveries
Je m’allé promener dedans les Tuilleries,
Là de tous les objects je vy le plus charmant,
140 Qui jettant l’œil sur moy, Lidamant Lidamant,
Dit elle approchez vous, j’ay deux mots à vous dire.
Jugez de ma surprise, ah beauté que j’admire,
Luy dis-je, trop heureux est vrayment l’estranger,
Qui par un tel object se sent tant obliger,
145 Dont le nom est cogneu d’une telle merveille :
Elle se mit à rire, & me dit à l’oreille :
Un tel homme que vous, (si j’en sçay bien juger)
Ne peut en aucun lieu passer pour estranger.
Je ne vous diray point son accueil, ses caresses,
150 Qui marquerent sa flamme avec mille tendresses,
Je vous tay par respect l’honneur qu’elle me fit,
Et vous doy taire aussy tout ce qu’elle me dit,
Car un homme est trop vain, & merite du blame,
De vanter les faveurs* qu’il reçoit d’une Dame.

NERINE bas à Florimonde.

{p. 10}
155 Madame, c’est de nous qu’il parle asseurement.

FLORIMONDE bas.

Justes Dieux qui pourroit advertir Lidamant.
Ah ! qu’il m’obligeroit à present de se taire,
Il pourroit bien donner du soubson à mon frere.

LEANDRE.

Le succez* est estrange.

LIDAMANT.

Enfin nous nous donnons
160 Rendez vous au lieu mesme, & nous nous y trouvons,
Tous les jours au matin, & ce qui plus m’estonne,
C'est qu’elle me deffend de le dire à personne,
Et mesme ne veut pas que je sçache son nom,
Ny que j’aille apres elle apprendre sa maison.
165 Aujourd’huy toutesfois, il m’en a pris envie,
Et rompant tout respect je l’ay tantost suivie,
Nonobstant sa deffence & malgré mon devoir,
Mais un salut forcé m’a privé de la voir,
En gagnant cette ruë où cette belle adroitte
170 A mon œil curieux c’est finement soustraitte.

LEANDRE.

Comment en cette rue.

LIDAMANT.

{p. 11}
Ouy tout proche d’icy.

LEANDRE.

Cét accident* m’estonne, & me met en soucy
Ne pouvant soubsonner du tout qui ce peut estre.

LIDAMANT.

M'ayant dit plusieurs fois qu’en la voulant cognoistre,
175 Je mettois en hazard sa vie & mon honneur.

Scene III. §

Julie, Leandre, Florimonde, Lidamant,

JULIE à Leandre.

Une fille en secret pourra-t’elle Monsieur
Vous dire icy deux mots ?

LEANDRE bas à Lidamant.

Que j’ay l’ame contente,
Escoute cher Amy, c’est icy la suivante,
De ce charmant object dont je vous discourois.
180 Nous pourrons escouter le reste une autre fois,
Vous me permetrez bien de parler avec elle,
Sans doute elle m’apporte une heureuse nouvelle.

FLORIMONDE bas.

{p. 12}
Femme qui que tu sois, que tu viens à propos,
Mais un Ange plustost venu pour mon repos.

LIDAMANT.

185 Voyez si vous devez une autre fois me croire ?
Nous avons trop de temps pour achever l’histoire,
Regardez si j’ay tort de vouloir presumer
Que je suis bien sçavant en matiere d’aimer.

Scene IV. §

LEANDRE, JULIE,

LEANDRE.

Qui t’amène Julie ? As tu quelque nouvelle ?
190 Respons moy promptement que faict cette cruelle ?
M'apportes tu la vie, ou l’arrest de ma mort ?

JULIE.

Vous ne sçauriez vous plaindre, ou vous auriez grand tort.
Leandre si j’osois prendre la hardiesse
Je vous verrois souvent, mais quoy si ma maistresse
195 Sçavoit que j’en eusse eu seulement le dessein, {p. 13}
Je crois que je mourrois à l’heure de sa main.

LEANDRE.

Rien ne peut donc fleschir l’excez de sa colere ?

JULIE.

M'envoyant icy pres pour un certain affaire
Je n’ay peu m’empescher de venir m’informer,
200 Comment vous vous portez.

LEANDRE.

Oses-tu presumer,
Que je me porte bien dans le mal-heur extréme
Où m’a reduit l’orgueil de l’ingrate que j’ayme,
Va, si tu veux sçavoir en quel estat je suis,
Sçache-le du suject qui cause mes ennuis* ;
205 Mais que fait cét object de mon inquietude ?

JULIE.

Sans cesse elle se plaint de vostre ingratitude.

LEANDRE.

De mon ingratitude ? Ah Julie entens-moy,
Si j’ay manqué pour elle, ou d’Amour ou de Foy,
Si l’on me peut prouver que je l’aye offencée,
210 D'effect ce seroit trop, de la moindre pensée ,
Que je sois execrable aux races à venir, {p. 14}
Et que la foudre éclatte icy pour me punir.

JULIE.

Si vous avez desir que ce discours la touche
Que ne luy dites-vous ?

LEANDRE.

Dieux, elle est si farouche
215 Que ce seroit en vain à moy de le tenter
Puis qu’elle ne veut pas me voir, ny m’escouter.

JULIE.

Si vous estiez secret, je pourrois entreprendre
De vous mener chez elle & de vous faire entendre,
Mais j’apprehende trop.

LEANDRE.

Je te jure & promets
220 De te tenir parole, & n’en parler jamais,
Faisant cela pour moy, tu me donnes la vie.

JULIE.

Je puis bien contenter vostre Amoureuse envie,
Je crains mais je vous veux servir en ce besoing,
Sur tout dissimulez, & me suivez de loing
225 Attendez à la porte, & je vous feray signe
Si son pere est sorty. {p. 15}

LEANDRE.

Cette faveur insigne,
Ne sçauroit se payer qu’en expirant pour toy.

JULIE.

Ne tardez pas, venez tout à l’heure apres moy.

LEANDRE.

Va, marche, je te suis.

JULIE.

Il faut bien peu d’adresse,
230 Pour tromper un amant espris d’une maistresse.
{p. 16}

Scene V. §

FLORIMONDE, NERINE dans leur Chambre.

FLORIMONDE,

Dieux que j’apprehendois qu’en contant ses Amours
Lidamant ne poussast trop avant un discours,
Qui sans doute eust donné du soubson à mon frere.

NERINE.

Quand ils se reverront ne se peut-il pas faire
235 Qu'ils paracheveront le discours commencé ?

FLORIMONDE.

S'il m’arrive en effect comme je l’ay pensé
J'y remedieray bien, il me luy faut escrire,
Que je luy veux parler, je sçay qu’il le desire,
Mais il faut sans manquer que ce soit au jourd’huy.

NERINE.

240 Le moyen de le voir, & de parler à luy ?

FLORIMONDE.

{p. 17}
Amour m’en fournira je vay voir Orazie,
Qui peut sur ce suject seconder mon envie,
Je sçay bien qu’elle m’aime, il faut au pis aller
Luy descouvrir le feu dont je me sens brusler,
245 Nerine par un art le plus joly du monde
Je faindray qui je suis : mais tay toy Florimonde,
N'en dy pas davantage, allons n’en parlons plus.

Scene VI. §

ORASIE seule dans sa Chambre.
Dieux, peux tu vivre encor, Miserable Orazie ?
Quand verray je la fin de cette jalousie,
250 Qui fait dessus mon cœur de si cruels efforts
Que je sens sans mourir tous les jours mille morts ?
Que n’ai-je avant le jour que tu me vins surprendre
Recogneu ton Esprit infidelle Leandre ?
Va cherir ton Iris, languy dans ses appas*,
255 Adore la cruel, mais ne me brave pas,
Ne peux tu sur mon cœur emporter la victoire
Sans t’en vanter ingrat, & sans en faire gloire ?
Ma Julie as tu veu cét infidelle Amant !

Scene VII. §

{p. 18}
Julie, Leandre, Orazie.

JULIE.

Ouy j’ay jouë mon rolle assez adroittement.
260 Leandre m’a suivie, il attend à la porte
Madame, entrera-t’il.

ORAZIE.

Mais que ce soit en sorte
Qu'il ne soubsonne pas.

JULIE

Je vous entends fort bien.
Ay-je si peu d’esprit ? n’ayez crainte de rien,
Je sçay fort bien conduire une Amoureuse ruze.

ORAZIE seule.

265 Va tost. Voyons comment ce volage s’excuse,
Encore qu’on* nous mente en telles actions,
Nous desirons avoir des satisfactions.
Qu'elle soit vraye, ou fausse, elle aura de la grace,
Et j’auray le plaisir du moins qu’il me la face.
270 Pourveu que je le voye & soumis, & rendu,
Je croiray tout gagner quoy que j’aie tout perdu.

JULIE à la porte avec Leandre.

{p. 19}
Elle est seulle au logis l’occasion est belle.

LEANDRE.

Va, je recognoistray* ce service fidelle.

JULIE.

Madame nous entend & pourroit m’accuser,
275 Aidez moy donc à feindre afin de m’excuser,
Quoy malgré moy me suivre ? he Dieux où va Leandre,
Quelle temeritê, qu’allez vous entreprendre.

ORAZIE.

Quel bruit entens-je icy, quoy Leandre chez moy,
Tu l’introduits Julie, je ne m’en prens qu’à toy.

JULIE.

280 Madame, il m’a contrainte.

LEANDRE.

A moy seul est l’offence.
N'accusez pas encore à tort son innocence.

ORAZIE.

J'ay fait tort à la vostre, & mon cœur s’est mespris
Aux soubsons de l’Amour & des faveurs* d’Iris,
Vous n’avez jamais eu cheveux ny lettres d’elle,
285 Vous estes demeuré pour moy tousjours fidelle,
Vous n’avez jamais fait le vain de mes faveurs*, {p. 20}
Vos visites jamais n’ont marqué vos ferveurs,
Vous n’avez point écrit à cette belle Dame
Je suis cruelle, injuste à grand tort je vous blasme.
290 Leandre est-il pas vray que je me trompe fort
Et que je persecute un innocent à tort,
Vous n’avez contre moy commis aucune offence,
Et je me prens encore à la mesme innocence,
Me mesprisant ainsi, pourquoy me cherchez vous ?
295 Que voulez vous de moy.

LEANDRE.

Moderez ce courroux*,
Et je vous feray voir, adorable Orazie,
L'injuste fondement de vostre jalousie,
Que vos soupsons sont faux.

ORAZIE.

Dieux quelle vanité,
Moy jalouse de vous !

LEANDRE.

Qu'avez vous donc esté.

ORAZIE.

300 En colere de voir une inconstance telle
En un qui fait pour moy l’Amant & le fidelle,
Puis qu’Iris en effect vous plaisoit plus que moy
Qui vous portoit perfide à m’engager la foy,
Quelle gloire avez vous de m’avoir abusée.
305 Amour ne m’a peu voir plus long-temps mesprisée,
Il m’a tout faict cognoistre, ingrat j’ay trop appris. {p. 21}
Comme il faict l’interdit, comme il faict le surpris,
Sortez d’icy perfide, allez esprit volage.
Je ne puis vous aimer ny vous voir davantage.

LEANDRE.

310 Pour me justifier je ne veux qu’un moment.
Madame escoutez moy.

ORAZIE,

Vois tu des-ja comment
Avant que de parler & former son excuse
Son sang monté du cœur au visage l’accuse.

LEANDRE.

Escoutez moy de grace.

ORAZIE.

He bien que direz vous.

LEANDRE.

315 Ce qui de vostre esprit calmera le courroux*.

ORAZIE.

Parlez.

LEANDRE.

Je passerois pour un menteur infame
Si je vous soustenois d’avoir esté sans flame
Pour les beautez d’Iris.

ORAZIE.

Leandre c’est assez,
Vous n’en dites que trop, quoy vous le confessez,
320 Apres un tel discours aurez vous bien l’audace {p. 22}
De vous justifier.

LEANDRE.

Escoutez moy de grace,
Si j’ay peu pour Iris souspirer quelque jour
Ce n’estoit point Madame, un veritable Amour,
Ce n’estoit qu’un essay, qu’un pur apprentissage,
325 Pour sçavoir adorer vostre parfaict langage.
Pour aimer Orazie il est vray que j’ay pris
Des leçons pour m’instruire en l’Escole d’Iris.

ORAZIE.

Dieux, que cette raison est absurde et frivole,
L'Amour pour estre instruit ne va point à l’escole,
330 Car où les volontez luy prescrivent la loy,
Il est docte en naissant, il n’apprend que de soy.
Il resveille l’esprit du plus stupide mesme,
On peut instruire autruy, si tost que l’on dit j’ayme,
L'Ecolier est le maistre, & qui prend tant de soins,
335 D'estre instruit comme vous, sans doute en sçait le moins.

LEANDRE.

Puis que par mes raisons vous me voulez confondre
Au moins permettés moy de vous pouvoir respondre,
En me donnant loisir je m’expliqueray mieux. {p. 23}
Je donne un autre exemple, un homme naist sans yeux.
340 Il entend faire cas de cét Astre qui dore
L'Univers de ses rais, que precede l’Aurore,
Quand il peut raisonner, il discourt à part soy,
Quel est cét œil brillant qu’il cognoit par la foy,
Il oit de sa beauté des loüanges si grandes
345 Qu'il l’admire en son cœur & luy faict des offrandes.
Posons qu’en une nuict pleine d’obscurité
Il ait l’heur* de jouir du bien de la Clarté,
Que le premier object qui paroist à sa véuë,
Soit une belle estoille en l’ayant apperceuë,
350 Il croit asseurement que ce brillant esclat
Est celuy dont chacun luy faisoit tant d’estat.
Mais lors que le Soleil vient en sortant de l’onde
De ses rayons dorez illuminer le Monde,
Chassant à son abord les ombres de la nuit,
355 Il voit comme aussi tost cette estoille s’enfuit
Ce qui dès là l’oblige à n’en plus faire conte,
Une estoille qui cede, & qui s’en fuit de honte,
Aussi tost que paroist un Astre plus puissant,
Peut-elle faire tort à ce Soleil naissant ?
360 Je suis en cét estat, j’estois privé de veuë,
Avant que d’avoir veu ce bel œil qui me tue,
Et comme* je cherchois si je pourrois un jour
Cognoistre quel estoit ce veritable Amour,
Je vy paroistre Iris, & je dis en moy mesme, {p. 24}
365 Voicy ce que je cherche, & ce qu’il faut que j’aime.
J'adoré sur le champ la beauté que je vy,
Je ne vy qu’une estoille, & si j’en fus ravy,
D'autre admiration mon Ame fut saisie
Quand parut à mes yeux l’adorable Orazie,
370 Qui d’un brillant esclat à cét Astre pareil
Chassa loing cette estoille au lever du Soleil.

ORAZIE.

Iris est le Soleil, moy l’estoille à ce conte
Qui paslis devant elle, & qui m’en fuy de honte,
Car vos lettres font foy que vous faites la Cour
375 A ce brillant Soleil à toute heure du jour
Et de nuit seulement vous voiez Orazie.

LEANDRE.

Madame donnez trefve à cette jalousie.
Si depuis que sur moy vous avez du pouvoir,
Je l’ay veue, ou taché seulement de la voir,
380 Que le Ciel me punisse, elle ne s’est servie
De cette trahyson que pour m’oster la vie,
Que mon cœur soit en butte à toutes vos rigueurs
Si je me suis jamais vanté de vos faveurs*
Si jamais.

ORAZIE

Taisez vous, je sçay bien le contraire,
385 On entre j’oy du bruit.

JULIE.

{p. 25}
He Dieux ! c’est vostre Pere.

ORAZIE.

Va Julie ouvre luy par l’autre appartement
Qui respond sur la ruë, Adieu parfaict Amant.
Allez voir ce Soleil qui chasse la nuict sombre
Pres duquel je ne suis qu’une estoille & qu’une ombre.

Fin du premier Acte.

{p. 26}

ACTE II. §

Scene première. §

ORASIE, FLORIMONDE, JULIE, dans la chambre d’Orasie.

ORASIE.

390 Vous me rendez Madame, aujourd’huy glorieuse,
Vous m’honorez par trop.

FLORIMONDE.

Dieux que je suis heureuse
De vous trouver icy, comment va la santé ?

ORAZIE.

Je me dois bien porter, puis que j’ay merité
De recevoir l’honneur d’une telle visite.

FLORIMONDE.

395 Trefve de complimens, avant que je vous quitte
Vous direz que de vous j’use trop librement.

ORASIE.

Vous avez tout pouvoir, parlez moy franchement.
Mais seyons nous devant*.

FLORIMONDE.

{p. 27}
Oyez doncques Madame,
Je vous veux descouvrir tout ce que j’ay dans l’ame
400 Vous estes genereuse, & je puis que je croy*
Vous fier un secret,

ORASIE.

Reposez vous sur moy.

FLORIMONDE.

Sommes nous seules ?

ORASIE.

Ouy, va t’en là-bas Julie.

FLORIMONDE la retenant.

Non demeurez icy.

ORASIE.

Parlez je vous supplie,

FLORIMONDE.

J'aime, & du trait d’Amour mon cœur est si touché
405 A ce mot je rougis, mais quoy je l’ay laché,

ORASIE.

Vous en dites assez, je vous plains, sans vous plaindre,
Avec tant de merite avez vous rien à craindre ?
Est-il homme icy bas qui ne soit glorieux,
De souspirer pour vous, en servant vos beaux yeux.
410 Mais me ferez vous point la faveur de me dire {p. 28}
Quel est ce doux vainqueur, qui vous tient en martyre ?

FLORIMONDE.

Mon frere a faict venir depuis cinq ou six jours
Chez luy ce cher object de mes chastes Amours.
Mais il me fit sur l’heure une expresse deffence,
415 De paroistre chez luy du tout en sa presence,
Disant qu’il importoit pour certaine raison
Qu'il seust qu’il se tenoit tout seul dans sa maison.
Avec cette deffence il m’augmenta l’envie,
De le voir fusse mesme aux despens de ma vie.
420 Apres que je l’eus veu, je luy voulus parler,
Ayant sçeu son dessein, & qu’il devoit aller
Se divertir sur l’heure en une promenade,
J'y fus, & le trouvant prés d’une pallissade
Je rendy de tout point confuse sa raison,
425 Alors qu’il s’entendit apeller par son nom,
Bref de son entretien je fus si satisfaitte,
Que cela de tout point acheva ma deffaitte.
Je l’y voy tous les jours, mais il est en soucy,
De cognoistre mon nom & mon logis aussi.
430 N'ayant peu jusqu’icy refrener cette envie.
En dépit que j’en eusse, il m’a tantost suivie
Et me suis finement derobée à ses yeux ,
Au point qu’il contentoit son desir curieux,
Mais comme à tous momens il est avec mon frere {p. 29}
435 J'ay peur qu’il ne descouvre à la fin ce mistere,
Aydez moy chere amie en cette extremité,
J'ay bien dans mon esprit un moyen inventé,
Qui de ma defiance est l’asseuré remede
Mais quoy je ne le puis mettre à fin sans vostre àide,
440 Ils ne peuvent manquer de se voir aujourd’huy,
Mais il faut que je parle auparavant à luy,
Pour y parvenir donc, j’ay trouvé la finesse
De le faire conduire en ce lieu par adresse,
Où je luy parleray si vous le trouvez bon,
445 Nous pouvons aysement & sans aucun soubson
Nous voir en asseurance, & discourir ensemble.

ORASIE,

Avant qu’en venir là, vous devez ce me semble,
Peser plus meurement & considerer mieux
Qu'il en peut arriver du scandale en ces lieux.

FLORIMONDE.

450 J'ay tout consideré n’en soyez point en peine,

ORASIE.

Cette precaution sans doute sera vayne
Car s’il vient à sçavoir.

FLORIMONDE.

Non de cette façon,
Il n’en sçauroit jamais avoir aucun soubson, {p. 30}
Quand nous serons ceans* vous & moy separées,
455 Dedans cette maison on vient par deux entrées,
Lidamant peut venir assez facillement,
Par celle de derriere en cét appartement,
Il croira ce logis estre le mien de sorte
Qu'ignorant comme il faict qu’il ait une autre porte,
460 Il ne pensera pas qu’il puisse avoir aussi
D'autre maistre que moy.

ORASIE.

Quel sera mon soucy
Si mon pere survient.

FLORIMONDE.

Vous estes bien peureuse,
Il faudroit en effect estre bien mal-heureuse,
Si l’on nous surprenoit dès le premier larcin,

ORASIE

465 Je ne vous celle* point que j’en crains bien la fin.

FLORIMONDE.

Sortant par cette porte, il ne le peut surprendre,

ORASIE bas.

Dieux ! j’ay bien plus de peur encore de Leandre,
Elle ne sçait pas tout.

FLORIMONDE.

{p. 31}
Parlez moy franchement,

ORASIE.

Je voudrois vous servir mais je ne sçai comment.

Scene II. §

Nerine, Florimonde, Orasie, Julie.

NERINE,

470 J'emmeyne Lidamant, il attend à la porte.

FLORIMONDE.

Puis que vous n’avez point de raison assez forte,
Aydez nous chere amie & gardez le secret.

ORASIE.

En cette occasion je vous sers à regret.

FLORIMONDE.

Faites luy donc ouvrir la porte de derriere,
475 Vous pardonnerez bien cette injuste priere.

ORASIE.

Vous avez tout pouvoir, je vous laisse en ce lieu,
Où vous estes Maistresse. Adieu ma Dame.

FLORIMONDE.

Adieu.

Scene III. §

Nerine, Lidamant, Florimonde,
{p. 32}

NERINE.

Voicy cette maison que vous brusliez d’envie
De cognoistre Monsieur.

LIDAMANT.

Mon Ame en est ravie.

FLORIMONDE.

480 Et bien qu’en dites vous ? vous a t’on point surpris,

LIDAMANT.

Ouy, l’excez de ma gloire estonne mes espris,
Car je ne croyois pas que mon heur fust si proche.

FLORIMONDE.

Sçavez vous bien que c’est pour vous faire un reproche ?

LIDAMANT.

Un reproche Madame ?

FLORIMONDE.

Ouy tres asseurement.
485 Je me plains fort de vous, dites moy Lidamant,
A qui commenciez vous à conter vostre histoire {p. 33}
Qu'une fille arrivant si j’ay bonne memoire,
Vous empescha tous deux : Vous de la raconter,
Et l’autre en mesme temps de pouvoir l’escouter ;
490 Parlez respondez moy.

LIDAMANT.

Dieux que puis-je respondre.
Ce discours seulement suffit pour me confondre,
O bel object aimable & beaucoup plus aymé
Je ne sçay que vous dire, helas je suis charmé,
Je pourrois sur ce point vostre esprit satisfaire,
495 Mais je ne le veux pas j’aime bien mieux me taire.
Dans cette grande ville où tout nouveau venu
Je ne me croiois pas d’aucune ame conneu,
Voir d’abord une Dame avoir la connoissance
De mon nom, de mon bien, du lieu de ma naissance,
500 Qui lit dans ma pensee & dans mes sentiments,
Qui connoit de mon cœur les secrets mouvements,
Je vous responds assez vous me pouvez entendre,
Avant que d’estre à vous j’estois tout à Leandre,
Et je mourrois plustost qu’en cette occasion,
505 J'entreprinse jamais sur son affection,

FLORIMONDE.

Vous pensez Lidamant que je sois sa Maistresse,
Mais vous vous trompez fort.

LIDAMANT.

{p. 34}
Mais donc par quelle adresse
Avez vous peu sçavoir que je loge chez luy ?
Mon nom, mes qualitez ? & tout ce qu’aujourd’huy
510 Mais depuis un moment nous avons dit ensemble ?
Cela ne se peut pas autrement ce me semble.
Je croy que j’ay raison.

FLORIMONDE.

Il est tres à propos
De vous tirer d’erreur, & vous mettre en repos,
Sçachez donc Lidamant, que je possede l’Ame
515 D'une jeune beauté, d’une certaine Dame,
Que Leandre cherit, qui vient souvent chez nous,
Qui me parlant de luy m’a fort parlé de vous.
C'est cette Dame là qui peut seule m’apprendre,
Ce que je sçay de vous & mesme de Leandre
520 Et quoy que vostre amy soit homme tres discret
A qui l’on peut fier tout important secret,
Cachez luy nostre amour gardez qu’il ne le sçache,
Pour certaine raison qu’à present je vous cache,
Il y va de ma vie, avec plus de loisir
525 Je pourray satisfaire un jour vostre desir.

LIDAMANT.

Vous voulez m’esclarcir sur cette defiance,
Et vous m’en augmentez encor plus la croyance, {p. 35}
Car si vous n’estes pas.

Scene IV. §

Julie, Florimonde, Lidamant,

JULIE bas à Florimonde.

Monsieur vient, le voicy.

FLORIMONDE bas à Julie.

Justes Dieux Lidamant peut il sortir d’icy ?

JULIE.

530 Non Madame il ne peut, & ne faut pas qu’il sorte
Car Monsieur vient d’entrer par cette mesme porte,
Par où j’ay tantost faict entrer cét amoureux,
Et de sortir par l’autre il seroit dangereux
Comme vous le sçavez qu’il en eust cognoissance,
535 Depeschez. Le voicy, Madame qui s’avance.

LIDAMANT.

Que feray-je Madame ?

FLORIMONDE.

Ah Lidamant Adieu.

JULIE le metant dans une Chambre.

{p. 36}
Entrez, & vous cachez promptement en ce lieu.

LIDAMANT se cachant.

Ah Dieux ? je suis perdu.

FLORIMONDE.

Que je suis malheureuse.

Scene V. §

Orasie, Florimonde, Julie, Nerine.

ORASIE.

He bien vous m’accusiés tantost d’estre peureuse,
540 Helas ma deffiance estoit juste en effect.
Voyés qu’on nous surprend & mesme sur le fait.

FLORIMONDE.

Eust on jamais pensé !

ORASIE.

Je voudrois estre morte.
{p. 37}

Scene VI. §

Tomire, Orasie, Julie, Nerine, Florimonde,

TOMIRE.

Depuis quand Orasie ouvre t’on cette porte,
Qu'on tient tousjours fermée.

ORASIE.

En voicy la raison,
545 Florimonde auroit fait le tour de la maison
Si l’on n’eust pas ouvert la porte de deriere.

TOMIRE.

Je ne vous voyois point, une telle lumiere,
Madame excusez moy, m’ebloüissoit les yeux.

JULIE bas.

Quelle confusion.

ORASIE.

Quel desordre grands Dieux.

FLORIMONDE.

550 Vous m’obligez Monsieur plus que je ne merite.
Adieu belle Orasie, il faut que je vous quitte.

ORASIE bas à Florimonde.

{p. 38}
Quoy je patiray donc pour la faute d’autruy ?
Laissant ce Cavalier, que ferai-je de luy ?

FLORIMONDE.

Vous avez bon esprit, je n’ay rien à vous dire.

TOMIRE à Florimonde.

555 Vous me permettrez bien de vous aller conduire*.

FLORIMONDE.

Je vous baise les mains.

TOMIRE.

Vous resistez en vain.

ORASIE bas à Florimonde.

Justes Dieux c’est avoir le jugement mal sain
Souffrez son compliment, s’il s’en va de la sorte,
Cét homme en liberté pourra gaigner la porte.

TOMIRE.

560 Faites moy cét honneur, ne me refusez point.

FLORIMONDE.

Puis que vous desirez m’obliger à ce point,
J'accepte cét honneur.
{p. 39}

Scene VII. §

ORASIE, JULIE,

ORASIE.

Est-il vray que je veille !
Fut-il jamais de peine à la mienne pareille ?
Puis-je en cét accident* conserver ma raison ?
565 Car qui croiroit jamais que dedans ma maison
J'eusse un homme caché qui ne m’a jamais veuë

JULIE.

Je puis fort aisement le mettre dans la ruë,
Sans qu’il soit veu d’aucun, ny qu’il vous voye aussi.

ORASIE.

Despéche toy Julie, oste moy ce soucy,
570 Ouvre luy je m’en vay, Dieux de crainte je tremble.

JULIE ouvre & dit bas.

C'est Leandre, Madame, ah Dieux tout est perdu,
Il entre.
{p. 40}

Scene VIII. §

LEANDRE, ORASIE, JULIE.

LEANDRE.

Ayant long temps en la ruë attendu,
J'ay rencontré ma sœur que conduit vostre pere,
Voyant l’occasion, j’ay creu sans vous desplaire
575 Que je pourrois venir vous rendre ce devoir,
Et donner à mes yeux le plaisir de vous voir.

ORAZIE.

Que faites-vous grands Dieux ? où songez-vous Leandre,
Quel sanglant desplaisir desirez-vous me rendre ?
Quoy voulez vous me perdre ? à peine vous m’ostez
580 D'un abysme d’ennuis*, & vous m’y remettez,
J'attens dans un moment le retour de mon pere,
Qui vous peut obliger d’estre si temeraire.
Prenez mieux vostre temps quand vous me voudrez voir,

LEANDRE.

Ah beauté dont mon ame adore le pouvoir,
585 Souffrez qu’un seul moment je repaisse ma veuë, {p. 41}
Des celestes appas* dont vous estes pourveuë,

ORASIE.

Sortez donc promptement quand vous aurés parlé.
Est-ce assez voila prés d’un quard d’heure escoulé.
Dieux ne me tenés pas en suspens davantage
590 Mon pere asseurement a conçeu quelque ombrage,
Il a tantost fermé tant il est soubçonneux
La porte de derriere, ô qu’il est ombrageux,
Il emporte la clef, montrant de cette sorte
Asseuré le passage à l’autre afin qu’il sorte.
595 Il ne fait tous les jours qu’entrer & que sortir,
Dieux je tremble de peur.

LEANDRE.

Pour vous en garantir
Je m’en vay de ce pas.

ORASIE.

Allez je vous supplie,
J'entends fraper quelqu’un.

TOMIRE derriere le Theatre.

Ouvrez moy tost Julie.

ORASIE.

C'est luy mesme je meurs.

LEANDRE.

Que deviendray-je ? ô Dieux !
600 Puis que cette autre porte est fermée il vaut mieux {p. 42}
Que je me cache icy.
Comme* il veut entrer dans la Chambre où est Lidamant Orasie le retient.

ORASIE

Grands Dieux je desespere,
N'entrez pas là dedans.

LEANDRE

Pourquoy ?

ORASIE.

Tousjours mon pere,
En entrant se retire, en cette Chambre là.
Sans doute il vous verroit.

LEANDRE.

Ce n’est point pour cela.
605 J'ay veu je le proteste un homme ce me semble
Enfermé là dedans.

ORASIE bas,

Dieux de crainte je tremble,
Leandre resvez vous.

LEANDRE.

Non je ne resve point,
Et je veux en effect m’esclarcir sur ce point.

ORASIE l’empeschant d’entrer.

N'entrez pas.

LEANDRE,

{p. 43}
Desloyalle est ce ainsi qu’on me traitte ?

ORAZIE bas.

610 Dieux qui peut reparer la faute que j’ay faite ?
Leandre au nom des Dieux, ayez pitié de moy,
Quoy ! me voulez vous perdre !

LEANDRE

Ame ingratte, & sans foy
Vous me trahissez donc, vous m’estes infidelle.

ORASIE.

Me ferez vous rougir d’une honte eternelle ?
615 Mon pere monte.

LEANDRE en luy mesme.

O Dieux que dois je faire icy ?
Car si dessus ce point je veux estre esclarcy,
Je fay voir clairement l’infamie à son pere,
Mais si je ne veux pas aussi me satisfaire,
Je souffre en mon honneur un notable interest.

ORASIE.

620 Au nom de nostre Amour.

LEANDRE.

Bien bien puis qu’il vous plaist
Je dissimuleray cette offence cogneue.

Scene IX. §

Tomire, Orasie, Leandre, Julie,
{p. 44}

TOMIRE.

Quoy ! Leandre ?

LEANDRE.

Ma sœur estant icy venue,
Je l’y venois chercher.

ORASIE bas,

Tout va bien jusqu’icy.

TOMIRE.

Je viens de la conduire*.

LEANDRE.

On me l’a dit ainsi,
625 Je rends graces à vos soins, Cette faveur insigne
M'oblige estroittement, ma sœur n’en est pas digne
Je m’en vay la trouver.
Ils s’entresaluent, & Leandre sort.

TOMIRE.

Ma fille allons là-haut.
Je veux parler à vous.

ORASIE bas.

{p. 45}
Ah Dieux le cœur me faut.
Mais que veut-il de moy ? Que ce discours m’estonne
630 Endurons constamment puis que le Ciel l’ordonne.

Scene X. §

LEANDRE seul en la rue.

Que dois-je faire icy : Comment Leandre as tu
En cette occasion le courage abatu ?
Mais en faisant du bruit j’offencerois ma Dame,
Dois-je donner ce nom encor à cette infame ?
635 Ouy, je ne puis haïr ce que j’ay tant aimé,
Mais, laisserais-je icy ce Rival enfermé,
C'est par icy qu’il faut que le perfide sorte,
Car le derriere est clos, il n’a point d’autre porte,
Il le faut voir sortir, & sçavoir quel il est,
640 Endurons cét affront Amour puis qu’il te plaist
Et que tu veux ainsi t’opposer à ma joye.
Escartons nous, il faut aujourd’huy que je voye,
S'il est vray que le sort qu’on fait capricieux
Se plaist de seconder les cœurs audacieux.
{p. 46}

Scene XI. §

JULIE, LIDAMANT.

JULIE seule.

645 Puis qu’ilz sont tous sortis, je puis en asseurance
Tirer ce Cavalier. Usons de diligence,
Ouvrons. Sortez Monsieur : A vostre occasion
Il est bien arrivé de la confusion,
Nous avons eu bien peur.

LIDAMANT.

Je pouvois bien entendre
650 Quelques bruits sourds auxquels je n’ay peu rien comprendre.
Mais je comprens assez le bien que j’en recoy,
En ce que vous avez aujourd’huy fait pour moy
Je le recognoistray* sans doute avec usure.

JULIE.

Sortons d’icy.

LIDAMANT.

Le puis-je.

JULIE

Ouy.

LIDAMANT.

Je vous en conjure.

JULIE bas.

{p. 47}
655 Qu'il sorte seulement, quand il sera dehors
Qu'il arrive en la rue apres dix mille morts.

Scene XII. §

LEANDRE seul en la rue.

Mais elles tardent bien à le faire descendre :
Elles n’oseroient pas que je croy l’entreprendre
Car on se doute bien que je l’attens icy,
660 J'en veux estre pourtant amplement esclarcy,
Ne craignons rien, montons. Dieux je cours à ma perte,
Il entre dans la Chambre & ferme la porte sur luy.
Personne n’est icy je voy la porte ouverte.
Appellons le, feignons estre de la maison,
Cavalier suivez moy, n’avez aucun soubçon
665 Vous ne respondez point ? Ah volage, ah parjure ?
Entrons voyons la fin d’une telle aventure.

Scene XIII. §

ORASIE seule.

Mon pere seulement m’a dit qu’il s’en alloit
Pour quatre jours aux champs. Ah si le Ciel vouloit
Que je puisse eviter la foudre toute preste, {p. 48}
670 La foudre sur mon chef à m’escraser ma teste ?
Julie ? Elle est sortie, & je suis en soucy.
Comment je tireray ce Cavalier d’icy.
S'il me voit il verra que je suis la maistresse,
Que Florimonde excuse au malheur qui me presse,
675 Il me faut preferer mon interest au sein
Elle apelle à la porte pensant parler a Lidamant.
Sortez d’icy Monsieur, & ne redoutez rien,
Ne vous estonnez point de me voir je vous prie.

Scene XIIII. §

LEANDRE, ORASIE,

LEANDRE.

Leandre sort de la Chambre.
Quoy ? ne m’estonner pas de cette effonterie ?
Quoy ? ne m’estonner pas de vous voir ?

ORASIE surprise bas.

Justes Dieux.

LEANDRE.

680 Me faire cette injure ?

ORASIE bas.

Helas.

LEANDRE.

Mesme à mes yeux !
Quoy ne m’estonner pas de vous voir si coupable ?

ORASIE bas.

{p. 49}
Que dois-je devenir.

LEANDRE.

Si lache.

ORASIE bas,

Ah miserable.

LEANDRE.

Et si perfide ?

ORASIE bas.

Helas, quel malheur me poursuit ?

LEANDRE.

Voyez le desespoir où mon sort me reduit,
685 Direz vous point encore infidelle Orasie,
Que je me plains à tort que c’est ma jalousie ?
Que la cause est certaine, & les effects sont faux ?
Que j’ay grand tort encor d’acuser ces defaux ?

ORASIE.

Je suis morte mon cœur, je ne sçay que respondre.

LEANDRE.

690 Cela suffit il point encor pour vous confondre ?
Lasche & meschant esprit, que voulez vous de moy ?

ORASIE.

Je veux que vous n’ayez nul doute de ma foy.

LEANDRE se promenant.

{p. 50}
Non vous ne m’avez fait jamais aucune injure.
J'ay veu chez vous un homme ? oh l’estrange imposture,
695 J'ay grand tort d’accuser vostre fidelité,
Quoy ? vous m’auriez trahi ? c’est une fausseté,
Je n’ay point de raison de vous avoir blasmée,
Vous ne m’avez point dit la porte estre fermée
De l’autre appartement, par où s’est eschapé
700 Cét incogneu rival ? Ouy je me suis trompé ?
Sy j’ay creu qu’à present vous parliez à moy mesme
Pensant parler à luy, c’est un mensonge extresme,
D'avoir veu, rien du tout, non non je n’ay rien veu,
Je me trompe Madame, & mes yeux m’ont deceu,
705 Vous n’avez contre moy commis aucune offence,
Et je me prens à tort à la mesme innocence.

ORASIE.

Laissons là ce discours Leandre escoutez moy
Et je vous feray voir que j’ay gardé ma foy,
Ouy j’atteste les Dieux,

LEANDRE.

Ah l’impudence extresme

ORASIE.

710 Si je ments que les Dieux punissent mon blaspheme.

LEANDRE.

{p. 51}
Infidelle avez vous encor assez de front
De vous justifier apres un tel affront.
Quoy tout ce que j’ay veu n’est-il pas infaillible,
Un homme dites-vous il n’est pas impossible.

ORASIE.

715 Ouy Leandre, peut-estre avez vous eu raison,
Vous aurez veu sortir quelqu’un de la maison.

Scene XV. §

Julie, Leandre, Orasie.

JULIE.

Julie dit sans prendre garde à Leandre.
Je l’ay mis en lieu seur.

LEANDRE.

Qu'en dites vous Madame ?
Pourois-je avoir encor quelque scrupule en l’ame ?
C'estoit un domestique, ouy c’est la verité.

JULIE bas.

720 Qu'ais je dit malheureuse, helas j’ay tout gasté.

ORASIE.

Dans ma confusion je demeure muette,
Justes Dieux vous sçavez la faute que j’ay faite,
Que des Dieux irritez j’esprouve le courroux*, {p. 52}
Si j’ay peché Leandre aujourd’huy contre vous.

LEANDRE,

725 Ouy vous avez raison, c’est moy qui suis coupable.

ORASIE.

Non non je ne ments point je suis tres veritable.

LEANDRE.

Mais qui donc a failly.

ORASIE.

Je vous estime tant
Que sçachant que le fait, vous est tres important,
J'aymerois mieux cent fois mourir que de le dire,
730 Car vous retomberiez en un tourment bien pire.

LEANDRE.

Quand on n’a rien à dire, & lors qu’on veut mentir
C'est ainsi que l’on parle, & qu’on sçait repartir*,
Mais adieu pour jamais infidelle Orasie,
Suivez les mouvemens de vostre frenesie,
735 Vous ne me causerez jamais aucun soucy.

ORASIE le retenant.

Non, non, je ne veux pas que vous partiez ainsi.

LEANDRE.

{p. 53}
J'atteste tous les Dieux à qui je rends hommage
Que si vous me pressez encore davantage,
Je vous perdray Madame, & que j’obligeray
740 Vostre pere à descendre à qui je conteray
Ce que je viens de voir, ce que je viens d’apprendre.

ORASIE

Escoutez moy mon cœur, arrestez cher Leandre,
Mon Amour je le jure à tort vous est suspect.

LEANDRE

Ayant perdu l’amour, j’ay perdu le respect,
745 Non je n’escoute plus.
Il s’en va.

ORASIE.

Arreste-le Julie.

JULIE bas.

Moy ? l’arrester Madame ? ah Dieux quelle folie.

ORASIE.

Va va, perfide ingrat, va si tu fuis de moy,
Je sçay bien les moyens de te trouver chez toy.
Florimonde faut-il que pour t’avoir servie
750 Je perde en mesme temps & l’honneur & la vie ?

Fin du second Acte.

{p. 54}

ACTE III. §

Scene première. §

FABRICE, LIDAMANT. dans leur Chambre.

[FABRICE.]

D'où venez vous Monsieur ? qu’avez vous ?

LIDAMANT.

Je ne sçay,
Fabrice, d’où je viens, moins encor ce que j’ay,
Ne m’importunes point.

FABRICE.

Quelle douleur extresme
Vous a troublé l’esprit, & mis hors de vous mesme ?
755 D'où vous naist ce chagrin cette mauvaise humeur ?

LIDAMANT.

Tay toy n’augmente pas encore ma douleur,
Ne t’en informe pas. Accommode mes hardes,
Appreste mes chevaux. Qu'est ce que tu regardes ?
Je veux sortir d’icy plus vite que le vent,
760 Va tost, despesche toy. Regarde auparavant, {p. 55}
Si Leandre est icy, j’ay deux mots à luy dire.

FABRICE

Il n’est pas au logis.
bas
Sa fureur devient pire,
Que veut dire cela ?

LIDAMANT.

Leandre asseurement
Est au comble de l’heur* & du contentement,
765 Il est entre les bras de sa chere maistresse
Il a refait sa paix. Mais Dieux en ma tristesse,
Au malheur qui m’accable, au facheux souvenir
De tant de maux presents que dois-je devenir ?

FABRICE.

Que j’en sçache la cause.

LIDAMANT.

Ouy je le veux Fabrice,
770 Escoute, & de mon sort admire le caprice,
La Dame que tu sçais m’a tantost fait sçavoir
Par un certain billet que je l’allasse voir,
Une fille à l’instant m’a mené droit chez elle,
J'entre dans un logis dont l’apparence est belle,
775 Les meubles precieux, mais ce qui plus l’ornoit,
C'estoit cette beauté de qui l’œil me charmoit.
Elle m’a fait d’abord quelque plainte legere, {p. 56}
Comme* je m’excusois elle a sceu que son pere
Arrivoit au logis & tremblante de peur
780 M'a fait incontinent retirer en lieu seur,
Ils parloient assez haut mais je n’ay peu comprendre
Leurs discours que j’oyois, sans les pouvoir entendre,
La porte estoit fermee, & leurs confuses voix
Venoient bien jusqu’à moy dans la chambre où j’ettois,
785 Un homme ouvre la porte & moy je me tins ferme,
Et sans passer plus outre une fille la ferme.
Sans avoir discerné la forme ny les traicts
Ny de l’un ny de l’autre, un peu de temps apres,
Une fille confuse & troublée est venue
790 Qui m’a pris par la main, & m’a mis en la rue.
Tesmoignant avoir peur que Leandre le sceust
Non seulement de moy mais qu’il s’en aperceust
De sorte que confus d’avoir veu ce mystere
Je ne puis me resoudre à ce que je dois faire,
795 Et me faut estre enfin de moy mesme ennemy,
Offencer ma Maistresse, ou trahir mon Amy,
Si de ce cher amy cette Dame est maistresse,
Je la dois accuser comme lasche & traistesse,
Mais si ce ne l’est pas j’emploirois sans raison,
800 Contre elle une si lasche & noire trahison
Contre elle qui m’adore. Elle a raison peut-estre
De ne le vouloir pas encor faire connoistre
Peut-estre qu’un suject que j’ignore, peut bien, {p. 57}
Empescher que surtout, Leandre en sache rien.
805 Dans la confusion qui naist de ce mystere,
Je ne sçay, si je dois ou parler ou me taire,
Puis que de tous costez je me voy malheureux
Le meilleur est je croy de les quitter tous deux,
Mon Amy n’aura point de suject de se plaindre,
810 Ny ma maistresse aussi, ny moy plus rien à craindre.
Apreste tout mon fait, donne ordre à mon depart,
Car je m’en veux aller dans une heure au plus tart
Quand je devrois cent fois courir à ma ruine,
Et mourir en quittant cette beauté Divine.

FABRICE.

815 Ce dessein est louable, & d’un cœur genereux
Je vay vous obeyr.
Fabrice sort.

LIDAMANT seul.

Que je suis malheureux.
Quelle confusion à la mienne est esgale ?
Adieu Paris Adieu, sortons de ce Dedale,
De cette Babilon, de ces lieux enchantez,
820 Où les illusions passent pour veritez.
Femme qui que tu sois avec ton artifice,
Et tes precautions que le Ciel te benisse.
Va je te dis adieu, je vay t’abandonner.

FABRICE rentre.

{p. 58}
Vostre habit est tout prest, on me le va donner,
825 J'ay dit que nous montons à cheval dans une heure.

LIDAMANT.

Le sort en est jetté ! Mais faut-il que je meure ?
Faut-il que le caprice, & les inventions
D'une femme bigearre en ses precautions
Me chasse de Paris en quittant mes affaires ?
830 Ouy, va tost preparer les choses necessaires.
J'entre en mon cabinet & reviens à l’instant.

Scene II. §

NERINE, FLORIMONDE. dans leur Chambre.

NERINE.

Madame pensez y, ne vous hastez pas tant,
Et considerez mieux ce que vous voulez faire,
Si vous entrez chez luy, pensez que vostre frere
835 Y pourra survenir, & vous surprendre là.

FLORIMONDE.

Tay toy, te dis je, il faut se resoudre à cela,
Ne me replique point. Ne viens tu pas de dire, {p. 59}
Qu'il est prest à partir.

NERINE.

Ouy Madame, il desire
S'en aller dans une heure, au moins à ce que dit
840 Son homme qui m’a fait demander son habit.

FLORIMONDE.

Peux tu donc t’estonner, si mon Amour m’oblige
A vouloir divertir* ce depart qui m’afflige ?
Il a sçeu qui je suis, il n’en faut point douter,
Et c’est ce qui l’oblige à me vouloir quitter,
845 Il l’a sçeu d’Orasie, il aime trop mon frere,
Et ne voudroit pour rien en m’aimant luy deplaire,
C'en est là le suject.

NERINE.

Mais s’il s’en veut aller,
L'en empescherez vous ?

FLORIMONDE.

Ouy, je luy veux parler.
Je veux si je le puis destourner cette envie,
850 Et l’empescher aussi de m’arracher la vie,
Et d’emporter un cœur que l’ingrat m’a volé.
Atten moy.
Elle sort.
{p. 60}

Scene III. §

Lidamant, Fabrice, Florimonde, dans la Chambre de Lidamant.

LIDAMANT.

Va sçavoir où Leandre est allé,
Je luy veux dire Adieu.
Fabrice sort & rentre à l’instant.

[FABRICE.]

Monsieur je vous aporte
Pour nouvelle, que j’ay rencontré sur la porte
855 Celle que vous sçavez.

LIDAMANT.

Que dis tu ?

FABRICE.

La voicy
Florimonde entre.
C'est elle.

FLORIMONDE.

Lidamant que veut dire cecy ?
Est-ce le procedé d’un homme Magnanime,
D'un brave Cavalier tel que je vous estime,
De partir de la sorte, & de quitter ce lieu,
860 Sans m’en faire advertir, & sans me dire Adieu ? {p. 61}
Vous qui dites m’aimer & m’ettre si fidelle ?

LIDAMANT.

Qui vous a fait sçavoir si tost cette nouvelle ?
Ce dessein de partir m’a pris en un moment,

FLORIMONDE.

La mauvaise nouvelle en Amour, Lidamant
865 Ne va pas comme on dit, promptement elle vole.

FABRICE.

Il n’en faut point douter, je vous donne parole
Qu'elle a quelque Demon qui luy sert de valet.
Seroit elle point sœur de nostre Esprit Folet ?

FLORIMONDE.

Il est donc bien certain, & ma peur n’est point vaine.

LIDAMANT.

870 Ouy, je m’en veux aller, la chose est tres certaine,
Vous en estes la cause, & je m’en fuy de vous.

FLORIMONDE.

Ah je sçai Lidamant d’où vous naist ce courroux*,
Vous sçavez qui je suis (je me sens si confuse
Que je ne puis parler) si c’est là vostre excuse,
875 Si cette cognoissance, & ce ressentiment, {p. 62}
Vous fait abandonner Paris si promptement,
Encor que* ce depart ne tend qu’à me destruire
Je conjure les Dieux qu’ils vous vueillent conduire.
Si j’ay teu qui j’estois, & mon extraction,
880 Il estoit important à nostre affection,
Mais pour plusieurs raisons, & sans vostre dommage
Vous ne pouviez alors en sçavoir davantage.

LIDAMANT.

Je ne vous entends point, Non, car je vous cognois
Aussi peu maintenant que je vous cognoissois,
885 Qui me fait vous quitter, n’est que la meffiance
Que vous avez de moy, car par quelle apparence
Croiray-je d’estre aymé, Puis qu’en toutes façons
Vous avez refusé d’esclarcir mes soubçons ?

FABRICE

Leandre vient icy.

FLORIMONDE.

Grands Dieux je suis perdue.

LIDAMANT,

890 Mais pourquoy ? que vous peut importer cette veue
Vous vous desesperez & je ne sçay pourquoy.
Leandre est mon Amy, vous estes avec moy
De quoy vous fachez vous.

FLORIMONDE.

{p. 63}
Que je suis miserable,
Mais puis que le malheur de tous costez m’accable,
895 Et qu’il faut succomber à la fin au tourment,
Je ne me veux plus taire, Escoutez Lidamant,
Je suis. Je ne puis pas en dire davantage,
Il entre, le voicy. Dieux je perds le courage,
Ma vie est en vos mains, je me jette en vos bras.
900 Secourez moy de grace, & ne me perdez pas.
J'entre en ce cabinet.
Elle se cache.

LIDAMANT en luy mesme.

En la peur qui la presse
Il faut asseurement que ce soit sa maistresse.
Je n’en sçaurois douter.

Scene IV. §

Leandre, Lidamant, Fabrice & Florimonde cachée.

LEANDRE.

Ah ! mon cher Lidamant.

LIDAMANT.

Leandre, qu’avez vous ?

LEANDRE.

{p. 64}
Un excez de tourment,
905 Une gesne, une rage, un despit si sensible
Que de vous l’exprimer il ne m’est pas possible,
Ah l’estrange accident* qui me vient d’arriver,
C'est pour m’en divertir* que je vous viens trouver.

LIDAMANT.

Comment ? Ayant les Dieux à vos vœux si propices,
910 Je vous croyois nager au milieu des delices,
Et j’enviois quasi vostre felicité
Quoy ! n’avez vous pas veu cette jeune beauté ?
N'avez vous pas encor fait vostre paix ensemble,
Pour moy je le croyois, mais à ce qu’il me semble,
915 Vous en estes bien loing ? qu’avez-vous !

LEANDRE.

Ah voicy.
Le plus grand de mes maux.

LIDAMANT.

Fabrice sors d’icy.
Fabrice s’en va.

LEANDRE

Vous disiez bien tantost parlant de jalousie,
Cher amy, qu’aussy tost qu’une ame en est saisie
C'est le plus grand malheur qu’on puisse recevoir,
920 Qu'il vaut mieux la donner cent fois que de l’avoir.

LIDAMANT.

{p. 65}
Mais en si peu de temps, comment vous a peu naistre
Ce soubçon si facheux que vous faites paroistre ?
Sans doute il l’a suivie, & ce soubçon je croy,
Ou je me trompe fort, luy vient d’elle & de moy.

LEANDRE.

925 Escoutez cher Amy, cette histoire est estrange,
Elle vous surprendra. J'ay tantost veu cét Ange,
J'appelle de ce nom celle qui m’a charmé,
Dont l’œil quoy que divin vaut moins qu’il n’est aymé.
Je ne vous diray point combien devant ses charmes,
930 J'ay jetté de souspirs & respandu de larmes,
Afin de l’asseurer de ma fidelité
De qui ses vains soubçons ont fait qu’elle a douté
M'estant justifié fort content je la quitte,
J'y suis venu apres faire une autre visite
935 Mais son pere arrivant il m’a falu cacher,
En trouvant une Chambre (Ah Dieux comme un rocher
Je demeure immobile à ce discours funeste)
J'ay veu l’ombre d’un homme,

LIDAMANT bas.

Ah grands Dieux je proteste
Que voila de tout point, ce qui m’est survenu.

LEANDRE.

{p. 66}
940 Ah cher Amy, pourquoy me suis-je retenu ?
Et pourquoy le respect, & d’elle & de son pere
Ont ils en ce besoin fait calmer ma colere ?
Mais quoy je me suis teu, j’ay fait la lacheté,
De me monstrer discret en cette extremité.
945 Et l’ingratte m’a veu tesmoigner plus d’envie
De garder son honneur que de sauver ma vie,
Enfin sans dire mot je me suis retiré,
Et me suis resolu triste, & desesperé
De l’attendre à la rue, afin de le cognoistre.

LIDAMANT.

950 Et bien quel homme estoit-ce ?

LEANDRE.

Il s’en est fuy le traistre.
Une fille l’avoit sur l’heure mis dehors,
Dieux c’est une douleur pire que mille morts
De craindre, & ne sçavoir qui je crains,

LIDAMANT bas.

C'est la mesme
Il n’en faut point douter, c’est la Dame que j’ayme,
955 Ouy c’est elle en effect de qui je suis aymé,
C'est moy qu’elle a tenu dans sa Chambre enfermé !
Mais puis qu’il n’en sçait rien, il faut que mon absence {p. 67}
Termine tant de maux.

LEANDRE.

Dieux quelle extravagance,
Vous resvez est-ce ainsi qu’il me faut consoler ?

LIDAMANT bas.

960 La chose est resoluë, Ouy je m’en veux aller,
Ne vous estonnez point cher amy je vous prie,
Ce surprenant discours cause ma resverie.
J'en ay bien du suject en l’estat où je suis.

LEANDRE.

Que me conseillez vous ?

LIDAMANT.

Oubliez.

LEANDRE.

Je ne puis.
{p. 68}

Scene V. §

Fabrice, Leandre, Lidamant, Orasie,

FABRICE.

965 Une Dame est là-bas qui demande Leandre.

LEANDRE.

C'est elle, je ne veux ny la voir ny l’entendre.

LIDAMANT,

Ce n’est peut-estre pas celle que vous pensez,
Vous vous pourriez tromper.

LEANDRE.

Je la cognois assez
Ouy c’est elle, qui croit qu’aysement on m’abuse,
970 Elle vient me donner quelque mauvaise excuse,
Pour me faire passer pour une fausseté
Ce que je sçay fort bien estre une verité.
Orasie entre.

LIDAMANT en luy mesme.

Quelle confusion à la mienne est pareille ?
Est-ce une illusion ? Est-il vray que je veille ?
975 Si c’est elle qu’il ayme, avec quelle raison,
Me dit-il qu’il a veu cacher dans sa maison
Certain homme inconnu puis que c’estoit moy mesme ? {p. 69}
D'ailleurs si c’est icy la maistresse qu’il ayme,
Qui peut estre (grands Dieux, je perds icy les sens)
980 Cette autre qui se vient d’enfermer là dedans ?

ORASIE à Lidamant.

Lidamant permetez que je parle à Leandre,

LEANDRE.

Mais quoy ! Sçavez vous bien s’il voudra vous entendre ?

ORASIE au mesme.

De grace obligez moy, laissez nous seuls icy.

LIDAMANT bas en s’allant.

Madame je m’en vay. Je suis bien en soucy,
985 Je suis bien empesché de ce que je doy faire.
Dieux où doit aboutir la fin de cette affaire ?
Comment cét autre icy pourra t’elle sortir ?
Changeons, changeons d’avis je ne veux plus partir,
Mon doute est esclarcy, rien ne m’y peut contraindre,
990 Et je n’ay plus icy desormais rien à craindre.
Sa maistresse est icy, l’autre donc ne l’est pas.
Laissons les, descendons & j’attendray là-bas.
{p. 70}

Scene VI. §

Orasie, Leandre, Florimonde cachée.

ORASIE

Puis que nous sommes seuls escoutez moy Leandre.

LEANDRE

Pourquoy vous escouter ?

ORASIE.

Je vous veux faire entendre
995 Le suject qui m’amène.

LEANDRE,

Il n’en est pas besoin,
Non Madame je veux vous espargner ce soin.
Si je vous veux ouïr, vous conterez merveilles.
Ouy, vous dementirez mes yeux & mes oreilles,
Si c’est là le suject qui vous ameine icy,
1000 Vous pouvez bien vous taire, & me laisser aussi.

ORASIE.

Je vous veux faire voir à clair mon innocence,
De grace escoutez moy.

LEANDRE.

Ce seul mot là m’offence.
Il est vray je l’ay veu, j’en atteste les Dieux, {p. 71}
Ou bien les veritez sont fausses à mes yeux.

ORASIE.

1005 Sans doute je serois de raison despourveuë,
De vouloir en ce point dementir vostre veuë
Ouy je tenois un homme enfermé.

LEANDRE.

C'est assez.
Vous n’en dites que trop. Quoy ! vous le confessez ?
Apres un tel adveu prendrez vous bien l’audace
1010 De vous justifier.

ORASIE.

Escoutez moy de grace.

LEANDRE.

Il valloit Orasie, il valoit beaucoup mieux
Me cacher vostre honte, & dementir mes yeux.
C'est bien estre en effect de vous mesme ennemie,
D'avouer franchement ainsi vostre infamie,
1015 O la fidelle Dame, O la constante foy.

ORASIE.

Mais jusques à la fin de grace escoutez-moy,
Je ne veux qu’un moment ; j’aurois grand tort Leandre
De desmentir vos yeux, je ne m’en puis deffendre.
Ils ne vous trompoient point, je ne sçaurois nier {p. 72}
1020 Qu'on a caché chez moy tantost un Cavalier.
Mais j’ateste les Dieux & sur tout Hymenée,
Que j’ay gardé la foy que je vous ay donnée,
Que je n’ay peu commestre un parjure pareil,
Que mon honneur est pur autant que le Soleil,
1025 Que c’est vous seulement que je cheris au monde,
Si je mens d’un seul mot que le Ciel me confonde.

LEANDRE.

Quel est cet homme là ?

ORASIE.

Je ne le cognoy point.

LEANDRE.

Faut-il qu’à vostre crime un mensonge soit joint ?
Mais que faisoit-il là ?

ORASIE,

Je ne vous le puis dire.

LEANDRE.

1030 Pourquoy ?

ORASIE.

Je n’en sçay rien.

LEANDRE.

Est-ce pas pour en rire ?
Me voila bien sçavant, je suis fort satisfait.

ORASIE.

La satisfaction la plus grande en effect
Est de n’en rien sçavoir.

LEANDRE.

{p. 73}
Je rougis de sa honte.
Le beau resonnement, l’excuse à vostre conte
1035 Est en ce que j’ignore, où je ne comprens rien,
Et la faute consiste en ce que je sçay bien.
Quoy doncques voulez vous que le bien que j’ignore
Vainque ce que je sçais, & voulez vous encore,
Que mon bien soit douteux, & mon mal asseuré ?
1040 Je n’ay plus rien à craindre & tout consideré,
La satisfaction est certes excellente.
Croiez vous en effect que cela me contente,
Je voy que vous m’aimez & me gardez la foy.
Je n’en sçaurois douter,

ORASIE.

Leandre croiez moy
1045 Il y va trop du vostre, & si vous estes sage,
Vous ne chercherez pas d’en sçavoir davantage.

LEANDRE.

Vous m’avez dit tantost de pareilles raisons,
Qui ne font qu’augmenter encor plus mes soubsons.
C'est le dernier ressort quand on ne sçait que dire,
1050 Quelque mal que ce soit il ne peut estre pire,
Car ce que j’ay veu marque assez vostre peché.
Pourquoy chez vous un homme à quel dessein caché.
Si vous ne contentez en ce point mon envie {p. 74}
Je ne vous veux ny voir ni parler de ma vie.

ORASIE.

1055 Que feray-je grands Dieux ? bien je vous le diray.
Florimonde avec sa coiffe & son masque passe au travers de la Chambre derriere eux & gagne la porte, descend & dit tout bas
Non ferez, si je puis, je vous en garderay

LEANDRE.

Quelle femme est ce là ?

ORASIE.

Quoy vous avez l’audace
De faire l’ignorant.
Il veut courir apres, Orasie le retient.

LEANDRE.

Permettez-moy de grace,
Madame au nom des Dieux que je suive ses pas
1060 Je veux sçavoir qui c’est.

ORASIE le retenant.

Non non, vous n’irez pas
Vous bruslez de desir de courir apres elle
Pour luy faire une excuse ame ingratte infidelle,
Je vous entens desja, Madame j’ai quitté
Pour courir apres vous cette moindre beauté
1065 Dont les attraits* communs me causent peu de peine.

LEANDRE.

Tenez pour verité, mais verité certaine,
Que je ne sçai qui c’est j’en atteste les Dieux.

ORASIE.

{p. 75}
Ne jurez point Leandre, & desmentez mes yeux.
Vous le sçavez tres bien, C'est Iris je l’ay veuë,
1070 Et croyez qu’en passant je l’ay bien recognue.

LEANDRE.

Madame croyez moy, non, ce n’est point Iris
Veillais-je ou si je songe ha que je suis surpris,

ORASIE.

Je ne m’estonne plus de ce qu’à ma venuë
Vous aviez tant de peine à soutenir ma veue,
1075 Vous possediez chez vous des attrais* plus puissans
Pensez-vous m’abuser, & surprendre mes sens,
Que veut dire cela, Leandre ? quelle honte ?
Le beau raisonnement, l’excuse à vostre conte
Est en ce que j’ignore, où je ne comprens rien,
1080 Et la faute consiste en ce que je sçai bien.
Quoy doncques voulez vous que le bien que j’ignore
Vainque ce que je sçais & voulez vous encore,
Que mon bien soit douteux, & mon mal asseuré ?

LEANDRE.

Je ne sçay ce que c’est, je vous en ay juré
1085 Par là vous vous sauvez de vostre perfidie ?

ORASIE.

{p. 76}
Ce que je dis est vray, suffit que je le die,
Je suis plus veritable en ce point là que vous.

LEANDRE.

C'est jusqu’au dernier point exciter mon courroux*.
Vous ne meritez pas seulement qu’on vous nomme
1090 N'ay-je pas tantost veu dans vostre Chambre un homme ?

ORASIE.

Aurez-vous bien le front de me nier aussi
Qu'une femme masquée estoit n’aguere icy ?

LEANDRE.

Je ne la cognoy point.

ORASIE.

J'ay moins de cognoissance
De cét homme cent fois.

LEANDRE.

Ah l’extreme impudence ?
1095 Vous le sçavez tres bien, car vous l’alliez nommer.

ORASIE.

Adieu, perfide, adieu, n’osez pas presumer
Que jamais je vous parle, ou que je vous regarde.

LEANDRE.

{p. 77}
Prenez garde Orasie.

ORASIE.

A quoy prendray-je garde.

LEANDRE.

Ah ! c’est trop mal traiter un homme comme moy,
1100 Dont la plainte est si juste.

ORASIE.

Ame ingratte, & sans foy,
Est-ce à tort ? direz vous que je me l’imagine ?
Je voy qu’on me trahit, je voy qu’on m’assassine.

LEANDRE.

Le Ciel lit dans mon cœur, & voit que j’ay raison.

ORASIE.

Je suis sans crime aucun, vous plain de trahison,
1105 Qui recognoissez mal le feu qui me consomme.

LEANDRE.

N'ay-je pas tantost veu dans vostre chambre un homme ?

ORASIE.

Ne viens-je pas de voir une femme en ce lieu ?
Je vais à la Campagne, Adieu perfide, Adieu,
Ne vous attendez pas de me voir de ma vie.

LEANDRE.

{p. 78}
1110 Apres ce que j’ay veu j’en ay fort peu d’envie.
Allés vous promener aveque ce rival,
A qui ce fer icy bien tost sera fatal,
A qui par mille endroits je feray vomir l’ame.

ORASIE.

Et moy j’arracheray les yeux à cette infame.
Ils s’en vont l’un par un costé & l’autre par l’autre.

Fin du troisiesme Acte.

{p. 79}

ACTE IV. §

Scene première. §

FLORIMONDE, NERINE. dans leur Chambre.

FLORIMONDE.

1115 Tout s’est passé Nerine ainsi que je le dy.

NERINE.

Ce procedé Madame est un peu trop hardy
Dieux que vous m’estonnez, & que je suis surprise,

FLORIMONDE.

C'est à n’en point mentir une haute entreprise,
Mais tout consideré j’ay fait ce que j’ay deu,
1120 Car voiant aussi bien que tout estoit perdu,
Et que mon frere alloit apprendre d’Orasie,
Ce que je crains le plus il m’a pris fantaisie,
De rompre leurs discours & par cette action
Je suis venue à bout de mon intention.
1125 Il faut aux maux pressants hazarder toute chose,
Et pour dire en effect la principale cause,
Qui m’a le plus poussée à ne redouter rien, {p. 80}
Qui m’a plus enhardie est que je sçavois bien
Qu'en tout cas Lidamant estoit pour me deffendre
1130 Qui n’avoit garde en bas de manquer à m’attendre.
Mais mieux que je n’ay creu le tout m’a reussy,
Je me trouve en ma Chambre exempte de soucy,
Ma presence sans doute aura fait qu’Orasie
Aura mis à son tour un peu de jalousie,
1135 Lidamant n’a risqué rien pour l’amour de moy,
J'ay fait taire Orasie ainsi que je le croy,
Et mon frere de plus ne m’a point recognue,
J'ay coulé doucement à peine m’a t’il veue.

NERINE.

La chose a succedé mais n’y retournez plus.

FLORIMONDE.

1140 Nerine tes conseils sont icy superflus,
Le dessein m’enhardit & me donne l’envie
D'en entreprendre un autre au peril de ma vie.
Il faut trouver moyen si je puis aujourd’huy
De revoir Lidamant & de parler à luy.

NERINE.

1145 Quelqu’un entre,

FLORIMONDE.

Voyez.

NERINE.

C'est Monsieur vostre frere,
{p. 81}

Scene II. §

Florimonde, Leandre, Nerine.

FLORIMONDE.

Je voy bien qu’il n’a pas la fortune* prospere,
Mon frere qu’avés vous qui vous gesne si fort.

LEANDRE.

Helas ma chere sœur je voudrois estre mort.
J'ayme une fille ingratte, en deux mots c’est vous dire
1150 La douleur que je sens, mais ce n’est pas le pire,
J'ay veu qu’on me trahit enfin je suis jaloux,
Et loge dans mon cœur un Dieu plein de courroux*.
Comme* je luy contois ce matin mon martyre
J'ay veu.

FLORIMONDE.

Qu'avez vous veu ?

LEANDRE.

Dieux le pourray-je dire ?
1155 Un homme qu’elle avoit dans sa chambre enfermé.

FLORIMONDE.

Est-il possible ô Dieux.

LEANDRE.

{p. 82}
Lors de rage enflamé
Je sors hors de sa Chambre & l’attends à la ruë,
Mais il ne paroist point, Orasie est venue,
Me voir comme* j’estois là-bas chez Lidamant.
1160 Comme* nous discourions en son appartement
Et comme* elle taschoit avec toutes ses ruses
De colorer son fait par de foibles excuses
Pleurant pour m’appaiser & souspirant en vain,
Une femme cachée au cabinet prochain*
1165 Passe au travers de nous & descend.

FLORIMONDE.

Une femme ?
Dieux que me dites vous ?

LEANDRE.

Je croy que cette infame
Estoit là par un ordre exprez de Lidamant
A qui j’en ay parlé mais fort modestement,
Il a sur ce sujet eu peine à me respondre
1170 Il l’a nié mais moy de peur de le confondre,
Je ne l’ay pas pressé fort long temps là-dessus,
Enfin quoy qu’il en soit, escoutez le surplus,
Croyant que c’est Iris, la cruelle Orasie
Est de nouveau rentrée en telle jalousie,
1175 Qu'elle fuit ma rencontre, & moy d’autre costé,
Qui suis de cette ingratte indignement traitté {p. 83}
Je brusle de colere, & brusle aussy d’envie,
De revoir cét object de qui despend ma vie.
Mais avant que la voir ma sœur je voudrois bien,
1180 Esclaircir mon soubson, & par vostre moyen,
Ne me refusez pas chere sœur je vous prie.

FLORIMONDE

Mais que puis je pour vous.

LEANDRE,

Par certaine industrie
Qui vient de mon esprit vous me pourrez guerir.

FLORIMONDE.

J'y feray mon effort quand j’en devrois mourir.

LEANDRE

1185 Il faut qu’un de ces jours vous l’alliez voir chez elle,
Et que vous luy disiez que pour une querelle,
Qu'à tort je vous ay faitte, & vous faindrez pour quoy,
Vous ne desirez point demeurer avec moy,
Que ma mauvaise humeur ne soit du tout changée.
1190 Et la conjurerez de vous tenir logée
Pour quelque peu de jours dans son appartement,
Ce qu’elle accordera sans doute librement.
Là vous me servirés d’un espion fidelle, {p. 84}
Vous sçaurés qui luy parle & qui hante chez elle,
1195 Vous sçaurés quel rival la porte à me trahir.

FLORIMONDE.

La chose est bien aisée, il vous faut obeir
Quand bien dans ce project je verrois mille obstacles
Amour estant un Dieu peut faire des miracles,
Vous connoistrês par là mon zele & mon devoir,
1200 Reposez vous sur moy je vous sers dès ce soir.
Je vous diray pourquoy l’ingrate vous dedaigne.

LEANDRE.

Elle est allé vomir son fiel à la Campagne,
Et ne doit estre icy de trois jours de retour.

FLORIMONDE.

Bien j’iray dans trois jours.

LEANDRE.

Seconde nous Amour
1205 Fay tant par ton pouvoir que cette ingrate amante
Recognoisse sa faute & qu’elle s’en repente,
Fay tant que de ses yeux son ame ait la douceur,
Vous me donnez la vie adieu ma chere sœur.
Il s’en va.

FLORIMONDE.

Au dela de mes vœux je trouve Amour propice,
1210 Voyez comme il me presse à luy rendre un office {p. 85}
Que cent fois plus que luy j’ay lieu de souhaiter.
Nerine j’oy du bruit, j’entens quelqu’un monter
Va regarde qui c’est.

Scene III. §

Florimonde, Orasie, Julie, Nerine.

FLORIMONDE.

Est-ce vous ? chere amie.

ORASIE.

Ah ! vous m’avez comblé de honte & d’infamie,
1215 Vostre frere a chez moy tantost veu Lidamant
Enfermé dans ma chambre.

FLORIMONDE,

Ah Madame & comment ?

ORASIE.

Il n’importe comment, il est tout en colere
Sorty hors de chez moy, qui pour le satisfaire
L'ay cherché jusqu’icy, les yeux baignez de pleurs
1220 Qui tesmoignoient assez l’excez de mes douleurs,
Qui ne justifioient que trop mon innocence,
Mais quoy quelque raison que j’eusse en ma deffence,
Je n’ay peu faire entendre à ce cœur irrité {p. 86}
Rien qui peust l’esclarcir de ma fidelité,
1225 Je n’ay pourtant rien dit de tout ce qui vous touche,
Ma discrette amitié m’avoit fermé la bouche,
Une femme enfermée en quelque lieu prochain*,
Sort, passe devant nous sans parler & soudain
En gaignant le degré monstre à sa contenance
1230 Qu'elle prend du martel de nostre conference,
Je croy que c’est Iris, ou je me trompe fort,
Car elle a ce me semble, & sa taille, & son port.

FLORIMONDE.

Il n’en faut point douter, voyez l’effronterie,
Qu'a fait mon frere alors.

ORASIE.

Je ne vy de ma vie,
1235 Un homme plus surpris, il a fait l’estonné,
Voulant courir apres je l’en ay detourné !
Là-dessus j’ay vomy ce que j’avois dans l’ame,
Et contre ce volage & contre cette infame,
Voyant qu’on outrageoit jusque là mon Amour
1240 Croyez que j’ay bien fait la cruelle à mon tour,
Comme il m’avoit nommée & perfide & parjure,
Contre luy justement j’ay repoussé l’injure,
Nous nous sommes quittez enfin fort mal contents
Et pour le mieux piquer j’ay faint aller aux champs,
1245 Mais c’est pour avoir lieu d’user d’un stratageme, {p. 87}
Où personne ne peut me servir que vous mesme,
Je brusle de desir maintenant de sçavoir
Si c’est Iris qui vient à toute heure le voir.
Car cette Iris sur tout trouble ma fantaisie,
1250 Et cause les effetz de cette jalousie,
Vous m’avez dit tantost qu’en son appartement,
Une porte respond au vostre tellement
Que par là, puis qu’enfin la chose est evidente
Je pourrois découvrir quelle est cette impudente,
1255 Et guerir les soubsons de mon esprit jaloux.
Si je pouvois passer deux ou trois nuits chez vous,
Car pour autant de jours mon pere est en campagne
Ne me refusez pas chere & belle compagne,
Je vous ay tantost fait un service important,
1260 Qui vaut bien qu’aujourd’huy vous m’en faciez autant
Et que vous respondiez à cette courtoisie.

FLORIMONDE.

Vous m’offenseriez trop d’en douter Orasie,
Un obstacle pourtant s’oppose à ce dessein,
Mais j’y remediray.

ORASIE

Quel peut-il estre ?

FLORIMONDE.

En vain
1265 Je voudrois vous celer* le soubson de mon frere,
Estant fort mal fondé, n’estant qu’immaginaire, {p. 88}
Il brusle comme vous de desir de sçavoir
Quel est ce Cavalier qu’il croit qu’il vous vient voir,
Et pour y parvenir, sçachez qu’il se propose,
1270 Le mesme expedient toute la mesme chose
Que vous me proposez, voulant pareillement
Que je sois ces trois nuits dans vostre apartement,
Feignant que nous avons eu quelque pique ensemble,
J'entends mon frere & moy, tellement qu’il me semble
1275 Qu'il seroit à propos, si vous venez icy
Que pour vous y servir, je m’y trouvasse aussy.
Et n’allant pas chez vous il diroit

ORASIE.

Au contraire.
Pour plus commodement terminer cette affaire,
Il faut que vous feigniez m’avoir dit dès ce soir
1280 Toute vostre dispute & luy faire sçavoir,
Et puis nous changerons de logis tout à l’heure,
Cette voye en effect me semble la meilleure.

FLORIMONDE.

Comment donc ferons nous ?

ORASIE.

Demandez vous comment ?
Pourquoy tant consulter ? Nerine promptement,
1285 Qu'on luy donne sa coiffe, & son masque, une affaire {p. 89}
Se perd le plus souvent alors qu’on la differe,
Allons, nous n’en avons des-ja que trop parlé ?

FLORIMONDE,

En quelque part que soit Lidamant trouve le,
Entens tu bien Nerine, & luy dy que s’il m’aime,
1290 Il me vienne trouver ce soir au logis mesme
Où tantost il m’a veuë. Apres reviens icy
Pour servir Orasie, il est meilleur ainsi,
Qu'en changeant de logis, nous changions de suivante.
Viens donc suy moy Julie.

ORASIE.

Aux affaires pressantes
1295 Il faut agir ainsi,

FLORIMONDE.

Je le trouve tres bon.

ORASIE.

Madame, soyez donc Maistresse en ma maison.
Comme si vous estiez chez vous, je vous supplie.

FLORIMONDE.

Faites de mesme icy.

ORASIE.

Toy pren garde Julie
De luy bien obeyr.

JULIE.

{p. 90}
Je n’y manqueray pas.

FLORIMONDE.

1300 Despeschons nous Julie.

JULIE.

Allons je suis vos pas.

Scene IV. §

Lidamant dans sa Chambre, & Fabrice avec un papier.

LIDAMANT.

Quel papier est ce là Fabrice ?

FABRICE.

C'est un conte
De l’argent que j’ay mis.

LIDAMANT.

Que dis tu ?

FABRICE.

Qui se monte
A sept livres huit sols, en memoire du temps
Que je vous ay servy, qui sont pres de cinq ans
1305 Moins quatre mois, six jours.

LIDAMANT.

{p. 91}
Qui t’oblige à ce faire ?

FABRICE.

C'est pour vous demander s’il vous plaist mon salaire.

LIDAMANT.

Encor pour quel suject ?

FABRICE,

Parce que je cognoy
Que vous n’avez Monsieur plus affaire de moy,
Vous ne voulez jamais que je vous accompagne,
1310 Si ce n’est quelque fois encor à la Campagne,
Si quelqu’un vous vient voir, vous me faites sortir
Et vous allez dehors sans m’en faire advertir.
De cette façon là je ne sçaurois pas vivre,
Pourquoy m’empeschez vous tous les jours de vous suivre ?
1315 Vous allez en des lieux où peut-estre mon bras
Dans les occasions ne vous manqueroit pas.
A ne vous point mentir, ce procedé me fasche
Il faut qu’auprez de vous je passe pour un lasche,
Ou pour quelque causeur. Je suis assez discret
1320 Et croy meriter bien qu’on me fie un secret.

LIDAMANT.

N'impute ce silence & cette solitude
Qu'à mon esprit chagrin tout plein d’inquietude,
Je t’aime, cher Fabrice, autant que je le doy, {p. 92}
Si tu sçavois mon mal tu pleurerois pour moy.

FABRICE

1325 Quittons donc ce pays puis qu’il vous importune,
Ne sçauriez vous ailleurs trouver vostre fortune* ?
Arrachez vous, Monsieur, cette espine du sein.

LIDAMANT.

Fabrice, je ne puis, j’ay changé de dessein
Je suis trop enchanté des yeux de cette belle,
1330 Pour pouvoir seulement vivre un moment sans elle
Puis voyant mon soubçon de tout point esclaircy,
Rien ne m’oblige plus à m’en aller d’icy,
Il reste encor un poinct que je ne puis comprendre,
Je pensois qu’elle fust Maistresse de Leandre
1335 Et je ne regardois que son seul interest.
Je suis hors de ce doute, & je ne sçay qui c’est.

FABRICE.

Qui c’est ? je le sçay bien moy,

LIDAMANT.

Toy ?

FABRICE.

Moy je le jure.

LIDAMANT,

Que ne le dis tu donc ?

FABRICE.

{p. 93}
C'est quelque Creature
Qui par inventions cherche de vous tromper,
1340 Croyez que les plus fins s’y laissent attraper.

LIDAMANT.

Je suis trop glorieux de l’estre de la sorte,
Mais pren garde, j’entends quelqu’un à cette porte

Scene V. §

Nerine, Fabrice, Lidamant.

NERINE.

Escoutez Lidamant, celle que vous sçavez.

FABRICE.

Femme, d’où tombes-tu ?

NERINE

Que t’importe ?

LIDAMANT.

Achevez.

NERINE.

1345 Veut avoir cette nuit l’honneur de vostre veuë,
Venez y sans manquer, vous sçavez bien la ruë,
Et le logis aussi, c’est dans le mesme lieu,
Il n’est point de besoing de vous conduire Adieu. {p. 94}
Elle sort.

FABRICE,

A t’on jamais parlé d’un succez* plus estrange ?

LIDAMANT.

1350 Courage, cette nuit, je m’en vay voir mon Ange.

FABRICE.

Cet Ange est bien obscur, mais que n’est-ce en plain jour.

LIDAMANT.

En attendant la nuit, je m’en vay faire un tour.
Et toy ne manque pas en ce lieu de m’attendre,
Et si je tarde trop, fais advertir Leandre
1355 Qu'il souppe en arrivant, qu’il ne m’attende point.

FABRICE.

C'est me desesperer jusques au dernier point
Vous laisser aller seul ? je n’en ay nulle envie,
Où vous avez couru danger de vostre vie,
Où vous craignez un pere aussi bien qu’un rival,
1360 Où sans doute il vous peut arriver quelque mal,
Vous n’irez point tout seul si vous me voulez croire.

LIDAMANT.

Sçaurois-je estre en peril lors que je suis en gloire ?
Je ne puis là-dedans, estre qu’asseurement.
{p. 95}

Scene VI. §

Leandre, Lidamant, Fabrice,

LEANDRE.

Où s’adressent vos pas ? vous sortez Lidamant !

LIDAMANT.

1365 Leandre, je ne sçay comme je vous puis taire
Ny comme j’ose aussi vous conter ce mystere ?
Un respect bien puissant me deffend de parler,
Mais mon bon-heur m’oblige à ne vous rien celer*
Aurez vous bien le temps pour ce soir ?

LEANDRE.

Ouy la flame
1370 Qui m’embraze le cœur, & me consomme l’ame,
Et l’ingrate beauté qui me donne des lois
Me donnent du loisir plus que je ne voudrois
Je suis à vous ce soir, & toute la nuict mesme

LIDAMANT.

Scachez donc, cher amy, que la beauté que j’ayme,
1375 M'a fait sçavoir icy que tout seul, & sans bruit,
Je ne manquasse pas de la voir cette nuict.
C'est celle dont tantost si vous avez memoire
Je commençois chez vous à vous conter l’histoire, {p. 96}
Qu'une fille arrivant en empescha le cours,
1380 Si je ne vous ay point achevé ce discours
C'est que je redoutois, veu mesme l’apparence,
De commettre en ce poinct contre vous une offence.
Mais esclaircy qu’à tort j’avois eu ce soubçon,
Que ce fait ne vous touche en aucune façon,
1385 Il faut absolument que je vous entretienne ;
Il n’est pas encor nuict, attendant qu’elle vienne,
Allons nous promener, je surprendray vos sens
Par le nombre infiny des rares accidents*
Qui me sont survenus, que vous croirez à peine.

LEANDRE.

1390 Encor de quel costé ?

LIDAMANT.

Tyrons devers la Seyne.
Allons sur le Pont-neuf.

LEANDRE

En cette occasion
Je pourray divertir* un peu ma passion.

LIDAMANT à Fabrice.

Toy, va-t’en au logis.

FABRICE bas.

Non, je n’en veux rien faire,
Je les suivray tous deux leur deusse-je desplaire;
1395 Mais de peur d’estre veu, je les suivray de loing,
Je ne desire pas leur manquer au besoing.
{p. 97}

Scene VII. §

LISIS, TOMIRE dans la ruë.

Lisis soustenant Tomire sous les bras.

Reposez-vous sur moy Monsieur, à l’heure mesme
Nous serons au logis.

TOMIRE.

Ma douleur est extreme.
Je ne puis resister à la force du mal.

LISIS.

1400 Qu'au diable soit donné le maudit animal
Qui vous a fait tomber, mettez vous à vostre aise.
Encor si nous pouvions rencontrer une chaise,

TOMIRE.

Je le voudrois Lisis, Ah Dieux je n’en puis plus.

LISIS.

Voyez cét escalier, reposez vous dessus
1405 Je vay voir si je puis en rencontrer quelqu’une.

TOMIRE.

Je plains ma fille helas sçachant mon infortune
J'ay peur que le regret ne la face mourir.

LISIS.

{p. 98}
Ayez soin seulement de bien tost vous guerir
Vous serez mieux pensé chez vous qu’à la Campagne.

TOMIRE.

1410 Je croy que le malheur de tout point m’acompagne,
Il est tard, ils seront tous retirez chez moy.

LISIS.

Il n’en faut point douter, Ouy Monsieur je le croy,
Il n’est pas encor nuit, mais Madame Orazie
N'est pas de celles là dont la coquetterie
1415 Les porte jour & nuit à vouloir cajoler.

TOMIRE.

Lisis en arrivant j’ay peur de l’esveiller.

LISIS.

Songez à vous Monsieur, je reviens tout à l’heure,
Quand vous l’esveilleriez craignez vous qu’elle meure.

TOMIRE.

Ah la jambe.

LISIS.

Attendez, je m’en vay de ce pas
1420 Au prochain Carrefour je ne tarderay pas.

Fin du quatriesme Acte.

{p. 99}

ACTE V. §

Scene première. §

Leandre, Lidamant, Fabrice caché.

LEANDRE de nuit.

L'Histoire me surprend.

LIDAMANT.

Dedans ces dependances
Je laisse à vous conter beaucoup de circonstances
Qui la rendroient plus belle. A present qu’il est nuit
Et qu’elle m’attend seule, retirez vous sans bruit,
1425 Et me laissez aller.

LEANDRE.

Moy que je vous delaisse !
Me soubçonneriez vous de si grande foiblesse,
Vous estant veu chez elle en un si grand danger
Y retourner sans moy ce n’est pas m’obliger,
Non non, je suis vos pas, disposez de ma vie,
1430 Ne croyez pas pourtant que ce soit par envie,
De sçavoir vos secrets, ny troubler vostre Amour,
J'attendray dans la ruë & jusqu’au poinct du jour.
Ouy, je veux s’il le faut toute la nuit attendre.

LIDAMANT.

{p. 100}
Ce seroit abuser de vous, mon cher Leandre,

LEANDRE.

1435 On n’abuse jamais d’un veritable Amy
Celuy là ne l’est point qui ne l’est qu’à demy.
Quoy qu’il puisse arriver durant cette entreveue,
Sçachez que vous aurez un Amy dans la rue,
Qui pour vous seconder a le cœur assez fort,
1440 Et qui vous defendra mesme jusqu’à la mort.

LIDAMANT.

Puis-je douter de vous, & de vostre courage,
En voyant cette preuve ? & ce grand tesmoignage
Qu'il vous plaist me donner de vostre affection ?
J'accepte la faveur, mais à condition
1445 Que vous me traiteréz avec mesme franchise.

LEANDRE

Ne perdez point de temps suivez vostre entreprise

FABRICE bas caché derriere eux.

Je les voy, mais d’icy je ne les entends pas.
Approchons de plus pres, & marchons sur leurs pas.
Il s’approche.

LIDAMANT.

J'oy du bruit.

LEANDRE

{p. 101}
Qui va là ?

FABRICE.

Nul ne va, je demeure.

LEANDRE.

1450 Passez vostre chemin, viste mais tout à l’heure.

FABRICE,

Et pourquoy ?

LIDAMANT.

Passez outre.

FABRICE.

Il n’est pas de besoin
De passer plus avant, je ne vay pas plus loing.

LIDAMANT.

Amy que cherchez vous ?

FABRICE,

A vous rendre service.

LEANDRE l’espée à la main.

Passez, ou je.

FABRICE

Tout beau Monsieur, je suis Fabrice.

LIDAMANT.

1455 Que fais tu là ?

FABRICE.

Je viens.

LEANDRE.

{p. 102}
Retourne t’en maraut
Ou je te,

LIDAMANT.

Laissez le ne parlez pas si haut,
Ne faites point de bruit icy mon cher Leandre,
Celle que je viens voir nous pourroit bien entendre,
Son logis n’est pas loing.

LEANDRE.

Est-ce proche d’icy ?

LIDAMANT.

1460 Nous sommes arrivez peu s’en faut le voicy.

LEANDRE.

Quoy ! c’est là son logis ?

LIDAMANT,

Ouy c’est le logis mesme,
Que je cherche où se tient cette beauté que j’ayme,

LEANDRE.

A t’elle un pere ?

LIDAMANT.

Ouy.

LEANDRE.

Quoy ! c’est cette maison,
Où l’on vous a tenu pres d’une heure en prison ?

LIDAMANT.

{p. 103}
1465 C'est la mesme maison & la mesme personne.

LEANDRE.

Où son pere.

LIDAMANT.

Arriva.

LEANDRE bas.

Que ce discours m’estonne.
Qui vous surprit chez elle, & qui vous obligea,
A vous cacher ainsi.

LIDAMANT.

Je vous l’ay dit desja,
C'est là que m’arriva cette belle adventure,

LEANDRE

1470 Amy, songez y mieux. La nuit estant obscure,
Vous nouveau dans Paris vous pourriez que je croy*,
Vous estre un peu mespris ?

LIDAMANT.

Vous mocquez vous de moy ?
Asseurement c’est là.

LEANDRE.

Cela ne peut pas estre.

LIDAMANT.

{p. 104}
Voila, je le sçay bien, sa porte & sa fenestre,
1475 Ne passez pas plus outre, Amy demeurez-là,
Je m’en vais apeler.

LEANDRE.

Que veut dire cela ?
Cette maison sans doute est celle d’Orazie
De quel estonnement est mon ame saisie ?
Quoy ! mon meilleur Amy seroit-il mon rival

LIDAMANT.

1480 Retirez vous, je vay luy faire le signal,
Car je ne voudrois pas,

LEANDRE.

Vous m’avez ce me semble,
Conté lors que tantost nous discourions ensemble,
Que celle maintenant qui vous attend icy
Est la mesme qui m’a tant causé de soucy,
1485 Troublant de ma Maistresse encor la fantaisie.

LIDAMANT.

Ouy c’est la mesme.

LEANDRE bas.

Donc ce n’est pas Orazie,
Car nous estions ensemble, il n’en faut point douter,
Et que l’autre qui vint

LIDAMANT.

{p. 105}
Je ne puis escouter.

LEANDRE.

Estoit.

LIDAMANT.

Tout beau l’on ouvre.

JULIE à la fenestre.

Est-ce vous.

LIDAMANT à Leandre.

On m’appelle.

JULIE.

1490 Est-ce vous Lidamant ?

LIDAMANT.

Ouy c’est moy.

LEANDRE bas.

L'infidelle.
C'est Julie. Ah grands Dieux, je suis tout interdit.

JULIE.

Attendez je descends.

LIDAMANT bas à Leandre,

La servante m’a dit
Qu'elle s’en va m’ouvrir.

LEANDRE.

Oyez je vous supplie.

LIDAMANT.

Je ne le puis.

LEANDRE bas.

{p. 106}
Ah perfide Julie,
1495 Si c’est.

LIDAMANT.

Elle m’attend.

LEANDRE.

La Dame.

JULIE à la porte.

Lidamant.

LIDAMANT.

Me voila.

LEANDRE.

Qui tantost.

JULIE.

Entrez donc promptement

LIDAMANT en entrant.

Nous nous verrons apres.
{p. 107}

Scene II. §

Comme* Lidamant entre Leandre veut entrer aprez luy, & Julie luy ferme la porte au nez.
LEANDRE, FABRICE

LEANDRE.

Me traitter de la sorte ?
Julie effrontément fermer sur moy la porte ?
Peut on voir justes Dieux un Amant plein de foy
1500 Plus troublé, plus confus, & plus trahi que moy ?
Comment ? je viens chercher au logis d’Orasie
Celle qui luy causoit tantost sa jalousie ?
Qui passant au travers de la Chambre où j’estois
Nous a si fort surpris, pendant que je parlois
1505 A la mesme Orasie ? ô l’estrange imposture,
Cherchons la verité, mais qui soit toute pure,
Elle a menti l’ingrate, icy tout m’est suspect,
Ne croyons que nos yeux, oublions tout respect.
Rompons tout, brisons tout, renversons cette porte.
1510 Que fais-je justes Dieux ? la colere m’emporte
Viens-je pas de donner parole à Lidamant ?
Mais qu’importe l’honneur, qu’importe le serment
Quand on brusle d’amour, qu’on meurt de jalousie,
Non non, je veux tout perdre en perdant Orasie, {p. 108}
1515 La perdre ? justes Dieux le pourrai-je souffrir,
Rompons.

FABRICE.

Que faites vous Monsieur ?

LEANDRE.

Je veux mourir.
M'en peut-on empescher ? qu’est-ce qui me retarde ?

FABRICE.

Mourir ? que dites vous ? donnez vous en bien garde.
On entend frapper de grands coups à la porte de devant.

LEANDRE.

Mais quel bruit est-ce là ?

FABRICE.

C'est quelque autre jaloux
1520 Qui frappe à quelque porte, aussy bien comme vous.

Scene III. §

Tomire, Julie, Leandre, Lidamant, Florimonde, Fabrice.

TOMIRE derriere le Theatre.

Ouvrez Julie, ouvrez.

JULIE derriere le Theatre.

{p. 109}
Grands Dieux je desespere,
C'est Monsieur.

LEANDRE

Je me trompe, ou c’est la voix du pere.
On entend des bruits d’espee derriere le Theatre.

FABRICE,

Quel bruit,

Tomire derriere le Theatre.

Penses tu donc eviter mon courroux*.

Lidamant sort avec Florimonde entre ses bras dans l’obscurité.

Ne vous estonnez point Madame asseurez vous.

TOMIRE.

1525 Dieux cruels qui souffrez ce meschant qui m’affronte
Comment me laissez vous survivre à cette honte.

LIDAMANT.

Puis que je suis dehors, je vous deffendray bien.

FLORIMONDE.

Menez moy droit chez vous, & je ne crains plus rien.

LIDAMANT.

{p. 110}
Cherchons un mien amy qui m’attend à la rue.

FLORIMONDE.

1530 Est-ce Leandre ?

LIDAMANT.

Ouy.

FLORIMONDE.

Grands Dieux je suis perduë,

LIDAMANT.

De quoy vous troublez vous ?

FLORIMONDE.

Lidamant escoutez,
Leandre est.

LIDAMANT.

C'est en vain que vous le redoutez,
Leandre est mon Amy, ne craignez rien Madame,
Il n’est plus temps icy de vous cacher.

FLORIMONDE.

Je pasme,
1535 Je suis morte autant vaut.

LIDAMANT.

Leandre.

LEANDRE.

{p. 111}
Me voicy,

LIDAMANT.

Ah grands Dieux quel malheur vient d’arriver icy.

LEANDRE.

Ne le puis-je sçavoir ?

LIDAMANT.

Admirez mon adresse,
Comme* je discourois avecque ma maistresse,
Son pere est arrivé, qui frappe, & nous surprend,
1540 Personne ne respond, & sur l’heure on entend,
Que cedant à l’excez du courroux* qui l’emporte
Aydé de son valet, il rompt du pied la porte.
Et l’espée à la main, le bon homme est venu,
M'attaquer furieux. De peur d’estre cognu,
1545 N'ayant autre moyen, j’ay tué la chandelle,
Et dans l’obscurité, j’ay sauvé cette belle.
De peur qu’on n’ait dessein de courir apres nous
Je fay le guet icy, conduisez là chez vous.

LEANDRE.

Fabrice le peut faire avec plus d’asseurance
1550 Et nous demeurerons icy pour sa deffence.

LIDAMANT.

Seulle avec un valet & dans ce lieu suspect !
Non ce seroit par trop luy manquer de respect.
Moy de peur d’accident* je garderay la ruë,
Lidamant s’en va.
{p. 112}

Scene IV. §

Leandre, Florimonde, qui croit estre Orasie.

LEANDRE en l’obscurité dans la rue.

A la fin Orasie.

FLORIMONDE bas.

Ah Dieux je suis perdue.

LEANDRE.

1555 A la fin je vous tiens, vous n’eschaperez pas.

FLORIMONDE bas.

Que dois-je devenir ?

LEANDRE.

Est-il homme icy bas,
Qui m’esgale en malheur ? ne craignez rien cruelle,
Encor que* vous soyez inconstante, infidelle,
Et que vous m’outragez jusqu’au dernier point,
1560 Je vous garantiray, non non, ne craignez point.

FLORIMONDE bas.

Que sera-ce de moy ?

LEANDRE,

Grands Dieux est-il possible,
Que vous me reservez un tourment si sensible ?
{p. 113}

Scene V. §

Tomire, Lisis, Fabrice, Lidamant,
Tomire, & Lisis l’espée à la main.

TOMIRE dans la rue.

Si les forces du corps, me manquent, j’ay du cœur*,
& plus qu’il ne m’en faut pour venger mon honneur.

LIDAMANT l’espée à la main.

1565 Nul ne passe, arrestez.

TOMIRE.

Attend moy de pié ferme,
Infame, car ta vie est à son dernier terme,
Il faut que je te tuë.

FABRICE.

Ah je tremble de peur.

LIDAMANT.

Rejoignons nostre amy qui doit estre en lieu seur.

FABRICE.

Où diable suis-je allé ? j’estois bien las de vivre ?

TOMIRE.

{p. 114}
1570 Où vas-tu traistre ? Ah Dieux, je ne le sçaurois suivre,
Lisis mon mal me presse & ne puis advancer.

LISIS prend Fabrice.

Voicy quelqu’un des siens.

FABRICE pris.

Eusse je peu penser
Que mon maistre jamais m’eust delaissé ?

TOMIRE.

Qu'il meure,
Le traistre, le pendart, que ce soit tout à l’heure.

FABRICE.

1575 Monsieur, au nom des Dieux ayez pitié de moy.

TOMIRE.

Ton nom ?

FABRICE.

Le Curieux Impertinent, je croy
Si la peur ne me trompe.

TOMIRE.

Infame rend l’espée.

FABRICE presentant son espée.

{p. 115}
Elle ne fut jamais aux combats occupée,
C'est trop peu de l’espée. Ah prenez mon chapeau,
1580 Mon poignard, mon pourpoint, mes chausses, mon manteau,
Et s’il en est besoin, jusques à ma chemise.

TOMIRE.

Es-tu pas le valet ?

FABRICE.

Je parle sans faintise.

TOMIRE.

Du traistre qui ravit, l’honneur de ma maison,

FABRICE.

Ouy Monsieur je le suis, & vous avez raison.

TOMIRE.

1585 Son nom !

FABRICE,

C'est Lidamant qui loge chez Leandre.

TOMIRE.

Je ne te turay pas, mais je te feray pendre,

FABRICE.

Il faut en quelque lieu qu’il soit l’aller chercher.

TOMIRE.

{p. 116}
Mais Lisis soustiens moy, je ne sçaurois marcher
Je periray plustost que l’affront m’en demeure.

Scene VI. §

Leandre, Florimonde, un valet, Orasie & Nerine, au logis de Leandre, dans l’obscurité.
Leandre vient chez luy avec Florimonde qu’iltient par la main, pensant tenir Orasie, ouvre avec la clef la porte, & Orasie &Nerine, escoutent dans la Chambre de Florimonde, en obscurité.

LEANDRE

1590 De la chandelle hola.

Un valet derriere le Theatre.

Bien Monsieur tout à l’heure.

Orasie dans la Chambre de Florimonde

bas à Nerine.
Escoutons ce que c’est, j’entends du bruit icy.

LEANDRE à Florimonde.

Me voila belle ingratte à la fin esclaircy ?
Pourriez vous soustenir.

Orasie à Nerine,

{p. 117}
C'est avec une femme
Qu'il parle, escoutons le ?

LEANDRE à Florimonde.

N'estre pas une infame ?
1595 Ingratte, desloyalle, inconstante, & sans foy ?
Que me respondrez vous ?

FLORIMONDE bas.

Justes Dieux sauvez moy.

LEANDRE à Florimonde.

Est-ce pour ce suject que vous estes venue
Tantost à mon logis ?

ORASIE à Nerine.

C'est celle que j’ay veue
Chez luy, c’est elle mesme.

LEANDRE à Florimonde.

Ay-je autre chose à voir ?
1600 Vous voila maintenant ingrate en mon pouvoir.
Voions si vous pourrez rencontrer quelque ruse
Quelle fourbe à present vous servira d’excuse ?
Aurez vous bien le front d’oser me maintenir
Que je me suis trompé ? pourrez vous soustenir
1605 Que cette verité soit fausse comme l’autre ?
Parlez donc respondez car il y va du vostre. {p. 118}
Mais que pourrez vous dire ? ha miserable jour,
Qui premier alluma le feu de mon Amour.

ORASIE bas à Nerine.

Nerine escoute un peu de quelle hardiesse
1610 Il soustient son amour, & comme il le confesse.
Elle entre en l’obscurité par la porte qui respond dans la Chambre de Leandre.

NERINE,

Que faictes vous Madame ?

ORASIE bas à Nerine.

Ah Nerine je veux
Entrer dans cette Chambre afin d’approcher d’eux
Pour ouïr de plus pres ma sentence derniere.

LEANDRE.

Veut-on pas promptement apporter la lumière ?

Un valet derriere le Theatre.

1615 Je la cherche Monsieur, je m’en vay de ce pas.

FLORIMONDE bas.

S'il l’apporte grands Dieux, que ne dira t’il pas ?
Voyons si je pourrois de ses mains me deffaire.

LEANDRE.

{p. 119}
Respondez, n’ayant rien à dire, il se faut taire.

Florimonde s’eschappe de ses mains & dit bas.

Courage tout va bien, je suis hors de ses mains.
Leandre pensant reprendre Florimonde prend Orasie par le bras, qui se trouve au pres de luy dans la mesme Chambre.

LEANDRE.

1620 Vous pensez eschaper mais vos efforts sont vains.

FLORIMONDE bas.

Ah Dieux, si je pouvois trouver la porte ouverte.

LEANDRE.

Mais que gagneriez vous ? la fourbe est decouverte,
Non non, ne craignez rien, je seray trop vangé
Quand je vous convaincray de m’avoir outragé,
1625 La chandelle venant vous n’aurez plus d’excuse,
Je veux que vous soyez entierement confuse,
Et que vous n’ayez rien du tout à repartir*.
Et mesme vous oster le pouvoir de mentir.

ORASIE bas.

Je ne veux dire mot, il m’a prise pour elle,
1630 Quand on apportera tantost de la chandelle,
Et qu’il me cognoistra, Dieux qu’il sera surpris, {p. 120}
Voyant qu’il parle à moy.

FLORIMONDE bas.

J'ay repris mes esprits,
Quel heur* pour moy d’avoir trouvé la porte ouverte.
Sans cela j’estois morte, & courois à ma perte.
Elle entre dans sa Chambre & ferme la porte.
1635 Me voicy maintenant en lieu de seureté.

LEANDRE.

Seray-je encor long temps en cette obscurité ?
De la chandelle hola.
Un valet apporte de la chandelle.
Monsieur, je vous l’apporte.

LEANDRE.

Sors promptement d’icy. Je vay fermer la porte.
Le valet sort & Leandre va fermer la porte.

ORASIE bas.

Dieux qu’il sera surpris à l’heure qu’il verra
1640 Que c’est à moy qu’il parle, & qu’il me cognoistra.

LEANDRE.

Et bien perfide, & bien desloyalle Orazie !
Est-ce une illusion que cette jalousie ?
Vous estes innocente, & vous avez raison.
Non, vous n’avez commis aucune trahison ?
1645 Vous n’avez point trompé Leandre qui vous ayme,
Mais peut-estre ay-je tort, & ce n’est pas vous mesme {p. 121}
Non, non, c’estoit un autre à qui je m’adressois,
Je me suis abusé Madame cette fois
Je me trompe sans doute & vous pren pour un autre.

ORASIE.

1650 Dieux ! c’est un procedé merveilleux que le vostre.
Quoy ! ne vous troubler point en cette occasion ?
Me voir d’un sens rassis, & sans confusion ?
Parler avec ce front, avec cette impudence ?

LEANDRE.

Ouy je me prens à tort à la mesme innocence ?
1655 Vous devez me blasmer. Car j’y procede mal
De vous livrer moy mesme aux mains de mon rival.

ORASIE.

Je devois en effect me plaindre la premiere
Leandre, cette ruse est un peu trop grossiere,
Vous voyant convaincu, dites moy de quel front
1660 Osez vous maintenant paslier cet affront ?
Vous voir entre mes bras lors que vous pensiez estre
Entre les bras d’un autre, & me faire paroistre
Que c’est illusion, & que c’est en effect
Moy que vous surprenez à present sur le fait ?
1665 Et ce qui fonde mieux cette surprise extresme {p. 122}
Feindre parler à moy comme* estant elle mesme.

LEANDRE.

Voyez avec quel front cette infidelle ment.
Ah je perds de tout point icy le jugement,
J'estois avec un autre impudente effrontée ?

ORASIE.

1670 A quoy bon ce discours ? la mine est esventée,
Mon oreille & mes yeux m’ont dit la verité.

LEANDRE.

Voyez la trahison, voyez la lacheté,
Mais cette femme encor qu’est elle devenue ?
Comment a t’elle peu disparoistre à ma veue.

ORASIE

1675 Pourquoy demandez vous ce que vous sçavez bien ?

LEANDRE

Cette fourbe est grossiere, & ne vous sert de rien.
Parlons avec raison, dites moy je vous prie,
Avez vous bien encor assez d’effronterie,
De vouloir devant moy nier impudemment,
1680 Que comme* vous estiez avecque Lidamant,
Vostre pere arrivant, vous a traittez de sorte
Qu'à tous deux il a fait soudain gaigner la porte ? {p. 123}
Que Lidamant n’a pas luy mesme eu le soucy
De vous mettre en mes mains pour vous conduire* icy ?
1685 Dites que j’ay menti, que j’ay peu me mesprendre
Qu'il est faux que je sois,

ORASIE.

Vous me raillez Leandre !
Quels contes fabuleux icy me faites vous ?
A moy qui dès ce soir n’a point esté chez nous ?
Dire que vous m’avez en ces lieux amenée,
1690 Moy qui chez vostre sœur ay passé la journée,
Exprez pour m’esclaircir, & voir ce que je voy.

LEANDRE frappe à la porte de sa sœur.

Nous le sçaurons bien tost, Florimonde ouvrez moy.

FLORIMONDE, ouvre, entre, & dit bas.

Il faut dissimuler,

LEANDRE.

Est-il vray qu’Orasie
Estoit avecque vous ?

FLORIMONDE.

Dieux quelle frenesie,
1695 Orasie avec moy ! mais pour quelle raison ?
Je devois dans deux jours aller à sa maison,
Comme vous m’avez dit tantost pour cette affaire {p. 124}
Dont vous m’avés parlé, mais elle pour quoy faire,
Venir en mon logis.

ORASIE.

Quoy pouvez vous nier
1700 Que je sois arrivée icy pour vous prier
De demeurer ceans* ? & que vous ?

FLORIMONDE l’interrompant.

Ces paroles
Mon frere, ne sont rien que des contes frivoles.
Tout ce qu’elle vous dit est faux asseurement.

LEANDRE.

Et bien que dites vous, voyez vous pas comment
1705 On vous manque à present, Icy de garantie ?
Voyons si vous avez aucune repartie,
Ma sœur ne songe à vous en aucune façon,
Et d’elle vous voulez me donner du soubson,
Et par un procedé qui n’est pas legitime,
1710 Vous la faites tremper mesme dans vostre crime,
Mais je la cognoist bien je sçay bien quelle elle est.

FLORIMONDE bas à Orasie.

Pardonnez chere Amy, icy mon interest,
Doit marcher le premier.

ORASIE.

{p. 125}
Je commence à comprendre
L'affaire comme elle est. Escoutez moy Leandre.
1715 Madame asseurez vous, que je n’oubliray rien,
Gardez vostre interest je garderay le mien.
Puisque la verité se depeint toute nuë,
Il faut qu’en cét estat elle vous soit cognuë,
Je veux declarer tout, & parler franchement.

NERINE.

1720 Quelqu’un frappe à la porte.

LIDAMANT derriere le Theatre.

Ouvrez.

LEANDRE.

C'est Lidamant
Nous sçaurons maintenant le nœu de cette affaire

FLORIMONDE bas.

Tout est perdu l’on va descouvrir le mistere,
Qui pourroit l’advertir du danger où je suis.
Rentrons, Dieux je retombe en un gouffre d’ennuis*.
Elle entre dans sa Chambre.
{p. 126}

Scene VII. §

Lidamant, Leandre, Orasie, Florimonde.

LIDAMANT.

1725 De crainte que quelqu’un vous suivist dans la ruë,
J'ay demeuré derriere, & bien qu’est devenue
La beauté que je viens de mettre entre vos mains.

LEANDRE luy montrant Orasie qui se cache.

Lidamant la voila, mais vos projets sont vains,
Si vous la pretendés. Car je perdray la vie,
1730 Avant que de souffrir qu’elle me soit ravie,
Elle est entre mes mains & j’en suis possesseur.

LIDAMANT.

Ce procedé Leandre est-il d’homme d’honneur ?
Voyez à quel amy justes Dieux, je me fie ?
M'user d’une si lasche, & noire perfidie ?
1735 Si vous ne me rendez, mais je dis au plustost,
La Dame que je viens de vous mettre en depost,
Nous romprons je vous jure, & nous aurons querelle.

LEANDRE luy monstrant Orasie.

Est-ce cette beauté.

LIDAMANT.

{p. 127}
Non non, ce n’est point elle,
Gardez bien celle-là, je ne la cognoy point.

LEANDRE

1740 Mes sens sont à ce coup interdis de tout point,
Je suis tout hors de moy.

LIDAMANT.

Comme avez vous l’audace,
De vouloir supposer* cette Dame en sa place ?
Dites qui vous oblige à me traitter ainsi ?
Sy c’est que vous ayez d’autre dessein icy,
1745 Parlez moy clairement Leandre je vous prie,
Ce procedé vers moy passe la raillerie.
Comme* Florimonde escoute à la porte de sa chambre ce qu’on dit, Orazie la surprend & l’emmeine.

ORASIE prenant Florimonde par le bras.

Je m’en vais à tous deux remettre les esprits,
Est-ce pas là l’object dont vous estes espris ?
Lidamant respondez.

LIDAMANT.

Vous mocquez vous Leandre ?
1750 Qui vous peut obliger à me vouloir surprendre ?
Pourquoy supposez* vous la Dame que voicy,
Si celle que je cherche & que j’aime est icy ?
Car en effect voila la beauté que j’adore. {p. 128}

ORASIE à Leandre.

Et bien Leandre, & bien, me direz vous encore,
1755 Qu'elle ne songe à rien, qu’elle ne sçait que c’est,
Je fais ici premier marcher mon interest.

LEANDRE l’espée à la main.

Veilley-je ! ou si je dors ? infame cette espée
Au deffaut d’un poignard dedans ton sang trempée,
Me vengera bien tost, d’une perfide sœur,
1760 Il faut oster la vie, à qui m’oste l’honneur.

FLORIMONDE en fuyant.

Sauvez moy Lidamant.

LIDAMANT retenant Leandre.

Dieux ? que viens-je d’entendre ?
Comment donc ? cette Dame est vostre sœur Leandre ?

LEANDRE.

Ouy qui me doit payer un si sanglant affront,

LIDAMANT l’espée à la main.

Moderez vous un peu ne soyez pas si pront
1765 Je la sers, & je doy m’armer pour sa deffense.

LEANDRE.

{p. 129}
Son sang, ou je mouray, lavera cette offence
Sçachant bien qui je suis, vous imaginez vous,
Qu'aucun la serve à moins que d’estre son espoux ?

LIDAMANT.

Me l’accorderez vous si je vous la demande,
1770 En cette qualité ?

LEANDRE.

Quelle faveur plus grande
Pourois-je recevoir au monde, justes Dieux ?
Ma sœur seroit heureuse, & moy trop glorieux.

LIDAMANT à Florimonde.

Donnez moy vostre main puis qu’il plaist à Leandre.

FLORIMONDE.

Mon frere y consentant je ne m’en puis deffendre.
{p. 130}

Scene VIII. §

Tomire, Leandre, Fabrice, Lidamant, Orasie,Florimonde, Nerine, Lisis.

TOMIRE.

1775 Pardonnez si de nuit j’entre ainsi librement,
Je suis trop offencé, monstrez moy Lidamant.

LIDAMANT.

C'est moy, que voulez vous ?

TOMIRE l’espée à la main.

Je veux avoir ta vie
Traistre.

LEANDRE le retenant.

Moderez vous, calmez cette furie
Vous l’attaquez à tort, vous n’avez pas raison.

TOMIRE.

1780 Quoy ! je me plains à tort de cette trahison !
On m’a ravy l’honneur, & je me pourray taire ?

LEANDRE.

Si c’est pour vostre fille, il vous faut satisfaire.
Ce n’est point Lidamant, il espouse ma sœur.

TOMIRE.

{p. 131}
Qui de ma fille est donc l’infame ravisseur ?

LEANDRE.

1785 Il faut dessus ce point que je vous satisface.
Mais si je puis de vous obtenir cette grace
Qu'un glorieux Hymen nous unisse tous deux,
Vous me mettez, Monsieur au comble de mes vœux.

TOMIRE.

C'est vous qui comblez d’heur* toute nostre famille.
1790 Donnez luy vostre main, approchez vous ma fille.

ORASIE à Leandre.

Enfin je suis à vous.

NERINE.

O desplaisirs charmans,
O desordre agreable, ô bien heureux Amans.

LEANDRE.

Ne tardons pas Messieurs en ce lieu davantage,
Songeons à terminer ce double mariage.

Fin de la Comedie des Fausses veritez de Monsieur Douville.

Antoine d'Ourville. Les Fausses Vérités. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 43 sc. 653 répl. 2,1 l. 1 382 l. 1 382 l. 34 % 4 186 l. (100 %) 3,0 pers.
FLORIMONDE 19 sc. 94 répl. 2,4 l. 664 l. (49 %) 223 l. (17 %) 34 % 2 306 l. (56 %) 3,5 pers.
NERINE 10 sc. 25 répl. 1,5 l. 369 l. (27 %) 38 l. (3 %) 11 % 1 437 l. (35 %) 3,9 pers.
LIDAMANT 18 sc. 113 répl. 2,4 l. 665 l. (49 %) 269 l. (20 %) 41 % 2 502 l. (60 %) 3,8 pers.
LEANDRE 22 sc. 175 répl. 2,5 l. 864 l. (63 %) 439 l. (32 %) 51 % 2 910 l. (70 %) 3,4 pers.
ORASIE 17 sc. 121 répl. 2,2 l. 649 l. (48 %) 266 l. (20 %) 41 % 2 154 l. (52 %) 3,3 pers.
JULIE 11 sc. 36 répl. 1,2 l. 362 l. (27 %) 44 l. (4 %) 13 % 1 199 l. (29 %) 3,3 pers.
TOMIRE 7 sc. 34 répl. 0,9 l. 143 l. (11 %) 31 l. (3 %) 22 % 557 l. (14 %) 3,9 pers.
FABRICE 10 sc. 45 répl. 1,3 l. 324 l. (24 %) 59 l. (5 %) 19 % 1 038 l. (25 %) 3,2 pers.
LISIS 2 sc. 8 répl. 1,7 l. 40 l. (3 %) 13 l. (1 %) 34 % 123 l. (3 %) 3,1 pers.
un-valet 1 sc. 2 répl. 0,6 l. 104 l. (8 %) 1 l. (1 %) 2 % 623 l. (15 %) 6,0 pers.
Antoine d'Ourville. Les Fausses Vérités. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
FLORIMONDE
NERINE
72 l. (71 %) 18 répl. 4,0 l.
31 l. (30 %) 18 répl. 1,7 l.
6 sc. 102 l. (8 %) 2,9 pers.
FLORIMONDE
LIDAMANT
44 l. (55 %) 19 répl. 2,3 l.
37 l. (46 %) 20 répl. 1,8 l.
7 sc. 81 l. (6 %) 3,9 pers.
FLORIMONDE
LEANDRE
28 l. (30 %) 22 répl. 1,3 l.
66 l. (71 %) 22 répl. 3,0 l.
5 sc. 94 l. (7 %) 4,3 pers.
FLORIMONDE
ORASIE
75 l. (51 %) 28 répl. 2,7 l.
74 l. (50 %) 29 répl. 2,5 l.
6 sc. 148 l. (11 %) 4,0 pers.
FLORIMONDE
JULIE
2 l. (56 %) 3 répl. 0,5 l.
2 l. (45 %) 3 répl. 0,4 l.
2 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
FLORIMONDE
TOMIRE
3 l. (60 %) 3 répl. 0,8 l.
2 l. (41 %) 2 répl. 0,8 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 4,0 pers.
FLORIMONDE
FABRICE
2 l. (33 %) 1 répl. 1,4 l.
3 l. (68 %) 3 répl. 1,0 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
NERINE
LIDAMANT
2 l. (11 %) 3 répl. 0,6 l.
16 l. (90 %) 2 répl. 8,0 l.
3 sc. 18 l. (2 %) 4,6 pers.
NERINE
LEANDRE
2 l. (32 %) 1 répl. 1,1 l.
3 l. (69 %) 1 répl. 2,4 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 5,0 pers.
NERINE
ORASIE
1 l. (6 %) 1 répl. 0,4 l.
7 l. (95 %) 3 répl. 2,2 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 5,9 pers.
NERINE
FABRICE
4 l. (91 %) 2 répl. 1,9 l.
1 l. (10 %) 1 répl. 0,4 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
LIDAMANT
LEANDRE
106 l. (47 %) 52 répl. 2,0 l.
121 l. (54 %) 51 répl. 2,4 l.
8 sc. 226 l. (17 %) 4,3 pers.
LIDAMANT
ORASIE
22 l. (89 %) 4 répl. 5,3 l.
3 l. (12 %) 2 répl. 1,3 l.
2 sc. 24 l. (2 %) 4,0 pers.
LIDAMANT
JULIE
6 l. (31 %) 6 répl. 0,9 l.
12 l. (70 %) 11 répl. 1,1 l.
3 sc. 17 l. (2 %) 3,7 pers.
LIDAMANT
TOMIRE
2 l. (23 %) 3 répl. 0,5 l.
6 l. (78 %) 4 répl. 1,4 l.
3 sc. 7 l. (1 %) 5,1 pers.
LIDAMANT
FABRICE
83 l. (67 %) 26 répl. 3,2 l.
42 l. (34 %) 24 répl. 1,7 l.
7 sc. 124 l. (9 %) 2,9 pers.
LEANDRE 19 l. (100 %) 2 répl. 9,2 l. 2 sc. 18 l. (2 %) 1,0 pers.
LEANDRE
ORASIE
183 l. (56 %) 72 répl. 2,5 l.
146 l. (45 %) 71 répl. 2,0 l.
8 sc. 328 l. (24 %) 3,5 pers.
LEANDRE
JULIE
22 l. (53 %) 13 répl. 1,6 l.
19 l. (48 %) 13 répl. 1,4 l.
5 sc. 40 l. (3 %) 3,4 pers.
LEANDRE
TOMIRE
9 l. (71 %) 4 répl. 2,1 l.
4 l. (30 %) 5 répl. 0,7 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 4,4 pers.
LEANDRE
FABRICE
20 l. (83 %) 8 répl. 2,4 l.
5 l. (18 %) 7 répl. 0,6 l.
3 sc. 23 l. (2 %) 4,1 pers.
ORASIE 9 l. (100 %) 1 répl. 8,3 l. 1 sc. 8 l. (1 %) 1,0 pers.
ORASIE
JULIE
22 l. (65 %) 10 répl. 2,2 l.
12 l. (36 %) 9 répl. 1,3 l.
4 sc. 33 l. (3 %) 3,0 pers.
ORASIE
TOMIRE
8 l. (63 %) 5 répl. 1,5 l.
5 l. (38 %) 5 répl. 0,9 l.
4 sc. 12 l. (1 %) 3,6 pers.
TOMIRE
FABRICE
7 l. (42 %) 9 répl. 0,7 l.
10 l. (59 %) 10 répl. 1,0 l.
2 sc. 16 l. (2 %) 5,1 pers.
TOMIRE
LISIS
8 l. (38 %) 7 répl. 1,1 l.
13 l. (63 %) 7 répl. 1,8 l.
2 sc. 20 l. (2 %) 3,1 pers.