« [Compte-rendu de Guy de Pourtalès, Louis II de Bavière ou Hamlet-Roi] », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, décembre 1928, p. 1549.

{p. 1549} L’histoire de Louis II exalte et déçoit l’imagination. On comprend que ce doux-amer ait séduit Barrès, mais ne l’ait point trompé : « Avec son beau regard de rêve, lit-on dans l’Ennemi des Lois — son expression amoureuse du silence et cet ensemble idéal d’étudiant assidu aux sociétés de musique… » Barrès cherchait dans ses châteaux en Espagne lamentablement réalisés les témoignages de l’éthique de cet « illustre réfractaire ». N’est-ce point trop demander à une existence bien indécise, que son échec même ne relève pas, et qui tire sa grandeur de celle du décor ? Guy de Pourtalès n’hésite pas à baptiser son héros « prince de l’illusion et de la solitude ». Mais un prince rêveur n’est pas forcément prince du rêve ; et par ailleurs ce livre sait bien le laisser voir. La qualité de l’illusion dont se nourrit Louis II n’est ni aussi pure ni aussi rare qu’on voudrait l’imaginer. Il reste qu’il a voulu la vivre et qu’il l’a pu, étant roi. Il offre ainsi l’image d’un romantisme assez morose ; mais à grande échelle. M. de Pourtalès a su rehausser le tableau avec beaucoup d’adresse et de charme : Wagner et Nietzsche lui fournissent deux tons fermes dont le jeu donne aux nuances assez troubles du personnage central une résonance plus profonde.

Louis II, ce chimérique, disposait par hasard de moyens d’action puissants : s’il les a gâchés, c’est qu’il a eu peur, et s’il a eu peur c’est qu’il n’a pas su aimer. Le sujet de Liszt et de Chopin, c’était l’amour, donc la douleur ; ici, c’est l’absence d’amour, par refus de souffrir. Mais chez un être raffiné, la peur d’étreindre aboutit à l’amour de soi dans « l’illusion ». Sachons gré à M. de Pourtalès de ce qu’il préfère parler d’illusion là où nos psychiatres proposeraient de moins jolis mots ; mais ce n’est pas la moindre habileté du biographe. D’ailleurs, réussir un livre attrayant sur une vie manquée n’était pas un problème aisé : Guy de Pourtalès l’a résolu d’une façon fort adroite mais non moins franche.