publié par Paul FIEVRE, Mai 2011
Cette comédie a été représentée pour la première fois le jeudi 14 juin 1696, sous le titre du Bourgeois de Falaise. Elle a été imprimée sous ce même titre dans la première édition qui a été faite de cette pièce dans sa nouveauté. Depuis, l'auteur l'a nommée le Bal. C'est sous ce dernier titre qu'elle a reparu au théâtre, et qu'elle se trouve imprimée dans toutes les éditions des Oeuvres de Regnard.
Le personnage de Sotencour est celui que l'auteur avait regardé comme le principal de sa pièce, et qui avait donné lieu à sa première dénomination ; niais ce bourgeois ridicule n'était qu'une mauvaise copie de Pourceaugnac ; et comme la pièce n'avait réussi qu'à l'aide de deux personnages subalternes, Mathieu Crochet et le Gascon Fijac, le poète a cru devoir supprimer le premier titre, et a intitulé sa pièce le Bal.
On peut en effet justement reprocher à Regnard l'invraisemblance et la faiblesse de l'intrigue de cette pièce. Ces défauts ne sont pas rachetés par un comique soutenu ; et s'il y a quelques scènes plaisantes, il y en a plusieurs autres qui sont froides et inutiles.
Sotencour, comme nous l'avons remarqué, n'a rien de saillant, et ne présente point un caractère d'un comique décidé. Il arrive du fond de la Normandie pour faire une description ridicule des appas de sa maîtresse, qu'il n'a jamais vue. On ne dit point que ce soit la fortune du beau-père qui le décide à ce mariage, de sorte qu'on ne sait ce qui l'a déterminé à venir de sa province chercher femme à Paris.
Le stratagème qu'on emploie pour le dégoûter de sa belle ne peut pas s'appeler un artifice ; et quoiqu'il soit l'ouvrage de trois fourbes adroits, on n'y voit qu'une ruse grossière dont on est étonné que le beau-père et le gendre futurs soient les dupes.
La première supercherie du Gascon est tout à fait inutile, et ne sert en rien au dénouement. Il était indifférent de prévenir Géronte contre Sotencour, et de le faire passer pour un joueur abîmé de dettes, puisqu'on se proposait d'enlever Léonore ; et dans le fait, cet enlèvement fait seul le dénouement, et détermine seul Sotencour à renoncer à Léonore, et Géronte à la donner à Valère.
Malgré ces défauts, on reconnaît dans cette pièce le génie de Regnard. Il y a, comme nous l'avons remarqué, quelques scènes plaisantes, telles que celle de l'entrevue de Sotencour avec sa maîtresse, le bavardage ridicule de l'un et le silence méprisant de l'autre, que notre campagnard prend pour de la stupidité.
Cette situation comique, et qui a dû produire beaucoup d'effet au théâtre, a été imitée par Destouches, dans sa comédie du Dépôt.
Un marquis d'Esbignac, amoureux de la fille de Géronte, sans l'avoir vue, ou plutôt amoureux de sa fortune, dit au père, en présence de sa fille :
GÉRONTE lui faisant apercevoir sa fille.
LE MARQUIS.
GÉRONTE.
LE MARQUIS.
Et après une tirade de gasconnades extravagantes, auxquelles Angélique ne répond que par un silence méprisant, le Marquis se retourne du côté du père, et lui dit :
GÉRONTE, en souriant.
LE MARQUIS.
GÉRONTE.
LE MARQUIS.
La scène dans Regnard est plus originale. La bêtise de Sotencour et son bavardage contrastent mieux avec le silence de Léonore : elle ne répond point à une question sotte et malhonnête que lui fait le provincial ; et celui-ci, au lieu de s'apercevoir de sa sottise, impute à stupidité le silence de sa maîtresse.
Nous avons remarqué aussi dans cette pièce le rôle du Gascon, qui, quoique inutile, est très plaisant. La scène où il demande à Sotencour ce qu'il prétend lui avoir gagné au jeu, quoique semblable à plusieurs autres scènes déjà au théâtre, entre autres à celle du marchand flamand de Pourceaugnac, est vivement dialoguée et d'un très bon comique.
Cette pièce est la seule des comédies de Regnard que l'on ne joue plus ; cependant elle a eu douze représentations dans sa nouveauté, et nous croyons que, malgré ses défauts, on la verrait encore avec plaisir sur notre scène.