publié par Paul FIEVRE
Mai 2006
Par grâce et privilège du roi en date du vingt-deuxième jour de février mille six cent trente-six, signé par le Roi en son conseil Chapelain, il est permis au sieur Isaac de Bensérade écuyer, de faire imprimer une tragédie de sa composition, intitulée CLEOPATRE, ou à ceux qui auront droit de lui, de défenses sont faites à tous autres libraires et imprimeurs de contrefaire le livre, ni en vendre et distribuer d'autres que de ceux qu'aura fait faire le dit Sieur Bensérade, ou ceux qui auront droit de lui, et ce durant le temps et espace de neuf ans, à compter du jour que le dit livre sera achevé d'imprimer, à peine de trois mille livres d'amende, et de tous dépends dommage et intérêts, ainsi qu'il est plus au long dans les dites lettres.
Et le dit sieur de Bensérade a cédé, et transporté le susdit privilège à ANTOINE DE SOMMAVILLE, marchand libraire à Paris, pour jouir par lui du dit privilège de temps ci mentionné suivant l'accord fait entre eux.
Quand on verrait Cléopâtre dans le plus superbe appareil du monde, qu'elle vous viendrait trouver dans un vaisseau d'argent à rames d'or, et à voiles de pourpre, comme lors qu'elle vint en Cilicie braver un empereur, et corrompre l'intégrité d'un juge dont elle se fit un amant : quand dis-je, elle brillerait de l'éclat de mille perles plus riches, et plus précieuses que celle qui composa toute seule un festin dont la magnificence effaça le luxe, et la somptuosité de tous ceux qu'avait faits Marc-Antoine, elle aurait encore quelque chose à désirer pour se rendre digne de vous être présentée, et une simple nudité ne lui serait pas moins avantageuse que tous ces beaux ornements. La nature des choses que l'on vous consacre doit être tout à fait excellente, ou si elle a quelques défauts, il est besoin qu'ils soient comme cachez, et ensevelis dans l'excellence de l'art, c'est à dire que les victimes qu'on vous immole doivent être parfaitement pures, ou extrêmement parées. De moi je vous avoue ici ingénument que je ne me connais pas moi-même, et que je ne sais si c'est zèle, ou témérité qui me fait entreprendre de vous offrir si peu de chose avec tant d'assurance, après que les plus doctes génies ont tremblé en pareille occasion, et ont crû vous dédiant leurs ouvrages qui avaient été adorez de tout le monde, que c'était peu de sacrifier même des idoles à une divinité. Mais je passe par dessus toute sorte de considérations, pour vous supplier très humblement de protéger mon égyptienne, elle est si faible, qu'elle ne peut pas subsister d'elle-même, et ce serait assez pour la faire tomber que de ne la pas soutenir. Comme la médisance, et l'ennuie sont deux monstres qui n'épargnent que ce qu'ils ne connaissent pas, je ne fais point de doute qu'ils n'attaquent Cléopâtre, et qu'il ne s'élance contre elle plusieurs aspics dont les piqûres lui pourront être beaucoup plus dangereuses que celles du premier qui lui conserva l'honneur aux dépens de la vie, mais vous l'en garantirez, Monseigneur, vous la ferez vivre, et votre seul nom fera pour la gloire de cette pauvre reine ce que le jeune César ne pût faire pour son propre triomphe.
Je suis, Monseigneur, de votre éminence, le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,