« Ballet de la non-intervention », L’Ordre nouveau, 5e année, n° 39, 1er avril 1937, p. 41-44

{p. 41} Première figure. — Juillet. La rébellion militaire éclate en Espagne. Victorieuse au Maroc, elle est écrasée rapidement à Madrid, en Catalogne, à Saint-Sébastien. Le gouvernement espagnol annonce qu’il est maître de la situation. Une semaine plus tard, il annonce qu’il est sur le point de s’en rendre maître. Un mois plus tard, que ce n’est plus qu’une question de temps.

Au cours de ce premier mois, les camps se sont formés en Europe : la Russie est pour le gouvernement, l’Allemagne et l’Italie pour les rebelles. C’est net. Quant à la France, elle ne fait que refléter ces deux opinions : la droite soutient Franco parce qu’il est soutenu par le fascisme ; la gauche Caballero, parce qu’il est soutenu par le communisme.

Les journaux de gauche n’annoncent que des victoires gouvernementales ; seuls les ennemis de la démocratie oseraient remarquer que ces victoires successives se rapprochent toujours plus de Madrid. Quant aux journaux de droite, voici ce qu’en disait récemment une vieille dame : « Ce que j’aime dans le Jour, c’est qu’au moins avec ce journal, les nôtres gagnent toujours. »

Deuxième figure. — L’ironie du metteur en scène s’exerce aux dépens des uns et des autres : Franco est arrêté devant Madrid, les « atrocités » paraissent équivalentes des deux côtés. Unamuno qui avait parlé « à droite » meurt « à gauche ». D’ailleurs on ne s’occupe plus que de David Windsor. Il y a là quelque chose d’intolérable. Non pas le massacre des Espagnols par les Espagnols, mais la non-victoire des fascistes ou des communistes. L’abstention devient {p. 42} impossible : c’est alors qu’on invente la non-intervention. Ce tour de vocabulaire sauve la paix, et, de plus, il a l’avantage de sauver la guerre en même temps.

La Russie envoie du matériel, des techniciens et un ambassadeur chargé de conduire la guerre ; moyennant quoi, elle entre dans le comité de non-intervention. Elle y retrouve l’Allemagne, qui a envoyé du matériel, des techniciens et un ambassadeur qui est un général. L’Italie s’est contentée de faire débarquer quelques dizaines de milliers d’hommes : on lui fera tout de même une place dans le fameux comité.

Le gouvernement français, inventeur de la non-intervention, qui sauvegarde la paix, pratique lui aussi la non-abstention qui permet la guerre, mais avec un sens de la mesure tout à fait traditionnel. C’est qu’il s’agit de « doser », comme à la Chambre. La paix et le centre exigent la non-intervention dans le sens d’abstention. La gauche exige la non-intervention dans le sens de non-abstention. L’extrême-gauche soutient la non-intervention et pratique la non-abstention. La droite soutient la non-intervention mais ne pratique pas la non-abstention 1. M. Blum s’y retrouve, il est intelligent : la non-intervention ménage tout le monde, et le fait qu’on tolère des bureaux de recrutement pour le Fronte Popular apaise les activistes. Chiffre des volontaires enrôlés en France pour l’Espagne gouvernementale : novembre et décembre, 14 000 Français, 8 000 étrangers.

Résultats obtenus par la non-intervention au 1er janvier 1937 : la guerre continue en Espagne, les deux camps restent sur leurs positions.

Troisième figure. — Février. Les Italiens prennent Malaga, mais Rome commence à s’inquiéter pour le sort prochain de son corps expéditionnaire. (Diverses raisons morales et matérielles légitiment en effet cette inquiétude…) Le général Faupel fait un rapport des plus pessimistes au Führer sur le rendement du matériel allemand. Des volontaires {p. 43} anglais, qui ont enfin compris, se décident à s’enrôler. Enfin le gouvernement français constate que le chiffre des volontaires engagés par les bureaux parisiens diminue très rapidement d’une semaine à l’autre. Le plein est fait. En janvier, plus de 1 000 Français et 1 200 étrangers ; en février 500 Français et 1000 étrangers. Le parti communiste a fermé ses bureaux, à la suite de troubles intérieurs dans le camp de Valence. La Russie déplace son ambassadeur non-abstentionniste 2.

Déception générale. La non-intervention au sens de non-abstention ne rendant plus, les puissances décident solennellement de passer au système de la non-intervention dans le sens d’abstention. Et l’on prévoit déjà une « solution diplomatique » des affaires d’Espagne. Rideau. Dividendes. Monopole des pyrites d’Espagne.

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Réflexions d’un spectateur. — Duperie de la paix, de la paix à tout prix, fût-ce au prix de la guerre chez les autres. Maurras affirme que « la paix est le chef-d’œuvre de l’art humain ». Voilà qui met notre art bien bas. Et ce n’est pas seulement une politique qui se trouve jugée par l’aventure d’Espagne, mais toute une civilisation de maquignons. Leur paix ne vaut pas mieux que leur guerre. Entre l’équilibre d’intérêts ( ?) économiques et de prestiges idéologiques ( ? ?) qu’est leur paix, et l’équilibre des mêmes éléments qu’est leur guerre, il n’y a que la différence de la lâcheté calculatrice à la panique déclarée.

D’ailleurs, sans compter que la division de l’Europe en fascistes et communistes est une des plus lourdes farces de l’Histoire, puisqu’ils veulent les uns et les autres la même forme d’état totalitaire, notons que la prise de parti des fascistes pour Franco, et des communistes pour Caballero, a totalement faussé le problème espagnol. Franco est national-socialiste, mais il est aussi clérical. Or c’est le national-socialisme anti-clérical qui le soutient. Caballero est {p. 44} communisant, mais les anarchistes de la FAI sont fédéralistes. Or c’est Staline, l’impérialiste centralisateur, l’oppresseur des minorités dans l’Union Soviétique, qui soutient la Catalogne !

Faut-il chercher ailleurs que dans ce vertige de confusions la raison des violences passionnelles qu’a déchaînées le conflit espagnol ? Combats, sinon d’aveugles, du moins de borgnes. Et les Français se contentent de loucher vers les borgnes de droite ou les borgnes de gauche…

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On connaît le choix de l’Ordre Nouveau : contre le fascisme et contre le stalinisme, pour l’Espagne fédéraliste. Ce ne peut être encore de notre part qu’un vœu. Mais qui engage toute notre doctrine et ses réalisations à venir.