« [Compte-rendu de René Crevel, La Mort difficile] », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, mai 1927, p. 690.

{p. 690} Le jeu de tout dire est une des plus tragiques inventions de l’inquiétude actuelle. Sous couleur de démasquer l’humain, et par l’acharnement angoissé qu’on y apporte, l’on en vient à une conception de la sincérité qui me paraît proprement inhumaine. Tout dire, vraiment ? C’est l’exigence d’une détresse cachée ; elle fait bientôt considérer toute joie comme illusoire et livre l’individu pieds et poings liés à l’obsession qu’il voulait avouer pour s’en délivrer peut-être. Cette sincérité ne serait-elle à son tour que le masque d’un goût du malheur ? Le sujet profond de ce roman, où l’on voit comment Pierre en vient à sacrifier Diane, son apaisement, pour Arthur, sa « maladie », c’est encore l’« élan mortel » que décrivait Mon Corps et Moi.

Quand l’analyse féroce de Crevel fouille les pensées de Pierre ou de Diane, les gestes d’Arthur, le roman vit et nous touche par la force de ce tourment ou de ce sauvage égoïsme ; mais qu’elle s’acharne sur le détail dégoûtant et mesquin de certain milieu bourgeois, et l’on voit bien que l’auteur n’est pas encore détaché de la matière pour en tirer une œuvre d’art. La sincérité audacieuse mais sans bravade qui donne à ce livre sa valeur de document humain, nuit à sa valeur littéraire. Je n’aime guère ce style abstrait, semé de redites et d’expressions toutes faites qui trahissent une écriture hâtive. Mais il y a dans l’œuvre de René Crevel un sens de la douleur et un sérieux humain qui forcent la sympathie.