« [Compte-rendu de Jules Supervielle, Gravitations] », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, décembre 1925, p. 1560.

{p. 1560} « Quel est celui-là qui s’avance » avec ce visage d’entre la vie et la mort « où se reflète le passage incessant d’oiseaux de la mer ? » « Quel est cet homme dont l’âme fait des signes solennels ? »

Une voix lente aux méandres songeurs, une simplicité qui n’est pas familière. C’est bien la poésie d’une époque tourmentée dans sa profondeur, mais qui se penche sans vertige sur ses abîmes. Simplicité de notre temps ! Au-dessus de la trépidation immense des machines, un Saint-John-Perse, un Supervielle parlent avec des mots de tous les jours aux vivants et aux morts :

Mère, je sais très mal comme l’on cherche les morts…
« … Cette chose haute à la voix grave qu’on appelle un père dans les maisons. »

Comme Valéry, ce poète sait « des complicités étranges pour assembler un sourire ». Comme Max Jacob il lui arrive de situer une anecdote purement poétique dans un monde qu’il s’est créé. Jamais banal, il est parfois facile : la description du monde qu’il invente nous lasse quand elle ne l’étonne plus assez lui-même (pourtant l’autel et le surréalisme l’ont enrichie d’images…).

Je cite des noms : y a-t-il influence ou seulement co-génération ? Pour peu qu’ils sortent des cafés littéraires, nos poètes respirent le même air du temps. Leur originalité se retrouve dans la manière dont ils tentent de fuir l’inquiétude où ils baignent. Celui-ci vient à peine de quitter l’air dur des pampas. « Le voilà qui s’avance, foulant les hautes herbes du ciel. » Le gaucho a dompté Pégase et caracole dans les étoiles.

J’avoue que l’univers intérieur où il lui arrive de graviter me trouble mieux que son lyrisme cosmique. On est plus près de l’infini au fond de soi qu’au fond du ciel.