« [Compte-rendu de Jules Supervielle, Saisir] », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, juin 1929, p. 762-763.

{p. 762} Ce petit livre de poèmes est comme une initiation au silence. Il faut s’en approcher avec une douceur patiente, et le laisser créer en nous son silence particulier avant d’entendre les signes {p. 76} {p. 3} qu’il nous propose. Une telle poésie n’offre aux sens que peu d’images (à peine quelques « motifs », objets usuels et usés, sur la nuance mate d’un paravent chinois). Ce qu’elle décrit, ce sont des perceptions de l’âme plus que de l’esprit ou des sens. « Reste immobile et sache attendre que ton cœur se détache de toi comme une lourde pierre. » Le corps, que l’âme quitte, redevient minéral, statue dans le silence « aux yeux gelés de rêverie », il se confond avec l’ombre du monde. Et l’âme peut enfin « saisir » dans leur réalité les choses dont elle s’est dégagée et qu’elle voit dans une autre lumière : « Tout semblait vivre au fond d’un insistant regard. »

Le poète des Gravitations est ici descendu plus profond en soi-même ; son art y gagne en densité, en émotion. Des mots simples, mais chacun dans sa mûre saveur ; une phrase naturellement grave ; une voix douce et virile ; et quel beau titre ! « Saisir » n’est-ce point l’acte essentiel de la poésie ? Toute poésie véritable n’est-elle pas proprement « saisissante » ? Mais le plus émouvant, c’est ici l’approche d’un silence partout pressenti, qui s’impose, qui apaise le vain débat de notre esprit : « Car l’on pense beaucoup trop haut, et cela fait un vacarme terrible. »