À MONSEIGNEUR LE DUC DE MORTEMART. Pair de France, PREMIER GENTILHOMME DE LA CHAMBRE DU ROI.
Dans l’espoir que quelques ouvrages
Feraient passer mon nom à la postérité,
MORTEMART, je me suis flatté
Que le tien, qui du temps ne craint point les outrages,
Consacrerait mes vers à l’immortalité.
Ce n’est point pour suivre un usage
Dans le sacré Vallon* établi dès longtemps
D’aller importuner les Grands
Pour leur demander leur suffrage,
Que j’ose aujourd’hui t’adresser
Ces portraits que j’ai su tracer
D’après le plus habile maître
Que l’art de bien écrire aura jamais peut-être,
Je les ai rendus tels qu’il nous les a montrés,
Tels en effet qu’ils doivent être :
Ma Muse sur la scène en les faisant paraître,
Ne les a point défigurés.
Guidé par un si bon modèle,
Je crois n’avoir pu m’égarer ;
J’ai suivi, sans rien altérer,
Sa simplicité naturelle,
Ses naïves expressions.
D’un si grand homme admirateur fidèle,
J’ai respecté ses moindres fictions.
Si pour accommoder le sujet à la scène
J’ai fait des changements, quelques additions,
On ne les connait qu’avec peine :
Apollon semble avoir pris soin
De faire couler au besoin
L’esprit de l’auteur dans ma veine,
Et de nous verser l’eau de la même fontaine.
Peut-être est-ce penser de moi trop noblement,
Et trop bien de ma Comédie :
Mais puis-je penser autrement
D’un Écrit que je te dédie ?
Si j’en croyais en ce moment
De l’offre que j’ose t’en faire :
Mais s’il peut, comme je l’espère,
Être de tes regards honoré seulement ;
S’il a le bonheur de te plaire,
En aurai-je pensé trop favorablement ?
Et lorsque je t’adresse une si faible offrande,
Si j’ai des envieux ou quelques ennemis,
Prompts à trouver mon audace trop grande,
Qu’ils sachent, MORTEMART, que tu me l’as permis.
Un pur zèle, un sincère hommage,
Attirent les faveurs des Dieux,
Et l’encens le plus rare et le plus précieux,
N’est pas toujours celui qui leur plaît davantage.
Enfin, je t’offre tout ce que j’eus en partage ;
Un peu d’esprit que le Ciel m’a donné,
Et que le sort a destiné
Pour un moins agréable usage
Que celui pour lequel je croyais être né :
Non que de mes talents follement idolâtre
L’orgueil éblouisse mes yeux,
J’ai donné quelques soins, des veilles au Théâtre,
Je ne m’en repends point, mais j’ai pu faire mieux.
Mars et Thémis m’offraient une carrière
Où j’aurais pu me signaler.
J’ai des aïeux qu’on vit briller
Chez eux de plus d’une manière.
Un peu dérangé de leur sphère,
Je soutiens autant que je puis
L’honneur du parti que j’ai pris.
Près du Public je tâche à trouver grâce.
C’est son goût qui forme le mien ;
Comme il lui plaît j’ajoute, change, efface
Dans tout ce que j’écris, et je me trouve bien
De ne m’écarter point du chemin qu’il me trace :
Trop heureux si par ce moyen,
Quand Molière est assis le premier au Parnasse,
Je pouvais prendre un jour mon rang si près du sien,
Qu’entre nous deux aucun autre n’eût place ;
Ma Muse, sûre alors du succès de ses Vers,
De tes bontés reconnaissante,
D’une voix ferme et moins tremblante
Formerait pour toi des concerts,
Et publierait dans l’Univers
Comment, depuis quel temps, tes illustres ancêtres
Par la gloire animés à force de vertus,
Noble et solide appui du trône de leurs Maîtres,
Des emplois les plus hauts ont été revêtus.
Elle retracerait l’étendue infinie
De ce rare et vaste génie,
Du règne de LOUIS la gloire et l’ornement,
COLBERT par JULE instruit dans l’art du grand ARMAND.
Peut-être qu’à toi-même elle oserait te peindre
Des uns surpassant la valeur,
Et de l’esprit de l’autre égalant la hauteur
Où peu d’heureux mortels semblent pouvoir atteindre !
Elle te ferait souvenir
À quel point, protecteurs des Arts, de la Science,
Attentif à les maintenir,
Ce Ministre honora la France,
Où dans une heureuse abondance
Il se plaisait à les entretenir
Prends pour règle dans ta conduite
Cet exemple si proche et si digne de toi ;
Fais tomber les grâces du Roi
Sur ceux qui par quelque mérite
Se distinguent dans leur emploi ;
Ceux même qui de bonne foi,
Sans trop y réussir, s’efforcent de le faire,
Et qui de leurs devoirs font leur première loi,
Sont dignes qu’on les considère.
Ainsi par plus d’un titre autorisé, j’espère,
MORTEMART, même je prévois
Que lorsque ton appui me sera nécessaire,
Tu voudras bien parler pour moi.
DANCOURT.
* Sacré Vallon: Poétiquement. Le sacré vallon, le vallon situé entre les deux croupes du Parnasse, et qui, selon la Fable, était le séjour des Muses.
PRÉFACE.
Le Roman de Don Guichot est dans les mains de tout le monde : il est traduit presque en toutes sortes de Langues, et il n’y a guères de sujet plus connu que celui de cette Comédie. Cela devait contribuer à sa réussite, et c’est, je crois, ce qui l’a empêchée d’en avoir autant qu’elle semblait en promettre. Il y a eu plusieurs Pièces sous le même titre ; et j’en ai trouvé une, entre plusieurs autres, dont la versification, quoique très ancienne, m’a paru assez bonne pour en conserver des morceaux, où j’ai fait peu de changement. J’ai, depuis les Représentations que j’ai moi-même fait interrompre, ajouté plusieurs Scènes, qui lient l’action plus qu’elle ne l’était d’abord, et qui intéressent davantage un des deux Héros, qui est Don Guichot. Je crois que si on la redonnait au Public en l’état où elle est maintenant, elle serait reçue plus favorablement encore qu’elle ne l’a été, et que ses plus aigres critiques se joindraient aux approbateurs qu’elle a eus. Je me flatte du moins que ceux qui prendront la peine de la lire, y trouveront beaucoup de traits d’esprit et de fine satire, qui ne sont ni dans le Roman, ni dans les Comédies qu’on en a tirées jusqu’à présent, et que la manière dont cet Ouvrage est traité ne saurait que faire honneur à son Auteur.