publié par Paul FIÈVRE, Décembre 2012.
Par mon foy, monsir, moi ly comprendre rien à sti pays lOngri ; le fin lêtre pon, et les hommes méchants : lêtre pas naturel, cela.
Si tu ne ty trouves pas bien, rien ne toblige dy demeurer.
Tu es mon domestique et non pas prisonnier de guerre comme moi ; tu peux ten aller quand il te plaira
Oh !
Moi point quitter fous ; moi fouloir pas être plus libre que mon maître.
Mon pauvre Jacquard, je suis sensible à ton attachement ; il me consolerait dans ma captivité, si jétais capable de consolation.
Moi point souffrir que fous laffliche touchours, touchours : fous poire comme moi, fous consolir tout lapord.
Quelle consolation !
Ô France !
Ô ma patrie !
Que ce climat barbare me fait sentir ce que tu vaux !
Quand reverrai-je ton heureux séjour ?
Quand finira cette honteuse inaction où je languis, tandis que mes glorieux compatriotes moissonnent des lauriers sur les traces de mon roi ?
Oh !
Fous lafre été pris combattant pravement.
Les ennemis que fous afre tués lêtre encore pli malates que fous.
Apprends que, dans le sang qui manime, la gloire acquise ne sert que daiguillon pour en rechercher davantage.
Apprends que, quelque zèle quon ait à remplir son devoir pour lui-même, lardeur sen augmente encore par le noble désir du mériter lestime de son maître en combattant sous ses yeux.
Ah !
Quel nest pas le bonheur de quiconque peut obtenir celle du mien !
Et qui sait mieux que ce grand prince peut, sur sa propre expérience, juger du mérite et de la valeur ?
Pien, pien : fous lêtre pientôt tiré te sti prisonnache ; monsir fotre père afre écrit quil trafaillir pour faire échange fous.
Oui, mais le temps en est encore incertain ; et cependant le roi fait chaque jour de nouvelles conquêtes.
Pardi !
Moi lêtre pien content taller tant seulement à celles quil fera encore.
Mais fous lêtre pli amoureux, pisque fous fouloir tant partir.
Amoureux !
Se qui ?
Aurait-il pénétré mes feux secrets ?
Là, te cette temoiselle Claire, te cette cholie fille te notre bourgeois ; à qui fous faire tant te petits douceurs.
Oh !
Chons pien dantres doutances, mais il faut faire semplant te rien.
Non, Jacquard, lamour que tu me supposes nest point capable de ralentir mon empressement de retourner en France.
Tous climats sont indifférents pour lamour.
Le monde est plein de belles dignes des services de mille amants, mais on na quune patrie à servir.
À propos te belles, savre-fous que lêtre après-timain que notre prital te bourgeois épouse le fille de monsir Goternitz ?
Comment !
Que dis-tu ?
Que la mariache de monsir Macker avec mamecelle Sophie, qui était différé chisque à larrivée ti frère te la temoicelle, doit se terminer dans teux jours, parce quil autre été échangé, pli tôt quon navre cru, et quil arriver aucherdi.
Jacquard, que me dis-tu là !
Comment le sais-tu ?
Par mon foi, je lafre appris toute lheure en pivant pouteille avec un falet te la maison.
Cachons mon trouble
Je réfléchis que le messager doit être arrivé ; va voir sil ny a point de nouvelles pour moi.
Diaple !
Ly être in noufelle te trop, à ce que che fois.
Monsir, che safre point où lêtre la poutique te sti noufelle.
Tu nas quà parler à mademoiselle Claire, qui, pour éviter que mes lettres ne soient ouvertes à la poste, a bien voulu se charger de les recevoir sous une adresse convenue, et de me les remettre secrètement.
Quel coup pour ma flamme !
Cen est donc fait, trop aimable Sophie, il faut vous perdre pour jamais, et vous allez devenir la proie dun riche mais ridicule et grossier vieillard !
Hélas !
sans men avoir encore fait laveu, tout commençait à mannoncer de votre part le plus tendre retour !
Non, quoique les injustes préjugés de son père contre les Français dussent être un obstacle invincible à mon bonheur, il ne fallait pas moins quun pareil événement pour assurer la sincérité des vux que je fais pour retourner promptement en France.
Les ardents témoignages que jen donne ne sont-ils point plutôt les efforts dun esprit qui sexcite par la considération de son devoir, que les effets dun zèle assez sincère ?
Mais que dis-je !
Ah !
Que la gloire nen murmure point ; de si beaux feux ne sont pas faits pour lui nuire : un cur nest jamais assez amoureux, il ne fait pas du moins assez de cas de lestime de sa maîtresse, quand il balance à lui préférer son devoir, son pays et son roi.
Ah !
Voici ce prisonnier que jai en garde.
Il faut que je le prévienne sur la façon dont il doit se conduire avec ma future ; car ces Français, qui, dit-on, se soucient si peu de leurs femmes, sont des plus accommodants avec celles dautrui : mais je ne veux point chez moi de ce commerce-là, et je prétends du moins que mes enfants soient de mon pays.
Vous avez là détranges opinions de ma fille.
Mon Dieu !
Pas si étranges.
Je pense que la mienne la vaut bien ; et si
Brisons là-dessus
Seigneur Dorante !
Monsieur ?
Savez-vous que je me marie ?
Que mimporte ?
Cest quil mimporte à moi que vous appreniez que je ne suis pas davis que ma femme vive à la française.
Tant pis pour elle.
Eh !
Oui, mais tant mieux pour moi.
Je nen sais rien.
Oh !
Nous ne demandons pas votre opinion là-dessus : je vous avertis seulement que je souhaite de ne vous trouver jamais avec elle, et que vous évitiez de me donner à cet égard des ombrages sur sa conduite.
Cela est trop juste et vous serez satisfait.
Ah !
Le voilà complaisant une fois, quel miracle !
Mais je compte que vous y contribuerez de votre côté autant quil sera nécessaire.
Oh !
Sans doute, et jaurai soin dordonner à ma femme de vous éviter en toute occasion.
Méviter !
Gardez-vous-en bien.
Ce nest pas ce que je veux dire.
Comment ?
Cest vous, au contraire, qui devez éviter de vous apercevoir du temps que je passerai auprès delle.
Je ne lui rendrai des soins que le plus discrètement quil me sera possible ; et vous, en mari prudent, vous nen verrez que ce quil vous plaira.
Comment diable !
vous vous moquez ; et ce nest pas là mon compte.
Cest pourtant tout ce que je puis vous promettre, et cest même tout ce que vous mavez demandé.
Parbleu !
Celui-là me passe ; il faut être bien endiablé après les femmes dautrui pour tenir un tel langage à la barbe des maris.
En vérité, seigneur Macker, vos discours me font pitié, et votre colère me fait rire.
Quelle réponse vouliez-vous que fît monsieur à une exhortation aussi ridicule que la vôtre ?
La preuve de la pureté de ses intentions est le langage même quil vous tient : sil voulait vous tromper, vous prendrait-il pour son confident ?
Je me moque de cela ; fou qui sy fie.
Je ne veux point quil fréquente ma femme, et jy mettrai bon ordre.
À la bonne heure ; mais, comme je suis votre prisonnier et non pas votre esclave, vous ne trouverez pas mauvais que je macquitte avec elle, en toute occasion, des devoirs de politesse que mon sexe doit au sien.
Eh, morbleu !
Tant de politesse pour la femme ne tendent quà faire affront au mari.
Cela me met dans des impatiences
Nous verrons
Nous verrons
Vous êtes méchant, monsieur le Français ; oh !
Parbleu !
Je le serai plus que vous.
À la maison, cela peut être ; mais jai peine à croire que vous le soyez fort à la guerre.
Tout doux, seigneur Dorante ; il est dune nation
Oui, quoique la vraie valeur soit inséparable de la générosité ; je sais, malgré la cruauté de la vôtre, en estimer la bravoure.
Mais cela le met-il en droit dinsulter un soldat qui na cédé quau nombre, et qui, je pense, a montré assez de courage pour devoir être respecté, même dans sa disgrâce !
Vous avez raison.
Les lauriers ne sont pas moins le prix du courage que de la victoire.
Nous-mêmes, depuis que nous cédons aux armes triomphantes de votre roi, nous ne nous en tenons pas moins glorieux, puisque la même valeur quil emploie à nous attaquer montre la nôtre à nous défendre.
Mais voici Sophie.
Approchez, ma fille ; venez saluer votre époux.
Ne lacceptez-vous pas avec plaisir de ma main ?
Quand mon cur en serait le maître, il ne le choisirait pas ailleurs quici.
Fort bien, belle mignonne ; mais
Quoi !
Vous ne vous en allez pas ?
Ne devez-vous pas être flatté que mon admiration confirme la bonté de votre choix ?
Comme je ne lai pas choisie pour vous, votre approbation me paraît ici peu nécessaire.
Il me semble que ceci commence à durer trop pour un badinage.
Vous voyez, monsieur, que le seigneur Macker est inquiété de votre présence : cest un effet quun cavalier de votre figure peut produire naturellement sur lépoux le plus raisonnable.
Eh bien !
Il faut donc le délivrer dun spectateur incommode : aussi bien ne puis-je supporter le tableau dune union aussi disproportionnée.
Ah !
Monsieur, comment pouvez-vous consentir vous-même que tant de perfections soient possédées par un homme si peu fait pour les connaître !
Parbleu !
Voilà une nation bien extraordinaire, des prisonniers bien incommodes !
Le valet me boit mon vin, le maître caresse ma fille.
Ils vivent chez moi comme sils étaient en pays de conquêtes.
Cest la vie la plus ordinaire aux Français ; ils y sont tout accoutumés.
Bonne excuse, ma foi !
Ne faudra-t-il point encore, en faveur de la coutume, que japprouve quil me fasse cocu ?
Ah ciel !
Quel homme !
Je suis aussi scandalisé de votre langage que ma fille en est indignée.
Apprenez quun mari qui ne montre à sa femme ni estime ni confiance lautorise, autant quil est en lui, à ne les pas mériter.
Mais le jour savance ; je vais monter à cheval pour aller au-devant de mon fils qui doit arriver ce soir.
Je ne vous quitte pas ; jirai avec vous, sil vous plaît.
Soit ; jai même bien des choses à vous dire, dont nous nous entretiendrons en chemin.
Adieu, mignonne : il me tarde que nous soyons mariés, pour vous mener voir mes champs et mes bêtes à cornes ; jen ai le plus beau parc de la Hongrie.
Monsieur, ces animaux-là me font peur.
Va, va, poulette, tu seras bientôt aguerrie avec moi.
Quel époux !
Quelle différence de lui à Dorante, en qui les charmes de lamour redoublent par les grâces de ses manières et de ses expressions !
Mais, hélas !
Il nest point fait pour moi.
À peine mon cur ose-t-il savouer quil laime ; et je dois trop me féliciter de ne le lui avoir point avoué à lui-même.
Encore sil métait fidèle, la bonté de mon père me laisserait, malgré sa prévention en ses engagements, quelque lueur despérance.
Mais la fille de Macker partage lamour de Dorante ; il lui dit sans doute les mêmes choses quà moi ; peut-être est-elle la seule quil aime.
Volages Français !
Que les femmes sont heureuses que vos infidélités les tiennent en garde contre vos séductions !
Si vous étiez aussi constants que vous êtes aimables, quels curs vous résisteraient ?
Le voici.
Je voudrais fuir, et je ne puis my résoudre ; je voudrais lui paraître tranquille, et je sens que je laime jusquà ne pouvoir cacher mon dépit.
Il est donc vrai, madame, que ma ruine est conclue, et que je vais vous perdre sans retour !
Jen mourrais, sans doute, si la mort était la pire des douleurs.
Je ne vivrai que pour vous porter dans mon cur plus longtemps, et pour me rendre digne, par ma conduite et par ma constance de votre estime et de vos regrets.
Se peut-il que la perfidie emprunte un langage aussi noble et aussi passionné !
Que dites-vous ?
Quel accueil !
Est-ce là la juste pitié que méritent mes sentiments ?
Votre douleur est grande en effet, à en juger par le soin que vous avez pris de vous ménager des consolations.
Moi, des consolations !
En est-il pour votre perte ?
Cest-à-dire en est-il besoin ?
Quoi !
Belle Sophie, pouvez-vous ?
Réservez, je vous en prie, la familiarité de ces expressions pour la belle Claire ; et sachez que Sophie, telle quelle est, belle ou laide, se soucie dautant moins de lêtre à vos yeux, quelle vous croit aussi mauvais juge de la beauté que du mérite.
Le rang que vous tenez dans mon estime et dans mon cur est une preuve du contraire.
Quoi !
vous mavez cru amoureux de la fille de Macker !
Non, en vérité.
Je ne vous fais pas lhonneur de vous croire un cur fait pour aimer.
Vous êtes, comme tous les jeunes gens de votre pays, un homme fort convaincu de ses perfections, qui se croit destiné à tromper les femmes, et jouant lamour auprès delles, mais qui nest pas capable den ressentir.
Ah !
Se peut-il que vous me confondiez dans cet ordre damants sans sentiments et sans délicatesse, pour quelques vains badinages qui prouvent eux-mêmes que mon cur ny a point départ et quil était à vous tout entier ?
La preuve me paraît singulière.
Je serais curieuse dapprendre les légères subtilités de cette philosophie française.
Oui, jen appelle, en témoignage de la sincérité de mes feux, à cette conduite même que vous me reprochez.
Jai dit à dautres de petites douceurs, il est vrai ; jai folâtré auprès delles : mais ce badinage et cet enjouement sont-ils le langage de lamour ?
Est-ce sur ce ton que je me suis exprimé près de vous ?
Cet abord timide, cette émotion, ce respect, ces tendres soupirs, ces douces larmes, ces transports que vous me faites éprouver, ont-ils quelque chose de commun avec cet air piquant et badin que la politesse et le ton du monde nous font prendre auprès des femmes indifférentes ?
Non, Sophie, les ris et la gaîté ne sont point le langage du sentiment
Le véritable amour nest ni téméraire ni évaporé ; la crainte le rend circonspect ; il risque moins par la connaissance de ce quil peut perdre ; et, comme il en veut au cur encore plus quà la personne, il ne hasarde guère lestime de la personne quil aime pour en acquérir là possession.
Cest-à-dire, en un mot, que, contents dêtre tendres pour vos maîtresses, vous nêtes que galants, badins et téméraires près des femmes que vous naimez point.
Voilà une constance et des maximes dun nouveau goût, fort commodes pour les cavaliers ; je ne sais si les belles de votre pays sen contentent de même.
Oui, madame, cela est réciproque, et elles ont bien autant dintérêt que nous, pour le moins, à les établir.
Vous me faites trembler pour les femmes capables de donner leur cur à des amants formés à une pareille école.
Eh !
Pourquoi ces craintes chimériques ?
Nest-il pas convenu que ce commerce galant et poli qui jette tant dagrément dans la société nest point de lamour ?
Il nest que le supplément.
Le nombre des curs vraiment faits pour aimer est si petit, et parmi ceux-là il y en a si peu qui se rencontrent, que tout languirait bientôt si lesprit et la volupté ne tenaient quelquefois la place du cur et du sentiment.
Les femmes ne sont point les dupes des aimables folies que les hommes font autour delles.
Nous en sommes de même par rapport à leur coquetterie, elles ne séduisent que nos sens.
Cest un commerce fidèle où lon ne se donne réciproquement que pour ce quon est.
Mais il faut avouer, à la honte du cur, que ces heureux badinages sont souvent mieux récompensés que les plus touchantes expressions dune flamme ardente et sincère.
Nous voici précisément où jen voulais venir.
Vous maimez, dites-vous, uniquement et parfaitement ; tout le reste nest que jeux desprit : je le veux ; je le crois.
Mais alors il me reste toujours à savoir quel genre de plaisir vous pouvez trouver à faire, dans un goût différent, la cour à dautres femmes, et à rechercher pourtant auprès delles le prix du véritable amour.
Ah !
Madame, quel temps prenez-vous pour mengager dans des dissertations !
Je vais vous perdre, hélas !
Et vous voulez que mon esprit soccupe dautres choses que de sa douleur !
La réflexion ne pouvait venir plus mal à propos ; il fallait la faire plus tôt, ou ne la point faire du tout.
St, st, monsir, monsir !
Je crois quon mappelle.
Oh !
Moi fenir, pisque fous point aller.
Eh bien !
Quest-ce ?
Monsir, afec la permission te montame, lêtre ain piti lécriture.
Quoi ?
Une lettre ?
Chistement.
Donne-la-moi.
Tiantre !
Non ; mamecelle Claire mafre chargé te ne la donne fous quen grand secrètement.
Monsieur Jacquard est exact, il veut suivre ses ordres.
Donne toujours, butor ; tu fais le mystérieux fort à propos.
Cessez de vous inquiéter.
Je ne suis point incommode, et je vais me retirer pour ne pas gêner votre empressement.
Cette lettre de mon père lui donne de nouveaux soupçons, et vient tout à propos pour les dissiper.
Eh quoi !
Madame, vous me fuyez !
Seriez-vous disposé à me mettre de moitié dans vos confidences ?
Mes secrets ne vous intéressent pas assez pour vouloir y prendre part ?
Cest au contraire quils vous sont trop chers pour les prodiguer.
Il me siérait mal den être plus avare que de mon propre cur.
Aussi logez-vous tout au même lieu.
Cela ne tient du moins quà votre complaisance.
Il y a dans ce sang-froid une méchanceté que je suis tentée de punir.
Vous seriez bien embarrassé si, pour vous prendre au mot, je vous priais de me communiquer cette lettre.
Jen serais seulement fort surpris ; vous vous plaisez trop à nourrir dinjustes sentiments sur mon compte, pour chercher à les détruire.
Vous vous fiez fort à ma discrétion
Je vois quil faut lire la lettre pour confondre votre témérité.
Lisez-la pour vous convaincre de votre injustice.
Non, commencez par me la lire vous-même ; jen jouirai mieux de votre confusion.
Nous allons voir.
« Que jai de joie, mon cher Dorante
»
Mon cher Dorante !
Lexpression est galante, vraiment.
« Que jai de joie, mon cher Dorante, de pouvoir terminer vos peines !
»
Oh !
Je nen doute pas, vous avez tant dhumanité !
« Vous voilà délivré des fers où vous languissiez
»
Je ne languirai pas dans les vôtres.
« Hâtez-vous de venir me rejoindre
»
Cela sappelle être pressée.
« Je brûle de vous embrasser
»
Rien nest si commode que de déclarer franchement ses besoins.
« Vous êtes échangé contre un jeune officier qui sen retourne actuellement où vous êtes
Mais je ny comprends plus rien.
« Blessé dangereusement, il fut fait prisonnier dans une affaire où je me trouvai
»
Une affaire où se trouva mademoiselle Claire ?
Qui vous parle de mademoiselle Claire ?
Quoi !
Cette lettre nest pas delle ?
Non, vraiment ; elle est de mon père, et mademoiselle Claire na servi que de moyen pour me la faire parvenir ; voyez la date et le seing.
Ah !
Je respire.
Écoutez le reste.
« À force de secours et de soins, jai eu le bonheur de lui sauver la vie ; je lui ai trouvé tant de reconnaissance, que je ne puis trop me féliciter des services que je lui ai rendus.
Jespère quen le voyant vous partagerez mon amitié pour lui, et que vous le lui témoignerez. »
Lhistoire de ce jeune officier a tant de rapport avec
Ah !
Si cétait lui !
Tous mes doutes seront éclaircis ce soir.
Belle Sophie, vous voyez votre erreur.
Mais de quoi me sert que vous connaissiez linjustice de vos soupçons ?
En serai-je mieux récompensé de ma fidélité ?
Je voudrais inutilement vous déguiser encore le secret de mon cur ; il a trop éclaté avec mon dépit : vous voyez combien je vous aime, et vous devez mesurer le prix de cet aveu sur les peines quil ma coûtées.
Aveu charmant !
Pourquoi faut-il que des moments si doux soient mêlés dalarmes, et que le jour où vous partagez mes feux soit celui qui les rend le plus à plaindre !
Ils peuvent encore lêtre moins que vous ne pensez.
Lamour perd-il sitôt courage ?
Et quand on aime assez pour tout entreprendre, manque-t-on de ressources pour être heureux ?
Adorable Sophie !
Quels transports vous me causez !
Quoi !
Vos bontés
je pourrais
Ah !
Cruelle !
Vous promettez plus que vous ne voulez tenir !
Moi, je ne promets rien.
Quelle est la vivacité de votre imagination !
Jai peur que nous ne nous entendions pas.
Comment ?
Le triste hymen que je crains nest point tellement conclu que je ne puisse me flatter dobtenir du moins un délai de mon père ; prolongez votre séjour ici jusquà ce que la paix ou des circonstances plus favorables aient dissipé les préjugés qui vous le rendent contraire.
Vous voyez lempressement avec lequel on me rappelle : puis-je trop me hâter daller réparer loisiveté de mon esclavage ?
Ah !
Sil faut que lamour me fasse négliger le soin de ma réputation, doit-ce être sur des espérances aussi douteuses que celles dont vous me flattez ?
Que la certitude de mon bonheur serve du moins à rendre ma faute excusable.
Consentez que des nuds secrets
Quosez-vous me proposer ?
Un cur bien amoureux ménage-t-il si peu la gloire de ce quil aime ?
Vous moffensez vivement.
Jai prévu votre réponse, et vous avez dicté la mienne.
Forcé dêtre malheureux ou coupable, cest lexcès de mon amour qui me fait sacrifier mon bonheur à mon devoir, puisque ce nest quen vous perdant que je puis me rendre digne de vous posséder.
Ah !
Quil est aisé détaler de belles maximes quand le cur les combat faiblement !
Parmi tant de devoirs à remplir, ceux de lamour sont-ils donc comptés pour rien ?
Et nest-ce que la vanité de me coûter des regrets qui vous a fait désirer ma tendresse ?
Jattendais de la pitié, et je reçois des reproches, vous navez, hélas !
Que trop de pouvoir sur ma vertu, il faut fuir pour ne pas succomber.
Aimable Sophie, trop digne dun plus beau climat, daignez recevoir les adieux dun amant qui ne vivrait quà vos pieds sil pouvait conserver votre estime en immolant la gloire à lamour.
Ah !
Que faites-vous ?
Oh !
Oh !
Notre future, tubleu !
Comme vous y allez !
Cest donc avec monsieur que vous vous accordez pour la noce !
Je lui suis obligé, ma foi.
Eh bien !
Beau-père, que dites-vous de votre progéniture ?
Oh !
Je voudrais, parbleu !
Que nous en eussions vu quatre fois davantage, seulement pour lui apprendre à nêtre pas si confiant.
Sophie, pourriez-vous mexpliquer ce que veulent dire ces étranges façons ?
Lexplication est toute simple ; je viens de recevoir avis que je suis échangé, et là-dessus je prenais congé de mademoiselle, qui, aussi bien que vous, monsieur, a eu pendant mon séjour ici beaucoup de bontés pour moi.
Oui, des bontés !
Oh !
Cela sentend.
Ma foi, seigneur Macker, je ne vois pas quil y ait tant à se récrier pour une simple cérémonie de compliment.
Je naime point tous ces compliments à la française.
Soit : mais comme ma sur nest point encore votre femme, il me semble que les vôtres ne sont guère propres à lui donner envie de la devenir.
Eh !
Corbleu !
Monsieur, si votre séjour de France vous a appris à applaudir à toutes les sottises des femmes, apprenez que les flatteries de Jean-Mathias Macker ne nourriront jamais leur orgueil.
Pour cela, je le crois.
Je vous avouerai, monsieur, quégalement épris des charmes et du mérite de votre adorable fille, jaurais fait ma félicité suprême dunir mon sort au sien, si les cruels préjugés qui vous ont été inspirés contre ma nation neussent mis un obstacle invincible au bonheur de ma vie.
Mon père, cest là sans doute un de vos prisonniers ?
Cest cet officier pour lequel vous avez été échangé.
Quoi !
Dorante ?
Lui-même.
Ah !
Quelle joie pour moi de pouvoir embrasser le fils de mon bienfaiteur !
Cétait mon frère, et je lai deviné.
Oui, monsieur, redevable de la vie à monsieur votre père, quil me serait doux de vous marquer ma reconnaissance et mon attachement par quelque preuve digne des services que jai reçus de lui !
Si mon père a été assez heureux pour sacquitter envers un cavalier de votre mérite des devoirs de lhumanité, il doit plus sen féliciter que vous-même.
Cependant, monsieur, vous connaissez mes sentiments pour mademoiselle votre sur ; si vous daignez protéger mes feux, vous acquitterez au-delà vos obligations : rendre un honnête homme heureux, cest plus que de lui sauver la vie.
Mon père partage mes obligations, et jespère bien que, partageant aussi ma reconnaissance, il ne sera pas moins ardent que moi à vous la témoigner.
Mais il me semble que je joue ici un assez joli personnage.
Javoue, mon fils, que javais cru voir en monsieur quelque inclination pour votre sur ; mais, pour prévenir la déclaration quil men aurait pu faire, jai si bien manifesté en toute occasion lantipathie et léloignement qui séparait notre nation de la sienne, quil sétait épargné jusquici des démarches inutiles de la part dun ennemi avec qui, quelque obligation que je lui aie dailleurs, je ne puis ni ne dois établir aucune liaison.
Sans doute, et cest un crime de lèse-majesté à mademoiselle de vouloir aussi sapproprier ainsi les prisonniers de la reine.
Enfin je tiens que cest une nation avec laquelle il est mieux de toute façon de navoir aucun commerce ; trop orgueilleux amis, trop redoutables ennemis ; heureux qui na rien à démêler avec eux !
Ah !
Quittez, mon père, ces injustes préjugés.
Que navez-vous connu cet aimable peuple que vous haïssez, et qui naurait peut-être aucun défaut sil avait moins de vertus !
Je lai vue de près, cette heureuse et brillante nation, je lai vue paisible au milieu de la guerre, cultivant les sciences et les beaux-arts, et livrée à cette charmante douceur de caractère qui en tout temps lui fait recevoir également bien tous les peuples du monde, et rend la France en quelque manière la patrie commune du genre humain.
Tous les hommes sont les frères des Français.
La guerre anime leur valeur sans exciter leur colère.
Une brutale fureur ne leur fait point haïr leurs ennemis ; un sot orgueil ne les leur fait point mépriser.
Ils les combattent noblement, sans calomnier leur conduite, sans outrager leur gloire ; et tandis que nous leur faisons la guerre en furieux, ils se contentent de nous la faire en héros.
Pour cela, on ne saurait nier quils ne se montrent plus humains et plus généreux que nous.
Eh !
comment ne le seraient-ils pas sous un maître dont la bonté égale le courage !
Si ses triomphes le font craindre, ses vertus doivent-elles moins le faire admirer ?
Conquérant redoutable, il semble à la tête de ses armées un père tendre au milieu de sa famille, et, forcé de dompter lorgueil de ses ennemis, il ne les soumet que pour augmenter le nombre de ses enfants.
Oui, mais avec toute sa bravoure, non content de subjuguer ses ennemis par la force, ce prince croit-il quil soit bien beau demployer encore lartifice, et de séduire, comme il fait, les curs des étrangers et de ses prisonniers de guerre ?
Fi !
Que cela est laid de débaucher ainsi les sujets dautrui !
Oh bien !
Puisquil sy prend comme cela, je suis davis quon punisse sévèrement tous ceux des nôtres qui savisent den dire du bien.
Il faudra donc châtier tous vos guerriers qui tomberont dans ses fers, et je prévois que ce ne sera pas une petite tâche.
Oh !
Mon prince, quil mest doux dentendre les louanges que ta vertu arrache de la bouche de tes ennemis !
Voilà les seuls éloges dignes de toi.
Non, le titre dennemis ne doit point nous empêcher de rendre justice au mérite.
Javoue même que le commerce de nos prisonniers ma bien fait changer dopinion sur le compte de leur nation : mais considérez, mon fils, que ma parole est engagée, que je me ferais une méchante affaire de consentir à une alliance contraire à nos usages et à nos préjugés ; et que, pour tout dire enfin, une femme nest jamais assez en droit de compter sur le cur dun Français pour que nous puissions nous assurer du bonheur de votre sur en lunissant à Dorante.
Je crois, monsieur, que vous voulez bien que je triomphe, puisque vous mattaquez par le côté le plus fort.
Ce nest point en moi-même que jai besoin de chercher des motifs pour rassurer laimable Sophie sur mon inconstance, ce sont ses charmes et son mérite qui seuls me les fournissent ; quimporte en quels climats elle vive ?
Son règne sera toujours partout où lon a des yeux et des curs.
Entends-tu, ma sur ?
Cela veut dire que si jamais il devient infidèle tu trouveras dans son pays tout ce quil faut pour ten dédommager.
Votre temps sera mieux employé à plaider sa cause auprès de mon père quà minterpréter ses sentiments.
Vous voyez, seigneur Macker, quils sont tous réunis contre nous ; nous aurons affaire à trop forte partie : ne ferions-nous pas mieux de céder de bonne grâce ?
Quest-ce que cela veut dire ?
Manque-t-on ainsi de parole à un homme comme moi ?
Oui, cela se peut faire par préférence.
Obtenez le consentement de ma fille, je ne rétracte point le mien ; mais je ne vous ai pas promis de la contraindre.
Dailleurs, à vous parler vrai, je ne vois plus pour vous ni pour elle les mêmes agréments dans ce mariage : vous avez conçu sur le compte de Dorante des ombrages qui pourraient devenir entre elle et vous une source daigreurs réciproques.
Il est trop difficile de vivre paisiblement avec une femme dont on soupçonne le cur dêtre engagé ailleurs.
Ouais, vous le prenez sur ce ton ?
Oh !
Têtebleu, je vous ferai voir quon ne se moque pas ainsi des gens.
Je men vais tout à lheure porter ma plainte contre lui et contre vous : nous apprendrons un peu à ces beaux messieurs à venir nous enlever nos maîtresses dans notre propre pays ; et, si je ne puis me venger autrement, jaurai du moins le plaisir dédire partout pis que pendre de vous et des Français.
Laissons-le sexhaler en vains murmures ; en unissant Sophie à Dorante je satisfais en même temps à la tendresse paternelle et à la reconnaissance : avec des sentiments si légitimes je ne crains la critique de personne.
Ah !
Monsieur, quels transports !
Mon père, il nous reste encore le plus fort à faire.
Il sagit dobtenir le consentement de ma sur, et je vois là de grandes difficultés ; épouser Dorante et aller en France !
Sophie ne sy résoudra jamais.
Comment donc !
Dorante ne serait-il pas de son goût ?
En ce cas je la soupçonnerais fort den avoir changé.
Ne voyez-vous pas les menaces quelle me fait pour lui avoir enlevé le seigneur Jean-Mathias Macker ?
Elle nignore pas combien les Français sont aimables.
Non ; mais elle sait que les Françaises le sont encore plus, et voilà ce qui lépouvante.
Point du tout : car je tâcherai de le devenir avec elles ; et tant que je plairai à Dorante je mestimerai la plus glorieuse de toutes les femmes.
Ah !
vous le serez éternellement, belle Sophie !
Vous êtes pour moi le prix de ce quil y a de plus estimable parmi les hommes.
Cest à la vertu de mon père, au mérite de ma nation, à la gloire de mon roi, que je dois le bonheur dont je vais jouir avec vous : on ne peut être heureux sous de plus beaux auspices.