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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Antoine Le Métel, sieur d'Ourville. La Dame suivante. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 42 sc. 693 répl. 2,1 l. 1 482 l. 1 482 l. 32 % 4 684 l. (100 %) 3,2 pers.
CLIMANTE 25 sc. 190 répl. 1,6 l. 943 l. (64 %) 305 l. (21 %) 33 % 3 314 l. (71 %) 3,5 pers.
ADRASTE 10 sc. 53 répl. 3,0 l. 411 l. (28 %) 161 l. (11 %) 40 % 1 577 l. (34 %) 3,8 pers.
CARLIN 21 sc. 95 répl. 1,8 l. 813 l. (55 %) 172 l. (12 %) 22 % 3 070 l. (66 %) 3,8 pers.
ISABELLE 25 sc. 152 répl. 3,2 l. 997 l. (68 %) 484 l. (33 %) 49 % 3 519 l. (76 %) 3,5 pers.
DORISE 11 sc. 46 répl. 2,0 l. 367 l. (25 %) 92 l. (7 %) 26 % 1 462 l. (32 %) 4,0 pers.
LUCILLE 5 sc. 12 répl. 1,6 l. 235 l. (16 %) 19 l. (2 %) 8 % 958 l. (21 %) 4,1 pers.
PAMPHILE 4 sc. 16 répl. 2,2 l. 183 l. (13 %) 35 l. (3 %) 20 % 608 l. (13 %) 3,3 pers.
ARISTE 2 sc. 6 répl. 1,8 l. 77 l. (6 %) 11 l. (1 %) 14 % 170 l. (4 %) 2,2 pers.
TIMANDRE 2 sc. 5 répl. 2,2 l. 104 l. (8 %) 11 l. (1 %) 11 % 564 l. (13 %) 5,4 pers.
LEONOR 13 sc. 116 répl. 1,6 l. 546 l. (37 %) 191 l. (13 %) 35 % 2 291 l. (49 %) 4,2 pers.
le-page 1 sc. 2 répl. 1,4 l. 7 l. (1 %) 3 l. (1 %) 44 % 20 l. (1 %) 3,0 pers.
Antoine Le Métel, sieur d'Ourville. La Dame suivante. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
CLIMANTE
ADRASTE
66 l. (48 %) 32 répl. 2,1 l.
73 l. (53 %) 31 répl. 2,3 l.
6 sc. 139 l. (10 %) 3,8 pers.
CLIMANTE
CARLIN
69 l. (39 %) 49 répl. 1,4 l.
110 l. (62 %) 49 répl. 2,2 l.
15 sc. 179 l. (13 %) 3,9 pers.
CLIMANTE
ISABELLE
94 l. (35 %) 56 répl. 1,7 l.
176 l. (66 %) 57 répl. 3,1 l.
13 sc. 269 l. (19 %) 4,1 pers.
CLIMANTE
DORISE
18 l. (35 %) 8 répl. 2,2 l.
33 l. (66 %) 11 répl. 3,0 l.
4 sc. 50 l. (4 %) 5,0 pers.
CLIMANTE
LEONOR
59 l. (51 %) 44 répl. 1,3 l.
58 l. (50 %) 38 répl. 1,5 l.
7 sc. 116 l. (8 %) 5,2 pers.
CLIMANTE
le-page
1 l. (14 %) 1 répl. 0,4 l.
3 l. (87 %) 2 répl. 1,4 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
ADRASTE
ISABELLE
5 l. (92 %) 3 répl. 1,4 l.
1 l. (9 %) 1 répl. 0,4 l.
2 sc. 4 l. (1 %) 5,7 pers.
ADRASTE
ARISTE
59 l. (85 %) 7 répl. 8,3 l.
11 l. (16 %) 6 répl. 1,8 l.
2 sc. 69 l. (5 %) 2,2 pers.
ADRASTE
TIMANDRE
7 l. (77 %) 3 répl. 2,0 l.
2 l. (24 %) 1 répl. 1,8 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 3,0 pers.
ADRASTE
LEONOR
21 l. (55 %) 9 répl. 2,2 l.
18 l. (46 %) 10 répl. 1,7 l.
3 sc. 37 l. (3 %) 5,7 pers.
CARLIN
ISABELLE
35 l. (37 %) 25 répl. 1,4 l.
61 l. (64 %) 28 répl. 2,2 l.
8 sc. 95 l. (7 %) 4,2 pers.
CARLIN
DORISE
23 l. (56 %) 15 répl. 1,5 l.
18 l. (45 %) 12 répl. 1,5 l.
4 sc. 40 l. (3 %) 4,1 pers.
CARLIN
LEONOR
6 l. (41 %) 6 répl. 0,9 l.
8 l. (60 %) 9 répl. 0,8 l.
4 sc. 13 l. (1 %) 5,2 pers.
ISABELLE 12 l. (100 %) 1 répl. 12,0 l. 1 sc. 12 l. (1 %) 1,0 pers.
ISABELLE
DORISE
62 l. (66 %) 20 répl. 3,1 l.
33 l. (35 %) 20 répl. 1,6 l.
7 sc. 94 l. (7 %) 3,8 pers.
ISABELLE
PAMPHILE
50 l. (71 %) 7 répl. 7,1 l.
21 l. (30 %) 7 répl. 2,9 l.
4 sc. 70 l. (5 %) 3,3 pers.
ISABELLE
LEONOR
124 l. (62 %) 37 répl. 3,3 l.
79 l. (39 %) 42 répl. 1,9 l.
10 sc. 201 l. (14 %) 4,5 pers.
DORISE
LEONOR
2 l. (25 %) 2 répl. 0,7 l.
5 l. (76 %) 5 répl. 0,9 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 6,0 pers.
LUCILLE
PAMPHILE
6 l. (61 %) 5 répl. 1,2 l.
4 l. (40 %) 5 répl. 0,8 l.
1 sc. 10 l. (1 %) 3,0 pers.
LUCILLE
LEONOR
13 l. (37 %) 7 répl. 1,8 l.
23 l. (64 %) 8 répl. 2,8 l.
4 sc. 36 l. (3 %) 4,4 pers.
PAMPHILE
LEONOR
11 l. (87 %) 3 répl. 3,3 l.
2 l. (14 %) 3 répl. 0,5 l.
1 sc. 12 l. (1 %) 4,0 pers.
TIMANDRE
LEONOR
7 l. (87 %) 3 répl. 2,0 l.
1 l. (14 %) 1 répl. 0,9 l.
1 sc. 7 l. (1 %) 3,0 pers.

Antoine Le Métel, sieur d'Ourville

1643

La Dame suivante. Comédie

Édition de Fabienne Sebert
sous la direction de Georges Forestier
2016
?.
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2016, license.
Source : La Dame suivante, Comédie, A PARIS, Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. XXXXV. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LA
DAME
SUIVANTE.
COMEDIE. §

EPISTRE.
A MONSEIGNEUR
LE DUC
DE GUISE, &c. §

MONSEIGNEUR ,

Encor que VOSTRE ALTESSE ne se doive abbaisser qu’à des choses serieuses, elle me pardonnera, s’il luy plaist, si je prens la hardiesse de me servir de son nom pour la protection de cet ouvrage que je mets au jour. Quand le monde sçaura qu’il luy a pleu par deux fois de suite voir la representation de cette Piece, & qu’elle y a trouvé beaucoup de divertissement, comme elle mesme m’a fait l’honneur de m’en asseurer, je suis tres certain que personne ne la trouvera mauvaise. Cette particularité donc m’estant necessaire pour faire taire les critiques, V.A. trouvera bon, MONSEIGNEUR, que je me serve de toutes mes pieces en une chose qui m’est d’une telle consequence. Si V.A. estime cet ouvrage indigne d’elle, je me console, que pour grand qu’il puisse estre, il n’aura jamais cette qualité. Cette Comedie a eu l’heur de reüssir sur le Theatre, & d’avoir attiré l’approbation des plus difficiles pour ce qui est du sujet que l’on a trouvé surprenant, extrémement intrigué, & raisonnablement débrouillé ; Et puis que V.A. a eu assez de bonte, comme j’ay dit, d’avoir honoré sa representation par deux fois de son Illustre presence, elle y aura, sans doute, trouvé des satisfactions qu’elle n’aura pas sur ce papier ; les Acteurs luy ont donné beaucoup d’éclat, & je ne croy pas que toute nuë elle paroisse dans vostre Cabinet avec toutes les graces & tous les avantages que l’Art luy a donné ; aussi n’ay-je pas la presomption de croire qu’estant à present occupé à faire paroistre vostre genereux Courage contre les Ennemis de cet Estat, vous vous amusiez à jetter les yeux dessus, ny que vous dérobiez à la gloire de vostre Prince que vous servez, des moments qui luy sont si necessaires pour considerer cette bagatelle.. Je me contenteray seulement, MONSEIGNEUR, de sçavoir que V.A. m’honore jusques-là de luy donner place dans vostre Biblioteque, & que cette Dame Suivante ait l’honneur de l’estre de quantité de graves Autheurs qui la remplissent, & qu’elle m’acquiere celuy où il y a si long-temps que j’aspire de me pouvoir qualifier,

MONSEIGNEUR,

DE VOSTRE ALTESSE,

Le tres-humble, & tres-

obeïssant serviteur,

D’OUVILLE

LES ACTEURS, §

  • CLIMANTE, Cavalier Parisien, Amoureux de Leonor.
  • ADRASTE, Cavalier Parisien, Amy de Climante, & Amoureux d’Isabelle.
  • CARLIN, Valet bouffon de Climante, & Amoureux de Dorise.
  • ISABELLE, Damoiselle Lyonnoise, Maistresse d’Adraste & Amoureuse de Climante.
  • DORISE, Suivante d’Isabelle, & Amoureuse de Carlin.
  • LUCILLE, Damoiselle Suivante de Leonor.
  • PAMPHILE, Vieillard, Maistre d’Hostel d’Isabelle.
  • ARISTE, Serviteur, Confident d’Adraste.
  • TIMANDRE, Vieillard, Oncle de Leonor.
  • LEONOR, Damoiselle Parisienne, Amoureuse de Climante.
La Scene est à Paris.

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

CLIMANTE, ADRASTE.

CLIMANTE.

Oüy vous avez querelle, et je sçay de certain {p. 1}
Que vous vous allez batre, Adraste à quel dessein
Vous cachez-vous de moy ?

ADRASTE.

L’estrange resverie ! {p. 2}

CLIMANTE.

Servez-vous de mon bras, cher Amy, je vous prie,
5 Aussi bien d’aujourd’huy je ne vous quitte point :
Et quoy méprisez-vous vos Amys à ce poinct ?

ADRASTE.

Ah vous me contraignez*.

CLIMANTE.

Mon devoir me l’ordonne,
Enfin de tout le jour je ne vous abandonne.

ADRASTE.

En pensant me servir, vous nous perdez tous deux.

CLIMANTE.

10 Dites-m’en la raison.

ADRASTE.

Climante je le veux.
Je ne m’en puis desdire, il faut pour me deffaire
De vos civilitez enfin vous satisfaire :
Oüy, vous avez raison, je ne le puis nier, {p. 3}
Je m’en vay de ce pas trouver un Cavalier
15 Que l’on a mal traitté, qui veut en ma presence,
Tirer l’espee au poing raison de cette offence,
Je ne suis que second, et fais ce que je doy ;
Vous auriez grand sujet* de vous plaindre de moy,
Me trouvant l’agresseur, si j’en employois d’autres,
20 Et fiois mon honneur en d’autres mains qu’aux vostres.

CLIMANTE.

S’il est vray, je vous laisse et sans plus contester,
Je ne doy davantage ici vous arrester*.

ADRASTE.

Si je reviens vainqueur d’où l’honneur nous appelle,
Vous sçaurez le premier cette heureuse nouvelle.

CLIMANTE.

25 Adieu donc cher Amy, puis que je ne puis mieux,
Je vay faire pour vous des prieres aux Cieux. 
{p. 4}

SCENE II. §

CLIMANTE, CARLIN.

CLIMANTE dans la ruë.

Je le quitte à regret. Le sort douteux des armes
Pour ce parfait amy me donne des alarmes.
Qui t’ameine Carlin ?

CARLIN.

Je vous viens advertir
30 Que ce soir Leonor s’en va se divertir* :
Mais quoy ? recevez-vous avec si peu de joye
Ce bien inesperé que le Ciel vous envoye ?
Je vous le fais sçavoir par son commandement.

CLIMANTE.

Mais que veut cette femme ?

CARLIN.

Elle vient brusquement.
{p. 5}

SCENE III. §

ISABELLE, DORISE, CLIMANTE, CARLIN.

ISABELLE.

35 Protegez, Cavalier, une innocente femme,
Qu’un jaloux sans sujet* veut traitter en infame ;
Je me jette à vos pieds, j’embrasse vos genoux,
Sauvez-moy s’il vous plaist des mains de mon époux ;
Et souffrez, que si c’est ici vostre demeure,
40 Elle me serve au moins d’azile pour une heure.
Mon jaloux furieux suit l’épee à la main
Un jeune Cavalier, qui sans mauvais dessein
Discouroit avec moy dans ma chambre, et je jure
Qu’il n’a receu de luy, ny de moy nulle injure :
45 Mais quoy ? c’est un brutal* qui n’entend point raison.

CLIMANTE.

Ne craignez rien, Madame, entrez dans ma maison,
Ou s’il veut contre vous quelque chose entreprendre
Je ne manqueray point de cœur pour vous deffendre,
Ny d’amis s’il m’en faut en ce pressant besoin,
50 Y deusse-je perir, non laissez m’en le soin. {p. 6}

ISABELLE.

Je vous devray, Monsieur, et l’honneur et la vie ;
A la chaude* je crains de me voir poursuivie,
Cachez-moy seulement pour deux heures ici,
Je ne crains rien apres, laissez-m’en le souci*,
55 J’ay moyen de me mettre en un lieu d’asseurance.

CLIMANTE.

Je prens de tout mon cœur en main vostre defense,
Et donneray bon ordre à vostre seureté.

ISABELLE.

Vostre cœur marque icy sa generosité.

CLIMANTE.

Quand de mille jaloux vous seriez poursuivie,
60 Je vous garantirois où je perdrois la vie.

ISABELLE.

J’accepte cet honneur, mais à condition
Qu’encor je vous auray cette obligation,
Que dans l’apartement où vous me voulez mettre,
Nul n’entrera que vous, le voulez-vous promettre ?
{p. 7}

CLIMANTE.

65 Non seulement je doy vous accorder ce poinct,
Mais s’il vous plaist encor, je ne vous verray point.
Il luy donne une clef.
Madame, entrez, voila la clef que je vous donne,
Enfermez-vous dedans, et n’ouvrez à personne,
Je m’en vay voir dehors si l’on vous poursuit pas.
70 Carlin, va la conduire.
Carlin sort.

SCENE IV. §

CLIMANTE, CARLIN.

CLIMANTE, seul.

O Dieux qu’elle a d’appas,
Ou le masque me trompe, ou cet objet* aimable
Ne void rien dans Paris qui luy soit comparable ;
Ah Dieux ! qu’elle a de grace à plaindre son malheur ?
Et que je suis touché de sa juste douleur,
75 Que contre ce jaloux ma colere s’irrite ;
Carlin rentre.
Je n’ay que d’un moment retardé ma visite.
Pardonnez Leonor : Allons, suy-moy Carlin.

CARLIN.

En verité, Monsieur vous n’estes guere fin, {p. 8}
Je viens à double tour de fermer la valise ;
80 Comment laisser entrer avec tant de franchise
Ces visages chez vous qui vous sont incognus ?
J’ay mis en seureté ce sac de quarts-d’escus
Que vous m’aviez donné pour faire la despense.
Ces Nymphes pourroient faire avec eux cognoissance ;
85 Dans Paris nous devons de tout nous deffier*,
Je ne laisserois pas à leur voye un denier,
Je serois un niais si j’estois si credule,
Puis vous m’accuseriez d’avoir ferré la mule*.

CLIMANTE.

Ta deffiance icy paroist hors de saison,
90 Considere leur mine, ah tu n’as pas raison.

CARLIN.

Ne nous fions, Monsieur, nullement aux visages,
Chacun joüe à Paris d’estranges personnages,
Et sans vous faire tort je cognoy des filoux
Qui du moins ont la mine aussi bonne que vous.
95 Quand aux Dames aussi, telle fait la doucette
Qui sçait subtilement ployer une toilette*.

CLIMANTE.

Laissons-là ce discours, tai-toy, sortons d’icy. {p. 9}

SCENE V. §

ISABELLE, DORISE dans la chambre de Climante.

ISABELLE.

Sont-ils partis, Dorise.

DORISE.

Ouy : Mais Dieux qu’est-cecy !
Veillay-je*, ou si je dors ? quelle est cette advanture ?
100 A-t’on jamais parlé de pareille imposture ?
Vous estes fille encor, et d’un mary jaloux
Vous fuyez la colere ! ô Dieux que dites-vous !
Lors que si brusquement vous estes descenduë,
Laissant vostre carosse au coin de cette ruë,
105 Faisant signe au cocher de vous attendre-là,
Je n’ay peu deviner où tendoit tout cela :
Vous avez d’un tel art appuyé cette fable
Que j’ay creu, peu s’en faut, qu’elle estoit veritable,
Et j’ay tourné les yeux plusieurs fois tout exprez, {p. 10}
110 Croyant que ce mary vous poursuivoit de prez :
Vous femme ! O Dieux qu’entens-je ? estes-vous insensée ?

ISABELLE.

Il est force* qu’icy je t’ouvre ma pensée,
Puis qu’à chaque moment j’auray besoin de toy,
Je t’en veux declarer la cause, escoute-moy,
115 Dorise, tu sçais bien que je suis estrangere,
Que je suis fille unique, et sans pere et sans mere,
Et je puis declarer icy sans vanité,
Qu’avec si peu qu’on dit estre en moy de beauté,
Je possede de plus des biens en abondance,
120 Lyon est, tu le sçais, le lieu de ma naissance,
D’où je suis arrivée à Paris, à dessein
D’y poursuivre un procez dont j’espere le gain,
Qui m’importe beaucoup ; Mais qu’est-il necessaire
De venir à present te conter cette affaire,
125 Tu le sçais comme moy, brisons*, venons au poinct,
Et declarons un fait qu’encor tu ne sçais point.
Jusques ici j’estois à l’Amour insensible,
Mais en voyant Climante, il me fut impossible
De resister aux traicts d’un si puissant Vainqueur,
130 Je luy voulus offrir, et mes biens, et mon cœur :
Mais avant que de faire un entier sacrifice {p. 11}
De ce cœur à Climante, admire mon caprice :
J’ay desiré sçavoir s’il estoit genereux,
Afin de preferer à celle d’Amoureux
135 Cette vertu que j’ayme en un cœur magnanime,
Sans laquelle je fay des autres peu d’estime :
Doutant s’il estoit tel, j’ay feint pour le sçavoir,
Ce que tu viens d’entendre, et que tu viens de voir,
Pour cognoistre en effet, s’il auroit l’asseurance*
140 De vouloir hazarder* sa vie en ma defence :
Ce qu’il a fait, Dorise, avec un cœur si franc,
Qu’il n’a point hesité de prodiguer son sang,
Il s’est offert à moi, mais de si bonne grace,
Qu’ il n’est rien à present que pour luy je ne face ;
145 Puis donc que j’ay cognu ce qu’il est aujourd’huy,
Je n’ay plus qu’une chose à desirer pour lui.

DORISE.

Quelle est-elle, Madame ?

ISABELLE.

Ah Dorise ! qu’il m’aime.

DORISE.

Moderez les transports* de cette ardeur extréme,
Pardonnez si je dy que vous avez grand tort, {p. 12}
150 Adraste qui vous aime, et vous cherit si fort
Merite-t’il de vous un traitement si rude,
De le vouloir payer de telle ingratitude ?

ISABELLE.

Adraste est importun, il desplaist à mes yeux,
Dorise, ses respects me sont tous odieux,
155 Ses transports* amoureux excitent ma cholere,
Je ne le puis souffrir ;

DORISE.

Que pretendez-vous faire,
Attendant que Climante ici soit de retour ?

ISABELLE.

Seconde mes desseins, je t’en conjure Amour,
Fay qu’en ce cabinet ma douleur se dissipe.

DORISE.

160 Je crains bien que Climante ici ne s’émancipe,
Vous vous embarassez l’esprit mal à propos.

ISABELLE.

Va Dorise, tay-toy, si je perds le repos
Avec la liberté, je n’ay point, ce me semble, {p. 13}
Perdu le jugement.

DORISE.

Je le croy, mais j’en tremble.

SCENE VI. §

LEONOR, CARLIN, CLIMANTE dans la ruë.

LEONOR.

165 Qu’on fasse promptement avancer mon cocher.

CARLIN.

Je viens presentement* de l’envoyer chercher,
Car il n’est pas ici, ne croyant pas, peut-estre,
Que vous vinsiez si-tost.

LEONOR.

Voyez un peu le traistre,
Me laisser à la ruë à telle heure qu’il est ? {p. 14}
170 Rentrons,

CARLIN.

Tout est fermé.

CLIMANTE.

Madame, s’il vous plaist
Venir en mon logis attendant sa venuë.

LEONOR.

Quoy ! demeurerions-nous à pied dedans la ruë
A telle heure qu’il est ! allons je le veux bien.

CLIMANTE.

C’est à vingt pas d’ici.

CARLIN bas.

Dieux ! il ne songe à rien ;
175 Il ne se souvient plus de la Dame enfermée,
Leonor seroit bien de cholere animée
Venant à la trouver : Dieux tout seroit perdu ;
Il l’en faut advertir ; Monsieur.

CLIMANTE.

Que me veux-tu ?

CARLIN bas à Climante.

Vous ne songez à rien : craignez-vous point le blâme {p. 15}
180 Qu’elle vous donneroit, en voyant cette femme
Que vous tenez chez vous ?

CLIMANTE bas à Carlin.

J’ay les sens tous confus,
Je proteste*, Carlin, que je n’y songeois plus.
Quel remede à present ? comment pourray-je faire ?

CARLIN bas à Climante.

Vous ne pourriez jamais appaiser sa cholere,
185 Gardez-la d’y venir.

CLIMANTE bas à Carlin.

C’est ce que je pretends.

LEONOR.

Ce discours entre vous durera-t’il long-temps ?
Dépeschons-nous, Climante, allons.

CLIMANTE.

Non, non, Madame,
On en pourroit causer, et vous donner du blâme,
Le cocher va venir, attendons s’il vous plaist, {p. 16}
190 Il seroit indecent à telle heure qu’il est
Que l’on vous vist chez moy.

LEONOR bas.

Grands Dieux, je desespere,
Sans doute ce discours cache quelque mistere.

CARLIN.

Le cocher est venu.

LEONOR bas.

Je creve de courroux.

CLIMANTE.

Il vaut donc mieux, Madame, aller tout droit chez vous.

LEONOR.

195 Je ne me repais pas d’une fourbe pareille,
Carlin vous a parlé quelque temps à l’oreille,
Dont vostre esprit confus paroist tout interdit,
Sçachons ce qui vous trouble, et ce qu’il vous a dit.

CLIMANTE.

Madame il est bien vray que je le voulois taire : {p. 17}
200 Mais si vous le voulez il vous faut satisfaire,
Je vous l’ay teu de peur de vous inquieter,
Adraste est mon Amy, vous n’en pouvez douter,
Mesme il vous fut un temps serviteur tres-fidele :
Je viens d’aprendre ici qu’il avoit eu querelle.

LEONOR bas.

205 Tu ments, et tu sçais mal couvrir ta trahison,
Dissimulons pourtant.
Haut.
Oüy vous avez raison :
Allez à vostre Adraste offrir vostre service,
Si je vous arrestois je ferois injustice,
Vostre logis est prez, je m’en iray sans vous.

CLIMANTE.

210 Madame s’il vous plaist.

LEONOR bas.

Je brusle de courroux.
Non demeurez ici :
Bas.
Que ce discours me picque*.

CLIMANTE.

Vous me le commandez, j’obey sans replique. {p. 18}

CARLIN.

Mieux que nous n’esperions la chose a reüssi.

SCENE VII. §

ISABELLE, DORISE dans la chambre de Climante.

ISABELLE.

Climante tarde trop, retirons-nous d’ici,
215 Quelle peine grands Dieux à la mienne est egale ?
Sans doute il s’entretient avec quelque rivale,
Quelque objet* plus puissant aura peu le charmer.

DORISE.

Vous ne l’en pouvez pas ce me semble blâmer,
Puis qu’il ne peut sçavoir que vous l’aimez encore.

ISABELLE.

220 Helas si je me plains du feu qui me devore, {p. 19}
Je n’en accuse ici que mon propre malheur.

DORISE.

Parlez luy franchement, ouvrez luy vostre cœur.

ISABELLE.

Ce seroit encor pis.

DORISE.

Que voulez-vous donc faire ?

ISABELLE.

Il faut bien me resoudre à souffrir, et me taire,
225 Puis que je ne voy point de remede à mon mal :
Ah ! ce retardement* est un signe fatal
Que l’ingrat aime ailleurs, helas il me mesprise !
Sortons, fay r’aprocher mon carosse, Dorise.

DORISE.

Demeurerez-vous seule ?

ISABELLE.

Oüy, que redoutes-tu ?

DORISE.

230 Je croy bien que Climante est la mesme Vertu ; {p. 20}
Mais pourtant.

ISABELLE.

A quoy bon d’avoir ces meffiances,
Va va, je ne suis pas si seule que tu penses,
J’ay bonne compagnie estant seule avec moy.
Dorise en sortant rencontre Climante.

SCENE VIII. §

CLIMANTE, DORISE, ISABELLE.

CLIMANTE dans la mesme chambre.

Que fait vostre Maistresse ?

DORISE.

Elle n’a plus je croy
235 Tant de troubles dans l’ame, elle est bien consolée {p. 21}
Depuis qu’elle a receu la faveur signalée*
Qu’il vous a pleu.

CLIMANTE.

Sçachez si je la pourrois voir.

DORISE.

Je croy qu’oüy, Monsieur, je m’en vay le sçavoir.
Elle parle à Isabelle par la porte du cabinet.
Ce Cavalier, Madame, est ici qui desire…

ISABELLE dedans, l’interrompant.

240 Tai-toy, je sçais assez ce que tu me veux dire,
Je me masque, et je sors.
Elle sort masquée.
Je commençois Monsieur,
D’estre en peine* de vous, et je mourois de peur
Que mon jaloux Mary.

CLIMANTE.

Je n’ay rien veu, Madame,
Mais mon retardement* merite un peu de blâme,
245 Le devoir m’a forcé de vous quitter ainsi.

ISABELLE.

Il est tard, permettez que je sorte d’ici,
Je n’ay plus rien à craindre, adieu, je vous rends grace : {p. 22}
A Dorise.
Va trouver ma cousine, et luy dy qu’elle fasse
Aprester son carosse ; il fait desja bien noir,
250 Il me faudra coucher chez elle pour ce soir.

DORISE.

Bien, j’y cours ;
Dorise sort.

CLIMANTE.

Il n’est pas si tard comme vous dites.

ISABELLE.

Des lieux d’où vous venez de faire vos visites,
Le temps vous a semblé beaucoup plus court qu’à nous.

CLIMANTE.

Je l’aurois mieux passé sans doute auprez de vous.
255 Où voulez-vous aller, quelle affaire vous presse ?
Certes pour cette nuict vous serez mon Hostesse,
Disposez du logis.

ISABELLE.

Il est bien plus seant
D’aller où l’on m’attend. {p. 23}

CLIMANTE.

Obligez*-moy devant*
De me permettre au moins d’avoir cet avantage
260 De contempler les traits de ce parfait visage.

ISABELLE.

Vous faites là, Monsieur, un fort mauvais souhait,
Et vous en allez estre assez mal satisfait.
Comme elle veut oster son masque on frappe à la porte.
Toutesfois pardonnez, on frappe à cette porte :
Grands Dieux, j’aymerois mieux mille fois estre morte
265 Qu’un autre homme que vous me vist dedans ces lieux.

CARLIN.

C’est Adraste, Monsieur.

ISABELLE.

Adraste, justes Dieux !

CLIMANTE.

Quel estrange accident* vous cause cette veuë.

ISABELLE.

Si cet homme me voit, Monsieur, je suis perduë, {p. 24}
Il est proche parent du Mary que je crains.

CLIMANTE.

270 R’entrez, et là dedans vos soubçons seront vains,
Ne redoutez, Madame, ici nulle surprise.
Isabelle entre dans le Cabinet qu’on s’imagine estre derriere le Theatre, et Climante l’y conduit.

SCENE IX. §

ADRASTE, CLIMANTE.

ADRASTE seul dans la mesme chambre.

Dieux que je suis surpris ! seroit-ce bien Dorise
Que j’ay veuë en entrant ? non, non, cela n’est pas :
Car quel Demon pourroit conduire ici ses pas ?
275 Non, ma veuë aisément se peut estre trompée, {p. 25}
Et ma peur en ce lieu doit estre dissipée.
Dorise, justes Dieux ! pourquoy sortir d’ici ?
Non cela ne peut estre.
Climante sort du cabinet.

CLIMANTE.

Adraste, vous voici ?
J’en suis ravi, comment s’est terminé l’affaire ?

ADRASTE.

280 Nous avons eu tous deux la Fortune prospere :
Entrons au cabinet.

CLIMANTE le repoussant.

N’entrez pas là.

ADRASTE.

Pourquoy ?

CLIMANTE.

Ainsi que vous n’avez rien de caché pour moy,
Je n’ay pour vous, Adraste, aucun secret en l’ame.
Quoy qu’on m’ait defendu de le dire, une Dame
285 Est là, qui ne veut point que vous sçachiez son nom, {p. 26}
Ny que vous la voyez.

ADRASTE.

Mais pour quelle raison ?

CLIMANTE.

Je vous diray que c’est.

ADRASTE.

Dites tost je vous prie

CLIMANTE bas.

Il faut en ce besoin user de menterie*.
Haut.
Cher Adraste, je veux vous parler franchement ;
290 Leonor est entrée en cet apartement,
Qui d’autre que de moy ne veut point estre veuë :
Elle est preste à sortir.

ADRASTE.

Je vay donc dans la ruë
Attendant qu’elle sorte. {p. 27}

CLIMANTE.

Allez-y faire un tour.

ADRASTE bas.

Courage, tout va bien, je te rends grace, Amour,
295 Que ce soit Leonor, et non pas Isabelle.

CLIMANTE.

Vous me permettrez bien de r’entrer avec elle.
Climante r’entre dans le Cabinet.
{p. 28}

SCENE X. §

LEONOR, ADRASTE, CARLIN, CLIMANTE, DORISE, ISABELLE, LUCILLE.
Comme Adraste veut sortir de la chambre, il rencontre à la porte Leonor qui vient voir Climante.

LEONOR.

C’est Adraste qui sort de chez luy.

ADRASTE.

Qui va là ?

LEONOR.

C’est moy, c’est Leonor.

ADRASTE.

Que veut dire cela ?
Leonor, est-ce vous ?

LEONOR.

Vous m’avez mise en peine, {p. 29}
300 C’est vostre seul sujet*, Adraste, qui m’emmeine*,
Je me réjoüy fort de vous voir en santé*.

ADRASTE.

Quelles illusions ! quoy donc suis-je enchanté* !
Pouvez-vous estre ici (Dieux cela m’épouvante)
Et dans un cabinet encor, avec Climante ?

LEONOR.

305 Adraste, révez-vous ?

ADRASTE.

Luy-mesme me l’a dit.

LEONOR.

Ah ! je m’en doutois bien, Adraste, on me trahit.

ADRASTE bas.

Mais moi-mesme, ah l’ingrate ! ah Dieux l’ame infidelle !
Allons droit de ce pas au logis d’Isabelle ;
Haut.
Madame, je vous quitte ; ah ! j’en eusse juré. {p. 30}
Adraste sort.

LEONOR entre dans la chambre où elle trouve Carlin.

310 Que fait ton Maistre ?

CARLIN.

Il est, que je croy, retiré*.

LEONOR.

Ouvre, je le veux voir.

CARLIN bas.

La chose est sans remede.
Climante sort du cabinet.
Tout est perdu, Monsieur :

CLIMANTE bas.

Dieux soyez à mon aide :
Haut.
Quel excez de faveur à ces heures ici ?

LEONOR.

Ne vous estonnez pas, j’en dois user ainsi.
315 Je ne puis oublier qu’Adraste m’a servie,
Et comme il a couru fortune de la vie,
Comme vous m’avez dit, je veux sçavoir comment
S’est passé son affaire.

CLIMANTE.

A son contentement. {p. 31}

LEONOR.

Sans mentir, cette chambre est curieuse et belle,
320 Cette tapisserie est de façon nouvelle ;
Où sont vos beaux Tableaux ?

CLIMANTE.

Dedans mon cabinet.

LEONOR.

Entrons, je les veux voir.
Elle va pour entrer, et Climante l’arreste.

CLIMANTE.

Madame, il n’est pas net :
Demain asseurément je prendray plus de peine
Pour le mieux ajuster*.

LEONOR.

Cette raison est vaine,
325 Qu’importe :

CLIMANTE bas.

Ah je meurs ! Non vous n’entrerez point.

LEONOR.

Climante, je vous trouve interdit de tout point ; {p. 32}
C’est pour ce seul sujet* que j’en ay plus d’envie,
Je verray ce que c’est, ou je perdray la vie.

CLIMANTE la retenant.

Pour cause, n’entrez point.

LEONOR.

Je veux sçavoir que c’est :
Bas.
330 Sans doute on me trahit.

DORISE entre qui la prend pour sa Maistresse.

Le carosse est tout prest,
Madame on vous attend.

LEONOR.

Ce message s’adresse
A d’autre.

DORISE surprise.

Je pensois parler à ma Maistresse ;
Qu’est-elle devenuë ? {p. 33}

CLIMANTE bas.

Ah que je suis confus !

LEONOR.

Ce Cavalier pourra respondre là dessus.
A Climante.
335 Dy perfide, à present que tu n’es pas un traistre ?
N’es-tu pas convaincu* ?

CLIMANTE.

Je vous feray paroistre
Que je suis innocent, Madame, croyez-moy.

LEONOR.

Comment pourrois-tu l’estre, ingrat ? dy moy pourquoy ?
Tu tiens au cabinet une femme enfermée :
340 Crois-tu tromper mes sens comme à l’accoustumée ?

CLIMANTE.

Vous m’accusez à tort, et vous avez raison :
Un Amy m’a tantost demandé ma maison
Pour pouvoir librement parler à sa Maistresse :
Ils sont seuls là dedans. {p. 34}

LEONOR bas.

Il ment avec adresse ;
Haut.
345 S’il est vray j’ay grand tort.

CLIMANTE.

Madame, asseurément
Il n’est rien de plus vray.

ISABELLE sort du cabinet masquée, et dit.

Je proteste* qu’il ment,
Climante, à quel dessein une telle imposture ?
Et m’y faire servir de pretexte ?

LEONOR.

Ah ! parjure,
Auras-tu bien le front* encor de repartir* !

CLIMANTE.

350 Croyez qu’asseurément je la vay démentir*.
A Isabelle.
Ne nous déguisez rien, au nom des Dieux, Madame,
Dites pour quel sujet*.

LEONOR.

Ah le traistre ! ah l’infame ! {p. 35}
A-t’il encor le front* de vouloir contester ?

ISABELLE.

Suffit-il point, Climante, ici de m’affronter,
355 Sans me faire mentir ?

CLIMANTE.

Dieux quelle effronterie.
Pouvez-vous soustenir ?

ISABELLE.

Climante, je vous prie
De ne m’obliger point maintenant à parler,
Car quand on me dément* je ne puis rien celer.

CLIMANTE.

Parlez, je ne crains rien.

LEONOR.

Voyez un peu l’audace.

ISABELLE à Leonor.

360 Je m’en vay donc parler, escoutez-moy de grace,
Je vous dis franchement, si vous voulez sçavoir {p. 36}
Qui m’emmeine* en ce lieu : c’est luy, c’est pour l’y voir.
Comme nous discourions, et nous tenions ensemble
Quelque propos d’Amour, un Amy ce me semble,
365 Est venu pour le voir : luy tout surpris me met
Pour me cacher de luy dedans ce cabinet.
Incontinent* apres vous estes arrivée,
Qui pensiez me braver, mais je vous ay bravée :
Ma servante est venuë incontinent* apres
370 M’advertir devant vous, qu’un carosse ici prez
M’attend pour me mener* ; Madame je vous cede
Le bien que j’y pretends ; Quoy que je le possede
Ne m’en sçachez pas gré, c’est peu vous obliger*
De vous faire un present d’un Amant si leger.
Bas.
375 Que leur confusion encor est redoublée :
Mais ils sont moins confus que je ne suis troublée.

CLIMANTE à Leonor.

Madame, prenez garde aux sermens que je fais.

LEONOR.

Traistre, n’espere pas de me revoir jamais.
Elle s’en veut aller, et Climante la retient.

ISABELLE à Dorise.

Allons mamie, allons ;

DORISE bas à Isabelle.

J’ay la clef de la porte, {p. 37}
380 La rendray-je ?

ISABELLE bas à Dorise.

Non pas, ainsi que toy j’emporte
Celle du cabinet.

LEONOR à Climante.

Va, tu n’es qu’un trompeur.

ISABELLE bas à Dorise.

Ce sont gages des lieux où je laisse mon cœur.
Isabelle et Dorise sortent.

CLIMANTE à Leonor, la retenant.

Madame demeurez, escoutez-moy de grace.

LEONOR.

Si c’est avec dessein que je me satisface,
385 Je ne le suis que trop de vos perfides traits ;
Adieu, perfide, ingrat.
Leonor et Lucille sortent.

CLIMANTE.

Carlin, courons apres,
Car ma vie en dépend. {p. 38}

CARLIN.

Voyez quelle malice,
Si je m’en deffiois c’estoit avec justice.

CLIMANTE.

Courons, cette impudente a destruit mon amour.

CARLIN.

390 L’adrette, la matoise*, ô Dieux le plaisant tour !
Ils courent apres Leonor.

Fin du premier Acte.

{p. 39}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

ADRASTE, ARISTE dans la ruë à la porte de Climante.

ADRASTE.

Quoy, Climante n’est pas en son logis, Ariste ?

ARISTE.

Non, mais desirez-vous estre ainsi toûjours triste ?
Reprenez une fois vos esprits : quoy Monsieur,
Voulez-vous toûjours estre en si mauvaise humeur ?
395 Qu’est devenu ce cœur jadis plein de constance ?
N’estes-vous point guery de cette deffiance ?

ADRASTE.

J’y suis plus que jamais, Ariste, et je ne puis {p. 40}
Retirer mon esprit de ce gouffre d’ennuis*,
Je ne cognoy plus rien capable de me plaire,
400 Je ne sçais que te dire, et je ne puis que faire.
Puis-je estre moins confus et moins embarassé ?
N’as-tu pas sceu de moy tout ce qui s’est passé ?
Tout ce qu’hier au soir m’arriva chez Climante ?
Ariste plus j’y pense, et plus mon mal s’augmente.
405 Il est vray que Climante a fait tout son effort
Pour bannir ces soubçons qui me donnoient la mort ;
Mais quoy qu’il puisse dire, et quoy qu’il puisse feindre,
J’ay bien moins de sujet* d’esperer que de craindre,
Bien loin de m’esclaircir, son excuse m’aigrit,
410 Me gesne, m’embarasse, et me trouble l’esprit :
Je voy dans ce cahos mes raisons confonduës :
Doy-je douter encor des choses que j’ay veuës ?
Et dans ce grand malheur que je craignois le moins,
Doy-je accuser mes yeux d’estre deux faux témoins ?
415 Avec mes Ennemis sont-ils d’intelligence* ?
Mais doy-je croire aussi que Climante m’offence ?
Non, non, je ne doy point soubçonner en effet,
Rien qui puisse offencer un Amy si parfait,
Il aime Leonor, il meurt d’amour pour elle, {p. 41}
420 Et je ne pense pas qu’il cognoisse Isabelle.
Non, non, mes faux soubçons m’ont tres-mal adverti,
Et quiconque m’en dit autant qu’eux a menti ;
Vous vous trompez, mes yeux, et Climante sans doute
M’a dit la verité : non vous ne voyez goute*,
425 Vous l’accusez à faux* ; mais hier en effet,
Climante embarassé fut pris dessus le fait,
Son mensonge d’abord me parut manifeste ;
A quoy bon me mentir ? puis quand je pense au reste
Je me trouve surpris d’une estrange façon,
430 Et le tout joint ensemble accroit bien mon soubçon :
Je fus hier au soir au logis d’Isabelle,
Et je vy que fort tard elle r’entroit chez elle ; 
Lors* sans me faire voir je rebroussé chemin,
Je fus revoir Climante, et je luy dis enfin
435 Ce que j’apprehendois, je luy fy mon histoire,
Et luy dy que j’avois juste sujet* de croire
Qu’il estoit mon Rival, et que cette beauté
Qu’il m’avoit fait passer sous un nom emprunté,
Estoit mon Isabelle ; il me jure au contraire
440 Que ce n’estoit point elle, et me conte un mistere
Tellement esloigné du sujet* de ma peur,
Qu’il la fit dissiper ainsi qu’une vapeur ;
Il me jura cent fois pour m’oster cet ombrage*, {p. 42}
Qu’il n’avoit jamais veu les traits de son visage,
445 Qu’elle fuyoit des mains de son Mary jaloux,
Et de plus que j’estois parent de son Espoux ;
Si Climante dit vray, cette histoire est estrange.

ARISTE.

Mais seroit-il point homme à vous donner le change* ?

ADRASTE.

Helas je n’en sçay rien, j’ay les sens tous confus :
450 Attendons que le temps m’instruise là-dessus.

ARISTE.

Mais à tout ce discours, que dit vostre Isabelle.

ADRASTE.

C’est ce qui fait ma peine, Ariste, la cruelle
D’ici s’est absentée, et j’oserois jurer
Qu’elle l’a faict exprez pour me desesperer.
455 Dès la pointe du jour la cruelle est partie
Pour aller à Lyon, pour m’arracher la vie,
Avec dessein je croy, de n’en partir jamais,
Afin de rendre vains tous les vœux que je fais.

ARISTE.

Quel est donc donc vostre but au mal qui vous possede ? {p. 43}

ADRASTE.

460 Mourir, puis que ce mal est sans aucun remede ;
Si Climante avec qui je viens me consoler
N’est point à sa maison, il nous en faut aller :
Nous reviendrons tantost ; Dieux soyés-moi propices !
Ne payez pas si mal mes fidelles services ;
465 Ou me donnez la mort, si je ne puis un jour
Recueillir aucun fruit de ma parfaite Amour.
{p. 44}

SCENE II. §

PAMPHILE, ISABELLE, LUCILLE.

PAMPHILE à la ruë, à la porte de Leonor.

Songez-y mieux, Madame, et que pensez-vous faire ?

ISABELLE.

Je veux que cela soit, Pamphile, il se faut taire,
Puis que tu me cognois resoluë à ce point,
470 Fay ce que je t’ordonne, et ne replique point.

PAMPHILE.

Tout beau*, j’entends quelqu’un.

LUCILLE.

Qui frappe à cette porte ?

PAMPHILE.

C’est moy qui voudrois bien que vous fissiez en sorte {p. 45}
Que je visse Madame.

LUCILLE.

Attendez un moment.

PAMPHILE.

Je suis ici venu par son commandement.

LUCILLE.

475 Je m’en vay de ce pas faire vostre message :
Madame va descendre ; ah Dieux quel beau visage !

PAMPHILE.

Vous nous obligez* trop.

LUCILLE.

Mon bon-homme, est-ce ici
Cette fille qui vient pour servir ?

PAMPHILE.

La voici :
C’est ma fille, Madame, et fort vostre servante

LUCILLE.

480 C’est moy qui suis la sienne, ah qu’elle me contente ! {p. 46}
Attendez, je m’en vais de ce pas l’avertir
Qu’elle est fort agreable, elle s’en va sortir.
Lucille sort.

PAMPHILE.

Nous attendrons ici : Mais dites-moy, Madame,
Je ne puis m’empescher de vous donner du blâme.
485 Quel peut estre le but de ce déguisement,
Ce caprice nouveau m’estonne extrémement ;
Je le voy, je le touche, et j’ay peine à le croire :
Vous ne m’avez rien dit de cette estrange histoire
Que peu de chose en haste, il faloit m’avertir,
490 Au moins si l’on m’enquiert, comme il faut repartir :
N’estant pas bien instruit, on me pourroit surprendre.
Contez-moy, s’il vous plaist, et me faites entendre*
Pourquoy vous desirez entrer en cet habit
Pour servir Leonor ?

ISABELLE.

Je ne t’ay pas tout dit.
495 Sçache donc que j’adore un homme incomparable
Qui n’a rien que de grand, qui n’a rien que d’aimable,
Que Leonor aussi cherit extremement :
Il l’aime, et c’est de là d’où naist tout mon tourment,
Et le sujet* aussi de ces metamorphoses ; {p. 47}
500 Voy comme en peu de mots je t’ay dit bien des choses,
Sa generosité m’est cognuë à tel point,
Que si je meurs pour luy, ne t’en estonne point :
Je desire aujourd’huy par cette extravagance,
De ce couple d’Amans rompre l’intelligence* :
505 Je leur avois joüé cette nuit d’un beau tour,
Qui pouvoit de tout point destruire leur Amour :
Mais quoy, cette union qui leurs deux cœurs assemble
A fait qu’ils ont bien-tost refait leur paix ensemble :
Mais ce Dieu tout-puissant qui regarde en mon sein*
510 Me fera bien venir à bout de mon dessein.
J’ay fait courir le bruit, comme tu sçais Pamphile,
Que j’ay de grand matin abandonné la Ville,
Pour aller à Lyon, autant pour destourner
Adraste qui me vient sans cesse importuner,
515 Que pour mieux asseurer par ma feinte retraite
Cette fourbe qui doit me rendre satisfaite.
J’ay sçeu que Leonor qui meurt d’amour pour luy,
Cherchoit une servante, on m’y place aujourd’huy,
On m’a peinte à ses yeux de cent graces pourveuë,
520 Je n’ay plus qu’à la voir pour estre bien receuë :
Juge si ta Maistresse a de l’esprit ou non,
Pour mieux y parvenir j’ay déguisé mon nom ;
Souvien-toy qu’on me nomme à present Dorotée : {p. 48}
Pour Dorise, j’ay fait qu’elle s’est absentée,
525 Je l’ay dés le matin mise chez un Bourgeois,
Pour mieux favoriser le dessein que j’avois,
Ce qu’elle a fait sçavoir au valet de Climante ;
Il l’aime dés longtemps, dont je fais l’ignorante,
Et Carlin mesme aussi croit que je n’en sçay rien,
530 Et ne me cognoit pas ; Voy si par ce moyen,
Pamphile, estans ainsi nous deux en sentinelle,
Je pourray pas sçavoir ce qui se fait chez elle :
Pour toy, pren un logis assez proche d’ici,
Tu te diras mon pere, et me verras* ainsi.
535 Toubeau*, j’entens qu’on ouvre, observe bien Pamphile
L’ordre que je te donne.

PAMPHILE.

Il n’est pas difficile,
Vous estes sans mentir estrange en vos desseins.
{p. 49}

SCENE III. §

LEONOR, LUCILLE, PAMPHILE, ISABELLE, dans la ruë à la porte de Leonor.

LEONOR.

Si belle, me dis-tu ?

LUCILLE.

Plus que je ne la peins,
Madame la voilà, suis-je pas veritable ?

LEONOR.

540 Lucille tu dis vray, Dieux qu’elle est agreable !

PAMPHILE.

Madame, l’on m’a dit que ma fille a l’honneur
De vous venir servir : c’est pour elle un bonheur,
Dont possible quelqu’un en vain l’aura flatée.

LEONOR.

Comment l’appelle-t’on ? {p. 50}

PAMPHILE.

Son nom est Dorotée :
545 Ma fille, approchez-vous, parlez, ne craignez rien,
Quelle peur avez-vous ? Vous l’excuserez bien,
Madame, devant vous elle est toute honteuse.
Vous ne laisserez* pas d’estre respectueuse,
Quoy que vous témoigniez un peu de liberté.
550 Faites la reverence avec civilité.
Elle fait une grande reverence.

LEONOR.

N’as-tu jamais servi ?

ISABELLE.

Personne que mon pere,
Madame, mais voyant tout rempli de misere,
A cause de la guerre, et des malheurs du temps,
Mon pere desja vieil, pauvre, et chargé d’enfans,
555 J’ay desiré chercher une honneste Maistresse
Pour soulager un peu son extréme vieillesse :
M’en informant à Laure, elle m’a tant vanté
Vostre grande douceur, vostre extréme bonté,
Que mes maux sont finis, si j’ay cet avantage {p. 51}
560 Que de vous pouvoir plaire.

LEONOR.

Elle paroist bien sage.

PAMPHILE.

Madame, pardonnez si j’ose la loüer,
Quoy que pere, je suis forcé de l’avoüer,
Elle a beaucoup d’esprit, et vaut plus qu’on ne pense,
Je la feray rougir parlant en sa presence :
565 Pour dresser* le ménage, et arrivant chez vous,
Elle mettra d’abord tout, c’en-dessus dessous.

ISABELLE.

Plus que vous ne voudrez j’agiray de courage
Et d’adresse.

LEONOR.

Dy moy, fais-tu point quelque ouvrage* ?

ISABELLE.

Oüy, Madame, j’en fais, et de toutes façons :
570 Feu ma mere autrefois m’en a fait des leçons,
Je couds bien, je travaille à la tapisserie, {p. 52}
Et sçay d’autres secrets, dont la galanterie*
Vous pourra divertir, et vous estonnera,
Et dont la nouveauté je croy vous surprendra ;
575 Je puis en vous servant aussi me satisfaire,
Le temps vous fera voir ce que je sçauray faire.

LEONOR bas.

Sa bonne humeur est propre à chasser mon ennuy.
Haut.
M’habilleras-tu bien ? sçais-tu comme aujourd’huy
L’on se coiffe à la Cour ? te rendras-tu capable
580 De me bien ajuster*, pour me rendre agreable
Aux yeux d’un Cavalier qui se dit mon Amant ?

ISABELLE bas.

(Pour te faire paroistre un monstre)
Haut.
Asseurément,
Quoy que j’y sache peu, j’y tâcheray, Madame :
Toutesfois vostre Amant m’en donneroit du blâme,
585 Pensez-vous que je puisse adjouster au parfait,
Et faire plus en vous que Nature n’a fait ?
Non, Madame, en formant les traits de ce visage,
Elle a de l’artifice en vous banni l’usage :
Quand je n’en sçaurois pas ny l’art, ny le moyen,
590 J’y pourrois reüssir merveilleusement bien.

LEONOR.

Qu’elle a l’esprit joli, qu’elle est douce et bien née. {p. 53}
Combien demandes-tu pour servir par année ?

ISABELLE.

Ce qu’il plaira, Madame, à mon pere : je doy
Vouloir tout ce qu’il veut, il dispose de moy.

PAMPHILE.

595 Madame, si ma fille a l’honneur de vous plaire,
Je ne desire point de plus ample salaire,
Vous en disposerez ainsi qu’il vous plaira,
Et la satisferez comme elle servira.

LEONOR.

Va, si tu me sers bien, croy que la recompense
600 Surmontera, ma fille, encor ton esperance ;
Tu ne serviras pas chez moy bien longuement,
Sans estre mariée à ton contentement.

ISABELLE.

C’est, à n’en point mentir, le seul but où j’aspire,
Vous m’offrez en ce point tout ce que je desire ;
605 Je parle hardiment, mais c’est vostre bonté {p. 54}
Qui m’oblige, Madame, à cette liberté.

LEONOR.

Bien, va, je te reçoy, Laure qui t’as produite*
M’a tantost respondu de ta sage conduite :
N’ayant jamais servi, Lucille t’instruira.

ISABELLE.

610 Madame, je feray tout ce qu’il vous plaira,
Dans le desir que j’ay de vous estre agreable,
Il faudra peu de temps à m’en rendre capable.

LEONOR bas en s’en allant.

Je r’entre, l’heur m’en veut, j’ay si bien rencontré*,
Que servante jamais ne fust plus à mon gré.
Haut.
615 Pren congé de ton Pere, et luy dy qu’il s’en aille.
{p. 55}

SCENE IV. §

ISABELLE seule.

Dans la ruë avec Pamphile, à la porte de Leonor.
Tu me vois à present dans le champ de bataille,
Amour, assiste-moi, fay-moy voir dans ces lieux
Que tu passes par tout pour le Maistre des Dieux :
Favorisant mes vœux, donne-moy l’avantage
620 Que je puisse égaler ma force à mon courage ;
Qu’authorisant l’ardeur qui couve dans mon sein,
Je puisse executer mon genereux* dessein :
Faisons voir ce que peut une fille Amoureuse,
Qui meurt de jalousie, et se voit malheureuse,
625 D’aimer sans estre aimée, et de voir que son cœur
Adore les appas d’un incognu vainqueur.
Mais quand je souffrirois un tourment cent fois pire,
Le sort en est jetté, je ne m’en puis dédire ;
Allons jusques au bout.
Climante paroist.
Helas ! je voy venir
630 Climante ; justes Dieux que doy-je devenir ?
Il faut dissimuler.
{p. 56}

SCENE V. §

CLIMANTE, CARLIN, ISABELLE, PAMPHILE
dans la ruë, à la mesme porte de Leonor.

CLIMANTE à Carlin.

Je ne tarderay guere,
Atten moy.

CARLIN.

Bien, Monsieur ;

ISABELLE retenant Climante qui veut entrer.

Que pretendez-vous faire ?
Bas.
(J’ay les sens si confus que j’ay peine à parler)
Comment ? sans dire mot où voulez-vous aller ?
635 Voulez-vous que pour vous Madame me querelle ? {p. 57}
Dites-moy, s’il vous plaist, comment on vous appelle,
Et j’iray demander si l’on le trouve bon.

CLIMANTE.

Mais vous, qui vous oblige à demander mon nom ?

ISABELLE.

Je doy sçavoir qui vient visiter ma Maistresse ;
640 Je sers ici, Monsieur.

CLIMANTE.

J’ay tort, je le confesse,
O Dieux qu’elle a d’appas ! quel beau teint ! quels beaux yeux !
{p. 58}

SCENE VI. §

LEONOR, ISABELLE, CLIMANTE, CARLIN, PAMPHILE dans la ruë à la mesme porte.

LEONOR à Climante.

Excusez-la, Monsieur, elle est neuve en ces lieux,
Et l’oyant contester contre vous dans la ruë,
Je suis à vostre voix aussi-tost descenduë.

ISABELLE.

645 Madame, pardonnez.

LEONOR.

Tu fais ce que tu dois,
Ne le cognoissant point : mais pour une autrefois*
Pour ne t’y point tromper, appren à le cognoistre ;
De ce logis ici, sçache qu’il est le Maistre, {p. 59}
Et que ceans il peut encore plus que moy.

ISABELLE.

650 Madame, c’est assez.

LEONOR.

Va , ma fille, je croy
Que tu ne manques point du tout d’intelligence,
Et que tu ne sçaurois pecher par ignorance.

CLIMANTE.

Depuis quand l’avez-vous ?

LEONOR.

D’aujourd’huy seulement,
N’est-elle pas jolie ?

CLIMANTE.

Oüy bien asseurément,
655 On auroit peine à voir un plus parfait visage.

ISABELLE.

Ce discours est, Monsieur, trop à mon avantage,
Vous me faites rougir. {p. 60}

CLIMANTE.

Je n’en dy pas assez.
Mais Madame, il est tard, plus que vous ne pensez,
Vous plaist-il pas venir ?

LEONOR.

Ne soyez point en peine*,
660 Nous avons trop de temps : que bien-tost on m’emmeine*
Mon carosse, r’entrons, il n’est pas que je croy,
Si tard que vous pensez.

CLIMANTE.

J’en suis content.

LEONOR à Isabelle.

Suy moy.

ISABELLE.

Je m’en vay seulement dire un mot à mon pere.
Climante et Leonor r’entrent.
{p. 61}

SCENE VII. §

CARLIN, ISABELLE, PAMPHILE,
dans la ruë à la mesme porte.

CARLIN.

Ce visage n’est point un visage ordinaire,
665 Il me faut l’accoster. La belle, Dieu te gard.

ISABELLE

N’entres-tu pas aussi ?

CARLIN.

Je me tiens à l’écart,
Il faut attendre ici, mon Maistre me l’ordonne,
On ne desire point estre oüy de personne
Alors qu’on fait l’Amour*.

ISABELLE.

Ils sont donc Amoureux ?

CARLIN.

670 Ils sont d’accord*, et vont se marier tous deux. {p. 62}

ISABELLE.

Mais ce que tu me dis est-il bien veritable ?

CARLIN.

Il n’est rien de plus vray.

ISABELLE bas.

Que je suis miserable !
Mais ce ne sera pas durant que je vivray :
Climante, asseurément je t’en empécheray.
675 Comment t’appelles-tu ?

CARLIN.

Moy, comment je m’appelle ?
Je ne m’appelle point : mais si tu veux, ma belle,
Sçavoir comme on me nomme, on me nomme Carlin.

ISABELLE.

A quoy te sert ici de faire le badin ?
Carlin, si tu le sçais, dy moy je te supplie, {p. 63}
680 Pour divertir l’effet de ma melancolie,
En quel endroit ils vont ?

CARLIN.

Je te le diray bien,
Ce n’est point un secret, non, non, je ne crains rien.
Leonor va disner au logis de mon Maistre,
Qui luy fait dans sa chambre orner une fenestre,
685 Pour voir passer le Roy, qui couvert de Lauriers
Revient accompagné de mille Cavaliers,
Pour rendre grace au Ciel comblé d’heur* et de gloire
D’avoir sur l’Espagnol emporté la Victoire.
Dy moy, puis que mon Maistre est bien-tost sur le poinct
690 D’espouser Leonor, l’imiterons-nous point ?
Mon cœur faisons comme eux, marions-nous ensemble,
Je suis assez bien fait : mais dy moy que t’en semble ?
Me refuseras-tu ?

ISABELLE bas.

La Fortune me rit ;
Dieux ! quelle invention me naist dedans l’esprit.

CARLIN.

695 Respond donc ? {p. 64}

ISABELLE.

Permets-moy que je parle à mon pere,
Je ne puis differer : car c’est pour une affaire
Qui m’importe beaucoup.

CARLIN.

Tout ce que tu voudras.

ISABELLE bas à Pamphile.

Pamphile, parle à moy, va-t’en droit de ce pas :
Mais la chose m’importe ; il faut en diligence*
700 Que tu trouves Dorise, ou je perds l’esperance
De pouvoir arriver au bien que je pretens
Elle luy donne deux clefs.
Donne-luy ces deux clefs, et ne perds point de temps,
Ces deux clefs, sont les clefs du logis de Climante
Que nous prismes hier ;
Elle luy parle à l’oreille.
cours, et te diligente*,
705 Car l’affaire me touche, et crois asseurément
Que ma vie ou ma mort dépendent d’un moment.

PAMPHILE.

J’entends* bien, mais par là que pretendez-vous faire ?

ISABELLE.

Si la chose succede* ainsi que je l’espere, {p. 65}
Je suis malgré le sort au bout de mon espoir,
710 Et Leonor verra bien pis qu’hier au soir.

PAMPHILE.

Mais, Madame, s’il faut.

ISABELLE.

Ah ! tu veux qu’on s’explique !
Je veux estre obeye ; or sus*, va sans replique.

PAMPHILE.

Bien, Madame, j’y cours.
Pamphile sort.

CARLIN.

As-tu fait ?

ISABELLE.

Oüy, dy moy
Tout ce que tu voudras.

CARLIN.

Je veux sçavoir de toy
715 T’aymant, si je pourrois t’avoir en mariage ? {p. 66}

ISABELLE.

Oüy, si tu m’aimois bien : mais tu n’es qu’un volage
Qui t’offres en cent lieux.

CARLIN.

Moy ?

ISABELLE.

Toy ;

CARLIN.

Qui te l’a dit ?

ISABELLE.

Mais voyez l’inconstant comme il est interdit.
N’es-tu pas amoureux d’une jeune servante
720 Qu’on appelle Dorise ?

CARLIN bas.

Ah ! cela m’épouvente !
Sans doute elle est sorciere, elle ne pourroit pas
Le sçavoir autrement.
Haut.
Comment donc ? tu fais cas
De si peu de sujet, d’un si chetif visage ?
Croy que si je m’en sers, ce n’est pour autre usage
725 Que pour blanchir mon linge ; est-elle égale à toy ? {p. 67}

ISABELLE.

Hors d’ici tu pourras en dire autant de moy :
Mais quittons ce discours, et parlons d’autre chose,
Je me resjoüis fort d’avoir appris la cause
Qui fait que ma Maistresse aujourd’huy va chez toy,
730 Je brusle de desir, Carlin, de voir le Roy :
Le voudra-t’elle bien ? dy moy ce qui t’en semble,
Je ne l’ay jamais veu.

CARLIN.

Mot, ils sortent ensemble.
{p. 68}

SCENE VIII. §

CLIMANTE, LEONOR, LUCILLE, CARLIN, ISABELLE dans la ruë à la mesme porte.

LEONOR.

Qu’on fasse donc venir le carosse ?

LUCILLE.

Il est prest,
On l’emmeine*, Madame.

LEONOR.

Allons puis qu’il vous plaist.

ISABELLE bas.

735 Ils sont prests à partir, Dieux que je suis surprise,
Il les faut arrester : car sans doute, Dorise
N’aura pas eu le temps encor de s’habiller. {p. 69}
Haut.
Madame, l’on m’a dit que vous voulez aller
Aujourd’huy voir le Roy, Dieux que j’en suis ravie,
740 Je ne le vy jamais, et j’en brusle d’envie :
Mais vous resolvez-vous d’aller en cet estat ?
L’ornement des beautez en rehausse l’éclat,
Je veux voir d’un chacun les vostres adorées,
Si tost que de ma main je les auray parées :
745 Souffrez que je vous coiffe un peu plus proprement.

LEONOR.

Quoy tu sçais bien coiffer ?

ISABELLE.

Madame, aucunement* :
Quoy que j’aye vêcu long-temps à la Campagne,
Une tante que j’ay cousine de Champagne,
Là dessus autrefois m’a fait quelques leçons,
750 Je sçay coiffer, Madame, et de plusieurs façons.

LEONOR.

Il faut que maintenant j’éprouve ton adresse :
Mais tu vois qu’il est tard, et Climante me presse.

CLIMANTE.

Je m’en iray devant, vous avez tout loisir.

LEONOR.

R’entrons, je le veux bien, ayons-en le plaisir, {p. 70}
755 Si de ce coup d’essay dignement tu t’acquittes.

CLIMANTE.

Auray-je bien le temps de faire deux visites ?
Je n’ay qu’un mot à dire.

LEONOR.

Allez où vous voudrez.

CLIMANTE.

Le disné sera prest si tost que vous viendrez.
Climante s’en va.

ISABELLE bas en r’entrant au logis.

Tout m’arrive à souhait, grands Dieux je vous conjure
760 De donner à Dorise une heureuse* adventure.

Fin du second Acte.

{p. 71}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

DORISE, superbement vestuë avec sa coiffe et son masque, ADRASTE, ARISTE.

DORISE seule, à la ruë à la porte de Climante.

Pamphile m’a trouvée avec un grand hazard*,
Qui m’a donné ces clefs ; Dieux viens-je point trop tard !
Pourray-je executer l’ordre de ma Maistresse ?
Considerez un peu la merveilleuse adresse
765 Qu’elle a pour parvenir au but de ses desseins ! {p. 72}
Prez d’elle Leonor tous vos efforts sont vains.
Adraste et Ariste paroissent.
Dieux ! je voy ce me semble, Adraste dans la ruë ;
Mais de qui que ce soit pourray-je estre cognuë ?
En l’estat où je suis que doy-je redouter ?
770 Non, non, ne craignons rien, entrons sans consulter*.

ARISTE.

N’est-ce point Leonor Maistresse de Climante,
Qui prez de son logis à nos yeux se presente ?

ADRASTE.

Je ne le pense point, car elle n’en a pas
Ny le port, ny la taille.

ARISTE.

Où s’adressent ses pas ?
Elle entre chez Climante, et ouvre la porte avec la clef.
775 Elle est bien familiere entrant de cette sorte :
Elle entre avec la clef, sans frapper à la porte,
Que veut dire cela ?

ADRASTE.

Climante a sans mentir
Pour tout le jour chez luy dequoy se divertir
Allons, ne troublons point cette bonne fortune, {p. 73}
780 Ma visite aujourd’huy luy seroit importune :
Je serois bien marry* si je l’avois trouvé.

SCENE II. §

LEONOR, ISABELLE, LUCILLE.

LEONOR dans la ruë.

Climante, à vostre avis sera-t’il arrivé ?
Quand je suis un moment sans le voir, Dorotée,
Je suis d’inquietude et d’ennuis* agitée :
785 Je t’ouvre franchement les secrets de mon cœur,
Car tu parois discrette.

ISABELLE.

Ah ! ce m’est trop d’honneur !
Mais vous me commenciez maintenant* une histoire
Qui m’est, à dire vray, bien difficile à croire ;
Vous vistes cette femme, et vous prisez* sa foy ? {p. 74}

LEONOR.

790 Je la vy, Dorotée, ainsi que je te voy.

ISABELLE.

Apres un tel affront, pouvez-vous bien, Madame,

LEONOR.

Va, ne m’en parle plus, j’ay leu dedans son ame,
Et ce Dieu qui sur moy l’a rendu si puissant,
M’a fait cognoistre enfin, qu’il estoit innocent.

ISABELLE.

795 Madame, vostre amour sans mentir est extréme ;
De prendre ainsi plaisir à vous tromper vous-méme ;
S’il cognoist une fois cette foiblesse en vous,
Et s’il peut appaiser si tost vostre courroux,
De tout avec le temps il se rendra capable,
800 Et puis avecque luy vous serez miserable.

LEONOR.

Sans doute tu dis vray, mais je l’ayme, tay-toy,
Le voici, je l’entens.
{p. 75}

ISABELLE bas.

Il est vray, je le voy,
L’agreable sujet du trouble de mon ame.

SCENE III. §

CLIMANTE, LEONOR, ISABELLE, CARLIN, LUCILLE.

LEONOR dans la ruë.

Vous avez bien tardé ?

CLIMANTE.

Pardonnez-moy, Madame,
805 J’use de vos bontez un peu trop librement,
Vous excuserez bien ce long retardement*,
Un importun Amy rencontré dans la ruë, {p. 76}
De vos rares beautez m’a dérobé la veuë.

LEONOR.

Quelque Dame, peut estre, a bien eu le pouvoir
810 D’empécher que si tost vous ne me vinsiez voir.

CLIMANTE.

Ah ! vous offencez trop une constance extréme !
Et vous faites injure à vostre beauté mesme :
Vous sçavez qu’elle peut tous les cœurs enflamer,
Et que qui la cognoit, ne peut ailleurs aimer.

ISABELLE bas.

815 Helas ! si tu dis vray, je perds toute esperance.

LEONOR.

Encor que ce discours marque plus d’eloquence
Qu’il n’a de verité, je le veux croire ainsi,
Pour vous faire plaisir, et m’obliger* aussi.
Mais entrons, il est tard.
Ils entrent tous dans la chambre de Climante, qui paroistra bien ornée.
Que cette chambre est belle,
820 Elle paroist* au jour bien plus qu’à la chandelle,

CLIMANTE.

Dans l’espoir de l’honneur dont vous m’avez comblé {p. 77}
Je devois faire voir mon logis mieux meublé ;
Ma chambre devoit estre un peu mieux ajustée* :
Mais la chose, Madame, estoit precipitée,
825 Vous m’excuserez bien, je n’appris qu’hier au soir
Que j’aurois ce matin l’heur* de vous recevoir.

LEONOR.

Certes vous estes propre* autant qu’on le peut estre.

CARLIN.

Je viens d’oüyr là bas gronder Monsieur le Maistre,
Il dit que tout se gaste, il est midy sonné.

CLIMANTE.

830 Madame nous deussions avoir desja disné :
Car j’apprens que le Roy doit passer dans une heure.

LEONOR.

Dînons quand vous voudrez.

CLIMANTE.

Servez-nous sans demeure*.

LEONOR.

En attendant qu’on serve, allons voir vos tableaux {p. 78}
Dedans ce cabinet, on dit qu’ils sont fort beaux.
835 Y tenez-vous encor quelque vive peinture ?
Non, car vous m’attendiez.

CLIMANTE.

Ah ! c’est me faire injure !
Vous aviez tant promis de ne m’en parler plus ?
Quoy donc ! tous mes sermens ont esté superflus !
Si vous sçaviez combien ce discours là m’offence ?

LEONOR.

840 Entrons, je voulois rire, on sçait vostre innocence.

CLIMANTE.

Ouvre.

CARLIN.

Sçavez-vous pas que cette Dame là
Emporta hier la clef ?

CLIMANTE.

Tu dis vray, mais voilà
L’autre que j’ay sur sur moy.
{p. 79}
Comme Climante veut ouvrir le cabinet, Dorise ouvre elle-mesme, sort avec sa coiffe et son masque.

SCENE IV. §

DORISE, CARLIN, CLIMANTE, LEONOR, LUCILLE.

DORISE.

Je ne sçaurois comprendre
Pour quel sujet*, Climante, on me fait tant attendre ?

CARLIN troublé.

845 Sommes-nous enchantez* ? est-ce une illusion ?

DORISE.

Mais pourquoy tant de monde en cette occasion ?

CLIMANTE estonné.

Dieux ! parla-t’on jamais de telle effronterie ? {p. 80}

LEONOR.

Ah ! je m’en doutois bien.

CLIMANTE à Dorise.

Madame, je vous prie,
Dites-moy le sujet* qui vous emmeine* ici ?
850 Que faites-vous ceans ? et me dites aussi
Qui vous a peu chez moy tenir la porte ouverte ?

LEONOR.

Comme il fait l’estonné ?

CLIMANTE bas.

Tout conspire à ma perte.

LEONOR.

Il m’attend, il me traitte*, et ne peut un seul jour
Bannir l’infame objet* d’un impudique Amour.
{p. 81}

DORISE à Climante.

855 Estes-vous si surpris que vous témoignez l’estre,
Climante ? et feignez-vous de ne me pas cognoistre ?

CLIMANTE.

Qui moy ? je vous cognoy ?

ISABELLE à Leonor.

Que voy-je ! justes Dieux !
Madame, souffrez-vous cette injure à vos yeux ?

LEONOR.

Non, non, il a bien fait de ne pas se contraindre,
860 C’est de moy seulement qu’enfin je me doy plaindre.

ISABELLE.

L’impudence est notable.

CLIMANTE à Dorise.

Ah ! qu’est-ce que je vois ?
Ombre, Fantôme, Esprit, femme, ou qui que tu sois,
Par quel moyen as-tu cette porte charmée* ?
Et que faisois-tu là toute seule enfermée ?

LEONOR.

865 La question est belle, ah grands Dieux quel affront ! {p. 82}

ISABELLE à Leonor.

Apres un tel mespris, peut-il avoir le front*
D’oser paroistre encor ? Madame, il en fait gloire,
Je le voy de mes yeux, et j’ay peine à le croire.

CLIMANTE.

J’atteste tous les Dieux.

LEONOR voulant sortir.

Si jamais je te voy,
870 Perfide, desloyal.

CLIMANTE la retenant.

Madame, escoutez-moy.

LEONOR.

Va te cacher, infame, oses-tu bien paroistre ?
Comme Climante tâche à arrester Leonor.
Isabelle fait signe à Dorise qu’elle s’en aille.

DORISE dit bas.

Fuyons, on m’en fait signe, on me voudroit cognoistre.

CLIMANTE à Leonor.

Madame, voulez-vous me mettre au desespoir ? {p. 83}
Ecoutez mes raisons, et je vous feray voir
875 Avant que vous sortiez, quelle est mon innocence.

LEONOR à Climante.

Non, je n’écoute rien d’un traistre qui m’offence.
Durant cela, Carlin arreste Dorise dans la ruë courant apres elle, et apres luy avoir parlé à l’oreille.

CARLIN à Dorise.

Vous n’échaperez pas, la belle, c’est en vain,
Non, je vous veux cognoistre.

DORISE bas.

Ah ! s’il a ce dessein
Il ruinera tout.

LEONOR à Isabelle dans la ruë.

Vien, suy-moy, Dorotée.

CLIMANTE la retenant.

880 Madame, sans sujet* vous estes irritée.

DORISE bas à la ruë.

Qu’importe, monstrons-nous. {p. 84}

CLIMANTE à Leonor.

Ecoutez mes raisons

CARLIN à Dorise.

Non, non, je vous veux voir.

LEONOR à Climante.

Va, va, tes trahisons
Ne paroissent que trop.

DORISE à Carlin levant son masque.

C’est moy, c’est ta Dorise.
Qui te vien voir, Carlin.

CARLIN estonné.

Ah Dieux ! quelle surprise.

CLIMANTE à Leonor la retenant.

885 Madame, au nom des Dieux.

LEONOR.

Tu n’es rien qu’un ingrat,
Va ne m’oblige pas à faire plus d’éclat*. {p. 85}
Laisse-moy je te prie.

CARLIN à Dorise en la ruë.

Encor, de quelle sorte
Je te prie, as-tu peu sans clef ouvrir la porte ?
D’où te vient cet habit ?

DORISE à Carlin.

J’ay haste*, en autre lieu
890 Je te conteray tout ; Ne me suy pas. Adieu.
Dorise sort.

CLIMANTE à Leonor la retenant dans la chambre.

Ecoutez-moy.

CARLIN bas en r’entrant dans la chambre.

S’il faut que mon Maistre le sçache ;
Ah Dieu ! c’est fait de moy !

LEONOR à Climante.

Serois-je pas bien lâche
D’arrester* un moment apres ta trahison ?

CLIMANTE.

Puis que cette impudente est dedans ma maison,
895 Faisons-luy confesser qu’elle vous a trompée. {p. 86}

CARLIN.

C’est temps perdu, Monsieur, elle s’est échapée.

CLIMANTE.

Pourquoy, traistre, pourquoy l’as-tu laissée aller ?

ISABELLE à Leonor.

Voyez, s’il est adroit à bien dissimuler,
Comme s’ils n’estoient pas tous deux d’intelligence*?

CLIMANTE à Isabelle.

900 La belle, vous prenez ici trop de licence.
A Carlin.
Cours viste apres, Carlin, elle n’est pas bien loin.

CARLIN bas.

Je sçay fort bien qui c’est, il n’en est pas besoin.

LEONOR.

Cette peine, Climante, est assez inutile.
O l’esprit inventif ! ô la fourbe subtile !

CLIMANTE.

905 J’y veux aller moy-mesme. {p. 87}

ISABELLE l’arrestant.

Où courez-vous si fort ?
Vous imaginez-vous qu’on creust vostre raport ?
Desirez-vous, Madame, en estre bien certaine ?
Je prendray de bon cœur, s’il vous plaist, cette peine,
Et vous rapporteray fidellement qui c’est.

CLIMANTE.

910 J’y consens.

LEONOR.

En ce fait je n’ay nul interest,
A quoy bon m’éclaircir ? non, il faut que je sorte.
Qui que ce soit, allons.

ISABELLE.

Puis qu’il ne vous importe,
Permettez-moy du moins par curiosité,
De sçavoir qui vous brave avec impunité,
915 Faites-moy ce plaisir, car j’en brusle d’envie.
Elle sort.

CARLIN bas.

S’il faut que l’on le sçache, ah c’est fait de ma vie.

CLIMANTE à Leonor.

Elle prend grande part dedans vos interests. {p. 88}

LEONOR.

Elle fait son devoir.

CARLIN bas.

Dieux ! elle court apres.

CLIMANTE retenant Leonor.

Attendez pour le moins qu’elle soit revenuë,
920 L’innocence à vos yeux paroistra toute nuë.

LEONOR.

Non, non, je ne puis faire ici plus grand sejour,
Adieu.

CLIMANTE.

Vous offencez une innocente Amour,
Le Ciel vous punira d’une rigueur si grande.

LEONOR en partant.

Suy-moy, Lucille, allons puis que je le commande.
925 Ah ! je meurs de regret ! je brusle de courroux.

LUCILLE.

Vous ne trouverez rien dequoy dîner chez vous. {p. 89}

LEONOR.

Allons, la Ville est bonne.
Elles s’en vont.

SCENE V. §

CLIMANTE, CARLIN.

CLIMANTE dans sa chambre.

O Dieux ! quelle surprise !
Que t’en semble, Carlin ?

CARLIN bas.

Que c’estoit là Dorise ?
Il faut bien sur ce point m’empécher de parler.

CLIMANTE.

930 Qui m’a fait cet affront ? qui m’en peut consoler ? {p. 90}
Dieux ! que je suis confus, quels troubles j’ay dans l’ame.
Mais soubçonnes-tu point qui seroit cette infame ?

CARLIN.

Sçavez-vous bien, Monsieur, qui je soubçonnerois ?

CLIMANTE.

Qui ?

CARLIN.

Je croy la cognoistre* à l’habit, à la voix.

CLIMANTE.

935 Qui ?

CARLIN.

La mesme qui vint hier au soir si troublée
Vous demander secours, et masquée, et voilée.
Elle emporta les clefs ; et n’auroit autrement
Jamais peû se couler* en cet apartement.

CLIMANTE.

Je croy que tu dis vray : mais pourquoy, je te prie,
940 Use-t’elle envers moy de telle effronterie ?
Que veut-elle de moy ? pourquoy vient-elle ici {p. 91}
Aux heures seulement que l’autre y vient aussi ?
Elle ne me dit mot. Ah ! toutes deux ensemble
Sont d’accord pour troubler mes desseins, ce me semble.

SCENE VI. §

ISABELLE, CLIMANTE, CARLIN.

ISABELLE dans la mesme chambre de Climante.

945 Ma Maistresse, Monsieur, est-elle encor ici ?

CLIMANTE.

Non, et c’est le sujet* qui me met en souci,
Je n’ay peu l’appaiser, ny flechir sa colere.

ISABELLE.

Elle a fait en cela ce qu’elle devoit faire.

CLIMANTE.

Si tu t’es éclaircie en la suivant, pourquoy {p. 92}
950 En cette occasion juges-tu mal de moy ?
Dy moy qui c’est ?

ISABELLE.

J’aurois bien de la hardiesse,
D’oser ainsi joüer ce tour à ma Maistresse,
Je croy qu’elle le doit sçavoir premierement.

CLIMANTE.

S’il ne tient qu’à cela, je te fais un serment
955 De n’en parler jamais : oblige*-moy de grace.

CARLIN bas.

Ah Dieux ! je suis perdu s’il faut qu’elle le fasse.

CLIMANTE luy donnant une bourse pleine.

Et pour l’amour de moy, tien, reçoy ce present.

ISABELLE bas la recevant.

(Tout m’arrive à souhait.)
Haut.
Que feray-je à present ?
Bien, je suis resoluë à trahir ma Maistresse,
960 Pourveu qu’en ce faisant vous me teniez promesse,
Comme vous m’avez dit, de n’en parler jamais, {p. 93}
Je ne celeray rien.

CLIMANTE.

Oüy, je te le promets,
Parle.

CARLIN bas.

Ah ! je suis perdu.

CLIMANTE.

Dy donc, depéche viste.

CARLIN bas.

Pour dix coups de baston j’en voudrois estre quitte.

ISABELLE.

965 J’ay trouvé là dehors en sortant de ceans,
Un superbe carosse, enrichi par dedans,
Et doré par dehors, environné de Pages,
Remply de tous costez de plusieurs beaux visages ;
Où la Dame qui vient de sortir hors d’ici
970 Entroit le cœur rempli de peine et de souci.
Me voyant en humeur* de courir apres elle,
Elle fait arrester, me caresse*, m’appelle,
Et me dit d’un ton doux : Ton dessein est, je croy, {p. 94}
Ma fille, de me voir, et de parler à moy,
975 Je le veux, sçachant bien le sujet* qui t’emmeine* ;
Oüy je veux t’éclaircir, entre donc, pren la peine
De monter prez de moy, car je n’ay pas loisir
D’arrester* en ce lieu. Moy bruslant de desir
De sçavoir au certain ce qu’elle vouloit dire,
980 J’entre, et m’ostant son masque, elle fait que j’admire
Un œil si gracieux, un visage si beau,
Qu’il peut mettre d’abord mille Amans au tombeau :
J’en suis, encor que fille, amoureuse, et proteste*
Que plus que de l’humain elle tient du Celeste.

CARLIN.

985 Mais dy moy, l’as-tu veuë ?

ISABELLE.

Oüy, de mes propres yeux,
Dequoy te mesles-tu ?

CARLIN bas.

Je rends graces aux Dieux
Qui me donnent ici la force de me taire,
Où la parole encor seroit si necessaire ;
Oüy, je brusle d’envie ici de repartir ; {p. 95}
990 Mais non, je feray mieux de la laisser mentir.

CLIMANTE.

Comme est faite à peu prez cette fille adorable ?

ISABELLE.

Comme son poil, sa taille à la mienne est semblable :
Elle m’a dit alors me prenant par la main,
D’un visage riant : Si vous avez dessein
995 De me voir de la part de cette belle Dame,
Je vous veux découvrir les secrets de mon ame ;
Ma fille, faites-luy, s’il vous plaist, ce discours,
Que Climante est l’objet* de mes chastes Amours ;
Que je confesse aussi que je suis celle mesme,
1000 Qui desirant de voir ce Cavalier que j’ayme,
M’enfermé dans sa chambre où je laissé mon cœur
Dés que j’eus admiré cet aimable vainqueur :
Mais vous luy pouvez dire, encore que j’adore
Cet homme genereux, qu’il est vray qu’il l’ignore ;
1005 Par honte et par respect, je n’ay jamais osé
Luy declarer les maux que ses yeux m’ont causé.
Et voulant passer outre*o, un orage de larmes
Qui tomboit de ses yeux, accreut encor ses charmes :
Car j’eus pour l’amour d’elle un excés de pitié,
1010 Qui me la fit trouver plus belle de moitié.
Je dis adieu sur l’heure à ce parfait visage, {p. 96}
L’asseurant à l’instant de faire son message
Derriere le carosse, en sortant j’aperceu
Un Page qui la suit, qu’autrefois j’ay cognu :
1015 Si c’est ce que je pense, asseurez-vous Climante,
Qu’elle a beaucoup d’honneur, qu’elle est riche et puissante ;
Je ne sçay pas son nom, mais pour sa qualité*,
Croyez qu’elle est plus grande encor que sa beauté.
Adieu, Monsieur, je vay retrouver ma Maistresse,
1020 C’est tout ce que j’ay sceu, tenez vostre promesse,
Vous estes Cavalier si sage et si discret,
Que vous sçaurez garder comme il faut le secret.

CLIMANTE.

Ne doute point de moy, je te seray fidelle.
Cette histoire, sans doute est estrange et nouvelle,
1025 Amour de ce cahos vien dégager mes sens.

CARLIN bas.

Quels contes fabuleux sont-ce ici que j’entends ?

ISABELLE.

Je pren congé de vous.

CLIMANTE.

Atten, je te supplie,
Si tu veux que par tout ta bonté je publie, {p. 97}
Fay moy cette faveur ; je sçay que tu le peux,
1030 Puis qu’aussi bien je voy qu’on méprise mes vœux,
Que Leonor me croit injustement volage ;
Que j’ay au moins le bien de voir ce beau visage,
Je suis lâche, ou je doy respondre à son desir.

ISABELLE.

Je vous verray, Monsieur, avec plus de loisir,
1035 Et nous en parlerons. Adieu donc, je vous laisse :
Que me commandez-vous de dire à ma Maistresse ?
Vos liberalitez* m’obligent* tellement
Que je prefere au sien vostre contentement.

CLIMANTE.

Dy luy de point en point comme la chose passe,
1040 Dy tout, puis qu’aussi bien je suis dans sa disgrace !
Qu’elle rit de ma peine, et que tu me cognois
Bien voulu d’un sujet qui vaut mieux mille fois ;
Mais sçache si tu peux où cet Ange demeure.

ISABELLE.

Vous en aurez, Monsieur, nouvelle dans une heure,
1045 Je vais y travailler.
Bas.
Tout va bien jusqu’ici :
Dieux ! faites-moy le bien que tout s’acheve ainsi.
{p. 98}

SCENE VII. §

CLIMANTE, CARLIN.
Dans la mesme chambre de Climante.

CLIMANTE.

Que te semble, Carlin, de cette étrange histoire ?

CARLIN.

Est-il possible, ô Dieux ! que vous la veuilliez croire !
Je jure que jamais je n’oüy tant mentir ;
1050 Parlons, quand je devrois cent fois m’en repentir,
La langue me demange, et je ne me puis taire.

CLIMANTE.

As-tu dessein, maraut, de me mettre en colere ?

CARLIN.

Au contraire, Monsieur, ne vous y mettez point, {p. 99}
Et je vous conteray le tout, de point en point.
1055 Si vous me pardonnez.

CLIMANTE.

Oüy va, je te pardonne,
Parle donc promptement.

CARLIN.

Cette insigne* friponne,
Avec son beau langage, en ce quel a conté
N’a pas dit, je vous jure, un mot de verité.
Celle qu’elle vous peint, si belle, si charmante,
1060 Et si riche, n’est rien qu’une pauvre servante,
Aussi gueuse que moy, qui depuis ce matin
Sert un certain Marchand.

CLIMANTE.

Te mocques-tu Carlin ?
Si c’est pour te railler, et pour me faire rire,
Tu prens fort mal ton temps.

CARLIN.

Quoy que vous puissiez dire,
1065 Je dy la verité : car comme je vous voy, {p. 100}
Mille fois je l’ay veuë.

CLIMANTE.

Encor dy moy pourquoy,
Et comment elle a peu sans clef ouvrir la porte ?

CARLIN.

Je le sçauray tantost.

CLIMANTE.

Mais encor, qui la porte*
A s’enfermer chez moy ? j’en suis tout estonné ?

CARLIN.

1070 C’est pour l’Amour de moy, vous m’avez pardonné ;
Depuis un mois ou deux, cette servante mesme
Que vous venez de voir, Vous le diray-je, m’aime,
Et moy je l’aime aussi ; Je vous fay donc sçavoir
Qu’elle n’est là venuë exprez que pour m’y voir ;
1075 Sans penser toutefois vous devoir mettre en peine
Comme elle vous a mis.

CLIMANTE.

Que ta raison est vaine,
Une Suivante a-t’elle un si superbe habit ? {p. 101}

CARLIN.

Pour trouver dans ma grace encor plus de credit,
Elle en a vestu un de ceux de sa Maistresse.

CLIMANTE.

1080 Voy comment à mentir tu monstres peu d’adresse :
La femme d’un Marchand, ainsi que tu l’as dis,
Pourroit-elle porter ces superbes habits ?
Et quand tout seroit vray, comment se peut-il faire
Que cet autre m’ait fait un discours si contraire ?

CARLIN.

1085 Monsieur, c’est sans sujet* que vous vous étonnez,
Peut-estre elle vous veut tirer les vers du nez* :
N’ayez je vous supplie aucune deffiance,
Ce que je dis est vray.

CLIMANTE.

Grands Dieux ! quelle apparence* !
Non, cela ne peut estre, et je sçay que tu ments.

CARLIN.

1090 Monsieur, écoutez-moy, laissons là les serments,
Je vous veux faire voir que je suis veritable ; {p. 102}
Qui pourroit m’obliger à vous dire une fable* ?
Il faut que sur ce fait je vous rende éclairci,
Je vous veux emmener* cette Servante ici,
1095 D’elle vous sçaurez tout.

CLIMANTE.

Fay donc que je la voye,
Depéche, si tu veux qu’à la fin je te croye.

CARLIN.

Je viens dans un quart-d’heure, et plutost si je puis.

CLIMANTE.

Grands Dieux ! delivrez moy de la peine où je suis.

Fin du troisiesme Acte.

{p. 103}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CARLIN, DORISE, CLIMANTE.

DORISE dans la ruë à la porte du logis de Climante.

Mais encore, Carlin, que veux-tu que je fasse ?

CARLIN.

1100 Dy luy de point en point comme la chose passe.

DORISE.

Mais pourquoy l’as-tu dit ?

CARLIN.

Afin de garentir
Mon Maistre d’une fourbe, il falloit dementir* {p. 104}
Et faire cet affront à certaine rusée
Qui vouloit nous dupper ; la chose est tres-aisée ;
1105 Allons trouver mon Maistre, et luy dy franchement
La chose comme elle est, que l’impudente ment,
Climante sort.
Mais le voici qui sort : Que rien ne t’épouvente.
A Climante.
Ay-je menti, Monsieur ? voici cette Servante
Dont je vous ay parlé, qui n’aguere chez vous
1110 A fait en autre habit un esprit bien jalous.

CLIMANTE.

Est-il vray ce qu’il dit ? es-tu la mesme femme
Qui tantost nous a mis tant de troubles en l’ame ?
Que nous avons trouvée enfermée, et chez moy ?
Parle-moy librement, je te jure ma foy
1115 De te le pardonner, sans me mettre en colere.

DORISE.

Puis que vous le voulez, il faut vous satisfaire.
Je suis celle, Monsieur, je le dy franchement,
Qui m’estoit enfermée en vostre apartement ;
J’ay peché contre vous : mais ce qui me console,
1120 Est que vous estes homme à me tenir parole,
Vous estes trop remply de generosité.

CARLIN.

Et bien, qui de nous deux a dit la verité ? {p. 105}

CLIMANTE.

Mais declare-moy tout, car la chose m’importe :
Dy qui t’a peû donner la clef de cette porte ?
1125 Quel estoit ton dessein en t’enfermant chez moy ?
Va, ne redoute rien.

DORISE.

Monsieur, puis que je voy
Qu’il vous plaist me parler avec tant de franchise
Je ne doy point ici craindre aucune surprise ;
Et puis, pourquoy craindroy-je ? il n’y va rien du mien.

CLIMANTE.

1130 Declare-moy donc tout, et ne me cele rien.

DORISE.

Sçachez doncques, Monsieur, qu’une Dame fort belle :
Mais je n’ay peu sçavoir encor comme on l’appelle,
En tres-bon équipage*, avec force* Laquais,
Dans un riche carosse alloit vers le Marais.
1135 Ayant sçeu qui j’estois d’une sienne Suivante, {p. 106}
Qui me cognoit fort bien, et qui souvent me hante*,
Elle a fait arrester son carosse, et m’a dit,
Va t’en dire chez moy qu’on te donne un habit
Des plus beaux que je porte, et sans qu’aucun le sçache
1140 Va t’en droit au logis de Climante, et te cache
Dedans son cabinet : ces deux clefs que voici
T’en donneront l’entrée, et si tu fais ceci
D’adresse, en composant* ton geste et ton langage,
Jusqu’à pouvoir d’abord donner un peu d’ombrage
1145 A certaine beauté qui trouble mes desseins,
Ne crains pas que pour moy tes offices* soient vains,
Je t’offre cent escus. J’apprens vostre demeure,
Luy promets de le faire, et la quitte sur l’heure.
Vous sçavez que la fourbe a fort bien reüssi,
1150 Cette Dame est contente, et je le suis aussi ;
J’ignore quels secrets peut cacher ce mystere,
Mais j’en ay le profit, je ne m’en sçaurois taire,
Je vous dis en trois mots tout ce qu’elle m’a dit.
Après m’avoir payée elle a repris l’habit,
1155 Et puis j’ay pris congé de ce parfait visage :
Je ne sçaurois, Monsieur, en dire davantage.
{p. 107}

CLIMANTE bas.

Sans doute Dorotée a dit la verité,
Tout est tel en effet qu’elle me l’a conté,
Desja plus qu’à demy mon ame est éclaircie :
A Dorise.
1160 Bien loin d’estre fasché, va je te remercie,
Et pour te tesmoigner que tres estroitement
Je me sens obligé*, reçoy ce diamant,
Il luy donne une bague.
Encor est-ce trop peu pour un si bon office*.
Quand j’auray le moyen de te rendre service
1165 Ce sera de bon cœur : va t’en, et fais estat
Qu’en moy l’on n’obligea* jamais un cœur ingrat.

DORISE.

Monsieur, je vous rends grace.

CLIMANTE bas en r’entrant.

Ah ! je bruslois en l’ame
Du desir de sçavoir quelle estoit cette Dame.
Il r’entre dans son cabinet.
{p. 108}

SCENE II. §

CARLIN, DORISE.

CARLIN dans la ruë devant la porte de Climante.

Quoy, tu me trompois donc en me faisant sçavoir
1170 Qu’en ce lieu tu venois tout exprez pour me voir ?
Je découvre, Dorise, à present ta finesse*,
Mais à n’en point mentir j’admire ton adresse.

DORISE.

Je n’avois pas alors loisir de te parler,
Vois-tu pas qu’il falloit feindre et dissimuler ?
1175 J’attendois à te voir pour t’en conter l’histoire.

CARLIN.

Sans doute elle est étrange, et j’ay peine à la croire ;
Voilà, certes Dorise, un grand hazard* pour toy,
Estant riche à present, voudras-tu bien de moy ?

DORISE.

Penses-tu que je sois jusqu’ à ce point volage ? {p. 109}
Isabelle paroist.
1180 Mais cette fille ici me donne de l’ombrage,
C’est à toy qu’elle en veut, elle te vient chercher.

CARLIN.

Tu n’as pas en ce point sujet* de te fascher,
Elle cherche mon Maistre, et n’ay que faire d’elle.

DORISE.

Elle plaist à tes yeux, je n’y suis pas si belle,
1185 Si je te soubçonnois d’aucune trahison ?

CARLIN.

Tu m’accuses à tort, va tu n’as pas raison.
Un bel œil pour me vaincre est une faible amorce,
Ta bague, et tes escus ont beaucoup plus de force.
{p. 110}

SCENE III. §

ISABELLE, CARLIN, DORISE.

ISABELLE dans la ruë.

M’en doutoy-je pas bien, desloyal, imposteur,
1190 Que tu me trahissois ?

CARLIN bas.

Ah Dieux ! je meurs de peur :
Si je me plains ici, c’est de trop de fortune,
Les voulant toutes deux je n’en auray pas une.

DORISE à Isabelle.

Quoy ! l’empécherés-vous de suivre son desir
S’il me prefere à vous ?

ISABELLE à Dorise.

Il sçait bien mieux choisir,
1195 C’est bien effrontément parler en ma presence, {p. 111}
Vous l’emportez sur moy, mais c’est en impudence.

DORISE à Isabelle.

Pensez-vous le gagner pour parler ainsi haut* ?
Va, je te traitteray, volage, comme il faut.

CARLIN bas.

On me l’avoit bien dit, que j’avois bonne mine*,
1200 Tout le monde m’en veut.
A Dorise bas.
Vien-ça, tai-toy badine*,
Va, je n’en veux qu’à toy, ne le vois-tu pas bien ?

ISABELLE à Carlin.

Vien-ça, que luy dis-tu ?

CARLIN.

Moy, je ne luy dis rien.

DORISE à Carlin.

Or sus* declare-toy, dis à qui tu veux estre,
Je veux sçavoir ici si tu n’es pas un traistre.
{p. 112}

ISABELLE à Carlin.

1205 Parle donc promptement.

CARLIN bas.

J’ay les sens tout confus,
L’une est belle, il est vray, mais l’autre a des escus,
Je voudrois bien avoir toutes les deux ensemble.

DORISE.

Comment ? tu ne dis mot, parle donc, que t’en semble ?

CARLIN bas à Dorise.

Dorise, vois-tu pas que je n’en veux qu’à toy ?

DORISE à Isabelle.

1210 Ecoutez ce qu’il dit ?

ISABELLE.

Que dis-tu ? parle à moy.

CARLIN bas à Isabelle.

Je dy que c’est à toy seule à qui je veux plaire.
Bas
Je suis bien empesché* de ce que je doy faire.

DORISE.

Je te montreray bien, traistre, que tu n’es pas {p. 113}
Où tu penses encor, tu t’en repentiras.

ISABELLE.

1215 Je t’atraperay bien, je t’en donne parole.

CARLIN bas à Isabelle.

Va, laisse-la parler, ce n’est rien qu’une folle.
Climante paroist.

DORISE.

Adieu, ton Maistre vient.

CARLIN bas à Dorise.

Va, je n’aime que toy.

DORISE en s’en allant.

Je ne souffriray pas qu’on se mocque de moy.
{p. 114}

SCENE IV. §

CLIMANTE, ISABELLE, CARLIN.
Dans la ruë à la mesme porte de Climante.

CLIMANTE.

De quels excez d’ennuis* mon ame est agitée ?
1220 As-tu bien peu trouver mon logis, Dorotée ?
Hé bien, fulmine-t’on encore contre moy ?
Leonor doute-t’elle encore de ma foy ?

ISABELLE.

Elle est depuis tantost cent fois plus animée ;
Certes, c’est une fille indigne d’estre aimée,
1225 Plus on vous justifie, et plus elle s’aigrit,
Elle a trop de chagrin*, c’est un fâcheux esprit ;
Elle n’aura jamais un Amant si fidelle,
Et j’en suis, je vous jure, en colere contr’elle :
Car j’ay receu de vous aujourd’huy tant de biens, {p. 115}
1230 Que je veux preferer vos interests aux siens :
Si j’estois que de vous, sans consulter personne,
Je la quitterois là comme elle m’abandonne.

CLIMANTE.

Enfin, ne cele rien, dy tout, s’il faut perir
Acheve promptement de me faire mourir.

ISABELLE.

1235 Puis qu’il faut dire tout, l’ingrate ailleurs s’engage,
Et sans mentir, c’est trop pour un leger ombrage*,
Je n’ay rien oublié pour luy faire sçavoir
Que vous n’avez en rien choqué vostre devoir :
Mais tant plus mes raisons prouvoient vostre innocence
1240 Tant plus ce cœur altier montroit son insolence ;
Car sans considerer vostre fidelité,
Ny vostre extréme Amour, ny vostre qualité*,
Cette arrogante a tort se croyant outragée,
Dessous le joug d’Hymen aujourd’huy s’est rangée
1245 Avec un autre Amant, ou, pour n’en mentir point,
Si cet Hymen n’est pas accomply de tout poinct,
La chose est resoluë.
{p. 116}

CLIMANTE.

Elle s’est bien hastée :
Mais comment nommes-tu ce rival, Dorotée ?

ISABELLE.

On l’a nommé, mais quoy ! je ne m’en souviens plus.

CLIMANTE.

1250 Ah ! je suis interdit si jamais je le fus ?

ISABELLE.

J’ay fait mille sermens, mais quoy ! cette volage,
(Vous me dispenserez d’en dire davantage )
Elle n’aima jamais, on aime foiblement
Quand on ne reçoit pas l’excuse d’un Amant,
1255 Ou son amour pour vous estoit bien delicate*,
Pour moy, je quitterois tout à fait cette ingrate.

CLIMANTE.

Mais, Dorotée, encor, que veut-elle, dy moy ?

ISABELLE.

Elle ne le sçait pas elle-mesme, je croy.
Ne vous estonnez* pas de ce que je vay dire,
1260 Au lieu de me fâcher, je n’en ferois que rire
Cognoissant son humeur : Elle m’a mis en main {p. 117}
Ces Lettres que voici,
Elle luy donne toutes les lettres.
me commandant soudain
De vous les apporter, et de plus, de vous dire,
(Mais avec un mépris qui ne se peut décrire :)
1265 Que vous les brulassiez, et qu’elle veut bannir
Toutes choses de vous jusques au souvenir,
Et que puis qu’elle vit dessous les loix d’un autre,
Vous oubliiez son nom comme elle a fait le vostre.
Voyez ce qu’il vous plaist respondre là dessus.

CLIMANTE.

1270 Ah Dieux ! vit-on jamais un homme plus confus ?

ISABELLE bas.

Je l’ay sensiblement touché, mais il n’importe.

CLIMANTE.

La cruelle veut donc me traiter* de la sorte ?
Ma chere Dorotée, où gist tout mon appuy,
Pourveu qu’elle te veuille encor oüyr, dy luy
1275 Qu’elle s’est en effet bien promptement vangée
D’un homme qui ne l’a jamais desobligée :
Car je prens tous les Dieux pour temoins devant toy
Que sans luy faire tort j’ay conservé ma foy.
Mais puis que sans sujet* cette ingrate se vange
1280 Et puis qu’elle a couru si promptement au change*,
Dy luy qu’elle m’a mis en telle extremité {p. 118}
Que je veux l’imiter en sa legereté,
Que je suis inconstant, puis qu’elle est infidelle,
Et que je vais aussi me marier comme elle.

ISABELLE.

1285 Vous marier ? à qui ? (je tremble justes Dieux ?)

CLIMANTE.

Au plus parfait objet* qui soit dessous les Cieux.

ISABELLE.

Dites-vous vray, Monsieur ? (Dieux que je suis en peine*.)

CLIMANTE.

Non, non, je ne ments point, la chose est tres certaine.

ISABELLE.

Puis-je sçavoir son nom ?

CLIMANTE.

Ce visage si beau,
1290 Qui met, comme tu dis, tant d’Amans au tombeau,
Celle que tu m’as peinte, et si riche, et si belle,
Et qui m’aime si fort.

ISABELLE bas.

Ah ! l’heureuse nouvelle ? {p. 119}
Quelle aprehension, grands Dieux ! viens-je d’avoir ?

CLIMANTE.

Fay moy doncques le bien que je la puisse voir,
1295 Va tost, informe-toy du lieu de sa demeure :
Car je veux, le sçachant, l’aller voir tout à l’heure ;
Ma fille, oblige*-moy.

ISABELLE bas.

Tout m’arrive à souhait,
Haut.
Vous serez dedans peu sur ce point satisfait,
Je pourray bien sçavoir par le moyen du Page
1300 Le nom et le logis de ce parfait visage :
Il est vray toutefois, qu’à peu prez je le sçay.

CLIMANTE.

Dy-le donc, satisfais au desir que j’en ay.

ISABELLE bas.

Est-il heur* sous le Ciel qui mon bonheur égale ?
Haut.
Dans un des Pavillons de la Place Royale :
1305 Mais je ne sçay lequel, allez-y sur le soir,
J’iray trouver le Page, et luy feray sçavoir,
Il en avertira sa Maistresse amoureuse {p. 120}
Qui s’en reputera* parfaitement heureuse,
Et vous fera venir.

CLIMANTE.

Que n’est-elle à mes yeux
1310 Aussi belle ?

ISABELLE.

Que qui ?

CLIMANTE.

Que toy.

ISABELLE.

Que moy ! grands Dieux ?
C’est comparer, Monsieur, le diamant au verre,
Le Soleil à l’estoille, et le Ciel à la terre,
Quoy qu’elle semble avoir quelque peu de mon air.

CLIMANTE.

S’il est vray, c’est un Ange, il n’en faut point douter.
{p. 121}

SCENE V. §

ADRASTE, CLIMANTE, ISABELLE, CARLIN.
Dans la ruë devant la porte du logis de Climante.

ADRASTE.

1315 De vous trouver ici, Climante, c’est merveille.
Regardant Isabelle.
Mais que voy-je ? en effet, révé-je, ou si je veille* ?

ISABELLE bas.

Il m’a veuë, ah grands Dieux ! que doy-je devenir ?

CLIMANTE.

D’où cet étonnement vous peut-il provenir ?

ADRASTE bas à Climante.

Si je suis interdit, et si le teint me change,
1320 Ne trouvez point, amy, cette surprise estrange,
Mon admiration* est tres-juste. {p. 122}

CLIMANTE.

Pourquoy ?

ADRASTE bas à Climante.

Quel est ce beau visage ? amy, dites-le moy.

CLIMANTE.

Faut-il tant s’étonner pour voir une Suivante
Qui sert chez ma Maistresse ?

ADRASTE bas à Climante.

Est-il bien vray, Climante ?
1325 Certes, je suis surpris d’une estrange façon.

ISABELLE bas.

En me cachant deluy, j’accroistrois son soubçon,
Il vaut mieux dire adieu sans faire l’étonnée.
Haut.
Si cette affaire ici peut estre terminée,
Vous me tiendrez parole, et songerez à moy.

CLIMANTE.

1330 Ma fille, ne craint rien, je t’engage ma foy
Que je te donneray bien plus que tu ne penses.
N’en doute nullement.

ISABELLE.

Donc sur ces esperances, {p. 123}
Parce qu’il se fait tard, je pren congé de vous.

CARLIN à Isabelle.

Veux-tu point, Dorotée, appaiser ton courroux ?
1335 Me dis-tu point adieu ?

ISABELLE.

N’en dy pas davantage,
Va, va, je te cognoy, tu n’es rien qu’un volage.
{p. 124}

SCENE VI. §

ADRASTE, CLIMANTE, CARLIN.
Dans la ruë à la porte de Climante.

ADRASTE.

Quoy ? cette fille ici sert donc chez Leonor ?
Seroit-il bien possible ?

CLIMANTE.

En doutez-vous encor ?
Je jure qu’il est vray.

ADRASTE.

Pardonnez je vous prie
1340 Si je tiens ce discours pour une réverie*,
Cela ne peut pas estre.

CLIMANTE.

Encor dites pourquoy
Vous voulez sur ce point vous deffier* de moy ?
Que m’importeroit-il ? {p. 125}

ADRASTE.

Parce que ce visage
Est, ou je suis charmé*, la veritable image
1345 D’une Dame que j’ayme, et hors l’habillement
Qui peut tromper mes yeux, mais non mon jugement.
Je n’ay veu sans mentir rien qui fust si semblable.
Ay-je tort de trouver cette chose admirable* ?

CLIMANTE.

Quand cela seroit vray qui si fort vous surprend,
1350 Je ne trouverois pas un miracle si grand
De voir qu’une personne à quelqu’autre ressemble :
Mais, Amy, vous diray-je au vray ce qui m’en semble ?

ADRASTE.

Oüy, vous m’obligerez*, parlez-moy franchement.

CLIMANTE.

Vous estes, cher Adraste, un si parfait Amant,
1355 Qui portez tellement imprimé dedans l’ame
L’adorable portrait de vostre belle Dame,
Que tout ce qui paroist devant vos yeux charmez*
Vous semble estre aussi-tost l’objet* que vous aimez.
Ces sentimens estans arrivez à mille autres, {p. 126}
1360 Ne vous estonnez point si je blâme les vostres,
Je vous tiens, cognoissant vostre complexion*,
Capable plus qu’aucun de cette impression.
N’eussiez-vous pas juré que cette mesme Dame
Qui nous mit hier au soir tant de troubles en l’ame,
1365 Estoit le mesme objet* dont vous estes espris ?

ADRASTE.

Il est vray, je l’ay creu : mais quoy, je fus surpris.

CLIMANTE.

N’est-il pas encor vray, que jusqu’à sa Suivante
Vous pensiez que ce fust celle de vostre Amante ?
Et vous juriez quasi l’avoir veuë.

ADRASTE.

En effet,
1370 J’ay creu que c’estoit elle, et j’en avois sujet*,
Et d’autre que de vous j’aurois bien peine à croire
Que ce fust une fable*, et non pas une histoire*.

CLIMANTE.

Vous vous trompiez pourtant en vostre opinion,
Celle que vous aimez est allée à Lyon,
1375 Comme vous m’avez dit, et l’autre sur ma vie {p. 127}
Est encor à Paris, et n’en est point sortie.
Puis que l’on m’a promis dans une heure d’ici
De me la faire voir, et luy parler aussi.

ADRASTE.

En quel lieu se tient-elle ?

CLIMANTE.

A la place Royale.

ADRASTE.

1380 S’il est vray, ma beveuë est ici sans égale,
A vous seul je me rends, quoy que fort estonné.

CLIMANTE.

Adraste, une autrefois* soyez moins obstiné.

ADRASTE.

Mais si vous allez voir cette belle Maistresse,
Qui de nouveau vous picque*, il faut que je vous laisse,
1385 l’Amour*, vous le sçavez, ne veut point de témoins.

CLIMANTE.

J’ay deux heures encor de loisir pour le moins,
En puis-je estre picqué* ne l’ayant jamais veuë ?
{p. 128}

ADRASTE.

Allons en attendant faire un tour par la ruë,
Nous nous separerons quand vous l’ordonnerez.

CLIMANTE.

1390 Je le veux, nous ferons tout ce que vous voudrez.

SCENE VII. §

LEONOR, LUCILLE.
Dans la ruë à la porte de Leonor, revenans de la Ville.

LUCILLE.

Pensez-y mieux, Madame.

LEONOR.

Ah Lucille, es-tu folle ?
Qu’on ne m’en parle plus, j’ay donné ma parole,
Deussé-je mille fois moy-mesme me trahir, {p. 129}
Mon oncle me l’ordonne, il luy faut obeyr,
1395 Je le veux espouser.

LUCILLE.

L’aveuglement extréme,
Voulez-vous vous vanger vous mesme de vous mesme ?

LEONOR.

En espousant Adraste, il est vray que j’ay tort,
Je l’ay hay sans doute à l’égal de la mort :
Mais que veux-tu, Lucille, à present que je fasse ?
1400 Je suis de feu pour l’un, et pour l’autre de glace,
Climante avoit mon cœur, je ne le cele pas,
Mais puis que ce perfide en fait si peu de cas,
Je veux fouler aux pieds sa cruelle arrogance,
Mespriser ses mespris, et braver son offence.

LUCILLE.

1405 Il est vray que Climante est perfide et leger :
Mais de qui maintenant pensez-vous vous vanger ?
Vous vous rendez vous mesme un tres mauvais office*,
Vous pleurerez long-temps l’effet de ce caprice,
Dont le plaisir ne peut vous durer qu’un moment, {p. 130}
1410 Et dont le repentir dure eternellement.

LEONOR.

Lucille, tu dis vray, mais je suis si piquée*,
De voir ma foy trahie, et mon Amour mocquee,
Qu’il faut que je me vange, en deussé-je sentir
Le reste de mes jours un cuisant repentir.
1415 Le plaisir que j’auray de me sentir vangée,
Adoucira l’aigreur de mon ame outragée,
Et ce nouveau sujet* de joye en mes douleurs,
Calmera ma tristesse, et sechera mes pleurs.

LUCILLE.

Quoy ? vous desirez donc pour punir son offence
1420 Vivre en pleurs eternels ? ô la belle vengeance !
Par là vous contentez de tout point ses plaisirs,
Car n’ayant plus d’obstacle à ses ardents desirs,
Vostre rivale arrive au comble de sa gloire.

LEONOR.

Aussi sur mon Amour j’emporte la victoire,
1425 En dépit de ma flame il faut favoriser
La recherche d’Adraste, oüy, je veux l’épouser,
Je dois à son amour cette recognoissance : {p. 131}
Et puis nous songerons apres à la vengeance
Contre cet inconstant qui m’a manqué de foy.

SCENE VIII. §

ISABELLE, PAMPHILE, DORISE.

ISABELLE dans la ruë.

1430 Leonor vient d’entrer. Toy, Pamphile, dy moy,
As-tu trouvé Lizene ? as-tu donné ma lettre ?

PAMPHILE.

Croyez que de sa part vous vous pouvez promettre,
Si vostre heur en dépend, entiere guerison,
Elle vous laisse libre aujourd’huy sa maison,
1435 Afin d’y recevoir, comme estant la Maistresse,
Qui bon vous semblera.

ISABELLE.

J’estime ton adresse,
Dorise, portes-y promptement mon habit, {p. 132}
Pour me vestir chez elle, ainsi que je t’ay dit.

DORISE.

Je n’y manqueray pas, mais que voulez-vous faire ?

ISABELLE.

1440 Ne t’en informe point, c’est une estrange affaire,
Que tu verras sans doute, aujourd’huy reüssir,
Et lors* tu te pourras aysément éclaircir,
Par ce que tu verras de l’esprit d’Isabelle.
Mais Leonor paroist, elle sort de chez elle,
1445 Retirez-vous tous deux.
Dorise et Pamphile sortent.
{p. 133}

SCENE IX. §

LEONOR, ISABELLE.
Dans la ruë à la porte du logis de Leonor.

LEONOR.

Dorotée, est-ce toy ?
As-tu veu cet ingrat ? que dit-il ? respond-moy.

ISABELLE.

Si je ne l’avois veu, j’aurois bien peine à croire
Qu’un homme si bien fait eust une ame si noire.

LEONOR.

Acheve, je te prie.

ISABELLE.

Il est homme, et l’estant,
1450 Se doit-on estonner de le voir inconstant ?
Comme il vous avoit pleu me commander, Madame, {p. 134}
J’ay remis vos écrits aux mains de cet infame ;
Mais luy sans s’estonner*, avec un faux sousris,
Signe trop évident d’un apparent mespris :
1455 Va dire, m’a-t’il dit, à cette glorieuse*,
Qui tranche* de la Reyne, et de l’Imperieuse,
Et dont j’ay, grace au Ciel, presque oublié le nom :
(Mais d’un air arrogant, et d’un superbe* ton)
Que d’elle je reçois avec beaucoup de joye
1460 Ces écrits que j’ay fais, et qu’elle me renvoye,
Qu’elle m’oblige* fort en pensant m’irriter :
Car je ne voulois pas qu’elle se peust vanter,
Comme par ces écrits elle l’auroit peu faire,
Qu’elle eust esté jamais capable de me plaire.

LEONOR.

1465 Avec cette impudence ?

ISABELLE.

Il m’a dit cent fois pis ;
De peur de vous fâcher, croyez que j’adoucis
Autant que je le puis son indigne response.

LEONOR.

Le perfide qu’il est ! va, va, je le renonce :
Mais qu’as-tu reparti ? {p. 135}

ISABELLE.

Je crains de vous fâcher :
1470 Comme par mes discours je voulois le toucher,
Cette Dame qu’il ayme, est aussi-tost entrée
Ce que voyant, soudain je me suis retirée,
M’estant bien aperceuë, ainsi comme je croy,
Qu’ils se mocquoient tous deux, et de vous, et de moy.

LEONOR.

1475 Encor cela de plus ? écoute, Dorotée,
Me voyant de ce traistre indignement traitée,
Je ne ressemble point à ces lâches esprits
Dont l’Amour aveuglé s’accroist par le mespris,
Il n’est rien qui me picque*, et qui plus me rebute,
1480 Oy donc un beau dessein qu’il faut que j’execute :
Me voylà resoluë à vivre sous les loix
D’un jeune Cavalier, que mon oncle autrefois
Contre mon sentiment m’a conseillé de prendre :
Mais je desire avant que d’y vouloir entendre*
1485 Me vanger puissament de ce manque de foy.

ISABELLE.

S’il ne tient qu’à cela, reposez-vous sur moy,
J’en viendray bien à bout ; Oüy, je pourray, Madame, {p. 136}
Par un subtil moyen que je conçoy dans l’ame,
Rendre dessus ce poinct vos desirs satisfaits.

LEONOR.

1490 Ma fille, espere tout de moy si tu le fais.

ISABELLE.

Oüy, oüy, je vengeray puissamment cette offence :
Mais entrons là-dedans, avec plus d’asseurance
Nous en pourrons parler, et tenez pour certain
Que je viendray sans peine à bout de mon dessein.

LEONOR.

1495 Entrons, je le veux bien, mais que pretens-tu faire ?

ISABELLE.

Laissez-moy comme il faut ménager cette affaire.

LEONOR.

Je croy que ton esprit peut entreprendre tout,
Et si je ne me trompe, en venir bien à bout.

Fin du quatriesme Acte.

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

ADRASTE, CLIMANTE, CARLIN.

ADRASTE dans la ruë.

Le Ciel me favorise, et certes aujourd’huy
1500 J'ay lieu de me loüer* plus que jamais de luy
De vous trouver ici.

CLIMANTE.

Dites-moy quelle affaire
Vous porte à me chercher ?

ADRASTE.

Une tres-necessaire,
Vous seul avez pouvoir de terminer mon sort, {p. 138}
J'attens de vostre bouche, ou la vie, ou la mort.

CLIMANTE.

1505 Adraste, devez-vous me traitter* de la sorte ?

ADRASTE.

On veut faire revivre une esperance morte,
Et tout dépend de vous, ainsi que l’on m’a dit.

CLIMANTE.

Vous estes trop heureux* si j’ay tant de credit,
Oüy, disposez de moy, vous en estes le maistre.

ADRASTE.

1510 Je benirois le Ciel si cela pouvoit estre.

CLIMANTE.

Voyez* où vous avez besoin de mon secours.

ADRASTE.

On veut renouveller mes premieres Amours,
En vous quittant tantost j’ay rencontré Timandre
Oncle de Leonor, lequel m’a fait entendre
1515 Que sa niepce à present brusle d’amour pour moy,
Qu'elle est preste aujourd’huy de m’engager sa foy ;
Que vous avez rompu tout à fait avec elle, {p. 139}
Dont il venoit exprez me donner la nouvelle ;
Que si j’ay conservé quelque reste d’Amour,
1520 Je n’ay qu’à convenir et de l’heure et du jour
Pour faire les accords de nostre mariage ;
Je n’ay que faire ici d’en dire davantage ;
Vous m’avez fait sçavoir tantost que contre vous
Leonor ce matin a vomi son courroux ;
1525 Et comme je cognoy ces riottes* legeres
Qui parmy les Amans sont assez ordinaires,
J'ay creu que ce dépit mourroit dans un moment,
Mais il m’a bien conté cette histoire autrement,
Car il m’a protesté* que sa Niepce offensée
1530 Vous avoit pour jamais banni de sa pensée,
Qu'elle avoit pour moy seul autant de passion
Qu'elle avoit cy-devant conceu d’adversion,
Qu'il ne tiendra qu’à moy que dans cette journée,
Nous ne soyons unis sous les loix d’Hymenée ;
1535 Qu'au lieu de traverser* nostre contentement,
Vous mesme y donnerez vostre consentement,
Sans quoy je ne voudrois jamais rien entreprendre :
Dites donc, cher Amy, ce que j’en dois attendre,
Pour Dieu ne tenez plus mon esprit en suspends.

CLIMANTE.

1540 Vous ne sçauriez, Amy, mieux prendre vostre temps,
Rebuté des mépris de cette glorieuse*, {p. 140}
Qui pour un faux soubçon fait tant la dédaigneuse,
De bon cœur je la cede, et je ne pretens pas
Vous obliger* beaucoup en cedant ses appas ;
1545 Puis que j’ay fait dessein de servir cette Dame,
Pour qui je vous ay dit que j’estois tout de flame :
Je ne la vy jamais, mais on m’a tant vanté
Sa beauté, sa noblesse, et sa civilité,
Le tout accompagné d’une extréme richesse,
1550 Que je suis resolu d’en faire ma Maistresse :
Vous rendant Leonor pour vous, je ne fay rien,
C'est restitution, je vous rends vostre bien,
Et quand je l’aymerois, mon heur* seroit extréme
De la voir posseder par un autre moy-mesme.

ADRASTE.

1555 Je n’esperois pas moins d’un genereux Amy,
Qui n’oblige* jamais ceux qu’il ayme, à demy.
Puis que de son Amour son mépris vous dégage,
Je m’en vay terminer cet heureux mariage

CLIMANTE.

Leonor est à vous, je n’y pretens plus rien,
1560 Adieu, de mon costé je vay penser au mien.
Adraste s’en va.
Allons, Carlin, allons visiter cette belle.

CARLIN.

Vous vous allez, Monsieur, brusler à la chandelle,
Arrestez je vous prie, où courez-vous si fort ?
Estes-vous asseuré de demeurer d’accord* ?
1565 Et que cette beauté qu’on vous peint adorable,
Ne soit point à vos yeux quelque objet* effroyable ?
C'est avoir, croyez-moy, le jugement mal sain,
D'abandonner ainsi le seur pour l’incertain :
Vous faites à vous mesme une trop rude guerre,
1570 Entre deux beaux coussins d’estre le cul en terre.

CLIMANTE.

Dorotée a dit vray, va Carlin, je la croy
Puis qu’elle m’en asseure, elle est digne de foy.
{p. 142}

SCENE II. §

ISABELLE superbement vestuë en Dame. LEONOR, DORISE.
Dans la ruë à la porte du logis de Leonor.

ISABELLE.

Qu'en dites-vous, Madame ?

LEONOR.

Il est vray, Dorotée,
Que la fourbe est subtile, et tres-bien inventée :
1575 Mais j’ay peine pourtant, à me persuader
Que tu viennes à bout.

ISABELLE.

Cessez d’apprehender,
Reposez-vous sur moy, la chose est tres-aisée.
{p. 143}

LEONOR.

Il le faut confesser, tu t’es bien déguisée,
Cet habit te sied bien, mais crois-tu qu’aisément
1580 Climante soit duppé par ce déguisement ?
Et quoy ? crois-tu passer prez de luy pour Lizene ?

ISABELLE.

Mais, Madame, pourquoy vous mettez-vous en peine* ?
Blâmez-moy si je manque*, et si je ne fais bien,
Il suffit qu’aujourd’huy vous ne hazardez* rien,
1585 C'est moy seule qui cours risque de toute chose.

LEONOR.

Sçache qu’à tout peril pour cela je m’expose,
Tu ne le cognois pas comme je le cognois ;
Climante est fort rusé.

ISABELLE.

Le fust-il plus cent fois
Il n’échapera pas des mains de Dorotée.

LEONOR.

1590 Mais dans ce beau dessein, t’es-tu point mécontée* ?
Car Lizene n’est pas la Dame qu’il cherit. {p. 144}

ISABELLE.

Avez-vous oublié ce que je vous ay dit ?
Il est vray que Climante adore cette Dame
Dont vous avez soubçon ; mais non pas comme femme,
1595 Il ne la tient chez luy que pour passer son temps,
Et vous l’avez deux fois trouvée à vos despens :
Mais au nom de Lizene il a rendu les armes,
Il meurt pour ses attraits, il adore ses charmes :
Enfin de ses grands biens estant bien adverti,
1600 Il meurt de posseder un si riche parti.
Moy, sçachant de certain qu’il ne l’a jamais veuë,
L'invention soudain dans l’esprit m’est venuë
De passer prez de luy sous ce nom emprunté,
Bien que comme en esprit je luy cede en beauté :
1605 Lizene m’ayme fort, et je suis asseurée
Qu'elle nous servira, je l’ay bien preparée,
Ce soir elle me preste à dessein son logis,
Et m’a par ma cadette envoyé ses habits
Qui me viennent* bien mieux que n’eussent fait tous autres,
1610 C'est le sujet* pourquoy je n’ay pas pris les vostres,
On diroit que ceux-cy sont fait exprez pour moy.
{p. 145}

LEONOR.

Tu ne pourras jamais l’abuser que je croy,
Il te recognoistra, tout le jour il t’a veuë.

ISABELLE.

Laissez-moy faire, ô Dieux ! vostre soubçon me tuë,
1615 J'ajusteray ma mine à mes pompeux habits.

LEONOR.

Quand bien tu passerois pour celle que tu dis,
Sans s’informer de toy, penses-tu qu’il souhaite
T'espouser sur le champ ?

ISABELLE.

Je tiens la chose faite.
Vous en aurez sans doute aujourd’huy le plaisir.

LEONOR.

1620 La vengeance seroit conforme à mon desir,
Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse,
S'il prenoit la Suivante.

ISABELLE.

Adieu donc, je vous laisse,
Vous ferez ma fortune en vous vengeant de luy, {p. 146}
Et sçaurez ce que vaut Dorotée aujourd’huy.

LEONOR.

1625 Dieu veüille seconder* cette belle entreprise
Qui vange mon honneur ; Va, le Ciel te conduise.

ISABELLE.

Je meine* pour Servante avecque moy ma sœur.
Leonor s’en va.

LEONOR.

Ciel, donnez-luy la force aussi bien que le cœur*.

SCENE III. §

ISABELLE, DORISE.

ISABELLE dans la ruë.

Allons, ma sœur, allons. Au coin de cette ruë,
1630 Quand tu ne seras plus de personne aperceuë,
Retourne à la maison.
{p. 147}

DORISE.

Je m’en vay m’échaper ;
Grands Dieux ! que cette fille est facile à tromper ?

ISABELLE.

Dépéche-toy, Carlin venant avec son Maistre,
Ne manqueroit jamais, sans doute à te cognoistre.

DORISE.

1635 Le hazard* est bien grand que vous allez courir.

ISABELLE.

Ne sors pas du logis, je t’envoyeray querir.
Elles s’en vont toutes deux, l’une par un costé et l’autre par l’autre.
{p. 148}

SCENE IV. §

CLIMANTE, CARLIN.
Dans la ruë qui paroistra, si l’on veut, la Place Royale.

CLIMANTE.

Voicy l’heure, sans doute, à mon bonheur fatale,
Nous sommes assez prez de la Place Royale,
Quel sera le logis de tous ceux que je voy ?

CARLIN.

1640 Mais pourquoy voulez-vous, Monsieur, adjouster foy
Aux discours imposteurs de cette Dorotée ?
Ne voyez-vous pas bien que c’est une effrontée
Qui ne fait que mentir ?

CLIMANTE.

Non, tant que je vivray
Je croiray Dorotée, elle a toûjours dit vray.
{p. 149}

CARLIN.

1645 Pour se mocquer de vous, elle s’est advisée*
De cette fourbe ici : Monsieur, elle est rusée
Plus que vous ne pensez.

CLIMANTE.

Que m’importe ? apres tout,
Car si de mes desseins je ne viens pas à bout,
Toûjours* la promenade est belle en cette place ?

CARLIN.

1650 Elle est belle pour vous, mais pour moy je me lasse,
Entrons, et me croyez dans quelque cabaret,
Pour nous desalterer allons-y boire un trait*,
Quel plaisir de marcher à vuide* dans la ruë ?
Je me lasse, Monsieur, à faire ici la gruë*.

CLIMANTE.

1655 Quoy maraut ? suis-je un homme à hanter* en tels lieux ?
Qui m’y viendroit chercher ?

CARLIN.

Il falloit pour le mieux,
Luy donner rendez-vous dedans l’Echarpe blanche ; {p. 150}
Je jeusne ici, mais là j’aurois eu ma revanche,
Je ne me plaindrois point de mon mauvais destin,
1660 Quand mesme j’y serois du soir jusqu’au matin :
Mais à pied dans la ruë on me fait trop attendre.

SCENE V. §

UN PAGE d’Isabelle, CLIMANTE, CARLIN dans la Place Royale à la porte de Lizene.
Climante se promene seul.

LE PAGE.

Souffrez la liberté, Monsieur, que j’ose prendre ;
Estes-vous pas Climante ? […]

CLIMANTE.

Oüy, l'on m'appelle ainsi.

LE PAGE.

Venez donc, ma Maistresse assez proche d'ici.
1665 Vous attend à la porte, elle s'en va descendre.

CLIMANTE.

J'obeys, et te suy s'il te plaist de m'attendre.
Quel heur* pour moy : Carlin, dis-tu pas qu'elle ment ?

CARLIN.

Si la fin peut respondre à ce commencement ;
(Mais j'en doute bien fort) j'auray menti moy-mesme.

SCENE VI. §

ISABELLE, CARLIN, CLIMANTE.
Dans la ruë qui paroistra, si l'on veut, la Place Royale devant la porte de Lizene.

ISABELLE superbement vestuë.

1670 Vous ayant fait sçavoir, Monsieur, que je vous ayme,
Et que d’un autre objet* mon cœur estoit jaloux,
Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous ? {p. 152}

CLIMANTE surpris à Carlin bas.

De quelle illusion est mon ame enchanté* ?
Cognois-tu ce visage ?

CARLIN bas à Climante.

Ah Dieux ! c’est Dorotée ?
1675 C'est elle, mais, Monsieur, en different habit.

ISABELLE.

Vous estes donc muet ? vous estes interdit ?
Quoy Monsieur, traitez-vous les Dames de la sorte ?
Et vous offencez-vous de l’Amour qu’on vous porte ?

CLIMANTE.

L'excez de cet honneur me surprend tellement,
1680 Que je ne puis ouvrir la bouche seulement.
Mais sous un autre habit ne vous ay-je point veuë ?

ISABELLE.

Non, mais c’est à la voix que vous m’avez cognuë
Vous m’avez peu parler seulement une fois
Qui fut hier au soir.
{p. 153}

CLIMANTE à Carlin.

Carlin, j’en jurerois.

ISABELLE.

1685 Expliquez-vous, Monsieur, car ce discours m’estonne.

CLIMANTE.

Vous ressemblez si fort à certaine personne,
Que si ce beau visage, et le sien en sont deux,
On n’a jamais rien veu de si miraculeux.
Voyla son œil, son poil, sa parole, son geste,
1690 Sa taille et sa façon : Oüy Carlin, je proteste*
Que ce l’est elle-mesme.

CARLIN.

Il n’en faut point douter,
C'est elle, et je me ry de vous voir consulter*.

ISABELLE.

Et vous nommez, Monsieur, celle-là ?

CLIMANTE.

Dorotée,
Qui sert chez Leonor, Dame que j’ay hantée*,
1695 Et pour qui j’ay mesme eu de l’inclination. {p. 154}

ISABELLE.

Vous n’estes pas tout seul de cette opinion ;
L'ayant veuë aujourd’huy par la ruë, il me semble
A moi-mesme qu’elle a quelque air qui me ressemble.

CARLIN bas.

Si je ne l’estois pas, je serois bien duppé.

CLIMANTE.

1700 Cet habit me surprend.

CARLIN.

C'est luy qui m’a trompé.

ISABELLE.

Brisons*-là, pour vous dire ici que je vous aime,
Je le dy librement, et que je suis la mesme
Qui me refugié chez vous hier au soir,
Pour avoir plus long-temps le bonheur de vous voir.
1705 Je feigny que j’estois d’un mary poursuivie,
Qui vouloit en cholere attenter sur ma vie :
Mais je suis fille encor, je mentois à dessein.
{p. 155}

CARLIN bas à Climante.

Elle mentit hier, et mentira demain,
Vous l’écoutez encor ?

CLIMANTE.

Maraut te veux-tu taire ?

ISABELLE.

1710 Pour mettre Leonor justement en colere,
Sçachant qu’elle venoit chez vous pour voir le Roy,
J'emporté vos deux clefs, et mandé que chez moy
On fist vestir sur l’heure une adroite friponne
D'un de mes beaux habits : Aussi-tost je luy donne
1715 Vos deux clefs dans la main, avec commandement
De venir s’enfermer dans vostre apartement.
Vous voyez que c’estoit pour donner de l’ombrage* ;
Je ne puis pas, Monsieur, en dire davantage,
Vous avez veu le reste, et vous pouvez sçavoir
1720 Si cette jeune fille a bien fait son devoir.

CLIMANTE.

Mais à tous vos desseins pouvois-je rien comprendre ?
Madame, sans parler, pouvois-je vous entendre ?
{p. 156}

ISABELLE.

Non, pour moy Dorotée en a pris le souci*,
J'ay sceu depuis tantost qu’on l’appelloit ainsi,
1725 A qui j’ay declaré mon amoureux martyre,
Afin de m’epargner la honte de le dire.

CLIMANTE bas.

Dorotée en effet m’a dit la verité.

ISABELLE.

Informez-vous, Monsieur, quelle est ma qualité*,
Et vous recognoistrez, sans doute, qu’en noblesse,
1730 Je passe* Leonor aussi bien qu’en richesse,
Et pleust à mon destin que je peusse en ce jour
La surpasser en grace aussi bien qu’en amour
Pour vous estre agreable.

CLIMANTE.

Ah ! beauté que j’admire ?
Dans ma confusion je ne sçay que vous dire.
1735 C'est moy qui doy, Madame, implorer à genoux
L'heur* de vous posseder en qualité d’espoux :
Je me tiens glorieux, et renonce à tout autre
Si vous offrant ma main vous me donnez la vostre.
{p. 157}

ISABELLE luy donnant la main.

Me voici, je l’avoüe, au bout de mes souhaits,
1740 Mon cœur est trop content, pourveu que desormais
Leonor ne soit plus en pouvoir de me nuire.

CLIMANTE.

Elle épouse à ce soir Adraste, et je desire
Luy montrer qu’ayant sceu briser tous ses liens,
J'ay mesprise ses fers comme elle a fait les miens.

ISABELLE.

1745 Allons-y, vous verrez quelque chose d’estrange,
Adraste vous dira que vous gagnez au change.
Il me cognoist fort bien, allons-y de ce pas.

CARLIN bas à Climante.

Non, croyez-moy, Monsieur, et ne la croyez pas.
Voyez-vous pas que c’est une fourbe inventée ?

CLIMANTE.

1750 Mais quoy ! chez Leonor verrons-nous Dorotée
Sans qu’on charme* mes yeux ? sans qu’on trompe mes sens ?
{p. 158}

ISABELLE.

Je vous la feray voir.

CLIMANTE.

Dieux ! qu’est-ce que j’entends ?
Et mesme devant vous je la verray paroistre ?

ISABELLE.

Oüy, tres-asseurément.

CLIMANTE.

Cela ne peut pas estre.

ISABELLE.

1755 Vous l’y verrez.

CLIMANTE.

Allons, j’en veux estre éclairci :
Soyez juges, mes yeux, de ce prodige ici.
{p. 159}

SCENE VII. §

ADRASTE, TIMANDRE, LEONOR, LUCILLE
Dans la ruë à la porte de Leonor.

ADRASTE.

Mais est-il bien certain, Monsieur, j’ay peine à croire
Que je sois à present si proche de ma gloire.
Leonor paroist à sa porte avec Lucille.

TIMANDRE.

Ne me croyez-vous point ? en doutez-vous encor ?
1760 Allons sur ce sujet consulter Leonor.
Mais la voicy qui sort.

ADRASTE à Leonor.

Beauté plus que mortelle,
Je suis trop glorieux* si ma fortune est telle
Que vostre oncle me dit, et beny l’heureux* jour {p. 160}
Qu'en vostre cœur la haine a fait place à l’Amour.

TIMANDRE.

1765 Ma Niepce méprisant cent indignes conquestes,
Et recognoissant mieux l’honneur que vous luy faites,
Vous reçoit maintenant en qualité d’Epoux.

LEONOR.

Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous !
Ayant fait plus d’estat d’un perfide, et d’un traistre,
1770 Que d’un fidelle Amant que je n’ay peu cognoistre ?
Mais en me tesmoignant qu’au lieu de vous vanger
Par un excez d’amour vous voulez m’obliger* ;
Je jure de n’avoir desormais autre envie
Que de vous obliger* tout le temps de ma vie.

ADRASTE.

1775 Apres tant de faveurs que dois-je aprehender !
Timandre, accordez-moy l’heur* de la posseder.

TIMANDRE.

Regardez*, Leonor, ce que vous voulez faire.

LEONOR.

Puis qu’il vous plaist, Monsieur, je le veux satisfaire.
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TIMANDRE.

Je conjure le Ciel que selon vos desirs
1780 Rien ne puisse jamais alterer vos plaisirs :
Entrons, nous serons mieux au logis qu’en la ruë.
Isabelle avec suitte, Climante et Carlin paroissent.
Ces gens viennent à nous, attendons leur venuë.

SCENE VIII et derniere. §

CLIMANTE, ADRASTE, LEONOR, ISABELLE superbement vestuë avec suitte CARLIN, TIMANDRE, LUCILLE, ARISTE
Tous dans la ruë à la porte de Leonor.

CLIMANTE à Leonor.

Je viens pour prendre part à vos felicitez,
Et non pour rendre hommage encor à vos beautez :
1785 Je sens dedans mon cœur une joye infinie,
De voir à vostre hymen si bonne compagnie.
Montrant Isabelle qu’il tient par la main.
Ce bel objet* que rien ne sçauroit égaler,
Me peut, si je vous perds, aysément consoler.

ADRASTE bas, estonné.

Que vois-je, justes Dieux ! que mon ame est ravie* !
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LEONOR à Climante ;

1790 Si vous considerez mon bonheur sans envie,
Sans aucun déplaisir je voy le vostre aussi.

ADRASTE bas à Leonor.

Madame, justes Dieux ! que veut dire cecy ?
Voyla cette beauté que je croyois absente.

LEONOR bas à Adraste.

Adraste, taisez-vous, c’est ici ma Suivante,
1795 Vous allez, sans mentir, bien passer vostre temps.
Oyez sans dire mot.

ADRASTE bas.

Dieux ! qu’est-ce que j’entends ?
De quel trouble d’esprit est mon ame agitée ?

CLIMANTE à Leonor.

Faites-moy, s’il vous plaist, appeler Dorotée.

LEONOR.

Que luy voulez-vous donc ?

CLIMANTE.

La voir tant seulement.
{p. 163}

LEONOR à Adraste bas.

1800 Et bien, qu’en dites-vous ? c’est elle asseurément,
Il la tient par la main, et vient s’informer d’elle.
Haut à Climante.
Je m’en vais vous aprendre une heureuse nouvelle,
Elle n’est pas bien loin, je vous la vay montrer,
Elle est ici presente, et feignez l’ignorer.
A Isabelle.
1805 Dorotée, allez tost me querir ma cassette
Où sont tous mes escrits : (elle fait la muette)
Madame, approchez-vous.

ISABELLE gravement.

Parlez-vous donc à moy ?

ADRASTE bas.

C'est elle asseurément, ah ! qu’est-ce que je voy ?

LEONOR à Isabelle.

C'est à toy que je parle, il n’est plus temps de feindre,
1810 Ma fille, respons-moy, va, tu n’as rien à craindre.
A Climante.
Ah perfide ! ah volage ! indigne de pitié,
Le Ciel me vange bien de ton peu d’amitié,
Tu quittes la Maistresse pour prendre la Suivante.
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CLIMANTE regardant Isabelle.

Dieux ! quelle trahison ?

ISABELLE.

N'en croyez rien, Climante,
1815 Je ne veux plus tenir tant de monde en suspens.
Je me veux declarer, oüy Madame il est temps :
Pensant tromper autruy vous vous trompez vous mesme.
J'ay feint, pour posseder ce Cavalier que j’ayme,
Mon nom, et mon habit ; En ay-je dit assez ?
1820 Je ne suis nullement celle que vous pensez :
Adraste que voyla, sçait bien comme on m’appelle,
Qu'il dise franchement s’il cognoit Isabelle ?
S'il sçait quel est mon bien et mon extraction ?
J'ay veritablement trahy sa passion,
1825 Je me suis à ses vœux montrée inexorable,
Mais je le cognoy bien, il est trop raisonable
Pour desirer par force estre maistre d’un cœur
Qui confesse tout haut le nom de son vainqueur.

LEONOR.

Vous mocquez-vous de nous par ces contes frivoles ?

ADRASTE.

1830 Madame, elle dit vray, croyez à ses paroles,
Je la cognoy fort bien, c’est veritablement {p. 165}
Ce sujet tant vanté, cet objet* si charmant
Qui rangea sous ses loix ma liberté ravie,
Quand je vous vy si fort contraire à mon envie :
1835 Mais je r'entre content dedans mes premiers fers,
Je ne me souviens plus des maux que j’ay soufferts :
Car je sens de nouveau renaistre dans mon ame
Le mesme embrazement de ma premiere flame,
Que vostre seul mépris, Madame, avoit esteint.
1840 Vous, cher Amy, croyez si vous estes estreint
Du saint nœud d’Hymenée avec cette merveille,
Que c’est une faveur qui n’a point de pareille,
C'est le plus digne objet* qui soit dessous les Cieux.

LEONOR.

Climante, souffrez-vous qu’on nous jouë à vos yeux ?

CLIMANTE.

1845 Puis que je voy qu’ici la chose est sans remede,
Qu'y ferois-je, Madame ? il faut bien que je cede :
Mais Adraste a dit vray, je suis tres-satisfait,
Et ne me repens point du beau choix que j’ay fait.

LEONOR.

Le Ciel fait bien paroistre aujourd’huy sa justice ;
1850 Adraste jusqu’ici m’a tant fait de service,
Que ce seroit luy faire un trop indigne tour, {p. 166}
De ne seconder* pas un si fidelle Amour.

ADRASTE.

Apres un tel adveu, je suis ingrat, Madame,
Si je me plains du Ciel.

ISABELLE.

Pour moy, si j’ay du blâme,
1855 De vous avoir fourbez, de vous avoir trahis,
Il en faut accuser l’Astre à qui j’obeys :
Mais pour rendre à mes vœux ce Cavalier sensible,
J'aurois tout fait, Madame, et jusqu’à l’impossible.

LEONOR.

Tant s’en faut que j’en garde aucun ressouvenir*,
1860 Que j’en beny le Ciel qui m’a voulu punir,
Et m’offre à vous servir de toute ma puissance :
Mais pardonnez, Madame, à mon extravagance.
Je devois bien juger, voyant ce que je voy,
Que je devois servir, vous, commander chez moy.

ISABELLE.

1865 Cet excez de faveur surpasse mon attente :
Mais quoy ! vous me traitez comme vostre servante.
{p. 167}

TIMANDRE.

Laissons ces complimens, songeons à terminer
Ce double mariage, il nous faut couronner
Ce beau couple d’Amans d’une immortelle gloire,
1870 Afin que nos Neveux* en celebrent l’histoire.

CARLIN à Isabelle.

Tu me quittes cruelle, et je t’ayme si fort.

CLIMANTE.

En effet il est vray, Dorotée a grand tort.

ISABELLE.

Au lieu d’elle Carlin, je te donne Dorise,
Elle me sert, je veux qu’elle te soit acquise,
1875 Tu sçais bien son logis, fay-la venir ici.

CARLIN.

Pourveu qu’elle ait sa bague et cent escus aussi.

ISABELLE.

Va, je t’en donne mille, en veux-tu davantage ?
Pourrois-tu souhaitter un plus beau mariage.
{p. 168}

CARLIN.

Je seray plus heureux que mon Maistre à la fin.

CLIMANTE.

1880 Je veux aussi donner mil escus à Carlin,
Et devant* qu’il soit nuict je veux qu’on les fiance.
Ils s’en vont.

CARLIN.

Puis que je voy chez nous et bagues et finance,
Je veux d’orénavant qu’on m’appelle Monsieur,
A quantité de gueux on fait bien cet honneur,
1885 Qui n’ont point tant d’escus ny si belle Maistresse.
Puis-je pas y pretendre avec tant de richesse ?
Oüy, je rompray le col, j’en fais un bon serment,
A quiconque osera m’appeller autrement.

Fin de la Comedie de la Dame Suivante.

EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. §

Par grace & Privilege du Roy donné à Paris le vingt-cinquiesme jour de Juillet 1645. Signé, Par le Roy en son Conseil, LE BRUN. Il est permis à TOUSSAINCT QUINET Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une pièce de Theatre intitulée, La Dame Suivante Comédie, Par le sieur d’Ouville, durant le temps & espace de cinq ans, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer : Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de contrefaire ledit Livre, ny le vendre ou exposer en vente à peine de trois mil livres d’amende, & de tous despens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu’aucun n’en pretende cause d’ignorance.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le
huictiesme Aoust 1645.

Les Exemplaires ont esté fournis.