Molière
Le Malade imaginaire

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Le Malade imaginaire,
Comédie, mêlée de Musique et de Danses

Par Monsieur de MOLIÈRE

1675

Le Prologue §

APRÈS les glorieuses fatigues, et les Exploits victorieux de nostre Auguste Monarque ; il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d’écrire, travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’ici l’on a voulu faire, et ce Prologue est un essai des Louanges de ce grand Prince, qui donne Entrée à la Comédie du Malade Imaginaire, dont le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux.
La Décoration représente un Lieu Champêtre, et néanmoins fort agréable.

ÉGLOGUE
En Musique et en Danse.

Flore, Pan, Climène, Daphné, Tircis, Dorilas, deux Zéphyrs, troupe de Bergères, et de Bergers

Flore

Quittez, quittez vos Troupeaux,
Venez Bergers, venez Bergères,
Accourez, accourez sous ces tendres Ormeaux ;
Je viens vous annoncer des nouvelles bien chères,
Et réjouir tous ces Hameaux.
Quittez, quittez vos Troupeaux,
Venez Bergers, venez Bergères,
Accourez, accourez, sous ces tendres Ormeaux.

Climène, et daphné

Berger laissons là tes feux,
Voilà Flore qui nous appelle.

Tircis, et dorilas

Mais au moins dis-moi, cruelle.

Tircis

Si d’un peu d’amitié tu payeras mes vœux ?

dorilas

Si tu seras sensible à mon ardeur fidèle ?

Climène, et daphné

Voilà Flore qui nous appelle.

Tircis, et dorilas

Ce n’est qu’un mot, un mot, un seul mot que je veux.

Tircis

Languirai-je toujours dans ma peine mortelle ?

dorilas

Puis-je espérer qu’un jour tu me rendras heureux?

Climène, et daphné

Voilà Flore qui nous appelle.

ENTRÉE DE BALLET

Toute la Troupe des Bergers et des Bergères, va se placer en cadence autour de Flore.

Climène

Quelle nouvelle parmi nous,
Déesse, doit jeter tant de réjouissance ?

daphné

Nous brûlons d’apprendre de vous
Cette nouvelle d’importance.

dorilas

D’ardeur nous en soupirons tous.

Tous ensemble

Nous en mourons d’impatience.

Flore

La voici, silence, silence.
Vos vœux sont exaucés, louis est de retour,
Il ramène en ces lieux les Plaisirs et l’Amour.
Et vous voyez finir vos mortelles alarmes,
Par ses vastes Exploits son bras voit tout soumis,
Il quitte les armes
Faute d’ennemis.

Tous

Ah quelle douce nouvelle !
Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !
Que de plaisirs ! que de ris ! que de jeux !
Que de succès heureux !
Et que le Ciel a bien rempli nos vœux,
Ah quelle douce nouvelle !
Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !

AUTRE ENTRÉE DE BALLET

Tous les Bergers et Bergères, expriment par des Danses les transports de leur joie.

Flore

De vos Flûtes bocagères
Réveillez les plus beaux sons ;
louis offre à vos Chansons
La plus belle des matières.
Après cent combats,
Où cueille son bras
Une ample victoire :
Formez entre vous
Cent combats plus doux,
Pour chanter sa gloire.

Tous

Formons entre-nous
Cent combats plus doux,
Pour chanter sa gloire.

Flore

Mon jeune Amant dans ce bois,
Des présents de mon empire
Prépare un prix à la voix,
Qui saura le mieux nous dire
Les vertus et les Exploits
Du plus Auguste des Rois.

Climène

Si Tircis a l’avantage,

daphné

Si Dorilas est vainqueur.

Climène

À le cherir je m’engage.

daphné

Je me donne à son ardeur.

Tircis

Ô trop chère espérance !

dorilas

Ô mot plein de douceur !

Tous deux

Plus beau sujet, plus belle récompense
Peuvent-ils animer un cœur ?
Les Violons jouent un Air pour animer les deux Bergers au combat, tandis que Flore comme Juge va se placer au pied de l’arbre, avec deux Zéphyrs, et que le reste comme Spectateurs va occuper les deux côtés de la Scène.

Tircis

Quand la neige fondue enfle un torrent fameux,
Contre l’effort soudain de ses flots écumeux
Il n’est rien d’assez solide;
Digues, Châteaux, Villes, et Bois,
Hommes, et Troupeaux à la fois,
Tout cède au courant qui le guide,
Tel, et plus fier et plus rapide,
Marche louis dans ses Exploits.

BALLET

Les Bergers et Bergères du côté de Tircis, dansent autour de lui sur une Ritournelle, pour exprimer leurs applaudissements.

dorilas

Le foudre menaçant qui perce avec fureur
L’affreuse obscurité de la nue enflammée,
Fait d’épouvante et d’horreur
Trembler le plus ferme cœur:
Mais à la tête d’une armée
louis jette plus de terreur.

BALLET

Les Bergers et Bergères du côté de Dorilas, font de même que les autres.

Tircis

Des fabuleux Exploits que la Grèce a chantés,
Par un brillant amas de belles vérités
Nous voyons la gloire effacée,
Et tous ces fameux demi-dieux,
Que vante l’Histoire passée
Ne sont point à notre pensée,
Ce que louis est à nos yeux :

BALLET

Les Bergers et Bergères de son côté, font encore la même chose.

dorilas

louis fait à nos temps par ses faits inouïs
Croire tous les beaux faits que nous chante l’histoire
Des Siècles évanouis :
Mais nos Neveux dans leur gloire,
N’auront rien qui fasse croire
Tous les beaux faits de louis.

BALLET

Les Bergères de son côté font encore de même, après quoi les deux partis se mêlent.

Pan, suivi de six Faunes

Laissez, laissez, Bergers, ce dessein téméraire,
Hé, que voulez-vous faire ?
Chanter sur vos chalumeaux,
Ce qu’Apollon sur sa Lyre
Avec ses chants les plus beaux,
N’entreprendrait pas de dire?
C’est donner trop d’essor au feu qui vous inspire,
C’est monter vers les Cieux sur des ailes de cire,
Pour tomber dans le fonds des Eaux.
Pour chanter de louis l’intrépide courage;
Il n’est point d’assez docte voix,
Point de mots assez grands pour en tracer l’Image;
Le silence est le langage
Qui doit louer ses Exploits.
Consacrez d’autres soins à sa pleine Victoire,
Des louanges n’ont rien qui flatte ses désirs,
Laissez, laissez là sa gloire
Ne songez qu’à ses plaisirs.

Tous

Laissons, laissons là sa gloire
Ne songeons qu’à ses plaisirs.

Flore

Bien que pour étaler ses vertus immortelles
La force manque à vos esprits.
Ne laissez pas tous deux de recevoir le prix.
Dans les choses grandes et belles
Il suffit d’avoir entrepris.

ENTRÉE DE BALLET

Les deux Zéphyrs dansent avec deux couronnes de Fleurs à la main, qu’ils viennent donner ensuite aux deux Bergers.

Climène et daphné, en leur donnant la main

Dans les choses grandes et belles
Il suffit d’avoir entrepris.

Tircis et dorilas

Ha ! que d’un doux succès notre audace est suivie.

Flore et pan

Ce qu’on fait pour louis, on ne le perd jamais.

les quatre amants

Au soin de ses plaisirs donnons-nous désormais.

Flore et pan

Heureux, heureux, qui peut lui consacrer sa vie.

Tous

Joignons tous dans ces bois.
Nos flûtes et nos voix,
Ce jour nous y convie,
Et faisons aux Échos redire mille fois,
louis est le plus grand des Rois.
Heureux, heureux, qui peut lui consacrer sa vie.

DERNIÈRE ET GRANDE ENTRÉE DE BALLET

Faunes, Bergers et Bergères tous se mêlent, et il se fait entre eux des jeux de danse, après quoi ils se vont préparer pour la Comédie.

Autre Prologue §

Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,
Vains et peu sages Médecins,
Vous ne pouvez guérir par vos grands mots Latins
La douleur qui me désespère.
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère.
Hélas! hélas! je n’ose découvrir
Mon amoureux martyre,
Au Berger pour qui je soupire,
Et qui seul peut me secourir.
Ne prétendez pas le finir,
Ignorants Médecins, vous ne sauriez le faire,
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère.
Ces remèdes peu sûrs, dont le simple vulgaire
Croit que vous connaissez l’admirable vertu,
Pour les maux que je sens n’ont rien de salutaire,
Et tout votre caquet ne peut être reçu,
Que d’un malade imaginaire.
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,
Vains et peu sages, etc.
Le Théâtre change et représente une Chambre.

ACTEURS §

  • Argan, Malade Imaginaire.
  • Béline, seconde femme d’Argan.
  • Angélique, Fille d’Argan et Amante de Cléante.
  • Louison, petite Fille d’Argan, et Sœur d’Angélique.
  • Béralde, Frère d’Argan.
  • Cléante, Amant d’Angélique.
  • Monsieur Diafoirus, Médecin.
  • Thomas Diafoirus, son Fils, et Amant d’Angélique.
  • Monsieur Purgon, Médecin d’Argan.
  • Monsieur Fleurant, Apothicaire.
  • Monsieur Bonnefoy, Notaire.
  • Toinette, Servante.
La Scène est à Paris.

Acte Premier §

Scène première §

Argan seul dans une chambre, assis, une table devant lui, compte des Parties d’Apothicaire avec des jetons ; il fait parlant à soi-même les Dialogues suivants

Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. Plus du vingt-quatrième, un petit Clystère insinuatif, préparatif, et rémolliant, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur, trente sols. Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant mon Apothicaire, c’est que ses Parties sont toujours fort civiles. Les entrailles de Monsieur, trente sols ! Oui : mais Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un Lavement ? Je suis votre Serviteur, je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres Parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’Apothicaire, c’est à dire dix sols. Les voilà. Plus, dudit jour un bon Clystère détersif, composé avec Catholicon double, Rhubarbe, Miel rosat et autres, suivant l’Ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas ventre de Monsieur, trente sols. Avec votre permission, dix sols. Plus dudit jour, le soir, un Julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente cinq sols. Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. Plus, du vingt-cinquième, une bonne Médecine purgative et corroborative, composée de Casse récente, avec Séné Levantin et autres, suivant l’Ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se moquer, il faut vivre avec les Malades, Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre livres. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. Bon. Dix, et quinze sols. Plus, du vingt-sixième, un Clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. Dix sols, Monsieur Fleurant. Plus le Clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. Monsieur Fleurant, dix sols. Plus, du vingt-septième, une bonne Médecine composée pour hâter d’aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. Bon. Vingt, et trente sols. Je suis bien aise que vous soyez raisonnable. Plus, du vingt-huitième, une prise de petit Lait clarifié et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. Bon. Dix sols. Plus une Potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de Bézoard, sirops de Limon et Grenade et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade. Contentez-vous de quarante sols. Vingt et quarante sols. Trois, et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc, que de ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit Médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, et douze Lavements ; et l’autre mois il y avait douze Médecines, et vingt Lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci. Il n’y a personne ; j’ai beau dire, on me laisse toujours seul. Il n’y a pas moyen de les arrêter ici.

Il sonne une Sonnette pour faire venir ses gens, et dit.

Ils n’entendent point, et ma Sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds. Toinette, Drelin, drelin, drelin, Tout comme si je ne sonnais point. Chienne, Coquine, drelin, drelin, drelin. J’enrage.

Il ne sonne plus, mais il crie.

Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables. Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin, drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable. Drelin, drelin, drelin. Ah, mon Dieu, ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.

Scène II §

Toinette, Argan

Toinette en entrant dans la Chambre d’Argan

On y va.

Argan

Ah Chienne, ah Carogne…

Toinette en colère, et tenant sa tête

Diantre soit fait de votre impatience. Vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d’un Volet.

Argan en fureur

Ah traîtresse…

Toinette pour l’interrompre et l’empêcher de crier, se plaint toujours en disant

Ha !

Argan

Il y a…

Toinette

Ha !

Argan

Il y a une heure…

Toinette

Ha !

Argan

Tu m’as laissé…

Toinette

Ha !

Argan

Tais-toi donc, Coquine, que je te querelle.

Toinette

Çamon, ma foi, j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait.

Argan

Tu m’as fait égosiller, Carogne.

Toinette

Et vous m’avez fait, vous, casser la tête. L’un vaut bien l’autre. Quitte à quitte, si vous voulez.

Argan

Quoi, Coquine…

Toinette

Si vous querellez, je pleurerai.

Argan

Me laisser, Traîtresse…

Toinette toujours pour l’interrompre

Ha !

Argan

Chienne, tu veux…

Toinette

Ha !

Argan

Quoi, il faudra encore que je n’aie pas le plaisir de la quereller ?

Toinette

Querellez tout votre soûl, je le veux bien.

Argan

Tu m’en empêches, Chienne, en m’interrompant à tous coups.

Toinette

Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté j’aie le plaisir de pleurer. Chacun le sien ce n’est pas trop. Ha !

Argan, se lève de sa chaise et lui donne les jetons et ses Parties d’Apothicaire

Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, Coquine, ôte-moi ceci. Mon Lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ?

Toinette

Votre Lavement ?

Argan

Oui. Ai-je bien fait de la bile ?

Toinette

Ma foi, je ne me mêle point de ces affaires-là. C’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.

Argan

Qu’on ait soin de me tenir un Bouillon prêt pour l’autre que je dois tantôt prendre.

Toinette

Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon, s’égaient bien sur votre Corps ! Ils ont en vous une bonne Vache à lait ; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.

Argan

Taisez-vous, Ignorante, ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la Médecine. Qu’on me fasse venir ma fille Angélique, j’ai à lui dire quelque chose.

Toinette

La voici qui vient d’elle-même ; elle a deviné votre pensée.

Scène III §

Angélique, Toinette, Argan

Argan

Approchez, Angélique, vous venez à propos. Je voulais vous parler.

Angélique

Me voilà prête à vous ouïr.

Argan, courant au Bassin

Attendez. Donnez-moi mon Bâton. Je vais revenir tout à l’heure.

Toinette en le raillant

Allez vite, Monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires.

Scène IV §

Angélique, Toinette

Angélique la regarde d’un œil languissant et lui dit confidemment

Toinette.

Toinette

Quoi ?

Angélique

Regarde-moi un peu.

Toinette

Hé bien je vous regarde.

Angélique

Toinette.

Toinette

Hé bien, quoi, Toinette ?

Angélique

Ne devines-tu point de quoi je veux parler ?

Toinette

Je m’en doute assez : de votre jeune Amant ; car c’est sur lui depuis six jours que roulent tous vos entretiens ; et vous n’êtes point bien si vous n’en parlez à toute heure.

Angélique

Puisque tu connais cela, que n’es-tu donc la première à m’en entretenir, et ne m’épargnes-tu la peine de te jeter sur ce discours.

Toinette

Vous ne m’en donnez pas le temps, et vous avez des soins là-dessus, qu’il est difficile de prévenir.

Angélique

Je t’avoue, que je ne saurais me lasser de te parler de lui, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les moments de s’ouvrir à toi. Mais dis-moi, condamnes-tu, Toinette, les sentiments que j’ai pour lui ?

Toinette

Je n’ai garde.

Angélique

Ai-je tort de m’abandonner à ces douces impressions ?

Toinette

Je ne dis pas cela.

Angélique

Et voudrais-tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu’il témoigne pour moi ?

Toinette

À Dieu ne plaise.

Angélique

Dis-moi un peu, ne trouves-tu pas comme moi, quelque chose du Ciel, quelque effet du destin, dans l’aventure inopinée de notre connaissance ?

Toinette

Oui.

Angélique

Ne trouves-tu pas que cette action d’embrasser ma défense sans me connaître, est tout à fait d’un honnête Homme ?

Toinette

Oui.

Angélique

Que l’on ne peut pas en user plus généreusement ?

Toinette

D’accord.

Angélique

Et qu’il fit tout cela de la meilleure grâce du monde ?

Toinette

Oh oui.

Angélique

Ne trouves-tu pas Toinette, qu’il est bien fait de sa personne ?

Toinette

Assurément.

Angélique

Qu’il a l’air le meilleur du monde ?

Toinette

Sans doute.

Angélique

Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble ?

Toinette

Cela est sûr.

Angélique

Qu’on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu’il me dit ?

Toinette

Il est vrai.

Angélique

Et qu’il n’est rien de plus fâcheux, que la contrainte où l’on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressements de cette mutuelle ardeur que le Ciel nous inspire ?

Toinette

Vous avez raison.

Angélique

Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu’il m’aime autant qu’il me le dit ?

Toinette

Eh, eh, ces choses-là parfois sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d’amour ressemblent fort à la vérité ; et j’ai vu de grands Comédiens là-dessus.

Angélique

Ah ! Toinette, que dis-tu là ? Hélas ! de la façon qu’il parle, serait-il bien possible qu’il ne me dît pas vrai ?

Toinette

En tout cas vous en serez bientôt éclaircie ; et la résolution où il vous écrivit hier qu’il était de vous faire demander en mariage, est une prompte marque pour vous faire connaître s’il vous dit vrai, ou non. C’en sera là une bonne preuve.

Angélique

Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai de ma vie aucun Homme.

Toinette

Voilà votre Père qui revient.

Scène V §

Argan, Angélique, Toinette

Argan

Ô çà, ma Fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu’est-ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage, il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes Filles. Ah, Nature, Nature ! À ce que je puis voir, ma Fille, je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien être mariée.

Angélique

Je dois faire, mon Père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.

Argan

Je suis bien aise d’avoir une Fille si obéissante. La chose est donc conclue, et je vous ai promise.

Angélique

C’est à moi, mon Père, à suivre aveuglément toutes vos volontés.

Argan

Ma Femme, votre Belle-Mère, avait envie qu’on vous fisse Religieuse, et votre petite Sœur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela.

Toinette, tout bas

La bonne Bête a ses raisons.

Argan

Elle ne voulait point consentir à ce Mariage, mais je l’ai emporté, et ma parole est donnée.

Angélique

Ah ! mon Père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés.

Toinette

En vérité je vous sais bon gré de cela, et voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie.

Argan

Je n’ai point encore vu la Personne ; mais on m’a dit que j’en serais content, et toi aussi.

Angélique

Assurément, mon Père.

Argan

Comment ? l’as-tu vu ?

Angélique

Puisque votre consentement m’autorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connaître il y a six jours ; et que la demande qu’on vous a faite, est un effet de l’inclination que dès cette première vue nous avons prise l’un pour l’autre.

Argan

Ils ne m’ont pas dit cela, mais j’en suis bien aise, et c’est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c’est un grand jeune Garçon bien fait.

Angélique

Oui, mon Père.

Argan

De belle taille.

Angélique

Sans doute.

Argan

Agréable de sa personne.

Angélique

Assurément.

Argan

De bonne physionomie.

Angélique

Très bonne.

Argan

Sage et bien né.

Angélique

Tout à fait.

Argan

Fort honnête.

Angélique

Le plus honnête Homme du monde.

Argan

Qui parle bien Latin et Grec.

Angélique

C’est ce que je ne sais pas.

Argan

Et qui sera reçu Médecin dans trois jours.

Angélique

Lui, mon Père ?

Argan

Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ?

Angélique

Non vraiment. Qui vous l’a dit à vous ?

Argan

Monsieur Purgon.

Angélique

Est-ce que Monsieur Purgon le connaît ?

Argan

La belle demande ! Il faut bien qu’il le connaisse, puisque c’est son Neveu.

Angélique

Cléante Neveu de Monsieur Purgon ?

Argan

Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage.

Angélique

Hé, oui.

Argan

Hé bien, c’est le Neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son Beau-frère le Médecin Monsieur Diafoirus ; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante, et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant, et moi, et demain ce Gendre prétendu doit m’être amené par son Père. Qu’est-ce ? vous voilà tout ébaubie ?

Angélique

C’est, mon Père, que je connais que vous avez parlé d’une Personne, et que j’ai entendu une autre.

Toinette

Quoi, Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre Fille avec un Médecin ?

Argan

Oui. De quoi te mêles-tu, Coquine, Impudente que tu es ?

Toinette

Mon Dieu tout doux, vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang froid. Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ?

Argan

Ma raison est, que me voyant infirme, et malade comme je suis, je veux me faire un Gendre, et des alliés Médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des Remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des Consultations, et des Ordonnances.

Toinette

Hé bien, voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous êtes malade ?

Argan

Comment, Coquine, si je suis malade ? Si je suis malade, Impudente ?

Toinette

Hé bien oui, Monsieur, vous êtes malade, n’ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez. Voilà qui est fait. Mais votre Fille doit épouser un Mari pour elle ; et n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un Médecin.

Argan

C’est pour moi que je lui donne ce Médecin ; et une Fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son Père.

Toinette

Ma foi, Monsieur, voulez-vous qu’en Amie je vous donne un conseil ?

Argan

Quel est-il ce conseil ?

Toinette

De ne point songer à ce mariage-là.

Argan

Hé la raison ?

Toinette

La raison ? C’est que votre Fille n’y consentira point.

Argan

Elle n’y consentira point ?

Toinette

Non.

Argan

Ma Fille ?

Toinette

Votre Fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde.

Argan

J’en ai affaire, moi ; outre que le Parti est plus avantageux qu’on ne pense. Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier ; et de plus, Monsieur Purgon, qui n’a ni Femme, ni Enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage ; et Monsieur Purgon est un Homme qui a huit mille bonnes livres de rente.

Toinette

Il faut qu’il ait tué bien des Gens, pour s’être fait si riche.

Argan

Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du Père.

Toinette

Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j’en reviens toujours là. Je vous conseille entre nous de lui choisir un autre Mari, et elle n’est point faite pour être Madame Diafoirus.

Argan

Et je veux, moi, que cela soit.

Toinette

Eh fi, ne dites pas cela.

Argan

Comment, que je ne dise pas cela ?

Toinette

Hé non.

Argan

Et pourquoi ne le dirai-je pas ?

Toinette

On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites.

Argan

On dira ce qu’on voudra ; mais je vous dis que je veux qu’elle exécute la parole que j’ai donnée.

Toinette

Non, je suis sûr qu’elle ne le fera pas.

Argan

Je l’y forcerai bien.

Toinette

Elle ne le fera pas, vous dis-je.

Argan

Elle le fera, ou je la mettrai dans un Convent.

Toinette

Vous ?

Argan

Moi.

Toinette

Bon.

Argan

Comment, bon ?

Toinette

Vous ne la mettrez point dans un Convent.

Argan

Je ne la mettrai point dans un Convent ?

Toinette

Non.

Argan

Non ?

Toinette

Non.

Argan

Ouais ! voici qui est plaisant. Je ne mettrai pas ma Fille dans un Convent, si je veux ?

Toinette

Non, vous dis-je.

Argan

Qui m’en empêchera ?

Toinette

Vous-même.

Argan

Moi ?

Toinette

Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là.

Argan

Je l’aurai.

Toinette

Vous vous moquez.

Argan

Je ne me moque point.

Toinette

La tendresse paternelle vous prendra.

Argan

Elle ne me prendra point.

Toinette

Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou, un mon petit Papa mignon prononcé tendrement, fera assez pour vous toucher.

Argan

Tout cela ne fera rien.

Toinette

Oui, oui.

Argan

Je vous dis que je n’en démordrai point.

Toinette

Bagatelles.

Argan

Il ne faut point dire bagatelles.

Toinette

Mon Dieu je vous connais ; vous êtes bon naturellement.

Argan

Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.

Toinette

Doucement, Monsieur ; vous ne songez pas que vous êtes malade.

Argan

Je lui commande absolument de se préparer à prendre le Mari que je dis.

Toinette

Et moi je lui défends absolument d’en faire rien.

Argan

Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de Servante, de parler de la sorte devant son Maître ?

Toinette

Quand un Maître ne songe pas à ce qu’il fait, une Servante bien sensée est en droit de le redresser.

Argan

Ah Insolente ! il faut que je t’assomme.

Toinette

Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.

Argan en colère, court après elle autour de sa table son bâton à la main

Viens, viens, que je t’apprenne à parler.

Toinette courant d’un bout à l’autre

Je m’intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.

Argan

Chienne !

Toinette

Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.

Argan

Pendarde !

Toinette

Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus.

Argan

Carogne !

Toinette

Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.

Argan, à Angélique

Angélique, tu ne veux pas m’arrêter cette Coquine-là ?

Angélique

Eh mon Père, ne vous faites point malade.

Argan

Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédiction.

Toinette

Et moi je la déshériterai, si elle vous obéit.

Argan s’étend sur sa Chaise

Ah, ah ! je n’en puis plus. Voilà pour me faire mourir.

Scène VI §

Béline, Angélique, Toinette, Argan

Argan

Ah ma Femme, approchez.

Béline

Qu’avez-vous, mon pauvre Mari ?

Argan

Venez-vous en ici à mon secours.

Béline

Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit Fils ?

Argan

Ma Mie.

Béline

Mon Ami.

Argan

On vient de me mettre en colère.

Béline

Hélas pauvre petit Mari. Comment donc mon Ami ?

Argan

Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais.

Béline

Ne vous passionnez donc point.

Argan

Elle m’a fait enrager, ma Mie.

Béline

Doucement, mon Fils.

Argan

Elle a contrecarré une heure durant les choses que je veux faire.

Béline

Là, là, tout doux.

Argan

Et a eu l’effronterie de me dire que je ne suis point malade.

Béline

C’est une Impertinente.

Argan

Vous savez, mon Cœur, ce qui en est.

Béline

Oui, mon Cœur, elle a tort.

Argan

Mamour, cette Coquine-là me fera mourir.

Béline

Eh là là, là là.

Argan

Elle est cause de toute la bile que je fais.

Béline

Ne vous fâchez point tant.

Argan

Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser.

Béline

Mon Dieu, mon Fils, il n’y a point de Serviteurs et de Servantes qui n’aient leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle, et vous savez qu’il faut maintenant de grandes précautions pour les Gens que l’on prend. Holà, Toinette.

Toinette

Madame.

Béline

Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon Mari en colère ?

Toinette

Moi, Madame ? Hélas je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu’à complaire à Monsieur en toutes choses.

Argan

Ah la Traîtresse !

Toinette

Il nous a dit qu’il voulait donner sa Fille en mariage au Fils de Monsieur Diafoirus. Je lui ai répondu que je trouvais le Parti avantageux pour elle ; mais que je croyais qu’il ferait mieux de la mettre dans un Convent.

Béline

Il n’y a pas grand mal à cela, et je trouve qu’elle a raison.

Argan

Ah ! mamour, vous la croyez ? C’est une scélérate. Elle m’a dit cent insolences.

Béline

Hé bien je vous crois, mon Ami. Là, remettez-vous. Écoutez, Toinette, si vous fâchez jamais mon Mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son Manteau fourré et des Oreillers, que je l’accommode dans sa Chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre Bonnet jusque sur vos oreilles. Il n’y a rien qui enrhume tant, que de prendre l’air par les oreilles.

Argan

Ah ma Mie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi !

Béline, raccommodant les Oreillers qui sont autour d’Argan

Levez-vous que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer ; et celui-là de l’autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête.

Toinette, lui mettant un Oreiller sur la tête

Et celui-ci pour vous garder du serein.

Argan

Ah Coquine ! tu veux m’étouffer.

Béline

Eh là, eh là. Qu’est-ce que c’est donc ?

Argan tout essoufflé se jette dans sa chaise

Ah, ah, ah ! je n’en puis plus.

Béline

Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien.

Argan

Vous ne connaissez pas, mamour, la malice de la Pendarde. Ah ! Elle m’a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit Médecines, et de douze Lavements, pour réparer tout ceci.

Béline

Là, là, mon petit Ami, apaisez-vous un peu.

Argan

Ma Mie, vous êtes toute ma consolation.

Béline

Pauvre petit Fils.

Argan

Pour tâcher de reconnaître l’amour que vous me portez, je veux, mon Cœur, comme je vous ai dit, faire mon Testament.

Béline

Ah mon Ami, ne parlons point de cela, je vous prie, je ne saurais souffrir cette pensée ; et le seul mot de Testament me fait tressaillir de douleur.

Argan

Je vous avais dit de parler pour cela à votre Notaire.

Béline

Le voici dans votre Antichambre, et je l’ai fait venir tout exprès.

Argan

Faites-le entrer mamour.

Scène VII §

Monsieur Bonnefoy, Béline, Argan

Argan

Ah bonjour Monsieur Bonnefoy, je veux faire mon Testament ; et pour cela dites-moi, s’il vous plaît, comment je dois faire pour donner tout mon bien à ma Femme, et en frustrer mes Enfants.

Monsieur Bonnefoy

Monsieur, vous ne pouvez rien donner à votre Femme par votre Testament.

Argan

Et par quelle raison ?

Monsieur Bonnefoy

Parce que la Coutume y résiste ; cela serait bon par tout ailleurs et dans le pays de Droit écrit : mais à Paris et dans les Pays Coutumiers, cela ne se peut ; tout avantage qu’Homme et Femme se peuvent faire réciproquement l’un à l’autre en faveur de mariage, n’est qu’un avantage indirect, et qu’un don mutuel entre vifs, encore faut-il qu’il n’y ait point d’Enfants d’eux ou de l’un d’iceux avant le décès du premier mourant.

Argan

Voilà une Coutume bien impertinente, de dire qu’un Mari ne puisse rien donner à une Femme qui l’aime, et qui prend tant de soin de lui. J’ai envie de consulter mon Avocat, pour voir ce qu’il y a à faire pour cela.

Monsieur Bonnefoy

Ce n’est pas aux Avocats à qui il faut s’adresser, ce sont gens fort scrupuleux sur cette matière, qui ne savent pas disposer en fraude de la Loi, et qui sont ignorants des tours de la conscience, c’est notre affaire à nous autres, et je suis venu à bout de bien plus grandes difficultés ; il vous faut pour cela auparavant que de mourir donner à votre femme tout votre argent comptant, et des billets payables au Porteur si vous en avez ; il vous faut outre ce, contracter quantité de bonnes Obligations sous-main avec de vos intimes amis, qui après votre mort les remettront entre les mains de votre femme sans lui rien demander, qui prendra ensuite le soin de s’en faire payer.

Argan

Vraiment, Monsieur, ma femme m’avait bien dit que vous étiez un fort habile et fort honnête homme. J’ai, mon Cœur, vingt mille francs dans le petit coffret de mon alcôve en argent comptant, dont je vous donnerai la clef, et deux billets payables au porteur, l’un de six mil livres, et l’autre de quatre, qui me sont dues ; le premier par Monsieur Damon, et l’autre par Monsieur Gérante, que je vous mettrai entre les mains.

Béline, feignant de pleurer

Ne me parlez point de cela, je vous prie, vous me faites mourir de frayeur…

Elle se ravise et lui dit :

Combien dites-vous qu’il y a d’argent comptant dans votre alcôve.

Argan

Vingt mille francs, mon Cœur.

Béline

Tous les biens de ce monde ne me sont rien en comparaison de vous… De combien sont les deux billets ?

Argan

L’un de six, et l’autre de quatre mille livres.

Béline

Ah ! mon Fils, la seule pensée de vous quitter me met au désespoir, vous mort je ne veux plus rester au monde : ah, ah.

Monsieur Bonnefoy

Pourquoi pleurer, Madame ? les larmes sont hors de saison, et les choses, grâces à Dieu, n’en sont pas encore là.

Béline

Ah Monsieur Bonnefoy, vous ne savez pas ce que c’est qu’être toujours séparée d’un Mari que l’on aime tendrement.

Argan

Ce qui me fâche le plus, ma Mie, auparavant de mourir, c’est de n’avoir point eu d’enfants de vous ; Monsieur Purgon m’avait promis qu’il m’en ferait faire un.

Monsieur Bonnefoy

Voulez-vous que nous procédions au Testament ?

Argan

Oui, mais nous serons mieux dans mon petit cabinet qui est ici près ; allons-y, Monsieur, soutenez-moi, mamour.

Béline

Allons, pauvre petit Mari.

Scène VIII §

Toinette, Angélique

Toinette

Entrez, entrez, ils ne sont plus ici : j’ai une inquiétude prodigieuse ; j’ai vu un Notaire avec eux, et ai entendu parler de Testament ; votre belle-Mère ne s’endort point, et veut sans doute profiter de la colère où vous avez tantôt mis votre Père ; elle aura pris ce temps pour nuire à vos intérêts.

Angélique

Qu’il dispose de tout mon bien en faveur de qui il lui plaira, pourvu qu’il ne dispose pas de mon cœur ; qu’il ne me contraigne point d’accepter pour Époux celui dont il m’a parlé, je me soucie fort peu du reste, qu’il en fasse ce qu’il voudra.

Toinette

Votre belle-Mère tâche par toutes sortes de promesses de m’attirer dans son parti ; mais elle a beau faire, elle n’y réussira jamais, et je me suis toujours trouvé de l’inclination à vous rendre service ; cependant comme il nous est nécessaire dans la conjoncture présente de savoir ce qui se passe, afin de mieux prendre nos mesures, et de mieux venir à bout de notre dessein, j’ai envie de lui faire croire par de feintes complaisances que je suis entièrement dans ses intérêts, l’envie qu’elle a que j’y sois, ne manquera pas de la faire donner dans le panneau, c’est un sûr moyen pour découvrir ses intrigues, et cela nous servira beaucoup.

Angélique

Mais comment faire pour rompre ce coup terrible dont je suis menacée ?

Toinette

Il faut en premier lieu avertir Cléante du dessein de votre père, et le charger de s’acquitter au plus tôt de la parole qu’il vous a donnée ; il n’y a point de temps à perdre, il faut qu’il se détermine.

Angélique

As-tu quelqu’un propre à faire ce message ?

Toinette

Il est assez difficile, et je ne trouve personne plus propre à s’en acquitter que le vieux Usurier Polichinelle mon Amant, il m’en coûtera pour cela quelques faveurs, et quelques baisers que je veux bien dépenser pour vous ; Allez, reposez-vous sur moi, dormez seulement en repos, il est tard, je crains qu’on ait affaire de moi ; j’entends qu’on m’appelle, retirez-vous, adieu bonsoir, je vais songer à vous.

Fin du premier Acte.

Le Théâtre change et représente une Ville.

Premier Intermède §

* * * §

Polichinelle dans la nuit vient pour donner une Sérénade à sa Maîtresse. Il est interrompu d’abord par des Violons, contre lesquels il se met en colère, et ensuite par le Guet composé de Musiciens et de Danseurs.

Polichinelle

Ô Amour, amour, amour, amour ! pauvre Polichinelle, quelle Diable de fantaisie t’es-tu allé mettre dans la cervelle ? À quoi t’amuses-tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses aller tes affaires à l’abandon. Tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit, et tout cela pour qui ? Pour une Dragonne, franche Dragonne ; une Diablesse qui te rembarre, et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n’y a point à raisonner là-dessus : tu le veux, amour ; il faut être fou comme beaucoup d’autres. Cela n’est pas le mieux du monde à un homme de mon âge : mais qu’y faire ? on n’est pas sage quand on veut, et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes.

Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une Sérénade. Il n’y a rien parfois qui soit si touchant qu’un Amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa Maîtresse. Voici de quoi accompagner ma voix. Ô nuit, ô chère nuit, porte mes plaintes amoureuses jusques dans le lit de mon Inflexible.

Il chante ces paroles.
Notte e dì v’ amo e v’ adoro
Cerco un sì per mio ristoro,
Ma se voi dite di nò
Bell’ ingrata io morirò
5 Fra la speranza
S’afflige il cuore,
In lontananza
Consuma l’ore;
Si dolce inganno
10 Che mi figura
Breve l’affanno,
Ahy troppo dura,
Cosi per tropp’ amar languisco e muoro
Notte e dì v’ amo’ e v’ adoro
15 Cerco un sì per mio ristoro,
Mà se voi dite di nò
Bell’ ingrata io morirò
Se non dormite,
Al men pensate
20 Alle ferite
Ch’al cuor mi fate;
Deh al men fingete
Per mio conforto,
Se m’uccidete,
25 D’aver il torto:
Vostra pietà mi scemerà il martoro
Notte e di v’ amo’ e v’ adoro
Cerco un sì per mio ristoro,
Ma se voi dite di nò
30 Bell’ ingrata io morirò.

Une vieille se présente à la fenêtre, et répond au Seignor Polichinelle en se moquant de lui.

Zerbinetti ch’ogn’or con finti sguardi,
Mentiti desiri,
Fallaci sospiri,
Accenti Buggiardi,
35 Di fede vi preggiate,
Ah che non m’ingannate.
Che gia sò per prova,
Ch’in voi non si trova
Constanza ne fede;
40 Oh quanto è pazza colei che vi crede.
Quei sguardi languidi
Non m’innamorano,
Quei sospir fervidi
Più non m’infiammano
45 Vel giuro a fé.
Zerbino misero,
Del vostro piangere
Il mio cor libero
Vuol semper ridere
50 Credet’a me
Che già sò per prova,
Ch’ in voi non si trova
Constanza ne fede;
Oh quanto è pazza colei che vi crede.
Violons

Polichinelle

Quelle impertinente harmonie vient interrompre ici ma voix ?

Violons

Paix là, taisez-vous, Violons. Laissez-moi me plaindre à mon aise des cruautés de mon Inexorable.

Violons

Taisez-vous, vous dis-je. C’est moi qui veux chanter.

Violons

Paix donc.

Violons

Ouais !

Violons

Ahy.

Violons

Est-ce pour rire ?

Violons

Ah que de bruit.

Violons

Le Diable vous emporte.

Violons

J’enrage.

Violons

Vous ne vous tairez pas ? Ah Dieu soit loué.

Violons

Encore ?

Violons

Peste des Violons.

Violons

La sotte Musique que voilà !

Violons

La, la, la, la, la, la.

Violons

La, la, la, la, la, la.

Violons

La, la, la, la, la, la.

Violons

La, la, la, la, la, la.

Violons

La, la, la, la, la, la.

Violons

Par ma foi cela me divertit. Poursuivez, Messieurs les Violons, vous me ferez plaisir. Allons donc, continuez. Je vous en prie. Voilà le moyen de les faire taire. La Musique est accoutumée à ne point faire ce qu’on veut. Ho sus à nous. Avant que de chanter il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afin de mieux prendre mon ton. Plan, plan, plan. Plin, plin, plin. Voilà un temps fâcheux pour mettre un Luth d’accord. Plin, plin, plin. Plin, tan, plan. Plin, plin. Les cordes ne tiennent point par ce temps-là. Plin, plan. J’entends du bruit. Mettons mon Luth contre la porte.

Archers, passant dans la rue accourent au bruit qu’ils entendent, et demandent :

Qui va là, qui va là ?

Polichinelle, tout bas

Qui diable est-ce là ? est-ce que c’est la mode de parler en Musique ?

Archers

Qui va là, qui va là, qui va là ?

Polichinelle, épouvanté

Moi, moi, moi.

Archers

Qui va là, qui va là ? vous dis-je.

Polichinelle

Moi, moi, vous dis-je.

Archers

Et qui toi, et qui toi ?

Polichinelle

Moi, moi, moi, moi, moi, moi.

Archers

Dis ton nom, dis ton nom, sans davantage attendre.

Polichinelle, feignant d’être bien hardi

Mon nom est, va te faire pendre.

Archers

Ici camarade, ici.

Saisissons l’insolent qui nous répond ainsi.

Entrée de ballet §

Tout le Guet vient qui cherche Polichinelle dans la nuit.

Polichinelle

Qui va là ?

Violons et danseurs

Qui sont les coquins que j’entends ?

Violons et danseurs

Euh !

Violons et danseurs

Holà mes laquais, mes gens.

Violons et danseurs

Par la mort.

Violons et danseurs

Par la sang.

Violons et danseurs

J’en jetterai par terre.

Violons et danseurs

Champagne, Poitevin, Picard, Basque, Breton.

Violons et danseurs
Polichinelle tire un coup de pistolet.

Donnez-moi mon Mousqueton.

Violons et danseurs

Poue.

Ils tombent tous et s’enfuient.
Polichinelle, en se moquant

Ah, ah, ah, ah, comme je leur ai donné l’épouvante. Voilà de sottes gens d’avoir peur de moi qui ai peur des autres. Ma foi il n’est que de jouer d’adresse en ce monde. Si je n’avais tranché du grand Seigneur, et n’avais fait le brave, ils n’auraient pas manqué de me happer. Ah, ah, ah.

Les Archers se rapprochent, et ayant entendu ce qu’il disait, ils le saisissent au collet.

Archers

Nous le tenons, à nous, Camarades, à nous, Dépêchez, de la lumière.

Ballet §

Tout le Guet vient avec des lanternes.

Archers

55 Ah traître, ah fripon, c’est donc vous,
Faquin, maraud, pendard, impudent, téméraire,
Insolent, effronté, coquin, filou, voleur,
Vous osez nous faire peur ?

Polichinelle

Messieurs, c’est que j’étais ivre.

Archers

Non, non, point de raison,
60 Il faut vous apprendre à vivre,
En prison vite, en prison.

Polichinelle

Messieurs, je ne suis point voleur.

Archers

En prison.

Polichinelle

Je suis un Bourgeois de la Ville.

Archers

En prison.

Polichinelle

Qu’ai-je fait ?

Archers

En prison, vite, en prison.

Polichinelle

Messieurs, laissez-moi aller.

Archers

Non.

Polichinelle

Je vous prie.

Archers

Non.

Polichinelle

Eh !

Archers

Non.

Polichinelle

De grâce.

Archers

Non, non.

Polichinelle

Messieurs.

Archers

Non, non, non.

Polichinelle

S’il vous plaît.

Archers

Non, non.

Polichinelle

Par charité.

Archers

Non, non.

Polichinelle

Au nom du Ciel.

Archers

Non, non.

Polichinelle

Miséricorde.

Archers

Non, non, non, point de raison.
Il faut vous apprendre à vivre,
En prison vite, en prison.

Polichinelle

Eh, n’est-il rien, Messieurs, qui soit capable d’attendrir vos âmes ?

Archers

65 Il est aisé de nous toucher,
Et nous sommes humains plus qu’on ne saurait croire,
Donnez-nous doucement six pistoles pour boire ;
Nous allons vous lâcher.

Polichinelle

Hélas, Messieurs, je vous assure que je n’ai pas un sol sur moi.

Archers

Au défaut de six pistoles,
70 Choisissez donc sans façon
D’avoir trente croquignoles,
Ou douze coups de bâton.

Polichinelle

Si c’est une nécessité, et qu’il faille en passer par là, je choisis les croquignoles.

Archers

Allons, préparez-vous,
Et comptez bien les coups.

BALLET.

Les Archers Danseurs lui donnent des croquignoles en cadence.

Polichinelle

Un et deux. Trois et quatre. Cinq et six. Sept et huit. Neuf et dix. Onze et douze et treize, et quatorze et quinze.

Archers

75 Ah ! ah ! vous en voulez passer ;
Allons, c’est à recommencer.

Polichinelle

Ah, Messieurs, ma pauvre tête n’en peut plus, et vous venez de me la rendre comme une pomme cuite. J’aime mieux encore les coups de bâtons que de recommencer.

Archers

Soit, puisque le bâton est pour vous plus charmant,
Vous aurez contentement.

BALLET.

Les Archers Danseurs lui donnent des coups de bâtons en cadence.

Polichinelle

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, ah, ah, ah, je n’y saurais plus résister. Tenez, Messieurs, voilà six pistoles que je vous donne.

Archers

Ah l’honnête homme ! ah l’âme noble et belle !
80 Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

Polichinelle

Messieurs, je vous donne le bonsoir.

Archers

Adieu Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

Polichinelle

Votre Serviteur.

Archers

Adieu Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

Polichinelle

Très humble valet.

Archers

Adieu Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle.

Polichinelle

Jusqu’au revoir.

BALLET.

Ils dansent tous en réjouissance de l’argent qu’ils ont reçu.
Le Théâtre change, et représente encore une Chambre.

Acte Second §

Scène Première §

Toinette, Cléante

Toinette

Que demandez-vous, Monsieur ?

Cléante

Ce que je demande ?

Toinette

Ah, ah, c’est vous ! quelle surprise ! Que venez-vous faire céans ?

Cléante

Savoir ma Destinée ; parler à l’aimable Angélique ; consulter les sentiments de son cœur, et lui demander ses résolutions sur ce mariage fatal, dont on m’a averti.

Toinette

Oui ; mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angélique. Il y faut des mystères, et l’on vous a dit l’étroite garde où elle est retenue. Qu’on ne la laisse, ni sortir, ni parler à personne, et que ce ne fut que la curiosité d’une vieille Tante, qui nous fit accorder la liberté d’aller à cette Comédie, qui donna lieu à la naissance de votre passion, et nous nous sommes bien gardées de parler de cette aventure.

Cléante

Aussi ne viens-je pas ici comme Cléante, et sous l’apparence de son Amant ; mais comme ami de son Maître de Musique, dont j’ai obtenu le pouvoir de dire qu’il m’envoie à sa place.

Toinette

Voici son Père. Retirez-vous un peu, et me laissez lui dire que vous êtes là.

Scène II §

Argan, Toinette, Cléante

Argan

Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin dans ma Chambre douze allées et venues ; mais j’ai oublié à lui demander si c’est en long ou en large.

Toinette

Monsieur, voilà un…

Argan

Parle bas, Pendarde, tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut point parler si haut à des malades.

Toinette

Je voulais vous dire Monsieur…

Argan

Parle bas, te dis-je.

Toinette

Monsieur…

Argan

Eh ?

Toinette

Je vous dis que…

Argan

Qu’est-ce que tu dis ?

Toinette

Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.

Argan

Qu’il vienne.

Cléante

Monsieur…

Toinette

Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de Monsieur.

Cléante

Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout, et de voir que vous vous portez mieux.

Toinette feignant d’être en colère

Comment qu’il se porte mieux ! cela est faux, Monsieur se porte toujours mal.

Cléante

J’ai ouï dire que Monsieur était mieux, et je lui trouve bon visage.

Toinette

Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais, et ce sont des impertinents qui vous ont dit qu’il était mieux, il ne s’est jamais si mal porté.

Argan

Elle a raison.

Toinette

Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres : mais cela n’empêche pas qu’il ne soit fort malade.

Argan

Cela est vrai.

Cléante

Monsieur, j’en suis au désespoir. Je viens de la part du Maître à chanter de Mademoiselle votre Fille. Il s’est vu obligé d’aller à la campagne pour quelques jours ; et comme son ami intime, il m’envoie à sa place pour lui continuer ses leçons, de peur qu’en les interrompant, elle ne vînt à oublier ce qu’elle sait déjà.

Argan

Fort bien. Appelez Angélique.

Toinette

Je crois, Monsieur, qu’il sera mieux de mener Monsieur à sa Chambre.

Argan

Non, faites-la venir.

Toinette

Il ne pourra lui donner leçon comme il faut, s’ils ne sont en particulier.

Argan

Si fait, si fait.

Toinette

Monsieur, cela ne fera que vous étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir en l’état où vous êtes.

Argan

Point, point, j’aime la Musique, et je serai bien aise de… Ah ! la voici. Allez vous-en voir, vous, si ma Femme est habillée.

Scène III §

Argan, Angélique, Cléante

Argan

Venez, ma Fille, votre Maître de Musique est allé aux champs, et voilà une personne qu’il envoie à sa place pour vous montrer.

Angélique

Ah Ciel !

Argan

Qu’est-ce ? D’où vient cette surprise ?

Angélique

C’est…

Argan

Quoi ? qui vous émeut de la sorte ?

Angélique

C’est, mon Père, une aventure surprenante qui se rencontre ici.

Argan

Comment ?

Angélique

J’ai songé cette nuit que j’étais dans le plus grand embarras du monde, et qu’une personne faite tout comme Monsieur s’est présentée à moi à qui j’ai demandé secours, et qui m’est venue tirer de la peine où j’étais, et ma surprise a été grande de voir inopinément en arrivant ici, ce que j’ai eu dans l’idée toute la nuit.

Cléante

Ce n’est pas être malheureux que d’occuper votre pensée soit en dormant soit en veillant, et mon bonheur serait grand sans doute, si vous étiez dans quelque peine dont vous me jugeassiez assez digne de vous tirer ; et il n’y a rien que je ne fisse pour…

Scène IV §

Toinette, Cléante, Angélique, Argan

Toinette par dérision

Ma foi, Monsieur, je suis pour vous maintenant, et je me dédis de tout ce que je disais hier. Voici Monsieur Diafoirus le Père, et Monsieur Diafoirus le Fils qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien engendré ! Vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n’a dit que deux mots qui m’ont ravie, et votre fille va être charmée de lui.

Argan à Cléante, qui feint de vouloir s’en aller

Ne vous en allez point, Monsieur ; c’est que je marie ma Fille, et voilà qu’on lui amène son prétendu mari, qu’elle n’a point encore vu.

Cléante

C’est m’honorer beaucoup, Monsieur, de vouloir que je sois témoin d’une entrevue si agréable.

Argan

C’est le Fils d’un habile Médecin, et le mariage se fera dans quatre jours.

Cléante

Fort bien.

Argan

Mandez-le un peu à son Maître de Musique, afin qu’il se trouve à la Noce.

Cléante

Je n’y manquerai pas.

Argan

Je vous y prie aussi.

Cléante

Vous me faites beaucoup d’honneur.

Toinette

Allons qu’on se range, les voici.

Scène V §

Monsieur Diafoirus, Thomas Diafoirus, Argan, Angélique, Cléante, Toinette

Argan coiffé d’un bonnet de nuit, y met la main sans l’ôter

Monsieur Purgon, Monsieur, m’a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier ; vous savez les conséquences.

Monsieur Diafoirus

Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l’incommodité.

Argan

Je reçois, Monsieur…

Ils parlent tous deux en même temps, s’interrompent et confondent.

Monsieur Diafoirus

Nous venons ici, Monsieur…

Argan

Avec beaucoup de joie,

Monsieur Diafoirus

Mon Fils Thomas et moi,

Argan

L’honneur que vous me faites :

Monsieur Diafoirus

Vous témoigner, Monsieur,

Argan

Et j’aurais souhaité

Monsieur Diafoirus

Le ravissement où nous sommes,

Argan

De pouvoir aller chez vous

Monsieur Diafoirus

De la grâce que vous nous faites

Argan

Pour vous en assurer :

Monsieur Diafoirus

De vouloir bien nous recevoir

Argan

Mais vous savez, Monsieur,

Monsieur Diafoirus

Dans l’honneur, Monsieur,

Argan

Ce que c’est qu’un pauvre malade

Monsieur Diafoirus

De votre alliance ;

Argan

Qui ne peut faire autre chose,

Monsieur Diafoirus

Et vous assurer,

Argan

Que de vous dire ici,

Monsieur Diafoirus

Que dans les choses qui dépendront de notre métier,

Argan

Qu’il cherchera toutes les occasions

Monsieur Diafoirus

De même qu’en toute autre,

Argan

De vous faire connaître, Monsieur,

Monsieur Diafoirus

Nous serons toujours prêts, Monsieur,

Argan

Qu’il est tout à votre service.

Monsieur Diafoirus

À vous témoigner notre zèle.

Il se tourne vers son fils, et lui dit :

Allons, Thomas, avancez, faites vos compliments.

Thomas Diafoirus

C’est un grand Benêt, nouvellement sorti des Écoles, qui fait toutes les choses de mauvaise grâce, et à contretemps.

N’est-ce pas par le Père qu’il convient commencer ?

Monsieur Diafoirus

Oui.

Thomas Diafoirus

Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir, et révérer en vous un second Père : mais un second Père auquel j’ose dire que je me trouve plus redevable qu’au premier. Le premier m’a engendré ; mais vous m’avez choisi. Il m’a reçu par nécessité ; mais vous m’avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et d’autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d’autant plus je vous dois, et d’autant plus je tiens précieuse cette future Filiation, dont je viens aujourd’hui vous rendre par avance les très humbles, et très respectueux hommages.

Toinette

Vivent les Collèges d’où l’on sort si habile homme.

Thomas Diafoirus

Cela a-t-il bien été, mon Père ?

Monsieur Diafoirus

Optime.

Argan, à Angélique

Allons, saluez Monsieur.

Thomas Diafoirus

Baiserai-je ?

Monsieur Diafoirus

Oui, oui.

Thomas Diafoirus, à Angélique

Madame, c’est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de belle-Mère, puisque l’on…

Argan

Ce n’est pas ma Femme, c’est ma Fille à qui vous parlez.

Thomas Diafoirus

Où donc est-elle ?

Argan

Elle va venir.

Thomas Diafoirus

Attendrai-je, mon Père, qu’elle soit venue ?

Monsieur Diafoirus

Faites toujours le compliment de Mademoiselle.

Thomas Diafoirus

Mademoiselle, ne plus, ne moins que la Statue de Memnon rendait un son harmonieux lorsqu’elle venait à être éclairée des rayons du Soleil, tout de même me sens-je animé d’un doux transport à l’apparition du Soleil de vos beautés ; et comme les Naturalistes remarquent que la Fleur nommée Héliotrope tourne sans cesse vers cet Astre du jour, aussi mon cœur d’ores en avant tournera-t-il toujours vers les Astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j’appende aujourd’hui à l’Autel de vos charmes l’offrande de ce cœur, qui ne respire, et n’ambitionne autre gloire, que d’être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, et mari.

Toinette en le raillant

Voilà ce que c’est que d’étudier, on apprend à dire de belles choses.

Argan

Eh ? que dites-vous de cela ?

Cléante

Que Monsieur fait merveilles, et que s’il est aussi bon Médecin, qu’il est bon Orateur, il y aura plaisir à être de ses malades.

Toinette

Assurément. Ce sera quelque chose d’admirable, s’il fait d’aussi belles cures, qu’il fait de beaux discours.

Argan

Allons vite ma chaise, et des sièges à tout le monde. Mettez-vous là, ma Fille. Vous voyez, Monsieur, que tout le monde admire Monsieur votre Fils, et je vous trouve bien heureux de vous voir un Garçon comme cela.

Monsieur Diafoirus

Monsieur, ce n’est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j’ai sujet d’être content de lui, et que tous ceux qui le voient en parlent comme d’un Garçon qui n’a point de méchanceté. Il n’a jamais eu l’imagination bien vive, ni ce feu d’esprit qu’on remarque dans quelques-uns ; mais c’est par là que j’ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l’exercice de notre Art. Lorsqu’il était petit, il n’a jamais été ce qu’on appelle mièvre et éveillé. On le voyait toujours doux, paisible, et taciturne ; ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l’on nomme Enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire, et il avait neuf ans qu’il ne connaissait pas encore ses lettres. Bon, disais-je en moi-même, les Arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre, bien plus malaisément que sur le sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps, et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d’imagination est la marque d’un bon jugement à venir. Lorsque je l’envoyai au Collège il trouva de la peine ; mais il se raidissait contre les difficultés, et ses Régents se louaient toujours à moi de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses Licences, et je puis dire sans vanité que depuis deux ans qu’il est sur les Bancs, il n’y a point de Candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre École ; il s’y est rendu redoutable, et il ne s’y passe point d’Acte où il n’aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusques dans les derniers recoins de la Logique ; mais sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux Opinions de nos Anciens ; et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la Circulation du sang et autres opinions de même forme.

Thomas Diafoirus

Il tire une Thèse de sa poche qu’il présente à Angélique.

J’ai contre les Circulateurs soutenu une Thèse qu’avec la permission de Monsieur j’ose présenter à Mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit.

Angélique

Monsieur, c’est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là.

Toinette

Donnez, donnez, elle est toujours bonne à prendre pour l’Image, cela servira à parer notre chambre.

Thomas Diafoirus

Avec la permission aussi de Monsieur, je vous invite à venir voir l’un de ces jours pour vous divertir, la Dissection d’une femme sur quoi je dois raisonner.

Toinette

Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la Comédie à leurs Maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant.

Monsieur Diafoirus

Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le Mariage et la propagation, je vous assure que selon les règles de nos Docteurs, il est tel qu’on le peut souhaiter. Qu’il possède en un degré louable la vertu prolifique, et qu’il est du tempérament qu’il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés.

Argan

N’est-ce pas votre intention, Monsieur, de le pousser à la Cour, et d’y ménager pour lui une Charge de Médecin ?

Monsieur Diafoirus

À vous en parler franchement, notre métier auprès des Grands ne m’a jamais paru agréable, et j’ai toujours trouvé qu’il valait mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode ; vous n’avez à répondre de vos actions à personne, et pourvu que l’on suive le courant des règles de l’Art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu’il y a de fâcheux auprès des Grands, c’est que quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs Médecins les guérissent.

Toinette

Cela est plaisant, et ils sont bien impertinents de vouloir que vous autres Messieurs vous les guérissiez. Vous n’êtes point auprès d’eux pour cela. Vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des Remèdes, c’est à eux à guérir s’ils peuvent.

Monsieur Diafoirus

Cela est vrai. On n’est obligé qu’à traiter les gens dans les formes.

Argan, à Cléante

Monsieur, faites un peu chanter ma Fille devant la Compagnie.

Cléante

J’attendais vos ordres, Monsieur, et il m’est venu en pensée, pour divertir la Compagnie, de chanter avec Mademoiselle une Scène d’un petit Opéra qu’on a fait depuis peu. Tenez ; voilà votre Partie.

Angélique

Moi ?

Cléante

Ne vous défendez point, s’il vous plaît, et me laissez vous faire comprendre ce que c’est que la Scène que nous devons chanter. Je n’ai pas une voix à chanter ; mais il suffit que je me fasse entendre, et l’on aura la bonté de m’excuser par la nécessité où je me trouve de faire chanter Mademoiselle.

Argan

Les Vers en sont-ils beaux ?

Cléante

C’est proprement ici un petit Opéra impromptu, et vous n’allez entendre chanter, que de la Prose cadencée, ou des manières de Vers libres, tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d’eux-mêmes, et parlent sur-le-champ.

Argan

Fort bien. Écoutons.

Cléante sous le nom d’un Berger, explique à sa Maîtresse son amour depuis leur rencontre ; et ensuite ils s’expliquent leurs pensées l’un à l’autre en chantant

Voici le sujet de la Scène. Un Berger était attentif aux beautés d’un Spectacle qui ne faisait que de commencer, lorsqu’il fut tiré de son attention par un bruit qu’il entendit à ses côtés. Il se retourne, et voit un brutal, qui de paroles insolentes maltraitait une Bergère. D’abord il prend les intérêts d’un sexe à qui tous les hommes doivent hommage ; et après avoir donné au brutal le châtiment de son insolence, il vient à la Bergère, et voit une jeune personne qui des deux plus beaux yeux qu’il eût jamais vus, versait des larmes, qu’il trouva les plus belles du monde. Hélas ! dit-il en lui-même, est-on capable d’outrager une personne si aimable ? Et quel inhumain, quel barbare ne serait touché par de telles larmes ? Il prend soin de les arrêter, ces larmes qu’il trouve si belles, et l’aimable Bergère prend soin en même temps de le remercier de son léger service ; mais d’une manière si charmante, si tendre, et si passionnée que le Berger n’y peut résister : chaque mot, et chaque regard, est un trait plein de flamme, dont son cœur se sent pénétré. Est-il, disait-il, quelque chose qui puisse mériter les aimables paroles d’un tel remerciement ? Et que ne voudrait-on pas faire, à quels services, à quels dangers ne serait-on pas ravi de courir pour s’attirer un seul moment des touchantes douceurs d’une âme si reconnaissante ? Tout le Spectacle passe sans qu’il y donne aucune attention : mais il se plaint qu’il est trop court, parce qu’en finissant il le sépare de son adorable Bergère, et de cette première vue, de ce premier moment il emporte chez lui tout ce qu’un amour de plusieurs années peut avoir de plus violent. Le voilà aussitôt à sentir tous les maux de l’absence, et il est tourmenté de ne plus voir ce qu’il a si peu vu. Il fait tout ce qu’il peut pour se redonner cette vue, dont il conserve nuit et jour une si chère idée, mais la grande contrainte où l’on tient sa Bergère, lui en ôte tous les moiens. La violence de sa passion le fait résoudre à demander en Mariage l’adorable Beauté sans laquelle il ne peut plus vivre, et il en obtient d’elle la permission par un Billet qu’il a l’adresse de lui faire tenir. Mais dans le même temps on l’avertit que le Père de cette Belle a conclu son mariage avec un autre, et que tout se dispose pour en célébrer la Cérémonie. Jugez quelle atteinte cruelle au cœur de ce triste Berger. Le voilà accablé d’une mortelle douleur. Il ne peut souffrir l’effroyable Idée de voir tout ce qu’il aime entre les bras d’un autre, et son amour au désespoir lui fait trouver moien de s’introduire dans la maison de sa Bergère, pour apprendre ses sentiments, et savoir d’elle la Destinée à laquelle il doit se résoudre. Il y rencontre les apprêts de tout ce qu’il craint. Il y voit venir l’indigne Rival que le caprice d’un Père oppose aux tendresses de son amour. Il le voit Triomphant, ce Rival ridicule auprès de l’aimable Bergère, ainsi qu’auprès d’une Conquête qui lui est assurée, et cette vue le remplit d’une colère dont il a peine à se rendre le maître. Il jette de douloureux regards sur celle qu’il adore, et son respect, et la présence de son Père, l’empêchent de lui rien dire que des yeux : mais enfin, il force toute contrainte, et le transport de son amour l’oblige à lui parler ainsi.

Il chante.
Belle Philis, c’est trop, c’est trop souffrir,
85 Rompons ce dur silence, et m’ouvrez vos pensées,
Apprenez-moi ma Destinée,
Faut-il vivre ? Faut-il mourir ?

Angélique

Vous me voyez, Tircis, triste et mélancolique
Aux apprêts de l’Hymen, dont vous vous alarmez,
90 Je lève au Ciel les yeux, je vous regarde, je soupire,
C’est vous en dire assez.

Argan

Ouais, je ne croyais pas que ma Fille fût si habile que de chanter ainsi à Livre ouvert sans hésiter.

Cléante

Hélas ! belle Philis,
Se pourrait-il, que l’amoureux Tircis,
Eût assez de bonheur,
95 Pour avoir quelque place dans votre cœur ?

Angélique

Je ne m’en défends point, dans cette peine extrême :
Oui, Tircis, je vous aime.

Cléante

Ô parole pleine d’appas !
Ai-je bien entendu ? hélas
100 Redites-la, Philis, que je n’en doute pas.

Angélique

Oui, Tircis, je vous aime.

Cléante

De grâce encore, Philis.

Angélique

Je vous aime.

Cléante

Recommencez cent fois, ne vous en lassez pas.

Angélique

105 Je vous aime, je vous aime,
Oui, Tircis, je vous aime.

Cléante

Dieux, Rois, qui sous vos pieds regardez tout le monde,
Pouvez-vous comparer votre bonheur au mien ?
Mais, Philis, une pensée
110 Vient troubler ce doux transport,
Un Rival, un Rival…

Angélique

Ah ! je le hais plus que la mort,
Et sa présence ainsi qu’à vous
M’est un cruel supplice.

Cléante

115 Mais un Père à ses vœux vous veut assujettir.

Angélique

Plutôt, plutôt mourir,
Que de jamais y consentir,
Plutôt, plutôt mourir, plutôt mourir.

Argan

Et que dit le Père à tout cela ?

Cléante

Il ne dit rien.

Argan en colère

Voilà un sot Père que ce Père-là, de souffrir toutes ces sottises-là, sans rien dire.

Cléante

Ah ! mon amour…

Argan

Non, non, en voilà assez, cette Comédie-là est de fort mauvais exemple. Le Berger Tircis est un impertinent, et la Bergère Philis une impudente de parler de la sorte devant son Père. Montrez-moi ce papier. Ha, ha. Où sont donc les paroles que vous avez dites ? Il n’y a là que de la Musique écrite ?

Cléante

Est-ce que vous ne savez pas, Monsieur, qu’on a trouvé depuis peu l’invention d’écrire les paroles avec les notes mêmes ?

Argan

Fort bien. Je suis votre serviteur, Monsieur, jusqu’au revoir. Nous nous serions bien passés de votre impertinent d’Opéra.

Cléante

J’ai cru vous divertir.

Argan

Les sottises ne divertissent point. Ah ! voici ma Femme.

Scène VI §

Béline, Argan, Toinette, Angélique, Monsieur Diafoirus, Thomas Diafoirus

Argan

Mamour, voilà le Fils de Monsieur Diafoirus

Thomas Diafoirus commence le récit d’un Compliment qu’il avait étudié, mais la mémoire lui manquant il ne peut le continuer

Madame, c’est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de Belle-mère, puisque l’on voit sur votre visage…

Béline

Monsieur, je suis ravie d’être venue ici à propos pour avoir l’honneur de vous voir.

Thomas Diafoirus

Puisque l’on voit sur votre visage… Madame, vous m’avez interrompu dans le milieu de ma période, et cela m’a troublé la mémoire.

Monsieur Diafoirus

Thomas, réservez cela pour une autre fois.

Argan

Je voudrais, ma Mie, que vous eussiez été ici tantôt.

Toinette

Ah, Madame, vous avez bien perdu de n’avoir point été au second Père, à la Statue de Memnon, et à la Fleur nommée Héliotrope.

Argan

Allons, ma Fille, touchez dans la main de Monsieur, et lui donnez votre Foi comme à votre Mari.

Angélique

Mon Père.

Argan

Hé bien, mon Père. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Angélique

De grâce ne précipitez pas les choses. Donnez-nous au moins le temps de nous connaître, et de voir naître en nous l’un pour l’autre cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite.

Thomas Diafoirus

Quant à moi, Mademoiselle, elle est déjà toute née en moi ; et je n’ai pas besoin d’attendre davantage.

Angélique

Si vous êtes si prompt, Monsieur, il n’en est pas de même de moi, et je vous avoue que votre mérite n’a pas encore fait assez d’impression dans mon âme.

Argan

Ho bien, bien, cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariés ensemble.

Angélique

Eh mon Père, donnez-moi du temps, je vous prie, le Mariage est une chaîne, où l’on ne doit jamais soumettre un cœur par force ; et si Monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne, qui serait à lui par contrainte.

Thomas Diafoirus

Nego consequentiam, Mademoiselle ; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de Monsieur votre Père.

Angélique

C’est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu’un, que de lui faire violence.

Thomas Diafoirus

Nous lisons des Anciens, Mademoiselle, que leur coutume était d’enlever par force de la maison des Pères les Filles qu’on menait marier, afin qu’il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu’elles convolaient dans les bras d’un homme.

Angélique

Les Anciens, Monsieur, sont les Anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre Siècle ; et quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu’on nous y traîne. Donnez-vous patience ; si vous m’aimez, Monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux.

Thomas Diafoirus

Oui, Mademoiselle, jusques aux intérêts de mon amour exclusivement.

Angélique

Mais la grande marque d’amour, c’est d’être soumis aux volontés de celle qu’on aime.

Thomas Diafoirus

Distinguo, Mademoiselle, dans ce qui ne regarde point sa possession, Concedo, mais dans ce qui la regarde, Nego.

Toinette

Vous avez beau raisonner ; Monsieur est frais émoulu du Collège, et il vous donnera toujours votre reste. Pourquoi tant résister, et refuser la gloire d’être attachée au Corps de la Faculté ?

Béline

Elle a peut-être quelque inclination en tête.

Angélique

Si j’en avais, Madame, elle serait telle que la raison et l’honnêteté pourraient me la permettre.

Argan

Ouais, je joue ici un plaisant personnage.

Béline

Si j’étais que de vous, mon Fils, je ne la forcerais point à se marier, et je sais bien ce que je ferais.

Angélique

Je sais, Madame, ce que vous voulez dire, et les bontés que vous avez pour moi, mais peut-être que vos conseils ne seront pas assez heureux pour être exécutés.

Béline

C’est que les Filles bien sages et bien honnêtes comme vous, se moquent d’être obéissantes, et soumises aux volontés de leurs Pères. Cela était bon autrefois.

Angélique

Le devoir d’une Fille a des bornes, Madame, et la raison et les lois ne l’étendent point à toutes sortes de choses.

Béline

C’est-à-dire que vos pensées ne sont que pour le mariage ; mais vous voulez choisir un Époux à votre fantaisie.

Angélique

Si mon Père ne veut pas me donner un Mari qui me plaise, je le conjurerai, au moins, de ne me point forcer à en épouser un que je ne puisse pas aimer.

Argan

Messieurs, je vous demande pardon de tout ceci.

Angélique

Chacun a son but en se mariant ; pour moi qui ne veux un Mari que pour l’aimer véritablement, et qui prétends en faire tout l’attachement de ma vie, je vous avoue que j’y cherche quelque précaution. Il y en a d’aucunes qui prennent des Maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en état de faire tout ce qu’elles voudront. Il y en a d’autres, Madame, qui font du mariage un commerce de pur intérêt ; qui ne se marient que pour gagner des douaires ; que pour s’enrichir par la mort de ceux qu’elles épousent, et courent sans scrupule de Mari en Mari, pour s’approprier leurs dépouilles. Ces personnes-là à la vérité n’y cherchent pas tant de façons, et regardent peu la personne.

Béline

Je vous trouve aujourd’hui bien raisonnante, et je voudrais bien savoir ce que vous voulez dire par là.

Angélique

Moi, Madame ? Que voudrais-je dire que ce que je dis ?

Béline

Vous êtes si sotte, ma Mie, qu’on ne saurait plus vous souffrir.

Angélique

Vous voudriez bien, Madame, m’obliger à vous répondre quelque impertinence ; mais je vous avertis que vous n’aurez pas cet avantage.

Béline

Il n’est rien d’égal à votre insolence.

Angélique

Non, Madame, vous avez beau dire.

Béline

Et vous avez un ridicule orgueil, une impertinente présomption qui fait hausser les épaules à tout le monde.

Angélique

Tout cela, Madame, ne servira de rien, je serai sage en dépit de vous ; et pour vous ôter l’espérance de pouvoir réussir dans ce que vous voulez, je vais m’ôter de votre vue.

Argan

Écoute, il n’y a point de milieu à cela, choisis d’épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un Convent. Ne vous mettez pas en peine, je la rangerai bien.

Béline

Je suis fâchée de vous quitter, mon Fils ; mais j’ai une affaire en Ville dont je ne puis me dispenser. Je reviendrai bientôt.

Argan

Allez, mamour, et passez chez votre Notaire, afin qu’il expédie ce que vous savez.

Béline

Adieu, mon petit Ami.

Argan

Adieu, ma Mie. Voilà une femme qui m’aime… Cela n’est pas croyable.

Monsieur Diafoirus

Nous allons, Monsieur, prendre congé de vous.

Argan

Je vous prie, Monsieur, de me dire un peu comment je suis.

Monsieur Diafoirus lui tâte le poul

Allons, Thomas, prenez l’autre bras de Monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis ?

Thomas Diafoirus

Dico, que le pouls de Monsieur est le pouls d’un homme qui ne se porte point bien.

Monsieur Diafoirus

Bon.

Thomas Diafoirus

Qu’il est Duriuscule, pour ne pas dire dur.

Monsieur Diafoirus

Fort bien.

Thomas Diafoirus

Repoussant.

Monsieur Diafoirus

Bene.

Thomas Diafoirus

Et même un peu caprisant.

Monsieur Diafoirus

Optime.

Thomas Diafoirus

Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c’est-à-dire la rate.

Monsieur Diafoirus

Fort bien.

Argan

Non, Monsieur Purgon dit que c’est mon foie qui est malade.

Monsieur Diafoirus

Eh oui, qui dit parenchyme dit l’un et l’autre, à cause de l’étroite sympathie qu’ils ont ensemble par le moyen du vas breve du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti.

Argan

Non, rien que du bouilli.

Monsieur Diafoirus

Eh oui, rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être en de meilleures mains.

Argan

Monsieur, combien est-ce qu’il faut mettre de grains de sel dans un œuf ?

Monsieur Diafoirus

Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs.

Argan

Jusques au revoir, Monsieur.

Scène VII §

Béline, Argan

Béline

Je viens, mon Fils, avant que de sortir, vous donner avis d’une chose, à laquelle il faut que vous preniez garde. En passant par-devant la chambre d’Angélique, j’ai vu un jeune homme avec elle, qui s’est sauvé d’abord qu’il m’a vue.

Argan

Un jeune homme avec ma Fille ?

Béline

Oui. Votre petite Fille Louison était avec eux, qui pourra vous en dire des nouvelles.

Argan

Envoyez-la ici, mamour ; envoyez-la ici. Ah l’effrontée ! Je ne m’étonne plus de sa résistance.

Scène VIII §

Louison, Argan

louison

Qu’est-ce que vous voulez, mon Papa ? ma belle-Maman m’a dit que vous me demandez.

Argan, lui montrant le doigt

Oui, venez ça, avancez là. Tournez-vous, levez les yeux. Regardez-moi. Eh !

louison

Quoi, mon Papa ?

Argan

Là ?

louison

Quoi ?

Argan

N’avez-vous rien à me dire ?

louison

Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de peau d’Âne, ou bien la fable du Corbeau et du Renard, qu’on m’a apprise depuis peu.

Argan

Ce n’est pas là ce que je demande.

louison

Quoi donc ?

Argan

Ah rusée, vous savez bien ce que je veux dire.

louison

Pardonnez-moi, mon Papa.

Argan

Est-ce là comme vous m’obéissez ?

louison

Quoi ?

Argan

Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez ?

louison

Oui, mon Papa.

Argan

L’avez-vous fait ?

louison

Oui, mon Papa, je vous suis venu dire tout ce que j’ai vu.

Argan

Et n’avez-vous rien vu aujourd’hui ?

louison

Non, mon Papa.

Argan

Non ?

louison

Non, mon Papa.

Argan

Assurément ?

louison

Assurément.

Argan

Il prend une poignée de verges.

Oh çà, je m’en vais vous faire voir quelque chose, moi.

louison

Ah, mon Papa !

Argan

Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur.

louison

Mon Papa.

Argan

Voici qui vous apprendra à mentir.

louison

Ah ! mon Papa, je vous demande pardon ; c’est que ma Sœur m’avait dit de ne pas vous le dire ; mais je m’en vais vous dire tout.

Argan

Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti ; puis après nous verrons au reste.

louison

Pardon, mon Papa.

Argan

Non, non.

louison

Mon pauvre Papa, ne me donnez pas le fouet.

Argan

Vous l’aurez.

louison

Au nom de Dieu, mon Papa, que je ne l’aie pas.

Argan la prend pour la fouetter

Allons, allons.

louison

Ah, mon Papa, vous m’avez blessée ! attendez je suis morte.

Elle contrefait la morte.

Argan

Holà, qu’est-ce là ? Louison, Louison. Ah, mon Dieu ! Louison ! Ah ma Fille ! Ah, malheureux, ma pauvre Fille est morte. Qu’ai-je fait, misérable ? Ah, chiennes de Verges, la peste soit des Verges. Ah, ma pauvre Fille ! ma pauvre petite Louison.

louison

Là, là, mon Papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas encore morte tout à fait.

Argan

Voyez-vous la petite rusée ? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout.

louison

Ho oui mon Papa.

Argan

Prenez-y bien garde au moins ; car voilà un petit doigt qui sait tout, qui me dira si vous mentez.

louison

Mais, mon Papa, ne dites pas à ma Sœur que je vous l’ai dit.

Argan

Non, non.

louison

C’est, mon Papa, qu’il est venu un homme dans la chambre de ma Sœur comme j’y étais.

Argan

Hé bien ?

louison

Je lui ai demandé ce qu’il demandait, et il m’a dit qu’il était son Maître à chanter.

Argan

Hon, hon ! Voilà l’affaire. Hé bien ?

louison

Ma Sœur est venue après.

Argan

Hé bien ?

louison

Elle lui a dit : Sortez, sortez, sortez ; mon Dieu, sortez, vous me mettez au désespoir.

Argan

Hé bien ?

louison

Et lui, il ne voulait point sortir.

Argan

Qu’est-ce qu’il lui disait ?

louison

Il lui disait je ne sais combien de choses.

Argan

Et quoi encore ?

louison

Il lui disait, tout ci, tout ça, qu’il l’aimait bien, et qu’elle était la plus belle du monde.

Argan

Et puis après ?

louison

Et puis après, il se mettait à genoux devant elle.

Argan

Et puis après ?

louison

Et puis après il lui baisait les mains.

Argan

Et puis après ?

louison

Et puis après, ma belle-Maman est venue à la porte, et il s’est enfui.

Argan

Il n’y a point autre chose ?

louison

Non, mon Papa.

Argan

Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose, attendez. Eh ! ah, ah ! oui ? oh, oh ! voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m’avez pas dit.

louison

Ah mon Papa, votre petit doigt est un menteur.

Argan

Prenez garde.

louison

Non, mon Papa, ne le croyez pas, il ment, je vous assure.

Argan

Oh bien bien nous verrons cela. Allez-vous-en, et prenez bien garde à tout. Ah que d’affaires ! je n’ai pas seulement le loisir de songer à ma Maladie, en vérité je n’en puis plus.

Scène IX §

Béralde, Argan

Béralde

Hé bien, mon Frère, qu’est-ce ? comment vous portez-vous ?

Argan

Ah mon Frère, fort mal.

Béralde

Comment fort mal ?

Argan

Oui, je suis dans une faiblesse si grande, que cela n’est pas croyable.

Béralde

Voilà qui est fâcheux.

Argan

Je n’ai pas seulement la force de pouvoir parler.

Béralde

J’étais venu ici, mon Frère, vous proposer un parti pour ma Nièce Angélique.

Argan

Mon Frère, ne me parlez point de cette coquine-là. C’est une friponne, une impertinente, une effrontée que je mettrai dans un Convent avant qu’il soit deux jours.

Béralde

Ah ! voilà qui est bien. Je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh çà, nous parlerons d’affaires tantôt. Je vous amène ici un divertissement que j’ai rencontré, qui dissipera votre chagrin, et vous rendra l’âme mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des Égyptiens vêtus en Maures, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plaisir, et cela vaudra bien une Ordonnance de Monsieur Purgon. Allons.

Fin du second Acte.

Second Intermède §

Le Frère du Malade Imaginaire, lui amène pour le divertir, plusieurs Égyptiens et Égyptiennes vêtus en Maures, qui font des Danses entremêlées de Chansons.

Première femme maure

120 Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Aimable jeunesse ;
Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
125 Donnez-vous à la tendresse.
Les plaisirs les plus charmants,
Sans l’amoureuse flamme,
Pour contenter une âme
N’ont point d’attraits assez puissants.
130 Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Aimable jeunesse ;
Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
135 Donnez-vous à la tendresse.
Ne perdez point ces précieux moments;
La beauté passe,
Le temps l’efface,
L’âge de glace
140 Vient à sa place,
Qui nous ôte le goût de ces doux passe-temps.
Profitez du Printemps
De vos beaux ans,
Aimable jeunesse ;
145 Profitez du Printemps,
De vos beaux ans,
Donnez-vous à la tendresse.

seconde femme maure

Quand d’aimer on nous presse,
À quoi songez-vous ?
150 Nos cœurs dans la jeunesse
N’ont vers la tendresse
Qu’un penchant trop doux ;
L’amour a pour nous prendre
De si doux attraits,
155 Que de soi, sans attendre,
On voudrait se rendre
À ses premiers traits :
Mais tout ce qu’on écoute,
Des vives douleurs
160 Et des pleurs qu’il nous coûte,
Fait qu’on en redoute
Toutes les douceurs.

Troisième femme maure

Il est doux à notre âge
D’aimer tendrement
165 Un Amant
Qui s’engage :
Mais s’il est volage
Hélas ! quel tourment ?

quatrième femme maure

L’Amant qui se dégage
170 N’est pas le malheur,
La douleur
Et la rage ;
C’est que le volage
Garde notre cœur.

seconde femme maure

175 Quel parti faut-il prendre
Pour nos jeunes cœurs ?

quatriéme femme maure

Devons-nous nous y rendre
Malgré ses rigueurs ?

ensemble

Oui, suivons ses ardeurs,
180 Ses transports, ses caprices,
Ses douces langueurs ;
S’il a quelques supplices,
Il a cent délices
Qui charment les cœurs.

ENTRÉE DE BALLET.

Tous les Maures dansent ensemble, et font sauter des Singes qu’ils ont amenés avec eux.

Acte Troisième §

Scène Première §

Béralde, Argan, Toinette

Béralde

Hé bien, mon Frère, que dites-vous du plaisir que vous venez d’avoir, cela ne vaut-il pas bien une prise de Casse ?

Toinette

De bonne Casse est bonne.

Béralde

Puisque vous êtes mieux, mon Frère, vous voulez bien que je vous entretienne un peu de l’affaire de tantôt.

Argan court au Bassin

Un peu de patience, mon Frère, je reviens dans un moment.

Toinette

Monsieur, vous oubliez votre bâton ; vous ne songez pas que vous ne sauriez marcher sans lui.

Argan

Tu as raison, donne vite.

Scène II §

Béralde, Toinette

Toinette

Eh, Monsieur, n’avez-vous point de pitié pour votre Nièce, et la laisserez-vous sacrifier au caprice de son Père, qui veut absolument qu’elle épouse ce qu’elle hait le plus au monde?

Béralde

Dans le vrai, la nouvelle de ce bizarre mariage m’a fort surpris, je veux tout mettre en usage pour rompre ce coup, et je porterai même les choses à la dernière extrémité, plutôt que de le souffrir. Je lui ai déjà parlé en faveur de Cléante ; j’ai été très mal reçu ; mais afin de faire réussir leurs feux, il faut commencer par le dégoûter de l’autre, et c’est ce qui m’embarrasse fort.

Toinette

Il est vrai que difficilement le fait-on changer de sentiment. Écoutez, pourtant, je songe à quelque chose qui pourrait bien nous réussir.

Béralde

Que prétends-tu faire ?

Toinette

C’est un dessein assez burlesque, et une imagination fort plaisante qui me vient dans l’esprit pour duper notre homme ; je songe qu’il faudrait faire venir un Médecin à notre poste, qui eût une méthode tout contraire à celle de Monsieur Purgon, qui le décriât et le fît passer pour un ignorant ; qui lui offrît ses services, et lui promît de prendre soin de lui en sa place, peut-être serons nous plus heureux que sages : éprouvons ceci à tout hasard ; mais comme je ne vois personne propre à bien faire le Médecin, j’ai envie de jouer un tour de ma teste.

Béralde

Quel est-il ?

Toinette

Vous verrez ce que c’est, j’entends votre Frère secondez-moi bien seulement.

Scène III §

Argan, Béralde

Béralde

Je veux, mon Frère, vous faire une prière avant que de vous parler d’affaires.

Argan

Quelle est-elle cette prière ?

Béralde

C’est d’écouter favorablement tout ce que j’ai à vous dire.

Argan

Bien, soit.

Béralde

De ne vous point emporter à votre ordinaire.

Argan

Oui, je le ferai.

Béralde

Et de me répondre sans chaleur précisément sur chaque chose.

Argan

Hé bien oui : voici bien du préambule.

Béralde

Ainsi, mon Frère, par quelle raison, dites-moi, voulez-vous marier votre Fille à un Médecin ?

Argan

Par la raison, mon Frère, que je suis le Maître chez moi, et que je puis disposer à ma volonté de tout ce qui est en ma puissance.

Béralde

Mais encore, pourquoi choisir plutôt un Médecin qu’un autre ?

Argan

Parce que dans l’état où je suis, un Médecin m’est plus nécessaire que tout autre ; et si ma Fille était raisonnable, c’en serait assez pour le lui faire accepter.

Béralde

Par cette même raison, si votre petite Louison était plus grande, vous la donneriez en mariage à un Apothicaire.

Argan

Eh pourquoi non ? Voyez un peu le grand mal qu’il y aurait.

Béralde

En vérité, mon Frère, je ne puis souffrir l’entêtement que vous avez des Médecins, et que vous vouliez être malade en dépit de vous-même.

Argan

Qu’entendez-vous par là, mon Frère ?

Béralde

J’entends, mon Frère, que je ne vois guère d’hommes qui se portent mieux que vous et que je ne voudrais pas avoir une meilleure constitution que la vôtre : une grande marque que vous vous portez bien, c’est que toutes les Médecines et les Lavements qu’on vous a fait prendre, n’aient point encore altéré la bonté de votre tempérament ; et un de mes étonnements est, que vous ne soyez point crevé à force de remèdes.

Argan

Monsieur Purgon dit que c’est ce qui me fait vivre : et que je mourrais, s’il était seulement deux jours sans prendre soin de moi.

Béralde

Oui, oui, il en prendra tant de soin, que devant qu’il soit peu, vous n’aurez plus besoin de lui.

Argan

Mais, mon Frère, vous ne croyez donc point à la Médecine ?

Béralde

Moi, mon Frère ? nullement, et je ne vois pas que pour son salut, il soit nécessaire d’y croire.

Argan

Quoi ? vous ne croyez pas à une Science qui depuis un si long temps est si solidement établie par toute la terre et respectée de tous les hommes ?

Béralde

Non, vous dis-je, et je ne vois pas même une plus plaisante momerie : rien au monde de plus impertinent qu’un homme qui se veut mêler d’en guérir un autre.

Argan

Eh pourquoi, mon Frère, ne voulez-vous pas qu’un homme en puisse guérir un autre ?

Béralde

Parce que les ressorts de notre machine sont mystères jusques ici inconnus, où les hommes ne voient goutte, et dont l’Auteur de toutes choses s’est réservé la connaissance.

Argan

Que faut-il donc faire lorsque l’on est malade ?

Béralde

Rien que se tenir de repos, et laisser faire la nature ; puisque c’est elle qui est tombée dans le désordre, elle s’en peut aussi bien retirer, et se rétablir elle-même.

Argan

Mais encore devez-vous m’avouer qu’on peut aider cette nature.

Béralde

Bien éloigné de cela, on ne fait bien souvent que l’empêcher de faire son effet : et j’ai connu bien des gens qui sont morts des remèdes qu’on leur a fait prendre, qui se porteraient bien présentement s’ils l’eussent laissé faire.

Argan

Vous voulez donc dire, mon Frère, que les Médecins ne savent rien ?

Béralde

Non, je ne dis pas cela ; la plupart d’entre eux sont de très bons Humanistes qui parlent fort bien Latin, qui savent nommer en Grec toutes les maladies, les définir ; mais pour les guérir, c’est ce qu’il ne savent pas.

Argan

Mais pourquoi donc, mon Frère, tous les hommes sont-ils dans la même erreur où vous voulez que je sois ?

Béralde

C’est, mon Frère, parce qu’il y a des choses dont l’apparence nous charme, et que nous croyons véritables, par l’envie que nous avons qu’elles se fassent. La Médecine est de celle-là ; il n’y a rien de si beau et de si charmant que son objet : par exemple, lorsqu’un Médecin vous parle de purifier le sang, de fortifier le cœur, de rafraîchir les entrailles, de rétablir la poitrine, de raccommoder la rate, d’apaiser la trop grande chaleur du foie, de régler, modérer et retirer la chaleur naturelle, il vous dit justement le Roman de la Médecine, et il en est comme de ces beaux songes qui pendant la nuit nous ont bien divertis, et qui ne nous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir eus.

Argan

Ouais, vous êtes devenu fort habile homme en peu de temps.

Béralde

Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands Médecins ; entendez-les parler, ce sont les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes ; de telle manière que toute leur science est renfermée en un pompeux Galimatias, et un spécieux babil.

Argan

Ce sont donc de méchantes gens d’abuser ainsi de la crédulité et de la bonne foi des hommes ?

Béralde

Il y en a entre eux qui sont dans l’erreur aussi bien que les autres, d’autres qui en profitent sans y être. Votre Monsieur Purgon y est plus que personne. C’est un homme tout Médecin depuis la tête jusques aux pieds, qui croit plus aux règles de son Art qu’à toutes les démonstrations de Mathématique, et qui donne à travers les purgations et les saignées sans y rien connaître, et qui lorsqu’il vous tuera ne fera dans cette occasion que ce qu’il a fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu’en un besoin il ferait à lui-même.

Argan

C’est que vous avez une dent de lait contre lui.

Béralde

Quelle raison m’en aurait-il donnée ?

Argan

Je voudrais bien, mon Frère, qu’il y eût ici quelqu’un de ces Messieurs pour vous tenir tête, pour rembarrer un peu tout ce que vous venez de dire, et vous apprendre à les attaquer.

Béralde

Moi, mon Frère ? je ne prétends point les attaquer ; ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et que par manière de conversation, chacun à ses périls et fortunes en peut croire tout ce qu’il lui plaira.

Argan

Voyez-vous, mon Frère, ne me parlez plus contre ces gens-là, ils me tiennent trop au cœur, vous ne faites que m’échauffer et augmenter mon mal.

Béralde

Soit, je le veux bien, mais je souhaiterais seulement pour vous désennuyer vous mener voir un de ces jours représenter une des Comédies de Molière sur ce sujet.

Argan

Ce sont de plaisants impertinents que vos Comédiens, avec leurs Comédies de Molière ; c’est bien à faire à eux à se moquer de la Médecine. Ce sont de bons nigauds, et je les trouve bien ridicules de mettre sur leur Théâtre de vénérables Messieurs comme ces Messieurs-là.

Béralde

Que voulez-vous qu’ils y mettent que les diverses professions des hommes ? Nous y voyons bien tous les jours des Princes et des Rois qui sont du moins d’aussi bonne maison que les Médecins.

Argan

Par la mort non d’un diable, je les attraperais bien quand ils seraient malades, ils auraient beau me prier, je prendrais plaisir à les voir souffrir, je ne voudrais pas les soulager en rien, je ne leur ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit Lavement, je me vengerais bien de leur insolence, et leur dirais : Crevez, crevez, crevez mes petits Messieurs, cela vous apprendra à vous moquer une autre fois de la Faculté.

Béralde

Ils ne s’exposent point à de pareilles épreuves, et ils savent très bien se guérir eux-mêmes lorsqu’ils sont malades.

Scène IV §

Monsieur Fleurant une seringue à la main. Argan, Béralde

Monsieur Fleurant

C’est un petit Clystère que je vous apporte ; prenez vite, Monsieur, prenez vite, il est comme il faut, il est comme il faut.

Béralde

Que voulez-vous faire, mon Frère ?

Argan

Attendez un moment, cela sera bientôt fait.

Béralde

Je crois que vous vous moquez de moi ; Eh ne sauriez-vous prendre un autre temps ? allez, Monsieur, revenez une autre fois.

Argan

À ce soir, s’il vous plaît, Monsieur Fleurant.

Monsieur Fleurant

De quoi vous mêlez-vous, Monsieur ? vous êtes bien plaisant d’empêcher Monsieur de prendre son Clystère, sont-ce là vos affaires ?

Béralde

On voit bien, Monsieur, que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages.

Monsieur Fleurant

Que voulez-vous dire avec vos visages ? sachez que je ne perds pas ainsi mes pas, et que je viens ici en vertu d’une bonne Ordonnance, et vous Monsieur, vous vous repentirez du mépris que vous en faites, je vais le dire à Monsieur Purgon, vous verrez, vous verrez.

Scène V §

Argan, Béralde

Argan

Mon Frère, vous allez être cause ici de quelque malheur ; et je crains fort que Monsieur Purgon ne se fâche quand il saura que je n’ai pas pris son Lavement.

Béralde

Voyez un peu le grand mal de n’avoir pas pris un Lavement que Monsieur Purgon a ordonné, vous ne vous mettriez pas plus en peine si vous aviez commis un crime considérable. Encore un coup, est-il possible qu’on ne vous puisse pas guérir de la maladie des Médecins, et ne vous verrai-je jamais qu’avec un Lavement et une Médecine dans le corps ?

Argan

Mon Dieu, mon Frère, vous parlez comme un homme qui se porte bien ; si vous étiez en ma place, vous seriez aussi embarrassé que moi.

Béralde

Hé bien, mon Frère, faites ce que vous voudrez. Mais j’en reviens toujours là, votre Fille n’est point destinée pour un Médecin, et le parti dont je veux vous parler, lui est bien plus convenable.

Argan

Il ne l’est pas pour moi, et cela me suffit ; en un mot elle est promise, et elle n’a qu’à se déterminer à cela ou à un Convent.

Béralde

Votre femme n’est pas des dernières à vous donner ce Conseil.

Argan

Ah ! j’étais bien étonné si l’on ne me parlait pas de la pauvre femme, c’est toujours elle qui fait tout, il faut que tout le monde en parle.

Béralde

Ah ! j’ai tort, il est vrai, c’est une femme qui a trop d’amitié pour vos enfants ; et qui pour l’amitié qu’elle leur porte, voudrait les voir toutes deux bonnes Religieuses.

Scène VI §

Monsieur Purgon, Toinette, Argan, Béralde

Monsieur Purgon

Qu’est-ce ? on vient de m’apprendre de belles nouvelles. Comment, refuser un Clystère que j’avais pris plaisir moi-même de composer avec grand soin ?

Argan

Monsieur Purgon, ce n’est pas moi, c’est mon Frère.

Monsieur Purgon

Voilà une étrange rébellion d’un Malade contre son Médecin.

Toinette

Cela est vrai.

Monsieur Purgon

Le renvoyer avec audace ; c’est une action exorbitante.

Toinette

Assurément.

Monsieur Purgon

Un attentat énorme contre la Médecine.

Toinette

Cela est certain.

Monsieur Purgon

C’est un crime de lèse-Faculté.

Toinette

Vous avez raison.

Monsieur Purgon

Je vous aurais dans peu tiré d’affaire, et je ne voulais plus que dix Médecines, et vingt Lavements pour vider le fond du sac.

Toinette

Il ne le mérite pas.

Monsieur Purgon

Mais puisque vous avez eu l’insolence de mépriser mon Clystère.

Argan

Eh Monsieur Purgon, ce n’est pas ma faute, c’est la sienne.

Monsieur Purgon

Que vous vous êtes soustrait de l’obéissance qu’un Malade doit à son Médecin.

Argan

Ce n’est pas moi, vous dis-je.

Monsieur Purgon

Je ne veux plus avoir d’alliance avec vous, et voici le don que je faisais de tout mon bien à mon Neveu, en faveur du Mariage avec votre Fille, que je déchire en mille pièces.

Toinette

C’est fort bien fait.

Argan

Mon frère, vous êtes cause de tout ceci.

Monsieur Purgon

Je ne veux plus prendre soin de vous, et être davantage votre Médecin.

Argan

Je vous demande pardon.

Monsieur Purgon

Je vous abandonne à votre méchante constitution, à l’intempérie de votre tempérament, et à la féculence de vos humeurs.

Argan

Faites-le venir, je le prendrai devant vous.

Monsieur Purgon

Je veux que dans peu vous soyez en un état incurable.

Argan

Ah! je suis mort.

Monsieur Purgon

Et je vous avertis que vous tomberez dans l’Épilepsie.

Argan

Monsieur Purgon.

Monsieur Purgon

De l’Épilepsie dans la Phtisie.

Argan

Monsieur Purgon.

Monsieur Purgon

De la Phtisie dans la Bradypepsie.

Argan

Doucement Monsieur Purgon.

Monsieur Purgon

De la Bradypepsie dans la Lienterie.

Argan

Ah, Monsieur Purgon.

Monsieur Purgon

De la Lienterie dans la Dysenterie.

Argan

Mon pauvre Monsieur Purgon !

Monsieur Purgon

De la Dysenterie dans l’Hydropisie.

Argan

Monsieur Purgon.

Monsieur Purgon

De l’Hydropisie dans l’Apoplexie.

Argan

Monsieur Purgon ?

Monsieur Purgon

De l’Apoplexie dans la privation de la vie où vous aura conduit votre folie.

Scène VII §

Argan, Béralde

Argan

Ah, c’en est fait, de moi, je suis perdu, je n’en puis revenir ; ah je sens déjà que la Médecine se venge.

Béralde

Sérieusement, mon Frère, vous n’êtes pas raisonnable, et je ne voudrais pas qu’il y eût ici personne qui vous vît faire ces extravagances.

Argan

Vous avez beau dire, toutes ces maladies en ies me font trembler, et je les ai toutes sur le cœur.

Béralde

Le simple homme que vous êtes, comme si Monsieur Purgon tenait entre ses mains le fil de votre vie, et qu’il pût l’allonger ou l’accourcir, comme bon lui semblerait ; détrompez-vous, encore une fois, et sachez qu’il y peut encore moins, qu’à vous guérir lorsque vous êtes malade.

Argan

Il dit que je deviendrai incurable.

Béralde

Dans le vrai, vous êtes un homme d’une grande prévention ; et lorsque vous vous êtes mis quelque chose dans l’esprit, difficilement peut-on l’en chasser.

Argan

Que ferai-je, mon Frère, à présent qu’il m’a abandonné, et où trouverai-je un Médecin qui me puisse traiter aussi bien que lui ?

Béralde

Mon Dieu, mon Frère, puisque c’est une nécessité pour vous d’avoir un Médecin, l’on vous en trouvera un du moins aussi habile, qui n’ira pas si vite, avec qui vous courrez moins de risque, et qui prendra plus de précaution aux remèdes qu’il vous ordonnera.

Argan

Ah, mon frère, il connaissait mon tempérament, et savait mon mal mieux que moi-même.

Scène VIII §

Toinette, Argan, Béralde

Toinette

Monsieur, il y a un Médecin à la porte qui souhaite parler à vous.

Argan

Quel est-il ce Médecin ?

Toinette

C’est un Médecin de la Médecine qui me ressemble comme deux gouttes d’eau ; et si je ne savais que ma mère était honnête femme, je croirais que ce serait quelque petit frère qu’elle m’aurait donné depuis le trépas de mon père.

Argan

Dis-lui qu’il prenne la peine d’entrer, c’est sans doute un Médecin qui vient de la part de Monsieur Purgon, pour nous bien remettre ensemble ; il faut voir ce que c’est, et ne pas laisser échapper une si belle occasion de me raccommoder avec lui.

Scène IX §

Toinette en habit de Médecin. Argan, Béralde

Toinette Médecin

Monsieur, quoique je n’aie pas l’honneur d’être connu de vous, ayant appris que vous êtes malade, je viens vous offrir mon service pour toutes les purgations et les saignées dont vous aurez besoin.

Argan

Ma foi, mon Frère, c’est Toinette elle-même.

Toinette Médecin

Monsieur, je vous demande pardon, j’ai une petite affaire en Ville, permettez-moi d’y envoyer mon Valet que j’ai laissé à votre porte, dire que l’on m’attende.

Elle sort.

Argan

Je crois sûrement que c’est elle ; qu’en croyez-vous ?

Béralde

Pourquoi voulez-vous cela ? sont-ce les premiers qui ont quelque ressemblance, et ne voyons-nous pas souvent arriver de ces sortes de choses ?

Toinette quitte son habit de Médecin si promptement pour paraître devant son Maître à son ordinaire, qu’il est difficile de croire que ce soit elle qui a paru en Médecin

Que voulez-vous, Monsieur ?

Argan

Quoi ?

Toinette

Ne m’avez-vous pas appelée ?

Argan

Moi ? tu te trompes.

Toinette

Il faut donc que les oreilles m’aient corné.

Argan

Demeure, demeure, pour voir ce Médecin qui te ressemble si fort.

Toinette Elle sort et va reprendre l’habit de Médecin

Ah, vraiment oui ; je l’ai assez vu.

Argan

Ma foi, mon Frère, cela est admirable, et je ne le croirais pas, si je ne les voyais tous deux ensemble.

Béralde

Cela n’est point si surprenant, notre Siècle nous en fournit plusieurs exemples ; et vous devez, ce me semble, vous souvenir de quelques-uns qui ont fait tant de bruit dans le monde.

Toinette Médecin

Monsieur, excusez-moi s’il vous plaît.

Argan

Je ne puis sortir de mon étonnement, et il semble que c’est elle-même.

Toinette Médecin

Je suis un Médecin passager, courant de Villes en Villes, et de Royaumes en Royaumes pour chercher d’illustres Malades, et pour trouver d’amples matières à ma Capacité. Je ne suis pas de ces Médecins d’ordinaire, qui ne s’amusent qu’à des bagatelles de Fiévrottes, de Rhumatismes, de Migraines, et autres Maladies de peu de conséquence : je veux de bonnes Fièvres continues, avec des transports au Cerveau, de bonnes oppressions de Poitrine, de bons Maux de Côté, de bonnes Fièvres pourprées, de bonnes Véroles, de bonnes Pestes. C’est là où je me plais ; c’est là où je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes ces maladies ensemble ; que vous fussiez abandonné de tous les Médecins, et à l’agonie, pour vous montrer la longue et grande expérience que j’ai dans notre Art, et la passion que j’ai de vous rendre service.

Argan

Je vous suis trop obligé, Monsieur ; cela n’est point nécessaire.

Toinette Médecin

Je vois que vous me regardez fixement, quel âge croyez-vous bien que j’aie ?

Argan

Je ne le puis savoir au juste, pourtant vous avez bien vingt-sept ou vingt-huit ans au plus.

Toinette Médecin

Bon, j’en ai quatre-vingt dix.

Argan

Quatre-vingt dix ? voilà un beau jeune Vieillard.

Toinette Médecin

Oui, quatre-vingt dix ans, et j’ai su me maintenir toujours frais et jeune, comme vous voyez, par la vertu et la bonté de mes Remèdes. Donnez-moi bien votre pouls : allons donc, voilà un pouls bien impertinent ; ah, je vois bien que vous ne me connaissez pas encore, je vous ferai bien aller comme il faut. Qui est votre Médecin ?

Argan

Monsieur Purgon.

Toinette Médecin

Monsieur Purgon ? ce nom ne m’est point connu, et n’est point écrit sur mes Tablettes dans le rang des grands et fameux Médecins qui y sont : quittez-moi cet homme, ce n’est point du tout votre affaire, il faut que ce soit peu de chose ; je veux vous en donner un de ma main.

Argan

On le tient pourtant en grande réputation.

Toinette Médecin

De quoi dit-il que vous êtes malade ?

Argan

Il dit que c’est de la Rate, d’autres disent que c’est du Foie.

Toinette Médecin

L’ignorant ! c’est du Poumon que vous êtes malade.

Argan

Du Poumon ?

Toinette Médecin

Oui, du Poumon : n’avez-vous pas grand appétit à ce que vous mangez ?

Argan

Eh oui.

Toinette Médecin

C’est justement le Poumon : ne trouvez-vous pas le vin bon ?

Argan

Oui.

Toinette Médecin

Le Poumon ; ne rêvez-vous point pendant la nuit ?

Argan

Oui, oui, même assez souvent.

Toinette Médecin

Le Poumon ; ne faites-vous point un petit sommeil après le repas?

Argan

Ah oui tous les jours.

Toinette Médecin

Le Poumon ; le Poumon, vous dis-je.

Argan

Ah ! mon Frère, le Poumon.

Toinette Médecin

Que vous ordonne-t-il de manger ?

Argan

Du Potage.

Toinette Médecin

L’ignorant !

Argan

De prendre force bouillons.

Toinette Médecin

L’ignorant !

Argan

Du bouilli.

Toinette Médecin

L’ignorant !

Argan

Du Veau, et des Poulets.

Toinette Médecin

L’ignorant !

Argan

Et le soir de petits Pruneaux pour lâcher le ventre.

Toinette Médecin

Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Et moi, je vous ordonne de bon gros Pain bis, de bon gros Bœuf, de bons gros Pois, de bon Fromage d’Hollande ; et afin que vous ne crachiez plus, des Marrons et des Oublies, pour coller et conglutiner.

Argan

Mais voyez un peu, mon Frère, quelle Ordonnance.

Toinette Médecin

Croyez-moi exécutez-la, vous vous en trouverez bien. À propos, je m’aperçois ici d’une chose. Dites-moi, Monsieur que faites-vous de ce bras-là ?

Argan

Ce que j’en fais? la belle demande!

Toinette Médecin

Si vous me croyez, vous vous le ferez couper tout à l’heure.

Argan

Et la raison ?

Toinette Médecin

Ne voyez-vous pas qu’il attire à lui toute la nourriture, et qu’il empêche l’autre côté de profiter ?

Argan

Eh ! je ne me soucie pas de cela, j’aime bien mieux les avoir tous deux.

Toinette Médecin

Si j’étais aussi en votre place, je me ferais crever cet œil-ci tout à l’heure.

Argan

Et pourquoi le faire crever ?

Toinette Médecin

N’en verrez-vous pas une fois plus clair de l’autre ? faites-le, vous dis-je, et tout à présent.

Argan

Je suis votre serviteur, j’aime beaucoup mieux ne voir pas si clair de l’un, et n’en avoir point de manque.

Toinette Médecin

Excusez-moi, Monsieur, si je suis obligé de vous quitter si tôt, je vous verrai quelquefois pendant le séjour que je ferai en cette Ville ; mais je suis obligé de me trouver aujourd’hui à une Consultation qui se doit faire pour un Malade qui mourut hier.

Argan

Pourquoi une Consultation pour un Malade qui mourut hier ?

Toinette Médecin

Pour aviser aux Remèdes qu’il eût fallu lui faire pour le guérir, et s’en servir dans une semblable occasion.

Argan

Monsieur, je ne vous reconduis point, vous savez que les Malades en sont exempts.

Béralde

Hé bien, mon Frère, que dites-vous de ce Médecin ?

Argan

Comment Diable? il me semble qu’il va bien vite en besogne.

Béralde

Comme font tous ces grands Médecins, et il ne le serait pas s’il faisait autrement.

Argan

Couper un bras, crever un œil, voyez quelle plaisante opération, de me faire borgne et manchot.

Toinette rentrant après avoir quitté l’habit de Médecin

Doucement, doucement, Monsieur le Médecin, modérez, s’il vous plaît, votre appétit.

Argan

Qu’as-tu donc, Toinette ?

Toinette

Vraiment votre Médecin veut rire, ma foi il a voulu mettre sa main sur mon sein en sortant.

Argan

Cela est étonnant, à son âge, qui pourrait croire cela, qu’à quatre-vingt-dix ans l’on fût encore si gaillard?

Béralde

Enfin, mon Frère, puisque vous avez rompu avec Monsieur Purgon ; qu’il n’y a plus d’espérance d’y pouvoir renouer, et qu’il a déchiré les Articles d’entre son Neveu et votre Fille, rien ne vous peut plus empêcher d’accepter le parti que je vous propose pour ma Nièce : c’est un…

Argan

Je vous prie, mon Frère, ne parlons point de cela, je sais bien ce que j’ai à faire, et je la mettrai dès demain dans un Convent.

Béralde

Vous voulez faire plaisir à quelqu’un.

Argan

Ô çà voilà encore la pauvre femme en jeu.

Béralde

Hé bien oui, mon Frère, c’est d’elle dont je veux parler ; et non plus que l’entêtement des Médecins, je ne puis supporter celui que vous avez pour elle.

Argan

Vous ne la connaissez pas, mon Frère, c’est une femme qui a trop d’amitié pour moi. Demandez-lui les caresses qu’elle me fait ; à moins que de les voir on ne le croirait pas.

Toinette

Monsieur a raison, et on ne peut pas concevoir l’amitié qu’elle a pour lui ; voulez-vous que je vous fasse voir comme Madame aime Monsieur ?

Béralde

Comment ?

Toinette

Eh Monsieur laissez-moi faire, souffrez que je le détrompe, et que je lui fasse voir son bec jaune.

Argan

Que faut-il faire pour cela ?

Toinette

J’entends Madame qui revient de Ville. Vous Monsieur, cachez-vous dans ce petit endroit, et prenez garde surtout que l’on ne vous voie ; approchons votre chaise, mettez-vous dedans tout de votre long, et contrefaites le mort. Vous verrez par le regret qu’elle témoignera de votre perte, l’amitié qu’elle vous porte : la voici.

Argan

Oui, oui, oui, oui ; bon, bon, bon, bon.

Scène X §

Béline, Toinette, Argan contrefaisant le mort, Béralde caché dans un coin du Théâtre.

Toinette feignant d’être fort attristée, s’écrie

Ah Ciel ! quelle cruelle aventure ! quel malheur imprévu vient de m’arriver ? que ferai-je malheureuse ? Et comment annoncer à Madame de si méchantes nouvelles ? Ah ! ah !

Béline

Qu’as-tu, Toinette ?

Toinette

Ah Madame ! quelle perte venez-vous de faire ? Monsieur vient de mourir tout à l’heure subitement ; j’étais seule ici, et il n’y avait personne pour le secourir.

Béline

Quoi, mon mari est mort ?

Toinette

Hélas ! oui, le pauvre homme défunt est trépassé.

Béline

Le Ciel en soit loué, me voila délivrée d’un grand fardeau : que tu es folle, Toinette, de pleurer !

Toinette

Moi, Madame? et je croyais qu’il fallût pleurer.

Béline

Bon, et je voudrais bien savoir pour quelle raison ai-je fait une si grande perte : quoi ? pleurer un homme mal bâti, mal fait, sans esprit, de mauvaise humeur, fort âgé, toujours toussant, mouchant, crachant, reniflant, fâcheux, ennuyeux, incommode à tout le monde, grondant sans cesse et sans raison, toujours un Lavement ou une Médecine dans le corps, de méchante odeur : il faudrait que je n’eusse pas le sens commun.

Toinette

Voila une belle Oraison Funèbre.

Béline

Je ne prétends pas avoir passé la plus grande partie de ma jeunesse avec lui sans y profiter de quelque chose ; et il faut, Toinette, que tu m’aides à bien faire mes affaires sûrement, ta récompense est sûre.

Toinette

Ah ! Madame, je n’ai garde de manquer à mon devoir.

Béline

Puisque tu m’assures que sa mort n’est sue de personne, saisissons-nous de l’argent, et de tout ce qu’il y a de meilleur ; portons-le dans son lit, et quand j’aurai tout mis à couvert, nous ferons en sorte que quelque autre l’y trouve mort, et ainsi on ne se doutera point de ce que nous aurons fait. Il faut d’abord que je lui prenne ses clefs qui sont dans cette poche.

Argan se lève tout à coup

Tout beau, tout beau, Madame la carogne : ah, ah, je suis ravi d’avoir entendu le bel Éloge que vous avez fait de moi ; cela m’empêchera de faire bien des choses.

Toinette

Quoi, le défunt n’est pas mort ?

Béralde

Hé bien, mon Frère, voyez-vous à présent comme votre femme vous aime.

Argan

Ah vraiment oui, je le vois, je ne le vois que trop.

Toinette

Je vous jure que j’ai bien été trompée, et je n’eusse jamais cru cela. Mais j’aperçois votre fille, retournez-vous-en où vous étiez ; et vous remettez dans votre chaise, il est bon aussi de l’éprouver, et ainsi vous connaîtrez les sentiments de toute votre famille.

Argan

Tu as raison, tu as raison.

Scène XI §

Angélique, Toinette, Argan, Béralde

Toinettes'écrie encore

Ah quel étrange accident ! mon pauvre Maître est mort ; que de larmes, que de pleurs il nous va coûter ! quel désastre ! s’il était encore mort d’une autre manière, on n’en aurait pas tant de regret ! ah ! que j’en ai de déplaisir ; ha, ha, ha !

Angélique

Qu’y a-t-il de nouveau, Toinette, pour te causer tant de gémissements ?

Toinette

Hélas ! votre père est mort.

Angélique

Mon Père est mort, Toinette ?

Toinette

Ah il ne l’est que trop, et il vient d’expirer entre mes bras d’une faiblesse qui lui a prise. Tenez, voyez-le, le voilà tout étendu dans sa chaise. Ha, ha.

Angélique

Mon Père est mort, et justement dans le temps où il était en colère contre moi, par la résistance que je lui ai faite tantôt, en refusant le Mari qu’il me voulait donner ? que deviendrai-je, misérable que je suis ? et comment cacher une chose qui a paru devant tant de personnes ?

Scène Dernière §

Cléante, Angélique, Toinette, Argan, Béralde

Cléante

Juste Ciel ! que vois-je ? dites, qu’avez-vous, belle Angélique ?

Angélique

Ah Cléante, ne me parlez plus de rien, mon Père est mort, il faut vous dire adieu pour toujours, et nous séparer entièrement l’un de l’autre.

Cléante

Quelle infortune, grand Dieu ! hélas! après la demande que j’avais prié votre Oncle de lui faire de vous, je venais moi-même me jeter à ses pieds pour faire un dernier effort afin de vous obtenir.

Angélique

Le Ciel ne l’a pas voulu, vous devez comme moi vous soumettre à ce qu’il veut, et il faut vous résoudre de me quitter pour toujours. Oui, mon Père, puisque j’ai été assez infortunée pour ne pas faire ce que vous vouliez de moi pendant votre vie, du moins ai-je dessein de le réparer après votre mort ; je veux exécuter votre dernière volonté, et je vais me retirer dans un Convent pour y pleurer votre mort pendant tout le reste de ma vie. Oui, mon cher Père, souffrez que je vous en donne ici les dernières assurances, et que je vous embrasse…

Argan se lève

Ah, ma fille…

Angélique

Ha, ha, ha, ha !

Argan

Viens, ma chère Enfant, que je te baise ; va, je ne suis pas mort, je vois que tu es ma Fille, et je suis bien aise de reconnaître ton bon naturel.

Angélique

Mon Père, permettez que je me mette à genoux devant vous, pour vous conjurer que si vous ne me voulez pas faire la grâce de me donner Cléante pour Époux, vous ne me refusiez pas celle de ne m’en pas donner un avec lequel je ne puisse vivre.

Cléante

Eh Monsieur, serez-vous insensible à tant d’amour ? et ne peut-on pas vous attendrir par aucun endroit ?

Béralde

Mon Frère, avez-vous à consulter, et ne devriez-vous pas déjà l’avoir donnée aux vœux de Monsieur ?

Toinette

Comment ! vous résisterez à de si grandes marques de tendresse ? là Monsieur, rendez-vous.

Argan

Hé bien, qu’il se fasse Médecin, et je lui donne ma Fille.

Cléante

Oui-da, Monsieur, je le veux bien ; Apothicaire même si vous voulez. Je ferais encore des choses bien plus difficiles pour avoir la belle Angélique.

Béralde

Mais, mon Frère, il me vient une pensée ; faites-vous Médecin vous-même plutôt que Monsieur.

Argan

Moi, Médecin ?

Béralde

Oui vous, c’est le véritable moyen de vous bien porter ; et il n’y a aucune Maladie, si redoutable qu’elle soit, qui ait l’audace de s’attaquer à un Médecin.

Toinette

Tenez, Monsieur, votre barbe y peut beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d’un Médecin.

Argan

Vous vous moquez, je crois ; et je ne sais pas un seul mot de Latin, comment donc faire ?

Béralde

Voila une belle raison ! allez, allez, il y en a parmi eux qui en savent encore moins que vous et lorsque vous aurez la robe et le bonnet, vous en saurez plus qu’il ne vous en faut.

Cléante

En tout cas, me voila prêt à faire ce que l’on voudra.

Argan

Mais, mon Frère, cela ne se peut faire si tôt.

Béralde

Tout à présent, si vous voulez, et j’ai une Faculté de mes amis fort près d’ici, que j’enverrai quérir pour célébrer la Cérémonie, allez vous préparer seulement, toutes choses seront bientôt prêtes.

Argan

Allons, voyons, voyons.

Cléante

Quel est donc votre dessein ? et que voulez-vous dire avec cette Faculté de vos amis ?

Béralde

C’est un Intermède de la réception d’un Médecin que des Comédiens ont représenté ces jours passés : je les avais fait venir pour le jouer ce soir ici devant nous, afin de nous bien divertir ; et je prétends que mon Frère y joue le premier Personnage.

Angélique

Mais, mon Oncle, il me semble que c’est se railler un peu fortement de mon Père.

Béralde

Ce n’est pas tant le railler que de s’accommoder à son humeur, outre que pour lui ôter tout sujet de se fâcher quand il aura reconnu la pièce que nous lui jouons, nous pouvons y prendre chacun un rôle, et jouer en même temps que lui. Allons donc nous habiller.

Cléante à Angélique

Y consentez-vous ?

Angélique

Il le faut bien.

Fin du dernier Acte.

Troisième Intermède §

C’est une Cérémonie Burlesque d’un homme qu’on fait Médecin, en Récit, Chant et Danse.

ENTRÉE DE BALLET.

Plusieurs Tapissiers viennent préparer la Salle, et placer les bancs en cadence. Ensuite de quoi toute l’Assemblée, composée de huit Porte-Seringues, six Apothicaires, vingt-deux Docteurs, et celui qui se fait recevoir Médecin, huit Chirurgiens dansants, et deux chantants, chacun entre et prend ses places selon les rangs.

Praeses

185 Savantissimi Doctores,
Medicinæ Professores,
Qui hic assemblati estis ;
Et vos altri Messiores,
Sententiarum Facultatis
190 Fideles executores,
Chirurgiani et Apothicari,
Atque tota Compania aussi,
Salus, honor, et argentum,
Atque bonum appetitum.
195 Non possum Docti confréri,
En moi satis admirari,
Qualis bona inventio,
Est Medici professio :
Quam bella chosa est et bene trovata,
200 Medicina illa benedicta,
Quæ suo nomine solo
Surprenanti miraculo,
Depuis si longo tempore
Facit à gogo vivere
205 Tant de gens omni genere.
Per totam terram videmus
Grandam vogam ubi sumus ;
Et quod grandes et petiti
Sunt de nobis infatuti :
210 Totus mundus currens ad nostros remedios,
Nos regardat sicut Deos,
Et nostris Ordonnanciis
Principes et Reges soumissos videtis.
Donque il est nostræ sapientiæ,
215 Boni sensus atque prudentiæ,
De fortement travaillare,
A nos bene conservare
In tali credito, voga, et honore ;
Et prandere gardam à non recevere
220 In nostro docto corpore
Quam personas capabiles,
Et totas dignas ramplire
Has plaças honorabiles.
C’est pour cela que nunc convocati estis,
225 Et credo quod trovabitis
Dignam matieram medici,
In savanti homine que voici :
Lequel in chosis omnibus
Dono ad interrogandum,
230 Et à fond examinandum
Vostris capacitatibus.

Primus doctor

Si mihi licenciam dat Dominus Præses,
Et tanti docti Doctores,
Et assistantes illustres,
235 Très savanti Bacheliero
Quem estimo et honoro,
Domandabo causam et rationem, quare
Opium facit dormire ?

Bachelierus

Mihi à docto Doctore
240 Domandatur causam et rationem, quare
Opium facit dormire ?
A quoi respondeo,
Quia est in eo
Virtus dormitiva.
245 Cujus es natura
Sensus assoupire.

Chorus

Bene, bene, bene, bene respondere
Dignus, dignus est entrare
In nostro docto corpore.
250 Bene, bene respondere.

secundus doctor

Cum permissione Domini Præsidis,
Doctissimæ facultatis,
Et totius his nostris actis
Compania assistantis,
255 Domandabo tibi, docte Bacheliere,
Quæ sunt remedia,
Quæ in maladia
Dicta hidropisia
Convenit facere.

Bachelierus

260 Clisterium donare,
Postea seignare,
Ensuitta purgare.

Chorus

Bene, bene, bene, bene respondere
Dignus, dignus est entrare
265 In nostro docto corpore.

Tertius doctor

Si bonum semblatur Domino Præsidi,
Doctissimæ facultati
Et Companiæ præsenti,
Domandabo tibi, docte Bacheliere,
270 Quæ remedia Eticis,
Pulmonicis atque Asmaticis
Trovas à propos facere.

Bachelierus

Clisterium donare,
Postea seignare,
275 Ensuitta purgare.

Chorus

Bene, bene, bene, bene respondere:
Dignus, dignus est entrare
In nostro docto corpore.

quartus doctor

Super illas maladias,
280 Doctus Bachelierus dixit maravillas :
Mais si non ennuyo Dominum Præsidem,
Doctissimam Facultatem,
Et totam honorabilem
Companiam écoutantem ;
285 Faciam illi unam questionem,
De hiero maladus unus
Tombavit in meas manus :
Habet grandam fiévram cum redoublamentis
Grandam dolorem capitis,
290 Et grandum malum au côté,
Cum granda difficultaté
Et pena respirare :
Veillas mihi dire,
Docte Bacheliere,
295 Quid illi facere.

Bachelierus

Clisterium donare,
Postea seignare,
Ensuitta purgare.

quintus doctor

Mais si maladia
300 Opiniatria,
Non vult se garire,
Quid illi facere ?

Bachelierus

Clisterium donare,
Postea seignare,
305 Ensuitta purgare.

Chorus

Bene, bene, bene, bene respondere :
Dignus, dignus est entrare
In nostro docto corpore.

Praeses

Juras gardare statuta
310 Per Facultatem præscripta,
Cum sensu et jugeamento ?

Bachelierus

Juro.

Praeses

Essere in omnibus
Consultationibus
315 Ancieni aviso ;
Aut bono,
Aut mauvaiso ?

Bachelierus

Juro.

Praeses

De non jamais te servire
320 De remediis aucunis,
Quam de ceux seulement doctæ facultatis ;
Maladus dût-il crevare
Et mori de suo malo ?

Bachelierus

Juro.

Praeses

325 Ego cum isto boneto
Venerabili et docto,
Dono tibi et concedo
Virtutem et puissanciam,
Medicandi,
330 Purgandi,
Seignandi,
Perçandi,
Taillandi,
Coupandi,
335 Et occidendi
Impune per totam terram.

ENTRÉE DE BALLET.

Tous les Chirurgiens et Apothicaires viennent lui faire la révérence en cadence.

Bachelierus

Grandes Doctores doctrinæ,
De la Rhubarbe et du Sené :
Ce serait sans douta à moy chosa folla,
340 Inepta et ridicula,
Si j’alloibam m’engageare
Vobis louangeas donare,
Et entreprenoibam adjoutare
Des lumieras au Soleillo,
345 Et des Etoilas au Cielo,
Des Ondas à l’Oceano ;
Et des Rosas au Printanno ;
Agreate qu’avec uno moto
Pro toto remercimento
350 Rendam gratiam corpori tam docto,
Vobis, vobis debeo
Bien plus qu’à naturæ, et qu’à patri meo,
Natura et pater meus
Hominem me habent factum :
355 Mais vos me, ce qui est bien plus,
Avetis factum Medicum,
Honor, favor, et gratia,
Qui in hoc corde que voilà,
Imprimant ressentimenta
360 Qui dureront in secula.

Chorus

Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat
Novus Doctor, qui tam bene parlat,
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat.

ENTRÉE DE BALLET.

Tous les Chirurgiens et les Apothicaires dansent au son des Instruments et des Voix, et des battements de mains et des Mortiers d’Apothicaires.

Chirurgus

365 Puisse-t-il voir doctas
Suas Ordonnancias,
Omnium Chirurgorum,
Et Apotiquarum
Remplire boutiquas

Chorus

370 Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat
Novus Doctor, qui tam bene parlat,
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat.

Chirurgus

Puisse toti anni,
375 Lui essere boni
Et favorabiles,
Et n’habere jamais
Quam pestas, verolas,
Fiévras, pluresias,
380 Fluxus de sang et dissenterias.

Chorus

Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat
Novus Doctor, qui tam bene parlat,
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat.

DERNIERE ENTRÉE DE BALLET.

Molière. Le Malade imaginaire. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 34 sc. 930 répl. 1,7 l. 1 576 l. 1 576 l. 27 % 5 839 l. (100 %) 3,7 pers.
Argan 24 sc. 316 répl. 1,3 l. 1 238 l. (79 %) 396 l. (26 %) 32 % 4 488 l. (77 %) 3,6 pers.
Béline 5 sc. 46 répl. 1,7 l. 262 l. (17 %) 77 l. (5 %) 30 % 1 152 l. (20 %) 4,4 pers.
Angélique 9 sc. 81 répl. 1,7 l. 627 l. (40 %) 134 l. (9 %) 22 % 2 931 l. (51 %) 4,7 pers.
Louison 1 sc. 35 répl. 0,8 l. 55 l. (4 %) 27 l. (2 %) 49 % 111 l. (2 %) 2,0 pers.
Béralde 10 sc. 61 répl. 2,7 l. 437 l. (28 %) 164 l. (11 %) 38 % 1 268 l. (22 %) 2,9 pers.
Cléante 6 sc. 34 répl. 3,4 l. 362 l. (23 %) 116 l. (8 %) 32 % 1 871 l. (33 %) 5,2 pers.
Monsieur Diafoirus 2 sc. 33 répl. 2,2 l. 340 l. (22 %) 72 l. (5 %) 22 % 2 042 l. (35 %) 6,0 pers.
Thomas Diafoirus 2 sc. 22 répl. 2,4 l. 340 l. (22 %) 52 l. (4 %) 16 % 2 042 l. (35 %) 6,0 pers.
Monsieur Purgon 1 sc. 20 répl. 1,1 l. 31 l. (2 %) 22 l. (2 %) 73 % 93 l. (2 %) 3,0 pers.
Monsieur Fleurant 1 sc. 3 répl. 2,9 l. 14 l. (1 %) 9 l. (1 %) 62 % 42 l. (1 %) 3,0 pers.
Monsieur Bonnefoy 1 sc. 5 répl. 4,5 l. 51 l. (4 %) 22 l. (2 %) 45 % 152 l. (3 %) 3,0 pers.
Toinette 19 sc. 177 répl. 1,6 l. 985 l. (63 %) 275 l. (18 %) 28 % 3 967 l. (68 %) 4,0 pers.
flore 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
pan 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
climene 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
daphne 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
tircis 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
dorilas 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
polichinelle 3 sc. 31 répl. 2,4 l. 106 l. (7 %) 74 l. (5 %) 70 % 275 l. (5 %) 2,6 pers.
vieille 1 sc. 1 répl. 8,7 l. 63 l. (4 %) 9 l. (1 %) 14 % 188 l. (4 %) 3,0 pers.
violons 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
danseurs 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
archers 3 sc. 30 répl. 0,8 l. 106 l. (7 %) 24 l. (2 %) 23 % 275 l. (5 %) 2,6 pers.
premiere-femme-maure 1 sc. 2 répl. 6,7 l. 25 l. (2 %) 13 l. (1 %) 54 % 99 l. (2 %) 4,0 pers.
seconde-femme-maure 1 sc. 2 répl. 3,5 l. 25 l. (2 %) 7 l. (1 %) 29 % 99 l. (2 %) 4,0 pers.
troisieme-femme-maure 1 sc. 1 répl. 1,9 l. 25 l. (2 %) 2 l. (1 %) 8 % 99 l. (2 %) 4,0 pers.
quatrieme-femme-maure 1 sc. 2 répl. 1,3 l. 25 l. (2 %) 3 l. (1 %) 11 % 99 l. (2 %) 4,0 pers.
praeses 1 sc. 5 répl. 5,7 l. 80 l. (6 %) 28 l. (2 %) 36 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
bachelierus 1 sc. 9 répl. 1,9 l. 80 l. (6 %) 17 l. (2 %) 22 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
chorus 1 sc. 7 répl. 1,9 l. 80 l. (6 %) 13 l. (1 %) 17 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
primus-doctor 1 sc. 1 répl. 3,2 l. 80 l. (6 %) 3 l. (1 %) 4 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
secundus-doctor 1 sc. 1 répl. 3,4 l. 80 l. (6 %) 3 l. (1 %) 5 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
tertius-doctor 1 sc. 1 répl. 3,0 l. 80 l. (6 %) 3 l. (1 %) 4 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
quartus-doctor 1 sc. 1 répl. 7,2 l. 80 l. (6 %) 7 l. (1 %) 9 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
quintus-doctor 1 sc. 1 répl. 1,1 l. 80 l. (6 %) 1 l. (1 %) 2 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
chirurgus 1 sc. 2 répl. 2,0 l. 80 l. (6 %) 4 l. (1 %) 5 % 724 l. (13 %) 9,0 pers.
Molière. Le Malade imaginaire. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
Argan 65 l. (100 %) 1 répl. 64,3 l. 1 sc. 64 l. (5 %) 1,0 pers.
Argan
Béline
36 l. (49 %) 30 répl. 1,2 l.
39 l. (52 %) 28 répl. 1,4 l.
5 sc. 74 l. (5 %) 4,4 pers.
Argan
Angélique
39 l. (51 %) 30 répl. 1,3 l.
38 l. (50 %) 30 répl. 1,2 l.
6 sc. 76 l. (5 %) 5,1 pers.
Argan
Louison
29 l. (52 %) 35 répl. 0,8 l.
27 l. (49 %) 35 répl. 0,8 l.
1 sc. 55 l. (4 %) 2,0 pers.
Argan
Béralde
75 l. (37 %) 47 répl. 1,6 l.
133 l. (64 %) 48 répl. 2,8 l.
9 sc. 207 l. (14 %) 3,0 pers.
Argan
Cléante
21 l. (50 %) 18 répl. 1,2 l.
21 l. (50 %) 11 répl. 1,9 l.
4 sc. 42 l. (3 %) 5,4 pers.
Argan
Monsieur Diafoirus
19 l. (45 %) 22 répl. 0,8 l.
23 l. (56 %) 22 répl. 1,0 l.
2 sc. 41 l. (3 %) 6,0 pers.
Argan
Thomas Diafoirus
3 l. (57 %) 4 répl. 0,6 l.
2 l. (44 %) 2 répl. 0,9 l.
2 sc. 4 l. (1 %) 6,0 pers.
Argan
Monsieur Purgon
7 l. (32 %) 14 répl. 0,5 l.
15 l. (69 %) 14 répl. 1,0 l.
1 sc. 21 l. (2 %) 3,0 pers.
Argan
Monsieur Bonnefoy
10 l. (33 %) 4 répl. 2,4 l.
21 l. (68 %) 4 répl. 5,1 l.
1 sc. 30 l. (2 %) 3,0 pers.
Argan
Toinette
96 l. (37 %) 110 répl. 0,9 l.
169 l. (64 %) 118 répl. 1,4 l.
14 sc. 264 l. (17 %) 4,3 pers.
Béline
Angélique
13 l. (38 %) 8 répl. 1,5 l.
21 l. (63 %) 6 répl. 3,4 l.
1 sc. 32 l. (3 %) 6,0 pers.
Béline
Thomas Diafoirus
2 l. (44 %) 1 répl. 1,4 l.
2 l. (57 %) 1 répl. 1,9 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 6,0 pers.
Béline
Monsieur Bonnefoy
2 l. (52 %) 1 répl. 2,0 l.
2 l. (49 %) 1 répl. 1,9 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
Béline
Toinette
23 l. (60 %) 8 répl. 2,8 l.
16 l. (41 %) 9 répl. 1,7 l.
3 sc. 38 l. (3 %) 4,8 pers.
Angélique
Béralde
2 l. (25 %) 1 répl. 1,3 l.
5 l. (76 %) 1 répl. 4,2 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 5,0 pers.
Angélique
Cléante
17 l. (18 %) 10 répl. 1,6 l.
78 l. (83 %) 12 répl. 6,5 l.
3 sc. 94 l. (6 %) 5,7 pers.
Angélique
Thomas Diafoirus
16 l. (57 %) 5 répl. 3,1 l.
12 l. (44 %) 5 répl. 2,4 l.
2 sc. 27 l. (2 %) 6,0 pers.
Angélique
Toinette
44 l. (48 %) 29 répl. 1,5 l.
49 l. (53 %) 27 répl. 1,8 l.
5 sc. 92 l. (6 %) 4,4 pers.
Béralde
Cléante
8 l. (57 %) 2 répl. 3,7 l.
6 l. (44 %) 3 répl. 1,9 l.
1 sc. 13 l. (1 %) 5,0 pers.
Béralde
Monsieur Fleurant
2 l. (14 %) 1 répl. 1,3 l.
9 l. (87 %) 3 répl. 2,9 l.
1 sc. 10 l. (1 %) 3,0 pers.
Béralde
Toinette
19 l. (50 %) 9 répl. 2,1 l.
20 l. (51 %) 7 répl. 2,7 l.
4 sc. 38 l. (3 %) 3,5 pers.
Cléante
Toinette
12 l. (48 %) 8 répl. 1,4 l.
13 l. (53 %) 7 répl. 1,8 l.
4 sc. 24 l. (2 %) 5,3 pers.
Monsieur Diafoirus
Thomas Diafoirus
41 l. (83 %) 10 répl. 4,0 l.
9 l. (18 %) 10 répl. 0,8 l.
2 sc. 49 l. (4 %) 6,0 pers.
Monsieur Diafoirus
Toinette
9 l. (56 %) 1 répl. 8,5 l.
7 l. (45 %) 2 répl. 3,4 l.
1 sc. 15 l. (1 %) 6,0 pers.
Thomas Diafoirus
Toinette
28 l. (92 %) 4 répl. 7,0 l.
3 l. (9 %) 2 répl. 1,3 l.
2 sc. 30 l. (2 %) 6,0 pers.
Monsieur Purgon
Toinette
9 l. (86 %) 6 répl. 1,3 l.
2 l. (15 %) 5 répl. 0,3 l.
1 sc. 9 l. (1 %) 3,0 pers.
polichinelle
vieille
29 l. (77 %) 1 répl. 28,6 l.
9 l. (24 %) 1 répl. 8,7 l.
1 sc. 37 l. (3 %) 3,0 pers.
polichinelle
archers
46 l. (66 %) 30 répl. 1,5 l.
24 l. (35 %) 30 répl. 0,8 l.
3 sc. 69 l. (5 %) 2,6 pers.
premiere-femme-maure
quatrieme-femme-maure
3 l. (76 %) 1 répl. 2,5 l.
1 l. (25 %) 1 répl. 0,8 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
seconde-femme-maure
quatrieme-femme-maure
1 l. (33 %) 1 répl. 0,8 l.
2 l. (68 %) 1 répl. 1,8 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
praeses
bachelierus
8 l. (97 %) 4 répl. 2,0 l.
1 l. (4 %) 3 répl. 0,1 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 9,0 pers.
bachelierus
quintus-doctor
1 l. (45 %) 1 répl. 0,9 l.
2 l. (56 %) 1 répl. 1,1 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 9,0 pers.
chorus
chirurgus
7 l. (64 %) 3 répl. 2,3 l.
4 l. (37 %) 2 répl. 2,0 l.
1 sc. 11 l. (1 %) 9,0 pers.